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3.Relation

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BONNE LECTURE

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  • WALTER RODNEY

    IN M E M O R I A M

    E n juin 1980, l'Histoire gnrale de l'Afrique, en cours de publication l'Unesco, a perdu l'un de ses minents collabora-teurs : Walter Rodney a t tu par l'explosion d'une b o m b e Georgetown, en Guyane.

    La carrire de Walter Rodney a t brve mais clatante. N Georgetown en mars 1942, il commena son apprentissage d'historien l'Universit des Antilles M o n a , en Jamaque, o il reut le grade de bachelor. Il obtint ensuite son doctorat d'histoire l'Universit de Londres en 1966.

    C'est au Collge universitaire de Dar es-Salaam (aujourd'hui Universit de Dar es-Salaam) que Rodney occupa son premier poste important d'enseignant. Il retourna l'Universit des Antilles M o n a en 1968, mais, au mois d'octobre de la m m e anne, il fut dclar persona non grata en Jamaque. Il repartit alors pour Dar es-Salaam, o il retrouva son ancien poste. Quelques annes plus tard, il dcida de rentrer dans sa Guyane natale.

    A son arrive en Guyane, Rodney fut officiellement empch d'assumer des fonctions d'enseignant l'universit. Il dut, pen-dant un certain temps, vivre de ses honoraires de confrencier et de ses droits d'auteur. C'est alors qu'il dcida de s'engager plus avant dans l'action politique et c'est dans des circonstances manifestement politiques qu'il a trouv la mort le 16 juin 1980.

    A u niveau international, Walter Rodney tait sans doute plus connu pour son best-seller How Europe underdeveloped Africa, mais les historiens de mtier l'admiraient plus particulirement pour ses travaux sur la cte de la haute Guine et le commerce des esclaves dans l'Atlantique ouest.

    A l'vidence, Rodney a apport l'tude de l'histoire de l'Afrique toute la richesse de l'conomie politique sous ses multiples aspects. Dans l'espace, son uvre portait aussi bien

  • sur un aspect spcifique et prcis de l'histoire angolaise que sur les perspectives globales de l'histoire du capitalisme et, dans le temps, elle s'tendait des origines de la traite ngrire transatlantique la signification de la Dclaration d'Arusha dans la Tanzanie contemporaine.

    Rodney avait rdig des chapitres dans deux volumes de YHistoire gnrale de l'Afrique que publie l'Unesco et devait participer la rdaction d'un troisime. L e Directeur gnral de l'Unesco lui avait galement demand d'tre m e m b r e du Comit scientifique international charg de la rdaction d'une Histoire gnrale de l'Afrique, ce qu'il avait accept. Mais il fut tu avant d'avoir pu assister sa premire sance en tant que m e m b r e du comit.

    Lorsqu'on voque la personnalit de Walter Rodney, un trait se dgage immdiatement : c'tait un rudit qui refusait de faire la distinction entre activits universitaires et service de la socit, entre science et engagement social. Ses travaux l'ont amen se dplacer dans plusieurs continents : en Afrique, en Europe, en Amrique du Nord et en Amrique du Sud o il est n. Il s'intressait aux gens aussi bien qu'aux archives, au m o n d e du travail c o m m e au m o n d e scolaire. Attentif aux problmes con-crets de son poque, il trouva le temps d'tre la fois un historien et un rformateur avis de l'ordre social.

    Walter Rodney avait un talent particulier pour susciter l'enthousiasme chez ses lves. Aucun historien africaniste de sa gnration n'a probablement su entretenir de relations aussi fcondes avec les tudiants. D e Dar es-Salaam Kingston, des campus de l'hmisphre nord aux rues de Georgetown, Rodney a incarn aux yeux des jeunes la fois l'amour de l'humanit et la clairvoyance.

    E n la personne de Walter Rodney, le m o n d e de l'rudition vient de perdre un esprit crateur et l'Afrique un brillant inter-prte de son histoire.

  • Histoire gnrale de l'Afrique 3 tudes et documents

  • D a n s cette collection :

    1. Le peuplement de l'Egypte ancienne et le dchiffrement de l'criture mrotique. 2. La traite ngrire du XV au XIX' sicle. 3. Relations historiques travers l'ocan Indien.

  • Relations historiques travers l'ocan Indien

    Compte rendu et documents de travail de la runion d'experts sur Les contacts historiques entre l'Afrique de l'Est d'une part et l'Asie du Sud-Est d'autre part, par les voies de l'ocan Indien , Maurice, 15-19 juillet 1974

  • Publi en 1980 par l'Organisation des Nations Unies pour l'ducation, la science et la culture, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris

    Imprim par NICI , Gand (Belgique) I S B N 92-3-201740-7

    Edition anglaise 92-3-101740-3

    Unesco 1980

  • Prface

    Publi dans la srie Histoire gnrale de l'Afrique: tudes et documents >, le prsent volume contient les documents de travail et le compte rendu de la runion d'experts sur Les contacts historiques entre l'Afrique de l'Est d'une part et l'Asie du Sud-Est d'autre part, par les voies de l'ocan Indien , qui a t organise par l'Unesco sur la proposition du Comit scientifique international pour la rdaction d'une Histoire gnrale de l'Afrique et qui s'est tenue Port-Louis, Maurice, du 15 au 19 juillet 1974.

    Les discussions ont port sur tous les aspects des relations qui se sont noues depuis des temps trs anciens entre les pays situs de part et d'autre de l'ocan Indien, qui a t qualifi par un participant de plus grand conti-n u u m culturel du m o n d e au cours des quinze premiers sicles de notre re .

    Les incidences de ces changes sur le peuplement et le dveloppement des les de l'ocan Indien proches de l'Afrique, et notamment sur le peuple-ment de Madagascar, qui reste bien des gards une nigme, ont galement t examines.

    Les auteurs sont responsables du choix et de la prsentation des faits prsents dans cet ouvrage, ainsi que des opinions qui y sont exprimes; ils ne sauraient engager l'Unesco.

    Les appellations employes dans cette publication et la prsentation des donnes qui y figurent n'impliquent de la part de l'Unesco aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorits, ni quant au trac de leurs frontires ou limites.

  • Table des matires

    Introduction

    Premire partie. Contacts historiques, culturels et commerciaux travers l'ocan Indien

    L'Afrique de l'Est et l'Orient: les ports et le commerce avant l'arrive des Portugais, par Neville Chittick 15 Les liens historiques entre la corne de l'Afrique et les les du golfe Persique et de l'ocan Indien par voies de l'Islam, par Musa H. I. Galaal 27 Influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien, de l'Afrique et Madagascar l'Asie du Sud-Est, par D . G. Keswani 37 Les contacts historiques de l'Afrique et de Madagascar avec l'Asie du Sud et du Sud-Est: le rle de l'ocan Indien, par Michel Mollat 51 Les Chinois et les pays situs de l'autre ct de l'ocan Indien, par Wang Gungwu 69

    Deuxime partie. Le peuplement de Madagascar et des les avoisinantes

    Le peuplement de Madagascar: thses en prsence, par Jacques Rabemananjara 79 Le peuplement de Madagascar: tentatives d'approche, par Charles Ravoajanahary 91 Les apports culturels et la contribution africaine au peuplement de Madagascar, par Pierre Vrin 103 Le rle du commerce dans le peuplement de Maurice, par Auguste Toussaint 125 Le rle de l'agriculture dans le peuplement de la Runion, par Hubert Gerbeau 133

  • Troisime partie. tudes sur l'ocan Indien Propositions en vue d'tudes sur l'ocan Indien, par / . de V. Allen 145 Les tudes historiques sur l'ocan Indien, par Auguste Toussaint 163

    Quatrime partie. Rsum des dbats et recommandations de la runion d'experts

    Rsum des dbats 175 Recommandations 195

    Liste des participants 199

    Complments bibliographiques 201

  • Introduction

    L a runion d'experts organise Port-Louis rpondait aux exigences gn-rales du projet d'une Histoire gnrale de l'Afrique, o l'Afrique est consi-dre c o m m e une entit englobant les les avoisinantes ayant tiss et entre-tenu avec elle les relations historiques trop souvent segmentes dans les ouvrages publis jusqu' prsent. O r il est tabli scientifiquement que l'Afri-que a non seulement entretenu des relations conomiques, commerciales et culturelles avec Madagascar et les les de l'ocan Indien, mais, travers ce dernier, avec l'Asie du Sud-Est, c o m m e avec les pays du golfe Persique. C'est ainsi que plusieurs chapitres du volume III de l'Histoire gnrale de l'Afrique seront consacrs l'tude du commerce travers l'ocan Indien, au rle des Africains dans les pays musulmans, aux Indes et en Asie du Sud-Est; toujours dans le m m e volume, un chapitre retracera les tapes succes-sives du peuplement de Madagascar, et les relations de la Grande Ile avec l'Asie du Sud-Est, l'ocan Indien et l'Afrique. D e m m e , dans le volume IV, un chapitre aura trait Madagascar (notamment en relation avec l'Islam) et un autre l'Afrique et l'ocan Indien.

    L a sance inaugurale a t prside par le ministre de l'ducation et des affaires culturelles de Maurice, S. Exe. M . Louis Rgis Chaperon, qui, dans son allocution de bienvenue, a souhait que les travaux des experts ouvrent la voie une meilleure connaissance des changes interculturels dans l'ocan Indien. E n rponse, le reprsentant du Directeur gnral de PUnesco a rappel dans quelles perspectives gnrales devait tre place la runion, qui tait organise afin d'tudier les relations de l'Afrique et de Madagascar avec l'Asie sous tous leurs aspects: histoires des ides et des civilisations, des socits et des institutions. U n accent particulier devait tre mis sur les caractres originaux des socits insulaires, en particulier mal-gache et mauricienne, avec un regard jet de l'intrieur, car l'Histoire gn-rale de l'Afrique se veut une histoire des civilisations, des institutions, telles qu'elles ont t vcues, reues et senties par les populations concernes. L a runion avait donc pour objectif, d'une part, de faire le point sur l'tat actuel des connaissances, d'autre part, de coordonner plusieurs programmes dj existants et, le cas chant, de formuler des propositions en vue d'un pro-

  • 10 Introduction

    g r a m m e nouveau, pluricontinental et interculturel entre les diffrents cher-cheurs et institutions intresss.

    L a runion a choisi son bureau, compos du professeur B . A . Ogot (Kenya), prsident; des professeurs A . Talib (Singapour) et Rantoandro (Madagascar), vice-prsidents, et du professeur J. Dvisse (France), rappor-teur.

    Afin de permettre aux experts d'entrer d'emble dans le vif du sujet, l'Unesco leur avait demand d'laborer des communications qui serviraient de base aux discussions. Ces communications sont groupes dans les deux premires parties de l'ouvrage.

    Les tudes incluses dans la premire partie portent sur les contacts historiques entre pays riverains de l'ocan Indien. N . Chittick apporte des informations concernant la situation des ports africains situs sur l'ocan Indien et le commerce auquel ils se livraient avant l'arrive des Portugais. M u s a H . I. Galaal met l'accent sur le rle de l'Islam dans l'tablissement de liens historiques entre la corne de l'Afrique, le golfe Persique et l'ocan Indien. D . G . Keswani analyse les influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien, et M . Mollat tudie les relations entre l'Afri-que et Madagascar, d'une part, et l'Asie du Sud-Est, de l'autre. Enfin, le professeur W a n g G u n g w u retrace les expditions maritimes chinoises tra-vers l'ocan Indien.

    Les communications groupes dans la deuxime partie sont consacres l'influence que les changes travers l'ocan Indien ont exerce sur le peuplement de Madagascar et des les avoisinantes. J. Rabemananjara expose les thses en prsence concernant le peuplement de la Grande Ee, cependant que C . Ravoajanahary aborde le problme selon deux approches : globale et rgionale. P . Vrin souligne l'importance des apports culturels africains et de la contribution africaine au peuplement de Madagascar. Les tudes de A . Toussaint et de H . Gerbeau sont respectivement consacres l'histoire et au dveloppement de Maurice et de la Runion.

    L a troisime partie de ce volume contient deux communications relatives aux tudes sur l'ocan Indien qui ont t prsentes, pendant la runion, par J. de V . Allen et A . Toussaint.

    L e rsum des dbats de la runion d'experts constitue la quatrime partie de l'ouvrage.

    C o m m e le lecteur pourra le remarquer, toutes les tudes prsentes l'occasion de la runion de Port-Louis se terminent par des suggestions concernant les recherches entreprendre ou approfondir sur les thmes examins. Les experts avaient t spcifiquement invits faire des propo-sitions dans ce domaine, car le Comit scientifique international jugeait indispensable d'appeler l'attention des chercheurs sur l'importance du rle historique jou par l'ocan Indien, en vue de l'tablissement d'un programme

  • Introduction 11

    d'tudes Afrique-Asie d u Sud-Est. U n tel p r o g r a m m e ouvrant des voies nouvelles la recherche favoriserait les travaux interdisciplinaires ainsi que la collaboration entre spcialistes de l'Afrique et de l'Asie.

  • Premire partie Contacts historiques, culturels et commerciaux travers l'ocan Indien

  • L'Afrique de l'Est et l'Orient : les ports et le commerce avant l'arrive des Portugais

    Neville Chittick

    Si nous supposons qu'un h o m m e peut raisonnablement transporter en mar-chant une charge de 25 kilogrammes, nous pouvons affirmer que l'nergie ainsi dploye est suffisante pour dplacer environ 250 kilogrammes avec un vhicule routier, 2 500 kilogrammes sur des rails et 25 000 kilogrammes sur l'eau. Ces chiffres font clairement ressortir l'avantage conomique des c o m -munications maritimes ds l'instant o les h o m m e s sont capables de cons-truire des navires aptes transporter des marchandises dans des conditions appropries d'efficacit et de sret de navigation. Avec de tels navires de haute mer, les ocans et les mers unissent les peuples du m o n d e plutt qu'ils ne les sparent. Quand on considre les sphres d'influence culturelle, on est autant fond penser en fonction des ocans qu'en fonction des continents.

    L' immense bassin de l'ocan Indien convient admirablement aux c o m -munications maritimes. L e rgime climatique d'alternance des moussons est particulirement adapt des traverses rgulires et sres par des navires voile, que favorise encore l'absence relative de temptes sur la majeure partie de la rgion. C'est ainsi que l'ocan Indien en est venu constituer ce qu'on peut qualifier de plus grand continuum culturel du m o n d e au cours des quinze premiers sicles de notre re. Dans la partie occidentale du bassin, tout au moins, les ctes avaient entre elles et avec les les une plus grande communaut de culture qu'avec les masses continentales dont elles forment le littoral. E n outre, le mlange des lments culturels s'est accompagn d'un brassage de populations, dont Maurice fournit un exemple particulirement achev.

    L e contraste entre la culture de la cte et celle de l'intrieur est sp-cialement prononc dans le cas du littoral africain. Les communications terrestres entre l'Afrique au sud du Sahara et le reste du m o n d e taient jadis peu prs inexistantes, exception faite des rgions situes juste au sud de la zone soudanienne. Les ports accessibles aux navires de haute mer taient donc la seule voie utilisable pour le transport des marchandises et la trans-mission des influences culturelles, pour ne rien dire de l'effet des vastes mouvements de population dont nous connaissons l'existence l'intrieur du continent.

  • 16 Neville Chittick

    Les peuples de la cte orientale d'Afrique taient tellement tourns vers l'ocan que leurs relations sociales et culturelles avec les peuples de l'intrieur sont restes trs superficielles jusqu'au xix" sicle. Il n'y avait gure de pntration dans l'arrire-pays, sauf dans la rgion du Zambze; les marchandises destines l'exportation taient apportes aux villes de la cte plutt qu'on ne venait les chercher l'intrieur.

    Avant d'examiner plus en dtail la situation des ports et du commerce, il convient de considrer la nature des ports eux-mmes. Influencs par les schmas modernes, nous avons tendance imaginer le port idal c o m m e une tendue d'eau profonde close sur une grande partie de son pourtour, approprie la construction de quais le long desquels des navires peuvent s'amarrer. C e modle est celui qui s'est institu dans l'Europe du Nord-Ouest, en raison, l'origine, des fortes houles qui s'y produisent et de la nature des rivages; il a t, par la suite, dvelopp de manire recevoir les trs grands navires modernes et l'heure actuelle il existe videmment dans le monde entier. Dans une grande partie de la rgion de l'ocan Indien, cependant, les conditions sont diffrentes. Les vents y sont relativement modrs, rgu-liers et prvisibles, l'exception des cyclones qui se forment dans le sud, hors de la rgion qui nous intresse avant tout. Les rivages, du moins l'ouest, se prsentent gnralement sous la forme de plages de sable forte pente termines par une partie presque horizontale que la mer dcouvre mare basse. D est c o m m o d e d'chouer les embarcations sur cette partie avance de la plage mare haute, d'en dcharger les cargaisons dos d ' h o m m e et de les haler sur la plage au m o m e n t du reflux. Les navires sont donc construits de manire rendre cet chouage possible. Quais et allges sont superflus. C e n'est qu'en cas d'abri insuffisant que les navires sont obli-gs de jeter l'ancre et de dcharger leur cargaison dans de petites embarca-tions. Mais les abris suffisants sont nombreux sur de trs longues tendues de littoral. Us peuvent tre constitus par un rcif corallien frangeant, par une le proche de la cte, par une anse ou une crique, voire par un promon-toire qu'on utilise des deux cts, selon la dure de la mousson. (On peut galement trouver une combinaison de ces lments.)

    L'eau douce est un autre impratif. Mais m m e si l'on en tient compte, les ports ne manquent pas sur le pourtour de l'ocan Indien. Il s'ensuit que les raisons gographiques (au sens le plus large) qui ont motiv l'installation d'un port important en un lieu dtermin sont insuffisantes pour que ce port continue ncessairement d'exister ou garde son importance. Des ports se sont crs et ont disparu tout au long des deux derniers millnaires; il semble que leur activit obisse un cycle curieux mais vraisemblablement fortuit de deux ou trois cents ans.

    Les Arabes ont t les pionniers de la navigation dans l'ocan Indien : ils en ont t l'lment dominant pendant toute l'histoire et le sont encore

  • L'Afrique de l'Est et l'Orient: les ports et le commerce avant l'arrive

    des Portugais

    17

    l'heure actuelle en ce qui concerne la navigation voile dans la partie occidentale du bassin. Nous savons d'aprs des sources sumriennes que, ds les environs de l'an 2000 avant l're chrtienne, le bois d'oeuvre tait import d'Inde M e g a n (probablement O m a n ) , et une rfrence des ma-tres charpentiers de M e g a n indique que des navires y taient construits au temps des Sumriens (Tibbetts). O n est en droit de supposer que les pro-pritaires et les armateurs de ces navires taient des marchands arabes d ' O m a n . Il est probable que les Perses et les Grecs ont appris la science de la navigation auprs des Arabes; les Perses n'ont pas entrepris de voyages au long cours avant le V e sicle de notre re, et les Grecs avant la priode hellnistique. Auparavant, ils ne connaissaient les uns et les autres que le cabotage ou, au mieux, la navigation l'estime; la nuit, les navires taient gnralement chous.

    Sauf pendant de courtes priodes, les ports d ' O m a n et du golfe Per-sique furent les plus importants pour le commerce oriental, encore qu' certains moments la majeure partie du commerce ait d transiter par les ports de l'Arabie mridionale, notamment par Aden , et qu'au temps du Priple de la mer Erythre, dans les premiers sicles de notre re, le port principal ft M o c h a . Quand, aprs la cration de villes islamiques, partir du ixe sicle, le commerce avec la cte orientale d'Afrique, au sud de l'qua-teur, prit de l'importance, il semble que toutes les marchandises aient t transbordes dans les ports du golfe Persique (voir Al-Mas'udi). Les mar-chandises destination de l'Extrme-Orient taient probablement, pour la plupart, transbordes de nouveau sur le littoral occidental de l'Inde, princi-palement dans la rgion du Goudjerat.

    Les premiers ports qui se dvelopprent sur la cte orientale d'Afrique taient situs, si nous nous en rfrons au Priple et Ptolme, sur ce qui est maintenant la cte des Somalis et Rhapta, qui se trouvait selon toute probabilit dans le delta du Rufiji (8 S), position qui correspond approxima-tivement au point extrme vers lequel les navires peuvent faire voile sous la mousson du nord-est avec la certitude de pouvoir rentrer sous celle du sud-ouest plus tard dans l'anne. A u sud de cette latitude approximative, le nombre de jours pendant lesquels on peut compter sur un vent de m o u s -son assez fort la fin de la saison et au commencement de la saison sui-vante est insuffisant pour qu'il soit possible de faire l'aller et retour dans l'anne.

    Les premiers comptoirs islamiques se sont tablis sur la cte de la Somalie, dans le nord du Kenya (un site, M a n d a , le voisine de la cte) et sur les les de P e m b a et Zanzibar. M a n d a , le seul site fouill jusqu' prsent (et qui est maintenant compltement abandonn, quoique remplissant toutes les conditions requises d'un port), a visiblement t une colonie d'immigrants (ou factorerie , au sens o on l'entendait au XVIII" sicle). A ces tablisse-

  • 18 Neville Chittick

    ments parmi d'autres doivent probablement se rattacher les traditions d'immi-gration du golfe Persique ( Chiraz ) et d'Al-Hasa, prs de Bahrein.

    A u XII" sicle, le port principal tait Mogadishu, qui l'est d'ailleurs rest ultrieurement. L e commerce s'est considrablement dvelopp cette poque, s'tendant trs loin au sud, essentiellement avec la rgion de Sofala, o l'on avait dcouvert la possibilit d'extraire de l'or, mais probablement aussi avec les Comores et Madagascar. L a ncessit apparut alors de dispo-ser d'un entrept nettement au sud de l'quateur, tant donn la difficult, mentionne plus haut, de se rendre dans ces rgions mridionales et d'en revenir en l'espace d'un an. (La navigation vers le sud, jusqu' la rgion o devait s'difier la ville de Sofala, tait pratiquement impossible par suite de la difficult du retour contre le courant du Mozambique.) C'est ainsi que Mafia, puis, peu aprs, Kilwa, devinrent les principaux ports au sud de l'quateur, gaux Mogadishu en importance. Les membres de la dynastie laquelle on associe le n o m de Chiraz, tablis cet endroit, appartenaient eux-mmes une famille ou des familles de la cte nord, dont les anctres lointains taient en partie des immigrants venus du golfe Persique, mais qui, la priode dont il s'agit, s'taient mles une souche africaine et, en un sens, swahilises. E n m m e temps, ou peu aprs, des cits-tats ou des villages-tats semblables, mais beaucoup plus petits, dont les chefs se pr-valaient galement de leur origine Chiraz , se crrent aux Comores, en d'autres lieux sur la cte du continent entre Kilwa et Mogadishu, et, proba-blement plus tard, sur la cte ouest de Madagascar. Bien que thoriquement musulmans, les ports de la cte orientale de cette le devaient plus vraisem-blablement leur origine une nouvelle vague de migration en provenance des Comores.

    Bientt Kilwa parvint contrler tout le courant commercial initiale-ment cr par Mogadishu et tendre sa domination sur plusieurs ports de la rgion de Sofala. Pendant toute cette priode, et pendant celle de la domi-nation portugaise, les ports n'exercrent qu'une influence minime sur l'int-rieur, sauf dans la rgion du Zambze. M m e sur la cte, l'autorit des villes ne s'tendait qu' une faible distance de leurs limites et, lors de l'arrive des Portugais, la population du littoral tait encore en grande partie paenne.

    D'aprs les traditions, les premires migrations eurent pour cause (ou pour occasion) les perscutions religieuses et, parfois, des querelles familia-les. Cette dernire explication semble assez improbable; quant aux dissidents victimes de perscutions religieuses dans la zone du Golfe, ils auraient pu trouver refuge auprs de leurs coreligionnaires en d'autres points de la rgion. H est probable que la raison de la migration de la plupart de ces peuples tait la pratique du commerce, associe peut-tre au dsir de vivre sous un climat moins aride et gnralement plus frais. (L'migration des Banu Majid venus s'tablir Mogadishu est une exception.) Il est certain que

  • L'Afrique de l'Est et l'Orient: les ports et le commerce avant l'arrive

    des Portugais

    19

    c'est le commerce qui stimulait les mouvements de population vers le sud. Les marchandises recherches pour l'exportation vers les pays du

    Moyen-Orient et de l'Extrme-Orient taient les produits naturels de l'Afri-que. Parmi ceux-ci, il est indniable que, pendant toute l'histoire, l'ivoire a t le plus important. Cela est aussi vrai ( comme nous l'apprend le Priple) de l'Ethiopie et de son port d'Adoulis que des rgions les plus mridionales. Pendant une priode assez limite sans doute aux xive et xv" sicles seulement, mais peut-tre un peu plus tt l'or a t le principal produit du commerce de Kilwa. Notons galement la m m e poque le commerce par bateaux de schiste chloriteux (steatite) amen Kilwa, pro-bablement pour tre en majeure partie rexport, de la rgion de Vohmar , au nord-est de Madagascar. Il est possible, en outre, que la littrature arabe (notre principale source d'information) ait fait une place excessive des biens vocateurs et prcieux aux dpens de marchandises moins nobles. L a plus grande partie de cette littrature, en effet, tait du type adab, rcits destins divertir le lecteur autant qu' l'instruire. L e bois d'uvre {man-grove poles) a probablement toujours t export en grande quantit de la cte quatoriale d'Afrique et il est mentionn (sous le n o m de saf) ds l'poque d'Al-Istakhri. Dans des archives de douanes du xv" sicle rcem-ment dcouvertes lors de fouilles Aden , il est fait mention de riz import de Kilwa; le sol et la topographie s'opposant ce que le riz ait jamais t produit en abondance dans la zone de Kilwa, on souponne que cette denre a pu tre importe de Madagascar Kilwa. L e fer, matire premire des seuls produits manufacturs mentionns dans nos sources, tait probablement aussi une marchandise importante, ainsi qu'en tmoignent la dcouverte d'abondants vestiges de fusion M a n d a et quelques indications de cette activit Kilwa. U n e source nous apprend que le fer d'Afrique de l'Est tait export en Inde o l'on fabriquait des pes renommes. E n effet, le fer fondu par les mthodes les plus simples et les plus primitives donne le meil-leur acier. L a fabrication par le procd du dgrossissage, o, dans le haut fourneau, le fer se coagule pour ainsi dire en une masse spongieuse et doit ensuite tre martel pour produire un mtal qui puisse tre travaill, a pour effet d'incorporer celui-ci la plus grande quantit de carbone possible. Forg c o m m e il convient, ce fer acquiert la trempe la plus fine.

    L a traite des esclaves sur la cte orientale d'Afrique pose un problme L e Priple est muet sur ce commerce pour ce qui est du sud de l'quateur, et les textes arabes, m a connaissance, n'en font mention qu'une seule fois. H semblerait, par consquent, que le commerce des esclaves n'ait pas t trs important sur cette partie du littoral. D ' u n autre ct, le fait que les esclaves d'Irak, principalement d'origine africaine, ont t capables d'organiser la rvolte des Zenj , soulvement massif et en grande partie couronn de succs, montre que la traite a d revtir des proportions considrables.

  • 20 Neville Chittick

    Cependant, si le terme Zenj dsigne une portion dtermine de la cte orientale d'Afrique, surtout au sud de l'quateur, il s'applique galement toute la rgion de l'Afrique de l'Est. Il semble donc probable que la plu-part des esclaves exports d'Afrique orientale l'aient t de la corne de l'Afrique. L'existence, aujourd'hui corrobore par les dcouvertes archo-logiques faites lors des fouilles rcentes d ' A x o u m , de relations commerciales entre le royaume d ' A x o u m et la valle moyenne du Nil, donne penser qu'un grand nombre d'esclaves venaient de cette rgion.

    Il convient de mentionner ici l'importance, travers toute l'histoire, de l'encens de la corne de l'Afrique et, bien entendu, des g o m m e s aroma-tiques de l'Arabie mridionale et de Socotra. Chose curieuse, le Priple mentionne la cannelle parmi les produits exports par la corne de l'Afrique. O r il semblerait que la cannelle soit produite exclusivement en Asie du Sud-Est, et nous avons des raisons de penser qu'il existait des relations commer -ciales entre cette rgion et la corne de l'Afrique. Il se peut toutefois que la mention contenue dans le Priple rsulte d'une interprtation errone du fait probable que la cannelle d'Asie tait transborde en Arabie mridionale.

    Quelques mots maintenant sur les marchandises importes en Afrique de l'Est. Elles consistaient en majeure partie en objets ayant un caractre de luxe plus ou moins affirm : porcelaines de Chine, poteries entailles de l'Islam, verrerie, tissus (cotons de l'Inde et probablement soie de Chine) et objets en cuivre. E n ce qui concerne le cuivre, cependant, il est trs possible qu'une partie du mtal lui-mme ait t galement importe, peut-tre de la rgion cuprifre d'Afrique centrale, pour tre faonn en articles d'usage courant, notamment pour la frappe de monnaies Kilwa, Zanzibar et M o g a -dishu. U n dernier lment de commerce important tait constitu par les perles de colliers: cornalines et agates de B o m b a y , mais avant tout perles de verre. Ces dernires, surtout d'origine indienne elles aussi, taient utilises la fois par les femmes de la cte et pour le commerce avec l'intrieur. Les tissus imports ont pu tre galement utiliss dans ces changes commer -ciaux. U n e grande quantit de tissu tait cependant fabrique sur la cte, ainsi qu'en tmoignent les nombreux volants de fuseaux dcouverts Kilwa. C e tissu tait apparemment de qualit infrieure, si l'on en croit les premi-res relations des Portugais, et il semble probable qu'il ait t destin surtout au commerce, le tissu import de meilleure qualit tant rserv aux riches habitants des villes ctires.

    Je mentionnerai enfin les modes de transport maritime au dpart et destination de la cte africaine. Il semble que ce trafic ait t surtout le fait des Arabes du golfe Persique et de l'Arabie mridionale et, certaines priodes, sans doute un moindre degr, des Perses et peut-tre des Indiens. Des navires d'un certain tonnage du type mtepe (cousus) ont t utiliss par les habitants de la cte, mais rien ne prouve qu'ils aient servi transporter

  • L'Afrique de l'Est et l'Orient: les ports et le commerce avant l'arrive

    des Portugais

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    des marchandises sur l'ocan (par opposition au cabotage et, probablement, au trafic, en direction de la cte du Mozambique et de Madagascar). O n a observ que le trafic tait principalement dirig vers le golfe Persique et O m a n , ainsi que l'indique Al-Mas'udi. Les marchandises destines des points situs plus l'est y taient transbordes et celles qui taient destines la Chine et l'Extrme-Orient l'taient sans doute de nouveau dans les ports de la cte occidentale de l'Inde.

    Thmes de recherches futures L'tablissement d'ditions nouvelles des passages qui, dans les sources ara-bes, concernent l'Afrique de l'Est et la rgion de l'ocan Indien, ainsi que la publication de tout manuscrit connu contenant des informations utiles dans ce domaine sont m o n sens des tches hautement prioritaires. (Ces textes comprennent des traits arabes de navigation, dont deux sont analyss et interprts par H . Grosset-Grange dans un article paru dans Azania, IX , 1974. Ces nouvelles ditions devraient comprendre des traductions et des notes sur l'interprtation des textes. Cette dernire partie est trs importante; aussi les ditions devraient-elles tre produites par des arabisants qui con-naissent bien les rgions dont il est question dans les textes ou qui collaborent avec des personnes ayant les connaissances requises. U n programme r-cemment labor sous les auspices de l'Unesco porte sur la publication de textes concernant l'Afrique. Ces textes seraient groups sous le titre de Fontes Historae Africanae1 et la direction en serait confie J. O . Hunwick. O n a toutefois l'intention de concentrer initialement les efforts sur les textes concernant l'Afrique de l'Ouest, mais il conviendrait d'accorder un rang de priorit au moins gal aux documents arabes concernant l'Afrique de l'Est.

    L'autre domaine o des recherches complmentaires s'imposent d'ur-gence est le domaine archologique. Les tudes en surface peuvent fournir, sans frais excessifs, une masse de renseignements : localisation des ports importants et valuation, d'aprs les objets trouvs en surface, principale-ment des poteries vernisses importes et datables, des priodes durant les-quelles ces ports ont t occups et des rgions avec lesquelles ils c o m m e r -aient. A partir des sites localiss par ces reconnaissances archologiques, des lieux de peuplement particulier peuvent tre choisis pour faire l'objet de fouilles stratigraphiques minutieuses. Les travaux effectus sur la cte orientale de l'Afrique, Madagascar, et Banbhore, prs de Karachi, ont dmontr que de prcieuses dductions historiques peuvent tre tires de fouilles pratiques dans des comptoirs maritimes.

    1. Publi sous les auspices du Conseil international de la philosophie et des sciences sociales, Paris.

  • 22 Neville Chittick

    Certaines rgions peuvent tre signales c o m m e mritant une tude dtaille. E n Afrique, je pense que la priorit devrait tre donne la cte de la Corne, entre Mogadishu et, sur la mer Rouge, un point au moins aussi septentrional qu'Aidhab, la frontire soudano-gyptienne. Archologique-ment parlant, cette cte est presque inconnue. Les sites les plus importants o des fouilles devraient tre entreprises comprendraient Adoulis, le port d ' A x o u m (o les recherches n'ont t que sommaires jusqu' ce jour) et Hafun (l'Opone du Priple), prs de l'extrmit de la Corne. Plus au sud, des recherches s'imposent aux Comores, et sur la cte nord du Mozambique. E n Asie, Sri Lanka et les les Maldives (lesquelles taient vraisemblablement des relches pour les bateaux en provenance d'Extrme-Orient) pourraient se voir accorder une haute priorit. Mais la cte de l'Arabie mridionale et d ' O m a n n'a pratiquement pas t tudie; des travaux archologiques mtho-diques devraient y tre entrepris. L a m m e observation s'applique la cte mridionale de l'Iran et la cte occidentale de l'Inde. Des fouilles ont t effectues en trois ou quatre sites du golfe Persique, notamment Siraf, mais, compte tenu de l'importance commerciale de cette rgion dans le pass, il reste beaucoup faire.

    Il importe au plus haut point de dater avec plus de certitude le Priple de la mer Erythre, qui est notre seule source apprciable d'information sur la cte orientale de l'Afrique dans la premire moiti du I" millnaire de notre re, et la source d'information la plus importante concernant les pro-duits et le commerce de la rgion de l'ocan Indien en gnral. Les estima-tions de la date de ce document, apparemment crit par un marchand grec d'Alexandrie (peut-tre agent de R o m e ) , varient entre la seconde moiti du Ier sicle et le dbut du m " sicle de notre re. U n des indices essentiels de cette datation est la mention d'un roi dans l'ouest de l'Inde et de la situation rgnant l'poque dans cette partie du sous-continent. L a chronologie admise des rois de la rgion et des pices de monnaie qu'ils frappaient repose, semble-t-il, sur une base documentaire assez fragile. Il importe donc que celle-ci fasse l'objet d'un nouvel examen dpourvu de toute ide prconue. Cet examen devrait tre effectu en liaison avec les fouilles ayant pour but, au moins en partie, d'tayer par la stratigraphie les donnes relatives aux dates des rgnes et aux pices de monnaie de la rgion.

    Pour une grande part, les travaux archologiques peuvent tre relati-vement peu coteux. C e sont les archologues qui manquent dans la rgion. Il faut esprer qu'il sera possible d'en former davantage dans les pays int-resss (certains n'en comptent aucun parmi leurs nationaux) et que, en atten-dant, des spcialistes venus d'autres rgions pourront tre attirs en plus grand nombre vers ces tudes passionnantes.

  • L'Afrique de l'Est et l'Orient: les ports et le commerce avant l'arrive

    des Portugais

    23

    Note Il convient sans doute d'appeler ici l'attention sur East Africa and the Orient, publi sous la direction de H . N . Chittick et R . I. Rotberg, N e w York, Africana Press, 1975. Il s'agit d'un recueil de communications prsentes une confrence qui s'est tenue Nairobi en 1967. Ont un rapport particulier avec le prsent document le chapitre rdig par J. S. Trimingham: The Arab geographers and the East African coast , et celui d Paul Wheatley : Analecta Sino-Africana Recensa . Gervase Mathew, dans The dating and significance of the Periplus of the Erythraean sea, examine le problme pos et prsente un essai de solution la question de la datation.

    Aprs un demi-sicle, les crits de Ferrand conservent toute leur importance; on ne trouvera ci-aprs qu'une slection de ces prcieux travaux.

    Les travaux de J. S. Kirkman, et diverses publications de l'auteur du prsent document contiennent des renseignements sur les premiers ports de la cte orientale d'Afrique, et ceux de P . Vrin sur Madagascar; Histoire ancienne (premier volume d'un plus grand ouvrage) de ce dernier auteur fera date.

    Les travaux de Tibbetts et de Grosset-Grange ouvrent de nouvelles perspectives sur les informations qu'on peut tirer des routiers arabes: outre les indications concernant la navigation, ces documents contiennent quantit de renseignements sur les ports.

    U n recueil de communications prsentes une confrence tenue Oxford, Islam and the trade of Asia (sous la direction de Richards) est en rapport troit avec notre sujet. O n trouve galement d'intressants articles dans Socits et compagnies de commerce en Orient et dans l'ocan Indien, sous la direction de M . Mollat, Paris, S E V P E N , 1971.

    Les rapports provisoires de D . Whitehouse sur les fouilles rcentes de Siraf, publis en Iran, fournissent les premires indications srieuses sur la datation stratigraphique des diverses marchandises changes dans cette rgion. Les fouilles entreprises par le Dpartement pakistanais des antiquits Banbhore, site probable du grand port de Daibul, celles de l'Universit d'Aarhus dans les importants niveaux islamiques de Qala' Bahrein n'ont t jusqu'ici mentionnes que dans de courts articles de vulgarisation.

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  • L'Afrique de l'Est et l'Orient: les ports et le commerce avant l'arrive

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  • Les liens historiques entre la corne de l'Afrique et les les du golfe Persique et de l'ocan Indien par les voies de l'Islam

    Musa H . I. Galaal

    Je voudrais avant tout signaler que, lorsque j'ai commenc rdiger ce rap-port sur mes travaux, je m e suis aperu qu'un certain nombre de faits ne pouvaient tre consigns ici.

    Tout d'abord, si la culture Somalie fournit d'amples renseignements sur les pays et les populations du golfe Persique, on n'y trouve aucune allusion aux les.

    E n second lieu, si certaines les de l'ocan Indien, peut-tre en raison de leur situation gographique plus favorable et de leur importance c o m -merciale, sont connues depuis trs longtemps des populations de la corne de l'Afrique, d'autres, pourtant beaucoup plus grandes, ne sont jamais m e n -tionnes dans la tradition orale Somalie. Madagascar, de loin la plus vaste et la plus importante d'entre elles, fait malheureusement partie de celles-ci bien qu'on en traite souvent dans les livres.

    Troisimement, il semble que, dans l'Antiquit (comme aux temps modernes), les navigateurs somalis aient eu une manire particulire de dsigner les les accessibles leurs bateaux: ils ont donn chaque groupe d'les ou tout un archipel le n o m d'une des les, en gnral celle qui tait la plus importante leurs yeux.

    Je voudrais enfin signaler que, jusqu'en 1972, la langue Somalie n'avait pas d'criture. Toutes les penses et toutes les actions du peuple somali taient conserves par la seule tradition orale. Heureusement, la posie orale Somalie dispose en arabe d'une infinit de mtres (Al buhur), qui per-mettent de consigner toutes sortes de renseignements ou de rflexions sur n'importe quel sujet. C'est du reste la principale source que j'ai utilise. Les tmoignages crits que j'ai pu trouver sont indiqus dans la bibliographie (voir p. 35) et la liste des chercheurs somalis qui ont travaill dans le domaine qui nous intresse figure galement la page 35.

  • 28 Musa H. 1. Galaal

    Liens historiques par les voies de l'Islam

    L a religion est, on le sait, un des facteurs les plus puissants qui contribuent l'tablissement de liens historiques, commerciaux, politiques et culturels entre les pays et les peuples. C'est une vrit gnrale, et qui acquiert un sens plus prcis encore lorsque les pays et les peuples en question sont, de surcrot, gographiquement proches les uns des autres. Lorsqu'ils ne le sont pas et que leurs modes de vie respectifs sont trs diffrents, notre curiosit se trouve plus particulirement stimule et nous sommes pousss appro-fondir notre recherche.

    A u cours d'une tude pralable que j'ai faite sur l'origine du somali crit dans la corne de l'Afrique, j'ai t amen retracer les activits d'un clbre saint h o m m e de l'endroit, le cheik Barkhadle, le plus actif des cheiks qui participrent la diffusion de l'islam dans l'intrieur de la pninsule. Il aurait vcu une poque qui se situe entre 900 et 700 ans avant nos jours. Barkhadle est le n o m que lui donna le peuple, en raison de la pit exem-plaire et des dons religieux qu'il passait pour possder. Barkhad est la tra-duction en somali du terme arabe Baraka qui signifie bndiction. L a termi-naison le signifie celui qui possde. L e n o m religieux de ce saint h o m m e tait cheik Yusuf el Kawneyn.

    Barkhadle ne se contenta pas de propager l'islam dans la corne de l'Afrique; il fut aussi le premier apprendre aux Somalis lire et crire l'arabe. Il adapta en effet le difficile systme arabe de points-voyelles en remplaant le signe de Fatha correspondant la voyelle a, le signe du Kesra correspondant la voyelle i et le signe de D h a m m a correspondant la voyelle o par le systme somali Alif la kor dhebey, Alif la hoos dhebey, Alif la godey . A partir de ce moment , les Somalis furent en mesure de comprendre la fois les signes diacritiques arabes (a, i, o) et leur propre systme vocalique.

    Or ce saint h o m m e c'est l le point nouveau semble tre le m m e que celui que les populations des les Maldives, prs de l'Inde, appe-laient A b u Barakath Al-Barbari et qui propagea l'islam dans cette rgion c o m m e dans la corne de l'Afrique. Nous ignorons seulement dans laquelle de ces deux rgions il vcut en premier et ce qui l'incita changer de secteur d'activit1. L e tombeau du cheik Barkhadle se trouve dans une ville en ruine appele Dhogor, prs de Hargeisa, dans le nord de la Rpublique dmocra-tique Somalie, et que l'on connat aussi sous le n o m local de ville du cheik Barkhadle .

    1. Voir p. 539 du Dictionnaire gographique musulman mondial de 1964 et p. 4 de mes notes sur YHistoire du somali crit, disponibles la Bibliothque de l'Acadmie de la culture Somalie, Mogadishu (Rpublique dmocratique Somalie).

  • Les liens historiques entre la corne de l'Afrique et les les du golfe Persigue

    et de l'ocan Indien par les voies de l'Islam

    29

    L a navigation autour de la corne de l'Afrique

    L a navigation est une occupation trs ancienne chez les habitants de la corne de l'Afrique. Jusqu' l'avnement du colonialisme, au dbut du sicle, des centaines d'embarcations appeles dhows taient immatricules dans les divers ports de la pninsule. Il existe en Somalie une abondante posie orale concernant la navigation, les moussons et la vie en mer qui illustre bien cette vocation maritime. E n voici quelques exemples : Bad nin tegey yaab, waxuu ku warramana ma yaqaan [Aller en mer est pour

    un h o m m e une aventure droutante qu'il lui sera difficile d'expliquer]. Musween dhacyey madaxu i xanuun [La tempte qui souffle m e donne un

    violent mal de tte]. Sidii doonni dhooftay duufaan, cidlaan hadba divrad saaraa [ C o m m e un

    navire pouss par la tempte, je mets le cap sur un lieu dsert]. Doonni buuxdaba bad lagaga teg [Parfois, on doit abandonner m m e une

    dhow pleine]. Ilaahow xaayadda iyo maayadda noo hagaaji [Nous t'en prions, Allah, apaise

    les vents et les courants pour notre voyage]. Calihow dabuubtaada gabay, Daayinkaa wadaye, Dabaylaa xagaagii bafliyo,

    daafigaa sidaye [O Cali, l'ternel a souffl sur les mots de tes pomes. Les vents bruissants de l't et la chaude brise les ont emports sur leurs ailes].

    Naa haddaan doonyii sharnmaal celin, amaan carabtii shil kale helin, shay noolba naga filo [Ma chre fille, moins que le sharnmaal, la mousson du sud-ouest, n'arrte les navires, ou que quelque autre calamit retarde les marchands arabes, sois sre que tu recevras les dernires nouveauts en toffes].

    Contacts entre la corne de l'Afrique et les les voisines

    Dans les tudes historiques, on tend considrer les contacts entre continents ou parties de continent c o m m e plus importants que ceux qui ont eu lieu entre les pays ou les les. O n parle de la dcouverte de l'Amrique par Christophe Colomb, mais on minimise l'importance des escales qu'il a pu faire auparavant dans certaines les des Carabes. D e m m e , on flicite Vasco de G a m a d'avoir dcouvert l'Inde, en mconnaissant l'importance historique des relations commerciales dj bien tablies qui existaient entre la cte orientale de l'Afrique et l'Asie du Sud-Ouest1.

    L a tradition orale, qui est m a principale source d'information pour

    1. Pour plus de renseignements sur les relations entre la corne de l'Afrique et les pays de l'ocan Indien, voir plus loin (p. 31) la lgende ancienne de Zela.

  • 30 Musa H. I. Galaal

    ce document, n'chappe pas la rgle. Elle fait beaucoup plus souvent allu-sion aux anciennes relations de la corne de l'Afrique avec les pays et les peuples des continents qu' ses contacts avec les les des mers voisines, c o m -m e l'illustre la liste ci-dessous.

    O n appelle une belle echarpe de femme hindia, d'aprs le pays d'ori-gine. Font galement partie intgrante du vocabulaire somali d'aujourd'hui les termes suivants: Bangaali: riz du Bengale. Bombey: fourche qu'on enfonce dans les sacs de riz pour vrifier la qualit

    de ce dernier. Karaarshi: riz de Karachi. Jaawi: encens de bonne qualit, venant de Java, avec lequel les femmes

    parfument leur corps aprs le bain pour se rendre attirantes. Mureysi: sucre de Maurice, Mureys signifiant en somali Maurice. Sinjibaari: toffes de coton bien teintes provenant de Zanzibar. Meskety: pagne de Mscate. Xabashi: toffe de coton d'Abyssinie, de texture lgre. Bulgay: solide toffe de coton fabrique en Belgique et porte par les femmes. Maraykaan: toffe de coton grossire d'origine amricaine. Les deux brefs extraits de chansons de marins cits ci-dessous montrent

    combien le commerce avec l'Afrique orientale et l'Inde tait prilleux et difficile il y a environ deux cents ans: Nin Sawaaxil tegey sahal ugama yami [Impossible pour un h o m m e qui part en Afrique orientale de revenir la date voulue]. Hindiana nin tegey hammi waa qabaa [Et le marchand qui revient de l'Inde fait un voyage bien prouvant].

    Dans les mers qui baignent la corne de l'Afrique, le courant est dcrit c o m m e tant soit mditerranen, soit indien, suivant sa direction.

    D'aprs une croyance populaire rpandue dans la corne de l'Afrique, certains noms de lieux tels que Mogadishu et Gendershe seraient d'origine persane et auraient signifi respectivement Maq'ad Shoah [sige du roi] et Gender Shoah [robe du roi].

    Istambuli: genre de parfum en provenance d'Istanbul. Voici un extrait d'une chanson dans laquelle une femme gourmande parle

    d'un sac de sucre que son mari lui a rapport de Mureys (Maurice): Mureysi qariir macaanaa Alla ha qabtee, sii dhig baan idhaahaa iyana waygu soo dhegtaa [Oh toi, sucre si dlicieux de Maurice, chaque fois que je voudrais m'arrter de te manger, tu m e dis: N o n , non, mange-moi encore ].

    Employ dans son sens officiel, le terme somali Bogor signifie roi ou sultan ou encore souverain . O n pense que c'est un mot qui vient de l'Indonsie, o il signifie encore palais .

  • Les liens historiques entre la corne de l'Afrique et les les du golfe Persique

    et de l'ocan Indien par les voies de l'Islam

    31

    L a lgende de Zela, une histoire d'amour de l'ancienne contre du Pont

    U n e histoire d'amour immortelle de la contre du Pont est la tragique lgende de Zela. A u moyen ge, lorsque Zela tait un centre commercial fabuleusement riche, on raconte qu'un jeune h o m m e s'prit d'une belle jeune fille qui habitait une maison voisine. Il tait grand, mince, fort et avait la peau noire1.

    Les jeunes filles, normalement, taient tenues l'cart des jeunes gens. Elles n'taient autorises sortir que trs rarement, et encore condition d'tre voiles et accompagnes d'un chaperon. O r notre jeune h o m m e voyait rgulirement la jeune fille qu'il aimait, une sage distance cependant de Zela, au puits de Tokhoshi, village situ huit kilomtres environ du centre de la ville.

    Les jeunes gens venaient chercher l de l'eau, des fruits et des lgumes. C o m m e ils ne pouvaient s'entretenir en public, chacun chantait en vaquant ses affaires:

    Je t'aime Et tu m'aimes; Unissons nos curs malades d'amour, Btissons-nous un foyer.

    tant le fils d'un riche marchand, le jeune h o m m e devait souvent se rendre l'tranger en tant qu'envoy spcial de son pre. Ses voyages l'emmenaient parfois jusqu'en Perse, en Inde et en Egypte. Son pre restait en gnral Zela, o il jouait souvent au Shax avec le pre de la jeune fille, qui possdait une fabrique de coton en ville. Voyant combien son fils tait pris (et ayant remarqu que cet amour tait partag), il fit des dmarches auprs du pre de la jeune fille, suivant la coutume Somalie, afin qu'ils ngocient tous deux le mariage de leurs enfants. L e pre de la jeune fille parla d'un autre prten-dant, qu'il jugeait tre un fort bon parti. L e pre du jeune h o m m e insista et fit des propositions plus avantageuses, moyennant quoi l'autre, allch, se laissa convaincre et un accord fut conclu.

    L e Gabati fut pay au cours de la crmonie traditionnelle et il fut convenu que le mariage aurait lieu six mois plus tard. Entre-temps, le jeune h o m m e dut se rendre en Inde pour les affaires de son pre. Celui-ci lui recommanda de revenir la date fixe. L e jeune h o m m e promit et partit.

    1. Les mres, en Somalie, prfrent avoir des garons peau noire. Ainsi, une f e m m e qui veut avoir des enfants fait la prire suivante: Dieu tout puissant, si tu ne veux pas m e donner un garon noir, donne-m'en un dfaut qui ait le teint clair.

  • 32 Musa H.I. Galaal

    C o m m e on le sait, la navigation tait souvent prilleuse jadis et il n'tait pas rare que les voyages connussent une fin tragique. Les prvisions mtorologiques taient loin d'tre aussi sres qu'aujourd'hui. Les navires d'autrefois taient des embarcations grossires, difficiles manier, qui ne pouvaient rsister lorsque les conditions en mer taient trop mauvaises. Quant aux chances de sauvetage, elles taient minces. Aussi les habitants du Pont faisaient-ils souvent leur testament avant d'effectuer une traverse.

    L'anne o se situe notre histoire se trouva tre, de ce point de vue, une anne calamiteuse. D e violentes temptes et des tremblements de terre dtruisirent de nombreux navires et en firent dvier beaucoup d'autres. L e navire de Zela sur lequel le jeune h o m m e s'tait embarqu fut malheureu-sement au nombre de ceux qui s'garrent dans la mer dmonte. Il fut pris dans une de ces terribles temptes qui le prcipita, suivant le dicton, de l'autre ct du m o n d e , et toute tentative de remettre le cap sur Zela fut vaine.

    L e temps passant, le jeune h o m m e perdit tout espoir de retourner chez lui la date fixe pour ses noces. Chaque jour, il esprait que les vents redeviendraient favorables, mais ceux-ci ne faisaient qu'empirer et il se ren-dait compte qu'il lui faudrait deux ans pour regagner son pays. Parfois, il semblait que le pril ft conjur, mais bientt de nouveaux ouragans, dpas-sant en force tous ceux qu'ils avaient prcdemment essuys, assaillaient le navire d'un autre ct, et il devenait impossible de le gouverner. L e capitaine et l'quipage, devant le dsespoir du jeune h o m m e , faisaient tous leurs efforts pour mettre le cap sur Zela, mais en vain. Les six mois s'coulrent et, chaque jour, ils voyaient flotter la drive des fragments de navires qui avaient sombr, ainsi que des cadavres. Quelquefois, ils apercevaient des marins accrochs des planches, sans pouvoir les sauver.

    D e u x ans s'coulrent ainsi puis la mer enfin redevint calme. Mainte-nant que les temptes s'taient apaises, quelle distance se trouvait Zela? Il fallait compter encore une anne peut-tre pour y parvenir. L e jeune h o m m e avait perdu le sommeil et l'apptit. Nuit et jour, il demeurait assis sur le pont, tourn vers ce qu'il pensait tre Zela; il parlait tout seul et parfois chantait de faon pathtique. Il maigrissait vue d'oeil.

    Entre-temps, Zela, les prparatifs des noces se poursuivaient c o m m e prvu. Suivant la coutume, le pre du jeune h o m m e construisit une maison de pierre pour le futur couple. O n y rserva l'aire habituelle pour les dan-seurs, juste au-dessous de la chambre destine aux poux. Par une fentre, ceux-ci verraient voluer les danseurs et suivraient le droulement de la fte. Tout fut prt pour la date fixe.

    Toutefois, quand on vit que le navire qui transportait le fianc ne revenait pas, l'inquitude grandit. Jour aprs jour, les nouvelles les plus contradictoires parvenaient Zela: tantt le navire avait coul, tantt il

  • Les liens historiques entre la corne de l'Afrique et les les du golfe Persique

    et de l'ocan Indien par les voies de l'Islam

    33

    tait hors de danger, tantt il avait subi des avaries, tantt enfin son arrive tait proche.

    Peu peu, on se rendit compte que tous ces bruits taient sans fonde-ment. Nul ne savait en ralit ce qu'il tait advenu du navire, puisqu'il n'en tait arriv aucun autre de l'Inde pendant l'absence du jeune h o m m e .

    U n e anne passa sans nouvelles. Presque toutes les familles des m e m -bres de l'quipage rcitrent les prires funbres (Azari) pour les disparus. Mais la jeune fille continuait esprer, de m m e que le pre du jeune h o m m e .

    Cependant, puisque, en dehors d'eux, tout le monde considrait ce dernier c o m m e perdu, l'autre prtendant renouvela sa demande en mariage. Il alla voir le pre de la jeune fille et la jeune fille elle-mme et offrit pour l'pouser une s o m m e plus importante que celle qu'avait offerte le pre du disparu. Cette dmarche remplit d'alarme la jeune fille et les parents du jeune h o m m e , qui n'avaient pas perdu tout espoir. Ils priaient chacun en secret la nuit, sur le rivage, en demandant Allah de leur ramener sain et sauf l'tre cher.

    U n jour, dans un de ses moments de mditation solitaire, la jeune fille se mit chanter, tout en regardant la mer au loin, cette chanson:

    Les navires marchands qui ont pris la mer Sont revenus de Syrie et de Zanzibar O sont ceux qui partirent pour Bombay? Sont-ils perdus, ont-ils sombr?

    Et le vent porta ses paroles trs loin sur la mer, jusqu'aux oreilles du jeune h o m m e qui tait assis c o m m e l'accoutume sur le pont du navire. O n ima-gine sa joie lorsqu'il entendit le ciel lui renvoyer l'cho de ces sons mlo-dieux. Il bondit et s'affaira joyeusement sur le pont en fredonnant la chanson de sa bien-aime.

    D e bonne heure, le lendemain, il remonta sur le pont, l'oreille l'afft du moindre murmure du vent, et se mit chanter une chanson qu'il avait compose pendant la nuit dans l'espoir que sa fiance pourrait l'entendre:

    Hlas, j'aurais voulu revenir pour t'pouser Mais les vents cruels de l'hiver M'ont barr le chemin.

    Sur la grve de Zela, la jeune fille tendit les mains vers le vide, dans un geste dsespr pour recueillir la voix de son fianc. Les cieux l'exaucrent et elle l'entendit chanter. Berant les paroles dans son cur, elle revint chez elle tout heureuse. Elle raconta le prodige ses proches parents. Quelques-uns la crurent; la plupart pensrent qu'elle devenait folle. Elle-mme, en

  • 34 Musa H . I. Galaal

    tout cas, fut convaincue partir de ce jour que son fianc tait vivant et qu'il reviendrait tt ou tard. Son pre, en revanche, jugea que ce n'tait qu'un prtexte pour refuser d'pouser l'autre prtendant.

    Tandis qu' Ze'fla les gens s'entretenaient de ces histoires fantastiques, la jeune fille prtendit avoir entendu de la m m e manire que prcdemment une nouvelle chanson dans laquelle son fianc invoquait un oiseau solitaire perch sur le mt du navire:

    Oiseau sacr, aim des lus de Dieu, Emporte-moi trs haut dans les cieux, et fais-mois franchir les flots Jusqu' celle que m o n cur adore.

    L e pre, lass de ce qu'il appelait des enfantillages, prit un gros bton et administra sa fille une bonne correction. Il lui dclara en outre que son mariage avec le second prtendant aurait lieu sans plus tarder. Aucune prire ne parviendrait le flchir. O n c o m m e n a en consquence les prparatifs d'une grande crmonie. Bientt, une nouvelle maison fut btie: la jeune pouse y fut conduite par les femmes, au son rituel des chants, des fltes et des tambours. Plus tard, dans la soire, le jeune poux la rejoignit, entour d'une escorte de danseurs qui excutait d'blouissants ballets.

    Tandis que la fte, qui devait se poursuivre pendant sept jours, dbu-tait, qu'on prparait le lit conjugal des nouveaux poux dans la grande salle amnage cet effet et que toute la population de la ville ( l'exception des parents du jeune h o m m e disparu) s'en donnait cur joie, le navire arriva Zela. A peine avait-il jet l'ancre que le jeune h o m m e se jeta l'eau pour gagner la ville la nage.

    Il demanda la premire f e m m e qu'il rencontra ce qu'on clbrait de faon si bruyante. Quand il apprit que c'taient les noces de sa bien-aime avec u n tranger, il ne voulut pas le croire et s'lana vers la maison o avait lieu la fte.

    L , au-dessus de la foule en liesse qui dansait, il aperut sa fiance dans les bras de l ' h o m m e qu'elle avait t contrainte d'pouser. A son expression, il comprit qu'elle n'avait jamais consenti ce mariage. Il se mla alors la danse et, directement au-dessous du lit conjugal, il se mit chanter au rythme des tambours, tandis que la foule frappait du pied et des mains en cadence:

    Beaux yeux, Tendres yeux, , sort cruel.

  • Les liens historiques entre la corne de l'Afrique et les les du golfe Persique

    et de l'ocan Indien par les voies de l'Islam

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    Lorsqu'elle entendit sa voix et qu'elle l'aperut son tour, la jeune fille bondit par la fentre, abandonnant l'poux inopportun. Elle se mit danser et chanter elle aussi :

    J'ai attendu longtemps, longtemps Je n'ai pu attendre davantage , sort cruel.

    Tout en dialoguant ainsi, ils se jetrent dans les bras l'un de l'autre et expi-rrent.

    Bibliographie

    A N D R Z E R E W S K I , B . W . The art of the miniature in Somali poetry. African language review 1967.

    . G A L A A L , M . Somali poetic combat. Michigan State University, 1963. B U R T O N , Richard. First footsteps in East Africa. London, 1966. C H I T T I C K , Neville (dir. publ.). Azania, vol. IV, 1969. G R I E N F I E L D , Richard. Etheopia, 1965. G R O T T A N E L L I , V . L . Somali wood engravings. Magazine African Arts. African Studies Centre,

    U C L A , n 16046. World Muslim Gazetteer, 1964.

    Liste des spcialistes somalis faisant des recherches sur les liens historiques et les mouvements de populations travers l'ocan Indien

    Ali Abdirahman Hersi, Acadmie d'tudes de Somalie. Sased A h m a d Warsama, Muse national somali. Yassin Isman Kenadid, Acadmie d'tudes de Somalie. Suleiman Mahamed Adan, Acadmie d'tudes de Somalie. Sheikh Jama Orner Ese, Acadmie d'tudes de Somalie. Musa Galaal Ali, Acadmie d'tudes de Somalie.

  • Influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien, de l'Afrique et Madagascar l'Asie du Sud-Est

    D. G. Keswani

    L a civilisation prhistorique de la valle de l'Indus, mise au jour par les fouilles de Harappa et Mohenjo-Daro, remonte, selon toute probabilit, cinq ou six mille ans. Depuis cette poque, les populations de l'Inde, amal-game de races diverses, parmi lesquelles prdominent les Aryens, qui ont pntr dans le sous-continent au cours du IIe millnaire avant notre re, et les Dravidiens autochtones, ont cr une culture et une civilisation originales, dont le rayonnement a t considrable. L a prpondrance intellectuelle de l'Inde, notamment dans l'est de l'Asie, est remarquable par son extension, sa puissance et sa dure, mais les historiens ne l'ont pas, jusqu' prsent, apprcie sa juste valeur.

    Avant m m e le dbut de l're chrtienne, l'Inde a entretenu des rap-ports troits avec le m o n d e extrieur. Les monuments de l'Indus tmoignent de l'influence de la Msopotamie ancienne, consquence d'un commerce maritime constant entre les bouches du Tigre et de l'Euphrate et la cte occidentale de l'Inde, et des changes qui se faisaient en m m e temps par voie de terre. Par la suite, les changes commerciaux se sont multiplis et tendus d'autres rgions, l'Asie du Sud-Est, le m o n d e grco-romain, le Proche-Orient, atteignant par terre la Perse et l'Asie centrale et par mer la cte orientale de l'Afrique, le golfe Persique et les ports arabes, entranant dans leur sillage la culture et la civilisation.

    A u dbut, ces voyages lents et gnralement pacifiques n'avaient gure d'cho dans le pays, c o m m e l'atteste le fait qu'aucun document historique authentique ne les mentionne et qu'on ne les connat que par divers textes littraires s'inspirant de traditions orales. Quoi qu'il en soit, au m o m e n t o les vnements historiques survenus en Inde deviennent datables, on constate que sa culture suprieure s'est dj infiltre et propage au-del de ses frontires.

  • 38 D. G. Keswani

    changes commerciaux de l'Inde avec l'Asie du Sud-Est

    Il ne fait gure de doute que les Indiens ont commenc aborder les ports occidentaux de l'Asie du Sud-Est plusieurs sicles avant l're chrtienne. L a littrature indienne restitue fidlement le souvenir, tel que la tradition l'a prserv, de ces premires et prilleuses traverses vers des terres inconnues. Les Jataka (rcits bouddhistes), le Kathasaritsagar, le Ramayana et d'autres recueils similaires mentionnent frquemment les voyages de ngociants Suvarnabhumi ou Suvarnadvipa (terre de l'Or ou le de l'Or), termes dsi-gnant les terres et les les situes l'est de l'Inde. D'aprs Ptolme, le commerce avec l'Asie du Sud-Est s'tait fortement accru au 11e sicle de notre re en raison de la vogue croissante des articles de luxe d'origine asia-tique dans l'empire romain et par suite du dveloppement des transports maritimes entre l'Egypte, le sud de l'Inde et Ceylan. L e port d'o appareil-lait la plupart des navires se rendant Suvarnabhumi tait Guduru, n o m qui dsignait certainement l'actuel Kodura, l'embouchure de la Godavari. Cela est corrobor par le fait que c'est l'art et la culture du Deccan qui ont exerc l'influence la plus manifeste sur l'art primitif du Cambodge , du C h a m p a et de Java. Parmi les autres ports qui ont galement jou un rle dans ces premiers changes commerciaux figuraient Muziris (Cranganore), Poduca (Pondichry), Sopatma (Markanam), Tamralipti (Tamluk) et Bary-gaza (Broach). C'est essentiellement partir de ces ports et par l'interm-diaire d'Indiens ayant ouvert des comptoirs, auxquels ils avaient donn des n o m s indiens, dans la pninsule et l'archipel malais, que les produits de l'Inde, et avec eux sa culture, ont pntr pacifiquement mais largement, profondment et dfinitivement en Asie du Sud-Est.

    L'expression Royaumes hindouiss ou indianiss a t utilise par certains historiens pour rendre compte de l'essor de la culture indienne dans les nouveaux royaumes de ces rgions, gouverns par des rois aux noms indiens s'achevant par le n o m patronymique de Varman qui connaissaient bien le code des lois de M a n u et le varna, se servaient du sanscrit pour ex-primer une foule de nouvelles ides, taient verss dans la mythologie du Mahabharata et du Ramayana, acceptaient avec enthousiasme une thologie qui synthtisait le bouddhisme mahayaniste et l'hindouisme et tait symboli-se dans la trinit Brahma, Vishnu, Civa, et qui manifestaient leur dvotion en difiant de magnifiques temples de style indien.

    D'aprs une lgende consigne dans le Mahayamsa, c'est Ceylan que la civilisation indienne aurait tout d'abord t introduite, par un prince Vijaya Simha (Lion) qui semble tre parti de la rgion de Broach, vers 500, avec sept cents compagnons. Cet pisode illustre bien tous les ph-nomnes d'infiltration, de colonisation et de propagande. Les contacts avec

  • Influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien

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    le nord ont t maintenus, car pendant le rgne d 'Aoka nous voyons le roi de Ceylan lui faire des ouvertures et recevoir son propre fils Mahindra, puis sa fille Sanghamitta, aptres du bouddhisme ( 247-207). Les premiers ves-tiges de l'art ceylanais, les stupas ou dagabas d'Anuradhapura, refltent les diverses traditions du continent dont ils s'inspirent. Plusieurs fresques qu'on peut encore admirer Ceylan ont un style qui les apparente de trs prs celles d'Ajanta.

    Depuis des temps trs anciens, des immigrants indiens et des ides indiennes avaient, par terre et par mer, atteint la Birmanie. Prome et Thaton sont assurment devenus des centres importants de culture bouddhiste et hindoue partir du V e sicle avant notre re. Pour diverses qu'elles soient, les formes architecturales ont t influences par les styles Gupta et Pala. Les quatre vingt un bas-reliefs de la pagode Ananda retraant la lgende du Bouddha constituent l'uvre la plus reprsentative de la sculpture birmane classique.

    A u dbut de l're chrtienne, des colonies de ngociants indiens s'taient implantes dans les tablissements ctiers les plus anims et les plus dvelopps de l'Asie du Sud-Est. Ces colonies se sont accrues en nombre et en dimension, et l'on trouvait souvent des brahmanes et des moines boud-dhistes parmi les colons. Enrichie par l'influence de la pense et de la civili-sation hindoues, la culture autochtone a atteint un rare degr d'harmonie et de vigueur. Les chroniques chinoises parlent de la fondation au Ier sicle du royaume de Funan, l'actuel Kampuchea (Komboj en sanscrit) par un brahmane d'origine indienne n o m m Kaundinya. L a dynastie hindouise de C h a m p a a probablement t fonde entre + 1 5 0 et + 2 0 0 , mais on ne sait pas si les Malais dj fixs dans le C h a m p a ont t conquis et hindouiss ou si les C h a m s taient dj hindouiss quand ils sont arrivs, peut-tre en provenance de Java. L'migration d'Indiens du sud vers Java (en sanscrit Yava le Yavadvipa du Ramayana) s'est poursuivie pendant longtemps, les premiers arrivs ayant t des ngociants qui se sont fixs l'extrmit occidentale de l'le. U n tat hindou ou hindouis existait Java au ve sicle de notre re, mais une hindouisation antrieure n'est pas exclue. Bali a t absorbe, probablement au vin" sicle, par le royaume javanais des Cailendras qui, selon une lgende, s'est tendu sur la plus grande partie de l'Indonsie, de la Malaisie, de Sumatra et, pendant un temps, du Cambodge .

    Il est significatif que les premires preuves matrielles des contacts entre l'Inde et l'Asie du Sud-Est soient des images de Bouddha de l'cole d'Amaravati dcouvertes en Thalande, au Cambodge , en A n n a m , S u m a -tra, Java et dans les Clebes. Aucune description de la pninsule et de l'archipel malais ne serait complte si l'on ne mentionnait les splendides monuments qui sont l'expression de leur art. U n e magnifique synthse des styles malayo-polynsien et indo-bouddhiste a t ralise au C h a m p a et au

  • 40 D. G. Keswani

    Cambodge qui, avec Angkor-Vat, a donn naissance l'une des plus hautes formes de sculpture que l ' h o m m e ait jamais produite. A Java, le gnie des artistes locaux a assimil les styles Gupta, Pallava et Chola, puis le style Pala originaire du Bengale. Borobudur, aux reliefs et motifs si parlants, vri-table catchisme de pierre manifestement inspir de la vie javanaise, est une vaste reprsentation du Samsara, cycle sans fin de la naissance et de la mort. Il ne faut pas oublier les inscriptions cambodgiennes graves sur la pierre et les adaptations javanaises des popes indiennes qui tmoignent de la vitalit surprenante si l'on songe la distance de l'Inde de la langue sanscrite, c o m m e de la posie et de la thologie indiennes. A Bali, l'lment tropical et polynsien, dont le brillant n'a jamais t entirement touff par l'influence indienne, reste toujours sensible.

    Java, o la renaissance de la culture locale a atteint son apoge au X e sicle, est devenue une puissance extrmement active dans l'ocan Indien. Ses vaisseaux marchands ont atteint l'Afrique, la Chine et m m e l'le de Pques. Cela est attest par le fait que des langues apparentes au malais sont parles Formose, en Nouvelle-Zlande, l'le de Pques et Madagascar. Dans cette dernire le, la minorit dominante des Hovas, la peau marron clair et aux traits nettement mongolodes, dans lesquels on voit des descen-dants d'migrants de souche malayo-polynsienne et mlansienne, tmoigne de faon frappante de l'tonnant esprit d'entreprise qui a anim les Javanais sous l'influence indienne. O n a m m e pu dire que les Malais hindouiss avaient introduit Madagascar quelques lments, peine dcelables il est vrai, de la religion indienne (T'oung Pao, 1906). Bien entendu, d'autres thories, d'aprs lesquelles il y aurait eu plusieurs migrations indonsiennes antrieures travers l'ocan Indien, ont t avances.

    Lorsque les Musulmans ont dferl sur l'archipel indonsien, partir de la fin du x m ' sicle, l'iconoclasme puritain de l'Islam y a entran, c o m -m e en Inde, la dcadence et finalement la disparition des arts inspirs de l'hindouisme et du mahayanisme.

    Quelle que soit la manire dont s'est rpandue l'influence indienne, il est incontestable qu'elle a concid avec un grand essor du commerce indien non seulement en Asie du Sud-Est, en qute d'or et d'pices, mais aussi avec la Chine qui produisait les soieries si avidement recherches par les clients romains.

    changes commerciaux de l'Inde avec l'Ouest L e commerce terrestre de l'Inde avec l'Asie occidentale remonte un pass trs lointain. Il empruntait plusieurs routes qui traversaient la Perse, la M -sopotamie et l'Asie mineure. L a soie chinoise suivait les m m e s itinraires. Quant au commerce maritime entre l'Inde et l'Europe via l'Egypte, il ne

  • Influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien

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    semble pas avoir t notable avant le rgne de l'empereur Claude, poque o, dit-on, les ngociants romains connaissaient le rgime des moussons. Jusqu' ce que la relve ait t assure par des marins grco-gyptiens, le commerce entre l'Egypte et l'Inde fut surtout le fait de navigateurs arabes qui faisaient du cabotage le long des ctes de l'Arabie, de la Perse et de l'Inde. Mais les ports de l'Inde mridionale ont connu un grand essor par-tir du m o m e n t o une liaison maritime directe a t tablie avec l'Egypte et o la demande romaine de marchandises indiennes s'est fortement accrue.

    U n marin grec d'Egypte nous a laiss de prcieux renseignements dans Le Priple de la mer Erythre, minutieuse relation d'une navigation qui l'a men en Inde au i" sicle de notre re. Il a pu voir sur les ctes de Malabar et de Coromandel toute une srie de ports d'o des navires marchands in-diens appareillaient pour la Perse, l'Arabie, l'Afrique et les ports de la mer Rouge, chargs des marchandises les plus recherches: perles, pierres pr-cieuses, bne, teck, bois de santal, pices, toile de coton fin n o m m e m o u s -seline et soieries rexportes de Chine. E n outre, des navires reliaient rgu-lirement Barygaza (Broach) en Inde la cte orientale de l'Afrique, jusqu' la latitude de Madagascar, o s apportaient du riz, du bl, du sucre, du ghee, de l'huile de ssame, de la cannelle, du copal, des cotonnades et des ceintures, et d'o ils emportaient de l'ivoire, des cailles de tortue et des cornes de rhinocros, articles qui taient trs priss R o m e . C'est ce c o m -merce qu'est d le dveloppement des tablissements indiens Socotra, Alexandrie et dans une le situe au large de l'Afrique (Madagascar?).

    L a priode des empereurs julio-claudiens et flaviens a t un ge d'or pour le commerce grco-romain avec l'Arabie et l'Inde. U n e indication prcise de l'ampleur que le commerce avec l'Asie revtait cette poque ancienne ( + 6 9 / + 79) nous est donne par Pline, conseiller bien inform de Vespasien, qui a calcul que l'Inde ne drainait pas moins de cinquante mil-lions de sesterces par an hors de l'Empire romain. Cette affirmation est corrobore par la dcouverte d'un grand nombre de pices de monnaie romaines en Inde preuve tangible de l'tendue des relations commerciales indiennes. C e commerce a presque cess au ive sicle, mais a repris jusqu' un certain point au v* et au vr' sicle.

    Des relations commerciales d'une telle ampleur ne pouvaient qu'en-traner des changes culturels. Les monuments dcouverts Harappa et Mohenjo-Daro ne laissent aucun doute ce sujet. Lorsque l'Empire perse a succd aux Assyriens et aux Babyloniens, il y a eu incontestablement, outre de multiples changes commerciaux par terre et par mer, des contacts culturels trs troits. Plus tard, quand Alexandre le Grand a renvers la monarchie perse et recul la frontire de l'Empire grec jusqu'au Pendjab, l'Orient et l'Occident se sont rapprochs beaucoup plus troitement que ja-mais auparavant. L'influence hellnistique sur l'art indien, qu'attestent de

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    faon particulirement nette les sculpteurs du Gandhara, et celle des ides bouddhistes sur la doctrine chrtienne ont emprunt les voies ouvertes par Alexandre.

    Les rois indiens ont entretenu des rapports trs troits avec les sou-verains grecs qui ont hrit en Asie et en Afrique des vastes territoires con-quis par Alexandre. L e meilleur tmoignage dont on dispose sur la diffusion des ides bouddhistes et sur la conqute de la religion proclame par Aoka est le clbre dit de ce dernier ( 256), dans lequel il a dclar que le Dharma devait tre propag jusque dans les possessions d'Antiochos et au-del, o demeurent les quatre rois n o m m s Ptolme, Antigonos, Magar et Alexandre , lesquels gouvernaient respectivement l'Egypte, la Syrie, la Crte et la Macdoine. Nous ignorons si les missions prvues par cet dit ont atteint leur destination, mais cette initiative indique qu'Aoka entretenait des relations amicales avec les Sleucides. Par la suite, partir du rgne d ' A u -guste, les ambassades indiennes auprs de l'empire romain se sont succd presque rgulirement.

    E n Asie centrale, l'influence culturelle de l'Inde a presque masqu les changes commerciaux. L e bouddhisme y a laiss une profonde empreinte et s'est rpandu trs loin, jusqu'en Chine, au Japon et en Core.

    Echanges commerciaux entre les Arabes et l'Inde

    L a glorieuse priode de suprmatie maritime de l'Inde n'a pas dur long-temps. L'Inde ayant t oblige de se replier sur elle-mme la suite des incursions des Huns et des Musulmans et d'employer toutes ses forces pour faire face ces pressions extrieures, le mouvement expansionniste s'est brusquement tari. A u vu" sicle, les Arabes, ayant conquis l'Egypte et la Perse, se sont assur la matrise des routes commerciales terrestres et mari-times. L a situation ainsi cre tait entirement diffrente de celle qui rgnait autrefois, du temps du commerce grco-arabe. Dornavant, les Ara-bes jouissaient d'un monopole complet sur le commerce maritime entre l'Orient et l'Occident, de sorte que l'Inde s'est rsigne ce que le naviga-teurs arabes servent d'intermdiaires pour le transport de ses marchandises. L a conqute du Sind, peu aprs 710, a livr aux Arabes les ports d'Al-Daybul et d'Al-Mansurah, et les a rapprochs de l'Extrme-Orient et de la Chine. Parmi les routes maritimes qu'ils ont rgulirement exploites, la plus longue tait celle reliant le golfe Persique Canton. Us ont amass d'normes fortunes en transportant des pices de tissu et des textiles indiens, des chevaux persans et arabes, de l'or et de l'ivoire d'Afrique orientale, des pices d'Indo-nsie, de Ceylan et de Malabar, des soieries chinoises, etc., travers l'ocan Indien et les mers de Chine. Il semble toutefois que cet esprit d'entreprise

  • Influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien

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    se soit perdu au xive sicle, car Ibn-Batuta, voyageant en Chine, a constat que seules des jonques chinoises reliaient le pays Calicut et aux autres ports de Malabar.

    A u cours de cette priode, l'influence culturelle de l'Inde semble avoir t sporadique et diffuse. Les noplatoniciens d'Alexandrie et les soufis d'Arabie paraissent avoir t rceptifs aux enseignements du mysticisme hindou, mais plutt en tant qu'individus qu'en tant que dirigeants de m o u -vements populaires. Les Arabes ont assimil certains lments de la philo-sophie, de la mdecine, des mathmatiques, de l'astronomie et du folklore indiens, et les ont diffuss non seulement chez eux mais aussi en Europe.

    Entreprises commerciales occidentales en Inde

    O n a fait observer que les pices et les soieries, exportations caractristiques de l'Orient, n'ont pu parvenir pendant plusieurs sicles sur les marchs euro-pens que grce des intermdiaires hostiles: les Arabes. E n fait, la pros-prit et la puissance de certaines des cits et de certains des ports qui ja-lonnaient autrefois le littoral de l'ocan Indien tenaient uniquement leur participation directe au commerce avec l'Orient ou leur position strat-gique sur les routes maritimes par lesquelles passaient les produits de l'Orient. U n commerce aussi profitable excitait naturellement la convoitise des puissances europennes et attira notamment les Portugais, les Hollandais, les Britanniques, les Franais et les Danois.

    A cet gard, le voyage pique de Vasco de G a m a , premier Europen atteindre l'Inde par mer en contournant le cap de Bonne-Esprance, fut un exploit d'une grande porte qui brisa le monopole arabe et dtourna le commerce avec l'Orient vers les rivages europens. E n acceptant de piloter jusqu'en Inde Vasco de G a m a , qui avait russi gagner Malindi, un des riches comptoirs commerciaux que les Arabes avaient tablis sur la cte orientale d'Afrique, c'est un grand marin arabe A h m a d ibn-Majid qui, paradoxalement, contribua provoquer le dclin de la navigation arabe. Il ne fallut pas beaucoup de temps au Portugal pour acqurir la ma-trise stratgique de l'ocan Indien et accaparer la quasi-totalit du commerce avec l'Asie.

    A u dbut du XVII ' sicle, les Hollandais et les Britanniques ont, pres-que en m m e temps, pris des dispositions pour contester la prtention du Portugal dtenir le monopole du commerce avec l'Orient. Tandis que les Hollandais prenaient position dans les eaux lointaines de l'archipel indon-sien, Java, Sumatra et aux Moluques, la Compagnie britannique des In-des orientales s'tablissait sur la cte ouest du sous-continent indien. Trs rapidement, ces compagnies, au lieu de se borner des oprations purement

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    commerciales, en sont venues considrer l'acquisition de territoires c o m m e un aspect lgitime de leurs activits. Les Franais, derniers entrer dans la course, ont eu beaucoup de mal s'imposer.

    L'Europe, en fait, n'avait gure de produits changer contre les joyaux uniques, les aromates, les cotonnades et les pices qu'elle recherchait en Asie. L a balance commerciale accusait un dficit important qu'il fallait combler en or et en argent. Aprs quelque seize sicles, on entendait retentir l'cho de la voix de Pline dplorant l'hmorragie montaire dont souffrait l'Empire romain. Mais avec la rvolution industrielle, la Grande-Bretagne s'est soudain trouve en mesure de produire les biens dont la fabrication avait si longtemps fait la supriorit de l'Inde. C'est ainsi que l'industrie indienne du coton, aprs avoir domin pendant des sicles les marchs asia-tiques, a t rduite ne produire que des tissus grossiers pour la consom-mation intrieure. L e courant des changes s'tait inexorablement invers, ce qui avait port un coup mortel l'conomie indienne.

    Politiquement subjugue, conomiquement mascule et intellectuelle-ment apathique, l'Inde s'est replie sur elle-mme et a cess d'exercer une quelconque influence sur le m o n d e extrieur.

    changes commerciaux de l'Inde avec l'Afrique orientale

    Il est plus que probable qu'une bonne partie du commerce africain desti-nation de Tyr et de la Syrie s'effectuait par l'intermdiaire de ngociants indiens, qui avaient ouvert des comptoirs dans les ports africains. L'existence depuis des temps trs anciens d'un commerce florissant entre l'Inde, l'Arabie et l'Afrique orientale est atteste par des crivains grecs et romains. L e Priple mentionne plusieurs localits d'Afrique orientale qui commeraient avec l'Inde. Dans ces ports, le pouvoir tait aux mains d'trangers, d'origine arabe ou persane, et tout le commerce tait monopolis par des Indiens ou des Arabes en rapport avec des Indiens, qui rsidaient ou avaient leurs prin-cipaux bureaux sur les ctes d'Egypte, d'Arabie ou de Perse ou, plus sou-vent, en Inde, Tatta dans le Sind, Mandavie dans le Koutch, dans les ports du Kathiawar ou du golfe de C a m b a y , Surat, Calicut et dans d'autres ports de la cte de Malabar.

    Les premiers voyageurs, venus du nord de l'Afrique c o m m e du Portu-gal, ont trouv des ngociants indiens dans tous les ports de l'Afrique orien-tale et constat que le commerce n'avait gure volu depuis les temps an-ciens: les navires taient toujours du m m e type et de la m m e facture que les dhaws; ils continuaient profiter de la rgularit des alizs pour faire la navette entre les ports des m m e s ctes que jadis, celles de l'Afrique, de

  • Influences culturelles et commerciales indiennes dans l'ocan Indien

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    l'Inde, de l'Arabie et de la Perse; ils transportaient des articles peu prs semblables. Qui plus est, tout ce commerce tait entre les mains d ' h o m m e s fixs en Inde ou troitement lis ce pays.

    Cette grande activit commerciale indienne semble avoir t trs durement frappe par la piraterie arabe, puis par l'arrive des Europens dans l'ocan Indien. Les Portugais, et aprs eux les Britanniques, lui ont port des coups mortels, l'ocan Indien tant devenu dangereux pour tous les navires qui n'taient pas de gros tonnage et qui n'taient pas puissamment arms. Nanmoins, quelques bateaux parvenaient encore djouer l'adver-saire et rapporter d'Afrique de l'ivoire et