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2 TABLE DES MATIERESjacques.prevost.free.fr/fascicules/IncarnatusA5.pdf91 CHAPITRE 5 - La religion des Romains 112 CHAPITRE 6- La Divine Comédie de Dante 129 CHAPITRE 7 - Origine

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TABLE DES MATIERES

Première partie - Les sources de l’ésotérisme

occidenta

INTRODUCTION - Les appels de la Lumière

12 CHAPITRE 1 - Réminiscence et réincarnation selon Platon

24 CHAPITRE 2 -Les dieux grecs 47 CHAPITRE 3 - Les enseignements

d’Hermès Trismégiste

70 CHAPITRE 4- Les antiques religions à Mystères

91 CHAPITRE 5 - La religion des Romains 112 CHAPITRE 6- La Divine Comédie de Dante 129 CHAPITRE 7 - Origine des Rose-Croix. 138 CHAPITRE 8 - Le mythe de la Quête du

Graal 158 CHAPITRE 9 - DE la Gnose aaux Cathares 176 CHAPITRE 10- La Foi des Cathares 197 CHAPITRE 11- Le Mythe de l’Arche de Noé

Seconde partie – Spiritualités

exotiques

211 CHAPITRE 12 - Les Derviches Tourneurs soufis 229 CHAPITRE 13 - Zoroastre et les Pârsîs 242 CHAPITRE 14 - Le Bardo Thodol tibétain 260 CHAPITRE 15 - La Bagavad Gita indoue 281 CHAPITRE 16 - Le Tao të King en Chine 292 CHAPITRE 17 - Le Cao Dai Indochinois 303 CHAPITRE 18 - Le Jaïnisme 316 CHAPITRE 19 - Le Shintô japonais 327 CHAPITRE 20 - Le Vaudou

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Troisième partie - Spiritualités

contemporaines

CHAPITRE 21 - L'Homme triple CHAPITRE 22- L'Univers est-il vivant ? CHAPITRE 23- La vie mystérieuse CHAPITRE 24 - Amour et Désir chez les Théosophes

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L’appel de la Lumière

Nous allons parler dans cet ouvrage de l'Homme et de la Lumière. Pourquoi l'homme de matière que nous sommes a-t-il toujours recherché la Lumière ? Qu'est-ce que La lumière ? Peux-t-on, d'homme de matière, devenir Homme Lumière ? C'est à ces questions que nous tenterons de répondre en tentant de présenter les visions de divers mouvements spirituels dans différents temps et lieux du Monde.

L'homme naturel vit et dépend de la lumière, tant dans son être propre pour permettre le maintien de son développement que pour assurer sa subsistance. La vie ne peut être sans la lumière du Soleil. Mais nous allons ici évoquer non seulement ses besoins de lumière naturelle mais surtout ceux de la lumière du soleil spirituel, source et principe de toute connaissance et de toute sagesse.

Il y a bien des façons de chercher la clarté et d'essayer de répondre aux multiples questions posées par l'origine, la nature, et le sens de la vie humaine. Beaucoup d'hommes ont consacré leurs vies, leurs intelligences et leurs imaginations pour tenter de répondre à ces grands mystères. Ils ont utilisé diverses voies de recherches. Elles ne sont pas antagonistes car, en partant de leurs propres personnalités, les différents chercheurs ouvrent des fenêtres différentes sur le même et unique profond mystère des origines. Il est donc inutile, par exemple,

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d'opposer la voie de la raison à celle de l'intuition, et donc d'opposer ainsi la science à la foi.

Actuellement, les sciences nous enseignent que l'univers naquit un jour d'une source inconnue dans une explosion de lumière et d'énergie. Elles font naître les mondes dans le flamboiement des étoiles et racontent une histoire plausible de l'aventure des vivants, de l'apparition des hommes et de leur ouverture progressive à la connaissance. Mais les Sciences parlent du "comment", jamais du "pourquoi". Elles réduisent l'être à sa dimension matérielle et ne considèrent dans l'homme, tout au moins jusqu'ici, que les seules mécaniques biologique et psychologique. Elles proposent une approche des origines des êtres et des choses qui en escamote les causes et ne considèrent que les effets. Leurs limites sont posées par les connaissances et les possibilités techniques et conceptuelles de l'époque. Les théories contemporaines, nombreuses, et complexes sont parfois contradictoires, mais elles présentent une image de plus en plus représentative et crédible du déroulement de la naissance énergétique et lumineuse de l'univers matériel.

Les religions tentent d'accéder aux origines par d'autres voies que celle de l'analyse et de la raison. Elles découvrent l'action d'un être tout puissant extérieur à l'Homme. Ainsi, dans leur recherche de connaissance, les peuples antiques se sont souvent tournés vers le ciel et le Soleil, cette grande source de lumière et de chaleur qui rayonne sur la vie. Ainsi naquirent les premières religions antiques fondées pour appeler sur les hommes les rayons

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vivifiants du Soleil. La plupart des religions s'établirent ensuite dans un aspect exotérique. A l'origine, on y trouve des mythes fondateurs légitimant des doctrines fondamentales auxquelles les fidèles doivent adhérer. La bonne conduite mènerait à la vie éternelle. Les cultes ritualisés sont accomplis dans des temples matériels, avec l'aide de prêtres qui servent de médiateurs entre les hommes et le dieu, source de puissance, de vie, de connaissance et de lumière.

Cependant, quelques religions n'ont pas séparé l'Homme et Dieu. Elles considèrent que l'Homme contient une partie divine, spirituelle et lumineuse, emprisonnée dans son corps de chair. Elles ont donc essentiellement un aspect ésotérique qui est enseigné aux hommes par des prêtres initiateurs qui les aident à construire dans leur corps un temple spirituel intérieur où l'Esprit pourra répandre la connaissance et la lumière.

Ils nous disent qu'il existe en chacun de nous un soleil intérieur spirituel qui est la source cachée et le fondement des divers aspects de l'être humain originel, l'Homme de Lumière, et qu'il existe en réalité deux plans de vie, dont l'un est ordinaire ou matériel, où se tiennent les vivants et les morts, les hommes de matière, et l'autre est le plan de vie divin originel, où vivent les hommes de lumière. Ils énoncent que le monde matériel dans lequel vivent aujourd'hui les hommes, est le reflet dégradé et inversé du monde originel véritable. Et ils pensent aussi que la lumière ordinaire qui éclaire les jours et les passions des hommes joue, ici-bas et imparfaitement, le rôle que la

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vraie lumière de la connaissance joue dans le monde impérissable du royaume originel.

Mais comme disait Platon, comment peut-on chercher ce que l'on ne connaît pas ? Á ce paradoxe dit "de Menon", la réponse de Platon est claire. Tout ce que connaît notre âme ne peut provenir de cette vie présente mais de la réminiscence d'une existence antérieure où, séparée du corps, elle a pu contempler la réalité idéale. Notre âme est immortelle et a eu commerce avec ce monde mais, jointe accidentellement au corps, elle a oublié ce qu'elle savait depuis toujours. Connaître, c'est donc arriver à reconnaître, à se ressouvenir afin de se réapproprier ce savoir passé que l'âme a toujours eu en elle mais qu'elle ignore posséder.

Le philosophe distinguait bien les deux aspects du monde. D'une part celui des apparences, sensible, visible, changeant, insaisissable, et d'autre part le monde intelligible des Idées éternelles et immuables, invisible, le lieu du Vrai en soi, du Bien ou de l'Être d'où procèdent toutes choses. La condition première de l'humanité est l'ignorance. Connaître, accéder à la lumière, c'est s'arracher de la fascination des ombres et des images d'illusion et d'ignorance, pour s'élever vers le savoir afin de comprendre la véritable place des éléments qui constituent le monde et jouir enfin de la contemplation des pures Idées. Mais Platon enseignait également que la Terre est au centre de l'Univers, (théorie du géocentrisme) et qu'elle est entourée de douze sphères concentriques sur

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lesquelles circulent tous les astres qui sont les corps des dieux. Son disciple le plus connu Aristote (le Stagirite), reprit malencontreusement la vision géocentrique de Platon, (la Terre est centre du Monde), idée ultérieurement érigée en "vérité révélée" ou dogme par St Thomas d'Aquin ; et ce concept entrava le développement de la science, jusqu'au 17è siècle.

Mais il n’y a pas que Platon pour exprimer cette quête universelle..D’autres chercheurs, ont bien perçu que la principale difficulté dans cette recherche de lumière et de connaissance est généralement posée par la nature essentiellement temporelle de l'Homme. Dans l'inconscient collectif, la lumière côtoie toujours la connaissance et l'origine. L'homme ordinaire place cette lumière à l'origine ou à la fin des temps mais très rarement dans le présent.

Tant que l'homme est dans la matière, il demeure prisonnier du temps et ne peut accéder aux lumières de la connaissance totale. On voit bien que toutes les tentatives d'explication des profonds mystères de l'existence prennent toujours en compte les différents aspects de l'écoulement du temps. Quelles soient-elles, elles ne peuvent contourner le problème. Les doctrines et théories racontent le passé ou impliquent l'avenir. Nous savons que l’Esprit souffle où il veut, quand il veut et comme il veut. Il a donc inspiré des chercheurs en d’autres temps et d’autres lieux. C’est pourquoi, nous avons construit cet ouvrage en trois parties.Dans la première nous évoquerons les sources traditionnelles de la spiritualité occidentale et en particulier celles du Gnoscisme. Nous

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rapporterons ensuite quelques illuminations orientales ou exotiques, et nous évoquerons enfin quelques ouvertures contemporaines dans ce domaine de la descente de la lumière dans l’âme.

Car une certaine clarté peut pénétrer dans l'obscurité de la conscience humaine dès que l'on commence enfin à admettre que le passé et l'avenir n'existent que dans le mental des hommes. Le passé n'existe plus. L'avenir n'existe pas. Le seul réel est le présent. Seul le présent nous est donné, renouvelé à chaque instant. Mais, en isolant dans sa conscience sa propre image particulière de celle du reste du monde cyclique qu'il habite, l'Homme a fait naître en lui-même une entité nouvelle, l'ego. Conscient de la mortelle nature du corps physiologique, l'ego s'efforce de perdurer dans le torrent du temps. Il appelle sans cesse dans la conscience la mémoire du passé ou la tentation de maîtriser l'avenir.

L'ego occupe la conscience, l'asservit et l'obscurcit, y faisant constamment miroiter les illusions passées et à venir du monde naturel qu'il présente comme la seule réalité. Absorbé par la contemplation et la jouissance de ces images trompeuses, l'Homme oublie que sa véritable place originelle est hors du temps, dans l'éternel présent. On voit ici combien il est important de travailler à détacher les chaînes que toutes les sortes d'habitudes comportementales ont installées dans la personnalité. Elles ne sont qu'illusions qui nous amarrent au temps, nous aveuglent et nous ferment l'accès à la lumière et à la connaissance. Il y a si longtemps que l'être humain est

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asservi par l'illusion que l'âme peut à peine se manifester et se faire entendre dans sa prison corporelle.

Nous sommes, en cet ouvrage, associés dans une recherche commune de la lumière donc de clarté et de connaissance. Comme l’ont fait tous les chercheurs dont nous tenterons d’approcher les visions, nous cherchons la lumière véritable, la clarté donnée par l'Esprit, et dans ces conditions, nous ne sommes jamais seuls. Et c'est pour cela que nous pouvons ouvrir cet ouvrage, avec une grande humilité, par les mots suivants.

"FIAT LUX"

"Que soit la Lumière véritable"

Et qu'elle ouvre aujourd'hui, en nos cœurs, la voie de la connaissance !

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Première partie – Les sources de l’ésotérisme occidental

CHAPITRE 1 -La réminiscence et la réincarnation selon Platon CHAPITRE 2 -Les dieux grecs CHAPITRE 3 - Les enseignements d’Hermès Trismégiste CHAPITRE 4- Les antiques religions à Mystères CHAPITRE 5 - La religion des Romains CHAPITRE 6- La Divine Comédie de Dante CHAPITRE 7 - Origine des Rose-Croix. CHAPITRE 8 – Le mythe de la Quête du Graal CHAPITRE 9 - De la Gnose aux Cathares CHAPITRE 10- La Foi des Cathares CHAPITRE 11 - Le Mythe de l’Arche de Noé

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CHAPITRE 1 – La réincarnation selon Platon

Selon Diogène Laërce, Platon serait né à Athènes, (ou peut-être à Égine), le sept mai de la quatre-vingt-huitième olympiade, ce qui dans le calendrier grec, place sa naissance dans les années ~428 ou ~427 avant notre ère. Il serait mort, au cours d'un banquet de noces, à l'âge de quatre-vingt-un ans. On sait peu de choses de cet énigmatique Diogène Laërce qui décrivit avec minutie la vie et les doctrines des philosophes antiques, et l'on pense qu'il vécut au début du 3e siècle. Laërce nous dit que le vrai nom de Platon était Aristoclès comme celui de son grand père. Il était le fils d'Ariston et de Périctioné, issus de deux illustres familles athéniennes, et il avait deux frères, Adimante et Glaucon, et une sœur, Potoné. Comme tous les jeunes Athéniens, Aristoclès pratiquait les trois disciplines obligatoires, lettres, musique et gymnastique. C'est son moniteur gymnaste, un lutteur argien, qui le surnomma Platôn (le large) pour une raison mal définie. À l'âge de vingt ans, il devint le disciple de Socrate, et après la mort du philosophe, il voyagea, allant même jusqu'en Égypte, mais les voyages ne lui étaient guère favorables. En Sicile, il fâcha le tyran Denys qui le fit vendre comme esclave. Racheté par ses amis, il revint vivre à Athènes et s'établit à l'Académie, (du grec "Akademeia", dans les jardins d’un riche citoyen nommé Akademos). C'était un beau et grand domaine garni d'arbres et de fontaines, près du bourg de Colone sur la route d'Athènes. Platon y donna son enseignement et il y eut de nombreux disciples dont Aristote qui le quitta et fut précepteur du prince Alexandre de Macédoine, celui-là même qui devait devenir le fameux conquérant. Contrairement à Socrate qui n'écrivait rien, Platon écrivait beaucoup. Il usait d'un mode fort populaire à l'époque, le dialogue imaginaire, et il exposait ses idées à travers des conversations d'interlocuteurs fictifs. Laërce lui attribue

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cinquante-six de ces dialogues. Platon interrompait parfois ces longs discours pour exposer différemment sa pensée en usant de mythes plus suggestifs que didactiques. On en compte au moins une quinzaine dans toute son œuvre. Certains permettent de percevoir comment le philosophe concevait la vie au delà de la mort, et ce sont ces mythes bien particuliers qui constituent la matière de cette étude.

Quelques mythes platoniciens choisis

Les mythes platoniciens les plus connus sont probablement ceux de l'Atlantide et de la Caverne. Platon évoque la légende de l'Atlantide dans les dialogues de Timée puis de Critias. D'antiques propos sont rapportés à Socrate, évoquant l'existence d'une île très grande et très puissante, au delà des colonnes d'Hercule, (détroit de Gibraltar), neuf mille ans auparavant. Son peuple voulait asservir les populations méditerranéennes, mais les Athéniens résistèrent et après de terribles cataclysmes, l'Atlantide fut submergée par la mer et disparut à jamais. Cette histoire, peut-être inspirée par l'explosion du Santorin, enflamma l'imagination de nombreux romanciers, et des aventuriers en cherchent encore aujourd'hui les vestiges jusqu'au fond des mers. On trouve aussi, dans "la République", un dialogue entre Socrate et Glaucon, rapportant l'histoire dite, "allégorie de la caverne". Dans un lieu souterrain, des hommes sont enchaînés et ne voient que la lumière d'un feu lointain. Derrière eux est un muret au long duquel d'autres hommes portent des objets de toutes sortes qui dépassent ce mur. Certains porteurs parlent et d'autres se taisent. Les prisonniers ne connaissent de ces choses que les ombres projetées sur les murs, et ils n'entendent que les échos des sons. Que l’un d’eux soit libéré, il sera d’abord blessé par la lumière et souffrira des changements. En un premier temps, il ne percevra pas ce qu'on lui montre, puis il s’accoutumera et en verra la réalité. Prenant conscience de sa condition antérieure, il s'efforcera de retourner pour en informer ses semblables. Mais ceux-ci, incapables d’imaginer ce qui est arrivé, refuseront de le croire, le repousseront et le tueront peut-être

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Voyons maintenant un mythe tiré du "Protagoras" dans lequel ce philosophe évoque les travaux d'Épiméthée et de Prométhée lors de la création du Monde. Remarquons d'abord l'extraordinaire transformation que Platon fait subir au traditionnel récit d'Hésiode racontant le partage truqué du bœuf lors du banquet des hommes et des dieux. Ici, Prométhée ne trompe plus Zeus qui va même l'aider. Quand le temps fut venu de la naissance des races mortelles, dit Protagoras, les dieux les façonnèrent de terre et de feu et autres matières, et ordonnèrent aux deux titans jumeaux de leur attribuer les qualités convenables. Épiméthée obtint de procéder seul au partage et l'effectua selon sa fantaisie. Aux uns, il donna la force, aux autres la vitesse, ou les ailes, ou les habitats souterrains, ou la grande taille. Ils en revêtit certains de toisons ou de cuirs épais, ou de plumes, ou les chaussa de sabots ou de peau durcie. Il se préoccupa de leurs nourritures. Mais la sagesse d'Épiméthée était imparfaite et, quand l'Homme se présenta, plus rien n'était disponible. Prométhée fut donc appelé pour équiper l'Homme et assurer sa survie. Fort embarrassé, Prométhée se résolut à dérober le feu et les habiletés pratiques et artistiques d'Héphæstos et d'Athéna pour les donner à l'Homme. Seul parmi les animaux, ainsi pourvu d'un don divin, les hommes se mirent à honorer les dieux, à construire des temples et des habitations, à se vêtir et à parler. Mais vivant dispersés, ils étaient détruits par les animaux. Alors, Zeus inquiet envoya Hermès porter aux hommes la pudeur, la justice, et le sens politique, répartis en son nom de façon que chacun en ait sa juste part, afin que l'harmonie et l'amitié s'établissent dans les cités, sous peine de mort.

Les mythes platoniciens de réincarnation

La théorie de la renaissance (ou réincarnation) remonte à l'Orphisme qui la considérait comme une connaissance secrète réservée aux initiés des religions à Mystères. Platon ne la présentait pas comme une hypothèse mythique, mais comme une conviction philosophique.

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Dans le dialogue de Phédon, il dit que chaque âme use plusieurs corps, surtout si sa vie dure de longues années. Pour le philosophe, cette conviction a pour conséquence logique la mémoire de ces expériences qu'il appelle réminiscence. Insistant sur cette idée, il fait dire à Socrate, dans le dialogue de "Menon", que l’âme de l’homme est immortelle, que tantôt elle s’échappe, ce qu’on appelle mourir, et tantôt reparaît, mais ne périt jamais, et que, pour cette raison, il faut mener une vie la plus sainte possible. Quand Perséphone, dit Socrate, a reçu des morts la rançon d’une ancienne faute, elle renvoie leurs âmes vers le soleil d’en haut, à la neuvième année. Et concernant la connaissance, puisque l’âme est immortelle et qu’elle a vécu plusieurs vies, elle a vu tout ce qui se passe tant ici que dans l’Hadès, et il n’est rien qu’elle n’ait appris. Comme tout se tient dans la nature et que l’âme a tout appris, rien d’empêche qu’en se rappelant une seule chose, (ce que les hommes appellent faussement apprendre), elle retrouve d’elle-même toutes les autres, pourvu qu’elle soit courageuse et ne se lasse point de chercher, car chercher c’est bien autre chose que se ressouvenir. "Et je ne puis donc, dit Socrate, t'enseigner aucune chose puisque je soutiens qu'il n'y a pas d'enseignements mais seulement des réminiscences".

Plus loin, Socrate insiste. Si l’âme est immortelle, il faut en prendre soin, non seulement pour le temps que nous appelons vivre, mais pour tout le temps à venir, et l'on s’expose à un terrible danger si on la néglige. Si la mort nous délivrait de tout, quelle aubaine pour les méchants d’être débarrassés à la fois de leur corps et de leur méchanceté. Mais pour l’âme immortelle, il n’y a d’autre moyen de se sauver que de devenir la meilleure et la plus sage possible. En quittant le corps, elle ne garde que l’instruction et l’éducation, qui sont ce qui sert ou nuit le plus au mort, quand il part pour l’autre monde. En effet après la mort, le génie que le sort a attaché à chaque homme le conduit en un lieu où les morts sont rassemblés pour qu'ils se rendent chez Hadès. Lorsqu’ils y ont reçu le sort qu’ils méritaient et qu’ils y sont restés le temps prescrit, un autre guide les ramène ici, après de longues périodes de temps. Mais la route de l'Hadès n’est ni simple, ni unique puisqu'on y a besoin de guides .Il y a beaucoup de bifurcations et de détours. L’âme réglée et sage suit son guide et n’ignore pas ce qui l’attend, mais celle qui est passionnément attachée au corps, reste longtemps éprise de ce corps et du monde

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visible. Ce n’est qu’après une longue résistance et beaucoup de souffrances, qu’elle est entraînée de force par le génie qui en est chargé. Rejoignant les autres, l’âme qui a fait le mal, ou commis des meurtres ou d’autres crimes, voit tout le monde se détourner d’elle et erre longtemps seule jusqu’à ce que la nécessité l’entraîne dans le séjour qui lui convient. Mais celle qui a vécu toute sa vie dans la pureté et la tempérance et qui a eu le bonheur d’être guidée par les dieux trouve tout de suite la résidence qui lui est réservée.

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Voici ce qu'énonce Socrate dans le "Georgias". Écoute donc ce que je crois être une vérité. Après l'avoir reçu des mains de leur père, Zeus, Poséidon et Hadès se partagèrent le Monde. La loi de Cronos était que le mortel qui avait mené une vie juste allât après sa mort dans les îles Fortunées, et qu'au contraire celui qui avait vécu dans l'injustice allât dans le lieu de punition appelé Tartare. Les hommes étaient alors jugés vivants par des juges vivants, qui fixaient leur sort juste avant leur mort. Hadès et les gouverneurs des îles Fortunées dirent à Zeus qu'on leur envoyait des hommes qui ne méritaient pas le sort assigné. Les jugements, dit Zeus, sont mauvais parce qu'on juge les hommes tout vêtus et lorsqu'ils sont en vie. Certains ont l'âme corrompue mais sont revêtus de beaux corps et de richesses et l'on atteste qu'ils ont bien vécu. Les juges eux mêmes, jugent vêtus, ayant devant leur âme leurs yeux, leurs oreilles et leur corps qui les enveloppe. Leurs vêtements et ceux des personnes qu'ils jugent sont autant d'obstacles. Prométhée ôtera aux hommes la prescience de leur dernière heure. Ils seront jugés après leur mort, dans une nudité entière de ce qui les environne. Le juge lui-même sera nu, mort, et examinera immédiatement, dans son âme, celle de chacun, aussitôt mort, et nu, afin que le jugement soit juste. J'établit donc pour juges trois de mes fils, deux d'Asie, Minos et Rhadamanthe, et un d'Europe, Eaque. Après leur mort, ils rendront les jugements là où aboutissent trois chemins, dont celui des îles Fortunées et celui du Tartare. Rhadamanthe jugera les hommes d'Asie, Eaque ceux d'Europe, et Minos décidera en dernier ressort dans les cas litigieux, afin que la sentence soit parfaitement équitable. Voici ce qu'énonce Socrate dans le "Georgias". Écoute donc ce que je crois être une vérité. Après l'avoir reçu des mains de leur père, Zeus, Poséidon et Hadès se partagèrent le Monde. La loi de Cronos était que le mortel qui avait mené une vie juste allât après sa mort dans les îles Fortunées, et qu'au contraire celui qui avait vécu dans l'injustice allât dans le lieu de punition appelé Tartare. Les hommes

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étaient alors jugés vivants par des juges vivants, qui fixaient leur sort juste avant leur mort. Hadès et les gouverneurs des îles Fortunées dirent à Zeus qu'on leur envoyait des hommes qui ne méritaient pas le sort assigné. Les jugements, dit Zeus, sont mauvais parce qu'on juge les hommes tout vêtus et lorsqu'ils sont en vie. Certains ont l'âme corrompue mais sont revêtus de beaux corps et de richesses et l'on atteste qu'ils ont bien vécu. Les juges eux mêmes, jugent vêtus, ayant devant leur âme leurs yeux, leurs oreilles et leur corps qui les enveloppe. Leurs vêtements et ceux des personnes qu'ils jugent sont autant d'obstacles. Prométhée ôtera aux hommes la prescience de leur dernière heure. Ils seront jugés après leur mort, dans une nudité entière de ce qui les environne. Le juge lui-même sera nu, mort, et examinera immédiatement, dans son âme, celle de chacun, aussitôt mort, et nu, afin que le jugement soit juste. J'établit donc pour juges trois de mes fils, deux d'Asie, Minos et Rhadamanthe, et un d'Europe, Eaque. Après leur mort, ils rendront les jugements là où aboutissent trois chemins, dont celui des îles Fortunées et celui du Tartare. Rhadamanthe jugera les hommes d'Asie, Eaque ceux d'Europe, et Minos décidera en dernier ressort dans les cas litigieux, afin que la sentence soit parfaitement équitable. Dans ses divers dialogues, Platon fait référence aux croyances grecques traditionnelles acceptées depuis Homère, lesquelles incluent un jugement posthume des âmes envoyant au gouffre du Tartare celles des méchants et conduisant aux "Champs Elyséens" ou "Îles Fortunées" celles des justes à commencer par celles des philosophes, qu'à son habitude, il place au pinacle de la société humaine, même après la mort. IL inaugure ainsi la propension constante des philosophes de tous les temps, à une autoévaluation fort optimiste de leurs propres mérites, attitude qui reste commune de nos jours comme en attestent les échos médiatiques quotidiens. Platon donc, dans sa proche approche d'une justice, impartiale en soi, s'émeut des excès manichéens de ces jugements radicaux, et entreprend d'amender le mythe en modulant les échelles des peines et des récompenses en juste proportion de la responsabilité personnelle effective des intéressés. Ces concepts seront ultérieurement repris par l'Église Catholique dans l'enseignement médiéval de l'existence d'un Purgatoire pour la purification des âmes pécheresses. Platon a

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repris l'ensemble de sa théorie à la fin du 10e livre de "La République", dans l'histoire d'Er le Pamphyllien, qui suit.

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Le mythe d'Er le Pamphylien

Á la fin du 10e livre de "la République" qui est le récit fait par Socrate à un ou plusieurs interlocuteurs mal identifiés, d'une conversation qu'il a eue la veille au soir dans la maison de Céphale, au Pirée avec une bande de jeunes menés par Polémarque, le fils de Céphale, dans le cadre de la première fête organisée par Athènes en l'honneur de la déesse thrace Bendis. Dans la dernière partie de la discussion, l'interlocuteur de Socrate est l'un des frères de Platon, Glaucon, à qui Socrate conte l'histoire mythique d'ER, un guerrier natif du Sud de la Turquie actuelle, qui fut tué au combat et se retrouva en vie douze jours plus tard sur le bûcher funéraire élevé sur le champs de bataille. IL aurait été renvoyé parmi les vivants pour témoigner du destin de âme engagées dans le royaume d'Hadès pour y être jugées puis engagés dans un processus de purification passant éventuellement par des épisodes de réincarnations voire de métempsychoses. Elles sont d'abord, raconte-t-il rassemblées par leurs génies personnels dans une vaste prairie où la mécanique des mondes leur est révélée et passent devant les Juges qui siègent entre deux vastes ouvertures qui mènent dans la terre surmontées de deux autres ouvrant vers le ciel. Les Juges marquent les âmes selon leurs œuvres et les envoient vers les portes qui conviennent et elles y pénètrent pour un temps donné de purification avant d'en ressortir plus tard, si bien que des flots continus d'âme entrent et sortent continuellement de ces ouvertures, revenant de ces parcours cycliques soit encore impures et sales après leur parcours terrestre, ou descendant purifiées du ciel, mais parfois la porte mugit et ne laisse pas sortir les plus méchants que des monstres de feu renvoient au gouffre du Tartare

hommes. Les génies personnels mènent ensuite les âmes devant les trois Moires (ou Parques), ces déesses qui produisent le tissu du destin des vivants en filant le fil de leur vie. Un Hiérophante tire alors au sort l'ordre dans lequel les âmes seront appelées à choisir le

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modèle de leur prochaine vie, ce qui permet à Platon d'établir la liberté et le responsabilité personnelle de chacun su la détermination de son destin en dégageant la volonté divine. Pour cela, de nombreux modèles de vies sont proposés et chacun est invité à choisir ce qui lui convient. Hélas, la plupart des âmes choisissent hâtivement et sans fondement philosophique ni sagesse, des vies faciles, pleines de plaisirs et de tentations, et même parfois des vies animales libérant des passions primitives. Tous ces choix, aussi fâcheux soient-ils, sont alors définitivement entérinés par les Moires qui leur attribuent un nouveau Génie qui les accompagnera pour l'accomplissement du destin ainsi fixé. Et puis, par une chaleur torride, toutes les âmes sont conduites au bord du fleuve Amélès dont les eux amères donnent l'oubli tout à la fois des vies antérieures et des évènements liés au jugement actuel, mais on interdit à ER de boire de cette eau. Un tremblement de terre survient alors, et les âmes s'élancent soudain vers le monde supérieur où elles doivent renaître, tandis qu'ER rejoint son corps et se voit couché sur le bûcher.

Platon enseignait qu'à l'origine, une divinité bienveillante suscita hors d'elle même un chaos matériel qu'un démiurge( artisan mais non créateur) entreprit ensuite d'organiser en le transformant continuellement de l'actuel vers le meilleur, tirant ainsi le cosmos du chaos par les vertus de la géométrie, puis rendant ensuite cet univers vivant, à l'image de lui même, qui est "le vivant en soi" puis y formant le Monde et ses habitants par le moyen des quatre éléments, puis des des âmes dans les corps et l'intellect dans les âmes, car le vouloir absolu de Dieu est aussi qu'à l'image de lui même, "parfait en soi", toute chose soit a plus belle et la meilleure qui puisse être, et pour cela l'intellect est nécessaire. Dans ce dialogue entre Socrate et Timée, Platon enseignait également que la Terre est au centre de l'Univers, (théorie du géocentrisme) et qu'elle est entourée de douze sphères concentriques sur lesquelles circulent tous les astres qui sont les corps des dieux. Le disciple le plus connu de Platon fut Aristote (le Stagirite), né à Sragire en Macédoine en ~322 qui demeura son élève pendant vingt ans, puis prit une certaine distance avec le Maître, fondant à Athènes dans l'enceinte du Gymnase sa

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propre école, dite péripatéticienne (du grec péripatein = promener) car ce il enseignait tout en marchant. Située au Lykeion, colline des loups, établissement d'entraînement des athlètes, l'école d'Aristote a donné le mot lycée. Diogène Laerce dit qu'il se suicida à l'âge de soixante-dix ans, en buvant de la cigüe comme Socrate. L'œuvre d'Aristote fut considérable et s'étendit à l'ensemble des domaines de la connaissance. Il opposa à la méthode platonicienne du dialogue et au concept théorique du "monde des idées", un empirisme qui réhabilitait les données de l'expérience.

Influences de Platon et d’Aristote

Aristote accepta certaines idées platoniciennes, comme celles de l’immortalité de l’âme et de la nature divine des corps célestes, mais il remit en cause certaines idées du maître. Pour lui le plus haut degré de réalité n’est pas ce qui apparaît par le raisonnement, mais ce qui est perçu par les sens. Il affirma que la raison est vide tant que les sens n'entrent pas en action, et il posa les lois du raisonnement, fondant la logique comme instrument de précision fondamental du discours philosophique. Il reprit aussi, et très malencontreusement, la vision géocentrique de Platon, (la Terre est centre du Monde), idée ultérieurement érigée en "vérité révélée" ou dogme par St Thomas d'Aquin. Ce concept entrava le développement de la science, jusqu'au 17è siècle, causant par ailleurs de nombreuses et graves condamnations telles celles de G.Bruno, brûlé vif, ou de Galilée, enfermé à vie dans sa propre maison.. Aristote établit aussi une classification des êtres vivants, en partant du principe qu'ils ont tous une âme, mais de nature différente (âme nutritive, âme sensitive, âme appétitive et locomotrice). Seul l’homme a une âme rationnelle. Il édifia une échelle de la Nature, de

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complexité croissante de "l’âme", partant de la matière inanimée et s’élevant par degrés vers les plantes, les éponges, les méduses, les mollusques et ainsi de suite jusqu’au sommet où figurent les mammifères et l’homme. On voit que malgré l'intérêt suscité par ces grandes idées et le succès qu'elles ont rencontré, les certitudes excessives des philosophes et autres idéologues détenteurs autoproclamés de vérité peuvent avoir de grandes conséquences sur le fonctionnement des sociétés humaines, et qu'il convient donc de les accueillir avec suffisamment de recul et une prudence certaine.

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CHAPITRE 2 – Les dieux grecs

Les religions des Grecs et des Romains nous apparaissent souvent très analogues, au point que nous pouvons penser la seconde comme un décalque de la première. Il n'en est rien. En fait, les peuples grecs et romains ont une origine indo-européenne commune qui implique un fond culturel partagé. Lorsque, au début du 2ème millénaire avant J. C., ils ont migré vers des territoires voisins mais différents, ils ont amené avec eux les mêmes antiques fondements religieux. Mais ils les ont ensuite développés dans des contextes locaux distincts, et dans des synthèses plus ou moins réussies avec les croyances indigènes locales. On retrouve donc dans les deux cultures, à la fois des traits communs et d'autres différents. Lorsque les peuples se sont rencontrés, ils ont pu reconnaître les symboles homologues de leurs panthéons respectifs, et ils ont procédé aux rapprochements qui leur semblaient déjà évidents. C'est ainsi qu'aujourd'hui, nous reconnaissons aisément leurs principales doubles figures divines. Ces dieux des Grecs et des Romains n'étaient pas transcendants. Ils habitaient le Monde, comme les Hommes dont ils régentaient la vie. Ils en partageaient les vices et les vertus, mais ils étaient immortels et le plus souvent invisibles. Les deux peuples avaient aussi une approche partagée, beaucoup moins évidente à nos yeux, du concept de divinité. Il faut savoir que, des deux cotés, les dieux secondaires étaient innombrables, peut-être cinquante mille pour les Grecs et vingt à tente mille pour les Romains, selon leurs propres évaluations. Les attributions et fonctions de ces divinités secondes étaient floues et changeantes, évoluant constamment selon les époques et les transformations sociales. Cette flexibilité peut expliquer la tolérance dont ces anciens on pu faire preuve à l'égard des dieux et religions des

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pays conquis, ainsi que la facilité relative avec laquelle les étranges Cultes à Mystères furent accueillis à Rome, comme ceux d'Isis, de Cybèle, ou de Mithra, et même le Christianisme primitif. Cela facilita également des décisions politiques étonnantes comme la divinisation de la ville de Rome ou celle de certains empereurs. Un autre aspect fort important des religions grecque et romaine est celui de la totale intégration des pratiques religieuses à la vie quotidienne et civile. L'athéisme n'y avait aucune place, et il n'y avait aucune séparation entre des champs d'activités qui nous sont aujourd'hui perçus comme évidemment distincts. Le comportement des citoyens en était donc empreint. Il faut enfin noter l'attention marquée accordée à la divination, à l'haruspicine, et aux présages. Ils guidaient alors de façon assez importante la conduite des affaires de l'état, et même les comportements des armées.

La Crète et Mycènes

Il n'est pas possible de parler de la civilisation grecque au singulier parce qu'il y a eu plusieurs transformations profondes dans les peuplements et les croyances des peuples qui se sont établis dans cette péninsule et ses îles depuis 50 000 ans, bien avant la dernière glaciation. Après celle-ci, on distingue, dans le monde grec antique, sept périodes successives de civilisations caractérisées. La période "préhellénique", (civilisations crétoise, minoenne, ou égéenne), s'étend du 19e au 14e siècle avant notre ère. La période "achéenne", (civilisation mycénienne, Guerre de Troie et arrivée des Doriens), va jusqu'au 12e siècle. La période "homérique", celle du Moyen Âge hellénique, de l'Iliade et de l'Odyssée remonte jusqu'au 8e siècle. Elle est suivie, jusqu'au 6e siècle, par la période "archaïque", qui a vu l'expansion des Grecs dans tout le Bassin méditerranéen, l'Asie Mineure et la "Grande Grèce" d'Italie. La période "classique" se poursuit jusqu'au 4e siècle avec l'âge d'or des grands philosophes. Les temps "hellénistiques" suivirent, jusqu'au 1er siècle avant J. C. (domination macédonienne et empire d'Alexandre). Puis c'est la

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période "romaine" qui commence en ~ 86 par la prise d'Athènes par Sylla et qui répand ensuite la culture grecque dans tout le monde romain pendant le millénaire suivant. Beaucoup d'autres acteurs ont partagé le Monde méditerranéen et influencé les cultures grecque et romaine, tels les Phéniciens qui fondèrent Carthage, le Étrusques, les Sardes, les Ombriens, les Samnites et tant d'autres dont nous évoquerons évidemment les actions

Il y a donc un grand décalage temporel entre les mouvements civilisateurs grecs successifs et l'expansion de la domination romaine. L'occupation des environs de la mer Égée débute six mille ans avant notre ère, au néolithique. La civilisation est d'abord repérable en Crête, où l'on trouve les traces d'un culte de la Terre Mère. Il y a quatre mille ans, c'est la civilisation dite des Cyclades et de la Crète, marquée par des relations avec Troie, Chypre et l'Égypte. Á l'âge du bronze ancien, 25 siècles avant notre ère, l'île de Crète voit s'épanouir une société évoluée, avec une urbanisation structurée et une technologie qui produit des objets élaborés et de beaux bijoux de bronze ou d'or. C'est là que le roi Minos aurait fait construite par Dédale le célèbre labyrinthe du Minotaure, et c'est là aussi qu'apparaissent les premiers alphabets grecs appelées linéaires A et B, d'origine indo-européenne, qui s'écrivaient de gauche à droite comme les nôtres. La Crète minoenne développe aussi une puissance maritime débouchant sur des échanges commerciaux avec les pays d'Orient. Cinq siècles plus tard, les villes s'organisent autour de palais somptueux comme ceux de Mallia, Archanès, Zakros, Phaïstos, et Cnossos où l'on a découvert des restes de sacrifices d'enfants. L'archéologie a trouvé des symboles cornus, des haches bifaces d'ornement, et d'autres trésors. Puis, 15 ou 16 siècles avant JC, l'énorme éruption volcanique du Santorin engendra de gigantesques tsunamis qui dévastèrent la Crète et détruisirent sa flotte. La ville de Cnossos fut cependant épargnée, mais la civilisation minoenne ne s'en remit jamais.

D'autres peuples indo-européens avaient migré vers la Grèce, à la fin de l'âge du bronze, tels les Eoliens les Ioniens et surtout les Achéens

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qui en chassèrent les Pélasges. Les Achéens sont des conquérants qui usent de chevaux et d'armes de bronze. Ils s'installent dans le Péloponnèse vers ~1600, et y fondent de nombreuses cités-états telles Argos, Tirynthe, Pylos, Sicyone, Corinthe, Athènes, Thèbes, Orchomène, et surtout Mycènes dont l'influence devient dominante. Il nous en reste les enceintes cyclopéennes. Sur les bases de la civilisation minoenne, ils améliorent l’alphabet. Ils pratiquent le commerce lointain et lancent des expéditions maritimes jusqu’en Grande Bretagne. Leurs nombreux petits royaumes sont souvent en lutte les uns contre les autres ou contre un ennemi commun comme dans l’épisode homérique de la guerre de Troie contre les Hittites. Homère était un poète, non pas un historien. Écrits cinq cent ans plus tard, ses récits sont imaginaires. La religion mycénienne préparait celle de la Grèce classique mais privilégiait les divinités chtoniennes, tout particulièrement à Cnossos, Poséidon, lié aux tremblements de terre. De nombreux lieux de culte étaient dédiés à des déesses, comme la "Dame du Labyrinthe" en Crète, ou "Diwia", la Déesse Mère. Quelques divinités ont été identifiées à Zeus, Héra, Arès, Hermès, Athéna, Artémis et même Dionysos. Après l'invasion Dorienne, la domination Achéenne faiblit. L'unité mycénienne rompue, le pays se dépeuple. La civilisation s'effondre progressivement et les Grecs entrent dans l'oubli pendant les quatre siècles dits "obscurs" du Moyen Âge grec.

Les Phéniciens, les Hittites, les Étrusques

Le monde mycénien se désagrège alors lentement pour des causes mal connues. La population diminue fortement et les habitants quittent les villes et se réfugient dans les campagnes écartées. On a accusé les migrations Doriennes, mais la région est le siège permanent de fortes turbulences et d'incessantes guerres de conquête. Les attaques des énigmatiques "Peuples de la Mer" (qui ne furent mis en échec que par les Égyptiens), ravagent alors la Phénicie (Liban) et beaucoup d'autres nations méditerranéennes, dont évidemment Mycènes. Inventeurs de l'alphabet, les Phéniciens sont avantagés par

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l'affaiblissement de leur rivale. Ce sont d'habiles navigateurs et des colonisateurs actifs qui ont fondé de nombreux comptoirs à Chypre, à Malte, en Sicile, en Sardaigne, et des cités commerciales comme Arvad, Berytos (Beyrouth), Byblos (Jbei), Ougarit (Lattaquié), Tyr (Sour), Sidon (Saïda), et même Gadès et Lisbonne en Espagne. En Tunisie, on leur doit surtout Carthage qui entrera plus tard en rivalité avec Rome. Les dieux phéniciens, d'origine orientale, sont mystérieux, féroces et redoutés. On y retrouve Baal (El) et Astarté (Tanit), Melgart, Eshmoun, etc.. Les Grecs puis les Romains ont relaté leurs cultes cruels comprenant des sacrifices humains (dont ceux d'enfants). La Phénicie décline au ~5ème siècle sous la pression des Assyriens et des Babyloniens mais ses puissantes colonies prospèrent tout autour de la Méditerranée, particulièrement Carthage dont l'influence puissante s'étend rapidement sur toute l'Ouest de la Méditerranée.

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Les Grecs ont beaucoup d'autres voisins qui sont aussi des rivaux. Parmi eux, on compte les Hittites que la guerre légendaire de Troie opposa aux Achéens. Á l'époque du déclin mycénien, ce peuple provenant probablement des plaines de la Volga est installé en Anatolie depuis longtemps et il a fusionné avec les anciens habitants, les Hattis, dont il a absorbé la civilisation avancée. L'influence des Hittites est fort importante et se manifeste par des conflits répétés avec les Égyptiens et les Assyriens. Ils maîtrisent la production et le forgeage du fer dont ils gardent les techniques secrètes pendant trois siècles. Ils utilisent de puissants chars de guerre montés par trois guerriers. Ils disposent d'une l'écriture cunéiforme mais ils utilisent aussi des hiéroglyphes. Leurs dieux sont nombreux car ils adoptent les divinités des peuples voisins et les associent aux anciens dieux Hattis ou aux dieux protecteurs locaux. Il existe des analogies avec les dieux grecs primordiaux d'Hésiode, mais on a aussi identifié des divinités solaires (UTU), mâles et femelle, des gardiens de la nature (LAMMA ou KAL), et des dieux de l'orage parfois représentés par un taureau. Les Hittites pratiquent la magie et la divination. Leur empire est constitué de royaumes distincts dont les classes dirigeantes sont subordonnées à l'autorité d'un Roi des rois de droit divin. Ce prince dirige les armées mais son rôle de Grand Prêtre est prédominant. L'empire Hittite souffre aussi des attaques menées par les "Peuples de la Mer". Il en est fort affaibli et est finalement assimilé par l'Empire Assyrien.

En Italie, à l'époque mycénienne, Rome n'existe pas. La péninsule accueille divers peuples dont les Étrusques, ou Toscans. Les Étrusques ont établi une civilisation remarquable, urbaine, assez épicurienne, marquée par l'importance donnée aux femmes. Les Étrusques ont fondé de nombreuses villes dont Rome, Cerveteri, les ports d’Alsio et de Pyrgi, Véies, Tarquinia, Arezzo, Cortone, Chiusi, Volterra, (Velathri), Pérouse, Todi, Orvieto. La religion étrusque est essentiellement divinatoire. Influencée par l’Orient archaïque, elle diffère des religions gréco romaines, avec un panthéon organisé en triades divines. C’est une religion révélée par des génies tel Tagés, et des devineresses comme Vegoia, chargés de porter un message divin aux hommes. Elle est fondée sur trois groupes de livres sacrés dont le premier concerne l’extipicine, (techniques divinatoires liées aux sacrifices). Le second groupe enseigne la divination par

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l’observation des éclairs. Onze sortes de foudres sont associées aux dieux toscans. Le troisième groupe règle la répartition des terres selon un code très précis, et régit la disposition et l’orientation des édifices. La mort et l’au-delà constituent des préoccupations majeures des populations étrusques. Le sang des sacrifices et l’observance des rites permettent d’accéder à une forme d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les cas. En réponse aux inquiétudes face au destin, la religion étrusque vise à maîtriser la connaissance de l’avenir et de la volonté divine. Elle veut influencer le cours des choses, en apaisant les dieux par des sacrifices, et en organisant soigneusement la vie civile.

Cosmogonie classique et généalogie des dieux

Au ~8e siècle, quatre cents ans après les invasions doriennes, la Grèce se repeuple. Les cités s'organisent et se dotent de structures militaires redoutables, les phalanges. L'essor démographique provoque un élan colonisateur et la fondation de nombreuses villes dans tout le bassin méditerranéen. Entre autres, les Grecs fondent alors Massalia, (Marseille), et Byzance. Ils colonisent la Sicile et une partie de l'Italie qu'ils appellent la Grande Grèce. Ces actions engendrent des conflits tant avec les autochtones qu'avec les Phéniciens, autres colonisateurs. Les échanges amènent l'usage de la monnaie. L'alphabet grec reçoit enfin des voyelles et la littérature apparaît. Bien des textes ont été perdus car les livres étaient copiés à la main en très peu d'exemplaires, et les grandes bibliothèques qui les rassemblaient ont, hélas, brûlé. Il nous reste ceux d'Homère qui raconte la légendaire Guerre de Troie dans "l'Iliade", et le retour d'Ulysse à Ithaque dans l'Odyssée" (qui aurait eu plusieurs auteurs). L'Iliade évoque un panthéon régi par Zeus et Héra, avec des dieux très impliquées dans les affaires humaines. L'épopée oppose les partisans des Grecs, Poséidon, Athéna, Héra, Hermès, Héphaïstos à ceux des Troyens, Apollon, Arès, Aphrodite, Artémis, et le dieu du fleuve Scamandre. D'autres divinités y sont également citées telles Thétis. Curieusement, la religion grecque n'avait ni église ni doctrine, cependant Hésiode nous a laissé une grande "Théogonie"

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qui décrit les débuts du Monde et l'origine des générations successives de dieux dans une version qui semble bien refléter la tradition la plus communément établie.

Dans la Grèce antique, aucun texte sacré n'exposait l'origine du Monde, des hommes et des dieux. Diverses théogonies ont pu y prétendre dans une simple littérature sans réelle valeur doctrinale. Le Théogonie d'Hésiode débute par une invocation aux Muses bien plus longue que l'exposé sur l'origine du Monde qui la suit. Les postérités décrites par Homère en diffèrent un peu, (et celles des Orphistes, beaucoup plus). Cette diversité littéraire n'engendrait pas de conflits doctrinaux. "Á l'origine, dit Hésiode, était le Chaos, puis Géa (la Terre) et le ténébreux Tartare, puis Éros, l'Amour. De Gaia et de l'Érèbe naquit la Nuit qui produisit l'Ether et le Jour. Et Géa engendra Ouranos, le Ciel à la voûte étoilée. D'Ouranos et de Géa naquirent les douze Titans, Océan, Coeus, Crios, Hypérion, Japet, Théa, Rhéa, Thémis, Mnémosyne, Phébé, Téthys, et le terrible Cronos. Géa enfanta encore les Cyclopes Brontès, Stéropès, Argès, qui n'avaient qu'un œil et forgèrent la foudre pour Zeus. Ouranos et Géa eurent encore trois effroyables enfant, Cottos, Briarée, Gyas, géants aux cent bras et cinquante têtes qu'ils cachèrent dans les profondeurs de la terre. Ce livre conte aussi la légende de Prométhée, la lutte de Zeus contre les Titans et bien d'autres épisodes qui ne peuvent être résumés ici. Les Grecs acceptaient ces descriptions littéraires variées des origines. Ainsi, dans un autre texte, faisaient-ils naître du Chaos béant, les jumeaux Érèbe et Nuit, celle-ci s’ouvrant comme un œuf cosmique pour donner naissance au Ciel, Ouranos, et à la Terre, Gaïa, unis par l’Amour primordial, Éros, source de toute vie terrestre.

On voit, qu'à cette époque, les dieux grecs sont déjà innombrables, et leurs légendes le sont aussi. La création de l'homme est attribuée soit aux dieux, soit à Prométhée, fil du Titan Japet, qui façonne la race humaine avec de l'argile. Mais ces dieux et déesses ont aussi des aventures amoureuses avec des humains. Il en résulte des héros hybrides, mortels aux pouvoirs surhumains comme Héraclès, Jason, Thésée, ou Achille fils de Thétis. On a même l'histoire d'un déluge de neuf jours et neufs nuits provoqué par Zeus pour punir les

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hommes de leur impiété et de leurs guerres incessantes. De la terre déserte n'émerge que le mont Parnasse. Dans leur barque, seront épargnés Deucalion, fils de Prométhée, et Pyrrha, fille d'Epiméthée et de Pandore. Une voix leur ordonne de jeter les os de leur mère par-dessus leurs épaules. Il s'agit de pierres, les os de la Terre, la Mère universelle. Les pierres de Deucalion deviennent des hommes, celles de Pyrrha, des femmes. La Terre est alors repeuplée. Succédant aux Titans pour régner sur le Monde, trois Olympiens se sont partagé l'univers par tirage au sort. Zeus obtint le ciel, Poséidon la mer, et Hadès le monde des Enfers. Le panthéon des Grecs comporte quatorze grands dieux. Ils eux séjournent avec Zeus sur le Mont Olympe, gardé par les Saisons, et ils y connaissent un bonheur parfait, se délectant de nectar et d'ambroisie. Cependant, certains sont toujours cités comme Zeus, Héra, Poséidon, Arès, Hermès, Héphaïstos, Athéna, Apollon, et Artémis, tandis que d'autres sont interchangeables selon les auteurs, par exemple Hestia, Déméter, Aphrodite, Dionysos et Hadès.

Zeus est le dieu souverain, Père des dieux et des hommes. Il a épousé sa sœur Héra, déesse du mariage et des femmes. Poséidon, dieu de l'océan règne sur les eaux, les tremblements de terre et les tempêtes, et fait jaillir les sources. Hadès est maître du royaume des morts et des richesses souterraines Il donne aussi la fécondité de la terre, ce qui est démontré par le mythe de Déméter, dont la fille, Korê, enlevée par Hadès, devient la reine des morts (Perséphone). Chaque printemps elle retrouve sa mère qui donne les récoltes. Hestia est la déesse du foyer. On lui présente tout enfant nouveau né. Athéna, fille de Métis (la Sagesse) est sortie toute armée de la tête de son père Zeus. Elle protège les arts et à la littérature, la paix et à la raison. Artémis, sœur jumelle d'Apollon, est la déesse des animaux sauvages et de la chasse. Vierge, comme Athéna, elle est associée à la vie des femmes et à la lune. Apollon est le dieu de la musique et de la poésie et l'inventeur de la médecine. Ses prophéties sont transmises par la Pythie de Delphes. Hermès, messager des dieux, porte des sandales ailées pour se déplacer dans les airs. il guide les voyageurs et accompagne les âmes des morts aux Enfers. Arès, fils de Zeus et d'Héra, est le dieu de la Guerre, assoiffé de sang. Aphrodite, fille de Zeus et de Dioné, est la déesse de la beauté. Héphaïstos est le dieu des volcans et du feu, maître du travail des métaux. Dionysos, fils de

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Zeus et de Sémélé, a été porté dans la cuisse de Zeus jusqu'à sa naissance. Frappé de folie par Héra, il est le dieu du vin et de la fertilité et sera associé plus tard aux doctrines de l'orphisme.

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Toute la littérature concernant la mythologie grecque montre bien, qu'à cette époque tout au moins, la religion grecque n'est ni révélée ni doctrinale. Elle a une fonction essentiellement sociale et ne distingue absolument pas les activités civiles et religieuses. Les fidèles entrent en religion à la naissance et doivent continument observer scrupuleusement les célébrations et les rites. De grands festivals publics, à la fois politiques et religieux sont des évènements obligatoires. Ils sont l'occasion de sacrifices, de concours d'athlétisme, de processions et de représentations théâtrales. D'autres actes cultuels se pratiquent en privé, dans le cadre familial, tels des offrandes et libations. Il existe de multiples interdits. De nombreux petits actes rituel doivent être pratiqués pour attirer la bienveillance des dieux, et des petits sanctuaires sont élevés un peu partout à cet usage. Les grandes fautes sont le meurtre et l'offense aux dieux qui risquent de provoquer leur colère. La vengeance divine concerne la société toute entière et la réparation est donc l'affaire du peuple entier qui punit très sévèrement les coupables. La religion grecque a des temples mais pas de clergé. Elle permet cependant des fonctions particulières comme celles de la Pythie à Delphes ou de les Eumolpides à Eleusis. Les Grecs s'attendent à être bien traités des dieux s'ils remplissent correctement leurs devoirs religieux, et ils pratiquent des rites magiques simplifiés. Les présages et les prophéties ont grande importante. Á l'époque archaïque, la religion grecque s'intéresse peu à la vie après la mort, ne laissant prévoir aucune immortalité.

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Le mythe du Prométhée et le sacrifice sanglant

Chez les Grecs, le sacrifice sanglant est lié à la légende de Prométhée. À l’âge d’or mythique, les dieux et les hommes décidèrent de se séparer. Prométhée fut chargé de partager le monde et d'organiser un repas commun. Le Titan abattit un bœuf, fondant ainsi le sacrifice sanglant comme mode relationnel entre les hommes et les dieux. Il en fit deux parts, toutes deux truquées, l’une agréablement apprêtée camouflant les os dénudés, l’autre cachant la chair comestible sous un aspect repoussant. Zeus feignit de se tromper, choisissant les os et laissant la viande aux hommes. Et ceux-ci demeureront toujours des créatures mortelles, affamées de cadavres, tandis que les dieux, nourris de fumées, resteront à jamais, immortels et incorruptibles.

Le sacrifice grec est un acte sacramentel. Accomplir ces rites, c’est établir un contact avec les dieux par une double commémoration, celle de la tâche accomplie par le Titan protecteur, et celle de la leçon donnée par Zeus, que les hommes affirment avoir comprise. En l’accomplissant, les hommes signifient qu’ils acceptent la place allouée par Zeus, entre les bêtes et les dieux. Le rite rappelle que les hommes et les dieux sont aujourd’hui séparés, qu’ils ne vivent ni ne mangent plus ensemble. On ne peut tromper Zeus ni tenter de s’égaler aux dieux sans devoir en payer le prix qui est l’éloignement du divin et l’obligation de vivre sur cette terre où rien ne s’obtient sans effort et où se mêlent toujours la joie et la peine, le Bien et le Mal.

Prométhée est la connaissance universelle. Il prévoit tout. Il en sait plus que tout dieu ou tout homme mortel et son intelligence est nécessaire à Zeus. Pour favoriser les hommes, le Titan offense Zeus qui décide alors de définir plus clairement les rôles respectifs des hommes et des dieux. Les rites sacrificiels grecs rappellent l'erreur du Titan protecteur et la punition conséquente. Le sacrifice sanglant prométhéen est donc l'acte rituel obligatoire le plus important de la religion grecque (et romaine), et il est intéressant d'en voir les détails. Il commence par la consécration, dite immolation, de la victime animale qui est accomplie à

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proximité de l'autel. Ainsi devient-elle sacrée et intouchable, nourriture irrévocable des dieux.

La victime est ensuite abattue et découpée par un sacrificateur habilité. On prépare tout d'abord la part des dieux. Le sang, symbole habituel de vie, est versé sur le brasier de l'autel et l'on y ajoute les autres viscères sanglants préalablement bouillies, essentiellement la fressure, (cœur, poumons, foie, rate). Cette part des dieux est entièrement consumée sur le feu. Ensuite seulement, et en un second temps, on s'occupe de la part des hommes qui ne peuvent partager la nourriture des dieux. La chair restante est profanée par un attouchement de l'officiant. Devenue dorénavant impure, elle est partagée entre les assistants, ou vendue en boucherie, et elle doit être obligatoirement consommée avec un rituel spécial de préparation.

La consommation obligatoire de cette viande dite de sacrifice, la part laissée aux hommes, est rituellement rôtie puis bouillie, (à l'inverse de la part des dieux), en rappel de l'histoire humaine originelle. Cette consommation parachève le sacrifice. Ce rituel de partage a une signification douloureuse consacrant la séparation définitive des hommes et des dieux. Elle établit la supériorité des immortels en même temps que l'infériorité et la sujétion des mortels. Plus tard, les Orphiques refuseront les sacrifices sanglants et la consommation de chair animale Ils rejetteront aussi tout ce système politico-religieux symbolisant l'établissement d'un ordre définitif du Monde, et ils seront généralement considérés comme des marginaux asociaux.

Plus tard, le Christianisme s'établit dans le monde gréco-romain, et propose un nouveau rituel évoquant la mort du Christ qui rétablit l'alliance entre les hommes et Dieu. Elle est gagée par la mort de son Fils, également fils de l’Homme, immolé par ses pères dans la nature terrestre. "Prenez et mangez, dit le rituel, car ceci est mon corps, livré pour vous. Prenez et buvez, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle et éternelle alliance, qui sera versé pour vous en rémission des péchés". Le pain, part des hommes est partagé en premier, puis en second le vin, (sang), la part des dieux. Ce

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renversement bouleverse les Grecs, signifiant la fin de la malédiction millénaire car les hommes sont de nouveau invités à manger avec les dieux.

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L'époque classique ou Siècle de Périclès

Après le sixième siècle, la Grèce connaît de grands bouleversements, tant politiques que religieux. La période est propice aux invasions. Les Perses de Cyrus soumettent la Grèce d’Asie mineure. Il y a encore d’autres invasions comme celle de Darios. (Marathon), puis de Xerxès. Sparte est vaincue aux Thermopyles. Athènes est également conquise et détruite, puis Thémistocle vainc enfin les Perses à Salamine. Les Carthaginois et les Étrusques rendent la Sicile. Athènes monte à son apogée, et reconstruit l’Acropole et le Parthénon. Elle devient un modèle démocratique puis entre en guerre avec Sparte. C'est l’époque dite "Siècle de Périclès", le début de la pensée et de la civilisation grecques classiques, avec le renouveau des sciences et des arts. (Philosophie, éthique, législation, science politique, poésie, tragédie, histoire, sculpture, architecture). Beaucoup d’hommes célèbres nous ont laissés leurs noms et quelques traces de leurs travaux, tels Hésiode, Thalès, l'astronome philosophe qui aurait énoncé le connais-toi toi-même, Anaximandre, savant philosophe qui affirmait que le principe matériel unique était l’Illimité , Pisistrate, Ésope et ses fables, Sappho, Héraclite d’Éphèse qui fit du Logos, le principe du devenir, Pythagore qui donna à la philosophie un objectif, celui de libérer l’âme humaine du corps-tombeau, éleva les mathématiques au rang d’une mystique, et appela le monde Cosmos, Anacréon, poète inspiré par Dionysos, Xénophane, Parménide qui opposait la vérité à l'opinion.

Pendant cette période, les penseurs grecs spéculent sur la nature de l'homme et de l'univers dans une grande liberté intellectuelle, et l'on peut considérer qu'ils ignorent les dieux ou rejettent leur anthropomorphisme. La science et la philosophie apparaissent avec bien des noms connus. Xénophane de Colophon dit que Dieu est le Monde et qu'il est un être vivant. Anaxagore affirme que l’Esprit ou Intellect est le principe organisateur de la matière, Pindare, Zénon d’Élée inventeur de la dialectique, Empédocle établit la théorie des quatre éléments, imagine les atomes, et conçoit un Univers régi par

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l’amour et la haine, Sophocle, Euripide le tragédien, Protagoras considère que l’homme est la mesure de toute chose, Critias dit que les religions étaient inventées pour effrayer les hommes, Démocrite pense que la nature, née du hasard et de la nécessité, est éternelle, incréée, et sans finalité, et appelle l’homme Microcosme, Anaximène de Millet croit que l'air est la substance primordiale composant tous les corps, Héraclite d'Ephèse s'oppose aux sacrifices animaux, Cratinos, Hérodote le père de l'Histoire, Xénophon, guerrier et auteur de "l'Anabase". On peut aussi évoquer Aristophane et ses comédies satiriques, Arcésilas, Callimaque, Démosthène l'orateur bègue, Thucydide, Isocrate, Diogène le Cynique, Épicure qui disait l'âme faite d'atomes, Euclide à qui l’on doit probablement les bases de la géométrie, Apollonios de Rhodes, Archimède de Syracuse, inventeur de génie, Zénon de Cittium, le père du stoïcisme.

Les philosophes grecs poussent donc les dieux hors de la Terre vers un Monde purement conceptuel. Zeus devient la cause première de toute chose dont les compagnons divins manifestent les diverses qualités. Mais cela peut être dangereux. Socrate, fondateur de l’Éthique, veut libérer l’esprit humain. Il croit en un "daimôn" personnel, une voix intérieure, guidant ses comportements. Accusé de ne pas reconnaitre les dieux de la cité, et condamné à mort, il doit finalement boire la cigüe. Il faut absolument citer ici Platon, né à Athènes, en ~428. Ses concepts basent encore aujourd’hui beaucoup de théories. Il rencontre Socrate et se lance dans la philosophie. Platon croit à la transmigration et à l’éternité des âmes. Il fonde l'Académie et écrit au moins trente-cinq dialogues pour exposer son système qui synthétise les doctrines de Socrate, d’Héraclite, de Parménide, et de Pythagore. Les êtres impermanents et changeants, qui peuplent notre monde visible seraient des copies impermanentes de modèles universels et immuables situés dans un autre Monde, celui des Formes ou des Idées existantes pour et par elles-mêmes. Au sommet de ces Essences, Platon place le Bien, le Beau, le Juste. Les pures Idées ont été aperçues par l’âme, à l’origine. Grâce au vague souvenir, à la réminiscence, qu’elle en a gardé, l’âme éternelle peut reconnaître les pures Idées, même lorsqu’elle est prisonnière d’un corps impur. Et elle désire escalader le ciel pour retourner les contempler

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Les travaux du médecin Aristote ont également marqué fortement les suites de la philosophie classique et la théologie, y compris lors de l'expansion du Christianisme. Né en Macédoine, Aristote fréquenta l'Académie de Platon pendant vingt ans, mais il exprima son désaccord avec sa "Théorie des Idées" et finit par s'en éloigner. Il fut précepteur du jeune Alexandre (le grand) . Revenu à Athènes après sa conquête, il y fonda le Lycée. Il y écrivit de nombreux ouvrages puis s'en fut mourir dans l'île d'Elbée. D'abord adepte des idées platoniciennes, il en devint critique affirmé puis développa un système de pensée dit "Aristotélisme". La philosophie d'Aristote s'intéresse aux causes des choses et à la logique, et, sur ces plans, son travail est considérable. Sur le plan scientifique, Aristote nie l'évolution et affirme l'existence éternelle des genres et des espèce. C'est la théorie du "fixisme". Il affirme que la Terre est le centre de l'univers alors qu'Aristarque de Samos sait déjà que la Terre tourne sur elle-même et qu’elle décrit une orbite autour du Soleil. Aristote professe donc le "géocentrisme". Ses œuvres furent redécouvertes et traduites au Moyen Âge, puis Thomas d'Aquin transforma cette philosophie en doctrine officielle de l'Église Catholique, donnant ainsi naissance à la Scolastique et au Thomisme. Giordano Bruno mourut sur le bûcher en combattant les idées d'Aristote. Galilée renia ses convictions et sauva sa vie, mais il finit prisonnier dans sa propre maison.

Dionysos et l'Orphisme

D'autres courants se font jour en Grèce à cette époque, dont l'Orphisme et le culte de Déméter, le plus ancien des cultes à mystère. Les Éleusinies, les fêtes les plus connues, auraient été institués à l'instigation de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le blé partout dans le Monde. Elles semblent provenir de cultes agraires primitifs modifiés en syncrétisme avec des cultes dionysiaques et l’Orphisme. Elles sont annuellement célébrés dans le Télestrérion d’Éleusis et font participer le fidèle à la résurrection de l’enfant divin revenu de l’empire de la mort. A Éleusis, en Septembre, des cérémonies

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extérieures traditionnelles préparent la célébration des Mystères. Ces préliminaires ont été souvent décrits et nous sont relativement connus. Des reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), sont transportées en procession jusqu’à Athènes et déposées dans un sanctuaire particulier, l’Eleusinion. Une excommunication solennelle est prononcée contre les infidèles et les impurs, puis les mystes, (les candidats jugés dignes), entrent dans la mer pour se purifier. Après quelques jours de retraite et de jeûne, la procession immense des fidèles et des mystes retourne à Éleusis, précédée de l’effigie de Iacchos, des hiéra, et des autorités. Les cérémonies secrètes commencent alors, et nous devons ici avouer notre très grande ignorance car leurs secrets n'ont jamais été révélés.

En raison de la concordance des mythes orphistes et éleusiniens, l'Orphisme s’infiltre dans la religion athénienne, et y annonce les cultes à des Mystères. C’est une religion initiatique à tendance monothéiste marquée. Elle repose sur les philosophies pythagoricienne, platonicienne (puis néo-platonicienne) et rassemble diverses doctrines professant l’immortalité de l’âme et la succession de cycles de réincarnations jusqu’à la purification définitive. Elle a produit de des cosmogonies diverses s'inspirant d'une idée de base commune. Le mythe central de l'Orphisme est celui de la mise à mort de Dionysos par les Titans. On y rencontre les figures connues de la mythologie d'Hésiode, mais les Orphistes ont savamment détourné ces images. La Perséphone orphique est toujours la reine des Enfers, mais elle est ici la mère de Dionysos qui est au centre du mythe. De même l'Orphée d'Eurydice n'est pas l'Orphée des Orphistes qui se placent sous sa protection parce qu'il est revenu des Enfers. La cosmogonie hésiodique partait de la béance primitive (Chaos) pour aboutir à un ordre divin éternel dirigé par Zeus. Les cosmogonies orphiques postulent une unité originelle, d'abord brisée, ensuite virtuellement restaurée sous le règne de Dionysos. Ce thème central de réunification, de reconstitution, ou de réconciliation, relie ces diverses cosmogonies au mythe orphique fondamental de Dionysos.

Dans l'une des cosmogonies, la mère de Dionysos, Sémélé, était mortelle. Aimée de Zeus, elle meurt d’effroi pendant sa grossesse, à la vue de la gloire du dieu. Zeus porte alors l’enfant dans sa cuisse jusqu’à sa naissance. Plus tard, Éros offre l'empire du monde à

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Zagreus, première incarnation de Dionysos. Jaloux et révoltés, les Titans s'emparent de lui et le dévorent. Zeus les foudroie, et de leurs cendres naissent les hommes, gardant en eux une parcelle du dieu dévoré. Dans une autre version, c'est Perséphone qui conçoit Zagréus. Poursuivi par la jalousie de Héra, Zagréus revêt plusieurs apparences. Sous la forme d'un taureau, il est dévoré par les Titans, mais la déesse Pallas réussit à préserver son cœur. Zeus foudroie les Titans et absorbe le cœur de son fils qui, régénéré, devient Iacchos, identifié à Dionysos. Perséphone interdit alors que l'homme gagne un jour le monde divin, le condamnant à errer sur Terre de vie en vie, en oubliant son origine divine. Une partie des cendres des Titans a donné aux hommes la capacité de faire le mal, mais l'autre moitié, porteuse de la divinité de Dionysos, leur confère une étincelle d'amour. L'Orphisme professe donc que l'homme a deux parts en lui, l'une proprement divine, dont le souvenir permet d'accéder de nouveau au monde divin, et l'autre d'audace, de révolte et de liberté, héritée des Titans, qui lui permet de braver l'ordre établi.

L'Orphisme propose aux fidèles des rites mystiques, des suites d’initiations, et des règles ascétiques de vie. Les adeptes sont opposés à toute violence. Végétariens, ils ne consomment aucune chair. Á travers sa double naissance, mortelle par sa mère et divine par son père, Dionysos apporte l’énergie sacrée à la nature ordinaire. Chaque année, il entre en cortège dans la cité grecque qui l’accueille avec des fêtes bruyantes et colorées. Il se manifeste différemment dans les Mystères extatiques accessibles aux seuls initiés. Les diverses légendes concordent. Dionysos ressuscité est ainsi né deux fois, ce qui est aussi son nom. Les hommes naissent des cendres des Titans foudroyés. Leur nature est donc animale et matérielle, mais ils recèlent en leur âme une parcelle du Dieu dévoré. Dans le système théogonique des adeptes d’Orphée, six générations divines se succèdent en bouclant sur elles-mêmes. Phanés, (la Lumière originelle), Fils de Zeus et de Métis, est le premier roi des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus, (prononcé Deus par les Romains et par nous-mêmes). Celui-ci remet enfin son pouvoir au fils, deux fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatologique de Phanés, le Lumineux des origines. Au delà de ses aspects cycliques, l'Orphisme propose un mythe

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universel de salut permettant au fidèle de sauver son âme divine. En cela, il annonce le Gnosticisme.

Alexandre et la Grèce hellénistique

Les guerres entre Athènes et Sparte donnent finalement la victoire à Sparte, mais elles affaiblissent la puissance grecque. Á l'Ouest, les colonies lointaines tentent de se révolter au profit des Carthaginois. Á l'Est, les Perses essayent de conquérir la Grèce et en ravagent les provinces. Ce sont finalement les Athéniens qui sauvent la situation, mais les Grecs restent fort divisés et très affaiblis. Un semi-barbare, riche et ambitieux, Philippe II, règne sur la Macédoine, un royaume puissant aux frontières de la Grèce. Il intrigue et intervient dans ses affaires, entreprend sa conquête et en est finalement vainqueur à Chéronée. Maître de la Grèce, Philippe tente de la réorganiser et de la réunifier en la fédérant dans la "Ligue de Corinthe". Le monde grec est profondément transformé mais il reste sujet à de profondes dissensions . Le véritable projet de Philippe est très ambitieux. Il projette d'utilises les forces des Grecs et leur flotte pour mener une grande guerre contre les Perses, mais il est assassiné en ~336. Son fils va reprendre ce grand projet. Alexandre dit le Grand, établit un immense empire comprenant la Grèce, l’Égypte, et l’Asie occidentale jusqu’à l’Indus. Il fonde Alexandrie, Antioche, Pergame et 70 autres villes. Après sa mort, son empire est partagé entre ses lieutenants. Cela entraîne la formation de divers royaumes, l’Égypte des Lagides, la Syrie des Séleucides, la Macédoine, la Grèce des Antigonides, le Royaume du Pont, le Royaume de Pergame des Attalides. La culture grecque est fortement modifiée. Les influences des philosophes et celle des savants deviennent encore plus importantes. L’Hellénisme naît alors de la rencontre du classicisme grec et des civilisations orientales.

Les divisions qui ont tant affaibli la Grèce perdurent après la mort d'Alexandre, et la tutelle macédonienne se maintient donc. Pourtant, le prestige de la civilisation grecque diffuse dans les pays de Méditerranée orientale, partagés entre ses généraux. Mais la Grèce

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n'est plus le centre principal des expressions de sa culture. Les influences macédoniennes et surtout égyptiennes s'y sont substituées dans ce que l'on appelle la période hellénistique. Le centre de l'hellénisme se déplace vers l'Alexandrie des Ptolémée qui devient l'animatrice de cette unité culturelle. Les philosophes répandent leurs idées, et les artistes, leurs créations. Au contact des peuples orientaux, la religion grecque évolue énormément. Les vieux dieux grecs sont "fossilisés" et leurs mythes se figent dans une forme littéraire. Á l'âge hellénistique, le seul Asclépios reste vénéré en tant que dieu de la médecine et de la guérison. Le vide laissé par la disparition des dieux fait place à de nouvelles divinités importées de l'Orient. L’Orphisme, le Néoplatonisme, le Gnosticisme et les Cultes à Mystères apparaissent. En ~200, les Romains arrivent et Flamininus (Titus Quinctius Flamininus) vainc Philippe V de Macédoine en ~197. La Grèce devient romaine en ~146. Athènes est prise par Sylla, et l’Égypte ptolémaïque, soumise par Octave. Les civilisations hellénistique et romaine s’influencent fortement jusqu’à se confondre. Le poète latin Ennius (vers 185 av. J.-C.) assimile les douze divinités olympiennes à douze dieux latins sans que le culte retrouve la vigueur des débuts de la religion grecque. Les pratiques religieuses grecques avaient une forte dimension collective et surtout civique. Elles vont devenir un comportement privé.

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Alexandre était un grand stratège qui ambitionnait de conquérir l'ensemble du Monde connu. Ses victoires ont souvent été associées à la mise en œuvre de la Phalange, formation groupée et très serrée de fantassins, établie sur plusieurs rangs. Les guerriers étaient munis de lances de longueur croissante de façon à former un hérisson opérationnel, véritable char d'assaut qui enfonçait sans difficulté les lignes ennemies. Il organisait soigneusement ses campagnes qu'il menait avec une grande dureté, souvent même avec cruauté. Il prévoyait l'approvisionnement de ses troupes et aménageait aussi l'aspect politique en nommant des satrapes pour gouverner les territoires conquis et en faisant montre de générosité. Un légende le disait fils de Zeus, et non pas de Philippe. Appelé Fils d'Amon (assimilé à Zeus), lors de la conquête de l'Égypte, il y fut accueilli en libérateur et se fit proclamer Pharaon à Memphis en ~332. Il fonda alors la grande Alexandrie avant de reprendre ses conquêtes. Après sa mort, ses principaux généraux, les "Diadoques", se partagèrent son empire. Ptolémée Lagos, avec l'aide de son frère Pausanias, s'empara de l'Égypte, en devint pharaon et fonda la dynastie des Lagides sous le nom de Ptolémée 1er Sôter. Les contacts entre les deux civilisations étaient traditionnellement soutenus. Les Lagides ont effectué une synthèse progressive entre les panthéons grecs et égyptiens en assimilant leurs dieux respectifs à partir de leurs attributions approchées. On vit alors apparaître des divinités hybrides combinant les deux aspects, parfois même des divinités nouvelles.

Les dieux des Grecs ont disparu, mais ces hommes des temps anciens nous ont laissé de précieux biens. Notre société est fondée sur les héritages de leurs philosophies, en particulier sur la pensée de Platon et celle d'Aristote. Mais nous devons aussi retenir que les Grecs ont également posé les bases de toute démocratie, à savoir les idées de l'égalité entre tous les hommes, (encore un peu hiérarchisée chez eux), celle de la justice égalitaire, celle du gouvernement par le peuple et pour le bien commun, et celle d'un universalisme conceptuel qui étend au monde entier, la "cosmopolis", les frontières de la cité humaine, partagée par tous, les esclaves comme les hommes libres.

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CHAPITRE 3 – Les enseignements d’Hermès Trismégiste

Au 4ème siècle avant J. C. en ~338, un semi-barbare, Philippe II de Macédoine, développa un puissant appareil militaire et se rendit maître de la Grèce. Son fils, Alexandre dit le Grand, conquit un immense empire allant jusqu'à l'Indus. Accueilli comme un libérateur en Égypte, Alexandre se fit reconnaître fils d'Amon, devint Pharaon et y fonda la ville d'Alexandrie. Le pouvoir passa ensuite à l'un de ses généraux, Ptolémée 1er, fondateur de la dynastie des Lagides. Deux des plus anciennes civilisations du Monde mêlèrent alors leurs cultures, leurs mœurs et même leurs cultes. L'Hermès grec, messager des dieux, fut alors identifié à Thot, le dieu égyptien du savoir. Cette divine figure syncrétique nous est parvenue sous l'appellation plus tardive d'Hermès Trismégiste, "Hermès, le trois fois grand". De nombreux textes lui ont été attribués dont les fameux "Écrits Hermétiques". Ils émanent manifestement de plusieurs auteurs et leurs contenus peuvent donc différer. Aucune synthèse n'est ici tentée entre ceux que nous préférons présenter avec leurs différences.

Hermès, Thot, et le Caducée

Alexandre dit le Grand établit un immense empire comprenant la Grèce, l’Égypte, et l’Asie occidentale jusqu’à l’Indus. Il fonda Alexandrie, Antioche, Pergame et 70 autres villes comptoirs. Après sa mort, son empire fut démantelé et partagé entre ses généraux. Divers royaumes furent alors formés dont la Syrie des Séleucides, la Macédoine et la Grèce des Antigonides, le royaume du Pont, le royaume de Pergame des Attalides et, en particulier, l’Égypte des Lagides. Pendant les périodes grecques et romaine, ces Lagides étrangers au tragique destin ont intelligemment gouverné l’Égypte. Ils ont fait apparaître des cultes syncrétiques tendant à réaliser des

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synthèses entre les dieux grecs et les équivalents égyptiens, ainsi que des Cultes à Mystères importés de Grèce. Ptolémée 1er introduisit le culte de Sérapis qui fut lié à ceux d’Apis, le Taureau solaire, et de Ptah, puis fusionna avec celui d’Osiris. On en fit même un Dieu suprême sous le nom de Zeus-Sérapis. Et Thot, l’Ibis, le Babouin, le dieu intellectuel, fut identifié au dieu grec Hermès puis au dieu romain Mercure, sous le nom d’Hermès Trismégiste. (Il fut aussi associé à Anubis et s’appela alors Hermanubis).

Le dieu égyptien Thot, ou Djéhuti, était qualifié d'inventeur de l’écriture, seigneur des sages, maître du culte de la magie et des savoirs cachés. C'est de lui que les hommes auraient reçu les hiéroglyphes donnant accès à la sagesse. Patron des scribes, gardien des rituels, des savoirs magiques ou sacrés, et maître des paroles divines, Thot était une figure majeure du panthéon égyptien. Son sanctuaire principal se situait à Hermopolis, en Haute Egypte, mais on le révérait aussi à Thèbes et à Héliopolis. Il fut souvent représenté sous la forme d'un babouin, d'un ibis noir ou blanc, ou d'un humain avec une tête d'ibis. Ce dieu lunaire personnifiait la lune elle-même. Seigneur du temps et des calculs, il était en charge des mathématiques, du calendrier, de la médecine et de l'astronomie. Il était aidé par Seshat, son épouse, la maîtresse des livres, qui gérait les archives et rédigeait les chroniques des rois du temple d'Héliopolis. Thot conduisait aussi les âmes des défunts vers le tribunal infernal et vérifiait la justesse de la balance du tribunal d'Osiris, lors de la pesée des âmes. Et, à la Basse Epoque, Thot devint un symbole cosmique universel, Hermès Trismégiste.

Le dieu égyptien Thot, ou Djéhuti, était qualifié d'inventeur de l’écriture, seigneur des sages, maître du culte de la magie et des savoirs cachés. C'est de lui que les hommes auraient reçu les hiéroglyphes donnant accès à la sagesse. Patron des scribes, gardien des rituels, des savoirs magiques ou sacrés, et maître des paroles divines, Thot était une figure majeure du panthéon égyptien. Son sanctuaire principal se situait à Hermopolis, en Haute Egypte, mais on le révérait aussi à Thèbes et à Héliopolis. Il fut souvent représenté sous la forme d'un babouin, d'un ibis noir ou blanc, ou d'un humain avec une tête d'ibis. Ce dieu lunaire personnifiait la lune elle-même. Seigneur du temps et des calculs, il était en charge des

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mathématiques, du calendrier, de la médecine et de l'astronomie. Il était aidé par Seshat, son épouse, la maîtresse des livres, qui gérait les archives et rédigeait les chroniques des rois du temple d'Héliopolis. Thot conduisait aussi les âmes des défunts vers le tribunal infernal et vérifiait la justesse de la balance du tribunal d'Osiris, lors de la pesée des âmes. Et, à la Basse Epoque, Thot devint un symbole cosmique universel, Hermès Trismégiste.

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Hermès Trismégiste, personnalité religieuse remarquable, naquit de la synthèse des deux symboles divins. L’Hermès grec, inventeur de l'alphabet, messager des dieux, est le "psychopompe", guidant les âmes dans l’autre monde, et le Thot égyptien, inventeur de l’écriture, maître des cultes et de la magie, conduit aussi l’âme des défunts vers le tribunal infernal. L'attribut "Trismégiste" évoque les trois manifestations successives d''Hermès. Il aurait d'abord vécu pour inventer l'astronomie et la cosmogonie. Il se serait réincarné pour patronner la philosophie et la médecine, puis encore pour révéler l'idée du macrocosme microcosme, la similitude du cosmos et de l'homme. La théorie débouche sur le grand œuvre des Alchimistes, la transformation physique et mentale personnelle préludant à la connaissance universelle. Elle est la base de "l'hermétisme" en général, ainsi que de "l'herméneutique" (recherche de compréhension profonde des textes religieux et théorie générale de la connaissance). Plusieurs recueils sont attribués au Trismégiste, dont le célèbre et ésotérique Corpus Herméticum dont on aurait retrouvé des fragments à Nag Hammani.

Le caducée est un symbole très ancien. Le mot proviendrait du sanskrit Kàrù (chanteur ou poète) repris en grec avec la signification héraut ou envoyé, d'où cette attribution à Hermès. Dans les antiques représentations, les serpents du caducée ne se croisent qu'une fois, et les ailettes sont en bas. Apollon aurait donné un autre caducée à son fils Esculape (Asclépios), un encombrant accessoire enroulé d'un seul serpent. Avec le temps, les Hermétistes et autres Ésotéristes ont approprié le symbole, comme support pratique. Car le caducée d'Hermès comporte un axe vertical autour duquel s'enroulent deux spirales entrelacées. Il peut ainsi imager la structure occulte du corps humain. L'axe figurerait le canal vertébral contenant la moelle épinière jusqu'au cerveau. L'énergie mentale, dite kundalini, s'y élèverait directement de bas en haut en traversant une série de nœuds vitaux appelés chakras. Les serpents enroulés représenteraient deux canaux énergétiques complémentaires, positifs et négatifs, masculin ou féminin, ou liés au Soleil et à la Lune. À chaque croisement, s'opèrerait le passage de l'un à l'autre, et inversement. Beaucoup d'interprétations ont été proposées.

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Les écrits hermétiques 1 - Korê Kosmou - Le Livre sacré

(la Vierge du Monde ou l'Œil du Monde)

Depuis le 2ème siècle, de très nombreux écrits ont été attribués à Hermès Trismégiste. Leur véritable origine est inconnue. Ils nous sont surtout parvenus en grec, mais aussi en latin, en copte, en syriaque, et même en arabe. Tous se présentent comme de prétendues traductions depuis la langue sacrée (et secrète) égyptienne, sans qu'aucun original n'ait été découvert. Les auteurs sont manifestement multiples, et il s'agit toujours de révélations prétendument d'origine divine, d'Hermès en particulier, d'où l'appellation courante d'écrits hermétiques. Il est généralement admis qu'un milieu déterminé les a produit en grande quantité pendant une longue période. Ce pourrait être l'œuvre de la classe sacerdotale égyptienne, gardienne des traditions, répondant aux acculturations répétées, grecque, romaine, chrétienne, puis musulmane. Ces écrits diversifiés contiennent des traités astrologiques ou magiques, des exposés philosophiques et cosmogoniques, des enseignements et des instructions à caractère religieux ou médical. On y trouve aussi les fondements de l'alchimie.

La variété des sujets traités peut surprendre un occidental actuel. Á l'époque, ces différentes disciplines étaient généralement confondues dans une commune approche culturelle. Même habitant l'Olympe, les dieux grecs naissaient et vivaient sur Terre, et ils intervenaient souvent dans les affaires humaines. Hermès apparaissait logiquement comme un intercesseur divin. Les chercheurs antiques ne distinguaient pas clairement la matière inerte de la vivante, et ils attribuaient des qualités analogues aux deux natures. Dans sa dimension matérielle, le travail alchimique pouvait alors paraître raisonnable. Les idées platoniciennes et les connotations iraniennes et bibliques ont également marqué ces écrits. Dans leur actuelle présentation, on les sépare commodément en deux groupes pour en faciliter l'étude. Un premier ensemble réunit tous les textes ésotériques, philosophiques ou religieux. C'est ici que l'on trouvera les dix-huit traités du "Corpus Hermeticum", et "Asclépius". Un

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second objet d'étude rassemble les textes alchimiques comme la très célèbre "Table d'Émeraude".

Nous évoquerons d'abord un premier traité dont les fragments en grec sont essentiellement issus de la collection constituée au 5e siècle. Comme la plupart des écrits hermétiques reconstitués, il n'est pas complet. Le début et la fin du texte manquent. D'inspiration égyptienne, il réunit plusieurs parties assez hétérogènes. Ce texte capital est habituellement connu sous l'appellation de "Korê Kosmou", (ou Minerva Mundi en latin), dont la meilleure traduction paraît être la "Vierge du Monde". Dans cette cosmogonie, la déesse égyptienne Isis révèle à son fils Horus ce qu'a été le rôle d'Hermès dans la genèse du Monde et des dieux, la création des âmes, la naissance du Zodiaque et des astres, l'origine des êtres vivants, la faute des âmes et leur incorporation dans le corps des hommes, la formation de la Terre, les crimes des humains et la promesse d'un renouveau. Plusieurs rédacteurs ont manifestement ouvré à la constitution de ce traité métaphysique dont le sujet demeure néanmoins globalement cohérent malgré l'insertion de plusieurs importantes digressions

Voici un court extrait de la genèse du Monde dans Koré Kosmou

../.. Dieu sourit et dit "Que la Nature soit !",

et un objet féminin de toute beauté jaillit de sa voix,

ce qu'ayant vu, les dieux furent saisis de stupeur.

Le Dieu Premier Père, l'honora du nom de Nature,

et lui ordonna d'être féconde. Voici encore les mots qu'il prononça

en fixant du regard l'espace

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environnant. "Que le ciel soit rempli de toutes

choses, et l'air ainsi que l'éther !".

Dieu dit, et cela fut. Or, s'étant consultée elle-même,

Nature connut qu'elle ne devait pas désobéir

au commandement de son père, et, s'étant unie à Labeur,

elle enfanta une fille belle qu'elle nomma "Invention"../..

Au commencement, dit Isis, l'Ignorance régnait sur le Monde. L'Artisan de l'Univers décida de se révéler tel qu'il est. Il inspira aux dieux un élan d'amour et déversa généreusement sa lumière dans leurs intelligences. Le dieu Hermès, ayant compris ces choses, les grava et cacha la gravure, puis il remonta vers les astres, laissant pour successeurs Thot et Asclépios. Cédant à la prière des dieux, le Dieu Roi créa la Nature et lui ordonna d'être féconde. Puis il prit de son propre fond suffisamment de souffle qu'il unit à du feu et à d'autres substances inconnues. Le mélange entra en ébullition, et de sa vapeur invisible, Dieu fit naître des myriades d'âmes éternelles, et leur ordonna de lui être soumises. De la mousse du mélange, il forma les signes du Zodiaque (et les astres), puis il abandonna le reste du mélange aux âmes pour qu'elles en créent le peuplement du Monde. De la croûte légère, elles modelèrent la race des oiseaux, puis de la pâte épaissie, les poissons et quadrupèdes, et du fond refroidi, les reptiles. Puis elles s'enhardirent, transgressant audacieusement les commandements.

Pour punir les âmes, Dieu décida de créer l'humanité. Il demanda aux dieux célestes de doter la race nouvelle. Le Soleil promit de resplendir davantage. la Lune proposa Terreur, Silence, Sommeil et Mémoire. Kronos apporta Justice et Nécessité. Zeus donna Fortune,

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Espérance et Paix. Arès disposait de Lutte, Colère et Querelle. Aphrodite offrit Désir, Rire et Volupté. Hermès y joignit Sagesse, Tempérance, Persuasion et Vérité. Il promit d'ajuster l'influence des astres aux forces de chacun. Le Maître s'en réjouit, ordonnant que la race humaine vint au jour. Hermès ajouta beaucoup d'eau au reste desséché de la mixture pour en affaiblir la puissance, et le Monarque ordonna que les âmes fussent incorporées dans l'ouvrage. Au moment d'entrer dans la prison des corps, elles pleuraient et suppliaient. Et le Maître dit. "C'est l'Amour, ô Âmes, et la Nécessité qui régneront sur vous. Si vous me servez sans péché, vous habiterez le ciel, si vous méritez le blâme, vous retournerez en la vie humaine, et si vous commettez de grandes fautes, vous errerez sans fin dans des corps animaux".

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Le ciel égyptien aux nombreux cercles, dit Isis, domine sur toutes les choses du monde inférieur, et l'harmonie du bas doit répondre à l'éternelle beauté du haut. (Ce qui est en bas doit s'accorder à qui est en haut). Dans leur châtiment, les âmes incarnées demeuraient turbulentes, perturbant l'ordre universel. Leurs comportements provoquèrent la colère des "Éléments" qui se plaignirent au "Monarque". Le Feu demanda que des lois soient conférées à la race humaine car il ne pouvait plus tolérer tous ses crimes. l'Air se plaignit d'avoir à supporter ces funestes spectacles et d'être empuanti par l'odeur de la mort. L'Eau ne voulait plus être à ce point souillée. La Terre n'en pouvait plus de digérer les cadavres des guerres innombrables. "Allez votre chemin sans abandonner mon univers", répondit le divin Maître, "Voici que parmi vous, j'épands un second effluve qui paiera son salaire à chaque homme". Il convenait donc que nous mettions en œuvre les médiateurs et moyens de salut nécessaires. Lorsque cela sera accompli, cher enfant, Osiris et moi retournerons vers les habitants du ciel../..

Les écrits hermétiques 2 - Poïmandrès - (le

Pimandre ou Pymandre)

Poïmandrès, (le Pimandre ou Pymandre) est le premier traité du Corpus Hermeticum. Ce titre grec paraît intraduisible. Poïmandrès semble personnifier la révélation religieuse. Dans ce long dialogue, il révèle à Hermès tous les secrets de la création. Hermès méditait lorsque Poïmandrès apparut et déclara être le Noûs, l'archétype de la Souveraineté absolue. Le Noûs, dit-il, est le Dieu Père, et ce qui regarde et entend en toi, c'est le Verbe. C'est leur union qui est la Vie. Le Volonté divine, ayant reçu en elle le Verbe et ayant vu l'Archétype du Monde, façonna les éléments du Monde. Le Noûs, étant Mâle et Femelle, existant comme Vie et Lumière, enfanta un Démiurge, (Noûs Second), qui façonna les sept Gouverneurs, (les planètes astrologiques), régisseurs du Destin. Et le Verbe de Dieu,

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s'unissant au Démiurge, les mit en rotation. Puis, selon le vouloir du Noûs, le mouvement des Éléments produisit tous les animaux sans raison, les oiseaux sortant de l'Air, les poissons issus de l'Eau, les quadrupèdes et les reptiles provenant de la Terre.

Or le Noûs, Père de tous, étant Vie et Lumière, enfanta un Homme semblable à lui, dont il s’éprit comme de son propre enfant. Car l’Homme était très beau, reproduisant l’image de son Père. Dieu l'aimant, lui livra toutes ses œuvres, et l'Homme qui avait plein pouvoir sur le monde des mortels et les animaux sans raison, voulut réaliser sa propre création. Il se pencha à travers l’armature des sphères, et il fit montre à la Nature d’en bas de la belle forme de Dieu. La Nature sourit d’amour car elle avait vu les traits de cette forme merveilleusement belle de l’Homme se refléter dans l’eau, et son ombre sur la terre. Pour lui, ayant perçu cette forme à lui semblable présente dans la nature et reflétée dans l’eau, il l’aima et voulut habiter là. Ce qu’il voulut dans son destin, il l’accomplit, et il vint habiter la forme sans raison. Alors la Nature, ayant reçu en elle son aimé, l’enlaça toute et ils s’unirent car ils brûlaient d’amour. Voilà pourquoi, seul de tous les êtres, l’Homme est double, mortel de par le corps, immortel de par l’Homme essentiel.

Et Poïmandrès livra à Hermès le mystère caché jusqu'alors. Lorsqu'il s'unit à Nature, l'Homme originel avait en lui la force des Gouverneurs, issus du feu et du souffle divins. Et la Nature enfanta sur l'heure sept hommes androgynes se tenant debout. La terre en fut l'élément femelle et l'eau l'élément générateur, le feu conduisit la maturation et l'éther procura le souffle vital. Á la fin de la période, de Vie et Lumière qu'il était, l'Homme se changea en Âme et en Intellect. Et tous les vivants, à la fois mâles et femelles, tout comme l'Homme, furent séparés, les mâles d'une part et les femelles de l'autre. Dieu dit, " Croissez et multipliez-vous tous. Que celui qui a l'intellect se reconnaisse lui même comme immortel, et qu'il sache que la cause de la mort est l'amour. Car celui qui chérit le corps issu de l'amour demeure dans l'Obscurité de sa nature humide, là où s'abreuve la mort. Lumière et Vie, voilà ce qu'est le Dieu et Père de qui naquit l'Homme. Si donc, tu te reconnais comme étant fait de Vie et de Lumière, tu retourneras à la vie.

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Moi, le Noûs, je me tiens auprès de ceux qui sont saints, bons, purs et miséricordieux, car avant d'abandonner leurs corps à la mort qui leur est propre, ils ont détestation de leurs sens. Et pour les mauvais, les cupides, les meurtriers, je laisse la place au démon vengeur qui excitera sans fin leurs désirs sans les satisfaire. Quant à la remontée, sache que le corps matériel et le moi habituel sont livrés à l'altération. Les sens corporels remontent à leurs sources, et les colères et les compulsions retournent à la nature privée de raison. L'Homme s'élève alors à travers l'armature des sphères, abandonnant les ambitions, la malice, les illusions des désirs, l'impiété et la présomption, l'appétit de richesse et les mensonges. Libre, et avec sa seule puissance, il entre dans la nature de "Ogdoade" qui est dans la huitième sphère, celle des étoiles fixes, où règne le Noûs, par dessus les sept sens. Devenu Puissance, l'Homme entre en Dieu avec toutes les autres Puissances. Car la fin bienheureuse de ceux qui possèdent la connaissance, c'est devenir Dieu.

Les écrits hermétiques 3 - Asclépius - (Esculape - Imhotep)

Asclépius est un écrit hermétique dont on a trouvé des fragments à Nag-ammadi. C'est la traduction latine du Telios logos, le traité parfait, texte en grec qui semble perdu. Ce recueil rassemble plusieurs sections conceptuellement distinctes. Hermès s'y adresse à Asclépius, devant Tat et Ammon, (mal identifiés). L'introduction traite de l'Unicité de Dieu. Toutes choses dépendent d'un seul, et ce UN est Tout puisque toute chose existait dans le Créateur avant sa création. La divinité est un fleuve impétueux se déversant de haut en bas. Le "Ciel" gouverne tous les corps, mais il est gouverné par Dieu, comme l'âme. Chez les Néoplatoniciens, les configurations astrologiques déterminent les destins terrestres. Toutes les âmes sont immortelles mais elles ne reçoivent pas l'effluve divin de la même façon. La Nature détermine différemment les propriétés des genres au moyen des quatre éléments. Les genres soit immortels, tous les

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individus ne le sont pas. Ainsi le genre des dieux produit des immortels, et le genre des hommes produit des mortels.

L'homme est une grande merveille. Privilégié dans sa nature, il est uni aux dieux par sa partie divine, et il peut mépriser la partie terrestre de son être. Il peut aimer les inférieurs et être aimé de ceux qui le dominent. Parmi tous les genres d'êtres qui sont pourvus d'une âme, certains ont des racines qui poussent vers le haut, et d'autres, vers le bas. Certains se nourrissent d'aliments d'une seule sorte, et d'autres, de deux sortes. Car il y a des aliments pour l'âme et d'autres pour le corps, les deux parties qui composent les vivants. Le souffle divin les anime tous. Seul l'homme reçoit en plus l'Intellect venant de l'Éther, afin qu'il ait connaissance du plan divin, mais tous les hommes ne l'atteignent pas. Seul parmi les vivants, l'homme est double. Sa partie essentielle est simple, formée à la ressemblance de Dieu. Sa part terrestre matérielle est quadruple. D'elle que provient le corps qui enveloppe la partie essentielle. Il est comme un abri où repose, seule avec soi même et avec ses sens d'esprit, la pure divinité intérieure.

Quand le Créateur eut fait le Dieu sensible et visible, second après lui, (désigne tantôt le Soleil, tantôt le Monde), il le trouva beau et l'aima comme son enfant. Il voulut qu'il existât un autre être pour le contempler, et créa l'Homme essentiel à cette fin. Il lui donna ensuite un corps pour domicile, le composant convenablement des deux natures, éternelle et mortelle. Ainsi l'homme peut prendre soin de toutes choses, adorer les célestes et gouverner les terrestres. Parmi tous les vivants, divins et mortels, seul l'Homme admire et révère les êtres célestes. Dans la hiérarchie des vivants, Dieu est le premier, le Monde est le second, et l'Homme est le troisième. Quand l'homme se connaît, il connait aussi le Monde et révère Dieu, car Dieu a deux images, la première est le Monde, et la seconde est l'Homme. La première règle de la vie de l'homme, c'est la piété, ce qui implique la bonté. La seconde règle est le mépris des objets étrangers au divin. Ils ne sont que réponses aux appétits du corps, impliquant donc grand dédain pour leur source mortelle.

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Á l'origine, il y a Dieu et Hylé (la matière). Le Souffle (Pneuma-l'Esprit) était dans la matière, mais non pas comme étaient en Dieu les principes du Monde. Dieu éternel ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. La nature de Dieu est toute entière issue d'elle même. Quant à Hylé et au Souffle, bien qu'ils soient inengendrés, ils ont le pouvoir de naître et d'engendrer. La nature même de la matière inengendrée est d'être capable d'engendrer. Et si la matière peut enfanter, elle peut aussi enfanter le Mal. Le Dieu suprême s'est prémuni contre le Mal en gratifiant les âmes humaines d'intellect, de science, et d'entendement. Par ces facultés, nous pouvons échapper aux ruses et aux corruptions du mal, car toute science humaine a son fondement dans la souveraine bonté de Dieu. Quant au Souffle, il procure et entretient la vie dans tous les êtres du monde lequel obéit comme un instrument à la volonté du Dieu suprême. C'est du Souffle que Dieu remplit toutes choses, l'insufflant en chacune d'entre elles selon la mesure de sa capacité naturelle. La substance de toutes les formes sensibles du Monde, c'est la matière. Mais l'intellect est un don céleste fait aux seuls hommes dont l'âme est apte à le recevoir. L'intellect illumine l'âme humaine comme le Soleil éclaire les jours, et se mêlant à elle, il la défait de l'erreur. Hermès veut révéler de grands secrets, disant qu'il y a de nombreux dieux dont certains sont accessibles aux sens, et d'autres à la seule intelligence. Ces dieux seulement intelligibles sont les maîtres des espèces. Ils dominent sur les dieux visibles (les planètes) qui régissent les êtres naturels. Le grand maître du Ciel est le Soleil, (appelé ici Juppiter), qui dispense la lumière. Les trente-six astres fixes, (Horoscopes ou Décans), dépendent du dieu Pantomorphe qui impose leurs formes aux individus, et les Sept Sphères obéissent à l'Heimarménè, qui est le destin. Les choses mortelles sont liées aux immortelles, et les visibles aux invisibles. Mais tous les êtres dépendent et découlent de la volonté du UN suprême. Et donc, en lui, ils sont unifiés en un seul couple.

Dieu n'a pas de nom, ou les a tous, étant à lui seul toutes choses. Il est infiniment rempli de la fécondité des deux sexes, enfantant tout ce qu'il veut créer, et sa volonté toute entière est bonté. C'est la nature des êtres de sentir et d'engendrer, car le Monde doit conserver toutes les races venues à l'être. Le mystère éternel de reproduction a

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donc été accordé à tous, avec ce qu'il comporte de joie, de désir et d'amour, don de Dieu, union de la vigueur virile à la douceur féminine. Les êtres se succèdent dans les espèces et le Monde demeure lui-même toujours en vie, dans le passé, dans le présent, dans l'avenir. Chacune des parties du Monde est donc toujours en vie, selon son être, dans l'éternité, et il ne reste aucune place pour la mort. Dès lors, le Soleil gouverne éternellement les choses capables de vivre, et Dieu leur dispense éternellement la vie même. L'éternité immobile de la vie est le lieu où se meut le Monde dans le cours éternel du temps. Ainsi, Dieu et l'Eternité sont les causes premières de tout ce qui existe dans la mobilité du Monde.

Voici un court extrait de la fin du recueil d'Asclépius

Étant sortis du sanctuaire, nous commençâmes à prier Dieu

en nous tournant, comme il convient, dans la direction du Soleil,

et je proposai d'accompagner d'encens notre prière.

Mais Hermès intervint. Silence, Asclépius ! C’est une sorte de sacrilège, quand on prie

Dieu, de brûler de l’encens et tout le reste.

Car rien ne manque à celui qui est lui-même toutes choses, ou en qui sont toutes choses. Nous rendîmes alors grâce pour la lumière

reçue, pour l'intellect, la raison et la connaissance,

et priâmes Dieu qu'il nous

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maintienne toujours en cet état.

Et avec ces vœux, nous prîmes un repas très pur

que ne souillait nul aliment ayant eut vie sous le Soleil.

(Hermès Trismegiste - Asclépios - Imouthès).

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L'intellect divin total, à l'image de la divinité, est incorruptible et saint. Il est l'éternité du Dieu suprême qui se tient dans la vérité absolue, infiniment rempli de toutes les formes sensibles et de l'ordre universel. L'intellect second, plus limité, du Monde, contient toutes les formes et tous les ordres particuliers. L'intellect tiers de l'Homme découle de son pouvoir de garder en mémoire le souvenir des expériences passées. La descente de l'intellect dans la création s'arrête à l'animal humain. Par la mémoire, l'Homme acquiert la connaissance des choses observées et monte ainsi vers l'intellect second, mais le caractère de l'intellect divin véritable lui demeure à jamais mystérieux. Cependant, l'intellect du Monde s'élève à la connaissance de l'éternité de Dieu. C'est par ce moyen que les hommes peuvent entrevoir les choses du ciel. Ainsi pouvons-nous comprendre qu'il n'y a pas d'espace vide, car toutes les parties du Monde sont absolument pleines de formes variées, sensibles ou intelligibles, toujours changeantes dans la révolution du cercle du temps.

Dieu a créé les dieux du Ciel, et l'Homme est l'auteur des dieux des temples. Ayant reçu la lumière de vie, il a désiré en doter des dieux terrestres. Mais les images de dieux façonnées par l'Homme sont formées des deux natures distinctes, matérielle et divine. Incapable de créer des âmes, l'Homme a rituellement capturé celles d'anges ou de démons qu'il a introduites dans ces images. Il en résulte que ces idoles peuvent faire le Bien ou le Mal. Elles sont facilement irritées, mais peuvent être secourables. Car l'Homme redoute la mort et la souffrance. La mort est le résultat de la dissolution du corps quand il cesse de pouvoir supporter les charges de l'âme humaine. Quand l'âme se retire du corps, elle passe sous la domination de Génie suprême qui la met en jugement. Si elle s'est montrée pieuse et juste, elle peut gagner le séjour qui lui revient. Si elle est marquée par le péché et souillée par les vices, elle est précipitée dans les lieux inférieurs où elle subira un châtiment en proportion de ses mérites, car la divinité connaît tous nos actes.

Les écrits hermétiques 4 - Discours d'Asclépius au Roi Ammon

(Du Soleil et des Démons)

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Condensé inspiré par

"ÉTUDE SUR L'ORIGINE DES LIVRES HERMÉTIQUES" PAR LOUIS MÉNARD

Je t'adresse, ô roi, un grand discours qui résume tous les autres. Hermès mon maître, disait que l'on croit trouver en mes livres une doctrine simple et claire, tandis que, au contraire, elle est obscure et contient un sens caché. Elle est devenue plus obscure encore depuis que les Grecs ont voulu la traduire dans leur langue. Ô roi, fais que ce discours ne soit point traduit, de peur que ces mystères ne pénètrent chez les Grecs, et que leurs phrases surchargées d'ornements n'en amoindrissent la gravité. Leur philosophie, ô roi, est un bruit de paroles, tandis que nous employons la grande voix des choses. J'invoquerai d'abord le Dieu maître de l'univers, créateur et père, qui enveloppe tout, qui est tout dans un et un dans tout. (Remarquez la conviction délibérément panthéiste exprimée dans ce propos, Dieu est tout et dans tout). La plénitude de toutes choses est l'unité. On distingue donc vainement le Tout et l'Unité en appelant "Tout" la seule multitude des choses et non leur plénitude. Le "Tout" n'existe plus si on le sépare de "l’Unité". Si l'unité existe, elle est dans la totalité. Or, elle existe et ne cesse jamais d'être une dans la plénitude. Conserve cette pensée, ô roi, pendant tout l'exposé de mon discours.

Ainsi voit-t-on dans l'intérieur des terres des sources jaillissantes d'eau et de feu, ces trois natures (du feu, de l'eau et de la terre) partant d'une commune racine. Cela montre que la matière fournit tout en abondance en recevant l'existence d'en haut. Car le ciel et la terre sont menés par leur gouverneur, le Soleil, qui fait descendre l'essence et monter la matière. Attirant le Monde à lui, il donne tout à tous et prodigue les bienfaits de sa lumière. Il répand ses bienfaisantes énergies dans le ciel et dans l'air, sur la terre et jusque dans les profondeurs de l'abîme. Si il y a une Essence Intelligible (accessible à la compréhension), c'est bien la substance du Soleil englobée dans sa lumière. Nous ignorons quelles en sont la constitution et la source. Pour les comprendre, il faudrait être

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analogue à sa nature. Mais ce que nous voyons n'est pas imaginaire, c'est la vision splendide de ce qui illumine tout le monde supérieur. Le Soleil est établi au centre de l'univers comme un grand roi qui porte la couronne. Il est le conducteur qui dirige et maintient le char du monde en l'empêchant de s'égarer. Il tient les rênes qui sont la vie, l'âme, l'esprit, l'immortalité, la génération, et le mène près de lui, et avec lui.

Le Soleil forme toutes choses. Il donne aux immortels la permanence éternelle. La lumière pure monte vers le ciel pour nourrir la part immortelle du Monde. La lumière dense illumine l'eau, la terre, et l'air. C'est la matrice où germe la vie dans ses naissances et ses métamorphoses. Le Soleil active les corps animaux en les faisant passer d'un genre à l'autre, d'une apparence à l'autre, en équilibrant leurs transformations. La permanence des corps animaux nécessite leur rénovation. Les corps immortels sont indissolubles mais les corps mortels doivent se renouveler. La création de la vie par le soleil est continue comme sa lumière, et rien ne l'arrête ou ne la limite. De nombreux chœurs de Démons se tiennent autour du Soleil, surveillant les choses humaines. Sur les ordres des Dieux, ils punissent l'impiété par les tempêtes et les ouragans, les incendies, les séismes, les famines et les guerres. Le grand crime des hommes, c'est l'impiété. La fonction des Dieux est de faire le bien, celle des Hommes d'être pieux, celle des Démons de châtier. Mais les Dieux ne punissent pas les fautes commises par l'erreur ou la témérité, par la destinée ou l'ignorance. Leur justice s'abat seulement sur l'impiété.

Le Soleil prend soin de tous les êtres. Le monde des idées enveloppe le monde sensible y répandant la plénitude et la variété des formes. De même, le Soleil enveloppe tout de sa lumière, réalisant partout les naissances et les mutations des êtres, et accueillant leurs fins. Le Soleil régente aussi les chœurs des Démons, chaque astre ayant les siens, bons, neutres ou méchants, de par leur nature. L'action des démons préposés aux choses de la terre bouleverse la condition des êtres et façonne les âmes à leur ressemblance. Á la naissance, chacun est saisi par des démons déterminés par la position des astres. Ce ne sont donc pas toujours les mêmes. Ils pénètrent dans l'âme de désir qu'ils façonnent selon leur nature propre. La partie raisonnable de l'âme ne leur est pas soumise. Elle est disposée pour recevoir Dieu,

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qui peut l'éclairer d'un rayon singulier. Les démons n'ont aucun pouvoir contre ce rayon du Soleil. Mais ceux qui sont ainsi éclairés sont peu nombreux. Tous les autres, âmes et corps, sont dirigés par les démons. Ils s'y attachent et en aiment les œuvres. Ainsi, les démons dirigent les choses terrestres, et nos corps leur servent d'instruments. C'est ce pouvoir qu'Hermès appelle la Destinée. Le monde intelligible se rattache à Dieu et le monde sensible au monde intelligible. Á travers ces deux mondes, le Soleil conduit l'effluve de Dieu qui est la création. Autour de lui s'étendant les huit sphères, celle des étoiles fixes, les six sphères des planètes et celle entourant la terre. Les démons sont attachés aux sphères et les hommes aux démons. Ainsi, d'une certaine façon, tous les êtres sont rattachés à Dieu qui est le père universel. Le créateur, c'est le Soleil, et le Monde est l'instrument de la création. L'essence intelligible dirige le ciel, et le ciel dirige les Dieux. Ceux-ci commandent aux démons qui gouvernent les hommes. Telle est la hiérarchie des Dieux et des démons, et telle est l'œuvre que Dieu accomplit par eux et pour lui-même. Toute chose est une partie de Dieu, ainsi Dieu est tout. En créant tout, il se crée lui-même sans jamais s'arrêter, car son activité n'a pas de terme, et, de même que Dieu est sans bornes, sa création n'a ni commencement ni fin. Les formes incorporelles peuvent se manifester dans les corps, et il y a donc une réflexion du monde sensible sur le monde idéal, et du monde idéal sur le monde sensible. Ô roi, adore donc les statues qui tirent leurs formes du monde sensible.

Les écrits hermétiques 5 - La Table d'Emeraude -(la pierre d'Hermès)

Cet exposé traite de la légende de la "Tabula

Smaragdina", (et non pas de l'art de l'Alchimie)

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C'est dans un ouvrage attribué à Apollonios de Tyane, que l'on trouve la première trace de la fameuse "Table d'Emeraude". Apollonius était un étonnant personnage du 1e siècle. Ce Néoplatonicien grec est entré dans la tradition arabe comme philosophe, mage, prophète et théologien. De nombreux ouvrages ont été propagés sous son nom. Une traduction arabe du "Livre du secret de la création" faite par un prêtre chrétien de Naplouse, Sâgijûs, au 6e siècle, se présente comme un récit fait par Balînûs (arabisation d'Apollonius). Il raconte la découverte de la "Table d'Émeraude et se termine par le premier texte connu de son contenu. Balînûs aurait connu dans jeunesse à Tyane une intrigante statue d'Hermès. Devenant plus âgé, il creusa dessous et découvrit un long souterrain menant à une chambre funéraire dans laquelle se tenait un vieillard, (Hermès), assis sur un trône d'or, devant un livre. Il tenait entre ses mains la fameuse "Table d'Émeraude". Balînûs s'empara hardiment du livre, et découvrit sur la tablette le texte qui suit.

Dans le livre de Balînûs, la partie relative à la Table d'Émeraude semble être accessoire. Il commence par se présenter comme un sage, maître des talismans et des choses merveilleuses. Il aurait reçu du Maître de l'Univers une science toute particulière, supérieure à la nature. Il aurait découvert par les sens intérieurs tout ce qui est imperceptible aux sens extérieurs ordinaires. Ainsi est-il capable d'expliquer la nature du Monde. Toutes les choses sont composées de quatre principes élémentaires, le chaud, le froid, l'humide, et le sec. Ils se sont combinés ensemble dans un même mouvement de rotation, formant une seule sphère, jusqu'à ce que des incidents en séparassent certaines parties. De ces séparations sont issus tous les êtres dont la nature est identique mais dont les formes diffèrent selon les proportions relatives des principes élémentaires qui les composent. Ces combinaisons variées génèrent des rapports de sympathie ou d'antipathies entre la substance des différents êtres qui s'attirent donc ou se repoussent, ce qui est le fondement de la science.

Le texte classique de la Table d'Emeraude

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Ceci est la traduction française de la "vulgate" latine,

la "Tabula Smaragdina", ci-dessus, publiée au 14e siècle.

1. Il est vrai sans mensonge, certain et très véritable. 2. Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut: et ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas,

pour faire les miracles d'une seule chose. 3. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d'un,

par la méditation d'un: ainsi toutes les choses ont été nées

de cette chose unique, par adaptation. 4. Le soleil en est le père, la lune est sa mère,

le vent l'a porté dans son ventre; la terre est sa nourrice.

5. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, 6. si elle est convertie en terre. 7. Tu sépareras la terre du feu,

le subtil de l'épais doucement, avec grande industrie. 8. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre,

et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde;

et pour cela toute obscurité s'enfuira de toi. 9. C'est la force forte de toute force: car elle vaincra toute chose subtile,

et pénétrera toute chose solide. 10. Ainsi le monde a été créé.

11. De ceci seront et sortiront d'admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici.

12. C'est pourquoi j'ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde.

Ce que j'ai dit de l'opération du soleil est accompli, et parachevé.

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Le terme "telesme" serait dérivé d'un vocable grec signifiant perfection ou accomplissement.

Le texte de la découverte de la Table d'Emeraude par Balînûs

Je suis le sage Belînûs, qui possède l'art des talismans et des choses merveilleuses../..J'étais orphelin du peuple de Tyane, indigent et dénué de tout. Il y avait dans ces lieux une statue de pierre sur une colonne où l'on pouvait lire ces mots : "Je suis Hermès à qui la science a été donnée ../.. Si quelqu'un désire connaître le secret de la création des êtres, qu'il regarde sous mes pieds". Mais sous les pieds, il n'y avait rien. Devenu plus âgé, je compris le sens de ces paroles et j'entrepris de creuser sous la colonne. Je découvris un souterrain où régnait une profonde obscurité et un vent violent. Plus tard, dans mon sommeil, un vieillard m'apparût, me disant : "Lève-toi, Bélînûs, place ta lampe sous un vase transparent, et va dans le lieu ténébreux." J'abritai ma lumière comme il avait dit, et j'entrai dans le souterrain. J'y vis un vieillard

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assis sur un trône d'or. Il tenait d'une main une tablette d'émeraude sur laquelle était écrit : "C'est ici la formation de la nature". Devant lui était un livre sur lequel on lisait : "C'est ici le secret de la création des êtres, et la science des causes de toutes choses". Je pris ce livre hardiment et sans crainte, et je sortis de ce lieu. J'appris ce qui était écrit dans ce livre du secret de la création des êtres, Je compris comment la nature avait été formée et j'acquis la connaissance des causes de toutes choses.

("Le Livre du secret de la création", de Balînûs)

. La doctrine des rapports de sympathie ou d'antipathie présentée par Balînûs semble dériver des idées énoncées par Aristote cinq siècles plus tôt. Celui-ci proposait déjà le couplage des principes pour aboutir à la constitution des quatre éléments apparemment simples : le feu, l’air, l’eau et la terre. Comme celle des quatre éléments, celle des quatre principes n’a plus actuellement de valeur scientifique, mais elle demeure une clé symbolique fondamentale pour comprendre comment l'alchimie propose de maîtriser l’énergie et les composantes de la nature. Une autre partie du "Livre du secret de la création" attire l'attention. Le récit de la découverte de la Table d'Émeraude dans une chambre funéraire au fond d'un tombeau souterrain avec le corps d'Hermès sur son trône d'or, présente des analogies évidentes avec la découverte du tombeau de Christian Rosenkreutz avec le petit livre d'or, telle que la raconte Valentin Andreae. Or, les Rose Croix ont constitué l'un des vecteurs majeurs de la diffusion des idées alchimiques en Europe, en leur temps.

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CHAPITRE 4 – Les antiques religions à Mystères

Introduction

Entre les années ~300 et +400, l'empire de Rome es t à son apogée. Il a intégré le grand Empire d’Alexandr e et s’étend de la Manche à la Mer Rouge et à l’Atlantiq ue, incluant la Grande Bretagne, la Gaule, une partie d e la Germanie, l'Ibérie, l'Italie, la Grèce et les Balka ns, l'Afrique du Nord, l'Egypte, la Perse, la Turquie et tous le s petits états riverains de la Méditerranée, (la Mare intern um, ou Mare nostrum, la Mer Romaine privée). Malgré les gr andes difficultés liées à la dimension de l’empire et aux ambitions humaines, les empereurs romains ont su mettre en place les structures politiques, administ ratives, économiques, commerciales, juridiques, militaires, (et même religieuses), nécessaires pour faire fonctionn er cet immense ensemble et assurer sa sécurité. Jamais dan s l’Histoire, les échanges n’ont été plus faciles et plus sûrs, au sein de l’ensemble méditerranéen unifié, qu’au t emps des Romains. Les cités et les campagnes reçoivent l ’eau distribuée par des aqueducs. Des réseaux de voies d e communication, terrestres et maritimes, permettent de voyager et de commercer facilement dans tout l’Empi re. Cette situation a débuté entre le ~16 ème et le ~14 ème siècle, et elle s'est poursuivie pendant plus de mille ans. La Bible hébraïque a été rédigée entre le ~11 ème et le ~3 ème siècle avant J.C. Á la fin de cette époque, l'influence gr ecque et les idées platoniciennes ont profondément marqué la société romaine, et elles ont gagné tout l’Empire. Rome et Alexandrie sont devenues des foyers d’illumination spirituelle et des creusets de transmutation, marqu és par

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une grande tolérance. Dans les quelques siècles qui encadrent la naissance du Christianisme, de nombreu x courants de pensée circulent dans le monde antique. Des temples aux divers dieux sont construits partout. I l y a même à Rome un temple au "Dieu inconnu". Les différentes écoles cohabitent et envoient des missi ons un peu partout pour répandre leurs cultes et leurs idé es, (et cela concerne aussi la Palestine et le Judaïsme). C ette importante turbulence amène des confrontations qui opposent les anciens cultes agraires traditionnels aux religions spiritualistes nouvelles et aux idées des penseurs néo-platoniciens, hermétistes, gnostiques et chrétiens.

Les religions à Mystères

Les cultes à mystères apparaissent progressivement dans le Monde romain entre les années ~300 et +400, et ils introduisent dans les croyances et pratiques religieuses antiques des concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection et des rituels initiatiques originaux. Sous l’influence de l’hellénisme plus ou moins platonicien qui les tolère, et au contact des très nombreux immigrants qui s’installent dans l’empire, les Romains accentuent encore leur grande facilité d’assimilation. Ils adoptent les nouveautés doctrinales des croyances étrangères et transforment les cultes orientaux dont les pratiques inhabituelles viennent secouer la morne monotonie de leurs habitudes. La plupart des nouvelles liturgies, (et ultérieurement le Christianisme), s’adressent à des dieux souffrants dont les cultes évoquent la passion. Les fidèles reproduisent sur eux-mêmes les tribulations du dieu. Ces pratiques entraînent des privations pénibles et des souffrances occasionnellement sanglantes. Elles provoquent aussi de frénétiques comportements de défoulement et des émotions violentes qui fascinent les citoyens romains blasés et fatigués par la décomposition politique et les traditions vieillissantes. Les nouveaux initiés pratiquent même

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parfois de graves automutilations et des rites pénitentiels de flagellation. Le plus souvent, des paroxysmes extatiques accompagnent la révélation progressive du dieu.

La religion romaine traditionnelle avait essentiellement une fonction de cohésion civique. Les nombreux dieux romains habitaient la Terre, intervenant souvent dans les affaires humaines. Les cultes à mystères s'adressent à des divinités abstraites. Les plus connus sont les Mystères d’Éleusis, qui célébraient les deux déesses, Déméter (Cérès à Rome), et Perséphone, mais d’autres vénérations concernaient Apollon, Dionysos, Cybèle et Attis, Mithra, Astarté, Pan, Adonis (et Atargatis, déesse syrienne proche du précédent). Il faut aussi citer des cultes égyptiens tardifs très cotés à l'époque ptolémaïque et romaine tels ceux d’Isis, Osiris, Sérapis, ou Anubis. On rencontrait aussi l'Orphisme, l'Hermétisme (Hermés Trismégiste), et divers Ba’al, (sauveurs), dont ceux connus en Syrie sous les noms de Jupiter Héliopolitain (ou Dolichénien), auxquels s'ajoutaient les divers courants gnostiques et le Christianisme primitif. Les liturgies, prenantes et colorées, s’appuient sur des initiations successives qui expliquent les significations cachées des Mystères. Elles sont accompagnées de baptêmes exaltants dont les rites de mort et de résurrection ponctuent la progression des initiés vers le salut dans un autre monde. Dans chaque niveau initiatique, des cérémonies marquent l’entrée dans une fraternité accueillante, et les rituels comportent souvent des repas en commun qui soudent la communauté.

On distingue les cultes qui dérivent des mythes agraires, attachés au cycle des saisons, de ceux qui visent à relier les âmes humaines au domaine divin. Mais les doctrines intègrent souvent les concepts platoniciens ou mélangent les deux aspects. Un culte ancien est l'Orphisme, dont le héros, Orphée, bien connu par la légende d'Eurydice, serait apparu 1300 ans avant J. C. Fils d'Apollon (ou du roi Œgrus), et de la muse Callipyge, mi-homme, mi-dieu, il serait à l'origine des Mystères d'Eleusis. Á la fois religion initiatique et philosophie, l'Orphisme postule que l'âme humaine réside dans la prison du corps pour expier un crime originel. Elle s'en purifiera,

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après de nombreuses incarnations, par l'ascétisme et l'initiation spirituelle. Les Orphistes étaient végétariens. L'Orphisme, religion de salut, serait un prélude au Christianisme. Dionysos est aussi un dieu particulier. Fils de Zeus et de Sémélé, qui mourut enceinte en contemplant la gloire du dieu. Zeus porta l'enfant dans sa cuisse jusqu'à sa naissance. Deux fois né, Dionysos est le dieu du vin et de la vie exubérante. Il visita les Enfers, et poursuivi par la jalousie d'Héra, il fut démembré par les Titans avant de devenir immortel. On le célébrait aux fêtes des Dionysies. Il était l'objet d'un Culte à Mystère dont le Cortège Dionysiaque de Satyres et de Ménades, conduit par Silène, aurait déchiré Orphée. Les Mystères d’Éleusis célébraient le culte de Déméter (l’antique Terre-Mère préhellénique) et de Perséphone ou Coré, la fille qu’elle conçut de Zeus. C'est une déesse agraire qui occupe une place importante dans la religion grecque. Associée à l’abondance, elle est identifiée à Cérès par les Romains. Dans la légende éleusinienne, Hadès, dieu des enfers, enleva la jeune Coré. Brisée de chagrin, Déméter abandonna sa fonction et la Terre devint stérile. Devant le désastre, Zeus chargea Hermès de libérer Coré. Le rusé Hadès offrit à la jeune femme une grenade dont elle mangea un seul grain. Ayant goûté à la nourriture des morts, elle devrait rester aux enfers. Mais Zeus intervint, décidant que Coré Perséphone passera chaque hiver trois mois chez les morts, et reviendra sur la Terre des vivants le reste de l’année. Fécondée par Zeus, Perséphone conçut un fils, Zagréus, dont l’histoire ressemble à celle de Dionysos. Poursuivi par la jalousie de Héra, (ou Junon), Zagréus revêtit plusieurs apparences. Transformé en taureau, il fut dévoré par les Titans mais la déesse Pallas, (Athéna), préserva son cœur. Zeus foudroya les Titans et absorba le cœur de son fils qui, régénéré, devint Iacchos, assimilé à Bacchus, lui-même identifié à Dionysos. Ces mythes conjoints semblent provenir de cultes agraires primitifs associant en syncrétisme les cultes dionysiaques et l’Orphisme. Les Eleusinies sont les fêtes les plus connues de ce culte antique. Elles auraient été institués à l'instigation de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le blé dans le Monde. Célébrées dans le Télestrérion chaque année, elles faisaient participer les fidèles à la résurrection de l’enfant divin

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revenu de l’empire de la mort. Á Éleusis, avant l'automne, des cérémonies extérieures préparaient la célébration des Mystères. Ces préliminaires ont été bien décrites et nous sont relativement connues. Des reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), étaient transportées en procession jusqu'à Athènes et déposées dans le sanctuaire "Éleusinion". Une excommunication solennelle était prononcée contre les impurs, puis les mystes, (candidats admis), entraient dans la mer pour se purifier. Après quelques jours de retraite et de jeûne, la procession immense des fidèles et des mystes retournait à Éleusis, précédée de l'effigie de Iacchos, des hiéra, et des autorités. Les cérémonies secrètes commençaient dont les rites sont restés mystérieux. La divulgation en était rigoureusement interdite. Les Mystères d'Éleusis étaient extrêmement populaires au-delà même de la Grèce, au point que la salle d'initiation, le Télestrérion, atteignit finalement une surface de 2600 m2. Malgré le nombre immense des fidèles, aucun n'a jamais commis le sacrilège de rompre cet interdit.

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Les rites séparaient les initiés, appelés à la vraie vie éternelle, des non-initiés, destinés au bourbier infernal. Après avoir rompu le jeûne, les mystes recevaient une révélation bouleversante : Bienheureux qui a reçu cette vision, avant de descendre sous la terre. Il connaît ce qu’est la fin de la vie. Il sait ce qu’est le principe donné par Zeus. (Pindare, Hymne, vers ~480). L’initiation assurait par elle-même le salut et la future survie personnelle du myste. Définitivement sauvé par cette entremise extérieure, il n’était tenu à aucun comportement moral particulier. En cela, au moins autant que par la foi en une vie future et l'orientation monothéiste héritée de l’Orphisme, les Mystères Éleusiniens préparaient le passage du Paganisme au Christianisme. Toutes ces légendes concordent. Dionysos-Bacchus, fils de Zeus et de Perséphone, jalousé par Héra, est tué et dévoré par les Titans primordiaux. Zeus les foudroie. Dionysos ressuscité, nait ainsi deux fois. Les hommes naissent des cendres des Titans avec leur nature animale et matérielle, mais leur âme recèle une parcelle du Dieu dévoré. Et dans la théogonie des Orphistes, six générations divines bouclent sur elles-mêmes. Phanés, (la Lumière originelle), fils de Zeus, est le premier roi des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus qui remet enfin son pouvoir au fils, deux fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatologique de Phanés, le Lumineux des origines.

Adonis, Cybèle et Attis

Adonis était le dieu syrio-phénicien des arbres, des fleurs et des fruits. Son culte évoque la mort et la renaissance de la végétation. Aphrodite s'éprit d’Adonis dés sa naissance. Elle confia l’enfant à Perséphone qui s’en éprit à son tour. Zeus partagea le temps d'Adonis entre les deux déesses. Mais Adonis fut tué à la chasse par un sanglier furieux, et de son sang naquit une anémone. Les Adonies (Mystères) évoquent la mort et la renaissance de la végétation. Leurs célébrations avait lieu l'été, à Athènes, Alexandrie, et Byblos où la fête mobilisait toute la population. Les jeunes filles pleuraient la mort de l'adolescent et étendaient sa statue sur un lit de fleurs. Le lendemain, la statue du dieu était redressée et il était proclamé ressuscité. D'autres rites portaient les femmes à se prostituer aux étrangers et d’en verser le prix au temple d’Aphrodite. Á Athènes,

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les femmes la célébraient dans les maisons. Elles cultivaient des plantes et des aromates dans des terrines, les célèbres jardins d’Adonis. Les cérémonies et les pleurs se déroulaient autour des jardinets. La fête s’achevait par la cueillette des aromates et des graines, promesses de renouveau. Á Alexandrie, la commémoration était un spectacle. "Aphrodite Isis" et "Adonis Osiris" s’attendrissaient d'abord dans un décor champêtre, avec banquets, chants, et danses. Suivait la procession des femmes en pleurs portant la statue d’Adonis vers la mer. Enfin, Aphrodite descendait aux Enfers et ramenait Adonis ressuscité dans l’allégresse générale.

Le culte de Cybèle (Kubele) provient de Phrygie, (Turquie actuelle). C'est la Grande Mère de tous comme des dieux. Souveraine du ciel et symbole de la Terre Mère originelle, elle était honorée en Asie Mineure sous les appellations de Kubile, Misa, Hipta. Cybèle fut la première divinité étrangère admise à Rome. Elle fut assimilée à Déméter et à Cérès. Un culte analogue était rendu à Ma (ou Sabazios), importé de Syrie. Puis, des dieux syriens ou égyptiens s’installèrent sobrement puis des temples furent consacrés à Isis, Astarté, puis Mithra. Mère des dieux, Cybèle était vénérée comme mère de Zeus ou de Jupiter. A l'origine, le culte de la Magna Mater, était célébré au sommet des montagnes, ou dans les grottes. Dans le légende, Cybèle devint amoureuse d’Attis qu’elle avait découvert endormi sur la rive du fleuve Gallos. Elle le coiffa d’un bonnet étoilé, et le garda auprès d’elle. Attis était fils de la déesse vierge Dana qui le conçut en mangeant une amande. Il abandonna Cybèle pour épouser "la fille du fleuve" Sagaritis, une nymphe dont il était amoureux. Cybèle, folle de colère, provoqua la mort de Sagaritis. Désespéré, Attis voulut s’autodétruire par émasculation. Emue par sa douleur, la déesse primordiale ranima le dieu repentant qui revint alors vivre près elle. D'autre texte disent que Cybèle le changea en pin. En rappel de la passion d'Attis, les galles, les serviteurs de Cybèle, s'auto castraient et promenaient un pin au travers des villes.

Le culte de Kubila, (la Grande mère ou Mère des Dieux que les Grecs et les Romains nommèrent Cybèle ou Agdistis), était le plus célèbre en Phrygie. Personnifiant la nature féconde, elle était adorée sur le mont Dindymon sous le nom "Mère Montagne". Elle portait une coiffe en forme de tour. Abandonnée à sa naissance, elle fut

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recueillie par un félin qui l'initia aux Mystères, et c'est pourquoi son trône était gardé par deux léopards (ou deux lions). Cybèle disposait de toutes les richesses de la terre et elle exigeait que son époux resta vierge. C'était le jeune berger Attis (ou Atys), fils de Nana ou Nada, la fille du Dieu fleuve Sangarios (ou Sangarius ou Sakarya). Il était coiffé d'un bonnet phrygien typique (repris par les révolutionnaires français en 1789). Les Phrygiens vénéraient aussi Sabazios, dieu représenté à cheval, ayant pour attribut un serpent. Les Grecs associèrent Sabazios à Zeus ou à Dionysos, et l'opposèrent à la Déesse d'Éleusis, la Magna Mater, autre Grande Mère, dont la créature était le taureau. Quand les Carthaginois d'Hannibal envahirent l'Italie, un oracle de la Sibylle de Cumes énonça que les ennemis seraient vaincus si le culte de Cybèle était introduit à Rome. En ~204, lors de la seconde guerre punique, le Sénat romain fit venir du "Métrôon" de Pergame, en Phrygie, la "Pierre Noire" cubique de Cybèle et le culte asiatique en fut alors importé. Cette "Pierre Noire" sacrée était probablement un aérolithe comme celle qui représentait le dieu syrien "Elagabal".

Plusieurs empereurs romains favorisèrent les cultes de Cybèle et Attis. Un temple fut construit au mont Palatin où le clergé phrygien en accomplissait les rites dont la cérémonie du "Lavatio". Á l'origine, début avril, un char menait l'idole et la Pierre Noire jusqu'au fleuve Almo pour la baigner avant de la ramener au temple, couverte de fleurs. Puis, un magistrat romain ouvrait les fêtes dites "Megalensia" et leurs festins. Plus tard, les solennités des "Attideia" furent autorisées avant le "Lavatio". Commémorant la passion d'Attis, elles commençaient par une neuvaine d'abstinences alimentaires et sexuelles. Fin mars, on célébrait "l'entrée de l'arbre". Les porteurs apportaient au temple un pin coupé et décoré qui représentait le cadavre d'Attis. Il était longuement adoré et pleuré puis mis au tombeau le 24 mars, "Jour du Sang", avec un cérémonial sanglant. Les fidèles et les "galles" dansaient frénétiquement au son des tambourins et des trompes, en se lacérant pour éclabousser de sang le pin sacré et ses abords. Des fanatiques se castraient alors avec des éclats de silex mis à leur disposition. Marqués au fer rouge, ils s'en allaient en ville jeter cette "moisson du dieu Gallos" en une quelconque maison dont les habitants devaient alors les nourrir et les vêtir d'habits féminins. La nuit suivante (Hilaries) préparait la

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résurrection d'Attis. Cette fête joyeuse avait un éclat particulier. Elle était conduite par l'empereur et le Sénat jusqu'au temple où Attis était proclamé ressuscité.

La castration étant interdite aux citoyens romains, un sacrifice de substitution, le Taurobole, (taureau de Ba’al ?), fut institué. Le sang d'un taureau mutilé se déversait sur le myste alors réputé purifié, revigoré, et rené, (au sens d’une nouvelle naissance), pour vingt ans, la cérémonie étant ensuite répétée. Ultérieurement, ce baptême sanglant assura, par lui-même et par transfert, la résurrection et le salut éternel de l’initié, comme celui d’Attis après son sacrifice volontaire. Ces rites de mutilation ont pu être induits par les circoncisions sémitiques. Associant la sexualité et le péché, elles annonçaient les traditions de célibat et les futures castrations de pureté de mystiques comme Origène. Dans son traité "Des dieux et du monde", le néo-platonicien Sallustius nous donne une interprétation théologique de ce mythe. Cybèle est la grande déesse primordiale qui donne la vie, et Attis est, en ce monde, l’artisan du changement. C’est pourquoi il est trouvé au bord du fleuve. Comme les puissances primordiales perfectionnent continûment les puissances secondaires, la Mère s’éprend d’Attis et lui donne la puissance céleste symbolisée par la coiffure étoilée. Cependant Attis à son tour s’éprend d’une nymphe, symbole de la génération. Mais Attis prend conscience que toute génération est destinée à périr. Craignant donc que du mauvais ne sorte le pire, il jette sa puissance génératrice dans le monde du devenir et revient vivre avec les dieux.

On retrouve ici la doctrine d’Hermès concernant le destin de l’âme, la chute dans la matière et le retour aux dieux au prix du sacrifice de la personnalité terrestre. Le sacrifice d’Attis préparait sa résurrection. "Attis est ressuscité ! Evohé !" chantaient les mystes. Dans la légende égyptienne, Osiris aussi ne devint immortel qu’avec la perte de son phallus. Mais, fin mars, c'était aussi la fête du printemps et du retour du Soleil, comme celle de Pâques pour les Chrétiens.

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Sérapis, Isis et Osiris

Á l'époque romaine, la religion égyptienne n'a plus qu'un rapport lointain avec les cultes archaïques. Les Lagides ont jumelé les panthéons, et les statues des nouveaux dieux nilotiques respectaient les canons grecs. Sérapis fut l'une des plus remarquables de ces figurations nouvelles. Le nom viendrait du mot "oserapis", ou Osiris-Apis, le "taureau mort", assimilé à Osiris. Les Grecs le comparaient à Pluton ou à Dionysos le ressuscité. En arrière plan de ces cultes dits "isiaques" on retrouve les vieux mythes agraires reliés au retour cyclique des saisons. La mort du héros ou du souverain, ici Osiris, est suivie de sa résurrection. Les Romains étaient fascinés par l'exotisme des cultes initiatiques égyptiens. Cependant, après le suicide de Cléopâtre, incarnation pharaonique d’Isis tuée par un aspic, la ferveur fut très éprouvée, et la religion temporairement persécutée. La plupart des empereurs romains l'ont cependant soutenue. Caligula, Claude, Néron, Vespasien, Domitien, Hadrien, et Marc Aurèle favorisèrent successivement le rétablissement des cultes alexandrins qui gênaient pourtant l’expansion chrétienne dans l’empire. Le cruel Commode, autoritairement déifié, poursuivit cette politique jusqu’à la caricature (et jusqu’à son assassinat). Au 2ème siècle, la religion égyptienne revitalisée gagna même les provinces extérieures de l’Empire, la Gaule, l’Espagne, les plaines du Danube, et elle se répandit dans tout le Nord de l’Afrique, y compris Carthage.

Ce culte de Sérapis fut à l’origine de la diffusion des cultes égyptiens dans le monde gréco-romain. Sérapis synthétisait Zeus, Osiris et Apis. Ptolémée Sôter lui fit bâtir le Serapeum, un temple immense et somptueux. Au début de l'ère, le culte de Sérapis était installé à Rome avec celui d'Isis. Comme les autres cultes à mystère, l’initiation isiaque comportait une mort fictive. Elle faisait du myste un nouvel Osiris qui mourrait et ressuscitait chaque année. Les cérémonies secrètes sont restées assez mystérieuses. Le nom d’Osiris ne devait jamais y être énoncé. Hérodote lui-même avait été initié et resta très attentif à ne jamais citer le nom sacré dans la relation de son voyage en Égypte, vers ~450. Voici comment il en parle. "Dans

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le temple de Minerve, à Saïs, on peut voir la sépulture du dieu dont il serait sacrilège de prononcer le nom (...). On donne de nuit, sur le lac de la Roue, à Délos, des représentations de sa passion que les Égyptiens appellent des Mystères. J’en sais beaucoup plus sur ces Mystères, mais je me garderai bien d’en parler, ainsi que des Mystères de Cérès que les Égyptiens appellent la fête des Rites (...). A Saïs, la nuit de la fête d’Isis, tout le monde allume des lampes dehors, autour des maisons. On appelle cela la Fête des Illuminations. Ceux qui n’assistent pas à la cérémonie veillent quand même chez eux toute la nuit et allument leurs lampes, si bien que, cette nuit-là, toute l’Égypte est illuminée.

La culture originaire d'Alexandrie rayonnait tout autour de la Méditerranée ce qui favorisa l'extension des cultes nilotiques dans tout l'Empire. Au ~2e siècle, Isis, la grande déesse de vie et de résurrection eut un autel au Capitole. Elle fut bientôt adorée partout et son culte revêtit des aspects curieux et une importance considérable. En dépit des réactions et des destructions périodiquement ordonnées par le Sénat, les cultes égyptiens restèrent très populaires à Rome, tout particulièrement celui de la déesse Isis. Il apparaît aujourd’hui que certaines des statues chrétiennes, miraculeusement trouvées, seraient en fait des idoles antiques consacrées à la très païenne déesse égyptienne. Quelques vierges noires pourraient être des statues d’Isis. Les cultes isiaques célébraient quotidiennement des rites qui évoquaient le rôle solaire d’Osiris. Il y avait un office du matin, avec ouverture des portes du temple, allumage des feux, présentation aux fidèles de l’eau du Nil, (symbole d’Osiris), toilette et vêture des statues, chants et prières. Un autre office commençait l'après-midi vers quatorze heures, avec hymnes et longue adoration extatique. Il durait jusqu’à l’adieu du soir à la déesse et la fermeture du temple. Les dévots pouvaient louer des cellules pour la nuit, et une organisation conventuelle hôtelière permettait même aux fidèles de faire retraite à l’intérieur du temple. L’organisation des cultes et du clergé était remarquablement efficace.

La légende d’Isis et d’Osiris était commémorée à Rome par deux grandes fêtes, celle du Navigium ou du Vaisseau d’Isis, au printemps, et celle de l’Invention d’Osiris, à l’automne. Les fidèles

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parcouraient la ville, frappant aux portes de maisons et agitant leurs sistres pour inviter les habitants aux célébrations. La fête du Vaisseau d’Isis débutait par un véritable carnaval, avec costumes divers ou même déguisements cocasses. Une grande procession rigoureusement ordonnancée commençait ensuite. En tête venaient les femmes couronnées de fleurs, suivies de la foule, portant des cierges et des flambeaux, puis le groupe des mystes, vêtus de lin blanc et agitant des sistres sonores. Les prêtres terminaient le cortège. Ils avançaient, le crâne rasé et tout de blanc vêtus, avec les divers instruments de leurs fonction, lampes et caducées. Ils précédaient les porteurs des représentations des dieux, les statues d’Anubis, d’Isis Hathor, des vases d’or contenant de l’eau Osirienne du Nil. Le Grand Prêtre fermait la marche, portant une couronne de roses et un sistre d’or. Au bord de la mer un vaisseau attendait, décoré à l’égyptienne. On disposait autour de lui toutes les figures des dieux, et les prêtres le purifiaient avec du feu, des œufs et du souffre. Puis ils le consacraient à Isis et on le chargeait des diverses offrandes apportées par la foule. Enfin, on le libérait et on le laissait s’en aller en mer, au gré des courants.

La grande fête initiatique de l’Invention d’Osiris avait lieu fin Octobre. Elle commençait par trois jours de plaintes, de simulacres et de deuil en évocation de la mort d’Osiris et de la désespérance d’Isis recherchant les morceaux du corps démembré par Seth. Au matin du troisième jour, la foule s’assemblait pour la cérémonie spectaculaire de la fin des retrouvailles. Les fidèles criaient " Nous l’avons retrouvé ! " et la joie explosait. Les mystes étaient ensuite baptisés avec de l’eau lustrale, et le prêtre appelait sur eux la bénédiction des dieux. Il ordonnait leur purification et donnait des instructions secrètes relatives au déroulement des Mystères qui devient être célébrés dix jours plus tard. Au soir de l’initiation, le candidat vêtu de blanc entrait au fond du sanctuaire, et le vrai mystère commençait. Sur celui-ci, nous ne savons pas grand chose, si ce n’est que le myste passait alors "le seuil de Proserpine" et subissait une mort symbolique. Au cours de la nuit, il semble que, nouvel Osiris, il suivait symboliquement la course du soleil dans le séjour des morts. A l’aube, avec le soleil du matin, il réapparaissait vêtu de douze robes qui symbolisaient les constellations. Il était couronné des "palmes d’Horus" et revêtait "la robe olympienne", attribut des

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dieux. Dans cette splendeur, il était alors présenté à la foule, sur une estrade, face à la statue d’Isis. Ces nouvelles naissances étaient suivies de banquets, ce jour là et le lendemain.

La présence d'un important clergé permanent et la célébration d'offices quotidiens constituaient une grande nouveauté dans le monde romain. Ils l'ont préparé à l'arrivée des imposants ministères chrétiens. Le culte isiaque accordait une grande importance à la femme. Isis était tout à la fois la mère universelle, la reine du ciel, et l'image renouvelée de toutes les grandes déesses gréco-latines, Déméter, Vénus, Artémis, Héra, Cybèle et d'autres. Son culte plaisant er même joyeux n'était entaché d'aucun rite sanglant. Il répondait tout autant aux besoins individuels de retraite spirituelle des dévots solitaires qu'aux aspirations festives collectives auxquelles répondaient les grandes célébrations saisonnières. Aussi fut-il très populaire. Les statues de la déesse étaient souvent parées de bijoux précieux et les cérémonies spectaculaires réjouissaient autant le peuple que les esthètes. Le pouvoir s'en émut parfois jusqu'à vouloir limiter son influence. Plusieurs empereurs, tels Auguste ou Tibère, s'y employèrent. Ses temples furent plusieurs fois détruits puis reconstruits. Le culte fut parfois temporairement interdit dans la Cité et la statue d'Isis fut même jetée au Tibre, mais d'autres empereurs s'employèrent à le soutenir. Les cultes nilotiques de Sérapis et d'Isis prospérèrent en Gaule, en Espagne, en Afrique du Nord, et dans tout le Bassin méditerranéen jusque dans les lointaines provinces danubiennes, et certaines monnaies romaines portèrent les empreintes des dieux isiaques

Mithra et le Soleil

Mithra était un dieu solaire, mais aussi un sauveur des hommes. Il vint d'Iran par le canal des Phrygiens, et trouva probablement son origine plus lointaine dans le dieu indien védique Mitra, " l'Ami ". Son culte est apparu vers le ~5ème siècle et a donc précédé le mythe chrétien de plus de 600 ans. Il fut tardivement célébré dans le monde hellénistique qui tendit à l'assimiler à Hermès. Mithra joua d'abord

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un simple rôle de médiateur entre Ahriman, le Mal, et le Dieu suprême, Ahura Mazdä, la Lumière du Soleil. Il grandit ensuite et en vint presque à l'égaler. "Je le créai aussi digne de sacrifices, aussi digne de prières que Moi-même, ‘Ahura Mazdä. (Avesta, Yasht 10, strophe 1). Mithra était une lumineuse image du Soleil, violent et guerrier, impossible à vaincre. Il fut même assimilé tardivement au Sol Invictus d'Aurélien. Son culte ne se répandit dans l'Empire qu'à partir de 90, mais son importance devint ensuite très grande, surtout chez les militaires. Voyons donc le mythe. Sur l'ordre du Soleil, apporté par un corbeau, Mithra est associé au salut du monde en mettant à mort un taureau qu'Ahriman vient d'infecter pour vicier la source universelle de la vie. En sacrifiant l'animal, il répand son sang éternel avant qu'il soit corrompu. De cet épanchement, Mithra fait naître les plantes et les autres créatures. Il arrache ses proies à l'Esprit du Mal et monte ensuite sur le char du Soleil. Il est donc à la fois démiurge et sauveur, et par ce baptême de sang, ses fidèles obtiendront l'éternité.

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Le culte à Mystère de Mithra,(Mithriacisme ou Mithraïsme), ne se reliait pas aux antiques religions agraires. Il était associé à un dieu solaire transcendant qui intervenait dans les affaires du Monde. Le mythe se retrouve sous diverses formes dans d'autres religions, car il s'agit d'une divinité très ancienne. Á l'origine, c'était un dieu iranien bienveillant qui protégeait les justes, et on l'identifie dans l'Hindouisme à coté d'Indra, dans le Zoroastrisme d'Ahura Mazda et, peut-être, dans le Manichéisme. Le culte procédait d'un syncrétisme associant diverses croyances moyen-orientales. Mithra était toujours représenté portant un bonnet phrygien et tuant un taureau. Á partir de la Grèce, le culte fut importé à Rome par les légions, et au premier siècle, le Mithra grec devint le "Mithras" romain, identifié dés le 1er siècle. Son culte avait lieu dans un temple appelé "mithraeum". Les premiers temples de "Mithras" furent des cavernes arrosées de sources. Puis on les construisit en pierre sur ce modèle intérieur. Dans une longues salle, on trouvait à droite et à gauche, deux banquettes sur lesquelles les fidèles s'allongeaient à la Romaine pour prendre les repas sacramentels. Un couloir central reliait l'entrée, où étaient placées des vasques, à l'autel où était disposée l'image de Mithra éclairée de lampes. La voûte était très souvent décorée d'étoiles, et les murs ornés de peintures. Le culte était quotidien et l'on sanctifiait tout particulièrement le dimanche, dédié au Soleil. De très nombreux temples consacrés à "Mithra ou Mithras" ont été édifiés du 2ème au 6ème siècle dans tout l'empire romain. Ils étaient toujours de taille réduite, impliquant de petites confréries, exclusivement masculines. L’acte cultuel de base était le sacrifice d'un poulet, parfois d'un mouton, rarement d'un taureau. La victime était consommée au cours d'un repas en commun commémorant le banquet fait par Mithra et le Soleil après la mort du taureau. Dans les initiations, on offrait du pain et, semble-t-il, du vin, avec des invocations secrètes. Le rituel quotidien du Mystère est resté relativement secret. Nous savons cependant qu'il comportait sept degrés hiérarchiques d’initiation associés à des symboles astraux ainsi qu'à des fonctions précises et des positions bien définies dans le temple. Il semble que le premier degré, les Corbeaux, associés à Mercure, assuraient le service des repas, le second, les Époux à Vénus, les Soldats à Mars, les Lions, à Jupiter, brûlaient l'encens et fournissaient le sacrifice, les Perses à la Lune, les Courriers du Soleil

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portaient probablement les torches, et le Père lié à Saturne, coiffé d'un bonnet phrygien, portait une baguette et un anneau comme un évêque. Il était à Rome le chef suprême de l’église mithriaque. Les initiations étaient complexes. Leurs cérémonials comportaient divers renoncements, un baptême d’eau, un marquage au fer rouge sur le front, un simulacre de mise à mort et des rituels propres à chaque degré.

Selon la légende, Mithra naquit adulte, sous un arbre sacré, près d'une source également sacrée, d'une pierre, (d'autres disent d'une vierge). Il portait un bonnet phrygien, une torche et un couteau, (ce qui dut grandement compliquer la parturition). Immédiatement adoré, il but à la source, coupa des fruits sacrés et s'en nourrit, puis il se confectionna des vêtements de feuilles. Dans la montagne, il rencontra le taureau primordial, le saisit par les cornes et le chevaucha. L'animal l'entraina dans un galop sauvage et le fit tomber, mais Mithra s'accrocha à ses cornes jusqu'à l'épuiser. Puis le dieu attacha le taureau, le chargea sur ses épaules et poursuivit son chemin. Arrivé à la grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui demanda de faire un sacrifice. L'immolation du taureau caractérise la statuaire rituelle. Mithra appuie le genou sur le garrot de l'animal dont il relève la tête. Il le poignarde de la main droite tandis qu'un chien et un serpent en boivent le sang et qu'un scorpion lui pince les testicules. Le Soleil et Mithra partagèrent ensuite un repas. On ignore la véritable signification de l'allégorie. Il semblerait que la scène tend à représenter la victoire de la vie sur le mal. De nombreux symboles astrologiques lui sont associés, le serpent (hydra), le chien (canis), le scorpion (scorpio), le taureau (taurus). Associé à la lune, le taureau symboliserait la source de la vie viciée par le scorpion d'Arhiman. En tuant le taureau, Mithra purifie la source de vie et d'incarnation des âmes.

Les mithraïstes envisageaient la fin du monde comme une conflagration universelle, et à la fin des temps, la tauroctonie se renouvellera, purifiant l'univers. Le culte de Mithra impliquait un système cosmogonique complexe, qui donnait à l’astrologie une place importante dont on retrouve les traces dans les ruines des sanctuaires. Ce culte n'a jamais réussi à pénétrer les couches populaires et est toujours resté le fait d'une certaine élite en

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particulier militaire. Il est entré en concurrence avec le développement du Christianisme, tout particulièrement au moment de la promotion par l’empereur Aurélien du culte solaire dit "Sol invictis". Ces cultes étaient de dangereux rivaux pour le Christianisme qui prenait de l'expansion. Julien l'apostat essaya donc de l'affaiblir par la promotion du culte de Mithra et du Soleil. Les connaissances que nous avons des croyances mithriaques sont incomplètes. Les informations proviennent surtout d'observateurs chrétiens qui n'étaient pas fort objectifs, et l'archéologie demeure la principale source d'informations. Le Mithriacisme ne survécut pas à l'essor du Christianisme qui effaçait ses symboles et bâtissait ses églises au dessus des vieux temples. Un élément subsista cependant jusqu'à nos jours. La fête de Mithra avait lieu le 25 décembre. Le Christianisme la perpétua dans la fête de Noël. Le 25 décembre célébrait la naissance d'un nouveau soleil et cette date fut conservée par les chrétiens pour célébrer la naissance de Jésus.

Sol Invictus et le Paléochristianisme

Les empereurs romains ont longtemps essayé de fonder une religion universelle établissant la légitimité de leur fonction. Ils ont d’abord magnifié le culte de Quirinus, dieu fondateur de Rome, puis ils ont établi le culte de la ville même, "la Rome Eternelle", en s'appuyant sur le rôle traditionnellement sacerdotal du prince. Ils essayèrent ensuite de capter des divinités parmi les plus populaires, telle Cybèle par Marius, Mä par Sylla, Hercule Invictus par Pompée. César prétendit prouver son ascendance avec Vénus et lui fit élever un temple dans son nouveau Forum, (Vénus Génitrix). Cela permit d'ailleurs au Sénat de diviniser l'empereur de son vivant, et de lui consacrer un temple particulier sous le nom de Jupiter Julius. Après la mort de César, son culte fut institué comme Diuus Julius, et pérennisé. Le fils adoptif de César, Octavien, prit ensuite le titre de Diui Filius, fils du divinisé, et le culte impérial fut ainsi fondé. Le culte solaire "Sol Invictis" fut lancé au 3ème siècle par l'empereur

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Aurélien qui fit élever un temple magnifique au champ de Mars, en l'an 274. L'empereur considérait le Soleil comme son protecteur personnel, et il le proclama "Dieu Souverain de l'Empire Romain". Ce culte nouveau semble avoir été partiellement confondu avec celui de Mithra ou lui avoir été pour le moins associé. Aurélien tentait alors de réunir dans un même culte solaire, les Chrétiens, les Mithriastes, les Syriens et les Isiastes, et il fixa la fête de la renaissance du Soleil au 25 décembre. Les traditions romaines montraient une grande tolérance vis-à-vis de tous les cultes. Par contraste, la maison de l’empereur avait transformé le respect des exigences du culte impérial en preuve de loyalisme envers Rome et son empereur. Cette politique despotique créait de sérieuses difficultés car les mentalités avaient beaucoup évolué. Les multiples divinités étaient de plus en plus considérées comme les manifestations diversifiées, les avatars, d’une même unique et grande divinité universelle. Les antiques sumériens croyaient que l’humanité progressait par vagues successives vers son accomplissement éternel. Nous dirons qu'au début de notre ère, la vague humaine franchissait un seuil d'évolution spirituelle. On comprend mieux alors les tentatives visant à établir un culte national devenu politiquement indispensable. L'une des divinités pressenties avait d'ailleurs été Isis, la Suprême Souveraine, la Mère Universelle, dont le culte avait été encouragé. D'autres étaient sur les rangs, mais le succès d’un culte unique imposé par l’appareil d’État était aléatoire face aux "Mystères mystiques" des religions émergentes. Le " Pansolarisme " d'Aurélien, associé au culte de Mithra, subsista cependant assez longtemps, jusqu'au tout début du 5ème siècle. Il semble avoir été, avant le Christianisme, la dernière tentative impériale pour adapter les structures religieuses d'État à cet "hénothéisme", cette recherche d’une déité souveraine et universelle, qui progressait rapidement dans les mentalités. Après ce relatif échec d’un culte bâti sur la religion romaine traditionnelle et imposé par l’État, il ne restait aux empereurs qu'une seule possibilité pour reprendre la main sur l'évolution des peuples. Il leur fallait promouvoir l'un de ces cultes mystiques si appréciés, et l'associer aux pouvoirs d'état, politique, civil et militaire. Logiquement, ils devaient choisir la populaire religion d'amour, de

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joie, et d'éternité des pacifiques adorateurs d'Isis, ou bien le culte viril de Mithra, si voisin du culte solaire universel qu'ils prônaient. Cependant, étonnamment, pour des motifs tout à fait mineurs, ils firent le choix d'un autre culte à Mystère venu de la Palestine qui était alors la zone d'influence romaine la plus active dans le Moyen Orient. Ils choisirent le Christianisme naissant, et la face du Monde en fut changée. En 325, pour régler des querelles intestines aux églises chrétiennes, Constantin convoqua le concile œcuménique de Nicée. Appropriant de façon autoritaire le pouvoir doctrinal et les structures sacerdotales, et punissant sévèrement les évêques contestataires, il déclara le Christianisme comme la religion officielle de l'État. Le véritable instaurateur du Christianisme autoritaire fut cependant l'empereur Théodose (bientôt excommunié d'ailleurs). La conversion des empereurs puis leur totale soumission à l'autorité religieuse croissante livra à l'intransigeance chrétienne tout l'appareil du pouvoir impérial et ses terribles moyens de coercition. Elle s'en servit durement. Issus d’Israël dont ils venaient de se séparer, les Paléochrétiens avaient conservé l'intransigeante tradition hébraïque. Ils voulaient être un peuple élu parmi tous les autres et ils attendaient la fin prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, ils se croyaient, hélas, chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le seul Dieu universel. Ils s'y employèrent activement, et en 382, l’autel de la Victoire, symbole de l'antique religion romaine, fut enlevé du Sénat malgré les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome. "Nous réclamons le respect pour les dieux de nos pères, les dieux de notre patrie. Il est juste de croire que tous les hommes adorent le même Un. Car nous regardons les mêmes étoiles, le même ciel nous recouvre, le même univers nous entoure. Qu’importe le moyen par lequel chacun de nous atteint la vérité. On ne peut parvenir par une seule voie à un si grand mystère". Le doux prophète galiléen prêchait la liberté, la tolérance, le salut par la grâce gratuitement donnée, et l’amour de Dieu et des hommes. Le dessein de la religion fondée en son nom fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines, l’empire d’un Dieu jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant la conversion, par le fer et le feu, le viol des consciences et la torture, la prison et les bûchers. En 391, les académies et tous les cultes traditionnels furent interdits dans tout l’Empire, les flambeaux des

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vieux autels s’éteignirent, les anciens dieux tombèrent et leurs temples magnifiques furent détruits. Issus d’Israël dont ils venaient de se séparer, les Paléochrétiens avaient conservé l'intransigeante tradition hébraïque. Ils voulaient être un peuple élu parmi tous les autres et ils attendaient la fin prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, ils se croyaient, hélas, chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le seul Dieu universel. Ils s'y employèrent activement, et en 382, l’autel de la Victoire, symbole de l'antique religion romaine, fut enlevé du Sénat malgré les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome. "Nous réclamons le respect pour les dieux de nos pères, les dieux de notre patrie. Il est juste de croire que tous les hommes adorent le même Un. Car nous regardons les mêmes étoiles, le même ciel nous recouvre, le même univers nous entoure. Qu’importe le moyen par lequel chacun de nous atteint la vérité. On ne peut parvenir par une seule voie à un si grand mystère". Le doux prophète galiléen prêchait la liberté, la tolérance, le salut par la grâce gratuitement donnée, et l’amour de Dieu et des hommes. Le dessein de la religion fondée en son nom fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines, l’empire d’un Dieu jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant la conversion, par le fer et le feu, le viol des consciences et la torture, la prison et les bûchers. En 391, les académies et tous les cultes traditionnels furent interdits dans tout l’Empire, les flambeaux des vieux autels s’éteignirent, les anciens dieux tombèrent et leurs temples magnifiques furent détruits. Les peuples de l'Antiquité romaine considéraient qu'aucune tradition religieuse ne pouvait prétendre posséder seule la vérité lentement révélée. "Celle-ci est révélée par les dieux. Elle se répand dans l'humanité sous différentes formes. Chaque peuple, chaque culte, porte une part des secrets divins.". Cette attitude permit la coexistence pacifique avec les cultes à Mystères. Tout au contraire, les Paléochrétiens se révélèrent particulièrement intransigeants ce qui déclencha l'hostilité de leurs opposants. Elle est déjà manifeste au 2ème siècle dans la Polémique anti chrétienne de Celse. Nous sommes ceux à qui Dieu révèle et prédit tout. C'est pour nous seuls qu'il gouverne.. négligeant l'univers et le cours des astres.. C'est pour nous seuls que tout a été fait et est organisé pour nous servir.".

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Il faut admettre, aussi douloureux que cela soit pour un Chrétien d'aujourd'hui, (et ce l'est aussi pour moi-même), qu'à l'époque, l'expansion du Christianisme fut imposée par l'appareil d'État avec les rigueurs de la loi, en coopération avec l'activité des hiérarchies religieuses. La situation empira encore dramatiquement avec un terrible renforcement juridique, et il me semble, qu'à ce moment, l'Eglise céda à la tentation du pouvoir et quitta la voie évangélique. Dès lors, il suffit à l'autorité religieuse d'excommunier quiconque ou de le déclarer hérétique pour le renvoyer devant un tribunal civil, ce qui le vouait automatiquement à la prison et la torture, au gibet ou au bûcher. D'innombrables personnes furent, hélas, concernées.

Car, en 435, il devint obligatoire d'être chrétien, sous peine de mort.

Et cette situation dura plus de mille ans.

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CHAPITRE 5 – La religion des Romains

Introduction

Les dieux des Romains apparaissent analogues à ceux des Grecs, mais leurs religions sont très différent es. Les peuples grecs et romains ont une origine indo-européenne commune et, lorsque ils ont migré vers d es territoires différents, ils ont amené avec eux les mêmes antiques fondements religieux. Ils les ont ensuite développés dans des contextes distincts. Quand ils se sont rencontrés, ils ont procédé aux rapprochements qui leur semblaient possibles. Les dieux des Grecs et d es Romains n'étaient pas transcendants. Ils habitaient le Monde, comme les Hommes, ils étaient immortels et l e plus souvent invisibles. Mais les Grecs se souvient beaucoup des origines du Monde, des dieux et des hommes, tandis que les Romains s'intéressaient bien plus à l'histoire de leur cité. On trouve chez les premi ers des cosmogonies complexes, parfois diversifiées, et une ouverture métaphysique qui est inexistante chez les seconds. Pour les Romains, l'histoire du Monde commence avec la fondation de Rome, et leur religio n constitue une sorte de pacte avec les dieux fondée sur le respect rigoureux des rites établis. Les Grecs n'on t pas de clergé, les Romains en ont plusieurs. Á terme cependant, les deux peuples se détacheront pourtant de leurs dieux innombrables, et ils accueilleront avec une relative facilité les étranges Cultes à Mystères im portés d'Orient, ceux d'Isis, de Cybèle, ou de Mithra, et même le Christianisme primitif. Si les Grecs nous ont laiss é la démocratie et la philosophie en héritage, les Romai ns ont mis en place, malgré leur grande cruauté, les fonde ments du droit et de la loi écrite, ce qui demeure au aut re bien

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précieux. En ce sens, ces anciens méritent notre re spect car leurs travaux encadrent encore notre vie quotid ienne.

La religion étrusque

L'antique religion étrusque pratique l’art antique de la mantique comme les Égyptiens et les Chaldéens. Elle est fondée sur trois groupes de livres sacrés. Le premier concerne l’aruspicine, observation du ciel et des oiseaux, et l’extispicine, l'ensemble des techniques divinatoires liées aux sacrifices, (Examen des comportements des victimes, disposition des viscères, couleurs des flammes et fumées des bûchers, etc..). Ces pratiques inspirées ressemblent à celles des devins babyloniens. Les haruspices utilisent des maquettes précises de viscères d’animaux. Les pratiques qui permettent de modifier éventuellement un destin défavorable ou funeste sont précisément codifiées. Les livres du second groupe enseignent la divination par l’observation de l’aspect des éclairs. Le ciel est partagé en seize parties déterminées par les quatre points cardinaux et l’axe Nord/Sud. L’observateur fait face au Sud. Les indices sont favorables à l’Orient, et défavorables à l’Occident. La signification des éclairs et du tonnerre est définie pour chaque jour de l’année. Onze sortes de foudres sont associées aux différents dieux toscans concernés, (dont les maladroites approximations romaines seront Jupiter, Junon, Mars, Saturne, et Minerve). Ces livres expliquent la signification des prodiges et des phénomènes extraordinaires rencontrés dans la nature. Tout est soigneusement réparti et catalogué, plantes, animaux, ou événements insolites. Les livres du troisième groupe règlent la répartition des terres et propriétés entre les membres des communautés, selon un code précis. Ils régissent également la disposition et l’orientation des différents édifices.

La religion des Romains n'intègre aucune cosmogonie ou hypothèse sur les origines de l'Univers, des dieux ou des hommes. Elle est bâtie sur la seule immanence de l'existence et de l'histoire de Rome.

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Quand Romulus et Remus consultent les présages, ils observent le vol des oiseaux. Remus observe six vautours. Romulus prétend en avoir vu douze et s'arroge le droit de choisir l'emplacement. Rendu furieux, Remus en franchit la marque et se fait tuer. La légende de sa fondation place d'emblée la ville sous les signes du sang et de la violence, et son destin en restera marqué. L'observation du vol des oiseaux est une pratique divinatoire relevant de la religion étrusque. La présence des Étrusques, (ou Toscans), dans la péninsule est constatée dès le ~13ème siècle. Ils y établissent une civilisation urbaine, épicurienne, spécifiquement marquée par la place importante tenue par les femmes. Outre Rome, ils fondent de nombreuses villes et ports dans le Latium, en Toscane et en Ombrie, mais peu d’édifices en ont subsisté. Il semble que les temples étaient construits par groupes de trois, correspondant aux triades honorées, disposés aux points cardinaux où étaient placées les quatre portes des cités géométriques. Les objets de pierre sculptée, de céramique, ou de terre cuite, ainsi que les bijoux d’or, d’argent, ou d’ivoire, témoignent d’une bonne habileté technique et d’une grande richesse artistique. Vaincus par les Grecs à Cumes en ~474, les Étrusques sont ensuite chassés de Rome. Prédécesseurs des Romains qui les battent définitivement en ~350, ils influencent cependant très largement leurs arts, leur architecture, et surtout leur urbanisme.

L'importance des nécropoles et des rites funéraires montrent que l’au-delà est au centre des préoccupations des Étrusques. Leurs livres sacrés enseignent que l’observance des rites permet d’accéder à une forme d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les cas. Leur religion tente d’influencer le cours des choses en apaisant les dieux et en organisant soigneusement la vie civile. Après la disparition de Romulus, le second roi de Rome, Numa Pompilius, fonde les cultes sur la base (de tradition étrusque) d'une triade fonctionnelle dite "précapitoline", dans laquelle, Jupiter, (Dyos Piter, Dieu le Père, en sanscrit), représente la souveraineté, Mars, la fonction guerrière, et Quirinus (Romulus), le dieu du peuple, les fonctions de production et de fécondité. Plus tard, une nouvelle triade s'y substitue associant Jupiter, Junon, son épouse, et Minerve, la protectrice de Rome. La religion devient civique, ritualisée et officielle. Elle est organisée par et pour l'État, et ses cultes sont légalement autorisés ou interdits. Elle concerne essentiellement les citoyens romains et se montre

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relativement tolérante envers les cultes des étrangers. Elle a pour mission de préserver la "pax deorum", la paix des dieux, condition qui assure la prospérité de la Cité, la victoire dans les guerres et la cohésion de la société. L'efficacité des cultes dépend de la bonne réalisation des rites, soigneusement exécutés. Les Romains ne craignent pas leurs dieux qu'ils révèrent comme des entités supérieures très puissantes, particulièrement honorables, qui entretiennent avec les humains des rapports de réciprocité et garantissent leur bienveillance en réponse aux marques de piété.

Sur la fondation de Rome, des légendes incertaines sont confondues dans la tradition littéraire qui situe son origine à la fin de la Guerre de Troie. Enée, un chef troyen, fils d'Anchise et de Vénus, fuit en bateau, débarque au Latium et épouse Lavinia, fille du roi Latinus. Son fils Ascagne fonde la ville d'Albe. L'un de ses descendants, Numitor est dépossédé par son frère Amulius. Sa fille Rhéa Sylvia, pourtant vestale, devient mère de deux jumeaux, engendrés par Mars. Amulius fait noyer Rhéa et dépose les deux enfants dans une corbeille sur le Tibre. Échoués au pied du Palatin et nourris par une louve, ils sont recueillis par deux bergers qui les nomment Romulus et Remus. Les enfants grandissent puis font rendre sa couronne à Numitor. Ils en reçoivent une vaste terre près du Tibre, et décident d'y fonder une ville. Les présages donnent la primauté à Romulus qui trace à la charrue les futurs contours de sa ville. Remus en ayant franchi le sillon par bravade, Romulus le tue, fondant Rome par le sang de son frère. Le peuple Samnite était établi dans l’Italie centrale au ~5ème siècle. Après trois guerres dont la seconde est perdue par les Romains, (qui doivent passer sous le joug humiliant des fourches caudines), un traité mit fin au conflit, unissant définitivement les deux peuples. Les Samnites nous sont connus par l’épisode de l’enlèvement des Sabines, (des Samnites), par les compagnons de Romulus qui organisent de grands jeux en l'honneur du dieu Consus, puis s'emparent des filles de leurs invités. Une guerre féroce éclate. Les Sabines qui ont épousé leurs ravisseurs, séparent les combattants et les réconcilient.

L'organisation des cultes à Rome

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Après la mort du roi sabin Tatius, Romulus règne seul. Il disparait un jour pendant un orage. On en conclut que son père, Mars, l'avait enlevé, et il est adoré depuis comme un dieu sous le nom de Quirinus, l'un des trois principaux dieux du panthéon Romain. Les activités civiles et religieuses sont confondues à Rome. Elles sont régies par un calendrier cyclique mal connu, (qui change au cours du temps en demeurant assez différent du nôtre). Le plus ancien ne dénombre que 55 jours ouvrables, le reste de l'année étant réservé aux fêtes et aux dieux. Sous la République, il y a 45 jours de fêtes religieuses et 60 jours de jeux publics (qui furent portés à 175 sous l'Empire), environ un jour sur deux. L'année romaine est calée sur le cycle lunaire. Elle commence en Mars et ne compte initialement que 304 jours répartis sur dix mois (numérotés de un à dix). On attend ensuite environ 60 jours jusqu'à ce que le grand Pontife déclare ouverte l'année nouvelle. Le roi Numa Pompilus ajoute deux mois de 25 jours à ce calendrier en les consacrant à Janus et Fébruus, (la correction nécessaire a lieu tous les quatre ans). Jusqu'au 1er siècle, les Romains ignorent également la semaine. Trois jours marquent la division du mois, les "Calendes", (premiers jours), où l'on proclame les cultes du mois, les "Ides" qui en marquent le milieu, et les "Nones", neuvièmes avant les Ides. Les dates sont calculées en reculant par rapport au repère suivant. Jules César reforme ce calendrier en ~46 en le calant sur un cycle solaire de 365 jours, et Constantin introduit officiellement la semaine de sept jours en 321 après J.C.

Calendrier romain

Durée

MARTIUS 31

APRILIS 30

MAIUS 31

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IUNIUS 30

QUINTILIS 31

SEXTILIS 30

SEPTEMBER 30

OCTOBER 31

NOVEMBER 30

DECEMBER 30

TOTAL 304

Nom français Nom romain

samedi saturnus dies

dimanche solis dies

lundi lunuae dies

ardi martis dies

mercredi mercurii dies

jeudi jovis dies

vendredi veneris dies

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Il y a à Rome, de nombreux prêtres répartis en deux groupes, les Collèges et les Sodalités. Mais la notion de laïcité n'existe pas et tout citoyen peut se transformer en célébrant puisque la religion n'est qu'un rituel destiné à maintenir la bienveillance générale des dieux. On comptait trois puis quatre Collèges dont les Pontifes, avec un rôle est très important car ils dirigent toute la religion romaine, les Augures, chargés d'interpréter les désirs des dieux par l'observation des signes divinatoires, les Quindecemviri qui consultent les Livres Sibyllins dans le même but, et enfin les Septemviri qui supervisent les jeux publics, le culte rendu à Jupiter Capitolin et les banquets sacrés. Il y a 16 Pontifes majeurs, issus des sénateurs et 3 Pontifes mineurs, issus des chevaliers. Nommés par cooptation, ils sont sous l'autorité du (Pontifex Maximus), le Grand Pontife (ultérieurement l'empereur), qui désigne parmi eux le Rex Sacrorum, le roi des choses sacrées, un patricien indissolublement marié qui a un rôle sacerdotal particulier. Les Pontifes sont en charge de l'important calendrier. Ils président toutes les fêtes traditionnelles, conservent les archives religieuses, jugent certaines affaires privées (deuils, mariages, testaments), Ils examinent les prodiges retenus par les Augures, et consacrent les lieux et monuments publiques. Á l'origine, ils entretenaient un pont sacré, d'où leur nom. Dans le même collège, on trouve aussi les Vestales et les quinze Flamines dont trois majeurs, le Flamine de Jupiter, Flamen Dialis, le Flamine de Mars,Flamen Martialis, et le Flamine de Quirinus, Flamen Quirinalis

Les Vestales sont les prêtresses de la déesse du feu Vespa, personnification divine des foyers. Vénérées par tous les Romains, elles entretiennent le feu perpétuel qui brûle dans le temple pour symboliser l'âme des ancêtres, feu qu'on ne peut rallumer qu’aux rayons du soleil, avec des miroirs, si jamais il s'éteint. Les Vestales sont des jeunes filles choisies dans les familles patriciennes, dès l'âge de six à dix ans. Parfaites et sans défaut physique, elles doivent rester vierges et demeurent en service pour trente ans. Elles sont au nombre de dix-huit, six en exercice, six novices et six anciennes. Pendant les dix premières années, elles sont instruites par les aînées, pendant les dix années, elles exercent effectivement leur ministère, et pendant les dix dernières, elles instruisent les novices. Elles rentrent ensuite dans

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la société et peuvent se marier. Le Grand Pontife les nomme par tirage au sort, et c'est aussi lui qui les punit très sévèrement quand elles laissent le feu s'éteindre. Astreintes à la virginité, les vestales doivent avoir une absolue pureté de mœurs. Celle qui manquerait au vœu de chasteté serait emmurée vivante dans un caveau avec quelques provisions et une lampe à huile. Comme tous les hauts dignitaires, elles sont précédées d'un licteur et suivies de nombreuses femmes et d'esclaves lorsqu'elles se déplacent. Elles peuvent faire gracier un condamné à mort rencontré sur leur Elles ne dépendent que du collège des pontifes, et sont souvent appelées pour apaiser les petits conflits familiaux. Vêtues de blanc avec un voile orangé, elles peuvent porter un manteau pourpre et garder toute leur chevelure.

Placés sous l'autorité du Pontifex Maximus, les Flamines sont attachés au culte d'un seul dieu. Trois flamines majeurs sont issus des patriciens, celui de Jupiter, Flamen Dialis, le Flamine de Mars,Flamen Martialis, et celui de Quirinus, Flamen Quirinalis. Les douze autres, issus des plébéiens, regroupent les Flamen Carmentalis (Carmentis), Flamen Cerialis (Ceres), Flamen Falacer (Falacer), Flamen Floralis (Flora), Flamen Furrinalis (Furrina), Flamen Palatualis (Palatua), Flamen Pomonalis (Pomona), Flamen Portunalis (Portunus), Flamen Volcanalis (Vulcain), et Flamen Volturnalis (Volturnus). Certains dieux nous sont inconnus, l'institution semble remonter à Romulus ou Numa. Les Flamines conservent chez eux le feu sacré, symbole de leur fonction. La charge prestigieuse est contraignante. L'impétrant est solennellement marié (par confarreatio, forme réservée aux patriciens). Il porte l'apex, coiffe de cuir blanc surmontée d'une touffe de laine. Il est soumis à de nombreuses obligations, ne pouvant monter à cheval ni dormir trois nuits hors de chez lui, ni passer sous une vigne, ni voir l'armée. Les pieds de son lit sont enduits de glaise. Le flamine de Jupiter ne touche pas les animaux impurs, ni un cadavre ou rien évoquant la mort. Il ne porte aucun nœud ou agrafe, ne se tient pas nu sous le ciel. En contrepartie, il siège au Sénat et dispose d'un licteur et d'une chaise curule, comme les hauts magistrats. Son épouse, la flaminica est vêtue de robes aux couleurs vives et participe aux rites. Elle ne peut montrer ses chevilles ni se coiffer avec un peigne en bois ou utiliser des ciseaux de fer, etc..

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Les Augures forment le second collège religieux romain. Lors de la fondation de Rome, c'est un augure étrusque du nom de Vettius qui départage Romulus et Remus par l'observation des vautours. Leur rôle est de faire connaître l'avis des dieux. Dans la Rome antique, les décisions politiques sérieuses exigent la consultation des augures, en charge de l’interprétation des signes divins. L'avis des dieux peut être obtenu par un présage lié à la survenance d'un évènement étrange dont le sens est donné par le collège des augures et la consultation d'archives spéciales ou des "Livres Sybillins". S'il n'y a aucun présage, l'augure observe l'appétit des poulets sacrés ou épie ce qui se passe dan un Templum, (non pas un temple), un lieu céleste dédié aux dieux. Il délimite cet espace avec le lituus augural, un bâton sans nœud terminé par une crosse courbe (qu'on retrouve dans la crosse des évêques et dans le mot liturgie). Si des oiseaux y passent, c'est un signe, favorable ou défavorable selon la direction de leur vol. Le lituus est utilisé dans d'autres rites "d'inauguration", comme lors de la fondation des édifices ou des villes. Quand l’armée part en campagne, elle est accompagnée d'augures et emporte des poulets dans des cages pour avoir des indications sur les combats prochains. Les Haruspices, autres spécialistes des signes divins, utilisent les pratiques divinatoires étrusques. Ils prédisent surtout l’avenir en observant les entrailles d’animaux sacrifiés, particulièrement leur foie. Contrairement aux Augures de fonction publique, les Haruspices sont des voyants plutôt consultés pour des questions d'ordre privé.

Deux autres collèges existent à Rome. Quinze prêtres dont la moitié de plébéiens constituent le Collège des Quindecemviri sacris faciundis. Placés sous l'autorité du Pontifex Maximus, ils sont chargés de consulter les Livres Sibyllins. Il s'agit de trois recueils d'oracles probablement acquis à la Sybille de Cumes, au ~6e siècle, par le roi Tarquin le Superbe qui les plaça dans le temple de Jupiter. Ils sont consultés dans les circonstances graves, ou lors de l'apparition d'un prodige manifestant une colère divine, afin de savoir quel dieu est irrité et comment l'apaiser. Ils provoquèrent l'introduction de plusieurs dieux grecs dans le Panthéon romain et l'instauration des banquets sacrés donnés en l'honneur des dieux, et ils conclurent parfois à la nécessité de sacrifices humains. Les Quindecemviri lisent l'interprétation des oracles devant le Sénat qui

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décide de la suite à donner. Ces Livres Sybillins furent brûlés par les Chrétiens lorsque le Christianisme devint religion d'État. Á leur fondation, au ~2e siècle, les Septemviri Epulone groupent sept plébéiens qui constituent le septième Collège. Ils assistent les Pontifes et sont autorisés à porter la robe prétexte, une toge blanche bordée de pourpre marquant la dignité patricienne. Ils procèdent aux libations avec la "Patera", et ils supervisent les jeux publics, le culte rendu à Jupiter Capitolin, les repas publics donnés par l'empereur et les "lectisternes" des banquets sacrés donnés pour Jupiter et les autres dieux, à l'occasion d'une réjouissance ou d'une calamité publique. Les statues des divinités sont couchées devant des tables couvertes de victuailles que mangent ensuite les Epulones.

Il existes d'autres confréries, les Sodalités (sodalitas), qui comprennent au moins les Fétiaux, les Saliens, les Frères Arvales et les Luperques. Les Féciaux interviennent lors des déclarations de guerre et des traités de paix. Les Saliens gardent un don divin, le bouclier sacré de Numa qui serait tombé du ciel. Le roi le plaça en un endroit réservé (la Curia Saliorum) et en fit faire onze copies pour que nul ne puisse reconnaître le vrai. Ces boucliers (ancilia) se mettraient en mouvement en cas de danger. Les frères Arvales commémorent Acca Larentia, la nourrice des jumeaux Romulus et Remus. Ses fils furent les premiers Arvales. Ces Frères doivent curieusement invoquer le dieu Mars pour qu'il accorde la prospérité des champs. Il est étonnant de trouver le dieu de la guerre dans un rite agraire, mais l'été est la saison de la guerre comme des travaux des champs. Les Luperques sont les prêtres du dieu Faunus Lupercus. Au mois de février, en mémoire de la Louve mythique (lupa), ils immolent des chèvres et des chiens dans la grotte du Lupercal. Nus et tachés de sang, ils font le tour du Palatin en flagellant les femmes sur leur chemin pour les rendre fécondes. Cette fête licencieuse serait l'origine de la St Valentin. Il y a encore à Rome d'autres groupes religieux, tels les trente Curions, les prêtresses de Cérès, ou les Galles de Cybèle. Les Curions sont les sacrificateurs des Curies, (Romulus ayant divisé le peuple en trois tribus et trente curies). Á Rome, l'exercice d'une fonction religieuse laisse les prêtres mener une vie normale, et ils peuvent cumuler

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magistrature religieuse et magistrature civile, ou passer de l'une à l'autre.

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Les Dieux Italiques

Les dieux des Romains ne sont pas des personnes comme les dieux grecs. Ce sont plutôt des énergies issues de la nature, du destin, ou même des abstractions divinisées. Le Romains n'ont pas ni cosmogonie ni mythologie, hors l'histoire de la fondation de Rome. Les dieux sont des entités exigeantes qu'il convient de traiter selon les rites et avec la pureté de mœurs nécessaire. Certains dieux sont indigènes (indigetes) et d'autres sont importés (novensides) .Certains reçoivent un culte public, et d'autres un culte domestique pratiqué à domicile devant un autel (lararium) construit ou peint dans chaque maison. Ces cultes privés honorent les dieux les plus anciens, venant des Étrusques, à commencer par le Génie associé à chaque vivant (genius). Celui du père de famille est souvent représenté par un serpent. Associée à Junon, la femme n'a pas de génie propre. Le père dirige le rituel particulier à chaque foyer. Le Grand Pontife s'assure seulement que sa bonne observation garantit le société contre la venue des Larves, (âmes damnées venant hanter la demeure des vivants). Le père de famille jette des fèves noires par dessus son épaule gauche en prononçant des conjurations. Les Lémuries sont célébrées dans chaque foyer début mai, dans le même but. Au milieu de la nuit, le père se lève, pieds nus, suivi de toute la maisonnée. Il fait la fica avec le pouce au milieu de ses doigts joints pour s'assurer une protection magique. Il se lave les main puis prend neuf fois de suite des fèves noires qu'il mâche et crache derrière lui en prononçant une formule de conjuration rituelle. Il se purifie dans l'eau de nouveau et l'on fait tinter des vases de bronze toute la nuit pour effrayer les ombres qui, sans ce rite, pourraient emporter dans la mort l'un des membres de la famille.

Les Mânes, les esprits des ancêtres d'où provient le Génius du père de famille, peuvent donc être des puissances maléfiques dont il convient de se concilier les bonnes grâces. D'autres Lémures, par contre, les Lares, sont toujours bénéfiques. Ces sont des divinités

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protectrices originellement agraires, publiques ou privées, attachées à un lieu fixe. Elles protègent les carrefours (lares compitales), la maison (lares familiares), et aussi l'État (lares praestites). Des stèles dédiées aux Lares publics sont édifiées aux carrefours et au long des chemins (où les Romains enterrent les morts). Dans les laraires domestiques, les Lares familiers sont généralement représentés sous forme d'adolescents tenant une corne d'abondance. On leur porte une grande attention en les entourant de fleurs et en leur adressant des prières fréquentes. Les esclaves et les affranchis sont activement associés aux cultes domestiques, et l'un d'entre eux entretient le lararium. Chaque jour, on prie aussi les Pénates, divinités du foyer. Elles veillent sur le feu de la cuisine et gardent sains les aliments. Le mot "pénates" vient en effet de penus, qui signifie garde manger. Liés à la famille qu'ils protègent, les Pénates se déplacent avec elle. L'expression française "transporter ses pénates" vient de cette coutume. Ce culte est associé à celui de Vesta, la déesse de ce feu domestique sacré qui ne doit jamais s'éteindre, pas plus que le feu sacré de la Cité. Au coté des Lares sur le Lararium, on trouve de nombreuses statuettes offertes en ex-voto aux divinités les plus diverses. Le jour de leur mariage, les jeunes filles offrent d'abord leurs poupées d'enfance aux Lares de leur père, puis elles placent une statuette de Vénus, symbole d'amour et fécondité, dans le Laraire de leur nouvel époux.

Chaque partie de la maison romaine est placée sous la protection d'une divinité domestique particulière, comme Forculus qui en garde la porte, Limentinus, la pierre du seuil, et Cardea, les gonds. D'autres divinités nombreuses aident l'enfant à grandir. Vaticanus aide le nouveau-né quand il pousse son premier cri, Cunina le protège au berceau, Rumina l'aide à téter, Statulinus ou Statinus lui apprennent à se tenir debout. Plus tard, Educa l'assiste pour manger seul et Potina pour boire. Fabulinus l'apprend à parler, et lorsqu'il commence à marcher, Abeona protège ses allers et Adeona ses retours. D'autres divinités protègent le bétail et les récoltes. Bubona s'occupe des boeufs, Epona, des chevaux, Pales, des moutons. Flora fait fleurir le blé, Matula le fait mûrir et Robigo le protège de la rouille. De façon très particulière, l'on célèbre aussi à Rome, des entités fort abstraites comme Fors et Fortuna, les deux déesses du hasard, Fides, la bonne foi, Honor et Virtus, la gloire et la valeur, Concordia, la force de

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cohésion des citoyens, Febris, la fièvre, etc.. Pour éviter de mécontenter quiconque, on prie même le "dieu inconnu", et on lui élève un temple (qui fut un temps offert aux Chrétiens). Les Romains honorent encore un grand nombre de "volontés divines aléatoires" (numina) qu'il faut absolument se rendre favorables dans des circonstances bien précises de l'existence. Par exemple, dans la succession saisonnière des travaux agricoles et en fonction de son activité, le cultivateur doit s'adresser à Sterculinus (pour l'engrais du sol), à Vervactor (pour le premier labour), à Redarator (pour le second), ou à Sator (pour l'ensemencement) etc.. Pendant longtemps, les Romains ne représentent pas ces "numina", ce qui démontre leur très grande ancienneté.

Les principaux dieux italiques (indigetes) semblent être Carmenta (déesse des sources, puis de la prédiction), Cérès (déesse des fruits de la terre), Faunus (dieu du bétail), Flora (déesse des fleurs), Janus (dieu de la lumière), Junon (déesse de la femme et de la maternité), Jupiter (grand dieu du ciel et du tonnerre), Mars (dieu de la végétation et de la guerre), Minerve (déesse de l'intelligence), Palès (dieu puis déesse des pâturages et des bergers), Pomona (déesse des fruits et des arbres), Quirinus (confondu avec Romulus), Saturne (dieu des semailles et de la culture), Tellus (déesse de la terre et des moissons), Vertumne (dieu des saisons et du commerce), Vesta (déesse du foyer), Vulcain (dieu du feu). On trouve aussi Flora (protectrice des jardins), Silvanus (dieu des bois), Feronia (dieu de la nature sauvage), Lupercus (dieu des loups), Consus (lié au monde souterrain et protecteur du blé). Les dieux de la fertilité ont un double aspect mâle et femelle comme Liber/Liberia (dieux de la vigne et de la fertilité en général). Les Latins considèrent alors que les numina sont des manifestations impersonnelles de la volonté divine et qu'elles ne doivent donc pas avoir de forme. Parmi ces "volontés ou intentions divines", certaines numina sont particulièrement importantes parce qu'elles patronnent une activité globale. Saturne préside aux semailles, Janus à la lumière, Mars à la végétation et la guerre, Jupiter aux éclairs et phénomènes atmosphériques. Á l'origine, ils sont représentés par des symboles comme l'épée du dieu Mars. À partir du ~6e siècle, sous l'influence des Étrusques, une assimilation se produit avec des dieux grecs, et

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les dieux commencent à apparaître avec un caractère personnel et sous une forme anthropomorphique.

Les Romains observent rigoureusement les rites car toute négligence oblige à les recommencer. Les pratiques ordinaires comportent des prières, des vœux et des sacrifices. Pour prier, le fidèle se tient à genoux, tête couverte, tourné vers l'est. Il touche l'autel ou les genoux de la statue. Il répète à haute voix les formules lues par le prêtre et il termine par l'adoratio (baiser envoyé de la main gauche) ou la supplicatio (prosternation). Il peut aussi faire des vœux ou promesses, comme bâtir un temple, célébrer des jeux, offrir des sacrifices ou des dons, etc.. Pour offrir un sacrifice, il doit se baigner et revêtir une robe blanche. Les animaux à immoler doivent être sans tache. Ils sont garnis de bandelettes et leurs cornes sont dorées. Des serviteurs sacrés les amènent en donnant l'impression qu'ils vont d'eux-mêmes au sacrifice. On place sur leur tête un gâteau fabriqué par les Vestales, et on l'arrose de vin en faisant une libation. Puis, un serviteur spécialisé, le victimaire, questionne «agone?». Et le prêtre, la tête couverte d'un pan de sa toge, répond «hoc age». La victime est alors immolée d'un coup de maillet, de hache ou de couteau. L'animal est dépecé et sa chair partagées entre le prêtre, le donataire et l'assistance, tandis que les haruspices examinent les entrailles. Si elles ont bon aspect, on les brûle sur l'autel, sinon le sacrifice n'est pas agréé des dieux et doit être recommencé. Une forme élaborée de sacrifice (suovetaurile) peut clôturer une cérémonie de purification commencée par une procession. D'autres pratiques consistent en un festin offert à la statue d'un dieu couchée sur un lit (lectisterne) ou assise sur un siège (sellisterne)... Les Romains invitent aussi les dieux des adversaires vaincus à venir à Rome pour être bien honorés.

L'influence grecque et les dieux Étrangers

La jeune Rome entre vite en conflit avec Albe qui dirige la région. Le combat légendaire des Horace contre les Curiace marque la fin de cette prédominance, au profit de Rome. Historiquement, au ~8e siècle, les Grecs, les Carthaginois et les Étrusques régentent à tour de

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rôle cette Méditerranée occidentale. Dans le Latium, Rome reste conduite par les Étrusques, (les Tarquin). Cette situation dure jusqu'au ~6e siècle, puis les patriciens romains chassent Tarquin le superbe, leur dernier roi étrusque. Rome s'émancipe et nomme deux "rois annuels", les consuls. Divers conflits l'opposent aux Étrusques, aux Sabins, et autres peuples latins. Au ~4e siècle les Celtes (Gaulois), conduits par Le Brenn, investissent Rome , la rançonnent (Vae Victis), et puis s'en vont. Rome se renforce alors et engage plusieurs guerres dites "Samnites" qui lui permettent de s'emparer de l'Italie centrale puis de l'Italie du Nord. Cependant, les Grecs très affaiblis sont encore présentes dans leur ancienne colonie de la Grande Grèce (Italie du Sud et Sicile). Rome tente plusieurs fois de s'en emparer, mais les éléphants du macédonien Pyrrhus contiennent les légions qui finissent pourtant par vaincre en ~272, et Rome s'empare de toute l'Italie du Sud. Quoique la péninsule soit alors entièrement soumise, le territoire proprement romain reste limité au Latium, à l'Ombrie et à la Campanie, les autres régions payant simplement tribut. La Sicile demeure encore aux mains des Carthaginois. La puissance importante et croissante de Carthage dans la région est un souci constant pour les Romains. Leurs concurrents dominent déjà la plupart des cotes de l'Afrique du Nord, le détroit, la moitié orientale de la péninsule hispanique et les trois grandes îles aux portes de Rome.

La confrontation avec les Carthaginois est inévitable. Elle prend la forme des trois guerres (dites puniques) successives, entre ~264 et ~146. Pour l'époque, les moyens mis en œuvre sont absolument considérables. La première guerre fut menée par les Carthaginois Hamilcar Barca puis Hasdrubal et son fils Hannibal. Elle dure environ vingt ans, et Carthage envahit l'Espagne mais perd la Sicile. La seconde guerre est la plus connue, et Carthage y engage des moyens énormes. Son armée compte soixante mille fantassins, onze mille cavaliers numides, et trente-sept éléphants. Le général Hannibal réalise un exploit militaire extraordinaire. Son immense armée traverse toute l'Espagne et les Pyrénées. Elle remonte ensuite le Rhône qu'elle passe sur des radeaux, puis elle traverse les hauts cols des Alpes avec ses cavaliers et éléphants, et entre en Italie. Allié aux Gaulois et aux Macédoniens, Hannibal, d'abord victorieux, obtient le ralliement de la Sicile, de la Sardaigne, de Tarente et de

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Capoue, ville dans laquelle il s'attarde longuement au lieu de marcher sur Rome. Pendant ce temps, les Romains fort affaiblis réussissent à rassembler deux cent mille guerriers. Sous le commandement de Scipion (l'Africain), ils s'emparent de l'Espagne et débarquent en Afrique. Ils retournent les alliés numides, et avec cette nombreuse cavalerie, ils gagnent la bataille décisive de Zama qui marque la défaite de Carthage. Cette guerre marque cependant profondément les Romains qui décident de détruire complètement Carthage. La troisième guerre amène le terrible siège de Carthage, qui dure trois ans (de ~149 à ~146). Finalement les Romains détruisent complètement la ville qui est rasée, et la population est exterminée dans l'un des grands génocides de l'Histoire.

Sans la défaite de Carthage, la condition actuelle de l'Occident serait très différente. Leurs dieux phéniciens étaient mystérieux et féroces et s'appelaient Baal (El), Astarté (Tanit), Melgart, Eshmoun, etc.. Leurs cultes cruels comportaient des sacrifices humains (peut être aussi d'enfants). L'écrasement de Rome par Hannibal aurait probablement signifié la diffusion de ces cultes dans toute l'Europe occidentale. Les Romains accueillaient facilement les dieux des nations vaincues, mais il ne semble pas qu'ils aient jamais adopté ceux des Carthaginois. Au ~3e siècle, ils vénéraient déjà Esculape, une romanisation du dieu grec Asclépios. Pourtant, la première divinité orientale officiellement introduite en ~202 à Rome fut Cybèle, une déesse anatolienne au culte sanglant dont les fidèles, les Galles, se castraient parfois aux mêmes avec des éclats de silex. On lui éleva d'ailleurs un temple. Sur le plan politique, les Romains sont maîtres de l'occident européen mais ils n'en restent pas là. Ils engagent la conquête de toute la Méditerranée orientale. Cela leur demande beaucoup de temps, un siècle et demi environ, et la religion romaine évolue beaucoup au contact des civilisations étrangères. La rencontre des dieux grecs transforme les concepts religieux romains et provoque d'étranges assimilations. Jupiter est assimilé à Zeus, et des petites divinités romaines secondaires sont identifiées aux grands dieux grecs, comme Neptune à Poséidon, Diane à Artémis, et bien d'autres. Des dieux grecs comme Dionysos, inconnus à Rome, y sont importés avec tous leurs attributs. Et comme la religion grecque avait beaucoup évolué en relation avec la constitution de l'immense

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empire d'Alexandre, les conséquences de l'évolution sont intégrées par les Romains.

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orrespondance des noms des dieux grecs et latins

Grec Latin Dieu ou déesse

Gaïa Terra Déesse-mère, personnifie la Terre

Ouranos Uranus Dieu-père, personnification du Ciel

Cronos Saturne Titan, père de Zeus

Rhéa Cybèle Titanide, épouse de Cronos/Saturne

Zeus Jupiter Roi des dieux

Héra Junon Déesse du Mariage, épouse de Zeus/Jupiter

Hadès Pluton Dieu des Enfers Poséidon Neptune Dieu de la Mer

Déméter Cérès Déesse de la Terre et de l'Agriculture

Hestia Vesta Déesse du Foyer

Aphrodite Vénus Déesse de l'Amour et de la Beauté

Grec Latin Dieu ou déesse

Arès Mars Dieu de la Guerre

Athéna Minerve Déesse des Arts et de la Science

Héphaïstos Vulcain Dieu du Feu

Apollon Apollon Dieu de la Lumière, des Prophéties et de la Vérité

Artémis Diane Déesse de la Chasse et de la Nature

Hermès Mercure Messager des Dieux

Dionysos Bacchus Dieu de la Vigne et du Vin

Eros Cupidon Dieu de l'Amour

Hélios Sol Dieu du Soleil

Perséphone Proserpine Déesse de la Mort et de la Fertilité

Asclépios Esculape Dieu de la Médecine et de La Santé

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L’influence grecque et les idées platoniciennes marquent profondément la société romaine et s'étendent progressivement dans tout l’Empire. Depuis l'épopée d'Alexandre, le phare culturel d’Alexandrie rayonne sur la Méditerranée. Dans les quelques siècles qui encadrent la naissance du Christianisme, de nombreux courants de pensée agitent le monde antique. Les différentes écoles envoient des missions un peu partout pour répandre leurs cultes et leurs idées, et cela concerne aussi la Palestine et le Judaïsme. Cette importante turbulence amène des confrontations qui opposent les vieux cultes traditionnels aux religions nouvelles et aux idées des penseurs néo-platoniciens, hermétistes, gnostiques et chrétiens. Les Cultes à Mystères alexandrins apparus en Grèce se diffusent dans tout l’Empire Romain. Les plus connus sont les Mystères d’Éleusis, qui célébraient le culte des deux déesses, Déméter (Cérès à Rome), et Perséphone, mais d’autres cultes étaient rendus à Apollon, Dionysos, Cybèle et Attis, Mithra, Astarté, Pan, Adonis etc... Il faut ajouter les cultes égyptiens d’Isis, Sérapis, ou Anubis, et ceux de divers sauveurs comme Jupiter Héliopolitain Dolichénien. Ces cultes introduisent dans les religions antiques les concepts nouveaux d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection. Sous l’influence de l’hellénisme qui les tolère, les Romains accentuent leur facultés d'assimilation et adoptent avec enthousiasme ces doctrines dont les pratiques inhabituelles viennent secouer la terne monotonie de leurs habitudes. La plupart des nouvelles liturgies, (et ultérieurement le Christianisme), s’adressent à des dieux souffrants dont les cultes évoquent la passion, et les fidèles reproduisent sur eux-mêmes les tribulations du dieu.

Les pratiques entraînent des privations pénibles et des souffrances occasionnellement sanglantes, mais les Romains adaptent parfois les rites à leurs lois, remplaçant la castration des galles de Cybèle par une douche de sang dans le taurobole. La célébration des Mystères provoque de frénétiques comportements de défoulement et des émotions violentes qui fascinent les citoyens romains blasés et fatigués par la décomposition politique et les traditions vieillissantes. Des paroxysmes extatiques accompagnent la révélation progressive du dieu. Les liturgies, prenantes et colorées, s’appuient sur des initiations successives qui expliquent les significations cachées des Mystères. Elles sont accompagnées de

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baptêmes exaltants dont les rites de mort et de résurrection marquent la progression des initiés vers le salut dans un autre monde. Dans chaque niveau initiatique, des cérémonies marquent l’entrée dans une fraternité accueillante, et les rituels comportent souvent des repas en commun qui soudent la communauté. Le culte de la Déesse Mère Isis prend une importance considérable et elle devient la déesse universelle qui engendra l'univers et les astres. Un temple d'Isis existe encore à Pompéi. Un autre dieu connait un succès considérable à Rome, le dieu iranien Mithra dont le culte viril lié au taureau attirait les militaires. Il est évident qu'à cette époque la religion traditionnelle ne satisfait plus les citoyens. Quoique les lettrés réaffirment leur attachement aux traditions ancestrales, les esprits s'ouvrent au monothéisme. L'empereur Aurélien tente d'instaurer le culte du Soleil invaincu (Sol invictus), puis en 380, l'empereur Théodose fait du Christianisme la religion officielle de Rome et tous les temples anciens sont détruits.

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CHAPITRE 6 - La Divine Comédie de Dante

Introduction

La "Commedia" a été écrite par le florentin Dante Alighieri, vers 1307. On la décrit souvent comme une grande oe uvre lyrique et ésotérique. C'est surtout un roman d'amo ur, celui d'un amour immense et désespéré. Dante a déçu la femme qu'il aimait éperdument et elle est morte ava nt qu'il ait pu la reconquérir. Son dernier espoir est de re joindre son âme au Paradis pour obtenir son pardon et retro uver son amour. Dante raconte donc ce rêve d'un voyage imaginaire au travers du monde des morts. Guidé d'a bord par Virgile qui représente sa raison puis par Béatr ice qui est son âme divine, Dante va passer de l'enfer au purgatoire puis au paradis. Ces trois sections partitionnent une œuvre importante où l'on rencontr e de nombreux personnages symbolisant les divers vices o u vertus. Le texte détaille les châtiments ou les récompenses reçues. On voit que le livre peut admet tre des interprétations variées. Il illustre bien les c limats philosophiques, scientifiques, religieux et politi ques de la fin du 13e siècle.

Dante en son temps

Dante était un écrivain italien qui naquit à Florence en 1265 et mourut à Ravenne en 1321. Il fut le premier à écrire en italien et non plus en latin. Ce n'était pas un contemplatif mais bien un politicien

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convaincu, ardemment engagé dans la guerre civile successorale et dynastique qui opposait les Guelfes, partisans du Pape Alexandre III, aux Gibelins qui soutenaient l'Empereur Frédéric II (Barberousse). Il participa même personnellement aux combats. Á Florence, il parvint à la magistrature suprême en 1300. En 1301 Dante fut envoyé à Rome en ambassade auprès du Pape Boniface VIII. Mais les Guelfes, politiquement dominants, étaient alors divisés en deux clans férocement rivaux, Blancs, (modérés) et Noirs, (extrémistes).

Dans l'ordre chronologique, Dante produisit les livres suivants : Vita Nova (Vie renouvelée), Rime (Rimes), Convivio (Banquet), De Vulgari Eloquentia (De l'éloquence en langue vulgaire), Monarchia (Monarchie), Epistole (Épîtres), Egloge (Églogues), Questio de Aqua et Terra (Querelle de l'Eau et de la Terre). Son dernier ouvrage est le plus célèbre, La Commedia, ( Introduzione, l'Inferno, Il Purgatorio, Il Paradiso. L'immense poème qu'est "la Divine Comédie" comporte une introduction suivie de 99 chants versifiés (tercets), constituant une séquence de trois parties complémentaires, l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis, (cent chants au total). On attribue aussi à Dante Il Fiore e Il Detto d'Amore. (La Fleur et le discours d'Amour). Avec l'aide de Boniface VIII, les Noirs prirent le dessus et abusèrent cruellement de leur victoire. Lourdement condamné et incapable de payer l'amende imposée, Dante, qui était Guelfe blanc, était formellement menacé du bûcher s'il revenait à Florence. Il demeura donc prudemment à Rome puis se réfugia à Vérone et enfin à Ravenne où il mourut en 1321 de la malaria. Il se considéra toujours comme un exilé car il ne revint jamais en sa ville. Il se consacra d'abord à l'écriture puis changea d'option politique, soutenant dorénavant les Gibelins. Comme les autres ouvrages écrits pendant cette période difficile de sa vie, la "Commedia" reflète partiellement les mortelles rivalités et la terrible violence des conflits politiques de l'époque.

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Les premiers livres de Dante

Vous lirez partout que Dante, (Durante degli Aligheriri), le fils aîné d'Alighiero di Bellincione et de Gabriella degli Abati, était un très grand poète. Vous n'éprouverez cependant aucun plaisir à la lecture de ses ouvrages originaux. Car Dante écrivait en toscan, un ancien langage obsolète depuis bien longtemps. Vous n'aurez donc accès qu'à des traductions qui dégradent l'oeuvre originale. Par ailleurs, une grande partie des textes de Dante est versifiée dans une forme très formelle et très concise qu'aucune traduction ne peut fidèlement reproduire. Et surtout, le contexte culturel et politique qui a inspiré les textes nous est devenu parfaitement étranger. On y trouve en effet de très nombreuses références mythologiques, historiques et religieuses complètement oubliées et même beaucoup de règlements de comptes politiques. Aujourd'hui ces livres nous tomberaient des mains. Je crois qu'il est indispensable, pour les reconnaître, de recourir humblement aux analyses des commentateurs. C'est maintenant ce que je vous propose d’essayer de faire ensemble.

En 1292, Dante écrit son premier ouvrage, la Vita nuova. C'est une petite autobiographie comprenant 35 poèmes et 42 chapitres en prose. Écrit en toscan ancien (langue dite vulgaire, au sens de populaire, par rapport au latin traditionnel), le livre apparaît novateur. Dès les premières lignes, Dante évoque l'étonnant personnage de Béatrice, (Bice di Folco Portinari), qui va inspirer tout le livre. Alors qu'il n'avait que neuf ans, il a croisé par hasard une petite fille. Vêtue de rouge et parée comme tous les Florentins de qualité en ces temps, elle n'avait que huit ans. Dante a cru voir un ange. Neuf années passent avant qu'il la rencontre pour la seconde fois. Jeune fille toute vêtue de blanc, elle lui adresse "un doux salut". Ébloui, Dante met à écrire de nombreux sonnets au point d'intriguer ses amis. Pour tromper leur curiosité, il feint de s'intéresser à d'autres dames. Dorénavant, Béatrice refusera son salut. Elle épousera

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Simone de Bardi et mourra jeune. Et Dante écrira Vita nuova, cette grande poésie lyrique qui fait de Béatrice un ange descendu du ciel. Dante produisit la Vita nuova deux ans après la mort énoncée de Béatrice. Mais les commentateurs ne semblent pas certains que la réalité fut celle que Dante décrivit. On ne sait pas vraiment si cette Béatrice fut l'objet d'un amour éperdu, d'un rêve ou d'un délire ou bien qu'elle ait été un moyen littéraire génial, imaginé pour émouvoir le lecteur. Réel ou fictif, ce personnage a inspiré de nombreux peintres, de Giotto à Dali. D'innombrables tableaux représentent la relation de Dante avec Béatrice, tout autant dans la Vita nuova que dans la Divine Comédie. Elle a aussi inspiré un opéra de Godard et beaucoup de compositeurs de musique et autres artistes divers. La composition de l'ouvrage est assez curieuse, faisant alterner des poèmes et des parties en prose. Il semble qu'originellement, cette prose exposait l'histoire des amours déçues de Dante. La frustration liée à la mort de Béatrice stimula l'imagination de l'auteur. Il intégra à l'ouvrage tous les longs poèmes sublimant ses souvenirs, en y ajoutant des explications quant à leurs structures et leurs contenus. Le second livre en toscan de Dante, "Le Banquet", (Convivio), est très important. L'auteur a pris conscience du désir de connaissance qu'ont tous les hommes. Il se propose de satisfaire cette faim et construit son ouvrage comme un banquet de savoir offert aux chercheurs. On y trouve une succession de mets philosophiques à thèmes, sous forme de longs poèmes suivis d'explications en prose bien plus longues encore. Dante aimait expliquer systématiquement la signification précise de chaque détail de son travail. Ce qui paraît précieux dans ce Banquet, ce sont justement ces explications qui exposent l'essentiel du contexte culturel, moral, religieux, politique et scientifique de l'époque. Le premier chant est cosmogonique. Comme chez Aristote, la Terre est le centre de l'Univers. Elle est entourée de neuf cieux, de la Lune, de Mercure, de Vénus (contenant l'épicycle cause des écarts orbitaux), du Soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, des Étoiles, puis du ciel Cristallin de Ptolémée. Au dessus est l'Empyrée, lieu de séjour divin, le ciel de lumière des Catholiques.

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Dante décrit ensuite les moteurs animant ces cieux, ces innombrables ensembles d'intelligences que les païens appelaient dieux et que Platon nommaient Idées. Plus ils sont proches de Dieu et plus ils sont puissants. Ils se répartissent en trois hiérarchies, chacune de trois ordres, d'abord les Anges, les Archanges, et les Trônes, puis les Dominations, les Vertus et les Principautés, et enfin les Puissances, les Chérubins, et au sommet les Séraphins. Cette organisation reflèterait celle de la Majesté divine en ses trois aspects doctrinaux du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et Dante poursuit ses exposés dans la même veine, assimilant aux sept premiers cieux les sept sciences raisonnables classiques, au premier la Grammaire, puis la Dialectique, la Rhétorique, l'Arithmétique, la Musique, la Géométrie et l'Astrologie. Au ciel des Étoiles, il place la Physique et la Métaphysique, et enfin, tout en haut, la Théologie. Tout cela est justifié dans le détail par de longs discours et de multiples références aux traditions mythologiques et aux travaux des plus grands philosophes.

Les doctrines et les sciences

Les doctrines métaphysiques et religieuses s'appuient bien souvent sur des éléments fournis par la science à l'époque de leur

élaboration.

Mais les doctrines prétendent aux vérités définitives concernant les origines et le destin du Monde, tandis que les théories des sciences

demeurent éphémères, se succédant continûment pour en exposer les seuls aspects actuels.

Les convictions immuables sont alors bâties sur du sable car les sciences changeantes qui les fondent ne reflètent que les

connaissances du moment.

C'est pour exprimer cela que le Théosophe Rudolf Steiner disait : "On peut être à la fois homme de science moderne et investigateur

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spirituel, mais dans ce cas, il faut être authentiquement l’un et l’autre."

Ainsi vont les chants dans ce banquet de thèmes, traitant, entre autres et par exemple, des mouvements circulaires du Soleil et de la Terre d'après les philosophes, des inclinations du corps et de l'âme en fonction de leur nature minérale, animales ou spirituelle, ou des attraits des bonnes et mauvaises actions. Dante traitera aussi des structures de la société politique et civile médiévale, du rôle de la Noblesse, de la légitimité du pouvoir impérial et des interventions de l'Église et du Pape. Il évoquera des sujets abstraits, tantôt positifs tels la raison, le discernement, ou l'éthique, tantôt négatifs comme l'arrogance, l'irrespect, ou l'incivisme. Il parlera aussi du Droit et de la Logique, des Arts, des richesses et de la cupidité, de la vérité et autres vertus. Mais Dante n'oublie pas Béatrice qui revient souvent dans le texte pour conforter les arguments relatifs à l'amour, à la beauté, à la noblesse, ou la vertu. On voit se mettre en place au fil des pages le personnage de la Dame sainte, envoyée de Dieu dans la future Commédia sur laquelle Dante travailla si longtemps. En 1304, Dante commençait le "Banquet", important traité en toscan qui devait compter quinze chapitres. Mais il n'en écrivit que quatre et laissa l'ouvrage inachevé. Á la même époque, il travaillait aussi sur un grand traité en latin, "De vulgari eloquentia", une étude des dialectes vulgaires qui semblait porter ses espoirs de contribuer à l'unification de la future langue italienne. Il abandonna aussi cette oeuvre avant de l'avoir achevée. Peut-être travaillait-il déjà sur la "Commédia" dont on date la mise en route vers 1307. Un peu après 1313, il fait paraître un autre traité en latin, "De Monarchia", qui propose la monarchie universelle comme le parangon des systèmes politiques, seul capable, à son avis, de réaliser la sécurité et le bonheur des hommes. Ce livre qualifié d'hérétique sépare l'autorité temporelle de l'empereur et l'autorité spirituelle du pape. Sa mise à l'index durera jusque 1881. On peut encore évoquer "Questio de aqua et terra", autre court traité en latin, et deux "églogues" qui sont des florilèges de poèmes bucoliques. On a aussi ultérieurement recueilli des poèmes dans "Rime" et des lettres dans "Epistole", publiés de façon posthume.

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Dans le début des années 1300, Dante entreprend la Commedia (qui devient la Divine Comédie en 1555) qui est dédiée à Virgile. C'est son chef-d'oeuvre et il y travaillera jusqu'en 1321. L'ouvrage est rédigé en toscan, la madre lingua, ce langage local qui deviendra "l'italien". L'oeuvre comporte trois parties divisées chacune en trente-trois chants. Elle compte au total quatorze mille deux cents vers. La versification utilise la terza rima. Dans ces tercets de trois vers, le premier rime avec le troisième, et le second appelle les première et troisième rimes du tercet suivant. Dante écrit d'abord "l'Enfer", vers 1307. Il y place tous ses ennemis dans des situations horribles. Il ajoute "le Purgatoire" vers 1316 et achève enfin le livre avec "le Paradis" en 1321, juste avant sa mort. La "Commédia" relate le voyage imaginaire que Dante entreprend pour rejoindre Béatrice, la femme qu'il aimait et qui est morte et qu'il a idéalisée comme un ange de Dieu. Le livre commence de façon abrupte. Le poète se met en route le 8 avril de l'an 1300, jour du Vendredi Saint, et il se trouve égaré dans une vallée profonde où il est menacé par trois bêtes féroces. Alors paraît Virgile qui vient l'aider. Á l'image d'Ulysse et d'Orphée mais en compagnie d'un guide, Dante va passer les portes du séjour des morts, et traverser les neuf cercles du puits de l'Enfer, puis les neuf niveaux de la montagne du Purgatoire. Il retrouvera enfin Béatrice qui le mènera jusqu'aux sommets des neuf domaines du Paradis. Dans l'univers de Dante, il y a trois mondes. La terres est en bas, dans le monde matériel. Elle est entourée des neuf cieux décrits dans le "Banquet", conformément aux théories de l'époque. Le trône de Satan est situé en son centre. Juste en dessous commence le puits de l'Enfer. C'est une immense et horrible cavité conique, de plus en plus large avec un orifice au fond. C'est par là que Dante et Virgile sortiront pour revenir vers la montagne du Purgatoire dans une île inconnue de l'Océan. Lorsqu'ils seront au sommet, ils pourront percevoir les autres mondes et l'Empyrée. Au delà, c'est le flamboyant domaine de Dieu et des neuf groupes de puissances spirituelles animant les cieux. (Déjà décrites dans le Banquet, ce sont les anges chrétiens ou les dieux antiques). Et, au voisinage de Dieu, est la blanche Rose Mystique, le coeur du Paradis, le magnifique domaine des Élus.

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On ne peut pas aborder l'ouvrage sans avoir intégré cette conception triplement ternaire de l'Univers "dantesque". Sachez qu'il est parfois représenté sous une forme humaine dont l'Empyrée est la tête et le Purgatoire, l'orifice inférieur (voir). Complexe et lyrique, la Divine Comédie est une véritable "somme" des connaissances et des concepts issus du Moyen-Âge. Elle éclaire l'époque sur bien des plans, philosophique, politique, sociétal, théologique et scientifique, en particulier cosmogonique. C'est aussi une révélation du rôle particulièrement pesant tenu par la religion avec les contestations violentes que cela appelle. On y rencontre de nombreux personnages inspirés par la mythologie antique et l'histoire classique mais aussi par la société contemporaine et les amitiés et inimitiés du poète. Ils personnifient les vices et les vertus des hommes et reçoivent récompense ou châtiment. Le livre est une allégorie de la voie salutaire qui passe par la purification des âmes. Il a inspiré beaucoup d'artistes tels Botticelli, Michel-Ange, Blake, Delacroix, Doré, et même Dali et Claudel, (ce que j'essaierai d'illustrer), ou encore des musiciens comme Rossini, Schumann et Liszt.

Le puits de l'Enfer de Dante

L'Enfer de Dante a la forme d'un entonnoir composé de neuf zones concentriques. Plus on s'enfonce, plus grande est la souffrance des damnés. Chaque cercle est régi par un Démon mythologique. Il y a un haut enfer pour ceux qui on cédé aux passions et un bas enfer destiné aux vrais méchants. Au seuil de l'Enfer, on trouve le vestibule effrayant des lâches et des esprits neutres que des taons et des guêpes tourmentent cruellement. Là coule l'Achéron, fleuve grec mythique qui borde le noir empire. Prié par Virgile, le nautonier Charon accepte de faire traverser Dante. Les deux pèlerins entrent dans le premier cercle, les Limbes, qui sont un lieu paisible mais de grande tristesse. On n'y trouve que des personnes sans espérance car elles n'ont pas été baptisées. Dante y rencontre les patriarches bibliques tels Adam, Noé, Moïse, Abraham et le roi David, il croise aussi les héros mythiques antiques comme Orphée, Hector, Énée, César et même Saladin, ainsi que les philosophes célèbres, Socrate, Platon, Démocrite, Hippocrate, ou des savants, Ptolémée, Galien,

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Averroès, et bien d'autres. Sans s'attarder longtemps en ces lieux, Virgile conduit Dante au second cercle gardé par Minos. Dans le second cercle les luxurieux sont emportés et secoués sans trêve dans les tourbillons d'un violent ouragan. Dante y voit Sémiramis et Cléopâtre, Hélène et Pâris, le bouillant Achille et le tendre Tristan, et tant d'autres fervents de plaisirs sensuels. Il voit aussi passer des membres de sa famille, Francesca Malatesta qui fit son amant de Paul, son beau-frère. Chagriné par le sort pénible de ses parents, Dante perd connaissance et se laisse glisser dans le troisième cercle. Ce lieu est gardé par Cerbère, une monstrueuse bête à quatre bras et trois têtes qui déchire les esprits des gourmands sur qui s'abattent des pluies, des neiges et grêles perpétuelles. Ayant évité les terribles crocs, Virgile et Dante descendent dans le quatrième cercle, domaine régi par le terrible Pluton. Deux troupes s'y affrontent sans cesse, s'y heurtant avec une extrême violence. Ce sont avares et prodigues, toujours en quête de plus d'or à amasser ou à dépenser. Les plus avides sont les clercs, les papes et les cardinaux, mais les politiques les approchent de bien des façons. Ainsi une nation domine quand une autre languit, quoiqu'il leur fut donné même espoir. Mais il faut poursuivre et passer les marais du Styx.

Je ne citerai pas tous les concitoyens que Dante a rencontré dans le bas enfer. Sachons seulement qu'il descendit dans le huitième cercle sur le dos d'un monstre horrible, Géryon. Ce cercle complexe comprend dix Malebolges, de grands gouffres concentriques où sont précipités les fraudeurs et trompeurs de toute nature. La première bolge contient les séducteurs nus fouettés par des démons. Dans la seconde, les flatteurs et adulateurs baignent dans la fiente humaine. La suivante est réservée aux simoniaques qui ont vendu les services de l'Église. Plantés à l'envers dans des trous, des flammes brûlent leurs pieds. On y voit les papes Boniface VIII et Nicolas III, et l'Empereur Constantin. Dans la quatrième bolge, les devins marchent la tête en arrière sans voir où leurs pas les mènent. Les prévaricateurs et les trafiquants sont jetés dans la poix bouillante de la cinquième bolge et piqués de crocs. Fuyant les démons menaçants, Dante rencontre les hypocrites de la sixième qui portent de lourds chapes de plomb doré. Il reconnaît parmi eux des Chevaliers de

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Bologne qui se laissèrent corrompre. Et sur le sol, Caïphe et ceux qui condamnèrent le Christ sont crucifiés, liés à trois pieux. La fosse suivante est celle des voleurs, remplie de serpents. Leur morsure réduit en cendres la victime qui renaît aussitôt tel un Phénix, et leur étreinte retourne le corps comme un gant. Dans la huitième bolge, des flammes dévorent les conseillers perfides dont Ulysse qui proposa le grand cheval de la perte de Troie. Et dans le neuvième gouffre, ceux qui apportent les schismes et les discordes sont à leur tour coupés et divisés. C'est la vision catholique intégriste de Mahomet ouvert du ventre au menton et du visage d'Ali fendu au sabre. Dante y trouve quelques familiers dont Bertrand de Born portant en main sa tête coupée. La dernière bolge contient les alchimistes et les falsificateurs de tous ordres. Reste le Puits des Géants avec Antée déposant Dante dans le Cocyte, le cercle glacé des traîtres. C'est le fond de l'enfer. Ce dernier cercle comprend quatre parts. Les lacs gelés enserrent ceux qui ont trahi, dans la Caïnie, leurs parents, dans l'Anténore, leur cité, dans la Ptolemaïe, leurs hôtes ou leurs partis, et dans la Judaïe, leurs bienfaiteurs. Dante y rencontre Lucifer (Dité) qui pleure. Ses trois têtes dévorent Judas, Brutus et Cassius. Enfin, Virgile et Dante sortent aux antipodes.

La montagne du Purgatoire

Sortis de l'Enfer, Dante et Virgile abordent une plage escarpée, au pied du Mont du Purgatoire, à l'antipode de Jérusalem. Le concept de ce lieu intermédiaire est apparu au cours du Moyen-Âge, surtout après le Xe siècle. Les âmes des pécheurs repentis doivent y souffrir pour expier leurs fautes et se purifier avant de monter progressivement vers le Paradis. Dans la Divine Comédie, le Mont du Purgatoire comporte un parvis, "l'Antépurgatoire", suivi des sept corniches des sept péchés capitaux. L'entrée est gardée par Caton d'Utique qui préféra la mort à la servitude. Plusieurs groupes d'âmes demeurent indéfiniment au pied de la montagne. Ce sont celles des Chrétiens qui n'ont pas reçu le pardon sacramentel de l'Église, tels les excommuniés repentants, les insouciants morts sans confession,

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ceux qui connurent une mort violente, et les princes qui négligèrent la religion en raison de leur charge. Dante reconnaît beaucoup d'ombres célèbres dont des Guelfes florentins assassinés. Il n'y a ni cri ni gémissement dans le Purgatoire. L'atmosphère est chargée de chants et de musique, et l'aspect est agréablement coloré. Cependant, le Mont est protégé par un mur gardé par des Anges. Dante s'endort. Á son réveil, il entend des cantiques et se présente à la porte du Purgatoire. Un ange la garde et marque sept fois Dante au front avec son épée puis il ouvre la porte avec deux clefs, d'argent puis d'or. Dante et Virgile traversent un chaos rocheux et entrent sur la première corniche où les orgueilleux travaillent à leur purification. Ils marchent courbés vers la terre avec de lourdes charges sur les reins. Les murs sont sculptés d'incitations à l'humilité et l'on entend chanter. (Il y a beaucoup de chants dans la traversée du Purgatoire). Un ange efface une première marque sur le front de Dante et le guide vers l'escalier menant à la corniche de Caïn. Ce sont ici les envieux qui se tiennent contre la montagne car ils ont les paupières cousues. Rien ne tentant plus leur vision, ils n'aspirent qu'à la lumière. Ils pleurent et l'ange chante pendant qu'ils récitent les litanies des saints. Un autre ange lumineux ouvre la voie vers la troisième corniche obscurcie de fumée. Dans cette nuit se dénouent les noeuds de la colère. Ce chant XVII évoque bien des conflits dont celui du Pape avec l'Empereur. Et Dante et Virgile philosophent et théorisent sur le libre arbitre et l'amour.

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Alors que le soir descend, Virgile et Dante atteignent la quatrième corniche, celle des négligents et des paresseux méprisables. Menés par des récitants, leurs ombres en grand nombre courent sans cesse pour apprendre le zèle et la diligence. Dante s'endort là et rêve d'une impudique sirène. Au réveil, ils gagnent la corniche suivante où les avares et les prodigues gisent liés, face contre terre, étant ainsi punis de la cupidité qui les empêchait de regarder le ciel. Se trouvait là Midas qui changeait tout en or et en mourut d'inanition, et Crassus dont la bouche goûta l'or fondu, et aussi Charles de Valois qui pilla les Florentins en feignant d'aider Boniface. Puis voici que le sol tremble lorsque des âmes pardonnées passent du Purgatoire au Paradis en chantant Gloria in excelcis Deo. S'avance alors l'ombre du poète Stace qui vivait sous Titus. Il vient d'être libéré et désire les accompagner. L'ange efface la sixième marque sur le front de Virgile et ouvre la porte de la sixième corniche. En ce chant XXIII, sur ce chemin, les arbres portent des fruits savoureux rendus inaccessibles pour la punition des gourmands, pâles et décharnés, souffrant la soif et la faim sous leurs branches. Un escalier mène à l'étroite et dernière corniche. De la roche jaillissent des flammes et l'on entend chanter des hymnes. Les âmes des luxurieux purgent leurs débordements dans cette ardeur qui toujours brûle et jamais ne consume, et l'ange impose ce chemin brûlant. Dante, Virgile et Stace souffrent donc la morsure du feu et gagnent le sommet du Mont. En compagnie de Dame Mathelda, ils remontent le cours du Léthé et contemplent la procession mythique de l'Église accueillant les pécheurs repentis. Virgile s'en va et Dante aperçoit Béatrice sur l'autre rive. Il a souvent trahi son souvenir, ce dont témoigne le rêve de la sirène. Tandis qu'il pleure et que chantent les anges, elle exige qu'il s'en accuse solennellement. Vaincu, Dante se repent, s'évanouit puis se réveille dans les eaux du Léthé dont Mathelda le tire. Elle lui donne cette eau qui efface le souvenir des péchés commis. Menée par un Griffon, la procession l'entoure mais le char de l'Église devient monstre pour symboliser sa dérive due à la cupidité du pape et des des prélats. Et Béatrice fait boire à Dante l'eau de l'Eunoé qui fait souvenir des bonnes actions, puis elle le mène purifié vers le Paradis.

La Rose blanche du Paradis

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Purifié par le feu et l'eau, Dante a enfin retrouvé Béatrice et s'en va en sa compagnie vers le Paradis. Ce pourrait être la fin heureuse du rêve et du roman. Dante a autre chose à dire. Il a conçu un ouvrage composé de cent chants répartis en trois parties. Dans la troisième, il va nous décrire le séjour divin et nous en donner la vision des Chrétiens de son époque. Les concepts utilisés ne nous étant plus familiers, ils nécessitent quelques explications. Comme l'Enfer et le Purgatoire, le Paradis est conçu sur neuf niveaux concentriques, (comme les sephiroths). La Terre est au centre de l'univers dantesque. Le gouffre de l'enfer est à l'intérieur et le mont du purgatoire à sa surface. Autour de la Terre, s'étagent les différents ciels du Cosmos dans lesquels sont placés les hommes sans péchés en fonction de leurs mérites. Le dixième ciel est l'Empyrée. Il ouvre vers le domaine de Dieu qui règne en son centre. Autour de lui siègent les puissances qui animent et régissent hiérarchiquement l'univers. Au coeur du Paradis, dans l'intimité de l'amour divin, il y a un lieu circulaire resplendissant, semblable à une immense fleur mystique, la Rose Blanche, ou Rose Céleste éternelle, le séjour béni des Élus. Le premier Ciel est celui de la Lune, géré par les Anges. Il accueille les âmes des hommes qui n'ont pas réussi à accomplir leurs voeux. La lumière divine faiblissant à chaque ciel traversé, elle arrive atténuée à ce niveau. Et pourtant, les âmes qui s'y tiennent sont tellement illuminées que les yeux mortels de Dante peinent à les voir. Piccarda que son frère sortit par la force du cloître chante pour lui l'Ave Maria. C'est l'intellect, dit Béatrice, qui donne des formes humaines à Dieu et aux Anges qui n'en ont point, et c'est la volonté qui pousse des hommes comme Jephté ou Agamemnon à accomplir des voeux stupides malgré qu'ils aient reçu de Dieu le libre arbitre. Puis elle guide Dante vers le Ciel de Mercure. Mené par les Archanges, c'est le lieu d'accueil des âmes des hommes qui ont fait leur devoir et celles des valeureux combattants dont des Guelfes qui furent de braves compagnons de Dante. Ils ressemblent à des ombres claires dans un vêtement de lumière. Dante comprend les raisons du bannissement d'Adam et apprend que l'âme de l'homme vit

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éternellement parce qu'elle a été directement crée par Dieu. Puis, la lumière grandit encore, et Béatrice et Dante s'élèvent jusqu'au Ciel de Vénus.

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Les archontes du troisième Ciel sont les Principautés. La lumière s'accroît mais les ombres humaines sont ici enveloppées d'une lumière colorée plus vive encore, au point qu'on ne les distingue plus guère. Ce Ciel est peuplé par les âmes des hommes qui ont beaucoup aimé et dont la vertu d'amour s'est finalement tournée vers Dieu, (Il peut s'agir de la fraternité des Fedeli d'Amore, Dante et Cavalcanti en étant initiés). Il est le dernier, (selon Ptolémée), où se perçoit encore l'ombre de la Terre. Le Ciel du Soleil attire ensuite Dante jusqu'à lui. Ses régents sont les Puissances de la 2ème hiérarchie angélique. En ce chant Xe, les esprits sont sans ombre. Ils sont répartis en deux rondes de douze étincelles dansantes de pure lumière, l'une de Dominicains, l'autre, de Franciscains, conduites par Thomas et Bonaventure qui blâment les dérives de leurs ordres. Le Ciel de Mars est celui des Vertus. Les esprits bienheureux y forment une rouge croix lumineuse avec au coeur l'image fugitive du Christ. Les Dominations harmonisent le Ciel de Jupiter qui accueille les esprits des princes et des rois justes et sages. Devant Béatrice et Dante, (pour Barberousse), leurs flammes s'ordonnent en forme d'aigle impérial.

Au chant XXI, Dante atteint le 7e Ciel, celui de Saturne, conduit par les Trônes. Il est comme un cristal d'où s'élève un escalier d'or dont on ne voit pas la fin. Les saintes lumières des esprits contemplatifs trouvent ici le silence qu'elles recherchent. Á travers divers dialogues imaginaires, Dante s'exprime sur la prédestination et critique l'avilissement des hommes d'église. Voici alors que s'ouvre le Ciel des Étoiles dont le Chérubins règlent la marche. Dante en fait le lieu triomphal de l'imagerie médiévale du Christ et le la Vierge. Les anges chantent l'antienne "Regina Coeli" et toutes les étoiles déversent leur lumière sur la vision de Marie et de Jésus qui s'élèvent dans le ciel. Dante doit prouver qu'il est bon chrétien. Il répond à Pierre, Jacques et Jean par les paroles du Credo catholique, (et c'est l'occasion d'invectiver les papes). Béatrice lui présente alors la première âme, celle d'Adam qui pécha par orgueil. La lumière augmente encore. Dans le Ciel du Premier Mobile, celui des Séraphins, toutes les hiérarchies angéliques tournent comme des roues lumineuses autour de l'éblouissante image de Dieu, et le pur rayonnement divin parvient directement en ce seuil de l'Empyrée.

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Fait de lumière pure, l'Empyrée est le domaine de Dieu, des anges et des saints. Dante découvre ici l'éblouissante Rose Céleste. "En la forme d'une rose blanche se montrait à moi la sainte milice que dans son sang le Christ épousa. L'ange qui volant voit et chante la gloire de celui qui l'enamoure, et la bonté qui la créa si excellente, comme un essaim d'abeilles qui tantôt se plonge dans les fleurs, tantôt retourne là où son travail prend de la saveur, descendait dans la grande fleur qui s'orne de tant de feuilles, et de là remontait où son amour toujours séjourne. Leurs faces étaient de flamme vive, leurs ailes d'or, et le reste, d'une telle blancheur qu'il n'est point de neige qui l'égale. Lorsque dans la fleur de siège en siège ils descendaient, ils y versaient de la paix et de l'ardeur qu'ils produisent en eux en agitant leurs ailes". Béatrice regagne sa place, auprès de Rachel, et Bernard qui fonda Clairvaux explique la Rose Mystique. Adam, à droite, est le père spirituel de ceux qui crurent que le Christ viendrait. Pierre, à gauche, est le père spirituel de ceux qui croient qu'il est venu. Dante ne désire plus que ce que Dieu veut, et la Vierge Marie intercède pour qu'il obtienne la Suprême Béatitude. Dante aura donc sa place au sein de la Rose.

E finita la comedia

Ainsi finit La Divine Comédie de Dante Alighieri

Et ici, commence notre réflexion, car le second asp ect de l'oeuvre,

son message ésotérique, ne se révèle que lorsqu'on en a terminé la lecture.

En effet, c'est en homme vivant et à partir de ce M onde que Dante effectue son voyage. Dans l'Enfer et le Purgatoire, il prend conscience des altérations de l'âme causées par les actes accomplis ici-bas. Puis, lavé par le Feu et par l'Eau, il est admis à prendre un chemin salutaire dont les étapes successives l'amèneront j usqu'à la Rose dans un abandon total à la seule volonté di vine.

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CHAPITRE 7 - Origine des Rose-Croix.

La Rose-Croix des 16ème et 17ème siècles.

Les symboles de la rose et de la croix - L'association des symboles est très ancienne. Déjà en 1265, Jean de Meung reprend le Roman de la Rose commencé par Guillaume de Lorris. Le livre devient une encyclopédie traitant des origines du monde, de la nature, de l'art, de l'astronomie, de la religion et de la morale. Il préconise aussi le retour à la simple vie chrétienne. Au delà des symboles, la source peut être à rechercher auprès du Graal, le secret le plus mystérieux du Moyen-Âge. Il s'est imposé à la conscience intérieure d'une époque éprise de spiritualité et d'élévation car il évoquait pureté et révélation, sacrifice et guérison parfaite. Les plus anciennes versions de la légende datent 1150 à 1220. Dans la Divine Comédie de Dante, vers 1320, le huitième ciel du paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix. Certains auteurs placent l'origine des Rose-Croix chez les Amis de Dieu de l'Île Verte à Strasbourg. Au 14ème siècle, Rulman Merswin, issu d’une famille de banquiers strasbourgeois, y acquiert un ancien couvent bénédictin. L’Île Verte de Strasbourg devient un centre spirituel où se développe la spiritualité des "Gottesfreunde", Amis de Dieu ou Chevaliers johannites, (La présence ecclésiale dans le couvent de l’Ile Verte est confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem). C'est une maison de refuge où peuvent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois, qui désirent fuir le monde et se consacrer à Dieu sans entrer dans un ordre monastique. Puis, Rulman Merswin et les Amis de Dieu se trouvent en relation avec un personnage mystérieux qui va les guider dans la voie spirituelle par une série d'écrits, parmi lesquels on peut citer Le Livre du maître de la Sainte Ecriture,

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Le Livre des Cinq hommes qui décrit la société idyllique du "Haut Pays". Ce Maître intérieur guide les initiés, non plus en ce monde-ci, mais dans les contrées de l'au-delà du monde. Il se pourrait aussi que la fondation de l’Ordre des Rose-Croix implique Paracelse, médecin et alchimiste, né en Suisse vers 1493. Dés 1536, il utilise les symboles de la rose et de la double croix lorraine, et il prédit la venue d’Elias-Artista, l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification future de l’Ordre. L'origine effective de la Fraternité prestigieuse des Rose-Croix reste cependant assez mystérieuse. Les traditions ésotériques - En Occident, au 16ème siècle, époque de la manifestation publique des Rose-Croix, les sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions, gnostiques, hermétistes et néoplatoniciennes, alchimistes, kabbalistes, mazdéistes, cathares ou même manichéennes, autochtones comme celle du Graal, issues de l'Essénisme comme celles des premiers docteurs de l’Eglise, ainsi qu'un courant transmis par les Druzes. Les Rose-Croix semblent alors avoir enfin réussi à réaliser une large synthèse de ces multiples traditions inspirées. Puisant à leurs immenses richesses spirituelles, la philosophie de la Fraternité s'en est grandement enrichie et elle s'est élevée au dessus des dogmes contraignants des diverses religions extérieures. Il demeure cependant important de situer la première et principale manifestation publique du mouvement dans son arrière plan historique qui est alors clairement l'époque de la Réforme, et dans le contexte de la Guerre de Trente Ans et des Guerres de Religion. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent une rose percée d'une croix. Valentin Andreae s'en inspire pour créer ses propres armes, une croix encadrée de quatre roses. Pour nous, ce siècle-là est celui de la Renaissance et des débuts de la Science moderne. C'est pourtant la crise religieuse, la

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Réforme et toutes ces terribles guerres qui marquent profondément les cœurs et les esprits de l'époque. La permanence du mouvement de protestation - La "Réforme" est le mouvement religieux d’où est né le protestantisme. Il était annoncé par les Vaudois, cruellement persécutés, par les idées de Wyclif, ou par le sort de Jean Hus, condamné et brûlé par traîtrise. Il faut comprendre que, dès le début du Christianisme, la transformation progressive et autoritaire des dogmes a continuellement suscité des protestations des divers mouvements réformateurs. On en trouve la trace dans le premier concile, celui de Nicée, dont le "canon" montre déjà de la méfiance à l'égard des "Cathares, les purs", qui appellent les fidèles au respect des enseignements évangéliques. Tout au long de son histoire, oubliant ses propres martyrs, l'Eglise combat cruellement tous ceux qui contestent l'évolution contraignante et continue de sa conception du Christianisme, et elle les accuse d'hérésie, tels les Gnostiques, les Ariens, les Manichéens, les anéantissant par le martyre et par le feu comme, au 13ème siècle, les nouveaux Cathares. Au 16ème siècle, cette impulsion protestataire amène une partie de la chrétienté à se détacher de l’Église romaine, en rejetant ses dogmes et l’autorité du pape. Les réformateurs et Luther espéraient que l’Eglise rétablirait le christianisme des origines, en le débarrassant des multiples adjonctions qui l’avaient altéré. Mais Luther est excommunié en 1520. La rupture consommée, le luthéranisme séparé se répand en Allemagne, malgré l’opposition de Charles Quint. Il prévaut au Brandebourg, en Hesse, en Saxe, au Wurtemberg et dans la plupart des villes libres. Les luthériens présentent leur Confession de foi à la diète et l'on admet alors que chaque prince peut imposer sa religion à ses sujets, à la Paix d’Augsbourg, en 1555. Le Calvinisme - Le Lutherianisme s'était répandu dans les

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pays baltes et scandinaves. Avec Zwingli, un mouvement analogue mais indépendant naît en Suisse. Calvin en fixe les principes et le calvinisme se répand en France malgré l’opposition royale. En 1559, deux mille églises adoptent la Confession de foi de la Rochelle, rédigée par Calvin. La fin du 16ème siècle est marquée par les terribles "Guerres de Religion", et la Saint-Barthélemy. En 1599, l’édit de Nantes d'Henri IV accorde provisoirement aux protestants le droit de célébrer leur culte. La Réforme calviniste se répand alors en Hongrie, au Palatinat, aux Pays-Bas et en Écosse. En 1534, un autre protestantisme apparaît en Grande-Bretagne. Henri VIII détache l’Eglise d’Angleterre de Rome et l’Acte de Suprématie la soumet à l'autorité royale. Depuis l’Angleterre, une Réforme "puritaine" se répand ensuite jusque dans le Nouveau Monde.

Les Manifestes de la Rose-Croix - En 1614, la paix religieuse étant provisoirement rétablie, deux manifestes sont publiés. Ce sont la Gloire de la Fraternité, (la fameuse Fama Fraternitatis, et de la Confession des Frères Rose-Croix). Ils exposent la doctrine de la Fraternité des Rose-Croix qui préconise une réforme générale de l’Humanité. On suppose d'abord qu'ils sont l'œuvre du pasteur protestant de Strasbourg, Valentin Andreae, qui publie ensuite de nombreuses autres œuvres dont les plus importantes sont les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz et Christianopolis. Plus tard, les manifestes seront considérés comme une œuvre collective. Sédir nous dit que "Jean-Valentin Andrea (1586-1654), fut un des hommes les plus savants de son temps. Son grand-père Jacob était ami proche de Luther. Il avait été un illustre théologien, l'un des auteurs de la Formule de Concorde. On le surnomma d'ailleurs le second Luther." Andrea étudia au séminaire de Tubingen. Il acquit une rare culture dans les langues anciennes et modernes, les mathématiques, les sciences naturelles, l'histoire, la géographie, la généalogie et la

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théologie, et laissa une œuvre considérable. Il subit l'influence de Jean Arndt (1555-1621), grand prédicateur mystique, et de ses amis, Christophe Besold et Wilhelm Wense, dont la vie voulait être une imitation de Jésus-Christ. Ils prêchaient, contre le dogmatisme et le ritualisme de l'Église, la nécessité d'une vie toute d'esprit et d'amour, la droiture, la lutte contre les tendances mauvaises, l'intégrité de l'esprit, l'austérité des mœurs, la charité, la justice, affirmant que seule une vie sainte permet l'entrée dans le cœur humain du Saint-Esprit qui unit l'homme à Dieu et lui confère ses dons. Ils reprenaient dans leur prédication l'enseignement de saint Paul sur le vieil homme qui doit être crucifié avec le Christ pour ressusciter avec le Christ". Les Ouvrages R+C originaux - Sur ces principes, Jean-Valentin Andrea établit un remarquable programme de renouvellement et de conversion pour son Eglise. Quand parurent les manifestes de la Rose-Croix, il publia "Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz". On ne sait pas vraiment qui a composé la Fama et la Confessio. Ces écrits ne sont pas l'oeuvre d'un seul auteur et ils expriment les idées et les espérances d'une collectivité. La Reformation, la Fama, la Confessio, ainsi que les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz sont les seules manifestations écrites originales des Rose-Croix. Ce sont les premiers ouvrages où l'on trouve le nom de la Fraternité et ils furent souvent réimprimés et traduits. Le frontispice de la Fama Fraternitatis proclame «Allgemeine und general Reformation, der ganzen weiten Welt» (Réformation universelle et générale du vaste monde entier). Les trois livres s'inscrivent évidemment dans un prolongement de l'œuvre de Martin Luther qui n'avait jamais caché son accord avec les thèses pré-rosicruciennes (l'explication qu'il donne de son sceau le prouve). Il s'agit donc d'une mission évangélisatrice répétant celle du Christ. Elle fait suite à la tentative de Luther et de ses prédécesseurs

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catholiques pour réformer le christianisme par l'intérieur. La Confessio s'affirme résolument protestante et les Noces chymiques condamnent symboliquement Rome avant l'affirmation de la nouvelle ère et l'instauration d'un nouveau royaume. La Guerre de Trente Ans - Deux ans après l'appel de la R+C, un conflit de pouvoir amène les protestants de Bohème à projeter deux gouverneurs catholiques à travers la fenêtre de la Salle du Conseil de Prague. Une terrible guerre commence. La "guerre de Trente Ans" ravage l'Allemagne et la Bohême. Les populations protestantes sont impitoyablement massacrées par les troupes impériales. Un tiers des habitants disparaît. Les états luthériens échappent à l'anéantissement grâce à l'intervention tardive de la France catholique de Richelieu, secourant politiquement les protestants pour freiner l'extension autrichienne. Les bourgs sont en cendres, les campagnes sont ravagées, la soldatesque rançonne les villes, et les épidémies déciment les derniers survivants affamés. La relance de la Rose-Croix - Après la paix de 1648, l'appel R+C de 1615 est repris par les populations meurtries et désemparées. Il est relayé et démultiplié dans l'espoir de dépasser les haines aveugles et les grands malheurs nés de la guerre, en réunifiant la Chrétienté comme l’avaient voulu les premiers réformateurs. Les livres Rose-Croix sont interdits par les Catholiques, et leur détention est parfois punie de mort. Néanmoins, la publication hollandaise des trois manifestes alimente une énorme floraison mystique surtout en Allemagne où neuf cents opuscules les reprennent jusqu'au 18ème siècle. Avec les Pays-Bas, c'est toujours le pays dans lequel l'activité rosicrucienne est la plus marquée. Jean-Valentin Andreae, indigné par les abus que les enthousiastes faisaient des principes de la Rose-Croix, décida de se retirer du mouvement, mais il déclara dans "Turris Babel" «Je quitte

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maintenant la Fraternité, mais je ne quitterai jamais la véritable fraternité chrétienne qui sous la croix perçoit les roses et évite les souillures du monde ». Il publia Invitation à la Fraternité du Christ en 1617, puis Description de la République de Christianopolis, en 1619, un programme d'une Union chrétienne où il reprenait les thèses de la Fama et de la Confessio. Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz - Cet ouvrage paru sans nom d'auteur, en 1616. Jean-Valentin Andreae, dans son Autobiographie, déclare qu'il composa ce livre vers 1601, alors qu'il avait quinze ans. Voici ce que Sédir dit du livre:

"Dans sa lettre, ce traité est un exposé de l'œuvre métallique (alchimique), assez détaillé ; dans son esprit, il décrit la montée de l'âme, de degrés en degrés, vers l'illumination. Ce livre est attribué à Christian Rosencreutz qui l'aurait écrit en 1459. Il raconte, en sept journées, le mariage du roi, puis sa décollation et enfin sa résurrection. C'est sur une invitation que le roi lui adresse d'assister à ses noces que Rosencreutz se met en route, dans le sentiment profond de son indignité. En souvenir du Christ, il noue en croix un ruban rouge sur sa robe de bure ; il pique quatre roses à son chapeau et prend comme viatique du pain, du sel et de l'eau. A l'entrée de la forêt il distingue trois voies : une courte, mais dangereuse ; la seconde qui est la voie royale réservée aux élus et la troisième, agréable mais très longue. Il est prévenu qu'une fois choisi le chemin, il ne pourra plus revenir en arrière. Il demande à Dieu, qui lui fait prendre le second chemin. Celui-ci le mène au château royal construit sur une montagne. Un

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personnage lui demande son nom, et il répond : Frère de la Rose-Croix rouge. Les nombreux candidats aux noces du roi sont pesés. Rosencreutz est le plus pur. Il est reçu avec tous les honneurs, et on lui remet la Toison d'Or ornée d'un Lion volant. Quant aux intrus, une coupe leur est donnée, remplie du breuvage d'oubli avant qu'ils soient chassés, avec l'ordre de ne plus revenir au château du roi pendant leur vie. Suivent d'autres épreuves symboliques ; et la représentation d'une comédie en sept actes. Devant la reine est un gros livre renfermant toute la science réunie dans le château. Les élus sont au nombre de neuf et ils tiennent chacun une bannière portant une croix rouge. Enfin le devoir est notifié aux élus de penser à Dieu et de travailler pour sa gloire et pour le bien des hommes. Ensuite le couple royal est décapité, ainsi que quatre rois et reines présents. Les six personnes sont ensevelies et leur sang est recueilli dans un vase d'or. Le Maure qui a procédé à l'exécution est décapité à son tour et sa tête rapportée dans un linge. Il est dit aux élus que : « la vie de tous ces êtres est entre leurs mains et qu'ils doivent garder une fidélité plus forte que la mort ». La nuit, les six cercueils sont emportés par des navires. Les élus assistent aux funérailles symboliques des souverains et sont invités à chercher le médicament qui rendra la vie aux rois et aux reines décapités. De longues opérations alchimiques sont décrites. Le roi et la reine ressuscitent. Ils travailleront avec les élus au triomphe de Dieu. Le roi nomme ceux-ci « chevaliers de la Pierre d'Or », avec le pouvoir d'agir sur l'ignorance, la pauvreté et la maladie. Quant à Rosencreutz, il aura encore d'autres épreuves à surmonter avant d'arriver au terme. Il lui a été dit : Tu as

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reçu plus que les autres ; efforce-toi donc de donner davantage également. La signature de chacun est demandée, et notre héros écrit : La plus haute science est de ne rien savoir. Frère Christian Rosencreutz - Chevalier de la Pierre d'Or. "Fin de citation"

Dans le récit des Noces Chymique, le fondateur légendaire de la Rose-Croix, Christian, invité aux noces de Sponsus et de Sponsa, (l’époux et l’épouse), rêve également qu’il est enfermé au fond d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide d’une corde lancée de l’extérieur. Il se met ensuite en route et traverse la forêt. C'est en cherchant à aider une colombe combattue par un corbeau, qu'il trouve son chemin et il est alors guidé vers le château royal. Le sens des Noces Alchymiques - Les descriptions contenues dans le récit ont pu être interprétées comme des indications précieuses pour la réalisation du Grand œuvre alchimique. Nous savons cependant que les alchimistes étaient fondamentalement des métaphysiciens ésotéristes. La poursuite du Grand œuvre était seulement pour eux le symbole du chemin nécessaire à la réalisation de l’indispensable transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de l’Homme véritable, la figure divine originelle. Là est le sens caché et véritable des Noces Alchymiques de Christian Rose-Croix, ouvrage qui répète sous une forme différente le message médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois. Les véritables écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent aujourd’hui encore dans le Monde l’œuvre initiatique qui conduit à cette connaissance. Leur enseignement témoigne toujours d’une inspiration rosicrucienne authentique et vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux temps et aux lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation,

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elle vont s’appuyer sur les traditions chrétiennes tout en expliquant le sens caché des mythes et des écritures. Les Rose-Croix en France - A Paris, en 1622, une affiche est placardée qui proclame: "Nous, Deputez du Collège principal des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et invisible en ceste ville, par la grâce du Très Haut vers qui se tourne le coeur des justes. Nous monstrons et enseignons sans liures ny marques à parler toutes sortes de langues des païs où voulons estre, pour tirer les hommes nos semblables d'erreur et de mort.» Une autre affiche suit: « S'il prend envie à quelqu'un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous mais, si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le registre de nostre confraternité, nous, qui jugeons les pensées, luy ferons voir la verité de nos promesses, tellement que nous ne mettons point le lieu de nostre demeure, puisque les pensées, iointes à la volonté reelle du lecteur, seront capables de nous faire cognoistre à luy et luy à nous. ». Les affiches eurent un retentissement considérable mais leurs auteurs sont inconnus. En 1624, le Père François Garasse demande pour les Rose-Croix "la roue et le gibet".

CHAPITRE 8 – Le mythe de la Quête du Graal

Étrange mystère de ce mythe naissant progressivement dans des récits "bretons" qui en content la quête, puis passant au fil du temps de la fantaisie littéraire à l'ésotérisme initiatique, et enfin de l'intuition spiritualiste à la

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révélation sacrée. Il n'y a pas vraiment d'histoire du Graal, mais un foisonnement de récits romancés de diverses aventures humaines de violence, de sexe et de sang. De cette tourbière émerge finalement la véritable Quête du Graal. Et le mythe devient, au delà même de l'objet "Graal", celui de la naissance d'une pure recherche spirituelle.

Introduction

La Quête du Graal est une démarche spirituelle mythique. Les mythes sont des récits ésotériques expliquant le destin des hommes. Ils s'enracinent souvent sur des faits relativement historiques qui fournissent une base plausible sur laquelle s'édifie le corps essentiellement imaginaire du mythe. Le mythe s'installe progressivement dans l'espace de la pensée collective. Son contenu est généralement crypté et le chercheur l'interprète à son propre niveau. Le mythe de la Quête du Graal existe depuis le 13e siècle. Son fondement historique est très antérieur. Il fait référence aux antiques mythologies celtiques ou galloises ainsi qu'aux épisodes du règne de l'hypothétique roi Arthur, au cinquième siècle. Les récits imaginaires constitutifs du mythe sont beaucoup plus récents. Les plus anciens datent du douzième siècle et les développements se situent plutôt au treizième. Sept ou huit cents ans séparent donc les deux fondements du mythe qui ont été rapprochés par le génie des différents auteurs de la "Geste du Graal". Et huit cents ans de plus

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nous ont éloignés du sens qu'ils ont alors caché dans les récits qui nous sont parvenus. Le roi Arthur aurait existé à la fin du 5e siècle. La Bretagne, l'Angleterre actuelle, avait été conquise par les Romains au début de l'ère chrétienne. Sauf au nord, sa population était très romanisée. Le pays était périodiquement envahi par des tribus barbares. Les Angles, Les Jutes, les Saxons et les Frisons l'attaquaient par l'Est. Les Pictes, les Irlandais et les Scots l'assaillaient par le Nord et l'Ouest. Au 2e siècle, pour contenir les envahisseurs, les romains construisirent le mur d'Hadrien puis celui d'Antonin. Ces barrages, haut de six mètres, épais de trois, garnis de fortins et longs de cent vingt kilomètres, allaient d'une mer à l'autre. Ils ne continrent cependant pas des raids de plus en plus fréquents. Les légions romaines furent débordées et, en 410, l'empereur Honorius décida d'abandonner la "Bretagne". Rendus à la vie civile, les occupants durent s'organiser pour se défendre seuls. Des chefs de guerre constituèrent alors les bases de la future classe féodale. Parmi ces chefs, un certain Artus ou Artorius (Arthur) qui semble avoir existé vers la fin du 5e siècle ou au début du 6e, serait parvenu à unifier provisoirement les population du Sud.

Le second volet du mythe apparaît au 12e siècle sous la pression des interrogations spirituelles de l'époque. Il se manifeste dans divers écrits romancés liés à la littérature courtoise diffusée en Occitanie puis en France et en Grande Bretagne. Ces romans élitistes sont essentiellement destinés à un public aristocratique cultivé et averti. Les seigneurs sont à la guerre ou aux croisades et les dames s'ennuient derrière les murs des châteaux. Elles y ont développé une culture délicate et raffinée. Les ménestrels et les troubadours chantent des chansons et narrent des "lais" et des romans courtois dont ils content les épisodes successifs comme nos actuels romans feuilletons. Le roi d'Angleterre Henri I Plantagenêt utilise alors la légende arthurienne pour promouvoir ses projets politiques. Il fait ajouter l'épopée aux nombreux lais des troubadours. Cette littérature "arthurienne" connaît un très grand succès, au point que l'Église s'inquiète de l'intérêt qu'y portent les moines. La légende arthurienne voudrait conter toute l'histoire de la "Bretagne" jusqu'à la mort

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d'Arthur. Le Graal est ensuite christianisé et devient le récipient qui a recueilli le sang du Christ.

Le second volet du mythe apparaît au 12e siècle sous la pression des interrogations spirituelles de l'époque. Il se manifeste dans divers écrits romancés liés à la littérature courtoise diffusée en Occitanie puis en France et en Grande Bretagne. Ces romans élitistes sont essentiellement destinés à un public aristocratique cultivé et averti. Les seigneurs sont à la guerre ou aux croisades et les dames s'ennuient derrière les murs des châteaux. Elles y ont développé une culture délicate et raffinée. Les ménestrels et les troubadours chantent des chansons et narrent des "lais" et des romans courtois dont ils content les épisodes successifs comme nos actuels romans feuilletons. Le roi d'Angleterre Henri I Plantagenêt utilise alors la légende arthurienne pour promouvoir ses projets politiques. Il fait ajouter l'épopée aux nombreux lais des troubadours. Cette littérature "arthurienne" connaît un très grand succès, au point que l'Église s'inquiète de l'intérêt qu'y portent les moines. La légende arthurienne voudrait conter toute l'histoire de la "Bretagne" jusqu'à la mort d'Arthur. Le Graal est ensuite christianisé et devient le récipient qui a recueilli le sang du Christ

La Légende du Roi Arthur

Les premiers romans courtois apparaissent au début du 12e siècle. Tous les sujets sont tirés de l'Antiquité, (Romans d'Alexandre, de Thèbes, d'Énée, de Troie, etc..). Les personnages sont placés dans des situations romanesques, ce qui est une façon nouvelle. La prose est souvent très descriptive et agrémentée de poèmes. Par opposition aux récits antiques ou historiques traditionnels, le genre évolue ensuite pour constituer ce qui a été appelé "la matière de Bretagne". Elle est caractérisée par la fantaisie et la variabilité des personnages mais elle respecte une unité de lieu, le royaume mythique des deux

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Bretagne, (la Continentale, l'Insulaire, et le Pays de Galles), et une époque de référence, le 6e siècle, après le départ des Romains. Les thèmes "bretons" sont variés. Celui de Tristan et Iseult est très populaire. Puis, en 1138, Geoffroy de Monmouth publie l'Historia Regum Britanniae. Cette œuvre de propagande est reliée aux romans antiques. Elle veut établir la légitimité surnaturelle de la dynastie des Plantagenêts dans l’histoire de l’Île de Bretagne en la reliant au mythique Brutus de Troie. C'est aussi le début des récits impliquant le roi Arthur.

Arthur, roi des trois Bretagne, (insulaire, continentale et galloise), représente l'unité bretonne. Quoique la civilisation celtique n'ait jamais connu de roi unique, l'imaginaire populaire produisit un roi idéal, fort et brave, sage et fédérateur, pourvu de conseillers avisés. Au delà de la mort, il porte toujours les espoirs des Bretons et sa "dormition" est temporaire. Il reviendra un jour réunir les deux Bretagne. Arthur est le fils d'Uther Pendragon, roi des Bretons, et d'Ygraine (Ygerne). Le surnom Pendragon proviendrait d'une comète en forme de dragon. Uther s'en serait inspiré pour créer ses étendards aux dragons blanc et rouge. Selon Geoffroy, Uther aurait fécondé Ygraine en prenant par la magie de Merlin, la forme de son mari, le duc de Cornouailles. Arthur naquit de cette union au château de Tintagel. Confié à Merlin, le bébé fut élevé par le père de Kay. Lors d'un tournoi, Kay demanda à Arthur d'apporter son épée, oubliée sous sa tente. Arthur ne la trouva pas mais il en vit une autre, plantée dans une enclume, et il l'enleva. C'était pourtant une épée magique que seul le futur roi pouvait ôter. Personne n'avait jamais réussi et le jeune Arthur fut donc déclaré Roi.

Les détails de ces romans courtois varient, mais ils racontent déjà des histoires d'hommes et de femmes, de féeries et de maléfices, de douceur et de violence, d'amour et de haine. Arthur est un enfant adultérin né des amours d'Ygraine et d'Uther qui a tué le duc, son époux. Le duc de Cornouailles avait déjà une fille qui devint la fée Morgane, prêtresse de la Mère-Lune sur l'île d'Avalon. Elle sera élevée par Viviane, Fée et Dame du Lac. Durant la nuit des festivités de Beltane, Morgane masquée s'offre au chasseur masqué qui a tué le roi des cerfs. Puis elle découvre qu'il était Arthur. De cette union naît Mordret qui sera confié à une tante ambitieuse,

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Morgause. Ses sortilèges empêcheront Guenièvre, femme d'Arthur, d'enfanter afin de permettre à Mordret d'hériter du trône. Apprenant qu'il a un fils, Arthur fait exécuter tous les nouveaux nés du pays. Guenièvre reste stérile et se console avec Lancelot. Les amants doivent fuir en tuant plusieurs chevaliers de la Table Ronde. Dans une grande bataille contre les Saxons, Arthur affronte et tue son fils, mais il est lui même blessé à mort et ordonne que l'on rende Excalibur à la Dame du Lac. Dans ces sources galloises, les décors sont en place. Le roi Arthur a fondé la ville et le château de Camelot. Il a épousé Dame Guenièvre qui aimait Lancelot. Il a instauré un royaume de justice et de paix. Son conseiller est l'enchanteur Merlin. C'est l'écrivain Wayce qui a imaginé l'immense table ronde permettant d'accueillir tous les chevaliers en position d'égalité. Arthur doit établir sa qualité en affrontant les nobles du royaume. Pour l'aider, l'épée magique, Excalibur, lui sera confiée par une main mystérieuse sortant du lac. Avant de mourir, Arthur demanda que l'on rende l'épée au lac. La Dame du Lac (la fée Viviane) s'en saisit et disparut. La légende dit qu'Arthur n'est pas mort mais seulement endormi. Son corps fut transporté en bateau sur l'Île d'Avalon où il est veillé par des fées. Et si la "Bretagne" est à nouveau menacée, il s'éveillera de sa "dormition" pour la défendre et restaurer le royaume idéal de Camelot. Geoffroy de Monmouth et Robert Wayce ont été les premiers à évoquer les chevaliers de la Table ronde mais aucun n'a jamais parlé du Graal. En cette phase galloise de la naissance du mythe, le mystère du "Graal" n'existe pas encore.

Le roman initiatique inachevé de Chrétien de Troyes

Le Normand Robert Wayce, ou Wace, a donc traduit en vers français l’antique épopée galloise arthurienne. Sous sa plume, Arthur devint un valeureux combattant conquérant l’Irlande puis le Danemark et la

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Norvège, et même Paris. Son épée magique exterminait les géants et les monstres. Arthur tenait sa cour ordinaire en son château de Camelot où l’on trouvait la Table Ronde de nulle préséance. D’autres auteurs gallois ont écrit en prose, faisant d’Uther Pendragon un personnage mythique dont le bouclier était un arc en ciel. Le prestige du Père magnifiait le fils. Puis, au 12e siècle, des poètes armoricains comme Marie de France ont popularisé les lais bretons, des oeuvres littéraires extrêmement soignées, écrites en vers. Elles étaient destinées aux conteurs qui les enjolivaient à plaisir. Parmi les thèmes, on trouvait souvent Tristan et Iseult et les exploits d’Arthur, mais aussi beaucoup d’autres aventures moins connues. Dans la matière de Bretagne initiale, la Table Ronde est surtout la table ouverte du Roi, la merveilleuse table des festins offerts et partagés entre nobles et pairs. Plus tard, elle deviendra une Table nourricière et mystique, réservée aux élus les plus purs, image symbolique du Monde, illuminée par la lumière du Graal qui rayonne en son centre.

thèmes traditionnels. On peut citer Guillaume d’Angleterre, Érec et Énéide, Cligés ou la Fausse Morte, Yvain le Chevalier au lion, Lancelot le Chevalier à la charrette, qui sont des romans d’aventures. Un Tristan, (le premier en français), a été perdu. Ensuite, peut être devenu prêtre, l’écrivain commença un récit d’aventure mystique, le célèbre Perceval, dans lequel apparaît enfin le Graal. Chrétien de Troyes fréquentait les cours de Champagne et de Flandres plutôt que la célèbre cour d’Aliénor d’Aquitaine. Il y exprimait toute la perfection de son art de l’écriture lorsqu’il mourut vers 1190, laissant deux œuvres inachevées, Lancelot et, hélas, Perceval. Les romans de Chrétien ne devaient pas être contés mais lus à voix haute devant une assistance, comme cela se pratiquait habituellement à l’époque. Pour soutenir l’attention des auditeurs, Chrétien associait donc avec beaucoup de soin la richesse de l’ornement, la forme narrative et le rythme de la diction. Sa façon littéraire achevée est caractérisée par la fantaisie des descriptions, la dynamique des dialogues et l’expression poétique des vers octosyllabiques, hélas intraduisibles en français moderne.

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Voici une courte traduction ancienne du "Lai du Chèvrefeuille", de Marie de France, où Tristan dit aimer Iseult

Belle amie, ainsi est de nous: De nous deux, il en est ainsi Comme du chèvrefeuille était Qui au coudrier se prenait. Quand il s’est enlacé et pris Et tout atour le fût s’est mis,

Ensemble ils peuvent bien durer. Qui les veut après désunir

Fait bientôt coudrier mourir Et le chèvrefeuille aven lui.

Belle amie, ainsi est de nous: Ni vous sans moi, ni moi sans vous.

Au début de l’histoire, le personnage Perceval est un jeune homme très naïf, presque idiot qui ne connaît même pas son nom. Il habite avec sa mère qui l’élève à l’abri des tentations. Dans la forêt, il rencontre un jour des chevaliers du roi Arthur et veut le devenir. Il quitte sa mère, la voit tomber à terre mais ne revient pas en arrière. Il parvient sans encombre à la cour du roi Arthur qui vient d’être bafoué par un inconnu. Il y pénètre à cheval, défie le félon, le tue, prend ses armes et son cheval, puis quitte le château. Perceval rencontre Gornemant de Goort, (un prud’homme, un preux), qui lui apprend l’art du combat et l’arme chevalier. Il est reçu dans le château de Blanchefleur qui le prie de combattre ses ennemis et l’initie aux choses de l’amour. Après avoir vaincu Clamadeu, Perceval envoie ses prisonniers au roi Arthur. Poursuivant son errance, il rencontre le Roi Pêcheur, un infirme qui l’invite en son château. Perceval ne s’en étonne point, et non plus quand ce roi lui remet une épée extraordinaire. Et il ne pose aucune question devant le défilé fantastique du cortège du Graal. Il s’endort mais le lendemain, le château est vide. Par manque de questions, Perceval a

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manqué le Graal et le roi n’a pas été guéri. Ayant perdu sa mère, Perceval devra reprendre sa quête.

Autre superbe dialogue amoureux trouvé dans le "lai breton", Yvain, le Chevalier au Lion.

Dans ce roman arthurien, de Chrétien de Troyes, le Graal n'est jamais évoqué.

Les interlocuteurs sont ici Yvain et la Dame de Landuc

En ce vouloir m’a mon cœur mis. - Et qui le cœur, beau doux ami ?

- Dame, mes yeux - Et les yeux, qui ? - La grand beauté qu’en vous je vis

C’est dans ce roman de Chrétien de Troyes que le Graal apparaît pour la première fois. « Tandis qu’ils causent à loisir, paraît un valet qui sort d’une chambre voisine, tenant par le milieu de la hampe une lance éclatante de blancheur. Entre le feu et le lit où siègent les causeurs, il passe. Et tous voient la lance et le fer dans leur blancheur. Une goutte de sang perlait à la pointe du fer de la lance et coulait jusqu’à la main du valet qui la portait. Alors viennent deux autres valets, deux fort beaux hommes, chacun en sa main un lustre d’or niellé. Dans chaque lustre brûlaient dix cierges pour le moins. Puis apparaissait un graal que tenait entre ses deux mains une belle et gente demoiselle, noblement parée, qui suivait les valets. Quand elle fut entrée avec le graal, une si grande clarté s’épandit dans la salle que les cierges pâlirent comme les étoiles ou la lune quand le soleil se lève. Après cette demoiselle en venait une autre, portant un tailloir d’argent. Le graal qui allait devant était de l’or le plus pur. Des pierres précieuses y étaient serties, des plus riches et des plus variées qui soient en terre ou en mer, et nulle gemme ne pourrait se comparer à celles du graal. Tout ainsi que passa la lance devant le lit, passèrent les demoiselles pour disparaître dans une autre chambre. »

Les suites et les variantes du Roman du Graal

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Le roman de Chrétien de Troyes a donc reçu à l’époque plusieurs suites déclarée, (ou continuations dites Pseudo-Wauchier 1et 2, Manessier, Gerber de Montreuil, l’Élucidation). Ce sont aussi des romans courtois avec bien des féeries et des aventures amoureuses et guerrières. Ces diverses suites n’ont pas la qualité littéraire des œuvres qu’elles s’efforcent de suivre. Elles la complètent néanmoins et commencent une évolution vers la christianisation du mythe. L’auteur de la « Première continuation » est inconnu. Le texte reprend le récit au point où Chrétien l’a interrompu. Repartant à l’aventure, Gauvain est reçu dans le château d’un preux blessé. Pendant le repas, il voit passer le cortège du Graal, avec la lance qui saigne, le tailloir d’argent, puis le Graal porté par une jeune fille qui pleure suivie du cercueil d’un chevalier mort portant une épée brisée sur la poitrine. Les questions de Gauvain auront des réponses s’il peut réparer l’épée brisée. Il faut ici les mériter. Gauvain ne répare pas l’épée et s’endort. Puis il reprend sa quête et retrouve le château du Graal. Au cours du repas, le cortège apparaît de nouveau. La table se couvre alors magiquement de mets savoureux de par la fonction nourricière du Graal. Mais, de nouveau, Gauvain ne peut réparer l’épée.

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Mais ici, le roi veut bien répondre aux questions. Gauvain reçoit quelques réponses qui amorcent la christianisation du mythe. La lance n'appelle plus la vengeance. Elle serait celle de Longin qui a frappé le Christ en croix. Elle saignera jusqu’à la fin des temps. L’épée brisée a tué le roi du cercueil et causé le dépérissement de son royaume. Hélas, Gauvain s’endort encore avant de savoir ce qu’est le Graal, et se retrouve le matin sur une falaise en bord de mer. Le récit s’interrompt là, sans conclusion, comme celui de Chrétien de Troyes. L’auteur de la « Seconde continuation » abandonne Gauvain. Son héros, c’est Perceval qui entre aussi dans un château et y trouve un jeu d’échec qui joue seul et si bien qu'il le bat. Furieux, Perceval le jette par la fenêtre au grand déplaisir d’une jeune fille qui l’avait reçu de la Fée Morgane. L’aventure magique et romanesque continue, et Perceval retrouve le château du Roi Pêcheur. Il y voit la lance et le Graal, puis l’épée rompue portée par un valet. Le roi répondra aux questions si l’épée est réparée. Perceval la ressoude mais l’écrivain facétieux interrompt son récit. On dit que le mystère du Graal s’accroît lorsque l’on approfondit son étude. Je crois que l’objet Graal importe peu. C’est la Quête qui est importante.

Manessier, le troisième continuateur, christianise encore plus l’histoire. Après la réparation de l’épée, le Roi confirme que la lance est bien celle dont le soldat Longin a percé le flanc du Christ. Le Graal est le vase qui a recueilli le sang qui a coulé hors de la plaie. C'est Joseph d’Arimathie qui l’a apporté en Bretagne. L’épée brisée est celle d’un félon, Partinal, qui a tué Goon et blessé le Roi Pêcheur. Perceval tue Partinal et apporte sa tête au Roi Pêcheur qui en guérit. Et Perceval vainc même le Diable monté des enfers. Honoré par Arthur, il retrouve Blanchefleur mais ne l'épouse pas. Après la mort du Roi Pêcheur, il lui succédera pendant sept ans puis il finira ses jours au fond d'un monastère, nourri par le Graal. Le "Roman du

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Graal" peut aussi mis en parallèle avec plusieurs œuvres d’autres auteurs qui ont traité du même sujet en puisant probablement aux mêmes sources. Ces récits concurrents restent reliés aux mythologies celtiques et galloises traditionnelles. On y retrouve les décors et les personnages des légendes arthuriennes de la Cour de Bretagne, mais ils intègrent occasionnellement certains thèmes venus du Christianisme. Des ouvrages comme Peredur ou Perlesvaux peuvent apporter des éclairages complémentaires sur le mythe.

Les aventures de Peredur sont inspirées par le même récit gallois inconnu que celui de Perceval. Le personnage est un jeune garçon naïf qui a rencontré des chevaliers dans la forêt. En allant les retrouver à la cour du Roi Arthur, il subit une initiation sanglante et compliquée, et finit par apercevoir le cortège du Graal. Deux hommes entrent dans la chambre, portant une énorme lance dont trois ruisseaux de sang coulent jusqu'à terre. Deux jeunes filles suivent soutenant un grand plat sur lequel est une tête d'homme baignant dans son sang. Il n'y a pas de connotation chrétienne dans ce roman qui relève de la pure tradition vengeresse celtique avec les symboles du Chaudron de Dagha et de la Lance d'Assal. On est certainement très près du récit originel. C'est aussi par une nécessité de vengeance que commence le roman de Perlesvaux qui reprend les épisodes du Roman du Graal et le personnage de Gauvain. L'histoire intègre Joseph d'Arimathie. Dans la salle à manger, deux pucelles paraissent, l'une tenant la Lance, l'autre le Graal. Deux anges les suivent avec des candélabres. Le cortège revient avec une forme d'enfant puis du Christ sur le Graal qu'on verra encore sous cinq aspects secrets, le dernier étant décrit comme celui d'un calice.

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Les romans du Graal christianisé

L'auteur de Peredur met occasionnellement en scène des éléments tirés de la mythologie celtique. Son héros visite un château où arrivent des chevaux portant des cadavre. Des femmes baignent les corps dans un cuveau puis les enduisent d'onguent magique. Et les morts ressuscitent. C'est le "chaudron de résurrection", le "Chaudron de Bran" de la tradition celtique. Peredur découvre une vallée où coule une rivière. Sur une rive, il y a des moutons blancs, sur l'autre, des moutons noirs. Chaque fois que bêle un mouton blanc, un noir traverse l'eau et devient blanc, et vice versa. Peredur est à la frontière qui sépara les vivants des morts. Il comprend alors que les âmes sont immortelles, passant alternativement de ce Monde à l'Autre. Le roman de Perlesvaux est encore plus proche de la source galloise primitive. Le récit est très vengeur et sanguinaire. On y trouve plus de deux cents têtes coupées et même un dragon. Et Perlesvaux fait décapiter douze ennemis dont il recueille le sang dans un chaudron pour y noyer leur chef. C'est bien un rituel celte vengeur typique. Le personnage est cependant le premier Chevalier du Graal que la présence de Joseph d'Arimathie relie à la christianisation du mythe. Quant à la violence, il faut se souvenir que l'on est alors au 12e siècle, vers la fin du temps des Croisades.

Un romancier franc-contois reprend ce thème dans le récit "Joseph". Après la crucifixion, écrit Robert de Boron, Joseph d'Arimathie voulut ensevelir le corps et en demanda l'autorisation à Pilate qui lui remit aussi le "vaissel", l'écuelle de Jésus, (celle de la Cène). En descendant le corps, Joseph vit que la blessure de lance saignait encore, et il recueillit le sang du Christ dans ce "vaissel". Plus tard, il fut emprisonné et laissé sans nourriture, et reçut alors miraculeusement ce "vaissel" qui le nourrissait comme le chaudron des traditions celtiques. Vespasien sortit Joseph de sa prison, lui donnant le bateau qui l'amena en Bretagne. D'autres chrétiens l'accompagnaient dont le roi Bron. Chaque jour, la fraternité prenait un repas rituel sur une table où était placé le "Saint Vaissel". Seuls ceux qui avaient été touchés par la grâce de Dieu étaient admis à ce "Service du Graal" qui annonçait le nouveau rituel de la Messe catholique. (Á l'époque, l'Église énonçait le dogme de la

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"Transubstanciation", Présence réelle dans l'Eucharistie, (Latran 4 - 802). Il fallait croire ou mourir, et les Cathares moururent). Le "vaissel" sanglant et nourricier de Robert de Boron devint "l'Objet de la plus haute Vertu". Sa quête cessa d'être la poursuite d'une vengeance pour devenir une ascèse visant à acquérir la "Connaissance parfaite".

Joseph d'Arimathie confia le Graal à Bron, le Roi Pêcheur, et s'en retourna en Orient. Le roman suivant est bâti autour du Graal réceptacle du Saint Sang. Perceval doit un jour en devenir le gardien car il est le petit fils du Roi Pêcheur. Perceval tente sa chance sur le "siège périlleux" mais il n'en est pas encore digne et la pierre se fend. On retrouve ici tous les personnages arthuriens dont ce roi douloureusement blessé d'un coup de lance. Son royaume est en détresse. Après de nombreuses aventures, Perceval arrive au Château du Graal, assiste au défilé mystérieux et demande à quoi sert cette vision. Cette question suffit à guérir le roi qui lui révèle les secrets du Graal avant de mourir. Le "Vaissel" est saint car il a reçu le sang du Christ, et la Lance est celle de Longin, le soldat qui l'a percé sur la Croix. Le siège périlleux se ressoude et Perceval devient "Roi du Graal". Puis, Robert de Boron reprend encore le thème dans son "Lancelot". Ce chevalier aurait pu être "l'Élu" s'il n'avait été l'amant adultérin de Guenièvre qu'il aime éperdument. On lui fait cependant féconder Élaine, la fille du roi pêcheur, qui a pris magiquement l'aspect de la reine. Le même sortilège avait permis la naissance d'Arthur. L'enfant né de cet amour est appelé Galaad. Il sera élevé dans un monastère près de Camelot.

Galaad est un personnage très particulier. Dans "La Quête du Saint Graal", indûment attribué à Gautier Map, un autre écrivain conte quelques épisodes de son histoire. Nouveau dans la quête, Galaad n'est pas contaminé par l'antique contenu païen de la "Matière de Bretagne". Sa destinée est d'être le prêtre du Graal car il est pur chrétien. Cela signifie qu'il n'est pas sujet aux pulsions qui gênent les autres chevaliers dans leur quête. Comme Arthur, Galaad retire aisément une épée fichée dans un roc. Il reçoit un bouclier magique et arrive au Château des Pucelles où sept chevaliers abusent de jeunes femmes et libère ces prisonnières. Avec ses amis et "Celle qui jamais ne mentit", il voyage dans une nef merveilleuse et y reçoit

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une épée fabriquée par Salomon pour laquelle la dame confectionne d'étranges attaches, (les renges), avec ses propres cheveux. Ses amis échouent dans leur démarche, mais Galaad surmonte toutes les épreuves. Il guérit le roi blessé et lève les malédictions du royaume. Il est donc couronné Roi du Graal et, face à la vision céleste, il s'agenouille et rend l'esprit. Une main mystérieuse apparaît, s'empare du Vaissel et de la Lance et les emporte au ciel. Le Graal devient à jamais inaccessible en tant qu'objet. Don de Dieu, il est devenu pur symbole de la Grâce offerte par l'Esprit Saint.

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Le Graal de Montsalvage

Il y eut d'autres prolongements à cette maturation de la légende du Graal. Au Moyen Âge, sous la domination de l'Église romaine et le vécu des Croisades, la pensée européenne pouvait paraître relativement homogène. Les différents princes influençaient néanmoins les cultures locales. Les légendes médiévales, y compris celle du Graal, revêtirent donc, outre Rhin, des caractères spécifiques. Le thème de la Quête fut repris et adapté par Wolfram von Eschenbach, un écrivain bavarois qui publia son propre Parzival. Mettant en doute l'originalité de l'inspiration de Chrétien de Troyes, il en utilisa pourtant partiellement la matière. Wolfram déclarait s'inspirer lui même d'une oeuvre en français de "Kyôt le Provençal", un Occitan inconnu, et il assurait que l'origine de la légende était orientale. En fait, l'étude de Parzival montre que l'écrivain allemand puisait au moins à deux autres sources, l'une classiquement celtique, le Perceval de Chrétien, et l'autre orientale, probablement iranienne. Il est à noter que ce texte contient des connotations dualistes qui n'existent dans aucune version celtique. Elles peuvent avoir été inventées par Wolfram sous l'influence de la proximité des Bogomiles européens, ou provenir de la source provençale proche des Cathares d'Occitanie.

Dans le récit de Wolfram, le père de Parzival a combattu en Orient et y est mort. Parzival a un frère demi-blanc demi-noir, Vairefils, un oriental qui l'accompagne dans la Quête. Parzival a aussi un fils nommé Lohengrin. Et le Château du Graal s'appelle Munsalvsche, c'est à dire Monsalvage. Wolfram décrit un extraordinaire cortège du Graal. "Un écuyer entra, dit-il, portant une lance dont jaillissait du sang coulant le long du bois jusqu'à la main et se perdant dans la manche. Des sanglots et des pleurs emplirent la salle dont l'écuyer fit le tour avant de sortir. Une porte d'acier s'ouvrit et deux blanches vierges entrèrent, portant chacune un chandelier d'or avec un cierge allumé, puis deux duchesses avec des chevalets d'ivoire. Suivaient huit autres dames dont quatre portaient de grands flambeaux. Les quatre autres soutenaient une pierre précieuse illuminée par les

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rayons du soleil, et qui tirait son nom de son éclat. Deux princesses richement parées les suivaient, portant deux couteaux d'argent d'un blanc brillant. Puis apparut la Reine au visage couleur d'aurore. Sur un coussin d'émeraude verte, elle portait la racine et le couronnement de ce que l'on souhaite en Paradis, le Graal qui surpasse tout idéal terrestre. Le nom de la porteuse du Graal était "Repense de Joie".

Wolfram von Eschenbach a beaucoup enrichi les récits dont il s'est inspiré, même quand il confond les tailloirs de Chrétien avec des couteaux d'argent. Le Graal qu'il décrit transcende toute appartenance terrestre. Ici, la Quête est essentiellement une démarche alchimique. Le Graal de Wolfram contient une puissance secrète venue d'ailleurs. Sa révélation a été apportée sur terre par des anges qui l'ont laissée à la garde d'hommes aussi purs qu'eux mêmes. La Quête est un cheminement purificateur qui transmute la nature pécheresse des humaine pour leur permettre d'approcher ce mystère. L'histoire des parents de Parzival prépare le roman. Gahmuret est le père d'un fils métis en Orient, Vairefils. Revenu en Anjou, il y rencontre les personnages arthuriens et il épouse Herzéloïde. Il retourne ensuite à Bagdad où il est tué. La Reine veuve donne le jour à Parzival qui grandit sous sa protection. Un nommé "Le Hellin" s'est emparé de son héritage, que le jeune homme doit reconquérir. La suite est assez analogue au récit de Chrétien de Troyes. Après maintes aventures, Parzival arrive au château d'Anfortas, le Roi Pêcheur blessé, et il assiste au cortège du Graal. Parzival ne pose aucune question. Il demeure donc dans l'ignorance, et manque cette première occasion

Parzival reprend son chemin. Il rejoint la cour du Roi Arthur où la hideuse fille renvoie tous les chevaliers à la quête. Puis il rencontre son oncle, l'ermite Trévrisent, qui lui expose quelques secrets du Graal. La virginité de la Terre Mère été souillée quand Caïn tua Abel. Elle est depuis plongée dans les ténèbres de la pensée. Dans le Château de Montsalvage, les Templiers gardent le Graal qui les nourrit et leur conserve force et jeunesse. Le Graal est une pierre précieuse merveilleuse. Chaque Vendredi Saint, une colombe descend conforter ses pouvoirs. Nul n'entre dans son sanctuaire sans avoir été choisi et s'il n'est vraiment pur. Chez Wolfram, la pureté du coeur signifie l'abstinence sexuelle. Tous ses couples sont mariés,

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toutes les femmes sont chastes et toutes les filles sont vierges, y compris les "Filles Fleurs" du Château des Demoiselles. Anfortas cherchait l'amour. Son manque de chasteté l'a rendu infirme. Parzival connaît maintenant son destin et retourne à Montsalvage. Il demande à Anfortas, "Bel oncle, de quoi souffres-tu ?". Cette seule parole guérit le roi de sa honte. Il survivra mais ne régnera plus. Parzival devient roi du Graal et rend la prospérité au royaume. Et Vairefils épouse Repense de Joie et retourne en Orient où il aura un fils, le fameux Prêtre Jean.

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Ce roman complexe accumulait les aventures de Parzival, l'épée trois fois rompue, le mariage avec Condwiramur, et le fils Lohengrin, le Chevalier au Cygne, futur gardien du Graal. Albrech de Scharpfenberg adapta dangereusement l'histoire dans un long poème intitulé "Titurel" qui voulait clore le roman. Après le règne de Parzival, écrit-il, le péché envahit la Terre et Dieu transporta Monsalvage en Inde où l'on retrouve le Prêtre Jean. Le Graal est ici un talisman divin, le Château est son Temple, et les Templiers sont des guerriers élus, armés pour la Guerre Sainte. Dans cet avatar, le mythe change de nature. Son évolution va s'arrêter. Les mythes naissent, s'animent et se chargent de sens avec le temps. Dans l'espace mystérieux de la pensée collective, ils constituent des assemblages autonomes de "formes pensées". La Quête du Graal contient les illuminations de nombreux chercheurs de spiritualité. Ces "nourritures" restent disponibles dans l'inconscient collectif de l'humanité et s'interprètent au niveau du lecteur. Au premier degré, les questions naïves reçoivent des réponses simplistes. Au degré suivant, les réponses reflètent les questions vers l'intérieur, comme des miroirs, car elles viennent de l'intuition, et au dernier degré, il n'y a pas vraiment de questions ni de réponses.

Le mythe du Graal apparaît d'abord comme une histoire celtique de vengeance sanguinaire et parfaitement païenne. Il évolue ensuite au fil du temps dans des récits successifs d'auteurs divers en passant de la féerie anecdotique à l'ésotérisme initiatique. Avec sa christianisation, il se spiritualise et se charge d'une révélation sacrée. Il n'y a jamais eu de véritable fondement historique de la légende du Graal. On trouve seulement alors un foisonnement de récits romancés de diverses aventures humaines mêlant la violence, l'amour, le sexe et le sang, décrivant cyniquement la nature du Monde et la vie des hommes. C'est pourtant dans cette nature

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ordinaire que se préparait lentement la révélation puis l'émergence de la Quête purement spirituelle du Graal. L'histoire de la naissance du mythe préfigure donc étonnamment son contenu qui est lui-même l'illustration ésotérique du chemin de la Quête Spirituelle..

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CHAPITRE 9 – De la Gnose aux Cathares

Introduction

La Gnose n’est pas une hérésie née du Christianisme mais un système de pensée indépendant partiellement issu du Vêdânta indo-iranien antique. Au début de l'ère, il cohabitait avec le Christianisme puis avec l’Hermétisme et le Néo-Platonisme. Malgré la proximité des sources irano esséniennes du Christianisme et des racines indiennes de la Gnose, les deux courants professaient des idées différentes. La Gnose n'était initialement qu'une vision métaphysique et intellectuelle du Monde tolérant tous les cultes. Les Gnostiques disaient que le Monde divin et le Monde où nous vivons appartiennent à deux natures parfaitement distinctes. Ce thème fondamental des deux natures suffit à caractériser une pensée de type gnostique. Interdits d'existence puis menacés de mort par les arrêts de l'empereur chrétien Théodose II, les métaphysiciens pré-gnostiques informels constituèrent des communautés autonomes et distinctes.

Dés son apparition, la dualité professée par la Gnose s'éloignait cependant du polythéisme antique et des mythes indo-iraniens. Elle était une démarche personnelle vers la connaissance totale (en fait salvatrice), la découverte de l’Esprit, et la compréhension de la nature réelle du monde. Elle y tendait par l’illumination intérieure. Dans la mesure où elle était une attitude mentale sans être religieuse, elle se développait sur un plan intérieur, ésotérique, en préconisant une liaison directe avec le plan divin. La Gnose pouvait accepter que les néophytes puissent connaître des initiations, mais elle se passait de prêtres médiateurs et d'intercesseurs intervenant entre l'homme et la divinité. Le système entra donc en concurrence avec les organisations chrétiennes structurées et les cultes et mythes spécifiquement chrétiens. La puissante Église décida de détruire la

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Gnose qui, pour survivre, s'organisa en diverses chapelles clandestines. La coexistence forcée provoqua cependant quelques influences mutuelles et quelques tentatives de mise en commun tendant à rapprocher les deux doctrines. Le gnosticisme du début du Christianisme n'est qu'un aspect de l'ensemble de la pensée gnostique. Il y a aussi une gnose juive, une gnose islamique et même une gnose bouddhique. Au 2e siècle, les Gnostiques désiraient intégrer le paléo-christianisme ésotérique dans leur démarche globale car il leur paraissait enraciné dans les autres cultes à Mystères. Ils tentèrent donc une synthèse entre la foi des Chrétiens en un dieu unique et leurs idées gnostiques et néo-platoniciennes. Pour la distinguer de la Gnose païenne dualiste et indo iranienne, l'Église appela "orthodoxe" cette nouvelle gnose christianisante qu'ils tentaient d'élaborer. Néanmoins, elle la condamna et elle en fit une hérésie majeure promise aux feux des bûchers en ce monde et aux flammes de l'enfer dans l'autre. Les évolution de la pensée gnostique ont été multiples. Certaines ont suivi le courant dualiste d'origine indo iranienne s'exprimant dans le Néoplatonisme de Plotin et l'Hermétisme, ou aboutissant ultérieurement au Manichéisme. D'autres ont essayé d'intégrer les apports du Christianisme naissant à l'antique ésotérisme. Contraints de se cacher, les différents groupes gnostiques ont été isolés et ont formé des communautés secrètes de pensée ou de culte, des assemblées fraternelles et fermées, (ecclesia ou églises), qui ont élaboré des doctrines variées. On a donc vu apparaître plusieurs écoles gnostiques relativement christiques sous les impulsions de Carpocrate, Basilide, Marcion ou Valentin, à Rome ou à Alexandrie, et d'autres résolument païennes. Toutes préservaient cependant leurs fondements métaphysiques communs en proposant le même objectif, inciter chaque homme à retrouver son âme spirituelle au sein de sa nature corporelle. De nos jours, la Gnose adapte son message à la culture occidentale traditionnellement chrétienne. Elle se déclare souvent christique et voudrait alors montrer toute la richesse des mythes du Christianisme originel en dévoilant leur véritable signification cachée. Se

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dégageant de toute discussion concernant l’historicité des fondements chrétiens, elle présente les personnages et les événements évangéliques comme des représentations mythiques du chemin qui conduit l’Homme à son salut. Ce décryptage des mythes relie le Christianisme originel aux antiques Cultes à Mystères dont il est contemporain. On y retrouve leurs principales caractéristiques tels les concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection. Le culte évoque toujours la passion, la mort et la résurrection d’un dieu. Les pratiques comportent des prières, des sacrifices, des émotions violentes et des rites pénitentiels, et les liturgies conduisent au salut dans un autre monde.

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Les 'Pères' du Gnosticisme christique

Le premier reconnu aurait été Simon le Magicien, un contemporain des apôtres dont l'existence paraît plus légendaire que réelle. Son disciple Ménandre voulait sauver les âmes captives ici bas et proclamait l'absolue transcendance de la divinité. Saturnin enseignait que sept anges avaient créé le Monde et tenté de façonner l'Homme à l'image de Dieu. Saisi de pitié pour l'ouvrage manqué, Dieu l'anima d'une étincelle d'esprit qui remonte à lui à la mort. L'oeuvre du gnostique égyptien Carpocrate aurait aussi été brûlée. Il semble qu'il pensait que Jésus n'était pas un "Sauveur" mais simplement un homme qui avait réalisé son idéal de justice. Puis il avait rejeté les créateurs inférieurs de la matière avant de remonter vers le Père inengendré. Les carpocratiens honoraient Jésus à l'égal de Platon. Ils enseignaient que l'âme devait passer par une série de transmigrations avant de s'affranchir des illusions du Monde et de regagner finalement son lieu originel divin. Basilide naquit à Alexandrie dans le 1er siècle de notre ère. Il rédigea un évangile qui a été brûlé comme tous les textes gnostiques accessibles à l'époque. Il concevait 365 cieux imbriqués les uns dans les autres. Tous seraient hiérarchiquement peuplés d'intelligences variées dont la moins élevée aurait créé notre propre Monde. Dieu serait donc infiniment distant de ce Monde qui est la dernière de ses émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné. Il possède deux âmes qui entrent perpétuellement en conflit et peuvent se réincarner. La résurrection est impossible car les corps sont totalement corrompus. Les âmes d'un petit nombre d'élus pourraient rejoindre leur source divine en trompant magiquement les Archontes créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à l'incarnation du Christ. Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas Jésus mais Simon de Cyrène. Il eut de nombreux disciples. Le plus connu de ces Basilidiens fut Marcion. Basilide naquit à Alexandrie dans le 1er siècle de notre ère. Il rédigea un évangile qui a été brûlé comme tous les textes gnostiques

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accessibles à l'époque. Il concevait 365 cieux imbriqués les uns dans les autres. Tous seraient hiérarchiquement peuplés d'intelligences variées dont la moins élevée aurait créé notre propre Monde. Dieu serait donc infiniment distant de ce Monde qui est la dernière de ses émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné. Il possède deux âmes qui entrent perpétuellement en conflit et peuvent se réincarner. La résurrection est impossible car les corps sont totalement corrompus. Les âmes d'un petit nombre d'élus pourraient rejoindre leur source divine en trompant magiquement les Archontes créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à l'incarnation du Christ. Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas Jésus mais Simon de Cyrène. Il eut de nombreux disciples. Le plus connu de ces Basilidiens fut Marcion. Né vers l'an 100, Valentin influença fortement le Gnosticisme. Á l'origine, il y a un principe parfait et transcendant. Par réflexion, il en émane un éon, Barbélo, formant un premier couple. Trente émanations successives constituent le Plérôme. Voulant utiliser seule la puissance du Père, le dernier éon, Sophia, provoqua la chute pré cosmique, engendrant l'ignorant Yaldabaoth, le démiurge biblique. Chassé du Plérôme, il créa l'impotent "Homme Psychique". L'éon "Christ" le lui fit animer d'un souffle, faisant naître "l'Homme Pneumatique". Privé de sa puissance, Yaldabaoth précipita l'Homme dans la matière. Les hommes n'ont aucune part dans leur salut. L'humanité est séparée en trois classes prédéterminées. De nature spirituelle, les pneumatiques seront individuellement sauvés. Les psychiques n'ont qu'une âme mais peuvent être instruits du salut. Les hyliques en resteront exclus jusqu'à une eschatologie générale qui détruira l'univers matériel

Évangile de Thomas

Qu'il cherche, le chercheur jusqu'à ce qu'il trouve, et quand il aura trouvé, il sera bouleversé,

et étant bouleversé, il sera émerveillé, et il régnera sur le Tout.

Let him who seeks, not cease seeking until he finds, and when he finds, he will be troubled,

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and when he has been troubled, he will marvel and he will reign over the All.

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Les Néoplatoniciens

La plupart des textes antiques, y compris gnostiques, ont été systématiquement détruits. Les livres étaient alors copiés à la main en très petit nombre, et la Bibliothèque d'Alexandrie réunissait l'essentiel du savoir. Elle fut incendiée par les Romains, puis par les Chrétiens coptes. Il en fut de même de celle d'Antioche. Plus tard, ce qui demeurait fut même jeté en mer par les Musulmans. Tous les temples et objets cultuels ont été détruits sur ordre impérial. Les témoins essentiels de la culture européenne originelle ont ainsi disparu. Les "Pères de l'Église" ont cependant commenté abondamment les formes de pensée qu'ils qualifiaient d'hérésie. Leur objectif étant la réfutation des idées combattues, leurs écrits sont à considérer avec prudence. Ils peuvent apporter quelques informations. Une autre source récente, d'extrême intérêt parce que directe et authentique, réside dans les divers et précieux manuscrits coptes découverts prés de Nag Hammadi, en Égypte.

Avant le 4e siècle, les diverses formes de la pensée antique coexistaient dans une relative tolérance. La philosophie se mêlait aux nouvelles religions qu'elle concurrençait souvent. Au 3e siècle, le Néo Platonisme se fondait sur les théories de Plotin. Le monde intelligible serait formé de trois substances, (hypostases divines), le UN, L'Intelligence, et l'Âme. Le UN est le Dieu de Plotin. Ce n'est pas l'Être mais la source de l'être, et toutes les choses émanent de lui. Il est plénitude et on ne peut rien en dire. L'intelligence, ou Esprit, c'est l'unité manifestée dans la multiplicité des idées qui se rassemblent dans un même principe d'harmonie. L'âme procède des deux autres hypostases. Elle est mouvement et raison et se divise en parcelles individuelles en chaque vivant y compris dans chaque homme. Chaque âme humaine est une parcelle divine engendrée par l'Intelligence dans sa contemplation extatique de l'UN qu'il doit comprendre afin de s'y fondre. Les Néoplatoniciens égyptiens Plotin et Porphyre ont ouvertement critiqué la Gnose. Les écrits de leur ami, le Syrien Jamblique s'approchaient cependant de pensée gnostique. Il disait qu'avant les

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êtres véritables et les principes universels, il y a un Dieu qui est l'Un, le tout premier, demeurant immobile dans sa singularité. Il est à soi-même un père et un fils, et l'origine unique du vrai Bien. Il est la source de tout et la base des êtres que sont les premières idées intelligibles. Á partir de ce Dieu Un, se diffuse le Dieu Roi, auteur du devenir, de la nature entière et de ses puissances. L'Homme aurait deux âmes. La première voit Dieu, car elle est issue du Premier Intelligible. L'autre est introduite en lui à partir de la révolution des astres, corps célestes des dieux, dont elle accompagne le destin. En elle se glisse l'âme qui voit Dieu et qui est supérieure au cycle des naissances. Par elle, délivrés de la fatalité, nous remontons vers le Dieu intelligible.

Les Hermétistes et l'Alchimie Au début de l'ère, l'Hermétisme concurrençait aussi la Gnose. Ultérieurement, les deux courants se sont rapprochés. Au commencement, nous dit un texte attribué à Hermès Trismégiste, il y eut Dieu et Hylé (la matière). Le Souffle, (l'Esprit), était dans la matière mais pas de la même façon (...) qu'étaient en Dieu les principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui est toujours, Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. Telle est donc la nature de Dieu, qui toute entière est issue d'elle même. (...). Quant à Hylé, (la nature matérielle), et au Souffle de Vie, bien qu'ils soient manifestement inengendrés, ils ont en eux le pouvoir et la faculté naturelle de naître et d'engendrer. (...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de Hylé (la matière), elle est capable d'engendrer bien qu'elle soit elle-même inengendrée. Or, s'il est de sa nature d'être capable d'enfanter, il en résulte qu'elle est tout aussi capable d'enfanter le Mal. Or le Noûs, étant Vie et Lumière, engendra un Homme semblable à lui et s'en s'éprit comme de son propre enfant. Car l'Homme était très beau, à l'image du Père, et le Noûs lui livra toutes ses oeuvres. Et cet Homme nouveau qui avait plein pouvoir sur le monde des animaux mortels et sans raison, se pencha au travers de l'armature des sphères, et fit montre à l'autre Nature d'en bas, de la belle forme de Dieu. La

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Nature sourit d'amour car elle avait vu les traits de cette forme merveilleusement belle se refléter dans l'eau. Et lui, ayant perçu cette forme semblable, en bas, dans la nature, et reflétée dans l'eau, il l'aima et voulut habiter là. Ce qu'il voulut, il l'accomplit et s'en vint habiter la forme irresponsable. Ayant reçu en elle son aimé, la Nature l'enlaça toute et ils s'unirent car ils brûlaient tous deux d'amour. C'est pourquoi, seul de tous les êtres, l'Homme est double, mortel de par le corps, mais toujours immortel de par l'Homme essentiel.

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De nature divine, engendré non pas créé, l'homme originel est et demeure immortel même après la chute, quelle que soit ce qu'on imagine, orgueil ou narcissisme. Il peut cependant retrouver ses pouvoirs perdus dans la vie naturelle s'il accepte la transfiguration du corruptible en incorruptible, symbolisée par la transmutation alchimique du plomb vil en or pur. C'est cette possible transformation que découvraient les disciples d'Hermès, non pas dans les cornues des anciens Alchimistes mais en eux-mêmes, dans l'inlassable poursuite de la pierre philosophale. Celle-ci n'opérait qu'en présence d'un peu d'or, symbole de la présence occulte de l'Esprit divin, préalable nécessaire à la transmutation. Par amour, nous disaient ces ésotéristes, la Divinité descend sacramentellement depuis l'Esprit pur vers chaque homme, en revêtant la matière. Et, par amour aussi, l'Homme s'élève depuis sa corporéité vers Dieu, en libérant son propre Esprit.

Mais, en l'an 390, un édit de l'empereur Théodose interdit la philosophie et tous les anciens cultes dans tout l'empire romain occidental. Le Christianisme, religion d'état, devint obligatoire sous peine de mort, et les martyrs se firent bourreaux. Hélas, avec la civilisation chrétienne et pour plus de mille ans, le fanatisme s'installa. Il détruisit les bases de l'ancienne civilisation et la ville de Rome fut dépeuplée. Puis l'empire oriental fut conquis par l'Islam. Les guerres des religions firent des millions de morts. Plus tard, la civilisation méso-américaine disparut à son tour. Car le fanatisme ne produit que la douleur et les cris, gémissements de désespoir dans les prisons, ou hurlements dans les tortures et l'agonie des supplices. Née dans une tyrannie oubliée, cette civilisation est maintenant la nôtre. Nous espérions toute cette barbarie révolue, mais l'intégrisme religieux renaît, manifestant de nouveau sa violence dans le sang et les larmes.

La tolérance commence par le doute en la vérité de nos propres certitudes

Manichéens et Bogomiles

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Mani (216-274), est un Parsi gnostique qui se déclara successeur du Bouddha. Il professait une religion dont la doctrine synthétisait celles de Zoroastre, de Bouddha et de Jésus. L'homme primitif serait né de la confrontation du Bien et du Mal. L'homme actuel est uniquement l'œuvre du Mal qui a triomphé. L’homme n’est pas fils de Dieu mais enfant du Diable. L'existence du Mal est inacceptable et la matière n'est qu'illusion. Il faut donc s'abstenir de toute œuvre pérennisant son emprise, ne pas bâtir, ne pas semer, ne pas récolter, et ne pas procréer. Entendre l'appel des fils de lumière est la seule chance de salut des hommes. Cette vision pessimiste du Monde engendrait des troubles dans l’ordre établi. Condamné et chargé de lourdes chaînes, Mani mourut d'épuisement dans un cachot. Les missionnaires et les fidèles manichéens ont subi de terribles persécutions. Malgré tout, et pendant plus de mille ans, le manichéisme se répandit très largement partout, en Orient comme en Occident.

Le Manichéisme était une grande religion. Pendant dix siècles, il s'étendit donc depuis l'Iran jusqu'à la Mer du Nord, la Chine où l'on en trouve encore quelques traces, et en Afrique. Il a même fourni à l’Islam quelques éléments de son rituel comme les cinq piliers de la sagesse. Vers la fin du 4e siècle, inspirés par le Manichéisme, divers courants ascétiques plus ou moins dualistes, se sont faits jour au sein de l’Église occidentale qui les condamna et les combattit férocement. Les Messaliens ou Euchites, étaient des errants vivant de prières et de mendicité. Les Priscillianistes séparaient l'âme divine du corps matériel et maléfique. Ils croyaient au déterminisme astrologique et confondaient les trois personnes divines en une seule entité. L'évêque Priscillien fut le premier mis à mort pour hérésie en 395. Les Pauliciens condamnaient le culte marial car ils niaient l'incarnation de Jésus dans un corps matériel. Ils rejetaient le clergé, et les rites. Ils communiaient par la prière, et refusaient l'eucharistie.

La disparition du Manichéisme a été lente. Il a longtemps persisté à travers divers prolongements, les Mazkadites iraniens, les Zandaqa (contestataires) musulmans, les Pauliciens byzantins, les Bogomiles bulgares et bosniaques, les Patarins rhénans, ou les Cathares italiens et français. Les Bogomiles sont apparus vers l'an Mil, en Asie

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Mineure. Ils avaient adapté le dualisme manichéen en reconnaissant deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Le second a fait le corps de l’Homme en y emprisonnant un ange de lumière. Le procréation est condamnable car elle perpétue la démoniaque race humaine. Le Christ n'est qu'un ange, et le corps de Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a pas souffert, n’est pas mort ni ressuscité. Le jugement dernier a déjà eu lieu et ce monde-ci est l’enfer de punition. Les Bogomiles vivaient pauvrement, travaillant de leurs mains. Ils baptisaient par l'esprit, refusaient le mariage et s'abstenaient de viande et de vin.

Sévèrement persécutés, les Bogomiles gagnèrent la Lombardie où ils donnèrent naissance aux Patarins que l'on repère aussi en Bosnie et à Byzance, où leur chef Basile fut capturé et brûlé au 11e siècle. Ces successeurs des Bogomiles sont les précurseurs italiens du mouvement cathare. Les Cathares (du grec kataros « pur ») adhéraient globalement au système dualiste manichéen. Ils rejetaient le mariage et le baptême des enfants. Ils niaient l'humanité du Christ et sa présence dans l'Eucharistie ainsi que l'existence du purgatoire. Ils considéraient que les prières pour les âmes des défunts sont inutiles. Ils condamnaient la messe et les sacrements et n'acceptaient que le baptême de feu des adultes par l'Esprit Saint. Ils disaient que la procréation est diabolique. Ils enseignaient que l'âme humaine est un esprit rejeté du Royaume céleste. Enfermée dans un corps d'homme, elle ne peut trouver le salut que par le mérite de ses actes. Les Cathares évitent aussi de consommer toute nourriture carnée.

Les Cathares

Á la fin des Croisades, la Chrétienté laissa le Moyen Orient aux mains des Musulmans. Le coût de cette guerre insensée fut terrible, tant qu'en vies humaines qu'aux plans économiques et politiques. Les moeurs des gens d'église se relâchèrent fortement. En réaction contre le laxisme du clergé catholique, et bien avant le mouvement de la Réforme Protestante du 16e siècle, divers courants désiraient revenir

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à plus de pureté comportementale. C'est dans cet esprit que les Cathares apparaissent au 11e siècle, en Italie du Nord, dans le Midi de la France, en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne. Les Bogomiles et les Patarins semblent être à l’origine de chacun des deux courants du Catharisme. Ils comptaient alors trois grandes églises en Italie, et quatre mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont deux mille pour l'Italie, (et deux cents seulement dans le Midi). La persécution multipliant les exécutions sur le bûcher dans le Nord, le Catharisme se réfugia dans le Midi plus accueillant. Les Cathares bogomiles de l’Est de l’Europe ont adapté les enseignements manichéens à leur propre culture. Il y aurait deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Le second fit le corps de l’Homme en y emprisonnant de force un ange de lumière. Le procréation est un acte condamnable car il en résulte la perpétuation de la démoniaque race humaine. Le Christ est un ange de Dieu. Le corps de Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a pas souffert, n’est pas mort ni ressuscité. Le jugement dernier a déjà eu lieu. Ce monde-ci est l’enfer de punition et il n’y en a pas d’autre. La doctrine des Cathares patarins du Sud, les Albanenses, les Albigenses ou Albigeois, dérive de celle d’Origène. Ils croient en un seul Dieu créateur de la matière, des éléments et des anges. Le fils des Ténèbres est l’intendant du Monde et il y créée toutes choses. Le libre arbitre a causé la déchéance de Lucifer qui a séduit d’autres anges. Il est le Dieu de la Bible et l’artisan du monde visible. Les Cathares étaient recrutés dans toutes les classes de la population y compris dans le clergé. En 1167, à la suite d'une assemblée générale tenue aux environs de Toulouse et présidée par le Patriarche byzantin Nicétas, chef de l'Église bogomile de Dragovitchia, venu de Constantinople, les communautés s'organisèrent pour former finalement une vingtaines d'églises territoriales couvrant la France, l'Italie, les Balkans et les pays rhénans. Chaque église était constituée en évêché placé sous l'autorité d'un évêque. Les fidèles cathares étaient hiérarchisés en trois degrés, les auditeurs, les croyants, et les élus. Pour la plupart, les auditeurs étaient des paysans et des pauvres attirés par le contenu pacifique des sermons cathares. Ils continuaient cependant à mener leur existence laborieuse habituelle. Les croyants devaient respecter diverses règles morales et disciplinaires, et

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accepter une réelle ascèse avant d'envisager d'accéder au rang d'élus, de devenir "Parfait".

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La dernière catégorie est celle des "Élus" ou "Parfaits". Ils se disaient simplement "Chrétiens". Ayant fait voeu de célibat, ils pouvaient être des hommes ou des femmes. Les fidèles les appelaient "Bons Chrétiens" ou "Bons Hommes" ou "Bonnes Chrétiennes" ou "Bonnes Dames". Le passage au degré de "Parfaits", s'opérait par le rite du "Consolamentum", ou "Saint baptême de Jésus-Christ" qui était un baptême de "Feu", le baptême de l'Esprit. Ce sacrement unique se pratiquait par imposition des mains, en filiation apostolique. Les Cathares considéraient que cette pratique leur venait directement des apôtres. Les Parfaits prêchaient l'Évangile, annonçaient l'amour de Dieu, et conféraient le sacrement du Consolamentum aux mourants pour remettre leurs péchés et sauver leurs âmes en les rendant à Dieu. Ils étaient connus par leur charité et par l'exemplarité de leur vie. Ayant renoncé à tout bien et vivant en collectivité, ils étaient des religieux pour qui le travail apostolique était primordial. Aux yeux des Catholiques, le Catharisme est une hérésie caractérisée. Le Christ n'aurait que l'apparence de l'homme et sa nature serait purement spirituelle. Il aurait été envoyé sur Terre par le Dieu d'Amour pour y répandre la bonne nouvelle évangélique et faire oublier l'ancienne loi de Yahweh, le Dieu cruel des Hébreux. Les Cathares n'acceptent que le Nouveau Testament et rejettent l'Ancien. La nature du Christ ne pouvant être corporelle mais uniquement spirituelle, ils refusent l'Eucharistie. Ils bénissent cependant le pain et récitent le "Pater". Pour eux, il y a deux mondes, le Royaume de Dieu dont l'Évangile dit qu'il n'est pas de ce Monde, et ce monde mauvais, voué à la destruction et à la mort, qu'il faut se garder de perpétuer par la chair. Et il y a deux églises, celle du mauvais monde, l'Église Romaine, et celle du vrai Dieu, héritée des Apôtres, celle des Cathares. La reprise de ces anciennes thèses hérétiques provoqua la fureur de Rome et déclencha des persécutions effroyables.

Les Croisades et l'Inquisition

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Entre le 12e et le 13e siècle, les souverains chrétiens européens entreprirent de rétablir militairement le libre accès aux lieux saints du Christianisme, tombés aux mains des musulmans. Outre ces objectifs, des raisons plus politiques jouèrent alors, telle la volonté du Pape d'affirmer son autorité affaiblie par le schisme d'Orient. Par ailleurs, depuis la chute de Byzance, les musulmans prélevaient sur les pèlerins un coûteux droit de passage qui gênait le commerce vénitien. En novembre 1095, le pape Urbain II prêcha la première de ces huit Croisades dirigées contre les nations du Moyen Orient. Elles prirent fin deux siècles plus tard, avec la perte de la ville d'Acre en mai 1291. Á leur début, elles avaient permis l'établissement d'états francs en Palestine puis d'un empire latin en Orient. Ces créations artificielles ne se maintenaient qu'avec l'aide de renforts constants multipliant les expéditions. Elles aggravèrent un douloureux conflit de civilisations qui envenime encore aujourd'hui les relations entre l'Occident et le Monde musulman. Á partir du 8e siècle, les musulmans conquirent l'Afrique du Nord puis l'Espagne à l'exception des provinces du Nord. Progressant ensuite en France, ils furent stoppés à Poitiers et contenus en deçà des Pyrénées. Ils établirent, à Cordoue, un califat qui en fit une ville prestigieuse. On y trouvait une brillante culture et une tolérance très relative envers les autres religions du Livre. Au nord de cet puissant état, les souverains chrétiens se maintenaient dans une méfiante défensive. Au 11e siècle, profitant d'un affaiblissement du califat, ils entreprirent la reconquête du pays, la"Reconquista", une croisade hispanique appuyée ultérieurement sur les tribunaux de l'Inquisition. Les musulmans se maintinrent cependant dans le sud du pays jusqu'à la chute de Grenade en 1492. Les débuts du millénaire furent un temps de conquêtes impitoyables et de rivalités religieuses à l'échelle mondiale. L'intolérance fut mutuelle et féroce. C'est dans ce climat général d'ambition et de violence guerrière qu'apparurent alors les Bogomiles et les Cathares. Devenu religion d'état au 4e siècle, le Christianisme fixa son dogme puis s'efforça d'éliminer toutes les opinions différentes qualifiées d'hérésie. Rejetés par l'Église, les hérétiques (ou païens) étaient remis au pouvoir civil qui les exécutait obligatoirement en application de la loi. Le système fonctionna jusqu'à l'an Mil où naquirent de nouvelles

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contestations. Les bûchers réapparurent aussitôt, et douze chanoines d'Orléans furent brûlés vifs. L'Église imposait un implacable pouvoir mais les contestataires dénonçaient sa richesse et le mode de vie de ses dirigeants. Cette opposition gagna autant les paysans du Nord que la noblesse du Sud. Au 12e siècle, les opposants dits "cathares" adoptèrent les croyances des Bogomiles. En 1163, de nombreux Cathares furent brûlés à Cologne. Le pape Innocent III ne supporta pas que la noblesse occitane protègeât les cathares. Il fomenta une première expédition militaire contre le comté de Toulouse. Elle se livra à d'effroyables massacres dont le terrible sac de la ville de Béziers. Après la destruction de Béziers, le légat osa écrire au Pape : "Les nôtres n'épargnant ni le rang, ni le sexe, ni l'âge, ont fait périr par l'épée environ 20.000 personnes. Toute la cité a été pillée et brûlée. La vengeance divine a fait merveille". En 1226, Le roi de France reprit la croisade, levant une immense armée. Le comte de Toulouse se soumit mais la guerre poursuivit ses incroyables exactions. Elle détruisit le clergé cathare. Sans évêques, plus d'ordinations. Deux mille "Parfaits" périrent sur les bûchers. Puis l'Église installa l'Inquisition, obtenant la délation par la torture. La terreur régna et le Midi fut détruit. Le symbole du martyre reste le château de Montségur où le reste de la hiérarchie se réfugia. Assiégé pendant un an, Monségur se rendit le 16 mars 1244. On brûla vifs 225 bons hommes et bonnes femmes au pied de la forteresse. En l'an 1300, on brûla les derniers Cathares. Malgré l’Inquisition, le Catharisme survécut encore quelque peu, très difficilement en Languedoc, un peu mieux en Italie, jusqu’au 15e siècle. On démolit les maisons des parfaits, on exhuma et brûla leurs cadavres. On brûla aussi tous leurs livres. La destruction des oeuvres et archives cathares fut tellement complète que rien ne nous en est parvenu. Nous ne disposons que de trois courts documents authentiquement cathares et nous devons utiliser les nombreux procès des accusations portées par leurs juges. Aujourd'hui, les connaissances rassemblées montrent que la religion cathare reposait essentiellement sur l’étude et la proclamation de l’Évangile, et donc sur la parole du Christ contenue dans le nouveau testament. Elle était authentiquement et profondément chrétienne. Le dualisme des

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Cathares, leur volonté de pureté, leur encratisme, c’est-à-dire leur refus d’engendrer, leur végétarisme, leur rejet de la Bible, de l’Eucharistie et de la Croix provoquèrent cependant la colère de l’Église catholique. Déjà en 323, à Nicée, dans son article 8, le tout premier concile oecuménique critiquait ceux qui se disaient purs, et il les appelait "cathares". Au début du 13e siècle, pour des raisons à la fois politiques et religieuses, et par cupidité, la papauté, les rois et les princes décidèrent de détruire les Bogomiles et les Cathares. Plusieurs croisades furent lancées sur les instructions du pape Innocent III, d'abord dans les Balkans puis en Occitanie. La terrible guerre dura 150 ans, faisant d'innombrables victimes. Les persécutions ordonnées par les papes dépeuplèrent les villes méridionales qui passèrent aux mains du roi de France. Le pape Grégoire IX institua l’Inquisition en 1233, en la confiant aux Dominicains et aux Franciscains. Le pape Alexandre IV préconisa ensuite l’usage de la torture. L'évêque de Pamiers, futur pape Benoît XII, fut lui-même inquisiteur et fit torturer et exécuter de nombreux Cathares et Vaudois. Le pape Sixte IV étendit l’Inquisition à l’Espagne puis à l'Amérique du Sud. D'abord créée pour détruire les "hérétiques", l'institution n'a jamais été totalement supprimée. Réformée, elle s'appelle actuellement "Congrégation pour la doctrine de la Foi".

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Gnôsis

Le mot "gnose" désigne communément les différents modes de connaissance permettant de porter un jugement éclairé sur la nature véritable du Monde. Les visions résultantes diffèrent selon la variété et la précision des outils de recherche utilisés. Elles varient aussi avec la personnalité et les intentions du chercheur ainsi qu'avec l'acuité et l'indépendance du regard porté sur les phénomènes pris en compte. On peut considérer des gnoses historiques en les associant aux théoriciens qui en ont élaboré les fondements. Mais la Gnose n'est pas un hypothétique évènement de l'Histoire. On peut différencier diverses gnoses religieuses par leurs doctrines ou leurs pratiques. On a aussi parlé de gnoses métaphysiques issues des écoles de pensée du 2e siècle, et même de gnoses scientifiques telle celle de Princeton. Ces démarches ne sont cependant pas véritablement gnostiques et s'écartent de la pure spiritualité de la Gnose.

On distingue facilement la Gnose de la recherche scientifique qui tend à construire une image synthétique du monde extérieur. Écartons aussi les reconstitutions des antiques écoles gnostiques faites par des historiens ou des métaphysiciens. Ce sont des reconstructions intellectuelles parfaitement extérieures à la Gnose. Des religions se disent gnostiques parce que dualistes, mais leurs doctrines sont élaborées sur des émotions entretenues par les rites. La Gnose, c'est d'abord "Connais-toi toi même et tu connaîtras l'Univers et les Dieux". Ce retournement vers soi peut générer une grande erreur car le mental recèle essentiellement le Moi. L'isolement dans les pulsions du Moi, c'est un paradis. L'Hermétisme décrit cette chute dans la nature de l'homme originel amoureux de l'image qu'il se créée de lui même dans le miroir de son mental. La véritable Gnose est une démarche totalement spirituelle, et c'est donc tout autre chose. On distingue facilement la Gnose de la recherche scientifique qui tend à construire une image synthétique du monde extérieur.

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Écartons aussi les reconstitutions des antiques écoles gnostiques faites par des historiens ou des métaphysiciens. Ce sont des reconstructions intellectuelles parfaitement extérieures à la Gnose. Des religions se disent gnostiques parce que dualistes, mais leurs doctrines sont élaborées sur des émotions entretenues par les rites. La Gnose, c'est d'abord "Connais-toi toi même et tu connaîtras l'Univers et les Dieux". Ce retournement vers soi peut générer une grande erreur car le mental recèle essentiellement le Moi. L'isolement dans les pulsions du Moi, c'est un paradis. L'Hermétisme décrit cette chute dans la nature de l'homme originel amoureux de l'image qu'il se créée de lui même dans le miroir de son mental. La véritable Gnose est une démarche totalement spirituelle, et c'est donc tout autre chose.

La Gnose est donc essentiellement une vision, une lumière intérieure. Elle révèle au gnostique qu'il est un étranger captif en ce monde. Il doit travailler ardemment à sa propre libération afin de réintégrer le Monde lumineux des origines. Mais sa mission est aussi d'oeuvrer à la libération des autres captifs, car l'humanité entière est prisonnière de l'obscurité. Les Gnostiques pensent qu'il en est ainsi depuis le début de ce monde d'épreuve. La tâche est donc très difficile et nécessite une aide en provenance du monde originel. La Gnose serait l'illumination qui permet de retrouver tout au fond de soi-même les qualités primordiales nécessaires à la mutation spirituelle de l'humain ordinaire, des vertus qui transcendent l'existence même de la matière et de la vie. Elles ne seront pas conquises mais désirées, et seulement concédées, par grâce. Les voici dans l'ordre où il m'a semblé les percevoir. Elles seraient Force, Amour, et Liberté.

Esprit enfanté par l'Esprit,

Non pas créée mais engendrée, L'Âme dans l'Homme ne peut mourir.

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CHAPITRE 10- La Foi des Cathares

Le Christianisme devint religion d'état au 4e siècle. L'Église Romaine fixa alors son dogme, s'efforçant d'éliminer toutes les opinions différentes qu'elle qualifia d'hérésies. Elle imposa un pouvoir implacable. En Languedoc comme ailleurs, des contestataires hétérodoxes dénonçaient sa richesse et la vie dissolue de ses dirigeants. Au 12e siècle, le pape Innocent III fomenta une expédition militaire contre le comté de Toulouse où elle se livra à d'effroyables massacres dont celui des habitants de Béziers. En 1226, le roi de France reprit la croisade, levant une immense armée. Le comte de Toulouse se soumit mais la guerre poursuivit ses exactions. En 1233, le pape Grégoire IX institua l’Inquisition en la confiant aux Dominicains et aux Franciscains, puis le pape Alexandre IV préconisa l’usage de la torture. L'évêque de Pamiers, futur Benoît XII, fit exécuter de nombreux Cathares et l'Inquisition détruisit leur clergé. On démolit les maisons des "Parfaits", on exhuma et brûla leurs cadavres. Sans évêques, plus d'ordinations. On brûla aussi tous leurs livres. La destruction des œuvres et archives cathares fut tellement complète que rien ne nous en était pratiquement parvenu. On ne pouvait utiliser que les enregistrements rapportés par les "accusateurs juges". Aujourd'hui, des textes cathares incontestables ont été redécouverts, et les connaissances rassemblées montrent que la religion cathare reposait essentiellement sur l’étude et la proclamation de l’Évangile, et sur la parole du Christ. Elle était donc authentiquement et profondément chrétienne.

Prolégomènes tragiques

Les grandes religions occidentales, issues des antiques traditions sémitiques, professent toutes le monothéisme. Elles sont fondées sur

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la foi, ce qui implique des postulats invérifiables. Le premier dote la divinité de la toute puissance. Le second définit un créateur absolument bon, attentif et bienveillant. D'autres lui attribuent la parfaite connaissance de l'état du Monde, transcendant les limites du temps et de l'espace, etc... Mais l'observation raisonnable de la réalité amène les chercheurs à douter de ces certitudes. Ils élaborent alors d'autres hypothèses, devenant des hétérodoxes porteurs d'une pensée différente. Cette démarche intellectuelle ou métaphysique est parfaitement admise chez les juifs et les musulmans. Dans le contexte chrétien, elle parait mettre en danger un dogme fondamental, celui de l'unicité de l'Église en tant que corps vivant du Christ, ce qui est sacrilège. Les penseurs contestataires deviennent des hérétiques. Au Moyen Âge, ce "crime" était sévèrement puni, souvent de mort. En ce temps, les Cathares n'admettaient pas qu'un dieu omniscient et omnipotent, parfaitement juste et bon, ait pu créer ou permettre tout le mal qu'ils constataient sur Terre. Ils ont prêché l'existence d'autres causes à ce désordre. Ils pensaient que l'âme humaine pouvait se purifier progressivement dans des incarnations successives pour retrouver un jour le royaume du Dieu de Bonté véritable.

Aux yeux de l'Église, les Chrétiens qui adoptaient les hypothèses cathares devenaient dangereux. Ils devaient être punis et les enseignements reçus devaient être détruits. L'Église mit donc en œuvre ces punitions et ces destructions, avec difficulté mais avec efficacité. Au 12e siècle, elle répandit beaucoup de sang et causa de grandes souffrances dans les régions concernées. En France, la pensée cathare était surtout présente en Languedoc. Une croisade entreprit de l'en extirper. La lutte dura un demi siècle. Elle fit d'innombrables victimes pendues ou brûlées dans des exécutions souvent collectives. Et finalement le Catharisme fut vaincu. Les récits de cette tragédie tâchent de sang les pages de l'histoire du catholicisme, même édulcorées, et nous ne reviendrons pas sur ces tristes évènements. L'Église décida également de détruire totalement les enseignements du Catharisme. Tous leurs écrits furent donc systématiquement recherchés et brûlés, à tel point qu'au début du 20e siècle, on ne connaissait guère la pensée cathare que par les rapports des interrogatoires des pauvres suspects mis à la question. Quelques documents avaient cependant échappé à cette furie de destruction. Ils

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ont été retrouvées dans des bibliothèques anglaises ou autrichiennes. Ils sont,maintenant, traduits et publiés. Cette page voudrait proposer le partage des contenus authentiquement cathares qu'apportent ces nouveaux documents.

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Avant d'accéder à ces textes, il faut rappeler le contexte dans lequel ce mouvement de la pensée religieuse déclencha un demi-siècle de luttes meurtrières. La société médiévale évoluait rapidement avec une aspiration hétérodoxe assez générale. Le servage avait pratiquement disparu et les vilains comme les bourgeois disposaient d'une liberté croissante y compris dans le domaine de la pensée. De nombreuses factions apparaissaient partout, férocement combattues par l'Église. En Languedoc, la rivalité des doctrines s'appuyait sur des positions politiques tripartites qui servaient chacune ses propres intérêts. L'anticléricalisme était général, contraignant souvent les clercs catholiques à une prudence extrême. Les Cathares condamnaient toute propriété et tout pouvoir, ecclésiastique ou féodal. Les féodaux stimulaient l'expansion de la nouvelle religion, qui affaiblissant l'Église, autorisait leurs confiscations des ses biens. Et les gens d'Église imputaient les spoliations aux enseignements cathares. Un autre phénomène est à prendre en compte, qui est celui de l'apparition d'une sorte de nationalisme languedocien, un communautarisme local, appuyé sur la survenue, au 11e siècle, autour de Toulouse, d'une langue véhiculaire dérivée du bas latin, "la koinè occitane", empruntée aux troubadours. Les gens avaient leur territoire, leurs coutumes, leur langage, pourquoi pas aussi leur propre religion

Les transformations politico-économiques en cours ne constituaient qu'un facteur mineur dans le foisonnement des hétérodoxies médiévales. La corruption du clergé catholique conduisait également à l'affaiblissement de ses pouvoirs. Cependant, l'émergence de multiples hétérodoxies variées en de nombreuses régions montrait bien le besoin d'un renouveau de la spiritualité en cette époque de transformation sociétale. En Languedoc, le Catharisme, détaché du Monde mauvais, répondait à ces aspirations. Il constitua rapidement l'idéologie de la majorité de la population. Plusieurs courants coexistaient sans s'opposer dans la pensée cathare. Le dualisme absolu pourrait dériver d'une filiation des Bogomiles et des Pauliciens. Le dualisme mitigé, d'inspiration gnostique, conserverait cependant l'idée d'une origine unique de la création. Ces subtilités ne concernent pas les fidèles. On ne leur demande qu'une morale et un

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comportement adapté. Les débats théologiques entre les Cathares et l'Église se déroulaient dans le champ clos des Écritures. Les premiers imputaient l'Ancien Testament au Dieu jaloux et vindicatif des Hébreux, lui préférant le nouvel Évangile du Dieu d'amour et de vérité. Les Catholiques rassemblaient les deux sources dans un même corpus déclaré de sainte origine. Et finalement, Innocent 111 déclara la guerre sainte aux tenants de l'irréductible hétérodoxie cathare.

Commencée en 1209, la guerre dura jusqu'au Traité de Paris en 1229, qui établissait la victoire politique du roi de France, mais le Catharisme perdurait. En 1215, au Concile de Latran, l'Eglise obtint l'exclusivité du jugement du caractère d'hérésie, l'Etat s'en réservant la punition dont la peine capitale. En 1229, le Concile de Toulouse introduisit en Occitanie l'Officialité romaine dite Inquisition du Saint Office. Le nouveau système judiciaire fonctionna à partir de 1234, L'Inquisition ne s'embarrassa pas de discussions doctrinales. Elle chassait des hommes. Méticuleusement et férocement, elle s'employa à détruire chaque Cathare et chacun de ses livres. Elle accomplit parfaitement sa tâche. Les prêtres cathares ordonnaient sacramentellement les postulants. En 1321, lorsque brûla Guillaume Belibaste, le dernier "Parfait", le Consolamentum fut perdu. Les Cathares et leurs enseignements semblèrent à jamais détruits. Mais les voies de l'Esprit sont impénétrables et la pensée ne meurt jamais. Quelques livres doctrinaux avaient échappé à l'acharnement inquisitorial. Ils demeurèrent ignorés ou cachés dans des rayons oubliés de bibliothèques étrangères. Au 20e siècle, des chercheurs les découvrirent et s'attachèrent à les traduire et à les publier. Aujourd'hui, la foi des Cathares revient en lumière. Je vais essayer de vous en donner quelques aperçus. Après que l'Inquisition eut envoyé au bûcher Guillaume Belibaste, le dernier "Parfait", elle s'attacha à la destruction des derniers Cathares et de leurs livres. On ne retrouva de leurs écrits que trois fragments très courts sans aucun texte cohérent. L'Église fit du Catharisme le symbole même de l'hérésie. Son histoire ne nous parvint qu'au travers des registres judiciaires rapportant les interrogatoires menés à charge et forcément partiaux. Au 20e siècle, quelques documents incontestables furent retrouvés. Ils ne représentent ensemble que la

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matière d'un seul livre, mais l'importance des contenus contraste avec le néant précédent. Dans cette courte liste, on trouve deux apocryphes chrétiens, "l'Ascension d'Isaïe" et "l'Interrogatio Ioannis ou Cène secrète", une traduction du Nouveau Testament en langue occitane, deux traités dogmatiques partiellement reconstitués, "le Livre des deux principes et le Traité anonyme", et trois rituels, "le Rituel occitan de Lyon, le Rituel latin de Florence, et le Rituel occitan de Dublin". On peut regrouper ces documents en trois catégories. Il y a dans la première quelques textes connus par ailleurs, dont on sait maintenant que les Cathares les utilisaient habituellement dans leurs prêches. La seconde regroupe les deux traités doctrinaux ou polémiques mettant en évidence les spécificités de la religion cathare, et la dernière enfin rassemble les trois rituels. L'Ascension d'Isaïe est un apocryphe chrétien daté du 2e siècle que l'on croyait perdu. Au début du 19e, il réapparut en divers endroits et en différentes langues et versions. En France, René Nelli publia plus récemment de larges extraits de la version éthiopienne avec des commentaires de Déodat Roché. Le lien ci-dessus vous conduira à une autre traduction de synthèse. L'ouvrage fait partie des textes utilisés par les Cathares quoiqu'ils ne les aient pas écrits. Le première partie conte le martyre du prophète scié en deux sur l'ordre de Manassé. La seconde partie, dont usaient les Cathares dans leurs prédications, la "Vision d'Isaïe", décrit une cosmogonie théologique septuple. C'est aux prophètes hébreux Ezéchias et Michée, ainsi qu'à son fils Iosheb, qu'Isaïe aurait conté la vision de sa propre montée à travers les sept cieux. Il assista d'abord aux violents et éternels combats auxquels se livrent les "anges" de "Sathan". Puis l'ascension se poursuivit dans chaque ciel organisé semblablement au précédent mais avec une magnificence croissante. Au milieu s'y trouve un trône magnifique environné d'anges qui chantent la gloire de celui qui règne. Parvenu au faîte de l'ascension, Isaïe eut la révélation de la mission de Jésus Christ, non pas homme mais esprit subordonné au Père comme aussi l'Esprit Saint. Pour l'Église, cette hétérodoxie s'apparenterait au docétisme. Les Cathares utilisaient aussi un autre texte, "l'Interrogatio Ioannis" ou "La Cène secrète". Ce "Questionnement de Jean" est un apocryphe d'origine probablement bogomile, daté de la fin du 11e

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siècle. Dans ce dialogue, Jean pose à Jésus des questions théologiques auxquelles répond le texte. Il en existe deux versions latines. L'une provient des archives de l'Inquisition de Carcassonne, (Fond Doat). Elle a été traduite par le P. Benoist en 1691 puis par Doellinger en 1890 et par Ivanof en 1925. La seconde est à la Bibliothèque Nationale de Vienne, et elle a été aussi éditée par Doelinger puis par Reitzenstein en 1929. J'utilise ici la version française publiée par René Nelli dans "Ecritures Cathares" en 1959. "Lorsque Jean demanda ce qu'était Satan avant la chute, Jésus répondit qu'il était le splendide ordonnateur de toutes choses mais qu'il voulut se faire égal au Très Haut. Il séduisit de nombreux anges qu'il entraina dans sa condamnation. Lorsqu'il fut tombé, il invoqua le Père qui en eut pitié et lui accorda tous pouvoirs pendant sept jours". Le texte établit que ces sept jours sont ceux de la Genèse biblique. Il décrit la création de l'Homme et de la Femme auxquels Satan fit des corps de limon puis y enferma deux grands anges qui en éprouvèrent beaucoup de chagrin. Il leur enjoignit ensuite de faire œuvre de chair dans ces corps de boue, mais, dit le texte, "ils ne savaient pas faire le péché".

Satan fit alors pour eux un Paradis avec des fruits interdis. Il planta un roseau et y cacha un serpent qui les poussait à manger du fruit du Bien et du Mal. Et Satan entra dans le serpent mauvais et versa sur la femme une concupiscence ardente qu'il assouvit "avec la queue du serpent" (liber dixit). C'est pourquoi les hommes ne sont plus appelés Fils de Dieu mais bien Fils du Serpent et ils feront sa volonté diabolique jusqu'à la fin des siècles../.. Et comment Adam et Eve formés par Dieu pour garder ses commandements peuvent-ils être livrés à la mort ? "En réalité, le Père n'a créé par l'Esprit Saint que toutes les vertus de Cieux. Mais c'est par leur désobéissance que les hommes ont reçu ces corps de boue et ont donc été livrés à la mort". Comment un esprit peut-il naître dans un corps de boue. "Issus des anges tombés des cieux, les hommes reçoivent dans le corps de la femme la chair issue de la concupiscence de la chair. L'esprit naît de l'esprit, et la chair de la chair". Et jusqu'à quand Satan règnera-t-il sur les hommes ? "Mon Père lui a donné sept jours, mais il m'envoya pour que j'enseigne aux hommes à distinguer le vrai Dieu du démon. Et Satan confia alors à Moïse trois bois pour me crucifier, et il lui fit enseigner sa loi aux fils d'Israël et conserver ces bois pour moi.

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Avant que je descende, le Père envoya un ange appelé Marie afin qu'elle soit ma mère, J'entrais en elle par l'oreille et ressortit de même".

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Pour les Cathares, il n'était absolument pas concevable que le Fils de Dieu ait pu s'incarner dans un corps de chair, œuvre du mauvais principe. Ils croyaient donc que le Christ s'était seulement "adombré" en Marie, ne recevant rien d'elle. Par contre, dans l'Évangile de Luc, on lit que l'Esprit de Dieu viendra sur elle et que la puissance de Dieu "l'obombrera", (la couvrira de son ombre). Or, le verbe latin "obumbrare" signifie bien "couvrir de son ombre", mais le verbe utilisé par les Cathares, "adumbrare", signifie "ébaucher, esquisser, dessiner vaguement comme une ombre". Par conséquent, pour les Cathares, le Fils de Dieu ne s'est pas incarné réellement mais seulement en apparence, qu'il n'a pas en réalité pris un corps de chair mais seulement cette apparence, cela et tout ce qui s'ensuivit jusqu'à sa mort sur la croix.

Les deux traités authentiques

Le Livre des deux principes et le Traité Cathare an onyme

Le "Livre de deux principes" (Liber de duobus principiis) est parvenu jusqu'à nous dans un seul manuscrit daté de la fin du 13e siècle. Il a probablement été écrit par Jean de Luigo de Bergame, vicaire de l'évêque cathare des Albanenses de Desenzano (dualistes absolus). Conservé à la Bibliothèque nationale de Florence, il a été publié en 1939 par le Père Dondaine. C'est le seul exposé théologique authentiquement cathare qui a été retrouvé. Il contient des fragments, des résumés et des développements polémiques que

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j'exposerai dans l'ordre du manuscrit. L'ouvrage comprend sept traités intitulés : De liberio arbitrio, de creatione, de signis universalibus, compendium ad intructionem rudium, contra Garatenses, de arbitrio, de persecutionibus. Les trois premiers, (du libre arbitre, de la création, et des signes universels) constituent la controverse sur les deux principes. Le Compendium, (Abrégé pour l'instruction des ignorants), expose brièvement la portée de la doctrine des deux principes sur la Création. Le Traité contre les Garatenses, contra Garatenses, réunit quelques fragments dévoilant les divergences doctrinales entre les deux courants cathares (dualistes absolus et relatifs). Le court traité de arbitrio reprend le thème des deux principes dans des fragments disparates, et le recueil de persecutionibus rassemble diverses citations préparant les fidèles cathares aux persécutions qui les attendent.

Le premier traité expose qu'il n'y a pas de "libre arbitre" dans l'Homme. L'auteur réfute plusieurs propositions imputées à des adversaires supposés. Un être, quel soit-il, dit-il, est né pour le Bien, ou pour le Mal. Si un homme n'a pas été fondé pour le Bien, n'en ayant donc pas la volonté et n'étant pas capable de le distinguer du Mal, il n'a pas la capacité de faire son salut. Car, si un être pouvait faire autre chose que le fruit de son essence, rien n'empêcherait que le Diable ne devint Christ et le Christ, Satan, l'impossible devenant possible. Si l'Homme peut faire le Mal, c'est qu'il fut, à l'origine, voulu et pensé par le Dieu bon, tout puissant et omniscient, comme capable de le faire, tout au moins dans le temps. Et donc, (du moins pour les Albanenses), le Mal n'est qu'une épreuve temporaire, tolérée par ce Dieu bon. Elle est temporellement vécue dans la succession des incarnations, mais elle épuise, progressivement et par elle-même, son contenu dans l'éternité, et finalement tous les anges perdus reviendront en Dieu. Puisque le Dieu bon ne peut être la cause ni le principe de tout mal, il faut reconnaître l'existence de deux principes, celui du Bien et celui du Mal. Toutes les actions individuelles sont inspirées par l'un de ces principes, du Bien ou du Mal. Seul le vrai Dieu peut sauver les âmes qui ne sont, en elles-mêmes, ni responsables, ni punies, ni récompensées. Et l'âme qui est sauvée l'a toujours été.

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Le traité suivant se propose également de réfuter d'éventuelles propositions adverses. Il s'agit des différentes acceptions possibles des mentions scripturaires de l'acte de Création. Pour l'auteur, ces mentions n'ont jamais le sens d'une création à partir du néant. Elles impliquent toujours la transformation d'essences préexistantes, toutes issues du vrai Dieu, lequel a créé et fait l'univers entier, en lui et de sa propre substance. "Créer" ou "Faire" ont donc trois acceptions dont le premier genre est d'ajouter quelque chose aux essences d'êtres déjà très bons. Ainsi l'Écriture dit-elle "Dieu forma l'homme du limon de la Terre, il répandit sur son visage su souffle de vie, et l'homme devint vivant et animé". De même, le second genre est d'ajouter aux essences d'entités mauvaises, ce qui permet de les améliorer. "Si quelqu'un est à Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature". Le troisième genre permet à un être entièrement mauvais, (comme le Démon ou ses ministres), d'accomplir temporairement ce qu'il désire mais ne saurait réaliser par ses propres forces. Le vrai Dieu tolère alors un temps cette malice. "Sur toutes les nations et sur tous les hommes, Dieu fait régner l'hypocrite à cause des péchés du peuple". Par ces trois modes, l'auteur prétend donc, en définissant le sens qui s'attache dans les Écritures aux termes universels, montrer que le vrai Dieu a créé et fait l'univers entier, et qu'il a tout fondé en Jésus-Christ.

L'appellation "signes universels", objets du troisième traité, concerne les termes généraux qui désignent un ensemble de choses, (des mots tels que "tout", "toutes choses", ou des expressions analogues). Dans les Écritures, ces signes ont plusieurs acceptions. Ils peuvent désigner l'ensemble des choses ou êtres purs et bons, ou celui des impurs, pécheurs ou méchants. L'auteur cite les Écritures pour mettre en garde contre de possibles confusions. Le quatrième traité, "Abrégé pour servir à l'instruction des ignorants", condense la doctrine de Albanenses appuyée sur les Écritures pour la mettre à la portée des "Croyants". Le vrai Dieu tout puissant ne peut faire le Mal car il ne le veut pas. Il ne peut pas créer un autre Dieu, et puisqu'il ne peut faire le Mal, il existe donc une autre puissance qui est le Mal. Les Écritures disent que Dieu détruira un jour le Mal pour toujours. Il faut absolument croire qu'il existe un autre principe très puissant dans le Mal, dont Sathanas tire sa puissance. Les Écritures disent aussi qu'il existe d'autres dieux et une éternité mauvaise distincte de

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celle du Dieu bon. Le Dieu mauvais est celui qui a fait le Ciel et la Terre et tout les êtres visibles de ce Monde mais il n'est pas le véritable Créateur. Et ce mauvais Dieu a ordonné de prendre par la force le bien d'autrui et de commettre des homicides. Il a maudit le Christ, n'a pas tenu ses promesses et s'est laissé voir dans le monde temporel.

Le cinquième traité, "Contre les Garatenses", présente beaucoup d'intérêt car il permet d'approcher la principale divergence doctrinale avec le second courant cathare, les "dualistes mitigés". L'auteur combat leur idée qu'il n'existe qu'un seul Créateur très saint dont le mauvais Prince de ce monde fut d'abord une créature. Par la suite, celui-ci corrompit les quatre éléments et en format l'homme et la femme et tous les corps visibles. S'ils croient, dit-il, qu'il n'y a qu'un seul vrai créateur du visible comme de l'invisible, ils ne devraient pas rejeter sa sainte création en condamnant l'œuvre de chair ni en demeurant végétariens. Ils disent que cette corruption s'est opérée contre la volonté de Dieu, et ils doivent donc admettre qu'il existe un autre principe, capable de corrompre les quatre saints éléments, contre sa volonté ou avec sa permission. Car ils enseignent aussi que cette permission donnée fut mauvaise et vaine, et l'on voit qu'elle le fut. Alors, ce Dieu qui aurait donné cette permission maligne serait lui-même la cause première du Mal, et ceci est la contradiction de la doctrine des Garatenses. Le sixième traité revient sur l'affirmation de l'absence du libre arbitre avec quelques arguments supplémentaires. Le dernier traité, "de persecutionibus", prépare les fidèles aux persécutions attendues en rappelant celles que subirent les prophètes, le Christ, les apôtres et tous ceux qui les suivirent.

Quoique incomplet, le "Traité cathare anonyme" est le second ouvrage cathare qui nous soit parvenu. Le Père Dondaine en a retrouvé un court fragment dans le "Liber contra Manichéos" à la Bibliothèque Nationale. Un fragment plus important se trouve à la cathédrale de Prague. Il contient dix-neuf chapitres sur les trente-cinq de l'original. Ces extraits ont été publiés en 1961 par Christine Thouzellier. Les citations cathares sont insérées dans une réfutation prononcée par Durand de Huesca. On y retrouve la vision cathare du Monde et de la Création, avec deux "époques", la nôtre tirée du néant, et qui y retournera, et l'autre peuplée de créatures

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incorruptibles et éternelles. Notre monde est tout entier mauvais. Il ne vient pas du Père ni du Christ. C'est le royaume de Satan. Nous résidons sur une terre étrangère. C'est dans l'autre royaume que sont le Ciel nouveau, la Terre nouvelle et la nouvelle Jérusalem. En s'appuyant sur les textes relatifs à la venue du Christ, les Cathares, dit l'auteur, en arrivent à poser deux créations, l'une bonne et l'autre mauvaise. Ce qui est ici bas n'est rien, "nihil", et ce n'est donc pas l'œuvre du vrai Dieu. C'est ce que prouverait le prologue de Jean : "sine ipso factum est nihil", (le rien a été fait sans lui). La suite du verset, "quod factum est in ipso vita erat", (ce qui a été fait (les créatures), en Lui (le Verbe) était vie), prouve que la bonne création est spirituelle.

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Les trois rituels

Le dernier groupe de document cathares retrouvés au 20e siècle comporte trois rituels, "le Rituel occitan de Lyon, le Rituel latin de Florence, et le Rituel occitan de Dublin". Le Rituel de Lyon est contenu dans un manuscrit en occitan, donné à l'Académie des Sciences, Belles lettres et Arts de la ville de Lyon par le bibliothécaire protestant de Nîmes en 1815. Il date des environs de 1250. Il contient un Nouveau Testament et un texte de 13 pages identifié depuis comme un rituel cathare par le théologien Reuss. Le texte en fut édité à Iéna par Cunitz puis traduit en français par Léon Clédat qui en publia également une reproduction lithographique en 1887. Vingt ans plus tard, un chercheur dominicain, le Père Dondaine, publia deux textes latins découverts à la Bibliothèque de Florence. Il s'agissait du traité théologique dit "Livre des deux principes" et d'un rituel cathare partiel, "le Rituel de Florence". Le troisième document est inclus dans un manuscrit occitan daté du 14 siècle. Il fut retrouvé parmi des écrits vaudois conservés à la Bibliothèque vaudoise du Trinity College de Dublin. Il se compose d'un sermon préparatoire au Consolamentum et d'un commentaire du Pater. Il a d'abord été publié par Théo Venckeleer, puis par Deodat Roché en 1970, puis encore revu par Anne Brenon et ajouté à la dernière édition des "Écritures Cathares de René Nelli.

Il a été dit du Catharisme que c'était une religion sans temples ni sacrements. Le culte public ne consistait qu'en rares assemblées de prières dans des lieux ordinaires (servicium). Les fidèles s'y rassemblaient en petit nombre pour y entendre les sermons et enseignements, confesser collectivement leurs fautes et s'en faire absoudre, prier et participer au repas rituel. Deux rituels sacramentels initiatiques étaient parfois intégrés à ces assemblées. Par la "Tradition", la transmission de l'Oraison dominicale (Pater Noster), les "auditeurs ordinaires devenaient des "Croyants", et par le "Baptême spirituel" ou "Consolation", (Consolamentum), ils devenaient des "Parfaits Chrétiens". Les rituels de Lyon et de Florence sont assez cohérents dans leurs présentations de ces

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liturgies qui semblaient donc bien fixées. Au cours de la cérémonie de Tradition, le récipiendaire, parrainé par un ancien de la communauté, était présenté à "l'Ordonné", un Parfait établi, qui lui expliquait la signification du rite. Puis il en recevait le livre des Évangiles. Le fidèle devenu "Croyant" devait faire son "melioramentum", une demande du pardon de ses fautes et de la bénédiction de l'officiant, et prendre l'engagement de réciter le Pater dans toutes les circonstances prévues par le rituel, mais ces obligations ne bouleversaient pas sa vie.

Le Pater Noster (Notre Père) des Cathares - (Rituel de Dublin)

Pater noster qui es in celis Sanctificetur nomen tuum

Adveniat regnum tuum Fiat voluntas tua sicut in celo et in

terra Panem nostrum supersustancialem

da nobis hodie Et dimitte nobis debita nostra sicut

et nos dimittimus debitoribus nostris

Et ne nos inducas in temptationem sed libera nos a malo

Quoniam tuum est regnum Et virtus Et gloria

Dans les siècles, Amen

Notre Père qui êtes aux cieux Que votre nom soit sanctifié

Que votre règne arrive Que votre volonté soit faite sur

terre comme dans le ciel Donnez-nous aujourd’hui notre

pain suprasubstantiel Et remettez-nous nos dettes

comme nous les remettons à nos débiteurs

Et ne nous induisez pas en tentation

Mais délivrez-nous du mal Car à vous appartiennent le règne

Et la puissance Et la gloire

Dans les siècles, Amen

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Le pain suprasubstanciel - Le texte originel du Pater a été transmis par les évangiles en grec de Matthieu et de Luc qui utilisaient un terme particulier, le mot "epiousion". La souplesse de la langue grecque permet la création de néologismes à partir des nombreux radicaux disponibles. En l'occurrence, ce mot semblait formé du préfixe "epi" (sur, au dessus) et du radical "ousia" (essence, substance). De façon surprenante, les rédacteurs de la première version latine (Vetus latina) l'ont traduit par "quotidianum" (quotidien). Lorsqu'il révisa la "Vetus latina", en 380, pour en tirer la "Vulgate", Saint Jérome usa habilement d'un étrange artifice. Il utilisa "supersubstancialem" dans Matthieu et "quotidianum" dans Luc. La demande cathare d'une "nourriture spirituelle" semble bien plus proche du sens originel que le "pain quotidien" de la prière catholique. Par le pain suprasubstanciel, les Cathares entendaient : La loi de Christ qui a été donnée à tous les peuples. "Le pain de Dieu est celui qui vient du ciel et qui donne la vie au Monde. (Jean VI, 32-33)".

Une autre traduction, en Occitan

Paire nôstre que sés dins lo cél, que ton om se santifique, que ton renhe nos avenga,

que ta volonta se faga sus la térra coma dins lo cel.

Dona-nos uéi nôstre pan supra subtancial, perdona-nos nôstres deutes

coma nosautres perdonam a nôstres debitors, e fai que tombem pas dins la temptacion,

mas deliura-nos del mal

Dans la société médiévale du 12e siècle, les femmes étaient assez libres avec un statut en général inférieur à celui des hommes. Dans la tradition cathare, il n'y avait aucune différence entre les âmes des hommes et celles des femmes, toutes "bonnes et égales entre elles. Le diable n'avait que temporellement, et au hasard des incarnations,

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différencié leurs corps. En principe, les hommes et les femmes y étaient donc égaux. Dans l'Église cathare, les femmes pouvaient obtenir le consolamentum et devenir "Parfaite" ou "Bonne Femme", et dans ce clergé, elles occupaient une place égale à celle des hommes. Elles pouvaient prêcher, donner le Baptême et la Consolation. Dans la pratique cependant, leurs activités se limitaient souvent au tissage, à l'éducation des enfants, à l'assistance aux malades, et elles n'avaient pas accès à la hiérarchie. Elles vivaient souvent ensemble dans des "Maisons de Parfaites" sans considération d'origine sociale. Elles étaient écoutées, respectées et honorées et ne vivaient pas coupées du monde. Souvenons-nous que, pour les Cathares, tout acte de chair était un péché même consommé dans le mariage. La procréation était tolérée car elle permettait la réincarnation indispensable à la purification des âmes. Mais les hommes restaient réservés à l'égard des femmes, prenant leurs repas à l'écart et évitant même de s'assoir sur le même banc.

Le "Consolamentum" (Consolation) était la cérémonie centrale du Catharisme. Il n'était donné qu'en deux occasions, lorsqu'un "Croyant" décidait d'entrer en religion en devenant "Parfait", ou quand il se sentait au seuil de la mort. C'était donc une sorte d'ordination qui marquait la ferme volonté d'un véritable changement de vie. Une longue période de probation était exigée des postulants qui devaient faire preuve de volonté. Elle comportait en particulier de longs jeûnes très sévères. Le consolamentum ne pouvait être donné que par un ministre (ou Parfait) en état de grâce. Il remettait les péchés passés et rendait au Croyant sa liberté véritable en lui donnant le pouvoir de reconnaître le Mal et de lui résister. Le nouveau "Parfait" ou "Bonhomme" promettait de ne pas commettre d'homicide même d'auto défense. Il s'engageait à un encratisme total, renonçant à toute œuvre de chair, et à un végétarisme rigoureux, s'interdisant toute nourriture d'origine animale. Il devait résister à la faim, à la soif, au scandale, à la persécution jusqu'à la mort plutôt que le parjure. Lorsque le Bonhomme retombait dans le péché, il revenait à la période probatoire avant d'être à nouveau "consolé". C'est pourquoi de nombreux Croyants préféraient attendre les derniers instants pour demander le sacrement salvateur. Et s'ils survivaient, tout était alors à recommencer.

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Lors de la cérémonie du Consolamentum, le Croyant se présentait devant l'Ordonné pour recevoir le Livre, demander le pardon de ses fautes et affirmer sa volonté d'obtenir le baptême spirituel du Christ par l'imposition des mains. - "C'est là, lui disait l'ordonné, le baptême du Saint Esprit, comme l'a dit Jean Baptiste, (Pour moi, je vous baptise dans l'eau, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi et je ne suis pas digne de porter ses souliers : C'est lui qui vous baptisera dans le Saint esprit et dans le feu). - D'où il faut comprendre que le Christ n'est pas venu pour laver les souillures de la chair, mais pour purifier de leurs ordures les âmes de Dieu créées par Dieu. - Et le Seigneur dit à ses disciples, " Comme le Père m'a envoyé, je vous envoie de même, et il souffla sur eux en disant : Recevez le Saint Esprit ! - Les péchés seront remis à qui vous les remettrez et ils seront retenus à qui vous les retiendrez". - L'ordonné disait aussi : "Vous devez comprendre que vous êtes venu devant l'Eglise de Jésus Christ pour recevoir le saint baptême par l'imposition des mains en prenant l'engagement d'observer la Loi du Christ dans les œuvres de votre âme et pour l'observer tout le temps de votre vie". Finalement, il plaçait le Livre sur la tête du Croyant et tous les autres Parfaits présents imposaient sur lui leurs mains droites pendant la bénédiction, "Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, Amen". Suivaient ensuite plusieurs oraisons puis un service traditionnel.

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Anciens et nouveaux textes cathares

Les Cathares étaient donc des Chrétiens hétérodoxes. Cela veut simplement dire qu'ils n'adhéraient pas aux dogmes de l'Eglise Catholique Romaine, et qu'ils manifestaient, par rapport à elle, un besoin de transformation spirituelle et sociale. Ils dénonçaient les mœurs dissolues et l'immoralité des clercs et préconisaient le retour aux enseignements de l'Église primitive. La pensée cathare semble cependant avoir été influencée par par les croyances bogomiles et des philosophies dualistes venues du Moyen Orient. Les Cathares professaient que le monde où nous vivons n'est pas la création directe de Dieu. C'est l'œuvre de Satan, son organisateur cruel. L'âme de l'Homme fut crée à l'origine par le Dieu bon véritable, mais elle demeure indéfiniment prisonnière des corps matériels créés par Satan. Les envoyés de Dieu proposent aux hommes une voie de salut permettant d'échapper à ce cycle de pénibles réincarnations perpétuelles. Le Christ est venu enseigner cette doctrine de salut, non pas en tant qu'homme mais seulement en esprit. Le clergé cathare poursuit son œuvre dans l'Eglise véritable des "Croyants", dans l'action des "Parfaits", ou "Bonshommes", rituellement ordonnés par le sacrement du "Consolamentum". L'Eglise romaine est une fausse église. Tous ses dogmes et sacrements sont à rejeter tout autant que l'Ancien Testament.

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CHAPITRE 11 - Le Mythe de l’Arche de Noé

Introduction

"La vocation de l'homme est de laisser croître en lui l'arbre de la connaissance. A la fin de sa vie, il en devient le fruit. Le drame actuel c'est d'essayer de saisir la connaissance par l'extérieur et non par l'intérieur. Lorsque le noyau profond de l'être est lié au nom de Dieu, c'est le début de la construction d'un nouvel être. Un champs de conscience se construit et l'on acquiert la possibilité de faire monter de l'intérieur de nous-mêmes des énergies nouvelles. C'est le sens caché du mythe de l'arche traversant la destruction du Monde." "Ce que Noé fait monter dans l'arche de lui-même, ce ne sont pas des animaux. Ce sont ces énergies nouvelles qu'il est allé chercher dans les profondeurs de son être, dans cette immense réserve qu'est la vie. Finalement, c'est dans un monde nouveau qu'il aborde, enrichi de cette connaissance nouvelle. La colombe et le corbeau en apportent les signes extérieurs qui témoignent que l'arche vient d'émerger dans un nouvel état du monde. Ils signifient qu'en son être intérieur, Noé a accompli la totalité de son oeuvre sur lui-même." Cette citation de Madame Annick de Souzenelle invite à revoir en profondeur certains thèmes de nos écrits fondamentaux qui sont souvent lus et transmis à un niveau trop primaire ou trop littéral. Ils apparaissent alors comme des fictions doctrinales ou des contes pour enfants. Ils seraient en réalité des mythes sciemment construits pour passer à travers les siècles et les civilisations. Ils ne raconteraient pas une histoire du passé mais porteraient un enseignement ésotérique présent expliquant le sens de la vie des hommes. L'étude concernera les divers aspects de l'histoire de Noé, de l'Arche traversant le "Déluge" dans les différentes cultures qui en font mention. Divers éclairages seront également dirigés vers l'historicité éventuelle de ces évènements telle que les différentes disciplines scientifiques peuvent les envisager. Mais un regard différent sera également porté en reprenant plus précisément l'aspect mythique et

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les éventuelles significations cachées des personnages et des épisodes rapportés, tant par le récit biblique que par les autres légendes.

L'Arche de Noé dans la Bible

Cette histoire d'une immense inondation destructrice traversée par un vaisseau salvateur se retrouve dans plusieurs cultures, tout particulièrement au Moyen Orient. La plus connue et la plus détaillée est racontée par la "Bible" des Juifs et des Chrétiens. On trouve cependant des récits apparentés et parfois très antérieurs, comme ceux des tablettes sumériennes, ou des inscriptions babyloniennes, mais aussi en Grèce, en Inde et même chez les Romains. Il semble qu'un même évènement météorologique ou qu'une même source puisse être à l'origine de la multiplicité des récits qui n'en seraient donc que des reformulations variées. Plus ou moins divergentes dans les détails, elles reprendraient cependant l'essentiel de l'imagerie thématique originelle sans trop en altérer le contenu. Avant de nous pencher sur les éventuelles significations ésotériques, nous allons comparer les différentes sources disponibles. Selon la Bible des Juifs et des Chrétiens, pour punir la méchanceté des hommes, Dieu décida de les noyer tous avec tous les animaux. Mais, sur l'ordre de Dieu, Noé construisit une sorte de coffre étrange et gigantesque que la Bible appelle arche (du latin "arca", boîte). Il y mit à l'abri sa famille ainsi qu'un couple de chaque espèce animale. La Bible donne des renseignements précis sur les divers protagonistes et sur l'Arche elle même. Elle devait être faite de bois de "gopher", une sorte de cèdre, enduit de bitume. Elle devait avoir 140 mètres de long (300 coudées), 23 m de large et 14 m de haut, avec trois niveaux, un toit à pignon, une seule fenêtre, en haut, et une seule porte sur le coté. Pour l'époque, cela paraissait gigantesque. La Bible dit que sa construction a duré plus de cent ans. Noé était âgé de 500 ans quand se mit au travail, ce qui fait de lui le champion des charpentiers. Il n'eut que trois fils, ce qui n'en fait pas celui de la fertilité.

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Et donc, en l'an 600 de la vie de Noé, au 2ème mois, au 17ème jour, tous les réservoirs du grand abîme furent rompus. La pluie se déversa sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits. En ce même jour, Noé entra dans l'arche avec ses fils, Sem, Cham et Japhet, la femme de Noé, les trois femmes de ses fils, ainsi que toutes les espèces d'animaux terrestres et toutes les espèces d'oiseaux, de chacune un mâle et une femelle. Ils entrèrent dans l'arche et Dieu ferma la porte sur eux. Les eaux s’accrurent et soulevèrent l’arche au-dessus de la terre. La crue des eaux devint de plus en plus forte et toutes les montagnes furent recouvertes par une hauteur de quinze coudées. Avec la crue des eaux expira toute chair respirant l'air et se mouvant sur terre et tout homme. Tous ceux qui respiraient et vivaient sur la terre ferme moururent. Il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans l'arche. La crue des eaux dura cent cinquante jours sur la terre. Alors Dieu se souvint de Noé et de tous les animaux qui étaient avec lui dans l'arche. Il fit passer un vent sur la terre, et les eaux s'apaisèrent. Les sources de l'abîme furent fermées et la pluie ne tomba plus du ciel. Les eaux se retirèrent de dessus la terre au bout de 150 jours. Le 7ème mois, le 17ème jour, l'arche s'arrêta sur les montagnes d'Ararat. Les eaux diminuèrent jusqu'au 10ème mois et, le 1er jour du mois, apparurent les sommets des montagnes. Au bout de 40 jours, Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait faite et lâcha le corbeau, qui sortit, partant et revenant. Il lâcha aussi la colombe mais elle ne trouva aucun lieu sec pour poser son pied, et revint à lui dans l'arche. Il attendit encore sept autres jours et lâcha de nouveau la colombe pour voir si les eaux avaient diminué sur la surface de la terre. Elle revint à lui sur le soir et une feuille d'olivier était dans son bec. Noé connut ainsi que les eaux avaient enfin diminué sur la terre. Il attendit encore 7 autres jours et lâcha la colombe qui ne revint plus à lui. L'an 601, le 1er jour du 1er mois, Noé vit que la surface avait séché. Et le 27ème jour du 2ème mois, la terre fut sèche. Alors Dieu parla à Noé, disant - Sors de l'arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils et fais sortir les animaux afin qu'ils se répandent et se multiplient. Et Noé sortit, avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils. Et tous les animaux, chaque mâle avec sa femelle, sortirent de l'arche. Noé bâtit un autel à l'Éternel et offrit des holocaustes. Et

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l'Éternel dit en son coeur - Je ne maudirai plus la terre à cause de l'homme parce que ses pensées sont mauvaises dès sa jeunesse, et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant. Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l'été et l'hiver, le jour et la nuit ne cesseront point. Et Dieu bénit Noé et ses fils, et leur dit - Soyez féconds, multipliez-vous, et remplissez la terre. Dieu dit encore à Noé - Sachez-le aussi, je redemanderai le sang de vos âmes à tout animal, et je redemanderai l'âme de l'homme à l'homme qui est son frère. Si quelqu'un verse le sang de l'homme, par l'homme son sang sera versé, car Dieu a fait l'homme à son image. J'établis mon alliance avec vous et avec votre postérité et avec tous les êtres vivants de la terre, et il n'y aura plus de déluge pour détruire la terre. J'ai placé mon arc dans la nue, et il servira de signe d'alliance entre moi et la terre. Quand j'aurai rassemblé des nuages au-dessus de la terre, l'arc paraîtra dans la nue et je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous et les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire toute chair. L'arc sera dans la nue et je le regarderai, pour me souvenir de l'alliance perpétuelle entre Dieu et tout être vivant sur la terre. Tel est le signe de l'alliance que j'établis entre moi et toute chair sur la terre.

Autres légendes et récits apparentés

Les sources du récit biblique semblent se trouver dans des traditions mésopotamiennes plus anciennes comme l'épopée de Gilgamesh, un récit assyrien apparu 1200 ans avant JC. à Babylone. Une partie raconte comment l'envie prit aux plus grands dieux de provoquer le déluge. "O roi de Shurupak, démolis ta maison pour te faire un bateau ! Renonce à tes richesses pour te sauver la vie ! Mais embarque avec toi des spécimens de tous les animaux ! Le bateau que tu dois fabriquer sera une construction carrée (…) Six jours et sept nuits durant, bourrasques, pluies battantes, ouragans et déluge continuèrent de saccager la terre. Le septième jour arrivé, tempête déluge et hécatombe cessèrent (…) A l'horizon, une langue de terre émergeait : c'était le mont Niçir où accosta le bateau (…) Je pris une

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colombe et la lâchait ; elle s'en fut puis revint. Je pris une hirondelle ; elle s'en fut puis revint. Je pris un corbeau ; il s'en fut, mais ayant vu les eaux se retirer, il ne revint plus. ( traduction de J.Bottéro, Gallimard 2003) Mais on a retrouvé à Babylone un récit akkadien provenant de l'an ~1600 montrant que cette tradition était déjà établie à cette époque. Il existe aussi un récit sumérien encore plus ancien, l'épopée d'Atra-Hasis daté de 1700 avant JC. On y trouve l'histoire du roi Ziusudra. Les dieux du ciel et de la terre, An et Enlil, ne pouvaient plus supporter le vacarme fait par les hommes. Il décident d'envoyer un déluge sur la Terre pour les détruire. Ziusudra en est informé par Ea, le dieu de la sagesse, qui lui conseille de construire un grand navire pour sauver sa famille. Les dieux envoient le déluge et pendant sept jours et sept nuits, une gigantesque tempête inonde la terre. Le bateau est ballotté par les eaux puis le calme revient. Enfin apparaît le dieu-Soleil Utu. Ziusudra ouvre une fenêtre et envoie une colombe puis une hirondelle qui reviennent l'une et l'autre. Il envoie alors un corbeau qui ne revient pas. Le roi se prosterne et fait un sacrifice puis il s'installe dans une île paradisiaque pendant que ses descendants repeuplent la Terre.

La légende est présente chez les Grecs (Lycaon). Empli de colère par la perversité humaine, Zeus choisit le déluge pour laver la surface de la terre. Poséidon appelle les fleuves à submerger les villes et celui qui n'est pas englouti meurt de faim. Seul le Mont Parnasse s'élève au-dessus de l'eau. Deucalion, fils de Prométhée, et Pyrrha, sa femme, se sont réfugiés dans un petit bateau. Lorsque Zeus voit que ces rescapés sont honnêtes et pieux, il disperse les nuages. Les eaux refluent et la mer revient à ses anciens rivages. Arrivé au Mont Parnasse, Deucalion et Pyrrha remercient les dieux, et ne voient autour d'eux qu'un désert. Implorant Zeus de les aider à rendre la vie à la terre, ils reçoivent le conseil de voiler leurs têtes et de jeter derrière eux les ossements de leur grand-mère. Deucalion comprend que cette grand-mère est la Terre. Aidé de Pyrrha, il ramasse des pierres qu'il jette par-dessus son épaule. Les pierres que jette

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Deucalion se transforment en hommes. Celles que jette Pyrrha se transforment en femmes.

Après que l’inondation eut balayé les terres, pendant sept jours et sept nuits,

et que le bateau géant eut été secoué par les tornades et les grands flots,

Outou, le dieu qui épand la lumière dans le ciel et sur la terre, apparut.

Il fit pénétrer ses rayons dans le grand bateau. Ziusudra se prosterna devant Utu et lui immola un boeuf et un

mouton

(Tablette akkadienne en terre cuite)

Ovide, dans ses 'Métamorphoses' donne une très belle et très poétique version littéraire de ce déluge grec. Un mythe similaire est d'ailleurs connu en Inde qui fut jadis partiellement sous influence culturelle grecque. Le mythe du Déluge apparaît pour la première fois dans le Satapatha Brahmana, un rituel probablement daté du VIIe siècle avant notre ère. Ici, c'est un poisson doué de parole qui avertit Manu de l’imminence du Déluge. Il lui conseille fermement de construire un bateau. Lorsque la catastrophe éclate, c'est ce poisson qui tire le bateau vers le nord et l’arrête près d’une montagne. Manu y attend patiemment le reflux des eaux. Puis il offre un sacrifice et obtient des dieux une fille. Il s'unit à elle, engendrant tout le genre humain. Dans le Mahabharata, Manu est un ascète. Dans le Bhagavata Purana, c'est le roi-ascète Satyavrata qui est averti de l’ approche du Déluge par Hari (Vishnu) qui a pris la forme d’un poisson. Mais, dans le mythe hindou, rien ne semble relier le déluge avec un ressentiment quelconque des Dieux vis à vis des hommes. Le Coran aussi reprend l'histoire de l'Arche, et raconte qu'Allah aurait décidé de noyer le peuple de Noé pour le punir d'avoir rejeté la foi. Il aurait averti son messager, lui demandant de construire une arche pour être sauvé avec les autres croyants et un couple de chaque être vivant. « Et en effet Nous avons envoyé Noé vers son peuple. Il

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demeura parmi eux mille ans moins cinquante années. Puis le Déluge les emporta alors qu'ils étaient dans un état d'injustice » (Coran sourate al-Ankabut:14). « Et il se mit à construire l'Arche. Et chaque fois que des notables de son peuple passaient près de lui, ils se moquaient de lui. Il dit: 'Si vous vous moquez de nous, eh bien, nous nous moquerons de vous comme vous vous moquez de nous' » (Coran sourate Houd:38). « Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner [d'eau], Nous dîmes : "Charge [dans l'arche] un couple de chaque espèce ainsi que ta famille - sauf ceux contre qui le décret est déjà prononcé - et ceux qui croient. » (sourate Houd :40).

Les habitants de ces territoires très voisins puisaient dans le même fonds culturel.<

Ils croyaient ce récit important et se sont efforcés de nous le transmettre.

« Parce qu'il était vertueux, et par la grâce de Dieu, un

homme a traversé le désastre de la mort universelle permettant ainsi à l'humanité

d'aborder un nouveau Monde »

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La vision de la Science

Tous ces récits proviennent de l’Est de la Méditerranée. Ses abords ont été longtemps fertiles et accueillants. Depuis la haute antiquité, de nombreux peuples les ont habités. Leurs traditions voisines procèdent d'un fonds culturel commun. Avant d'envisager leur possible signification mythique, il est raisonnable d'étudier leur historicité.L'interrogation fondamentale concerne l'inondation du Monde par les eaux. Un Déluge est-il scientifiquement imaginable, à quelle époque et dans quelles circonstances ? Concernait-il la Terre entière ou s'agissait-il un phénomène local ? Les réponses dépendent en fait de la formulation des problèmes. La science fonctionne sur des bases définies. Elle fournit alors des informations que l'on peut estimer fiables à l'intérieur du cadre donné. Les sources attribuant le Déluge à la volonté de dieux, quels soient-ils, on ne peut métaphysiquement envisager qu'ils aient violé leurs propres lois physiques. C'est donc dans l'histoire de la Terre qu'il faut rechercher la source des eaux d'un quelconque Déluge. En se basant sur les traces laissées au fond des mers, la science nous dit que le niveau des océans s'est élevé de cent vingt mètres au cours des dix derniers millénaires. La Glaciation de Würm s'est alors achevée et les immenses glaciers ont fondu. Dans le lointain passé et pendant des millions d'années, il n'y avait parfois aucune glace sur les pôles. Mais dans l'histoire plus récente de la Terre, le climat a souvent fraîchi. Des calottes glacées se sont alors formées, au Nord comme au Sud, s'étendant et se résorbant plus ou moins largement avec un rythme approchant soixante mille ans. Il y a dix mille ans, nos véritables ancêtres ont vécu la fin de la Glaciation de Würm. Ils ont donc subi la montée progressive des eaux et le recul des rivages, mais peut-on imaginer qu'ils en aient gardé aussi longtemps la mémoire. De nos jours, la montée des eaux n'est pas encore achevée. Même si elle a pu être irrégulière, sur la période totale, cela ne représente qu'un peu plus d'un centimètre par an. Ce n'est pas un désastre brutal. Cependant, la montée des eaux océaniques a pu avoir des conséquences catastrophiques localisées. Une thèse développée en 1997 par Ryan et Pitman envisage qu'il y a 7500 ans, le "Lac Noir"

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devint une mer. Avant que cède la barrière du Bosphore, la Mer Noire était le plus grand lac du Monde. Son niveau était 100 mètres au-dessous du niveau actuel. C'était un lac d'eau douce très profond, et ses rives étaient évidemment habitées. Le niveau de la mer Égée montait régulièrement et la Méditerranée vint un jour, soudainement, envahir la Mer Noire. Aujourd'hui, sa taille approche celle de la France. Les chercheurs d'Ifremer ont trouvé sous l'eau la trace de l'ancien rivage ainsi que des fossiles d'animaux d'eau douce. La rapidité de la montée des eaux est controversée. Certains proposent quinze centimètres par jour. Cela aurait engendré une grande panique, peut être inscrite dans la tradition orale. D'autres parlent d'un maximum d'un mètre par an, recul moins effrayant. Noter que la Mer Noire n'est qu'à mille kilomètres de la Mésopotamie. On a aussi envisagé des crues cataclysmiques des deux grands fleuves de Mésopotamie où l'on situe l'origine de l'Épopée de Gilgamesh et la source des récits du Déluge. Cette région très plate est située entre le Tigre et l'Euphrate. Dans l'Antiquité, on l'appelait le "Pays des marais", et l'on y naviguait sur des embarcations faites de roseaux liés. Les marais ont été récemment asséchés avec de très graves conséquences écologiques. Un programme international travaille actuellement à leur restauration. D'importantes crues simultanées des deux fleuves pouvaient inonder rapidement des surfaces immenses. Cette hypothèse peut être associée à celle de la remontée généralisée du niveau de la mer consécutive à la fonte des grands glaciers. On peut alors imaginer l'envahissement progressif des rives du golfe Persique dont la pente est extrêmement faible. Cette avancée continue de la mer a pu provoquer de massifs exodes de populations côtières et donner ainsi naissance à des légendes de cités englouties dans de dramatiques inondations. On peut aussi impliquer d'énormes éruptions volcaniques telle celle du Santorin, dans les Cyclades en mer Égée, dont l'explosion soudaine 1600 ans avant J.C. anéantit l'île de Théra et la ville d'Akrotiri, ensevelissant ses habitants. Le tsunami qui s'ensuivit détruisit beaucoup d'autres villes dont Cnossos, sur la côte de la Crête. La civilisation minoenne ne s'en remit jamais. Le panache de l'éruption devait être visible de très loin et pourrait être la véritable nuée ardente qui guidait les Hébreux lors de la sortie d'Égypte.

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L'éruption du Santorin a peut-être inspiré Platon dans l'histoire de la destruction de l'Atlantide. Mais il y a d'autres volcans en Méditerranée, d'autres raz-de-marée et d'autres légendes possibles. On voit que la Science peut présenter diverses hypothèses proposant la survenue de catastrophes locales plus ou moins soudaines. Cependant, rien ne correspond strictement aux évènements relatés dans les différents textes. Il semble donc qu'ils aient été remaniés pour être le support d'un mythe intentionnellement construit.

Faire émerger le sens du Mythe

Un mythe est un récit composé pour expliquer les origines ou les destins des hommes et de la Terre. Il y a des mythes banals, liés à l'histoire des peuples ou des nations, comme celui des Gaulois pour les Français, ou celui du May Flower pour les Américains. Il y a aussi des mythes sacrés intemporels qui relatent les évènements fabuleux du commencement des temps. L'histoire de Noé dans le Déluge est l'un des plus anciens de ces mythes sacrés. Le mythe s'enracine souvent sur un fait réel auquel il est faiblement relié, et cette liaison lui donne sa légitimité. Sur cette base 'crédible', le corps plus ou moins fabuleux du mythe se constitue, se chargeant de sens et de contenu au fil du temps. Le mythe se met à vivre et à se développer dans cet espace humain mystérieux qui est celui de la pensée collective. Certains diront qu'il devient une 'forme pensée'. Les Gnostiques parleront d'un 'éon' apparu dans l'astral de la Terre, et les Ésotéristes diront qu'il s'est lié à un 'égrégore', c'est à dire un agrégat progressivement constitué en assemblant l'énergie de multiples pensées.

Un égrégore n'est ni bon ni mauvais. Il est simplement nourricier. Le mythe de Noé et du Déluge existe depuis près de 4000 ans. Depuis lors, l'égrégore rassemble les réflexions, les méditations, les émotions ou les illuminations d'innombrables chercheurs de

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spiritualité travaillant sur ce thème. Ces nourritures demeurent dans l'inconscient collectif de l'humanité et l'on peut toujours y accéder à travers les récits qui s'y référent. Le plus récent, la Bible judéo-chrétienne, fut écrite 700 ans avant notre ère, mille ans après les tablettes sumériennes dont elle dérive. Le récit du Déluge est contenu dans le premier livre, la 'Genèse' qui semble avoir été composé assez tardivement. Il décrit la re-création du Monde après sa destruction par les eaux. Seuls les passagers de l'Arche furent sauvés, comme à Sumer. L'explication de la création du Monde par les dieux sumériens ne satisfaisait pas la monolâtrie juive. La cosmogonie en sept jours telle que nous la connaissons, Adam, Ève, le Serpent, l'arbre et la découverte du Bien et du Mal, apparurent peut être à ce moment là.

Un mythe s'interprète toujours à plusieurs niveaux en fonction du lecteur. Au premier degré, il donne une réponse naïve à une question simpliste. La légende biblique de Noé raconte alors simplement la construction de l'Arche et l'inondation générale du Monde. Au second niveau, on trouve déjà l'image en miroir d'une seconde création corrigeant la première altérée par le Mal. Il s'y associe aussi l'importante notion d'une alliance entre Dieu et les hommes. Elle est conclue sur la base du comportement de Noé qui fut celui d'un 'juste' (au sens de justesse), s'écartant du péché. Il faut creuser. Au niveau suivant, on comprend le sens de la destruction de toute vie terrestre par le Déluge. Elle signifie que la mort de tout vivant est inéluctable sur le plan terrestre car tous sont mortels par nature. Mais celui qui construit son 'Arche' peut survivre. Notons que Dieu pourrait détruire la vie tout en sauvant Noé. Il violerait alors ses propres lois. Ce sont les eaux de la nature qui détruisent le Monde, et Noé et ses fils construisent de leurs mains leur vaisseau salutaire.

Comme le Monde ou l'homme, le mythe vient du mystère et y renvoie. Il donne des réponses à travers les questions qu'il soulève et sa richesse se mesure par leur nombre. Nous savons maintenant qu'en hébreu les racines des mots sont corrélées à des significations implicites. Noé est ainsi relié à la consolation et à la repentance. Les noms de ses fils, Shem, Ham, et Yaphet évoquent la jouissance, la puissance, et la possession qui sont les énergies vitales déployées dans la vie terrestre. Sanctifiées par Noé, elles deviennent les vertus

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qu'il va utiliser pour traverser la mort. En les maîtrisant, il transforme son corps en Arche de salut. Ce processus est lent. La Bible dit qu'il dure cent ans. Noé emmène aussi des animaux. Ils symbolisent les énergies qui émergent des profondeurs de son inconscient. Enrichi par cette nouvelle connaissance, il entreprend dans l'arche de lui-même, le voyage vers le Monde purifié et renouvelé. Et Noé n'entre pas seul dans l'Arche. Il y entre avec sa femme, ses fils et les femmes de ses fils, ce qui, dans un mythe, porte un sens.

Dans toute la Genèse on trouve cet aspect bipolaire et sexué. Ultérieurement, la Kabbale donnera une portée extrême à cette particularité, en séparant dans l'arbre des Sephiroth, les deux manifestations divines, Yachin masculin, et Boaz féminine, dont l'équilibre assure la création du Monde. A. de Souzenelle attire également l'attention sur ce point particulier. Noé entre donc dans l'Arche de lui-même avec ses deux natures, à la fois Homme et Femme, Ish et Isha, mais aussi Yachin et Boaz, sa vie spirituelle et sa vie naturelle. Á ce moment, elles sont encore séparées. Cette séparation concerne d'ailleurs tous les aspects couverts par le mythe de l'Arche, tels les fils de Noé et leurs femmes et les animaux sélectionnés par leurs sexes. La Bible ne nous dit rien de ce qui se passe dans l'Arche pendant les neuf mois de réclusion, mais ses passagers en sortent unis par couples pour être bénis et repeupler le Monde. La nécessité de l'unification des deux natures est probablement le message essentiel du mythe antique de l'Arche de Noé.

Nous sommes une partie de la Terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos soeurs.

Le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et

l'homme, tous appartiennent à la même famille.

Nous savons au moins ceci : La Terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la

Terre. Toutes le choses se tiennent..

(Chef Seattle - tribu Duwamish).

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On peut développer d'autres aspects du mythe, la recherche n'est pas close. Mais je voudrais élargir la réflexion à la dimension cosmique. Comprenons que nous n'habitons pas la Terre. Elle n'est pas notre maison, ni notre mère, ni notre vaisseau spatial, car elle n'est en aucune façon séparée de nous. Chacun de nous est la Terre, non pas toute la Terre mais un aspect personnel de la Terre. La planète vit et meurt dans la vie et la mort de chaque homme. Elle rit et pleure dans ses rires et ses pleurs. Elle aime dans chaque amour, elle est consciente dans chaque conscience. Dans sa nature ordinaire, l'humanité remplit ces fonctions dans la Terre vivante. Dans sa nature céleste, nous ignorons encore où va son Arche cosmique à travers le Déluge universel. Le mystère touche aux limites de la compréhension humaine, non pas à celles de la rencontre de Dieu. L'élévation des capacités d'amour ou de conscience d'un seul homme élève celles de l'humanité entière, donc celles de la Terre, et peut être celles de la Monade universelle.

L'unification des deux natures est probablement le message essentiel du mythe antique de l'Arche de Noé.

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Seconde partie – Quelques spiritualités exotiques

CHAPITRE 12 - Les Derviches Tourneurs Soufis CHAPITRE 13 - Zoroastre et les Pârsîs CHAPITRE 14 – Le Bardo Thodol tibétain CHAPITRE 15 – La Bagavad Gitaî indoue CHAPITRE 16 - Le Tao të King en Chine CHAPITRE 17 - Le Cao Dai Indochinois CHAPITRE 18 - Le Jaïnisme CHAPITRE 19 - Le Shintô japonais CHAPITRE 20 - Le Vaudou

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CHAPITRE 12 - Les Derviches Tourneurs Soufis

La danse sacrée des derviches tourneurs ou SEMA

(d'après Oguz UNAT dans EPIGNOSIS N° 20 - Juillet 1989)

Les Derviches Tourneurs sont les participants actuel s du mouvement musulman Soufi, issu de la Gnose originel le

dont ils ont gardé la philosophie et les symboles

La salle

Voici comment se présente géométriquement la piste de

danse ovale qui équivaut symboliquement à la création.

Le tapis rouge (l’Esprit divin)

L’arc de descente ---- L’arc de remontée

L’âme humaine

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Le tapis rouge symbolise le Cœur, et désigne un espace sacré tout comme le tapis de prière des musulmans, orienté vers La Mecque, le centre du monde musulman. C’est l’endroit où l’homme, par la prière, entre en contact avec le divin, où le ciel et la terre, l’homme et Dieu " communiquent " entre eux. C’est l’image " matérialisée du véritable centre qu’est le Cœur. Il faut remarquer que le tapis rouge se trouve à l’intersection des deux arcs descendant, (l'involution), et ascendant, (l'évolution), de la danse en rond qui va commencer. L’arc de descente symbolise la descente des âmes dans le monde terrestre. C’est la courbe de l'involution. L'arc de remontée, c’est la remontée des âmes vers Dieu, la courbe de l’évolution, la réintégration de la matière dans l’Esprit. Cette voie indique la Rédemption, dont la condition est l’amour, la soumission (ISLAM), le sacrifice. Il faut que la vie se mette au service de l’Esprit. Tandis que l’arc descendant signifie la chute, la révolte, qui fut la cause de la sortie du paradis.

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Les préludes à la cérémonie.

Les derviches entrent dans la salle, habillés d’un ample manteau noir qui représente la mort, la tombe, la lourdeur terrestre et l’enveloppe charnelle. Ils sont coiffés d’une haute toque de feutre, qui est à l’image de la pierre tombale. Leur habit blanc, symbole du linceul et de la résurrection, dépasse légèrement le bas de leur manteau. Cette discrète présence de la couleur blanche symbolise également la vie, la renaissance attendue. Le maître, le shaykh, entre le dernier derrière les derviches. Son ordre d’entrée signifie que la quête de l’UN est toujours précédée par une recherche dans le multiple. Donc, respectivement, le maître incarne l'unité, et les danseurs la multiplicité. Mais en tant que maître, le shaykh est aussi le premier, dont dépend la multitude. Ayant réalisé l’UN, il contient en lui toutes les vertus en perfection, dont la plus importante et la plus difficile à réaliser est l’humilité. Son entrée derrière les danseurs indique qu’il a vaincu son ego et pacifié son âme. Il suit donc humblement les derviches qui sont ses disciples, donnant ainsi l’exemple de l’humilité. Le haut bonnet du maître est enroulé d’une écharpe noire (turban) indiquant sa dignité. L’enroulement du turban renvoie à l’image du cercle symbole de la totalité, de la perfection. Cela signifie que le shaykh a déjà parcouru la voie initiatique, l’arc de la remontée et a réintégré sa nature primordiale, exempte de toute imperfection. Ainsi, il a bouclé le cycle d'involution et d’évolution.

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Le maître, après avoir salué les derviches, s’assied devant le tapis rouge en peau de mouton, dont la couleur évoque le soleil couchant, qui incendiait le ciel de Konya le soir du jour où mourut Mawlânâ, le 17 décembre 1273. Le maître se trouve donc au point d’intersection du temporel et de l’intemporel, lieu où les oppositions sont dépassées, lieu où l’Unité est réalisée. A ce moment, un chanteur chante les louanges du Prophète, dont Rûmî a écrit les paroles :

" C’est toi le bien-aimé de Dieu, l’envoyé du Créateur unique..."

Ce chant est une mélopée imprégnée d’une profonde solennité. Son chant terminé, le chanteur se rassoit. Un joueur de flûte improvise un prélude. Puis le shaykh lève les mains de dessus ses genoux et frappe la terre. Ce geste signale que le SEMA va commencer. Mais son sens symbolique est très profond. Ce geste fait penser à un acte magique, créateur. Par là il évoque l’acte créateur démiurgique "Kun = Sois". Ce symbolisme est indissociable de la notion fondamentale de "Mithaq", le pacte primordial, qui renvoie à la préexistence des âmes.

Le tour du Sultan Valad.

Le shaykh se lève ensuite ainsi que les derviches. Alors commence le tour appelé le "tour du sultan Valad", le fils de Rûmî.

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Les derviches avancent lentement et font trois fois le tour de la piste. Chacun à un endroit donné se retourne vers celui qui le suit et tous deux s’inclinent profondément, puis reprennent leur tour. Cette circumambulation est l’image des âmes errantes, s’agitant, cherchant à la périphérie de l’existence. Le premier tour symbolise l’exotérisme, le deuxième l’ésotérisme, le troisième la Vérité. Mais la périphérie de l’existence contient déjà cette dernière dans la révélation de la Loi. Leur salutation mutuelle est le symbole de la solidarité spirituelle, où les âmes se reconnaissent mutuellement comme étant d’une même origine. C’est aussi la réciprocité des consciences, chacun des derviches servant de miroir à l’autre. A la fin du 3ème tour, le maître s’assoit sur son tapis et les danseurs se mettent dans un coin. Pendant quelques instants les chanteurs chantent en chœur. Le chant terminé, les derviches, en un geste triomphal, laissent tomber leur manteau noir, montrant leur habit blanc. L’œuvre au blanc commence. La chute du manteau est l’illusion qui disparaît. Les ténèbres sont éclairées par la lumière qui va à présent guider le voyageur. Le manteau noir, qui tombe, préfigure la mort, laquelle sera vaincue à la fin de l’œuvre. La voie ésotérique c’est aussi le dépouillement. Quand le manteau noir, l’enveloppe charnelle, l’attachement terrestre est quitté, c’est une seconde naissance, c’est-à-dire la résurrection, l’image même du jour du jugement dernier. De même que l’homme ressuscitera ce jour-là pour s’exhausser à un niveau

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d’existence spirituelle plus élevé, de même qui désire parvenir à l’unité doit mourir et ressusciter dès ici-bas. C’est là le sens simple du "hadith" du Prophète : " Mourez avant de mourir ". Lorsque les danseurs apparaissent dans leur habit blanc, c’est le corps de lumière qui naît. En outre, ce geste hautement significatif indique que tout changement d’état est précédé d’une phase d’obscurité et d’enveloppement.

La danse symbolique des derviches.

Le shaykh est assis sur le tapis rouge, signifiant par là que l’Unité est toujours là, accomplie, mais en attente. Voyant les derviches animés du désir sincère d’accomplir le Grand Œuvre, il se lève et répond, pour ainsi dire, par une affirmation à la demande des derviches qui s’avancent vers lui, s’inclinent, et lui baisent la main, un par un. Ils demandent, ce faisant, la permission de danser. Mais en même temps, ils prennent l’attachement à la voie initiatique, la "baraka", qui est la transmission de l’influence spirituelle donnée par le maître qui, ensuite, baise la coiffe du derviche. Ainsi celui-ci bénéficiera de la force spirituelle qui le protégera des épines de la voie et qui favorisera l’éclosion de la rose, symbole suprême de l’Unité. En fait, la demande de permission de danser, et l’accord par le Maître de cette permission qu’est l’initiation, signifient tout simplement le renouvellement du pacte primordial, dont nous avons parlé.

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Ensuite les derviches, les bras croisés, les mains sur les épaules, se mettent à tourner lentement, puis étendent les bras, la main droite tournée vers le ciel et la main gauche tournée vers la terre. Ces deux positions des bras d’abord pliés, ensuite étendus, correspondent respectivement à deux états (ahval) initiatiques sur la voie. La position des bras croisés les mains posées sur les épaules est l’état de contraction (qabd). L’ouverture de la danse est un état de resserrement, car l’impureté fait encore obstacle à la croissance. Ainsi les bras ouverts, la main droite tournée vers le ciel et la main gauche vers la terre le derviche symbolisera l’Axe de l’Univers, qui n’est autre que l’Arbre de Vie. La main droite recueillera la grâce du ciel et la répandra sur la terre par la main gauche tournée vers celle-ci. L’expansion des bras symbolise la pureté atteinte, Il n’y a plus d’impureté qui empêche la juste circulation des énergies dans les deux sens. A travers l’organe central qu’est le cœur, le chaos du début se transformera en une énergie cohérente, aptitude à recevoir et à donner, qui est l’Amour. Tout en tournant autour d’eux-mêmes, ils tournent autour de la salle. Ce double tour figure la loi de l’univers à l’échelle macrocosmique et microcosmique. C’est l’homme qui tourne autour de son centre, qui est son Cœur, et ce sont les astres qui gravitent autour du soleil. Ce double symbolisme cosmique recèle le véritable sens du SEMÂ : c’est la création entière qui tourne autour d’un centre unique et invisible. Les deux premières danses sont effectuées en commun, la troisième se fait individuellement, car ici le temps est dépassé. Le nombre 3 exprime que la dualité, la chute

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dans le temps sont vaincues. Donc ce nombre 3 signifiera la " restitution de l’état primordial ", l’état où l’homme recouvre le sens de l’éternité. C’est le troisième œil de la tradition hindoue, et par là il obtient l’immortalité virtuelle, car jusque-là il est encore dans l’état humain. Les Derviches Tourneurs reproduisent ainsi dans un

seul geste la bénédiction des premiers prêtres gnostiques qui élevaient les deux mains vers le cie l

pour demander la nourriture spirituelle puis les étendaient paume en-dessous pour répandre cette

grâce sur leurs frères et sur toute l’humanité.

La danse finale du Maître.

La quatrième danse, faite par le maître tout seul, est la dernière phase du SEMÂ, dont le sens se rapporte à " la conquête effective des états supérieurs de l’être". Le shaykh danse en tournant sur la ligne droite au centre du cercle. Jusque-là il était resté immobile, veillant scrupuleusement sur les derviches. Cette non-participation à la danse se rapporte à la transcendance divine, et son entrée dans la danse symbolisera l’immanence divine. Avec cette danse du shaykh, l’unité viendra couronner l’effort de l’homme. La ligne droite est la voie la plus courte, qui mène à l’Union. Mais les derviches n’ont pas le droit d’y marcher, seul le maître peut se le permettre. Cette ligne symbolise également les deux mondes exotérique et ésotérique qui, tout en se touchant, sont séparés par elle. Seul le maître, en qui

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l’Unité est réalisée, ou le Grand Œuvre, peut marcher sur elle. Ce qui signifie qu’il a atteint à la parfaite maîtrise des deux mondes il se place au centre du cercle, il donne l’image réalisée d’un des noms d’ALLAH : "Maître des mondes", dans la sourate d’Al-Fâtihâ. Après Sa danse, le maître revient à sa place et le SEMA " s’arrête " un chanteur psalmodie le Coran. La récitation coranique est une réponse de Dieu, signe que le Grand Œuvre est accompli ; la matière a atteint Sa perfection. Le retour du maître à sa place symbolisera la subsistance (al-baka), après l’extinction de l’ego (al-jânb) dans le Divin. Mais une fois l’Union totale, la Transmutation alchimique réalisées, l’homme atteint l’état de "soufi", et dès lors, ayant fait l’expérience suprême, le soufi sera "celui pour qui l’or et la boue ont la même valeur". La fin de la danse, le retour au monde dans l’état de "subsistance", correspondent à la réalisation "ascendante". Jusque-là la Création était une illusion ; l’homme véritable comprend après la "réalisation" que le monde, la création, participent du Divin. Lumière sur Lumière.

Nous sommes la flûte, dit MawlAnà, et notre musique vient de Toi.

Ainsi se termine le SEMA ; il sera suivi de quelques autres salutations et d’une séance de "dhikr mawlawî (Hû — Lui)". Ensuite, le maître, en qui se réalise la communion de tous, se dirige lentement vers la sortie, suivi des derviches et de l’orchestre. L’image du cercle, symbole de la totalité et de la perfection, sera ainsi

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manifestée. Désormais, c’est la multitude qui dépend de l’Unité.

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Notes et compléments. -

Note-a - C’est aussi l’endroit médian, le monde de l’entre-deux, l’isthme. Le maître est ainsi identifié à l’arbre du monde, reliant les mondes terrestre et céleste. Quant à la couleur rouge, image sensible du Cœur, elle indique la finalité de l’œuvre, de la quête spirituelle. Parallèlement à l'image du soleil couchant, le rouge indique l’œuvre parvenue à sa maturité. En termes alchimiques, on dira "l’œuvre au rouge" dont les deux étapes précédentes sont indiquées par le manteau noir, "l’œuvre au noir", et par l’habit blanc caché sous la cape, "l’œuvre au blanc". La couleur rouge renvoie aussi à la rose, autre symbole alchimique, de laquelle un maître éminent dit : " Que celui qui désire contempler la gloire divine, regarde une rose rouge." Fulcanelli nous parle aussi des roses ornant le transept et le grand porche des cathédrales : "L’une n’est jamais éclairée par le soleil c’est la rose septentrionale... La seconde flamboie au soleil de midi c’est la rose méridionale... La dernière s’illumine aux rayons colorés du couchant ; c’est la grande rose, celle du portail, qui surpasse en surface et en éclat ses sœurs latérales. Ainsi se développent, au fronton des cathédrales gothiques, les couleurs de l’œuvre, selon un processus circulaire, allant des ténèbres, figurées par l’absence de lumière et la couleur noire, à la perfection de la lumière rubiconde, en passant par la couleur blanche, considérée comme étant moyenne entre le noir et le rouge". On peut étendre l’analogie pour constater que l’œuvre au noir, début du travail alchimique, correspond à la voie exotérique destinée aux gens du commun et qui contient toute la vérité. L’œuvre au blanc sera le SEMÂ proprement dit où l'on verra les derviches danser en habits blancs. Elle symbolisera la voie

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ésotérique menant à l’union. Enfin l’œuvre au rouge symbolisera la Vérité, l’union qui sera atteinte au terme du voyage initiatique de la danse alchimique. Mais la danse n’est pas encore commencée, le travail alchimique qu’est le SEMÂ n’est pas encore entrepris. Ce qui est donné, c'est le début et la fin, l’alpha et l’oméga, ou aussi l’extérieur et l’intérieur, comme le déclare un verset coranique "Il est le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché". Tout le SEMÂ sera justement la recherche de ce paradoxe seul compréhensible et réalisable dans l’Union. Pour y arriver il faut entreprendre un voyage initiatique. La voie initiatique, la quête alchimique, seront ce moyen d’accès, cette lutte.

Note-b - Le SEMÂ sera donc considéré comme un éveil des âmes, pour se ressouvenir de ce jour où Dieu questionna l’humanité encore incréée et contenue dans les reins d’Adam "Ne suis-je pas votre Seigneur ?", et les âmes répondirent : "Oui, nous l’attestons." Le grand maître Junayd, qui voyait dans l’oratorio spirituel la préfigure du retour des âmes à leur état "de pensée de Dieu", dit qu’à cette question une douceur s’insinua dans les âmes. Le SEMA sera le moyen par lequel les âmes rechercheront cette douceur primordiale, ce germe d’amour divin déposé dans les cœurs.

Note-c - On peut y voir également l’interdépendance de toutes choses dans l’existence, leur accord et leur harmonie. Le SEMÂ sera donc l’exploration, la découverte et la réalisation pleine et effective de cette harmonie. La dualité exprimée par la présence des deux danseurs est virtuellement dépassée, unifiée par le geste commun à tous deux qui est la salutation.

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L’inclination est le symbole de la soumission, de la mort de l’ego. Cette salutation est le signe du partage intérieur. Mais tout ceci n’est que la préfiguration de l’accomplissement, lequel se fera dans le SEMA.

Note-d - " C’est parce que les canaux menant au cœur et en provenance de lui sont obstrués " On peut très bien considérer le danseur comme un arbre, dont les branches sont coupées, émondées en vue d’un meilleur accroissement, qui dépassera de beaucoup l’état d’avant, où le derviche se sacrifie pour l’amour. " Celui qui fera un beau prêt à Dieu, il le doublera en sa faveur, et il y a pour lui une récompense généreuse ", dit le Coran. L’état de contraction, de sacrifice, est donc nécessaire, si l’on veut avancer en direction de la lumière. Le deuxième état est l’état d’expansion spirituelle (bast). C’est cet état qui est le signe de la maturité spirituelle, par opposition à l’état de contraction dont le jeûne et la retraite spirituelle sont deux aspects. L’expansion spirituelle symbolisera l’ouverture au monde. Au début de la cérémonie, l’invocation de bénédictions sur le Prophète et la "baraka" donnée par le shaykh constituent aussi des moyens d’expansion, qui protégeront les voyageurs des rechutes, des oublis, et des autres aléas de la quête, car le retour au monde suppose toujours ce risque d’oubli au contact du multiple et de l’éphémère. Note-e - Lorsque le shaykh commence sa danse, le "nay", la flûte, improvise une deuxième fois : c’est le moment où s’accomplit le "tawhîd", l’Union Suprême. Nous avons vu que le shaykh effectuait la danse, alors que les trois premières étaient

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exécutées par les derviches. Nous retrouvons ici le symbole de la tri-unité. Si " le nombre 3 exprime l’Unité en langage de pluralité ", le nombre 4 symbolisera l’accomplissement et la consécration totale de cette unité. Le chiffre 4 en tant qu’il exprime la stabilité symbolise le cube et renvoie à la Kaaba, le centre vers lequel les musulmans se tournent pour faire la prière, et qui est l’image terrestre du centre suprême. La quaternité exprime certes la stabilité, mais, dynamiquement, " la quaternité rayonne, et c’est Mâyâ dans Sa fonction de communiquer Atmâ et de déployer ses potentialités ; dans ce cas, elle établit le cosmos selon les principes de totalité et de stabilité. On voit que la croix, avec ses quatre directions (les quatre fleuves du paradis), est présente, son centre étant occupé par le maître. C’est le point d’où tout part et où tout revient, le premier et le dernier le commencement et la fin. Note-f - Les deux instruments principaux de la danse sacrée sont la flûte et le tambour. Les battements sourds de celui-ci durant le SEMÂ évoquent sans doute les trompettes du jour du jugement. Mais ils symbolisent également les grondements et les tremblements de la terre. Si le symbolisme des tambours semble lié à la terre, en revanche, par son axialité, la flûte sera symboliquement liée au ciel. D’ailleurs la plainte du roseau renvoie à la séparation de l’homme d’avec sa partie céleste. Les deux aspects complémentaires à la fois vertical et horizontal, céleste et terrestre, évoquent parfaitement la croix dans l’ordre musical, alors que le derviche la symboliserait pour ainsi dire dans l’ordre chorégraphique. La flûte et le tambour nous font penser également à l’aspect féminin et masculin de l’œuvre alchimique dont la réalisation en or alchimique donne l’androgyne. Le SEMA sera donc fa réalisation de cet état " androgyne ". Cet état de parfait accomplissement sera d’ailleurs symbolisé par la danse du shaykh.

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Signalons également un autre sens du nombre 4 dans la perspective de l’ésotérisme musulman. Dans le récit du "Mîraj", l’assomption céleste du Prophète MUHAMMAD, donné par Ibn Arabî, le quatrième ciel est occupé par le prophète Idris, identifié à Hénoch, ce qui marque sa position centrale dans la hiérarchie des sphères célestes, qui sont au nombre de sept. Cette sphère correspond à celle du soleil qui correspond lui-même au " lieu éminent ", jusqu’où Dieu éleva le Prophète en son corps, sans lui faire subir la mort physique. "Il était véridique et prophète. Nous l’avons élevé à une place sublime" (Coran, XIX, 57-58). On se souviendra que le prophète Élie fut aussi élevé au ciel dans un char de feu. La danse du shaykh, l’expression de l‘Union réalisée de toutes les oppositions, évoque les deux notions fondamentales du "Haqq" (la Vérité) et du "Khalq" (la Manifestation). Il établit ainsi le lien entre l’Atmâ et la MAyA, dont le nombre 4, cosmique et hypostatique, est l’expression symbolique. Note-g - L’origine du SEMA remonte à la lecture psalmodiée du Coran basée sur le souffle et une voix rythmée dont on sait qu’elle est un art à part entière car tout le monde ne peut faire cette lecture très particulière du Livre Sacré. Aussi existe-t-il des spécialistes appelés "hâIiz", dont la voix mélodique fait ressortir dans toute sa subtilité l’inimitable beauté poétique de la parole sacrée. Comme dans toutes les traditions authentiques, la liturgie fait partie intégrante de la Révélation, au même titre que les prières, et la musicalité est inséparable du texte sacre. D’après une tradition, le prophète MUIZIAMMAD lui-même aurait encouragé cette pratique liturgique en disant "Ornez le Coran par votre voix".

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L’intérêt porté à la musique et à la danse dans l’Islam est très ancien : le SEMA, qui signifie "ciel", était étudié conjointement à la physique, laquelle était une branche du savoir toujours en rapport avec l’astronomie et l’astrologie. Rien de surprenant donc que le mot SEMA en vienne à désigner la ronde des astres. " Ô jour lève-toi. Les atomes dansent. les âmes éperdues d’extase dansent. La voûte céleste, à cause de cet Être, danse ", s’écrie Rûmî. Le SEMA exprime ainsi le tournoiement, le devenir incessant des atomes, des astres et des âmes Note-h - Quelle fut l’origine du SEMÂ ? Les réponses à cette question ne font pas l’unanimité. On pense tout naturellement au grand maître soufi Nadjm-ad-KubrA, maître du père de Mawlânâ, Bahâ ud-Din Walad, et du célèbre soufi Attâr. Mais avant Kubrâ un autre maître, très ancien, lui, Dhu-l’Nûn l’Égyptien, aurait été le premier instaurateur du SEMÂ en 859h. Junayd de Bagdad est lui aussi considéré comme un des plus grands théoriciens et pratiquants de la danse spirituelle. - Quoi qu’il en soit, jusqu’à sa rencontre avec Shamsî Tâbrizî (c’est-à-dire " le soleil de Tabriz "), Rûmi ne semble pas avoir pratiqué le SEMA. Ses deux biographes les plus anciens Sipehsâlâr et Aflâki sont formels là-dessus - Ils écrivent tous deux explicitement : "C’est Shamsi Tabrizî qui enseigna à Rûmî la danse rituelle ou qui l’y incita". C’est finalement le fils de Rûmî, sultan Walad, qui fera du SEMA une pratique régulière, devenant ainsi la marque distinctive de l’ordre.

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Trois citations de Djalal al-Din Rûmi

Ta beauté, ô mon aimée, m'empêche de contempler la Beauté.

Dès l'instant où tu vins dans ce monde de l'existence,

Une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir. Car d'abord tu fus minéral, et puis tu devins plante; Puis tu devins animal : comment l'ignorerais-tu?

Puis tu fus fait homme, doué de connaissance, de raison, et de foi.

Considère donc la perfection de ce corps tiré de la poussière. Quand tu auras transcendé la condition de l'homme,

Sache que tu deviendras certainement un ange. Alors tu en auras fini avec la Terre et ta demeure sera le ciel.

Dépasse même la condition angélique et pénètre dans cet océan,

Afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer.(.../...)

Recherche continuellement le royaume de l'Amour Car ce royaume te fera échapper à l'ange de la mort.

Car je suis l'atome et je suis le globe du Soleil, A l'atome, je dis "demeure", et au Soleil "arrête-toi". Je suis la lueur de l'aube et je suis l'haleine du soir,

Je suis le murmure du bocage et la masse ondoyante de la mer. Je suis l'étincelle de la pierre et l'oeil d'or du métal...

Je suis tout à la fois le nuage et la pluie et j'ai arrosé la prairie.

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Purifie-toi du moi afin de voir et distinguer ta propre et pure essence.

Et contemple dans ton seul coeur toutes les sciences des prophètes,

Sans nul livre ni professeur, et surtout sans maître.

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CHAPITRE 13 - Zoroastre et les Pârsîs

Introduction

Les Pârsîs, ou Farsis, sont les héritiers spirituels des fidèles de Zoroastre qui émigrèrent d'Iran vers les provinces du nord-ouest de l'Inde au 8ème siècle. Persécutés par les musulmans, ils ne pouvaient plus pratiquer leur culte. La plupart des Perses se convertirent à l'Islam mais le culte zoroastrien persista chez les Guèbres, au centre du plateau iranien, à Yazd et Kerman. Cependant, de nombreux Persans s'installèrent en Inde, tout particulièrement à Bombay (Mumbai). Ils contribuèrent à développer la ville qui devint leur centre religieux. Ces Persans y furent appelés Pârsîs. Il existe d'autres petites communautés parsi aux États Unis et dans le monde anglo-saxon. Leur population décroît cependant régulièrement partout car les Pârsîs refusent les conversions et pratiquent un mariage obligatoire strictement endogamique. Les hommes ont du jadis porter la mitre et les femmes drapent encore le sari sur l'épaule gauche.

L’Iran antique du second millénaire avant J.C était pastoral, culturellement beaucoup plus proche de l’Inde que de la Mésopotamie urbanisée. Vers ~700, l'Ayryana Vaejö, l'Iran actuel, fut envahie par des peuples indo-européens nomades ou semi-nomades, les Parsu, apparentés aux Scythes. Les Indo-ariens apportent le sanscrit, une cosmogonie différente et une nouvelle vision du Monde. L’histoire de la Parsua bascule alors et sa philosophie aussi. Elles seront ensuite marquées par la figure de Zoroastre, Zartust ou Zarathustra, qui semble avoir vécu en Afghanistan avant la formation de l’empire achéménide. L’Iran pré-achéménide connaissait un vaste panthéon composite inspiré par la proximité sumérienne, les traditions des Scythes et des Mèdes, et l’influence du dualisme indien, (Varuna et Mithra). On y trouvait alors un conflit latent entre les deva, du jour et du ciel, et les asura, de l’enfer et de la nuit.

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La doctrine de Zoroastre détruit l'antique construction naturaliste assez hétéroclite. Elle coupe radicalement l’univers en deux sur le plan métaphysique, tout en réunissant synthétiquement ses parties dans Ahura Māzdā, l’unique créateur, le Boeuf, ou le Seigneur Sage. Il a engendré un Esprit double qui se manifeste sous deux formes jumelles librement choisies, Asa le lumineux, la Justesse, (ou Justice, ou Vérité), et Druj l’obscur, l’Erreur, (ou Mensonge, ou Tromperie). Ils deviendront ultérieurement les jumeaux Ohrmazd et Ahriman, la lumière d’en haut et les ténèbres d’en bas. Dans le dualisme iranien naissant, on distingue déjà radicalement les bons, les "asavan", et les méchants, les "dregvan". L’homme bon doit donc travailler à la reconstruction de son unité originelle pour retourner dans l’unique Ahura Māzdā. Le culte comporte aussi d'étonnantes pratiques funéraires très particulières que l'exposé tentera d'expliquer.

Le Mazdéisme et Zoroastre

Le zoroastrisme doit être comparé avec la religion indienne pour en comprendre la genèse. Ces deux religions avaient un Dieu Soleil originel commun, Mitra pour les Indiens et Mithra pour les Iraniens. Le Mitra originel indien a ensuite éclaté en trois dieux, Mitra, Aryaman et Varuna. Le dieu solaire iranien a gardé son unité. Il était le fils d'Ahura Māzdā qui semble avoir été originellement un dieu cosmique. Mithra était alors étroitement apparenté au Soleil et, dans la Perse antique, il était vénéré tout autant qu'Ahura Mazdā. Les Zoroastriens ont substitué le culte d'Ahura Māzdā en tant qu'Être Suprême à celui de Mithra, le Dieu Souverain. Pour cela leur religion est appelée "Mazdéisme". Zartust ou Zarathustra ou Zoroastre semble avoir vécu en Afghanistan avant la formation de l’empire achéménide. Dans les Gātā, des hymnes sacrés qu'il aurait composés, il apparaît comme un prêtre rénovateur inspiré par Ahura Māzdā.* Dans la religion mazdéenne, l'origine des entités rivales, Ohrmazd, (Ahura Mazda),et Ahriman, (Angra Mainyu), est passée sous silence. L’homme est un enjeu dans leur duel éternel. Pour vaincre définitivement Ahriman, la Ténèbre d’en bas, Ohrmazd, la Lumière d’en haut, crée le monde terrestre dans le temps et l’espace. Dans son essence, cette création est spirituelle. La matière n’est qu’un état

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second. Après la création des Bienfaisants immortels, le monde matériel est créé en six périodes ou saisons, le Ciel, l’Eau, la Terre, les Plantes, le Boeuf premier-né, et le premier Homme Gayömart. La Fravasis de chaque homme, c'est à dire son âme spirituelle, peut choisir de demeurer éternellement à l’état spirituel ou de s’incarner pour participer au combat. A chaque acte créateur d’Ohrmazd correspond une création opposée d’Ahriman avec laquelle il attaque toute la création et la dégrade. Et c’est ainsi que l’homme devient mortel. Zarathushtra postule qu'Ahura Māzdā est immortel par essence, le seul dieu du Bien, l'incarnation de la Lumière, de la Vie et de la Vérité. Il condamne les anciennes pratiques telles le culte du Haoma, (le suc d'ephédra qu'on retrouve dans le Soma indien), ou le sacrifice du Taureau, animal réputé sacré, et tous les autres sacrifices sanglants. Le Feu devient simplement un symbole concret de la Lumière divine. Il n'est plus divinisé mais vénéré comme l'aspect éminent d'Ahura Māzdā. La voie que prêche Zoroastre est celle de l’adhésion à la Justesse et à la Vérité, manifestée en pensées, en paroles, et en actes. En choisissant la Justesse, on refuse l’Erreur. A la Bonne pensée s’oppose la Mauvaise, à l’Esprit Saint s’oppose le Destructeur, et ainsi de suite. L’existence actuelle est régie par des couples opposés d’entités qui se sont substitués à l'harmonieuse hiérarchie divine originelle qu'il faut continûment s'attacher à restaurer. Le destin complet du monde s’accomplit en quatre périodes de trois mille ans chacune, soit douze millénaires au total. La première période, celle de Zartust (Zarathustra), commence avec l’histoire telle que que nous la connaissons. La seconde est celle d’Usetar, son premier fils. Elle finira par l’hiver de Malkus, un mythe analogue à celui du déluge. La période suivante est celle d’Usetarmah, second fils. Elle se terminera en catastrophe. La dernière période, celle de Sösyans, troisième fils, sera celle du sauvetage des hommes et de leur retour aux origines. Zartust (Zoroastre) réapparaîtra comme le sauveur du genre humain. Gayomart ressuscitera le premier suivi de tous les autres hommes qui seront jugés par Isatvastar, un fils de Zartust. Ils subiront éternellement sur eux-mêmes toutes les conséquences de leurs actes. Ce sera le début du règne d'Ahura

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Māzdā, tandis qu’Ahriman, vaincu, retournera éternellement dans sa Ténèbre.

Ormazd et Ahriman

Au sommet du panthéon zoroastrien décrit dans les Gāthā, on trouve donc Ahura Māzdā, l'Être Suprême. Il est manifesté par deux formes jumelles et opposées, Spenta Mainyu, Ohrmazd, l'Esprit Bénéfique, (ultérieurement identifié à Ahura Māzdā), et Angra Mainyu, Ahriman, l'Esprit Mauvais, incarnation du mal, des ténèbres et de la mort. Spenta Mainyu est accompagné de six groupes de créatures divines, les Amesha Spenta, (Bienfaisants Immortels), ou yazata, qui sont Vohu Manō, (la Bonne Pensée), Asha Vahishta, (la Meilleure Rectitude), Xshathra Varya, (l'Empire Désirable), Spenta Armaiti, (la Pensée Parfaite), Haurvatāt, (l'Intégrité), Ameretāt, (la Non-Mort). Pour sa part, Angra Mainyu est aidé par des démons faux et malfaisants, les daēva, dont le nom évoque les antiques dieux indo-européens, les deva du Rig-Veda et du monde indien où ils ont conservé tous leurs caractères de déités bienfaisantes.

Dans la pensée de Zoroastre, on voit déjà apparaître la structure doctrinale qui prépare le Manichéisme tout autant que le récit du combat de l'Apocalypse, dans la plaine d'Armageddon. Ohrmazd est assisté des Bienfaisants Immortels qui deviendront les Anges et les Archanges du Bien et de la Lumière. Ahriman, le prince infernal des démons, est le modèle des Satan, Lucifer ou Belzébuth du futur. Après la mort, les âmes attendent trois jours près du corps défunt, puis elles vont vers le jugement rendu par Mithra, Sraosha et Rashnou, guidées par une femme symbolisant leur conscience. Elles franchissent le pont Cinvat reliant la Terre au Ciel. Il est large voie pour les âmes justes qui accèdent à la Maison des Chants. Il est étroit comme la lame d'un sabre pour les méchantes âmes jetées pour mille ans dans l'abîme. Et toutes attendent en ces lieux la victoire finale d'Ahura Māzdā pour accéder au Paradis. Les prêtres mazdéens traditionnels, les Mages, n'ont pas accepté facilement le zoroastrisme. Ils ont voulu l'influencer à leur avantage.

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Depuis des siècles, ils formaient une caste héréditaire aux fonctions bien établies. Naturellement, ces mages conservateurs constituent le clergé de la nouvelle religion. Ils refusent la réforme en maintenant les sacrifices d'animaux et la consommation euphorisante du "haoma" sacré. Ils font réapparaître les cultes d'anciens dieux comme celui d'Anâhita, déesse de l'eau, et surtout celui de Mithra, dieu solaire et guerrier qui présidait aux sacrifices de taureaux et aux rites du "haoma". Transporté ultérieurement hors de la Perse, le culte de Mithra devint une religion monothéiste initiatique et austère, fort populaire parmi les soldats. Son symbole était le Soleil, brillant et invincible. Appelé à Rome, le Sol invictus, le Mithriacisme faillit y évincer le Christianisme débutant. Comme dans bien des religions issues de l'antiquité, une caste sacerdotale héréditaire est aujourd'hui chargée de la célébration des cultes et rituels. Cette hiérarchie complexe est placée sous l'autorité du zarathushtrotema, un chef religieux. Originellement, il n'était soumis qu'au roi. Le grand prêtre est l'invocateur, le zoatar. Il célèbre collectivement l'office avec sept autres officiants. Les prêtres, les athravan, sont issus de familles déterminées. Le feu sacré est le symbole d'Ormazd, dieu de la Lumière. Abrité dans un vase de bronze posé sur une pierre, il doit brûler constamment dans les temples. Dans certains lieux, il brûlerait depuis plus de mille ans. Cinq fois par jour, le prêtre entre dans l'adarân, la chambre du feu. Il y célèbre un rite spécifique et récite des passages de l'Avesta. Pour que son haleine ne souille pas la flamme, le bas de son visage est masquée d'une étoffe blanche (paitidana).

Le Parsisme et les rites Depuis l'islamisation de l'Iran, le zoroastrisme s'est diffusé en Inde où il maintenant connu sous l'appellation de parsisme. Ses fidèles sont des Pârsîs ou Farsis. Quoique peu nombreux, ils occupent souvent des positions éminentes dans la société, surtout à Bombay. Le parsisme comporte des obligations éthiques personnelles et des rites sociaux qui concernent la vie de la collectivité. Chaque Parsi,

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homme ou femme, doit choisir entre le bien et le mal, en aidant au développement de la création positive d'Ormazd et en luttant contre l'oeuvre d'Ahriman. Il a un devoir absolu de pureté dans la pensée, la parole et l'action. Son engagement est marqué par le port d'une tunique blanche, le sudreh, et d'une ceinture de laine, le kûshi, qu'il reçoit lors de la cérémonie d'initiation appelée naojote, au plus tard à 15 ans. En principe, il ne peut quitter sa tunique salie ou usagée que pour en changer (avec les prières et rituels appropriés). La naissance ne paraît marquée par aucun rite particulier, mais l'enfant peut être présenté au temple lorsqu'il a un an pour être béni par le prêtre et marqué au front avec de la cendre du Feu sacré. Le mariage est obligatoire et la stérilité est une malédiction. Certains rites anciens peuvent être repris comme le bain de la mariée. En principe, les Parsis ne se marient qu'entre eux. Dans la Perse antique, il était absolument interdit d'épouser un infidèle. Leur seul contact reste une source de souillures. Si l'on a mangé de la nourriture étrangère ou si l'on a voyagé, il est faut effectuer des rites purificateurs. La transgression des valeurs traditionnelles est un péché qui doit être confessé à un prêtre et puni. Certains péchés ne peuvent être rachetés ni dans ce monde ni au delà, notamment la contamination de la terre, de l'eau, du feu ou de l'air, y compris par l'ensevelissement ou la crémation des défunts. Le zoroastrisme issu de l'antique religion indo-iranienne n'est pas monothéiste même si les divers dieux sont conçus comme des expressions d'Ahura Māzdā, le Seigneur Sage. Les quatre éléments ont ainsi conservé une grande part de leurs caractères divins originels. Au delà du sacré, ils sont perçus sur divers plans ésotériques complexes. Il y a trois sortes de feux rituels, cinq sortes de feux de la nature, et même une acception particulière du feu qui manifesterait la nature ardente du fluide vital, mâle et solaire, fondamental. C'est aussi par le Feu divin que les offrandes parviennent à l'Être Suprême. Avant Zoroastre, il s'agissait de sacrifices d'animaux dont une partie était brûlée, le reste étant consommé par les fidèles. En ces temps, on sacrifiait un boeuf, plus souvent un mouton (qu'on appelait boeuf sacré). Et c'est face au Feu ardent sacré que l'on pratique maintenant le sacrifice salvateur du Haoma.

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Le Haoma en Iran, appelé Soma en Inde, est extrait de la plante Ephedra, (Ephèdre, ou Raisin de mer). Cet arbuste à fleurs jaunes et baies rouges contient naturellement des alcaloïdes dont l'adrénaline et l'éphédrine. La médecine chinoise l'utilise encore aujourd'hui. Avant Zoroastre, on faisait fermenter le suc pour ajouter l'ivresse aux effets euphorisants. Le dieu Haoma réside dans chaque plant comme la déesse des eaux réside dans chaque source. Il faut broyer la plante pour en extraire le jus, et c'est alors le dieu qui meut supplicié pour fournir le breuvage sacré ouvrant la voie d'immortalité. La cérémonie du Haoma est donc un sacrifice rituel impliquant la mise à mort effective du dieu. Son sang est offert au Feu divin, témoin d'Ahura Māzdā, puis consommé au bénéfice des hommes. D'abord réservé aux hautes castes puis aux initiations, il est maintenant accessible à tous les fidèles.

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Influences du Mithraïsme

Nous avons vu l'importance prise par le culte de Mithra, dieu solaire et sauveur des hommes. Le monde hellénistique tendit à l’assimiler à Hermès. Il était la lumineuse image du Soleil, violent et guerrier, impossible à vaincre. Assimilé tardivement au Sol Invictus d’Aurélien, son importance devint considérable, surtout chez les militaires. Selon ce mythe, et sur l’ordre du Soleil apporté par un corbeau, Mithra met à mort un taureau qu’Ahriman vient d’infecter pour vicier la source de la vie dans le monde. Avant qu’il soit corrompu, il répand le sang de l'animal. De cet épanchement, Mithra fait naître les plantes et les autres créatures. Il arrache ses proies à l’Esprit du Mal et monte sur le char du Soleil. Il est donc à la fois démiurge et sauveur. Le culte solaire fut lancé à Rome par Aurélien qui fit élever un temple magnifique en 274. La fête de la renaissance du Soleil fut fixée au 25 Décembre. L'initiation de Mithra comportait sept degrés. La communauté est dirigée par le Père qui porte une mitre, une baguette et un anneau. Á Rome, le Père des Pères était le chef suprême de l’église. Les initiation comportaient un baptême d’eau, un marquage au fer rouge, et un simulacre de mise à mort. Les premiers temples sont des grottes naturelles où coulent des sources. Ils furent ensuite construits en pierres. Les fidèles s’allongent sur deux banquettes pour prendre les repas sacramentels. Un couloir central va des vasques de l’entrée jusqu’à l’autel de Mithra. La voûte est décorée d’étoiles et les murs ornés de peintures. Le culte est quotidien, mais l'on sanctifie surtout le Dimanche, jour du Soleil. Le sacrifice cultuel est suivi d'un repas commémorant le banquet de Mithra et du Soleil après la mort du taureau. On y partage aussi du pain, de l'eau et du vin (La vigne locale remplaçant l'éphédra du haoma perse Bien avant que le culte de Mithra gagne Rome, le zoroastrisme influençait déjà les cultures grecques et romaines implantées dans l'Est méditerranéen. On en retrouve la marque chez les Esséniens de Judée qui méritent un peu d’attention. Leur importance a été

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confirmée par la découverte des Manuscrits de la Mer Morte, en 1947 dans le désert, à proximité de Khirbet Qumrän, près des ruines d’un grand monastère essénien. Les manuscrits et les ruines de Qumrän authentifient divers textes qu'on croyaitt apocryphes et permettent d’identifier un groupe bien séparé du reste la société judaïque du ~1er siècle. L’ordre essénien était une communauté pratiquant le noviciat, le célibat, la mise en commun des biens, la charité fraternelle, une discipline austère, et le strict respect de la Loi de Moïse. Les Esséniens se disent détenteurs de révélations secrètes ésotériques et de la connaissance du temps.

La pensée essénienne semble avoir été influencée par les Iraniens dualistes. Ils croient que le monde est l’objet de l’affrontement de deux puissances invisibles, les Esprits de Lumière de l’armée de Dieu, et les Esprits des Ténèbres commandés par Bélial. Ils seraient la communauté mère autour de laquelle le Peuple préparera la victoire de la lumière sur les ténèbres et l’établissement du Royaume. Une guerre apocalyptique opposera Israël aux fils de perdition promis à la destruction. Ils attentent un messie-roi suivi d’un messie-prêtre avant les temps eschatologiques de la fin du Monde. La doctrine du Christianisme originel est fondamentalement eschatologique. Les nouveaux Chrétiens croient en la fin du Monde imminente. Le Salut approche, le Mal sera vaincu et le royaume de Dieu fondé. Un nouveau ciel et une nouvelle terre seront créés, et la nouvelle Jérusalem apparaîtra descendant des cieux. Le Mazdéïsme a influencé d'autres formes de pensée. On a voulu y rattacher la Gnose qui était un système de pensée partiellement issu du Vêdânta indo-iranien. C'était initialement une vision métaphysique considérant que le Monde divin et le Monde où nous vivons appartiennent à deux natures distinctes. La dualité professée par la Gnose diffère sensiblement du système indo-iranien. Le Manichéisme en est beaucoup plus proche. Mani était un Parsi qui professait une religion synthétisant celles de Zoroastre, de Bouddha et de Jésus. L'homme primitif serait né de la confrontation du Bien et du Mal. Le mal ayant triomphé, l'homme actuel n’est pas le fils de Dieu mais l'enfant du Diable. Malgré la fin tragique de Mani, le manichéisme se répandit très largement en Orient comme en Occident, pendant plus de mille ans. Il a engendré divers

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prolongements dont les Mazkadites iraniens, les Zandaqa musulmans, les Pauliciens byzantins, les Bogomiles bulgares, les Patarins rhénans, et les Cathares italiens et français.

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Les Tours du Silence

Chez les Zoroastriens, les quatre éléments fondamentaux sont sacrés ainsi que la vie qui est un don divin d'Ahura Māzdā, Dieu père et lumineux. La mort et la décomposition des corps sont l'oeuvre d'Ahriman, Démon et Prince des ténèbres. L'inhumation et la crémation des morts souilleraient la Terre ou le Feu, et elles sont donc interdites. Cela conduit à des pratiques très spécifiques. Traditionnellement, en Iran et en Inde, les corps dénudés des Farsis devaient être exposés sur des dalles de pierre au sommet des Tours du Silence, les dakhmâ, pour y être rituellement consumés par les rayons du soleil, puis leurs ossements devaient être déposés dans la fosse centrale. Les Nasālāsar, un groupe de Pârsîs spécialisés, prenaient en charge les corps de défunts pour les mener du domicile jusqu'à la Tour. Leurs parents pouvaient les accompagner mais n'y entraient pas. Ils priaient dans une petite chapelle voisine.

Ceci fut longtemps la sombre réalité cachée au sommet des Tours du Silence.

C'était la face obscure des Pârsîs. Mais les vautours sont déjà partis,

Et les tours s'effondrent lentement dans le passé. La face lumineuse d'Ahura Māzdā demeure encore, comme l'antique dieu indo-iranien de vie et de vérité

Au 19ème siècle, les occidentaux découvrirent les pratiques funéraires des Pârsîs. Ils en firent des récits terrifiants. Il est probable qu'à l'origine les cadavres étaient simplement exposés au soleil. En fait, ils étaient inévitablement décharnés par les oiseaux et les vols des vautours furent bientôt associés aux funérailles. Lorsque les Pârsîs étaient très nombreux, il y avait beaucoup de cadavres et plus encore de rapaces. La situation a beaucoup changé. La modernité s'est installée et les

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activités des vautours horrifiaient et dérangeaient énormément le voisinage. Puis le nombre des Pârsîs a diminué et l'urbanisation a définitivement chassé les vautours. Les autorités sanitaires ont été forcées d'agir. En Iran, les Tours du Silence ont été autoritairement murées et l'exposition des cadavres est absolument interdite depuis 1978. Les corps sont maintenant coulés dans des blocs de béton et ces lourds sarcophages sont inhumés.

En Inde, en raison de l'importance et de l'influence de la communauté, la situation est politiquement beaucoup plus délicate. Il resterait encore cinq tours à Bombay, qui semblent être cachées au milieu d'un cimetière jardin boisé de 22 hectares, le doongerwadi, dans le quartier huppé de Malabar Hill. Ces anciens réservoirs de béton de 30m de diamètre placés sur de haut piliers poseraient aujourd'hui un grave problème d'hygiène publique. Il reste 60 000 Pârsîs à Bombay et il y a donc plusieurs décès par semaine. Au temps des vautours, les cadavres étaient décharnés dans la journée. Malgré l'utilisation de produits chimiques, leur dégradation nécessiterait maintenant six mois. La communauté doit donc engager une adaptation qui ne se fait pas sans conflits. La question ne sera réglée que par une forte évolution des usages. Celle-ci est en cours mais la résistance des grands responsables religieux est importante.

La tradition de l'exposition des cadavres au soleil est en effet très ancienne. On en trouve déjà la trace dans les récits d'Hérodote. Il semble pourtant que la doctrine laissée par Zoroastre ne prescrive rien d'obligatoire en ce domaine. Une association prône activement le renoncement radical à la tradition, laissant chacun choisir entre crémation ou inhumation. On a aussi essayé des miroirs solaires pour dessécher les corps. Des élevages de vautours ont même été proposés. Le Zoroastrisme est fondamentalement tout autre chose. C'est d'abord un culte rendu à la lumière divinisée. Il fut longtemps la religion

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d'état de l'Iran antique. La cosmogonie qui le fonde a marqué les civilisations anciennes dans leurs histoires comme dans leurs cultures. Même en Occident, les religions traditionnelles en conservent encore aujourd'hui la marque indélébile dans leurs doctrines, leurs rites, leurs ornements et objets sacerdotaux..

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CHAPITRE 14 - Le Bardö Thodol, (ou livre des morts),

dans le Bouddhisme tibétain.

Introduction

Le Bardo Thödol tibétain a été comparé au Livre des Morts égyptien. On peut trouver certaines analogies entre les deux recueils qui ont également pour objet d'assister les défunts après la mort du corps physique. Leurs âmes entreraient alors dans un "monde intermédiaire" avant de se fondre dans le mystère originel. Mais il y a cependant énormément de dissemblances dans les formes, les époques, et surtout les desseins. Le Bardo Thödol, (le livre tibétain des morts), est récité en présence du corps défunt mais il est aussi destiné à aider les vivants. Il présente les étapes de la traversée du monde intermédiaire à la lumière des enseignements du Bouddhisme. Il décrit le chemin qui peut mener de la fin de la vie biologique du corps à une vie éternelle purement spirituelle, le Nirvana.

Le Livre des morts égyptien est intégré à un environnement magique et technique centré sur la fin de la vie terrestre et la mise au tombeau. Il est déposé dans le sarcophage et il est associé à une pratique de momification et à des offrandes destinées à retarder le processus de la mort totale. Ses formules veulent aider l'âme à affronter efficacement le jugement. Elles apportent aussi les connaissances nécessaires à la survie dans un monde intermédiaire différend et parfois dangereux, peuplé de dieux et de démons multiples et réels, avant la fusion dans l'au-delà ultime. L'Égyptien désire toujours demeurer en deçà de la mort véritable. Mais dans l'univers ésotérique

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assez sinistre des Égyptiens, Isis, mère de tous vivants, est une veuve éternelle, et Osiris est un dieu mort, à jamais immobile.

Le "livre des morts" tibétain se propose d'accompagner l'âme égarée en l'aidant à se détacher des attraits de l'incarnation dans la matière. Il l'incite à les reconnaître comme des illusions fomentées par le mental, comme le sont aussi les dieux et les démons multiples. Dans le monde intermédiaire, cette prise de conscience pourrait permettre d'échapper aux perpétuelles réincarnations. Positionné dans une démarche essentiellement métaphysique, le Tibétain voudrait dépasser toutes les illusions du monde qui sont la cause du cycle des renaissances, afin de se fondre un jour dans l'au delà de la réalité divine. Le Bardo Thödol tend à sublimer la mort physique et les épreuves du passage pour faire accéder l'âme à cette vie spirituelle ultime, la fusion dans l'éternel Nirvana de la vie divine.

Le Bouddhisme.

C'est Siddhartha Gautama qui fonda le Bouddhisme, il y a environ 2500 ans. Il était de la lignée princière des Shâkya. Siddharta Gautama renonça aux avantages procurés par sa famille et, après plusieurs années d'ascèse inutile, s'orienta vers la méditation. Après quarante-neuf jours de réflexion profonde sous l'arbre "Bodhi", il perça le mystère de la souffrance et atteignit l'illumination. Siddhartha devint alors un "Bouddha", ce qui signifie un "éveillé", et il commença à enseigner. Sa doctrine se présentait seulement comme une solution philosophique au problème de la douleur. Elle ne postulait rien sur l'existence ou la non-existence d'un Dieu. Elle est cependant maintenant perçue comme une véritable religion et elle est diffusée comme telle dans le monde entier.

En se basant sur sa propre expérience de l'illumination, Gautama formula sa théorie des "Quatre Nobles Vérités":

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• La vérité de la douleur, comme synonyme de l'attachement à l'existence terrestre, et la captivité de la chaîne des renaissances.

• La vérité sur l'origine de la douleur, notamment l'aspiration et la recherche de joie, désir et possession.

• La vérité sur la cessation de la douleur: la destruction de la soif existentielle.

• La vérité sur le chemin qui mène à la cessation de la douleur. Cette voie s'appelle le "Noble Sentier Octuple" dont les huit étapes sont les suivantes: La compréhension juste. La pensée ou l'intention juste. La parole juste. L'action juste. Les moyens d'existence justes. L'effort juste. L'attention juste. La concentration juste.

hacun peut parvenir à l'illumination en suivant ce "noble sentier octuple". En ce chemin, il trouvera l'aide nécessaire auprès des "Trois Joyaux" traditionnels qui sont les trois éléments fondamentaux du bouddhisme.

• Le premier joyau est le Bouddha, la figure historique et sacrée de "l'Éveillé".

• Le second joyau est le Dharma, la doctrine ou vérité révélée par Gautama Bouddah. Elle est également la loi cosmique universelle, "le Grand ordre" auquel le monde est soumis.

• Le troisième joyau est la Sangha, la communauté des adeptes vivant conformément à cette vérité révélée.

Le contexte bouddhique du Bardo Thödol.

Le Bardo Thödol, le Livre des Morts tibétain, est un ouvrage composé à la lumière des enseignements du Bouddhisme Mahayana, dans son expression tibétaine particulière appelée Vajrayana. Il existe en effet trois courants dans la pratique du Bouddhisme.

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Le Hinayana, ou Petit Véhicule. Il s'inscrit dans la tradition des Theravada, la pure doctrine enseignée par Gautama. Il ne concerne que les moines qui apprennent individuellement à éviter la souffrance et à se libérer du cycle perpétuel des réincarnation afin d'accéder au Nirvana.

Le Mahayana, ou Grand Véhicule, (ou voie du milieu). En plus des moines, ce courant propose de délivrer tous les hommes en recourrant à l'aide des bouddhas et des bodhisattvas. Aidé dans sa recherche d'absolu, l'adepte doit aussi oeuvrer pour le bien général de l'humanité.

Le Vajrayana, ou Véhicule de Diamant, est surtout pratiqué au Tibet et au Népal. Issu du Mahayana, il est très ritualisé. Chaque être doit prendre conscience qu'il est un bouddha en puissance et travailler à sa réalisation. Les textes "tantra" décrivent le chemin permettant d'atteindre ce but en une seule vie. L'initiation nécessaire est donnée par un maître, le Guru. On y pratique des contemplations, des récitations de mantra, et divers rites ou mudra. L'objet de culte le plus caractéristique est le "Vajra", qui a donné son nom au courant tibétain du Vajrayâna. C'est un objet liturgique formé de deux couronnes accolées à la base. Le Vajra est le diamant indestructible, la foudre ou l'éclair. Il symbolise le dynamisme masculin. La "Ghantâ", la cloche, symbole féminin, lui est associé dans les rites du bouddhisme tantrique.

Origine et vocation du Bardo Thödol

Dans la tradition bouddhique tibétaine des réincarnations, il y a six mondes et six époques de la vie. Il y a aussi six passages à franchir pour se libérer du cycle perpétuel des réincarnations et

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atteindre l'état de bouddha afin d'accéder au Nirvana. Trois se situent entre la naissance et la mort, les trois autres entre l'agonie et la nouvelle naissance. Le Bardo Thödol contient une partie des instructions nécessaires à ce chemin, et il insiste particulièrement sur la seconde série. Il fut dicté par un adepte, Padmasambhava, à sa femme, Yeshe Tsogya, qui écrivit les textes. Pendant les violents conflits religieux avec les Taoïstes, Padmasambhava les enterra dans les collines de Gampo au Tibet central, pour les protéger. A cette époque troublée, de nombreux "termas", ou trésors cachés, furent ainsi enterrés dans tout le Tibet. Plus tard, Karma Lingpa, la réincarnation de l'un de ses disciples, retrouva le texte du bardo prés du monastère du grand maître Gampopa.

Les six Bardo

Pour aborder le Bardo Thödol, il faut d'abord bien comprendre l'idée de base sous tendue par le mot "bardo": bar, signifie "entre", et do "île", ou "marque". C'est donc un espace entre les choses, comme une île au milieu d'un lac. Une situation vient d'avoir lieu et une autre situation n'est pas encore en place. Il y a un intervalle entre les deux. Tel est le bardo. Les Tibétains distinguent six états du Monde. Il y aurait donc, dans l'existence, divers bardo ou situations de passage. Dans la philosophie bouddhiste de la réincarnation perpétuelle, il ne peut y avoir de mort sans naissance. On peut donc appliquer ce concept à l'espace expérimenté entre la mort actuelle et la nouvelle naissance.

Les enseignements du Bardo Thödol considèrent six " bardo" ou

périodes intermédiaires:

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La vie entre la conception et la mort. Le premier bardo concerne l'intervalle entre le moment de l'entrée de l'âme dans la matrice maternelle et le moment de l'extinction de l'existence physique. Dans la tradition tibétaine, l'âme réincarnée n'est pas vierge à la conception mais marquée par les empreintes karmiques laissées par les actes commis dans les existences passées. Ce karma détermine la durée de la nouvelle incarnation. Les actes et les hasards de la vie actuelle vont y ajouter leurs propres empreintes.

Le rêve. Le deuxième Bardo est, sur un plan plus subtil,

l'expression actualisée de toutes ces empreintes karmiques dans le corps mental. À partir de la naissance, l'âme incarnée prend conscience du monde extérieur au moyen des sens. Lorsque l'on s'endort, ces parcelles de conscience rejoignent la conscience basale (alaya vijnâna). Pendant le sommeil, elles s'éveillent et déterminent les types et le décours des rêves. Elles marquent la conscience de base puis se résorbent en elle.

La concentration. Le troisième Bardo est l'espace dans lequel

agit le processus purificateur volontaire de concentration et de méditation qui pourra permettre à la qualité divine de l'âme de s'exprimer.

L'agonie. Le quatrième Bardo, le Tchika Bardo ou Bardo de

l'agonie, est celui des moments entourant la mort. C'est le karma provenant des vies passées qui détermine la durée de la vie. Le moment de la mort survient quand il est épuisé. L'âme et le corps mental se séparent du corps physique et il n'y a plus de réveil. Le processus de mort dure environ trois jours et demi. C'est la période des dissolutions que nous allons approfondir un peu plus tard.

La luminosité. Le cinquième Bardo est dit de la Dharmatä. C'est

celui de la nature intrinsèque de la réalité absolue ou divine. Après la dernière dissolution, l'âme expérimente la lumière, l'ineffable clarté de la divinité ultime. Pour les mystiques, cette période peut durer très longtemps, mais pour les êtres

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ordinaires, elle s'efface aussitôt pour faire place au dernier Bardo.

Le devenir. Le sixième Bardo est le Bardo de l'orientation. C'est

un passage dramatique qui détermine l'avenir prochain de l'âme du défunt. Son corps mental va s'orienter dans des états infernaux purificateurs ou paradisiaques. En fonction de l'évolution des charges karmiques réalisée dans la vie achevée, la nouvelle naissance va se faire, soit dans un corps physique éventuellement encore plus grossier, soit dans un corps mental plus subtil.

Le quatrième passage, le Tchika Bardo.

Les trois premiers Bardo sont des passages entre différents états de l'incarnation de l'âme dans un corps vivant de sa vie quotidienne. Les trois Bardo suivants sont ceux du passage à travers la mort jusqu'à la réincarnation suivante. Puisque j'expose ici les conceptions tibétaines du passage de l'âme à travers la mort, c'est donc à partir du quatrième intervalle, le Tchika Bardo que je vous propose d'approfondir cette étude. Cette période délicate constitue le Bardo de l'agonie. C'est pendant ce temps, selon la tradition bouddhiste, que le phénomène des dissolutions externes et internes se produit. Les dissolutions externes sont des transformations visibles ou des séparations progressives intéressant successivement les cinq éléments constitutifs du monde ésotérique tibétain, la terre, (principe de cohésion), l'eau, (principe de fluidité), le feu, (principe de chaleur), l'air, (principe de mobilité), et l'éther qui est l'espace ouvert pour les quatre autres. Elles sont accompagnées de signes biologiques évidents. La force physique s'amenuise, les humeurs

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liquides se tarissent, la chaleur corporelle diminue, la respiration s'affaiblit puis cesse et la raideur de la mort survient. Les dissolutions internes (ou subtiles) succèdent aux dissolutions internes. Elles concernent les pensées et les émotions telles la colère, l'envie et l'ignorance. Par exemple, trente-trois énergies liées à la colère se dissolvent, puis quarante autres liées à l'envie, puis sept liées à l'ignorance, etc.. Toutes ces dissolutions subtiles se produisent dans le corps mental. L'agonisant perçoit les signes des dissolutions externes et internes. Elles se traduisent par des visions parfois effrayantes. Il appartient aux personnes présentes d'intervenir pour adoucir et harmoniser cette transition de l'agonie qu'on appelle Tchika Bardo. Le livre expose les interventions et les prières possibles ainsi que les méthodes de méditation praticables pendant le processus de l'agonie. Il conseille aux vivants d'éviter de retenir le mourant par une sollicitude excessive. Il propose aussi des exercices à mener pendant la vie pour se préparer à contrôler consciemment le processus de sa propre mort. Ces exercices spirituels sont cependant transmis prudemment par le maître à ses disciples pour éviter de perturber trop profondément leurs esprits.

Après la fin des dissolutions subtiles, commence le cinquième Bardo, celui de la lumière. L'âme y expérimente la véritable réalité du Monde avec la clarté de sa conscience divine. L'agonie est une situation d'incertitude pendant laquelle l'agonisant peut pas savoir s'il est en train de mourir ou s'il pourra survivre. Cette situation procure un certain recul qui lui permet de voir l'existence d'un point de vue différent. Dans les six mondes des vivants, il a expérimenté l'action de principes opposés, le bien et le mal, le plaisir et la souffrance. Il se détache maintenant de ses expériences passées et porte sur ces six mondes un nouveau regard basé sur les différents types d'instincts.

Les descriptions des six mondes matériels et subtils sont à l'origine des concepts de "samsãra", (la notion d'existence phénoménale) et de "dharmakãya", (le passage dans la condition de "l'éveil"). Nous le retrouverons donc dans le passage par la conscience claire, le Bardo de la Dharmatã accompagné de toutes ses visions.

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Le cinquième passage, le Bardo de la Dharmatä.

Dans la pensée tibétaine, le processus de la mort biologique dure environ trois jours et demi. Pendant cette période, on peut chuchoter des passages du Bardo Thodöl à l'oreille du défunt qui est supposé pouvoir encore les entendre. Il peut alors être guidé à travers le passage du bardo de la dharmatã qui est le passage par l'expérience de la luminosité divine. Le terme Dharmatã concerne la nature intrinsèque véritable des choses, leur pure qualité d'être. Le Bardo de la Dharmãta est donc l'intervalle de la conscience claire, de la vérité et de la disparition des illusions. Le dharmakãya, le corps de vérité permettra d'accéder à la base fondamentale et neutre de l'être.

Dans ce cinquième bardo, le défunt voit apparaître ce qu'il a fait, ou pensé, dans son corps terrestre. Il perçoit aussi tout ce qu'il aurait pu faire et n'a pas réalisé durant sa vie, et tout ce qu'il a laissé s'épanouir ou pas. La traversée de ce bardo conduit au dharma, à la vérité, mais elle est encore reçue en termes de samsãra, (l'existence phénoménale). Cet espace à franchir entre le samsãra et la vérité, ce bardo de la dharmatä, est celui qui permet la manifestation des cinq énergies, (les cinq tathãgatas), et la vision des divinités paisibles et terribles. Mais l'âme du défunt ne supporte pas toujours cette clarté. Elle passe alors directement au bardo de l'orientation.

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Dans la dharmata, la véritable nature de la réalité se manifeste par une communion avec des énergies qui ont des analogies avec les éléments constitutifs de l'existence phénoménale, terre, feu, eau, air et espace, mais qui ont maintenant les qualités d'éléments subtils. La manifestation peut prendre diverses formes, sons, forces, ou lumières, par exemple. Ensuite, des divinités apparaissent, les tathãgatas. Elles sont les formes personnifiées des impulsions intellectuelles ou sensibles du vivant qui mobilisent ces énergies.

Les divinités paisibles sont les premières à se manifester. Ce sont les personnifications de tous les sentiments humains positifs, altruistes, esthétiques et pacifiques, contenus dans le cœur. Elles se manifestent cependant dans une autre dimension, celle d'une paix immuable et absolue qui peut effrayer car elles ne réagissent à aucune tentative de communication. Elles sont seulement le contenu énergétique de la conscience. Si le défunt comprend que ces visions sont ses propres créations, il fusionne avec elles et se libère. Il se dissous dans la non-dualité et devient un bouddha.

Sinon, il doit faire l'expérience des divinités féroces, les Hérukas. Les mêmes archétypes génèrent alors une expression nouvelle. L'énergie étant ici activée par la crainte, la passion, ou l'intellect, les divinités paraissent irritées et hostiles. Car l'unité n'est pas qu'énergie paisible et harmonieuse. Ces visions expriment le contenu énergétique de la conscience appréhendé sous la pression de la peur. Si le défunt comprend qu'elles ne sont que ses créations, il fusionne avec elles, se libère et devient un bouddha. Dans la conception tibétaine, aucun être humain n'a d'existence individuelle réelle, et aucune de ces divinités non plus. Les expériences du bardo seront différentes selon les convictions de chacun. La traversée de la mort est toujours le reflet de l'existence actuelle et des existences passées.

En fonction de la façon dont elles ont été vécues, en bien ou en mal, avec générosité ou égoïsme, l'agonie, la mort, puis le devenir de l'âme dans la renaissance ou la transcendance adviennent conformément aux orientations karmiques correspondantes. "C'est l'instant du souffle dernier où le défunt, dans une plénitude de paix et de bonheur, se prépare soit à quitter définitivement le monde, soit à

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parcourir à nouveau tout le cycle, de la naissance à la mort, riche d'une sagesse nouvelle: la connaissance de la nature illusoire de la vie". C'est pourquoi surviendra un sixième passage, le dramatique Bardo du devenir. Et si la sortie transcende du cycle perpétuel des réincarnation n'est pas enfin réalisée, une nouvelle naissance suivra dans un corps physique éventuellement encore plus grossier ou dans un corps mental plus subtil.

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Le sixième passage, le Bardo de l'orientation.

Toutes les âmes sont soumises à l'implacable loi du "Samsara", la migration. Le cycle des existences est une suite de renaissances successives dans des milieux existentiels différents. Nul ne peut y échapper tant qu'il ne s'est pas délivré de la haine, du désir et de l'ignorance. L'âme qui n'a pas encore atteint l'état de Bouddha explore alors les différents domaines subtils possibles. Elle s'oriente obligatoirement vers celui qui correspond à sa propre situation karmique actuelle. C'est dans ce domaine, ou royaume, que la nouvelle naissance va se réaliser et qu'un nouveau cycle existentiel sera expérimenté.

Le premier domaine exploré par l'esprit est celui d'un monde infernal. Il est la contrepartie des actes accomplis sous la pulsion de sentiments haineux. C'est la haine instinctive fondamentale qui construit l'enfer dans le mental. Les bouddhistes en ont imaginé de brûlants et de glacés, avec d'horribles supplices de broyage ou de découpe en morceaux. Afin que cesse cette situation épouvantable, l'agonisant doit prendre conscience que ce monde provient du retournement contre soi-même d'une lutte dont l'objet extérieur n'est plus.

Le second domaine est le royaume des pretas. Ces entités faméliques ne seraient pas des esprits incarnés mais des êtres subtils avides toujours affamés de désirs d'absorption et de possession, des goules insatiables. C'est cette avidité instinctive fondamentale qui crée ce royaume dans le mental. Elles sont régies par YAMA, le Seigneur de la Mort. Le mourant doit comprendre qu'il le suscite lui-même à partir de ses frustrations liées aux faims insatisfaites de sa vie physique.Le domaine suivant, le troisième, est celui du monde animal. C'est un royaume d'ignorance et d'inconscience. Dans leur concept de la réincarnation cyclique, les bouddhistes pensent que les animaux ont aussi une âme. Ils souffrent et sont engagés dans un chemin qui

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doit un jour les mener à l'illumination. Pour cela, ils peuvent nécessiter l'aide qu'un "éveillé" peut apporter.

Le quatrième domaine est le royaume intelligent des hommes. La passion y demeure, sous toutes ses formes, positives et négatives. Beaucoup d'appétits s'y incarnent sans toutefois atteindre généralement les excès des mondes inférieurs. Leurs contraires s'y manifestent aussi, comme la sensibilité et la générosité envers les autres, la tolérance et le désir d'autonomie et de progrès. On y trouve une très précieuse énergie d'élévation qui, devenue consciente, peut ouvrir la voie vers la libération.

Le domaine des "asuras", des anti-dieux ou dieux jaloux est le cinquième monde des instincts fondamentaux. C'est le royaume des princes de pouvoir. Leurs passions s'y manifestent dans des luttes ardentes et des rivalités jalouses. L'intelligence élevée s'y déploie pour conquérir le succès et la gloire. Ces combattants mentaux ressemblent à des titans cherchant à s'emparer des cieux. Ces tentations recréent l'obscurité de la haine et peuvent renvoyer les glorieux dans les mondes infernaux.

Le sixième domaine est le "devo-loka", le royaume d'orgueil, le monde peuplé d'êtres qui se sont élevés au dessus de la condition humaine. La fierté de leur réussite les maintient dans un état paisible permanent, le" samãdhi", qui leur apporte du plaisir mais les éloigne de la véritable libération. Il y a trois régions dans ce royaume divin. Celle du désir comporte six paradis plus ou moins édéniques. Celle de la forme pure en comprend seize essentiellement faits de lumière. Au delà, il y aurait encore quatre paradis sans forme. C'est en ce domaine que se situeraient les illusions les plus asservissantes et dangereuses de l'ego.

Cependant, à ce moment, certaines âmes parviennent à l'état "Bodhi", état de conscience que le Bouddhisme appelle " Éveil". C'est le stade ultime de la connaissance de la véritable

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nature du Monde et donc la révélation de la nature propre de l'âme qui est la nature de Bouddha. L'âme qui transcende cette suprême révélation atteint l'état Bodhi et sort du cycle des réincarnations. La Bouddhéité est à la fois un état de connaissance parfaite, de liberté totale et d'amour illimité. Cette capacité d'amour et d'immense compassion va pousser certaines de ces âmes à devenir Boddhisattvas.

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Dans le Theravada, le terme Bodhisattva désigne le Bouddha historique avant qu'il n'atteigne l'Éveil. Dans le Mahayana,"La

Noble Sagesse Suprême", le Grand Véhicule du Bouddhisme, les Boddhisattvas sont des êtres parvenus au bout du chemin de

l'illumination. "Bodhi" signifie "esprit illuminé" et "sattva" "être". Ces entités spirituelles d'un très grand mérite sont considérés comme

des divinités. Elles ont renoncé temporairement à entrer dans le "nirvana " afin de pouvoir mener tous les êtres du monde sensible

jusques aux portes de l'illumination. Elles n'y entreront elles mêmes qu'après l'entrée du dernier.

Rappelons ici que le Mahayana est le Grand Véhicule du Bouddhisme, le fondement de l'idée de l'unicité de l'être total. Dans ce concept, toute division est illusion et l'ultime vérité est la révélation de la non-dualité intrinsèque de l'être. Nous rencontrons ici la particularité de la pensée orientale par rapport à nos habitudes d'Occident. Nous opposons généralement les contraires, le blanc et le noir, le bien et le mal, etc.. Les orientaux les autorisent à cohabiter. C'est pourquoi, dans le symbole du yin yang, l'on trouve toujours du blanc dans le noir et l'inverse. Le Bouddhiste peut ainsi concevoir qu'un être spirituel ayant intégré l'essence du non-dualisme puisse se consacrer à libérer des êtres phénoménaux qui, dans sa révélation, sont déjà libres et inséparables puisque, sans le savoir, nous sommes tous déjà des Bouddhas. On peut ainsi concevoir que les boddhisattvas sont des sortes de ponts de diamant qui n'apparaissent et ne vivent que par le passage étincelant de l'illumination, laquelle pourtant confond les deux rives dans l'unicité de l'être véritable. Par conséquent et en ce sens, les boddhisattvas sont et ne sont pas et ils ont et ils n'ont pas de signification en dehors de cela. Au stade suprême du Bodhi, l'être éveillé réalise qu'il est un Bouddha et il atteint le "Nirvana". Mais nous sommes ici au coeur de la pensée orientale. Nous allons y découvrir une précision détaillée et une hiérarchie subtile, même dans cet situation de bouddhéité. Ces Bouddhas sont des hommes qui ont atteint la samyak sambohdi, c'est à dire la connaissance

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parfaite. Ils ont maintenant transcendé la condition humaine et ont acquis des qualités nouvelles.

La première qualité est l'état de "Vue Pénétrante", de "Connaissance parfaite" de soi-même et des autres, de "Sagesse" et de "Conscience" en ce qui concerne les êtres et le choses, la nature et l'univers tant subtil que phénoménal. La réalité apparaît avec ses caractères véritables, éternelle et absolue mais toujours changeante et transitoire.

La seconde est l'état de "Liberté" et d'autonomie. La

libération des chaînes du Karma, du cycle des renaissances et des souillures existentielles provoque un état de pureté sublime et entraîne une immense créativité spirituelle.

La dernière capacité acquise est la qualité d'émotion

universelle. Elle se manifeste par un amour extrême et une compassion illimitée étendus à tous les vivants. Et c'est aussi un état permanent de joie et de bien être et d'extatique.

Un Bouddha est un être humain ayant réalisé l’état de samyak sambodhi. Il est donc une incarnation vivante de la Vue Pénétrante, de la Liberté, du Bonheur et de l’Amour. Au début de la tradition bouddhique il n’y avait que le seul Bouddha historique, le Sakyamuni humain historique. Durant sa vie même, il semble que ce Bouddha originel ait spirituellement distingué deux aspects de sa propre nature. Il considérait d’une part l’individu historique, " L'Éveillé" et d’autre part le principe abstrait de " l’Éveil ". Il séparait donc le Bouddha et la Bouddhéité. Ultérieurement, la personnalité historique fut appelée rupakaya, ou « Corps de Forme » (rupa signifie « forme », kaya « corps » ou « personnalité »). Le principe de l’Éveil, indépendant de la personne qui le réalise, fut appelé dharmakaya, « Corps de la Vérité » ou « Corps de la Réalité ». Cependant, le Corps de Forme et le Corps de Dharma sont tous deux des corps du Bouddha.

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Après la mort du Bouddha historique, le Mahayana introduisit un troisième corps entre les deux autres. On l'appela

"sambhogakya", le corps de Bonheur Mutuel, qu'on peut interpréter comme l'archétype personnel de Bouddha,

intermédiaire en dessous du niveau de l’Absolu mais au-dessus et au-delà de l’histoire. Conceptuellement, il y avait donc trois

kayas, trois « corps » alignés verticalement, de haut en bas, le Corps de Dharma, puis le Corps de Ravissement Mutuel, et enfin

le Corps Créé, le nirmanakaya. Cela devint la doctrine du trikaya, la doctrine des Trois Corps du Bouddha, qui est très

importante dans le Mahayana et le Vajrayana.

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Le Bouddha de compassion

Tchenrézi est le nom tibétain du bodhisattva de la compassion (en sanscrit : Avalokiteshvara). Il est la divinité la plus populaire du Bouddhisme tibétain. Comme tous les bodhisattvas, il a fait le vœu de se consacrer à soulager la souffrance et à aider tous les êtres à atteindre la bouddhéité. Sa compassion est universelle. Elle s’étend à tous les vivants, aux amis comme aux ennemis, aux proches comme aux inconnus. Tchenrezi est l'expression d'un idéal personnifiant l’élan vers l’autre, amour, compassion, altruisme, bienveillance. Il exprime donc la perfection de la compassion sans limite. C'est pourquoi il est appelé le Bouddha de la Compassion.

Tchenrézi est à la fois une manifestation divine et une réalité intérieure. Dans le Bouddhisme, les deux aspects doivent être finalement confondus car l'amour et la compassion existent de façon primordiale dans le "Corps de Vérité", Dharmakâya, et par conséquent dans chaque être.La compassion et l’amour du prochain sont évidemment les valeurs fondamentales du bouddhisme. Tchenrezi est généralement représenté avec quatre bras, ou même mille, et parfois avec onze visages. En Chine et au Japon, il peut prendre la forme féminine. Les mille bras illustrent la volonté de venir en aide à la multitude.

Dans le Monde existentiel, Tchenrézi est présent dans toutes les actions et tous les mots qui témoignent de l'amour et de la compassion universelle. Là où est l'amour, là est Tchenrézi. La formulation de son nom transmettrait au récitant les qualités de son esprit. C'est ce qui explique le pouvoir bénéfique la récitation de son mantra, qui est le plus usité. Le mantra "OM MANI PÉMÉ HOUNG" est utilisé

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couramment pour désigner Tchenrèzi.

La symbolique de TCHENREZI

Les 4 bras ( parfois 1000) sont Amour, Compassion, Joie, Équanimité sans mesure Les 2 Jambes dans la posture du Vajra unissent compassion et vacuité. Le joyau tenu dans les deux mains jointes réalise le bien pour tous les êtres. La couleur blanche est totalement pure et libre de tout voile. Le rosaire dans la main droite attire tous les êtres vers la libération. Le lotus dans la main gauche dispense la compassion pour tous les êtres. Le disque de lune derrière le dos symbolise la plénitude de l'amour et de la compassion. La peau de biche représente l'esprit d'éveil et la bonté envers tous ainsi que l'impermanence. Les différents bijoux symbolisent la richesse des qualités de l'esprit d'éveil. Les soieries de 5 couleurs sont une image des 5 sagesses.

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Le Bouddha de Médecine.

Le Bouddha de Médecine Bhaisajyaguru occupe une place importante au Tibet. C'est sur lui que s'appuie la médecine traditionnelle. De nombreuses pratiques tantriques (sadhana) lui sont consacrées. Il est généralement représenté en posture de méditation. Il tient de la main gauche un bol médicinal et de la main droite, une tige de myrobolan en fleurs. Son corps est généralement coloré en bleu comme son aura. Ce Bouddha guérit les maux du corps par la médecine tibétaine traditionnelle. Il soigne aussi les maladies de l'âme comme la haine et la colère. Il est le symbole même de la compassion indéfectible à la racine du Bouddhisme. Dans le vajrayâna tibétain, il représente l’énergie thérapeutique de la sagesse primordiale.

Ayant considéré les souffrances et maladies innombrables des êtres, le bodhisattva « maître des remèdes », Bhaishajyaguru, développa un très grand amour et un très grand désir de les secourir tous. Il progressa sur la voie spirituelle, formula douze grands souhaits et atteignit enfin l’état de Bouddha médecin. Voici les douze voeux de Bhaishajyaguru.

1 - Répandre sa lumière dans d’innombrables mondes et rendre les autres égaux à lui. 2 - Illuminer tous les êtres plongés dans les ténèbres. 3 - Combler les besoins de chacun avec équanimité. 4 - Ramener les égarés dans la voie du Mahâyâna. 5 - Amener ceux qui ont foi en lui à suivre sa discipline. 6 - Guérir tout être souffrant d’infériorités physiques ou d’afflictions mentales.

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7 - Guérir tout malade du corps ou de l’âme, et pourvoir en amis, famille et foyer tous ceux qui en sont privés et les guider vers l’Éveil. 8 - Faire que les femmes défavorisées et celles qui le souhaiteraient renaissent hommes jusqu’à l’Éveil. 9 - Protéger les êtres de l’illusion, leur montrer la vue juste et la voie des bodhisattvas vers l’Éveil. 10 - Sauver ceux qui sont en détresse, emprisonnés ou condamnés à mort. 11 - Nourrir les affamés, abreuver les assoiffés. 12 - Procurer des vêtements aux êtres nus ou indigents.

Le Bouddhisme Tantrique.

Le Tantrisme est une pratique religieuse particulière que l'on trouve dans le bouddhisme tibétain comme dans l'hindouisme. Elle comporte des exercices rituels et des pratiques, (mantras, mudras, visualisations mentales, postures corporelles, yoga, etc..), qui produisent des transformations physiologiques, psychiques et spirituelles. Elles sont destinées à favoriser l'accès des pratiquants à "l'Éveil". Leur but est réveiller la force cosmique profonde endormie à la base de la colonne vertébrale, le serpent de la kundalini. Cette force cosmique, réveillée par l'initiation, permettrait à l'être de fusionner avec sa source divine.

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Le Bouddhisme tibétain à trouvé sa source dans l'expansion du Mahayana (Grand Véhicule), qui prône une large diffusion des enseignements du Bouddha et l'application de l'esprit de compassion. Née aux Indes, la" voie des tantra" est un prolongement régional de ce Mahayana. Elle est devenue une religion qui s'est propagée au Cachemire, au Bengale et au Tibet. Le terme "tantra" désigne les méthodes méditatives et les multiples pratiques yogi permettant de parvenir plus rapidement à la bouddhéité. Alors que les écoles du Hinayana (Petit Véhicule) prônent le renoncement aux désirs et aux passions, les tantra préconisent l'utilisation de tout le potentiel de ces passions humaines, pour ceux qui en sont capables. L'énergie contenue dans les désirs pourrait être mise au service de l'Éveil. Car si l'on reconnaît que les passions et les émotions sont aussi des qualités de la nature de Bouddha, il est possible de les transformer en sagesse par divers "moyens habiles". La voie des tantra est donc celle qui veut transmuter les poisons en remèdes.

Dans le Bouddhisme tibétain, pour atteindre le nirvana, (l'Éveil), il n'est plus tout à fait nécessaire de rejeter le samsara (la vie dans le monde phénoménal). Car samsara et nirvana sont des modes de perception opposés d'une même réalité. Le samsarâ n'est qu'une perception karmique impure engendrée par notre ignorance. Les concepts métaphysiques spiritualistes sont très difficiles à transmettre au plus grand nombre. Devenu religion, le Bouddhisme tibétain a donc fait ce que font toutes les religions du Monde. Il a transformé les concepts complexes en représentations simplifiées plus abordables. Il a utilisé des images, des légendes, des musiques, des objets rituels, des instruments cultuels, des cérémonies et des rites précis qui parlent subtilement à l'intelligence à travers les attitudes, le comportement, la sensibilité et l'émotion.

Les "moyens habiles" utilisés dans le Vajrayana, reposent sur d'innombrables récitations de mantra et des visualisations symboliques des passions ainsi que sur des exercices réalisés sous le contrôle d'un maître. Tout cela permettrait de transformer les émotions en sagesse et d'atteindre ainsi plus facilement l'Éveil.

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Comprenons que les multiples images ou statues de déités paisibles ou effrayantes, masculines ou féminines, ne représentent pas des divinités réelles. Elles concernent des concepts métaphysiques complexes qu'elles permettent d'appréhender par la voie des sens. Et elles peuplent les temples tibétains d'extraordinaires oeuvres d'art absolument magnifiques. Cette première voie tibétaine est dite la voie des moines. Pratiquée dans les monastères, elle semble réservée à une élite car elle reste à la fois compliquée et exigeante. Des formes plus simples sont pratiquées par les fidèles ordinaires. Même si le rôle des tantra varie beaucoup en importance, tous les lamas et les fidèles tibétains pratiquent au minimum les rites attachés aux mantra les plus connus, comme celui concernant Tchenrezi, le boddhisattva de la Compassion.

Il faut cependant distinguer le bouddhisme tibétain (influencé par le tantrisme) du bouddhisme purement tantrique tel qu'il est pratiqué par les adeptes du yoga, tout particulièrement en Inde. Car il existe un tantrisme hindou qui cherche à faire émerger l'énergie divine de la kundalini humaine à travers le culte de la Grande Déesse Chakti, l'Énergie créatrice. Il peut accorder une certaine importance à l'union des principes masculin et féminin. Au Tibet, le bouddhisme se présente comme un parcours initiatique progressif. Une partie de ses pratiques tantriques reste secrète. Par ailleurs, les véritables significations du symbolisme sexuel utilisé partiellement dans les textes et l'iconographie tantrique bouddhique ou hindoue ne sont généralement pas clairement perçues par les occidentaux. Les très précieuses représentations artistiques des nombreuses déités masculines ou féminines les montrent parfois en union sexuelle, ce qui est en réalité un symbole de l'union avec l'Énergie créatrice (chez les hindous) ou de la réalisation de la Sagesse (chez les bouddhistes tibétains).

Le décryptage de cette image tantrique d'un couple enlacé, permet de dépasser assez facilement la symbolique de la simple union des principes masculins et féminins. Il découvre en effet celle de la complémentarité des contraires comme dans le symbole spiralé du Ying et du Yang. On y trouve à l'évidence le noir et le blanc, l'activité et la passivité, simultanément opposés et complémentaires. Ainsi l'élément masculin, ici représenté passif, a forcément une face

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cachée, active par nature. Il en est de même de l'élément féminin, ici actif, et pourtant passif par nature. Cependant, si vous allez voir l'image hindoue au verso de cette page, vous constaterez aisément que la symbolique hindoue semble plus miser sur l'épanouissement de l'énergie des passions humaines que sur la réalisation contemplative de la sagesse.

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CHAPITRE 15 – La Bhagavad Gita dans l’Hindouisme.

Introduction

La Bhagavad Gita, "le Chant de Dieu", en sanscrit, est actuellement considérée comme l'un des textes les plus importants de l'Hindouisme. En Occident, c'est probablement le plus connu et le plus diffusé. Il constitue la partie centrale du grand poème épique "Mahabharat", homologue à la Bible des Hébreux. La littérature sacrée hindoue est extrêmement abondante et compte au moins 250 000 vers. Quant au Mahabharat, il compte 100 000 vers qui rapportent une histoire guerrière datant de 1500 ans avant l'ère chrétienne. Il aurait été écrit par Ganesh, le dieu du savoir et de la vertu. Plus récente, la Bhagavad Gita compte plus de 700 vers et semble dater d'environ 2000 ans. Pour étudier les écrits sacrés hindous, on les a répartis en plusieurs corpus. Les plus anciens sont les "Védas", parmi lesquels on distingue le "Rig-Veda", le "Samaveda", le "Yajurveda", et le "Atharvana". Les vedas comportent aussi les "Upanishad" qui sont à la base de l'une des six grandes philosophies hindouistes, la "Vedanta, (la connaissance finale)". Cette importante métaphysique nous invite à découvrir la réalité suprême, le Brahman, absolu et indifférencié, manifesté en chaque existence par deux réalités fondamentales, la matière et la conscience individuelle, l'Atmân, le Soi, ou l'Âme. Il y a plus de cent Upanishad, tous composés à partir de l'an 700 avant notre ère. Le Mahabharat est le second de ces corpus. Il compte dix-huit grands livres. C'est le récit d'une guerre entre les "Kaurava", les forces du Mal, et les "Pandava", les forces du Bien, une lutte épique qui dure dix-huit jours mais qui comporte bien des préliminaires. C'est une sorte d'Armaguédon qui ne se situe pas à la fin des temps

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comme dans le Christianisme. Dans le mythe hindou, il a déjà eu lieu. La Bhagavad Gita se situe au début du combat, et le récit commence avant la bataille. Arjuna se rend compte qu'il pourrait tuer ses cousins dans le camp adverse. Il reçoit alors les avis de Krishna qui sert de cocher divin. Ce corpus comprend aussi la "Ramaya", la grande geste de Rama. Le dernier corpus est le plus récent. C'est celui des Purana, "les temps primitifs", en sanscrit. Ils ont été écrits à partir du quatrième siècle après J.C. A l'origine, ces textes étaient destinés aux fidèles peu lettrés. Ils contiennent des contes et légendes qui permettent de propager facilement les thèmes et pratiques de l'Hindouisme dans les castes populaires. On y trouve aussi des cosmogonies et un rappel de la théorie des Âges cycliques de Manu, les quatre Yuga, le Krita-Yuga, le Tetra-Yuga, Le Dwarpara-Yuga, et le Kali-Yuga, l'Âge de Fer de la destruction totale par "Kâli la noire", dans lequel toutes les valeurs morales s'inversent. C'est cet âge de fer qui serait, hélas, le nôtre. Il existe plusieurs cosmogonies védiques mêlant la création du Monde et celle des hommes à partir d'un couple primordial composé du Ciel et de la Terre. A l'origine, dit l'une, était le Chaos. Les ténèbres s'étendaient sur les eaux illimitées. Puis apparut l'oeuf cosmique, l'Être flottant à la surface. Comme chez les Grecs, la coquille se brise formant le Ciel et la Terre, "Prajapati" apparait, l'Être Unique, le Père Originel. Prajapati crée la Lumière et les Dieux. Il crée aussi Yama et Yami, le premier couple humain, source d'une première race. Hélas, tout se gâte et un déluge survient. Les hommes sont détruits sauf un seul. Comme Noé, Manu, sauvé des eaux, devra repeupler la Terre.

En vérité, tout est Brahman.

C'est lui que l'on appelle "ni ceci", "ni cela !"

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Le contexte religieux Hindou.

A l'arrière plan de la plus ancienne religion hindoue, le védisme, on trouve une entité cosmique originelle appelée en sanscrit Dyaus. Franchissant les siècles, ce mot antique est venu jusqu'à nous. Les Grecs le prononçaient "Zeus", les Latins, "Deus", et nous mêmes disons "Dieu". Il était le père, "Pati" ou "Pitar" en sanscrit, Dyaus Pitar, le "Jupiter" romain, le "Dieu le Père" chrétien. Nous trouvons dans le Veda, connaissance des choses divines, la racine du nom français de Dieu. Le panthéon hindou est complexe. Il décrit en chaque être la manifestation de nombreux dieux et déesse, héros et démons qui sont les objets vénérés de cultes innombrables. La religion devient lentement brahmanique après les invasions aryennes, 1000 ans avant notre ère. La société est divisée en quatre castes, brahmanes, guerriers, producteurs, serviteurs. Les hors-castes sont impurs, (intouchables). Un couple de dieux souverains, (Varuna et Mitra, opposés et complémentaires), régit les brahmanes. Indra, dieu de la foudre et des combats, répond aux guerriers. Deux dieux jumeaux, (les Nasatya, en conflit avec les autres), patronnent les producteurs. Une autre rivalité existe entre ces jeunes Asura, et les Deva primordiaux. Deux divinités liturgiques règlent la vie sacramentelle, Agni, le Feu, et Soma, boisson sacrée et Force Vitale. Le Védisme utilise divers thèmes pour expliquer la création avec ses mécanismes changeants et destructeurs. L'existence est "Maya", l'illusion. On y trouve aussi l'idée d'un "Sacrifice primordial" impliquant l'Homme. Le devenir des défunts dépend de leurs comportements terrestres et débouche généralement sur une réincarnation. Le foyer familial est le lieu cultuel où se déroulent les sacrements et sacrifices des rites d'Agni, le Feu ou le Soleil, dont le chef de famille est le prêtre. Les rites associés au Soma, le breuvage d'immortalité, sont plus complexes. Le Feu Universel brille aussi

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dans le coeur. Symbole de l'intelligence et de la vérité, il y est alors "l'Atman". L'Hindouisme est le fruit de l'évolution progressive du Védisme puis du Brahmanisme. Il devient une sorte de métaphysique construite autour de la croyance générale en une entité éternelle, primordiale mais inconnaissable, qui régit l'ensemble de l'univers. Elle est perceptible sous d'innombrables aspects. Avec les Upanishad, apparaît l'idée du Brahman. C'est le "Souffle fondamental", à la fois force cosmique et âme universelle. Il se manifeste dans chaque être sous deux aspects, "le Prana", ou souffle vital personnel, et "l'Atman", le Soi, l'âme particulière. L'Hindouiste qui parvient à identifier son Atman individuel au Brahman cosmique réalise son salut. Dans l'Hindouisme, le temps est conçu de façon cyclique. A chaque phase de création succède une phase de destruction. L'univers suit les mêmes lois. Il ne se crée ni ne se détruit, mais se matérialise et se résorbe à chaque tour de la roue du Dharma. Pour imager cette cosmogonie, on fait ultérieurement appel à un double concept en juxtaposant le Brahman, l'Essence, l'Esprit, Purusha au masculin, et la Pradhana, l'Existence, la Matière, Prakriti au féminin. Le Principe Créateur prend alors un aspect sexué. Purusha est appelé Prajapati, "le Père", et l'épouse est Shakti, "l'Énergie créatrice". Ce couplage tantrique des dieux est fréquent dans le panthéon hindou.

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Avatars, Héros, et demi-dieux.

L'image du Brahman primordial a évolué en concept trinitaire cyclique, la "Trimurti", avec Brahmâ (créateur), Visnu (stabilisateur), et Shiva (destructeur). Visnu est un dieu bienveillant qui s'incarne dans des "avatars" pour rétablir les équilibres terrestres menacés. Le septième est le très populaire "Rama", le huitième, le séduisant "Krishna", le suivant est (politiquement) "Bouddha". Kalkin, le prochain reste à venir. Shiva est nécessaire à l'ordre cyclique. Il est le ravisseur et la mort. Il est aussi le maître des forces vitales et son symbole est le "lingua" signe phallique de l'infinitude. Laksmi est la compagne de Visnu. Devi, Durga et Kâli comptent parmi les shakti de Shiva. A l'origine, le védisme était seulement une philosophie fondée sur l'idée de la nécessité du dépassement du Soi personnel, l'Atman, pour arriver à la véritable connaissance de la divinité, le Brahman. Cette position lui a permis d'intégrer sans conflit les divers cultes rencontrés lors de l'invasion aryenne. Ils ont été incorporés dans le concept général sous la forme de multiples contes et légendes qui sont à l'origine des innombrables figures mythiques racontées dans les écrits sacrés. Lorsque l'aspect religieux a remplacé l'approche métaphysique, les nécessités cultuelles ont imposé des choix plus stricts. Cela explique le grand nombre des sectes et pratiques existant en Inde. L'Hindouisme, le "Sanatanadharma" ou "loi éternelle", est une religion de salut. Les fidèles oeuvrent pour obtenir l'immortalité en échappant au samsara, au cycle perpétuel des réincarnations provoqué par leur Karma, le poids de leurs actions présentes et passées. Quatre moteurs passionnels déterminent leurs actions. Ce sont la quête de la justice, (dharma), la recherche de la richesse, (artha), celle du plaisir, (kama), et la volonté de libération spirituelle, (moksha), qui aboutit à la fusion de l'Atman avec le Brahman. C'est l'ignorance, la (avydia), qui charge le karma

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individuel. Et c'est la gnose, la (vydia), la vraie connaissance, tant métaphysique que spirituelle, qui le libère. Il y a différentes voies pour aller vers cette délivrance, le Yoga, la Samkhya, la Dévotion. Les plus récentes sont teintées de Bouddhisme mais restent reliées aux traditions anciennes. La Samkhya est une philosophie libertaire axée sur la connaissance. Le Yoga impose des règles éthiques de comportement. La Dévotion donne de l'importance aux sacrifices, offrandes, processions et méditations. Souvent tantrique, elle peut comporter d'inlassables récitations de mantra devant des images substituts des divinités. Les nombreux groupes religieux sont organisés en sectes caractérisées par le choix des textes sacrés de référence et des dieux d'élection auxquels leurs cultes s'adressent. Les sectes shivaïtes sont les plus anciennes et les plus nombreuses. Shiva y est la plus haute manifestation du Brahman car ses deux aspects sont nécessaires aux formations et destructions successives du monde. Les caractères positifs sont privilégiés mais le coté négatif existe avec les cultes de Kâli la noire. Le mouvement tantriste Saktiste est plus récent. Issu du shivaïsme, il met en avant Durga, guerrière et Mère universelle. Il renforce le rôle des gourous, figure les chakras par des lotus et la kundalini par un serpent lové. Les sectes Visnouïstes recherchent l'amour et la connaissance de la divinité. Devenues prestigieuses, elles ont engendré le culte pratiquement exclusif de Krishna.

« Conduis-moi du non-être à l'être, conduis-moi de l'obscurité à la lumière,

et conduis-moi de la mort à l'immortalité »

(Brihad-âranyaka-upanishad 1.3.28)

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Krishna et Arjuna.

Comme toutes les divinités de l'hindouisme, Krishna est un symbole. Il est le "Guide", le "Maître", le "Gourou" qui enseigne la vérité spirituelle. Il personnifie l'Intelligence originelle qui se tient au delà de l'intellect. Il est aussi l'acte accompli dans la conscience pure qui permet d'éveiller Buddhi, cette nouvelle conscience supérieure qui ouvre la voie vers la libération des chaînes karmiques et la renaissance dans la sublime sagesse. Krishna est un "Héros", un demi-dieu, car il est né, dit la légende, d'un cheveu de Visnou et de Devaki, sa mère, dont le nom complet, (Daivi prakriti), signifie "nature intelligente". La vérité sur Krishna est dévoilée par le mythe de sa naissance. Il est d'origine divine, incarné dans la corporéité humaine. Traditionnellement, Krishna a échappé au massacre systématique des nouveaux- nés perpétré par le Râja Kamsa, son oncle, alarmé par un oracle. L'enfant Krishna fût confié à des éleveurs de boeufs et grandit auprès des "gôpi, les jeunes gardiennes de troupeaux. Il les charmait de bien des façons, au point d'en devenir également un symbole érotique. Il en épousa plusieurs dont Râdhâ, "Srimati Râdhâ", ou Madame Râdha, dont le nom signifie "Réussite", sa préférée, et Rukminî, "Ornée d'Or". Les succès amoureux de Krishna auprès des gôpi, ces femmes qu'il aurait toutes séduites, ont un sens caché. Ils symbolisent l'attrait du principe divin qui attire à lui les âmes individuelles de tous les chercheurs en quête de libération. Axées sur l'éthique comportementale personnelle, les doctrines du salut, les "sotériologies" orientales , (du grec "sôter, sauveur" et "logos, discours"), peuvent désorienter notre pensée Le Bouddhisme enseigne les voies d'illumination permettant de quitter les insuffisances du Monde, et l'Hindouisme propose une "intelligence de l'être" associée à des pratiques ascétiques et méditatives ou bien à l'amour et à la confiance en Dieu. C'est là qu'intervient Krishna, parfois comparé à Jésus. Mais Krishna est un symbole tantrique de

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l'union du divin et de la nature dans le couple qu'il forme avec Râhda. Il est polygame et agit dans un arrière plan érotique et polythéiste. Ce n'est pas très comparable à l'environnement où évoluait Jésus. Il y a d'autres différences dans l'enseignement du rédempteur Krishna. Elles apparaîtront dans les conseils donnés à Arjuna au cours de la bataille de Kurukshetra. Le prince Arjuna, "le Lumineux", est le personnage central de la Gītā. Le roi Pandu était maudit et ne pouvait engendrer, mais les dieux pouvaient féconder ses deux épouses, ce qu'ils firent. Parmi ses cinq nobles frères, Arjuna est le fils d'Indra, dieu de l'Esprit. Il fut choisi pour hériter du royaume des Pandava. Son oncle, Dhritarashtra, écarté du trône parce qu'il était aveugle, trompa Arjuna, qui joua son pouvoir aux dés et le perdit pour douze ans. La treizième année, Arjuna revint avec ses frères et tout son peuple mais son oncle lui dénia ses droits. Ce fut la guerre, (et la Gītā). Les combattants sollicitèrent tous deux le soutien de Krishna, mais le Dieu voulait rester neutre. Les Kaurava choisirent l'aide de l'armée de Krishna, et les Pandava l'assistance de Krishna sans arme. Krishna conduisit donc le char de guerre du prince Arjuna qui combattait avec un arc. Les naissances miraculeuses, les préliminaires, l'omniprésence des dieux, les armes fantastiques et les six cents millions de morts montrent bien le caractère assurément mythique du combat. Les symboles sont évidents. Le char d'Arjuna est le corps du chercheur, les chevaux sont les cinq sens. Krishna, le conducteur est l'intelligence, et le combattant, c'est le chercheur de vérité lui même. Le champ de bataille, c'est la clarification de la conscience.

Laisse là toute autre forme de religion, et abandonne-toi tout

simplement à moi. Toutes les suites de tes fautes, Je t'en affranchirai.

N'aie nulle crainte !

(Bhagavad Gita - Ch.17/66)

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Enseignement de Krishna avant le combat.

Quand la conque du général kuru annonce le défi au combat, Arjuna prie Krishna de le conduire entre les deux armées. Il aperçoit alors de nombreux parents chez les kuru et réalise qu'il devra les tuer pendant la bataille. Horrifié, il jette ses armes, préférant perdre son royaume que nuire à ceux qu'il aime. On est ici, bien sûr, au coeur du récit mythique, et les combattants, les Kuru comme les Pandava sont des symboles des différents aspects de la nature humaine. Les Kuru représentent sa part matérielle et actuelle. C'est pourquoi, dans un premier temps, ils détiennent le pouvoir. Les Pandava, tendant à la spiritualité, en sont temporairement écartés. Arjuna représente tous ceux qui tentent de développer leur nature supérieure. Il va devoir combattre ses instincts héréditaires, ses habitudes, tout ce que sa nature propose pour ses plaisirs. Ses parents dans les rangs ennemis, ce sont ses propres passions qu'il va devoir détruire. Il ne se sens pas la force pour le faire. Krishna va convaincre Arjuna qu'il se trompe. Ô, Arunja ! Lève-toi car le sage ne se lamente ni pour les vivants ni pour les morts. L'Esprit, "Atma", ne peut tuer ni être tué. Il ne commence pas d'être et ne cesse pas d'exister. L'Esprit ne naît jamais, ne meurt jamais, en aucun temps. Tous les êtres sont invisibles avant la naissance et après la mort. Ils prennent de nouveaux corps et ne se manifestent qu'entre la naissance et la mort. Ton devoir de guerrier est de mener une guerre juste. Tu dois l'accomplir sans désir et sans revendiquer de résultat. Accomplis ton devoir sans souci d'intérêt, ni de succès ou d'échec, et tu seras sans péché. L'équanimité du mental dans l'action est la voie suprême du Karma-Yoga. Le Yogi se détache alors de tout lien, de toute souffrance ou aversion. Il entre en Nirvana et s'unit à l'absolu. Le Samnyāsa, la voie de la connaissance transcendantale de Soi est un autre chemin pour réaliser le salut. Mais l'état qu'atteint le pratiquant, le Samnyāsī, n'est pas distinct de celui du Yogi. La conscience est la même et les deux états sont indissociablement liés.

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Ô, Arjuna ! Nous sommes nés bien des fois, Toi et Moi. Tu ne t'en souviens pas mais Moi, je m'en souviens. Lorsque s'affaiblit la justice, je rétablis l'ordre du Monde. Tout à la fois, Je crée, Je maintiens, Je dissous, Celui qui comprend cela ne renaît plus après sa mort. Je veux maintenant exprimer ce que sont l'action et l'inaction car leurs vraies natures sont incomprises. Le Yogi comprend qu'il y a de l'inaction dans l'action et de l'action dans l'inaction. Qui agit librement et de façon désintéressée est un Karma-Yogi. Il ne gène pas la loi d'opposition des contraires. En réalité, quoi qu'il fasse, il ne fait rien et ne charge pas son Karma. L’Éternel Être est à la fois le sacrifice et l'offrande. C'est Brahman qui la verse dans le feu de Brahman. Le Yogi qui voit en tout la manifestation de Brahman peut comprendre. Beaucoup offrent en sacrifice leurs biens et les ascètes prononcent des voeux sévères. Le plus grand pécheur qui accomplit le sacrifice désintéressé traverse l'océan du péché. Il obtient la connaissance et atteint l’Éternel Être, le Brahman. Ô, Arjuna ! Dans sa fonction mentale, l'homme doit s'élever, non pas se dégrader. Le mental est son ami mais aussi son ennemi. Il est l'ami quant il est sous contrôle, et sinon il est l'ennemi. L'homme qui contrôle son son mental et ses sens est un Yogi. Il reste égal en toute circonstance, dans le plaisir ou la douleur, pour ses amis ou ses ennemis. Il demeure par le seul intellect dans la contemplation du Brahman, l'Être éternel de la Réalité absolue. Ayant ainsi complètement réalisé son Soi, il n'a rien de plus à attendre. Le Yogi n'est plus relié à la souffrance car il a abandonné tous les désirs. Ayant maîtrisé intellectuellement ses sens, ils a gardé son mental entièrement tourné vers le Brahman. Il est libéré de toute faute, et il atteint la félicité dans le contact du Brahman. Il voit alors tous les êtres d'un oeil égal. Il Me voit en tout et voit tout en Moi. Il n'est plus séparé de Moi et Je ne suis plus séparé de lui. Et le meilleur Yogi voit tous les êtres à sa propre image, et leurs plaisirs ou leurs douleurs comme étant les siens même.

Ô, Arjuna ! Je vais te révéler la connaissance du Soi et l’illumination. Qui la connaît n'a plus rien n'est à connaître. Le

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mental, l’intellect, l’ego, l’éther, l’air, le feu, l’eau et la terre sont les manifestations de mon énergie matérielle, (Prakriti). Je te montrerai ma nature supérieure, (Purusha), qui soutient l'univers entier. Je suis la saveur dans l’eau, la lumière dans la lune et le soleil. Je suis le son dans l’éther et la virilité dans l'homme. Je suis le parfum dans la terre, la chaleur dans le feu, la vie dans les vivants. Je suis le germe éternel des créatures, l’intelligence des intelligents et l’éclat des diamants. Je suis la force du fort détaché du succès et de la convoitise. Je suis le désir dans les hommes qui agissent avec justice. Ceux qui n’ont pas de foi en cette connaissance ne m'atteignent pas et suivent le cycle des naissances et des morts. Je suis les sept déesses régissant la gloire, la prospérité, la parole, la mémoire, l’intelligence, la fermeté et le pardon. Je suis aussi toi-même. Je suis la mort qui saisit tout et Je suis l’origine de tous les êtres à venir.

Krishna révèle son omniprésence

"Ayant imprégné l'univers entier d'une parcelle de Moi-même, je demeure".

Les mille visages de Krishna.

Ô Arjuna ! L'univers entier provient de moi-même avec tous les êtres qu'il contient, mais Je ne dépends d'aucun d’eux. Voici la force de mon mystère. Je ne dépends pas d’eux car Je suis leur créateur et leur protecteur mais ils ne dépendent pas de moi, car ils sont en moi, comme le vent souffle partout et demeure pourtant dans l’espace. Je suis le rituel, le sacrifice et l’offrande. Je suis la prière et le feu de l’oblation. Je suis le soutien de l’univers, le père, la mère, et le grand-père. Je suis l’objet de la connaissance, le OM, le Reg, le Yajur, et le Sāma Véda. Je suis le but, le soutien, le Seigneur, le Témoin, la Demeure, le Refuge, l’Ami, l’Origine, la Fondation et la Dissolution. Je dispense la chaleur, J’envoie et retiens la pluie. Je suis la mort et l’immortalité. Je suis l’Absolu et le temporel. Je suis

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l’origine de tout, et tout émane de Moi. Je suis le commencement, le milieu, et la fin de la création. Je suis le jeu des tricheurs, l’éclat de ce qui brille, la victoire des victorieux, la bonté des hommes bons. Je suis le silence des secrets, et la connaissance des savants. Ô Arjuna ! Je vais maintenant t’expliquer mes plus hautes manifestations divines, car elles sont sans fin. Je suis l’Esprit à l'intérieur des êtres. Je suis leur commencement, leur milieu, et leur fin. Je suis l'origine et le temps infini. Je suis VişĦu parmi les fils d’Aditi. Je suis le soleil resplendissant et la lune parmi les étoiles. Je suis Sāmaveda parmi les Védas. Je suis Indra parmi les dieux. Je suis le mental parmi les sens et la conscience des vivants. Je suis Siva parmi les Rudras et Kubera parmi les Yakşas et les démons. Je suis le feu parmi les Vasus, l’Himālaya et le mont Meru parmi les montagnes. Je suis le prêtre pour les dévots et le combat pour les guerriers. Je suis l’océan pour les eaux. Je suis le grand sage au dessus des sages. Je suis l’arbre banyan parmi les arbres. Je suis le Roi et l'Amour. Je suis le foudre parmi les armes et le printemps parmi les saisons. Je suis le crocodile parmi les poissons et le saint Gange parmi les rivières. Je suis l’origine et la semence de tous les êtres, et il n’y a rien d’animé ou d’inanimé qui puisse exister sans Moi. Ô Arjuna ! J’ai de multiples faces dans toutes les directions. Contemple mes milliers de formes de toutes formes et couleurs et ces multiples merveilles. Je suis la mort et le destructeur, et Je suis venu détruire ces guerriers. Pour Moi, tous sont déjà morts. Lève-toi donc et combats, car tu es seulement l'instrument. Tu vas vaincre et tu jouiras de ton royaume. Je vais te décrire l’objet de la connaissance qui procure l’immortalité. L'Être Suprême, (Para-Brahman) est sans commencement ni fin. Il n'est ni éternel ni temporel. Il est omniprésent et omniscient. Il perçoit tout sans les organes des sens. Dépourvu des trois modes de la Nature matérielle, Il en jouit en devenant une entité vivante. Il est intérieur et extérieur des tous les êtres, animés et inanimés. Il est à la fois très proche car il réside dans l'intérieur de l’homme, et pourtant très loin dans sa Demeure Suprême. Il est indivis et semble pourtant divisé entre les êtres. Para-

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Brahman est la source de toutes les lumières. Il se trouve au-delà les ténèbres de Māyā. Il est la connaissance du Soi et son objet. Ô Arjuna ! Sache que la Nature matérielle et l’Être Spirituel sont tous deux sans commencement. Toutes les manifestations et les trois dispositions du mental et de la matière sont nées de Prakriti qui est la cause du corps physique, tandis que Purusha, la conscience, est la cause du plaisir et de la douleur. Sache que l'Être Spirituel jouit des trois modes, Gunas, de la nature matérielle en s’associant avec Prakriti. L’attachement humain aux trois modes est due à l’ignorance causée par le Karma, des incarnations précédentes. Il est la cause de la naissance en de bonnes ou mauvaises matrices. Ceux qui comprennent vraiment l'union de la Nature matérielle et de l’Être Spirituel dans ses trois modes n’ont plus à renaître. Ma Prakriti est la matrice de la création. En elle Je place la Purusha, la semence de la Conscience. De là provient la naissance des êtres. Quelles que soient les diverses formes produites dans les matrices, la Nature matérielle est leur mère car c'est elle qui donne les corps, et Je suis le père, moi Krishna, l'Être Spirituel qui donne la semence et la vie. Ô Arjuna ! Nos nourritures préférées sont aussi de trois sortes. Les aliments qui accroissent la vertu, la force, le bonheur, et la joie, sont goûteux, substantiels et nutritifs. Ils conviennent aux personnes du mode bonté. Les aliments amers, aigres, secs ou brûlants causent douleur et maladies. Ce sont ceux du mode passion. Ceux préférés par les ignorants sont gâtés, fades ou impurs, tels les rebuts, la viande et l’alcool. Le devoir, la charité, et l’austérité doivent être accomplis sans rechercher leurs fruits. La connaissance qui perçoit la Réalité immuable, indivise dans le divisé, est du mode bonté. La connaissance qui montre les réalités multiples dans les êtres distincts appartient au mode passion. La connaissance irrationnelle qui s’attache au seul singulier, le confondant avec le tout, relève du mode ténébreux de l’ignorance. Fixe ton mental sur Moi, adore Moi et mets de côté toute recherche de mérite. Abandonne-toi complètement à Ma volonté dans une foi sincère, et Je te libérerai des chaînes du Karma. Je te le promets, mon ami, car je t'aime. N’aie pas de peine !

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Ô Arjuna ! C'est là ! L’enseignement précieux de la Gîta

.

Jagannâtha, le Seigneur de l’Univers.

La Bhagavad-Gîtâ est le sixième livre du Mahâbhârata qui en compte dix-huit. C'est un poème symbolique, également de dix-huit chants, écrit par le poète Vyâsa dont on ignore où et quand il vécut. La Bhagavad-Gîtâ s'achève avant le combat. La bataille de Kurukshetra reprend ensuite jusqu'à la victoire totale des Pandavas, et Krishna quitta alors la région de Dvârakâ. Entré en méditation dans la forêt, Il fut frappé au talon par la flèche de Jâras, un chasseur qui l'avait pris pour un daim. Son esprit se sépara de son corps terrestre qui resta longtemps sans sépulture. Ses ossements furent retrouvés et recueillis plus tard, et ces reliques sont vénérées à Puri. Le sculpteur divin Vishvakarma représenta alors Krishna sous la forme de Jagannâtha ce qui signifie "Le Seigneur de l'Univers". La légende dit que le sculpteur fut dérangé dans son travail qui demeura une ébauche grossière. C'est ainsi que les images les plus sacrées de l'hindouisme sont aussi les plus étranges, les plus simples et les moins figuratives du symbolisme hindou. Or, nous savons combien l'art de cette culture est précieux, délicat et raffiné. La simplicité de cette représentation est donc évidemment voulue et chargée de sens. Il est probable qu'en réalité, les Hindous ne veulent donner à leur divinité suprême aucune figuration anthropomorphe. Dans une mythologie très polythéiste, cela est tout à fait étonnant. C'est que le mythe de Krishna ne s'aborde pas vraiment avec l'intellect mais surtout avec le coeur. Ceci nous ouvre un large et

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nouveau champ de méditation sur la signification profonde du mythe.

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CHAPITRE 16 – Le Tao të King et le Taoïsme

en Chine .

Avant les Cieux et la Terre, il y avait une substance primordiale.

Elle était sereine et sans forme. Elle existant de par Soi, homogène,

omniprésente, sans aucune limitation. C'était la Mère Universelle, Volonté.

Je ne sais pas son nom mais je l'appelle Tao. Si je suis forcé de la qualifier, je l'appelle :

sans bornes, illimitée, immense, infinie. Sans bornes, je la dis Inconcevable. Inscrutable, je la dis Inaccessible.

Inaccessible, je la dis Omniprésente. Tao est l'Unique, le Principe et la Fin.

Elle embrasse Tout et Tout retourne à Elle.

Il est un être confus qui existait avant le ciel et la terre. Ô qu'il est calme ! Ô qu'il est immatériel !

Il subsiste seul et ne change point. Il circule partout et ne périclite point.

Il peut être regardé comme la mère de l'univers. Moi, je ne sais pas son nom.

Pour lui donner un titre, je l'appelle Voie (Tao). En m'efforçant de lui faire un nom, je l'appelle grand.

De grand, je l'appelle fugace. De fugace, je l'appelle éloigné.

D'éloigné, je l'appelle (l'être) qui revient. C'est pourquoi le Tao est grand, le ciel est grand,

la terre est grande, le roi aussi est grand.

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Le Tao të King ou "Livre de la Voie et de la Vertu"

Avant d'attaquer cette étude, il convient de préciser qu'il faut bien distinguer la pensée taoïste qui est une philosophie antique, et la religion taoïste. Toutes deux, en Occident, sont couramment appelées 'taoïsme' ce qui est évidemment ambigu. Nous commencerons donc par le commencement, à savoir par l'origine et les bases de la pensée taoïste. On dit que la philosophie taoïste aurait été fondée, il y a deux mille six cents ans, par Lao Tseu qui a exposé cette pensée dans un ouvrage universellement connu, le Tao të King, (qu'on prononce 'Dao'). Ce n'est pas tout à fait exact. Il en a établi les bases dans les propositions contenues dans son ouvrage. Leur interprétation est cependant délicate comme on peut s'en rendre compte en comparant les deux traductions suivantes. On traduit le surnom Lao-Tseu par "Le vieil enfant" car il serait né avec des cheveux blancs. Il aurait été archiviste à la Cour impériale de Chine, six cents ans avant notre ère. Puis il aurait quitté la cour, et au lieu dit 'passe de Han Kou', il aurait transmis au garde de la frontière, le Tao të King, un texte qui comporte plus de cinq mille caractères chinois. Ensuite, Lao Tseu disparaît. Quatre cents ans plus tard, le personnage est devenu une légende tout autant qu'un saint homme. Son ouvrage est magnifié et un mouvement philosophique se constitue alors autour de sa pensée. Á ce moment naît tardivement le Taoïsme philosophique. Il pose essentiellement des principes métaphysiques primordiaux et n'aborde pas les notions de Yin et de Yang qui apparurent ultérieurement.

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La pensée taoïste originelle

L'homme qui connaît (le Tao) ne parle pas. Celui qui parle ne le connaît pas.

Je voudrais cependant tenter de vous en rapprocher et je vais donc devoir vous en parler. J'en dirai d'abord que le Dao serait la source d’où sortent toutes les choses déterminées. Et par opposition, il est donc l’indéterminé. C’est pourquoi il est si difficile à définir. Cette indétermination même le rend insaisissable. Si on le nomme, on le détermine ou on le qualifie et il perd alors tout son sens. Mais il est cependant possible de comprendre sa nature. Car il est cela même au cœur de tout qui donne naissance à tout. C'est en ce sens, qu'il peut être expérimenté par l'esprit, de l'intérieur, mais qu'il ne peut jamais être rationalisé, de l'extérieur, par l'intellect.

Le Dao qu’on tente de saisir n’est pas le Dao lui-même,

Et le nom qu’on veut lui donner n’est pas son nom adéquat.

On nomme souvent cette indétermination "le vide absolu ou le non-être". Et, puisque toute chose particulière et déterminée émerge de cette source mystérieuse, nous pouvons considérer que nous sommes une partie de ce qu'elle est en son tout. Donc, comme toute chose, nous sommes nous mêmes en liaison avec l’indéterminé, ce qui permet peut-être de comprendre au moins ce qu’il n’est pas. Le Tao serait le lien reliant l'indéterminé au déterminé, le plein au vide, l’être au non-être. Car le déterminé ne peut provenir que de l’indéterminé. Toutes les choses et les êtres proviennent du déterminé et sont donc en liaison avec l'indéterminé primordial.

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Á l'encontre du Taoïsme religieux qui propose des pratiques bien spécifiques, la philosophie taoïste n'impose aucune discipline de vie ni méthode particulière pour accéder au bonheur. Elle conseille simplement de se libérer de toutes les questions métaphysiques qui encombrent la pensée. Elles resteront de toute façon sans réponse parce que elles ne peuvent essentiellement en recevoir. Il est dit que le Tao ne peut être décrit mais toute perception intuitive du Tao ne peut être absolument fausse puisque le Tao englobe aussi toute activité mentale indéterminée. Il est dit aussi que le Tao pourrait être approché par la "non-pensée" et la "non-action", ou "wei-wu-wei".

Tous les êtres sont issus de l’Être et l’Être est issu du Non-Être.

Par le non-être saisissons son secret et par l’être abordons son accès.

La philosophie taoïste affirme que tout chercheur dispose des fondements de la connaissance à l'intérieur de son être puisqu'il est en liaison avec la Réalité primordiale. Pour la retrouver, il doit donc chercher à s'associer au cours naturel de l'univers. Le mouvement qui va de l'indéterminé au déterminé est à la base de toute chose. Dans la nature, les transformations s'accomplissent d'elles mêmes. S'opposer à la marche des évènements est une erreur et il ne convient pas d'agir en ce sens. Il faut aussi laisser s'établir intérieurement la liaison avec le vide originel et abandonner la particularité de l'être individuel pour retrouver la vérité et la simplicité premières.

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Les principes du Tao philosophique .

Le Wei wu wei, (ou non-agir), et le non-être.

En Occident, le principe taoïste du "non-agir" semble généralement assez mal compris. Le comportement proposé par Lao-Tseu n'implique absolument pas la passivité. Bien au contraire, il incite au rejet des passions et des désirs qui visent à satisfaire la personnalité actuelle et sont en contradiction avec la loi naturelle fondamentale de l'évolution. Non agir, c'est cesser de s'opposer à force naturelle d'émergence procédant du Tao. Non agir, c'est donc libérer la puissance intérieure vivante qui transformera notre nature matérielle et animale en un mystère à venir, celui qu'en ce temps nous sommes généralement convenus d'appeler la dimension spirituelle. Nous faisons tous partie de la nature qui est perpétuellement en transformation. C'est son essence même que d'être en mouvement. Dans sa vie terrestre, l'objectif de l'homme est de se mettre en harmonie avec ses lois essentielles, c'est à dire de suivre ses 'voies'. Cette notion de voies de la nature a pu faire assimiler le Tao à un chemin à suivre pour accéder à la connaissance ultime. Mais le Tao n'est pas un chemin. Il est ce mystère insaisissable mais réel qui relie le plein et le vide, l'être et le non être. Le vide n'est en aucune façon le néant puisqu'il engendre toute chose. Le plein est contraire au vide mais ils sont complémentaires et n'existent pas l'un sans l'autre. Nous ne pouvons concevoir le Tao parce qu'il est la Réalité absolue et que notre intelligence est limitée. De ce fait, il ne peut être appréhendé par l'esprit, d'aucune manière. Pour nous, il n'a donc aucun sens sens et parait être le néant. Tout ce que nous pouvons concevoir comme appartenant au réel n'est que l'apparence intelligible des choses. En réalité, elles sont engendrées par la Réalité

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absolue et finalement elles retournent toutes en elle. Notre illusion est immense. Tout ce que nous concevons comme "réel" ne l'est pas, mais ces aspects de la réalité émanent cependant de la Réalité absolue. La réalité véritable est l'unique totalité de la Réalité absolue. Le Tao étant inconcevable, on ne peut cheminer vers lui par ni la pensée ni par l'action. En effet, le Tao étant perçu comme vide absolu ou néant, nous ne pouvons pas nous orienter consciemment vers cet indéterminé. Cependant, sans penser ce néant, nous pouvons nous laisser intuitivement attirer par la Réalité absolue. Nous n'irons pas vers elle mais nous laisserons son courant, son mouvement, venir à nous. Pour que cette réunion sacramentelle soit possible, il faut que notre être privé, notre personnalité, se libère de ses attaches terrestres et se retire. C'est ce retrait que Lao Tseu suggère par l'idée de 'non être' qui complète la pratique du Wei wu wei.

« L'œuvre une fois accomplie, retire-toi... Telle est la loi du Ciel ! »

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La religion taoïste et le syncrétisme

Le Taoïsme antique s'était enraciné sur un fonds de croyances populaires, la recherche d'une forme d'immortalité, et plus tardivement, sur la notion de complémentarité du Yin et du Yang. Au coeur de cette antique pensée philosophique, il faut replacer l'Homme. Car c'est bien le rôle de la philosophie d'aider chacun à trouver sa juste place et son équilibre au sein de l'immense et insaisissable mystère de son origine et de son destin. Dans le Taoïsme, celui qui parvient à réaliser la fusion de son énergie vitale (le gi) avec l'énergie universelle devient un homme accompli, un "homme du Dao", un "zhenren". Mais, petit à petit, la spiritualité céda la place aux rites et la philosophie taoïste se transforma en une religion qui semble définitivement établie vers la fin du deuxième siècle de notre ère.

Imaginons en Occident un édifice exposant simultanément les symboles des trois religions du Livre

devant lesquels les fidèles pourraient librement et pacifiquement pratiquer leurs différents cultes respectifs.

On voit que cela est actuellement devenu possible en Chine. Cette religion taoïste s'est diversifiée en de nombreuses écoles faisant référence à deux principaux courants. Le "daojia" est un dao mystique, religieux et élitiste qui recherche l'état zhenren par la méditation mystique, l'étude des textes taoïstes classiques, l'ascèse ou l'érémitisme. Par contraste, le "daojiao est un dao populaire qui utilise plutôt la magie, l'alchimie, la médecine chinoise traditionnelle, la maîtrise sexuelle et la diététique. Le daojiao a du affronter le confucianisme et le bouddhisme dont les clergés étaient très organisés. S'influençant mutuellement, les trois religions ont alors partagé certains concepts. Dans la Chine moderne, elles se confondent la plus souvent en une religion syncrétique sans prêtres dont les diverses pratiques utilisent parfois les même s temples.

Les écoles religieuses taoïstes

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Dans la croyance taoïste, le corps physique est mortel dans la mesure où il s’éloigne du Tao. En conséquence, la préservation et le développement de l’énergie vitale, (le qi), par des exercices de respiration et d’autres techniques y compris alchimiques pourraient permettre d'amener le corps en harmonie avec le Tao et d’atteindre ainsi l’immortalité. Cette quête taoïste demeura longtemps au coeur de la culture chinoise Sous l’influence ultérieure du bouddhisme, on y ajouta la pratique des bonnes actions. Au 2ème siècle après J.-C., Zhang Ling se proclama "Maître céleste" au nom de Lao Tseu. Celui-ci devint alors l'homme qui avait donné vie à la terre. Ainsi naquit l'école patrilinéaire des "Maîtres Célestes" qui fleurit en Chine jusqu'à l'instauration du régime communiste. Son siège est maintenant à Taiwan. Parmi les autres écoles du taoïsme religieux, la seule qui ait actuellement survécu est celle de la "Perfection Totale", une école monastique fondée sous les Yuan. Les taoïsmes religieux et philosophique ont aussi exercé une influence sur la diaspora chinoise. Ils ont été diffusés en Corée et au Japon où ils influencèrent le Shinto originel. Le zen japonais et le bouddhisme Chan en sont très proches. Par ailleurs, les techniques militaires décrites par Lao Tseu ont fait évoluer les méthodes individuelles. Les hommes de l’époque ont différencié philosophiquement deux pratiques de combat, l’une cherchant à les doter d’une arme de mort, l’autre à les élever spirituellement. On trouve là les origines de la dangereuse boxe de Shaolin, source du Karaté, et l'art de l'esquive caractérisant le Jiu- jitsu. L'actuel syncrétisme religieux chinois a produit des comportements cultuels qui sont à la fois des philosophies et des religions. De façon étonnante, aucun ne fait cependant appel à la notion d'un créateur du Monde ou d'un souverain Maître de l'univers. Ils révèrent des forces naturelles, des principes cosmogoniques, des personnages historiques ou légendaires déifiés. Ils y ajoutent le culte des ancêtres, la pratique de vertus cardinales ou morales traditionnelles ainsi que la recherche d'une certaine forme d'immortalité. Las actes des hommes ne doivent pas marquer la nature. Des offrandes peuvent être faites dans les

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temples. Elles sont même parfois carnées chez les Confucéens. Les autres fidèles tiennent les idéaux végétariens en haute estime comme en témoigne la forte progression actuelle du végétarisme.

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Le Yin-Yang ou Taijitu

Le concept central du Taoïsme, le Dao, est partagé par le Confucianisme et même par une partie des Bouddhistes, mais les uns et les autres l'interprètent cependant différemment. Aux yeux des Occidentaux, l'aspect le plus caractéristique du Taoïsme est celui développé par l'école du Yin Yang dont les symboles entrelacés signifieraient la structure de la nature manifestée. Ils feraient référence aux cotés ombrés d'une colline ou d'une vallée dont les aspects contrastés auraient attiré l'attention des Maîtres. Pour cette école, le Yin est l'énergie femelle et son reflet lunaire, la froideur, l'obscurité et la passivité, et le Yang est l'énergie solaire, la force mâle, la lumière et la chaleur. Le Yin et le Yang sont des principes totalement indépendants, sans aucune notion de valeur relative, de bien ni de mal. Elles ne peuvent jamais exister l'une sans l'autre et se complètent mutuellement, assurant l'équilibre de toute existence.

L'utilisation du Taï Ji peut prendre un sens implicite en fonction de son orientation. Dans le tableau ci-dessus, ce sens est YIN pour le symbole bleu et le restera si on le remet à l'endroit. Il est Yang pour le rouge. Le sens est renforcé par l'association avec une couleur. Ici, les couleurs renforcent les polarités des symboles. Autour des spirales du Taï Ji des groupes de trois bâtonnets sont disposés en octogone. Certains sont rompus, d'autres ne le sont pas. Il s'agit d'une autre forme symbolique du développement de la théorie taoïste des deux Yi, (les deux principes fondamentaux résidant au sein du Dao). Le tiret interrompu symbolise le Yin et le tiret continu représente le Yang. Les deux Yi, le Yin et le Yang, pris deux à deux, produisent quatre combinaisons particulières, les quatre formes, (les quatre Xiang), qui engendrent eux-mêmes les huit trigrammes spécifiques du Ba Gua, la couronne entourant le Taï Ji. Le Yi-Jing, ou Livre des Mutations, n'est pas un

livre taoïste

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Le Yi-Jing (ou Yi King) est un ouvrage majeur de la Chine antique. Il a été élaboré plus de mille ans avant notre ère, et les parties les plus anciennes remonteraient à la première dynastie des Zhou occidentaux. La tradition chinoise en attribue la composition à quatre sages, Fo Hi, le roi Wen, le duc de Zhou, et Confucius. Le système complexifie les trigrammes inventés par le légendaire Fuxi, en les combinant et en ajoutant les points cardinaux. Le Yi King n'est donc pas vraiment un livre. C'est plutôt un traité technique dont la finalité est de systématiser l'interprétation d'hexagrammes oraculaires en les reliant aux états du Monde et à leurs évolutions. Il est destiné à faciliter la prise de décisions et la résolution des problèmes par la divination. Le Yi King ne paraît pas être constitutif du Taoïsme mais semble demeurer son compagnon constant. Il l'a précédé, l'a côtoyé, et survivra probablement à son affaiblissement actuel.

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CHAPITRE 17– Le Cao Daï indochinois

Introduction

Le Cao Dai est la troisième religion du Vietnam. Elle a été fondée dans les années vingt à Tây Ninh, près de Saigon, par un adepte taoïste nommé Ngô Van Chiêun. C'est une religion syncrétique qui tente d'unifier les concepts du bouddhisme, du confucianisme, du taoïsme, du christianisme, de l'islam, du judaïsme, et même de quelques formes locales d'animisme. Le nombre actuel des fidèles est mal connu en raison de la situation politique du pays. Il se situe entre deux et quatre millions dont les deux tiers étaient originellement bouddhistes. Le Caodaïsme admet fraternellement tous les hommes de bonne volonté sans distinction de croyance, de race, ni de rang social. C'est sur la ferveur et les mérites des fidèles que se bâtit la hiérarchie. Les Caodaïstes sont monothéistes. Ils croient en un seul dieu dont le même esprit s'est manifesté chez divers grands sages et prophètes tels Lao-tseu, Confucius, Bouddha, Moïse, Jésus ou Mahomet. On trouve aussi au Vietnam une autre religion syncrétique assez analogue, issue du Bouddhisme, le Hoa Hao. Elle compte au moins deux millions de fidèles et réunit bouddhisme, taoïsme, confucianisme et culte des ancêtres, mais elle exclut les autres confessions.

Ngô Van Chiêun, le fondateur taoïste de la religion caodaïste en 1919, était un fonctionnaire annamite, délégué administratif dans l’île de Phu Quôc au Siam. Il pratiquait le spiritisme et découvrit l'existence d'un monde occulte. Il travaillait avec des médiums qui le mirent un jour en contact avec un "Esprit Supérieur" répondant à l'étrange appellation de "Cao Dai", Le Palais suprême. En 1926, Ngô Van Chiêun rencontra d'autres spirites qui utilisaient des tables frappantes qu'ils remplacèrent bientôt par un accessoire préconisé par Allan Kardec, la «corbeille à bec», dont la tête écrit directement les messages reçus. Les communications devinrent alors plus rapides,

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plus abondantes et moins fatigantes. Le 24 Décembre 1925, jour de Noël, l'Esprit connu sous le nom de Cao Dai se révéla comme étant l'Être Suprême et conseilla de le représenter sous la forme symbolique d'un oeil toujours ouvert signifiant l'omniprésence de Dieu. Usant de la voie spirite, la manifestation divine évitait de soumettre la nouvelle religion à l'autorité morale d'un Père fondateur qui aurait faire preuve d'intolérance. Favorisant ses propres croyances et refusant les vérités proclamées par d'autres religions, il en eut altéré l'universalité.

Le Cao Dai étonne par l'étendue de son syncrétisme et de sa tolérance. Il surprend encore, et doublement, par l'utilisation du symbole maçonnique de l'oeil ouvert dans un triangle, puis par l'utilisation du canal spirite dans sa révélation fondatrice. Ce n'est pourtant pas, en soi, plus scandaleux, (au sens étymologique), que l'illumination reçue par de nombreux fondateurs. Les voies de Dieu ne sont elles pas impénétrables? Après la révélation de la divinité de l'Esprit invoqué, Ngô Van Chiêun recruta plus de vingt mille fidèles en deux mois. La nouvelle religion d'étendit rapidement et il en devint rapidement le grand prêtre. Il fit construire près de Saigon la cathédrale de Tay Ninh avec dôme et clochers. C'est un temple immense et merveilleux qui comprend une longue et haute nef très décorée appuyée sur des rangées de colonnes enroulées de dragons. Au fond se dresse un autel sur lequel repose une énorme sphère lumineuse représentant l'univers. C'est le "Globe du Très-Haut", fait d'une ossature de bambou tendue d’étoffe transparente. Il est illuminé de l'intérieur par une lampe perpétuelle qui figure l'âme de tous les vivants. L’œil rayonnant de Cao Daï y est représenté sur un fond de nuages et d’étoiles.

Le Cao-Dai et le Hoa Hao ont parfois des attitudes surprenantes. Issues du Bouddhisme, ces groupes sont végétariens et s'interdisent le meurtre et la violence. Cependant, à partir de 1940, ils se politisèrent et constituèrent des milices armées qui intervinrent dans les conflits régionaux. L'armée privée du Cao Dai soutint ainsi les envahisseurs lors de l'invasion japonaise. Associée à de nombreuses dissensions internes, cette attitude amena l'autorité coloniale française à fermer les temples et à en déporter les dirigeants à Madagascar en 1941. Après la guerre, la situation s'améliora

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progressivement et la liberté des cultes fit rétablie. Pendant le conflit indochinois, le Coa-Dai joignit d'abord le front du Viêt Minh puis appuya l'armée française. En 1954, les accords de paix signés à Genève mirent fin à cette situation ambiguë, mais les groupes armés religieux restèrent en activité. Le Président du nouveau Vietnam, Ngö Dinh Diêm, décida alors de briser la puissance de ces milices privées en les intégrant de force dans l'armée nationale. En 1956, les hauts dignitaires s'engagèrent enfin à revenir à des activités strictement religieuses, rendant au Cao-Dai sa traditionnelle sérénité.

La religion du Cao Daï

Le Caodaïsme est une doctrine visant essentiellement à la fusion des trois principales religions de l'Orient, le Bouddhisme, le Taoïsme, et le Confucianisme, dont elle recommande de vénérer les fondateurs comme l'on vénère le Christ en Occident. Pour réaliser l'unité fraternelle des religions, le Caodaïsme pratique une très large tolérance envers toutes les formes de foi religieuse, acceptant même les adeptes de l'antique "Culte des Génies" et ceux du Christianisme. L'appellation Cao-Dai est le nom symbolique choisi par l'Être Suprême qui s'est révélé au fondateur de la nouvelle religion par la voie de la médiumnité. Le Caodaïsme tend à concilier toutes les convictions religieuses tout en s'adaptant à tous les degrés de l'évolution spirituelle. Le Caodaïsme croit en un seul Dieu, c'est à dire à un grand Être dont l'Esprit s'est manifesté aux grands sages et aux prophètes tels Moïse, Jésus, Mahomet, Bouddha, Confucius et Lao-tseu. L’Être suprême, s’était déjà manifesté dans Bouddha et Jésus-Christ au cours des deux grandes périodes antérieures. C'est pourquoi le nom complet du caodaïsme est "Daï dao tam ky phô do" qui signifie "la grande voie de la troisième période qui délivre les âmes captives aux enfers". Les caodaïstes nomment cette délivrance « amnistie ».

Inspirée pour une grande part des doctrines des anciennes religions orientales, le Caodaïsme en reconnaît les principes comme étant des vérités éternelles, exprimant la Loi Divine essentielle.

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Cependant, lorsqu'elle considère que certaines de ces vérités ont été altérées ou déformées par la superstition ou l'ignorance, la nouvelle religion se propose de rétablir leur véritable sens. L'enseignement général du Cao-Dai est résumé dans les formules suivantes. Au plan moral, il rappelle les devoirs de l'homme envers lui-même, sa famille, la société et l'Humanité. Au plan philosophique, il enseigne le mépris des honneurs, de la richesse, du luxe et des servitudes liées à la matière et préconise la recherche de la tranquillité de l'âme. Au plan cultuel, il prône l'adoration de Dieu, Père de tous, et la vénération des Esprits Supérieurs. Le Cao-Dai admet le culte des ancêtres mais proscrit les offrandes carnées et les papiers votifs. Au plan spiritualiste, il croit en la survivance de l'âme et à son évolution par les réincarnations, ainsi qu'aux conséquences posthumes des actions humaines réglées par la loi du karma. Au plan vue initiatique, il révèle aux adeptes qui s'en montrent dignes, les vérités permettant d'engager le processus d'évolution spirituelle menant à la béatitude.

Le nombre des fidèles caodaïstes exige un important clergé. Il comporterait 3.115 membres élus et hiérarchisés dont un Pape, (Duc Giao Tông), 3 Cardinaux Censeurs, (Chuong Phap), 3 Cardinaux régulateurs du culte, (Dâu Su), 36 Archevêques, 72 Évêques et 3000 Prêtres. Le fondateur avait prévu un Bouddha, deux ou trois Immortels, trente six Saints, soixante douze Sages, et trois mille Prêtres. Les tenues sacerdotales sont distinctives. Le Pape porte une robe blanche brodée du "Bat Quai", (les 8 trigrammes) et il est coiffé de la Mitre pontificale. Les 3114 autres dignitaires sont répartis en trois branches portant des tenues de couleurs différentes. Les "Thai Thanh" représentent la branche du Bouddhisme et portent des vêtements jaunes. Les "Thuong Thanh", les Taoistes, sont vêtus de bleu, et les "Ngoc Thanh" confucianistes sont en rouge. Dans les trois branches, il y a un nombre illimité d'élèves-prêtres. Comme les fidèles, ils sont vêtus de blanc. Un collège féminin a ses propres dignitaires avec une "femme cardinal" à sa tête. Cette Vénérable a les mêmes devoirs et les mêmes pouvoirs que ses homologues masculins. Elle a donc autorité sur les prêtres masculins. Cependant, le collège féminin n’est pas éligible pour occuper les titres de Pape ni de Censeur

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La structure hiérarchisée du clergé reflète le schéma de la conception du Monde selon le Cao Dai. On retrouve le même concept trinitaire dans l'architecture du grand temple de Tay Ninh. Au fond se situe le "bát-quái-Çài", le Temple Octogonal de la Direction Divine. Il figure l’âme de la religion. On y trouve l’autel consacré à Dieu et aux esprits supérieurs, tels les bouddhas, les immortels, les saints et les génies. C'est la partie très sacrée du sanctuaire, réservée au divin. Plus bas, on trouve le "hiŒp-thiên-Çài", le Temple de l’Alliance Divine. Il représente l’organe de la communication entre le monde invisible et le nôtre. C'est également un lieu sacré qui est réservé au pouvoir spirituel. Les plus hauts dignitaires s'y mettent en liaison spirite et spirituelle avec la divinité et ses émanations, et ils y élaborent les lois religieuses. Enfin, plus éloigné de l'autel, s'étend la grande nef du "cºu-trùng-Çài", le Temple des Neuf Degrés de l’Évolution, qui représente le corps de la religion, la partie physique du Monde. Cette partie du temple est accessible à tout le clergé, des plus hauts dignitaires jusqu'au reste de la hiérarchie. On y célèbre les offices et les divers actes du culte. Les hommes s'y tiennent à droite et les femmes à gauche, et ils gagnent les étages par des escaliers différents. Les adeptes du Caodaïsme se répartissent en deux degrés, le "thuong thua", le degré supérieur, et le "ha thua", le degré inférieur. Tous les religieux proprement dits, des dignitaires aux simples moines, constituent le premier degré. Ils s'alimentent de façon exclusivement végétarienne et respectent certaines obligations rituelles et cultuelles. Ils s'interdisent tout luxe et toute relation sexuelle, et leur vie est entièrement vouée au service de la religion. Les autres fidèles constituent la masse des croyants. Ce sont des adeptes du second degré qui vivent de façon ordinaire. Leurs obligations religieuses consistent à pratiquer le culte quotidien et à observer les règles de conduite prescrites par le nouveau code religieux, le Tân luat. Tous les fidèles sont astreints aux "Ngu gioi cam", les 5 interdictions tirées de la morale bouddhique, ne pas tuer, ne pas être cupide, ne pas commettre d'acte de luxure, ne pas faire grande chère, ne pas pécher en paroles. Les adeptes du second degré doivent arriver progressivement à l'alimentation végétarienne. Ils commencent par s'abstenir d'aliments carnés un nombre déterminé de jours par mois. Ils débutent par le "soc vong", un régime temporaire de deux jours

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par mois, passent au "luc trai", (six jours), puis au "thap trai", (dix jours), et enfin au mois complet.

Les objets sacrés sur l’autel Cao Daï

Au centre, en dessous de l’Oeil divin, la "Lampe du Premier Principe ou de la Monade" brille jour et nuit. Elle symbolise le TAO qui illumine tout l'Univers, et elle est aussi "La Lampe de la Conscience" qui illumine chaque homme. Un vase de fleurs de cinq couleurs est placé sur la gauche. Un plateau de fruits est placé sur la droite. Une tasse d'eau pure est disposée du côté des fleurs et une tasse de thé du côté des fruits. Elles représentent respectivement le "Principe Positif ou Yang et le Principe Négatif ou Yin". Entre les deux tasses sont posés trois verres d'alcool. Ensemble, les fleurs, l'alcool et le thé représentent les "Trois Précieux Éléments" constitutifs de l'être humain. Dans cette symbolique ternaire, les fleurs représentent le "Sperme ou l'Essence" de la matière, l'alcool représente le "Souffle ou l'Énergie vitale", et le thé représente "l'Esprit Divin ou le Principe Intelligent".

En avant et au milieu de l'autel, il y a un brûle-parfum. On y brûle cinq baguettes d'encens à chaque séance de prière. Ces cinq baguettes d'encens représentent les cinq organes internes de l'homme, le coeur, le foie, l'estomac, les poumons et les reins. Ils correspondent respectivement aux cinq éléments composant l'univers dans la tradition chinoise, le Feu, le Bois, la Terre, le Métal, et l'Eau. Le nombre cinq est aussi celui des cinq degrés croissants de l’initiation. Enfin, à droite et à gauche du brûle-parfums, se trouvent deux chandeliers avec deux bougies blanches qui représentent encore la dyade du Yin et du Yang. L'ensemble veut signifier que le pratiquant qui unifie en lui les Trois Précieux Éléments, l'Essence de la matière, le Souffle vital et l'Esprit divin, en s'aidant des méthodes et techniques de la méditation caodaïste parvient à l'Illumination et se crée un deuxième corps d'éther invisible avec lequel, au moment

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de la mort de son corps physique, son esprit regagnera le Séjour des Bienheureux. Les cinq baguettes sur l'autel du Cao Dai symbolisent les cinq degrés de l’initiation bouddhique, la pureté, la méditation, la sagesse, la connaissance supérieure, la libération karmique. L'adepte initié doit pratiquer la méditation. Cet exercice l'aide à se détacher du Monde pour arriver à une intimité avec le Soi Supérieur, cet Être qui réside secrètement à l'intérieur de chaque homme. Dans ce recueillement de l'âme recherchant l'identification avec l'Âme universelle, l'adepte dissipe les illusions du monde et découvre les vérités essentielles.

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Aspects du Culte

Même si des religions comme le Christianisme occidental ont été secondairement intégrées au projet, l'unification des trois grandes religions orientales, Bouddhisme, Taoïsme et Confucianisme, constitue l'objectif majeur du Caodaïsme. Le concept essentiel est celui du Tao qui désigne la force, le souffle de l'infini immense et sans forme préexistant à l'Univers. En "Cela" existent deux principes opposés et complémentaires, le Yang positif, et le Yin négatif. Il s'unissent pour donner naissance à la Grande Source de Lumière Divine et à l'Être Suprême appelé Dieu, source de toutes choses. Sur le plan terrestre, le Tao est à la fois l'énergie et la voie mystique que suivent les âmes incarnées par erreur dans le monde terrestre pour revenir vers leur nature et leur demeure premières. Pour les aider dans cette démarche, Dieu est intervenu au cours de deux périodes dans le passé, en s'incarnant dans des êtres humains. Cela permit la fondation de nombreuses religions, mais elles n'ont pas atteint complètement leurs buts. Dans une humanité aujourd'hui plus évoluée, le mot "Cao Dai" a été donné par Dieu pour désigner son intervention par la voie du spiritisme, en cette troisième période d'amnistie, c'est à dire de pardon ou de rachat des âmes. Il y aurait eu deux périodes de manifestations divines avant cette troisième période actuelle du Coa Dai. La première période date de plus de 2500 ans avant J.-C. Les religions suivantes furent alors créées, l'Humanisme par l'Empereur Fou-Hy (4477-4363 avant J.-C.) en Chine, le Culte des Saints en Chine par l'Empereur de la Littérature (Van Xuong Dê Quân), le Judaïsme en Asie Mineure par Moïse, le Taoïsme en Chine par le Maître Suprême du Tao (Thai Thuong Dao Tô), le Bouddhisme par le Très Ancien Bouddha Dîpankara (Nhiên Dang Cô Phât) et l'ancien Bouddha Amitabha (A Di Dà Phât) en Inde, et le Védisme ou Brahmanisme primitif en Inde également. Le seconde période commence au 5e siècle avant J.-

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C. et se termine vars l'an 1500. De nouvelles religions apparurent, le Confucianisme fondé par Confucius en Chine, le Culte des Génies par Khuong Thai Công en Chine, le Christianisme par Jésus Christ en Judée, l'Islam par Mahomet en Arabie, le Taoïsme par Lao Tseu en Chine, ou le Bouddhisme par Cakyamuni en Inde. En cette Troisième Période, pour le salut de l'humanité, Dieu lui même aurait fondé le Caodaïsme sous le nom "Cao ñài Tiên Ông ñåi BÒ Tát Ma-Ha-Tát" (L'Immortel Bodhisattva-Mahâsattva Cao Dai). Dans le temple de Tây Ninh, on vénère les statues ou images de Confucius, de Laozi, du Bouddha, du Christ, de Quan Vo, (général chinois divinisé), de Li Taibo, (grand poète taoïste), ou de la déesse bouddhique Quan Am. De façon plus surprenante, on invoque aussi Jeanne d’Arc, Shakespeare, Pasteur, Lénine, Churchill, Camille Flammarion, le spirite Allan Kardec, Sun Yat-sen et surtout Victor Hugo (auteur des "Misérables"), quoique le poète ne soit pas en France un modèle de vertu. Face à la lampe sphérique figurant la Monade universelle, on fait chaque jour des offrandes et l’on dit des prières à six heures, midi, dix-huit heures et minuit. Puis on chante un hymne en l’honneur de Dieu et des Trois Grands Saints. Lors des grandes cérémonies, un prêtre conduit les prières et les hymnes. Des fleurs, de l’alcool, du thé et cinq baguettes d’encens sont offerts sur l'autel durant le culte. Les fleurs symbolisent le sperme, Tinh, l'essence de la matière, l’alcool, le souffle vital, Khi, et le thé, l’esprit, Than, les trois composantes essentielles de l’homme. Dans la pureté du coeur, on travaille à transformer l’énergie vitale en énergie mentale, puis en énergie spirituelle. Et les cinq baguettes d'encens symbolisent les cinq degrés de l’initiation bouddhique.

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Être Caodaïste Le Cao Dai est une religion austère qui demande à ses adeptes un engagement important. Les candidats doivent être parrainés par deux adeptes qui initient le catéchumène à la doctrine aux lois de la religion. Le jour de son adhésion, le néophyte fait acte de foi devant l'autel. Un dignitaire vient alors installer "l'autel divin" chez le nouveau converti. Le culte caodaïste est un acte d'adoration. La prière altruiste doit être journellement pratiquée par les fidèles, et elle est considérée comme nécessaire au salut des âmes. Pour être admis à l'Initiation, la première condition est une totale pureté, du corps, des actes, du langage, et de la pensée. La conversion confère le titre d'adepte. Il y a deux catégories d'adeptes. Ceux du degré inférieur, (Ha Thua), ont encore des attaches avec le monde et suivent un régime végétarien partiel. Ils doivent observer les "cinq interdictions" et les autres lois religieuses applicables à leur catégorie. Ceux du degré supérieur, (Thuong Thua), suivent un régime exclusivement végétarien. En plus des "cinq interdictions", ils se conforment aux "quatre principales observances". Les adeptes du degré inférieur qui respectent les obligations peuvent être admis à recevoir un début d'initiation dans des cellules de méditation. Les cinq interdictions s'imposent à tous les fidèles. 1 - Ne pas tuer les êtres vivants. 2 - Ne pas être cupide, ne pas voler ni garder un objet trouvé, ni se livrer aux jeux d'agent. 3 - Ne pas commettre d'acte de luxure, ne pas prendre la femme d'un autre ni exciter à l'amour par des paroles flatteuses. 4 - Ne pas faire grande chère, éviter tout excés de table et se garder de l'ivresse, ne pas user de boissons enivrantes ni de mets recherchés. 5 - Ne pas pécher en parole ni mentir, ne pas tromper ni altérer la vérité, ne pas se vanter, ni juger ou se moquer des autres, ne pas pousser à la haine ni prononcer d'injures, ni blasphémer, ni manquer à sa parole. Les adeptes du degré supérieur doivent aussi suivre les quatre

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observances. 1 - Obéir aux ordres des supérieurs, accepter les suggestions des inférieurs, se montrer poli envers tout le monde, reconnaître ses torts et s'en repentir. 2 - Ne pas tirer vanité de ses talents, s'oublier pour les autres et les aider dans la religion, se garder des rancunes personnelles. 3 - Être d'une honnêteté absolue en matière d'argent. Enseigner sans hauteur et sans morgue. Conseiller sans irrévérence. 4 - Conserver une attitude respectueuse vis à vis des supérieurs, présents ou absents. Placer l'intérêt général avant l'intérêt personnel. Le Cao Dai pourrait être comparé à la religion syncrétique chinoise. Cependant, le Cao Dai respecte toutes les croyances d'autrui quand elles ne conduisent pas au fanatisme et à l'hérésie. En dehors de l'adoration fondamentale du Dieu Suprême, ses adeptes peuvent librement vénérer d'autres dieux s'ils ont conquis leur cœur. Les Caodaïstes considèrent que les autres religions émanent aussi de la divinité. Ils admettent toute religion fondée sur les révélations de la conscience et du cœur ou sur la nature psychique de l'individu et sur les sentiments d'amour et de solidarité de la société humaine. Dans une attitude de très grande tolérance, ils tendent donc à synthétiser tous les systèmes religieux et philosophiques pour essayer de satisfaire au besoin de certitude métaphysique des âmes contemporaines. Ils ignorent également l'esprit de race et les patries terrestres et les confondent toutes dans l'Unité divine embrassant tout l'univers. Ils témoignent de fraternité envers tous les hommes et de bonté envers les animaux, et même envers les végétaux. Les Caodaïstes doivent se vouer en toute circonstance au service du prochain. Ils doivent être prêts à aider leurs semblables et à tendre une main secourable à tous ceux qui ont besoin de son aide.

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CHAITRE 18 – Le Jaïnisme

La svastika dans le Jaïnisme

Étrange rencontre que celle de l'antique symbole de la non violence la plus absolue avec celui du brutal e t récent mouvement nazi. La svastika est une image habituell e de la destinée cyclique de l'univers dans diverses rel igions orientales. Pointant vers la droite, elle symbolise sa construction ou son évolution tandis que vers la ga uche, elle représente son involution ou sa destruction. L a svastika est encore plus importante dans le Jaïnism e où, avec le cobra à sept têtes, elle figure aussi le se ptième saint, Thîthankara Suparshvanâtha. Les Thîthankara sont les 720 maîtres jaïns divinisés après avoir atteint la libération de l'âme par la résolution de leur karma . Mais les Jaïns utilisent aussi d'autres symboles.

Origine du Jaïnisme

Le Jaïnisme est un mouvement religieux indien indépendant du Bouddhisme. Cependant, comme lui, c'est à la fois une religion et une philosophie. Le Jaïnisme aurait été fondé par le réformateur Pärshvanatha, fils d’un roi de Bénarès. Parvenu à la connaissance suprême par la méditation et l’ascèse, ce prophète aurait unifié différentes chapelles et fait connaître la Loi jaïna à ses nombreux disciples, avant de se laisser mourir de faim. D'autres sources considèrent que le véritable fondateur du Jaïnisme fut son successeur, Mahâvira, le 24e et dernier des grands guides spirituels de la tradition jaina. Il réforma la religion des Jaïns au 6e siècle avant J.C. et en durcit la discipline. Le Jaïnisme semble être antérieur à

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l’hindouisme. Les Védas, écritures sacrées hindouistes très anciennes, indiquent que les Jaïns sont les premiers Tirthankara, (les Maîtres divinisés). La différence essentielle entre la spiritualité jaïniste et l’hindouiste, c'est que le Jaïnisme est une religion sans dieu. Pour les Jaïns, le divin réside dans tous les êtres vivants mais pas dans l'inanimé. C'est un concept dualiste qui différencie JIVA, l'âme, et AJIVA, la matière. La Jiva est l’énergie sensible de la conscience, de la connaissance et de l’intuition. L’Ajiva est ce qui ne contient pas cette énergie sensible. Il y aurait actuellement 5 millions de Jaïns en Inde et dans d'autres pays.

Le Jaïnisme est une philosophie basée sur le principe de la non violence. C'est l'AHIMSA, la règle éthique suprême. La règle va bien au-delà de l’abstention de toute violence. Elle requiert la sollicitude et l’amour dans le comportement quotidien. Pour les jaïns, l'Ahimsa signifie la non violence assumée en permanence dans la pensée, dans les paroles et dans les actes. Ce principe fondamental n’admet aucune dérogation ni incitation active ou passive à la violence. Il exige une considération attentive des relations établies avec tous les êtres vivants. L’engagement jaïna influence la vie de tous les jours. Les Jaïns sont végétariens mais la pratique du végétarisme n'est qu'un principe parmi d’autres. Les Jaïns doivent être vertueux et sont tenus d'exercer une profession accordée à leur philosophie. En effet, dans le Jaïnisme, chaque pensée, chaque mot, chaque acte, est une cause qui entraîne une conséquence, un karma, une charge qui lie l'âme à la matière. La violence, l’avidité et la haine alourdissent cette charge et renforcent ce lien, tandis que la quête de connaissance et les bonnes actions, l’affaiblissent. Le but de la vie est de se libérer du lien karmique. L’âme doit se détacher de la matière et mourir en état de liberté pour sortir du cycle des réincarnations. Les saints Tirthankaras dont les statues sont honorées dans les temples auraient réalisé cette libération.

La seconde règle éthique de la philosophie jaïna est l’ ANEKANTAVADA. Elle incite à comprendre la relativité de ce qui est perçu de la réalité qui est trop complexe pour être envisagée d'un seul point de vue. Il faut donc l'appréhender sous divers aspects pour en prendre une certaine connaissance. Ceci implique une grande tolérance à l'égard de l'avis des autres, et les Jaïns n'imposent pas

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leurs opinions par la violence verbale. Les Jaïns appliquent le principe de non violence, (ou de non nuisance), de la façon la plus large possible. Ils ne consomment aucune chair animale, n'acceptant que les végétaux et des produits laitiers. Les plus stricts s'abstiennent aussi de racines pour ne pas blesser de petits animaux en les extrayant du sol. De nombreux moines et nones, et même les laïcs, prononcent des voeux d'ascétisme plus ou moins contraignants selon leur état. Cette attitude devrait les amener à une plus grande pureté et les détacher de l'avidité pour les biens matériels. Les religieux portent généralement sur eux un petit balai ou un plumeau caractéristique avec lequel ils nettoient le sol de la poussière et des insectes avant de s'asseoir. Les moines sont répartis en deux écoles qui travaillent ensemble. Les "Shvetambaras" sont simplement habillés d'un tissu blanc. Les "Digambaras" sont "habillés par le ciel" et vivent complètement nus, même en public.

La doctrine et la cosmogonie jaïna

La doctrine Jaïna comporte trois fondements, les trois joyaux de la connaissance, de la foi, et de la conduite. La connaissance est l’attribut essentiel de l’âme. Elle repose sur les perceptions sensorielles qui permettent de comprendre les véritables natures de l’espace et du temps. Les âmes, éternellement vivantes, existent en nombre infini. Ces entités spirituelles habitent les organismes corporels auxquels elles sont liées. Les organismes possèdent plusieurs corps plus ou moins subtils, le corps physique des hommes et des animaux, le corps de transformation des dieux et des démons, le corps de transfert qui permet à certains hommes d’agir à distance, le corps ardent qui donne l’énergie, et le corps karmique qui contient le poids du passé. L’âme peut s’incarner dans les êtres mobiles d’espèces différentes mais aussi dans des être immobiles. C’est le corps karmique, construit par les actes, qui cause la servitude de l’âme, (pure de nature), tant qu’elle est attachée à un organisme corporel, (impur de nature). Les liens de l’âme sont les passions engendrées par le karma. Pour libérer l’âme, il faut se détacher des passions, ce que permet la seule religion. A la mort, l’âme libérée de la matière karmique rejoint le sommet de l’univers. Dans le cas

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contraire, elle reste dans le corps karmique puis se réincarne dans une nouvelle existence, humaine, divine, animale, ou infernale.

L'ancienneté de la religion jaïna a laissé tout le temps nécessaire à l'élaboration d'une cosmogonie extraordinairement complexe et structurée. Ici, l'espace est intemporel et composé de deux régions concentriques. Comme une immense enveloppe indéfinie, un non monde ultra cosmique vide et illimité entoure le cosmos où sont localisés tous les êtres matériels ou animés, et où vivent aussi les âmes. Ce cosmos intérieur est lui-même composé de trois mondes distincts superposés. Le supérieur est un merveilleux monde divin. Le médian est le lieu matériel où vivent les hommes, les animaux et les puissances stellaires. Le ténébreux monde inférieur est rempli d'horreurs indescriptibles. Le temps régit le monde médian des hommes et des astres qui tourne en reproduisant indéfiniment des conditions périodiques analogues. Dans chacune de ces périodes, le Jaïnisme distingue deux phases, l'une ascendante dans le bonheur et l'autre descendante dans le malheur, avec chacune six degrés. Nous sommes malheureusement aujourd'hui dans le Kali-Yuga, à la fin du cinquième degré de la phase descendante, l’âge de discorde et d’hypocrisie. Au cours de cet âge de fer, la véracité, la pureté, la clémence, la miséricorde, tous les principes de spiritualité, la mémoire, la durée de vie et la force physique vont en se dégradant progressivement jusqu’à disparaître presque complètement à la fin du cycle.

Le monde inférieur s'enracine sous le monde médian des hommes. Il comprend sept régions superposées d'étendues croissantes avec la profondeur. Des espaces importants les séparent. Ces lieux ténébreux sont épouvantables, tantôt glacés, tantôt brûlants. Ils sont peuplés d'êtres horribles ou misérables et de particules animales et végétales dont la situation est en relation avec le poids de leur Karma. Dans les régions les plus élevées vivent des divinités néfastes qui peuvent gagner le monde médian des hommes. Les plus profondes sont des lieux infernaux peuplés par les âmes des criminels. Le monde supérieur commence très au-delà des étoiles. Il compte de nombreuse régions de pure beauté. Elles sont éclairées d'une brillante lumière. De merveilleuses divinités y habitent, qui échappent aux lois temporelles. Leur taille diminue avec la hauteur où elles siègent. La

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première zone compte douze étages (kalpa) dont certains sont doubles. Comme les communautés terrestres, ces domaines divins sont régis par des princes et leurs épouses, leurs conseillers, leurs cours, et même leurs armées. Les divinités des kalpa inférieurs vivent dans le luxe et la volupté mais le renoncement aux désirs croit avec l'élévation dans les étages. Deux régions suivent également découpées en plusieurs étages progressivement purifiés. Enfin, la coupole du monde supérieur est le lieu de séjour des âmes libérées.

Entre ces deux extrêmes le monde médian est un immense disque qui tourne autour du Mont Méru. C'est là que vivent les hommes et les Génies stellaires avec les astres qu'ils gouvernent. Les continents centraux ou lointains sont séparés par des océans. Le continent central circulaire est appelé "Jambûdvïpa". les différentes espèces humaines vivent dans une partie de ce lieu. C'est au sud que se trouve l'Inde, le "Baratavarsa" dont les frontières sont peuplées de barbares. Au delà habitent d'étranges races humaines d'une beauté surprenante qui vivent librement à l'abri des lois karmiques. Mais en Inde, ces lois régissent l'existence difficile des hommes qui doivent y gagner leur délivrance. Dans ce monde vivent aussi de très nombreux animaux et végétaux divers ainsi que d'innombrables animalcules et particules dont certaines attendent encore leur première expérience karmique. Des divinités le parcourent parfois, venant des mondes supérieurs ou inférieurs pour y répande le bien et le mal. D'autres y résident de façon permanente, comme les dieux locaux avec toutes leurs cours, ou les dieux régissant les merveilleux chars des astres. Les cinq classes de dieux stellaires existent tous en double, et les deux membres tournent autour du Mont Meru à l'opposé l'un de l'autre. Ainsi, au Nord comme au Sud de la montagne , au matin comme au soir, on ne voit jamais qu'un soleil ou qu'une lune à la fois. Le continent central circulaire du monde médian est le "Jambûvïpa", ou "Île du Pommier rose", c'est-à-dire l'Inde. Au Nord et au Sud du Mont Méru central, il est partagé en sept régions par des chaînes de montagnes courant de l'Est à l'Ouest. Les rivières qui en descendant vont se jeter dans l'océan circulaire qui entoure le continent. Le Jambûvïpa, le Monde des Hommes, est soumis aux lois du temps et à celles du karma. L'écoulement du temps dans ce monde est

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comparable à la rotation d'une roue dont les périodes analogues appelée "éons" ou"kalpa"se suivent en se répètant indéfiniment. Chaque Kalpa comporte deux phases de chacune six degrés. L'humanité passe d'abord progressivement de la félicité la plus élevée à la misère la plus noire. La roue continue de tourner et la destinée reprend son cours en sens inverse, conduisant les hommes du malheur total au bonheur complet. Au cours de chacune de ces très longues phases, de nombreux personnages dits "éminents" apparaissent. Parmi ceux-ci, on compte vingt-quatre prophètes, les "Jina" ou "Tirthamkara", (ou traceurs de gué) qui sont des guides sur le chemin de la délivrance. S'y ajoutent douze "Souverains universels", vingt-sept paladins ainsi que des législateurs. En ce cinquième âge qui est le nôtre, nous serions aujourd'hui sur la fin d'une phase descendante ce qui explique l'état misérable du Monde.

La communauté jaïna

Le Jaïnisme est la plus ancienne "religion philosophie" du monde. On a découvert dans la vallée de l'Indus des statues jaïns qui datent de plus de 3500 ans avant notre ère. Ses principes n'ont pas changé depuis 5000 ans. Son influence en Inde demeure importante. Le Jaïnisme s'efforce d'y faire disparaître le système des castes, il s’oppose à l’esclavage, il propose un statut pour les intouchables et essaye de rendre les individus plus autonomes à l'égard des superstitions. Zélateurs de la non violence, les Jaïns ont inspiré la politique de Gandhi. Ils n’ont jamais essayé d'imposer leurs principes par la force contrairement aux autres grandes religions, et ils acceptent tous ceux qui voudraient y adhérer. L'appellation "Jaïn" vient du sanscrit Jina dharma, la religion des Jina, c'est à dire des vainqueurs, des humains dont l'âme a remporté la victoire. Tout le monde peut devenir un Jina. Il y a deux catégories de Jina. On distingue les Jina ordinaires, qui sont simplement soucieux de leur salut personnel, et ceux qui ont atteint la connaissance suprême et montrent aux autres la voie de la libération. Ces guides spirituels sont appelés "Tirthankaras". Les Jaïna ne croient pas en un dieu créateur, et le monde serait incréé et éternel. Cependant, ils ne sont

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pas athées. Ils croient que les seules véritables formes divines sont des êtres qui ont réussis à libérer leurs âmes. Et une âme libérée devient un dieu.

L'activité des Jaïna tend à briser le cycle des réincarnations de l'âme dans des formes corporelles. Pour cela, ils doivent appliquer le principe de la non violence afin de détacher les mauvaises particules karmiques de leur âme. Libérée, elle sera promise à une infinité de bonheur, de connaissance, de perception, et de pouvoir, devenant ainsi un dieu. Pour travailler à cette libération de l’âme, il faut suivre des principes, ou vœux. Il y a deux sortes d'engagements. Les fidèles laïques prononcent de petits vœux, en fonction de leurs possibilités, et les religieux, moines ou ascètes, prononcent de grands voeux qu'ils appliquent avec une grande rigueur. Le Jaïna s’engage à respecter cinq interdits, ne pas nuire aux êtres vivants, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas manquer à la chasteté, ne pas s’attacher aux biens matériels. "Ahinsa", le principe de non violence envers tous les vivants, conduit à ne pas manger de viande, de poisson, ni même de miel, ne pas porter de cuir, de fourrure, de soie ou autre matière nécessitant la mort d' un animal. Il ne faut pas tuer les insectes dérangeants, éviter de les écraser en marchant ou qu'ils se noient dans un seau, ou qu'ils se brûlent sur une bougie. etc.. Les ascètes balayent le sol avant de marcher ou de s'asseoir pour ne pas écraser de petits insectes, et ils se couvrent même la bouche d’un tissu blanc pour ne pas risquer d’en avaler. "Ahinsa" est le vœu premier des Jaïna.

Le principe de non violence est préconisé par beaucoup de religions mais les jaïns en prescrivent la stricte application. Les voeux suivants découlent du principe d'Ahinsa. Le second, "Satya", engage à ne pas mentir, ni d'égarer dans la fausseté, et réfléchir avant de parler pour ne pas blesser par ses paroles. "Asreya" est le vœu de l’honnêteté, ne pas voler ni prendre ce qui n’a pas été donné. "Brahmacharya" concerne la sexualité. Pureté sexuelle pour les laïques et chasteté pour les ascètes. Le viol, la pédophilie, la zoophilie sont contraires à l’Ahinsa. "Aparigraha" interdit l'avidité et toute forme d’attachement pour l’argent et les biens matériels, et même pour les personnes. Par extension c’est le voeu de restreindre les possessions qui attirent jalousie et violence. Tous ces voeux

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conduisent à vaincre la nature matérielle par le travail spirituel. Quatre vertus supplémentaires sont conseillées, "Maitri", l'amitié envers tous les êtres vivants, "Pramoda", la joie de rencontrer des êtres plus avancés, "Karunya" la compassion pour les malheureux, "Madhasthya", l'indifférence envers la discourtoisie subie. Dix vertus générales doivent être pratiquées, l'indulgence, la sensibilité, la droiture, la pureté, la loyauté, la sobriété, l'austérité, le renoncement, le détachement, et la chasteté. Ces principes purificateurs sont à appliquer avec rigueur tant pour alléger le karma propre de chacun que pour celui des autres.

Un Jaïn est disciple d’un "Jina ou Tirthankara", un Maître spirituel. Le "Sangha" actuel (communauté jaïne) est celui de Mahāvira. Il se compose des Sādhus (moines), les Sādhvis (nonnes), les Shrāvakās (hommes laïcs), les Shrāvikās (femmes laïques). Le Jaïnisme a connu divers schismes qui ont engendré plusieurs sectes. Le dernier a séparé les Digambara et les Svetambara qui interprètent différemment la même doctrine. Les Digambara (vêtus de ciel), considèrent la nudité (historique) comme absolument nécessaire à l'obtention du salut. Les Svetâmbara (vêtus de blanc), assurent qu'elle n'est pas essentielle. Les Digambara disent que la femme doit renaître sous la forme d'un homme pour obtenir la libération. Les Svetâmbara affirment qu'elle est capable de la même réalisation spirituelle. Les Digambara pensent qu'un ascète omniscient peut se passer de nourriture, (inacceptable pour les Svetâmbara). D'autres différences mineures concernent l'histoire du Jaïnisme, la parure de statues ou la nourriture des ascètes. Les moines Svetâmbara mendient partout leur nourriture. Les Digambara la prennent debout, dans la paume des mains, issue des seules maisons où leur pensée secrète (sankalpa) est satisfaite. Les ascètes Svetâmbara peuvent posséder quatorze objets utiles. Les Digambara n'en possèdent que deux, un balai à plumes de paon (picchi) et un pot à eau en bois (kamandalu).

Dans la recherche de son salut, l'âme est paralysée car elle est emprisonnée dans son association avec la matière karmique du Monde. Le cheminement vers sa libération passe par la "Ratnatrayamarga", une triple voie marquée par le concept remarquable de "Justesse". La JUSTESSE, c'est la qualité de ce qui

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est juste, exact, pertinent, parfaitement approprié à son intention. Il est demandé aux Jaïns d'avoir "la foi juste", d'être convaincus de la justesse des principes fondamentaux du jaïnisme, d'être exempt de perversité, de soutenir les principes jaïns, de détourner les gens des superstitions, d'être exempt d’orgueil. Ils doivent aussi avoir "la connaissance juste", celle des principes jaïns acquis par l’écoute et la lecture des écritures, en les comprenant correctement et avec l’ouverture d’esprit convenable. Il leur faut enfin mener "la conduite juste" en parfait accord avec la foi et la connaissance justes. Il leur faut encore distinguer la conduite imparfaite des laïques et la conduite sans réserve des ascètes qui essayent de réaliser présentement leur salut. Seule la vie en religion conduit à la Délivrance (siddhi). Á sept ans et demi, un enfant peut entrer en noviciat pour devenir moine. Il est ensuite consacré. Les cheveux rasés, il revêt la robe monastique, reçoit un nouveau nom, prononce les cinq vœux et entre dans un groupe pour pratiquer la Loi, "l’Acarya"sous la stricte direction d'un Maître.

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Les engagements des Jaïns

Le moine Jaïn est itinérant, se tenant dehors sauf pendant la mousson. Il ne possède qu'une pièce d’étoffe qu’il ne doit ni laver ni réparer, un bol à aumône, et un plumeau pour écarter les insectes (plus un bandeau placé devant sa bouche). Ses journées comptent quatre périodes, réservées chacune à une occupation précise, étude, méditation, tournée d’aumône, sommeil. Il doit étudier les textes rituels et les formules convenues. Il ne mange que le jour pour éviter d'avaler des moucherons. Les repas journaliers sont soumis aux prescriptions de jeûne. Le moine doit confesser ses défaillances et les racheter par des pénitences. Membre de la communauté, il doit y pratiquer l’entraide et dispenser son soutien spirituel aux laïcs. Ceux-ci sont étroitement intégrés à la communauté et astreints, eux aussi, à l’observance de vœux. Tout Jaina s’engage à respecter les cinq interdits, ne pas nuire aux êtres vivants, ne pas mentir, ne pas s’approprier le bien d'autrui, être chaste, ne pas s’attacher aux biens matériels, et de plus ne pas manger de nuit. Pour les religieux, ces cinq interdits sont des vœux majeurs extrêmement rigoureux. Les laïcs assurent la vie matérielle des religieux, construisent et entretiennent des temples, et soutiennent les déshérités, y compris les animaux vieux et malades qu’ils recueillent dans des hospices spéciaux. Le laïc n’est soumis qu’à des vœux mineurs, mais sa vie n'est pas facilitée pour autant. Ceux-ci sont en effet complétés par sept règles de moralité. Le laïc s’interdit toute action inutile ou risquée et limite ses activités dans l'espace. Il s’imposer la modération et médite plusieurs fois par jour. Il limiter ses occupations. Il jeûne le jour et veille la nuit au moins deux fois par mois. Il distribue toutes sortes d’aumônes. La vie du laïc progressant en perfection rejoint ainsi la vie religieuse. Certains Jaïns pratiquent le culte des statues des Jinas (Maîtres) et allument une lampe devant elles. Les cultes plus élaborés comportent des rites journaliers effectués dans un temple.

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Certains jaïns ne révèrent pas les statues, préférant la méditation et les prières silencieuses. Le culte peut prendre de nombreuses formes. Il existe un rite du bain de la statue (snatra puja) qui symbolise celui du Tirthankara nouveau-né fait par les êtres célestes, que l'on peut faire chez soi. Il y a aussi une pratique comprenant une série de prières destinées à ôter les karmas. Les Jaïns ne vénèrent pas un Dieu éternel auquel ils ne croient pas. Le culte concerne seulement les grands êtres qui ont atteint la Divinité par eux-mêmes. Il ne font pas de sacrifices ni d'offrandes quelconques ni de prières dans le but spécifique d'en obtenir des faveurs. La base essentielle de la religion jaïna est l'ascèse comportementale qui conduirait à la libération de l'âme. Dans la communauté jaïne, les laïcs demeurent étroitement reliés aux ascètes. L'état laïque prépare à celui d'ascète. Les règles prescrites pour les laïcs et pour les ascètes ne diffèrent pas en genre, mais en degré. Les seconds doivent les pratiquer de façon rigoureuse. Lorsque qu'un laïc a observé convenablement les règles et franchi les étapes coutumières, il est qualifié pour devenir un ascète. Son admission est une cérémonie d'ordination appelée diksha. L'étape ascétique prescrit un complet renoncement complet au monde. Le seul objectif devient la libération de l'âme (moksha). L'ascète abandonne toute entrave, (y compris les vêtements pour les seuls moines Digambara). Les moines Svetambara et toutes les nonnes portent des vêtements très simples, blancs ou orange. Par le respect des voeux monastiques et la pratique des jeûnes, mortifications, études et méditations, les moines essayent de se débarrasser des charges du karma pour échapper à l’esclavage de la transmigration. L’ascèse jaïna comporte douze sortes d'ascèse, six externes et six internes, et les Jains distinguent quatorze niveaux de qualification spirituelle au sein desquels les individus s’élèvent mais peuvent aussi redescendre au niveau inférieur.

L'examen des austérités montrent la rigueur du déni de soi que les ascètes ont à mener. Jeûner, c'est manger moins que suffisant, ou n'accepter la nourriture qu'à certaines conditions gardées secrètes, renoncer chaque jour à un aliment plaisant ou non cuit. Les ascètes s'exercent constamment à jeûner et ont élaboré une technique efficace au point d'accepter le jeûne absolu lorsque la mort arrive.

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Même les laïcs peuvent être autorisés à jeûner jusqu’à en mourir. L'ascète s'assoit ou dort dans un lieu retiré et mortifie son corps. Il pratique la confession, le repentir, le respect, la modestie, l'assistance aux autres ascètes, l'étude des écritures du Canon, l'abandon de l'attachement au corps et la concentration de l'esprit. La méditation est l'exercice spirituel le plus important. L'ascète doit aussi pratiquer un certain nombre d'observances propres. Les digambrara observent les vingt règles coutumières avec une rigueur progressive. Ils y ajoutent la nudité, l'arrachage manuel périodique des cheveux, l'interdiction de se baigner, l'obligation de dormir sur un sol dur, l'abstention de se laver les dents, l'obligation de manger debout et l'interdiction de manger plus d'une fois chaque jour. Les grands Maîtres auraient conseillé la modération dans l'application de ces dures règles de conduite qui reflètent la rigidité dogmatique du Jaïnisme.

Le Festival de Bahubali

La statue colossale de Bahubali est un monolithe de granit de 22 mètres de haut.

C'est actuellement l'une des deux plus grandes statues du Monde.

Sculptée en 981 de notre ère, elle a plus de mille ans. Elle s'élève au sommet d'une colline qui surplombe la ville de

Shravana Belgola. Tous les douze ans, un grand festival très populaire est

organisé. La statue est successivement arrosée de plusieurs bains

colorés et reçoit diverses offrandes.

Le plus célèbre des lieux de pèlerinage jaïns en Inde du Sud est celui de Shravana Belgola, au Karnataka. La colossale statue debout du roi Bahubali s'élève en haut d'un escalier de 620 marches sur une colline de 145 mètres. Elle mesure 22 mètres de haut et 8 mètres de large. Ce monolithe fut taillé il y a mille ans dans un énorme bloc de

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granite. Un temple à galeries l'entoura ensuite. C'est la plus grande des statues de Bahubali existantes en Inde. Dans les temples jaïns, les statues sont rituellement entièrement lavées chaque jour. Ce rite quotidien n'est effectué que sur les pieds de cette gigantesque sculpture. Cependant, tous les douze ans, un grand échafaudage est construit afin d'arroser copieusement la statue d'un mélange d'eau et d'offrandes colorées diverses. Avec chants et danses, des centaines de milliers de fidèles assistent à ces cérémonies. Les dernières ont eu lieu en 1993 et 2006. Fils de Rishabha, le premier Tirthankara, Bahuli et son frère Bharat étaient rois de royaumes voisins. Jaloux de son frère, Bharat lui déclara la guerre. On la remplaça par un combat entre les frères. Vainqueur, Bahubali devint le souverain commun. Troublé par ce combat, il décida d'abandonner son royaume pour se consacrer à l'ascèse jusqu'à atteindre l'illumination spirituelle. Et il demeura debout, nu, pendant des mois, dans une contemplation continue, de sorte qu'une vigne s'enroula autour de son corps.

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CHAPITRE 19 - Le Shintô Japonais

Le Soleil, symbole du Japon.

Le Shintoïsme est la plus ancienne religion du Japon. Il remonte à l'époque Yayoi qui dura six siècles, du 3ème siècle avant au 3ème siècle après notre ère. Le Yayoi a succédé à l'époque Jômon, datant de 8 000 ans. Le terme Yayoi désigne la culture du Chalcolithique japonais qui vit les débuts de l'âge du bronze et de l'âge du fer. C'est le nom du quartier de Tôkyô où en furent découverts les premiers vestiges. Le mot Shintô est dérivé des racines chinoise shen et tao qui évoquent un cheminement vers les dieux. L'équivalent japonais traditionnel est le terme kami-no-michi qui a la même signification. Les divinités vénérées par les adeptes du shintô sont les kami dont trois mille sanctuaires, ou "jinja" , parsèment le Japon. Les kami sont innombrables. Il y en aurait des millions car le terme désigne toutes les manifestations des forces ou les énergies actives ou latentes dans la nature. On peut même considérer que chacun peut invoquer un kami personnel.

Les Kami.

Le Shintô est une forme traditionnelle d'animisme qui donne, à travers ces "Kami", un caractère divin à tout ce qui est ressenti comme puissant ou menaçant, ou même à ce qui sort tant soi peu de l'ordinaire, tel une montagne, un arbre, une croisée de chemins, une profession. Il trouve probablement son origine dans des traditions primitives provenant des Jômon. Il ne faut pourtant pas considérer que le Shintô soit polythéiste. Son

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approche est plutôt panthéiste, considérant que toute la matière universelle est infiltrée par une énergie de nature divine. Un Kami apparaît lorsque cette force se manifeste en troublant l'uniformité de la nature. Bien évidemment, ces manifestations prennent des formes multiples aussi bien dans la matière inanimée que dans les être qui l'animent. C'est pourquoi il y a tant de Kami, à commencer par la déesse du Soleil dont la puissance est manifestée dans le ciel, et le dieu des tempêtes qui déchaîne les vents sur les cotes du Japon.

Izanagi et Izanami, les Kami fondateurs.

Cette mythologie shintoïste était restée très floue jusqu'au 8ème siècle. Elle fut alors consignée par écrit dans le Kojiki, une chronique rédigée pour lutter contre l'introduction du Bouddhisme par les Chinois. Il fut établi que le Japon devrait son origine à un couple de divinités, Izanami-no-Mikoto, l'Hôtesse, (Celle qui invite), et Izanagi-no-Mikoto, l'Hôte, (Celui qui invite). Penchés sur l'océan par delà le pont céleste qui relie Matsue et Izumo, ils frappèrent les eaux d'une lance et en firent émerger l'île Onogorojima dans laquelle ils s'installèrent. En s'unissant, ils produisirent toute la nature et les autres îles de l'archipel et finirent par donner naissance à tous les autres kami dont les plus importants sont Amaterasu, la rayonnante déesse du Soleil, et son frère Susano-o, le terrible dieu des tempêtes. Mais les Kami peuvent être aussi les ancêtres car ils sont la manifestation de la force divine qui a généré la famille. Il est donc légitime de leur rendre un culte assidu. Avec la recherche de pureté, le culte des ancêtres caractérise la culture shintô.

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Amaterasu, la grande déesse du Soleil.

Les destins des deux kami les plus importants de la mythologie shintoïste sont agités. Le terrible Susano-o vécut sur Terre et y épousa la princesse Kushinada. Leurs descendants régnèrent sur le pays d'Idzumo. La brillante Amaterasu gagna le ciel, baignant la Terre de ses rayons. Mais Susano-o se conduisit très mal, terrifiant sa soeur qui s'enferma dans sa caverne, plongeant la Terre dans l'obscurité. On lui présenta le Miroir de la Justice. Elle y contempla son reflet, prit conscience de sa beauté et regagna le ciel. Réconciliée avec son frère, elle en eut un fils, Oshi-o-Mimi. Elle chargea un jour son petit fils, Ninigi, de ramener l'ordre dans les Îles Sacrées. Il s'y rendit avec les symboles du Shintô, le Miroir de Justice, les Joyaux de l'Arbre, et le Sabre Magique. Il y épousa la princesse Hanasakoya-Hime. Ses descendants (kami) conquirent le Japon. L'un d'entre eux, "Iware", en fut reconnu le premier empereur divin. C'est ainsi que le clan du Yamato légitima le pouvoir absolu de l'empereur lorsqu'il supprima la féodalité et fonda la dynastie impériale. Il proclama son ascendance divine depuis son ancêtre, la grande déesse solaire Amaterasu-ô-mikami.

Le culte de la pureté. Amaterasu-ô-mikami occupe la première place parmi tous les kami. Ceux-ci ne sont perçus comme des dieux mais plutôt comme des protecteurs qu'on se garde d'offenser. Le Shintô n'est pas réellement une religion car il n'a pas de dogme ni de morale. C'est une démarche spirituelle particulière aux Japonais. Elle consiste en une participation consciente à la divinité universelle, pure et harmonieuse de la nature.

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L'impureté, la laideur, la bassesse et la mort caractérisent le mal. Il y avait un enfer et des démons dans le Shintô primitif. Le but du Shintô vise à réaliser la purification du pratiquant. Il ne se fonde jamais sur une démarche intellectuelle mais sur la perception intuitive du souffle divin qui sous-tend la matière. Chacun peut le découvrir en lui même, en demeurant dans sa propre vérité, dans la pureté, l'honnêteté, la paix intérieure et la recherche de l'harmonie avec le reste du monde. Le souci de pureté est tel que le sanctuaire en bois d'Amaterasu, à Ise, est détruit et reconstruit à neuf tous les vingt ans, (ce qui paraît fort coûteux aux jeunes générations). Mais l'imprécision du devenir de l'être après la mort a provoqué une synthèse partielle avec le Bouddhisme.

Cérémonies remarquables.

Le Shintô accompagne l'individu de la naissance jusqu'à la mort. Diverses cérémonies marquent des étapes de la vie. Quatre mois avant la naissance, la maman reçoit au sanctuaire une ceinture de tissu blanc donné par la famille. A l'âge de sept jours, l'enfant est prénommé. S'il meurt avant, il est mort-né. Les garçons sont présentés au sanctuaire à 5 ans, et les filles à 3 et 7 ans. On peut évoquer d'autres rites comme la fête de la première nourriture et les mariages. Les Japonais célèbrent les évènements de la vie personnelle et de celle de la communauté. Les festivals sont les occasions les plus importantes. Les festivals shintô, (matsuri) sont annuels. Ce sont des fêtes locales. Elles ont lieu en divers endroits à des dates variées et sous des noms différents. A l'origine, elles étaient liées aux saisons et aux rythmes agraires, et l'on priait pour une bonne récolte et pour être protégé des désastres. Certain festivals comportent des processions avec des chars et des temples portatifs appelés mikoshi. Il y a beaucoup

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d'amusement et d'excitation, avec des spectacles divers, des courses et des concours variés. A Sapporo, il y a même des sculptures de neige et de glace, à Hamamatsu, des cerfs-volants, à Chichibu, des feux d'artifice. L'ambiance est vraiment très festive. Dans l'esprit originel des "matsuri", l'on y recherchait simplement le bonheur dans la pureté du coeur.

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Talismans et amulettes.

Les "shimenawa" sont des tresses ou des torsades de paille de riz. Disposées dans les maisons, elles auraient le pouvoir d'écarter les démons et les maladies. On les suspend au dessus des entrées des sanctuaires pour signaler la présence d'un kami. Les "gohei" sont des guirlandes de papier pliées en zigzag. Comme les shimenawa, elles indiquent la nature sacrée du lieu où elles se trouvent. Sur place, on peut aussi se procurer des talismans, des amulettes et des planchettes de prière. Les "omamori" sont des amulettes porte bonheur vendues dans les sanctuaires. Elles sont souvent contenues dans un sachet de tissu mais ce sont parfois des pierres gravées. Elles apporteraient la chance, la santé, la fertilité, le succès aux examens, la sécurité au volant, etc.. On les porte sur soi, ou on les place à l'endroit qui convient.

Tablettes de prière (ema), et oracles.

Les "ema" sont des planchettes sur lesquelles des prières sont inscrites. Elles sont suspendues dans le sanctuaire car les fidèles n'y entrent pas. Ils prient dehors, après avoir attiré l'attention des kami en sonnant d'une cloche ou en agitant une crécelle de bois. Les "omikuji" sont des bandes de papier qui dévoilent un oracle de bonne ou mauvaise fortune. S'il est bon, l'omikuji devient un talisman à conserver. S'il est fâcheux, la bande lette doit être fixée sur un arbre du sanctuaire afin que les kami conjurent la prédiction.

Spectacles divers et Théâtre No.

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Les sanctuaires sont à la fois des lieux de prière, de recueillement, de fête et de réjouissance, et l'on s'y rassemble en de nombreuses occasions. On y trouve même du théâtre Nô, de la danse, de la lutte Sumo, du tir à l'arc et d'autres activités. Les arrangements floraux si particuliers au Japon sont inspirés par la pensée shintoïste. Les fleurs sont étagées pour marquer les trois plans de l'existence, le ciel, l'homme et la terre. Dans le théâtre Nô, tout est simplifié et raffiné à l'extrême dans l'esprit traditionnel shintô manifesté dans les autres expressions artistiques. Il comporte deux acteurs. Le waki est un faire valoir qui lance l'action puis s'écarte de la scène. Le shite, est l'acteur principal. Il danse et mime tous les rôles en usant de masques pour interpréter les divers personnages. Il peut y avoir quelques assistants et un accompagnement choral. Le genre comporte un répertoire d'environ 250 pièces classées en cinq groupes. Le premier raconte l'origine d'un sanctuaire. Le deuxième présente des guerriers qui sont en enfer. Le troisième raconte des histoires romantiques avec de la musique, des costumes magnifiques et des danses. Le quatrième évoque des personnages atteints de folie. Et le cinquième groupe met en scène des démons bénéfiques ou maléfiques. Une pièce de chaque groupe est jouée dans cet ordre formel à chaque représentation.

Tir à l'arc, courses de chevaux et lutteurs Sumo.

Parmi les activités festives pratiquées dans les sanctuaires, on peut citer le tir à l'arc, à pied et même à cheval lorsque c'est possible. Le tir à l'arc (yumi) s'appelle "Kyūdō". cela signifie la voie de l'arc. Cette activité implique la vérité,"shin", la vertu, "zen", et la beauté, "bi" . Les tireurs doivent mettre en oeuvre l'essence même de ces qualités. Le Sumo est une

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affaire de professionnels exclusifs qui lui consacrent leurs vies. Aux yeux profanes, il semble simplement que deux colosses peu vêtus cherchent à se pousser hors d'un cercle. Mais le sport est ici presque secondaire. L'aspect rituel est très important. Ainsi les lutteurs commencent-ils par jeter du sel dans l'arène pour la purifier. Ils se balancent ensuite lourdement d'un pied sur l'autre pour écraser de très haut les forces du mal. L'arbitre est vêtu comme un prêtre shintô et il est issu d'une famille particulière. On pratiquait aussi jadis, le "o-furo", ou bain en commun, une forme de rite collectif de communion avec la nature, et l'on organisait parfois des courses de chevaux ou de bateaux.

Le mariage Shintô

Le mariage à l'occidentale est actuellement très en vogue au Japon, où il apparaît comme chic, exotique, et relativement peu coûteux. Le mariage shintô reste pourtant une célébration classique importante qui consacre l'union des deux époux autant que celle des deux familles. Les parents se rencontrent cérémonieusement avant le mariage et ils échangent des cadeaux. Le marié porte la tenue traditionnelle, noire ou bleue, composée du hakama, large pantalon plissé, et du haori, une tunique longue. La mariée est vêtue d'un magnifique kimono, blanc ou fleuri. Pour la dernière fois, elle a de longues manches. Mariée, elle montrera ses coudes. Elle porte aussi une coiffure particulière, le Tsuno-kakushi, (ou cache-orgueil), qui symbolise sa résolution d'être une bonne épouse et de ne pas se montrer jalouse. Lors du rite coutumier du Sansankudo, les mariés boivent chacun trois gorgées de saké froid dans trois tasses de laque, car le chiffre 3 est bénéfique, puis ils énoncent leurs voeux et déposent ensemble sur l'autel un tamagushi, un écrit les résumant. La mariée revêt ensuite un superbe kimono de couleur. Un somptueux festin termine la fête.

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Les autels domestiques

Les cérémonies de funérailles shintô sont extrêmement simples. La mort est ici une tragédie car le shintô ne promet rien dans une vie future. Cependant, par son décès même, le défunt devient un ancêtre dont la vénération est l'un des fondements de la famille japonaise. La plupart des maisons ont un kami-dana, une étagère d'esprits (ou d'âmes), sur un mur intérieur de la maison. Après la mise en terre, le nom du défunt est inscrit sur une tablette déposée dans le kami-dana. Il contient habituellement des objets qui ont une signification spirituelle pour cette famille particulière. Il recèle la liste des noms des ancêtres et, souvent, la représentation d'un kami protecteur de cette famille. Les membres font des offrandes régulières de nourriture et ils boivent aussi en l'honneur du kami ou de leurs ancêtres. En raison de la grande simplicité des funérailles shintô, on pratique souvent les rites funéraires bouddhiques. Le Shintô n'étant théoriquement pas une religion, il coexiste sans problème avec le Bouddhisme et ses rites. La plupart des foyers japonais traditionnels ont donc deux sortes d'autels domestiques à la maison. Les "kami-dana" shintô sont des étagères d'esprits

(ou d'âmes).

Le kamidana doit être orienté face au Sud ou à l'Est à un endroit bien éclairé et gardé extrêmement propre. Il ne doit jamais faire face au Nord ou à l'Ouest. Chaque jour avant le déjeuner, on y fait une offrande de riz, de sel et d'eau dans les petit vases prévus à cet effet. L'eau va au milieu, le sel à droite et le riz à gauche. Les japonais mélangent fréquemment les deux traditions et pratiquent successivement les deux cultes devant le Kamidana shintô et devant le Butsudan bouddhique.

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Les "Butsudan", petits autels domestiques

bouddhiques.

Le Bustudan est un petit autel relevant des rites bouddhiques. Il ressemble à une armoire et parfois à un placard que l'on ouvre pour pratiquer le rite. Il contient fondamentalement un écrit sacré, le Dai-mandala. On peut y adjoindre une image ou statuette du Bouddha, la généalogie des ancêtres et de jolies choses pour le décorer. Chaque jour, on fait y fait l'offrande d'une tasse d'eau fraîche, on y allume une bougie, et on y brûle un peu d'encens. On y célèbre un petit office, dit "Gongyo", le matin et le soir. On le tient propre, on y met des fleurs et on l'informe des évènements familiaux. C'est un moine bouddhiste qui inaugure le Butsudan en pratiquant la cérémonie dite "Ouverture des yeux".

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CHAPITRE 20 – Le Vaudou

Introduction

Bien qu'il soit actuellement fort popularisé outre Atlantique, le Vaudou est né en Afrique. Ce très vaste continent est peuplé de nombreuses ethnies souvent mal identifiées par les Occidentaux. Leurs cultures sont variées et et leurs religions sont différentes. Le Vaudou étudié ici est seulement l'une d'entre elles, en laquelle s'enracine le Vaudou Haïtien. Mais il y a beaucoup d'autres traditions dans l'immense et secrète Afrique. Le mot 'vaudou' s'écrit de différentes façons, voodoo, vodou, vodu, voudou, vudun, vaudoun. Il proviendrait du terme "vodun" tiré du langage Fon. Le terme parait être composé de "Vo" qui signifie en Fon "sacrifice", et de "Dù" qui veut dire, "sens ou essence" (dans l’acception spirituelle du terme). Selon B. Segurola et J. Rassinoux, il désignerait la manifestation d’une force incompréhensible. Ce "vodun" mystérieux fait naître un culte fait d’admiration, d’amour et de crainte. Le "Vodù" peut être représenté par une sorte d'idole très improprement appelé "fétiche". En réalité, l'objet, lorsqu'il existe, est seulement la demeure où réside l’esprit, le 'YE'. Le fidèle ne vénère pas la demeure mais cherche à se concilier ce "YE". Les adeptes sont des "Vodusi", des épouses du Vodù. Lorsqu'il est "venu sur leur tête", ils deviennent "Vo-dù". En langue Fon, l’expression se dit "Vodù dé aci", qui signifie "le Vodù a choisi une épouse et l’a chevauchée". La personne élue et possédée manifeste alors la divinité du Vodù. Des érudits vaudous disent que "le Vodu est l’être et le sens du sacré, la signification et l'essence du sacrifice réalisé conformément au rituel".

Origines du Vaudou

Les origines du Vaudou sont africaines. Il s'enracine dans un territoire qui s'étend du sud et du moyen Bénin et de la région

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occidentale du Nigéria à celle du bas du Togo, et qui couvre aussi une bonne partie du sud est du Ghana. On y trouve des populations des diverses cultures Yoruba, et des peuples apparentés aux Adja, tels les Fons, les Guins, les Ouatchis ainsi que les Evhés togolais. Toutes ces ethnies, géographiquement et économiquement proches, sont également culturellement reliés par les traditions cultuelles Orisha ou Vodun (Vodou), dont les concepts sont équivalents. Il n'y a cependant pas un Vodun ou Vodou de base, bien caractérisé, qui serait commun à toutes ces peuplades. Nous sommes en Afrique où la créativité est permanente et souvent floue et variable. Chaque communauté d'initiés, chaque groupe d'adeptes, pratique une forme locale de Vodun en révérant des entités ou des forces transcendantes qui s'y manifestent de façon particulière. Originellement, cette religion avait donc de multiples aspects dont la variété a encore été accrue aux Amériques par les déportations massives d'esclaves noirs d'origines diverses et de cultures distinctes.

Dans ces territoires africains, quoique les variantes locales soient multiples, la culture Orisha tend encore à perdurer. Les appellations Vodun, Vaudou, ou Orisha désignent des êtres ou des puissances invisibles que les hommes s'efforcent de contrôler pour se les rendre propices. Leur acception la plus courante concerne les éléments ou les grandes forces de la nature, le Ciel, l'Eau, la Foudre, la Terre. On y trouve aussi des ancêtres célèbres ou prestigieux, le plus souvent ceux de lignée royale. En Amérique, ces entités sont appelées "LOA". Elles ne correspondent pas à notre notion de la divinité, mais sont plutôt assimilables à nos Saints ou à des Génies. Dans la pratique du Vodou, les Africains ne séparent pas nettement le sacré du profane. Les deux caractères sont mêlés dans le déroulement de la vie courante, l'exceptionnel mêlé au quotidien, le bien au mal, le magique à l'ordinaire. Et chaque substance banale est pénétrée par son propre vodoun. Chaque village, chaque famille, même chaque enfant, peut avoir le sien qui joue le rôle de protecteur particulier. C'est pourquoi les rites et les offrandes ont une grande importance car ils procureraient leur efficacité dans ce monde d'ici-bas.

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L'esclavage n'a pas été inventé au 16e siècle avec la vente d'esclaves noirs aux planteurs américains. Dans les guerres antiques, l'esclavage évitait (en partie) le massacre total des vaincus. Le servage, autre forme d'esclavage, a sévi dans le monde entier. Le mot "esclave" rappelle que les populations slaves d'Europe alimentaient les marchés aux esclaves d'Afrique, du Moyen-Orient et du Maghreb (comme celles d'Afrique orientale et subsaharienne). Les prédateurs y vendirent très longtemps leurs captifs, blancs ou noirs. Au 16e siècle, le développement des Amériques créa une filière transatlantique. Des roitelets africains vendirent même souvent leurs propres sujets aux avides marchands européens. Cependant, d'autres hommes imposèrent progressivement au Monde l'abolition tant attendue de l'esclavage. Les hommes blancs ou noirs actuels n'ont pas à répondre de cette situation passée. Ils ont à vaincre l'esclavage économique.

Depuis le 7e siècle, les populations slaves d'Europe et celles d'Afrique orientale et subsaharienne alimentaient les marchés aux esclaves du Moyen-Orient et du Maghreb. Au 16e siècle, le développement des territoires créa un énorme marché aux Amériques. Á la demande des planteurs, des marchands européens se procurèrent des esclaves africains, d'abord par des razzias, puis en achetant leurs propres sujets aux roitelets locaux. Les Yoruba de culture vaudou furent alors déportés en nombre. Rassemblés dans les plantations de coton, ils reconstituèrent leurs cultes. Ils établirent des rituels syncrétiques en combinant les diverses pratiques vaudou et en les enrichissant d'apports bantous. Incapables de stopper le commerce des esclaves, les églises chrétiennes tentèrent de les évangéliser pour sauver leurs âmes. Les maîtres imposèrent alors le baptême et le culte chrétien devint une caution morale à l'esclavagisme. Les adeptes du Vaudou masquèrent alors leurs LOA sous des images et des symboles chrétiens. Au 19e siècle, les

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évangélistes firent enfin cesser la traite négrière et l'esclavage fut aboli. Sous son travestissement, le Vaudou persista.

Depuis l'Antiquité, de très nombreux êtres humains ont été asservis et vendus comme des outils vivants sur les marchés aux esclaves. Á l'origine, le mot désignait des païens de race blanche, les captifs slaves que vendaient les Vénitiens. Á travers le Sahara, d'autres esclavagistes arrachaient à l'Afrique quinze millions d'esclaves noirs, castrant tous les mâles. Ces razzias provoquaient d'importants massacres. Au 16e siècle, l'exploitation des Amériques provoqua l'asservissement des Indiens. Sous Charles Quint, la Controverse de Valladolid établit qu'ils avaient une âme et devaient être évangélisés. Le légat du Pape préconisa leur remplacement par des Africains. En deux siècles, le commerce triangulaire, la traite, transféra douze millions d'esclaves noirs vers le continent américain. Cette nouvelle saignée ravagea le continent en détruisant les empires africains. Cependant, sous la pression des évangélistes et des humanistes, avec les risques de révoltes et grâce à la mécanisation, l'anti-esclavagisme progressait. Au delà des polémiques, il faut reconnaître que les nations coloniales imposèrent au Monde l'abolition de l'esclavage, la rendant enfin universelle en 1948.

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Le Vaudou africain

Le Vaudou (ou Vodoun) est une religion africaine traditionnelle. Peu connue en Occident, elle y est souvent qualifiée d’animiste ou d'idolâtre. Cette approche simpliste montre seulement l'ignorance ou l'incompréhension des concepts qui la sous-tendent. Cette conception de l'Univers se fonde sur l'idée de forces naturelles sous-jacentes à l'existence. Leur nature est fondamentalement spirituelle. Elles sont partout et dans tout, et gèrent le Monde. Leur réunion constitue collectivement le démiurge suprême, origine et fin dernière de l'existence. Cette divinité fondamentale ne reçoit cependant aucun culte particulier. Le Vaudou africain originel est bâti sur une cosmogonie hiérarchisée et rationnelle lui donnant les caractères d'une religion structurée. Les entités spirituelles du panthéon sont des intermédiaires entre l'humain et le divin. On peut donc les invoquer spécifiquement pour demander leur intervention ou leur protection. Ces Maîtres des forces naturelles sont plutôt des "Génies de la nature" que des "Dieux", au sens que nous donnons à la personnalisation de l'idée de divinité. On y ajoute les Ancêtres ethniques et familiaux.

L'étude des religions du Vaudou est assez déconcertante pour un Occidental, car elles se fondent sur des concepts qui nous sont étrangers. Elles ont des aspects singuliers. Elles font des sacrifices éventuellement sanglants et usent de la possession mystique dans leurs pratiques cultuelles. Ces confréries initiatiques, selon les groupes, s'adresseraient à des esprits diversifiés. On les soupçonne aussi d'user secrètement de sorcellerie et de magie maléfique. Il faut d'abord comprendre qu'avant même d'être une religion, le Vaudou constituerait une approche métaphysique particulière du Monde, basée sur l'Homme. C'est à l'image de ce fondement (microcosmique) que l'Univers (macrocosmique) serait bâti. Or, l'Homme existe à la fois physiologiquement et spirituellement. Le Vaudou transpose donc cette dualité existentielle à l'ensemble du Monde, et il attribue à tout être un double invisible accessible sur le plan spirituel. Ce sont ces entités incorporelles, les Vodouns (ou

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Loas), qui sont invoquées lors des cérémonies. Elles peuvent "chevaucher l'officiant", en s'incarnant temporairement dans un corps en transe hypnotique.

Dans la conception globale Vaudou, et à l'image de leur concept de l'Humain, toutes les choses et tous les phénomènes naturels ont donc une double nature, à la fois matérielle et spirituelle. Les puissances invisibles correspondantes sont les nombreux génies divins de la nature, appelés voduns, (ou orishas chez les Yorubas). On peut citer Hevieso, maître du ciel et de la Foudre, Sapata, maître de la Terre, Amuia Ata, (Mamy Wata), la mère de l'eau. La position centrale de l'Homme dans cet aspect premier permet aux adeptes d'agir magiquement sur la Nature. Le second concept établit une autre division duale du Monde, en séparant ses aspects masculin et féminin. Ce sont les fameux "Jumeaux" dont on trouve des représentations dans toute l'Afrique. Dans la mythologie vaudou du Togo, Mawu-Lissa, dieu unique et androgyne à l'origine, créa le Monde en brisant sa propre unité. Il sépara en lui les deux principes, Mawu, le masculin, et Lissa, le féminin. Les principaux voduns sont les enfants de ce couple de jumeaux primordiaux. Les jumeaux humains jouissent d'ailleurs d'un prestige assez propice dans la culture Yoruba, mais parfois néfaste ailleurs. Le troisième concept est celui de l'appartenance à un groupe. Les Africains sont socialement plus intégrés à des groupes identitaires que les Occidentaux individualiste. Les fondements des communautés sont la famille, le village, le clan, la confrérie, la tribu et même l'ethnie. Il faut comprendre la famille au sens très large, en y intégrant les parents, la femme, les enfants, les familles des frères et sœurs, celles des oncles et tantes, tous les petits fils et même les familles alliées par mariages aux descendants. On arrive alors au groupe identitaire du clan qui peut compter plusieurs centaines de personnes. Le BALE, le chef du clan, est très respecté et jouit d'une autorité importante. Il peut y avoir plusieurs clans dans un village et la tribu est formée par l'union des communautés de villages. Les Bales élisent un roi qui s'occupe des affaires de la tribu, occupant cette fonction jusqu'à sa mort. Les familles et les villages choisissent

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leurs protecteurs voduns. Chaque individu peut aussi choisir le sien. Ainsi naissent des confréries de patronage. Les défunts, rois ou chefs de clan, et les ancêtres illustres, sont béatifiés et deviennent alors des "voduns ancêtres".

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Avant d'être une religion au sens que nous donnons à ce mot, le Vaudou est une vision du Monde. Nous bâtissons nos propres religions sur la base conceptuelle d'un dieu créateur, origine du Monde et de l'Homme. La religiosité Vaudou s'établit à partir de l'Homme vivant dans l'instant présent. C'est la pulsion de vie, en interaction avec la nature, qui fonde cette spiritualité. Dans l'existence, tous les êtres suivent cette pulsion car ils sont poussés par des forces invisibles qui leur en insufflent le désir. Á chaque instant du Monde, les conditions de la vie sont régies par des forces naturelles et surnaturelles qu'il faut se rendre propices, ou dont il faut se protéger. Le rôle de la religion Vaudou est d'établir une relation entre l'Homme et ces forces invisibles. Elles interagissent continûment avec la vie humaine, favorablement ou dangereusement. Le Vaudou enseigne ce que sont ces êtres, comment entrer en contact, s'en faire aider ou s'en protéger, et trouver des alliés chez les ancêtres qui ont rejoint dans la mort le coté mystérieux et invisible de la vie. C'est la source des rites, des fêtes, des sacrifices, de la mythologie, des croyances et des cultes Vaudou. Il n'y a pas de culte pour le “Segbo”, l'Esprit Suprême source de la vie. La marche du monde dépend du couple de démiurges, Mawu-Lissa, (Mawu, mâle, et Lissa, femelle). L'Esprit Suprême conduit aussi d'autres esprits qui sont simplement des forces. Chaque homme s’attache à l’un de ces Voduns, par choix personnel, familial ou tribal, ou par initiation en devenant "Vodunsi", (épouse du Vodun). Les Voduns sont les forces de la nature, mer (Xu), terre (Sahpata), tonnerre (Xebioso), fer (Gu), ou des animaux dont le serpent lié à tout ce qui bouge (Dan, Ejo, Dangbé, Aïdo-Hwédo, Oshumaré). Il y a aussi des plantes. Deux Voduns sont essentiels, le Legba, génie protecteur mâle (très), bon pour ses protégés, terrible pour ses ennemis, et le Fa, génie de la divination, consulté pour trouver la solution à tout problème ou décision. Le Bokono jette 18 noix à terre et interprète la figure obtenue. Il faut distinguer le Bokono, Magicien, l’Azeto, sorcier, et l'Azongbeto, guérisseur. On vénère les ancêtres sur de petits autels en fer plantés dans la maison, car ils sont toujours présents et actifs, surtout la nuit. On surveille alors ce qu'on fait et ce qu'on dit.

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Aspects du culte en Afrique

En Afrique, le culte vaudou n'a pas entraîné la construction de grands temples comme la plupart des autres religions. Il ne semble en fait exister aucune vaste structure destinée à accueillir collectivement une assemblée de fidèles. L'espace vaudou qui correspond à un temple est composé de deux parties. Il y a d'une part une cour ou un péristyle accessible au public. C'est là que se déroulent les cérémonies et les sacrifices. S'y ajoute d'autre part une hutte ou un petit édicule sacré dont l'accès est interdit. On y trouve l'autel consacré à la divinité. Dans le passé, il y avait aussi des lieux et des bosquets sacrés qui ont souvent été profanés ou détruits par les colonisateurs ou les missionnaires, consciemment ou par simple ignorance. Il semble que les autorités actuelles tendraient à réhabiliter les manifestations et sites traditionnels. Elles encourageraient aussi la cohabitation avec les religions implantées, comme le Christianisme et l'Islam. Mais les concepts sous-jacents sont trop différents pour qu'on puisse imaginer une quelconque forme de syncrétisme. Les fidèles intéressés associent simplement des pratiques et les symboles traditionnels aux rites de la religion nouvelle.

Dans la pensée vaudoue, il n'y a pas de séparation entre le sacré et le profane. Le magique et le divin sont indifférenciés et conditionnent la vie quotidienne, la routine et l'exceptionnel, le mal et le bien, l'objet inerte et le vivant. Chaque chose est habitée par son vodoun, mais plusieurs entités analogues peuvent se partager le même. Ainsi Mamy Wata (mamy water, la mère de l'eau) est tout aussi présente dans l'océan, dans une rivière ou dans une bouteille d'eau minérale. On peut donc facilement l'honorer à domicile. Mais chaque rivière ou chaque ruisseau peut également posséder son propre vodoun, associé à un lieu consacré. Chaque forêt aura son vodoun et chaque arbre isolé pourra devenir sacré. Certains objets, vases, colliers, paquets, poupées, ficelles, pourront acquérir une fonction spécifique

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dans un groupe, une famille, ou devenir un gri-gri protecteur pour un individu particulier. De simples pierres à l'entrée des demeures deviendront éventuellement vodoun, car investies par l'esprit d'un ancêtre. Dans le passé, on enterrait les défunts sous le sol des huttes et ils recevaient une part des libations familiales par un tube aboutissant à leur bouche.

Associés aux consultations divinatoires, des rites traditionnels balisent la vie des fidèles de la naissance à la mort. La femme enceinte doit suivre un régime alimentaire précis. Après la naissance, elle reste enfermée une semaine. Puis, à la sortie, le père donne le nom à l'enfant et formules des souhaits de vie (videton). Le garçon amoureux achète son droit de rencontre avec de l'alcool. Avant les fiançailles, on consulte l'oracle mais il faut montrer sa capacité à faire vivre un foyer. Le mariage est conclu par une cérémonie suivie du constat de la virginité de la dame. La polygamie est admise mais la première épouse, yawo, conserve la primauté. Lors d'un décès, le corps du défunt est lavé, vêtu, et honoré. Il est enterré dès la première nuit, dans le sol de sa case. Les funérailles auront lieu plus tard quand tout le monde sera là, avec une veillée, des chants, et l'offrande de nourriture. La liturgie ordinaire comporte des fêtes, des prières, et des sacrifices. Un calendrier lunaire détermine les dates des cérémonies et marchés. Les fêtes varient selon les voduns. Les sacrifices (vosisa) concernent des animaux (poulets ou chèvres) et des libations d'huile ou d'alcool.

Associés aux consultations divinatoires, des rites traditionnels balisent la vie des fidèles de la naissance à la mort. La femme enceinte doit suivre un régime alimentaire précis. Après la naissance, elle reste enfermée une semaine. Puis, à la sortie, le père donne le nom à l'enfant et formules des souhaits de vie (videton). Le garçon amoureux achète son droit de rencontre avec de l'alcool. Avant les fiançailles, on consulte l'oracle mais il faut montrer sa capacité à faire vivre un foyer. Le mariage est conclu par une cérémonie suivie du constat de la virginité de la dame. La polygamie est admise mais la première épouse, yawo, conserve la primauté. Lors d'un décès, le corps du défunt est lavé, vêtu, et honoré. Il est enterré dès la première nuit, dans le sol de sa case. Les funérailles auront lieu plus tard quand tout le monde sera là, avec une veillée, des chants, et

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l'offrande de nourriture. La liturgie ordinaire comporte des fêtes, des prières, et des sacrifices. Un calendrier lunaire détermine les dates des cérémonies et marchés. Les fêtes varient selon les voduns. Les sacrifices (vosisa) concernent des animaux (poulets ou chèvres) et des libations d'huile ou d'alcool.

Quoiqu'il perde actuellement une part de son influence dans la société africaine, le culte vaudou y occupe encore une place importante. Il est soutenu par une structure complexe et organisée fondée sur une hiérarchie formée dans des sortes d'écoles ou de couvents nommés "huxwé". Ces lieux fermés (où l'on entrait très jeune) sont encore assez nombreux. On y conserve les traditions ésotériques et le rituel initiatique communs. Depuis 1970, ces couvents sont surveillés par les pouvoirs publics et les organisations de protection de l'enfance (ONGS), ce qui ne signifie pas que le pouvoir des prêtres vaudou a disparu. La culture africaine cache plus qu'elle ne révèle", explique Patrick Nguema Ndong, éditorialiste sur Radio Africa N°1. Le secret, c'est le "hunxo". Il est central dans le Vaudou car il conforte la connaissance, le pouvoir et la peur. On trouve donc dans le monde vaudou un aspect visible, public, accessible aux touristes occidentaux, et un aspect invisible, caché, connu des seuls initiés. Il est assez facile d'exposer le déroulement des cérémonies collectives publiques et d'en commenter les pratiques, mais il est extrêmement difficile d'accéder aux rituels secrets.

Les aspects visibles du culte comprennent des pratiques privées et des fêtes collectives. Les fêtes sont organisées en l'honneur des divinités, sur les lieux réservés. Elles rassemblent de nombreux participants dont des prêtres, des adeptes, des fidèles et des gens qui ne sont que curieux. Une partie des cérémonies reste secrète. Elle est accomplie par les prêtres dans la partie interdite des lieux. Dans le péristyle accessible au public, les participants assistent aux danses rituelles des adeptes des diverses divinités et écoutent leurs chants. C'est là qu'ont lieu les sanglants sacrifices d'animaux, petits et grands, égorgés et dont le sang est ensuite déversé sur l'autel. Dans la passé, c'était parfois du sang humain qui était ainsi répandu (pratique abandonnée à la fin du 19e siècle). Pour les sacrificateurs vaudou, le sang est un fluide magique dont la nature relie le visible et

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l'invisible, et dont la qualité amène le divin à écouter la demande humaine. L'offrande de sang aurait donc un effet médiateur favorisant l'efficacité de la démarche engagée auprès de la divinité. Cette acception, commune à bien des religions antiques, semble hélas persister dans l'inconscient collectif

Jusqu'au niveau des sacrifices sanglants, les rites vaudou ressemblent à ceux d'autres religions traditionnelles. Mais un phénomène nouveau apparaît alors, la transe, qui manifeste la venue de l'esprit de la divinité en cause, le YE, sur la tête de la personne qu'il va posséder, le Vodusi (ou épouse du Vodù), qu'il choisit et chevauche, paraît-il, à la façon d'un cheval. La possession du Vodusi par le YE peut concerner un adepte préparé à cette situation qui se déroule alors d'une façon attendue et codifiée. Elle peut aussi affecter un Vodusi spontané, qui la subit sans préparation. L'état de transe ressemble à une crise d'épilepsie. Le sujet perd conscience. Il est agité de tremblements et de spasmes, fait les yeux blancs et parfois bave. S'il est debout, il peut tomber, mais les adeptes veillent et le soutiennent, ou le contiennent, afin d'éviter toute blessure. L'accès se termine généralement par des cris ou des flots de paroles suivis d'un retour au calme. Les adeptes s'agenouillent et chantent la gloire du YE qui vient de se manifester en faisant descendre son pouvoir. Le prêtre touche de sa clochette le front sacré de l'élu. Son visage est caché puis on l'emmène vers un lieu d'initiation.

La descente inopinée du YE peut être dramatique car le Vodusi qui a reçu l'Acé est définitivement coupé de tous ses engagements civils antérieurs. Au "huxwé" (le couvent vaudou), le nouvel élu entre dans un noviciat initiatique qui transforme sa personnalité. Il est soumis à une discipline sévère avec des interdits comportementaux, y compris sexuels. Il doit utiliser un langage particulier, (sorte du verlan du dialecte local). Il subit des scarifications sur le corps et participe à des rituels rigoureux. Il apprend à mettre en oeuvre les savoirs occultes réservés aux adeptes, tels les vertus des sucs végétaux et des sécrétions et venins animaux, la composition des médicaments et des poisons, le traitement des maladies, etc.. Personne n'en sait plus sur ce qui se passe en ces lieux, magie blanche ou noire, et même sorcellerie. Aucun initié n'en parle. Le secret, le "hunxo", reste absolument gardé. Il est indispensable au pouvoir du Vaudou qui se

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fonde, comme dans d'autres religions, sur la notion du sacré, des connaissances spécifiques mystérieuses et la peur de l'inconnu et de la mort. La formation achevée, un rite de passage (AXWÃWLI) introduit enfin le novice dans la confrérie.

Introduction du Vaudou en Amérique

En 1492, Christophe Colomb découvrit l'Amérique, et il crut jusqu'à sa mort, être arrivé aux Indes en ayant fait le tour du Monde. Il aurait débarqué dans une petite île des Bahamas, (San Salvador). Plus tard, il découvrit le continent au niveau du Vénézuéla. La mise en valeur commença donc dans les îles du Golfe du Mexique, Hispaniola (Haïti/Saint Domingue), et les Antilles. Puis, l'Espagne et le Portugal s'engagèrent vers le Centre et le Sud. La France et l'Angleterre se disputèrent âprement la cote Est et le Canada. Les Français maîtrisèrent alors un véritable empire, du Canada à la Nouvelle Orléans, puis divers traités délimitèrent les zones d'influence. Au 17e siècle, la France possédait encore Haïti et la "Nouvelle France", la "Grande Louisiane", un immense territoire de deux millions de km2, quatre fois notre France actuelle. Il s’étendait de l'embouchure du Mississipi jusqu’aux Montagnes Rocheuses. Cette "Nouvelle France" comprenait au moins les territoires de nombreux États USA actuels, comme le Montana, les Dakota du Nord et du Sud, l'ouest du Minnesota, le Kansas, le Wyoming, l'Iowa, le Colorado, le Nebraska, le Missouri, l'Oklahoma, l'Arkansas et l'actuelle Louisiane), mais cependant sans le Texas.

Au 16e siècle, tant en Amérique du Nord que du Sud, les colons commencèrent à planter le coton, l'indigo, et la très précieuse canne à sucre, toutes cultures nécessitant une abondante main d'oeuvre. Les populations locales faiblissant, les planteurs recherchèrent des ouvriers plus robustes. En Afrique, autour du Bénin, la guerre sévissait et les rois guerriers locaux disposaient de nombreux

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ennemis captifs qu'ils voulaient vendre contre des armes. Disposant de vendeurs et d'acheteurs, des négociants avides organisèrent alors "le commerce triangulaire" qui transportait alternativement des hommes et des marchandises. Les captifs Yoruba et Fon furent réduits en esclavage et déportés en grand nombre dans des conditions abominables. Totalement démunis, ils n'espéraient qu'en leurs dieux. Abandonnés par ceux-ci, les esclaves recréèrent alors un Vaudou nouveau, syncrétique. Malgré les mélanges ethniques et les différences cultuelles, en dépit de leurs insuffisances dogmatiques et de l'obligation du catholicisme, ils imaginèrent un parler commun, le créole, et adoptèrent cette religion commune, le Vaudou d'Haïti et de Cuba. Il en fut de même à Bahia, au Brésil et dans les Caraïbes, avec le Candomblé ou le Macumba. Les premiers esclaves furent utilisés dans les colonies anglaises, mais les Français en employèrent aussi beaucoup, d'abord à la Dominique et à Haïti, (les Indes Occidentales), puis en Louisiane. Le triste sort des noirs mettait Louis XIV mal à l'aise. Il s'opposait à la traite et fit rédiger le "Code Noir" pour améliorer leur situation. Les églises aussi tentèrent vainement de stopper leur commerce, puis décidèrent de les évangéliser pour sauver au moins leurs âmes. Le culte chrétien fut alors imposé et devint une caution morale à l'esclavagisme. C'est dans les Îles des "Indes" que fut recréé le Vaudou Haïtien. Les esclaves y jouissaient d'une certaine autonomie et vivaient regroupés à l'écart des maîtres. Ce communautarisme favorisa l'apparition des assemblées vaudou, et le nouveau culte des Esprits se répandit rapidement d'Haïti jusqu'au Brésil. L'obligation du baptême ne chassa pas les LOA, vite masqués sous les images chrétiennes. Mais en Louisiane, pour retarder l'expansion du Vaudou, les planteurs ne réunissaient pas leurs esclaves, interdisant d'en importer provenant des Îles. Cette attitude persista jusqu'à la cession aux Américains et la révolte d'Haïti. Les esclaves des "Indes" affluèrent, amenant le Vaudou.

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Le Vaudou d’Haïti et de Louisiane

Des révoltes éclatèrent dans les possessions d'Amérique après la Révolution de 1789 parce que la Convention tardait à y proclamer l'abolition de l'esclavage. Á la Dominique, le pouvoir tomba dans les mains d'un révolté noir, Toussaint Louverture, qui proclama, en 1801, une constitution originale et très intéressante. Abolissant toute distinction entre blancs et noirs, elle donnait une grande autonomie à l'île qui s'affirmait cependant française. L'article 6 de son Titre III faisait du Catholicisme le seul culte autorisé, bannissant le Vaudou. C'est alors que les adeptes gagnèrent la Nouvelle Orléans, en Louisiane, avec les maîtres blancs apeurés. Bonaparte rejeta la sécession. Il fit rétablir l'esclavage dans les colonies d'Amérique et envoya une expédition pour reconquérir la Guadeloupe puis la Dominique. Capturé, Toussaint mourut en France. Il fut finalement remplacé par Jean-Jacques Dessalines, un chef intraitable qui fit massacrer les blancs et vainquit les troupes françaises. Il fit de l'île, la première république noire libre et lui donna le nom d'Haïti, et s'en proclama empereur absolu sous le nom de Jacques 1er. Sa constitution de 1805 y abolissait définitivement l'esclavage et rétablissait une liberté assez relative pour le culte vaudou.

Au début du 19e siècle, on trouvait dans toutes ces îles et territoires, un Vaudou très particulier qui accentua encore son caractère avec le temps. Depuis l'édiction du Code Noir en 1685, l'évangélisation catholique, le baptême et la messe dominicale étaient imposés aux esclaves, et le Vaudou leur était interdit. Ces obligations religieuses ont marqué leurs comportements cultuels de plusieurs façons. L'aspect le plus évident est l'appropriation d'une partie de l'iconographie chrétienne. Associés aux "vévés", on trouve des croix, des statues de saints et d'autres symboles dans les sanctuaires vaudou d'Amérique. En réalité, ils masqueraient les "LOAS" vaudou sous des apparences acceptables aux yeux des maîtres. Par exemple et parmi les déités traditionnelles, Saint Pierre pourrait représenter

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Legba, Saint Jacques serait Ogou, la Vierge figurerait Erzulie, et Saint Côme et Saint Damien symboliseraient les Marassa, les deux jumeaux. En réalité, c'est beaucoup plus compliqué que cela. La symbolique est plus subtile et beaucoup d'images ont été utilisées tant pour les déités amenées d'Afrique que pour les esprits issus du continent américain. Il y a aussi des évolutions conceptuelles importantes, un Vaudou rouge et un Vaudou blanc. En principe, les cérémonies vaudous commencent ici par l'invocation du Grand-Maître divin. En Afrique, cet esprit suprême ne reçoit aucun culte. Il est un Vodun ou un Orisha comme ceux qu'il conduit. Il procéderait en fait des forces naturelles dont il personnifierait la somme. En Amérique, c'est le Grand Dieu chrétien qui est appelé. C'est lui qui régit les LOAS de la nature qu'il peut mettre au service des hommes. Il y a donc là un renversement majeur des concepts déterminant l'essence de la divinité souveraine. Mais, quoique l'Afrique soit devenue un peu mythique et inaccessible, ses traditions mystiques ont été sauvegardées. Certains LOAS d'Haïti sont donc des Voduns issus du polythéisme Fon et Yorouba du Bénin ou du Dahomey. Il faut y ajouter des déités "Zémès" héritées des Amérindiens (Arawaks). Enfin, de nouveaux et nombreux LOAS sont indigènes (ou créoles). Ils sont nés dans le nouveau milieu ou de nouveaux ancêtres. Les LOAS de tradition africaine ont un caractère assez bénéfique. Ils relèvent du culte "Rada". Les nouveaux LOAS nés de l’esclavage reçoivent un culte différents dit "Petro", et sont d'une nature plus équivoque. Il y a aussi d'autres familles d'esprits d'un genre plus sombre, tels les GHEDES et EXU) . Le rite Rada perpétue la tradition africaine et l'aspect positif du culte dont il constitue la base. Son panthéon rassemble les plus puissants LOAS. On y trouve Damballah Wédo, génie du Ciel, du Soleil, de la Terre et de la fécondité. Maître des eaux, ses symboles sont la couleuvre et l'oeuf. Sa forme féminine (son épouse) est Aïda Wédo. Alliés dans l'arc en ciel, ils procurent bonheur et richesse. Papa Legba est le gardien des chemins. Il ouvre les portes, y compris celles du monde spirituel. Il est aussi le génie (mâle) de la fécondité et du destin. Son épouse est Aïzan, protectrice des marchés. Sa vertu est la pureté. Elle accorde la puissance à ses protégés et confère la connaissance et le don de guérison aux houngans, les prêtres.

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Erzulie-Freda est la grande divinité de la beauté et de l'amour, symbolisée par la Vierge Marie. Ses protégés doivent l'épouser. Agoué, époux d'Erzulie, est le génie de la mer et protège les marins. Il y a aussi Ogou-Ferraille, patron des forgerons et génie de la guerre. Loko-Atisou, l'esprit de la végétation est guérisseur. Zaka protège les cultivateurs. Sogbo maîtrise la foudre. Badère conduit le vent. On y ajoute le Baron-Samedi, avec un statut particulier. Et il y a beaucoup d'autres LOAS rada. Le Baron-Samedi (Baron-la-croix, Baron-Cimetière) est un LOA fort important. Il commande aux Guédés fossoyeurs, les génies de la mort et du redevenir, et la Grande Brigitte (Grann Brigitte) est son épouse. Portant habit noir, haut de forme et bâton, il fume le cigare. Ses célébrations ont souvent lieu dans les cimetières, et son attribut symbolique est la croix. Le Baron appartient à la fois aux cultes Rada et Petro (comme Sogou, Agoué et Loko). Les doublons négatifs des LOAS RADA ambivalents ont un attribut distinctif dans le culte Petro. Celui-ci rassemble les LOAS haïtiens et ceux venus du Congo. On peut citer Don Pedro, fondateur du rite, Ti Jean Petro, son fils, Petro-yeux-rouges, le sorcier, Marinét-Bras-Séché, sa maîtresse, Maître Grand-Bois, génie des plantes, Maloulou, maître du Feu, les Taureaux, brutaux, Baron-Piquant, un Kita néfaste, Brisé, guédé, Krabinay, violent, Zombi, guédé de la chance, Makandal et Dessalines, esprits ancestraux liés à l'insurrection haïtienne. Les loas congolais sont Kita, sorcier togolais, Bumba, guédé, Bakoulou Baka, terrible, Mèt-Pamba, démon, Zandor, congolais, Mondong-Moussai, tueur de chiens, Wangol, angolais, Siniga, sénégalais, Ossange, Simbi, etc.. Tous ces LOAS négatifs peuvent aussi adopter et posséder les fidèles de leur choix.

Les Rites du Vaudou Haïtien

outes les cérémonies commencent par l'invocation

"Papa Legba, ouvre la barrière afin que je passe !"

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Quoique sa doctrine demeure complexe et floue, le Vaudou est donc une religion avec des prêtres, "houngan" ou des prêtresses "mambo". Elle comporte de nombreuses cérémonies ainsi que des prières et des libations. Le rituel est extrêmement diversifié ce qui en rend la description fort difficile, et l'on ne peut évoquer que les rites les plus courants. Le "boule-zen", est un rite polyvalent utilisé lors des initiations, des funérailles, et des services importants. Il s'articule autour d'une action remarquable impliquant un baptême (purification) par le feu. Des marmites culinaires enduites d'huile sont enflammées. On fait ensuite rapidement passer les objets rituels sacrés à travers ces flammes. Le "retrait de l'eau" est autre rite polyvalent associé aux funérailles. Des vases sacrés, les "govi", sont destinés à recueillir les esprits des morts. Ceux-ci sont momentanément réfugiés dans l'océan (symbolisé localement par un récipient plein d'eau et dissimulé sur lequel l'officiant, houngan ou mambo, dessine un vévé). Il invoque longuement les LOAS et demande à chaque âme concernée de quitter l'eau pour entrer dans le govi afin de communiquer avec sa famille. Le rite entraîne souvent des manifestations psychiques associées au spiritisme. L'initiation, kanzo, à la fois mort et résurrection, doit permettre aux les candidats de supporter les transes et la descente du LOA. Complexe, elle dure des mois et comporte plusieurs degrés successifs qu'on ne peut détailler ici. Une initiation encore plus poussée précède la consécration des prêtres, houngans ou mambos, qui sont intronisés dans le houmfort, le lieu de culte qui leur est confié. Les prêtres y reçoivent alors leur collier rituel, le houngé-vé. Les changements hiérarchiques sont marqués par le "haussement", une triple élévation du houngan assis dans un fauteuil. Aujourd'hui, l'inauguration d'un houmfort, (sanctuaire), est devenue rare. Elle demeure l'occasion d'une cérémonie importante très ritualisée. Dans le sanctuaire décoré, la Mambo donne le départ au son des clochettes et tambours rituels. Elle invoque le Grand Maître et les principaux LOAS puis procède à une aspersion d'eau vers les points cardinaux. Elle trace ensuite le Vévé de Legba et l'asperge de rhum avant de sacrifier plusieurs petits animaux, un poulet bigarré (zinga) à Papa Legba, un pigeon blanc à Aïzan, un autre aux Jumeaux, un coq gris à Loko. La cérémonie contient aussi un simulacre de combat avec le "la-place", le sabreur du loa Ogou, à qui est sacrifié un coq rouge.

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La cérémonie traditionnelle constitue le fondement du rite vaudou. Elle est pratiquée dans le Hounfor, le temple vaudou, sous la conduite du Houngan, le prêtre, ou de la Mambo, la prêtresse, mais elle peut l'être à l'extérieur. Les initiés jouent divers rôles, musiciens, danseurs, sacrificateur, spectateurs. Rappelons que ce temple comporte au moins deux espaces, un péristyle en terre battue, accessible à tous, et une chambre sacrée (bagui ou sobagui) qui est le sanctuaire véritable et contient l'autel. Le péristyle est décoré de drapeaux et comporte une colonne centrale rouge et bleue. Ce poteau-mitan symbolise le chemin de la descente des esprits. La cérémonie comporte deux phases. Elle commence par l'appel des LOAS. L'espace de culte est sacralisé par un jeté d'eau (jétédlo), puis les offrandes sont rassemblées au pied du poteau-mitan, et on dessine les vévé des divinités concernées. On dispose ensuite les objets sacrés rituels aux points cardinaux et sur le poteau. Les fidèles engagent alors les danses rituelles au battements des tambours qui sont des éléments rituels importants. Leur son obsédant établit le contact entre les deux mondes. La cérémonie rada use de trois tambours allant de 50 cm à 1 mètre. Il n'y a que deux tambours plus petits dans le rite petro.

La seconde phase de la cérémonie comporte un sacrifice. Il peut s'agir d'offrandes rituelles de boissons, de liqueurs ou d'aliments appréciés par les LOAS que l'on honore. Il existe un inventaire précis de leurs goûts comme des couleurs qu'ils préfèrent. Ces offrandes sont les "mangers secs". Les cérémonies plus importantes appellent un sacrifice sanglant, (mais cela n'est pas particulier au vaudou). Un animal est préparé, nourri, décoré, parfois parfumé. Ce peut être un volatile, poule ou pigeon, ou une chèvre, un mouton, voire un chien. Puis les tambours battent avec frénésie pendant que le sacrificateur l'égorge en répandant le sang sur le sol de terre battue. Le cadavre est ensuite offert aux quatre points cardinaux. Les initiés mouillent de sang leurs mains puis, avec des chants et des danses, ils appellent la descente des LOAS. Il arrive alors souvent que l'un des initiés pris de transe se mette à danses frénétiquement et d'une façon spécifique à l'esprit qui descend sur lui. La transe devient spectaculaire lorsque le LOA entre dans ce corps. On dit que la personne est chevauchée. Elle perd conscience et doit être assistée pour ne pas tomber ni se blesser.

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Ici comme en Afrique, un lien définitif a été créé entre le LOA et son élu, et il subsistera la vie entière.

Comme toutes les religions, le vaudou comporte des rites funéraires. Le plus important, le "desounen" est réservé aux personnalités. Il rompt le lien mystique créé par l'initiation entre le défunt et son LOA protecteur. Le "kase-kanari" est plus ordinaire. Cet adieu définitif au mort est symbolisé par le bris collectif d'une jarre remplie d'aliments sacrés. Ses débris sont enterrés et l'on trace un vévé dessus. Dans le vaudou, les défunts connaissent une forme de survie et peuvent devenir des génies protecteurs ou maléfiques. On les craint donc, et l'on fait, chaque année, des offrandes propitiatoires aux morts, le "manje-lémo" (le manger des morts). Ces largesses se terminent par un banquet accompagné de chants et de danses. En fait, le désir d'élévation spirituelle du fidèle est contenu dans une unique séquence liturgique continue bornée par deux rites, l'initiatique et le funéraire. Une catégorie particulière de LOAS est en charge des problèmes liés à la mort. Ce sont les GUÉDÉS dont le chef est Baron-Samedi. Ils détiennent à la fois les lois de la putréfaction et celles du renouveau. Ce sont des fossoyeurs mais aussi des purificateurs. C'est pourquoi leur croix de mort symbolique porte des signes de la vie.

Aspects complémentaires

La danse, la musique et les chants jouent un rôle essenteil dans les cérémonies. La danse sacrée (danse-loa) attirerait l'attention des LOAS. Son action est soutenue par des chants traditionnels d'origine africaine. Ils ont été portés par la mémoire des anciens esclaves, et beaucoup d'entre eux sont incomplets. Ce qui en reste est donc répété en forme de litanie par les choeurs officiants. Les tambours sacrés sont les instruments symboliques du culte vaudou. Ils sont souvent considérés comme étant la voix des esprits ou celle qui leur parle car leur battement diffère selon le LOA invoqué. Leur rôle est tellement important qu'ils ont une identité. Le plus grand des tambours Rada

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s'appelle manman, ou hounto, le second est hountoti, le plus petit est boula ou kata. Le plus grand tambour Petro se nomme aussi manman ou gros baka, et le plus petit est pitit ou ti-baka. Les rituels utilisent un autre instrument important, l'ogan, une petite cloche qui règle le rythme général de la musique, des chants et des danses. En Afrique, elle est utilisée pour déclencher la transe des initiés. Les rythmes du vaudou auraient inspiré la musique d'Haïti. Ses chants sacrés constitueraient la source du blues de la Nouvelle Orléans La réputation magique du Vaudou inquiète et fascine à la fois. Ses prêtres ont une connaissance approfondie de la pharmacopée naturelle et disposent de substances pouvant êtres des remèdes ou des poisons. En général, le Houngan cherche à harmoniser les diverses formes de vie. Dans cet aspect, il est un thérapeute qui soigne les corps et les âmes avec ses moyens propres. La nature des soins proposés peut surprendre mais l'intention n'est pas de nuire. Il joue aussi un rôle de prévention en proposant des talismans (gri-gri) souvent associés à des prières. Il met simultanément en oeuvre la chimie et la magie blanche en travaillant sur les deux plans de la nature. Dans un même soin, il combine des médicaments reconnus avec des éléments évocateurs des LOAS dont il sollicite l'assistance. On peut être surpris de trouver un clou de fer ou une vertèbre de couleuvre dans le sachet d'un gri-gri. Cela signifie probablement que le Houngan demande à Ogou ou à Dambalah Aïda d'appuyer son intention. Nous savons que la vie terrestre de chaque fidèle vaudou est placée sous le patronage de plusieurs LOAS communautaires ou personnels. Les soins médicaux et le gri-gri protecteur doivent donc être soigneusement personnalisés par le savoir du Houngan.

Le Vaudou utilise fréquemment les services des devins qui s'aident de curieux moyens de divination dont l'un est une boule prolongée par deux cordons portant chacune huit coques de noix. Le devin les abat sur un plateau et la position ouverte ou fermée des coques établit l'oracle. Le vaudou compte aussi des sorciers, les "Bokor", qui ont beaucoup fait pour sa mauvaise réputation. Cédant à la vénalité, ces prêtres utilisent les LOAS PETRO pour pratiquer la magie noire. On achète leurs services pour nuire à autrui. Ils fourniraient des produits toxiques comme l'arsenic ou le calomel et des extraits vénéneux végétaux et animaux, voire des poisons mortels. On les

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soupçonne de pratiquer des envoûtements sur les "dagides", des poupées magiquement liées à leur victime. Elles sont percées d'aiguilles pour projeter des souffrances. Nos sorciers européens connaissaient déjà cela. Le Bokor transformerait des personnes en loup-garous ou en morts-vivants, (zombis). Le Bokor utiliserait une drogue provoquant une léthargie profonde. Il réveillerait ensuite la personne enterrée avec un contre poison. Le zombi décérébré deviendrait son esclave. La "magie d'expédition", enverrait des esprits défunts pour détruire les gens. C'est la face secrète et sombre du Vaudou.

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Troisième partir - Spiritualités contemporaines

CHAPITRE 21 - L'Homme triple CHAPITRE 22- L'Univers est-il vivant ? CHAPITRE 23- La vie mystérieuse CHAPITRE 24 - Amour et Désir chez les Théosophes

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CHAPITRE 3 - L'Homme Triple

Les Trois Centres de Conscience.

Lorsque nous imaginons notre stature corporelle, nous nous représentons mentalement la perception intuitive que nous avons de notre corps. Nous en construisons un schéma théorique en positionnant l'intellect dans la tête, au plus près de l'observateur conscient que nous suscitons, puis nous hiérarchisons en plaçant l'affectivité dans le thorax, et les manifestations instinctives dans le bassin. Nous disposons ainsi d'une image compréhensible et exprimable. Elle est seulement pratique car, dans la physiologie effective, il semble que les divers centres de "conscience" soient tous situés dans le système cérébro-spinal. C'est le mental qui a appris à les projeter ailleurs. Chez l'embryon, tout le corps semble se construire par des bourgeonnements issus de la tête, elle même développée à partir de la cellule germinale.

Cette cellule provient de la démultiplication ininterrompue de la protocellule originelle. Née avec la vie, sautant de corps en corps, elle a donc vécu des milliards d'années, et potentiellement immortelle, elle inventa un jour le sexe et le plaisir, la douleur et la mort. Pendant ce temps immense, le corps s'est perfectionné, établissant d'abord en lui même un premier niveau de connaissance et d'action, une image du Soi dans le Soi, un reflet intérieur de l'état physique associé à la mise au point d'un système homéostatique assurant la régulation des fonctions biologiques essentielles. Au stade suivant, c'est le reflet du milieu extérieur, l'image du Monde dans le Soi, qui entre dans le champ de la connaissance sensorielle. Au stade actuel, c'est le reflet de l'être propre en

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interaction avec l'environnement, c'est l'image du Soi dans le Monde, qui accède à la conscience. Ainsi, l'infinitésimale et fragile cellule originelle a franchi des milliers de millions d'années et traversé des millions de millions de dangers pour aboutir à la construction de notre actuel corps vivant. Elle a lentement mis au point des systèmes ultra sophistiqués pour assumer la fabrication de cet organisme extraordinairement complexe ainsi que les moyens d'en assurer la survie et la progression. Et quand, à travers la conscience raisonnable, la vie ouvre enfin les yeux sur un fragment de réalité, c'est pour découvrir l'absurde inexorabilité de la mort. L'intelligence humaine se heurte à cette situation incompréhensible tout comme elle se heurte au problème rémanent du bien et du mal. L'homme conscient va donc en chercher des explications au travers de la métaphysique ou de la religion. Cette recherche de la compréhension des causes premières, des fins dernières, ou du bien et du mal, démarque l'être humain du reste du monde vivant. Sur le plan intellectuel, elle aboutit en particulier à un clivage entre deux théories inconciliables, le "Théisme" et le "Panthéisme", toutes deux basées sur des postulats indémontrables par la raison.

La Triplicité du Microcosme . Dans l'Antiquité, on supposait que les dieux et les hommes suivaient les lois du Monde selon leur nature propre, mortelle pour les Hommes, immortelle pour les Dieux. À partir de Moïse, et d'abord chez les Hébreux, une conception différente s'établit. Le Monde avait été créé à partir du Néant par un être primordial tout puissant, extérieur à la nature. Cette affirmation constitue la base du "Théisme" qui établit la cause

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première, Dieu, en dehors du Monde dont il est le Souverain Créateur, (Bible). L'autre postulat, hérité des Anciens, place les causes premières à l'intérieur du Monde, donc Dieu dans l'Homme et l'Homme dans Dieu, dans une unification universelle. Je n'établirai pas de comparaison critique entre ces deux systèmes de pensée, sachant qu'aucun des deux ne résout tous les problèmes. Je me propose simplement de présenter ici un fragment de la pensée panthéiste, l'idée de la triplicité humaine, vers laquelle on trouve d'ailleurs des convergences évidentes dans le Théisme quoique les conclusions en soient généralement différentes. J'établirai un seul raisonnement fondamental (qui n'est d'ailleurs pas de moi). "Je suis une conscience, et par là même, je prouve qu'il y a de la conscience dans l'univers". Peut-on aller plus loin sans mettre en œuvre un imaginaire personnel ? Les religions théistes posent actuellement leur conception des origines du Monde sur l'idée d'une trinité divine composée d'un Père créateur, extérieur au Monde, d'un Verbe, acteur de l’existence, et d'un Esprit, source de Vie. L'enseignement ésotérique puise aux mêmes sources antiques mais ne rejette pas Dieu à l'extérieur du Monde, l'introduisant donc au cœur de l'Homme. A partir de sa conception triple de l'Homme, manifestation incarnée de l'idée divine, l'ésotérisme présente donc aussi un triple concept de l'Inconnaissable Esprit Divin. La triplicité de ce concept partagé s'établit probablement à partir de la triple structure du système cérébro-spinal avec ses trois cerveaux successifs empilés et interconnectés pilotant les diverses fonctions du corps. L'auto-analyse, intelligente ou intuitive, amène ainsi l'Homme à concevoir qu'il est construit sur une structure ternaire. Les ésotéristes panthéistes élargissent ce concept de triplicité humaine et en font une

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image reflétant dans la réalité terrestre la conception intellectuelle triple qu'ils ont du divin. L'Homme est à l'image de Dieu, "Microcosmos" et "Microthéos" au sein du divin "Macrocosmos". Voir par exemple à ce sujet, les Hermétistes. Tout cela est difficile à commenter et surtout à illustrer. C'est pourquoi je propose de mener ce travail en cheminant le long de la voie des fleurs vivantes, l'art IKEBANA des bouquets japonais. Nous regarderons tout particulièrement ceux issus de l'École Ohara, construits en échelonnant harmonieusement, de haut en bas, trois éléments, SHU, le ciel, FUKU, l'homme, et KYAKU, la terre, symboles possibles de notre réflexion. Voyez ci-contre une réalisation particulièrement remarquable et esthétique, l'artiste ayant imaginé de tripler chaque élément symbolique, réalisant ainsi une composition très originale, puisque triplement triple.

La Source Originelle. De même qu'à l'origine du corps, il y a la cellule primordiale, la tête et ses prolongements vertébraux, à l'origine du Monde et des vivants, il y a l'être, l'existence, la matière et la vie lesquels sont les sources de toutes les choses et connaissances essentielles et de tous les moteurs de subsistance, de permanence et de reproduction. Ces forces, ces matériaux, ces instructions de construction, ces pulsions primordiales et ces savoirs fondamentaux sont enfouis au plus profond de nous, inaccessibles à la conscience raisonnable. Nous les analysons comme des éléments techniques utiles à la construction de l'appareil existentiel et à son fonctionnement. Nous ne réalisons pas que tous ces facteurs sont des manifestations

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actives et actuelles des éternels principes originels de l'existence et de la vie. A ce niveau de la réflexion, nous devons être très attentifs. Nous sommes ici dans le système de pensée panthéiste. Nous ne parlons donc pas seulement de matière ou de corporéité ni de représentation mentale. Nous parlons de l'Être unitaire primordial, inconnu, total, absolu qui nous inclut et qui donc se manifeste en nous-mêmes. Nous essayons de comprendre qu'à l'origine, à la source véritablement fondatrice de notre être propre dans tous ses caractères, il y a une idée créatrice essentielle, éternellement agissante et vivante, l'Idée permanente de l'Homme que nous sommes, originellement conçue dans l'Intelligence Créatrice, (quelle que soit la nature véritable de cette entité, cause première du Monde), et manifestée dans notre corporéité. Par notre être total propre, hors du Monde et du temps, nous lui restons constamment reliés, mais nous sommes cependant limités par cette manifestation existentielle, corporelle, temporelle et consciente qui est notre personnalité mortelle actuelle. L'existence du mal complique encore la réflexion. En Occident, la pensée panthéiste adopte souvent les concepts gnostiques tels qu'on les trouve dans la philosophie du "Nouvel Âge". C'est, par exemple, un démiurge, créateur imparfait, qui aurait créé ce monde temporel et ces corps mortels qui portent cependant en eux les étincelles divines immortelles descendues du royaume originel. Traditionnellement, dans l'imaginaire habituel de notre pensée, et sans réaliser ce que nous faisons et de quoi nous parlons, nous construisons une forme conceptuelle pour évoquer la base originelle. Nous l'appelons souvent "le Dieu Père" mais d'autres la désignent comme "la Mère originelle", ou même "la Nature". Là est l'illusion fondamentale. Nous avons quitté le contact intuitif avec la réalité matérielle originelle et nous

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l'avons remplacée par une construction mentale, une image symbolique inversée qui place loin de nous, dans les cieux, notre origine biologique et terrestre. Cette sorte d'idole se rencontre souvent dans les textes dits "Sacrés" ou les Temples. C'est pourtant la matière primordiale qui est conceptuellement la plus proche de la réalité de l'origine. Elle est d'abord manifestée dans l'existence matérielle et vivante du corps biologique, car l'homme pensant émerge de la vie, qui s'enracine dans la matière dont la source est dans l'Être primordial. Comprenons cependant qu'il n'y a aucune raison de placer cette forme conceptuelle, artificielle et imparfaite, cette idole fondamentale, symbolique et fragmentaire, en haut ou en bas, ou à la tête d'une quelconque hiérarchie. Dans la triple image mentale de l'essence universelle, il n'y a ni haut ni bas, et ni fonction première ou dernière. Inclinée vers la terre, la branche KYAKU est nécessaire, mais l'harmonie du bouquet réside dans sa globalité.

La Conscience émergente.

Dans le bouquet japonais, la branche SHU s'élance toujours ardemment vers le ciel. Je vous propose d'y voir ici le symbole d'une autre source puissante de la vitalité humaine, la poursuite vivante par l'idiomorphon (la forme humaine idéale), du projet divin, du but inconnu fixé à l'espèce au terme "téléonomique" de son évolution. Cette branche pourrait donc représenter la partie "cérébrale" de la découverte de l'Univers par l'Homme, sachant bien qu'il s'agit également de la

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perception intuitive de l'outre Monde, et l'image de gauche en est une évidente illustration. C'est le développement de son cerveau qui fait émerger l'humain hors du terreau de l'animalité. Dans cette émergence apparaissent la conscience et la liberté du comportement qui forment la "Personne", image particulière de la cause première. Au sein de l'intellect, la pensée gnostique panthéiste sépare ici deux outils : d'une part la raison qui permet d'accéder au savoir analytique matériel, (c'est à dire à l'avoir), d'autre part l'intelligence qui permet d'accéder à la connaissance globale et supra terrestre, (c'est à dire à l'être). Á travers les illusions du Monde, l'intellect global doit ainsi permettre d'accéder à la véritable réalité et au sens profond et caché de la vie terrestre, moyen de la restauration des caractères divins initiaux de la Personne des origines, intemporelle et immortelle. Dans la pensée panthéiste, il n'est qu'un Être primordial, inconnu, total, absolu qui nous inclut. Nous essayons ici de comprendre qu'au terme déterminant l'évolution de notre être propre, il y a une manifestation simplement différente de la même force essentielle éternellement vivante, qui est l'Idée de la Personne Humaine. Cette manifestation agit pour que chaque Personne devienne conforme à ce que son devenir fut et demeure conçu par l'Intelligence Universelle (quelle que soit la nature de cette entité). L'Homme lui reste relié dans son être total, mais, dans son aspect terrestre (donc dans le nôtre), il a maintenant découvert les admirables facultés de son corps et les capacités de son multiple cerveau. Ébloui et captivé par les splendeurs de la nature, les plaisirs et les richesses du Monde, il veut tout posséder, tout savoir, tout dominer, de l'atome à l'univers, et tout maîtriser, y compris la vie et la mort. Animé par ces pulsions de pouvoir et de possession, d'orgueil et de domination, utilisant sa raison, l'Homme travaille à remodeler les sociétés et à réorganiser le monde selon ses désirs. Il invente des sciences et des arts, des

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philosophies et même des religions, et il élabore des théories et des doctrines pour expliquer tous les aspects cachés du monde. Á ce sujet, voir les constructions mentales des Néoplatoniciens, admirables mais vraiment complexes. Mais la Personne dispose aussi de son intelligence propre, cet outil de contact direct avec l'Intelligence Universelle. En l'utilisant, elle peut enfin comprendre le plan qui la concerne. La révélation reçue par les panthéistes établit qu'en se détachant consciemment des illusions du Monde et des désirs de possession et de domination, l'Homme se délivre de tous les liens qui l'enchaînent, tant à la vie terrestre qu'à la mort du corps de chair. En abandonnant les pulsions visant à conquérir l'avoir, il permet l'émergence ou la reconstruction d'un nouvel Être totalement libre, d'une entité disposant des caractères divins originels et du corps transfiguré de la Personne intemporelle et immortelle des origines. Traditionnellement et toujours dans l'imaginaire de notre pensée, nous bâtissons un nouveau concept pour évoquer cette autre manifestation de la puissance originelle. Les anciens Grecs l'appelaient le "Noûs" mais nous disons souvent "l'Intellect" ou, par erreur, "l'Esprit". Là réside une illusion nouvelle. Nous avons lâché la réalité biologique et neuronale de notre conscience vivante, raisonnable et intelligente. Nous l'avons de nouveau remplacée par un reflet mental utilitaire, par autre image symbolique, vaporeuse ou éthérée qui figure, dans un milieu inconnu assez flou, tout le destin prochain de notre devenir terrestre. Dans le mystère de l'avenir, c'est la matière cérébrale qui nous semble être la plus apte à contenir cette représentation, et c'est pourquoi nous tendons à poser l'intellect au sommet de nos facultés. Cependant, il n'y a toujours aucune raison de placer ce concept au-delà ou en deçà, au-dessous ou au-dessus, ou dans une

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hiérarchie quelconque, car il ne demeure dans la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être. Dressée vers le ciel, la branche SHU nous paraît nécessaire, mais l'harmonie du bouquet IKEBANA persiste à résider dans sa globalité.

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Le Cœur et le Sang.

Le bouquet IKEBANA s'équilibre autour du centre de sa composition. C'est l'objet central FUKU, symbolisant l'homme, qui lui donne toute sa valeur artistique et émotive. Ainsi semble-t-il en être, tout au moins à notre niveau de perception, des hommes de la Terre quand ils acceptent leur état. Car, sur les fondations exposées ci-dessus, d'autres manifestations du principe originel définissent les spécificités des différentes formes vivantes et leurs comportements. L'espèce humaine est issue d'une façon quelconque de l'animalité. Elle partage donc les caractères et les modes relationnels des mammifères, ceux pratiqués par les anthropoïdes en général, ou ceux des divers humanoïdes présents ou passés, en particulier. Au niveau de la conscience ordinaire, des pulsions puissantes régissent les comportements habituels et tendent à satisfaire les dévorants désirs liés à l'affectivité. Elles expriment les besoins relationnels des divers individus composant les groupes, les espèces, ou les commensaux variés qui partagent le même environnement, ainsi que toutes les actions, réactions, et tous les sentiments qu'ils inspirent. Ces réactions d'amour et de haine, de plaisir et de souffrance, d'exploitation et de dévouement régissent l'essentiel des relations naturelles entre les individus, les sociétés ou les espèces, y compris chez les hommes. Mais d'autres facteurs peuvent aussi agir puissamment sur notre émotivité, comme l'art et la musique, par exemple. C'est qu'il existe en nous d'autres facultés, tel le sens de l'esthétique ou de l'harmonie, des canaux nouveaux qui conduisent à des spécificités humaines non partagées. En ce qui nous concerne, en liaison avec l'émergence de la "Personne", image particulière reflétant intérieurement la

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"Totalité universelle", l'émotion, ordinairement provoquée par un objet extérieur, peut aussi être éveillée par la perception mentale de l'Idée créatrice originelle lorsqu'elle se manifeste dans la pensée. Comme toute émotion, celle-ci provoque une réaction cardiaque et un mouvement sanguin, comme si le sang était porteur de la sensibilité personnelle du sujet. La pensée panthéiste fait alors de ce cœur palpitant le siège de la manifestation de l'Être originel dans l'âme humaine. Elle considère cet organe comme la porte d'entrée de l'appel intérieur fait à chaque homme pour qu'il se libère des chaînes pénibles de la vie terrestre et qu'il réalise maintenant sa destinée d'accès à la spiritualité et à l'intemporalité. Il faut d'ailleurs signaler à ce niveau une particularité un peu surprenante des doctrines et religions théistes. Comme le polythéisme antique, elles enseignent l'irruption dans le réel d'entités conceptuelles immatérielles (dieux ou anges), qui n'appartiennent pas à la création mais qui viennent agir pour aider l'homme dans sa vie terrestre, (Telle l'incarnation du Verbe, dans le Catholicisme). C'est intellectuellement analogue à l'image représentative d'un mythe qui prendrait vie et sortirait de son cadre pour rencontrer son concepteur. Cette évidente difficulté n'existe pas dans la pensée panthéiste moderne qui professe l'unité du Monde dont la source créatrice est partout et en tout, se manifestant donc dans la matière, dans l'homme, dans sa pensée, et tout particulièrement ici, dans son cœur où lui semblent résider la force auto libératrice originelle : le Christ intérieur. "Mon cœur contient tout", dit Ibn Arabi soufi, un gnostique musulman. L'homme ressent douloureusement en son cœur les tumultes engendrés par de perpétuels combats. Car l'opposition des contraires caractérise tous les aspects de ce Monde que les gnostiques appellent donc "dialectique". Chaque choix effectué entre le bien ou le mal, la paix ou la guerre, la haine ou l'amour, engendre un nouveau conflit. Cette situation devient intolérable à qui en

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prend conscience et commence à se souvenir du Monde originel. Car la pensée panthéiste gnostique affirme qu'il existe aussi une dialectique qui oppose la violence et la mort (qui régissent la Terre), à la vie éternelle et à l'amour universel (qui règnent dans le Royaume originel). C'est donc sur le chemin de la transformation de l'être et du retour à l'état originel que s'ouvre la porte du cœur, complétant ainsi le triple symbole panthéiste signifiant le véritable sens de la vie humaine. Mais il n'y a aucune raison de placer cette nouvelle représentation conceptuelle en avant, en arrière, ou au centre d'une hiérarchie quelconque, car il n'y a toujours dans la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être. Au cœur IKEBANA, la fleur FUKU a pris sa place, mais l'harmonie réside encore en la globalité.

Le Triple Temple.

Tout en développant de façon trinitaire les aspects à travers lesquels la pensée panthéiste décrit le Monde et l'Homme, j'ai insisté sur l'unité indissociable qui réunit les trois images conceptuelles utilisées. Selon les doctrines, les ésotéristes usent d'autres modèles, des constructions basées sur les chiffres sept ou dix ou douze, par exemple. L'important est de comprendre que cette pensée postule fondamentalement l'unité absolue du Monde, de l'atome à l'univers, du créateur à la créature, de l'origine aux fins ultimes, et de l'individu à l'humanité entière. Elle se fonde sur la certitude qu'il n'existe qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers et Dieu, que tous les autres aspects du Monde sont parfaitement

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illusoires, et que la personnalité individuelle s'inscrit donc toujours dans l'unité de l'humanité tout entière. C'est en lui-même, qu'à l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les esprits vierges qui vont expérimenter la matière. Ce n'est pas une expérience facile mais l'éternité est disponible. Les esprits inconscients vont s'enfoncer dans le chaos originel. Au cours de la descente, l'émergence de la vie dans la matière inerte puis celle de la conscience dans les corps vivants devraient permettre de réaliser l'Idée divine, l'incarnation des esprits dans des corps matériels vivants, des "Microcosmes" bâtis au modèle de l'Univers. Mais les expériences sont variées et parfois périlleuses. Originellement libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des hommes. Alors se forme le monde que nous connaissons, le monde "dialectique" des gnostiques, régi par l'opposition des contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel, enfermé dans un corps humain mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de ses cristallisations, de son karma personnel et ancestral, pour reprendre librement le chemin de l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son propre "Microcosme", de la véritable réalité de son être personnel, tel que voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la globalité de la communauté humaine. L'esprit incréé, seul l'esprit peut l'engendrer. De nature divine, engendré non pas créé, l'homme originel est et demeure immortel. Vivant dans un corps biologique, c'est dans cette vie naturelle même qu'il peut retrouver ses pouvoirs si l'homme animal qui l'héberge accepte par amour la transformation nécessaire, la transfiguration du corruptible en incorruptible, du plomb vil en or pur. L'Homme ne se fait pas lui-même, disait-on au Moyen Âge. Il est fait par la matière qu'il travaille et par la lumière qui l'éclaire. C'est cela, semble-t-il, que les anciens Alchimistes découvraient un jour, non pas dans leurs cornues comme d'abord ils l'espéraient en éprouvant

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inlassablement le sel, le soufre et le mercure, mais en eux-mêmes, tout au terme de leur longue recherche de la pierre philosophale. Car la pierre n'opérait qu'en présence d'un peu d'or, symbole de la présence effective de l'Esprit divin, et préalable nécessaire à la transmutation. Puisse chacun trouver, en soi-même, sa propre pierre de métamorphose et aller maintenant son chemin personnel de transfiguration. Les ésotéristes nous disent que par amour, la Divinité descend depuis l'Esprit pur vers chaque homme en revêtant la matière, puis que, par amour aussi, l'Homme s'élève depuis sa corporéité vers Dieu en libérant son propre Esprit.Je synthétiserai ces idées en disant que pour les panthéistes gnostiques chrétiens, c'est l'amour total qui constitue le feu de l'alchimie ultime, laquelle transforme alors le corps de l'homme en triple temple du divin Microcosme. L'éternel Esprit incréé des origines est "l'Amour Même". Il s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don d'amour éternel ne peut se réaliser dans la solitude. L'Esprit divin engendre donc nécessairement "l'Autre", l'Homme spirituel immortel qui est une conscience vivante. Engendré par l'Esprit d'amour et non pas créé, l'Homme révélé rayonne naturellement la force de la vie et la clarté de la connaissance sur toute l'humanité. Cet impératif comportemental de fraternité universelle détermine donc l'orientation majeure du travail intérieur des ésotéristes gnostiques qui, conscients de la double nature de leur être terrestre, vont associer l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la douceur de la compassion puisée dans leur périssable nature humaine. Comme il faut bien que j'arrête quelque part cette présentation générale de la pensée panthéiste et gnostique, je terminerai ici en utilisant un dernier symbole ternaire et en vous priant maintenant de vous attarder un instant sur cette magnifique

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illustration d'artiste représentant ce corps humain ainsi triplement et spirituellement transfiguré.

COMPLEMENTS

L'HERMETISME (Extrait d'Asclépius)

L'Homme, dit Hermès, peut retrouver son immortalité et sa place dans le royaume originel s'il réussit la transmutation de son corps mortel. Le pouvoir du Démiurge s'efface. Il cède la première place à l'Homme primordial. Lumière et vie, voilà ce qu'est le Dieu et Père.(...). (...)Voilà pourquoi, seul de tous les êtres, l'Homme est double, mortel de par le corps, immortel de par l'Homme essentiel (...). L'Hermétisme jette sur le Monde un regard résolument positif. Dieu est la Vie même, intellect et amour actif. Un démiurge distinct a construit l'univers et son peuplement, autant que les sphères du zodiaque qui fixent le destin. Bien qu'il soit immortel et qu'il ait pouvoir sur toutes choses, l'Homme subit la condition des mortels, soumis qu'il est à la destinée.(...). (Poïmandres).

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(...) Quant à l'Homme, de vie et de lumière qu'il était, il se changea en âme et en intellect, la vie se changeant en âme, la lumière se changeant en intellect, (...). (Poïmandres) . (...) Parmi tous les genres d'êtres, ceux qui sont pourvus d'une âme ont des racines qui parviennent jusqu'à eux de haut en bas. En revanche, les genres des êtres sans âme épanouissent leurs rameaux à partir d'une racine qui pousse de bas en haut. Certains êtres se nourrissent d'aliments de deux sortes, d'autres, d'aliments d'une seule sorte. Il y a deux sortes d'aliments, ceux de l'âme et ceux du corps, les deux parties dont se compose le vivant.(...). (Asclépius). L'Homme qui se connaît, connaît aussi le monde,(...) Il révère l'image de Dieu, sans oublier qu'il en est la seconde image, car Dieu a deux images, le monde et l'homme.(...). (Asclépius). Au commencement, il y eut Dieu et Hylé, (la matière). Le Souffle, (Pneuma-l'Esprit), était (...) dans la matière mais non pas de la même façon (...) qu'étaient en Dieu les principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui est toujours, Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. Telle est donc la nature de Dieu, qui toute entière est issue d'elle même. (...). Quant à Hylé, (la nature matérielle), et au Souffle, bien qu'ils soient manifestement inengendrés, ils ont en eux le

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pouvoir et la faculté naturelle de naître et d'engendrer. (...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de Hylé (la matière), elle est capable d'engendrer bien qu'elle soit elle-même inengendrée. Or, s'il est de la nature de la matière d'être capable d'enfanter, il en résulte que cette matière est tout aussi capable d'enfanter le Mal. Cependant, le Dieu suprême a pris d'avance ses précautions contre le Mal, de la façon la plus rationnelle qui se pût, quand il a daigné gratifier les âmes humaines d'intellect, de science, et d'entendement. En effet, c'est par ces facultés, (...) et par elles seules, que nous pouvons échapper aux pièges, aux ruses, et aux corruptions du mal. (...) car toute science humaine a son fondement dans la souveraine bonté de Dieu. (...). Quant au Souffle, c'est lui qui procure et entretient la vie dans tous les êtres du monde lequel obéit, comme un organe ou un instrument, à la volonté du Dieu suprême. (...). C'est du Souffle que Dieu remplit toutes choses, l'insufflant en chacune d'entre elles selon la mesure de sa capacité naturelle. (Hermès Trismégiste - Asclépius).

LES NEOPLATONICIENS (JAMBLIQUE)

1 - La connaissance des dieux est à part, séparée de toute opposition. Elle ne consiste pas dans le fait qu’on la concède maintenant ou qu’elle prend naissance. De toute éternité, elle coexistait dans l’âme en une forme unique.

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2 - Conçois donc comme du limon tout le corporel, le matériel, l’élément nourricier et générateur, ou toutes les espèces matérielles de la nature qu’emportent les flots agités de la matière, tout ce qui reçoit le fleuve du devenir et retombe avec lui, ou la cause primordiale, (préalablement installée en guise de fondement), des éléments et de toutes leurs puissances. Sur ces bases, le Dieu auteur du devenir, de la nature entière, de toutes les puissances élémentaires, lui qui est supérieur à celles-ci et s’est révélé dans sa totalité sorti de lui-même et rentré en lui-même, immatériel, incorporel, surnaturel, inengendré, indivis, préside à tout cela et enveloppe en lui-même l’ensemble des êtres. (../..). 3 - Avant les êtres véritables et les principes universels il y a un Dieu qui est l’Un, le Tout Premier même par rapport au Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la solitude de sa singularité. Aucun intelligible, en effet, ne s’enlace à lui, ni rien d’autre. Il est établi comme modèle du Dieu qui est à soi-même un père et un fils, et est le Père unique du vrai Bien, car il est le plus grand, premier, source de tout, base des êtres qui sont les premières Idées intelligibles. A partir de ce Dieu Un se diffuse le Dieu qui se suffit, c’est pourquoi il est à soi-même un père et un principe car il est principe et dieu des dieux, monade issue de l’un, antérieure à l’essence et principe de celle-ci. (../..). 4 - D’après les conceptions hermétiques, l’homme a deux âmes. L’une est issue du Premier Intelligible, et elle participe aussi à la puissance du démiurge. L’autre est introduite en nous à partir de la révolution des corps célestes. C’est en celle-ci que se glisse l’âme qui voit Dieu, (la précédente). Les choses étant ainsi, celle qui descend des mondes, (... célestes, la fatalité inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la révolution de ces mondes, tandis que l’âme issue de

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l’Intelligible, présente en nous selon le mode propre à l’intelligible, est supérieure au cycle des naissances. C’est par elle que, délivrés de la fatalité, nous remontons vers les dieux intelligibles. (...).

Prologue de l'Évangile de Jean

Jeannine SOLOTAREFF a publié une exégèse de l'Evangile de Jean, réalisée par Paul DIEL. Celui-ci estime que le texte originel de cet Evangile a probablement été modifié au cours des siècles. Les versets 6-7-8-9-15 auraient subi des translocations qui les ont remontées depuis leur place initiale pour les amener vers le début du prologue. Cette opération aurait transformé en dogme la valeur initialement symbolique du Prologue. Or, il est bien établi que ce texte majeur est fondateur du dogme principal de la religion catholique. (Le symbolisme dans l'Evangile de Jean - Paul Diel - Jeannine Solotareff - (Ed. Payot & Rivages - 1983) Voyez ci-dessous le texte reconstruit dans la forme proposée par ces auteurs. Les numéros sont ceux des versets dans leur ordre canonique habituel. Un second tableau, sur la page suivante, présente les interprétations des auteurs.

Le Prologue de l’ övangile de Jean revisité

Partie 1. ( 1) Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. ( 2) Il était au commencement auprès de Dieu. ( 3) Par lui tout a paru, et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru.

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Partie 2. ( 4) En lui était la vie et la lumière des hommes. ( 5) Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie. (10) Il (le Verbe) était dans le monde et le monde par lui a paru et le monde ne l’a pas connu. (11) Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas accueilli. (12) Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. A ceux qui ont foi en son nom. (13) Qui ne sont pas nés du sang ni d’un vouloir de chair ni du vouloir d’un homme, mais de Dieu. Partie 3. (14) Et le Verbe est devenu chair et il a dressé sa tente parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle que tient de son père un fils unique plein de grâce et de vérité. (16) Car de sa plénitude, nous avons reçu et grâce pour grâce. (17) Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. (18) Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils Unique qui est dans le sein du Père, celui-là l’a fait connaître. Partie 4. ( 6) Il y eut un homme envoyé de Dieu, son nom était Jean. ( 7) Il vint en témoignage pour témoigner au sujet de la lumière, afin que tous par lui fussent amenés à la foi. ( 8) Celui-là n’était pas la lumière, mais il devait témoigner au sujet de la lumière. ( 9) C’était la lumière, la véritable qui illumine tout homme en venant dans le monde.

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(15) Jean témoigne à son sujet et n’a cessé de crier: «C’est celui dont j’ai dit « Celui qui vient après moi a existé avant moi, car avant moi il était »..

L’explication du Prologue selon Paul DIEL

Lorsque ces versets sont replacés dans l’ordre cohérent proposé par Paul DIEL, on remarque que le texte comporte quatre parties distinctes. • La première partie est métaphysique et parle clairement du

mystère appelé Dieu et de ses rapports avec le Verbe, source des manifestations existentielles. (Versets 1,2,3).

• La seconde partie nous dit ce que sont les rapports entre le

Verbe et l’Homme, et nous explique le vrai sens de la vie. (Versets 4,5,10,11,12,13).

• La troisième partie, et elle seule, parle de l’Homme Jésus,

appelé Fils de Dieu ou Verbe incarné. (Versets 14,16,17,18).

• La dernière partie enfin, nous expose la mission de Jean.

(Versets 6,7,8,9,15). Percevez-vous bien toute la portée de l’observation de Paul DIEL ? Mesurez-vous les conséquences de cette toute petite remise en ordre des versets du Prologue sur les fondements mêmes du catholicisme ?

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L’interprétation traditionnelle du Prologue est dogmatique. Dieu y est défini comme un être réel qui se tient hors u Monde, dans la transcendance où il accompagné du Verbe et de l’Esprit. L’espoir de l’humanité repose sur la bonté de ce Dieu personnel, attaché à juger les hommes, et qui a fini par envoyer le Verbe, personnage réel, lequel a pris la forme humaine de Jésus. Paul DIEL propose une exégèse symbolique. Dieu est un symbole imaginé par l’homme pour exprimer son angoisse devant les mystères auxquels il est confronté. Jésus est considéré comme l’incarnation du sens de la vie appelé symboliquement « Verbe ». L’espoir de l’humanité repose la capacité évolutive de l’homme de se délivrer de sa vaniteuse angoisse. Jésus est le Christ incarné car il a pleinement accompli cet idéal. C’est seulement en ce sens que Jésus est le Fils divin qui porte l’espoir évolutif des hommes.

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LA DIVINE ORIGINE

"Incréé ne peut mourir"

Citations extraites de la conclusion du livre de Marie BALMARY - Dieu n'a pas créé l'homme.

.

- Si la créature n'est pas le dernier mot de l'humain, si l'homme et la femme sont incréés, incréables, s'ils deviennent sujets, (le mot, chez cet auteur, ne désigne jamais l'inféodé mais prend toujours le sens grammatical. C'est le terme gouvernant le verbe, celui qui dit JE lorsqu'il parler à l'autre, et même à Dieu), en sortant du moi-esclave sans perdre la loi de leur relation, s'ils s'éveillent en leur rencontre et engendrent des fils d'homme incréés eux aussi, la question de la mort apparaît sous un autre jour.

- La mort, dit Marie BALMARY, est alors une nouvelle à

deux versants : Mauvaise nouvelle pour la créature, puisqu'elle lui signifie son néant, elle est bonne nouvelle pour l'incréé. Pour lui, elle est promesse. Promesse qu'il ne demeurera pas immergé dans la condition de l'après-Eden.

- Comme le dit YHWH, rappelle-t-elle, (Au chapitre 6 de la

genèse, verset 3), dans une phrase difficile à traduire parce que plus difficile encore à penser : "Mon esprit ne durera pas (ou ne plaidera pas ou ne jugera pas) dans l'humain

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pour toujours. Dans leur égarement, il est chair; ses jours seront de cent vingt ans."

- (…/…) J'entends ici que "l'esprit de Je", l'esprit incréé qui

parle en l'homme à la première personne, ne restera pas pour toujours dans le terrien, (celui qui a été créé mâle et femelle). "Leur égarement", c'est qu'ils s'égarent l'un l'autre. Est-ce l'esprit qui devient chair lorsqu'ils se perdent ainsi ? (.../...).

- (.../...) L'être qui parle en première personne, homme et femme, n'est pas de la création mais de l'esprit qui vient en leur rencontre. Cet esprit demeurera en l'humain le temps qu'il dise "Je", le temps qu'il dise "Tu". Puis il traversera la mort. Incréé ne peut mourir !

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CHAPITRE 22 – Le Cosmos estt-il vivant ?

Le concept matérialiste de l'Univers mécanique.

La philosophie matérialiste conventionnelle décrit le Cosmos comme une construction mécanique dont le fonctionnement sera progressivement expliqué par la Science. Quoique les principales théories cosmogoniques restent actuellement incompatibles, ce concept a progressivement envahi notre représentation intellectuelle et spirituelle de l'Univers.

" L'univers est une machine, la vie est aléatoire et fonctionne de façon mécanique, et l'homme, issu de ces machineries, est

lui même une machine".

Ces principes généraux simplistes sont interprétés par les différentes disciplines pour poser les postulats particuliers servant de bases des diverses théories et idéologies cosmogoniques. On les retrouve, érigés en dogmes ou en mythes, tant chez les scientifiques que chez les philosophes et même chez les religieux du monde entier. De tous temps, les chercheurs ont tenté d'imaginer d'où provenaient l'univers, la vie, ou l'homme. L'apparition de nouveaux modèles est cependant suffisamment rare pour que l'on se penche un peu sur leurs berceaux. Nous constatons, par exemple, que le cosmos se transforme de lui-même et change continuellement comme les êtres vivants.

Le Cosmos vivrait-il ?

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Cette question est rarement formulée de façon aussi simple et directe. C'est pourquoi, en fonction de formulations floues, incomplètes ou orientées, elle reçoit généralement des réponses partielles et limitées. Pourtant, ces idées complexes convergent d'une certaine façon avec les conceptions métaphysiques antiques ou modernes du Panthéisme qui considère que le Cosmos et sa cause originelle sont confondus dans une seul Être.

"La nature n'est qu'un seul être. (Spinoza)"

De nouveaux modèles de l'Univers apparaissent.

Les difficultés rencontrées par les scientifiques pour réaliser une unification réelle des diverses théories cosmogoniques actuelles ont ouvert la voie à diverses idées nouvelles. Une néo-métaphysique connue mais un peu restreinte, est appelée "l'hypothèse Gaïa". Originellement élaborée sur des bases scientifiques, elle ne concerne qu'une partie de notre toute petite planète, la Terre. Elle envisage que la biosphère constituerait un seul et gigantesque organisme animé disposant des mécanismes régulateurs convenables pour assurer les équilibres nécessaires à son autoconservation, c'est-à-dire à sa survie. On constate, tout au moins dans la formulation que j'en ai faite, qu'on reste ici dans le dogme matérialiste et mécanique dont j'ai parlé. À priori, le genre de vie attribuée à la biosphère semblerait être de nature assez automatique, son fonctionnement étant assuré par des auto régulations.

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La recherche de modèles nouveaux d'univers génère des hypothèses plus générales, relatives au Cosmos entier, et plus strictement scientifiques. Elles tentent d'intégrer différents phénomènes rebelles aux formulations de l'univers einsteinien. Des chercheurs russes ont formulé le concept d'un espace vivant, constitué d'un champ informationnel dont l'énergie temps serait une propriété originelle surgissant partout instantanément. Selon le Pr. Vlail Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers procède activement de cet espace vivant cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde matériel n’est qu’un aspect de la réalité, un hologramme. La matrice qui le génère n’est accessible ni à nos sens, ni à la science. La réalité n’est pas un assemblage d’objets séparés mais un processus de plénitude en état de changement constant. L'espace contiendrait une énorme quantité d’énergie qui engendre le monde phénoménal. Cette transformation qu'il appelle "holomouvement" serait la source même de l'existence et de la vie.

Le physicien philosophe Jean Charon considère que la matière et l'esprit sont les deux faces inséparables du réel. L'univers est un être vivant, jusque dans chacune de ses particules, et il est également raisonnable même si les formes lointaines ou étrangères de cette raison nous échappent généralement. Les choses ne sont que l'image que nous en donne maintenant et actuellement notre esprit, c'est pourquoi notre conscience progresse avec le temps. L'univers nous apparaît ondes ou particules, à la fois continu et discontinu. Chaque particule (éon) présente à la fois un aspect matériel, actuel, porteur de ses propriétés physiques, et un autre aspect, dans un autre espace-temps, qui porte ses propriétés spirituelles. Comme l'univers, nous serions faits à la fois de matière et d’esprit tout en constituant pourtant une unité, un hologramme du réel.

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Une autre théorie propose une structure fractale de l’univers. L’apparent désordre cosmique serait composé, à tous les niveaux, de structures homologues à différentes échelles, emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes. Cet univers fractal serait régi par des lois véritables, celles du hasard et du chaos. La structuration hypothétique du réel sur un mode fractal ne permet pas de présupposer l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui expliquerait les mystères du monde. L’océan n’attend pas la référence d’une formule pour occuper la ligne mouvante des côtes fractales du continent. C’est bien au contraire le contour fractal qui émerge par lui-même de la rencontre mouvante, hasardeuse et chaotique de la terre et de l’eau. En serait-il de même pour l’univers qui émergerait par lui-même de rencontres inconnues.

Les idées actuelles ont favorisé l'émergence de nouveaux mythes religieux ou l'adaptation des doctrines antiques à la pensée moderne. Voyez, à ce sujet, Teilhard de Chardin : " Le monde se présente à nous, non pas seulement comme un système en mouvement mais comme un système en état de devenir et de développement, ce qui est tout autre chose ". On rejoint ici les croyances préchrétiennes. Pour les Egyptiens antiques, l'inanimé n'existait pas,et tout l'univers, y compris l'homme, est la manifestation multiforme de forces plus ou moins conscientes en action dans le Monde. Au début de notre ère et alors que le monothéisme est déjà installé, les néoplatoniciens d'Alexandrie déclarent encore : " les planètes sont les corps des dieux ". (Jamblique). On trouvera également en annexe le rappel des théories hérétiques de Giordano Bruno.

Vous avez trouvé plus haut une citation de Spinoza. Il pensait que Dieu et la Nature sont une seule et même chose et Dieu comprend une infinité de genres d’être. C'est que que pensait

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déjà Giordano Bruno, brûlé au 16ème siècle. Cette forme de pensée est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque, le mouvement du New Age reprend ces idées. Il est généralement considéré comme holistique, panthéiste et même panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu, et même tout étant en Dieu, même si ce mot n'est pas toujours utilisé. Ce point de vue spiritualiste reste un mouvement de fond puissant qui, quoique diffus, demeure aujourd'hui présent et fort influent comme le prouvent le développement considérable d'écoles de pensée, le nombre de films ou de livres qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il propose, et les pratiques répandues de médecines alternatives.

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L'Hypothèse Gaïa.

L'hypothèse Gaïa a été formulée en 1969 par le britannique James Lovelock, chimiste de l'atmosphère, inventeur, et ancien conseiller de la NASA, et par sa collaboratrice, la microbiologiste Lynn Margulis. La biosphère de la Terre, l'énorme masse de matière vivante qui en couvre la surface, constituerait un seul et gigantesque organisme disposant de tous les mécanismes régulateurs convenables pour assurer automatiquement les équilibres planétaires nécessaires à son autosuffisance et à son autoconservation, c'est-à-dire à sa survie. Cette théorie scientifique a secondairement provoqué une vague de réflexions philosophiques et religieuses lorsque l'idéologie écologique atteignit le New Age. Elle a même remis en question les idées courantes concernant l'évolution de la vie terrestre ainsi que le rôle de l'homme dans les changements climatiques et environnementaux.

Qu'est-ce que l'hypothèse Gaïa ?

James Lovelock travaillait pour la NASA au projet Viking qui tentait de déterminer si la vie était possible sur Mars. Il voulait trouver ce qui assurait la persistance de la vie sur Terre. Spécialiste de l'atmosphère, il se convainquit que la cause en était dans la composition de l'atmosphère terrestre et le fragile

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équilibre de ses composants, oxygène, azote, hydrogène, méthane et autres éléments.

Constatant la permanence de cet équilibre, il en déduisit qu'il se restaurait de lui même et affirma que «l'on peut considérer tout l'éventail de la matière vivante sur Terre, depuis la baleine jusqu'au virus, depuis le chêne jusqu'à l'algue, comme constituant une seule entité vivante, capable de manipuler l'atmosphère terrestre dans le but de répondre à ses besoins globaux et dotée de facultés et de capacités qui se situent bien au-delà de celles de ses parties constituantes» - (Lovelock, 1979: 9).

L'hypothèse Gaïa s'enracine aussi dans les convictions des Amérindiens

Nous sommes une partie de la Terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos soeurs. Le cerf, le

cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et

l'homme, tous appartiennent à la même famille. Nous savons au moins ceci : La Terre n'appartient pas à l'Homme, c'est

l'Homme qui appartient à la Terre. Toutes les choses se tiennent.

(Chef Seattle- Tribu Duwamish)

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L'espace vivant et le flux générateur de David Bohm.

Des chercheurs russes ont imaginé un espace vivant, un champ informationnel dont l'énergie temps serait une propriété surgissant partout instantanément. Selon le professeur Vlail Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers, dès le big-bang, prend son origine dans cet espace vivant cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde matériel n’est qu’un aspect de la réalité et la matrice qui le génère n’est accessible ni à nos sens, ni à la science. David Bohm était un scientifique exceptionnel. Il s'est pourtant mis en marge de la communauté scientifique qui lui semblait donner plus d'importance à la compétition qu'à la pensée originale. Reconnu cependant comme un scientifique de premier ordre, il attira même l'attention d'Einstein. S'orientant vers le mysticisme dans les années 50, Bohm s'établit à l'université de Londres. En relation suivie avec KRISNAMURTI et proche ami du Dalaï-Lama, il pressentait que la physique quantique pouvait déboucher sur la découverte de niveaux cachés de la réalité. Pour cet astrophysicien, l’Univers serait un immense hologramme, chacun de ses éléments enfermant l'essence de la totalité de l’Univers. Le Cosmos pourrait être une structure infinie d’ondes où tout est lié à tout, et où être et non-être ,esprit et matière, ne seraient que des manifestations différentes d’une seule réalité profonde animée d’un flux permanent de transformations créatrices, la Vie. La mort même pourrait alors être une transformation énergétique et non pas un anéantissement. Gigantesque illusion, l'univers serait un hologramme.

Après David Bohm, ses concepts ont été élargis et repris dans des disciplines différentes par d'autres chercheurs. Le neurologue K. Pribram, par exemple, a constaté que le cerveau

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doit recevoir et décoder des masses énormes d'informations. Voir, sentir, entendre sont d'abord des paquets d'ondes que le cerveau doit traiter avant que les résultats de ces calculs complexes soient perçus par la conscience comme étant des images, des odeurs ou des sons réels. Il a alors pensé que ce décodage suivait un processus holographique, permettant à une énorme quantité d’informations d’être stockée dans un volume infime. Le cerveau reconstruirait une " réalité concrète " en interprétant ces signaux et en interposant ensuite des filtres mémoriels pour que notre conscience ne soit pas submergée par les informations. Certains observateurs pensent maintenant que les travaux de David Bohm et de Karl Pribram fournissent un modèle de la conscience humaine qui permet d'explique l'existence des phénomènes paranormaux qui seraient des aperçus d'une réalité plus profonde. Nos cerveaux construiraient une image irréelle du concret et la réalité objective n'existerait pas. Le monde matériel serait bien une illusion, ainsi que la perception de nous-mêmes en tant qu'êtres physiques existant effectivement dans le Monde.

Qu'est-ce qu'un hologramme

Un hologramme est une image tridimensionnelle provenant de l’enregistrement des interférences de deux ondes l’une directement issue d’une source, l’autre ayant été diffusée par l’objet. Très différent dune photographie, il a l'étonnante propriété que chacune de ses parties puisse reconstituer l’image d'ensemble de l'objet. Dans un hologramme, chaque partie est dans le tout et le tout est dans chaque partie.

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L’ensemble des informations concernant l’objet est enregistré en chaque point de l’hologramme. Celui-ci peut donc être brisé, chaque morceau conservant sa capacité de reproduction totale. L'hologramme peut également être observé sous plusieurs angles comme l'objet initial, comme dans l'exemple de démonstration accessible par le lien ci-dessous. Cette découverte permet une représentation élargie et nouvelle de la réalité qui est proche de l'idée antique, ésotérique et panthéiste de l'homme à la fois "microcosmos" et "microthéos".

La particule porteuse d'esprit - Jean Emile CHARON

Jean Emile Charon était un physicien français mondialement connu. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, essais et articles scientifiques ou de philosophie scientifique.(L’être et le verbe, L’Ésprit, cet inconnu, J’ai vécu quinze milliards d’années, Mort voici ta défaite, l’Esprit et la Science, Etc..). Après sa mort, ses dernières notes furent publiées sous forme de testament spirituel sous le titre "Et le divin dans tout ça ?". Il était l'un des physiciens qui se sont

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mis à parler de l’esprit et de la conscience en disant que nous sommes faits de matière et d’esprit et qu'il est donc nécessaire d’avoir sur le problème de l’Esprit des notions aussi scientifiques que celles que l'on a sur la Matière.

Jean Charon disait que le monde n’est pas inerte et que l’Univers est entièrement vivant. "Je crois que l'Univers est sacré, mais je sens que l’objectif de cet Univers est de se faire connaître d’abord". Sa priorité était d'expliquer comment est faite la Matière, qu'il appelait " la psychomatière ", considérant qu'elle est à la fois matière et esprit. Pour cela, il a proposé un modèle représentant à la fois la partie Matière et la partie Esprit, l'éon, un élément matériel qui serait porteur de l’Esprit et de la conscience. Il pensait aussi que la vision mécaniste du Monde était en train de changer. On a d'abord pensé le monde créé par Dieu. Ensuite, on a pensé que le monde fait par Dieu était un monde de Matière. On arrive aujourd'hui à l'étape d'un monde fait de Matière et aussi d’Esprit, et l'on découvre que cet Univers est entièrement vivant. "À mon avis,disait-il, c’est la grande découverte de notre époque. On est au sein d’un Univers immense, et c’est un Univers vivant et raisonnable.".

Dans la pensée de Jean Charon, nous sommes faits d’une partie réelle, entropique, qui se défait à la mort, et d’une autre partie, qui est l’esprit, imaginaire au sens mathématique du terme, qu’il qualifie de néguentropique et qui ne peut pas régresser. Mais il ne faut pas diviser les choses. On est les deux à la fois, matière et esprit, comme tout l'univers. C’est

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inséparable, et c'est cela l’unité. La mort demeurera un mystère tant qu'on ne saura pas ce qu’est exactement la vie ni comment les particules vivantes se forment jusqu'à constituer un être organisé. À la mort du vivant, il subsiste quelque chose qui rayonne à l’échelle du cosmos entier. Dans ses livres, Jean Charon explique comment il a développé ce modèle, fait à la fois de réel et d’imaginaire, pour faire comprendre que les choses sont à la fois ce qu’elles sont et qu’elles sont aussi leur contraire. Nous vivons dans un Univers contemporain. Le passé reste le passé, le futur reste le futur, mais au présent nous sommes une partie de cet Univers qui a le même âge que nous. Cette position rompt évidemment avec la conception ultra matérialiste du Big Bang et pose l'hypothèse d'un univers en perpétuelle création.

La relativité complexe de Jean Charon, constituerait un prolongement de la relativité générale d'Einstein. Nous voyons qu'elle conduit à un "nouveau modèle" concernant la nature des particules formant toute la matière. Chaque particule, appelée "éon", (électrons et quarks), posséderait à la fois, un "dehors" porteur de ses caractéristiques physiques, et un "dedans" contenant ses propriétés spirituelles et situé dans un autre espace-temps, un espace miroir. Ce micro-univers, rempli de lumière nouménale à néguentropie croissante, présenterait des propriétés psychiques, disposerait d'une liberté de comportement, et mémoriserait de façon cumulative toutes les expériences vécues depuis son origine. Notre mémoire acquise et notre mémoire innée seraient de la sorte accumulées dans les multiples éons constituant notre corps. Notre Soi serait associé au psychisme de ces particules dont certaines, venant d'autres parties de l'univers, existeraient depuis le début du Monde. Toute l'humanité vivrait ainsi en nous.

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Chaque éon pourrait être considéré comme un 'hologramme, un reflet, de l'univers entier. C'est en ces éons que notre esprit serait contenu. Les particules étant éternelles, notre esprit existerait depuis le début de l'univers et, après la mort, continuerait à participer à son devenir. Au fur et à mesure de l'évolution de l'univers, avec l'accumulation de l'expérience existentielle et vécue, l'expansion de la mémoire "éonique" construirait une complexité croissante des structures et du psychisme. Les éons conscients piloteraient les transformations physiques, chimiques, organiques et mentales nécessaires, tant à l'intérieur des corps vivants que dans tout l'univers. Tous les éons, les êtres et les choses seraient un jour reliés et en harmonie avec la totalité de l'univers.

Le concept de l'univers fractal

Une autre théorie propose une structure fractale de l’univers. Il faut nécessairement expliquer rapidement ce que l’on entend par la notion de fractale. On définit communément une longueur comme une grandeur à une seule dimension, parcourue dans un seul sens. On passe à la surface en y ajoutant une seconde dimension qui est la largeur. De même un volume est caractérisé par trois dimensions. Voyons donc l’exemple de la longueur de la ligne de côte, qui sépare la terre et la mer. Lorsque l’on veut mesurer sa longueur avec une seule dimension, on se trouve confronté à une impossibilité pratique. Quoique l’on ait affaire ici à un élément naturel bien évidemment structuré et organisé, sa longueur change selon l’échelle à laquelle se fait l’examen. Plus on augmente la précision, plus la longueur s’accroît. Plus on tient compte des détails, telles les baies, puis les criques, puis les anfractuosités, le contour des galets et des grains de sable, plus la mesure s’altère et devient imprécise et mouvante. On peut cependant mathématiquement exprimer cette caractéristique en disant que la valeur tend vers un nombre de dimensions plus grand

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que UN, puisqu’on n’obtient pas une véritable mesure de longueur, mais moins grand que DEUX, puisqu’il ne s’agit pas d’une surface.

Il s’agit donc d’un nombre fractionnaire de dimensions, d'où l’appellation de " fractal ".

D’une certaine façon, l’apparent désordre cosmique est organisé à tous les niveaux. Il semble composé de structures analogues à différentes échelles, successivement emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes. Comme les côtes de nos océans, cet univers fractal est fini, mais ses limites connaissables semblent à jamais hors de portée. On peut parler des lois hasardeuses du chaos, mais ce ne sont que des mots humains dépourvus de sens réel. C’est notre seule petite raison humaine qui présuppose l’existence d’un cadre référentiel préalable. La structuration hypothétique du réel sur un mode fractal ne permet aucunement de présupposer l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui resterait à découvrir pour expliquer les mystères du monde. Le contour fractal des côtes marines émerge par lui-même de la rencontre mouvante, hasardeuse et chaotique de la terre et de l’eau.

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On découvre aujourd’hui que l’univers est probablement à la fois chaotique et fractal.

Les mathématiciens ont découvert de nombreuses formules qui régissent des courbes fractales et les graphistes les utilisent pour générer des images surprenantes qu'on trouve maintenant à profusion sur le web. Ces images ne sont pas seulement virtuelles. Ce sont des représentations d'objets mathématiques qui participent de la partie invisible de l'univers, habituellement inaccessible à nos sens. Elles sont des fenêtre qui permettent d'entre ouvrir cet aspect caché et d'accéder à un aspect particulier de la Réalité Totale.

Les fractales peuvent être considérées sous leur seul aspect esthétique. Pour cela, des liens vous sont proposés ici et sur la page de liens du site. Mais l'hypothèse d'un univers fractal ouvre aussi sur une dimension métaphysique de grande portée. Si l'univers entier est bâti sur un mode fractal, chaque réalité du monde contient alors une réalité intérieure, à la fois analogue et différente, et elle ouvre aussi sur une réalité plus grande. Chaque chose dans une autre chose, chaque vie dans une autre vie disait le Zohar, à l'origine est le seul mystère. La caractéristique d'une structure fractale est d'être homologue à elle même, en tout point particulier et à toute échelle d'examen, comme une cote maritime ou une montagne. Plus on regarde de près, plus les longueurs ou les surfaces augmentent. Mais la réalité demeure inchangée. La réalité fractale est homologue à elle même, en tout point particulier. Un élément complexe reste complexe et un élément vide reste vide à toute échelle d'examen. L'essentiel des propriétés structurelles est conservé, qu'on les examine en détail ou en général.

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Dans cet ordre d'idées, et pour passer de la science à la philosophie, on peut citer Oken, (Ockenfuss), le plus célèbre des philosophes dits "de la nature". Il proposa le concept d'un organisme universel permettant de retrouver dans le monde et la vie les lois de la philosophie transcendantale. Oken essaya de donner à ces idées une rigueur scientifique. Son idée générale est celle d'un panthéisme universel, d'un plan de l'univers réalisant l'unité divine par l'infinité de ses formes. A la base de ce panthéisme systématique préfigurant un univers fractal, on trouve une unité logique divine qui se répète infiniment en se diversifiant jusque dans les plus infimes détails pour constituer le monde matériel. Tous les êtres représentent donc Dieu, (macrocosmique). Et chaque être microcosmique particulier manifeste l'émergence des qualités des êtres supérieurs suivants tout en résumant en lui celles des êtres inférieurs dépassés. Cette continuité est la manifestation de l'activité divine. Dans cette vision, l'oeuvre d'Oken apparaît comme l'application du système de la monadologie de Leibniz au vaste domaine des sciences de la nature.

Le caractère fractal de l'univers pourrait s'étendre à toutes ses propriétés, bien au delà de la physique. Élargissons donc la réflexion et méditons, ( si nous l'osons, car cela va changer notre vision spirituelle ), sur les implications métaphysiques de l'application de ce concept aux questions relatives à l'existence et au néant, à la vie et la mort, à l'intelligence et à la raison, au bien et au mal, et jusque à l'incarnation humaine et à l'idée de Dieu.Les fractales sont invisiblement liées aux aspects cachés du Monde. Ainsi, les formes étranges des images fractales pourront peut-être faire percevoir intuitivement ces lois mystérieuses et fondamentales à l'oeuvre tout autour de nous. Pour illustrer ces idées, j'ai choisi deux images créées par Kerry Mitchell. Leur auteur m'a permis de vous les présenter et je vous invite à visiter son site qui contient de vraies merveilles.

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La théorie des Univers parallèles

La théorie des Univers parallèles ou multiples fut introduite par le physicien américain Hugh Everett en 1957. Il s'agit d'une sorte de réinterprétation de la mécanique quantique qui essaye d'éliminer des problèmes conceptuels comme celui posé par l'expérience du chat de Schrödinger. D'après cette théorie, le chat de Schrödinger ne se trouve pas dans une superposition d'états. Il y a en fait deux chats, l'un vivant, l'autre mort, qui font partie de deux Univers différents. Ceci est possible car, lorsque nous lui imposons le choix entre un chat mort et un chat vivant, l'Univers se divise en deux. Naissent alors deux Univers parallèles qui sont absolument identiques, si ce n'est que l'un contient un chat vivant et l'autre un chat mort. Dans chacun de ces Univers, le chat est dans un état bien défini et le concept un peu absurde d'un animal ni mort ni vivant n'est plus nécessaire.Finalement, lorsque nous ouvrons la boite et observons son contenu, nous sélectionnons l'un des deux Univers qui devient alors notre monde réel. A ce moment, les deux Univers parallèles se découplent et deviennent totalement indépendants l'un de l'autre. Si nous découvrons que le chat est mort, nous pouvons nous rassurer en imaginant qu'il existe un Univers parallèle où le chat est vivant.

Le paradoxe EPR

La théorie des Univers parallèles propose une interprétation élégante du paradoxe EPR qui ne fait pas appel au mystérieux concept de non-séparabilité. Lorsque les deux photons sont émis par l'atome, l'Univers est soumis à un choix quant à leurs directions. Il va donc se diviser en une multitude d'Univers

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parallèles. Dans chacun de ces Univers, les photons ont des directions bien définies et celles-ci sont opposées pour des raisons de symétrie. Plus tard, lorsque nous capturons l'un des deux photons, nous sélectionnons l'un de ces Univers multiples. Or, dans l'Univers ainsi choisi, la trajectoire de l'autre photon est déjà déterminée à l'avance. Il sera donc détecté dans la direction opposée au premier, sans pour autant avoir besoin d'échanger une quelconque information.

Le choix des constantes fondamentales

La notion d'Univers parallèle permet de réinterpréter le problème de la sélection des constantes fondamentales. Au moment de sa naissance, l'Univers est confronté à de nombreux choix. Il doit par exemple décider de la valeur de la constante de gravitation ou de la masse de l'électron. D'après la théorie de Hugh Everett, l'Univers de divise lors de chacun de ces choix. Naissent ainsi une multitude d'Univers parallèles caractérisés chacun par un ensemble donné de constantes fondamentales.

La grande majorité de ces Univers est incapable de donner naissance à la vie. Certains sont dotés d'une force de gravitation trop intense ou d'une interaction électromagnétique trop faible et ainsi de suite. Néanmoins, une petite fraction de ces Univers se révèle apte au développement de la vie. C'est en particulier le cas du nôtre. En adoptant ce point de vue, le réglage des constantes fondamentales n'a plus rien de miraculeux. La vie n'est pas née car notre Univers unique était réglé de façon magique. Elle est apparue car nous sommes dans l'un des rares Univers parallèles capables de lui donner naissance. Remarquons pour finir que cette interprétation de la mécanique quantique n'est pas unanimement acceptée. Son principal défaut est d'être invérifiable. Elle fait exactement les mêmes prédictions que l'interprétation traditionnelle et il ne

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sera donc probablement jamais possible de départager les deux points de vue.

© Texte Olivier Esslinger 2003-2005 - Le site d'Olivier Esslinger Reproduction du texte à fins non commerciales

autorisée moyennant mention de la source

GIORDANO BRUNO

(1548-1600)

Giordano Bruno est probablement le plus grand penseur du 16e siècle. Il proposa des concepts très nouveaux et très déstabilisants pour l'époque. Ce cosmologue voulait comprendre l’univers physique et concilier l'astronomie de Copernic avec la philosophie néoplatonicienne et mystique de Plotin. Il aboutit alors à une vision panthéiste du Monde, dans laquelle tout est Dieu et Dieu est tout.

Bruno conçoit la matière comme divine, à la façon de Teilhard de Chardin. Annonçant la relativité d'Einstein, il dit qu'il n’y a pas de fixité dans l’Univers infini. C'est le thème central de sa philosophie. Dans l’espace, il n’existe ni lieux privilégiés, ni directions, ni qualités absolues. Son aspect matériel est simplement celui du monde spirituel manifesté, expliqué, " déployé ", alors que le monde divin reste invisible, caché, " implié ". C'est également très proche des théories holographiques de David Bohm.

Dieu et l’Univers, dit Bruno, sont deux aspects de la même et seule réalité qui est la Substance " originelle et universelle, identique pour tout " et pénétrant toute matière. Le monde est un. Cet être unique et éternel, de potentialité infinie, se

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manifeste par des apparences fugitives et diverses. L’Être, la Nature, Dieu, la matière sont une seule et même chose. Il n’y a pas d’artisan extérieur ou au-dessus. Toutes les choses sont mues par une âme qui vivifie les êtres de l’intérieur et qui contrôle leur nature, leur spontanéité, leur vie.

Cette vision moniste du Monde coûta cher à Bruno. Emprisonné et torturé pendant de longues années, il fût finalement brûlé publiquement après qu'on lui eut arraché cette langue qui avait professé ces "mensonges". Et, avant de le mener au bûcher,, on enfonça dans sa gorge ensanglantée une planchette sur laquelle un écrit rectifiait ses erreurs.

Pourtant, pour Bruno, la vérité est déduite à partir de postulats et de principes intellectuels. Quoique ses idées soient modernes par leur liberté, leur ampleur et leur audace, sa méthode de vérification reste prisonnière de la scolastique médiévale.

Le point de vue spiritualiste

Spinoza pensait que Dieu et la Nature sont une seule et même chose et que Dieu comprend une infinité de genres d’être. Cette forme de pensée va au-delà du panthéisme, c'est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque, et d'une façon générale, le mouvement de pensée du New Age relaie cette pensée. Il est considéré comme holistique, panthéiste et même panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu, et même tout étant en Dieu. Au delà de tous les aspects illusoires du monde sensible, il n'y a qu'une seule réalité ultime et spirituelle, à l'image du ""brâhman" de l'hindouisme.

Il faut comprendre que cette pensée est en opposition totale avec la pensée religieuse judéo-chrétienne fondamentale qui

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postule l'absolue séparation du Dieu créateur transcendant et de ses créatures, qu'elles soient spirituelles ou matérielles. Il est évident que ces deux visions sont et demeureront inconciliables. Le Nouvel Âge annonce aussi que l'élévation du niveau de la conscience humaine s'accompagnera de la paix internationale, de la fin du racisme, de la pauvreté, de la maladie, de la faim et de la guerre. C'est la transformation spirituelle propre à chacun des individus qui permettra celle de l'humanité. C'est en changeant soi-même que l'on peut changer le monde car on ne peut changer le tout sans en changer chacune des parties.

Les New Agers estiment que toutes les religions se valent et ne portent généralement sur elles aucun de jugements de valeur. Certains courants de cette libre pensée nouvelle interprètent les mythes chrétiens traditionnels de façon globalisante et panenthéiste en les reliant aux diverses religions antiques ou modernes. Les idéologies théistes, et particulièrement toutes les intolérantes religions dites "du Livre", ont jadis conquis le monde par la parole, mais aussi, et bien trop souvent, par la violence, le fer et le feu. Dans la souffrance des hommes, elles ont remodelé ou même effacé les civilisations millénaires et les pensées antiques et elles ont pour un temps établi leurs empires sur le monde. Il est évident que les idées panthéistes et tolérantes du Nouvel Âge peuvent paraître menacer leurs hégémonies. Nous voyons bien, hélas, que la violence, l'esprit de conquête religieuse et l'intolérance ne demandent qu'à renaître, si même elles ont jamais cessé.

En fait, le New Age constitue le phénomène religieux le plus significatif du 20ème siècle. C'est un mouvement de fond puissant qui, quoique diffus, reste aujourd'hui présent et fort influent comme le prouvent le nombre des ouvrages dans les rayons des librairies spécialisées et les pratiques répandues de médecines alternatives. On constate également un

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développement considérable d'écoles de pensée, de littératures, de films de cinéma, de programmes télévisés et de sites Web qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il propose.

Comme la Gnose antique dont il semble incarner un retour, le New Age, est d'abord une libre façon de penser et de regarder le monde. Face aux critiques, il tente parfois de se définir et de se structurer, mais cette démarche est contre sa nature, laquelle est autonome dans son principe même. Le mouvement a donc changé d'aspect mais les idées du New Âge se sont largement répandues dans le Monde et dans l'astral de la Terre. En s'appuyant sur la soif de connaissance et la faim de Dieu qui sommeillent au cœur de chacun, c'est dorénavant dans l'anonymat et le silence qu'elles travaillent à la transformation des hommes.

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CHAPITRE 23 – La Vie mystérieuse.

Réflexions préliminaires

L'absolu n'a besoin de rien. - Antonin Artaud

Connaître, ce n'est point démonter, ni expliquer, c'est accéder à la vision. - Saint-Exupéry

Les convictions sont des prisons. - Nietzsche

Une âme se mesure à la dimension de son désir. - Flaubert

Dieu n'est qu'un mot rêvé pour expliquer le monde. - Lamartine

Il n'y a pas de modèle pour qui cherche ce qu'il n'a jamais vu. -

Paul Eluard

Toute aventure humaine, quelque singulière qu'elle paraisse, engage l'humanité entière. - Jean-Paul Sartre

La plus belle chose que nous puissions éprouver,

c'est le mystère des choses. - Albert Einstein

Le bien et le mal doivent leur origine à l'abus de quelques erreurs. - Paul Eluard

L'homme est libre; mais il trouve sa loi dans sa liberté même. -

Simone de Beauvoir

La matière est réelle parce qu'elle est une expression de l'esprit. - Marcel Proust

Celui qui ne sait pas ce que c'est que la vie,

comment saura-t-il ce que c'est que la mort ? - Confucius

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La grande difficulté est de comprendre comment un être, quel qu'il soit, a des pensées. - Voltaire

La pensée ne commence qu'avec le doute. - Roger Martin du Gard

Souviens-toi que chacun ne vit que le présent, cet infiniment

petit. - Marc Aurèle

La science consiste à oublier ce qu'on croit savoir, et la sagesse à ne pas s'en soucier. - Charles Nodier

On pense à partir de ce qu'on écrit et pas le contraire. - Aragon

La vérité est comme le Soleil.

Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder. - Victor Hugo

On ne peut oublier le temps qu'en s'en servant. - Baudelaire

Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre. - André Gide

La vie est un travail qu'il faut faire. - Alain

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Citations métaphysiques

En général nous avons des possessions parce qu'en dehors d'elles nous n'avons rien : nous sommes des coques vides, nous ne possédons pas. Nous remplissons nos vies de meubles, de musique, de connaissances, de ceci ou cela. Et cette coque fait beaucoup de bruit, et ce bruit nous l'appelons vivre, et avec cela nous sommes satisfaits.

Jiddu Krishnamurti

Le beaucoup savoir apporte l'occasion de plus douter.

Montaigne - Extrait des Essais

Mon corps est-il « moi » ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité, et j'entends même la voix du « moi » au fond de mon être. Je suis donc un esprit qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l'esprit, transcendant le corps, ne peut être touché par la mort. Ce qui veut dire que je suis un esprit immortel.

Ramana Maharshi - philosophe et mystique hindou.

L'âme est aussi un feu magique, et son image ou forme est créée dans la lumière (par la force de son propre feu et de sa propre lumière) émanant du feu magique; et pourtant celle-ci est une image véritable de chair et de sang, mais non pas dans son état original.

Jacob Boehme - Gnostique Chrétien - (Du Sang et de l'Eau de l'Âme)

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L'Esprit se réfléchit dans le mental et dans tout. C’est la lumière de l’esprit qui rend le mental sensible. Tout est expression de l’Esprit; les entendements sont autant de miroirs. Ce que vous appelez amour, crainte, haine, vertu et vice ne sont que des réflexions de l’Esprit. Lorsque le miroir est défectueux, l’image est mauvaise.

Vivekânanda - (Jnana Yoga, notes d’une causerie).

Origine du concept d'un créateur divin

De tous temps, en tous lieux, les hommes se sont posés les mêmes questions.

D'où venons-nous et où allons nous ? Pourquoi l'existence et non pas le néant ?

Notre vie a-t-elle un sens et lequel ? Qu'est-ce que la vie, où conduit la mort ?

Qu'en est-t-il du bien et du mal ?

Aux tout petits hommes que nous sommes, la vie, le monde, l'univers entier, se présentent à nos yeux avec des structures imbriquées et des fonctionnalités mystérieusement organisées d'une façon tellement admirable qu'elles semblent avoir été pensées, voulues et mises en place par un organisateur suprêmement adroit et intelligent. Et pourtant, les questions essentielles restent posées. Certains d'entre nous ont tenté d'y apporter des réponses à l'aide de la science, de la philosophie, ou de la religion. Les savants ont fait des mesures et des calculs et ils ont proposé des théories toujours provisoires. Les philosophes ont réfléchi et médité et ils ont élaboré des hypothèses contradictoires. Les religieux ont écouté les révélations de leurs coeurs et les paroles des prophètes et ils ont ritualisé des doctrines innombrables.

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Généralement, dans la vie courante, les hommes ne s'attardent guère sur ces difficultés. Les réponses traditionnelles que les chercheurs proposent leur conviennent. Il suffit qu'elles s'inscrivent de façon acceptable dans le cadre mental que leurs organes sensoriels ont construit pour présenter à leur conscience une image compréhensible du Monde. Là est le vrai problème. Parce que les hommes désirent tout comprendre, il leur est nécessaire de bâtir une représentation intelligible de tous les aspects et de tous les facteurs inhérents à l'existence, l'espace, la vie, le destin, le passé, l'avenir, l'origine et les fins dernières. Ainsi se profile la trame de tous les mythes racontant le début et la fin de cette Terre, la création des choses, des vivants et des hommes, ou, par exemple, l'hypothèse de la faute à expier pour expliquer la mort, et la promesse d'un rachat pour l'espérance d'un bonheur sans fin.

Tout cela n'étant pas à la portée des perceptions des petits hommes, il faut bien imaginer cet organisateur du monde, lui donner forme et le dénommer. Le plus souvent, on parlera d'un dieu ou de plusieurs, ou du hasard et du chaos, ou même des fluctuations d'un vide originel. Il y a beaucoup d'images possibles, mais peu de possibilités structurellement raisonnables. En effet, ou bien la cause originelle est extérieure au monde, ou bien elle est dans le monde. Or, il ne semble pas actuellement possible, expérimentalement ou rationnellement, de trancher. On peut choisir de croire en l'une ou l'autre hypothèse avec des arguments scientifiques ou métaphysiques, mais c'est fondamentalement un choix, un acte de foi, dont la motivation est le plus souvent culturelle. Une autre attitude est d'accepter humblement de faire face au Mystère. Alors, pour le penseur qui fait ce choix, ce Mystère immense va devenir l'unique réalité.

Le bagage historique et culturel

Tu as entendu dire que l’on pouvait voler avec des ailes, mais non que l’on puisse voler sans ailes.

Tu as entendu dire que l’on peut savoir avec l’intelligence , mais non que l’on puisse savoir sans l’intelligence.

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Zhuangzi - co-fondateur présumé du Taoïsme

Venons-en d'abord au travail exploratoire des scientifiques. Sans revenir sur les théories dépassées, nous disposons, au stade actuel, de représentations du Monde inintelligibles pour le commun des mortels. L'écoulement du temps depuis son origine s'exprime en milliards d'années. Ceci qui ne dit rien à l'homme ordinaire, non plus que l'étendue d'un espace en perpétuelle et hypothétique expansion. Comment représenter un continuum universel avec de nombreuses dimensions repliées sur elles mêmes si ce n'est par des expressions mathématiques absconses. La cosmogonie scientifique ne concerne pourtant que les aspects purement physiques de l'univers matériel actuel. Les natures de la vie et du psychisme, entre autres inconnues, ne sont pas encore théorisées. La science n'imagine guère la nature de ce qui pouvait être avant l'apparition de la matière et du temps. Elle entrevoit un éventuel "milieu" d'énergie pure, un vide équilibré agité de fluctuations aléatoires, une entité perpétuelle énigmatique, épisodiquement instable, donnant naissance à l'univers. Pour l'instant, l'approche purement scientifique ne répond guère à nos questions ordinaires.

Rappelons que dans le cadre métaphysique, l'homme inventa d'abord le culte des ancêtres et des dieux qu'il plaça dans la nature. Les Égyptiens apportèrent les idées de vie éternelle et de multiplicité des enveloppes humaines. Les antiques "Upanishad" de l'Inde enseignaient déjà l'immortalité du Soi, la réincarnation et le Karma, et la séparation entre la matière et l'esprit. En Israël, l'évolution de la pensée transforma progressivement le couple tribal Yahô-Anat en un Dieu unique YHWH, extérieur et créateur du Monde, donnant ensuite à l'homme liberté et responsabilité. En Perse, on divisa le monde d'Ahura-Mazda entre Lumière et Ténèbres, Bien et Mal. En Chine, le manque d'amour devint la cause première du mal. En ces temps où la philosophie et la science ne se distinguaient guère, les philosophes grecs firent de l'esprit, la cause première d'un univers immuable et vivant. Ils inventèrent aussi les notions de principe et

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d'illimité, et bien d'autres choses dont la rondeur de la Terre et l'atome. Platon distingua le monde essentiel des formes du monde existentiel des manifestations. Aristote voulut les réunir, et les Stoïciens affirmèrent leur scepticisme en commençant à douter du vrai pouvoir des dieux.

Au cours des siècles suivants, les chercheurs ont beaucoup travaillé sur toutes ces idées qu'ils ont reformulé de bien des façons jusqu'à servir de base à de nombreux développements philosophiques tout autant qu'à l'apparitions des doctrines de nouvelles religions. Le Christianisme se sépara du Judaïsme traditionnel tandis que les divers cultes antiques glissaient des cultes à mystères jusqu'au syncrétisme gnostique. Le Judaïsme se maintint face à l'Islam naissant. Tous les impérialismes idéologiques engagèrent des luttes de conquête acharnées. Le Christianisme s'imposa en Europe et l'Islam conquit le Moyen Orient. La philosophie se confondit souvent avec la théologie. Les civilisations mésoaméricaines furent détruites. Le contrôle de la pensée s'exacerba et devient inquisitorial pour longtemps. La métaphysique innovante fût parfois un exercice rare et périlleux et l'on brûla, entre autres, Giordano Bruno en 1600. De terribles guerres de religion ravagèrent l'Europe, dépeuplant des régions entières jusqu'au 17ème siècle. Même en 1766, au siècle dit "des lumières", le chevalier de la Barre fut torturé puis brûlé après qu'on lui eut arraché la langue, comme Bruno, pour avoir gardé son chapeau devant une procession de capucins.

Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en

vous égorgeant ?

(VOLTAIRE - Dictionnaire philosophique, article Fanatisme)

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Malgré tous ces dangers, la pensée occidentale se libéra peu à peu des carcans scolastiques. De la "Renaissance" jusqu'à nos jours, de Leonard de Vinci à Victor Hugo, de nouveaux créateurs transformèrent les arts et les lettres. Après Descartes, Pascal, Leibniz ou Spinoza, des chercheurs tels Voltaire, Diderot et d'Alembert présentèrent des conceptions variées de Dieu et rédigèrent leur Grande Encyclopédie. La représentation de l'univers changea, ouvrant vers une nouvelle compréhension du Monde. Dans cette liberté recréée, les nouveaux penseurs, les philosophes et les scientifiques modernes bâtirent cette image du Monde que nous connaissons. Il n'est plus maintenant possible de d'exposer brièvement l'étendue actuelle du savoir humain, mais on peut encore prendre conscience de ses limites. Comprenons déjà que le réel demeure voilé, pour bien longtemps encore, et les sciences d'aujourd'hui restent liées à la métaphysique et à la spiritualité.

Il est important de constater le très grand nombre de théories scientifiques, de mythes cosmogoniques, de philosophies passionnantes et de doctrines religieuses attachantes qui sont apparues au cours des âges. Elles ont brillé pour un temps, puis elles ont été remplacées. Mais, sans que nous en ayons conscience, comme un bagage habituel que l'on croit indispensable, dans les recoins secrets de notre cerveau, elles demeurent et marquent à chaque instant toutes nos pensées et nos comportements. Pouvons-nous poser enfin ce bagage ?

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CHAPITRE 24 – L’Amour et le Désir chez les Théosophes

L’Amour, ce mot merveilleux est souvent utilisé de façon instinctive sans que nous ayons réellement réfléchi à la signification qu’il doit prendre dans notre propos d’homme véritablement éveillé. Je proposerai donc plusieurs textes successifs et indépendants pour élargir progressivement le contexte de réflexion. Une façon première d'approcher la question consiste à comparer l'évolution de l'amour à la croissance de l'homme, à la façon des anciens Grecs. A son début, l'amour n'est que désir et se borne à vouloir prendre. Plus tard, il commence à partager et l'on peut espérer qu'il ne soit plus un jour que don total.

Une première approche se fonde sur l’acquisition progressive de la sagesse du cœur. La réflexion sur les différents sens du merveilleux mot "Amour", repose sur une comparaison avec un être en évolution passant par des âges successifs. Pourtant, même dans ce bas monde temporel de la dialectique, comprenons que tout être procède de l'Unique Origine, et que tout être participe donc, d’une quelconque façon, à la vivante réalité suprême.

Les trois âges de l'Amour

Le premier âge de l'amour ressemble au premier âge de l'enfant. Au début, il n'a pas conscience de ce qui se passe. Il a besoin de nourriture et il en reçoit de ses parents, jusqu'à satiété. Et puis, à un moment donné, parfois très tardivement, il prend conscience qu'il est nourri. Il comprend un jour que cette nourriture est un don gratuit fait par quelqu'un qui l'aime. Avec cette prise de conscience du grand don de vie, quelque chose de nouveau naît. Á ce niveau, le chercheur de vérité prend conscience qu'une nourriture spirituelle lui est aussi

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donnée, et qu'il peut maintenant inspirer le souffle de l'Esprit Divin. C'est le temps de l'Incarnation.

Le second âge de l'amour est plus tardif et souvent plus durable. L'enfant se nourrit vraiment longtemps des dons parentaux, et la situation peut lui paraître naturellement pérenne. Mais un travail se fait en secret, au fil du temps et au fond du cœur, pour modifier ce point de vue. La conscience mûrit lentement et un nouvel éveil se produit. L'enfant devient un jour adolescent. Il sait dorénavant qu'il a des amis et des frères, et il partage plus volontiers ce qu'il reçoit. Le chercheur comprend alors qu'il ne peut plus seulement inspirer le souffle de l'Esprit. Devenu prêtre, il doit aussi maintenant l'expirer au bénéfice d'autrui. C'est le temps de l'Initiation.

Le troisième âge de l'amour reste à venir pour la plupart des hommes. Ce n'est plus l'âge du partage mais celui du don sans retour. C’est l’âge adulte des fils divins qui répandent ensemble, dans tout l’univers et tout à la fois, les lumières de la conscience, les immenses forces de la vie, et les grâces infinies de l’Amour. Ces dons qu’ils répandent, c’est maintenant en eux-mêmes, dans la nature de leur filiation divine, qu’ils les puisent. Dans notre conception trinitaire et chrétienne du Monde, c’est alors que se confondent, en chaque être accompli, le Père, le Fils et l’Esprit, dont le même souffle anime éternellement tous les êtres vivants. C'est le temps de la Divinisation.

L 'Amour et l'Homme incréé

Chez les Théosophes, un second mode d’approfondissement ouvre la réflexion sur la place de l’Esprit au sein de cette Unicité divine qu’il est important de maintenir constamment présente dans le champ de la pensée, quoique le développement analytique de cell e-ci nécessite d’en éclater les aspects, (par exemple de façon dualiste ou trinitaire).

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L'Homme incréé, seul l'Esprit Incréé peut

l'engendrer.

En décrivant de façon trinitaire les aspects du Monde, il faut insister sur l'unité indissociable qui réunit les trois images conceptuelles utilisées. Il est important est de comprendre que cette pensée postule fondamentalement l'unité absolue du Monde, de l'atome à l'univers, du créateur à la créature, de l'origine aux fins ultimes, et de l'individu à l'humanité entière. L’intellect humain fonctionne en fragmentant les choses pour en examiner séparément les aspects. Mais il n'existe qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers, et Dieu. Tous les autres aspects du Monde sont illusoires, et la personnalité individuelle s'inscrit toujours dans l'unité de l'humanité entière. Selon la pensée panthéiste banalisée par les Théosophes du début du siècle, Steiner, Heindel, Blawatski, et autres, c'est en lui-même, qu'à l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les esprits vierges qui vont expérimenter la matière. C’est une expérience difficile, mais l'éternité est disponible. Les esprits inconscients vont d’abord s'enfoncer dans le chaos originel. Au cours de cette lente descente, l'émergence de la vie dans la matière inerte, puis celle de la conscience dans les corps vivants, devraient permettre de réaliser progressivement l'Idée divine, l'incarnation des esprits dans des corps matériels vivants, des "Microcosmes", bâtis au modèle de l'Univers.

Mais les expériences sont variées et parfois périlleuses. Originellement libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des hommes. Alors se forme le Monde que nous connaissons, le monde "dialectique" des Gnostiques, régi par l'opposition des contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel, emprisonné dans un corps mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de ses cristallisations, de son karma personnel et ancestral, pour reprendre librement le chemin de l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son propre "Microcosme", véritable réalité de son être personnel, tel que pensé et voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la globalité humaine. Il est ici utile d’examiner ce concept d’idée divine, sans oublier que nous essayons de comprendre ce que sont

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l’Esprit et l’Amour. L’acte de création n’est pas encore un acte d’amour. Les Néoplatoniciens avaient compris que la force créatrice consiste en un retournement de l’être vers lui-même. Partant du créateur, l’acte créateur en produit une sorte de reflet. C’est ce reflet de lui-même qui relie le créateur à l’objet créé. Ainsi, les Hermétistes égyptiens enseignaient qu’à l’origine, l’Homme, enfant divin fait à l’image du Père, se pencha sur la Nature et vit sa propre image reflétée dans les eaux. Ébloui par cette beauté, il l’attribua à la Nature, l’aima, et se perdit en elle. Parlons maintenant de l’Amour spirituel, une manifestation particulière de la divinité unique que nous considérons cependant humainement de façon ternaire. Pour les panthéistes chrétiens, l'éternel Esprit des origines est donc incréé. C’est "l'Amour Même" qui s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don éternel ne peut se réaliser dans la solitude. Cela le différencie de l’acte créateur. Puisqu’il ne peut se retourner vers Soi-même, l'Esprit divin engendre nécessairement "l'Autre". Non pas créé, mais engendré par cet Esprit d'amour, l'Homme spirituel immortel est une conscience vivante qui rayonne naturellement la force de la vie et la clarté de la connaissance. Engendré par l’Esprit, l'Homme originel est immortel. Incréé mais associé à un corps biologique naturel, il doit réaliser, dans la vie terrestre, la transmutation du corruptible en incorruptible, du plomb vil en or pur. Dans l’amour, la Divinité descend de l'Esprit pur vers chaque homme, en revêtant la matière, et dans l’amour, l'Homme s'élève de sa corporéité vers Dieu, en libérant sa propre nature divine. Cette perspective détermine l'orientation majeure du travail intérieur des Gnostiques. Conscients de leur double nature, ils associent l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la douceur de la compassion puisée dans leur périssable nature humaine.

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La troisième approche proposée est encore plus complexe au niveau métaphysique. Il s’agit ici d’explorer des domaines

mentaux plus fondamentaux intégrant l’influence des acquis culturels sur les fondements de l’inconscient humain.

La naissance de l’Autre dans l'Esprit

Nous savons que l’Homme, comme tous les vivants, est un être de désir. Ses comportements visent fondamentalement à satisfaire ses appétits dont la source la plus profonde est finalement un besoin d’éternité. Dans cette recherche, l’autre apparaît comme un moyen pour y parvenir. Cet « autre » est généralement perçu comme « objet » supportant la projection du désir qu’il peut potentiellement satisfaire. Précisons ici que la nature des appétits évoqués est multiple, (conservation ou reproduction évidemment, mais aussi avidité, pouvoir, volonté de puissance et autres). Lorsqu’elle existe, la relation à l’autre s’établit donc d’abord comme un rapport de désirant à désiré. Cette perception s’assimile à un acte créateur. Le désirant construit dans son mental, éventuellement à son insu, une image de l’autre limitée à son éventuelle utilité. Même lorsque cette perception s’établit dans le cadre d’une relation amoureuse, elle se fonde encore sur la base plus ou moins consciente de la satisfaction pressentie du désir. Le sujet effectue donc bien un retournement sur lui-même. Il projette en effet les caractères de ses attentes personnelles sur l’autre, et il le voit comme un moyen de les satisfaire. En cela, il le crée en lui, (au plan imaginaire), comme un « objet » dont il est « sujet », gouvernant l’activité. Á ce niveau, il n’y a pas de place pour l’amour.

Tous les vivants terrestres en sont à ce point d’incarnation de l’âme dans la matière, y compris l’homme naturel. Les comportements altruistes peuvent faire illusion, mais ce sont des exigences induites par les instincts de survie collective propres à l’espèce humaine

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comme aux autres animaux. Au niveau d’une analyse intellectuelle intègre de l’Univers, nous devons considérer qu’une cause première inexorable a créé, en reflet d’elle même, l’existence, puis la vie, puis l’intelligence. Cet âpre premier état de création révèle un aspect fondamentalement violent de la Force initiale mystérieuse que nous appelons « Dieu » en alléguant qu’elle a produit l’Homme et le Monde. Nous constatons que l’irrésistible violence de cette force créatrice s’exerce aussi dans le cosmos, et son ardeur semble universelle. Notre culture répugne à ce terrible concept d’un dieu en adéquation avec l’observation, et elle en renvoie la source vers d’autres causes, (polythéisme, Satan, péché d’Adam, etc..). Dans les limites humaines d’une réflexion libérée, nous pourrions considérer que cette rudesse caractériserait un premier aspect d’une entité divine bipolaire. Une infinie douceur équilibrerait cette rigueur par un second aspect d’importance équivalente. On pourrait être tenté d’y voir deux faces « mâle » et « femelle » de Dieu. C’est une approche anthropique inadaptée.

Un second aspect universel apparaît donc dans notre représentation mentale fragmentaire de l’Être, le concept d’un immense « Esprit d’Amour ». Cet aspect de l’Être ne crée aucun objet en reflet de lui-même, mais il engendre. Cet "Amour Même" ne peut pas se retourner sur lui-même. Il en naît nécessairement « l’Autre », non plus seulement à l’image du créateur, mais à la ressemblance du géniteur. Entre les deux faces divines, la différence est essentielle. Fils et filles de l’Esprit, tous ces « Autres », (dont les Hommes), ont hérité de Sa nature. Ce sont des « sujets » gouvernant librement leurs destins, des esprits incréés éternels associés à des corps créés matériels et périssables. Né de l’Esprit, en cet aspect, l’Homme agit librement comme l’enfant agit séparément de ses parents. Il peut choisir le Bien ou le Mal, la libération du karma ou le servage. Á chaque âme engendrée, l’Esprit confère sa divine essence et « l’altérité » qui toujours manque à la simple créature « objet ». Cette filiation spirituelle nous oblige à reconnaître l’altérité des autres hommes et leur faculté de refuser d’être « objets » d’un quelconque désir. Alors, ils naissent « autres» dans notre mental, et la fraternité apparaît dans l’universel Esprit. Fils et Filles de « l’Amour Même », nous ne sommes pas ce « Père ». Nous sommes « autres » mais nous l’accompagnons sur son chemin d’éternité.

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La pensée théosophiste a été publiée au début du vingtième siècle. La dernière approche de cette étude propose d'en tenter une

reformulation en l'accordant avec les avancées récentes de la science afin de l'éclairer à la lumière des concepts actuels.

Essai de reformulation théosophiste

Les concepts philosophiques nés dans la Grèce antique constituent encore aujourd'hui les bases de notre civilisation occidentale. Le système de Platon, par exemple, synthétise plusieurs doctrines comme celles de Socrate, d’Héraclite, de Parménide, et de Pythagore. Il prétend que les êtres perpétuellement changeants qui peuplent notre monde sont des copies impermanentes de modèles universels, fixes et immuables, situés le Monde invisible des "Formes" ou des "Idées", lesquelles existent par et en elles-mêmes. Les âmes les ont aperçues, à l’origine, et en ont gardé réminiscence. Même prisonnières de corps matériels impurs, les âmes éternelles peuvent reconnaître les pures "Idées" dont elles ont souvenir, et elles désirent escalader le ciel pour retourner les contempler. Citons aussi Démocrite qui pensait que la nature, née du hasard et de la nécessité, était éternelle, incréée, et sans finalité, et qui appela l’homme Microcosme. Puis s'établit un concept assimilant l'être humain à un résumé complet du Cosmos, (Macrocosme), avec une corrélation parfaite entre les parties. C'est le Microcosme des Théosophes.

La métaphysique des Théosophes, des Anthroposophes, et celle des Rose Croix de Max Heindel, postulent qu'à l'origine, le "Grand Être", ou "Monade universelle", différencie, en soi-même, non pas hors de soi-même, des vagues de vie spirituelles, des légions successives d'esprits inexpérimentés. Reflets du Grand Être, ces "monades" individuelles peuvent accéder à la conscience de leur nature divine en expérimentant la réalité. (Leibniz en fait des entités essentielles individualisées "sans fenêtres", douées d'appétits, de perceptions et de mémoire). Elles doivent traverser des cycles cosmiques en

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commençant par s'incarner dans la matière dense. Pendant cette "Involution", la monade accède à la conscience de soi et élabore l'appareil de manifestation de son individualité. Lorsque le point bas, le nadir de la matérialité, est atteint, la monade a complété son exploration du Monde. Elle a pris conscience de sa véritable nature et la seconde période commence. Cette "Évolution" nécessite un changement d'état. Elle va lui permettre de remonter progressivement vers l'omniscience divine en développant sa propre réalité.

Comme tous les initiateurs, les Théosophes ont bâti des doctrines complexes pour communiquer leurs intuitions. Ce n'est pas l'objet de cette étude qui porte sur les fondements. La Gnose était à l'origine une façon de penser le Monde et s'accordait parfaitement avec les religions. La persécution regroupa les Gnostiques, les amenant à formaliser leurs convictions. Ils furent les premiers théologiens de la Chrétienté. Ils enseignent encore que le moi spirituel humain (inconscient) est une partie altérée de Dieu emprisonnée dans la matière. Mais l’Homme peut devenir conscient de son essence divine. La révélation gnostique n'est pas acquise par la raison mais donnée par un appel intérieur de l'Esprit. Elle énonce que l'esprit humain s'incarne dans la chair, (involution), et y demeure tant qu'il n'a pas compris sa nature véritable. Il remonte ensuite vers la divinité, (évolution). D'autres concepts s'ajoutent. Le Monde résulterait de l'union des contraires, tels l'Univers et le Néant, la Vie et la Mort, le Bien et le Mal, le Positif et le Négatif, etc.. On retrouve ces fondements dans la pensée gnostique.

I l est donc conséquent que les Théosophes distinguent deux aspects antagonistes dans les fondements du Monde, et que les groupes religieux qui en sont issus professent le dualisme de la Création. Cependant, dans le cadre panthéiste général qui caractérise la Gnose, il n'existe qu'une seule réalité ultime. C'est la perception humaine qui en oppose les différentes manifestations. Au nadir de l'incarnation, la prise de conscience doit faire disparaître ces oppositions illusoires. Avec l'acquisition de l'intellect, l'Homme microcosmique semble approcher de ce point. L'intellect permet de découvrir ce qui est caché à partir de ce qui est connu. Dans l'expérimentation de la matière, il reste encore beaucoup de mystères. Ici et dans cet essai,

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nous utiliserons l'intellect pour éclairer cet inconnu à la lumière des concepts théosophistes gnostiques. On pourrait légitimement choisir d'autres méthodes ou éclairages. Cependant, dans la recherche sincère de l'unité de son être, le chercheur solitaire doit se libérer des à priori doctrinaux. Sa démarche doit donc aussi accepter d'intégrer intelligemment l'observable.

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Évangile de Marie-Madeleine - L'intellect Pierre dit à Marie: "Soeur, nous savons que le Maître t'a aimée différemment des autres femmes. Dis-nous les paroles qu'Il t'a dites, dont tu te souviens et dont nous n'avons pas la connaissance..." Marie leur dit : "Ce qui ne vous a pas été donné d'entendre, je vais vous le dire: j'ai eu une vision du Maître, et je Lui ai dit: «Seigneur, je Te vois aujourd'hui dans cette apparition». II répondit : «Bienheureuse, toi qui ne te troubles pas à ma vue. Là où est l'intellect, là est le trésor.» Alors, je Lui dis: «Seigneur, dans l'instant, celui qui contemple Ton apparition, est-ce par l'âme qu'il voit ? Ou par l'esprit ?». Le Maître répondit: Ni par l'âme ni par l'esprit ; mais l'intellect étant entre les deux, c'est lui qui voit et c'est lui qui [...] (révèle ?)» L'évangile de Marie-Madeleine, (1er texte du codex de Berlin), est un texte gnostique des apocryphes du Nouveau Testament, découvert en 1896 à Akhmin en Égypte dans une tombe chrétienne. Il est écrit dans un dialecte copte et sa traduction ne s'est achevée que vers 1950.

Á l'origine, disent les Théosophes, le Grand Être (Dieu) différencie en lui-même des vagues successives d'esprits vierges qui s'incarnent pour expérimenter la matière. Dans cette l'involution, ils prennent conscience de leur nature, véritable puis évoluent vers l'état divin. Dans le présent, ils en sont à des degrés différents de réalisation, et certains commencent l'involution quand d'autres ont terminé l'évolution. L'état du Monde et celui de l'Homme reflètent cette situation. Les novices du chaos tentent de construire les instruments adéquats, (les corps vivants). Les plus compétents peuvent intervenir pour les aider. Ainsi en est-il également sous notre Soleil. Á l'origine, des esprits y ont commencé l'exploration en transformant la matière inerte en matière vivante. C'est dans le pouvoir de leur nature

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divine. Les vivants ne sont pas les produits de la création, ils en sont les outils. Mais les esprits organisateurs agissent avec les moyens et dans le champ qu'ils maîtrisent. Dans l'involution, les moyens sont des corps dotés d'âmes, et le champ d'action est la Force de vie dont le grand moteur est le Désir. Les corps animés sont donc les appareils biologiques, "les véhicules", que les esprits construisent pour expérimenter la matière. En ce qui concerne notre la vague de vie, lorsque la planète Terre a été suffisamment refroidie, ce travail de construction a entrepris la production de molécules auto-réplicantes. Ces éléments furent contenus dans des alvéoles isolées évoluant en cellules fermées contenant des chromosomes indépendants capables d'en mémoriser et d'en piloter la structure. L'ARN puis l'ADN furent inventés. Les vivants appareils transformèrent la Terre, se multipliant en épuisant les éléments naturels constitutifs des protéines. Stoppés sur le chemin, les monades firent alors des choix terribles, inventant la gueule et les membres, les dents et les griffes, la prédation et la mort. Puis vint la conquête des eaux et de la terre, avec l'invention des poissons et des batraciens, des reptiles et des dinosaures, des oiseaux et des mammifères, et la plus récente, celle de l'Homme. Fondamentalement, les activités, les comportements de tous ces êtres sont établis sur une immense variété de peurs et de désirs La Théosophie dit qu'en ce monde, les monades construisent des véhicules pour explorer la matière. Ces appareils biologiques sont les corps vivants. Ils sont progressivement perfectionnés grâce à des moyens divers comme les lois de l'hérédité et de la sélection. Ce travail est en cours depuis plus de deux milliards d'années, mais le temps n'a pas de valeur. C'est une immense illusion. Le temps apparaît quand quelqu'un regarde une pendule. Avant que la conscience naisse dans l'Homme, personne ne regardait aucune pendule. Le temps est une perception de l'âme liée au déploiement de la conscience. Il en est d'ailleurs atrocement de même de la souffrance et de la mort. Le fauve ne se soucie pas de ce qu'il inflige à sa proie. Il se procure simplement les protéines dont il a besoin. Mais dans l'âme humaine, à notre niveau d'involution, un début de compassion commence à apparaître. L'espèce reste cependant

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prédatrice, exploitant la chair animale et la misère humaine. Bien des esprits, enfermés dans leur immaturité, demeurent primitifs. Chez quelques autres, naît une faculté nouvelle.

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Peut-être pouvons-nous retrouver dans cette approche gnostique le véritable sens de la fondation du Christianisme originel, l'attitude d’humilité

véritable mais aussi de dignité consciente des premiers

apôtres, telle que l’exprimait Pierre devant des humains

prosternés.

« Relevez-vous, disait-il, car moi aussi, je suis un

homme ».