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Dominique Bulteau Grimasques ___

303 Dominique Bulteau extraits

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Extraits du Tiré à part "Dominique Bulteau, Grimasques" de la revue 303 arts, recherches, créations.

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Dominique Bulteau

Grimasques___

La revue 303 arts, recherches, créations a choisi de mettre à l’honneur le vélo et démontre, par une multitude de points de vue, la place qu’il occupe dans notre réalité quotidienne comme dans nos imaginaires.

Ce numéro 136 a également été à l’origine d’une découverte artistique. En raison de son ampleur et de l’univers qu’elle déploie, Grimasques, la série de l’artiste Dominique Bulteau, méritait la réalisation d’un tiré à part présentant vingt des autoportraits qui la composent. Elle révèle une relation singulière entre l’artiste et des objets familiers des cyclistes, qui se retrouvent ici mis en scène, parfois jusqu’à un véritable corps à corps.

Ce tiré à part rejoint des publications dédiées précédemment à François Morellet, Jean-Michel Sanejouand, ou aux créations d’artistes résidant dans les Pays de la Loire. Ces publications visent à faire connaître ou redécouvrir des artistes, confirmés ou en devenir, qui par-ticipent du dynamisme culturel de la région et de son rayonnement. La création est bien vivante dans les Pays de la Loire. Elle est le fait d’artistes en direction desquels il est indispensable de maintenir des politiques publiques de la culture ambitieuses et concertées, afin d’accompagner le développement de leur parcours professionnel et de rendre leurs œuvres accessibles à tous.

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Jacques Auxiette

Président de la Région des Pays de la Loire

En l’espace de vingt autoportraits, Dominique Bulteau se met en scène avec des accessoires propres au monde du vélo : ici un casque profilé, telle une extension de boîte crânienne, là un boyau qui semble sortir de son corps, et devient très vite un élément constricteur, à l’étreinte mortelle, sur un corps en lutte, maltraité, retourné, vidé peu à peu de sa substance vive. D’autres détails parachèvent l’équipement : gants aux doigts coupés, cuissard, chaussures à fixation, maillot de champion du monde délicatement rehaussé d’aquarelle arc-en-ciel – des objets affectifs et familiers, pour cet artiste dont l’enfance a baigné dans la culture Tour de France, et qui s’est toujours déplacé à vélo par désamour de la voiture. Mais que raconte ce corps de cycliste empêché, qui se bat avec son casque, cette lanière qui l’entrave, cette chambre à air qui l’étouffe ?

L’univers cycliste opère ici comme un sésame pour explorer des contrées cachées, dont la première serait celle du travestissement par le masque ou la grimace invoqués dans le titre1, qui autorisent à jouer un rôle, à mimiquer façon slapstick, à communiquer non verbalement. Autre paysage révélé : celui des surfaces plissées chères à Deleuze, qui modèlent ce visage comme cette chambre à air, des reliefs exacerbés par la contorsion ou le nœud qui évoquent pêle-mêle le bondage et l’appareillage médical, les ballons sculptés dans les foires ou les représentations de Laocoon. En écho, resurgissent d’autres mythes que Dominique Bulteau a longtemps fouillés, où l’on croise la figure d’Actéon ou celle d’Orphée, morts par la folie d’un regard interdit, mais aussi les Gorgones pétrifiantes et leur chevelure serpentine ; ou encore, dans ce drôle d’équilibre entre farce burlesque et tragédie humaine, les bravades clamées par Bataille, qui toujours invoqua le rire face à la mort.

Au cœur de chaque image, quelque chose respire puis ne respire plus : cette palpitation passe par le regard et se propage dans l’incise du trait, gratté à l’encre par la plume. Ici la question du bord ne se pose pas, aucune frontière ne trace un dedans ou un dehors : c’est l’œil qui re- fabrique des territoires à sa guise, au gré d’une ligne éclatée, incertaine. Le dessin traduit cette pulsation, cette circulation d’une myriade de poils courts, ceux-là même qui démangent l’épiderme chez le coiffeur, et que ce dernier, d’un coup de sèche-cheveux, fait s’envoler. Ces autoportraits sont pareillement fragiles : les surfaces, travaillées par des densités instables, ne tiennent pas vraiment, un souffle de vent et ce visage sans autorité pourrait bien s’effacer. Dominique Bulteau parle de cela, de ce « quelque chose du regard qui serait respiratoire ». Et fugitif. À la fin, la bouche a trop sucé la roue, et les yeux ne voient plus. Subsiste cette vaste étendue blanche où le corps semble prêt à se dissoudre.

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Éva Prouteau Critique d’art, conférencière et professeur d’histoire de l’art

___1. Cette série s’intitule Grimasques, mot-valise qui permet de rappeler que grimace vient du francique grima (« masque ») dont sont issues deux lignées de mots, l’une liée à la magie (« grimoire »), l’autre aux expressions faciales (« grimer », maquiller) et que l’on retrouve dans l’anglais grim (« triste »).