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    thique et conomique/Ethics and Economics, 11 (2), 2014http://ethique-economique.net/

    Lthique conomique en Islam au prisme duconcept de besoin

    By/Par Abdelilah HajjyCharg denseignement universit dEvry

    ABSTRACTThis article examines the contours of economic ethics in Islam through the issues related to the

    concept of need. It brings a new light on how Islam develops economic act which is incompatible with

    the conventional economic paradigm: the needs of men living in society is not only an economic

    problem but is also a reflection of moral and spiritual values. This set of normative foundations meant

    shape and educate both individual and collective socio-economic behavior and, on behalf of the

    principles of social justice and shared responsibility.

    Key Words: Needs, Islam, social justice, Islamic ethics, utility, consumption

    RSUMCet article sinterroge sur les contours de lthique conomique en islam travers les problmatiques

    lis la notion de besoin. Il apporte un clairage original sur la faon dont lislam conoit lacte

    conomique qui est peu compatible avec le paradigme de lconomique conventionnelle : la

    satisfaction des besoins des hommes vivant en socit nest pas seulement un problme conomiquemais elle est aussi le reflet de valeurs morales et spirituelles. Cet ensemble de fondements normatifs

    entend faonner et instruire les comportements socio-conomiques aussi bien individuels que

    collectifs et ce, au nom des principes directeurs de justice sociale et de responsabilit partage.

    Mots cls: besoins, Islam, justice sociale, thique musulmane, utilit, consommation

    JEL Classification: D10, I31, P50, Z12

    INTRODUCTION

    Le monde et tout particulirement les pays industrialiss ont connu des transformations etdes mutations majeures amorces ds la moiti du XXe sicle avec un dveloppement

    spectaculaire des changes conomiques tendus aux quatre coins de la plante. Il sen est

    suivi, au cours du sicle suivant, une longue priode de croissance conomique soutenue,

    rgulire et dune grande ampleur. Cette priode de croissance entraina les pays dvelopps

    dans un processus de dveloppement social sans prcdent : augmentation du pouvoir

    dachat, de lesprance de vie et du niveau dducation. Cependant, lchelle plantaire et

    mme lintrieur des pays dvelopps, tous nont pas bnfici des retombes de cette

    croissance. Cette dernire na pas encore permis des conditions de vie dcente lensemble

    des tres humains. Ainsi, dans les pays riches du Nord, les fractures sociales se dveloppent

    encore davantage et dans les pays pauvres du Sud, trs nombreuses sont les personnes qui

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    vivent encore dans un tat dextrme pauvret ne pouvant mme pas satisfaire leurs besoinsles plus lmentaires.

    La prise de conscience par la communaut internationale de la ncessit de lutter contre la

    pauvret est ancienne mais les institutions internationales nont pas toujours accord la

    problmatique de la pauvret une place centrale dans leur stratgie de dveloppement.

    Sinspirant des thoriciens de la croissance (Rostow, 1960 ; Rosenstein-Rodin, 1943 ;

    Nurkse, 1953 ; Hirschman, 1958), elles abordent dabord, dans les annes 50 et 60, ledveloppement comme la rsultante de la croissance conomique. La lutte contre pauvret

    nest pas apprhende en tant que telle mais relgue au second plan comme une

    problmatique subsidiaire celle de la croissance conomique. La persistance de la pauvret

    et des ingalits sociales malgr des performances non ngligeables en termes de croissance

    conomique ouvre la voie dautres inspirations et dautres modles de dveloppement.Ainsi, face ce constat dchec et sous limpulsion dun nouveau courant dides, se

    dveloppe, dans les annes 70 et 80, une nouvelle approche dans la lutte contre la pauvretoriente vers des stratgies visant fondamentalement la satisfaction des besoins essentiels

    (basic needs) en termes de sant, dducation, de nourriture, doffre deau ou sanitaire

    (Fusco, 2007).. Notons cependant que, sur un plan institutionnel et malgr une volont

    affiche dradiquer la pauvret, les institutions financires internationales nont

    vritablement fait de la lutte contre la pauvret une priorit qu la fin des annes 90. Les

    annes 80 restent marques par la crise de lendettement des pays en voie de dveloppement1

    obligeant les organismes financiers internationaux rorienter leurs stratgies vers une srie

    de programmes dajustement structurel inspirs de la pense no-librale et ce, au dtriment

    de lengagement des programmes de lutte contre la pauvret.

    Lapproche par les besoins essentiels propose une conception plus large de la pauvret quiintgre des dimensions extra montaires. Elle va donc au-del du seul paramtre de

    linsuffisance de revenu. La pauvret nest pas seulement cantonne la privation de moyens

    matriels permettant de faire face aux besoins alimentaires de base mais intgre aussi les

    besoins de sant, dducation et laccs dautres services permettant une amlioration

    matrielle, psychologique et social de tous les individus souffrant de ce dnuement. Cedveloppement conceptuel de la dfinition de la pauvret se retrouve, aujourdhui, dans le

    discours des institutions internationales charges de la gestion de la pauvret. Pour le PNUD,

    la pauvret nest pas un phnomne unidimensionnel un manque de revenus pouvant tre

    rsolu de faon sectorielle. Il sagit dun problme multidimensionnel qui ncessite des

    solutions multisectorielles intgres2. Comme le PNUD, la Banque mondiale

    3 insiste

    galement dans ses diffrents rapports sur le caractre multidimensionnel de la pauvret.

    Cest prcisment la dfinition de la pauvret, qui sest progressivement largie au cours dusicle dernier, qui fait, en ralit, la diffrence entre les trois principales approchesthoriques de la pauvret. On distingue dabord lcole Welfariste qui est fonde sur le

    concept du bien-tre conomique. Cette approche utilitariste dinspiration noclassique

    1Lendettement des PED est pass de 540 milliards en 1980 1950 milliards en 1995. Banque mondiale, Global

    Development Finance 2008.2 Programme des Nations Unies pour le Dveloppement (PNUD). La lutte contre la pauvret en Afriquesubsaharienne. Paris, Economica, 2000.3 Banque mondiale. Combattre la pauvret dans le monde. Rapport sur le dveloppement dans le monde.Washington DC, Paris, 2000.

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    renvoie au fait que la pauvret traduit un tat dans lequel un individu natteint pas un niveauacceptable de bien-tre individuel. Le niveau de la consommation ou du revenu tant la

    mesure numrique du bien-tre. Cette approche apprhende la pauvret sous le seul prismemontaire et prconise des politiques et stratgies de rduction de la pauvret axes sur

    laugmentation du revenu. En raction lapproche revenu de la pauvret, la thorie des

    besoins essentiels (the basic needs approach), apparue dans les annes 70, considre le bien-tre en termes de rsultats et daccomplissement (Streeten, Stewart, 1981, Ravallion, 1992).

    Elle fait donc une lecture multidimensionnelle de la pauvret et met en avant lexigence

    dlargir la panoplie des besoins minimums ncessaires la ralisation dune vie dcente.

    Outre celui du revenu, dautres critres sont retenus comme la sant, lducation, le

    logement, leau potable et laccs dautres services collectifs indispensables la qualit de

    la vie humaine. Cela sous-tend lide de linterventionnisme de lEtat, cest--dire

    limplication dun Etat providence dot de fonctions conomiques et sociales.

    Un peu plus tard, Amartya Sen (1985) prolongera cette rflexion par sa fameuse thorie des

    capabilits qui opre un changement de perspective dans la conception de la pauvret et des

    besoins. Selon cette approche, axe sur laccroissement des capacits des pauvres en termes

    de ralisations et de liberts humaines, la seule dotation galitaire en termes de ressources ne

    suffit pas garantir un niveau de vie convenable au plus grand nombre dindividus. En effet,

    ce qui compte pour SEN, cest la recherche dun galitarisme des liberts et des opportunits

    pour permettre chaque individu de choisir la vie quil dsir mener. En dautres termes, le

    dveloppement renvoie la libert de choix des personnes pauvres et marginalises dans un

    environnement socioconomique donn.

    Lexamen de ces trois approches fait clairement apparatre la fois un enrichissement et une

    complexification dans la conceptualisation de la pauvret et donc des besoins humains. Amesure que lanalyse du dveloppement se poursuit, la question de fond demeure celle de la

    dfinition et de lvaluation du concept de besoin. La notion de besoin apparat donc au

    premier-plan des rflexions. Au-del de sa contribution dans lvolution de la pense sur le

    dveloppement, lanalyse des besoins a aussi et surtout inspire les diffrentes modalits

    concrtes du dveloppement. Mais, cette abondante littrature thorique tmoigne aussi et endfinitive de limprcision et de lambigut de la notion mme de besoin. La difficult est

    encore plus grande lorsquil sagit de dterminer plus prcisment les besoins essentiels de

    lhomme et les moyens de les satisfaire. Toutefois, il faut souligner quil existe un certain

    consensus sur un noyau de besoins qui comprend la nourriture, leau, la sant,

    lducation et le logement (Stewart, 1989), des besoins qui rpondent des exigences

    naturelles et qui sont pratiquement universels.

    De nombreux auteurs ont ainsi tent de rpondre cette problmatique travers un travaildidentification et de classification. Il en est ainsi des travaux de Gasper (2004) qui,

    sinscrivant dans la ligne de la thorie des besoins humains, nous propose une typologie des

    besoins selon trois modes de distinction : mode A : descriptive and explanatory (les besoins

    comme entits effectives, lies dune faon ou dune autre aux dsirs), mode B :

    instrumental (besoins requis pour satisfaire une condition donne) et mode C : normative

    (besoins ncessaires la satisfaction dautres besoins prioritaires). Un peu avant, dans les

    annes 1940, et dans un autre registre, le psychologue Abraham Maslow (2008) avait

    galement propos une thorie labore des besoins. Lapproche dveloppe par Abraham

    Maslow (2008) attribue lhomme des aspects physiologiques, psychologiques,

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    sociologiques et spirituels. Chacun de ces aspects est reli certains besoins humains. Cesbesoins sont regroups en cinq catgories hirarchises par ordre dimportance. Cette

    hirarchie est schmatise par une pyramide cinq paliers4.

    Au regard de la littrature disponible, il nexiste pas lheure actuelle de thorie de besoins

    sans lacunes et toute typologie ou tentative de cerner le concept de besoin, aussi complte

    soit-elle, ne permet pas de rendre compte de la complexit de la notion de besoins et se

    heurte aux difficults propres aux sciences humaines.

    Abstraction faite de la diversit des dbats, le concept de besoins essentiels est

    fondamentalement indissociable du droit au dveloppement (Stewart, 1989), lequel dcoule

    du droit fondamental la vie5. En tout tat de cause, la problmatique de la satisfaction des

    besoins des hommes est un dfi auquel lhumanit est confronte depuis toujours et qui est

    lobjet dtudes dans divers cultures. Ainsi, il existe une pense substantielle dans la traditionmusulmane qui apporte un clairage original au dbat en cours sur la conceptualisation des

    besoins de lhomme. Cest trs tt, ds le XIIe sicle, que nat la discussion entre les

    thologiens musulmans sur la thorie des besoins. Cette problmatique ouvre la voie unecontroverse autour du concept de besoin en islam et de ses liens avec lthique musulmane.

    Nous proposons dans cet article de revenir sur les enjeux thoriques et pratiques des besoins

    dans lanalyse conomique de lislam. La premire partie du texte prsente brivement la

    conception thorique des besoins en conomie islamique. La seconde partie revient sur les

    enjeux pratiques dune telle conception en termes macro et micro conomiques. Ce travail va

    nous permettre donc, dabord, de mieux cerner les aspects thoriques qui fondent lconomie

    islamique et ensuite de comprendre la spcificit des objectifs de la politique conomique de

    lislam. Il nous permettra aussi et surtout de voir linfluence de lthique religieuse sur le

    comportement conomique des agents.

    1. LA DYNAMIQUE DES BESOINS DANS LE CONTEXTE ISLAMIQUE

    La pauvret est un phnomne qui touche toutes les socits, elle se prsente sous forme de

    poches dans les pays industrialiss ou despaces plus vastes dans les pays en voie de

    dveloppement. Elle sapprcie diffremment selon la conjoncture et varie dans le temps et

    dans lespace. En effet, un seuil de pauvret est tout fait relatif, il volue dune poque

    une autre et dune socit lautre. Les dimensions psychosociologiques de la pauvret en

    font un concept complexe. La multiplicit des conceptions rend difficile la dlimitation de la

    notion de pauvret. Nanmoins, ltude du champ de la pauvret dans les pays musulmans

    4Selon Maslow, la satisfaction dun besoin ne peut tre ralise que si les besoins de niveau infrieur sont eux-mmes satisfaits et la progression des besoins passe du registre de l avoir au registre de l tre . Ainsi, au

    bas de la pyramide sont placs les besoins physiologiques (faim, soif, sommeil, etc.), lorsque ces besoins sont

    raisonnablement satisfaits, dautres besoins apparaissaient : besoins de scurit (sentiment de scurit, deconfiance), besoins dappartenance et daffection (appartenance un groupe, avoir un statut, tre cout et aim),besoins destime (sentiment dtre utile, davoir de la valeur, dveloppement de lautonomie et de lidentit) et

    besoins de ralisation de soin (besoin dpanouissement, exploitation de son potentiel crateur, dveloppementdes connaissances, croyances et valeurs).5Larticle 3 de la Dclaration universelle des droits de lhomme : Tout individu a droit la vie, la libert et la sret de sa personne.

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    Niveau 2. Les besoins ncessaires (al_hajiyat) : sont ceux qui sont dune grande utilit, carune fois satisfaits, ils facilitent la vie. Ils sont indirectement lis la premire catgorie et

    parfois, ils peuvent tres indispensables pour renforcer la protection des cinq buts normatifs.Ils sont complmentaires la premire catgorie des besoins.

    Niveau 3. Les besoins de commodit ou accessoires (at_tahssiniyat) : ils ont une fonction

    dembellissement ou de perfectionnement. Un excs de ces besoins peut aboutir au

    gaspillage et ainsi constituer un dsquilibre social du fait de la monopolisation dune partiedes moyens de production au dtriment de la premire catgorie. Ali Ibn Abu Talib,

    quatrime Calife de lislam, disait : lexcs des riches se fait au dtriment des pauvres7

    (Abed, 1984, p.30).

    On peut reprsenter schmatiquement ce systme de classification des besoins dvelopp par

    les thologiens musulmans qui, travers la notion de besoin, ont mis en exergue le caractreenglobant de lislam, o lacte nest jamais dtach de la pense ou de la croyance.

    Figure 1 : Hirarchisation des besoins en islam

    Ce systme a t accept et repris tel quel par les conomistes musulmans, mais depuis

    quelques annes on assiste une rvision de celui-ci et notamment par lconomiste

    gyptien Abdellah Abdelaziz Abed (1984) qui remet en cause la pertinence conomique

    dune telle classification des besoins. Il souligne que dans ce systme, la conception mme

    du besoin rpond fondamentalement une logique fonde sur les objectifs de la

    jurisprudence qui vise avant tout une protection des intrts religieux de lindividu :

    7Notre traduction approximative du sens.

    Besoins

    fondamentaux

    Besoins

    ncessaires

    Besoins de

    commodit

    Principe de

    lhomme grant

    Principe de

    justice sociale

    Principe de

    licit

    Kafaf

    (subsistance)

    Kifaya

    (suffisance)

    Asctisme-Gaspillage

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    promouvoir le bien et carter le mal. Or, sur le plan purement conomique, un intrtreligieux ne correspond pas forcment un besoin, car ce dernier exprime avant tout une

    demande qui ncessite lutilisation des ressources disponibles.

    A cela, il ajoute une deuxime critique importante qui va lui permettre de proposer une autre

    hirarchisation des besoins. En effet, selon lui, il ny a pas lieu de distinguer les besoins

    fondamentaux des besoins essentiels, car le systme conomique de lislam ne vise pas

    seulement le maintien en vie des individus par le biais des besoins fondamentaux, mais ilcherche promouvoir une vie permettant lhomme de vivre dignement et de participer

    activement la socit. Cela nest possible quen intgrant les deux niveaux. Il fait donc

    confondre les niveaux de suffisance (Al_kifaya) et de subsistance (Al_kafaf). Autrement-dit,

    il fait disparaitre le niveau de subsistance. Do sa nouvelle proposition :

    1er

    niveau : les besoins de suffisance (al_kifaya) : regroupe tous les besoins quipermettent lhomme non seulement de survivre mais de vivre dignement et de

    jouer un rle actif dans la socit.

    2meniveau : les besoins de bien-tre (al_kamalya) : ce sont les besoins qui naissent

    avec lamlioration des conditions de vie, ils permettent le dveloppement du

    potentiel de lhomme, de la ralisation de soi et donc laccroissement des capacits

    de la socit musulmane.

    3meniveau : les loisirs (at_tarfih): pour cette troisime catgorie, lauteur se garde

    bien de mentionner le terme de besoin. En effet, il nous rappelle quen islam, est

    considr besoin tout ce qui permet le dveloppement des capacits et des nergies

    de la socit. Or, cette troisime catgorie est associe au luxe. De ce fait, elle nepeut tre considre comme un vritable besoin.

    Notons que ces deux modles de hirarchie des besoins sont dynamiques dans le temps et

    dans lespace et que la frontire entre le premier et le deuxime niveau est parfois, pour ne

    pas dire souvent, difficilement dlimitable. Ce qui est considr comme un besoin dupremier niveau dans la socit A peut constituer un besoin de catgorie suprieure dans la

    socit B et inversement. En principe, les catgories de niveau infrieur sont au service des

    catgories du niveau suprieur et les besoins passent dun niveau dimportance un autre en

    fonction de lvolution des socits et des contextes. On peut dire galement, quau sein

    dune mme socit, on peut avoir une perception diffrente des besoins selon la position

    sociale de chaque individu.

    Bien que les deux modles que nous avons prsents partent de deux approches diffrentes,

    nanmoins, on peut affirmer quils sont trs similaires et surtout quils placent lthique

    religieuse au cur de la dynamique des besoins.Le systme de priorit des besoins doit permettre lEtat de mieux formaliser et de mettre en

    uvre sa politique conomique et sociale. Il lui permettra de rpartir les ressources selon unsystme graduel qui tienne compte de lurgence et qui place les besoins les plus pressants en

    premire position et ainsi de suite. Le principe de justice sociale est la cl de vote de lEtat

    dans la perspective islamique. Cest lEtat que revient la responsabilit de garantir la

    justice sociale et conomique pour tous les citoyens. Il lui appartient de veiller ce que le

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    minimum vital8 soit assur lensemble de la population (Salama, 1984). Un bien-tresocial harmonieux

    9 tel est lobjectif fondamental dune politique conomique en islam

    comme le rsume Mohamed Ahmed Saqr (1983, p.54).

    2. LES EFFETS THIQUES SUR LE PROCESSUS DE DCISION

    La prsentation de la thorie des besoins en islam nous permet de mettre en vidence leconcept de justice sociale, lment central de la vie du musulman et principal fondement de

    lintervention de lEtat. Nous verrons galement, la spcificit du problme conomique en

    islam qui nest pas tant la raret des ressources mais plutt leur rpartition. La raret relative

    des ressources impose des choix. Il faut donc oprer des choix dans lutilisation des

    ressources, do limportance du dbat sur le comportement de lagent conomique.

    2.1. La satisfaction des besoins et limpratif de justice sociale

    La satisfaction des besoins fondamentaux de lhomme est une condition essentielle du

    dveloppement social et de lpanouissement culturel et spirituel. Pour lislam, le bien-tre

    communautaire repose sur la satisfaction des besoins matriels et moraux : Quils adorentdonc le Seigneur de cette Maison, qui les a nourris contre la faim, et rassurs de la

    crainte10

    . Ce verset lie ainsi lacte dadoration la satisfaction des besoins matriels

    (nourris contre la faim) contenant les besoins conomiques et sociaux et aux autres dordremoral (rassurs de la crainte) intgrant les besoins psychologiques et culturels.

    Il apparat quen islam, la problmatique de la satisfaction des besoins est indissociable de sa

    conception de ce que la socit devrait tre. Le bien-tre passe par une limitation des

    besoins de lhomme ce qui est essentiel et utile, la satisfaction des besoins nest nullement

    synonyme de maximisation.

    La proccupation premire du systme conomique doit tre celle de la satisfaction des

    besoins essentiels de chaque individu de la socit. On peut dire que les besoins dun

    individu ou dune communaut sont dynamiques dans le temps et dans lespace et leurdveloppement ou leur rgression dpend de plusieurs facteurs. Les dterminants peuvent

    tre de nature politique, conomique, thique, gographique, etc.

    En effet, le mode de vie urbain provoque un dveloppement des besoins plus important que

    dans le milieu rural. De mme, il y a une multiplication des besoins en priode de

    conjoncture conomique favorable et une limitation lors du cycle de rcession. Plus

    gnralement, il y a une multitude des facteurs qui rgulent la croissance des besoins et

    chaque culture produit sa propre perception des besoins. Ainsi, la progression des besoins

    nest pas forcment synonyme de prestige et de russite sociale pour tout le monde. Elle estsouvent perue dans certaines socits comme un fait ngatif du fait du caractre ostentatoire

    et luxueux de certaines dpenses. Ibn Khaldun par exemple, attribuait le dclin de certaines

    dynasties au dveloppement incontrl des besoins (Nasraoui, 1996).

    8Il y a divergence entre les spcialistes de lconomie islamique quant au niveau minimum garanti par lEtat. Ilsagirait du niveau de suffisance pour les uns : (Al Najar, 1978 ; Hussayn, 1988 ; Al Fanjari, 1983), de niveau desubsistance pour les autres : (Salama, 1984).9Harmonie entre le spirituel et le matriel. Harmonie entre lintrt particulier et lintrt collectif.10Coran, 106-3

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    La politique conomique en islam ne vise pas seulement lever le niveau de vie dun paysdonn, sans se demander si cette croissance est profitable ou non chaque membre de la

    socit. En fait, laugmentation des agrgats de richesse dune nation ne signifie pasforcment la satisfaction totale de tous les besoins essentiels de chaque individu. Il

    semblerait que le problme conomique dans la pense conomique islamique rside plutt

    dans la distribution des ressources existantes. En effet, dune manire gnrale, la croissanceconomique est souvent bnfique11pour la socit, elle permet une lvation du niveau de

    vie ainsi quune rduction de la pauvret12.

    Il est vrai que le problme de la pauvret est li la croissance, car il est difficile denvisager

    une redistribution sil ny a pas cration de richesse. Mais, le rle de la redistribution est tout

    autant important que celui de la production, car la redistribution des richesses via,

    notamment le mcanisme de la Zakat, participe la rduction des ingalits et surtout lradication de la pauvret. Des analyses empiriques (Piketty, 2001) ont montr que, dune

    manire gnrale, l'impt rduit les ingalits.

    La fonction de rpartition des richesses via le systme zakataire est ici dune importance

    capitale. Ainsi, les catgories les plus dmunies de la socit ont un droit sur une partie de la

    richesse cre par les travailleurs : et sur les biens de qui il y a droit reconnu13

    pour le

    mendiant et le dshrit14

    . Chez le clbre auteur musulman Ibn Hazm (1993), ce droit despauvres nest pas limit au seul seuil de la zakat, mais il donne autorit lEtat daugmenter,

    en cas dinsuffisance de la zakat, les taux de prlvement lgaux pour faire face aux besoins

    des populations les plus dmunies.

    Par ailleurs, la production dans une conomie islamique se rpartit en fonction de deux

    critres : le travail et le besoin (Hussayn, 1988). En principe, la satisfaction des besoins de

    lhomme doit tre le fruit de son propre travail. LEtat nintervient qu titre exceptionnelcest--dire dans le cas o il y a une relle incapacit de lindividu subvenir ces besoins,car lislam est une religion de solidarit humaine et non une religion de charit (Moatassime,

    1982) : une main qui agit vaut mieux quune main qui se tend 15.

    Le concept de justice sociale en ce quil cherche remdier la misre sociale, ne sous-tend

    pas, comme on pourrait le penser, une certaine approbation de lassistanat. Bien au contraire,

    lislam fait du travail le meilleur moyen daccs la richesse. La mendicit est dtestable et

    le mieux pour un homme capable de travailler cest de gagner honntement sa subsistance

    par le travail (Al Munadjdjid, 1969). Il est bien plus honorable de faire un travail quelconque

    que de solliciter la charit. On pourrait citer une multitude de rcits prophtiques ou

    dinjonctions coraniques qui incitent au travail et mettent la peine lhonneur. Niaz ahmed

    Zikria (1958) insiste sur le principe islamique selon lequel lindividu qui ne travaille point ne

    doit pas esprer rcolter, et celui qui travaille sera rcompens de sa peine. Il nous rappelleensuite que le Prophte tait lui-mme un travailleur infatigable et quaucune besogne ntait

    11Nous ne discuterons pas ici des limites de la croissance ni de sa relation avec le dveloppement.12Poverty, Growth, and Inequality. Banque Mondiale.13Droit reconnu : terme impliquant que la charit est, dune part, le droit du pauvre, et que, dautre part, elle est,comme chose corrlative, le devoir de qui peut donner.14Coran, 70-2415Rcit prophtique rapport dans les recueils dAlbukhari et de Muslim

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    trop humble ses yeux. Il soccupait de lui-mme traire ses brebis ; il sasseyait terreet cousait ses habits, dit Victor Hugo dansLan neuf de lHgire

    16.

    Il ny a pas de socit prospre sans la cration de la richesse. Rejeter la richesse serait

    contraire aux aspirations naturelles de lhomme qui cherche continuellement amliorer sa

    condition matrielle. Le dsir de richesse ou lamour de soi selon Adam Smith, est une

    pulsion prsente naturellement chez tous les tres humains. Adam Smith attire lattention sur

    le rle fondamental de cette pulsion, car sans celle-ci, la vie en socit ne serait possible(Guerrien, 2007), il fait de lintrt individuel le seul motif dchange. Il semble donc naturel

    de considrer que les comportements humains reposent sur lintrt individuel, dont la forme

    emblmatique est lamour de largent. La recherche de lintrt est donc un comportement

    minemment conomique (Leroux, Marciano, 1998).

    Lislam reconnait cet homme au cur agit de pulsions de toutes sortes, il ne cherche pas refouler ou rprouver ces dispositions naturelles mais seulement les orienter et les

    temprer de faon ce que lquilibre entre le spirituel et le matriel soit sauvegard. A ce

    propos, le Coran insiste plusieurs reprises sur le qualificatif de juste milieu : Et cest

    ainsi que nous avons fait de vous une communaut de juste milieu17

    .

    2.2. Interdpendance entre phnomne de raret et responsabilit de lhomme

    On le sait le domaine psychologique et philosophique tablit une nette diffrence entre la

    notion de besoin et de dsir, bien que leur contenu ne soit pas totalement indpendant. Le

    premier a dominante physiologique exprime un tat objectif de manque, sa prsence est

    indispensable la vie et une fois satisfait, il disparat de la conscience du sujet. Le dsir,

    dont la satisfaction nest pas indispensable la vie, renvoie au domaine psychologique et

    subjectif. Il est insatiable et rapparait sous une autre forme au moment mme de sa

    ralisation. Cette analyse intrinsque des besoins ne sopre pas en matire conomique, car

    cette dernire entretient une confusion entre le besoin et le dsir. Dans les manuels de

    sciences conomiques, le besoin est gnralement dfini comme tant le sentiment de

    manque fond sur le dsir de possder tel ou tel bien, ou dobtenir tel ou tel service

    (Capul, Garnier, 1999, p.80.) apte accomplir ce manque. Les dsirs illimits de lhomme

    tant transforms en besoins, de cet amalgame on peut dire queffectivement les besoins sont

    aussi nombreux que varis. Il est vrai aussi que la distinction entre ce qui est besoin et ce qui

    est dsir repose largement sur la subjectivit. Mais, dans la pense conomique de lislam,

    cette sparation est admise.

    Tous les courants de pense conomique saccordent sur lexistence du problme

    conomique, mais dveloppent des thses divergentes quant au contenu de cette

    problmatique. Le problme conomique chez les partisans du capitalisme est de savoircomment satisfaire des besoins illimits avec des biens et des services limits. Pour le

    marxisme, il sagit fondamentalement dun problme de contradiction entre les forces deproduction et les rapports de production.

    Le problme conomique dans la vision islamique nest pas inluctablement un problme de

    raret des ressources au sens malthusien, il nest pas non plus historique comme le

    prtendent les tenants du matrialisme historique. Mais, il est fondamentalement un

    16Pome de Victor Hugo sur le Prophte de lislam. Le 15 janvier 1858.17Coran, 2-142. Voir aussi les versets (7-31), (17-29), (25-67).

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    problme de conduite de lhomme avant quil soit celui de la nature. Autrement-dit, leproblme rside dans lhomme lui-mme, pour reprendre lexpression dAbdul Hdi Gafouri

    (2000). En effet, pour lislam, les besoins essentiels de lhomme sont limits et les ressourcesmises sa disposition par Dieu sont multiples : Dieu, cest lui qui cr les cieux et la terre,

    et qui, du ciel, a fait descendre leau ; puis, delle il a fait sortir diffrents fruits, votre

    portion ; et pour vous il a assujetti le bateau glisser sur la mer, de par sa permission. Et il

    vous a assujetti les fleuves. Et pour vous, il a assujetti le soleil et la lune une perptuelle

    rvolution. Et il vous a assujetti la nuit et le jour. Et de tout ce que vous lui demandiez il a

    donn. Et si vous comptez les bienfaits de Dieu, vous ne saurez les dnombrer. LHomme est

    grand prvaricateur, vraiment, grand mcrant ! 18

    . De ce verset, on comprend que lislam

    reconnait quen principe, les ressources sont abondantes et peuvent suffire aux besoins de

    lhumanit.

    Mais cette abondance suppose deux principes, dune part, il faut une association des

    ressources conomiques ou facteurs de production (nature, main duvre, capital) pour laproduction des biens et des services et dautre part, il faut un effort individuel de chaque

    membre de la socit, car sans cet effort, lhomme ne pourra subvenir ses besoins (Al

    Najar, 1983). Dans labsolu, il y a donc suffisamment de ressources dans lunivers pour

    satisfaire les besoins de lhomme, mais si raret il y a, elle nest que phnomne casuel cre

    par laction de lhomme. La raret est fondamentalement dpendante du comportement de

    lhomme. Elle apparat quand il y a mauvaise utilisation des ressources : gaspillage,

    rparation injuste des ressources et des richesses, formation des monopoles, etc. En somme,

    lislam aborde la problmatique conomique travers lhomme lui-mme, la production et la

    rpartition.

    La question du problme conomique que nous venons dvoquer ne fait pas en ralitlunanimit chez les spcialistes de lconomie islamique. La raret des ressources divise les

    chercheurs en conomie islamique (Al Khatab, 2002). Bien quils rejettent tous la raret

    absolue et saccordent sur la suffisance thorique des ressources disponibles en sappuyant

    sur les textes scripturaires de lislam, le premier groupe (Sadr, 1991 ; Ghanem, 1987 ; Dunia,

    1979 ; Abduh, 1978 ; Albatayna, 1994 ; Alkhaldi, 1984) affirme que la raret nest pas unphnomne naturel est quelle est exclusivement lie aux excs de lhomme, ils rejettent

    lide mme de raret relative. Le deuxime groupe (Siddiqi, 2007 ; Al Misri, 1995 ; Saqr,

    1983 ; Assabhani, 2005 ; Al Najar, 1983 ; Qahf, 1979), soutient que dans les faits, il existe

    une raret relative des ressources, car bien quelle ne soit pas un phnomne considr dans

    labsolu, elle est lie leffort de travail ncessaire pour exploiter les richesses, elle est donc

    fonction de la quantit de travail ncessaire pour produire ou obtenir un bien rellement utile

    lhomme (El Kettani, 1992).On le sait, les biens nexistent pas dans la nature, ltat brut, ce qui ncessite lintervention

    de lhomme pour transformer la nature en bien conomique. Lacte de production implique

    invitablement la notion fondamentale de raret.

    Il existe donc un dbat entre les chercheurs en conomie islamique portant sur la

    problmatique des besoins et des ressources. Pour ces conomistes, lune des solutions au

    problme conomique, serait linclusion de lthique religieuse dans les choix des agents

    18Coran, 14-32. Voir aussi les chapitres suivants : (39-36), (41-10), (51-22), (31-20).

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    conomiques, ce qui permettra une optimisation de lallocation des ressources et de larpartition des ressources et donc dattnuer la raret des ressources (El Khatab, 2002).

    Les ressources conomiques sont orientes vers la production des biens et services destins

    la satisfaction des besoins utiles19 de lhomme. Lutilisation des ressources nest pas

    seulement une ncessit matrielle de lhomme, mais dans un contexte islamique elle est

    aussi une adoration parmi dautres (Amhamed, 1982). Ainsi, toutes les activits permettant

    lhomme dexercer sa fonction de lieutenance sur terre comme la production ou laconsommation obissent des contraintes matrielles et morales. Les biens et les services

    produits constituent des choses excellentes (tayibat) tant quils sont utiles et surtout

    licites : Ho, les croyants ! Ne dclarez pas illicites les excellentes choses que Dieu vous a

    rendues licites. Et ne transgressez pas. Dieu, en vrit, naime pas les transgresseurs20. Ils

    se subdivisent en trois catgories : les licites, les blmables et les illicites (Al Mawdoudi,1967). Ainsi, les biens et services conomiques en conomie islamique se dfinissent comme

    ce qui est utile, rare (raret relative) et licite.

    2.3. Le principe de conformit des choix

    De nombreuses rgles et prescriptions lies lactivit conomique sont annonces dans les

    rfrences scripturaires de lislam en vue de rguler et dajuster les comportements

    quotidiens des musulmans. On y trouve notamment des interdictions comme pour les

    boissons alcoolises, la viande porcine, les prts intrts, les contrats alatoires, les jeux duhasard, la spculation, etc. Mais en dehors de ces quelques interdits explicites, lislam laisse

    toute la latitude lhomme de grer son activit matrielle. En effet, le licite ou lautoris en

    islam, sont les caractres originels de toute chose et de toute utilit cres par Dieu. Nest

    interdit que ce qui a t interdit par un texte authentique et explicite du lgislateur

    (Qaradhawi, 2005).

    Ces quelques interdictions ne constituent donc que des exceptions, car la majorit des

    transactions sont permises en islam. Mais ces pratiques commerciales sont bases sur une

    thique globale qui, au nom des valeurs de lislam, introduit de lextra conomique dans les

    comportements purement conomiques.

    Ainsi, la prsence des valeurs chres lislam comme lhonntet, la justice, la sincrit, la

    fraternit dans la conduite du commerant ne laisse que trs peu dautonomie au

    comportement conomique dans le sens moderne du terme. Parce quils sont imprgns de

    valeurs religieuses et morales, les rapports dchange du croyant musulman ne sont pas

    totalement libres et cela affecte mme les lois prtendues naturelles du march. En effet, au

    nom dune concurrence saine et du principe de juste prix21, la formation dun prix sur un

    19Le luxe et lopulence ne sont pas considrs comme de vrais besoins, car ils sont synonymes dexcs. De mme

    les biens interdits en islam sont exclus des besoins.20Coran, 5-87.21Tahar Djedaida (1970) a identifi quelques mesures plus ou moins codifies de lislam concernant la notion de

    juste prix :

    Le prix semble traduire, en absence de toute considration de hirarchie, le travail, lui-mme valu par

    leffort que fournit le travailleur.

    Tout ce qui est monopolisme, stockage, de nature augmenter les prix est mal vu par lislam. Les textes

    condamnent svrement des marchandises et mme des nourritures du foyer. Ce principe stabilise lesprix, puisquil vite la diminution de loffre et par consquent laugmentation des demandes. Il attnue

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    march nest pas exclusivement le rsultat de la loi de loffre et de la demande. Llvationdu prix sous leffet de la demande ou sa diminution sous leffet de loffre nest pas sans

    modration, elle ne doit pas sexercer de manire contraire aux usages honntes et fraternels.En dautres termes, le prix nest pas uniquement le reflet dune libert conomique o

    chaque agent conomique puisse vendre ce qui lui convient, aux conditions quil juge

    opportunes indpendamment de toute considration thique et sociale. Le prix doit tre justeet vrai. Il doit reflter les conditions normales du march conjugu limpratif de justice

    sociale.

    Lislam en appelle ainsi la conscience des oprateurs conomiques pour viter les

    comportements susceptibles de nuire au libre jeu de la concurrence et la formation du juste

    prix. On pourrait dire quen conomie islamique, le prix est subordonn aux impratifs

    moraux et de ce fait il est un prix subjectif. Aussi, on pourrait penser que les changesconomiques entre croyants reposent sur des motifs irrationnels. Mais, la rationalit de

    lhomo-islamicus est justement de ne pas vider lacte conomique de sa substance spirituelle,car lactivit conomique est aussi un acte de dvotion Dieu. A ce propos, Al-Ghazali

    qualifie le march de banquet de Dieu . Aussi, la notion de profit lgitime en islam influe

    sur les choix de lentrepreneur musulman. En effet, le profit en tant que mobile de

    production et non une fin en soi, doit obir certaines rgles pour quil soit rellement

    lgitime : il doit tre obtenu partir dune production licite et relle (El Kettani, 1992). Le

    caractre fictif des richesses sous-tend certaines pratiques interdites en islam comme la

    thsaurisation, la spculation, le monopole, et lintrt.

    La rencontre de lthique et de lconomique reflte la conception intgrale de la vie en

    islam, o lon retrouve le principe dunicit de la pense et de lacte.

    La croyance religieuse est une variable psychologique qui, notre sens, joue un rleimportant dans le comportement conomique du musulman, quil soit investisseur, pargnantou consommateur. Cette interfrence de la religion dans la sphre conomique est surtout

    visible travers les choix du consommateur croyant. Celui-ci intgre dans ses choix

    conomiques des variables religieuses qui influent sur son mode de consommation. Lislam

    sintresse autant lacte lui-mme qu la dcision, donc au choix.

    Prenons lexemple de trois consommateurs (A, B, C) croyants avec trois niveaux de pit.

    On voit sur la figure ci-dessus, le long de la courbe, une diminution de la consommation

    mesure que la pit augmente. Il existe une relation dcroissante entre C et P : si P augmente,

    C diminue, et inversement. La fonction de consommation ne dpend pas que des variablesobjectives telle que le revenu par exemple, mais se dtermine aussi par des facteurs

    subjectifs comme la culture ou la religion.

    galement la concurrence, systme dans lequel chacun aura la libert de vendre aux conditions qui lui

    sont favorables.

    Le prix ne dpend pas seulement de lapprciation du travail fourni, mais aussi des impratifs religieux,sociaux ou familiaux. Les rapports entre employeur et employ doivent tre humaniss selon un code

    dhonntet . Le juste prix ne dpend pas, donc, dune codification matriellement fixe par lhomme.Il se rfre un barme subjectif, moral et social.

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    Figure2 : Effets religieux sur le choix du consommateur

    Lindividu musulman consomme sous deux contraintes : le budget et la religion. Le

    consommateur A pousse sa consommation jusquau point o les rgles religieuses ne sont

    plus observes. Du fait de sa faible religiosit, il transgresse les rgles normatives en matire

    de consommation comme le principe de non gaspillage : Ne commettez pas d'excs, Allahn'aime pas ceux qui commettent des excs 22. Dans lautre extrmit, le consommateur C,

    excessivement pieux et asctique renonce volontairement aux biens de ce bas-monde pour

    se consacrer exclusivement la purification de lme. Il se contente de consommer leminimum vital assurant sa survie. Le consommateur B quant lui, consomme avec

    modration et opte pour la voie du juste milieu. En dautres termes, sa consommation se

    situe dans les limites permises par lislam associant la fois une utilit immdiate (ici-bas) et

    future (lau-del) : Emploie plutt les richesses que Dieu ta accordes pour gagner

    lultime demeure, sans pour autant renoncer ta part de bonheur dans ce monde 23. Pour

    ce dernier, on peut dire que sa prise de dcision en matire de consommation rpond aux

    trois principes qui fondent la vision islamique de la dpense. Ces trois axiomes sont(Benjilali, 1996) :

    - La rationalit visant la fois une utilit morale et une utilit matrielle, conditions

    du salut.

    - La dimension du temps puisque tout acte conomique vise aussi bien limmdiat(ici-bas) que le futur (au-del).

    - La modration dans lacte de consommer. La modration tant lexpression du

    juste milieu.

    Si nous considrons les principes que nous venons dexposer et ceux dordre gnral qui

    rgissent la vie du croyant, nous pouvons conclure que le consommateur musulman

    22Coran, 6-14.23Coran, 28-77.

    Consommation (c)

    Pit (p)

    A

    B

    C

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    maximise son utilit en choisissant entre les diffrentes combinaisons de biens ou de servicespermis religieusement dans la limite du revenu, de la prodigalit et de lutilit sociale.

    Limpact de la religion se traduit sur le comportement du consommateur ou plus

    gnralement de lagent conomique. La croyance en une vie dans lau-del, en lide de

    chtiment et de rcompense modifie profondment la perception de lutilit : lutilit tire de

    chaque action est la fois immdiate (au sens conomique) et dfre (dans la vie future).

    De plus, lutilit optimale suppose linsertion de lindividu dans un cadre sociale o tous lesmembres sont solidaires les uns des autres. On constate ainsi que ce nest pas exclusivement

    le critre dutilit conomique qui dtermine le comportement de lagent conomique. Lacte

    conomique est li la dimension morale de sa finalit. On est loin de la rationalit

    conomique telle quelle est dfinie par la thorie conomique.

    Linclusion dune thique et des valeurs morales bases sur la religion dans lconomieislamique en font un systme trs particulier qui oriente et influe sur les comportements

    socio-conomiques.

    CONCLUSION

    Ce texte propose de partir de lanalyse de la notion de besoin pour faire ressortir

    limportance des principes qui fondent lthique conomie de lislam. Nous avons mis

    laccent sur la perception des besoins dans lapproche islamique qui soppose celle des

    conomistes conventionnels dans le sens o elle ne dissocie pas les besoins matriels des

    besoins spirituels et exprime une conception fondamentalement thologique qui enracine lavie spirituelle dans les besoins vitaux des tres humains. Cette conception fonde le principe

    islamique de lunicit de lacte et de la pense qui, par voie de consquence, donne lieu unereprsentation profondment tourn vers des principes normatifs qui en font un modle

    conomique et social particulier fond sur une responsabilit partage : lEtat a une

    responsabilit morale et sociale au nom du principe de justice sociale, les individus ont une

    responsabilit commune et individuelle en leur qualit de vicaire de Dieu sur terre. Cet

    article dmontre, en somme, comment lislam envisage lacte conomique en tant

    quexpression dune thique religieuse qui met ltre humain au centre de la socit et dont

    les contours se rattachent une philosophie de vie conciliant vie conomique et vie

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