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D eux mots caractérisent la situation tant française qu’internationale : émiettement et tension car aussi bien en France et en Europe que dans le reste du monde, l’exacerbation des oppositions conti- nue de s’approfondir. Ainsi l’Ukraine est-elle le théâtre d’affronte- ments nationalistes dont les perdants sont les peuples concernés. Au Proche-Orient, la bar- barie pratiquée trouve sa source dans l’af- frontement de visées hégémoniques qui instrumentalisent les traditions religieuses différentes du sunnisme et du chiisme comme vecteurs de leur volonté dominatrice. Le conflit israélo-palestinien, depuis trop longtemps ouvert, ne peut que s’aggraver si les forces obscurantistes de la droite nationa- liste-religieuse atteignent leurs objectifs de mainmise sur l’État israélien. Quant à l’Amérique latine, le chaos menace de s’y installer aussi bien au Venezuela qu’en Argentine sous la poussée d’intérêts et de for- ces réactionnaires. Celles-ci, avec la compli- cité des USA, poussent leurs avantages mal- gré d’incontestables progrès sociaux dont bénéficient la population, en profitant de chaque faille des gestions gouvernementales comme, par exemple, la difficulté à diversi- fier la production industrielle. Enfin, la Chine est en proie à de difficiles contradictions entre les aspirations de sa population et les résultats de la gestion étatique de ses diri- geants. En Europe, sous prétexte de « concurrence libre et non faussée », la volonté du capital financier de créer des zones différenciées, les unes captant l’essentiel de la richesse produi- te, et les autres ne servant que de réservoir de main-d’œuvre à bas prix entre en conflit avec la volonté du peuple grec de se libérer de la faim, de la misère et de la servitude à laquel- le on tente de le réduire. L’Espagne semble vouloir suivre le même chemin. Où l'on voit que dans ce monde difficile, l'intérêt des peu- ples peut prévaloir, comme le montrent la libération de Kobané en Syrie et la victoire de Syriza en Grèce. La France elle-même, par son implication militaire sur différents théâtres, contribue au fractionnement et à la tension comme on peut le voir suite à son intervention en Libye et au Mali. De plus, la volonté du gouvernement français de servir les desseins du capital financier, alors pourtant qu’il est le produit d’une élec- tion obtenue sur la base de l’exaltation des thèmes spécifiques de la gauche, l’a conduit dans une impasse autoritaire. Ainsi s’oppose-t-il à une partie importante de la majorité prési- dentielle car il avait pour objectif malsain de dépouiller les salariés de garanties et de pro- tections qui étaient le fruit de leurs luttes antérieures. Dans le même moment, on voit se multiplier les revendications syndicales d’augmentation de salaires, tant l’austérité imposée apparaît aux salariés comme insup- portable. Les élections départementales des 22 et 29 mars enregistreront l’impact auprès des élec- teurs de ces affrontements multiples et seront l’occasion, pour les forces luttant en faveur d’un changement social radical, de manifes- ter leur attachement au progrès social, à la préservation de l’environnement, et à une orientation des ressources économiques en faveur de la satisfaction des besoins humains. Les juifs progressistes et laïques, dont l’UJRE et la PNM veulent porter les espoirs, la parole et les combats, ne se situent pas en observateurs passifs de tout ceci. Fidèles à leurs valeurs, ils participent à toutes les luttes en faveur de la démocratie, de la paix, du progrès social et humain. 28/02/2015 8 MARS: Journée mondiale de la femme Palestiniennes et Israéliennes brisent le mur p.4 “Mesure de nos jours” de Charlotte Delbo S. Endewelt p.5 Femme et fière d’être femme, telle fut Jacqueline Gerroudj p.2 21 MARS: Journée mondiale contre le racisme Entretien avec Pierre Tartakowski (LDH) P. Kamenka p.4 MONDE Les élections du 17 mars en Israël E. Davidi p.3 La liberté d’expression selon Netanyahou NM p.3 Copenhague après Charlie p.4 ÉCONOMIE Grèce : Une victoire qui reste à conquérir J. Lewkowicz p.5 Quelle liberté d’expression pour les lanceurs d’alerte p.6 HISTOIRE / MÉMOIRE Robert Ménard honore la mémoire d’un putschiste p.6 Des fous assassinés par Vichy N. Mokobodzki p.6 Les fusillés de l’Affiche Rouge au Panthéon ? p.6 CULTURE Philip Roth, un juif américain pure souche G.-G. Lemaire p.8 « Jacob, Jacob » de Valérie Zenatti J. Lafon Galili p.8 Chronique théâtre S.Endewelt p.7 Chronique cinéma L. Laufer p.7 à voir (Timbuktu, Les Héritiers, Ceux qui restent) p.7, 8 HUMEUR/HUMOUR Le clin d’oeil de N. Malviale p.4 Un détail à Auschwitz Dr. J. Franck p.6 Les mots pour le dire - Rire de tout ? M. Cling p.6 P. 3 le Proche-Orient Sept décennies après la création de l’État d’Israël, les forces de paix israéliennes trouveront-elles le moyen de leur victoire ? 17 mars - Un espoir perdu pour la paix ? Lutter dans un monde émietté et tendu Jacques Lewkowicz P. 6 À la mémoire des fous assassinés par Vichy Élections en Israël Non, ce ne sont pas des survivants d’Auschwitz mais des rescapés, après la Seconde Guerre Mondiale, de l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise. Manifestation de pacifistes israéliens Aucun de nous ne peut rester indifférent devant cette image insoutenable. Ce crime contre l’humanité a été commis par le régime de Vichy. Au nom du peuple français. Il mérite réparation. Pétain avait supprimé la fière devise de la République: "Liberté, Égalité, Fraternité". Ne permettons plus qu'elle soit abolie. Veillons à ce qu’elle devienne réalité. ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 324 - Mars 2015 - 33 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

17 mars - Un espoir perdu pour la paixdata.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20150309/ob_0a8a0c_324.pdf · se multiplier les revendications syndicales d’augmentation de salaires, tant

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Deux mots caractérisent la situationtant française qu’internationale :émiettement et tension car aussi bien

en France et en Europe que dans le reste dumonde, l’exacerbation des oppositions conti-nue de s’approfondir.Ainsi l’Ukraine est-elle le théâtre d’affronte-ments nationalistes dont les perdants sont lespeuples concernés. Au Proche-Orient, la bar-barie pratiquée trouve sa source dans l’af-frontement de visées hégémoniques quiinstrumentalisent les traditions religieusesdifférentes du sunnisme et du chiismecomme vecteurs de leur volonté dominatrice.Le conflit israélo-palestinien, depuis troplongtemps ouvert, ne peut que s’aggraver siles forces obscurantistes de la droite nationa-liste-religieuse atteignent leurs objectifs demainmise sur l’État israélien. Quant àl’Amérique latine, le chaos menace de s’yinstaller aussi bien au Venezuela qu’enArgentine sous la poussée d’intérêts et de for-ces réactionnaires. Celles-ci, avec la compli-cité des USA, poussent leurs avantages mal-gré d’incontestables progrès sociaux dontbénéficient la population, en profitant dechaque faille des gestions gouvernementalescomme, par exemple, la difficulté à diversi-

fier la production industrielle. Enfin, la Chineest en proie à de difficiles contradictionsentre les aspirations de sa population et lesrésultats de la gestion étatique de ses diri-geants.En Europe, sous prétexte de « concurrencelibre et non faussée », la volonté du capitalfinancier de créer des zones différenciées, lesunes captant l’essentiel de la richesse produi-te, et les autres ne servant que de réservoir demain-d’œuvre à bas prix entre en conflit avecla volonté du peuple grec de se libérer de lafaim, de la misère et de la servitude à laquel-le on tente de le réduire. L’Espagne semblevouloir suivre le même chemin. Où l'on voitque dans ce monde difficile, l'intérêt des peu-ples peut prévaloir, comme le montrent lalibération de Kobané en Syrie et la victoire deSyriza en Grèce.La France elle-même, par son implicationmilitaire sur différents théâtres, contribue aufractionnement et à la tension comme on peutle voir suite à son intervention en Libye et auMali.De plus, la volonté du gouvernement françaisde servir les desseins du capital financier,alors pourtant qu’il est le produit d’une élec-tion obtenue sur la base de l’exaltation des

thèmes spécifiques de la gauche, l’a conduitdans une impasse autoritaire. Ainsi s’oppose-t-ilà une partie importante de la majorité prési-dentielle car il avait pour objectif malsain dedépouiller les salariés de garanties et de pro-tections qui étaient le fruit de leurs luttesantérieures. Dans le même moment, on voitse multiplier les revendications syndicalesd’augmentation de salaires, tant l’austéritéimposée apparaît aux salariés comme insup-portable.Les élections départementales des 22 et 29mars enregistreront l’impact auprès des élec-teurs de ces affrontements multiples et serontl’occasion, pour les forces luttant en faveurd’un changement social radical, de manifes-ter leur attachement au progrès social, à lapréservation de l’environnement, et à uneorientation des ressources économiques enfaveur de la satisfaction des besoins humains.Les juifs progressistes et laïques, dontl’UJRE et la PNM veulent porter les espoirs,la parole et les combats, ne se situent pas enobservateurs passifs de tout ceci. Fidèles à leurs valeurs, ils participent à toutesles luttes en faveur de la démocratie, de lapaix, du progrès social et humain.

28/02/2015

8 MARS: Journée mondiale de la femmePalestiniennes et Israéliennes brisent le mur p.4“Mesure de nos jours” de Charlotte Delbo S. Endewelt p.5Femme et fière d’être femme, telle fut Jacqueline Gerroudj p.2

21 MARS: Journée mondiale contre le racismeEntretien avec Pierre Tartakowski (LDH) P. Kamenka p.4

MONDELes élections du 17 mars en Israël E. Davidi p.3La liberté d’expression selon Netanyahou NM p.3Copenhague après Charlie p.4

ÉCONOMIEGrèce : Une victoire qui reste à conquérir J. Lewkowicz p.5Quelle liberté d’expression pour les lanceurs d’alerte p.6

HISTOIRE / MÉMOIRERobert Ménard honore la mémoire d’un putschiste p.6Des fous assassinés par Vichy N. Mokobodzki p.6Les fusillés de l’Affiche Rouge au Panthéon ? p.6

CULTUREPhilip Roth, un juif américain pure souche G.-G. Lemaire p.8« Jacob, Jacob » de Valérie Zenatti J. Lafon Galili p.8Chronique théâtre S.Endewelt p.7Chronique cinéma L. Laufer p.7à voir (Timbuktu, Les Héritiers, Ceux qui restent) p.7, 8

HUMEUR/HUMOURLe clin d’oeil de … N. Malviale p.4Un détail à Auschwitz Dr. J. Franck p.6Les mots pour le dire - Rire de tout ? M. Cling p.6

P. 3 le Proche-Orient

Sept décennies après la création del’État d’Israël, les forces de paix

israéliennes trouveront-ellesle moyen de leur victoire ?

17 mars - Un espoir perdu pour la paix ?

Lutter dans un monde émietté et tenduJacques Lewkowicz

P. 6 À la mémoire des fous assassinéspar Vichy

Élections en Israël

Non, ce ne sont pas des survivants d’Auschwitz mais des rescapés,après la Seconde Guerre Mondiale, de l’hôpital psychiatrique deClermont-de-l’Oise.

Manifestation depacifistes israéliens

Aucun de nous ne peut rester indifférentdevant cette image insoutenable. Ce crimecontre l’humanité a été commis par le régime deVichy. Au nom du peuple français. Il mériteréparation. Pétain avait supprimé la fière devisede la République: "Liberté, Égalité, Fraternité".Ne permettons plus qu'elle soit abolie. Veillonsà ce qu’elle devienne réalité.

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 324 - Mars 2015 - 33e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

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L A P R E S S E N O U V E L L E

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U.J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

CoordinationN. Mokobodzki, T. Alman

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki, Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde Alman

Rédaction – Administration14, rue de Paradis

75010 PARISTel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

Courriel : lujre@orange. frSite : http://ujre.monsite-orange.fr

(bulletin d'abonnement téléchargeable)Tarif d'abonnement

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Nommée en Algérie en 1948, elle yépousera Abdelkader Guerroudj.L’adhésion au communisme ? Une évi-dence : « Elle était le fruit de mes pre-miers contacts avec la réalité colonialequi m’obligeait à prendre position pourne pas être complice. » C’est dans lesrangs du PCA, aux côtés des fellahs,qu’elle entre dans la lutte armée. Ce quilui vaut d’être expulsée d’Algérie, en1955, avec époux et enfants. Son mariest responsable de l’organisation arméedu PCA dans la région de Tlemcenavant de rejoindre le FLN. Elle estagent de liaison. Le 11 février 1957 elleparticipe à la bataille d’Alger** avecFernand Iveton, qui sera condamné àmort et exécuté. « Je vais mourir, maisl’Algérie sera indépendante », s’était-ilécrié avant de mourir. Arrêté en pleinebataille d’Alger, condamné à mort, lecouple Guerroudj est sauvé par une impo-sante campagne internationale. La lutte acontinué. La lutte continue. NM* La Guerre d’Algérie, sous la directiond’Henri Alleg, T. 2, p. 487, Éd. Messidor, 1986.** À propos de la bataille d’Alger en 1957, voiren p.6 l’article sur Robert Ménard.

Juive, anticolonialiste, internationalis-te, Algérienne par choix et par décret,

fière d’être femme, JacquelineGuerroudj vient de quitter ce monde.Elle laisse le souvenir d’une femmeengagée dans tous les combats du siè-cle. Ardente, intrépide, tonique, elleriait de tout. Elle a chanté et dansé avecses compagnes condamnées à mortcomme elles. Elles s’étaient battuesensemble avec tant de panache qu’on apu parler de la République des Djamila.Elles ont continué de lutter ensemblepour améliorer le code de la famille,pour la démocratie, contre la torture. Ily a fallu autant de courage, autant deténacité.

Jeune juive sauvée par des résistants,Jacqueline Netter estimait avoircontracté une dette*. Elle s’en acquitte-ra en combattant le colonialisme,découvert au Sénégal. « J’étais à SaintLouis au Sénégal, et là j’ai fait laconnaissance de Senghor et AliouneDiop qui allaient devenir d’illustrespersonnages par la suite. J’avais déjàcompris ce que c’était la colonie. »

Roger HaninL’UJRE a appris avec émotion lamort de Roger Hanin. Petit-fils derabbin, né à la Casbah, il grandit àBab-el-Oued. Il évoquait avec amer-tume ce jour de 1941 où, en applica-tion des lois antisémites de Vichy, ledirecteur du Lycée Bugeaud fit l’ap-pel des élèves juifs et leur signifiaqu’ils étaient exclus. Et pourtant,ajoutait-il, « j’étais un excellent élève ».

Fidèle à ses parents communistes, ils’était indigné quand, à la télévision,un journaliste avait prétendu que lescommunistes étaient antisémites.C’est très naturellement que RogerHanin avait accepté d’être parrain deMRJ-MOI.

Henri MartinPrésentes dès la première heure dans lecombat contre le colonialisme et pourl’indépendance des peuples, l’UJRE etla Presse Nouvelle ont appris avec cha-grin la mort de cet anticolonialiste pas-sionné que fut Henri Martin. Entré toutjeune dans la Résistance, il découvrit laquestion juive au maquis le jour où uncamarade de combat juif lui confiaqu’en cas d’arrestation, il serait immé-diatement identifié comme juif et,devant son étonnement, lui expliquapourquoi. Engagé pour cinq ans dans laMarine, envoyé en Indochine, lesecond maître Henri découvrit sur placel’avilissante exploitation coloniale et enconclut qu’elle était incompatible avecl’honneur de la France, en général, lesien en particulier. Sa campagne contrela guerre d’Indochine lui valut d’êtrecondamné à cinq ans de réclusion enprison militaire. Une condamnationqui souleva une immense vague desolidarité. Nombreux sont les ponts etles routes de France où l’on peut enco-re lire, en lettres de plus en plus pâles ilest vrai : « Libérez Henri Martin ». Ce dirigeant frappait par une modestieaussi profonde que son enthousiasme,par sa loyauté. Il accepta avec simplici-té de parrainer l’association pour lamémoire des résistants juifs de la MOI.« Ancien FTPF du Cher, compagnieMarat », ajouta-t-il sobrement à côtéde son nom.

Aliette GeistdoerferAnthropologue, directeur de rechercheau CNRS, nous a quittés le 4 janvier.Secrétaire générale de l’Union rationa-liste, elle avait participé l’an passé audébat organisé par l’UJRE dans lecadre du RAJEL, à la mairie du 10e

arrondissement, sur le thème de la laï-cité, ainsi qu’à l’initiative de la LibrePensée, à une réunion de 400 librespenseurs opposés à la ratification de laCharte européenne des langues régio-nales qu’ils percevaient comme uninstrument plus destiné à faire éclaterl’unité et l’indivisibilité de laRépublique qu’à défendre les languesrégionales ou minoritaires. Nos pen-sées attristées à son frère Patrick.

2 PNM n°324 - Mars 2015

Arkadi Kamenka

fils de Vadim et Sylvie,

petit-fils de Patrick et Irène

est né le 4 février.

Mazel Tov !

Naissance

Décès

ERRATUM

Nous prions nos lecteurs de bien vou-loir nous excuser pour l’erreur interve-nue dans la signature du communiquéUAVJ publié dans notre hors-série dumois dernier (PNM n° 323). Il n’étaitpas signé uniquement par PascalLederer mais par Pascal Lederer etOlivier Gebuhrer, en tant que co-ani-mateurs du réseau.

Décès Femme et fière d’être femme, telle fut Jacqueline Guerroudj

Convocation À vos agendas

28 MARS 2015 à 15 heuresASSEMBLÉE GÉNÉRALE

annuelle des adhérents Le Bureau de l’UJRE a le plaisir de vous inviter en ses locaux, 14 rue de Paradis,à sa prochaine assemblée générale annuelle, et compte bien sur votre présencepour faire vivre et se développer votre association. Ensemble nous analyseronsnotre activité passée (2014) et la situation actuelle (antisémitisme, Proche-Orient…). Nous définirons ensemble les orientations et les projets en cours et àvenir (2015 : exposition 80e anniversaire de la Naïe Presse, etc). L’après-midi seterminera sur notre traditionnel pot de l’amitié. Les gâteaux “fait maison” serontles bienvenus. ■

Merci de nous contacter si vous souhaitez être candidatà l’élection de notre prochain Bureau ([email protected]).

ActivitéLe 10 février, nous nous retrouvions pour une visite privée aux Archives natio-nales*, avec les commissaires de l’exposition sur “LA COLLABORATION(1940-1945)”. Documents à lire, documents sonores, films nous ont (re)plongéavec talent dans le climat de cette sombre époque. À voir absolument.

* Archives nationales, entrée du Musée : 60, rue des Francs Bourgeois, Paris 3°. Tél/ 01 40 27 60 96

Événement Le 3 mars, l’UJRE participait à l’ouverture d’une exposition de dessins d’enfants des foyers, des patronages, des colonies de la CommissionCentrale de l’Enfance auprès de l’UJRE (Fonds Diamant, 19545-1951). Courezvoir cette exposition, Grandir après la Shoah. Elle est magnifique. Achetez viteson album : “L’histoire méconnue de ces juifs communistes qui accueillirentdes enfants de déportés”. Il est magnifique. Vous y retrouverez parmi les auteurs de des-sins les noms d'amis... dont certains sont devenus d'authentiques artistes, tels Topor, Bober,Grumberg, Lescot, Garran, Darès... Espace Niemeyer 6 ave. Mathurin Moreau Paris 19°

À vos agendas Samedi 14 mars, c’est POURIM, la fête des enfants, la fête du rire... pourquoi ? Réponse dans le livre d’Esther, le seul de la Bible où “Dieu” ne soitpas nommé. En Perse (-520), la gentille et courageuse reine Esther, Ester a malkè,sauve le peuple juif du massacre prévu par le roi Assuérus. Comment supporter lenom de ce méchant, Aman, qui avait décrété leur extermination ? Si vous l’entendez, faitestourner les crécelles ! Réjouissons-nous, mangeons des pâtisseries, des houmentachn, partici-pons dimanche 8 mars à 18h 14 rue de Paradis Paris 10° à l’Apéro-dinatoire organisé parnos Amis de la CCE, militons pour que le Pourim Shpil soit inscrit sur les listes du patrimoi-ne culturel immatériel de l’Unesco. ■

Adolf Hitler - Philippe Pétain - Affiche de Draeger - Archives nationales © saluces

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Carnet Hommage

Vie des associations

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PNM n°324 - Mars 2015 3

La propagande électorale passe parla télévision, media coûteux. EnIsraël, tout comme aux États-Unis,les campagnes électorales engloutis-sent des sommes astronomiques dontl’origine n’est pas des plus limpides,cependant que les tribunaux fermentles yeux sur la corruption quand ilsn’en sont pas complices.

Adelson a dépensé sans compterpour soutenir la candidature de NewtGingrich, l’ennemi juré de Clinton,l’homme qui voulait coloniser lalune, puis celle de Mitt Romney, can-didat malheureux aux présidentiellesde 2012. Se demander ce que cecitoyen américain vient faire enIsraël, ce serait oublier qu’Israël estl’État juif par quoi certains entendentl’État de tous les juifs de la planète.Netanyahou l’a d’ailleurs déclaré : ilreprésente non seulement Israël maisl’ensemble du peuple juif…qu’il segarde bien de consulter. Son alter ego, son « cerveau », dit-onélégamment, n’est autre que RonDermer. C’est cet autre Américain,né à Miami, membre actif du Partirépublicain, qu’il a, en 2012, nomméambassadeur auprès d’un gouverne-

ment démocrate. L’homme ad’ailleurs failli compromettre l’aidede Washington à Israël pour avoir,entre autres, convaincu lesRépublicains du Sénat et de laChambre des représentants, quibénéficient de la générositéd’Adelson ou y aspirent, d’inviterNetanyahou à prononcer devant leCongrès un discours hostile àObama. Comme quoi un ambassa-deur peut manquer de diplomatie…L’équipe Adelson-Netanyahou va-t-elle continuer à gouverner Israël ?C’est ce dont vont décider les élec-tions du 17 mars.La coalition de gauche enpasse de devenir la troisièmeforce

Selon un sondage i24news réalisépar l'Institut Geocartography,

l’Union sioniste d’Herzog et TzipiLivni obtiendrait entre 23 et 26 siè-ges, soit une légère avance sur unLikoud pénalisé, entre autres, par lacampagne qui accuse le coupleNetanyahou de détournement defonds publics.

Notons que l’extrême droite pourraitrécupérer les voix perdues par le

Bibi et l’oncle Sam

Cela ne se sait pas assez, maisl’homme qui fait la loi en Israël

n’est pas Netanyahou : c’est SheldonAdelson, un octogénaire américainsurnommé le roi des casinos. Estiméeà 37 milliards de dollars, sa fortune leplace au dixième rang des personnesles plus riches de la planète. Outre lescasinos qu’il possède à Las Vegas, enPennsylvanie, à Macao ou àSingapour, Adelson est aussi l’hom-me fort du Parti républicain et depuispeu, du Sénat comme de la Chambredes représentants. Or il entend faired’Israël sa chasse gardée etNetanyahou n’a rien à lui refuser.

Partisans fanatiques d’un Israël racis-te, colonialiste, annexionniste, expan-sionniste, intransigeant, violent, arro-gant, les deux hommes se sont dotésd’un quotidien du matin gratuit,« Israel Hayom » (Israël aujourd’hui),entièrement dédié à la promotion desintérêts non pas du Likoud, non pasd’une quelconque ligne politique,mais bien du seul Netanyahou.

L’argent, ce n’est pas nouveau, joueun rôle de plus en plus important dansla politique.

Likoud. La coalitionformée par leHadash (Front démocratique pour lapaix et l’égalité - Parti communisted’Israël) et les partis arabes progresseet passerait de 12 à 15 sièges. A droi-te, 11 sièges iraient à la liste HaBayitHayehudi de Naftali Bennett. Lesgrands perdants seraient le Foyer juif,parti néolibéral qui passerait de 19 à11, perdant 8 sièges, et le parti xéno-phobe Israël Beitenou, d’AvigdorLiberman qui passerait de 13 à 7.Quant au parti Meretz, qui passe de 6à 5, il perd des électeurs au profit del’Union sioniste et de la Listed’Union.

La coalition Hadash-partis arabespourrait bien, dans ces conditions,constituer la troisième force. Sonobjectif est d’empêcher Netanyahouet la droite de l’emporter. Elle pour-rait donc soutenir la formationHerzog-Livni, si celle-ci recueillesuffisamment de voix pour former legouvernement. « Il y a un précédent,signale le porte-parole du PC,Abdallah Abu-Ma’arouf : nousavions déjà apporté notre soutien auPremier ministre Rabin, lorsquecelui-ci avait reconnu l’OLP et lesdroits nationaux du peuple palesti-nien ». Et de rappeler le programmede la coalition : lutter contre la discri-mination, combattre l’exploitationdes travailleurs, défendre les droits dela femme, mettre un terme à l’occu-pation des territoires palestiniens,parvenir à une paix juste.

28/02/2015

La liberté d’expression selon NetanyahouLe risque était réel que les prix decritique littéraire, de littérature, voirede cinéma ne puissent être attribués.

Il semblerait que Bibi la Gaffe aitbattu en retraite devant la levée deboucliers qu’il avait provoquée, maisle mal était fait. NM

Nous l’avons tous vu, le 11 jan-vier, marcher fièrement en tête

du défilé républicain pour la libertéd’expression. Plus Charlie que lui, cen’était pas possible.

Il aura sans doute oublié ces principesrépublicains dans l’avion car à la mi-février, il s’est mis à censurer à toutva. Il est intervenu, le cas est sansprécédent, dans la composition de lacommission chargée de décerner lePrix d’Israël de critique littéraire.Indésirables, selon lui, les Pr. AvnerHoltzman (Université de Tel Aviv) etAriel Hirschfeld (UniversitéHébraïque de Jérusalem), ce dernierayant usé de sa liberté d’expressionpour prendre le parti des refuzniks.

Sans compter que David Grossman,qui est, certes, le plus grand écrivainisraélien mais qui a appelé à recon-naître la Palestine, risquait d’être lau-réat du Grand prix de littérature. Effetimmédiat : six membres de la com-mission ont donné leur démission etl’un des candidats au Prix de littératu-re a retiré sa candidature cependantque le célèbre cinéaste Ram Levi seretirait de la commission du cinéma.

Proche-Orient

Très inventif dans son utilisationdes ressources de la caméra ou

de la webcam, Avi Mograbi réaliseun cinéma très personnel et singulier.Il documente sur son pays autant quesur lui-même car il se place encitoyen responsable au centre de sesfilms qui interrogent l’histoire etl’actualité politique récente d’Israël.Très interactive, son écriture opèredans une forme très neuve pour pro-voquer une réflexion chez le specta-teur. On y trouve une bonne dosed’introspection dans des films quiexplorent, dénoncent, réfléchissent etprovoquent la réflexion chez celuiqui les regarde. On trouve un humourhérité de la meilleure tradition juivede l’autodérision – et même du bur-lesque dans ses explorations, ce quirend ses films attachants, proches et

vivants sans qu’ils perdent de leurprofondeur. Dans Z32* un ex-soldatisraélien se confesse avoir tué sansraison au cours d’une mission, deuxpoliciers palestiniens dont l’un étaitdésarmé. Le réalisateur protège l’a-nonymat du soldat par un jeu demasques et élargit la confession indi-viduelle à la responsabilité collective.Le film est soutenu par l’associationBrisons le silence où des soldatsisraéliens confessent ou témoignentdes crimes commis par l’armée israé-lienne dans les territoires occupés.Dans un jardin je suis entré** faitencore appel à l’intime et part sur lestraces des racines familiales ducinéaste en Syrie et au Liban pourparler des blessures, du déchirementet de la séparation. Le cinéaste rêveici de retrouver l’harmonie perdue

qui existait autrefois entre Israël et laPalestine où musulmans, juifs etchrétiens vivaient ensemble. Il estclair que Mograbi rêve ici de réin-venter ce Proche-Orient désiré etdésirable. Un film sur l’espérancequi s’oppose à la violence de notreépoque.

Autre édition DVD: Coffret AviMograbi avec Pour un seul de mes deuxyeux - Août avant l'explosion - Commentj'ai appris à surmonter ma peur et à aimerAriel Sharon - Happy birthday MisterMograbi ; entretien avec le réalisateur etlivret critique. DVD Zone 2. Arte vidéo(2006)

* cf. PNM n° 263 de février/mars 2009

** cf. PNM n° 308 de septembre 2013

Dans un jardin je suis entré et Z32 2 DVD édités par Épicentre

Cinéma - Laura Laufer - À propos d’Avi Mograbi

Les élections du 17 mars en Israëlpar Efraïm Davidi

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Palestiniennes et Israéliennes brisent le mur

Copenhague après Charlie

Le samedi 7 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, desPalestiniennes et des Israéliennes venues de part et d’autre du mur de séparation

se rejoignent au point de contrôle de Qalandya, village palestinien situé en Cisjordanie,entre Jérusalem et Ramallah. Mot d’ordre : « Les femmes brisent le mur ».À l’origine de cette initiative : le Centre féministe Isha L’Isha de Haïfa, l’AssociationMahapach-Taghir, le Mouvement des femmes démocrates d’Israël (TANDI), Lesfemmes en noir, la Coalition des femmes pour la Paix, le Mouvement des femmesdémocrates d’Israël (TANDI). Indépendamment de toute condition d’âge, de religion, de race ou de nationalité,déterminées à renverser toutes les barrières, ces femmes disent « non » à la discrimi-nation, à l’oppression et à l’occupation.

8 mars : Journée

internationale de la femme

Pierre TartakowskiPrésident de la Ligue des Droits de l’Homme

ministre n’est pas antisémite ; mais dis-tinguer ainsi les juifs de la France, laFrance des juifs, c’est au mieux donnerla mesure des confusions en cours et aupire, s’exposer à rejoindre d’autres pro-pos, moins anodins, sur « l’influencejuive »… Le Premier ministre israélienBenjamin Netanyahou n’a eu de cessed'appeler les juifs français en particu-lier, et plus généralement ceuxd’Europe, à gagner Israël. Quelle estvotre réponse à vous ? L’antisémitisme n’est pas et ne doit pasêtre une « affaire de juifs » ; il est anti-républicain, anti-démocratique. À Pariscomme à Copenhague, les attentats ontfrappé conjointement des juifs et dessymboles de la liberté d’expression. Làencore, les essentialiser au lieu de lescontextualiser politiquement peut nour-rir l’idée que, finalement, s’il n’y avaitpas de juifs, il n’y aurait pas d’atten-tats… À sa manière assez lourde, c’estce que fait Benjamin Netanyahou. Celaméritait réponse et une convocation del’ambassadeur d’Israël aurait été bienve-nue. Je me suis parfaitement retrouvédans la tribune du président de laLICRA dans Le Monde où il rappelleque « La vocation d’Israël n’est pas dedevenir le dernier village juif de la pla-nète » et souligne, à juste titre: « Je refu-se que la France ne soit plus la France,

comme cela adviendrait si les juifsdevaient quitter son sol. Quels quesoient les périls, l’alternative n’est pasde rester ou de partir mais de se résignerou de se battre, et le choix est vite fait. »Les attentats ne nous ont-ils pas d’oreset déjà fait basculer dans un « conflitdes civilisations » avec à la clé unPatriot Act européen? C’est le piège tendu par les terroristes.Mais rien n’est écrit : la manifestation du11 janvier, au-delà d’ambiguïtés inévita-bles et d’instrumentalisations gouverne-mentales, portait l’attachement à la liber-té et à la fraternité. On assiste à une flam-

Après les déclarations du Premierministre répondant à BenjaminNetanyahou, vous avez, en tant que pré-sident de la LDH, mis en garde contreles risques de communautarisation.Pouvez-vous développer votre réflexionà ce sujet?La France connaît de longue date unesorte de « communautarisation » dudébat politique qui présente trois caracté-ristiques majeures : l’essentialisationidentitaire des « Français », une concur-rence victimaire, la fragmentation desripostes antiracistes. Cela, au détrimentd’une approche universaliste des droits.La résurgence de l’antisémitisme et lavague d’islamophobie sont à replacerdans ce contexte délétère. Il est regretta-ble que les associations communautaires,loin de clarifier ces configurations identi-taires, s’inscrivent dedans, nourrissant dedangereuses distinctions, reprises etbanalisées par le débat public. Ainsi, letitre « Les juifs de France » à la « Une »de l’Express est extrêmement ambigu ; ilimplique une séparation de fait entre lespremiers et la seconde. On retrouve cetteambigüité dans la réponse du Premierministre à Benjamin Netanyahou.Lorsqu’il déclare aux juifs : « La Francesouffre comme vous », il implique deuxcorps séparés. Il eut été plus juste de dire« La France souffre et donc nous souf-frons tous ». Soyons clairs : le Premier

bée inquiétante d’islamophobie et deparanoïa antiterroriste qui dégrade noslibertés ; le gouvernement a manifeste-ment décidé de jouer de sa posture auto-ritaire, d’où l’usage du 49-3 al’Assemblée nationale, d’où égalementdiverses tentatives de brider la liberté deslanceurs d’alertes et des journalistes.Mais soyons lucides : les mauvaisesdynamiques « d’en bas » sont fortes. Ilfaut investir sur la dimension fraternellede la manifestation du 11 janvier, sansoublier la partielle du Doubs qui lui asuccédé… propos recueillis par

Patrick Kamenka20 février 2015

France Entretien avec

Samedi 14 février. Copenhague.Quelque cinq semaines après les tueries deCharlie Hebdo et de l’hypermarché cas-her, des dizaines de coups de feu sont tiréescontre un centre où se déroule un débat surl’islamisme et la liberté d’expression. Invité d’honneur, Lars Vilks, ce dessina-teur suédois qui avait publié en 2007 unecaricature représentant Mahomet avec uncorps de chien. Menacé de mort par AlQuaïda, il est protégé par la police et aessuyé plusieurs tentatives d’assassinat.Sans doute pas uniquement en raison decette caricature, car il est également prochedu mouvement SION (Stop islamisation ofnations) et de la Jewish Defense LeagueduCanada. Autres invités : l’ambassadeur deFrance et l’Ukrainienne Inna Chevchenko,dirigeante et fondatrice du mouvement desFemen. Bilan de l’attentat : deux morts,outre le « suspect » et cinq policiers bles-sés. Un peu plus tard, c’est une synagoguequi sera visée. Le Danemark est farouchement attaché àla liberté d’expression, un principe qui « depuis les années 1960, observe AntoineJacob dans La Croix, a permis à diverscourants plus ou moins extrémistes d’exis-ter en marge d’une société généralementmodérée et consensuelle. Ainsi, une radioouvertement néonazie a longtemps pu dif-fuser sa propagande dans la région de

Copenhague, y compris grâce à des sub-ventions publiques. » Ce n’est donc pas unhasard si c’est au Danemark qu’en 2005,un journal conservateur reproduisait 12caricatures du Prophète. Celles que CharlieHebdo reproduirait à son tour, avec lesconséquences que l’on sait. Le Danemark, pour libre qu’y soit l’ex-pression, n’en a pas moins durci sa poli-tique à l’égard de l’immigration (critèresplus stricts pour le regroupement familial,délai d’obtention d’un permis de résidentpermanent porté de trois à sept ans).Politique durcie, également, à l’égard del’islam et du judaïsme avec l’interdiction,votée en 2014, de l’abattage rituel. Mesurecritiquée par le Conseil de l’Europe lequelrelève également que la couverture média-tique est « le plus souvent négative ou hos-tile » en ce qui concerne les musulmansqui représentent 5% d’une population esti-mée à 5,7 millions d’habitants.La reine est intervenue pour défendre « les valeurs sur lesquelles le Danemarkest bâti » tandis que la Première ministreaffirmait : « Ce n’est pas un combat entrel’islam et l’Occident (c’est Zemmour quiva pas être content), ni entre musulmans etnon musulmans. C’est un combat entre laliberté de chaque individu et une idéologieobscurantiste ».Nous choisirons de retenir la risposte paci-

fiste des juifs et des musulmans qui ontformé une chaîne humaine, une chaîne depaix, pour protéger la synagogue.Manifestation imitée par solidarité à Oslo.On se rappelle que lors de la tueried’Anders Breivik, qui avait massacré 77jeunes travaillistes et fait 151 blessés, laNorvège avait refusé de répondre à la vio-

lence par la violence. La question reste posée : pourquoi la foliemeurtrière s’empare-t-elle de jeunes par-fois perçus comme bien insérés ? Quelleréponse donner ?

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4 PNM n°324 - Mars 2015

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Économie

rompre avec l’austérité, relancer l’éco-nomie et en finir avec le clientélisme etle pouvoir exercé par l’oligarchie écono-mique. A l’issue de cette négociation, lesrésultats sont les suivants selon l’accordconclu avec les instances européennes. D’une part, pendant quatre mois, l’Étatgrec a la certitude de pouvoir honorer lesremboursements auxquels il est astreint.Il évite ainsi à la Grèce les dégâts d’undéfaut de paiement 5. D’autre part, unensemble de mesures qui se situent dansune logique contraire à celle qu’avaitimposée antérieurement la Troïka (UE,BCE, FMI) est validé. Alors qu’elle étaitacceptée par la droite et le PASOK qui sesont succédé depuis 1974 à la tête dupays, l’injustice sociale sera combattuepar une répartition du prélèvement fiscalincluant les grandes fortunes dans sonchamp d’action et par sa perception ren-due plus efficace. C’est un point d’appuipour lutter contre l’évasion et la moins-disance fiscale des États dans le reste del’Europe. De plus, la corruption seracombattue et la transparence des mar-chés publics assurée. Ainsi sera cassé le

clientélisme et son effet « boule-de-neige » à l’origine d’une bonne partie del’endettement grec. Sont également vali-dées les normes relatives aux marchés etconditions de travail ainsi qu’à la santé,plus favorables aux salariés. Sont accep-tées aussi les dispositions concernantl’accès à l’alimentation, au logement, àla santé et à l’énergie pour les plus pau-vres.Les deux principes de l’augmentation dusalaire minimum et de la remise encause du programme de privatisationsont réaffirmés. Mais c’est sans men-tionner de date de réalisation. C’est laprincipale concession acceptée parAthènes.En fait, Syriza, par ce compromis, aacheté du temps, celui nécessaire à laconstruction d’un rapport de forces quilui soit favorable. Cette hypothèse d’ac-tion stratégique est réalisable. En effet, lastratégie favorable au capital financiermise en œuvre par l’Europe repose surun point faible. Elle postule la construc-tion d’une monnaie unique sans solidari-té entre les participants à cette monnaie.

La Grèce montre qu’un gouverne-ment peut sortir son pays de lacrise malgré son insertion dans le

cadre européen1. Il doit, à cette fin, avoirle temps de construire un rapport de for-ces favorable à la solidarité en contrasteavec la concurrence libre et non faussée2

voulue par le capital financier. Il faut d’abord rappeler qu’à peine Syrizaparvenu au gouvernement, la BanqueCentrale européenne a menacé de refuserde faire, pour les banques grecques, cequ’elle fait quotidiennement pour toutesles banques des autres pays européensparce que c’est sa tâche normale et statu-taire : racheter les créances possédées parces banques. Si cette menace avait étémise à exécution, elle créait un chaosinvraisemblable dans l’économiegrecque puisqu’elle empêchait lesbanques non seulement d’accorder denouveaux crédits mais même de rem-bourser les dépôts des clients. C’est sous cette menace qu’AlexisTsipras et Yanis Varoufakis 3 ont négociéavec les autorités européennes 4. Lesobjectifs grecs étaient, à long terme, de

Ce schéma est celui de l’adhésion à unemutuelle qui ne profiterait qu’à ses plusriches adhérents tout en demandant auxplus pauvres d’approuver cette clause. Il reste donc aux forces de progrès socialà infliger d’autres défaites politiques àleurs adversaires pour transformer l’essaigrec en victoire européenne. 26/02/2015

1 Notons que la plus grande partie de la pressefrançaise parue le 25/2 refuse ce constat, commeen témoignent notamment : un éditorial et deuxarticles dans Le Monde, deux articles dans LeFigaro, un dans Les Échos et un dans Libérationet, de parti pris, interprète la situation comme unalignement libéral inévitable.

2 Celle qui permet d’offrir, sous prétexte de liber-té, des produits alimentaires dangereux pour lasanté ou qui considère les protections légalesdont bénéficient les salariés comme des entravesà la liberté.

3 Respectivement Premier ministre et ministredes Finances grecs

4 Commission européenne et Eurogroupe com-posé des ministres des Finances de la zone euro.

5 L’Argentine a expérimenté en 2001 le défautde paiement. Non seulement elle a vécu par lasuite deux années où le chômage a bondi et lapauvreté a explosé mais en 2014 elle n’avait tou-jours pas résolu la totalité des problèmes associésà ce défaut.

Grèce : Une victoire qui reste à conquérirpar Jacques Lewkowicz

mémoire qui nous appartient, qui nousest rendue. Avec la comédienne ArletteBonnard, j’ai lu à Vigneux-sur-Seine,ville d’origine de C. Delbo. Le 5 février1995, la diffusion d'une émission pro-duite en partenariat avec FranceCulture, « Appel à la mémoire,Charlotte Delbo » a eu aussi une réso-nance nationale. À partir de là, un longcompagnonnage avec l’œuvre deC. Delbo s’en est suivi. En 2013, aumoment du centenaire de la naissancede C. Delbo, j'ai été choisie comme pré-sidente de l’Association des Amis deCharlotte Delbo. Pendant trois ans,avec l’association, j’ai impulsé et coor-donné les événements du centenaire.Ce centenaire a permis une visibilitéencore plus grande de son œuvre, dufait qu’elle soit mise au rang des com-mémorations. Il y a eu la sortie de sabiographie (la première) et son nom estde plus en plus dans l'espace public(plaques commémoratives, noms derues et de bibliothèques…). J'ai aussimis en scène avec de jeunes comédiensassociés au CDR/Théâtre des 2 rives deRouen quelques-uns de ses textes,« Rue de l’arrivée, rue du départ »(Extraits de Aucun de nous ne revien-dra) qui tourne toujours dans les lycéeset collèges. Mesure de nos jours a étécréé et joué deux fois au CDR/Théâtredes 2 Rives en 2013. Nous le reprenonsà l’Épée de Bois avec les quatre comé-diennes de la création et Maud Rayer

PNM Parlez-nous de votre rencontreavec l’œuvre de Charlotte Delbo C-A. Peyrottes La Compagnie Bagagesde sable se situe dans une démarche dethéâtre citoyen avec le souci de la trans-mission. En 1993, le comédien YvesThouvenel nous parle d’un projet delecture de l’œuvre de C. Delbo autourde la trilogie Auschwitz et après. Ladécouverte de cette œuvre et celle duConvoi du 24 janvier, qui retrace la bio-graphie des 230 femmes de ce convoiavec lequel C. Delbo avait été déportéeà Auschwitz-Birkenau, fut un choc pourmoi. Nous avons été saisis par la façondont l’auteur rapporte ce témoignage dece qu’elle a vu et vécu, et immédiate-ment ressenti l’aspect théâtral de cetteprose écrite pour être dite. La compa-gnie Bagages de sable conçoit alors unprojet partant de la démarche sociolo-gique de C. Delbo : faire des lecturesnationales et publiques, républicaines,dans les 154 communes d’origine desfemmes du convoi. Le 3 février 1995,sur un signal donné par France Culture,320 comédiennes lisent, deux par deux,la nuit durant, l’œuvre de C. DelboAuschwitz et après. En partenariat avecle ministère de la Culture et les DRACdes 22 régions concernées, une femmedirigeant une compagnie devient relaisdu projet dans sa région. On lisait la bio-graphie des femmes déportées originai-res de la commune. C’était une cons-cience d’être dans l’écoute d’une

poésie. J’ai choisi le théâ-tre pour dire,dans un rapport de citoyenneté, de fra-ternité, de partage.PNM Quelle conception pour lescostumes ?C-A. Peyrottes Les comédiennes arri-vent sur la scène en noir, couleur dudeuil, elles ne sont pas habillées dans lestyle d’une époque précise. Elles sonthabillées très simplement avec des peti-tes touches de couleurs, mais avecl’esprit de l’élégance. Car C. Delbo étaitune femme très élégante, soucieuse desa tenue et de sa dignité. Pour ces fem-mes, combattantes, survivantes d'uncamp de mise à mort, le retour a étéaussi la reconquête de cette féminité. PNM Allez-vous organiser des débatsaprès le spectacle ?C-A. Peyrottes Nous sommes dispo-nibles pour rencontrer le public autourd’un verre, de manière informelle.Certains soirs, je prévois d’organiser unbord de scène : j’aimerais qu’Ida, qui aaussi été déportée et qui est une amie deCharlotte Delbo et d’autres témoins quiont connu C. Delbo, nous rejoignentpour une rencontre avec le public.

Propos recueillis le 10 février 2015 par Simone Endewelt

* Charlotte Delbo, 1913-1985

** Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie, salleStudio, du 5 au 22 mars, 2 Route du Champ demanœuvres Paris 12°. Réservation 01 48 08 39 74

*** Il s’agit de Ida Grinspan, auteure de J’ai paspleuré, Éd. Poche, 2012, 18,50 €

qui s’est jointe à nous. Toutes ces comé-diennes ont participé à la lecture natio-nale en 1995.PNM Comment représentez-vous surla scène Mesure de nos jours qui est ledernier tome de la Trilogie Auschwitzet après ?C-A. Peyrottes Le dispositif scénogra-phique est sobre : cinq chaises, un por-tant pour les manteaux et une petitetable. La trace du livre qui circule audépart reste présente sur la scène. Lescomédiennes s’approprient le texte-livre et le disent. On entend en voix offC. Delbo qui souligne sa présence-absence. La dernière scène est la seuledialoguée. Elle se termine par les retrou-vailles de survivantes pour aller à l’en-terrement d’une des leurs. On entre dansun wagon de train pour aller à cet enter-rement. Et ce n’est surtout pas triste. Onne tombe jamais dans le pathos ni dansle morbide. Et l’émotion, ce sont surtoutles spectateurs qui doivent la ressentir.Parmi les textes des revenantes de ladéportation que nous avons choisis, il ya ceux de Ida***, Mado, Louise…. Ce sont des monologues, la mise enscène de la parole, mais aussi de l’écou-te : comment chacune écoute ce que ditl’autre. Elles viennent pour dire maiss’adressent à Charlotte pour qui la cul-ture contribue à la sauvegarde de soi etdu groupe, d’une part d’humanité.Il y a une forte vitalité dans son œuvre,et en même temps, de la sensualité, de la

“Mesure de nos jours”de Charlotte Delbo au Théâtre de l’Épée de Bois (Cartoucherie)

8 mars : Journée

internationale de la femme

Claude-Alice Peyrottes comédienne, metteuse en scène, co-directrice avec Patrick Michaëlis de la compagnie Bagages de sableconventionnée par le ministère de la Culture/DRAC Haute-Normandie, reprend en mars son spectacle Mesure de nos jours deCharlotte Delbo*, au Théâtre de l’Épée de Bois**. Son travail autour de cette femme d’exception, déportée, résistante, écrivai-ne, qu’elle admire, mérite d’être évoqué. Son long compagnonnage avec l’œuvre littéraire de Charlotte Delbo et son regard aigui-sé sur la vie et l’humain impressionnent. ©

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Théâtre

PNM n°324 - Mars 2015 5

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Les fusillés de l’Affiche Rouge au Panthéon !

Robert Ménard honore la mémoire d’un putschiste

Le 14 mars à 14h30, à Béziers, la rue du « 19 mars 1962 », date de lasignature des accords d’Évian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie,

devient la rue du « Commandant Hélie Denoix de Saint Marc », à l’initiative du mairede la ville, un certain Robert Ménard. Hélie de Saint Marc, résistant, déporté àBuchenwald, s’engagera dans la Légion étrangère et servira en Indochine puis en Algérie. En1957, pendant la bataille d’Alger, on le trouvera aux côtés du général Massu, pourchassantles indépendantistes algériens, couvrant les pires méthodes d’élimination. Le 21 avril 1961,il participera au putsch des généraux à la tête du 1er REP, ce qui lui vaudra cinq années deprison dont il gardera une grande amertume. En 2011, le président Sarkozy le lavera de touteindignité en l’élevant au grade de Grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinc-tion que la République puisse conférer. C’est le même président qui tentera, en vain d’ailleurs,de faire entrer les cendres de Bigeard aux Invalides. Décidément, la sale guerre est à l’hon-neur dans la République. Le 14 mars, à 14h30, à Béziers, venus de toute la France, les représentants de nombreusesassociations manifestent contre cette initiative honteuse. Les premières à se mobiliser ont étéLes Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre, l’Association nationale pourla protection de la mémoire des victimes de l’OAS** (ANPROMEVO), l’Association natio-nale des pieds noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA), Les Amis de Max Marchand, deMouloud Feraoun et de leurs Compagnons, rejointes depuis par la Ligue des Droits del’Homme (LDH), divers partis et syndicats. * Pour sauver le nom de la rue du 19 mars 1962, à Béziers, vous pouvez signer cette pétition : www.peti-tions24.net/sauvons_le_nom_de_la_rue_du_19_mars_1962_de_beziers** Rappelons que Fanny Dewerpe, militante de l’UJRE et du PCF, monitrice au « patro » du 20° qu’a-nimait Louba Pludermacher, a payé de sa vie à Charonne, en 1961, lors de la grande manifestation anti-OAS du 8 février, son engagement en faveur de la paix en Algérie. À relire, d’Alain Dewerpe, fils deFanny, Anthropologie historique d’un massacre d’État, éd. Gallimard.

Le 21 février 1944, 22 membres du groupe Manouchian étaientfusillés au Mont Valérien. « Je suis sûr que le peuple français et

tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoiredignement », écrivait Missak Manouchian la veille de sa mort. Ce vœuest respecté chaque année, au square Marcel Rajman du 15 rueMerlin, Paris 11°. Ce dimanche 15 février à 11h, la cérémonie à lamémoire des camarades de combat FTP-MOI de l’Affiche rouge revê-tait un caractère particulier du fait de l’inauguration d’un buste enhommage à Marcel Rajman, offert par Serge Klarsfeld.Signalons aussi le très bel hommage rendu à l’Assemblée Nationale, le 19 février, par lesdéputés André Chassaigne et Jean-Marc Germain, par la projection-débat du remarquable documentaire Les FTP MOI dans la Résistance*. L’UJRE et la PNM s’associent pleinement à la démarche du député des Hauts-de-Seinequi demande le transfert des cendres des membres du groupe Manouchian du cimetièred’Ivry au Panthéon. Vous aussi pouvez vous y associer en signant sur Internet la péti-tion en ligne à l’adresse suivante : http://manouchian-pantheon.com/?contact-form-id=2&contact-form-sent=1353&_wpn* Prod. Images Contemporaines, documentaire 90’, un film de Mourad Laffite et Laurence Karsznia

lequel nous avons été embarqués à notreinsu ». Danger, mais elle a pu comptersur le courage d’autres lanceurs d’alerteet sur une solidarité syndicale qui se tra-duit, entre autres, le 3 mars par un ras-semblement de soutien à StéphanieGibaut et aux lanceurs d’alertes, à l’ini-tiative de syndicats de banques, del’UGICT, du SNJ-CGT. Le secret des affaires est déjà à l’ordredu jour avec la loi Macron. À l’ordre dujour, également, avec le projet de direc-tive européenne que le Parlement euro-péen doit examiner le 28 avril prochain.Au musée Jaurès à Albi, le visiteur peutvoir une caricature qui met en scènedeux pauvres diables avec cette légen-de : « Que veux-tu, mon pauvre vieux,c’est la lutte du pot de terre contre le potde vin ! »Osons parier pour le pot de terre ! Dernière minute : L'UBSvient d'être condamnée par lesprud’hommes pour harcèlement.

* Stéphanie Gibaut, La femmequi en savait vraiment trop – Lescoulisses de l’évasion fiscale enSuisse, Éd. Le Cherche-Midi,2014, 224 p., 17 €

La Suisse lave plus blanc, c’est bienconnu. On ne dénonce pas impuné-

ment une banque, fût-elle suisse, pourblanchiment d’argent et aide à l’évasionfiscale. Employée comme directrice de la com-munication au service marketing del’UBS en France, dynamique, profession-nelle, Stéphanie Gibaut a tout pour « réus-sir sa carrière ». Las, elle a aussi une cons-cience qui s’insurge lorsque en prévisiond’une perquisition, ordre lui est donné dedétruire des fichiers de clients et deconseillers. Un ordre que dément, bien sûr,le président du directoire d’UBS France.S’ensuivent des années de harcèlement,puis le licenciement. Mal vécus. Puis, il ya un an, le livre qui fait scandale :« Je veux dénoncer un système dans

Quelle liberté d'expression pourles lanceurs d’alerte ?

Depuis le drame de Charlie Hebdo, on voit fréquemment évoquerdans les médias l’idée qu’il faut rire de tout. Ceci renvoie à une

certaine conception de la liberté en vogue durant les événements de1968 : « Il est interdit d’interdire ». Liberté totale, faire ce que l’on veut, etc. Ence qui concerne les valeurs défendues par la PNM, on peut se demander si notrepassé peut éclairer le présent. Certes, certaines restrictions avaient été apportées par Pierre Desproges, par exem-ple, lorsqu’il écrivait : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. » Pourma part, je n’en suis pas si sûr : même avec quelqu’un de mon choix, je ne peuxpas rire de tout. Qui, en 1945, aurait pu parler de rire devant les photos des char-niers des camps nazis qui traumatisèrent le monde ? On ne peut s’empêcher d’évoquer à ce sujet les sourires triomphants des bour-reaux devant les cadavres de leurs victimes, à Varsovie ou en Ukraine, par exem-ple. Seuls peuvent rire ceux qui ont coupé tout lien personnel avec des humainsexclus de l’espèce humaine et ainsi chosifiés. C’est ainsi que leurs héritiers plusou moins masqués ont pu se livrer jadis en France à d’ignobles plaisanteries surles fours crématoires, et que l’on voit maintenant un humoriste reprendre le flam-beau nauséabond. Méfions-nous des formules fracassantes et décelons au-delà le danger qu’ellesimpliquent. Maurice Cling

Un détail à Auschwitzfaisait encore des bulles. Ce n’est pastout. Autour de la fosse, nous marchions surun curieux petit gravier blanc Dans legroupe, nous étions deux médecins.Nous avons identifié des fragments d’osd’enfants, notamment du poignet. Enquantité. Lors de mes deux visites suivantes àAuschwitz, en 1967 et en 1995, je n’aiplus revu ces étranges tourbières. Les juifs hongrois avaient achevé leurabominable cycle.

Docteur Jacques Franck28 janvier 2015

Point de vue

En juillet 1951, voyage-pèlerinageorganisé par l’Amicale

d’Auschwitz. Dans le camp, nous avi-sons une vaste tourbière d’où remontentquelques bulles. Explication : en été 1944, le nombre dedéportés juifs hongrois excédait la capa-cité des fours crématoires. On a creuséde grandes fosses, entassé des bûches etdes corps, morts ou vivants, arrosé letout de pétrole, mis le feu. Le systèmedonnant satisfaction à ses instigateursSS, ils ont continué à l’alimenter au furet à mesure des arrivées de Budapest.Six ans après la libération du camp, leprocessus de putréfaction continuait, et

Mémoire

Des fous assassinés par Vichy Sous le régime de Vichy, 76 000 malades mentaux sont morts de faim dans les hôpitaux

psychiatriques, avec la complicité active de l’État français, Pétain, Darlan et Laval étant,on s’en doute, informés. L’historienne Rita Thalmann, dont le père fut assassiné àAuschwitz, évoquait peu avant sa mort, à propos de la tragédie de sa mère, morte de faim àl’hôpital psychiatrique de Dijon la « volonté du gouvernement de Vichy de se débarrasserdes “fardeaux inutiles” ». Difficile de ne pas évoquer à ce propos l’hygiénisme assassin d’unAlexis Carrel, qu’il faut lire et relire, qui expliquait la nécessité d’éliminer les bouches inuti-les : un fou, un handicapé, c’est improductif, au rebut ! Mieux vaut investir dans la santé, larobustesse.* S’y référer, c’est ce que fit en son temps le psychiatre Lucien Bonnafé, obsédé qu’il était parla détresse de ses patients, comme le rapporte Pierre Durand dans Le train des fous.**Sachons gré à Armand Ajzenberg et André Castelli de s’être battus pour que soit honorée lamémoire des victimes. Outre le livre qu’ils ont publié en 2012 à l’Harmattan***, ils ontlancé un « appel national pour la création d’un mémorial en hommage aux enfants, femmeset hommes fragilisés par la maladie et le handicap qui furent exterminés par le régime naziou condamnés à mourir par celui de Vichy ». Cet appel a recueilli suffisamment de signatu-res pour émouvoir le président de la République qui souhaite « qu’à ce délaissement de laRépublique ne s’ajoute pas le silence de l’oubli. Il est important que, dans les principauxlieux où cette tragédie s’est déroulée, des gestes puissent être effectués afin d’en rappeler lesouvenir et d’en honorer les victimes. » En cette année 2015 qui marque le 70e anniversairede la victoire sur le nazisme, le rappel de cette page sombre de notre histoire sera aussi unappel à chacun d’entre nous, la réaffirmation que dans une société humaine, aucune vie n’est« minuscule » et que c’est à la façon dont elle traite ses personnes vulnérables que l’on jugeune civilisation. N. Mokobodzki* Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, Éd. Plon, 1935, nombreuses rééditions** Pierre Durand, Le train des fous. 1939-1945 – Le génocide des malades, Éd. Syllepse, 2001*** Armand Ajzenberg, L’abandon à la mort…de 76 000 fous par le régime de Vichy suivi de AndréCastelli, Un hôpital psychiatrique sous Vichy (1940-1945), Éd. L’Harmattan - NDLR Armand Ajzenbergs’est employé à faire débaptiser la rue Alexis Carrel, devenue rue Jean-Pierre Bloch.

L’UJRE et la PNM se réjouissent que leconseil du 11° arrondissement ait adoptéfin janvier, à l'unanimité, un vœu deman-dant à la Mairie de Paris que soit apposéeune plaque à la mémoire de StefaSkurnik, née Rivka Lamberger, résistante.Sa famille, originaire de Pologne, a vécudans la rue des Immeubles Industriels, toutcomme celle de Marcel Rayman. Lirenotre hommage in PNM n°318 (09/14).

Les mots pour le dire Rire de tout ?

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Cinéma La chronique de Laura Laufer

Les préjugés ont la vie dure mais l’écriture deJean-Claude Grumberg les catapulte avechumour et sarcasme dans le plus grand natu-

rel et avec la plus grande légèreté. Il fallait deuxacteurs d’envergure comme Pierre Arditi et DanielRusso pour porter ce texte sur la scène avec compli-cité et brio, sans oublier la délicatesse du metteur enscène Charles Tordjman. Un peu sur le mode du qu’en dira t-on, il l’a vu surInternet : « Ah ! Vous êtes juif ! ». Lui, c’est son voisinqu’il croise dans l’escalier de son immeuble. Un escaliertout blanc en colimaçon, à la fois point de mire et insi-gnifiance, autour duquel se rythment avec finesse, ponc-tuées par une petite musique, et par la banalité des « Çava ? », « Bonjour chez vous », les neuf saynètes. Lorsquedeux voisins se croisent dans l’escalier, que l’un est unjuif laïque qui ne s’en soucie pas plus que çà, et l’autreun non-juif qui le devient sur des a priori, c’est l’hilaritéqui s’installe, surtout quand celui qui ne l’est pas inven-te une identité juive des plus orthodoxes dont il affublel’autre, à l’image qu’il s’en fait. Quant aux préjugés, c’est le plus naïvement du mondequ’ils sont distillés, avec niaiserie, et une convivialitéapparente. C’est quelque chose qui relève du manque deculture et de la stupidité. L’être ou pas est une comédiedécapante et hilarante sur tous les poncifs qui encombrentnotre société concernant la question juive. Et c’est uneréussite. De la légèreté apparente du propos naît uneréflexion plus profonde pour en finir avec la questionjuive et tous ses préjugés réducteurs.

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

L’être ou pas (Pour en finir avec la question juive)de Jean-Claude Grumberg

Histoire vécue d’Artaud-Mômod’après la « Conférence du Vieux-Colombier »Damien Rémy, comédien époustouflant, opère une mue corporelle pouraccueillir en lui Artaud le révolté et sa descente aux enfers de l’interne-ment psychiatrique. Une vraie prouesse qui nous laisse admiratifs etnous rend plus lisible le poète visionnaire, sa souffrance, et son théâtrede la cruauté.

Deux comédiens monstres sacrés, Pierre Arditi etDaniel Russo nous jouent ces deux voisins ordinairesavec un naturel si exquis qu’ils prennent une sacréedimension. Quand une comédie d’apparence légèrepose bien plus de questions qu’il n’y paraît sur la condi-tion humaine, la construction de notre identité, le regardqu’on pose sur l’Autre différent, en s’appuyant sur desscènes prises dans le quotidien, c’est forcément uneréussite.

* Théâtre Antoine 14 Bd de Strasbourg Paris 10°. Réservation / 01 42 08 77 71

À la folie de Wang Bing(documentaire, 227’, 2014)

Un regard d’amour et d’humanité.Au début, deux hommes couchés dans unmême lit. A la fin, deux autres hommes setiennent intensément la main. Entre lesdeux, quatre heures sont passées, où WangBing montre, non pas des actes sexuels,mais la nécessité qu’éprouvent les fous dese rapprocher, de se toucher pour briser lasolitude dans laquelle les enferme leur ter-rible maladie.Le mouvement du film révèle ce besoindans un univers doublement marqué parl’enfermement : celui de la maladie et celuide l’espace. Wang Bing a reçu l’autorisa-tion de filmer l’étage des hommes de l’hô-pital psychiatrique municipal d’une villedu Yunnan. Deux cents hommes et fem-mes placés d’office vivent dans cet établis-sement aux murs lépreux couverts de graf-fitis et au sol jonché d’immondices. Uncouloir court le long de l’étage : côté inté-rieur, les chambrées, la salle de télévision ;côté extérieur, d’épais barreaux donnentsur un vaste espace vide où l’on aperçoitparfois des femmes, au rez-de-chaussée.*Wang Bing se concentre sur une dizained’internés, alternant plans fixes, longs tra-vellings ou camera portée derrière la cour-se d’un patient. Il construit ainsi un regardsur l’intime, révélant que la perte de cons-cience corporelle engendre parfois lanudité ou l’accomplissement des fonc-tions organiques dans des gestes d’auto-mates. Ces hommes, délirants, mystiques,obsessionnels, toxicomanes, para-noïaques, meurtriers, opposants poli-tiques, nous livrent leur quotidien.

La famille peut venir et Wang Bing suitune femme dans ses visites à son époux.Une seule échappée pour suivre unmalade rendu quinze jours à sa famille.Etrangeté poétique : une femme monte parl’escalier pour une douce étreinte avec unhomme à travers les barreaux de la portede l’étage.Que tous ces corps séparés du réel par l’a-liénation mentale, éprouvent tant debesoin d’amour est le signe de leur huma-nité, de notre humanité commune. Cettecondition humaine, c’est là précisément lesujet du film. * Cette condition de la psychiatrie dans l’Étatpauvre du Yunnan choquera ici, mais n’oublionspas : les Trente Glorieuses ne sont pas finiesquand de grandes structures asilaires françaisesoffrent des conditions de vie presque aussi rudi-mentaires

Les trois sœurs du Yunnande Wang Bing

(France - Hong Kong, 147’). Ce beau documentaire* sort en coffretDVD ce 11 mars chez ARTE. Trois jeu-nes sœurs vivent dans les montagnesrurales et isolées du Yunnan. Leur pèreest parti en ville chercher du travail. Ying,10 ans, s’occupe seule de ses sœurs Zhen,6 ans, et Fen, 4 ans. Wang Bing les observe et les accompagnedurant plusieurs mois dans leur vie quoti-dienne. * voir présentation in PNM n° 316 de mai 2014

Cinéma Des films à voir, pour réfléchir…

Timbuktu Sorti en décembre, le filmd'Abderrahmane Sissako, déjà primé aufestival de Cannes, vient de remporter neufCésars (film, réalisation, montage, photo,scénario original, son, musique, meilleuracteur, meilleure actrice). Il raconte l’irrup-tion de salafistes : des étrangers puisqu’ilsont besoin d’un interprète. Ils circulent àbord d’une Toyota, dans un paysage déser-tique rythmé par les dunes. Rythmé par lacourse d’une antilope. « Fatigue-la, ne latue pas ! » Bruit de rafale. Vision de féti-ches. Abattus à leur tour. Dieux morts.Mégaphone. « Il est interdit de fumer, d’é-couter de la musique, de jouer au ballon, des’asseoir devant les maisons. Les femmesdoivent porter des chaussettes et des gants.C’est la nouvelle loi ». Les habitants résis-tent à leur manière, pacifique, digne. Tel l’imam. « On n’entre pas dans une mos-quée avec des chaussures et des armes. Ici,le djihad, c’est la prière ». Tel ce vieillard :« Je fais le djihad pour moi-même. Je n’aipas assez de temps pour les autres ». Unefemme au port de reine, drapée de tissusmulticolores les apostrophe : « Connards !». Des gamins jouent une partie de footfabuleuse, fort technique. Sans ballon. Lasinistre Toyota circule entre les cases.Chasse aux musiciens. Pleine lune. Unefemme chante, allongée dans une posevoluptueuse. Quarante coups de fouets pour

avoir chanté, autant pour l’avoir fait en pré-sence d’hommes. Elle hurle de douleur etchante plus fort. Plus loin, un homme estenterré dans le sable, jusqu’au cou : il seralapidé. Tout est dit, rien n’est montré. Unehistoire est racontée : celle d’une familledont le père, paisible éleveur, est condamnéà mort et la femme tuée. Le film s’achèvesur la course désespérée de leur fille, quicourt telle l’Antilope du début. Rien n’estmontré. A nous de réfléchir.

Les Héritiers Sorti également endécembre, ce film est l’histoire vraie d’uneclasse du lycée Léon Blum à Créteil queson professeur, Anne Anglès, convainc depréparer collectivement le concours natio-nal de la Résistance et de la déportationdont le thème est, cette année-là (2008), « Les enfants et les adolescents dans le sys-tème concentrationnaire nazi ». Aidée parl’inlassable Sylvette Aumage, du centre dedocumentation, bouleversée par le témoi-gnage de Léon Zyguel, la classe travaillerad’arrache-pied à ce projet commun et serala grande lauréate du concours.Coscénariste, un élève d’origine malienne,Ahmed Dramé, qui interprète son proprerôle dans le film. C’est lui qui a soufflé l’i-dée du film à la réalisatrice, productrice etscénariste Marie-Castille Mention-Shaar,laquelle assistera aux cours de la charman-te Anne Anglès, dont le rôle est interprétépar Ariane Ascaride. Déjà primé, le filmvient d’obtenir le César du meilleur espoirmasculin. Depuis, Ahmed Dramé a publiéchez Fayard « Nous sommes tous desexceptions ». A lire.

Gérard Gelas, metteur en scène engagé, qui a pris,avec son Théâtre du Chêne noir, ses quartiers à

Avignon tout près du théâtre des Carmes de Benedettoen 1967, nous donne à voir un moment fort avec lestextes de cette conférence du Vieux-Colombierqu’Artaud, rongé par les électrochocs et l’incompré-hension dont il faisait l’objet, n’avait pu prononcer ce13 janvier 1947. Ce spectacle est une vibrante incarna-tion d’un poète « suicidé par la société ». Artaud est là,devant nous, ses traits physiques rongés par l’angois-se, torturé, tremblant. Rémy Damien nous fait revivre

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Culture

PNM n°324 - Mars 2015 7

Kommunisten précédé d'un ciné-tract, La Guerre d'Algérie ! de Jean-Marie Straub. La PNM reviendra sur ces œuvres d'autant que plusieurs évé-

nements présenteront des films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet : au CentrePompidou, à la Sorbonne et dans d'autres lieux. Occasion de revenir sur ce cinéma quidepuis 60 ans a créé des formes neuves dans le langage cinématographique. LL

À voir

Sacré printemps au TARMAC*du 11 au 28 mars : du théâtre et de la

danse par des artistes égyptiens, libanais, tunisiens.* 159 avenue Gambetta - 75020 Paris - Tel : 01 43 64 80 80

À voir

« un théâtre de sang » « où se joue l’existence entiè-re », « ce théâtre qui ne peut s’accomplir qu’à traversle corps d’un acteur, exhibé et poussé jusqu’à l’extrê-me de ses limites. ». Un moment rare. C’est halluci-nant. A voir de toute urgence. * Théâtre des Mathurins jusqu’au 12 avril : 36 rue des MathurinsParis 8°. Réservation : 01 42 65 90 00

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vie à Chicago, une page essentielle setourne car il veut parler non plus desémigrés mais de leur descendance, enutilisant la langue dans laquelle il a étéélevé, l’anglais, auquel se mêlentquelques mots, quelques expressionsen yigglish, un mélange savoureux deyiddish et d’anglais. Trois de ses pre-miers livres (Les aventures d’AugieMarsh, Herzog et La Planète de M.Sammler) obtiennent le National BookAward entre 1953 et 1969. En 1976, ilreçoit le prix Nobel (avant Singer !), unan après avoir écrit Le don deHumboldt, l’un des ses meilleurs livres.Sa littérature parle avant tout de com-ment l’on peut être Juif et citoyen desÉtats-Unis.Philip Roth reprend le flambeau. Ilreconnaît d’ailleurs sa dette à Bellow,bien qu’il s’éloigne de lui de différentesfaçons, d’abord dans le style et la cons-truction de ses romans, mais aussi dansl’esprit. Mais bien des similitudesdemeurent, surtout dans les ouvragesqui traitent plus de la société que d’unefigure précise, comme Le GrandRoman américain (1973), La Pastoraleaméricaine (1997), ou Le Complotcontre l’Amérique (2006). En premierlieu, il imagine des cycles avec des per-sonnages bien précis - le cycle deNathan Zuckerman, celui de David

« Jacob Jacob », le prénom redoublépour le petit frère mort et qu’il se mur-mure quand l’angoisse l’étreint.1956, c’est au tour de Gabriel, sonneveu, de faire la drôle de guerred’Algérie. Au nom de l’armée françaiseà laquelle il appartient et parce qu’il saitl’arabe, il devient sans le vouloir le com-plice des tueries de villages entiers.Entre Jacob et Gabriel il y a deux res-semblances : l’Histoire dont ils sont lesprotagonistes malgré eux et, symbo-lique, un petit caillou qu’on jette dans larivière pour faire des ricochets, enfanceperdue. Jacob meurt pour un pays qui abien voulu de lui pour le libérer, « défenseur d’une Europe qui avait tuéou laissé mourir ses juifs ». Gabriel,adoptant le vocabulaire idéologique desmilitaires français se met à penser quel’arabe est la langue de l’ennemi « oubliant que c’était la langue de sonpère, de sa mère, de ses grands-parents,celle dans laquelle il avait grandi ». Exildans l’exil, ni Français ni Arabe. Maisces réflexions viennent de la narratrice,pas d’eux. Et si nous croyons à ses per-sonnages, tous ceux de la famille Melki,c’est que Valérie Zenatti nous entraînedans de belles et longues phrases qui

Kepesh – ou d’une certaine vision, plusintrospective, comme le cycle Nemesis.En somme, là où Saul Bellow a compo-sé une grande polyphonie urbaine, Rotha choisi de traiter les questions qui l’in-téressaient de près dans des registresséparés.Ces discussions au fil des années et deslivres parus nous font peu à peu appa-raître l’image prismatique d’un écrivainqui a cherché sans cesse à explorer lesabysses et de la conscience collective etceux de l’inconscient de l’everyman, leMonsieur Tout-le-monde qu’il décritdans le premier volume du cycle deZuckerman, L’Écrivain des ombres(1979). De toutes ces rencontres,Josyane Savigneau n’a pas voulu tirerun portrait en coupe réglée de cethomme compliqué, parfois contradic-toire, ayant construit une œuvre auxarticulations subtiles. Mais elle permetau lecteur de saisir certains aspects desa démarche et de son état d’esprit. Etc’est très bien ainsi. Aujourd’hui qu’il a décidé, à l’âge de80 ans, de ne plus vouloir écrire, sansdoute pourrait-on commencer à dresserle bilan de son aventure romanesquepolymorphe. Quel objectif a-t-il pour-suivi ? Au total, a-t-il plutôt voulu êtrel’auteur de Portnoy et son complexe(1969) qui lui a valu un immense suc-

épousent naturellement les décors, lespensées, la vie de chacun d’eux. Elle al’art de nous introduire dans un monde,celui d’une famille juive, pauvre, qui agardé des coutumes ancestrales. Leshommes surtout (et en cela, Jacob est dif-férent), abrutis par le travail, exploitentleurs femmes, châtient durement celuiqui se rebelle. En face de ce pouvoir « mâle », deux images de femmes, cellede Madeleine, la belle-sœur, qui resteraécrasée dans sa condition de quasi-ser-vante et celle, magnifique de la mère quine sait ni lire ni écrire. Elle décidera,seule, qu’elle ira voir Jacob « sans mettrede point d’interrogation à la fin de saphrase, se passant de la permission deson mari qu’elle craint le reste dutemps ». Prendre le train toute seule « Qu’est-ce que tu fais sans ton mari ? »image de la femme révoltée, commel’est Louise, la jeune fille rencontrée etaimée une nuit, féministes à venir !Et Jacob ne saura pas que, 68 ans aprèssa mort, une petite fille devenue femme,sa nièce, admirerait la photo du beaujeune homme qu’elle ne reconnaîtraitpas et dont elle chercherait les traces,vivante mémoire, et que « son nomjaillirait de nouveau, Jacob, Jacob ».

Longtemps journaliste au supplé-ment littéraire du Monde,Josyane Savigneau a eu l’occa-

sion de rencontrer souvent Philip Rothpour obtenir un entretien. De ces ren-contres, sont nées une familiarité et uneforme d’amitié. Dans son préambule,elle admet ne pas connaître beaucoup dechoses de la culture juive, même pas laculture spécifique des Juifs del’Amérique du Nord. C’est à la fois letémoignage d’une grande sincérité,mais aussi une confession déconcertan-te quand on songe à la spécificité del’œuvre de cet auteur. En effet, il a étél’héritier d’une tradition littéraire, dontSaul Bellow* a été le fondateur.Avant ce dernier, il y eut Isaac BashevisSinger (1902-1991), qui avait émigréaux États-Unis en 1935, naturalisé en1943. Avec une rare obstination, il avaitpoursuivi son œuvre en yiddish, d’au-tant plus après la Shoah qui a marqué laquasi-disparition de cette langue desJuifs ashkénazes d’Europe orientale etde Russie. Ainsi cette littérature juive duNouveau Continent, dont il a été le véri-table fondateur avec son frère IsraelJoshua (1893-1944) était entièrementtournée vers l’Europe et l’univershébraïque qui s’y était développé.Avec Saul Bellow (1915-2005), ceQuébécois qui passe le plus clair de sa

Ce pourrait être un film : juin 1944,Jacob, un jeune, juif deConstantine, 19 ans, a terminé ses

études au lycée d’Aumale. Il est enrôlépour libérer la France. C’est une guerrelointaine, si loin de sa vie dans ses mon-tagnes à la lumière dorée, de sa rivièresur laquelle on peut faire ricocher descailloux….« Qu’est-ce qui l’a préparé à être làdepuis sa naissance » pense-t-il alors, « déguisé » en soldat, sale et suant, com-mandé par une brute ? Les belles parolesdu professeur disant que « la poésierésiste à tout, au temps, à la maladie, à lapauvreté… » ? Jacob va découvrir enFrance les horreurs d’une guerre censéese finir. Lui et ses compagnons aux nomssonores, au teint basané, ont débarqué enProvence, parcouru des kilomètres,remonté à Lyon libéré, remonté encorejusqu’aux Vosges, sous un ciel gris, sinis-tre. La guerre n’est pas jolie, la peur, lesang qui vous tombe dessus, lesAllemands dissimulés derrière les arbresqui vont surgir de n’importe où.C’est là que Jacob perdra la vie. Jacobaux yeux clairs, Jacob si beau qui a ren-contré en une nuit sa première histoired’amour, Jacob si tendre avec les siens.

cès, ou celui d’Opération Shylock : uneconfession (1993), ouvrage beaucoupplus mystérieux et sophistiqué, ou enco-re de celui qu’il considère comme sonroman le plus réussi, Le Théâtre deSabbath (1995) ? Son dernier livre, Nemesis, est l’histoired’un échec : serait-ce le constat de n’êt-re pas allé au bout de ses ambitions ouplutôt un biais bizarre pour que ses lec-teurs se rebellent et le portent en triom-phe ? C’est en tout cas un livre trèsdécevant, rempli de poncifs et surtoutsaturé d’amertume. Le livre d’un clowntriste. Tout reste encore à soupeser et àmesurer. Avec Philip Roth est une pièce précieu-se à ajouter à ce dossier.

Josyane Savigneau, Avec PhilipRoth, Éd. Gallimard, 222 p., 18,50 €. * NDLR in PNM n° 322 (01/2015),lire Saul Bellow ou l’invention d’unelittérature juive aux États-Unis de G.-G. Lemaire.

Autour du Ghetto deVarsovie et de la pièce« Ceux qui restent »

Le MAHJ, dans le cadre de son pro-gramme « Pologne » qui fait écho àl’ouverture du Polin, le Musée del’histoire des juifs de Pologne deVarsovie, a prévu le 9 mars une ren-contre avec nos amis David Lescot,metteur en scène et Paul Felenbok,survivant du ghetto, en présence deTal Bruttmann, historien, auteurd’Auschwitz (La Découverte, 2015),conseiller historique du spectacleCeux qui restent. Rencontre animéepar Gwénola David, journaliste etcritique.

Le spectacle Ceux qui restent deDavid Lescot, qui fait entendre lestémoignages bouleversants de PaulFelenbok et de Wlodka Blit-Robertson, deux des derniers survi-vants du ghetto de Varsovie, est reprisau Théâtre de la Ville* jusqu’au 21mars, puis du 20 au 30 mai 2015.

* Théâtre de la Ville / Café desŒillets 2 Place du Châtelet Paris 1° -Location : 01 42 74 22 77

T h é â t r e

Philip Roth, un juif américain pure souchepar Gérard-Georges Lemaire

« Jacob, Jacob » de Valérie Zenattilu par Jeanne Lafon Galili

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Littérature