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1988 GauchetLa première bataille des droits de l'homme
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Comment s'est écrit un texte fondamental et ... inachevé
La première bataille des droits de l'homme • par Marcel Gauchet
Texte fondateur de la démocraüefrançaise, la « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »fut kfruit d'âpres compromis. La cohérence finak de ce patchwork intellectuel et poliJique tient du mirack
Ona du mal àse représenter comment un texte dont chaque phrase et chaque
~ mot sonne pour nous avec '~une telle force d'évidence a ' pusortird'uneâpreetlabo
rieuse discussion, souvent , (. tendue, quelquefois ora-
• ~ ~, geuse jusqu'à la confusion. Et pourtant, s'il est une
œuvre collective, faite de pièces et de mor- i ceaux, tissée de compromis à chaque ligne, c'est e
celle·là. Une première chose qui s'est complè· ] tement effacée des mémoires : c'est que notre ~ «Déclaration des droits de l'homme et du Panneaudel'époqucrèvolucio=ire(muséeCama1'8/et)
citoyen »est en réalité un texte inachevé. On a sente ce dix-septième et dernier article sur la l'habitude de parler de la « Déclaration du propriété, voté in extremis et manifestemem 26 août 1789 ». Expression vraie, mais trom- hors de sa place. peuse, en ce qu'elle suggère quelque chose L'idée est dans l'air. Bon nombre de cahiers comme l'adoption solennelle d'un texte dû· de doléances demandent une déclaration des ment médité. Rien de tel. Ce quis' est passé en droits de l'homme et en développent des exem· vérité, c'est que le 27 août, à l'ouverture de la pies. Le modèle américain joue ici un rôle séance, alors que des orateurs se présentaient à d'entraînement décisif. Il est significatif que ce la tribune pour compléter les dix-sept articles soit à La Fayette, le héros de la guerre d'indé· déjà votés, l'Assemblée, devant l'urgence de la pendance, que revienne l'honneur, comme par question constitutionnelle, a décidé de ren· élection naturelle, de présenter le premier voyer l'achèvement de la« Déclaration »après projet devant l'Assemblée, le 11 juillet. Mais le la Constitution. Il n'est jamais intervenu. En processus politique va charger la rédaction du 1791, au moment de la mise au net de I' ensem· texte d'un enjeu spécifique et fondamental qui bledel'acteconstitutionnel,lasagessea paru de explique beaucoup de sa teneur finale et de son ne pas toucher à un texte devenu à la fois fami· rayonnement ultérieur. Il est le fruit des néces· lier et sacré. Le 26 août est donc seulement le sités d'une situation autant et davantage que dernier jour de fait d'un débat qui était destiné l'aboutissement mûri d'un dessein intellectuel à se poursuivre. De même était-il prévu de ouquelerésultatd'unjeud'influences.Dansle reprendre le texte à son terme pour classer les contexte de la bataille pour la légitimité de!' été articlesdansunordreplusrationnel.Nousles 1789, la« Déclaration des droits de lisons et les répétons dans l'ordre où ils ont été l'homme ... » est l'arme principale de I' Assem· adoptés, avec l'anomalie flagrante que repré· blée autoproclamée le 17 juin narionale et
Uô LE NOUVEL OBSERVATEUR /UVRF.S
consriruanre. Elle est l'acte au travers duquel, en face de la formidable puissance symboli· que que conserve la royauté, elle assoit son entreprise de redéfinition des pouvoirs sur l'autorité plus imparable encore des premiers principes de l'ordre des sociétés. D'où le besoin de les énoncer dans leur plus grande universalité,« pourrous les hommes, pour cous les remps,pourtouslespays ».Ilne s'agit pas simplement d'assurer la protection des personnes. Il s'agit de mettre à nu le fonde· ment de tout droit dans le droit primordial des individus, afin d'édifier sur cene base certaine une organisation politique in· contestable. L'originalité de la déclaration française tient d'abord à la fonction radicale· ment fondatrice qu'on lui de· mande de remplir. Il est un homme qui a génialement compris la situation, à sa trou· ble manière : l'auteur de « Qu'est-ce que le tiers état? >>, l'étrange abbé Sieyès. Auréolé desaréputationd'oracledel'art politique, c'est vers lui que le
comité de constitution se tourne pour cet objet essentiel. Il y présente les 20 et 21 juillet un projet qui déconcerte au plus haut point la masse de ses collègues. Son caractère « méra· physique »épouvante. Il est pourtant la traduc· tion très fidèle des exigences de l'heure et en particulier de la logique instauratrice qui doit, présider à pareille " reconnaissance des tins er desmoyensdel'éracsocial ».Maisilestmarqué au coin de la bizarrerie hyperrationaliste pro· pre au personnage. Sa forme surprend : une analyse continue et «raisonnée »au lieu de la série des articles séparés auxquels les Améri· cains ont habitué. C'est qu'il s'agit de surpasser les Américains et de faire «parler à la raison un langage plus pur». En dépit de l'appui enthou· siaste d'une minorité active, l'abbé ne convain· cra décidément pas. Il entame la carrière d'in· compris amer qui le mènera jusqu'au 18-Bru· maire. Mais il aura quand même marqué d'une empreinte déterminante le langage et les orien· tarions du produit final.
Dans le sillage de ces illustres exemples, les
projets se mettent à prolilerer. Ténors et sansgrade rivalisent d'émulation civique: trente « brouillons »sortiront de la seule Assemblée. Aucun en même temps ne convainc, et ce restera vr<>i jusqu'au bout. Le débat décisif sur le principe a lieu du l" au 4 août. Après un moment de flottement, il est décidé que la constitution sera effectivement précédée par une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et que celle-ci ne sera pas balancée par une déclaration des devoirs, selon une proposition appuyée par le clergé et défendue en particulier par l'abbé Grégoire. Reste à s'entendre sur une base de discussion, ce qui est loin d'aller de soi. Du4au 11 août, ledevantdelascèneest occupée par l'abolition des privilèges et du régime féodal. Quand le problème des droits revient à la surface, l'idée est de faire appel à un nouvel homme providentiel en la personne de Mirabeau, entouré pour la forme de quatre autres associés. Il n'a pas plus de succès que ses prédécesseurs. Le fruit de la décantation etde la synthèse qu'il lui était demandé d'opérer est à son tour rejeté.
Finalement, moitié en désespoir de cause, moitié sous l'effet d'une manœuvre partie de la droite, c'est sur un pro jet collectif, issud'undes « bureaux» entre lesquels se divisait l'Assemblée, qu'on se rabat.C'est ce texte, conçu par Je «sixième bureau »,quiserviradebaseaudébat de rédaction proprement dit, du 20 au 26 août. Encore la gauche, furieuse de son choix, s'est· elle juré de le faire disparaître entièrement lors de la discussion. Elle y parviendra dans une large mesure, sauf à la fin, quand, pressée par le temps,I'Assembléeserésigneàreprendreàfort peu près ses derniers articles.
On a affaire à un patchwork dont l'homogénéité terminale tient du miracle. A côté donc de ces vestiges du sixième bureau, on a un morceau de Mirabeau - car, en fin de compte, c'est le préambule de son projet rejeté qu'on va rechercher, Je 20 août, lequel d'ailleurs dérive de Sieyès. On retrouve encore du Sieyès dans les deux articles relatifs à la définition de la liberté (art. 4 et 5). Les trois articles (7, 8 et 9) relatifs aux garanties en matière et procédure judiciaires sont adoptés à l'initiative de deux figures de proue de la profession, un avocat, Target, et un parlementaire,Duport.Maisc'estdansledétail qu'il faudrait suivre l'opération d'amalgame. Un exemple. Le fameux article premier est proposé par Mounier, le leader des « monarchiens >>, attachés à la recherche d'une voie moyenne, qui jouent un rôle de premier plan durant toute cette discussion, avant leur défaite quelques semaines plus tard, sur la question du veto royal. Mais il donne seulement pour rédaction:« Leshommesnaissentlibresetégauxen droits». L'addition «naissent et demeurent Ji bres et égaux en droi es »est arrachée de haute lutte par deux députés patriotes, Pétion et Lanjuinais. Les implications à l'endroit du privilège nobiliaire n'ont pas besoin d'être soulignées.Maisilyaenoutrederrièreundébat de fond sur les rapports entre droits de l'homme dans létat de nature et dans létat de société qui a longuement occupé et partagé les esprits. A remarquer enfin que ce même article qui détruit la noblesse dans son principe en légitime tacitement l'existence par sa proposition suivante : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'ucilicé commune. »Car
c'est un autre aspect du texte à considérer : sous son apparente fermeté d'expression, il est grevé en fait de lourdes équivoques et de graves tensions internes, rançon à la fois de son ambition et des équilibres politiques qui ont présidé à son élaboration. Delà une mauvaise réputation auprès des patriotes avertis qui entraînera deux fois sa remise sur le métier au cours des années suivantes, en 1793 et en 1795. Le recul du temps l'a peu à peu lavé de ses griefs.
Le principal accrochage a eu lieu le23 août à propos de la liberté religieuse.L'article 6 avait fourni déjà, Je 21, l'occasion d'un vif affronte· ment entre la gauche et les monarchiens, sur la matière ultra-sensible du privilège, de nouveau, l'addition «selon leur capacité>>, suggérée par Mounier à la clause " cous les citoyens sont également admissibles à tous les emplois >>, soulevant une tempête de soupçons. Mais c'est sur Je chapitre de la liberté de conscience et de culte qu'il y a eu vraiment bataille. Les choses se passent un dimanche. Les absences sont nombreuses. Le clergé, en revanche, est en force, décidé à défendre la position dominante du catholicisme. L'aile libérale de l'Assemblée a beau se démener, Mirabeau tourner et tonitruer, le pasteur protestant Rabaut Saint-Etienne prononcer un mémorable plaidoyer pour la cause de ses coreligionnaires, rien n'y fait. Dans un tumulte indescriptible, Je parti catholique parvient à faire voter une rédaction restrictive plaçant sous une étroite tutelle une liberté concédée comme à regret : « Nul homme ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par lia loi. »
Onestloindestablesdelaloiimpérialement gravées dans Je marbre par un législateur infaillible. C'est un difficile compromis sur tous les plans qui illustre notre déclaration fondatrice. Elle représente un concentré, à sa façon, de la grande contradiction qui allait déchirer la Révolution, entre pouvoir social et liberté des individus. Mais peut-être est-ce l'une des raisons secrètes pour lesquelles elle continue de nous parler. Elle n'annonce pas seulement un monde nouveau, toujours en quête de luimême. Elle ramasse aussi, dans ses méandres et ses plis, les antinomies toujours à surmonter de la société des individus. M G.
Aux livres, citoyens ! La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de Jean Morange, PrC$es universitaires de France, « Que sais-je ? •, 128 p., 28 F. Les Déclarations des droits. de l'homme de 1789, textes réunis et présentés par Christine Fauré, Payot, 388 p., 140 F. L' An 1 des droits de l'homme, Presses du CNRS, 360 p., 80 F (à paraître en novembre). Les Droits de l'hommeetlaconquêtedeslibertés.~ Lumièresauxrévolutionsde 1848, textes réunis par G. Chianéa, Presses universitaires de Grenoble, 450 p., 190 F (à paraître en décembre). La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de Stéphane Rials, Hachette, « Pluriel » (à
: paraître en novembre).
Philippe Romon
11Putain d'Amérique." La dérive d'un continent, c it es Va ues!
Bible, colt et dollar, des lieux communs yankees? Aujourd'hui, à travers ses lrois inmuments fonda· reurs, J' Amérique se dévoile fragile er déglinguée.
En dix récits, rigoureusement vrais, Philippe Romon nous entraîne dans une balade au pays du rêve désarticulé. Attention, choc!
254 pages - 85 F
Flammarion
PUTAIN D'AMERIQUE
1'1ammarion
28 OCTOBRE -3 NOVEMBRE 1988 1,