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1 EVALUATION DE LA REFORME FONCIERE A MADAGASCAR MISSION DU CONSEIL SUPERIEUR DU NOTARIAT CONTEXTE DE LA MISSION A partir de 2005, a été entrepris à Madagascar, une réforme foncière d’une grande ampleur dont l’objectif est « d’apporter des solutions à la crise foncière qui se manifestait par l’incapacité des services domaniaux à traiter des demandes d’immatriculation individuelle, ainsi que de mettre en place des services de qualité plus abordables aux usagers ». Il s’agissait ainsi de « répondre à la demande massive en sécurisation foncière, dans des brefs délais et à des coûts ajustés au contexte économique, par la formalisation des doits fonciers non écrits et par la sauvegarde et la régularisation des droits fonciers écrits ». Il est apparu nécessaire de procéder à l’évaluation de cette phase pilote pour aider à la décision et à l’orientation des stratégies de l’éventuel acte 2 de la réforme. Le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation (Programme National Foncier-Observatoire du Foncier) a établi, en décembre 2010, les termes de référence de la procédure d’évaluation dont l’objectif fixé est « d’évaluer la première phase de la mise en oeuvre de la réforme foncière à Madagascar en vue d’apprécier l’avancement et les réalisations, de tirer les enseignements et formuler des recommandations sur les orientations de l’acte 2 ».

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EVALUATION DE LA REFORME FONCIERE A MADAGASCAR

MISSION DU CONSEIL SUPERIEUR DU NOTARIAT

CONTEXTE DE LA MISSION

A partir de 2005, a été entrepris à Madagascar, une réforme foncière d’une grande ampleur dont l’objectif est « d’apporter des solutions à la crise foncière qui se manifestait par l’incapacité des services domaniaux à traiter des demandes d’immatriculation individuelle, ainsi que de mettre en place des services de qualité plus abordables aux usagers ».

Il s’agissait ainsi de « répondre à la demande massive en sécurisation foncière, dans des brefs délais et à des coûts ajustés au contexte économique, par la formalisation des doits fonciers non écrits et par la sauvegarde et la régularisation des droits fonciers écrits ».

Il est apparu nécessaire de procéder à l’évaluation de cette phase pilote pour aider à la décision et à l’orientation des stratégies de l’éventuel acte 2 de la réforme. Le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation (Programme National Foncier-Observatoire du Foncier) a établi, en décembre 2010, les termes de référence de la procédure d’évaluation dont l’objectif fixé est « d’évaluer la première phase de la mise en œuvre de la réforme foncière à Madagascar en vue d’apprécier l’avancement et les réalisations, de tirer les enseignements et formuler des recommandations sur les orientations de l’acte 2 ».

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Le comité de pilotage de l’évaluation de la réforme foncière a précisé, le 16 février 2011, que «les objectifs de l’évaluation consistent de manière globale à

(i) apprécier la pertinence des objectifs de la réforme par rapport aux problématiques constatées avant la réforme,

(ii) apprécier dans quelles mesures la réforme a abordé ces problématiques, (iii) apprécier l’adéquation des démarches adoptées et la qualité des résultats, (iv) ) identifier les autres thématiques pertinents qui a été peu ou pas du tout abordé, (v) identifier les points positifs et les contraintes, (vi) (vi) formuler des recommandations pour la suite : les actions à poursuivre et

renforcer, les nouvelles orientations, les démarches à abandonner ». Et le rapport de démarrage de préciser que, parmi les objectifs formulés, deux concernent plus particulièrement le premier temps de l’évaluation, celui du diagnostic :

1. Le bilan des réalisations de la réforme devant être appréciés par rapport à ce qui reste à accomplir : ne pas se contenter de mesurer ce qui a été fait (nombre de procédures de sécurisation menées à bien), mais aussi de trouver une méthode pour apprécier l’ampleur des besoins de sécurisation non encore satisfaits.

2. L’étude de « l’adéquation des démarches adoptées et de la qualité des résultats obtenus » pourra être considérée comme l’adjonction d’un volet plus qualitatif à l’approche précédente de nature plus quantitative.

Un troisième objectif est défini comme « l’identification des autres thématiques pertinentes peu ou pas abordées » jusqu’à présent par la réforme. Deux doivent faire l’objet d’une attention particulière dès les premières études de terrain qui seront menées dans une série de communes :

- Les conditions de sécurisation des mutations : Sécuriser les droits qui existent à un moment donné sur le sol, sans s’assurer de la sécurisation des mutations ultérieures de ces droits (par vente ou héritage) serait voué à l’échec.

- L’organisation de la fiscalité foncière annuelle : L’expérience montre que l’impôt foncier annuel contribue à sécurisation des droits sur le sol pour des raisons à la fois sociales (la propriété n’est plus seulement perçue comme un privilège mais aussi comme une contrainte) ; pratique (la perception de l’impôt crée des preuves d’occupation) ; et administratives (une partie du produit de l’impôt sert à entretenir les bases de données sur les terrains).

Les deux autres objectifs fixés à l’évaluation (« pertinence des objectifs de la réforme par rapport aux problématiques constatées » et « formulation de recommandations : actions à poursuivre, nouvelles orientations, démarches à abandonner ») relèvent l’un comme l’autre de l’élaboration de propositions. Il est proposé de ne les aborder que dans le deuxième temps de l’évaluation, en évitant d’anticiper sur les résultats du diagnostic qui risquerait d’être faussé et appauvri s’il était conduit dans la perspective de conclusion plus ou moins déterminées par avance.

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Les termes de référence de l’évaluation de la réforme foncière, lui affectent cinq composantes : institutionnelle ; économique ; juridique ; technique ; et sociale. La partie juridique a été attribuée au Conseil Supérieur du Notariat Français (CSN). A ce titre, le rapport de démarrage propose :

• de réaliser, dans un premier temps, des études de terrain portant sur : * la compréhension des règles et processus de la sécurisation * l’adéquation de la notion de propriété portée par les textes et la nature des

droits à sécuriser (éventuelles superpositions de droits, existence de droits collectifs ou communs)

* Puis, dans un deuxième temps de formuler d’éventuelles propositions de mise en cohérences des textes.

DEROULEMENT ET ORGANISATION DE LA MISSION Le Conseil Supérieur du Notariat a désigné pour mener cette mission, Me Dominique SAVOURE, notaire à Versailles (France) qui a été accompagné de Me Didier NOURISSAT, notaire à Dijon, coordonateur de la commission titrement au CSN. La mission s’est déroulée du 21 au 26 mars 2011. Le programme a été le suivant : 21 mars :

- 14H30 : Réunion de briefing avec PNF / OF / DGSF / DRGFD : organisation et programme de la mission, information sur contexte, mise à disposition de documents supplémentaires…

22 mars :

- 8H30 : rencontre avec Eric Raparison, membre du comité de révision des textes qui nous explique de quelle façon a été conduite l’élaboration des textes, les discussions qu’ils ont entrainés, les lacunes et l’évolution de la réforme.

- 14 H 30 : rencontre avec M. Harrison RANDRIARIMANANA - Ancien Ministre initiateur de la réforme foncière, qui a été le véritable porteur politique du projet. Il nous explique qu’à l’époque, il organisait toutes les semaines une réunion destinée à faire le point sur l’avancée de la réforme et que c’était un vrai projet de gouvernement.

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23 mars :

- Matin : déplacement dans un guichet foncier d’Ampanotokana de (proche de Tana). Celui-ci, contrairement à ceux que nous avions visités en mai 2010 n’a pas été financé par le MCC mais est vraiment issu d’une démarche volontariste du maire du village qui a compris que la volonté politique est plus importante que le financement de l’opération. De nombreuses questions lui sont posées et elle nous communique la passion avec laquelle elle mène son projet (70 certificats fonciers ont été délivrés en quelques mois).

- Après-midi : réunion de travail avec PNF sur les textes en vigueur 24 mars :

- 11 h – Réunion avec M. Henri RAHARISON, Ancien directeur des domaines et ancien président du Comité de révision des textes. Passionné par la réforme, il nous explique les raisons qui ont motivé celle-ci et nous apporte des réponses précises aux nombreuses questions d’ordre juridique que nous lui posons.

- 14 h 30 : Réunion de travail avec les membres du comité de révision des textes, avec pour objet le projet de loi sur la propriété privée titrée. Il convient de rappeler que ce comité était initialement composé de membres de l’administration foncière déconcentrée, de membres du PNF, de magistrats et de professeurs de droit, des représentants des régions, le vice président de l’assemblée nationale et un expert international. Ce comité ne s’est réuni ni en 2009, ni dans la plus grande partie de l’année 2010. Il a été remis en place fin 2010, mais n’est plus composé que par des représentants de l’administration foncière et du PNF. Le dialogue apparaît difficile et n’apporte pas beaucoup d’éclaircissements à l’évaluation juridique que nous réalisons.

25 mars :

- 8 H 30 Réunion avec Rivo RATSIOLANANA, Directeur de l’Observatoire du foncier, organisme qui a pour objectif de mesurer régulièrement les effets de la réforme foncière tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

- 10 h – Audience auprès du Ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation en charge du foncier (celui-ci verra ses fonctions reconduites le soir même). C’est l’occasion pour reparler avec lui du rapport d’audit de la réforme foncière qui lui avait été remis en juillet dernier et pour lui préciser que la présente mission est purement juridique puisqu’elle consiste à examiner les textes de la réforme du foncier et d’évaluer leur cohérence entre eux.

- 13 h Déjeuner avec Rémi LEGENDRE, Rivo RATSIOLANANA, Directeur de l’Observatoire du foncier, Rija RANAIVOARISON, Coordonnateur du PNF, Rija RAZANADRAKOTO, Président de la Chambre des notaires, DS et DN : Débriefing sur la mission du foncier : nos interlocuteurs se disent particulièrement intéressés par les premières conclusions que nous leur présentons de l’évaluation juridique de la réforme foncière.

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Les entretiens se sont déroulés sur la base des cinq questions suivantes : 1/ - Identification des textes de la réforme foncière Malagasy. 2/ - Processus d’élaboration de la Loi et cohérence des textes. 3/- Les changements majeurs actés. 4/ - les textes qui manquent sur les statuts spécifiques. 5/ - composition et fonctionnement du comité de révision des textes. IDENTIFICATION DES TEXTES DE LA REFORME FONCIERE MA LAGASY TEXTE SUR LA DECENTRALISATION : en particulier ceux relatifs à la compétence communale ; TEXTE FONDATEUR DE LA REFORME FONCIERE : lettre de politique foncière validée par le conseil de gouvernement du 3 mai 2005 ; 1/ - Loi 2005-019 du 17 octobre 2005 fixant les principes régissant les statuts des terres. 2/ - Loi 2006-031 du 24 novembre 2006 fixant le régime juridique de la propriété privée non titrée. 3/ - Décret 2007-1109 du 18 décembre 2007 portant application de la Loi 2006-031 du 24 novembre 2006. 4/ - Loi 2008-013 du 23 juillet 2008 sur le domaine public de l’Etat. 5/- Loi 2008-014 du 23 juillet 2008 sur le domaine privé de l’Etat. 6/- Décret (en attente de promulgation) fixant les modalités d’application de la Loi 2008-013 7/ - Décret 2010-233 du 20 avril 2010 fixant les modalités d’application de la Loi 2008-014. 8/ - circulaire 621-10 MATD portant procédure d’ouverture d’un guichet foncier TEXTES EN PROJET : 1/ - Projet de loi relative au régime juridique des propriétés privées titrées. 2/ - Projet de loi sur la profession de géomètre libre assermenté 3/ - Projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques

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ANCIENS TEXTES : 1/- Loi n° 60-146 du 3 octobre 1960 2/- Loi 60-004 du 15 février 1960 sur le domaine privé national PROCESSUS D’ELABORATION DES TEXTES Le comité de révision présidé par Mr RAHARISON, alors directeur des domaines, et composé de membres juristes, magistrats et inspecteurs des domaines dont Madame Nelly RAKOTOBE, alors Présidente de la Cour suprême, et Monsieur Alain ROCHEGUDE, consultant. Ils partent de la lettre de politique foncière du 3 mai 2005. Les projets de lois sont préparés par le Président et font l’objet d’une large concertation au sein du comité. La discussion est menée article par article. La synthèse et le projet de texte final est proposé au Ministre qui le soumet à une commission dont la mission est d’apprécier et d’évaluer la pertinence du texte. Cette commission dont fait partie, notamment le Ministre de la Justice, propose, le cas échéant, des modifications. Puis le texte est transmis au Ministre (de l’agriculture) pour être soumis au conseil des ministres. En réalité, il apparaît que les textes ont été adoptés sans modifications substantielles par rapport aux projets de la commission. LES CHANGEMENTS MAJEURS ACTES 1/ La reconnaissance d’un droit de propriété non écrit : les usagers, poussés par la crise foncière, avaient inventé un droit foncier local fait de petits papiers. La sécurité foncière conférée par cette technique restait extrêmement faible. La réforme a permis, par la mise en place des certificats fonciers, la reconnaissance de droits de propriété et donc la sécurisation de ce droit. La technique de délivrance de ces certificats et le système de reconnaissance locale qui la caractérise apparaît remarquable tant dans sa conception que dans ses conséquences. Outre la sécurisation, sur laquelle il sera revenu plus loin, le contrôle social qui l’accompagne lui donne une valeur exemplaire. L’expérience démontre, par ailleurs, que l’accès des femmes à la propriété est facilité. L’objectif défini par la lettre de politique foncière de rapprocher le légal du légitime paraît atteint.

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La valeur juridique du certificat foncier est posée d’abord par la loi 2005-019 dans son article 3 lorsqu’est défini ce certificat comme « acte administratif attestant de l’existence de droits d’occupation, d’utilisation, de mise en valeur, personnels et exclusifs, portant sur une parcelle de terre, établi par suite d’une procédure spécifique légalement définie. Le certificat reconnaît un droit de propriété opposable aux tiers jusqu’à preuve du contraire ». L’article 37 de la même loi précise les prérogatives attachées à ce certificat qui: « permet à son détenteur d’exercer tous les actes juridiques portant sur des droits réels et leurs démembrements reconnus par les lois en vigueur, notamment la cession à titre onéreux ou gratuit, la transmission successorale… ». Puis l’article 14 de la loi 2006-031 rappelle le principe de l’opposabilité de ce droit aux tiers. Le certificat foncier constate donc, sans conteste, un droit de propriété paré de ses atouts indispensables. Il est d’ailleurs perçu de cette manière par les titulaires. Et pourtant l’analyse des textes n’est pas sans révéler, à ce sujet, au moins deux questions qui pourraient remettre en cause la cohérence du système.

• le CF ne constitue t-il pas un titre de propriété conditionnel ?

L’article 33 de la loi 2005-019 délimite le champ d’application des terrains détenus en vertu d’un droit de propriété non titré comme ceux « sur lesquels sont exercés des modes de détention du sol se traduisant par une emprise personnelle ou collective, réelle, évidente et permanente… ». L’exposé des motifs de la loi 2006-031 envisage les terres constituant un patrimoine familial transmis de génération en génération, ou celles constituant des pâturages traditionnels d’une famille. Puis l’article 4 de la loi 2008-014 dispose que les biens du domaine privé immobilier de l’Etat sont constitués notamment des « terrains non mis en valeur dans les conditions définies par l’article 33 de la loi 2005-019 ». L’article 18 de la même loi dispose clairement que les terrains non titrés, non mis en valeur sont immatriculés au nom de l’Etat. Ainsi la loi de 2008 ajoute un critère au champ d’application de l’article 33, qui est celui de la mise en valeur. A la notion d’emprise qui est appréciable dans le passé et le présent, s’ajoute celle de mise en valeur qui est appréciable dans le présent et le futur. Egalement l’article 18 de la loi 2006-031 complété par les articles 39 et suivants du décret 2007-1109 pour ses modalités traite de la vacance constatée dans l’exercice d’un droit de propriété foncière privée non titrée qui constitue un motif de déchéance de ce droit entre les mains de son titulaire. Et ce même article précise que « la vacance consiste dans le fait pour la personne qui détient le droit de propriété de ne pas se comporter comme propriétaire pendant une période continue de dix ans ». Mise en valeur, vacance autant de notions dont les contours mériteraient d’être précisé mais qui relativisent, à coup sûr, le droit de propriété puis qu’elles l’exposent à une résolution. N’était-ce pas justement une insécurité supplémentaire alors que l’on veut sécuriser le droit sur la terre ?

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• Y a-t-il une hiérarchie entre le Titre Foncier et le Certificat Foncier ?

Bien que l’exposé des motifs de la loi 2006-031 énonce clairement que le certificat de reconnaissance du droit de propriété délivré à l’issue de la procédure constitue pour le propriétaire la preuve de son droit sur sa propriété à l’instar du titre de propriété du régime foncier des propriétés titrées, et que l’article 17 de la même loi dispose que « le régime juridique de ces droits réels prévu dans la propriété privée titrée est applicable à ceux de la propriété non titrée, sous réserve des dispositions de la loi », la question mérite d’être posée. En effet, nous l’avons dit plus haut, le Certificat Foncier reconnait un droit de propriété opposable aux tiers jusqu’à preuve contraire pendant que le Titre Foncier (article 29 de la loi 2005-019) établi par une procédure d’immatriculation dans les formes et conditions déterminées par les lois et règlements est définitif et inattaquable au point que toute personne dont les droits ont été lésés par la suite d’une immatriculation n’a jamais de recours sur l’immeuble (article 30 de la même loi). Une telle procédure qui rend le titre inattaquable n’ouvre t-elle pas la porte à la corruption ?. Egalement, l’article 24 de la loi 2005-019 pose le principe de la possibilité de transformer le Certificat Foncier en Titre Foncier, repris par l’article 20 de la loi 2006-031 et, pour ses modalités par les articles 52 et suivants du décret 2007-1109. La transformation ne peut intervenir qu’après bornage de la parcelle, et le cas échéant après règlement définitif du contentieux. Pourquoi l’un est inattaquable pendant que l’autre peut être contesté, pourquoi peut on transformer le certificat en titre alors que l’inverse n’est pas possible ? Ces éléments constituent bien la preuve qu’il existe une certaine hiérarchie entre les deux modes. D’ailleurs, l’administration foncière ne considère t-elle pas le certificat foncier comme un document intermédiaire devant conduire à l’établissement d’un titre ? La justification de cette hiérarchie n’apparaît pas évidente même s’il est évoqué la question récurrente du bornage qui pose bien des difficultés pour les Titres Fonciers. A ce stade, la question de la nuisance de cette hiérarchie doit être posée. En réalité, il y a nuisance pour au moins trois raisons :

- La première parce qu’est-il acceptable et légitime, dans une société, d’admettre des droits de propriété à deux niveaux, l’un pour les sans droits, les pauvres et l’autre pour les cultivés, les riches qui veulent considérer la terre comme support d’investissement.

- La deuxième, justement, parce que cette hiérarchie met un frein à la possibilité de donner en gage la propriété simplement certifiée et donc à l’investissement.

- La troisième, parce qu’elle diminue la crédibilité du certificat foncier et, ce faisant, porte atteinte à la mise en œuvre de la gestion foncière décentralisée.

Rappelons, à ce sujet, que la lettre de politique de développement rural, reprise par la lettre de politique foncière (§25) préconisait une stratégie de développement qui visait notamment à encourager l’investissement et garantir l’accès au foncier, plus particulièrement dans les zones agricoles à fortes potentialités. On le comprend, cette hiérarchie nuit véritablement à l’efficacité et la crédibilité du certificat.

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2/ L’abandon de la présomption de domanialité : la totalité des entretiens confirme que l’abandon de la présomption de domanialité constitue un changement majeur opéré par la réforme foncière. En réalité, l’analyse des textes ne fait pas ressortir précisément une telle évolution. Certes l’article 33 de la loi n°2005-019 du 17 octobre 2005 définit le champ d’application des terrains détenus en vertu d’un droit de propriété non titré, mais il n’apparait pas explicitement l’abandon de cette présomption de domanialité, alors qu’il s’agissait d’un principe fondamental. Alors pourquoi ? La question était-elle à ce point sensible pour ne pas la traiter clairement ? En réalité, il semblerait que l’explication réside dans le parallélisme des formes, bien connu des juristes. En effet, l’affirmation du principe de domanialité résulterait de l’article 11 de la loi n° 60-004 du 15 février 1960. Cet article dispose précisément que « l’Etat est présumé propriétaire de tous les terrains non immatriculés ou non cadastrés ou non appropriés en vertu de titres réguliers de concession ou selon les règles de droit commun public ou privé ». Et pourtant, dans cet article le principe de domanialité apparaît clairement posé ! Il nous a donc semblé qu’il eut été utile de poser, sans ambigüité, l’affirmation de l’abandon de ce principe. 3/ La gestion décentralisée du foncier : un tel changement résultait clairement de la lettre de politique foncière « une administration foncière de proximité, le guichet foncier communal et/ou intercommunal sera créée ». Le principe en est posé par la loi 2005-019 du 17 octobre 2005 dans son article 34 : « le service administratif compétent de la collectivité décentralisée en charge de la propriété foncière non titrée, établit un acte domanial reconnaissant comme droit de propriété l’occupation… ». Et encore, l’article 39 de la même loi « les collectivités décentralisées, notamment celles du niveau de base, mettent en place le (s) service(s) appropriés pour l’application des dispositions de la présente loi et des autres textes relatifs à la gestion domaniale et foncière, pour l’exercice des compétences qui leurs sont reconnues. » Ce changement est perçu comme une réhabilitation du service public. Le PLOF est également considéré comme un remarquable outil au service de l’administration. Trois remarques doivent être faites à ce sujet :

Il apparaît nécessaire de communiquer sur la décentralisation : les élus doivent s’approprier leurs nouvelles compétences et doivent les faire connaitre à leurs concitoyens.

La formation des agents communaux et des élus doit être accrue

des moyens financiers doivent être mis en place, soit par une politique fiscale, soit par des subventions de l’Etat.

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Actuellement il semble que les GF ne perçoivent pas les droits d’enregistrement, lors des mutations, tandis que l’article 13 de la loi 2006-031 prévoit expressément que « la remise du certificat foncier ne peut intervenir qu’après paiement des droits et redevances y afférents ».

- Deux solutions peuvent être envisagées : soit on demande l’exonération de droits d’enregistrement pour les cessions de terrains certifiés, soit le GF devient un guichet unique qui perçoit les droits d’enregistrement et en reverse une partie à l’Etat.

- Il convient d’observer que les articles 9 et 10 du décret 2007-019, d’une part, imposent à la collectivité décentralisée d’inscrire dans son budget le fonctionnement du guichet foncier, et d’autre part, permet à cette collectivité de créer une régie financière spécifique à la gestion des propriétés foncières privées non titrées.

- Le même article 10 prévoit même que « toute demande de services auprès du guichet foncier est justifié par le paiement de droits et redevances selon un barème fixé par une délibération du conseil délibérant de la collectivité décentralisée ».

- Il importe, à ce sujet, de veiller à la localisation des services fiscaux afin d’assurer un service public accessible au plus grand nombre.

- Le système gagnerait en cohérence : le guichet foncier délivre le certificat, enregistre la mutation et perçoit les taxes afférentes. A défaut, il sera à craindre que les usagers ne fassent pas enregistrer leurs mutations.

4/ Coexistence entre administration déconcentrée et administration décentralisée :

La décentralisation a entrainé la mise en place d’un dispositif administratif de gestion définit par la loi 2005-019 du 17 octobre 2005.

L’article 40 de cette loi prévoit que « les administrations de l’Etat organisent leurs services déconcentrés pour l’exécution des compétences qui leurs sont dévolues par la loi en tenant compte de la nécessaire complémentarité avec les services décentralisés » pendant que l’article 39 définit le rôle de l’administration décentralisée.

Leur domaine de compétence est précisé par diverses dispositions.

Ainsi l’article 3 de la loi 2006-031 du 24 novembre 2006 dispose que « la gestion de la propriété foncière privée non titrée est de la compétence de Collectivité Décentralisée de base » et encore l’article 35 de la loi 2008-014 du 23 aout 2008 précise que les collectivités décentralisées gèrent leur propre domaine privé immobilier pendant que l’article 14 de la loi 2008-014 rappelle que le service chargé des domaines gère les biens immobiliers appartenant à l’Etat.

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A propos de la coexistence entre les deux administrations ont été abordées deux questions : - l’usager a-t-il le choix entre le titre foncier et le certificat foncier ? La question fait débat et pourrait être tranchée utilement par la loi sur la propriété privée titrée. Ce qui est sûr, en revanche, est la transformation possible du certificat en titre. L’article 24 de la loi 2005-019 et l’article 20 de la loi 2006-031 le prévoient expressément. (Voir plus haut sur cette possibilité). - L’échange d’informations entre les deux administrations : L’article 4 de la loi 2006-031 du 24 novembre 2006 pose clairement le principe de la collaboration entre les deux administrations puisqu’il précise que « la collectivité décentralisée de base, en collaboration avec les services domaniaux et topographiques déconcentrés territorialement compétents, met en place selon ses moyens, à l’échelle de son territoire, le plan local d’occupation foncière. (…) Toutes les opérations ainsi que les mises à jour obligatoires des informations effectuées sur le PLOF sont communiquées réciproquement entre le service décentralisé de la collectivité et le service déconcentré territorialement compétent ». Il apparaît, en réalité, que cette collaboration et cet échange d’information ne fonctionnent pas ou peu. Il est invoqué pour expliquer cette carence deux raisons :

- d’une part le fait que la procédure d’échange n’est pas mise en place (il suffirait d’une circulaire administrative !) - et d’autre part que l’outil informatique ne serait pas opérationnel pour permettre cet échange. Les services fonciers ne seraient, par ailleurs, pas suffisamment formés à la technique du PLOF.

LE PROJET DE LOI RELATIVE AU REGIME JURIDIQUE DES P ROPRIETES PRIVEES TITREES Le Ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation a proposé un projet de loi sur la propriété privée titrée. Ce projet se place clairement dans la lignée de l’act Torrens australienne. - sur la méthode : il apparaît que ce projet n’ait pas ou peu fait l’objet de débats publics, de consultations de juristes, professeurs de droit, magistrats, praticiens, notaires, géomètres, usagers, à l’exception de membres de l’administration foncière. Cela risque de nuire à la qualité des textes, à leur bonne intégration dans la société.

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- sur le texte : les modifications concernent principalement l’abandon de la prescription acquisitive « devenue instrument de spoliation des biens d’autrui » et les procédures d’immatriculation individuelle et collective. * certificat ou titre ? Aux deux derniers alinéas de l’article 6 l’impression est donnée qu’il n’y a plus de hiérarchie entre le titre et le certificat puisque « si un immeuble objet du certificat foncier régulièrement établi demeure en toute ou partie immatriculé par erreur, le certificat foncier prime et le titre foncier est annulé par le conservateur ». L’impression est vite dissipée : l’article 34 prévoit expressément « l’immatriculation des terrains, objet d’un certificat foncier, s’effectue suivant la procédure instituée par les textes régissant la propriété foncière privée non titrée » et l’article 76 de rappeler que « le titre foncier établi par suite d’une procédure d’immatriculation est définitif et inattaquable ; il constitue devant les juridictions malgaches le point de départ unique des droits réels et charges foncières existant sur l’immeuble au moment de l’immatriculation à l’exclusion de tous les autres droits non inscrits ». Hors le titre, point de salut ! Ne devrait-on pas, au contraire, affirmer l’égalité du certificat et du titre et délimiter, le cas échéant, le domaine d’application pour chacun et de la compétence des guichets fonciers pour le premier et des services fonciers pour les seconds? * un droit de propriété conditionnel : Tout propriétaire est tenu de mettre en exploitation, d’entretenir et d’utiliser les terres qu’il possède (art. 29). A défaut il encourt la déchéance de son droit de propriété qui accroit le domaine privée de l’Etat (art. 32). Il est intéressant de noter que toute personne intéressée peut demander la mise en œuvre de cette procédure de prescription extinctive (art. 31). Sans parler du fondement d’une telle mesure – qui pourrait être largement contestée – il conviendrait de définir la mise en exploitation, l’entretien et l’utilisation des terres. Il y a fort à parier que cette insécurité juridique générera d’importants et nombreux contentieux. Si une telle mesure, malgré les critiques qu’elle engendre, devait persister pourquoi ne pas intégrer dans la propriété privée non titrée les terrains en cause qui feraient l’objet d’une mise en valeur par d’autres personnes que les titulaires du titre, et qui seraient ensuite réattribuée par le système de reconnaissance locale ? * le bornage obligatoire : Pour être immatriculée, la propriété doit être bornée (art. 39 et suivants). Si la nécessité d’un bornage n’est toujours pas démontrée, en revanche il est indispensable de référencer de façon claire et certaine cette propriété par une localisation. Cette solution existe déjà avec le PLOF. Aujourd’hui il s’agirait donc de porter sur les titres fonciers, de façon systématique, les coordonnées géodésiques de ces propriétés pour éviter les errements connus d’un droit de propriété dont la localisation est inexacte. Or cette possibilité n’est pas prévue par le texte.

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* les opérations cadastrales : Les articles 72 à 75 prévoient que « les parcelles comprises dans une opération d’immatriculation collective qui n’ont pas fait l’objet de jugement à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, peuvent faire l’objet de distraction de la zone objet d’immatriculation collective. Les modalités de cette distraction sont prévues par décret. En cas de distraction décidée par l’administration, les parcelles concernées sont reversées dans leurs statuts d’origine ». Cette évolution intéressante mériterait de concerner également les parcelles jugées . Au fond, on ressent, à la lecture de ce projet, une sorte de retour en arrière, le retour d’une administration centralisée toute puissante et la renaissance d’une insécurité juridique du droit de propriété. Il pourrait, au contraire, constituer un projet ambitieux, dans la lignée de la lettre de politique foncière, pour améliorer la décentralisation, donner des moyens aux collectivités locales pour la mise en œuvre de cette politique, et sécuriser encore davantage les droits de propriété qu’ils fassent l’objet de titre ou de certificat. CONCLUSIONS Les textes analysés dans le cadre de cette mission constituent le socle de la réforme foncière. Il en résulte, à notre avis, quelques incohérences et dysfonctionnements :

• les incohérences : 1- Alors qu’il a été élaboré un système remarquable de titrement, il conviendrait

maintenant d’améliorer sa qualité juridique. 2- Affirmer clairement l’abandon du principe de domanialité 3- Affirmer l’égalité du titre et du certificat 4- Rendre obligatoire le géoréférencement des titres fonciers

• les dysfonctionnements :

1- Communiquer sur la poursuite de la gestion foncière décentralisée, 2- Former les agents communaux et les élus. 3- Mettre en place une politique fiscale décentralisée pour donner des moyens aux

communes. 4- Etablir une circulaire sur la procédure d’échange entre le service décentralisé et le

service déconcentré. 5- Clarifier les procédures de mutation des certificats fonciers, dans le sens d’une plus

grande fluidité et en cohérence avec le processus de décentralisation impulsé par la réforme foncière.

Enfin il est proposé de coopérer pour la rédaction du texte sur la propriété privée titrée.

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