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LES

FANTÔMES DE TARRAGONE

par Michael Riche-Villmont Auteur Michael Riche-Villmont. Copyright © 2015. Tous les droits,déjà enregistrée et protégée appartiennent à l'auteur. www.michaelvillmont.eu Amazon.com Lulu.com Kobo.com

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Je voudrais remercier mon épouse Cornelia, pour tout son soutien pendant l’écriture de ce livre et Brice, pour les joies

qu’il nous a amenées.

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SOMMAIRE: Chapitre Ier. La Fête de la Saint Jordi à Tarragone................4 Chapitre II Le domaine de Vetéro........................................26 Chapitre III La province d'Almería, l’année 1147...............80 Chapitre IV La province de Tortosa...................................102 Chapitre V La conquête de la forteresse de Tortosa, novembre 1148......................................................................................136 Chapitre VI Les Fantômes de Tarragone, l’année 1150.....172 Chapitre VII Le Trésor de Tortosa......................................215 Épilogue...............................................................................257

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Chapitre Ier

La fête de la Saint Jordi à Tarragone

La réunion du Restaurant Grand Ettoile de Nice s'est avérée ȇtre un succès dès le commencement, comme prévu. Ponctuels, le docteur Phillip de St. Denis-Chamont et son épouse, Yvette, sont arrivés au restaurant exactement à sept heures du soir, étant accueillis et escortés par le chef de la salle à la table réservée pour eux. En passant par le vaste espace d’entre les tables, ils admirèrent les décorations du salon et l’arrangement des tables, grandes, rondes, avec des chaises élégantes. Le restaurant, figurant parmi les très peu anciens locaux qui ont conservé le style classique, a été conçu et construit en 1930. Les murs couverts de lambris en teck marron, les tables et les chaises antiques, le personnel gentil, vȇtu des uniformes qu'ils portaient les premiers serveurs, dès l'inauguration même, le restaurant est resté au top des préférences de l’élite de Nice. L'atmosphère était complétée par le son de la musique classique diffusée par le système de sonorisation de dernière génération. Mais, surtout, les clients étaient attirés par le menu du restaurant, un des plus esquis de la Côte d'Azur, menu choisi par des chefs célèbres.

Phillip de St. Denis-Chamont, était médecin à l'Hôpital Universitaire de Nice. D’environ 33 ans, de taille moyenne, il avait un corps d'athlète, fortifié sur les terrains de sport. Le teint sombre, les cheveux épais, presque noirs, le nez aquilin, il affichait une tenue distinguée, élégante. Sa jeune épouse,

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Yvette, était un peu plus petite que lui, blonde vers le brun, avec de longs cheveux coupés au niveau des épaules. Elle avait environ une trentaine d'années et était violoniste à l'Opéra de Nice, après avoir été, pour quelques années, assistante à la Faculté de musique.

À la table se trouvaient déjà assis leurs amis, les familles Mark et Béatrice de Bercy et Paul et Mireille de Montereau, arrivés plus tôt.

- Bonsoir. Nous sommes heureux de vous voir, nos chers amis, les salua Yvette, puis elle s’assit sur la chaise tirée par le chef de la salle.

- Bonsoir. Vous ȇtes arrivés depuis longtemps? demanda Phillip.

- Non, il y a deux minutes, répondit Mark. Nous sommes arrivés ensemble, en venant directement de Toulouse.

- Vous n'avez rien commandé? - Non, on vous a attendu, dit Paul. On commande

ensemble. Verrons quel menu spécial a préparé le chef Eugène pour ce soir. Les dames décideront, parce que ce soir est dédié à elles.

- Tu as raison, Paul. Les dames se regardèrent l’une l’autre, en souriant

contentement. Toute preuve d'amour et de gratitude rend les femmes heureuses. C'était la soirée du 14 février, la Saint Valentin, le jour des amoureux, de l'amour, comme il a été proclamé il y a longtemps. Phillip et ses deux amis, Mark et Paul, n’aimaient pas le festivisme exagéré et l'esprit commercial de cette belle fête. Mais Phillip appréciait et promouvait l'idée d'avoir une fête dédiée à l'amour, à l'amour entre personnes de tous âges. Son père, Armand, lui avait dit une vérité dont il n’a jamais douté. « L'amour commence à l'âge de la jeunesse, arrive à maturité au fil des années et se fortifie chez les personnes

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âgées, quand il montre ses vraies vertus ». Chose qu’il avait vue dans sa famille et dans celle d'Yvette. C'est exactement à cette occasion que ce week-end, ils se rencontreront tous, au domaine Chamont, pour fȇter le jour de l'amour, selon la très ancienne coutume française, comme sentiment profond, intérieur, spirituel.

Ses pensées furent interrompues par l'arrivée des serveurs avec des assiettes pleines de délicatesses, préparées et servies avec grand art. Les dames savaient quoi commander et les hommes les félicitèrent.

Et le goût des plats ravit les gourmands, comme il fut d’ailleurs prévu.

- Je pense que le chef a deviné les pensées et les goûts de nos dames, parce qu’il sert précisément les plats désirés. Félicitations! Ou, mieux encore, on vous remercie! leur dit Paul. Je vais transmettre des remerciements aussi au chef Eugène.

- Je suis d'accord avec toi, dit Paul à Phillip, en buvant une gorgée de vin blanc. La piste de danse est encore libre. Ma chère, acceptes-tu mon invitation?

- Bien sûr, répondit Yvette, contente. - Nous aussi, nous avons envie de danser, c'est notre fȇte,

dit Mireille, en attendant que son mari tire sa chaise pour se lever de la table.

La soirée continua dans la même atmosphère de bonne humeur et, vers la fin du festin, furent amenés le café et le cognac.

- Chers amis, leur dit Phillip, à la fin d'avril on célèbre en Espagne, Saint Jordi ou San Jorge, la journée spirituelle de la Catalogne, mais aussi la journée de l'amour. En tant que récemment mariés, j’invite ma bien-aimée Yvette, d’aller à Tarragone, pour célébrer cette belle journée de la province et des

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amoureux. J'ai reçu une invitation de la part de quelques amis espagnols d'aller visiter leur belle ville.

Yvette mit la paume au-dessus de sa main, en le regardant réellement amoureuse.

- Je te remercie, mon cher. Je serais heureuse d'y aller ensemble.

Les applaudissements discrets des compagnons consacrèrent l’acceptation d'Yvette.

- Je te remercie, ma chère. Si vous avez le temps et le plaisir de nous accompagner à Tarragone, nous serions heureux d'y aller ensemble, leur dit Phillip. Nous allons réserver des chambres à l’hôtel en Tarragone, ou dans la station balnéaire Salou, c’est à vous de décider.

- Nous acceptons avec joie, répondit Mark. - Nous aussi, completa Paul. - Comme je suis contente que nous allons tous ensemble,

dit Beatrice. J'espère, poursuivit-elle, que nous ne participerons pas à d’aventures policières à Tarragone. Parce que vous avez participé à des telles actions dans la plupart des voyages faits à l'étranger. Comme si vous les provoquez.

- Les actions dont tu parles, ont fait notre séjour plus excitant. On ne s’est jamais ennuyé, répondit Yvette, en souriant.

- Je comprends. Je pars tranquille parce qu’on y va, mais pour célébrer le fȇte de la Catalogne et de la Saint Valentin.

- Qui peut savoir? Les yeux de Mireille brillaient, comme si elle anticipait un séjour palpitant.

Le matin du départ vers l'Espagne, dans la maison

familiale de Chamont du quartier Mont Boron, était une grande agitation. Et cette agitation fut provoquée par nul autre que Brice, le fox-terrier maître absolu de la maison. En voyant les

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bagages prêts et ses amis Phillip et Yvette en train de partir, il aboya court, plusieurs fois, fâché qu'il est négligé. Habitué d'être leur compagnon presque dans tous les voyages, il sentit tout de suite qu'ils allaient quitter sans lui.

Il courut à Phillip, aboya deux, trois fois, puis se rendit à Yvette pour la gronder aussi. En voyant qu'il ne réussit pas, il s'arrêta devant la femme de ménage, madame Lisa et aboya deux fois plus lentement, tendrement, comme pour lui demander d’intervenir pour lui. Il ne réussit ni avec ce geste, en plus, les trois se mirènt à rire de lui. Comme un dernier argument en faveur du départ, il sauta dans les bras de Phillip, qui le prit instinctivement comme à une balle. Brice embrassa sur l'oreille son ami humain. Ce fut la marque suprȇme de son profonde affection pour ses amis.

- Brice, tu resteras ici avec Madame Lisa. Nous reviendrons bientôt. Eh, bien?

Brice le regarda dans les yeux, en comprenant le message. Il l'embrassa à nouveau sur l’oreille et après, il lui fit savoir qu’il veut sur le sol. Il s’assit devant Madame Lisa, aboya brièvement, en lui disant qu’il reste avec elle, mais qu’il est le chef.

- Nous pouvons partir rassurés, soupira Yvette. Elle regrettait aussi de ne pas pouvoir emmener le garçon Brice. Il leur manquera.

Le voyage en avion a duré moins d'une heure et ils ont

atterri sur l'aéroport de Reus. C'était un avion de huit places, loué d’une société de taxi-jet de Nice, qui viendra les prendre quand ils décideront. Probablement dans trois ou quatre jours.

De l'aéroport à l'hôtel Landéros, ils voyagèrent en minibus, assuré par le personnel de l’hôtel. La route traversait une plaine dénivelée, avec des parcelles de terrain bien

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labourées. «Région des gens diligents» pensa Phillip, en regardant par la fenêtre de la voiture. Il s’est assis du côté droit du minibus, près d’Yvette et admirait le paysage. Soudain, le chauffeur du minibus, freina brusquement en bouleversant les passagers.

Deux silhouettes, deux cavaliers sur des chevaux blancs, des figures à peine dessinées dans la lumière du soleil, s’éloignèrent à travers le champ après avoir traversé la rue devant le minibus.

- Pardonnez-moi, s'il vous plaît, j'ai été aveuglé par les rayons du soleil, on entendit la voix du chauffeur, qui avait déjà mis en mouvement la voiture.

Yvette, assise à côté de la fenêtre, étonnée, regarda interrogativement Phillip. Celui-ci, tout aussi surpris, regarda à tour de rôle Yvette, puis l'endroit où ils devraient être les cavaliers et encore une fois, Yvette, les yeux écarquillés. Aucune trace de cavaliers, ils ont disparu tout aussi rapidement et inexplicablement tels qu'ils sont apparus.

- Est-ce que j'ai des visions? demanda Yvette. - Moi aussi j'ai des visions, tout comme toi. Les autres passagers parlaient sans avoir remarqué

quelque chose. - Peut-être que nous sommes fatigués, dit Phillip. Nous

allons arriver immédiatement à l'hôtel et nous allons nous reposer.

Salou est une station balnéaire renommée, située sur la Costa Dorada, à environ une dizaine de kilomètres au sud de Tarragone. Le petit village Salaudis, connu depuis l'époque des Grecs et des Romains, était assimilé à la ville de Tarragone, qui assurait son administration. Favorisé par un golf propice à l’accostage des embarcations de faible tonnage, il s’est développé comme un point de connexion avec d'autres petits

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ports sur la côte ouest de la Méditerranée. Vers le XIIe et XIIIe siècles, le port et le village furent souvent pillés, tout comme Tarragone, par les pirates arabes, ce qui a rendu nécessaire l’élaboration d’un système de défense. Celui-ci était fourni par l'armée de la Province de Tarragone. À Salou aussi, fut construit au XIIe siècle, un petit fort avec une tour de défense, sur les ruines de la tour romaine.

De nos jours, Salou est devenue une belle station touristique, où, le parc aquatique et les festivals organisés toute l'année, assurent des possibilités de divertissement pour les touristes de tous âges.

C’étaient seulement quelques mots de présentation que le guide de l‘hôtel leur avait indiqué en minibus, pendant le transport.

- En effet, belle station, remarqua Mireille, quand ils s’arrêtèrent devant l'hôtel. Et l’hôtel semble magnifique.

L‘hôtel Landéros, situé à proximité du centre de la station, pas loin de l'ancienne tour de défense, c’était un immeuble de cinq étages, construit dans les années 1980, quand le tourisme a ressurgi dans la région. Il a été également conçu et construit comme un hôtel de luxe, étant le premier hôtel avec des dotations qui dépassaient le confort requis par la nomenclature pour les hôtels cinq étoiles.

Modernisé en permanence, avec des équipements de dernière génération, il attirait les touristes qui savaient apprécier le confort, la modernité et le calme. L’accès limité, la piscine extérieure cachée aux yeux des curieux et la clôture opaque assuraient l’intimité des visiteurs.

En descendant de la voiture, les touristes français entrèrent par le portail dans le jardin petit, beau et plein de fleurs et pour entrer dans le hall de l'hôtel, ils traversèrent une allée en marbre concassée. De là, ils furent conduits dans le salon pour

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servir des boissons rafraîchissantes, en attente des bagages transportés directement dans les appartements réservés pour eux.

À la surprise de Phillip, ils furent attendus à l'entrée de la salle par ses amis, M. et Mme de Landéros.

- Rodrigo, Isabel, les salua Phillip. Je suis ravi de vous voir et je vous remercie pour l'invitation.

- Soyez les bienvenus, Mesdames, Messieurs, les salua M. Rodrigo de Landéros.

- Permettez-moi de faire les présentations. Phillip se tourna vers les nouveaux venus: M. et Mme Landéros, nos aimables hôtes, nos chers amis.

Ensuite, il présenta leurs amis de Nice, chacun séparément.

- Isabel, je suis heureuse de te revoir et de remarquer que tu as une mine florissante, lui dit Yvette, en l’embrassant.

Rodrigo, de taille moyenne, peut-être un peu plus petit, bien fait, avait environ trente ans. Brun, le visage allongé, les yeux marron, le nez aquilin, il avait une figure séduisante. Son épouse, Isabel, plus petite que lui, agile, avait environ vingt-cinq ans. Brune aux yeux noirs, visage ovale, elle était particulièrement belle.

- Nous nous réjouissons et nous sommes honorés de votre visite. Les bagages ont été montés dans les appartements. Nous espérons qu’ils vous plairont, ils donnent tous sur la mer, à l’entresol. Après l’accomodation, on vous attend dans le salon pour une collation et pour établir le programme du séjour. Vous avez, à tout instant, un majordome qui est à votre service et assure votre confort.

- Nous sommes des invités privilégiés? demanda, en plaisantant, Phillip.

- Si l'amitié est un privilège, alors, oui. Mais nous sommes aussi privilégiés de vous avoir ici, répondit Rodrigo.

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Tous nos visiteurs séjournant dans les appartements ont des majordomes à leur service. C'est une règle de la maison.

- Merci, Rodrigo. Nous montons, on se revoit plus tard? - Bien sûr. On vous attend. - L’hospitalité espagnole ne se dément pas, remarqua

Paul, avec satisfaction. Dans moins d'une heure, les invités de l'hôtel Landeros

se trouvaient dans un autre salon, pour une collation à la Catalogne. Pendant qu'ils mangeaient un tapas, associé avec un mousseux Cavas, segñor Rodrigo de Landéros leur offrit quelques informations sur la fête de San Jordi et le programme proposé par lui pour les prochains jours.

- San Jordi, San Jorge pour nous, est la fête de la Province de Catalogne. Mais aussi une fȇte de l'amour. Vous verrez pourquoi. Mesdames, Messieurs, dans nos terres, vous entendrez beaucoup de légendes. Certaines d'entre elles sont basées sur la vérité des faits historiques, d'autres, sont issues de la sagesse populaire. Comme celle sur San Jorge. On dit qu'une petite princesse d’une région pas trop lointaine, a été enlevée par un dragon. La petite princesse, enlevée du domaine royal, fut conduite au château du dragon caché dans les grottes montagneuses, où celui-ci l’a tenue assez longtemps. Bien qu'ils aient essayé de la trouver, les sujets du roi n'ont pas pu arriver au dragon, ainsi, ils ont fait appel à l'aide du jeune Jorge. Aux supplications des parents de la fille et de leurs serviteurs, Jorge, combattant courageux et puissant, a accepté de partir dans les montagnes pour la sauver des mains du dragon. Dans la bataille qui a suivi, le dragon fut vaincu, tué par l'épée du vaillant Jorge. Du sang du dragon, tombé sur terre, a grandi une rose rouge, qui fut donnée à la belle princesse. Ainsi, Jorge, par son acte, transforma la méchanceté du dragon dans la beauté des fleurs, en amour. Le mal dans le bien. Plus tard, pour les actes chrétiens

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réalisés pendant sa vie, Jorge a été sanctifié. Celle-ci est l'histoire de San Jorge, brièvement dite. Mais son courage, son sacrifice et sa vaillance, des vraies vertus, sont restés des exemples à suivre.

- L'histoire est très belle, dit Beatrice. Et avec fin heureuse.

- Oui, très belle cette légende. Inspirés par la légende, les gens du pays ont déclaré le 23 avril, la journée spirituelle de la Catalogne. Par le symbole de la beauté et de l'amour, nous pouvons dire que c'est aussi un jour de l'amour. Et des amoureux. Tous les hommes, jeunes et moins jeunes, offrent à cette occasion une rose rouge à leurs dames. Et à toutes les dames qu’ils connaissent. Et celles-ci, donnent aux hommes un livre.

- D’où cette habitude de donner un livre, demanda Mireille.

- Le 23 avril sont morts deux titans de la littérature universelle, Cervantes et Shakespeare. Pour leur rendre hommage, les Espagnols et pas seulement eux, considèrent cette journée comme une journée du livre. Nous disons qu'un livre est plus qu'un monde. Comme la fleur, le livre éclaire nos vies.

- Très intéressante ton histoire, mon ami Rodrigo. Qu’est-ce que tu proposes qu’on fasse ensuite?

- Aujourd'hui, vous allez visiter toute la station Salou ou, mieux dit, ce que nous considérons ȇtre plus important. Le centre de la station, les boutiques des fleuristes, les stands de livres, parce que je suis sûr que vous allez faire des cadeaux. Un guide et le minibus sont à votre disposition. Le soir, après une visite nocturne de la station, nous nous réunissons au bal organisé dans les salons de l’hôtel. Les jours prochains, vous pourrez visiter les collines du nord et les pressoirs, ainsi que les objectifs les plus importants de Tarragone, Tortosa et la vallée

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de l'Ebre. Ici, vous avez le programme proposé par nous, mais qui peut être modifié à tout moment. Vous le décidez.

La porte du salon s’ouvrit et deux majordomes entrèrent, l'un portant sur le plateau plusieurs roses rouges et l’autre, plusieurs livres.

- Mesdames, leur dit le premier majordome, veuillez recevoir, s’il vous plaît, de la part de l'hôtel et du Saint Jordi, une rose rouge, comme signe de notre respect pour vous.

- Messieurs, dit le second majordome, veuillez recevoir, s'il vous plaît, un livre qui vous apporte un rayon de lumière dans cette belle journée. C'est un cadeau de la part des dames.

Enthousiasmés, les hôtes français se levèrent et remercièrent les amphytrions par des applaudissements.

- On vous remercie, répondit M. Rodrigo, les dons seront portés dans les appartements. Quand vous désirez, vous pouvez commencer la visite. Le guide vous attend.

- C’est impressionnant, chucota Yvette. Pour ce soir, nous devons aussi leur offrir des cadeaux.

Il faisait beau, comme en début d'été. Légèrement, mais élégamment vêtus, les hommes portant un pantalon clair et un veston sport et les dames en costumes tailleurs, ils s'arrêtèrent devant l'hôtel, afin de décider où aller.

- Mesdames, Messieurs, je vous propose d'aller à pied pour visiter la Statue de l'Espoir. C'est en fait un ensemble statuaire, situé près de l'hôtel, sur le site de l’ancien fort de défense, leur dit le guide, Cecilia Mendez, une jeune femme d'environ vingt-cinq ans. De taille moyenne, brune, le teint foncé, elle avait une diction de professionnelle.

- D'accord, qu’en pensez-vous? demanda Yvette. - On est d’accord, si Mlle nous recommande cela. Dans la rue large, très propre, il y avait quelques dizaines

de touristes. La station était splendide, propre, ornée pour la

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célébration du printemps. Il y avait partout des palmiers et plusieurs fleurs, multicolores. Les hôtels rénovés, récemment peints à l'extérieur, paraissaient neufs et la fusion des styles architecturaux enchantait l’oeil. " C’est encore la période de basse saison, avec peu de touristes, mais conserve l'apparence de luxe et de tranquillité. Et les touristes, très bien habillés, confirment l'esprit exclusiviste, élégant et raffiné de la station balnéaire pendant cette période. Élégant, calme et reposant. Exactement ce qu'on cherche en vacances.” C’étaient les mots qu' Yvette chuchota à Phillip, avant d’arriver à la statue.

À près de deux cents mètres de l'hôtel, ils ont vu le groupe statuaire et ils se sont arrêtés devant celui-ci. Le groupe représentait deux jeunes portant des habits de l'époque médiévale. Une jeune femme recevait avec sa main gauche une rose de la part d'un jeune homme. Elle tenait sa main droite sur le visage de celui-ci, comme pour le caresser. Il se trouvait devant elle, le genou droit sur la terre, la main gauche reposant sur l'épée tenue verticalement avec la pointe vers le bas et la tête haute, à la recherche de sa bien-aimée. Derrière eux il y avait deux chevaux les tȇtes tournées l’un vers l'autre, comme pour se regarder.

L’ensemble statuaire exprimait un sentiment de paix et d'amour.

- Ici on ouvre les célébrations du San Jorge, dit le guide. La femme est Melissa et son bien-aimé, Lopéz. On dit que la statue représente le moment de leur mariage mais, comme il est déjà consacré, c’est l’image de l'amour éternel. Les chevaux, sont leurs compagnons et protecteurs et imaginent l'amour universel. Au-delà des gens et des animaux, se trouve l’amour qui est le plus proche de l'amour divin.

- Quelle représentation incroyable, dit Beatrice, absorbée par les deux jeunes gens. Ils paraissent vivants et leurs yeux

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reflètent la lumière de l'amour. Et les chevaux se regardent comme deux amoureux. Incroyable!

- Vous avez bien remarqué, les deux chevaux se font des déclarations d'amour. Ils sont Mia, la fille de Melissa et Ebo, le garçon de Lopéz, leurs chevaux bien-aimés. On raconte beaucoup d’histoires sur l'amour et les aventures chevaleresques des deux jeunes, histoires qui, paraît-il, reposent sur des faits vrais. Si vous touchez une des statues, la femme ou l'homme et vous faites des voeux, cela apporte bonne chance en amour. Le désir s’accomplit.

- Ça fonctionne vraiment? - Oui, Madame, répondit la guide à Mireille. Moi, d'une

part, je peux la confirmer. Et quelques autres gens que je connais, ils peuvent aussi la confirmer.

- Alors, faisons nos voeux, dit Mireille mettant sa main sur la tête de la statue représentant Melissa. Béatrice et Yvette la suivirent, avec des sourires méfiants.

- Ayez foi en Melissa, Mesdames. Elle a aidé tous les gens quand elle était vivante et soi après sa mort.

- Que voulez-vous dire? - La bien-connue légende des héros-fantômes de

Tarragone fait référence justement à eux, à Melissa et à Lopéz. - J'ai entendu parler ou lu sur cette légende, mais

seulement comme référence. Je ne la connais pas, dit Phillip. Est-il possible d’en apprendre plus?

- Il existe plusieurs variantes, Monsieur, répondit la guide. À mon avis, Monsieur de Landéros peut vous en dire plus. Moi aussi, je connais une des variantes et je peux vous la présenter ces jours-ci.

- Mais y a-t-il des livres sur la légende de ces jeunes? - Je ne sais pas. Je n'ai trouvé rien écrit. Peut-être vous

pouvez la trouver dans les documents anciens, médiévaux.

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- Très intéressant. Je deviens de plus en plus intéressé par cette histoire.

- Moi aussi, le rejoint Yvette. On a le temps de se renseigner, n’est-ce pas? Nous nous trouvons dans la région de la légende.

- Eh bien, si vous êtes d’accord, nous continuons notre visite à travers la station. Nous avons tellement de choses intéressantes à voir.

Fatigués, mais heureux des choses vues et entendues ce jour-là, ils ont regagné l'hôtel environ 8 heures du soir. Les femmes, en particulier, furent ravies du programme du jour, des achats faits et des preuves d'affection reçues de leurs maris.

- Je demanderais trop si je voulais qu’il soit Saint Jordi tous les jours, hein? dit Beatrice, sur un ton sérieux. Ensuite, toutes les trois éclatèrent de rire.

- On se prépare pour le bal? À quelle heure nous nous réunissons?

- Moi, je peux être prête pour le bal en une heure, répondit Mireille. Mais nos maris?

Les hommes conversaient un peu plus en arrière, dans le couloir.

- On décide entre nous, dit Yvette. À dix heures nous quittons les appartements.

- Très bien. La salle de bal était grande, pour environ deux cents

personnes, mais, au moment où les invités français sont arrivés, il n'y avait plus de cinquante paires, environ une centaine de personnes. Tous les touristes séjournant dans l'hôtel, selon les dits de Mme Isabel de Landéros. Élégamment habillés, les dames portant de longues robes de soirée et les hommes des smokings, ils honoraient comme il se doit, une telle célébration des habitants de la Catalogne. Accueillis à l'entrée du salon, ils

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furent conduits à l'une de grandes tables rondes, située au milieu du salon, où ils étaient attendus par Rodrigo et Dona Isabel de Landéros, comme les appelait Phillip, protocolairement.

Les hommes, avec des gestes élégants, offrirent une rose rouge à Mme Isabel de Landéros et les dames, un livre à M. Rodrigo.

- Nous aimons tous votre famille, leur dit Béatrice et nous essayons de respecter l'habitude de la région, afin d'exprimer ces sentiments.

- Merci, vous êtes tous très gentils. Je suis contente de vous avoir comme des amis. C'est une grande joie d'être entouré par de personnes telles que vous.

- Et nous sommes heureux de vous avoir connu, Isabel. Je pense que les touristes réjouissent aussi de votre bonté, c'est pourquoi ils viennent en si grand nombre chez vous.

Les touristes, venus des dizaines de pays se sont immédiatement adaptés au programme et au menu du bal, organisé dans le style espagnol. Le programme varié, avec de la musique de différents genres, avec des danses spécifiques à la Province, représentées par des troupes professionnelles, mais aussi la danse pour les gens attablés, enchanta tout le monde. Et le menu, typique à la Catalogne, fut apprecié par des applaudissements, en présence du Chef de l'hôtel.

En profitant d'une pause, Phillip ne put s’abstenir d’interroger son ami Rodrigo sur la légende des fantômes de Tarragone.

- Vous avez visité Melissa et Lopéz, devina celui-ci la source de la curiosité de son ami.

- Oui, nous y sommes allés et on nous a impressionné l'histoire des deux héros amoureux.

- Tu l'as bien dit: héros amoureux. Ils sont deux fois des héros. Les héros de l'histoire médiévale catalane, espagnole et

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les héros de l’amour éternel, véritable. Des héros immortels, ainsi que leurs faits et sentiments. C'est pourquoi ils sont devenus de véritables légendes.

- C’est justement leur légende que je voudrais connaître. Y a-t-il des livres sur ces héros?

- Non. C’est une légende populaire, transmise oralement de génération en génération, particulierèment dans les régions rurales.

- Mais y a-t-il un noyau de vérité? - Bien sûr. Leur légende est basée sur des faits réels, du

XIIe siècle. Certains faits et événements sont historiquement attestés. Mais, comme dans toute légende, il y a peut-être des éléments de l'imagination populaire.

- Si tu me racontes cette légende, je vais programmer une visite dans les lieux où ces héros catalans ont vécu.

- Volontairement. Le minibus et le guide sont à ta disposition pour te conduire vers les endroits où ils ont vécu et combattu les deux jeunes gens.

- Dis-moi, ont-ils vraiment existé? - Oui, tous ceux qui connaissent leur légende soutiennent

cette chose. Il existe aussi quelques références écrites de la période de leur existence.

- Mais ont-ils des descendants? On les connaît? - Probablement qu’il existe des descendants, mais, pour

autant que je sache, personne ne les a pas cherchés. C'est un travail laborieux de faire cela, une véritable recherche historique.

- Veux-tu m’aider? - À faire quoi exactement? Est-ce que tu veux trouver

leurs descendants? Mais tu ne connais pas le dialecte, ni les endroits où pourraient être les documents se rapportant à eux.

- J'ai une raison fondée.

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Rodrigo regarda Phillip intrigué. Celui-ci regarda, à son tour, interrogativement Rodrigo puis tourna son regard vers la coupe de vin Rioja, qu’il tenait dans sa main. Il contemplait le vin, pensif et silencieux. Est-ce qu’il cherchait une réponse dans cette boisson comme un sang de la terre? Ancienne boisson, produite par les Ibères depuis des siècles.

- Je les ai vus, Rodrigo. J'ai vu les fantômes de Tarragone en route vers l'hôtel. Je pense qu’il voulaient attirer mon attention et celle d’Yvette. Leur histoire doit être racontée, Rodrigo, la faire connaître à tous les descendants des anciens espagnols. Et aux amoureux, pour apprendre l'histoire de leur amour, de leur espoir et de leur héroïsme. Ils actualisent les anciennes valeurs espagnoles, celles de los caballeros hidalgos. Les valeurs de la famille et de l’amour qui forment la base de la société. Celles d’une bonne éducation, fondées sur le Bien et la Beauté, sur des traditions transmises de génération en génération, les traditions de ceux nés et élevés au fil du temps dans ces terres ibériques bénies. La bonne éducation, qui s’acquiert et se développe au cadre d’une famille avec une longue tradition dans ces terres. Et c’est justement cela la tradition, la permanence et la continuité des gens dans toutes les terres espagnoles, avec leurs habitudes et leurs lois, héritées, pas empruntées. C’est ainsi partout dans le monde, y compris chez nous, en Provence. On l’appele la loi du lieu. Mais tu connais ces choses-ci, car ta famille vit depuis des siècles dans ces terres.

- Bien sûr que je les connais. Mais tu vois, préoccupé par bien d'autres choses, je ne les ai pas eues à l'esprit si souvent, tout comme toi. Tu as raison, la légende de nos ancêtres espagnols doit ȇtre racontée. Et, pour que tu le saches, nous, les Espagnols, respectons et vénérons les vieilles habitudes et traditions, notre histoire héroïque.

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- Tous ont remarqué cela et vous êtes un exemple à suivre. Je vois qu’il y a de nombreux festivals traditionnels historiques organisés en Espagne, dans toutes les villes, grandes ou petites. Et cela attire des millions de touristes, qui ont beaucoup à apprendre de vous.

- Excusez-moi. Mon cher, la danse commence, les interrompit Yvette. Les autres sont déjà sur la piste de danse. Derrière elle, Isabel regarda les hommes d’une manière tendre mais réprobatrice.

- On vous demande le pardon, répondit Phillip. C'est ma faute. Qu’en penses-tu, Rodrigo, on y va?

- Naturellement. J'espère que nous soyons pardonnés. Ton sujet passionnant m'a fait oublier où nous nous trouvons. Encore une fois, je vous demande le pardon, Mesdames. Puis, doucement, en chuchotant à Phillip: - Demain matin, au petit déjeuner, on réfait le programme de la visite.

- Je te remercie. Le lendemain, le petit déjeuner fut servi un peu plus tard,

pour permettre aux clients de l'hôtel de se récupérer après cette nuit-là de la Catalogne et de l’amour. Le menu du petit déjeuner était varié, espagnol, comme ils avaient demandé les invités depuis le premier jour de leur séjour. Plusieurs plats furent préparés d’après des recettes traditionnelles à la choix: de tostada-pan con aceite, churros, des morceaux délicieux de jamon iberico, chocolate con churos et quelques autres de la cuisine aragonaise et des terres du sud. Il y avait aussi plusieurs marques célèbres de café, préparés au filtre ou expresso, y compris le café con leche.

- Pendant que nous buvons le café, leur dit Rodrigo, je vais vous raconter ma variante de la légende des fantômes de Tarragone. Par la suite, vous déciderez quoi faire aujourd'hui et où aller. D'accord?

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- Je suis impatiente d'entendre cette histoire, affirma Beatrice, prête à l'écouter.

- Moi aussi. Yvette sirota du café, contente de son goût, elle aussi prête à écouter le récit des héros-fantômes.

- L’histoire des fantômes commence il y a plusieurs siècles, commença Rodrigo. Il avait une voix agréable, de baryton et utilisait un ton de narrateur. Il était un vrai acteur.

Donc, vers le début du XIIe siècle, lorsque la Province de Catalogne était à peine mentionnée dans les documents de l'époque en tant que région autonome, les familles des seigneurs se trouvaient en pleine guerre contre les Maures, pour la Reconquista des territoires ibériques. Mais leur vie ne se résumait uniquement à la guerre et aux batailles, ils vivaient comme toute famille normale. Ils tombaient amoureux, se mariaient, faisaient des enfants et quand leur temps arrivait, ils finissaient avec la vie terrestre. Dans une de ces familles de nobles espagnols naquit une fille, qu'ils nommèrent Melissa. La même année, au château des grands-parents de Melissa, naquit un garçon, Lopéz, le fils d’une servante de cette famille.

L'histoire s'annonçait captivante et les dames, surtout, s’assirent confortablement sur des chaises, soutenues par de hauts dossiers. Elles oublièrent du café et au fur et à mésure qu’elles écoutaient la description des événements, elles soupiraient, les yeux remplis de larmes. Elles revivaient ces événements tragiques, étaient auprès des membres de la famille durement éprouvée, selon la description du narrateur.

Don Rodrigo, conteur talentueux, conclut l’exposition après quinze, vingt minutes.

- Voici, brièvement, la légende de nos héros tarragonais. J'espère que ça vous a plu.

- Cela m’a impressionné jusqu’aux larmes, lui répondit Yvette.

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- À moi, ça m'impressionne chaque fois que je l'écoute, la compléta Isabel. Je revis l'histoire de Melissa et de Lopéz. Mais, Mesdames, Messieurs, l'histoire ne finit pas ici, continua Isabel, sur un ton qui augmenta l'intérêt et la curiosité de l’auditeur. Oui, l'histoire continue.

- Isabel a raison, affirma Rodrigo. Au fil du temps, même de nos jours, ont a parlé de différentes apparitions des deux fantômes et parfois de leurs compagnons. Oui, ne me regardez pas comme ça. On dit, qu’au cas des injustices, ou à l'occasion des événements importants de notre histoire, les fantômes sont apparues pour faire justice aux défavorisés. Même pendant l'embarquement de l'armée du roi James Ier d'Aragon, en 1229, qui partait pour conquérir les Îles Baléares, les fantômes de Tarragone l’ont défendu contre une tentative d'assassinat. Elles sont apparues plusieurs fois afin de lutter contre les pirates, pendant le quatorzième siècle et les siècles suivants.

- C’est difficile à croire, dit Mireille méfiante, même peureuse. Voir apparaître des fantômes? Les voir se battre? C’est impossible.

- Pas seulement cela, continua Rodrigo. Cet hiver, il est arrivé un incident incroyable. On a eu une tempête en mer venue du large et qui a surpris la plupart des navires et des bateaux de Tarragone, sortis à la pêche. Quatre pêcheurs de l’un des bateaux en détresse ont prétendu, même juré, qu’ils ont été sauvés par les fantômes Melissa et Lopéz. Quand le bateau a été renversé par les vagues et la mer les a avalé, leur dernière pensée s’est dirigée vers Dieu, pour demander de l'aide. Tout ce qu’ils savent, selon leurs dits, c’est que deux fantômes, deux anges lumineux se sont approchés d'eux dans les eaux de la mer. Ils ont perdu connaissance et se sont réveillés par la suite, sur le bord rocheux, allongés l’un à côté de l'autre. Les fantômes,

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selon eux, ressemblaient à Melissa et Lopéz, tels qu'ils apparaissent dans le groupe statuaire. Ce n'est pas la seule histoire dont les héros sont nos fantômes. Des dizaines d'autres histoires sont racontées par les habitants.

- Incroyable! s'exclama Paul. Tout ça, semble irréel. - Oui, c'est émouvant, dit Phillip. C'est une partie de

l'histoire de la province, d’hier et d’aujourd'hui. Je pense à une description plus détaillée des faits de l’époque, pour mieux comprendre ce qui s'est passé et pour trouver une explication aux événements de nos jours. Rodrigo, pourquoi n’explores-tu pas les documents de l’époque afin de réaliser cette description, plus réelle et approfondie? C'est une histoire d'amour extraordinaire mais aussi de l'héroïsme. Elle appartient à l'histoire de l’Espagne, de la Catalogne.

- Je pourrais essayer, Phillip, mais je n'ai pas penchant pour l'écriture.

- Bien, mais tu racontes particulièrement beau, d'autant plus que le français n'est pas ta langue maternelle.

- Je sais ce que je dis. Mais nous pouvons faire autrement. Je rassemblerai les documents et les descriptions des habitants et tu écriras l’histoire. J’ai lu tous tes livres, tu es très talentueux.

- Tu as bien pensé les choses, Rodrigo. J'allais te suggérer cet aspect, intervint Mark.

- C’est que nous sommes en vacances et nous voulons voir ces beaux endroits. Pourquoi ne pas aller visiter les endroits où Melissa et Lopéz ont vécu? demanda Yvette. Il serait intéressant de voir les lieux où se sont passés les événements racontés. Qu’en pensez-vous?

- Si. Je voudrais voir des endroits dont je connais l'histoire. Même partiellement, d’autant plus les lieux où habitaient Mélissa et Lopéz, desquels je me sens déjà liée.

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Béatrice était enthousiasmée et on sentait l'émotion dans ses paroles, chose qui influença tous.

- Bien, Rodrigo y consentit. Pour commencer, vous irez visiter les stations balnéaires de la Costa Dorada. Et demain, vous irez à Tarragone. Le guide vous donnera tous les détails que nous, tous les habitants connaissons. D'accord?

- Bien sûr, je ne voulais que ça. - Les jours qui viennent, vous visiterez le château La

Suda, de Tortosa et les environs de la belle ville sur l'Ebre. - Excellent, apprécia Paul. - Entre temps, je vais chercher des documents anciens,

qu’on va traduire en français. Jusqu’à la fin de votre séjour à Salou, tu auras le matériel documentaire pour les premiers chapitres du livre. Tu sauras le début de l'histoire qui a servi comme base de la légende.

- Merci, Rodrigo. Phillip fut impressionné par l'implication de son ami

quant à la légende des fantômes d’ici, de Salou et Tarragone. Il était impatient d’apprendre les faits et les événements qui ont marqué la vie dramatique des héros Melissa et Lopéz.

Chapitre II

Le domaine de Vetéro

Le printemps de 1129, la Province de Tarragone

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Le domaine de Castillo Vetéro s'étendait sur la pente est des Montanyes de Prades, pente douce, recouverte par endroits des forêts denses, pleines de gibier. Des surfaces de terrain pierreux, stérile, s’intercalaient avec des plaines couvertes d'herbe vigoureuse, grasse, bonne pour les animaux des troupeaux du seigneur. Les zones favorables à l'agriculture étaient assez grandes, ainsi que le vert cru d'orge et de l’avoine, enchantait non seulement les yeux du propriétaire du domaine, mais aussi ceux des voyageurs. Mais la fierté du seigneur étaient les vergers d’oliviers, étendus sur des centaines de bras. Selon ses dits et ceux des voisins, de ses vergers on récoltait les meilleures olives et on obtenait la meilleure huile, cherchée aussi par les nobles de Barcelone.

Du château du seigneur, élevé au sommet de la colline sur un des versants doux de la montagne, la route, recouverte de pierres concassées, descendait onctueusement pour quasi une lieue et ensuite suivait en ligne droite une large vallée. De là, elle suivait la rivière vers le sud-est et montait doucement, de nouveau, la colline, jusqu’au petit village de Reus.

L’établissement avait été créé par des Romains, d’après les dits des seigneurs, mȇme avant la naissance de Jésus, à l'intersection des routes principales. Le domaine de Vetéro n’était pas annexé à Reus et, comme tout fief, conservait son autonomie. Il avait seulement quelques surfaces de terrain arable, qui appartenaient à l'ancien village de Reus.

Avant d'arriver dans la vallée, la route était bordée, une bonne distance, par la forêt, puis par les plaines à pente douce, au-dessus desquelles on voyait au loin, les pics montagneux, boisés. Même en hâte, c’était impossible de passer sans observer la beauté particulière des lieux et le silence profond, auxquels on ajoute l'odeur inconfondable de la forêt. Les fleurs multicolores qui couvraient les prés, étendues depuis le bord de la route vers

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la vallée, ressemblaient à certains endroits de paradis, dans l’imagination des gens.

Les seigneurs du domaine de Vetéro, mais aussi des certaines zones de Reus, étaient Don Rodrigo et Dona Isolde, sa femme. Le père de Don Rodrigo, noble, caballero hidalgo, avait reçu le domaine comme un don de Don Ramon Berenguer IIe, comte de Barcelone, le gouverneur de la province et des terres appelées Catalonis.

Le don avait été fait par le comte en signe de remerciement pour la bravoure de Don José Rodrigo et de ses soldats dans les batailles contre les conquérants maures. Ces luttes ont permis la récupération d'une partie des territoires du sud de la province de Catalonis, à la satisfaction du comte. Don José Rodrigo a accepté ce don et a promis qu'il participera activement à la défense de la frontière sud de la province qui se trouvait à seulement quinze lieues de son domaine. Après la mort héroïque de son père, Don Rodrigo le fils, continua à régner et à administrer le domaine.

Pour près de six mois, au château habitaient aussi le fils de Don Eduardo de Vetéro, avec sa fiancée, Dona Silvia de Gadára. Il y a quelque temps, Don Eduardo a combattu dans le Royaume d'Aragón, en tant qu’envoyé du comte de Barcelone.

Dans les quelques années de gouvernement du domaine de Vetéro, Don Rodrigo a réussi à peupler les trois villages du domaine, Vetéro, Reus et Salbria, en déménageant des paysans du nord de la Peninsule Ibérique. Il a ramené, avec de bonnes promesses, une partie des résidents qui s’étaient enfuis de la région par crainte des Maures. Par le repeuplement du domaine et par le paiement correct des travailleurs, mȇme par l’octroi à certains d’entre eux du droit de pleine propriété des terres, le seigneur a réussi à développer le domaine et à apporter de la prospérité pour tous ses habitants. L'exemple du seigneur fut

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suivi aussi par d’autres nobles locaux de sorte que dans toute la région on commençait à voir les signes de la richesse.

Malgré tous les dangers existants à cause des incursions maures du sud, les commerçants ont commencé à circuler sur les routes de la région, en apportant des marchandises du nord, de la Provence et tournant chez eux avec des produits agricoles de la province de Tarragone. Ainsi, beaucoup de routes de la province furent réparées, la vie des habitants se déroulant presque normalement, même s'ils étaient tous prêts, à tout moment, de la défense.

Un jour d'avril 1129, un peu avant midi, sur la route qui descendait la pente de la montagne du côté du Château de Vetéro, s’approchait un groupe assez nombreux de cavaliers, caballeros et soldats, bien armés. Il y avait environ soixante personnes à la tête desquels se trouvaient deux jeunes hommes. L'un d'entre eux, à peine sorti de l'enfance, avait environ seize ans, de taille moyenne, avec un corps d'athlète et le visage ovale qui mettait en évidence son nez de Romain. Les cheveux bruns, épais, il les portait coupés au-dessus des épaules. Il était habillé avec des vêtements légers, des pantalons marron en laine, serrés sur la cuisse et des bottes en cuir de chèvre, une chemise blanche, au-dessus de laquelle il portait le gilet en cuir de buffle. Ses armes étaient l'épée et le bouclier. C’était le jeune vicomte Ramon Berenguer de Barcelone, le fils du comte Ramon IIIe, souverain du comté de Barcelone et de quelques autres provinces, appelées Catalonis.

L'autre jeune homme, un peu plus agé que le vicomte, avait environ une vingtaine d'années. Lui aussi de taille moyenne, il était bien fait, les cheveux noirs, coupés court. La barbe bien rasée laissait à la vue le visage presque ovale avec un teint olivâtre. La moustache épaise lui donna une apparence déterminée, dure, mais les yeux bleus démentissaient la dureté

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du visage, en révélant un ȇtre joyeux, sociable. Celui-ci était Don Eduardo de Vetéro, le fils du seigneur Don Rodrigo. Lui aussi était légèrement habillé. La légèreté des vêtements des deux jeunes contrastait avec les habits des soldats compagnons, bien armés, prêts comme pour la bataille.

Du départ du château, les jeunes parlèrent de toute sorte de choses et ainsi, le temps passa assez rapidement. La route descenda vers une large vallée, ensuite continua tout droit pour environ une lieue et commença à monter vers le village de Reus. Le champ ouvert fit les soldats se déplacer plus détendus, tout rapprochement des détachements maures pourrant ȇtre observé à temps.

- Don Eduardo, on peut voir encore sur le visage de Votre Grâce, que vous êtes un homme heureux, lui dit le vicomte Ramon, d’un regard gai, souriant. Je suis heureux pour m’avoir invité à être près de Votre Grâce, de Dona Silvia et de toute la famille, en ces moments de bonheur.

- Don Ramon, n'oubliez pas que je dois à Votre Grâce le bonheur d’avoir connu Silvia de Gadára. Donc c'est tout à fait normal que Votre Grâce soit notre témoin d'honneur, notre parrain, n’est-ce pas?

- Vous avez raison, mais n'oubliez pas que Votre Grâce m’a promis de me permettre baptiser le premier enfant que vous aurez.

- Bon Dieu, comment pourrais-je oublier une telle chose, Don Ramon?

Une semaine auparavant sur le domaine de Castillo Vetéro, fut célébré le mariage de Don Eduardo de Vetéro avec la jeune et belle Silvia de Gadára, le parrain étant le fils même du comte de Barcelone, Don Ramon. L’événement béni fut honoré par la présence d’un grand nombre des nobles locaux, mais aussi des certains nobles venus de la Cour du roi d'Aragón, Ramiro.

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Certains d’autres vinrent de la Cour de Barcelone, en accompagnant Don Ramon. La fête dura toute une semaine, à la grande joie des participants, mais aussi des sujets du domaine, qui eurent leur part de célébration. Furent organisés des repas aussi pour les habitants dépendants ou paysans libres, le seigneur montrant ainsi que son intérȇt s'étendait sur tous ceux qui vivaient et travaillaient sur son domaine.

Pour divertir la noblesse furent amenés des artistes de cirque et des troubadours de Barcelone, des Pyrénées et mȇme de Provence. Il fut organisé aussi un tournoi et pour les habitants, deux troupes de cirque tinrent des spectacles tous les jours.

L'histoire d'amour d’entre Don Eduardo et Dona Silvia commença il y a plus d'un an.

Le roi Alfonso de Castille y Leon était en conflit, par des raisons territoriales, avec le royaume d’Aragón y Pamplona, dirigé par Alfonso Ier. Trouvé dans une situation militaire difficile, le roi Alfonso Ier d’Aragón demanda l’aide du comte Ramon Berenguer IIIe de Barcelone, le gouverneur des provinces de Barcelone, Girona Ausona, Besalú et Cerdanya.

Celui-ci accepta à soutenir son voisin avec plusieurs détachements de caballeros, dirigés par le vicomte Ramon, pour lutter contre l'armée d'Alfonso de Castille. Du sud du comté de la Catalogne, comme on appelait, depuis lors ces provinces, vinrent plus d'une centaine de caballeros et de soldats expérimentés, rassamblés dans la ville de Tarragone, par Don Eduardo de Vetéro. La campagne dura près de six mois et se termina par une bataille sanglante déroulée à proximité du village d'Estella, au sud de Pamplona. Dans cette lutte, furent blessés Don Eduardo, assez gravement et Don Ramon, le vicomte de Barcelone. Furent aussi blessés plusieurs soldats, qui devaient ȇtre soignés.

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Sur le chemin de retour, ils furent obligés de s'arrêter au château de Gadára, près de Saragosse. La santé du jeune Eduardo allait de mal en pis et sa vie était en danger, alors ils demandèrent de l'aide au seigneur Don Oreíro de Gadára. Ils prièrent le seigneur d'accueillir le blessé jusqu’au moment où il pourrait partir tout seul vers son domaine.

Le château Gadára était construit au sommet d'une colline assez haute, entourée d'un ruisseau de montagne, tumultueux et qui ne séchait jamais. Autour de la colline, avec des pentes un peu plus raides, s’étendait au loin, une dépression bordée par des collines aux pentes douces, recouvertes des forêts et d’arbres fruitiers. La dépression était une plaine riche, arrosée par les eaux de la rivière Gadára, qui s'étendait sur plus de cinq lieues. Bien qu'il eût de vastes terres, le domaine ne semblait pas être particulièrement riche. C'est parce que de nombreux habitants s’étaient enfuis de la région à cause des armées musulmanes et les peu paysans restés avec le seigneur et sa famille, ne pouvaient pas travailler la terre tout au long de la plaine.

Don Oreíro, d’environ 45 ans, grand au-dessus de la moyenne, brun, solide, était un montagnard féroce, introverti, incrédule à cause de la vie dure qu’il avait menée, mȇme dès son enfance. De petits nobles, ils ont travaillé durement le domaine, le défendant contre les musulmans et les groupes de mercenaires qui hantaient la province. Sa nature prudente l’a aidé à s'échapper de nombreuses situations dangereuses et à défendre sa famille, sa plus grande richesse.

Mme Vanessa de Gadára, sa femme, avait environ trente-cinq, trente-huit ans, de taille moyenne, mince et d’une nature ouverte, qui contrastait avec celle de son mari. Le visage ovale, brillant, les yeux noirs et les cheveux de la couleur de l'épi d’orge, montraient la beauté et la noblesse de la maîtresse

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du château. Tant le Seigneur que la Dame, portaient des vêtements simples, comme tout montagnard et celui qui ne les connaissait pas, pourrait facilement les confondre avec les travailleurs ordinaires du domaine.

Ce fut le cas de Don Ramon, qui rencontra Don Oreíro au portail du château. En voyant les soldats qui s’approchaient du château, Don Oreíro rassembla les soldats et les serviteurs du château, les arma et leur commanda d'occuper chacun sa place sur les murs et au portail. Ils furent prêts à se défendre contre les ennemis potentiels qui s'approchaient d'eux. Lorsque Don Ramon s’approcha, tout seul du portail du château, Don Oreíro sortit à son accueil, férocement, prêt à chasser l'invité inattendu.

Avec toute la diplomatie et la politesse dont il fut capable, Don Ramon s’introduit au seigneur, présenta aussi ses compagnons et lui décrivit leur situation. Seulement après s’ȇtre convaincu de ses propres yeux, Don Oreíro leur permit de passer le pont et d’entrer dans la cour et il commanda ensuite de porter les blessés dans une des salles du château.

Une fois les blessés assis sur les lits, vint aussi le médecin du château, qui lava les blessures et les lia à nouveau, avec des morceaux de chiffon propre. Selon lui, tous les blessés pourraient partir chez eux, sauf le jeune caballero, gravement blessé et intransportable. Il avait été blessé à la poitrine et il semblait que la plaie s’est infectée. Il avait des moments rares, quand il ouvrait les yeux, la plupart du temps se trouvait sans connaissance.

Du premier jour de l’apparition du blessé, Mme de Gadára s’intéressa de sa condition, en prenant la tâche de s’occuper de son traitement. Et elle n'était pas la seule à montrer sa bonté vers el caballero en souffrance. Sa fille, Silvia, l’accompagnait chaque fois et se tenait près du lit du jeune homme blessé. Silvia de Gadára avait dix-huit ans et elle

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ressemblait à sa mère, tout comme caractère et apparence. De taille moyenne, agile, elle avait hérité la nature ouverte de sa mère et était prête à tout moment pour accéder à l'aide des personnes en détresse.

Silvia aidait chaque fois le médecin à changer les pansements du blessé et à essuyer son visage transpiré, en lui chuchotant des mots d'encouragement. Après presque une semaine, il semblait que le médecin avait gagné la bataille avec la maladie du jeune blessé, au bonheur des maîtres du château. Mais vraiment heureuse fut Silvia, qui ne cacha pas ce sentiment.

Le blessé, Don Eduardo, quand commença à se récupérer et ouvrit les yeux, la première chose qu’il vit fut le visage d'un ange. " Mon Dieu, est-ce que je rêve? Les anges sont descendus sur terre pour moi? Où suis-je? "

Avec une voix douce, à peine perceptible, il posa la question: « où suis-je? »

Le médecin lui expliqua où il se trouvait et comment il est arrivé au château de Gadára. Il lui décrivit sa condition et la perspective d’y rester au moins trois semaines.

Les trois semaines, devinrent trois mois Dona Silvia n'ayant pas le courage de laisser partir le blessé. Il était toujours en danger de rouvrir les plaies, disait-elle.

Après les deux premières semaines, Don Oreíro commença à soupçonner une chose que pour sa femme est devenu évidente: les deux jeunes gens étaient tombés amoureux, leur fille ayant toujours l'initiative. Les courtes promenades autour du château, puis de plus en plus longues, ne laissaient aucune trace de doute sur les sentiments de jeunes gens. Pendant ce temps, extrêmement inquiets, arrivèrent Don Rodrigo et Dona Isolda de Vetéro et restèrent à Gadára presque un mois.

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La première partie du roman de l’amour de Don Eduardo et de Dona Silvia finit un an plus tard, quand les deux se marièrent au château de Vetéro. Comme cadeau de mariage, Don Eduardo reçut aussi le titre de Seigneur de Gadára.

Ce fut l'heureux événement auquel participèrent de nombreux nobles locaux, mais aussi des nobles venus de loin, y compris le vicomte Ramon de Barcelone. Il y avait, comme on a déjà mentionné, des nobles de la Cour du Roi d’Aragón, nobles venus avec un plan différent que celui de se divertir à l'événement béni. Ils voulaient mieux connaître Don Ramon, chose inconnue aux étrangers du Royaume.

Inconnue resta aussi la raison pourquoi ils voulaient le connaître. Ne sachant pas qu'il était observé, Don Ramon se comporta comme d’habitude, ouvertement et amicalement avec tout le monde, avec sa dignité innée. Avec une ou deux exceptions, lorsque le bon vin du seigneur de Vetéro, un vin de Reus, fit les jeunes trop joyeux.

- Don Eduardo, je ne sais pas comment passa toute la semaine. Je vous remercie pour cette belle semaine, mais aussi pour l’amitié de Votre Grâce, laquelle m'honore.

Puis, sans lui laisser le temps pour répondre à ses mots gentils, il ajouta: maintenant, considérons les affaires du comté, car on peut pas autrement.

- C’est vrai, Don Ramon, lui répondit le jeune Eduardo, en regardant le verger d’oliviers, qui s'étendait du bord de la route jusqu’aux pentes de la colline. Pour lui, les affaires du comté étaient les corvées du domaine parental. C’était le souci pour sa famille, la famille du seigneur, pour les habitants qu’il devait protéger contre les Maures. C'était aussi le souci envers le travail de la terre et l’obtention des produits indispensables pour la vie de tous les habitants. Des produits obtenus des terres du

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domaine, ils versaient la contribution appropriée au comté, nécessaire pour l’entretien de l'armée. Et sans cette contribution, de leur part et de la part des autres nobles, le comté et implicitement leurs domaines, n'existeraient pas.

- Je suis content des pensées de Votre Grâce, Don Eduardo, lui dit Don Ramon, après l’avoir écouté attentivement. Si Dieu m’aide à devenir, un jour, comte de Barcelone, je voudrais bien que vous m’aidiez à administrer la province. Notre nation a de nombreux chevaliers vaillants, mais je veux de sages conseillers, qui m'aident avec leurs conseils.

- Vos paroles m’honorent, mais je ne les mérite pas. Ces pensées ne sont pas les miennes, je les ai prises de Don Rodrigo, mon père. Je les ai retrouvées souvent dans les paroles de Don Oreíro, ce qui signifie que notre nation a beaucoup de gens sages, comme Votre Grâce l’affirme.

– Voulez-vous qu’on se dépȇche, Don Ramon? Car on nous attend à Tarragone, changea Eduardo le sujet.

- Bien, dépȇchons-nous, répondit Don Ramon, en éperonnant le cheval.

Le domaine de Tarragone, une véritable province qui s'étendait vers l'ouest, au-delà des limites du domaine de Vetéro, réjouissait d’un statut particulier, autonome, à l’est de la Péninsule Ibérique. La province avait adjoints l’établissement de Tarragone, beaucoup d'autres villes plus petites, fiefs et de terres afférentes. L'autonomie de la région était due au privilège d'être une province ecclésiastique, appartenant à l'archidiocèse de Tarragone. C’était une province monacale, propriété de l'église qui l’administrait.

Au début de l'année 1129, le Monseigneur Oleguer, archevêque de Tarragone, avec l'approbation du conclave, passa la province sous l'administration du noble normand Roberto. Celui-ci était un vaillant caballero qui avait combattu dans

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l'armée du Royaume d’Aragón, allié de la Catalogne. Le noble Roberto jura obéissance à l'Église, pour soi et ses descendants, en s’obligeant à repeupler la province, à apporter de la prospérité pour ses habitants et de la défendre contre les musulmans du sud. Ses intentions furent louables et l'archevêque les crut.

Ce jour de la mi-mars, les deux jeunes gens qui avaient quitté le château de Vetéro, étaient pressés d’arriver à Tarragone pour assister à la cérémonie d'octroi du titre de Prince de Tarragone, au noble Roberto. C’était un plaisir pour eux de rendre hommage à Roberto par leur présence, d'autant plus qu'ils le connaissaient depuis quelques années et ont même combattu ensemble dans la dernière bataille. Après la cérémonie, Don Ramon allait partir à Barcelone et Don Eduardo, retournera au château. Et les choses suivirent le cours prévu. Le printemps de 1130, la Province de Tarragone

Un an après le mariage des jeunes Don Eduardo et Dona Silvia, naquit Melissa, l’enfant de leur amour. Les habitants de Vetéro, mais aussi ceux de Reus célébrèrent l'événement avec grande pompe. Les grands-parents de Gadára vinrent avec une grande suite de leur province. Mais, comme ils avaient pensé qu'il n'était pas beau de ne pas inviter les nobles proches du Royaume, ils invitèrent aussi les voisins d’Aragón qui, pendant des jours entiers, continuèrent d’arriver au château de Vetéro. La grande surprise fut l'arrivée des cinq nobles du Royaume de Castille y Leon, venus en signe de réconciliation après les batailles des années précédentes. Ils étaient tous des Espagnols et leur ennemi commun, l'Empire maure, ne pouvait pas les diviser. C’était le noyau de l'unité péninsulaire.

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Bien sûr, le parrain de baptême, Don Ramon de Barcelone, arriva aussi au château, il y a deux jours avant le baptême, fait qui rendit très heureux les nobles hôtes.

Le baptême de la petite Melissa eut lieu en présence du Monseigneur L’Archevêque de Tarragone, Oleguer, fait qui apporta un plus de faste, mais aussi d'émotion au moment mystérieux de la christianisation de la petite fille.

Quand le prêtre de l'église termina son petit discours, où il présenta les significations de saints mystères du baptême de la petite Melissa de Vetéro y Gadára, on entendit la voix de Don Rodrigo de Vetéro:

- Monseigneur, Votre Sainteté, Honorés nobles, Messieurs, Mesdames, notre noble petite fille s'appellera désormais, Melissa de Salou. Elle est la Maîtresse du domaine de Salou que je viens d’acheter aujourd'hui en son nom, de l'Archidiocèse de Tarragone, par la bonne volonté de sa Sainteté, Monseigneur Oleguer et du Prince Roberto. J'ai annoncé dans la Sainte Église de Reus, selon la coutume, pour que toute la province connaisse le nouvel seigneur de Salou.

- Que la Province, le domaine et le Seigneur soient bénis, dit le prêtre, en faisant le signe de la croix sur toutes les personnes présentes dans l'église.

L’Église de Reus, où fut accompli le baptȇme était comblée, la foule de résidents désireux d'y être présents, s’étendait aussi sur les rues environnantes. Il semblait que jamais ne s’étaient réunis tant de nobles dans le petit village. Et en tant qu'expression de leur joie et de gratitude pour l'honneur d'être invités par Don Rodrigo, les nobles ont décidé de soutenir la construction d'une nouvelle église, beaucoup plus grande que celle existante.

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Ces années-là, le village de Reus comptait environ une centaine de maisons, petites, basses, certaines faites de troncs d'arbres, d'autres avec des murs en pierre, recouverts de petites planches taillées, ou avec de l'herbe sèche. Il y avait plusieurs maisons abandonnées par leurs habitants, qui s’étaient enfuis par peur des Maures, comme plusieurs habitants des établissements de la frontière avec l'Empire Almohade. Et pourtant, Reus était un établissement important, situé dans la dépression, avec hautes collines boisées, aux environs. Là, dans la plaine entourée par des bois, se croisaient les routes commerciales et les premiers bâtiments érigés, il y a peut-être des centaines d'années, ont été l’auberge et la chapelle. Il est dit que les Romains, à l'époque où ils dominaient ces provinces, ont construit une auberge pour le repos de leurs soldats partis à pacifier les Celtes. En fait, même le nom du village provient des Celtes, qui appellaient le lieu reddis, carrefour des routes.

L'établissement et la majeure partie des terres, les plaines et les bois appartenaient à l'Archidiocèse de Tarragone, qui, jusque-là, les avait gérés selon son pouvoir. Certains par Don Rodrigo. D'autres furent donnés au Prince Roberto. Quant à la défense du domaine et des habitants contre les vols à main armée perpétrés par les musulmans, ils pouvaient compter seulement sur les petits nobles qui défendaient leurs propres fiefs en apportant ainsi, une certaine tranquillité à ceux de Reus. Ils beneficiaient surtout, de la paix défendue par Don Rodrigo, qui a repris l'administration de plusieurs lots de l'archevêché et s’intéressait à la vie de ses habitants.

Ainsi on explique le fait que le baptême de sa petite-fille fut officié dans l'ancienne église de Reus, au château disposant seulement d’une chapelle.

Mais la petite Melissa ne fut pas le seul enfant baptisé ce jour-là dans l'église de Reus. Il fut baptisé aussi un petit garçon

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que ses parrains, Don Eduardo et Dona Silvia, nommèrent Lopéz.

Un mois avant la naissance de Melissa, la jeune et belle servante du château, Concíta, donna naissance à un garçon. Avec sa bonté innée, Dona Silvia convainquit Don Eduardo de baptiser l'enfant en tant que parents spirituels le mȇme jour que Melissa et de s’occuper plus tard de son éducation. Et Don Eduardo accepta immédiatement, en connaissant la véritable raison. La jeune servante, honteuse que son garçon n'avait pas un père connu, demanda la clémence de se retirer dans un monastère, chose qui fut refusée par Dona Silvia. Celle-ci commanda à la jeune servante de se déloger dans une chambre proche de l’appartement des propriétaires et de s’occuper des deux enfants. De cette façon, les nouveaux-nés, Melissa et Lopéz furent soignés et défendus mieux que tout autre enfant du domaine.

De l'église, les participants rentrèrent au château, où les grandes tables, les divertissements et les jeux chevaleresques tinrent plus d'une semaine. Le baptême des deux enfants apporta de la joie aussi aux habitants qui eurent leurs sauteries, organisées par la bonne volonté du seigneur Don Rodrigo. Le geste des maîtres, de christianiser un enfant né hors mariage, toucha les cœurs des habitants, qui savaient comment honorer une telle noblesse.

- Don Eduardo, lui dit le représentant des paysans du domaine, nous, les paysans libres, nous ne savons pas comment vous remercier comme il se doit pour votre bienveillance envers nous. Que le baptême et les faits de la bénie Melissa deviennent des légendes du lieu, pour la bonté et la sagesse de la famille de Votre Seigneurie.

- Qu'il en soit ainsi, M. Moreno. Mais cela, grâce à la bénédiction divine de nos terres et pas à la bonté des maîtres.

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L’automne de 1134, La Province de Tarragone

Les habitants de Tarragone apprécièrent le beau temps des dernièrs jours d’octobre, en se préparant, selon les coutumes du lieu, pour la fȇte de Todos los Santos. Le Monseigneur Oleguer, L’Archevêque de Tarragone, en plus des nombreuses tâches qu’il devait remplir, il en avait une autre, même au cours de la semaine. Il y a peu de temps, le Monseigneur s’offrit à abriter dans son archidiocèse, la réunion secrète d’entre un groupe de nobles aragonais et Ramon Berenguer le IVe, comte de Barcelone, où de la Catalogne, comme on appelait le plus souvent les provinces du nord-est de la péninsule.

La réunion secrète fut établie à la demande des nobles d'Aragón, pour d’importantes affaires du royaume et du comté et des décisions qui allaient ȇtre prises, dépendait le sort des deux provinces, c’est-à-dire du royaume et du comté.

Ainsi, à la réunion vinrent, en outre les quatre nobles d’Aragón, le Seigneur de Gadára, le Monseigneur de Tarragone, Oleguer, le comte Ramon et les deux Seigneurs de Vetéro, Don Rodrigo et Don Eduardo.

- Don Ramon, Messieurs, ouvrit la discussion Don Perèz de Gramuño, veuillez recevoir nos remerciements, ceux du roi d'Aragon et des nobles présents ici, pour nous avoir toujours montré de l’amitié, surtout dans les moments difficiles de notre royaume.

- Don Peréz, nous apprécions les mots de Votre Seigneurie et nous exprimons encore une fois, toute notre amitié, lui répondit Don Ramon.

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Ils étaient tous dans la petite salle des chevaliers du château de Tarragone, assis à une table en bois, qui contenait beaucoup de gourmandises locales: viande de bélier, fumée, jamon serano, autres plats, tapas et le vin sangria, avec ce goût inimitable de la cannelle et la menthe.

- Don Ramon, ça signifie que nous ne nous sommes pas trompés à votre égard. Donc, notre roi et quelques-uns d'entre nous, les grands seigneurs, nous avons pensé à une fusion entre le Royaume d'Aragon et le comté de Barcelone, où de la Catalogne, comme Vos Seigneuries la nomment.

- Messieurs, intervint le Monseigneur Oleguer, l'archevêque de Tarragone, cela semble une proposition qui, une fois mise en place, va changer la situation des royaumes de la péninsule et le cours de la Reconquista. Et l'église est très intéressée à apprendre plus sur ces plans, ainsi que je vous écoute avec un grand intérȇt.

- Bien dit, Monseigneur, continua Don Peréz. Comme vous le savez tous, notre sage et courageux roi Alfonso Ier, El Batallador, mourut le mois dernier, en septembre, après un règne glorieux. Il y a exactement vingt ans, il régnait sur tous les royaumes espagnols unis, Castille, Léon, Aragón, Navarre et Toledo et on l’a appelé l'unificateur. L’unité nous a rendu plus forts devant les envahisseurs. Le roi nous a donné de grands espoirs dans notre lutte contre les Maures et un grand nombre de nos pensées de la reconquista, devinrent réalité sous son règne. Bien que le roi ait laissé l’entier Royaume d'Aragon et de Navarre, aux nobles Chevaliers de Santiago, nous avons élu comme roi son frère, Ramiro IIe, le Moine, qui a accepté cet honneur. Malheureusement, les nobles de Navarre ont élu comme roi Ramírez García, qui a séparé le Royaume de Navarre de celui d'Aragon. De cette façon, la puissance de notre royaume a diminué et nous pouvons difficilement défendre nos frontières.

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- Après le couronnement du roi Ramiro, célébré à Saragosse il y a quelques jours, nous nous sommes conseillés tous les nobles comment faire pour augmenter la puissance du royaume. Ainsi, nous avons tous conclu que notre allié le plus proche est le comté de Barcelone.

- Ici, vous avez raison, Don Peréz, lui répondit le comte Ramon. Mon père fut aussi un fort allié du royaume et après sa mort en 1131, j'ai gardé les mêmes alliances pour le bien de tous.

- Nous avons pensé, Monseigneur et Don Ramon, de continuer cette alliance et d’arriver, tôt ou tard, à une sorte d'union entre le royaume et le comté. Maintenant, nous voulons avoir seulement une alliance entre deux frères appartenant à la même famille, avec autonomie totale et deux dirigeants. Le temps et les circonstances nous montreront comment il sera le mieux pour nos régions.

- Don Peréz, nous sommes d’accord, répondit Don Ramon pensif. Nous nous réunirons avec le roi Ramiro et nous allons en parler. Maintenant, vous pouvez lui dire que nous sommes honorés par ses propositions et que nous allons être ses vrais amis.

- Monseigneur, tourna le comte vers son noble hôte, il me semble que cette fête bénie nous emmène de la chance. Nous avons mis en place une alliance étroite entre deux provinces, des vraies soeurs espagnoles. Nous pensons que cela aura une grande importance tout au long de la péninsule et aidera à notre Reconquista.

- Avec la bénédiction de l'Église, Don Ramon, tint le Monseigneur d'exprimer son consentement, mais aussi la position importante qu’avait l'archidiocèse dans la région. Quant à la saite fȇte d’aujourd’hui, celle-ci ne nous apporte seulement de la chance, mais aussi la sagesse nécessaire pour la bonne

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entente mutuelle entre frères. Nous sommes heureux de vous avoir comme des invités aussi pendant la fête, Messieurs.

- On vous remercie, Monseigneur. Moi, j’ai hâte d'arriver à Barcelone, pour me signer devant Dieu à l’occasion de la sainte fête.

- Monseigneur, nous devrions aussi partir, lui dit Don Peréz. Notre roi, sa Majesté Ramiro El Monje, nous attend impatient pour connaître le résultat de notre rencontre et nous nous dépêchons pour lui parler sur la bienveillance et la sagesse du comte Ramon. Nous avions pensé de rester ici environ une semaine, mais après une telle réponse de la part du comte, nous avons hâte de la faire connaître au roi.

- Le choix appartient à Vos Seigneuries, nobles caballeros, leur répondit le Monseigneur. On vous comprend et on est d’accord avec ce départ précipité.

- Je vais rester jusqu'à demain, quand arriveront nos filleuls, Don Eduardo, Dona Silvia et Melissa. Je désire, depuis longtemps, les inviter aussi chez nous à Barcelone et maintenant c’est une bonne occasion d'y aller ensemble, répondit Don Ramon.

- On part ce soir pour le château de Vetéro, dit Don Eduardo et demain matin on arrive ici et puis, on continue le voyage vers Barcelone. Avec votre indulgence, Don Ramon.

Enfin, vint le jour très attendu par Melissa de Salou. La

petite s’est endormie préoccupée de se réveiller le lendemain matin, très tôt, pour pouvoir se préparer pour le départ. Car la crainte d’ȇtre en retard et d’être laissée au château, la terrifia.

Il y a un mois, à la mi-septembre de 1134, son parrain, le comte Ramon de Barcelone, a invité Don Eduardo et sa famille à passer du temps ensemble, un ou deux mois, dans la ville magnifique de Barcelone, située juste au bord de la mer.

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L'invitation a rendu terriblement heureuse la fille de quatre ans qui a fait toutes sortes de plans, pour passer de beaux jours avec les parents et le parrain, qui l’aimait tellement. Avec ces plans à l’esprit, elle s’endormit profondément.

*

L’approche du midi fit le général Al Mandur à chercher des regards, un endroit où son détachement de cavaliers puisse s'arrêter pour le repos.

Il se trouvait, avec ses deux cents cavaliers, sur la route qui reliait la ville de Lleida et la cité de Valencia et il venait de descendre le versant est de la montagne, au sud du château Vetéro. Toute la zone était déserte, les pentes relativement raides, par endroits rocheuses, des Montanyes de Prades, utilisées autrefois par de grands troupeaux d'animaux, furent abandonnées par les habitants, par crainte des Maures. Deux petits villages de montagne étaient aussi désertés et la forêt s’est étendue sur eux. C'est exactement pourquoi le général avait choisi cette voie pour la retraite de Lleida où l'armée maure fut défaite par les Chevaliers du Royaume d'Aragón. Les deux cents soldats berbères étaient les seuls qui avaient échappé du rang des défenseurs du fort Lleida.

Les chevaux avaient de l’herbe et de l’eau fraîche des sources de la montagne, mais les gens, pas trop bien habillés, sentaient le froid dominant de la forêt.

Le général Al Mandur a été le gouverneur de la ville et de la région Lleida, une véritable forteresse qui appartenait à l'Empire almohade. La nomination du général dans cette

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fonction, il y a trois ans, a signifié une haute appréciation de la part de l'atabey Yassin. C'était une reconnaissance de sa bravoure, prouvée sur les champs de bataille contre les chrétiens ibères. Cette année-là, 1134, les chrétiens commencèrent leur offensive contre les musulmans dès l'été. Plus nombreux et mieux préparés pour le combat, les chrétiens conquirent plusieurs citadelles fortes et les guerriers berbères, furent contraints de se retirer vers le sud. Et maintenant, Al Mandur se dirigeait vers Valencia, puis vers Alacant, pour se présenter devant le tout-puissant atabey Yassin.

Et comme il était parmi les riches généraux gouverneurs, il partit en route accompagné, en outre des soldats qui ont échappé du fort, aussi des soldats du détachement de la garde de la trésorerie de la province et de la sienne personnelle. Trente chevaux et dix chariots portaient cinq de ses épouses, les cuisiniers, le médecin, les serviteurs, pour mieux assurer son confort n’importe où, sur la route.

En regardant ses soldats, il pensa de nouveaux aux possibilités que lui pourrait offrir la nouvelle guerre contre les chrétiens.

"Je pense que l’illustre atabey me sollicite pour la préparation de cette guerre d'autodéfense contre les chrétiens. Peut-être qu’il me nommera dans un grade supérieur à celui de gouverneur, parce que je lui ai prouvé de la loyauté dans les litiges avec les émirs du royaume. Et le grand atabey a besoin de personnes fidèles, car à l'intérieur de l'Empire, entre les émirs berbères et ceux arabes, se portent des luttes cachées à la vie et à la mort, pour obtenir le pouvoir. Cela les empêche de s'aider mutuellement dans les combats contre les chrétiens. Et les chrétiens sont unis afin de se défendre contre nous, leurs ennemis et cela les rend beaucoup plus forts."

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- Votre Grandeur, rompit rapidement ses pensées un des officiers, nos espions nous ont dit qu'un détachement d'une trentaine de soldats chrétiens se dirigent vers Reus, sur la route de l'est du château Vetéro. Quelle est votre commande?

- Il y a quelques lieues jusque là. Si on se dépêche, nous les attrapons avant d'arriver dans le village.

- On les attrape dans une heure, Votre Grandeur et on peut demander assez d'argent comme rançon.

- Vous avez raison, c’est pas mal avoir plus d'argent, mais aussi plusieurs esclaves. Que la caravane de ma suite continue vers le sud, nous allons la rattraper. On part! commanda le général.

Le détachement de soldats chrétiens dont parlait le général Al Mandur, se déplaçait de Vetéro vers la ville de Tarragone. Environ une trentaine de soldats escortaient Don Eduardo et son épouse, Dona Silvia dans leur voyage. Là, à Tarragone, le comte Ramon de Barcelone les attendait pour aller ensemble à sa Cour, où ils devaient passer plus de temps .

Belle, blonde, le visage empourpré, la petite Melissa, assise sur le cheval de son père dans une petite chaise en bois, au prolongement de la selle, tourna sa tête vers lui, en riant. À ses quatre années, elle était impatiente de découvrir de nouveaux endroits, de profiter de tout ce qu’elle voyait au cours du voyage.

- Papá, vous m’avez promis que nous voyagerons en bateau sur la mer. Je suis impatiente de partir loin, sur la mer.

- Nous allons le faire, comme promis, lui répondit le père, en souriant.

- Mamá nous accompagnera, n’est-ce pas? demanda Melissa, en regardant contente la calèche dans laquelle celle-ci voyageait.

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- Bien sûr, comment pourriez-vous partir sans moi? Nous prendrons un grand bateau, avec Don Ramon.

- Il est mieux ainsi, rit heureusement Melissa. Du devant, un soldat s’approchait au galop du cheval,

signe qu’il était pressé. Le seigneur Eduardo attendit curieusement l’approche du cavalier, de bonne humeur après la conversation avec sa jolie fille.

- Votre Seigneurie, lui dit le chevalier, en s'arrêtant juste à côté de lui, un détachement turc consistant en une centaine de cavaliers, nous attend sur la route de Reus, à environ une moitié de lieue d’ici.

- Des Maures dans nos terres? Ce qu'ils cherchent ici? Les espions de la région ne nous ont pas annoncé que les Maures y sont entrés.

- Ils ont bloqué la route vers le village, Votre Grandeur et ils sont prêts pour la bataille.

- Nous contournons les collines par l'est et nous allons directement à Tarragone, car de retour, en montant vers le château, on avance difficilement. M. García, tourna le seigneur vers l'officier qui l'accompagnait, apportez-nous un cheval pour ma femme et envoie deux messagers chez le comte Ramon pour nous venir en aide. Nous partons maintenant vers l’est.

- À vos ordres, Votre Seigneurie, lui répondit l’officier et cria les commandes aux soldats.

Le Seigneur Eduardo, Dona Silvia et les soldats qui les escortaient partirent au galop des chevaux vers Tarragone, en traversant les pentes recouvertes d'herbe. Mais, malheureusement, une demi-heure plus tard, les Maures les rattrapèrent et commença une lutte féroce.

- Votre Seigneurie, enfuyez-vous avec la Dame et la petite fille vers la ville, car nous les arrêtons ici, lui cria l'officier

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García en levant l'épée, prêt pour la bataille. - Sauvez la petite fille, Monsieur.

Mais Don Eduardo n'eut plus le temps de s’enfuir, car les cavaliers maures encerclèrent le petit détachement de soldats chrétiens. Eduardo luttait désespérément, en essayant de défendre sa femme et sa fille, contre les attaquants déchaînés. Ils étaient nombreux, trop nombreux pour le petit groupe de soldats chrétiens. Leur unique espoir était l’arrivée de Don Ramon. Eduardo, en maniant son épée, regardait de plus en plus souvent vers la colline d’où il attendait l’aide. “ Résistons, résistons aussi longtemps que possible! ", cria-t-il aux soldats, en les encourageant. Puis il sentit une brûlure dans le dos, puis, quelque chose d'humide et de chaud sous la chemise. Il prit sa fille dans ses bras, en s’écroulant tous les deux du cheval.

Après environ deux heures, quand le comte Ramon, à la tête d’environ deux cents soldats, arriva au-delà de la vallée de la rivière, il vit avec horreur les corps des soldats chrétiens, certains morts, d'autres blessés. Il y avait aussi plus d'une cinquantaine de corps des soldats maures, morts au combat. Ils parcoururent le champ de la bataille plusieurs dizaines de fois à la recherche du corps de la petite Melissa, mais en vain. Seulement après la tombée de la nuit, quand ils finirent d’enterrer les morts, ils prirent les blessés et retournèrent à Tarragone, attristés et désireux de se venger. En colère, peiné, Don Ramon et certains des blessés partirent, le lendemain, vers Vetéro. Ils voulaient décider ce qui devait être fait pour la recherche de la petite Melissa.

Une fois de plus, leur vie fut marquée par un autre épisode de la haine et du combat d’entre l'Empire Almohade et les habitants des royaumes chrétiens, contraints de défendre leurs terres et leurs familles. Haine qui maîtrisait tous les

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habitants et soldats, sans importer le rang, nobles, chevaliers ou simples soldats, en influençant la vie de chacun.

*

En partant du château de Vetéro, Melissa se réjouit de tout ce qui les entourait, des forêts, des oiseaux, du fait qu’elle se trouvait avec mamá et su padre. Après un certain temps, elle vit qu'un des soldats qui les accompagnait, s’approcha de son père au galop du cheval et lui dit quelque chose à l’égard des Maures. Elle sentit l’inquiétude et même la peur envahir son père et leurs compagnons. On amena un cheval à sa mère, elle l’enfourcha et s’approcha d'eux, puis ils partirent au galop des chevaux à travers le champs. Ils laissèrent la route à droite, en se dirigeant vers la forêt de leur proximité. Les environ trente soldats qui les accompagnaient, les suivirent, certains allant devant eux, d'autres derrière. Son père la tenait fermement contre lui et il semblait qu’il volait au dessus le champs montueux. Elle leva les yeux vers son père et vit son visage contracté et ses yeux qui jetaient des flammes. Elle avait envie de pleurer, mais elle ne voulait pas fâcher son brave papá.

Du côté droit, des soldats vêtus de vêtements différents de ceux de la région, s'approchèrent, les épées menaçantes et commença le combat. Les hurlements et les visages grimacés firent tellement peur à la petite Melissa qu'elle perdit connaissance.

Après un certain temps, elle ouvrit lentement les yeux. Elle se balançait légèrement à cause de la marche du cheval. "On court sur le champs. Papá est toujours sérieux et en colère? " Elle leva son regard et eut peur à nouveau, terriblement. Elle se trouvait dans les bras d'un des soldats habillé de vêtements

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étranges et avec la tête couverte d'une écharpe blanche. En voyant son visage répugnant, elle s'évanouit à nouveau.

Un peu plus tard, elle se réveilla bercée avec des mouvements douces, même agréables. Elle était étendue sur une couverture dans une charrette. Une dame, le visage couvert par un voile, était assise à côté d’elle. Melissa la regarda effrayée: “ où suis-je? Où sont mamá et papá?" Sa voix était faible, à peine murmurée. Elle se sentait fatiguée, épuisée.

- Mamá, Papá! cria Melissa toujours bas, en étouffant de pleurs.

La dame avec le visage couvert lui fit signe de garder le silence et puis lui dit quelque chose dans une langue inconnue. En voyant qu’elle ne comprenait pas, elle lui fit signe de dormir. Les gestes de la femme étaient délicats, apaisants, donc Melissa ferma les yeux et s'endormit.

Elle se réveilla après un certain temps, quand quelqu'un la prit dans ses bras. Elle ouvrit les yeux, effrayée. La dame qui l’accompagnait, la prit dans ses bras et descendirent de la charrette. Melissa regarda autour d'elle, peureuse, en cherchant mamá et papá, mais elle vit seulement des hommes et des femmes habillés de vêtements arabes. Les femmes étaient assises sur des couvertures et portaient des voiles masquant leurs visages, chose inhabituelle pour une petite fille chrétienne, élevée selon d’autres règles. Après que la femme qui la porta dans ses bras la mit sur la couverture, une des autres femmes qui étaient là, vint dire quelque chose à la dame qui l’apporta. La dame tendit à Melissa un petit plateau en bois, qui contenait quelques figues et il suffit de les voir pour se rendre compte qu’elle était affamée. Elle mangea les figues, puis elle but de l'eau d'une petite outre, sous les yeux de la dame qui la surveillait attentivement.

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“ Où suis-je? Ce que je fais ici? Où sont mamá et papá?" Plus curieuse qu'effrayée, elle regarda autour d'elle avec précaution, en essayant de comprendre ce qui se passait. À côté de la route, au bord d'une petite forêt, deux tentes pas trop grandes étaient montées et entre les tentes, plusieurs couvertures étaient étendues. Elle, Melissa, se trouvait à côté de trois femmes sur une des couvertures et sur deux autres, étaient assises environ cinq, six femmes. Toutes portaient des voiles sur la tête et le visage. Séparément, sur d’autres couvertures, se tenaient quelques hommes armés et les servantes passaient parmi les groupes de personnes, en portant des bols et des plateaux avec de la nourriture. Au loin, on voyait plusieurs chevaux qui mangeaient de l'herbe et de nombreux soldats, étendus à l'ombre de la lisière.

- Où sommes-nous? Où sont mamá et papá? Melissa répéta plusieurs fois les questions, mais elle ne fut pas comprise par la femme qui s'occupait d’elle. Après une brève conversation avec les autres femmes, une se leva et s'approcha de Melissa.

- Petite fille, dit la femme avec le visage caché par un voile, moi je parle un peu ton dialecte. Demandes-tu de mamá?

- Oui, ils devraient être ici avec moi, mamá et papá. Pourquoi suis-je toute seule avec vous?

- Mamá et papá sont allés au paradis du grand Allah, sans faire leurs adieux. Ils ont dit que tu resteras avec nous.

- Je ne vous crois pas. Et mon parrain? Pourquoi Sa Grandeur ne m'a pas prise?

- Il est aussi parti à rencontrer Dieu, comme disent les chrétiens.

- Et qu’est-ce que je vais faire chez vous? Je veux chez moi, au château.

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- Dorénavant, ta maison est chez nous et nous irons au château où tu habiteras avec nous. Nous prendrons soin de toi. Mamá le voudrait ainsi.

Melissa la regarda méfiante et puis, quand elle se rendit compte qu'elle ne verra jamais ses bien-aimés mamá et papá, éclata en pleurs. Elle cacha son visage dans ses paumes minuscules et les pleurs presque l’étouffèrent.

- La pauvre petite fille, s’émut la femme qui s’occupait d’elle, il suit une période difficile pour elle. Elle va s'habituer avec le temps, mais d'ici là, il sera très difficile. Peut-ȇtre qu’elle restera avec les autres enfants de sa Grandeur Al Mandur et il lui sera plus facile. Mais elle est trop petite et ne comprend pas ce qui se passe.

Les autres femmes regardaient avec pitié la petite fille sans dire mot. Peut-être se rappellaient-elles de leur enfance? Ou d’autres filles du harem, qu’elles avaient connues?

Le général Al Mandur, de l’une des tentes, entendit pleurer la petite fille et mécontent, il appela un des serviteurs, Manuk, le chef des eunuques, auquel il envoya à voir ce qui se passait.

- Votre Grandeur, lui dit l’eunuque après quelques minutes, la petite fille enlevée pleure, en appelant ses parents. Elle a peur maintenant, mais elle se calmera.

- Portez-la plus loin, je ne veux pas entendre ses pleurs. Elle est la seule prisonniere que j’ai faite, murmura le général nerveux. Les autres Ibères ont préféré mourir que de devenir des esclaves.

Puis il s’adressa à haute voix, à Manuk: - Je la confiai à ma femme, Karima haseki, qui va

prendre soin de la petite fille et la préparera en temps, pour devenir une bonne odalisque.

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- Mais, Grand Maître, haseki donnera naissance à Votre enfant, peut-elle prendre soin aussi de la petite fille?

- Oui, elle sera aidée par les autres concubines. Elle est la plus sage d’entre elles et je veux qu'elle éduque la fille. Cela, si je ne la donne pas à l’atabey Yassin.

- Très bien, Votre Grandeur, je transmettrai les commandes. Elle portera le voile dès aujourd'hui.

- Qu’elle soit bien traitée et soignée, pour devenir une bonne et belle musulmane.

Manuk s’inclina devant le général et sortit le dos vers la porte de la tente. "Sa Grandeur est en colère à cause de l'échec de l'expédition. Je dois alerter les concubines pour ne pas faire d'erreurs. Autrement, dans l’état où il se trouve, le général pourrait commander de prendre la tête à celle qui se tromperait.”

Ces pensées le poussèrent aussi à être plus prudent, jusqu'à ce que le général se calmera. Près du général, tous se comportaient ainsi, soldats ou serviteurs, parce qu’on ne connaissait jamais son état et il manifestait sa cruauté envers ses sujets. Voilà ce que distinguait le général des autres nobles maures, selon les connaissances de l’eunuque. La sévérité et la cruauté envers ses sujets.

Les premiers jours dans sa nouvelle famille furent horribles pour la petite Melissa. Elle était traumatisée par les récents événements, par la séparation soudaine de ses parents et la difficile adaptation aux nouvelles règles et coutumes musulmanes. Mais peut-être le fait qu’elle ne reverra jamais ses parents bien-aimés, l'amena dans un état d'apathie totale. Elle ne voulait rien manger et boire. L’état d'apathie et la faiblesse physique de la petite fille, effraya les serviteurs et les concubines du général Al Mandur. Et cela, tant par compassion pour la petite fille, que de peur pour les châtiments qu'ils

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recevraient du général pour la négligence. Ou, plus grave encore, pour la mort de celle-ci, dans lequel cas les peines auraient été implacables, peut-être même la perte de la tȇte.

Presque toutes les nuits, Melissa rêva avec mamá et papá, abuelo, son grand-père et abuela. Elle rȇvait avec eux et pleurait dans son sommeil et aussi quand elle se réveillait. Une nuit, Melissa rêva son cher Lopéz, son camarade des jeux, son frère. Elle parla avec lui comme s’il était devant elle. Dans le rêve, il lui demanda où elle était, mais elle ne savait pas que répondre, pour lui dire où ils l’ont portée ces étrangers. Elle apprit avec joie, mais aussi avec un grand chagrin, que ses parents bien-aimés n’étaient pas partis au Seigneur, mais étaient restés au château. Rien ne faisait plus de sens, pourquoi sont-ils restés au château et ne sont-ils pas venus la prendre? Mais Lopéz lui promit que si elle ne venait pas au château, il viendra lui-même la chercher, maintenant ou quand elle sera plus grande. Et elle crut en lui. Elle pleurait quand elle se réveilla. Elle ne savait pas si elle pouvait résister parmi les étrangers, parce qu’elle se languisait terriblement de ses parents, de ses grands-parents et de Lopéz. Elle se languisait de la belle vie menée à côté de ceux qu'elle aimait. Et elle se sentait de plus en plus sans espoir, malade de nostalgie. Le corps affaibli la forçait de garder le lit, sans envie de manger.

- Karima haseki, dit le chef des eunuques, Hadim Manuk à la première épouse du général, je ne peux plus avec ce danger auquel nous sommes soumis. Je vais dire au maître que la petite fille est malade et qu’il ne lui reste beaucoup de temps à vivre. Autrement, il pourrait penser qu’elle a été négligée.

- Ne faites pas cela, Manuk effendi, qu’il ne vous croira pas. Attendez encore deux ou trois jours. Je pense à lui donner des potions d'herbes, d’après des recettes de la Perse. Je sais

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faire des décoctions pour renforcer le corps, mais aussi pour calmer l'esprit et l'âme. Laissez-moi essayer, dès aujourd'hui.

- Essayez, épouse du maître, haseki, nous sommes peut-être chanceux. Mais pour le savoir, Allah est avec nous. Le maître reçut un messager de l'atabey, qui lui commanda d'aller au Palais, accompagné de dix officiers, le reste des compagnons et la suite, devrant l’attendre dans la ville d'Alacant.

- Allah est grand et nous aide à garder la tête. Mais n’en dites pas mot.

Ils se trouvaient à la périphérie de Valencia, où ils ont érigé le camp de repos. La petite oliveraie fournissait l'ombre bénéfique au cours de la journée et les sources d'eau voisines étaient une véritable bénédiction.

- Manuk, Manuk, s’entendit la voix tonitruante du général, sorti devant la tente, le visage rouge de colère.

- J’y suis, Maître, se précipita le chef des eunuques Hadim, pour s'agenouiller devant Al Mandur.

- Prends soin de mon harem et des serviteurs, paresseux. Les soldats du détachement resteront ici pour vous défendre. Ce qui se passe avec la petite fille? Une des concubines m’a dit qu’elle est en train de mourir.

- Elle est malade, c’est vrai, mais elle va se remettre, Maître.

- Qu’il en soit ainsi, ou vous perdrez la tête. Si ses parents avaient vécu, j’aurais demandé une rançon, mais dans ce cas, je dois la maintenir en vie, afin de la vendre quand elle grandira.

- Vous êtes sage comme toujours, Maître. Permettez-moi de me retirer.

Manuk, le cœur plein de peur, au signe du général partit aussi vite que possible.

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“ Elle avait raison Madame, hanim Karima, nous devons tout faire pour maintenir la petite fille en vie. Elle disait qu’elle pouvait la sauver, elle ne la laissera pas se rencontrer avec Allah “.

Et de cela Manuk se convainquit dans quelques jours. Avec des potions, des fruits frais et des gourmandises, Melissa commença à se remettre, mais l'état d'apathie ne disparut pas totalement. Avec son intuition d’enfant, elle comprit assez rapidement les règles et les coutumes de la vie musulmane et commença à apprendre les premiers mots du dialecte berbère, celui des Maures. Une fois apprises, ces règles et coutumes, ne lui semblèrent plus mauvaises, au contraire. Tout était bien organisé et l’aidait à vivre plus facilement.

Après l’installation du général Al Mandur et de sa petite armée au château d'Alacant, qu’il avait réçu en possession de l’atabey Yassin, la vie de Melissa changea totalement. Elle comprit que si elle ne fait pas ce que lui demande sa mère adoptive et l’eunuque féroce, elle va être sévèrement disciplinée. Elle reçut un autre nom, Mehrim et commença à s'habituer, lentement, avec sa nouvelle identité.

Au château Alacant, une véritable forteresse qui dominait toute la ville, le chef des eunuques Manuk, s’occupait du harem, situé dans deux grands appartements. Là, vivaient les deux épouses principales d’Al Mandur, Zubair, qui élevait les trois enfants de celui-ci et Karima, qui allait accoucher dans quelques mois. Zubair s’occupait aussi d’un autre fils de son maître, d’environ six ans. Toujours dans le harem vivaient les odalisques, cinq filles de différentes nationalités, qui s'occupaient aussi des épouses du général. Melissa, maintenant appelée Mehrim, vivait avec sa mère adoptive, Karima, mais elle se rencontrait presque toujours avec les quatre autres enfants

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élevés dans le harem. Ceux-ci, une petite fille d’environ neuf ans et deux garçons de cinq et sept ans, tout comme le garçon de six ans, cherchaient sa compagnie, curieux de connaître une petite fille apportée du monde chrétien. Ils avaient entendu des choses terribles sur les chrétiens et ils ne comprenaient pas, avec les esprits d’enfants, comment pouvait vivre dans un monde si laide, une petite fille si belle, silencieuse et modeste.

Avec le temps, la présence de ces enfants et de la jeune fille née par Karima, fut le sauvetage de la petite Melissa-Mehrim. Eux, les enfants musulmans, l’aidèrent à comprendre le monde musulman et d’y s'adapter presque entièrement. Cependant, elle rȇvait les terres montagneuses et les vertes collines du domaine de Vetéro. Elle rȇvait avec mamá et papá, partis maintenant à Allah, le Dieu des musulmans et le matin elle se réveillait avec les yeux remplis de larmes de nostalgie. Elle avait commencé à se convaincre elle-sois depuis longtemps que ses parents sont morts, autrement ils seraient venus la prendre. »Seigneur, je sais que j'ai été sage, pourquoi ai-je été punie ainsi? Pourquoi mamá et papá sont-ils venus chez Toi et m’ont laissée toute seule parmi ces inconnus si différents de nous? " La réponse à ces questions que Melissa-Mehrim se posait, personne ne pouvait la lui donner et elle, seule et sans défense, flottait dans une mer d'incertitudes, de perplexité et de frustration. Les enfants du harem du maître avaient des mères et elle, n’avait personne et personne ne l’aimait. Seulement qu'elle était soignée et protégée, mais elle devait se garder toute seule des erreurs et des pénalités. Trop grande la différence entre la vie à son château et la vie qu’elle était forçée, même punie de mener là, dans le harem du Maître.

Plusieurs fois, elle rêva mamá et papá, en jouant ensemble ou montant à travers les collines vertes du domaine, en criant son bonheur d'enfant pour ȇtre vu par les fleurs du

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champs, les papillons et les oiseaux du ciel. Elle ne se demandait plus où se trouvaient ses parents, car elle ne comprenait encore rien. Lopéz lui a dit dans un rêve qu'ils étaient vivants, mais pourquoi ne venaient-ils pas pour elle? C’était la question qui l’intriguait. Elle avait souvent rêvé son frère Lopéz, un ȇtre gai et espiègle. Chez eux, ensemble, ils ont fait toutes sortes de farces, se cachant dans le château comme dans un monde fantastique, où seulement les enfants peuvent entrer. Elle a rêvé sa grande-mère Concíta, la mère de Lopéz, qui aimait les enfants comme la prunelle de ses yeux. Où est-elle la grande-mère Concíta? Pourquoi ne l’avait-elle pas prise? Et où étaient-ils abuelos, ses grands-parents bien-aimés? Tous les soirs elle priait à Dieu, dans son dialecte, le dialecte qu'elle connaissait de sa mère. C'était une excellente façon de rester en contact avec son passé heureux, avec mamá et papá, avec Lopéz, parce que cela était sa vraie vie, pas celle du présent. Elle priait, car son Dieu l’entendait mieux et comprenait le dialecte parlé chez elle, au château.

*

Au château Vetéro, la douleur accabla tous qui habitaient

là, seigneurs, soldats et serviteurs. La nouvelle de l'attaque des Maures contre la suite du jeune seigneur Don Eduardo de Vetéro y Gadára et de Dona Silvia, attaque qui causa la mort de ceux-ci et la disparition de la petite Melissa, se propagea rapidement dans le comté de Barcelone et même dans le Royaume d'Aragón. Des dizaines de caballeros hidalgos et caballeros

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villanos jurèrent vengeance contre les soldats maures pour leur action odieuse.

Plusieurs de ces caballeros vinrent à Vetéro pour participer à des expéditions de recherche de la petite fille dans les territoires occupés par les Maures et pour punir les coupables de son enlèvement. Même un détachement de vingt caballeros et des sergents templiers de la commanderie de Tarragone, partirent pour Valencia, à la recherche de Melissa.

Après la première semaine des recherches en vain, le Comte Ramon Berenguer tourna à Barcelone, où les affaires du comté l’attendaient. Mais sa pensée et son coeur restèrent avec la famille endeuillée de Vetéro et avec la petite Melissa. En tant que rector catalanicus, chef des Catalans, comme il fut nommé, pareil à son père, il savait comment accomplir son désir de vengeance et punir les responsables maures pour la disparition de Melissa. Il s’agissait de l'organisation d'une expédition contre les ennemis. À cet effet il envoya des messagers aux cours royales ibériques, pour l'organisation d'une offensive commune contre l'armée almohade. " On ne pourrait pas faire cela tout de suite, mais avec persévérance, je vais convaincre les rois chrétiens de la péninsule. Sinon, je vais organiser moi-même avec le roi d’Aragón une offensive contre les Maures ". Et sa décision fut d’une fermeté qui émerveilla plusieurs de los caballeros de sa cour.

Les semaines suivantes, au château continuèrent à venir des caballeros et de simples soldats, tous déterminés à trouver Melissa. Des détachements de soldats attaquaient continuellement les territoires gouvernés par les Maures, les forts défensifs, en posant des questions sur les Maures qu'avaient attaqué les chrétiens, mais personne ne leur donnait une réponse.

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Les grands-parents, Don Rodrigo et Dona Isolda, les cœurs accablés de douleur, ne trouvaient plus la tranquillité. Le père cistercien Ramos, les accompagnait à chaque pas et essayait de leur apporter une peu de consolation. Mais le prêtre était aussi dépassé par la situation.

Bien qu'il eut aussi l’intention de partir à la recherche de Melissa, Don Rodrigo, supplié par sa femme, Dona Isolde, fut obligé d’y rester et soutint los caballeros qui partaient dans des expéditions militaires.

Dona Isolde avait quelque chose d'autre à faire. Jour et nuit, elle allait dans une des salles à coucher du château, salle où on avait mis trois lits. Dans un des lits dormait Concíta, la mère de Lopéz et la nounou de Melissa. Dans les autres deux lits, étaient étendus, comme s'ils dormaient, une jeune femme et un jeune homme. Ils étaient tous les deux blessés, bandés avec des chiffons propres et les deux médecins du château les surveillaient prudemment.

- Nous devons faire quelque chose pour les réveiller, docteur, dit le plus jeune à son collègue. Ils se trouvent sans connaissance depuis des jours.

- Nous avons essayé, on a tout fait pour reprendre les esprits. Maintenant, uniquement Dieu peut les aider. Leur coma profond sera irréversible et j'ai peur de perdre notre seigneur et Mme.

Les blessés étaient Don Eduardo et Dona Silvia, apportés au château avec des blessures graves et dans un état de coma.

- Notre Seigneur est grand, dit Concíta, en s’approchant des médecins. Nous prierons pour la récupération de Leurs Grâces et Dieu nous écoutera, dit-elle les yeux remplis des larmes. Dieu est grand et bon.

Après la disparition de la petite Melissa Concíta changea tellement, qu’on pourrait à peine la reconnaître. Le visage

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s’assombrit de la douleur, les yeux perdirent leur éclat, séchés par des larmes et le dos se courba comme pressé par un fardeau que la jeune servante devait porter. Le salut de Concíta, comme elle seule le reconnut, était Lopéz, qui se trouvait toujours près d’elle. Le petit Lopéz avait peur de la douleur qu’il sentait accabler ses maîtres et sa mère, de la présence de tant de soldats renfrognés, hâtés, mais aussi de l'absence de sa soeur bien-aimée Melissa. Il ne savait pas ce qui se passait au château, pourquoi tout le monde était silencieux, fâché, pourquoi la vie au château avait changée et il sentait avec son instinct enfantin, qu’il flottait dans l’air quelque chose de mal, de dangereux. Sa mère avait toujours des larmes aux yeux et il l’avait surprise quelques fois pleurer en cachette, ce qui l’avait fait à lui aussi pleurer, chaque fois. Personne ne le cajolait plus, ne lui parlait plus et pendant la nuit, en particulier, sa mère le pressait dans ses bras jusqu'à l'étouffement.

Le troisième soir, il ne résista plus. Il alla à la chapelle et, voyant qu'il n'y avait personne, entra et se mit à genoux devant l'autel, comme il le faisait tous les dimanches, à côté des adultes. " Dieu, je n'ai personne avec qui parler, seulement avec Toi, Tu es mon Père. Je comprends qu'un grand malheur est tombé sur nos maîtres et sur nous. Je ne sais pas ce qui se passe, mais j’ai entendu dire que ma chère soeur Melissa fut volée et elle partit loin. Tous la cherchent, même les soldats. Je ne sais pas si c'est de ma faute, parce que personne ne me parle plus. Et maman pleure toujours, mais je ne l’ai pas fâchée. Nos jeunes maîtres dorment dans leurs lits et ils ne se réveillent jamais et les médecins et les grands maîtres restent à côté d'eux. Enseigne-moi, ô Seigneur, que faire pour leur apporter de la joie. Dis-moi, mon Dieu, où trouver ma sœur? Car je suis très bouleversé et effrayé. Le père a dit que Toi, ô Dieu, Tu es notre protecteur

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et c’est pourquoi je Te cherche, pour me protéger à moi, de ne pas partir aussi comme Melissa en laissant seule ma mère. "

Il commença à pleurer à la pensée qu'il pourrait aussi être enlevé du château et des proches. Après un certain temps, il se calma et à la lumière des chandelles, regarda les icônes, puis s'approcha de la grande croix, où Jésus fut crucifié. Il se mit à genoux, en priant les yeux fermés. « Mon Dieu, protège-moi contre ceux qui veulent m’enlever et dis-moi où est ma soeur. Est-ce qu’elle reviendra chez nous?" Il sentit le saisir un état agréable de calme. Les yeux fermés, il se laissa porté par cet état-là, quand, léger comme une feuille, il flottait dans la lumière. Ensuite, il vit venir et s’approcher, de la lumière, un petit ȇtre, un enfant et il observa une petite fille, vêtue d'une sorte de vêtements étrangers, peu familiers. Elle portait des pantalons larges et une chemise longue au-dessus. Sa tête et son visage étaient cachés par une écharpe, mais son cœur savait que c'était Melissa. Comme une confirmation, elle sortit l'écharpe du visage et lui sourit parmi les larmes qui coulaient sur les joues. " Où es-tu, Melissa? murmura Lopéz, comme si la petite fille fut devant lui. "Je ne sais pas, quelque part très loin, avec des inconnus. Ils prennent soin de moi, parce que mamá et papá sont morts. “ " Cela n'est pas vrai, Melissa. Ils sont ici au château, ils dorment depuis trois jours et les maîtres cherchent à les éveiller. Je sens qu’ils se réveilleront, viens à la maison ". Melissa sortit un cri. "Je voudrais tellement, mais ces gens-ci ne me laissent pas. Et je ne sais pas comment arriver au château. “ Un éclair traversa le coeur d’enfant de Lopéz. « Sois tranquille, Melissa. Nous tous t’aimons. Si tu ne reviens pas jusqu'à ce que je serai grand, je prierai Dieu de m'aider et me guider pour te trouver. Je te jure que te trouverai." "Je confie en toi, Lopéz. Je vais vous attendre.”

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Le petit Lopéz tresaillit, effrayé. Quelqu'un le toucha au sommet de la tête. « Pauvre enfant », on entendit une voix, qu’il reconnut difficilement comme étant celle du prêtre du château. Il était encore dans l’état de transe où il vit Melissa.

- Pardonnez-moi, père, je ne savais pas à qui parler et je suis venu ici dans la maison de Dieu.

- Bien fait, Lopéz. Je suis content que tu as pu parler à notre Père céleste.

- Oui, père. Nous avons parlé et Il m'a montré Melissa. Elle se trouve chez quelques étrangers qui lui ont dit que ses parents, nos maîtres, sont morts. Je lui ai répondu que je les ai vus au château, qu’ils dorment depuis trois jours.

- Tu lui as parlé? Comment? Le prêtre ne pouvait pas croire ce qu'il avait entendu du

petit Lopéz. À quatre ans, il n’était pas capable d'inventer de telles choses. "Tous les gens reçoivent des signes, des enseignements et des conseils de Dieu, mais peu s’en rendent compte et peu encore les comprennent. Les enfants, dans leur ignorance et innocence, ils reçoivent plus facilement que les adultes, les signes divins sans en modifier le sens et sans en chercher la signification. Ils reçoivent les signes comme Dieu les envoie, purs, directs et sans en douter. "

- J'ai prié Dieu de me montrer où est Melissa. Elle m'apparut devant les yeux et me dit qu'elle viendrait chez soi, mais qu’elle ne sait pas comment s'y rendre. Je prie Dieu de m'aider à trouver Melissa, si elle ne vient pas toute seule. Si maintenant, quand je suis un enfant, je ne peux pas aller la chercher, quand je serai grand, je vais la trouver. Avec la volonté de Dieu, père. Maintenant, je suis calme et je peux dire aussi à ma mère Concíta que j'ai parlé avec Dieu et avec Melissa.

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- On y va ensemble, mon enfant, lui dit le prêtre, en lui prenant la main. Car je te crois et je veux que les adultes te prennent au sérieux.

Après un quart d'heure de la discussion de la chapelle, le prêtre du château, en tenant la main de Lopéz, entra dans la chambre à coucher des seigneurs, doucement, pour ne pas déranger ceux qui se tenaient près des blessés. Il y avait dans la chambre comme d'habitude, Don Rodrigo et sa femme, Dona Isolde, les deux médecins et Concíta.

- Aucune amélioration du sort des blessés, Père, dit un des médecins, en répondant à la question qu’on lisait sur son visage expressif. Il nous reste seulement la prière, Père, car Dieu est celui qui guérit les blessures de l'âme et de la chair.

- Vraiment, docteur et nous prions jour et nuit pour la récupération de nos Seigneurs.

- Lopéz, chéri, ne veux-tu pas aller à la cuisine pour manger quelque chose? s’adressa Concíta à son fils. Et puis, va au lit.

- Mamá, Dieu m'a montré Melissa. La voix résolue, convaincante du petit Lopéz surprit les adultes de la chambre. Après quelques instants, pendant lesquels personne ne semblait avoir entendu l'enfant, tous tressaillirent et tournèrent les yeux vers lui. Des regards interrogateurs, curieux, surpris.

- Qu’est-ce que tu dis, Lopéz? La voix de Concíta exprima tout son étonnement, mais aussi une profonde douleur. Jusqu'alors personne ne lui avait parlé de la disparition de Melissa, au contraire, ils ne discutaient jamais ce sujet en sa présence. Aux questions sur sa soeur bien-aimée, Melissa, comme il la considère, les réponses avaient été évasives. Et pourtant, il semblait que les faits arrivés ne purent pas être cachés à l'esprit curieux de l’enfant.

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- Je ne comprends pas, comment est-ce que Dieu t’a montré Melissa? continua Concíta.

Dona Isolde aurait voulu lui poser aussi des questions sur sa nièce bien-aimée, mais l’émotion l’empȇcha de parler. Elle regarda Don Rodrigo les yeux attristés, puis tourna la tȇte vers le petit Lopéz. Elle attendait que celui-ci leur explique sa raison.

- Je suis allé à la chapelle. continua Lopéz, d’une voix naturelle, sincère, d’enfant et j’ai prié Dieu de me dire où se trouve Melissa. Je me languis d’elle et personne ne me parle d’elle. Il hésita un moment et leva les yeux vers le prȇtre qui lui fit signe de continuer.

- Par la volonté de Dieu j'ai vu Melissa qui m'a dit qu’elle se trouve chez des étrangers qui prennent soin d’elle, parce que ses parents sont morts. Pour ne pas la laisser seule, ces étrangers l’ont prise avec eux.

On sentit presque physiquement dans la salle la surprise douloureuse causée par les mots de l'enfant sur les adultes. Un silence profond les entoura, comme si personne ne respirait plus. Et les cœurs ne battaient plus. Et il fut peut-être ainsi.

Une seule voix, calme et rassurante, fut entendue après un certain temps :

- Je crois ce qu'il dit. Melissa n'est pas perdue, nous la retrouverons un jour, par la volonté de Dieu.

C’était la voix du prêtre, sereine, tout comme sa foi. Les mots du prêtre furent suivis d'un soupir. Dona Isolde

et Concíta avaient des larmes aux yeux et Don Rodrigo tenait sa tête inclinée, regardant vers le bas, en essayant de maîtriser les pleurs. " Cette peine est trop lourde, Ô Dieu. Je peux la supporter, mais Dona Isolde? Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?" Ces pensées le torturaient depuis trois jours et il ne trouvait pas une réponse à ses questions.

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- La maîtresse n'est plus endormie, elle s’est réveillée. Cela dit, Lopéz courut au lit où était Dona Silvia et prit sa main.

La jeune blessée bougea doucement ses doigts et essaya d'ouvrir les yeux. Elle ne réussit pas, seulement les cils tressaillirent légèrement. Des cris de surprise et de joie accompagnèrent les mouvements des médecins, qui commencèrent la masser doucement, aussi bien sur les mains que sur le visage. Dans une fin, Dona Silvia ouvrit les yeux, mais un brouillard épais l’empêcha de voir. Elle entendit seulement une voix basse lui chuchotant: « Dona Silvia, Dona Silvia! », mais elle ne la reconnut pas. Puis, après un certain temps, elle reconnut les voix de sa belle-mère, Dona Isolde et de Concíta. Le brouillard de ses yeux commença à se disiper lentement et elle put voir ceux de la salle. Ses lèvres tremblaient et d’une voix lente, perdue, elle chuchota: « Melissa, mamá ».

La porte s’ouvrit brusquement et dans la chambre entrèrent le seigneur Oreiro et Mme Vanessa de Gadára. « Ma chérie, ma petite fille! ». En pleurs, Mme Gadára se jeta sur le lit, en l’embrassant. Dona Isolde, de l'autre côté du lit, près de Lopéz, la tenait par la main et lui caressait la tête.

- Melissa, j'ai entendu parler de Melissa! dit la blessée. Qu’est-ce qui nous est arrivé?

- Elle viendra aussi, ma chérie. Vous êtes blessée, vous devez vous reposer.

- Eduardo? s’entendit sa voix et ensuite elle perdit connaissance.

- Docteur! Les voix des deux femmes retentirent en même temps, effrayées.

- Elle sera bien, répondit le médecin. Elle s’endormit, mais elle sera bien. Laissons-la dormir en paix. Resterons seulement nous, les médecins, pour garder les blessés.

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Sans dire un mot, mais confiants dans les mots du docteur, les seigneurs et les dames quittèrent la salle, y restant aussi le prêtre.

- Je prierai, Messieurs. Je prierai à Dieu d'avoir pitié des victimes, mais aussi de chacun d'entre nous, dit le prêtre aux médecins.

- Nous prions aussi, Père, à côté de Votre Sainteté, car il n’y a rien d’autre que nous puissions faire. Justement de prier et d’attendre, dit le médecin.

Vers minuit, Dona Silvia ouvrit les yeux. « J'ai soif! ». Sa voix basse produisit la plus grande joie aux médecins, car ce fut un signe que son corps a commencé à se rétablir. Son esprit est revenu le premier, c’est pourquoi, dans l'inconscience, elle entendit le nom de Melissa, prononcé par Lopéz. Ce fut le mot qui provoqua son esprit éveiller le corps blessé.

- Melissa, Eduardo!? - Don Eduardo est ici, à côté de Votre Grâce, lui aussi

blessé, lui répondit l'autre médecin. - Où, à côté de moi? Qu’est-ce qui nous est arrivé?

Pourquoi sommes-nous blessés? Je ne me souviens rien. Ses beaux yeux était plus clairs, mais pas totalement. L'état de faiblesse et de somnolence la dominaient, elle pouvait à peine garder les yeux ouverts.

- Père, Votre Sainteté sait mieux ce qui s'est passé, hésita le docteur. Nous lui donnerons une concoction d'herbes édulcorée avec du miel.

- Dona Silvia, lui s’adressa le prêtre avec sa voix apaisante, vous ȇtes partie, avec Don Eduardo et Melissa, à Tarragone.

- Quand? Dona Silvia mit la question en sirotant doucement du concoction chaude. Le médecin lui tenait

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soigneusement la tête haute, pour pouvoir boire la potion bienfaisante.

- Il y a trois jours. Sur le chemin, vous avez été attaqués par un détachement de soldats maures. Votre Grâce et Don Eduardo ont été blessés et Melissa est recherchée partout.

- Ils la trouveront? - Certainement, Madame. Parce que Dieu la défend de

tout le mal. Don Eduardo est ici, dans le lit voisin, mais il est toujours inconscient.

- Père, portez mon lit à côté du sien, demanda-t-elle, après avoir fini de boire la potion.

Avec des mouvements doux, les médecins alignèrent les lits des blessés et Dona Silvia tendit sa main et caressa le front de son mari. Ses légers mouvements furent accompagnés par des mots tendres, d'amour, sur eux deux et Melissa. Elle parla à son mari, jusqu'à ce qu'elle s'endormit, en laissant sa main sur son front.

À la grande surprise des médecins, les gestes et les paroles de Dona Silvia eurent effect. Don Eduardo soupira et ouvrit lentement les yeux. Il voulut bouger, mais la plaie de la poitrine lui provoqua une douleur qui foudroya son corps et le fit gémir.

- Silvia, Melissa! Ceux furent les seuls mots qu'il prononça à voix basse et il perdit connaissance. Mais pas pour longtemps.

La récupération des deux blessés avançait lentement car les blessures étaient profonds, mais, après deux semaines, ils sortirent dans la cour du château. Mais si les corps guérirent, leurs âmes étaient encore malades et la douleur ne semblait pas disparaître, avec tous les efforts faits par le prêtre. Un petit soulagement les amenait Lopéz, de l'éducation duquel ils commencèrent à s’occuper de plus en plus, comme d’un enfant

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propre. Ils lui devaient, selon les mots du prêtre, l'éveil de l’inconscience et le retour à la vie.

*

Melissa-Mehrim vivait depuis environ six mois dans le harem d’Al Mandur, avec les autres enfants de celui-ci. Son état d'apathie s'est transformé en résignation, accompagnée de la curiosité enfantine. Elle était réceptive au nouveau ou à tout ce que lui apportait de la joie et elle avait même commencé à participer, timidement, aux jeux des enfants. Elle appréciait les moments quand lui était permis de passer du temps avec la fille nouvelle-née de sa mère adoptive Karima.

Un de ces jours, les quatre enfants jouaient ensemble et couraient à travers l'appartement où ils habitaient, comme tous les jours, sous la supervision des mères Karima et Zubaida. À un moment donné, Manuk entra dans l'appartement, avec un air sérieux.

- Mesdames, le Maître ordonna d’ȇtre prêtes pour voyager demain avec les enfants et les servantes. Quelques servantes viendront pour vous aider avec les préparatifs du départ.

- Est-ce qu’on sait où on va, effendi? demanda Karima. - Je sais, mais je ne suis pas autorisé à dire. - Manuk effendi, cajola Karima, vous avez toujours été le

protecteur des épouses du Grand Maître, ne nous laissez pas dans l'obscurité de l’ignorance juste avant le départ.

- Votre Grâce le saura, mais pas les odalisques. - Vous pouvez être sûr de mon silence. - Ṭurṭūšah c’est tout ce que je peux dire.

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- J'ai entendu parler de cette ville, mais je ne sais pas où elle se trouve. C’est très loin d'ici? C'est une grande ville?

- Les chrétiens ibères l’appellent Tortosa. La ville n’est pas grande, mais très belle. Il y a un port assez grand, où arrivent des marchandises de l'orient. Vous pouvez y trouver tout ce que vous aimeriez avoir et porter. Des vêtements et des bijoux, de Damas, Caire et même de Perse.

- Oh, très bien, réjouit Karima. Une ville avec de belles choses pour les dames. Nous y resterons pendant une longue période?

- Oui, le Maître dit que peut-ȇtre nous nous y établirons. Il fut promu au rang de gouverneur.

Karima resta silencieuse, surprise par cette nouvelle qu’elle ne prévoyait pas. " Pas trop de temps s'est écoulé depuis notre arrivée dans ce lieu et on s’est déjà habitué. Nous avons aussi nos marchands qui nous apportent tout ce que nous voulons. Mais je suis heureuse d'aller dans une ville plus grande ". Elle élevera sa petite fille de trois mois, dans une ville, dans la forteresse d'une ville-port magnifique, en toute sécurité parmi les soldats. Peut-être le maître amènera aussi d’autres odalisques dans le harem, s’il fut promu. Elle se sentait entrer dans un état d'agitation, en pensant à ce qu'il faut prendre à Ţurţušah. " Seulement les meilleures choses, parce que là, je trouverai d’autres plus belles. Et le maître, bien que violent et imprévisible, n'est pas du tout avare. “ Son état d'agitation fut adopté par les autres femmes, Zubaida, les odalisques, mais aussi par les enfants.

- Karima valide, mama, demanda la petite Mehrim, après un certain temps, tout le monde s’agite et les servantes rassemblent mes affaires. Se passe-t-il quelque chose de mal?

- Non, ma chérie, nous déménageons. C’est une bonne chose.

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- Vous amenez aussi les enfants, n’est-ce pas? - Oui, toutes les dames et tous les enfants. Il faut t'asseoir

à côté de moi et n'oublie pas, tu porteras en permanence le voile sur le visage.

- Je suis très docile, car je vous ai uniquement à Votre Grâce , Karima valide.

Si profonds furent les mots de Mehrim-Melissa que Karima la pressa contre sa poitrine, ce qui arrivait moins souvent. Et pourtant, ces gestes d'amour et de tendresse que Melissa-Mehrim attendait, arrivaient. Les larmes coulaient sur ses joues. Des larmes d'amour, de nostalgie.

- Je le sais, Mehrim et tu es ma fille. N'oublie pas, je t’aime et je te défends, créature innocente ! Elles restèrent donc embrassées jusqu'à ce que Karima estima que la petite Mehrim se calma. Le général Al Mandur s’installa avec grande joie à l’est de la ville de Tortosa, dans le fort reçu en administration, comme un cadeau de l'atabey, avec toute la province. Chaque fois qu'il se rappelait les paroles de l’atabey, son orgueil et la fierté le faisaient se sentir comme l’élu d'Allah pour de grands faits. Des faits tels que la conquête de nouveaux territoires chrétiens, vers le nord, ce qui l’aurait fait connu dans tout l'Empire Almohade. Il a vécu avec cette pensée cachée du début de sa carrière. Au fur et à mesure qu’il avançait dans la fonction, à la suite de ses mérites militaires, cette pensée le dominait et le rendait encore plus déterminé à se faire reconnaître par le calife mȇme, si possible. Mais il était réticent à exprimer ouvertement ses pensées de peur que l’atabey, ou même l’émir soient jaloux de lui et l’envoient dans le désert du Maroc, ou même qu’ils lui prennent la tête.

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- Al Mandur Aga, lui dit l’atabey, quand il le convoqua au palais, vous m’avez toujours été fidèle et toutes les conquȇtes que vous avez faites, vous me les avez données, comme étant mes propres mérites. Peut-ȇtre qu’il en est ainsi. Pour cela, je vous nomme le Bey de la province de Ṭurṭūšah, Tortosa, de l'est de la péninsule. C'est une province grande et riche. Votre Grandeur maintiendra la majeure partie de mon armée et veillera à ce que les autres gouverneurs nous soient fidèles. Car nous sommes tous soumis à l’erreur et lorsque l'un des gouverneurs a des pensées d’agrandissement en cachette, nous devons chasser ces pensées-là de son esprit tout avec la tête qu’il porte. " Mais je dois ȇtre prudent avec Al Mandur, il est le plus cruel et indomptable général. Il sert seulement comme bourreau, contrairement aux autres généraux et gouverneurs qui savent ce que c'est la tolérance et la diplomatie, certains d'entre eux même la bonté. Donc, il faut que je tienne Al Mandur le plus près possible, comme le général le plus dangereux et méchant. Et qu’il ne devine jamais mes pensées,” se dit l’atabey.

- Je suis votre dévoué serviteur, Grand Maître, répondit atterré Al Mandur, agenouillé devant l'atabey. Il sentit presque physiquement la menace en mȇme temps que son devoir de Bey. Il gardera et défendra l'atabey, pas contre les ennemis de l’empire, mais contre certains de ses propres sujets. - Je vous défendrai avec ma propre vie, Maître. « Je défends ainsi ma propre vie », poursuivit Al Mandur, dans sa tȇte.

L’atabey intuit sa pensée et cela le rendit content. - Vous avez tous les privilèges et les pouvoirs du rang et

je vous soutiendrai afin que vous accomplissiez mes ordres. Vous avez un brillant avenir devant vous, Mandur Bey, sous mon commandement. Suivez-le!

Les mots de l’atabey et son nouveau poste le rendirent heureux et ce beau sentiment il le répandit sur ses sujets, à partir

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de sa suite et du harem. Le chef des eunuques, Manuk, reçut l’ordre d’apporter aux portes du harem, de nombreux marchands pour que les épouses et les odalisques profitent elles aussi de la nouvelle position du Seigneur. Ni les enfants ne furent pas oubliés et reçurent beaucoup de bonbons et les plus beaux vêtements. "Notre déménagement à Ţurţūšah a bien commencé pour tous. C’est du bon augure, mais combien de temps notre bien durera-t-il encore?" C’était la pensée des épouses et des concubines du Bey, heureuses pour ce début de leur vie dans la belle ville.

Pour Mehrim, le déménagement de l'ancien appartement dans un autre lieu n'eut aucune signification. La route versŢurţūšah-Tortosa, la fit pleurer, en lui rappelant les moments dramatiques quand elle se réveilla au milieu des Maures. Elle s’est accrochée, psychiquement et sentimentalement à Karima valide, mama, l’instinct lui disant que son salut venait seulement de Karima. Une pensée la suivait toujours. " Pourquoi mes grands-parents, mon parrain, le Comte ne me cherchent pas? Ils sont bons et puissants! Ils ont de grands pouvoirs et je ne comprends pas pourquoi ils ne me trouvent pas. Ou c’est qu’ils ne veulent plus de moi? "

Avec le temps, la position d’Al Mandur Bey se solidifia devant l’atabey Yassin, grâce à ses faits d’armes et à la loyauté démontrée dans diverses circonstances. Après environ cinq ans de la réception de la province et du château La Suda de Tortosa, grâce à ses espions bien placés aux Cours d’autres Bey, il découvrit un complot contre l'atabey, mis au point par le Bey de Murcia. Avec l’atabey, ils piégèrent les complotists et les punirent exemplairement. Cela lui valut la renommée à travers la péninsule, devenant lui-même un homme puissant, courtisé par d'autres nobles et généraux du calife.

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Encore une fois, les avantages, les privilèges et les richesses de sa célébrité se répandirent sur la suite et le harem. Le Seigneur Al Mandur acheta cinq odalisques de différentes nationalités, jeunes et belles et embaucha encore trois harem ağasi eunuques nubiens. Manuk était devenu un véritable baş Hadim, chef des eunuques, qui administrait le harem avec détermination et exigence, en maintenant, autant que possible, la hiérarchie et le respect parmi les odalisques, les concubines et les deux épouses.

La petite Mehrim-Melissa était grande maintenant. À ses neuf années, elle était un bel enfant, harmonieusement développé, annonçant une future concubine ou épouse, belle, charmante et sage. Elle était une bonne connaisseuse des règles, mais aussi des intrigues du harem et de la Cour du puissant Bey. Et Karima-valide, mama, était très fière de sa fille adoptive, tant pour son apparence que pour toutes les connaissances qu'elle avait accumulées comme une future épouse pour un de grands nobles musulmans. Et pourtant, dans son for intérieur, Melissa priait le Bon Dieu chrétien, comme elle l’appelait, de l'aider et seulement quand elle disait les prières à haute voix, elle demandait l'aide d'Allah. Elle continuait à rêver, souvent avec les yeux ouverts, ses terres natales, ses parents, Lopéz et ses grands-parents. Elle s’imaginait, dans sa naïveté d’enfant, la rencontre avec eux dans l'avenir, au cours des années, bien que souvent elle ait cru que mamá et papá étaient morts. Elle croyait que mamá et papá étaient partis dans un autre monde, mais elle n'avait pas, dans son for intérieur, cette ferme conviction. Plusieurs fois elle les rêva pleurer, en la cherchant dans des villes maures. Ces rêves, peut être une expression inconsciente de ses désirs cachés, lui apportaient de la tristesse, suivie ensuite par l'optimisme. Et ainsi, elle gardait l’espoir de retourner à une vie propre, normale, chrétienne. Une vie libre dans les

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magnifiques terres du domaine de son grand-père. Elle ne s’imaginait jamais, dans aucun de ses rêves, vivant captive dans le harem du Bey, quoiqu’elle eut des richesses. Les deux épouses du maître, qu’elle regardait des yeux d’enfant n'avaient pas l'éclat de sa mère, n’avaient pas de rêves et d’espoirs. On avait volé leur avenir et elles se conformaient avec ce monde luxueux, mais limité. "Je veux vivre comme ma mère, libre, faire ce que je veux. Et jouer avec Lopéz ".

Ses beaux-frères, les trois fils du maître, âgés de deux, trois et quatre ans de plus que Melissa, avaient commencé des leçons d'escrime et de lutte avec des soldats-enseignants, qui venaient dans une annexe du harem. Après chaque leçon, ils racontaient aux filles, très fiers d'eux, tout ce qu'ils avaient appris pour devenir de bons combattants.

- Karima valide, je sais que c'est contre les règles qu’une fille aille avec les garçons aux exercices militaires, mais j'aimerais accompagner mes frères, pour voir comment ils s’instruisent et les encourager. Je les aime et je voudrais les accompagner. Je verrai des choses nouvelles à ces leçons.

Karima la regarda amusée, c'était une nouveauté pour elle aussi qu’une fille aille aux leçons d’escrime. Mais pourquoi pas? Elle encouragera et stimulera les garçons d'apprendre avec plus d'attention.

- Je dois parler avec Mme Zubaida, puis avec Manuk baş à cet effet. Mais tu continueras à apprendre ce qu’une fille doit savoir à la Cour de son maître, n’est-ce pas?

- Bien sûr, valide, j’apprends sur Allah et sur notre sainte religion, géographie et histoire, comment je dois me porter à la Cour, comment m'habiller.

- Bien, Mehrim, je vais parler avec Manuk baş. - Merci, Karima valide, lui dit Mehrim très heureuse.

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D'un geste spontané, la petite fille attrapa par la main sa mère adoptive, la tira vers le bas, se leva sur la pointe des pieds et l'embrassa légèrement sur la joue.

Karima fut surprise par le geste de la petite fille, puis, elle porta sa main à la joue, où elle fut embrassée. Le geste inattendu de la jeune fille était contraire aux règles de la Cour du Bey, mais la sublime expression de l'affection impressionna la jeune mère maure.

- Pardonnez-moi, Karima valide, c’est un geste de ma vie chrétienne, fait sans réfléchir. Mais je vous aime. Vous êtes ma mère, qui m’a sauvé et m’élève.

Les larmes qui coulaient sur le visage de la jeune fille avaient touché à la rigoureuse Karima, qui serra étroitement à sa poitrine ce petit enfant opprimé. La porte de la salle s’ouvrit soudainement et la fille de Karima, âgée de cinq ans maintenant, accompagnée par Mme Zubaida, entrèrent en courant. En voyant sa mère embrassant Mehrim, elle s'arrêta perplexe.

- C'est un jeu, dit Karima. Viens, laisse-moi te montrer. Karima prit sa petite fille et l’embrassa à côté de Mehrim

et les tint ainsi à toutes les deux, amoureusement. - J’aime, valide, lui dit la petite fille. Je veux faire cela

plus souvent, parce que je t'aime. " Comment peut-on ȇtre changé par un enfant, qui te

fasse rappeler de ce qui est important dans la vie! Je te remercie aussi Mehrim! "

Karima avait les yeux embués de larmes.

Dès premières leçons d’escrime auxquelles participait Mehrim-Melissa, sa présence s'avéra bénéfique pour les garçons, ses beaux-frères. Les soldats-enseignants furent satisfaits par le fait qu’aux encouragements de la petite fille, les garçons exécutaient les exercices avec les armes de mieux en

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mieux, en utilisant des épées courbées, des dagues, des lances, tous de taille réduite, pour pouvoir être maniés par des enfants.

- Zandir ağasi lui dit un des instructeurs à l'eunuque qui assistait toujours aux leçons d'escrime, permettez à la petite fille de participer aux exercices avec les fils du maître. Ainsi, les leçons seront plus efficaces.

- Que sais-je? Il est inhabituel pour une petite fille. - Vouz avez raison, mais lorsqu'elle participe à ces

leçons, les garçons ont une belle évolution. - C’est peut-être vrai. Enfin, je ne vois rien du mal à

cela, pour les enfants c’est un jeu. - Vraiment, c'est seulement un jeu. Depuis cet instant-là, Mehrim, vêtue de pantalons courts

et larges et portant le voile islamique sur le visage, commença à participer à toutes les exercices de maniement d’armes et après quelques mois, elle combattait d'égal à égal avec les garçons. Mais son talent se manifesta dans les compétitions de tir à l'arc et dans les luttes sans armes.

- Le maître devrait donner la commande de préparer la jeune fille comme futur combattant et pas comme odalisque, dit son instructeur à Zandir ağasi. Elle serait plus utile sur le champ de bataille que dans le harem.

- Seulement le maître peut décider cela. Mais je ne voudrais pas qu’il sache que la petite fille s’entraîne avec des armes, parce que je ne sais pas comment il va réagir.

- Il ne le saura pas, soyez tranquille, effendi.

Avec le temps, Melissa-Mehrim s'est rendue compte de ses charmes féminins. Elle avait appris de Karima valide que sa beauté parfaite, completée par de nombreux secrets du comportement caractéristique au harem, pourraient la propulser rapidement parmi les favoris du maître. Puis, elle pourrait se

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retrouver parmi ses épouses, peut-être même la première. Elle observait tout ce qui se passait dans le harem et apprenait et ce qu’elle ne comprenait pas, elle le demandait à Karima.

Elle apprenait, mais pas pour devenir l'épouse du maître, mais pour pouvoir s'évader tôt ou tard, de la prison luxueuse où elle vivait. Elle savait qu’elle sera odalisque dans le harem du maître puis concubine, dans le cas où celui-ci ne pensera pas la vendre ou la donner à certains gouverneurs plus forts. Cet avenir la terrifia. Elle avait remarqué que depuis quelque temps, elle était vue différemment d'un enfant. Le premier qui lui attira l’attention à cet effet, fut le fils aîné de son maître, le jeune Al Karsan. Celui-ci la cherchait de plus en plus souvent, sous divers prétextes et l’instinct de femme la fit comprendre les intentions du jeune homme. Après une discussion avec sa mère adoptive, Karima, Al Karsan fut envoyé à la formation avec le détachement de soldats de la garde du fort.

Mais cela ne signifia pas qu’elle s'échappa aux insistances du jeune fils du maître. Celui-ci la chercha plusieurs fois et dans certaines circonstances fut très violent. Ainsi découvrit le jeune maure, que Mehrim était préparée et déterminée à se défendre contre n'importe qui la fâcherait. Mais, en tant que fils du général Al Mandur, il hérita le caractère cruel et vindicatif de celui-ci et jura de faire de Mehrim sa concubine ou de la tuer.

Dans une telle situation, la seule aide venait de Karima, qui la défendait comme elle le pouvait, à travers des intrigues et des dons faits à ceux de la Cour du général. « Ma punition ne cesse jamais? », se demandait, désespérée, Melissa-Mehrim. " Les troubles et les épreuves grandissent avec moi. Que se passera-t-il dans une, deux années? J'ai presque seize ans, je suis servante depuis deux ans. À tout moment je peux être prise et tenue comme concubine. Alors, si je ne peux pas m’échapper,

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je vais prendre ma vie, ainsi que celle du maître, qui que ce soit." Et cette pensée, jugée comme un sauvetage du harem, la calma un peu. Mais l’attrista aussi en pensant qu'elle ne reverra jamais ses bien-aimés abuelos Lopéz et Concíta. " Mais je vais rencontrer mes chers mamá et papá, là-haut, chez Dieu. Et pourtant, je ne reverrai plus notre maison de Vetéro. Je m'ennuie tellement de ces terres. Que dois-je faire? ".

Depuis lors, elle portait toujours sur elle un petit poignard, très bien caché. Il sera son chemin vers la liberté.

Chapitre III

La province d'Almería, 1147

Au début de juin de l'année 1147, comme dans les années précédentes, les habitants de Vetéro commencèrent à

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récolter le seigle et l'orge des champs du seigneur Don Rodrigo. Il s’annonça une récolte abondante et le seigneur fut contraint d'apporter plus de travailleurs du nord, afin de ramasser et entreposer les produits si indispensables pour la subsistance quotidienne des habitants. Et pas seulement pour leur subsistance, mais de la vente de l'orge et du seigle, le seigneur obtenait l’argent pour la maintenance du domaine. Les paysans libres opéraient de la mȇme façon, une partie de la culture ils la vendaient à l'aide du seigneur, dans le nord. Ces années-là, il était dangereux de garder une grande quantité de grains dans les entrepôts, car des détachements de Maures pourraient venir à tout instant, à saccager les fermes.

Don Rodrigo et pas seulement lui, se présentait tous les jours sur le champs, accompagné d'un détachement de soldats, pour contrôler et, si nécessaire, défendre les frontières du domaine. Don Eduardo, son fils, était l’un de ses aides dévoués et qui partait souvent, accompagné par le jeune Lopéz, le long des frontières de la région. Don Eduardo, dans les douze dernières années, fit d'innombrables incursions, avec les quelques caballeros hidalgos des environs, dans les territoires occupés par les Maures. Ils allaient à la recherche de sa fille, Melissa, avec l'espoir de la retrouver, saine et sauve à la Cour de n’importe quel noble ou officier maure. Don Eduardo fit même un réseau d'espions, mais, malheureusement, tout fut en vain.

L’enfant Lopéz, plein de vivacité, grandit avec l'épée à la main, déterminé à respecter le serment fait à Melissa, au cadre de la vision avec elle de la chapelle du château. Au cours des années, Lopéz devint un jeune guerrier courageux, en partant tout seul, en plusieurs reprises, à travers les terres des Maures. Le but de ses incursions était le même que celui de Don Eduardo: trouver Melissa.

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Il y a trois ans, alors qu'il était âgé de quatorze ans, Lopez fut reconnu par son Seigneur, Don Rodrigo, comme un caballero villano, chevalier, un vrai combattant. À dix-sept ans, il était un vrai soldat. De taille moyenne, les cheveux châtains, coupés court, la peau foncée, le nez romain, il avait un corps souple, mais vigoureux et qui soulignait que les exercices militaires étaient son principal souci. Malgré sa jeunesse, par sa constitution physique et la lueur de ses yeux noirs, par les gestes déterminés, mais pourtant harmonieux, il imposait du respect. Il avait un air digne, noble et personne ne s’imaginait qu'il était de condition modeste, un serviteur au château.

Le matin d’un jour de juin, Don Rodrigo et Don Eduardo mangeaient dans la petite salle des chevaliers, accompagnés par Dona Isolde et Dona Silvia, qui dégustaient une confiture de figues.

- Si Votre Seigneurie, Don Eduardo, allez à la frontière sud du domaine, j’irai sur les champs où on récolte l’orge, dit Don Rodrigo. Nous prendrons dix soldats avec nous, pour les avoir près, si nécessaire.

- Lopéz m’accompagnera aussi, lui répondit Don Eduardo. Bien que, avec votre permission, padre, il veuille aller ces jours-ci à Alcañiz. Il dit qu'il y a été seulement deux fois et n’a pas pu rechercher partout.

- Il est difficile de l'arrêter, hijo. Moi aussi, à sa place, je ferais la même chose. Dites-lui d’aller soigneusement, je ne voudrais pas qu’il lui arrive un malheur. Je la lui dirai aussi.

Autant Don Rodrigo que son fils, Eduardo furent marqués par le malheur qui leur arriva il y a des années. La douleur de l’âme laissa ses traces sur leurs visages. Leurs yeux perdirent leur éclat, les cheveux commencèrent à blanchir et la joie de vivre disparut de leurs visages. Tout à fait surprenant, après une période de désespoir qu’on pouvait lire sur son visage,

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Dona Silvia retrouva son apparence, comme si la douleur avait passée. Elle réussit, comme par miracle, à remplacer, peu à peu, le désespoir avec l’optimisme, la douleur avec l’espérance, c’est ainsi que les années ne la marquèrent trop. On peut dire que la même chose se passa avec Dona Isolde, ce qui compensait la douleur évidente des hommes.

L'influence bénéfique des femmes se manifesta aussi sur le Seigneur Oreiro et Dona Vanessa de Gadára, qui venaient à Vetéro de plus en plus souvent et restaient longtemps au château seigneurial. Mais à cette époque-là, ils se trouvaient à Gadára pour la récolte des céréales.

Quelques jours plus tard, lorsque les travaux de récolte avaient presque fini, Lopéz décida de faire une incursion dans les terres occupées par les Maures. Ainsi, tôt dans la matinée, ils partirent, accompagnés d’un groupe assez grand de soldats. Lopéz, habillé de vȇtements arabes, sombres et armé comme un soldat maure, d’une épée à lame courbée et deux poignards à la vue, montait à cheval à la droite de Don Eduardo, devant les soldats compagnons. Le cheval, un pur-sang arabe, noir, friand de courir, était difficile de maîtriser.

- Don Rodrigo ordonna que vous soyez très prudent dans vos recherches, Lopéz, lui dit Don Eduardo.

- J'ai toujours respecté ses ordres, Don Eduardo, vous le savez. Je ne lui ai jamais donné des raisons d'inquiétude..

- C’est l’impression de Votre Grâce. Il a peur de vous perdre. Et moi aussi, j’ai peur que quelque chose puisse vous arriver, voilà pourquoi nous vous conseillons d’ȇtre prudent.

- Je sais, seigneur, et moi, pour Vos Seigneuries et Melissa, je suis très prudent dans toutes mes recherches. Je ne veux pas vous inquiéter pour moi, c'est pourquoi j’évite les dangers.

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Lopéz regarda Don Eduardo avec des yeux sereins, sincères et celui-ci savait que le jeune homme les aimait et essayait de les protéger de tout souci. Même quand il allait dans les territoires occupés par les Maures. Et il savait que Lopéz essayait en vain de les calmer, à lui et à Dona Silvia. En particulier avec tous les nouvelles et rumeurs qui circulaient à travers le territoire.

- Lopéz, j'ai entendu dire ces jours, qu’à proximité de Caspe, fut attaqué le détachement de soldats maures qui gardait les charrettes avec des grains pour la garnison du fort. Il est dit que tous les charrettes furent volées, et ensuite elles reparurent dans les villages Maella et Fayon. Des cadeaux pour les habitants. Serait-il vrai?

- Don Eduardo, j’ai entendu aussi les rumeurs, même les employés du château parlaient de cela. Ils ont été peut-être les habitants, ou les caballeros locaux. Qui sait?

- Don Rodrigo m'a dit qu’en route vers Fayon, dans la montagne, quelques pilleurs ont volé une partie de charrettes remplies de grains, mais qu’elles furent capturées par ceux qui les avaient prises des Maures. Les gens de la région disent que les voleurs, chrétiens, furent pendus pour avoir volé les grains destinés aux pauvres.

- Cela, je ne le savais pas, Don Eduardo. Mais il est bien que les gens de la justice, les vrais defensores, gardent nos terres. N’en pensez-vous pareil?

- Si, je le pense. Mais Lopéz, Votre Grâce connaît plus de détails à cet égad? Don Eduardo regarda insistentement dans les yeux, le jeune homme en attendant sa réponse. Mais Lopéz ne cligna même. Il le regarda calme, serein et, avec un léger sourire, il lui répondit franchement.

- D’où pourrais-je savoir des détails, Don Eduardo? Mais si j’en apprends plus, je vous informerai.

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Don Eduardo le regarda d'une façon étrange, interrogateur, mais aussi indulgent. « Il ne me croit pas » se dit Lopéz. "« Il ne me croit pas, mais il sait et comprend. Et me protège. Quelle chance de les avoir, à lui et à Don Rodrigo. »

Entre temps, il arrivèrent à la limite sud du domaine, sur la route vers le sommet Prades.

- Lopéz, mon cher, soyez prudent. Je vous accompagne jusqu’ici, puis je tourne au château. Quand rentrerez-vous?

- Dans quatre, cinq jours au plus tard, Don Eduardo. Je vous remercie pour votre compréhension et soyez tranquille à mon égard.

- Je vais l’être, Lopéz. Dieu soit avec vous.

Le sixième jour, tard dans la nuit, Lopéz entra par la grande porte qui donnait dans la Cour du château. Après avoir laissé le cheval à l'écurie, se dirigea vers la porte de l’entrée. Étonné qu’il voit la lumière des bougies à travers la fenêtre de la petite salle des chevaliers située au rez de chaussée, il pensa d’y aller premièrement. Après avoir été élevé au rang de caballero villano, les seigneurs l’ont reçu, toujours, parmi eux et les autres caballeros hidalgos, même si Lopéz n'eut pas des origines nobles. Mais il était comme leur enfant et une telle acceptation ils la considéraient comme naturelle.

Un des employés entra dans la salle des chevaliers et en s'inclinant, annonça le jeune homme, qui voulaient les voir.

- Don Rodrigo, Don Lopéz est arrivé et il vous demande la permission pour entrer dans la salle.

- Qu’il y entre, lui permit le seigneur. Le jeune Lopéz entra d’un pas rapide et salua, en se

découvrant la tête. Il portait les mêmes vêtements maures comme au départ pour Alcañiz. Dans la salle se trouvaient assis à la grande table en bois de pin, Don Rodrigo, Don Eduardo, un

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prȇtre et cinq caballeros. À deux des chevaliers, Lopéz les connaissait, ils étaient de Barcelone, mais les trois autres étaient étrangers de la province. Tout comme le prêtre. Le jeune homme regarda curieusement le prêtre et les trois caballeros inconnus. Le prêtre était vêtu d'une soutane blanche, avec une croix rouge cousue sur la poitrine et une autre sur le dos. Sa coupe de cheveux était totalement différente de ce qu'il avait vu jusqu'alors. Le prêtre avait coupé court les cheveux, jusqu'à la peau, au sommet de la tête et avait laissé ses cheveux d’un doigt de longueur, tout autour de sa tête, en ressemblant ainsi à une couronne. Cela représentait la Couronne de Jésus. Les trois caballeros portaient aussi des soutanes blanches, tout comme le prêtre. Par-dessus la soutane, ils portaient une robe blanche, avec les mêmes Croix rouges. Tous les trois portaient les cheveux coupés court d’une longueur de deux doigts et ils n'avaient pas de barbes.

Intrigué, il s'arrêta près de la porte et regarda tour à tour les caballeros et Don Rodrigo.

- Votre Sainteté, Messieurs les chevaliers, je vous présente notre fils adoptif, Don Lopéz. Il est vȇtu avec des vêtements maures parce qu'on a eu des affaires dans les terres du sud.

Lopéz s’inclina gracieusement devant ceux présents. - Don Lopéz, continua le seigneur, Sa Sainteté, le père

cistercien Don Etienne et Messieurs les chevaliers templiers de la commanderie de Tarragone.

Les quatre saluèrent aussi le jeune caballero. - Asseyez-vous près de nous, Lopéz et les serviteurs

vous apporteront de la nourriture. Nous avons déjà mangé. - Donc, Votre Sainteté, continua Don Rodrigo, vous

parliez d’une nouvelle croisade qui s’organise maintenant.

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- Oui, Don Rodrigo, dit le père Etienne, Sa Sainteté le Pape Eugene le IIIe a publié un édit, deux ans auparavant, où il fait appel aux rois et aux nobles chrétiens de l’Europe, pour lancer une croisade contre les infidèles de l'orient. L'objectif de la croisade est de défendre le Royaume de Jérusalem et les principautés chrétiennes, trouvées en grand danger. À l’appel de Sa Sainteté répondirent les rois Louis de France et Conrad des terres germaniques, le Saint Empire Romain. Mais il y participera aussi le roi d'Angleterre, Richard, avec une armée plus petite.

- Pour nous, il est plus difficile d'aller dans la Terre Sainte, Père. Nous avons ici, près de nous, un ennemi, le calife, d’Al-Andalus et les gouverneurs de taifa, les provinces autonomes maures. Nous sommes toujours en guerre avec eux.

- Sa Sainteté connaît bien la situation dans la Péninsule Ibérique, Don Rodrigo. Il sait qu’entre taifa et les royaumes ibériques ont existé des accords, des alliances, mais aussi des conflits. Il sait que les Maures tolèrent les Juifs et les chrétiens. Mais, s’agissant des terres des royaumes chrétiens qu'ils ont conquis, Sa Sainteté demanda l’arrivée dans la péninsule, ce printemps-ci, des croisés européens pour soutenir les rois chrétiens. Il appela les nobles croisés pour commencer un soulèvement, aux côtés des Ibères, contre les Arabes et Berbères qui dominent les terres des chrétiens.

- Je comprends, père Etienne, dit Don Eduardo. Mais vous n'avez pas à nous convaincre de lutter contre les Maures, car cela, nous la faisons depuis longtemps. Nous attendons seulement le signal. Vrai, Don Rodrigo, mi padre?

- C’est vrai, mi hijo. - Messieurs, nous sommes venus ici dans la péninsule,

de l'Abbaye de Morimond, en suivant l'exemple du Monseigneur Bernard de Clairvaux, qui est allé dans les terres françaises et

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germaniques pour convoquer les fidèles à la croisade. Nous sommes venus chez Vos Seigneuries, Don Rodrigo, parce que vous êtes l'un des plus puissants seigneurs de la province de Tarragona et de la région de la Catalogne. Je veux juste assurer Vos Seigneuries du soutien de l'Église dans la lutte contre les infidèles. Soyons tous préparés pour le combat Messieurs, mais je ne donne pas des leçons à Vos Seigneuries, combattants de l’enfance mȇme.

- Don Rodrigo, Messieurs, intervint l'un des chevaliers du comte Ramon, messager de celui-ci, le comte de Barcelone vous transmet que nous devons ȇtre prêts pour la guerre de la reconquȇte de nos terres. Dans environ un mois, nous allons recevoir une aide de plus de trois mille chevaliers et soldats des royaumes chrétiens de l'Europe. D'ici là, nous devrions avoir nous aussi notre armée prête pour la guerre.

- Don Alabante, nous avons préparé presque cent cinquante chevaliers, prêts à tout moment de partir au combat. Nous allons les conduire nous-mêmes, lui dit fièrement Don Rodrigo. Une partie de la récolte d'orge de cette année, nous la donnerons au détachement de soldats de Tarragona et une autre partie, à l'armée du comte Ramon.

- Je suis heureux d'entendre ces bonnes nouvelles, que je transmettrai au comte. Père Étienne, vous avez encore quelque chose à dire? demanda le messager du comte de Barcelone.

- Je suis aussi content pour la décision du seigneur de Vetéro et pour avoir accompagné ici, Leurs Grâces, les chevaliers templiers, qui participent à la lutte contre les Maures, continua le prélat, pointant vers les trois chevaliers vêtus avec des robes blanches.

- On vous remercie, Messieurs, répondit Don Rodrigo, pour votre aide. D’autant plus que la réputation et la puissance des templiers a dépassé les frontières de la Péninsule Ibérique.

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Nous sommes heureux de lutter ensemble, Messieurs et si nous pouvons vous aider avec des grains et des aliments, nous la ferons volontairement. À son geste de remerciement, les templiers inclinèrent aussi la tête avec un geste élégant.

Le jeune Lopéz écouta attentivement les mots du prélat, parce qu’il entendit des choses complètement nouvelles et il ne prit pas ses yeux des templiers. Chacun d'entre eux émanait une énorme force intérieure, un calme et une confiance en soi, comme il n’avait jamais vu. “ Qui sont-ils ces chevaliers? Ils ne mangent pas, ne boivent pas et ne parlent pas. Et ils s’entendent des regards. J'aimerais les connaître mieux! "

- On parle plus demain matin, Don Rodrigo, dit le prélat. Nous devons partir, il est déjà minuit. Nous participons à la messe de minuit, ici au château.

- Votre Sainteté décide. Rendez-vous demain, accepta Don Rodrigo et tout le monde se leva de la table.

Dans quelques moments, le prélat et les templiers allèrent à la chapelle du château pour participer à la messa et les hôtes se dirigèrent vers leurs chambres à coucher.

*

À la mi-octobre 1147, la forteresse Alcazaba d'Almería se trouvait dans une situation désespérée. Elle fut encerclée et assiégée par les armées du comte catalanus Ramon Berenguer le IVe, comte de Barcelone et Prince d'Aragón, par celles du roi Alfonso le VIIe, également connu sous le nom El Emperador, de Galice, León et Castille et par les armées du roi García Ramírez de Navarre. Ils étaient aidés par les troupes génoises, arrivées en

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bateaux depuis la moitié de l’été, quand les chrétiens avaient lancé l'offensive contre Taifa d'Almería. Il y avait aussi des détachements de chevaliers templiers et de croisés des territoires francs et germaniques.

Le siège de la forteresse d‘Almería faisait partie du plan général des rois chrétiens pour l’attaque et la reconquista de la Taifa d’Andalousia, dans le contexte de la croisade lancée par le Pape Eugène le IIIe.

Almeria, porte principale de la taïfa pour l'entrée et la sortie des marchandises de la province, c’était l’un des points stratégiques du bord de la mer. Raison pour laquelle les chrétiens s’efforçaient de conquérir le port et la ville à tout prix, en concentrant de grandes forces militaires.

À quelques centaines de mètres de la mer, à environ un quart de lieue vers l’ouest, se trouve une colline qui domine toute la région. Du pied de la colline, vers l'ouest, s’étend une plaine aride où règne la chaleur du soleil. La mer avait créé dans cette région, le meilleur endroit pour le port, ce qui a attiré, depuis les temps anciens, des marins et des marchands. Au fil du temps y se développa une ville florissante, favorisée par le commerce et l'échange de marchandises avec diverses autres terres, en arrivant à Venise et Constantinople. À proximité, se trouvait une ancienne mine d’argent, qui a attiré les aventuriers et les chercheurs des richesses.

Après la conquête de la région par les Maures, fut formée la Taifa d'Almería et au sommet de la colline qui dominait la ville, le calife construit une citadelle, bien fortifiée. Premièrement, furent construits les murs de défense avec des tours et des remparts, des maisons pour les dirigeants arabes et leurs familles, avec une mosquée, devenant ainsi le centre du gouvernement maure.

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Au cours des années 1110, la forteresse fut agrandie par la construction de trois bâtiments bien fortifiés. On savait que la première enceinte, le château proprement dit, était réservée pour le calife et ses généraux de confiance, la deuxième et la troisième, entourées par des murs résistants, étaient destinées aux fonctionnaires et aux commandants qui administraient taifa et bien sûr, à la population musulmane.

Le fort était facile à défendre grâce aux avantages géographiques et c’est pourquoi les croisés pensèrent à l’isoler par le blocus. Le blocus génois sur mer et l'encerclement de la ville par les chevaliers européens et les rois espagnols, sur terre, eurent comme effet la cessation de l'approvisionnement de la population et de l'armée musulmane. Ainsi, à la mi-octobre 1147, la faim et le désespoir maîtrisaient toute la ville. Les espions chrétiens de l'Alcazaba d'Almería annoncèrent que les réserves de nourriture et d'eau de la ville avaient presque finies et que la force de défense des Maures avait beaucoup diminuée.

En recevant ces nouvelles, les trois dirigeants du siège, les rois Alfonso, Ramirez et le comte Ramon ordonnèrent une réunion du conseil de guerre le lendemain dans la matinée. Ainsi, vinrent les nobles commandants des trois armées et les commandants des croisés européens.

- Su Majestad Ramirez, Señor conte Ramon, Nobles, commença son discours, le roi Alfonso El Emperador, notre assaut sur La Alcazaba entre dans la phase décisive. Nos espions nous ont annoncé que les défenseurs souffrent de faim et soif et sont démoralisés. Cela nous aide à donner l'assaut final et à conquérir la ville. Nous nous sommes réunis ici pour déterminer la façon d'organiser l'assaut. J’écoute vos opinions, Nobles Caballeros.

- Su Majestad, se leva le comte Ramon Berenguer, je demande à cet honorable conseil la permission que l’armée

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catalanensis lance l'assaut sur la forteresse La Alcazaba d’Almería. Maintenant, la ville est entourée par nos troupes. Nous, ceux des terres catalanes et d’Aragón, nous occupons la position sur le versant nord-ouest de la ville, là où la pente de la colline est plus lisse et nous permet de nous approcher des murs extérieurs.

- Señor conte, vous avez bien pensé, répondit le roi Alfonso, mais je crois qu’il est mieux de commencer l'assaut tous en mȇme temps. De cette façon, les défenseurs maures ne peuvent pas concentrer les soldats sur le côté où Vos Seigneuries attaquent, mais ils doivent les disperser sur les quatre côtés des murs.

- C’est vrai, Su Majestad, nous devrions attaquer tous en mȇme temps et les prendre par surprise. Cependant, en attaquant seulement avec mon armée, les Maures vont penser qu’il s’agit d’une attaque locale ou d’une diversion, comme il est arrivé plusieurs fois au cours de ces mois de siège. Par conséquent, les soldats ne changeront pas leurs positions permanentes de bataille. Vos Majestés, vous pouvez commencer à tout moment l'attaque, moi, je demande seulement d'avancer l’attaque avec une ou deux heures. Si je fais une rupture dans le mur de défense, tout le fort va tomber.

- Señores, je pense que c'est mieux d’accorder cette avance au comte. Qu’en dites-vous?

- Oui, oui! fut la réaction des personnes présentes. Ainsi, nous voyons comment réagissent les défenseurs, s’ils sont déterminés à combattre.

- Alors, Señores, préparons-nous pour commencer l’assaut demain matin.

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Un peu après minuit, si quelqu'un situé sur le mur de défense d'Alcazaba d'Almería, avait regardé attentivement la pente externe de la base du mur, il aurait observé, dans la lumière de la lune, quelques ombres s’approchant du fort. Il n'y avait pas plusieurs ombres, seulement une dizaine qui portaient trois échelles d'assaut, légères, faites en bois de pin noir. Les ombres placèrent attentivement les échelles à la base du mur et les levèrent, en les appuyant contre celui-ci. Ils commencèrent à monter, tranquillement, mais ils virent que les échelles n'étaient pas assez longues pour arriver à la hauteur des remparts. Le mur avait, à cet endroit-là, environ dix pieds, il était assez grand pour être escaladé. Cependant, avec de grands efforts, s’aidant les unes les autres, les ombres montèrent sur le mur, en restant cachées derrière les remparts et regardant attentivement autour d'eux.

Le mur, large de quatre, cinq pieds, était éclairé d'un endroit à l'autre, par des flambeaux et à la lumière de ceux-ci, on voyait quelques sentinelles. Comme il n’y avait aucun bruit dans le calme de la nuit, les sentinelles semblaient aussi tranquilles, détendues.

Pour un certain temps, ils observèrent le mur et l’intérieur et découvrirent les sentinelles sur le mur et dans la cour du château. Les ombres, informées sur la situation du mur, se réunirent en groupes et se déplacèrent vers le nord, vers l'escalier de descente dans la cour du château. Celui qui marchait à la tête du groupe, fit un signe avec la main et ils s’arrêtèrent tous, prudents. Ensuite, le dirigeant du groupe continua tout seul et s’approcha, doucement, des sentinelles.

- Quelle nuit paisible, frères, dit-il, aux gardes, en dialecte maure.

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Les trois gardes tournèrent surpris vers le nouveau venu, les épées à la main, prêts à se battre, mais ils se calmèrent immédiatement en voyant le soldat maure qui leur parla.

- Oui, tranquille mais qu’est-ce que vous faites ici? - On nous envoya effendi officier pour patrouiller sur le

mur, lui répondit le nouveau arrivé. Nous dormions si bien, quand on nous a réveillé pour aller en patrouille. S’il ne dort jamais, il ne laisse ni les autres dormir.

- Oui... passez, répondit le chef des gardes, qui n'eut pas vraiment envie de bavarder.

- Venez, cria-t-il, dans le même dialecte maure, à ceux qui l'attendaient.

Les ombres, identifiées à la lumière des flambeaux comme étant des soldats, s’approchèrent des sentinelles maures et ceux-ci, s’appuyèrent contre le mur pour leur faire de la place. Une fois près des gardes, les nouveaux arrivés les neutralisèrent avec les dagues, en quelques secondes, dans un silence complet.

- Tout bien jusqu’ici, Lopéz, lui dit Don Eduardo. Nous devrions descendre dans la cour et aller vers la porte, au-dessous du mur, dans l'obscurité.

- Suivez-moi, mais, tout d'abord, jetons les corps de gardes à l’extérieur du mur. Quelqu’un pourrait les trouver et donner l’alarme.

Les ombres combattantes étaient les caballeros villanos catalanicus, dirigés par Don Eduardo et par Lopéz, ce dernier parlant assez bien le dialecte du peuple berbère. Tous portaient des vȇtements arabes de soldats maures, armés des épées à lames courbées et des dagues. Combattants invincibles, expérimentés dans les innombrables batailles avec les Maures, ils semblaient être à l'aise dans cette expédition périlleuse. Don Eduardo eut le privilège de diriger ce groupe de courageux caballeros, comme filleul du comte et père qui cherchait encore,

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sa fille enlevée. Mais aussi son courage prouvé dans toutes les batailles, le recommandait comme un bon commandant.

Les dix caballeros descendirent dans la cour du troisième bâtiment, celui extérieur et, près du mur de la défense, se dirigèrent vers la porte ouest. La porte était gardée par environ vingt soldats maures, qui groupés, étaient assis sur la terre sablonneuse. Ils parlaient entre eux et leurs voix pouvaient ȇtre entendues de loin.

- C’est nous, la patrouille envoyée par effendi officier, s’entendit la voix gutturale de Lopéz, avant que le groupe s'approche de la porte.

- Venez alors, leur répondit un des gardes, probablement le chef.

La patrouille maure s’approcha avec des pas lents des gardes et les nouveaux venus se mélangèrent parmi eux, comme pour chercher un endroit de repos. Mais, au lieu de s'asseoir près des gardes de la patrouille, les soldats sortirent les épées et commencèrent à frapper, en les prenant par surprise. Peu réussirent à se lever et à riposter, mais ils furent rapidement défaits. Le bruit de la bataille et les appels à l'aide furent entendus par les soldats maures de la forteresse qui donnèrent l'alarme. Don Eduardo et ses chevaliers à peine eurent le temps d'ouvrir la porte pour laisser entrer les soldats du comte Ramon, qu’environ une centaine de soldats maures firent leur apparition les épées à la main.

Pour n’ȇtre pas coupés par les soldats chrétiens, Don Eduardo et ses compagnons durent jeter les turbans et les vestes arabes, en combattant habillés uniquement avec des chemises. Habitué à se battre avec son épée, droite, longue et à double tranchant, Don Eduardo mania plus difficilement l’épée arabe, courbée. Raison pour laquelle il fut plus prudent que d'habitude. Mais son attention était concentrée non seulement sur sa propre

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défense, mais aussi sur Lopéz. Le jeune homme, plein d'énergie, se lança sur n'importe quel Maure qui lui apparaissait dans le chemin, sans prendre les précautions habituelles. Ainsi, à un moment donné, se retrouva seul au milieu de plusieurs soldats maures, qui l’attaquaient de partout. Pour se protéger de leurs coups mortels, il utilisa son épée avec des mouvements continus, désordonnés, tournant pour chercher un moyen de sortir de l'encerclement. Après un certain temps, il se sentit fatigué et sa main droite mania difficilement l'épée. Il ne savait pas combien de temps avait passé depuis quand il combattait tout seul contre les soldats maures.

Il continua à lutter, il ne put pas s’arrêter. Il changea l’épée dans la main gauche, mais il n’eut plus du temps pour frapper. Il sentit le fer transpercer l'épaule, puis une brûlure et la main, sans force, laissa tomber l'épée. Il savait que la fin est arrivée. Sa dernière pensée se dirigea vers la jeune fille qu’il cherchait. « Pardonnez-moi, Melissa, je vous ai cherché, mais sans vous trouver. Seigneur, prends soin de ma chère Melissa. Je viens Te rencontrer ». Il tomba à genoux et souleva le regard vers le ciel. C'était un ciel sans nuages, plein d'étoiles. La lune décroissante, le regarda triste. “ Quelle belle nuit “, pensa-t-il, attendant le coup mortel. Un moment passa, puis deux, trois et, perplexe, il regarda vers les soldats maures du devant. Ceux-ci, prouvant de la noblesse, le virent blessé, sorti de la lutte et, par respect pour son courage, ils se tournèrent vers un autre adversaire, à continuer la lutte. Et cet adversaire venu à son secours, fut Don Eduardo. Et lui, seul, contre cinq, six Maures, lutta pour le sauver, ne sachant pas si Lopéz était vivant ou mort.

À cet instant, s’entendit la voix d'un officier maure qui cria aux subordonnés d'abandonner la lutte. Pour Don Eduardo, ce fut la voix salvatrice. “ Dieu a entendu mes prières. Merci,

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Seigneur! Maintenant, il faut occuper toute la forteresse, car il n’y a pas de retour possible! "

D’ici le matin, la ville fut conquise par les armées chrétiennes, après que l'enceinte extérieure tomba entre les mains des soldats du comte Ramon de Barcelone.

Dans la lumière du matin, dans la cour Alcazaba d’Almería on voyait peu de corps des soldats morts au combat. Et grâce au fait que les défenseurs maures se rendirent mȇme du début de l'assaut, les pertes humaines furent relativement petites. Les corps furent rassemblés et enterrés, selon la tradition et l'habitude de chaque mort, chrétien ou musulman. Les blessés furent tous portés dans une salle du château, où ils reçurent des soins dispensés par des médecins, chrétiens et musulmans.

Dans la grande salle des chevaliers du château, située dans le premier bâtiment, celui de l’émir Al Ahmad, se réunirent les dirigeants des croisés et les commandants des Maures, y compris Al Ahmad. On discutait les conditions de la reddition et l'avenir des soldats maures en Almería.

- Messieurs, nous devons établir ce que nous ferons avec les terres d'Almería, avec le trésor de la province et les prisonniers, leur dit le roi Alfonso. On commence par les prisonniers étant présent aussi le grand émir. Nous allons appliquer les lois de la guerre, mais avec indulgence, car ils ont cédé la ville.

- Votre Majesté, je crois que nous devions garder seulement les prisonniers qui peuvent payer la rançon, dit le roi García Ramírez de Navarre. Je ne voudrais pas prendre comme esclaves de simples soldats, mais je les laisserais aller vers le sud. Ils doivent jurer qu'ils ne combattront jamais contre les chrétiens. Nous sommes en guerre et nous ne pouvons pas garder et nourrir tous les prisonniers.

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- Moi, je pense pareil, Votre Majesté, intervint le comte Ramon. Les soldats ordinaires, qui ne nous ont causé des pertes, doivent jurer qu'ils ne combattront pas contre les chrétiens, tout comme vous l'avez dit et nous allons les laisser aller. Ils peuvent retourner au Maroc, ou aller ailleurs. Ils ne peuvent pas payer les indemnités ni les officiers, car beaucoup d’entre eux n'ont que les armes. Les nobles, par contre, doivent payer des rançons signifiantes.

- Donc, on en consent. Ils demeureront comme des prisonniers, les nobles et les riches dirigeants, jusqu'à ce qu'ils paient la rançon. Nous allons parler avec chacun d'entre eux. Grand Emir, qu’avez-vous à dire?

- Je dis que vous ȇtes nobles et généreux avec mes soldats, Vos Majestés. J'ai remis la forteresse sans conditions, mais maintenant je pense à demander, cependant, quelques petites choses. Laissez à la population musulmane de la ville et de la province, les mêmes droits qu’ont les chrétiens. Donnez-leur le droit d'échanger des biens avec tous les royaumes chrétiens, parce que cela est dans l'intérêt de tous, en particulier des royaumes qui établissent des taxes. Moi, d'une part, je n’ai pas d'argent pour la rançon parce que toutes mes richesses sont dans la trésorerie du château. Je vais rester le prisonnier de Votre Majesté. C’est tout ce que j'avais à dire.

Après les mots de l'émir, le silence gagna la chambre. Chacun des chefs croisés pensait à ce qu’il avait entendu. Il y avait des vérités qu’ils devaient considérer. Plus tard, le roi Alfonso répondit, en regardant l'émir aux yeux .

- Vous êtes sage, Grand émir. Parce que vous avez remis la forteresse et vous avez épargné nos soldats, vous êtes libre de partir où et quand vous le voulez, avec vos soldats. En ce qui concerne la population musulmane, je pense que ce sera comme vous avez demandé, mais cela se fera par les nobles qui

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gouverneront ces terres. Maintenant, vous êtes libre de vous retirer dans l’appartement de Votre Grandeur.

- Votre Majesté, je voudrais parler aussi avec l’émir Al Ahmad, dit le comte Ramon. Je le prie d'attendre à l'extérieur.

Le traducteur transmit à l’émir les mots du comte et puis, les commandants maures sortirent de la salle.

Les pourparlers durèrent encore quelques heures, jusqu'à ce que les croisés décidèrent comment administrer la province et la ville d'Almería. Par la suite, ils parlèrent des actions futures des armées alliées, décidant de continuer à se battre vers le nord, pour la reconquête des provinces Valencia et Murcia.

Pendant ce temps, Don Eduardo et Lopéz, qui attendaient l'émir, entrèrent, accompagnés de celui-ci, dans une pièce adjacente. Ils avaient à discuter quelques choses avec lui, des choses de grande importance pour eux.

Retirés dans cette salle-là, seulement eux trois, ils s’assirent à la table située sur l’un des côtés de la pièce. Ils se regardèrent directement et, surtout, avec une grande curiosité. D’une part, c’était l’émir qui maîtrisait une très grande partie de la Péninsule Ibérique, conquise par les musulmans, d'autre part, c’étaient deux petits nobles, venus du nord et qui ont contribué à la prise de la ville bien fortifiée.

- Je vous écoute, nobles caballeros, dit l'émir, calme, tranquille. C’était pas bien que lui, le Maître de la Taifa, trahisse ses sentiments et ses états intérieurs. Peut-être qu’on lisait une petite satisfaction sur son visage, en voyant la surprise des chrétiens quand ils furent abordés dans le dialecte de Castellon. – Vous savez qui je suis, poursuivit-il, alors je ne me présente plus.

- Grand émir, nous sommes Don Eduardo de Vetéro et Don Lopéz. Je voudrais vous raconter une histoire, passée il y a de nombreuses années. En l’écoutant, vous comprendrez quelle

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est l'aide qu’on vous demande et que nous ne doutons pas d’obtenir, étant données l'éducation et la noblesse de Votre Grandeur.

- Je vous écoute avec intérêt, Monsieur. Avec des mots simples, Don Eduardo lui raconta ce qui

s’est passé il y a 13 ans. En revivant ces moments-là, le seigneur Eduardo décrivit, avec douleur, les circonstances dans lesquelles la petite Melissa fut enlevée, les blessures qu'il avait reçues lui et la Dame, son épouse et continua avec les recherches entreprises dans les terres conquises par les musulmans.

L’émir écouta, impressionné par la douleur du parent qui a perdu son enfant. Après des minutes de silence, regardant en vide, les pensées loin, l’émir commença à parler. Dans sa voix basse, gutturale, on sentait l'impression faite par l’histoire du noble chrétien.

- Noble Eduardo, je suis impressionné par la douleur que Votre Seigneurie et votre famille, éprouvez et portez depuis tant d'années. J'ai aussi des enfants et je sais ce que cela signifie d'être père.

- Où sont les enfants de Votre Grandeur? La question est sortie sans que Don Eduardo l’anticipe. Ici?

- Non, señor Eduardo, je les ai mis à l’abri. J’ai envoyé tout mon harem à Damas mȇme au début du siège, pour être en sécurité. J'espère qu'ils soient en sécurité, car ni dans notre monde, on n'est pas sûr de rien. Les dernières paroles il les prononça lentement, plus pour lui.

- Je partirai demain ou après-demain, à Damas. Je ne peux pas vous aider avec rien et j’en suis désolé. Mais, un conseil je peux vous donner; cherchez à Balansiya ou à Tortosa. Mieux encore, à Tortosa, je pense. Celui qui l’a enlevée, s’il n’a pas exigé une rançon pour sa libération, il l'a gardée dans son harem. Et il la détient probablement encore, pour lui. Ces dix

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dernières années, aucun général ou gouverneur n'est pas sorti de nos terres, musulmanes. La fille de Votre Seigneurie se trouve toujours ici, dans ces terres.

- Je vous remercie pour cela, Grand émir. Si vous apprenez quelque chose sur ma fille, s'il vous plaît, envoyez-moi des nouvelles à Tarragona. Comme un père qui aime ses enfants.

- Je ferai ainsi, señor. - Il ne sait rien sur l'enlèvement ou les ravisseurs, dit

Lopéz, après ȇtre sortis de la salle des chevaliers. Je l’ai regardé tout le temps et je pense qu'il a été honnête avec nous. J'ai pensé à quelque chose, Don Eduardo, dit le jeune homme, en regardant son Seigneur.

- Moi aussi, j'ai pensé, Lopéz. L’offensive de croisés commencera, sur terre, d’ici, d’Almería, vers le nord, vers Valencia et Tortosa. Les armées maures, les soldats des garnisons, tous auront les yeux fixés sur l'offensive des croisés. En participant à la lutte contre l’alliace chrétienne, les musulmans n'auront plus des forces de défense à l'intérieur des villes. Je vais annoncer aujourd'hui le comte Ramon que nous rentrerons chez nous avec environ vingt caballeros et soldats, dit Don Eduardo. Il manifesta un enthousiasme et un optimisme rarement vu chez lui. Lopéz fut surpris du comportement du seigneur, mais il pensa que peut-être celui-ci avait compris quelque chose qui lui avait manqué.

- À vos ordres, Don Eduardo, dit-il comme un fidèle serviteur, tel qu'il l’était.

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Chapitre IV

La province de Tortosa

La galère entra dans la baie et accosta dans le petit port de Salou, environ midi. Elle est partie du port d'Almería il y a un jour, mais elle dut contourner, au large de la mer, le port de

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Valencia, gouverné par les musulmans et ainsi s’explique donc son retard.

Don Eduardo, Lopéz et environ une vingtaine de chevaliers et soldats descendirent sur le rivage, se déplaçant avec attention sur le pont en bois. Ils portaient, chacun d'entre eux, les chevaux qu’ils n’ont pas voulu laisser dans la ville. Ils étaient leurs camarades de bataille et, très souvent, leurs sauveteurs même, au cours des batailles féroces de la Reconquista. Lopéz les a convaincus que les chevaux étaient plus utiles à Vetéro, que dans les terres d’Almería, où ils ont capturé des haras entiers des arabes.

Sans plus perdre le temps, ils partirent au galop des chevaux vers Reus et, de là, vers le château de Vetéro, où ils arrivèrent en moins de deux heures. Don Rodrigo et les Dames, Isolda et Silvia, les attendaient avec impatience ayant été annoncés de leur arrivée par les espions du domaine.

- Eduardo, mi hijo, on ne vous attendait pas si tôt, dit Don Rodrigo, en les accueillant dans la Cour du château. La croisade est-elle finie?

- Non, mi padre, seulement une étape de la croisade est finie. Je te dirai tout sur la croisade de Taifa d'Almería. Justement d’enlever la poussière, car nous avons quitté Almería dès que le siège prit fin et on n'a pas eu le temps de nous laver. Et Lopéz doit être examiné par un médecin, car il a une blessure à l'épaule, lui dit Eduardo, pointant vers le jeune blessé. Celui-ci resta à côté des autres soldats, en attendant que les seigneurs lui parlent.

- López? Accompagnez-nous dans le château. Appelez le médecin, cria Don Rodrigo, d’une voix inquiète, se dirigeant vers la porte principale du château.

- Eduardo, mi hijo, parlez-moi de la croisade, lui dit le seigneur pendant que le docteur s'occupait de la blessure du

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jeune Lopéz. Des messages réçus, nous avons appris sur le siège de La Alcazaba d'Almería, mais nous ne savons pas comment cela s’est déroulé et lequel a été, en fin de compte, le résultat de ce siège.

- Le siege a duré presque trois mois, padre, mais on a enregistré peu de pertes en hommes et chevaux. Il y a trois jours Leurs Majestés avaient décidé de donner l'assaut final sur la ville. Puis, en quelques mots, il raconta à son père comment s’est déroulée la bataille pour conquérir la ville.

- Donc nos gens ont prouvé une fois de plus qu'ils sont courageux et calés au combat. Je suis fier de Votre Seigneurie, mi hijo, lui dit Don Rodrigo, en regardant Eduardo affectueusement. Son regard exprimait aussi sa satisfaction que les soldats, caballeros et de simples soldats ont été courageux dans la bataille, en suivant l'exemple de leurs seigneurs.

- Vous vous ȇtes dépȇchés d’arriver au château, Eduardo. Quels sont vos plans?

- Mi padre, de ce qu'il nous a dit l’Emir Al Ahmad, et j’ai confiance en lui, nos recherches doivent se concentrer dans les villes de Valencia et Tortosa. Il disait de chercher à Tortosa, en particulier. J'ai hâte d’organiser les recherches dès que possible, avant que l'offensive des croisés contre les deux provinces ne commence pas. Les nobles maures et les grands officiers enverront leurs familles, leurs harems et la suite vers le sud, quand les armées chrétiennes y se rendront. Et il faut trouver Melissa avant le départ des suites des Maures au sud.

- Oui, vous avez bien pensé. Nous organisons deux groupes de caballeros et soldats qui parlent le dialecte berbère et nous les envoyons dans les deux bastions.

- Un des groupes sera dirigé par Lopéz et l'autre par moi, dit Eduardo. Nous attendons un jour ou deux, pour voir si Lopéz

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peut bouger sa main. S’il ne peut pas combattre, nous allons choisir une autre personne pour participer à l'expédition.

- Nous avons plusieurs caballeros qui veulent partir à la recherche de Melissa. Mais, nous attendons quelques jours pour voir comment se sentira notre blessé.

Le matin du troisième jour dès l'arrivée de Don Eduardo de Vetéro, un groupe d'une trentaine de caballeros et soldats sortirent par la porte du château, descendant la route vers Reus. C'étaient les soldats qui partaient vers le sud, vers les villes de Tortosa et Valencia à la recherche de Melissa de Gadara y Salou. Ils allaient au galop des chevaux qui semblaient avoir senti l'impatience de maîtres pour arriver dans les terres des Maures dès que possible. La pente légère les aida à progresser et, après environ deux heures du départ, ils s'arrêtèrent à la lisière de la forêt afin de changer les vêtements qu'ils portaient, avec des autres, arabes. Ils continuèrent, puis, sur la route vers Tortosa, située à peu près de sept lieues. Même avant d'arriver à la grande rivière d’Ebre, ils firent un bref arrêt à la lisière de la forêt couvrant la chaîne montagneuse Serres de Cardó-el Boix. Dessous, on voyait la route principale qui conduisait des montagnes de l'ouest, vers la mer, en passant par Tortosa. La route suivait la rivière et traversait la plaine vaste d’entre les deux massifs, gardiens imposants de la grande dépression. Les pentes des montagnes, d’un côté et de l’autre de la rivière, étaient couvertes de forêts denses.

- Don Eduardo, selon moi, nous devrions passer la nuit ensemble, ici, à la lisière de la forêt près de Tortosa. La nuit tombe et, de toute façon, pendant la nuit on ne progresse plus beaucoup et en plus, la fatigue gagnera les gens et les chevaux.

- Vous avez raison, mon fils, d'autant plus que dans les montagnes est assez froid pendant la nuit. Il est mieux de continuer reposés vers les terres de Valencia. Les soldats

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cueilliront de l’herbe et nous organiserons des lieux à coucher et les chevaux ont de la nourriture. Vous avez encore du mal à l'épaule?

- Pas trop. Seulement quand je bouge la main trop fort. - Eh bien, elle guérit. Ensuite, il cria aux soldats:

préparons-nous pour le repos. Deux hommes se tiendront aux aguets et les échanges seront faites de deux en deux heures. N'oubliez pas, nous sommes dans les terres des Maures. Maintenant, mangeons quelque chose.

Le matin, reposés, ils étaient impatients de se mettre en marche. Il était assez tard, mais ils avaient attendu qu’ils passent environ deux détachements de soldats maures, qui se dirigeaient vers l'est, vers la mer, ou vers Valencia. On sentait l'air froid, là, dans les montagnes, ainsi que les soldats s’enroulèrent dans les couvertures. Les vêtements arabes qu’ils portaient, étaient trop fins pour ces terres des montagnes ibères.

Après environ une moitié de lieue, sur la pente de la montagne, ils s’arrêtèrent pour voir, encore une fois, la vue qui s’ouvrit devant leurs yeux. Ils étaient ravis de regarder la plaine qui s'étendait à leurs pieds, d’une partie et de l’autre de la rivière Ebre. Cela ressemblait à une partie du paradis, avec la rivière qui coulait à travers la plaine, bordée des montagnes avec des pics cachés par les nuages.

Don Eduardo se rappela ce que lui avait raconté son père, quand ils ont été ensemble pour la première fois à Tortosa, il y a plus de vingt ans. Ils sont venus, alors, dans la ville de Tortosa, qui appartenait à la Taifa de Cordóba, pour le commerce avec l'huile d'olives et Don Rodrigo lui avait raconté des choses sur l'histoire de la ville.

Personne sait quand est apparue dans ces lieux-là, la première colonie, mais à l'époque des anciens ibères, il existait là une communauté appelée Hibera. Plus tard, à l'époque

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romaine, c'était un urbis prospère, les bateaux naviguant au large de l’Ebre jusqu’au deux ports commerciaux, construits sur les rives du fleuve. Les Romains ont nommé la colonie développée par eux, Dertosa.

En 714, la région de Dertosa fut occupée par l'Empire Almohade, celui des Arabes venus du sud. Certains sont venus de l'est, d'autres des régions marocaines. Au fil des années, ont vécu ensemble toutes les nations et croyances, chrétiens, musulmans et juifs, la ville devenant un établissement de plus en plus important dans la province. Et l'emplacement de la colonie, n’était seulement beau, avec de l'eau, des plaines et des montagnes, mais aussi riche grâce à la plaine fertile, les collines avec des vergers, forêts de pins et la navigation qui unissait l’établissement avec le monde méditerranéen. Dans la zone marécageuse, les Maures ont organisé des rizières, riches, toujours fécondes.

À l'ouest, vers la gauche de la ville, s'élevait Mont Cardo, avec son sommet Buinaca. Les chaînes montagneuses, couvertes de forêts, paraissaient un mur gigantesque qui gardait la grande dépression entourant le fleuve Ebre, dépression de presque six lieues de longueur.

Les regards des soldats de Don Eduardo s’arrêtèrent sur Castillo la Suda, qui dominait une colline près de la rivière. Castillo était une forteresse construite par l'Emir Ar-Rahman, après l'année 1030 et qui s'étendait sur toute la colline, avec de hauts murs, des créneaux pour les défenseurs, deux tours carrées et une autre ronde, appelée Tubal. « Castillo c’est la résidence de l’actuel gouverneur de la province », pensa Don Eduardo. " Ce sera difficile pour Lopéz de chercher à travers la ville, mais, surtout, de pénétrer dans la citadelle fortifiée. Il y a des dizaines, voire des centaines d'endroits où Melissa pourrait être gardée, si elle est ici. »

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- Il est le temps d’avancer. Lopéz, on se sépare ici, dit Don Eduardo au jeune caballero, tout en se préparant à monter sur son cheval, qui ronflait des naiseaux, impatient. Vous tournez à gauche, vers Tortosa, il vous reste environ un quart de lieue et nous continuons vers Valencia. Nous contournerons la ville. Vous savez ce que vous avez à faire, mais faites preuve de prudence. D’autant plus que vous ne pouvez pas utiliser trop bien votre main.

Il regarda le jeune homme avec affection, comme un père. Il était inquiet, sachant le caractère impétueux de celui-ci. "Son caractère est similaire au mien. Je suis inquiet pour lui, mais je ne pense pas qu’il actionne, toujours, tout comme moi. Le Seigneur nous a donné cet enfant, pour l’élever et l'éduquer, comme une compensation pour ce que nous avons perdu. Ce que nous aurions fait sans lui?" Il s'approcha et prit Lopéz dans ses bras et celui-ci regarda interrogateur, surpris, son père adoptif. Le visage triste de Don Eduardo et les yeux pleins d'amour, donnèrent au fils la réponse aux questions inexprimées.

- Don Eduardo, allez tranquillement. Dieu m’accompagne et me défend des épées des Maures.

Don Eduardo le regarda encore une fois, tourna et s'approcha du cheval. Tout d’un coup, il sentit un vertige et une sorte de lumière passa devant ses yeux, comme un coup de foudre. Une voix résonna dans son esprit: “ Padre, ayuda! Ayuda! " Don Eduardo secoua et s’appuya de la selle du cheval. Il resta ainsi pour quelques instants, puis, effrayé, il se jeta sur son cheval.

- Suivez-moi! s'écria-t-il, éperonnant le cheval qui se cabra, puis s’avança avec la vitesse du vent, vers la ville. Lopéz et les soldats qui l’escortaient restèrent impassibles, étourdis pendant quelques instants, puis sautèrent sur leurs chevaux et partirent en course à suivre Don Eduardo. En moins d'un quart

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d’heure, ils entrèrent dans la ville, courant sur la route qui suivait la rivière. La route, assez bondée d’habitants qui retournaient ou se déplaçaient vers le centre où se trouvait aussi le port principal, rendit leur marche plus difficile.

- Où allons-nous, Don Eduardo? lui cria Lopéz. - Suivez-moi! Deux galères et une dizaine de barques étaient ancrées

dans le port et les gens déchargeaient ou chargeaient de diverses marchandises mises dans des sacs et des paniers en osier. Près du port, se trouvait un endroit, une superficie d'environ une lieue, où il y avait des stands avec des marchandises apportées par les galères et bateaux. On y vendait des milliers de riens, mais aussi des légumes et des fruits aux habitants. C'était un marché-bazar selon le modèle arabe. Le marché était plein de gens, un véritable bazar oriental qui réunissait toutes les nations. Arabes, chrétiens ibères, Génois, Vénitiens, habillés de vêtements colorés, Byzantins bruyants criaient leurs marchandises, chacun dans sa langue.

Don Eduardo, suivi de ses compagnons, s’arrêtèrent à l’entrée du marché, perplexes, regardant autout d’eux. « Nous devons contourner le marché, » se dit Don Eduardo.

- Suivez-moi, s'écri-il dans le dialecte berbère, en tournant à gauche, en direction de castillo, pour éviter la congestion.

Dans une des rues menant de castillo au marché, s’était rassemblé un groupe d'habitants qui leur fit de la place. Arrivés à côté de ce groupe-là, Don Eduardo vit, allongés sur le sol, les corps de cinq soldats maures et à l'ombre d'un arbre, trois blessés.

- Lopéz, demandez les blessés ce qui est arrivé, cria le seigneur en arabe.

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Le jeune homme sauta de son cheval et s’approcha rapidement des blessés. Deux d’entre eux étaient sérieusement blessés et l’un, blessé plus facilement, pouvaient parler.

- Qu'est-il arrivé, effendi? L’arabe de Lopéz était tout à fait intelligible, mais on observait facilement que ce n'était pas sa langue maternelle. Cela n'était pas inhabituel pour le fait que l'armée de l’émir était composée de soldats venus de partout, de l’Orient et l'Afrique du Nord, chacun avec un dialecte indigène différent.

- Les voleurs déserteurs nous attaquèrent et enlevèrent les femmes du gouverneur, lui répondit le soldat berbère.

- Quand? - Juste avant votre arrivée. - Il y avait beaucoup de voleurs? Où sont-ils partis? - Ils furent une vingtaine de combattants et s’en allèrent

vers le sud. Je pense qu'ils vont à Medina la Turab, en Valencia. De là, ils vont demander une rançon, je crois.

- Mais comment osèrent-ils d’y venir et d’attaquer votre région? Et d’enlever exactement les épouses du grand gouverneur? La voix de Lopéz exprima la révolte, sentiment compréhensible pour un serviteur du gouverneur.

- Il s’agit de deux des épouses du gouverneur Al Mandur. Les déserteurs sont ceux de l’armée de l’émir d’Almería, défait par l'armée chrétienne des croisés le mois dernier.

- Prirent-ils seulement les deux épouses du grand Al Mandur?

- Ils enlevèrent aussi le serviteur eunuque et une des filles. Seulement elles trois sont venues à faire les courses au bazar. Nous étions les gardiens des épouses. Maintenant, le maître nous tuera. Surtout à moi, en tant que chef des gardes.

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- Partez d'ici, car vous avez encore le temps. Bientôt viendront les soldats de la forteresse et ils vous emmeneront.

- M’aidez-vous? demanda le soldat berbère, en étendant sa main.

- Venez avec moi sur le cheval, je vais vous laisser au bord de la ville et vous allez vous cacher là.

À peine montèrent-ils à cheval qu’une cinquantaine de soldats maures accoururent au lieu du combat.

- Là, cherchez partout, car nous suivons les fugitifs, leur cria Lopéz, au galop du cheval. Don Eduardo et les autres le suivirent. Après un certain temps, celui-ci ralentit le galop du cheval, s'approcha de Don Eduardo et lui signala en dialecte maure ce qu'il avait appris du soldat assis sur son cheval derrière lui.

- Effendi officier, acheva-t-il la présentation de l'histoire, je ne pouvais pas laisser notre frère entre les mains de sa Grandeur, le Général, parce qu’il lui aurait pris la tête. Il se cachera dans la partie musulmane de la ville, jusqu'à ce que les choses se calmeront.

- Vous avez bien fait. Il nous est plus utile au combat que puni sans ȇtre coupable.

Une fois dans la ville, où il y avait des maisons musulmanes, ils s'arrêtèrent et Lopéz aida le soldat berbère de descendre de son cheval.

- Dites-moi, s’il vous plaît, vous ȇtes au service du Général Al Mandur?

- Oui, mon frère, je suis au service de Sa Grandeur depuis une dizaine d'années.

- Savez-vous en quelque sorte qui est la fille enlevée par les déserteurs? Est-elle la fille du Général?

Le soldat regarda Lopéz d’un air surpris, mais cependant, il répondit à la question.

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- Non mon frère, elle n’est pas la fille du général. Elle est un enfant élevé par Sa Grandeur.

Lopéz pâlit, sentit le vertige et il ne put plus maîtriser l'émotion. Il fit un signe avec la main au soldat, sauta sur son cheval sans dire un mot et laissa le Maure perplexe, au milieu de la route. Il s’approcha de Don Eduardo, qui eut peur en voyant son visage complètement changé.

- López!? - Nous l’avons trouvée! - Pardon? Lopéz, de quoi parlez-vous? - Nous avons trouvé Melissa, Don Eduardo! - Alors, c’est vrai, je ne suis pas fou, murmura le

seigneur, le coeur foudroyé d'émotion. “ La vision que j’ai eue, me montra que ma chère Melissa, fut enlevée une fois de plus.”

- Don Eduardo, je ne comprends rien. Je deviens fou d'excitation et d'impatience. Vous disiez quoi? Vous vous ȇtes comporté comme possédé par le diable. Maintenant, c’est mon tour.

- Lopéz, j'ai entendu la voix de Melissa qui m’appelait au secours. C’est pourquoi je suis venu au galop des chevaux à Tortosa et voilà que Dieu ne m'a pas pris les esprits, mais m'a apporté près de ma fille chérie.

Les larmes coulaient sur les joues sans que les seigneur réalise.

- Nous l’avons trouvée, Don Eduardo, il nous reste maintenant de la sauver des mains des ravisseurs.

- Nous le ferons, le plus tôt possible, Lopéz. - Messieurs, s’adressa Don Eduardo aux soldats, nous

allons vers l'ouest, vers Amposta et de là, vers Valencia. Je pense que ma fille est dans les mains des ravisseurs qui se dirigent maintenant vers le sud. Nous les suivons. Allons-y!

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Les soldats partirent au galop, en suivant leur seigneur. Les chevaux couraient comme le vent des montagnes sans être éperonnés, comme s’ils sentaient la nervosité et l’impatience des cavaliers. Avant d'arriver à Amposta, ils suivirent la route vers l'ouest, en direction de Valencia, route assez bondée à ces heures-là de l'après-midi. Il s’agissait des commerçants et d’habitants de la ville, la plupart des musulmans, qui allaient avec des corvées dans les deux villes, Tortosa et Valencia. Il y avait également des groupes de soldats, certains plus grands, des autres plus petits, se dirigeant vers ou tournant de la ville de Valencia. Cette foule-là pouvait être une conséquence de la guerre croisée commencée dès l'été par les armées alliées chrétiennes contre les Maures.

Don Eduardo et ses trente compagnons se déplacèrent aussi vite que possible, sur cette route si fréquentée. Après près d'une heure de marche, avant le petit village d’Uldecona, ils rattrapèrent un groupe d'une vingtaine d'arabes. Selon leurs vêtements, on voyait que c’étaient un groupe d'anciens soldats, qui portaient des uniformes usées et sales de différentes unités militaires. Ils paraissaient négligeants eux-mȇmes. Au milieu d’eux, voyageaient trois femmes vêtues de vêtements arabes, chers, propres, portant le voile musulman sur la tête.

À cet endroit-là, la route traversait la plaine vaste, un champ fertile, bon pour la culture du riz, avec beaucoup d'eau.

Sans dire un mot, los caballeros et les soldats chrétiens de Don Eduardo, vêtus de leurs habits arabes, s'approchèrent du groupe des déserteurs et, comme par hasard, les encerclèrent, en faisant semblant qu’ils voulaient les dépasser. Un cri court fut le signal d'attaque. Don Eduardo et López se précipitèrent, en passant parmi les soldats maures, jusqu'aux trois femmes prisonnières, l’un d’une part, l'autre de l'autre côté, pour les défendre.

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Les femmes, effrayées, arrȇtèrent les chevaux et regardèrent à travers le voile islamique la scène de la lutte. Les assaillants, les soldats arabes, prirent par surprise leurs ravisseurs et ils semblaient bien formés. Sans dire un mot, ils maniaient les épées avec finesse et dans quelques instants, les ravisseurs sont tombés des chevaux, morts ou blessés.

Les voyageurs de la route, surpris aussi par la vitesse de l'attaque, sortirent de la route, pensant qu'il s’agissait d’un vol. Puis, se rendant compte que c'était une lutte entre deux groupes de soldats, ils devinrent un peu plus calmes, mais ils restèrent au bord de la route.

Pendant le bref combat, de Valencia s’approcha, au galop du cheval, un détachement plus nombreux de soldats. Une centaine de combattants, avec un officier en tȇte, les épées dans les mains comme pour l’attaque, s’arrêtèrent au lieu du combat. À leur tour, ils entourèrent les attaquants, les gens de Don Eduardo.

- Laissez tomber les épées, cria l’officier. Qui est le commandant? Que se passe-t-il ici?

À un signe du seigneur, Lopéz s'approcha de l'officier posant son épée dans le fourreau.

- Effendi officier, nous sommes des soldats de la garde de sa Grandeur, le Général et nous avons une mission spéciale.

L'apparence arrogante du jeune homme, sa voix ferme et les mots choisis, prononcés un peu déformé, maladroitement, l’uniforme propre et, surtout, la plaie bien pansée, firent l'officier penser que quelque chose n'était pas en ordre. Soudainement, une des femmes poussa un cri et secoua, prête à tomber du cheval. Don Eduardo, à proximité, alla près du cheval de la femme et attrapa son bras d'une main, en l’empêchant de tomber.

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L'officier maure regarda suspicieux les trois femmes, puis de nouveau Lopéz et, en pointant menaçamment l'épée vers lui, le demanda.

- Qui êtes-vous? D’où venez-vous? Quel est votre dialecte, car ce n'est pas arabe. Vous ȇtes des espions chrétiens!

- Nous sommes des soldats de la garde de Sa Grandeur, effendi, comme je vous l'ai dit, répondit un peu nerveux, Lopéz. Nous venons de la ville, de Ţurţūšah. Notre mission, je ne peux pas la divulguer, parce que je perds la tête. Et je suis trop jeune pour cela. Comprenez-vous ce que dis, effendi? Ou vous ne comprenez plus notre dialecte, celui de Ceuta, d'où sont originaires nos grands-parents?

- Pourquoi parlez-vous, un simple soldat et pas votre commandant? Il ne connaît pas notre dialecte arabe? Donnez vos épées, vous ȇtes nos prisonniers.

Il tourna vers ses hommes et donna un ordre et ceux-ci encerclèrent étroitement les gens du seigneur Eduardo, décidés de les attaquer, s’ils ne laissaient pas les épées tout de suite.

Le matin de ce jour malheureux, haseki Karima, la première épouse du général Al Mandur, s'apprêtait à recevoir les odalisques et les servantes. Celles-ci devaient commencer un nettoyage général dans les appartements du harem. Haseki Karima avait reçu, personnellement, la permission du maître Al Mandur pour faire des achats au bazar de la ville. Elle voulait acheter des matériaux en soie, nécessaires pour l’ornement des appartements, mais aussi pour les vêtements des épouses, des odalisques et des enfants. Comme chaque fois, le maître montra de la générosité envers ses épouses, à proximité de la fȇte d’Ashura du décembre. Même plus que cela. Les femmes du

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gouverneur, en cachette ou ouvertement, tenaient aussi les fêtes chrétiennes, quand il y avait une abondance de marchandises, des plus belles. C'était une bonne occasion pour faire des achats.

Pour les épouses du général, les fêtes chrétiennes d’hiver n’avaient pas une signification religieuse, mais elles pouvaient acheter alors, de nouvelles et belles choses.

Avant midi, les femmes, haseki Zubaida et Karima, accompagnées d'un eunuque, harem aģasi et d’environ cinq soldats de garde, se préparaient à aller au bazar. La jeune Mehrim s’approcha d’elles, habillée de vêtements traditionnels requis par la sortie du harem.

- Valide, mama Karima, s'il vous plaît, emmenez-moi aussi au bazar. Je veux voir les belles choses apportées de l'orient et je vais vous aider à faire les courses.

La voix humble de la fille, provoqua de la pitié à mère Karima.

- Eh bien, accompagnez-nous, mais restez toujours à côté de nous. Pour toute erreur, nous serons punies par notre maître, vous le savez.

- Je sais, Karima valide, je serai obéissante, comme toujours.

Dans la cour du château Alcazaba, les soldats attendirent les épouses du maître et ils leur donnèrent un cheval, les aidant à monter. À travers le voile islamique, Melissa-Mehrim regarda avec impatience et curiosité, les maisons, la rivière et les gens rencontrés sur le chemin. À ses dix-sept ans, elle est rarement sortie du harem et alors, le plus souvent, elle marchait à travers la ville. Pendant l’enfance, elle pouvait sortir dans la ville beaucoup plus souvent que dans les trois dernières années, quand elle était jugée ȇtre déjà à l’âge de devenir odalisque, concubine. Avec l'aide de sa mère adoptive, Karima, elle préféra le rôle de servante, bien qu'elle travaille jour et nuit, mais, du

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moins, ainsi elle s’est tenue loin du maître. Mais pour combien du temps? Elle ne savait pas. Elle était devenue une belle jeune fille, souple et qui attirait les regards des hommes. Elle avait pensé maintes fois de fuir la ville, mais elles étaient gardées plus sévèrement que les prisonniers des geôles du château. Toute tentative d'évasion était punie avec la mort par leur cruel maître.

Au cours des deux dernières années, elle avait pensé de se suicider, mais la pensée qu'un jour elle sera trouvée par padre, s'il vivait, lui donnait la force pour affronter les privations d'une vie de prisonnière. Elle priait à Dieu jour et nuit, dans son dialecte catalan, pour la protéger et pour l’aider à rencontrer ses parents, vivant avec cette ferme conviction que ses prières étaient entendues par le Seigneur. Cela, si ses parents vivaient encore. Parce qu'elle avait encore de grands doutes, elle ne savait pas quoi croire. Parfois elle avait la conviction que ceux-ci sont vivants et la recherchent, parfois elle considérait qu’ils sont dans le Royaume de Dieu et de là, ils la protègent. Chaque fois qu’elle les rȇvait, ils apparaissaient quelque fois au château et d'autres fois, comme des anges gardiens. La vérité est qu'elle aurait voulu que mamá et papá soient vivants et qu’ils la cherchent. Mais quel pouvoir avait son désir?

« Seigneur, je Te prie de mon coeur d’enfant, aide-moi à trouver ma liberté et, si mamá et padre ne sont pas dans le ciel, je veux les accompagner à faire les courses, être libre, comme ces gens de la ville. »

Ses pensées furent interrompues par les mouvements suspects de quelques soldats étrangers. Ils étaient dans une petite rue qui conduisait au bazar, un endroit étroit, où leurs gardes ne pouvaient pas se défendre. Quand les soldats étrangers, s’approchèrent menaçamment, elle sut qu'ils seront attaqués. « Il est mieux de mourir que de retourner en ville » et la pensée la terrifia. Toute variante l’éloignait pour toujours de ses chers,

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mamá et padre, s’ils vivaient. “ Mais s’ils sont dans les cieux? Alors, je meurs heureuse que nous allons nous rencontrer et nous serons éternellement ensemble, ce qu’on n’a pas réussi sur la terre. " Et elle se souvint de la dernière chose faite quand elle fut enlevée, il y a des années. Elle montait à cheval, heureuse, avec padre. Puis, tout d'un coup, elle perdit connaissance. Cette tragique histoire se répétera-t-elle, mais sans son père? Où est-il, pour la prendre entre ses bras et la protéger, tout comme alors, il y a des années? " Mon Dieu, aide-moi! Mamá ! Padre, ayuda! Ayuda! " Son esprit et son âme crièrent au secours, inconsciemment, sans se rendre compte que personne ne pouvait pas l’aider.

- Restez calmes, quoi qu’il arrive, s’entendit la voix faible de Karima.

Le dur combat d’entre les assaillants et les gardes de sécurité dura très peu, les attaquants étant plus nombreux, ils attrapèrent les gardes. Les défenseurs tombèrent l’un après l'autre, seulement un d'entre eux réussit à s'échapper et alla à demander du secours. En échange, les femmes, les épouses du maître, restèrent en captivité. Prises en piège au milieu du groupe d'attaquants, elles ne purent qu’aller avec eux.

Les ravisseurs et les trois femmes se dirigèrent vers la sortie de la ville et une fois sur la route principale, ils allèrent aussi vite que possible, en contournant les charrettes des voyageurs. Ils essayaient s’éloigner de Tortosa, sachant qu’ils pourraient ȇtre suivis par le maître des femmes enlevées. La pensée d'une énorme rançon payée pour ces femmes, les fit aller, par endroits, en dehors de la route, à travers le champs, uniquement pour aller plus vite.

- Ils nous ont enlevées, leur dit Zubaida, mais le Maître nous rachètera. Allons tranquilles car tout sera bien.

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- Vous avez raison, répondit Karima, n’ayons pas peur, car il ne nous arrivera rien de mal. Elle parlait pour les deux autres, mais aussi pour elle, essayant de garder son sang-froid. "Je ne pense pas que nous avons été enlevées pour être vendues comme esclaves, parce que, s'ils se rendaient compte de qui nous sommes, nul n’oserait acheter les épouses du réputé et cruel général Al Mandur. Ils vont demander une rançon pour notre libération. Avec de l'argent ou par la bataille, le maître nous délivrera, au moins par orgueil, sinon pour nos enfants. »

Après environ deux heures depuis le départ de la ville, elles avaient commencé à ressentir la fatigue. Les ravisseurs ne leur ont pas adressé la parole, ne leur ont pas dit qui ils étaient et où ils allaient.

À un moment donné, un autre groupe de soldats s'approcha de leurs ravisseurs et Mehrim eut l’intuition qu’il s’agissait d’une attaque. L'instinct de défense fit les trois femmes conduire les chevaux côte à côte, en priant, chacune d'elle, de s'échapper saine et sauve de cette nouvelle épreuve. La lutte fut brève. Les attaquants prirent les ravisseurs par surprise. À peine finie la lutte que Mehrim vit s'approcher un détachement de soldats, certainement des soldats de l'armée de l'émirat.

- Nous sommes sauvées, leur dit Karima, heureuse. Parlons avec leur officier pour lui dire qui nous sommes.

- Attendez, Karima, lui dit Zubaida. Voyons ce qui se passe.

Les deux femmes tournèrent vers les soldats qui s'approchaient au galop, pensant quelle attitude à adopter à leur égard. En revanche, Melissa-Mehrim regarda les assaillants. Ils portaient des vêtements militaires arabes, nouveaux, propres, trop propres et ils ne parlaient pas entre eux. Ils s’entendaient des regards et des gestes courts et tous attendaient les ordres

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silencieux d'une seule personne. En regardant attentivement le commandant des attaquants, Mehrim sentit le vertige. Un coup de foudre traversa son cœur et elle sentit qu’elle allait perdre la connaissance. " Mon Dieu, est-ce vrai? C’est pas une chimère? ". Elle essaya de trouver son équilibre sur la selle du cheval, mais il n’y avait rien de quoi s’appuyer et elle en glissa. Elle voulait crier au secours, de dire quelque chose, mais elle ne put pas ôter aucun mot. Une main forte la soutint en selle. Le visage aimé, qu’elle avait rêvé des milliers de fois, vu de près, lui donna la certitude qu’elle ne se trompait pas. C'était lui, son cher padre, qui la regardait d’un sourire encourageant. Les rides de la douleur s’étaient visiblement imprimés sur son visage et les cheveux gris dévoilaient la rudesse de dernières années. Et pourtant, il était jeune et beau son père, comme dans ses souvenirs. Et, surtout, vaillant et brave.

« Padre!! » Le précieux mot, caché dans son âme pour tant d’années, fut libéré avec une force qui lui fit peur. Elle regarda son padre et les autres soldats d’un air effrayé, mais tous l’ignoraient. " Cela signifie que j'ai crié en moi-même et vers le ciel, comme un remerciement à Dieu! Je ne les ai pas trahis.” Les pleurs étouffés faisaient trembler son corps et les larmes, celles qui lui sont restées après les années passées en captivité, coulaient sur la joue. Pour la première fois, elle était heureuse de porter le voile islamique sur la tête, car personne ne pouvait pas voir sa douleur convertie en joie, mais tout aussi déchirantes, toutes les deux. Seulement padre vit le tremblement du corps de sa fille bien-aimée, à peine récupérée et il sut qu’elle pleurait de douleur et de joie, en même temps. Dans ces circonstances, il ne put que l’encourager en touchant son épaule. Cela leur fit du bien à tous les deux.

Karima et Zubaida regardèrent, au début étonnées, les gestes de Mehrim, puis tous les deux, avec leur instinct des

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femmes et des mères, comprirent la vérité. Le père a cherché, a rencontré et sauvé la fille enlevée il y a de nombreuses années. Et les deux furent heureuses pour le bonheur de la fille qu'elles ont élevée. Elles étaient plus qu'heureuses pour Mehrim, car l'amour d'entre une fille et ses parents va au-delà des règles, lois et coutumes, il est donné par Allah, par Dieu. " Il doit en être ainsi “ pensèrent les deux mères au même temps.

Dans ces moments-là, entre le jeune soldat et l’officier du détachement des soldats se portaient des discussions houleuses. Karima entendit lorsque l'officier donna la commande : “ Rendez vos épées, vous ȇtes nos prisonniers “. "Grand Allah, il ne peut pas arriver une telle chose. Que la fille retrouvée soit de noveau perdue! Il est possible que je risque ma vie, mais je ne peux pas laisser que cette tragédie se reproduise! » Elle regarda son eunuque, mais celui-ci, trop effrayé, ne comprenait rien de ce qui se passait.

- Effendi officier, s’adressa Karima au commandant du détachement maure. Nous sommes les épouses de Sa Grandeur, le général Al Mandur. Nous avons été enlevées et ces braves soldats, les sujets de notre maître, sont venus à notre secours. S'il vous plaît, respectez leur bravoure et conduisez-nous à Ţurţūšah, si vous ne voulez pas connaître la colère de notre maître.

Sa voix ferme, accoutumée à donner des commandements, fit l’officier à regarder plus attentivement les soldats devant lui.

- C’est vrai, effendi officier, dit aussi Zubaida. Je pense que vous connaissez notre maître. Il ne plaisante pas quand il s'agit de sa famille.

L'officier connaissait bien Al Mandur, il le savait vaillant, courageux, un bon commandant militaire, mais cruel et impitoyable.

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- Pardonnez-moi, j'ai pensé au bien de Vos Grâces, ne sachant pas qui vous ȇtes et qui sont ceux qui vous ont attaqué. Maintenant que je le sais, je vais vous conduire jusqu'à l'entrée dans la ville, car Sa Grandeur m’a confié une toute autre mission. Mon nom est Zaloub, si vous voulez raconter à Sa Grandeur de mon aide.

- On en lui racontera, effendi Zaloub, lui répondit Karima. Nous pouvons aller?

- Bien sûr, Madame. Nous allons vous suivre. Mehrim tourna vers Karima, prit sa main et l’embrassa,

en signe de remerciement suprême et Karima la caressa doucement sur la tête couverte avec le voile, chose difficile de comprendre dans ces circonstances-là. Et cela, parce que leur fille, Mehrim était encore en grand danger.

Le jeune soldat qui avait parlé avec l'officier, revint près de Don Eduardo, qui, avec un simple geste de la tête lui remercia et ensuite, il lui montra Mehrim. Le seigneur était maîtrisé d'une impatience extraordinaire, difficile à contrôler, état transmis aussi à Lopéz. Il regarda la femme devant lui, en essayant de percer avec les yeux, le voile qui couvrait sa tête et son visage, de deviner son apparence, de voir ses yeux. Il voulait lui transmettre la joie incommensurable de l’avoir retrouvée, après des années de recherche.

“ Lopéz? Lopéz? Mon Dieu, quel bonheur! Il est devenu un véritable soldat, comme mi padre. Combien il m’a manqué mon frère Lopéz!" Le même état d'impatience dominait Mehrim, chose facile à deviner de ses gestes.

- Le temps viendra quand nous pourrons parler! La voix basse de Don Eduardo les fit maîtriser l'impatience de se voir, de peur qu'ils se trahissent eux-mêmes devant les Maures.

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Au château de Vetéro, la vie suivait son cours normal, mais chacun des membres de la famille du Seigneur Don Rodrigo était inquiet à cause de l’expédition pour la recherche de Melissa, à laquelle participaient Don Eduardo et Lopéz. L'inquiétude était visible sur leurs visages, mais aucun d'entre eux ne l'exprimait ouvertement. Chacun, du désir de protéger les autres, essayait de cacher le malaise et l'inquiétude, sans en réussir, cependant.

Ce jour de décembre, juste avant les fȇtes, Don Rodrigo partit dès aubes pour voir le haras, laissé libre sur la pente de la montagne, à la charge des gardes. Il avait plus de trois cents chevaux, tenus en semi-liberté et qui ne venaient aux étables qu’à la tombée de la nuit. Ils étaient parmi les meilleurs et les plus beaux chevaux de la province, très appréciés et cherchés, pour l'armée du comte de Barcelone, mais aussi pour les ordres chevaleresques. Don Rodrigo avait aussi environ dix dresseurs qui préparaient les chevaux pour la bataille, ce qui augmentait leur valeur.

Dona Isolde, la femme du seigneur, avec Dona Silvia, étaient dans la Cour derrière du château, où se trouvaient les presses à huile. Elles sortirent des chambres froides du château, pour profiter du beau temps du dehors et regardaient avec plaisir les gens qui sortaient l’huile d’olives des presses.

- Mamá, j'aime tellement le travail au château que j’ai envie de prendre les paniers aux olives, lui dit Dona Silvia. Chez nous, à Gadára, nous n'avions pas d'olives, mais nous cueillions toutes sortes de fruits et nous les préparions pour l'hiver, tout comme ici.

- Si vous le voulez, nous pouvons aller aux cuisines où on fait des confitures.

- Oui, j'irais, mamá, peut-ȇtre j’en goûte.

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Dona Silvia, la bru, était comme une vraie fille pour Dona Isolde et elle l’aimait plus qu’à son fils, Eduardo. En plus de la nature particulière de la jeune belle-fille, peut-ȇtre que la douleur de la perte de la petite Melissa, les a tellement approchées, que toutes les corvées du château elles les faisaient ensemble. Chacune était le soutien de l'autre.

Tout en marchant ensemble vers le garde-manger, Dona Silvia eut un sentiment étrange. Soudain, une douleur, une peur terrible transperça son cœur, ce qui la fit s’arrêter et s’appuyer sur Dona Alberta. Une voix résonna dans son esprit: « Mamá, Padre, ayuda ! Ayuda!"

- Oh, mon Dieu, ce qui vous arrive, mi hija? Vous vous sentez mal?

- Melissa, Melissa m’appelle! réussit-elle à dire et tomba sans connaissance.

Dona Isolde, effrayée, inquiète, demanda des aides qui l’amenèrent dans son appartement et après, ils appelèrent le médecin. À son arrivée, celui-ci trouva Dona Silvia toujours sans connaissance.

- Dona Isolde, demanda le médecin, dites-moi ce qui s'est passé. Dona Silvia souffre-t-elle d'une maladie? Je ne sais pas d'avoir eu des problèmes de santé jusqu'à présent.

- Docteur, elle ne souffre d'aucune maladie, pour autant que je sache. Et je le sais bien. Nous étions dans la cour et soudainement elle s'arrêta, puis tomba sur le sol, sans connaissance.

- Je n'ai jamais vu cela arriver à une personne jeune, s’étonna le médecin.

- J'ai trouvé ses mots bizarres, poursuivit Dona Isolde. Elle a dit que Melissa l’avait appelée. Que signifie cela?

- Je ne sais pas. Peut-être que la douleur l’a accablée et elle a des moments quand elle perd la connaissance. Elle a

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besoin de tranquillité, d'encouragement et d'espoir. Elle va se remettre bientôt, nous devons attendre que son jeune organisme gagne la lutte avec la maladie mentale.

- Mais elle ne souffre d'aucune maladie mentale, docteur. Elle est plus saine que nous deux. Quelque chose d’autre est arrivé. Quelque chose qui est au-delà de notre compréhension. Mais, attendons, tout comme vous l'avez dit.

- Nous envoyons après Don Rodrigo? demanda le médecin.

- Non, sa seigneurie a assez d’ennuis. Nous l’inquiétons sans raison.

Après près d'une heure, Dona Silvia donna des signes d'éveil. Elle semblait s’ȇtre endormie et s’ȇtre réveillée plus reposée. Le sommeil profond a fait que son esprit difficilement éprouvé, se repose et perçoive de nouveau, la réalité. Il l'a faite revenir à la vie, mal à l'aise, mais pleine d’espoir. Un espoir bien caché dans l'inconscient, mais qui influençait sans savoir et sentir son corps frêle. Elle se leva lentement et s’assit sur le bord du lit.

- Je ne sais pas ce qui se passe avec moi. Est-ce que je suis devenue folle?

- Pourquoi dites-vous cela, Madame? demanda le médecin. Il était complètement perplexe par les mots de la jeune femme.

- Plus tôt, dans la cour, j'entendis la voix de Melissa, qui nous appelait au secours, à moi et à son père, Eduardo. Elle était très effrayée, elle sentait une peur terrible. Après cela, je n’ai rien su de moi. Pendant le sommeil, j'ai vu Melissa. Ou, mieux dit, je ne l'ai pas vue, mais je savais que c’était elle.

Dona Isolde et le médecin se regardèrent l’un l’autre, curieux. S'il s'agissait cependant d’une maladie? Qu’est-ce qu’elle disait?

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- Oui, c'était une femme sur la selle d’un cheval, portant des habits arabes. Et à côté d'elle, mon cher Eduardo. Lopéz était là aussi. À eux, je les ai bien vus. C'est un rêve bizarre, vraiment mamá? Mais ce rêve fut envoyé par Dieu pour m'encourager.

- Parfois, lorsque nous avons une grande douleur ou joie, l'esprit nous joue des tours, en nous montrant ce que nous voulons voir. Je ne pense pas qu’il s’agit d’une maladie. Plus d’un état de fatigue, conclut le docteur, confiant dans son expérience.

- Docteur, je pense que je comprends bien la condition de ma fille, lui dit Isolde. Elle a vu ce qui s'est passé quelque part loin. Nous aurons une réponse bientôt. Ma chère, buvons une potion de menthe pour se remettre toutes les deux.

Dona Isolde l'aida à se lever du lit, l’embrassa et elles se dirigèrent ensemble vers le salon. Le médecin resta étonné, les suivant des yeux. " S’il est vrai ce que Dona Isolde a dit? Si le miracle est plus puissant que la science? “ Avec ce dilemme, il se rend à ses tâches.

Le soleil illumina le ciel, la nature et les gens comme jamais auparavant et ses rayons n’ont jamais apporté tant de joie pour Mehrim. Elle montait à cheval près des ses deux mères musulmanes et de leur eunuque, au milieu des soldats de Don Eduardo et elle regardait avec impatience à travers le voile, son padre Eduardo et son hermano Lopéz. De la mȇme façon, ils regardaient la silhouette habillée de vêtements arabes et essayaient s'imaginer le visage de Melissa après tant d'années. Tous les trois étaient contrôlés par un mélange de sentiments. D'une part, la joie sans limites, la satisfaction profonde de s’ȇtre finallement retrouvés. De l’autre part, l'impatience de se voir et

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de s’embrasser, se libérant ainsi de la douleur de la séparation et de la nostalgie, accumulées pendant tant d'années.

L’officier Zaloub et les soldats de son détachement les conduisirent, comme promis, jusqu'à l'entrée de la ville.

- Mesdames, je reviens à ma mission. Je suis honoré d'être à la disposition des épouses de Sa Grandeur Al Mandur et je vous serez redevable si vous lui mentionnez mon nom.

- Nous le ferons à coup sûr, effendi officier Zaloub, lui répondit Karima.

L'officier les salua, donna une commande courte et ses soldats partirent vers Valencia.

- Karima valide, mamá, Zubaida valide, je vous remercie de tout mon cœur pour le soin que vous avez eu à mon égard. Sans vous, je serais morte depuis longtemps. Qu’Allah prend soin de vous, leur dit Melissa-Mehrim. Je vais rester pour toujours votre fille aimante. Mais je dois retourner chez moi, chez mes chers parents. Qu’allez vous faire?

- Moi, je retourne chez Al Mandur, lui et les enfants sont ma famille, tout comme les autres épouses.

- Moi aussi, dit Zubaida. Ma famille sont mon mari, les enfants et Karima et tous les autres enfants du harem. Mais vous aussi, notre fille, vous faites partie de la famille, près de nous, ou non. Qu’Allah vous protège, ma fille.

Une fois dans la rue qui conduisait à la porte de la ville, les trois femmes s’embrassèrent longtemps. Si quelqu'un avait pu regarder leurs visages, il aurait vu ce que l'amour parental signifiait, témoigné par les larmes qui coulaient sur les joues. La scène fut suivie par les dizaines de soldats chrétiens, qui les regardaient compréhensivement.

- Ne pleurez pas, ma fille, car vous ne savez pas quand et comment nous nous rencontrerons. Mais, qu’est-ce que je dis, car je pleure plus que vous.

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- Je suis préoccupée par ce qu’il pourrait vous faire le maître.

- Restez tranquille, nous savons comment agir. Il sera heureux qu'effendi Zaloub nous a sauvés; heureux pour son amour envers nous et pour la fierté d’officier et de maître. Bon voyage et soyez heureuse, notre fille.

- Je serai heureuse, mes chères mères. Il commence une nouvelle période dans ma vie et je vais essayer de récupérer, près de ceux que j'aime, le temps perdu de l'enfance. Vous deux avez été ma seule lumière dans l'obscurité. Que le Bon Dieu vous protège à vous et à vos enfants, mes frères musulmans.

Après une nouvelle embrassade, les deux femmes musulmanes se dirigèrent vers la porte de la ville et Melissa, car nous l'appellerons ainsi dès maintenant, elle est partie avec ses sauveteurs, à Vetéro.

En sortant de la ville, à environ une demi-heure de marche, ils s'arrêtèrent à l'orée d'un bois, près d'une source d’eau de montagne, froide et claire. Melissa sauta de son cheval, s'approcha de Don Eduardo et, d’un geste court, spontané écarta le voile islamique de sa figure. Un beau visage se présenta aux deux, Eduardo et Lopéz. Le visage légèrement ovale, avec deux fossettes aux joues empourprés, les yeux lumineux, marron, jetaient une lumière joyeuse, contagieuse. Les belles lèvres entrouvertes, dessinaient un sourire heureux et la masse de longs cheveux blonds, sortie de l'emprise du voile, se répandit sur ses épaules. Eduardo tira un cri de surprise et de bonheur, avec un enthousiasme incontrôlable: “Elle ressemble parfaitement à Silvia. Ma chère fille!!"

- Oh, Seigneur, mon Dieu! réussit-il à crier et la prit dans ses bras.

Melissa se pelotonna à la poitrine de son père bien-aimé et si longtemps attendu. Les pleurs l’empêchèrent de s'exprimer,

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mais eux-mȇmes exprimaient le bonheur qu’elle sentait dans les bras de son père. Puis, parmi les soupirs, elle murmura: “ Mi padre! Mi padre amado! Qué feliz estoy, Mi Dios!"

- Melissa, ma chère, Dieu a entendu nos prières et, enfin, il les a accomplies! Je suis impatient d’arriver à la maison pour embrasser aussi votre mère.

- Et à mis queridas abuelas! Mes chers grands-parents! continua-t-elle ensuite - Lopéz! Mon cher frère Lopéz!

Le jeune Lopéz, soldat puissant avec un corps bien-fait, de combattant, brun, aux cheveux noirs coupés court, le visage maigre, les yeux noirs lumineux, attendait timidement d’ȇtre remarqué. Lui, qui avait traversé sans peur, pour des années les terres maures, était sans défense devant la belle jeune femme.

- Il vous a cherché parmi les Maures, comme personne ne l’a fait, dit Don Eduardo, amusé par la confusion du jeune homme.

- Mon cher frère, je vous remercie, lui dit Melissa, l’embrassant. Je vous ai rêvé des milliers de fois et j’ai parlé avec vous. Dans un rêve, il y a de nombreuses années, vous m’aviez promis que vous me trouverez. Mon rêve s’est accompli et je vous remercie.

- Moi je lui remercie aussi, mais pas assez pour l'aide qu’il nous a donné. Voulez-vous manger quelque chose? les demanda Don Eduardo.

- Non, merci. Je voudrais rentrer chez nous, lui répondit Melissa. J’ai hâte de voir mamá, elle me manque tellement.

Il faisait nuit quand ils arrivèrent à une distance de sécurité de la ville de Tortosa. Ils s’étaient dirigés vers nord-ouest, vers la ville de Gandesa et au premier grand carrefour de routes, ils allèrent vers Falset. Fatigués après un si long chemin, mais surtout après les événements stressants, les émotions du combat et la rencontre, ils montèrent un camp de repos avant

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Serra de Llaberi, aux pieds des montagnes de Pradell de la Teixeta.

- Ici nous sommes en pleine sécurité et nous avons du silence, il n’y a plus de détachements de musulmans, affirma Don Eduardo. Mangeons, cependant, quelque chose. Seulement maintenant, vous allez sentir la faim, vous verrez.

Et il en fut ainsi, à peine sortirent les soldats la nourriture, qu’ils sentirent un vide dans l'estomac. Assis confortablement sur les grosses pierres du bord de la forêt, ils rompirent les pains arabes et la viande fumée et commencèrent à manger. C'était la nourriture la plus délicieuse qu'ils se souvenaient. Là, dans l'air pur et frais de la montagne boisée, dans la lumière de la lune et du feu de troncs de pins qui crépitaient, heureux que tout s'est bien terminé, le pain et la viande étaient de la nourriture royale.

- Mi padre, je n'ai jamais mangé de telles gourmandises, dit Melissa, heureuse. Cela, parce que je suis avec vous. Mais comment m’avez-vous trouvé? Me racontez-vous? Sa voix était minaudée, elle ne cachait pas la joie. Au contraire, elle voulait que tout le monde voie son bonheur et qu’il jouisse avec elle.

- Je vais vous dire tout à la maison, quand nous serons tous ensemble, mamá et abuelas.

- Entonces, vamos a casa! Comme il est beau notre dialecte, padre. Pour ne pas l’oublier, j’ai parlé toute seule et j’ai prié à Dieu dans notre langue. J'ai senti que, tôt ou tard, je retournerai à vous.

*

Il faisait nuit à Vetéro. Dona Silvia et Dona Isolda

tricotaient ensemble devant le fourneau. Les serviteurs ont

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ajouté du bois au feu, pour réchauffer l'air froid du salon du château. La jeune femme sentait ses forces revenir progressivement, mais dans son âme s'attardait un vague sentiment de malaise. Ce n'était pas l’angoisse qui augure des problèmes et de la douleur, mais cela ressemblait plus à l'impatience. Elle éprouvait le désir de sortir devant le château, sur la route qui conduisait à Reus et d’y rester pour des heures. Pourquoi ça? Elle ne connaissait pas la réponse, mais si elle avait fait cela, le médecin aurait dit à nouveau qu'il s’agissait d’une maladie mentale. Qu'il en soit ainsi? En pensant rationnellement, son comportement montrait au moins un inconfort mental. Mais dans son cœur, elle sentait qu'il y avait une motivation précise pour ses états anormaux. Une motivation que mamá, Dona Isolde l’a comprise.

En s’arrêtant du travail, Dona Silvia raconta à sa belle-mère, mamá Isolda, ses pensées et sentiments.

- Mamá, je ne suis pas folle, n’est-ce pas? demanda-t-elle, en attendant des paroles d'aide et d'encouragement.

Dona Isolde l’écouta compréhensivement et quand Dona Silvia finit de raconter, elle s'arrêta, et l’embrassa. Après cela, elle la regarda dans les yeux et lui dit doucement, fermement, amoureusement, comme une mère:

- Non, ma fille, vous n'ȇtes pas malade, mais vous êtes mère. Vous sentez les émotions de votre fille et elle sent les vôtres. Comme je vous sens, à tous les deux. Attendons, ma chérie, car mes sens et mon intuition me disent que tout ira bien. Bientôt nous recevrons un signe qui nous apportera de la joie.

- Je vous crois, mamá. Est-ce que je peux dormir avec Votre Grâce cette nuit-ci?

- Bien sûr, ma chérie. Je vais mettre un lit dans votre chambre et nous allons parler jusque tard.

- Merci, mamá.

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- Quand Don Rodrigo arrivera au château, nous allons présenter ces événements aussi à Sa Seigneurie. Il nous appuyera, parce que Sa Seigneurie a confiance dans nos sens invisibles, qui ne mentent jamais. Il fait seulement les comprendre.

Il y avait environ deux heures jusqu'aux aubes. Les soldats qui ont participé avec Don Eduardo à l'expédition, virent joyeusement les lumières des flambeaux en haut des murs du château. Ils commencèrent à marcher plus vite, sans s'en rendre compte. Ils apportaient les meilleurs nouvelles possibles et l'honneur de franchir les premiers la porte du château revenait à Don Eduardo et à sa fille. Don Eduardo et ses soldats étaient si heureux et excités qu'il semblait que le temps passe trop lentement. Ils étaient aussi très fiers d’eux. Aucun des soldats et de los caballeros n'ont jamais eu auparavant une telle fierté pour le succès obtenu dans cette expédition et tous offensaient Dieu dans ces moments-là, par un orgueil illimité. Ils se souviendront certainement toujours des événements qu’ils avaient vécus et d’où ils retournaient tous sains et saufs.

Les gardes des murs, notant le détachement d'une certaine distance, donna l'alarme, car la présence des soldats étrangers sur le domaine n’avait pas été annoncée et les espions de la frontière n'avaient pas envoyé aucun signal. Ni de bien, ni de mal, ce qui était un mauvais signe. Don Rodrigo, à l’entente de l'alarme et des voix des gardes, sortit de la chambre à coucher et se hâta vers le mur de la forteresse, qu’il monta en courant.

- Don Rodrigo, l’accueillit un des caballeros, il s’approche un détachement de soldats. Ils sont étrangers du domaine et les espions n’ont pas annoncé leur présence. Nous sommes prêts à les accueillir comme il se doit.

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Don Rodrigo regarda tout au long du mur de défense, à droite et à gauche. Les flambeaux étaient allumés, d'un endroit à l'autre, pour permettre aux soldats d'occuper les positions de défense et après cela, certains d'entre eux seront éteints. Derrière la porte, se trouvaient les gardes prêts pour la défense et pour recevoir la cavalerie avec la grille faite en piliers tranchants.

- C’est moi, Don Eduardo et les compagnons locaux, s’entendit une voix familière, criée d’assez loin du mur du château. Ouvrez la porte, car nous sommes fatigués.

- Don Eduardo, je vous reconnais la voix, lui répondit le caballero commandant de la garde. On ouvre la porte.

Don Rodrigo descendit du mur et ouvrit à l’aide des gardes, la porte lourde de l'entrée en attendant avec impatience et inquiétude ceux qui rentraient de l'expédition. Il se tenait devant la porte, une torche dans la main et regardait le groupe de soldats habillés de vêtements arabes qui s'approchaient lentement, laissant les chevaux fatigués aller à pas lents. En tȇte, entre Don Eduardo et Lopéz, chevauchait un soldat dont le visage ne put pas ȇtre distingué à cause de la nuit. Au fur et à mesure que les soldats s’approchèrent, à la lumière des flambeaux tenus par les gardes, les silhouettes des soldats prirent contour et Don Rodrigo resta interdit. Puis, la main qui tenait le flambeau tomba flasque et son corps secoua à cause de la joie et de l'émotion qui le saisirent. Les sentiments étaient fougueux.

- Ça alors, c’est vraiment Sa Grâce, notre maîtresse Melissa, cria de tout son âme l’officier commandant de la garde. Son cri s’entendit dans tout le château, suivi de celui du sobre Don Rodrigo: « Melissaaa... » Les mains priantes, il leva les yeux vers le ciel. « Dieu, je vous remercie de tout mon cœur pour avoir entendu nos prières et maintenant, sur la dernière

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partie de mon chemin sur cette terre, vous me ramenez la joie de ma vie! »

Melissa sauta énergiquement de son cheval et se jeta dans les bras de Don Rodrigo.

- Mi abuelo, mi abuelo! Grand-père! Ils pleuraient tous les deux, embrassés, sous les regards

des soldats qui avaient, eux-mêmes, des larmes aux yeux. - Melissa, mi hija! Mi querida hija! Mi vida! Sur le tard, Melissa se détacha de la poitrine du

vénérable Don Rodrigo et regarda son visage marqué par le temps, la douleur et, surtout, la nostalgie.

- Je t'aime, grand-père! Nous allons chez mamá et mi abuela, ma grand-mère? Pour se réunir tous? Pour pleurer et rire ensemble pour le bonheur de vous avoir retrouvé.

- Allons-y, ma chérie. Elles vous attendent aussi, depuis tant d'années.

Dans toutes les chambres et les couloirs du palais furent allumés des lumières des flambeaux et la cour se remplit des serviteurs et des soldats, se précipitant tous vers la porte. "Le miracle s'est produit! Dieu nous a ramené la maîtresse Melissa!"

La grand-mère, Dona Isolda et la mère, Dona Silvia se hâtaient aussi vers la porte d'entrée dans la cour du château. Elles ont entendu le cri de joie de Don Rodrigo et elles n'ont pas eu besoin d’autres confirmations pour courir chez eux.

Un soldat, vêtu de vêtements maures, se précipita vers elles et les prit dans ses bras, à toutes les deux.

- Mamá, mi abuela! Elle ne put plus parler. Tout son corps tremblait des pleurs. Elle pleurait la douleur de la séparation, la nostalgie et la joie du retour. Le bonheur de retrouver ses proches. Le bonheur de récupérer son monde qu'elle avait toujours porté dans son âme et à l’esprit.

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Ensuite, près d’elles s’entendirent des sanglots. Melissa tourna la tȇte vers la personne qui sanglotait et cria: « Madre niñera, madre Concíta! » C’était Concíta, la mère de Lopéz, qui les avait élevés et soignés.

-Venez à côté de nous! L’amour envers Melissa, le bonheur qui a envahi les

trois femmes, dames et servante, les a réunies, comme la douleur les avait unifiées pendant tout ces années, la douleur pour la perte de la fille.

Elle se séparèrent difficilement et se dirigèrent vers l'entrée dans le bâtiment, marchant lentement et se regardant avec nostalgie et joie. Elles étaient suivies par Don Rodrigo, Don Eduardo et Lopéz.

- Eduardo, lui dit Don Rodrigo, je vous remercie, mon fils, pour m’avoir apporté Melissa. Les chevaliers qui vous ont accompagné, recevront chacun trente thalers d’or et de la terre, comme remerciement. Les soldats qui ont accompagné Votre Seigneurie, seront élévés au rang des caballeros villanos et recevront chacun dix thalers d’or.

- Merci, padre. Et Lopéz? - Lopez est déjà un véritable caballero hidalgo, mais il

recevra plus tard la consécration. Et il recevra aussi une partie de l'héritage.

Lopéz posa un genou sur la terre, en face de Don Rodrigo et embrassa sa main, comme habituait à faire un fils et un chevalier devant son seigneur.

- Je ne comprends pas, Don Rodrigo. Je ne suis pas un hidalgo, un noble.

- Vous comprendrez plus tard. Vous êtes hidalgo dans votre coeur. Et aussi par votre courage et votre loyauté, mi hijo.

Tout le château, leur maison de l’âme, s’est transformé d'un lieu plein de tristesse dans la demeure du bonheur.

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Dix cavaliers sortirent des étables et, en éperonnant les chevaux, volèrent vers le portail resté ouvert.

- Où partent-ils les soldats? demanda Don Eduardo. - Au Royaume de Gadára, pour annoncer notre bonheur.

Et pour amener les grands-parents à participer à cette joie, répondit Don Rodrigo.

- Merci, padre. Vous pensez à tout.

Chapitre V

La conquête de Tortosa, novembre 1148

Vers le soir, avant la tombée de la nuit, Melissa de Salou et ses vingt compagnons arrivèrent sur les pentes des montagnes

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qui dominaient le nord-est de la vallée de l'Ebre. De l'orée de la forêt, elle regarda pensivement la ville et la forteresse de Tortosa, la place où elle avait vécu une grande partie de son enfance. Ses pensées se dirigèrent vers les personnes qui, au fil du temps, lui sont devenues chères pour l’avoir protégée et aidée dans des moments difficiles, de découragement. Valide Karima, valide Zubaida! Elle leur était redevable pour leurs soins dans les moments quand elle a eu besoin du soutien d’une mère. Souvent elles avaient risqué des peines terribles de la part du maître Al Mandur et tout cela grâce à l'amour pour elle. Car, sans aucun doute, les deux mères musulmanes l’ont aimée. Et peut-être, elles l'aiment encore, même si un an s'est écoulée depuis le sauvetage de Melissa du harem et sa séparation des mères adoptives.

En juillet de la même année 1148, les armées croisées ont entouré la ville de Tortosa et jusqu’au novembre se sont emparées de toute la ville. Le seul endroit où les soldats maures résistaient encore, c’était la forteresse La Suda. Melissa regardait la forteresse, se rappelant des parties de son histoire.

Sur la rive est du fleuve, au milieu de la ville, se dressait une colline rocheuse qui dominait la route et la rivière navigable. Là, sur cette colline, les Romains avaient construit un fort pour la défense et qui contrôlait l'accès dans la vallée. À l'arrivée des Maures dans ce pays, sur la colline ils ont vu une grande fosse, suda. De cette grande fosse, partaient plusieurs tunnels, souterrains. On ne sait pas qui avait creusé les grands souterrains au cœur de la colline. Il se peut que les grottes aient apparues naturellement et les Romains, puis les Arabes, les aient agrandies et aménagées comme dépôts et lieux de refuge en cas de danger. Les Arabes arrivés dans la ville, ont commencé à construire un fort en 950, sur les ruines du fort romain. Ceux-ci ont apporté des ingénieurs qui ont construit une puissante

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forteresse, entourée de solides murailles de défense. À l'intérieur des murs, les ingénieurs ont érigé des bâtiments différents, comme trois petits forts ou castillos, autonomes et qui occupaient toute la crète de la colline.

Toute la direction militaire et administrative de la ville et de la taïfa avait emménagé dans la forteresse. Melissa se souvint de tous les endroits de la ville, où eux, les enfants allaient jouer, en se cachant des gardes. Elle revit, à travers les pentes de la montagne, le lieu d’où elle partit, sauvée par son père, il y a une année. « Le temps a passé si vite, comme si hier je fus trouvée et sauvée par mi padre. »

- Il fait trop tard pour descendre en ciudad, plein maintenant des armées chrétiennes, dit-elle au chevalier Martinez, le commandant du groupe de soldats. Demain matin, nous rechercherons mi padre, Don Eduardo. Vous acceptez de camper ici pour la nuit?

- Sí, ma maîtresse, mi maestra. À vos ordres. Contente de la réponse, Melissa continua. - Les chevaux et les gens doivent manger. Envoyez un

messager pour trouver Don Eduardo et lui dire que nous sommes aussi arrivés à Tortosa et de retourner pour nous conduire dans le secteur du détachement de Vetéro.

- À vos ordres, mi maestra. " Elle est passée si vite cette année, depuis mon retour

avec mis padres et mis abuelas. Je voulais récupérer mes années perdues parmi les étrangers, mais c’est impossible. La vie continue, peu importe où nous sommes et ce que nous faisons. Et le temps s'écoule. La vie doit ȇtre bellement vécue par chacun d'entre nous, en laissant derrière nous de bonnes et durables actions. "

En mangeant du pain et du fromage mis sur un morceau de tissu, les pensées accablèrent Melissa. Peut-être dû au fait

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qu'elle est revenue aux portes de la ville de Tortosa, où elle a passé son enfance. L'endroit où elle a grandi et a appris des choses que peu de femmes connaissaient à son âge, où elle a pleuré la perte de son monde heureux et qu’elle a toujours espéré de récupérer. Le monde où les personnages principaux étaient elle et ses parents bien-aimés, ainsi que ses grands-parents. Un monde avec des habitudes et un mode de vie qu’elle, un enfant, à peine avait commencé à découvrir. Elle n’a plus eu le temps de connaître et comprendre le monde de sa naissance, celui chrétien, catalan.

Le retour à Vetéro, dans son monde, ne lui avait pas provoqué un choc, comme il serait prévu, peut-être. Il s’agissait de récupérer le monde perdu, le monde auquel elle appartenait. Mais elle a dû apprendre beaucoup de choses et prendre d'autres dès le début. La liberté et son rang lui ont amené aussi des moments d'insécurité, parfois de panique, de peur de ne pas se tromper, parce qu’elle ne connaissait pas beaucoup de règles. Mais son instinct l’a toujours aidée.

« Lopéz. Mon cher Lopéz. Il m’a cherché et a attendu mon retour avec l'espoir de la rencontre. Je l’ai quitté un enfant folâtre, qui accomplissait tous mes désirs et me protégeait et maintenant je l’ai retrouvé presque adulte. Alors, il était un véritable frère et moi, j'étais sa sœur, qu'il se sentait obligé de protéger. Il est maintenant marqué par ma longue absence. J'ai senti, du premier instant, son profond amour pour moi. Mais pour moi, vraiment? Ou pour la petite fille que jétais avant l'enlèvement? Peut-être, il est tombé amoureux d'une image, de ce qu'il pense que je représente. Parce qu’il ne me connait pas vraiment. »

Mais moi? " Ce que je sens pour lui? De l’amour ou de la reconnaissance? Moi, qui ai vécu avec le voile sur mon visage, je comprends mieux que quiconque que tout être humain

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a un voile qui recouvre le cœur, l'âme et la conscience, il cache l’aspect, l'esprit, la véritable apparence morale et spirituelle, la vraie personnalité. La plupart des gens n’écartent jamais le voile, le tenant comme un repaire pour leur véritable caractère. J'apprécie le fait que Lopéz ne porte pas le voile, et qu’il a laissé son caractère et ses sentiments à la vue. Il est trop jeune pour garder des secrets, des défauts et des ambitions mystérieuses. Contrairement à moi, testée par les épreuves, qui m’ont fait plus que prudente. Curieuse et suspicieuse. Je ne peux pas lui répondre avec les mêmes sentiments et la même ouverture. Et je le regrette bien. ”

Elle a senti les regards admiratifs, amoureux, mais respectueux de Lopéz, regards qu’il lui jetait quand il pensait que personne ne le voyait pas.

Et il n'était pas son unique admirateur. Dès son retour à Vetéro, la nouvelle de sa sortie de captivité, s'est propagée dans toutes les régions de la Catalogne, d’Aragon et de Provence. Lors de sa visite chez son parrain, le comte Ramon de Barcelone, celui-ci a organisé un bal où ont participé des dizaines de jeunes hidalgos amoureux d'elle, à première vue. Certains d'entre eux sont venus au château de Vetéro, sous divers prétextes. Parmi eux, deux hidalgos ont attiré son attention. Un d'eux, Don Fernando de Girona, avec son caractère particulier et son aspect agréable a gagné la sympathie de la jeune fille. La présence d’esprit et le comportement de celui-ci, son attitude chevaleresque et la noblesse innée, faisaient de lui une compagnie agréable. C'est exactement ce que lui avait manqué à Tortosa, le type du noble chevalier chrétien, de l’amoureux et du chevalier dédié à une seule châtelaine. L'autre était un hidalgo des terres montagneuses du nord, Don Diego, un ȇtre joyeux; un jeune homme courageux, qui lui a déclaré ouvertement son amour. Il est venu plusieurs fois à Vetéro à

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acheter des chevaux, mais il regardait plus la fille que la marchandise et il passait plus du temps au château qu’au haras.

" Maintenant ils sont tous les deux ici à Tortosa, participant au siège de la ville. Chaqun croira que je suis venue le voir. Cela me dérange, au lieu de m'amuser. "

Avec ces pensées, Melissa s'endormit, enveloppée dans une couverture, comme tout autre soldat dans la campagne militaire.

Aux premières heures du matin, le détachement qui accompagnait Melissa se mit en marche vers le camp de Don Eduardo, dirigés par un des soldats messagers. Les rives du fleuve Ebre, la voie romaine, les pentes autour de la colline sur laquelle se dressait la citadelle, étaient pleines de soldats chrétiens. Sur la plaine du bord du fleuve étaient érigées des centaines de tentes qui portaient les drapeaux des seigneurs dont les armées avaient là les camps. Melissa, vêtue d’habits de caballero hidalgo, marchait à la tête de son détachement. Ils descendirent la pente de la montagne vers le fleuve et, après une demi-heure de marche, ils s’arrêtèrent au nord-ouest de la forteresse La Suda, sur une pente douce, même au bord de la voie romaine.

Don Eduardo les attendait à côté de la route, heureux de l'arrivée de sa fille.

- Ma chère Melissa, je suis heureux que vous ȇtes arrivée saine et sauve. Notre parrain, Don Ramon nous attend, impatient de vous voir.

- Merci, papa. Moi aussi, je suis impatiente de le rencontrer. Nous allons quand Votre Seigneurie le décide, il faut uniquement laisser les chevaux dans l’enclos.

- Lopéz conduira les soldats aux tentes. Il venait de retourner de l’enclos et s’approcha d’eux,

souriant.

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- Melissa, soyez la bienvenue. Don Eduardo était inquiet, il vous attendait hier.

- Nous nous sommes arrêtés à passer la nuit à l'orée du bois, parce qu’on ne savait pas où vous trouver. Amenez-vous mon cheval?

- Bien sûr. - Nous allons à la tente du comte Ramon, lui dit Don

Eduardo. On n’y reste pas longtemps. - Très bien, Don Eduardo, lui répondit Lopéz et une

ombre traversa son visage. « Vous ȇtes jaloux? » se demanda Melissa. "Cela signifie

qu'il y est un des deux chevaliers. Ou les deux? » Et la pensée qu’elle va les rencontrer, la rendit heureuse.

Elle se rappela les mots de sa mère, Dona Silvia, dits alors quand elle lui avait avoué ses pensées. Elle lui avait raconté de chacun de ces deux jeunes hommes, de leur comportement envers elle et de ses sentiments envers eux. “ Vous sentez que votre coeur tressaille lorsque vous pensez à l’un d'eux? Vous sentez le besoin de rester toujours près de lui?", lui répondit sa mère, par d'autres questions. " Non, mamá, mais leur présence me rend heureuse. J’apprécie leurs belles paroles, la courtoisie et l'attention qu’ils m’accordent. Et comment ils me regardent “. “ Alors, attendez. Laissez le temps vous montrer qui sera celui choisi par votre coeur. Mais quels sont vos sentiments pour Lopéz?" "Je ne sais pas, mamá. Lui, c'est mon frère, je l'aime, mais je ne pense pas que je pouvais le choisir en tant qu’époux. Bien que je lui sois profondément reconnaissante. » « Prenez votre temps, vous le saurez toute seule. ». “ Mais comment est-ce que Votre Grâce a choisi mon padre?" “ Je ne l'ai pas pas choisi moi seule. C’est le destin qui me l'a amené au moment opportun." « Mais il n’ y avait pas d’autres hidalgos qui vous ont plu? » "Oui, il y avait aussi

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d’autres jeunes qui voulaient me demander en mariage. Ce que je vous ai dit, m’a dit aussi ma mère. J’ai su que Don Eduardo était mon élu dès son arrivée, blessé, au château. Vous le saurez aussi, prenez votre temps."

« Le moment n'est pas encore venu » pensa Melissa, se dirigeant avec son père vers la tente de Don Ramon. Ils allèrent à pied parce que la tente était assez près, à une centaine de mètres environ.

Après avoir été annoncés par l'officier de la garde, ils entrèrent dans la tente. C'était une grande tente, pour environ cinquante personnes, l’endroit où se réunissaient les commandants de l'armée d'Aragón et de la Catalogne. Ramon Berenguer IVe, le comte de Barcelone était aussi Prince d'Aragón, depuis onze ans, dès novembre 1137.

Don Eduardo lui raconta des choses sur leur parrain, le comte. En 1131, quand son père, le comte Ramon le IIIe partit au Royaume de Dieu, Don Ramon le IVe, leur parrain, devint comte de Barcelone et de Provence. En 1137, le jeune Ramon fut choisi par le roi d’Aragón, Ramiro le Moine, en tant qu’ époux pour sa fille, Pétronille, âgée d'un an. C'était une façon de réaliser l'union politique du Royaume d'Aragón et le riche comté de la Catalogne, pour résister au roi Alfonso de la Castille. Entre les deux royaumes se déroula une lutte presque permanente, visant une unification par la force des armes. Ramiro, un moine devenu roi à la place de son frère décédé, avait besoin d'une alliance forte, ne pouvant pas résister à l'adversaire de Castille. Après trois mois de l'engagement avec cette fille, le roi d’Aragón, Ramiro, se retira dans le monastère et laissa comme successeur le comte Ramon, qui devint ainsi le Prince d’Aragón. Il avait lui-même choisi le titre de prince, au lieu de celui de roi. Une union politique fut réalisée ainsi entre les deux provinces, sous une direction unique. Pétronille, sa fiancée, grandit à la

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cour du comte, entourée d’affection et de respect, en attendant l'âge normal pour devenir son épouse. Le comte Ramon s'est avéré être un homme d'honneur, en ce qui concerne l’alliance faite avec son beau-père, le roi Ramiro. C'était une chose rare parmi les rois de l'époque, déchirés par des ambitions et intérêts.

Dans la tente se trouvaient environ vingt commandants, qui écoutaient les mots du comte. Celui-ci vit Don Eduardo et Melissa et leur fit signe de s’assoir près de Don Rodrigo, devant le comte.

- Messieurs, continua le comte à parler à ces commandants, l’assaut sur la citadelle se poursuivra demain aussi. Concentrez les soldats pour allumer les tours carrées en bois. Et veillez à que personne n’entre dans la ville pour amener des aliments aux défenseurs maures. Il faut maintenir un blocus total de la ville. Maintenant, Messieurs, vous êtes libres d'aller aux détachements de Vos Grâces.

- Don Ramiro, Don Eduardo, Melissa, restez avec moi, s'il vous plaît. Melissa, je suis heureux de vous voir en bonne santé.

- Don Ramon, mon parrain bien-aimé, moi aussi je suis heureuse de vous revoir. Moi, mamá et abuela, nous avons pensé, d’aller à Barcelone, pour passer du temps avec notre chère Petronilla, mais je pense qu’il est plus important de vous rencontrer ici, au lieu du siège.

- Vous avez bien pensé, je vous remercie. Melissa, avec une telle aide, nous vaincrons rapidement l'armée des maures de la forteresse, répondit le comte en riant. J'ai plaisanté, poursuit-il, mais vos encouragements nous sont utiles. Depuis cinq mois nous assiégeons la forteresse sans résultat. Mais nous sommes convaincus que nous vaincrons.

- Don Ramon, les mots de Votre Grandeur m'ont donné des idées, même si vous les avez dit en plaisantant.

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- Pourquoi ne me dites vous pas vos idées? On peut les utiliser au siège.

- Non, mon cher parrain. Mais j'espère que vous les verrez mises en pratique, pendant le siège.

Les paroles fermes prononcées par Melissa attirèrent l’attention du comte Ramon.

- Melissa, ne faites pas quelque chose insensé, ne vous exposez pas à un danger maintenant quand on vous a récupéré. Les mots du comte sonnèrent comme une commande pour Melissa. Puis, à Don Rodrigo.

- Don Rodrigo, vous répondez devant moi pour toute folie faite par notre filleule bien-aimée. Prenez soin d’elle comme jamais auparavant.

- Don Ramon, la commande de Votre Grandeur sera accomplie. Je ne la laisse pas à faire des folies. Mais moi, j'ai pleine confiance dans son discernement.

- Vous m’avez tranquillisé, Don Rodrigo. Rendez-vous demain à la muraille. J'espère que sur le mur, cette fois-ci.

- Que Dieu nous aide, Don Ramon. En sortant de la tente, Melissa, entendit quelqu’un crier

son nom. Devant eux s’arrȇta Don Diego, el caballero du nord qui salua avec élégance,

- Pardonnez mon audace, Don Rodrigo, mais j'ai entendu dire que Dona Melissa était ici et je tenais à lui présenter mes respects. Don Rodrigo n’aima pas sa bonne humeur, mais il n’en dit rien.

- Merci, Don Diego. Je vais les recevoir à la fin du siège, si cela ne vous dérange pas, lui répondit Melissa. Maintenant, excusez-moi, s'il vous plaît.

Penseuse, elle se dirigea vers la tente de Don Rodrigo, suivie par ses deux gardiens, son père et son grand-père. Seulement elle connaissait ses pensées.

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*

L’attaque de l'armée croisée, composée de soldats du

Royaume d'Aragón et de la Catalogne, aidés par des chevaliers et des soldats francs, des chevaliers de Provence, mais aussi par des Génois, commença dès l’aube du jour. Le commandant suprême fut le comte de Barcelone et Prince d'Aragón, Ramon Berenguer et chacune des armées participantes avait leurs propres commandants. Il y avait aussi, indépendamment du commandement suprême, un détachement de chevaliers templiers et un autre, de chevaliers hospitaliers.

Aux sons des clairons, dans des cris forts qui appelaient à la bataille, près d'un millier d’attaquants commencèrent l'assaut, emportant les longues et lourdes échelles. Au côté du nord du château La Suda, où attaquaient les soldats catalans, se trouvait l'un des tours carrées, construites en bois et en pierre. La tour, collée au haut mur en pierre, se tenait défiante et forte, comme pour narguer les attaquants à un test d'endurance. Elle avait résistée cinq mois au siège, au feu et aux coups de bélier, à l'assaut avec des échelles et semblait omnipotente. Plusieurs attaquants, mȇme défenseurs ont perdu la vie, les uns essayant de la conquérir, les autres de la défendre.

Don Eduardo grimpa l'une des échelles d’assaut, en utilisant le bouclier pour se défendre contre les grosses pierres jetées par les défenseurs maures. Lopéz et Don Rodrigo le suivirent, le dernier s’aidant aussi de son bouclier. Arrivé au bout de l'échelle, entre deux remparts, Don Eduardo jeta le bouclier et prit l'épée, pour frapper les épées des trois Maures qui tentaient de les repousser. Lopéz soutenait Don Eduardo

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pour ne pas être poussé de l'échelle. Finalement, Eduardo blessa les trois défenseurs et sauta sur le mur, laissant la voie libre à ceux qui montaient derrière lui. À tour de rôle, des attaquants sur d’autres échelles montèrent sur le mur et le combat s’étendit tout au long du côté nord du mur de défense. L’un des chevaliers leva une lance avec le blason catalan du seigneur de Vetéro, en montrant aux autres assaillants qu’ils étaient sur le point de conquérir ce côté-là du mur. Sur le côté est, apparurent les drapeaux des chevaliers templiers, dans les acclamations des soldats de l'armée des croisés. Les deux blasons chrétiens furent un signe d'encouragement, tout le mur de défense devenant un champ de bataille. Des aides maures arrivaient sans relâche des forts intérieurs et essayaient d’arrȇter les attaquants déchaînés, convaincus de la victoire.

Au début de l'attaque, Melissa, vêtue d’habits pour les hommes, accompagnée de dix soldats, se dirigèrent vers la pente assez raide, rocheuse du sud de la colline. Aidée par les soldats, elle fit sa place parmi les branches des arbustes qui poussaient à la base du rocher et entra dans le petit tunnel qui faisait le lien entre l'extérieur et les souterrains de la ville. Dans le tunnel elle changea ses vêtements avec ceux pour les femmes musulmanes, avec du voile. Ainsi préparée, s'appuyant avec la main contre la paroi du tunnel, elle avança dans l'obscurité. Elle marchait lentement, prudemment et après plus d'un quart d'heure, elle vit une lumière faible devant elle. C’était le portail avec la grille, gardé par les soldats maures et qui protégeait de l’extérieur, l’entrée dans le souterrain.

En arrivant à la grille en fer, ella frappa légèrement pour être entendue par les soldats de la garde. Ceux-ci, le chef en tȇte, s’approchèrent prudemment et éclairèrent le tunnel avec les flambeaux:

- Qui êtes-vous? Qu'est-ce que vous voulez?

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La voix de celui devant elle était menaçante et son épée, introduite à travers la grille, toucha sa gorge.

- Je suis l’odalisque de Sa Grandeur. Je retourne chez mon maître.

- Comment vous appelez-vous? - Mehrim, effendi. Envoyez un soldat à haseki Karima ou

Zubaida qui renforceront mes mots. Ou à baş hadim Manuk. Après une courte discussion, les soldats maures

déverrouillèrent la porte et la laissèrent passer. - Vous perdez votre tête si vous nous avez menti. Vous

ȇtes seule? - Bien sûr, effendi. Et j'ai des informations importantes,

c'est pourquoi je veux voir Sa Grandeur, le maître Al Manuc. Ici c’est ma maison.

La conversation portée par l’odalisque, son accent, la connaissance de la famille du général, enlevèrent tout soupçon possible que les soldats pourraient avoir à son égard. Et surtout qu'elle savait si bien le tunnel et les souterrains, dans l’obscurité. Sans retenue, ils la laissèrent passer.

De là en quelques minutes, elle arriva dans les appartements du harem, en passant avec désinvolture à côté des soldats de la garde de l'extérieur du harem et des trois eunuques de l'intérieur. Encore une fois, elle était heureuse de porter le voile qui cachait son visage.

Valide Karima était dans le salon avec Zubaida et deux servantes. À l'entrée de Melissa, qui portait le voile, Karima se leva de l'oreiller sur lequel elle se trouvait. Elle fut surprise, mais aussi effrayée. Elle reconnut immédiatement sa fille adoptive et tira un cri, qui exprimait la crainte, mais aussi la joie de revoir Mehrim. Zubaida, en la reconnaissant aussi, porta sa main à sa bouche, pour ne pas crier de surprise.

- Partez, partez, commanda Karima aux servantes.

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Restées seules, les deux belles-mères se jetèrent dans les bras de Melissa, sans lui laisser le temps de lever le voile.

- Ma chère Mehrim, que faites-vous ici? Comment ȇtes-vous entrée?

- Je suis venue vous voir et rien ne pouvait m’arrêter. Mais qu’est-ce qui se passe avec vous, mes mères? Vous n'avez pas peur de l'armée qui attaque la ville? N’avez-vous pas peur pour votre vie?

- Allah nous protégera, ma fille, lui répondit Zubaida. Que sera, sera.

- Mais les enfants? Vous ne craignez pas pour eux? - Nous avons peur, mais le maître nous a promis que s’il

perd la citadelle, il nous enverra en cachette vers le sud. Et puis, nos fils sont grands, ils combattent sur les murs. Les deux jeunes filles, vos soeurs, sont des odalisques, elles ont dès maintenant leurs propres vies.

- Mais elles sont vos filles, peu importe l'âge. Mes chères mères, si les armées des croisés conquièrent la forteresse, il y aura une grande violence, ils vous prendront comme des esclaves. Cela, s’ils ne vous tuent pas. Les violences de la guerre n'ont aucune limite. Je suis venue pour vous sortir hors de la ville et vous conduire dans les terres musulmanes, vers le sud. C’est le moins que je puisse faire pour vous.

- Ma fille chérie! Zubaida l’embrassa à nouveau, émotionnée. Karima

sanglota. - Vous avez risqué votre vie pour nous? - Vous aussi avez risqué vos vies pour moi plusieurs

fois. Mes gens attendent à la sortie du tunnel. Vous préparez-vous pour le départ?

- On vous remercie, Mehrim, mais on ne va pas. Si la ville résiste, le maître nous cherchera pour trahison. Et si nous

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quittons sans sa permission, c’est toujours de la trahison. Il nous tuerait. Si notre destin est de mourir ici, il en sera ainsi.

Melissa les regarda surprise, curieuse. Elle ne s’attendait pas à ȇtre refusée. Elle sauvait leur vie et celle de leurs filles, mais elles la refusaient. Par loyauté. " Les vraies femmes, quelle que soit la nation, sont fidèles à la famille, se sacrifient pour leurs enfants".

- Eh bien, voici comment nous ferons. Vous serez prêtes à partir, mais sans faire savoir au maître. Vous, mes soeurs, les odalisques et les eunuques de votre confiance. Si la ville est conquise par les chrétiens, soyez préparées, dans les souterrains. Nous nous retrouverons là. Vous m’attendrez le temps nécessaire. Je n'accepte aucun refus. Vous m’êtes redevables.

- Bien, nous ferons de la sorte. Maintenant, dites-nous ce que vous avez fait après le départ avec votre père? Comment vous êtes-vous habituée à votre nouvelle vie? Vous avez trouvé un mari?

- Trop de questions, mes mères. Je vous dirai tout, si vous ne voulez pas partir maintenant.

Et elles parlèrent, pendant des heures. Melissa se sépara de ses mères adoptives, dans le courant de l’après-midi. La sortie par les souterrains fut plus facile que prévu. Les soldats qui gardaient le tunnel, en entendant qu’elle parte comme espionne dans les terres chrétiennes, la laissèrent passer sans poser plus de questions.

- Merci, mon Dieu, pour m’avoir aidé à échapper de cet enfer, dit Melissa quand elle arriva à la sortie du tunnel, en regardant heureuse le soleil qui brillait sur le ciel.

*

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La lutte sur les murs de la ville fut menée violemment,

pour plus de deux heures, jusqu'à ce que les belligérants commencèrent à se sentir fatigués. Progressivement, l'intensité de la confrontation diminua et, comme à un signe, les combattants se réunirent dans des groupes, pour se reposer. Ils se regardèrent d’un air soupçonneux, prudents de ne pas ȇtre pris par surprise par leurs adversaires. Les blessés furent transportés dans les camps, les croisés, descendus des murs et les Maures, furent amenés dans la ville, pour des soins. De même, les soldats morts furent rassemblés et transportés pour être enterrés à la fin du combat d’après leur coutume, peu importe le vainqueur.

Après un repos d'environ une heure, le combat fut repris avec intensité dans de différentes parties de la muraille. Les seuls qui ne firent pas de la pause, furent les templiers et les hospitaliers, qui conquirent une bonne partie de la paroi de défense. Ils avancèrent vers les croisés, pour les aider, mais, après un certain temps, ils durent aussi se reposer.

Jusqu'au soir, la bataille se poursuit à ce rythme, avec des pauses pour se reposer et pour le rassemblement des blessés. Il était clair pour les deux côtés qu'aucun d'eux ne pourrait pas vaincre ce jour-là. Les croisés n'avaient pas suffisamment de soldats pour conquérir tout le mur de défense, puis la ville, alors que les défenseurs de la forteresse n'avaient pas assez de force pour repousser les chrétiens. Dans ces circonstances, l’émir Tashfin, l’administrateur de la Taifa, envoya un émissaire au comte Ramon, pour négocier une possible reddition.

Les deux dirigeants se réunirent devant la porte du nord de la ville, bien défendus par leurs chevaliers.

- Noble roi d'Aragón et de la Catalogne, lui dit l'émir, j'ai vu le courage et la bravoure des soldats croisés. Je pense qu’on

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peut les comparer avec les soldats maures. Ce serait un péché de les laisser mourir en vain, ou tout simplement par orgueil.

- Vous avez raison, noble émir, ce serait un péché de continuer la bataille quand nous pouvons faire la paix dès maintenant. Avez-vous pensé comment agir?

- J'ai pensé que dans la sagesse de Votre Altesse vous pourriez recevoir la forteresse en échange de mon armée. Vous recevrez la forteresse, si mes gens sont libres de partir dans d'autres Taïfa.

- Vous avez loué ma sagesse, noble émir. Un homme sage n'accepterait jamais cette condition, d’autant plus que ni les règles de la guerre ne nous permettent pas de le faire. Vous partez vers un territoire convenable, avec toutes les forces préparées pour la bataille et puis, vous retournerez à nous attaquer pour reconquérir la forteresse. Parce que vous connaissez bien les alentours et les faiblesses de la défense. Je vous propose de céder la forteresse et que tous les soldats soient faits prisonniers. Ceux qui auront de l'argent pour l’indemnisation, seront libres de quitter, les autres seront des esclaves pendant trois ans. Le trésor et toutes les richesses de l'administration resteront dans la forteresse.

- Les conditions sont trop dures pour nous, car nous avons suffisamment de soldats, nous pouvons combattre et rejeter le siège.

- Les conditions sont bonnes, grand émir. Mais combattre sans nourriture, je n'ai pas vraiment entendu. Parce que les réserves de Votre Grandeur sont presque terminées et je ne sais pas vraiment d’où vous pourriez recevoir de l’aide. Dites-moi, noble émir, le général Al Mandur se trouve-t-il dans la forteresse?

- Oui, il est le gouverneur de la citadelle et de la ville.

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- Nous voulons que vous nous le livriez, comme un signe de bonne foi.

- Je ne peux pas faire cela, roi d’Aragón. Votre Altesse, vous livreriez votre général à l’ennemi?

- Mon général ne tuerait pas des parents et ne volerait pas des enfants. Nous le capturerons pendant la conquȇte de la forteresse et il sera jugé. Pensez à la reddition de la ville, parce que je n'ai pas trop de choses à dire.

L'émir regarda fixement le comte Ramon. Voulait-il deviner toutes les pensées de celui-ci ou méditait-il à la situation de son armée? Seulement lui, il le savait. Après un certain temps, il répondit au comte.

- Noble comte de Barcelone, si je ne reçois pas d'aide dans les trois mois suivants, je vous cède la ville avec toutes les richesses qui se trouvent ici. Dans vos conditions.

- Quarante jours d'attente, rien de plus, lui répondit le comte Ramon sur un ton aigu. Il en avait marre des astuces de l’émir. Dans les trois mois d'attente, les croisés francs, allemands et latins seraient partis.

- Quarante jours dès aujourd'hui. Le terme est rempli dans le dernier jour du mois de décembre. Vous attendez des aides de quelque part?

- Je pense que Sa Hauteur, le calife, va nous aider avec de l'armée reposée.

- Il n’a pas d’où vous envoyer de l'aide. Les royaumes de Castille et Leon, ainsi que les Portugais, ont commencé à avancer vers le sud et ils n’ont pas rencontré de grande résistance. Votre Grandeur, pensez à ce que je vous ai dit.

- Bien, noble roi. Nous appelons les témoins pour entendre l’accord.

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- Appelez-les. Je ferai descendre mes soldats des murs, mais l'encerclement reste comme il est maintenant. Nous attendrons les 40 jours pour voir si vous recevez de l’aide.

Jusqu'à la tombée de la nuit, les soldats croisés retournèrent au camp, en amenant les blessés et les morts. Le comte Ramon rassembla ses commandants et donna des ordres durs pour qu’aucun messager maure ne soit pas laissé à quitter la forteresse. Pour être sûr que la forteresse reste isolée du califat, il envoya des détachements de soldats sur toutes les routes qui venaient de Tortosa, même celles montagneuses. Et l'armée, patiente, commença le délai d’attente pour la reddition de la ville ou le commencement des combats pour rejeter toute aide maure.

Le lendemain, à midi, Melissa entra encore une fois, dans le tunnel, traversa les souterrains et arriva dans les appartements du harem. Les épouses et les concubines d’Al Mandur se reposaient chacune dans sa chambre. Avec des pas naturels, Melissa passa près des servantes qui faisaient le nettoyage et s’arrȇta devant la porte de la première épouse, Karima. Elle frappa doucement quelques fois et entendit les pas de sa mère adoptive.

- Mehrim, ma chère!? Entrez rapidement. Puis, en la regardant attentivement, demanda:

- Est-il arrivé quelque chose? - Oui, valide Karima. Le maître sera capturé et jugé pour

mon enlèvement. On a mis un prix sur sa tête et tous les soldats chrétiens le chercheront. Puis, elle lui parla, brièvement, des discussions du comte Ramon avec l’émir et de leur accord.

- J'ai peur qu’une fois capturé le général, sa famille sera amenée en esclavage. Ou pire même.

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- Laissez-moi parler aussi avec Zubaida. Et avec notre eunuque de garde, Manuc.

- Appelez-les ici pour parler avec eux. - Il est dangereux pour vous. Si quelqu’un entend ce que

vous m'avez dit, vous perdrez la tête. - En vaut le risque. - Bien, attendez nous ici. Ceux appelés vinrent en grande hâte, parce que la

nouvelle concernant la future reddition s’était répartie dans toute la ville. En moins d'une demi-heure, fut établi le plan du départ de la ville des épouses du général. Uniquement les épouses et leurs filles devaient être préparées. Les odalisques, les concubines et les servantes permanentes, devaient recevoir les ordres juste avant le départ, afin de préserver le secret du départ de la ville.

- Quand partirons-nous? demanda Manuc, le chef des eunuques.

- Cette nuit ou demain matin, répondit Karima. Si nous reportons notre départ, quelqu’un entendra de notre intention et le maître nous considérera des traîtres.

- Demain matin, pour avoir le temps de préparer les gens et les charrettes. Vous avez besoin des compagnons, des soldats.

- Je trouverai une vingtaine de soldats prêts à quitter la ville, répondit Manuc. Je m’occuperai aussi des soldats qui gardent la sortie du tunnel.

- Bien, alors. Rendez-vous à la sortie du tunnel, demain matin au lever du soleil. Prenez seulement ce que vous pouvez transporter, leur dit Melissa. Je pars parce que j'ai beaucoup à faire. Gardez le secret du départ!

Un peu après minuit, sur la voie romaine qui suivait le bord du fleuve Ebre, au pied de la colline de la forteresse, s’arrêtèrent quinze charrettes auxquelles étaient attachés vingt

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chevaux, pour les soldats musulmans de la garde. Trente cavaliers croisés de l'armée du comte Ramon de Barcelone assuraient leur sécurité. Les charrettes, les chevaux et les compagnons attendirent assez longtemps jusqu'au lever du soleil. Sur le flanc de la colline, comme sorties du sol, firent leur apparition environ cinquante ombres qui, dirigées par une autre ombre, s'approchèrent des chevaux et des charrettes. Sans faire du bruit, quelques ombres montèrent dans les charrettes, d'autres sur les chevaux qui attendaient leurs cavaliers.

- Tout est en ordre? demanda Don Rodrigo. - Oui, mi abuelo, répondit Melissa. Toutes les femmes

du harem, les trois eunuques et vingt soldats pour leur garde sont ici.

- Nos gens les conduiront jusqu'à la frontière de la province. De là, ils iront avec Dieu.

- Mehrim, lui dit Karima, remercie à ta vraie famille pour l'aide. Qu’Allah vous protège!

- À vous aussi, valide Karima. Vous avez été et resterez ma famille, tout aussi vraie que celle où je suis née.

- Vos mots nous honorent, ma fille. - Soyez prudentes, chères mères. La voix de Melissa tremblait d'émotion. Elle avait des

larmes aux yeux. " C’est maintenant que finit mon enfance. Dès maintenant, quand les liens avec le passé ont été définitivement brisés, commence vraiment ma nouvelle vie. Merci, Seigneur, pour tout ton aide! " Elle resta dans la rue, à regarder les charrettes s’éloigner. Elles emmenaient une partie de sa vie, de son passé troublé.

- Melissa, s’entendit la voix de Don Eduardo, il nous reste encore quelque chose à faire. Dépêchons-nous!

- Allons-y, papá. Suivez-moi.

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Quinze soldats, habillés d’habits arabes, suivirent Melissa. Il y avait Don Rodrigo, Don Eduardo, Lopéz et douze caballeros. Melissa les conduisit à travers le tunnel si bien connu pour elle, jusqu'à la porte du métal. Là, ils furent accueillis par les soldats de la garde, qui entendirent leurs pas.

- C’est nous, effendi, de la part de Manuc. - Suivez nous. Dix soldats restent ici, parce que vous êtes

trop nombreux. Nous laisserons la porte ouverte jusqu'à notre retour.

Les soldats se dirigèrent vers la sortie des souterrains et arrivèrent dans la cour du premier château, celui de l'ouest. De là, les six soldats de la garde du tunnel, suivis par cinq autres compagnons, entrèrent dans le château et montèrent au premier étage. C'était un couloir long et d’environ cinq pieds de large, sombre, peut-être à cause de la faible lumière du matin. À droite, le couloir menait aux appartements du harem et à gauche, vers un autre couloir qui conduisait à l'appartement du général Al Mandur. Les soldats maures qui gardaient l'entrée dans le château et les deux gardes du couloir les regardèrent avec indifférence. Ils se connaissaient bien.

- Attendez ici jusqu'à mon appel, leur dit l'officier, le chef de la garde du tunnel quand ils entrèrent dans le premier couloir.

- Bien, nous allons attendre, lui répondit Melissa. - Confiez-vous en eux, la demanda Don Rodrigo. Soyons

prêts pour la bataille. - Nous devons avoir confiance en eux, mi abuelo. Nous

n'avons pas d’autre choix. Mais, quand ils sauront qu'ils seront faits des esclaves, ils feront tout pour échapper à la servitude.

Ils se tenaient tous les cinq comme s’ils étaient de la garde du couloir. Auprès d’eux, passaient des soldats à peine réveillés du sommeil, sans leur accorder aucune attention. "Tout

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me semble trop simple," pensa Don Rodrigo. " Si un groupe plus nombreux de combattants essaie d’entrer dans la ville à travers le tunnel? "

Un des soldats s'approcha d'eux, en leur faisant signe de le suivre. Les mains sur la poignée des épées, ils suivirent le soldat. Celui-ci les conduisit au long du couloir, vers l'antichambre de l’appartement du général, dont la porte était gardée par ses collègues. Ils entrèrent tous dans la chambre à coucher, où, lié fortement et étendu sur le lit, les attendait le général. À côté de lui, deux caisses, pas trop lourdes, pour pouvoir être transportées par pairs de deux soldats.

- On lui met un bâillon dans la bouche et on le couvre dans des couvertures, dit Melissa à l’officier maure. On l’amène vers le tunnel.

En traversant les deux couloirs, ils furent regardés curieusement par les soldats rencontrés, mais sans des questions. Seulement à l'extérieur du château, vers la cour, un des soldats de la garde les arrêta.

- Un de nos officiers, lui dit le chef de la garde du tunnel. Il fut blessé hier dans la bataille et mourut la nuit dernière. Dans les caisses nous avons ses affaires qu’il aurait voulu emmener avec lui.

- Bien, d'accord, passez. Les onze soldats, maures et chrétiens, entrèrent dans le

tunnel, portant le général enveloppé dans des couvertures comme un homme mort. Ils portaient aussi les deux caisses en bois, bien verrouillées avec du fer.

- Effendi, lui dit Melissa quand ils arrivèrent à la porte. Ici vous avez les diamants promis. Et voici le parchemin signé avec le sceau du notre roi, pour libre passage. Quand vous partez, je vous conseille de porter des vêtements chrétiens. Allah soit avec vous.

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- Et avec vous, pour nous avoir sauvé la vie, lui répondit l'officier, en fermant la porte après les cinq soldats qui se dirigeaient vers la sortie du tunnel. Là, ils furent attendus par les autres dix soldats chrétiens. Car Melissa était aussi un vrai soldat. Et pas seulement d’après les habits qu’elle portait. Après environ deux heures dans l’après-midi, une foule de soldats croisés se rassembla devant la porte nord du château. Un peu plus loin, sur le flanc de la colline, se tenaient le comte Ramon et une assez grande suite, y compris Don Rodrigo, Don Eduardo, Melissa et Lopéz.

On entendit le son du clairon et le silence gagna la foule de soldats rassemblés devant la porte. Sur les murs de la ville, des centaines de soldats maures regardaient d’un air curieux les croisés rassemblés.

Le trompettiste s’éclaircit la voix par un toussement léger, puis d’une voix puissante, cria vers la foule.

- Au jugement de Sa Grandeur, le comte Ramon prince d'Aragon, le général Al Mandur fut trouvé coupable de la mort des soldats du seigneur de Vetéro, de l’enlèvement de la petite-fille de celui-ci et de sa séquestration. Il a reconnu sa culpabilité. Pour ses actes, il a été condamné à mort par pendaison. La peine sera exécutée immédiatement. Que Dieu reçoive son âme.

Un déferlement de cris s’entendit des murs. " Comment est-il possible que le gouverneur de la forteresse et de la ville reçoive un tel châtiment? Notre maître? Quand et comment l'ont attrapé les chrétiens? “ C’étaient les questions que tous les soldats maures se posaient. La peur les gagna en pensant que le puissant général a été capturé et condamné comme tout voleur ordinaire. " Il faut pas plaisanter avec ce jeune roi Ramon. Je dois lui céder la forteresse, comme prévu " se dit l'émir en regardant le corps de son général. Homme cruel, égoïste, mais

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Al Mandur lui a été utile. Et pourtant, il ne le regrettait pas, car Al Mandur aurait pris aussi sa tête, s'il l’avait pu. Tortosa, octobre 1149

La récolte sur les terres du domaine de Vetéro et de Reus commença au début d’octobre par un temps ensoleillé, mais un peu plus froid le matin. Près de cent cinquante personnes, hommes, femmes et enfants du domaine, mais aussi de la ville de Reus, se rassemblèrent aux frontières des trois parcelles de vignes, lundi, aux premières heures du matin. La veille, dimanche, après la messe du matin, les travailleurs se sont dirigés vers les caves près de Reus, où le seigneur, Don Rodrigo, avait offert un repas à la tarragonaise.

L'habitude d’offrir le repas et de célébrer le début de la récolte des raisins, tout comme la fȇte célébrant la fin de la campagne de la récolte, durait d'une vingtaine d'années. Mais le seigneur a pris l'habitude des anciens Romains, qui connaissaient bien les vertus de la noble boisson à base de raisins.

Ces célébrations sont devenues de véritables spectacles, occasion joyeuse pour tous les habitants. Parce qu’il n'y avait pas seulement les travailleurs du domaine qui y participaient, mais aussi les paysans libres, les marchands, en un mot, tous les habitants, grands et petits, hommes et femmes.

Les troupes de cirque et les troubadours entretenaient l'atmosphère avec leurs spectacles comiques suivis de la danse

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des habitants. Tout commençait avec la bénédiction du repas et des travailleurs et avec le discours de remerciement du seigneur.

Comme dans les années précédentes, à la fête du début du vin, comme l'appelait Don Rodrigo, arrivèrent aussi le seigneur Oreiro avec Mme Vanessa de Gadára. Il y avait aussi certains seigneurs de la montagne, qui ne possédaient pas des vignobles, mais qui ont voulu apporter un hommage à la boisson dont on a écrit aussi dans le Livre Saint. Toutes les tables furent rangées sur l'herbe épaisse du bout de la vigne, les hôtes et les invités ayant aussi deux tables richement ornées.

Ils mangeaient, tout comme les travailleurs, des plats traditionnels, naturels ou cuits selon des recettes anciennes, inchangées depuis des siècles.

Utilisant des plateaux en bois et en céramique, les serviteurs ont mis sur les tables pollo la riojana et conejo asado, lapin de la montagne avec ensalada, préparée avec de la laitue de montagne, oignon et olives.

Pour les gourmands, il y avait des bols en terre avec de la soupe épicée, à l'huile d'olive, beaucoup d'ail et vinaigre de vin, mais aussi escudella, la soupe tarragonnaise préparée des légumes et beaucoup de genres de viande bouillie à feu doux.

Sur d’autres plateaux en bois, bien rangés, il y avait des morceaux de jamón Serrano, de la viande du cochon nourri de gland, jambon tenu dans le sel, puis dans le vent pendant neuf mois. Sur les mȇmes plateaux se trouvaient chorizo, des saucisses de porc, très épicés et parfumés.

Pour les femmes et les enfants on a préparé les desserts: des fruits frais, des tranches de fromage avec de la confiture de coings, panellets et une sorte de lait crémeux de chèvre apporté de Tarragone.

Sur les tables, il y avait aussi des vins rouges d'une maturation d'au moins deux ans, crianza, pour les travailleurs et

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ceux de neuf ans, pour les seigneurs. Les dames ont préféré la délicieuse, mais trompeuse sangria, du vin avec des oranges, de la menthe et d'autres herbes parfumées, qui apportait de la rougeur dans les joues et du poids à la langue.

Quand le vin fit son effet, les gens commencèrent à danser sardana, accompagnés par les troubadours avec la cobla. Quelques habitants essayèrent à faire torres, avec leurs propres corps, mais le vin s'avéra plus fort que leur volonté.

La nuit tomba au grand regret des gens et après les mots de remerciement, les habitants s’en allèrent chez eux. Les seigneurs et leurs invités allèrent au château pour continuer la fȇte avec d’autres produits et vins.

En montrant qu’eux, les habitants catalonsis sont bons pas seulement à fȇter, mais aussi à travailler, ils commencèrent le travail très tôt dans la matinée et continuèrent ainsi toute la semaine. Le seigneur de Gadára, se trouvant parmi les travailleurs, avec Don Rodrigo et Don Eduardo, les regarda premièrement avec surprise, puis avec compréhension.

- Je pensais qu’après la célébration d'hier, aujourd'hui tous fonctionneront plus lentement, mais je vois que je me suis trompé, leur dit le seigneur Oreiro de Gadára.

- Ils n'auraient pas travaillé avec un si grand enthousiasme sans la fȇte du début du vin. C'est une forme de respect pour leur travail, mais aussi pour le vin, béni par Dieu.

Le seigneur de Gadára tourna son regard tout autour, pensif.

- Vous savez à quoi je pensais, Don Rodrigo? Nos enfants, Silvia et Eduardo, tout comme Melissa, vivront ici, avec Votre Seigneurie. Si je vendais mon domaine de Gadára pour acheter un autre ici, près de Tarragona?

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- Dieu vous a donné la bonne pensée, répondit Don Rodrigo. Ma dame m'a toujours dit qu’il serait bien si vous veniez près de nous, à proximité des enfants et de la mer.

- Pour être honnête, ma dame m’a aussi proposé cela, mon cher allié. Peut-être qu'elles deux ont parlé, ou ont pensé la même chose.

- Si vous le décidez, nous parlons avec l'archevêque, parce que l'église maîtrise la Tarragone. Mais aussi avec le Prince Roberto, celui qui administre la province. Je pense qu’il serait d'accord de nous vendre un bon morceau de terre. Nous vous aidons à trouver les travailleurs et à organiser le domaine.

- Tout d'abord, nous devrions voir les lieux, hein? Car je voudrais avoir aussi de la vigne, un verger et des grains.

- Pour élever des animaux, on vous donne de la terre dans les montagnes.

- Pensez-vous que les dames et les enfants seront-ils contents?

- Vous le demandez encore? Nous allons les annoncer? - Nous allons les rendre heureux, lui répondit le seigneur

Oreiro de Gadára. La joie de Melissa, de Don Eduardo et de Silvia, mais

aussi des dames, fut grande. Et ils avaient une bonne raison. Ȇtre toujours ensemble, enfants, parents et grands-parents! Quoi demander de plus?

Si grande fut leur joie, qu'elle ne put pas ȇtre assombrie par la mauvaise nouvelle apportée par les messagers du comte Ramon de Barcelone. Ceux-ci arrivèrent au domaine lors de la récolte des raisins.

- Don Rodrigo, lui dit le messager du comte, Sa Grandeur, vous transmet des vœux de santé.

- On répond de la même façon à notre cher parrain et seigneur. Dites-lui cela.

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- Je vais lui dire à mon retour à Barcelone. Mais voici le message et la demande de Sa Grandeur. L’émir Tashfin a rassamblé plus d’un millier de combattants berbères et se prépare à attaquer Tortosa, pour reprendre la ville.

- Vous savez quand il veut attaquer? - Dans une semaine il pourrait être aux portes de la ville,

Don Rodrigo. - Nous avons peu de temps pour préparer la défense, dit

le seigneur plus pour lui-même. - Oui, peu de temps. L'armée du royaume et celle de la

province de la Catalogne ne peuvent pas arriver à temps pour défendre la forteresse. Et puis, les croisés qui ont conquis la citadelle l'an dernier sont tous retournés chez eux. Y sont restés seulement les croisés qui ont reçu des terres autour de la ville. Mais ils n’ont pas assez de pouvoir. Dans la ville il y a seulement quelques habitants, les femmes et les enfants. Le domaine le plus près de Tortosa est celui de Votre Seigneurie, Don Rodrigo. Vous êtes le seul espoir de sauver la ville de la destruction. Les Maures font des pillages, comme une revanche pour la perte de la ville et de la province.

- Nous y allons, padre, dit Don Eduardo. - J’y vais aussi, intervint le seigneur de Gadára. Je

défends mon futur domaine, avec les gens que j’ai. Don Rodrigo les regarda silencieusement, pensif, mais

aussi content de leur décision. - Bien, nous irons à Tortosa. Dites à Sa Grandeur que

dans deux jours nous partons à défendre la ville et la forteresse. Vous savez en quelque sorte, qui d'autre viendra à la défense de la ville?

- Une centaine de soldats de Tarragone et les chevaliers templiers. C’est tout ce que je sais.

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- Oui, nous avons très peu de défenseurs. Nous ferons de notre mieux, dites cela au comte.

- Je lui dirai, Don Rodrigo, mais il sera très inquiet. - Nous commençons à nous préparer dès aujourd'hui.

Comme je l'ai dit, nous partons dans deux jours, avec deux cents soldats, réunis des terres environnantes.

Le détachement dirigé par le seigneur de Vetéro arriva à Tortosa tard dans la nuit et monta le camp au pied de la montagne, près du mur de la forteresse La Suda. Dans la ville, il y avait seulement une centaine de défenseurs et une autre centaine de serviteurs. Il y avait aussi une centaine de chevaliers et sergents templiers dans la garnison. Après la conquête de la ville en décembre dernier, un des châteaux de la forteresse a été donné aux chevaliers templiers et le second, au comte de Montada. Dans ces circonstances, l'arrivée des deux cents soldats ne pouvait que contenter ceux qui vivaient dans la forteresse et la défendaient. Ils étaient la seule aide arrivée dans la ville, avant l'entrée de l’émir avec son armée, attendus dans trois, quatre jours.

Les quelques commandants de la ville se sont rassemblés dans la matinée, pour débattre et décider sur l'organisation de la défense. Décision difficile à prendre, à cause de l’insuffisant nombre de soldats pour défendre la forteresse et la ville.

À la réunion ont participé le chevalier Juarez de Carrena, le commandant des templiers, le comte de Montada, Don Rodrigo, Don Eduardo, Don Oreiro de Gadára et l’archevêque Gaudier de Tortosa.

- Messieurs, commença le comte de Montada, pour pouvoir défendre la ville, parce que cela est important, nous devons penser à une ligne de défense sur la route, à la périphérie

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de la ville. D’un côté on a la montagne, de l'autre côté, la rivière. Qu’en dites-vous?

- Votre Grandeur a bien pensé, lui répondit le chevalier templier, Juarez de Carrena. Nous devons partir en reconnaissance pour observer le terrain et préparer des tranchées et des clôtures défensives.

- Moi, je pense aussi que l’idée de Votre Grandeur est bonne. Mais comment divisons-nous les quelques soldats qu’on a? Car nous devons laisser un détachement de défense aussi dans la forteresse. On peut pas concentrer tous les soldats à l’extérieur.

- Je laisserai cinquante chevaliers templiers comme sentinelles et on apporte quelques habitants qui veulent combattre.

- Il est bien ainsi et pourtant, chaque templier nous serait très utile sur le champ de bataille.

- Nous ne pouvons pas faire autrement. Nous attendons aujourd’hui une autre centaine de chevaliers templiers.

- Si nous sommes tous d'accord, rendons-nous à l'entrée de la ville pour observer le lieu où nous préparerons la ligne de défense, dit le comte de Montada. Le commandant de la défense, si vous l'acceptez, sera le chevalier Juarez de Carrena. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment un autre meilleur que lui, même si je suis le noble commandant de la forteresse.

- Vous avez bien jugé, comte de Montada, répondit Don Rodrigo. Cela étant dit, je vous propose, Messieurs, de retourner à nos détachements pour donner les commandes nécessaires.

Arrivé au camp des soldats de Vetéro, Don Rodrigo leur dit quelle décision avaient pris les commandants de la défense et quelles étaient leurs tâches.

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- López, vous nous accompagnerez à voir le lieu de la défense et puis vous tournerez à amener nos soldats. Vous les conduirez là où nous établissons la ligne de défense.

- Mi abuelo, lui dit Melissa, je voudrais rester ici dans la citadelle. Si l’armée de l’émir passe au-delà de la ligne de défense et entre dans la ville, je pourrais aider nos soldats se cacher dans les souterrains, parce que je les connais mieux que personne.

- Oui, vous pouvez rester. Eduardo restera aussi avec vous. Parlez aux templiers qui défendent la forteresse pour établir la manière de quitter la citadelle si les Maures vont la conquérir, en nous dépassant. J'espère que ce ne sera pas le cas.

- Ne vous inquiétez pas pour nous, padre, lui dit Eduardo. Dieu nous défendra.

Les préparatifs pour la défense, dans la ville et dans la forteresse, durèrent quelques jours.

À l'entrée de la ville, sur la route de Valencia, les soldats ont creusé des tranchées de défense et ils y ont mis des piquets pointus contre la cavalerie maure. Juste derrière les fossés et les piquets, les défenseurs pédestres avec des arcs et des javelots étaient prêts à accueillir les attaquants.

Dans la forteresse furent amenés environ une centaine d'hommes résidents, armés d’épées et des lances. Cependant, étant trop peu, à la demande de Melissa les templiers acceptèrent difficilement, aussi des femmes décidées d'accompagner les hommes dans la lutte pour la défense de la ville. Ils savaient tous que si les Maures conquéraient la ville, ils ne pourraient pas la dominer sans la conquête de la forteresse. Par conséquent, la forteresse resta leur dernier espoir de défense. Défense désespérée, comme voyaient et ressentaient à peu près tous les habitants. Les seuls qui ne participaient pas à la défense étaient les quelques Arabes restés dans la ville. Les autres, les chrétiens,

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hommes et femmes, étaient prêts à se défendre contre l'armée de l’émir laquelle se trouvait sur la route vers Tortosa.

Un mardi de la mi-octobre, l’armée de l’émir Tashfin commença l'attaque sur la position de défense des chrétiens de la ville de Tortosa. Le lieu de combat choisi par les défenseurs, situé à une moitié de lieue de la ville, était étroit, flanqué par les pentes raides de la montagne et par la rivière Ebre. Pour eux, c'était plus facile de tenir tȇte aux attaquants dans ce lieu étroit. On a prouvé cet aspect de la première attaque des Maures. Tout d'abord, attaquèrent les trois cents cavaliers, mais ils s’arrêtèrent devant les fossés profonds où ils furent frappés par des centaines de flèches. Quand ils essayèrent de monter vers la forêt afin de contourner les fossés et les piquets, ils furent accueillis par d’autres flèches mortelles. Ils ne s’imaginaient pas les Maures que dans la forêt se trouvaient seulement environ dix, quinze archers, dispersés parmi les arbres de la lisière.

Vers midi, attaquèrent les Maures pédestres. Les premières lignes tombèrent avant d'atteindre les fossés de défense et ceux qui réussirent d’y parvenir, furent également surpris d'être accueillis par une centaine de pédestres habillés avec des robes blanches et marron sur lesquelles étaient cousues des croix rouges. Une centaine de combattants vêtus de ces robes, maintinrent sur place pour près d’une heure, presque sept cents pédestres maures, jusqu'à ce que d’autres pédestres chrétiens vinrent en aide.

L’émir Tashfin fut tellement surpris et furieux de voir la solide défense des chrétiens, qu'il ordonna d'arrêter l'attaque. Ses espions lui dirent que dans la ville il y avait seulement des femmes et des enfants. La même chose affirmèrent les habitants musulmans échapés de la ville. D'où sont-ils apparus tous ces combattants? Il avait entendu assez sur ces combattants en vêtements blancs, mais maintenant, quand il les a vu en action, il

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ne savait plus quoi croire. Et, curieusement, ils n'ont pas eu de pertes. Ils s'entraidaient et frappaient avec une force incroyable.

- Votre Grandeur, lui dit le commandant de la cavalerie, nous devons conquérir la ville dès que possible. Dans quelques jours, finira la nourriture et les chrétiens reçoivent en permanence de la nourriture et de l'aide. Commandez une attaque des pédestres et nous viendrons derrière eux. S’ils couvrent une partie des fossés avec des troncs en bois, dans une heure nous vainquons les chrétiens.

- Vous avez raison. Je vais ordonner d’apporter du bois de la forȇt et de faire des ponts au-dessus les fossés. Demain nous faisons cela et puis nous vainquons les chrétiens.

Les mouvements des Maures furent suivis par les espions envoyés par le commandant Juarez de Carrena, qui avait deviné leurs intentions. Un grand nombre de défenseurs chrétiens suivaient l'armée maure, debout, dans les tranchées et parmi les piquets. D'autres, se reposaient. C'était une journée sans lutte, donc chacun faisait ce qu'il voulait. Les Maures regardaient aussi les chrétiens, seulement qu'ils avaient suffisamment de travail.

La nuit passa tranquillement. Dans la matinée, à l'aube, les Maures étaient prêts à attaquer. L’émir regardait attentivement les positions de tir des chrétiens, en attendant que ses soldats soient prêts à lancer l'assaut. Chose curieuse. Il ne voyait pas les défenseurs chrétiens. « Ils se sont cachés dans les fossés. Ils ont deviné nos préparatifs et attendent à détruire nos ponts.” Mais je ne vois aucun soldat chrétien”. Enfin, il donna le signal d’attaque et ses soldats partirent en criant aussi fort que possible.

Pas de flèche. Au fur et à mesure qu'ils s’approchaient des fossés défensifs, ils ralentirent les pas, désorientés, perplexes. Dans les fossés, aucune trace des chrétiens. Ils se sont

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arrêtés, en attendant les ordres des commandants et de l'émir. Mais l'émir, resta silencieux, lui aussi perplexe. " Ils ont quitté la position défensive pendant la nuit. Où sont-ils? Ils nous attendent dans la ville, parmi les maisons? Ou dans la forteresse? « Ils savent que nous ne pouvons pas conquérir la ville sans conquérir la forteresse ».

- Vers la ville! cria-t-il. Quelque temps passa jusqu'à ce que les Maures

organisèrent la marche vers la ville. À l'entrée de la ville, l’armée de l’émir, la cavalerie en tȇte, fut accueillie avec des flèches tirées des maisons situées entre la route et la pente de la montagne. Les soldats maures portaient des armures en cuir épais de bœuf, certaines avec une maille en métal, qui n’étaient pas facilement percées par des flèches avec des pointes en fer. L’attaque inattendue avec des flèches irrita l'émir.

Furieux, il ordonna qu'un groupe de soldats contourne ces maisons au bord de la forêt et attrape les archers. Mais lorsque les soldats maures arrivèrent aux maisons, ils ne trouvèrent aucun combattant. En fait, toute la ville semblait déserte, abandonnée par les résidents. « Où sont-ils les habitants, dans la forteresse ou dans les montagnes? Où qu'ils soient, c'est mauvais pour nous. Probablement qu’ils ont emmené aussi les aliments, donc si nous ne conquérons pas la forteresse en quelques jours, nous mourrons de faim ». Cette pensée donna de la chair de poule à l’émir déjà mécontent du cours de l'expédition. Il s'attendait à la conquête de la ville et de la forteresse du premier jour de siège, cédées par les chrétiens sans défense. Mais, il rencontra une résistence inimaginable.

- On encercle la forteresse! Plus vite! Dans une demi-heure, la forteresse fut entourée par

l’armée de l’émir qui se préparait à l'assaut des murs de défense. Lorsque les clairons sonnèrent l’assaut, de l'intérieur de la

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forteresse s’entendirent des bruits assourdissants de fer frappé, des hurlements, des cris, comme si les portes de l’enfer furent ouvertes. Ils connaissaient ces bruits du champ de bataille, qui avaient quelque chose d'effrayant. Sur les murs firent leur apparition des combattants qui criaient et frappaient leurs épées et les autres bruits de la forteresse couvraient ceux-ci.

- C'est un piège, repliez-vous, repliez-vous, hurla l’émir, de peur que les portes du château s’ouvriront et son armée sera attaquée par les nombreux soldats chrétiens. Et il a vu combattant seulement une centaine de soldats vêtus de robes blanches et marron.

Au son des clairons, les Maures se retirèrent aussi vite qu'ils purent, en s’arrêtant au-delà de la sortie de la ville. Le seul moyen de sauver son armée, était d’abandonner la conquête de la forteresse Tortosa. Chose que l’émir fit, avec grand regret.

Sur le mur de défense de la forteresse, les soldats regardaient les Maures partir en hâte. Le commandant templier Juarez de Carrena tourna vers Don Rodrigo, en souriant.

- Je vois que la tromperie a fonctionné. À ma grande surprise, je l'avoue.

- Commandant, pour cela il faut remercier ma nièce, Melissa de Salou. Elle a tout organisé simultanément avec nos efforts de tenir tȇte à l'armée de l’émir.

- Mademoiselle, comment avez-vous réussi à tromper les Maures? demanda le comte de Moncada.

- M. le comte, répondit Melissa, je suis allée en ville et j'ai appelé ici, dans la forteresse, toutes les femmes que j'ai rencontrées sur mon chemin. Après leur avoir expliqué ce qu'il fallait faire, elles ont apporté d’autres femmes, quasi deux cents, avec des poȇles et tout autre objet en fer qu’elles ont trouvé dans la maison. Quand les Maures étaient prêts à attaquer la forteresse, elles ont frappé les poȇles et les autres objets en fer,

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les uns contre les autres en criant de tous leurs pouvoirs. J'ai vu que les soldats ont aimé ça, car ils criaient le plus fort.

- Et l'armée de l’émir a pensé que nous avons des milliers de soldats, alors elle s'est retirée. Bravo, Mademoiselle! Puis, à Don Rodrigo:

- J'aimerais bien une telle bru, Don Rodrigo. - Comte de Moncada, dans notre famille, depuis des

générations, nous nous sommes tous mariés par amour. Ma nièce choisira toute seule son mari.

- Ne vous fâchez pas, Don Rodrigo. Je n’ai pas plaisanté, j’ai parlé sérieusement.

- Moi aussi, M. le comte. L'échange de mots entre les deux seigneurs rappela aux

commandants et aux chevaliers que la bataille était terminée et qu'ils devraient se préparer à s’en aller.

- Nous partirons, M. le comte, dit Don Rodrigo. Si les espions de Votre Seigneurie voient les Maures retourner, nous reviendrons aussi. Et nous allons les attaquer de l'extérieur, en les encerclant.

- Nous ferons de la sorte, Don Rodrigo. Merci pour votre aide. Votre Seigneurie annoncera le comte Ramon du retrait des Maures. Et, bon voyage, Messieurs.

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Chapitre VI

Les fantômes de Tarragone, l’année 1150

L'agitation des serviteurs de ce matin serein de mars, dans le petit fort Pinar Viejo, apporta le sourire aux lèvres de Melissa de Salou. Elle n’était pas encore habituée avec sa vie dans le monde chrétien, à ȇtre au centre de l’attention. Elle n'était pas habituée à ȇtre traitée comme une noble maîtresse, elle, qui avait grandi dans le harem et qui était alors une simple serviteure des épouses du maître maure.

Elle se trouvait dans le fort de ses grands-parents, Don Oreiro et Dona Vanessa de Gadára, fort encore en construction. Son édification commença il y a plus de cinq mois quand le seigneur vendit son domaine de Gadára et acheta un terrain montagneux du Prince Burdet Roberto. Il aurait voulu acheter un terrain plus près de Tarragone, mais le Prince refusa de vendre. Bien que l’archevêque Bernart, en tant que représentant de l'Église, propriétaire de la province de Tarragone, fut d’accord que le Seigneur de Gadára achète les terres d’entre Tarragone et Salou, le Prince exprima ouvertement son refus. Cela, dans le contexte des différences permanentes entre le Prince et l'Église.

Le conflit entre le Prince et l'Église affecta le seigneur Oreiro, mais aussi Don Rodrigo de Vetéro, qui administrait au nom de Melissa le domaine de Salou. Roberto, le prince normand, un ancien mercenaire, tenait à racheter le terrain, mais Don Rodrigo refusa. Depuis lors, les désaccords entre le Prince de Tarragone, Roberto et les seigneurs de la région continuèrent, parfois violents, parfois diplomatiques.

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Ce beau matin de printemps, Don Oreiro de Gadára et Melissa se préparaient à aller à Salou, où les constructeurs avaient terminé la construction d’une torre de defense. La tour était destinée à défendre le village et le port de Salou contre les attaques des pirates arabes, de plus en plus souventes. Ils devaient être accompagnés de Lopéz et de près de vingt soldats, commandés d'un officier. C'était pour leur sécurité pendant le voyage.

Le départ de la suite de Don Oreiro et de Melissa commença dans une atmosphère agréable, la journée s’annoçant belle. En moins d'une demi-heure, ils rencontrèrent sur la route, Don Rodrigo, qui les attendait pour aller ensemble à Salou. Ce jour-là, Don Oreiro de Gadára allait assumer avec Melissa la gestion du domaine de Salou.

Ce domaine-là n'était pas parmi les grands fiefs, au contraire, il était moyen, même petit en le comparant avec le domaine de Vetéro. Pas trop riche et avait assez d’ennuis. Un des dangers qui menaçaient les habitants, vassaux ou paysans libres, le représentait les pirates arabes. Ceux-ci traversaient la mer deux, trois fois par an, attaquaient et pillaient les ports ibériques y compris Tarragone et Salou. Ils attaquaient toujours pendant la nuit, en surprenant les seigneurs qui n’avaient pas suffisamment de forces pour la défense. Surtout que depuis l'année 1147 avait commencé la croisade contre les Maures et les armées étaient parties à la guerre. Un autre danger provenait des groupes de mercenaires qui attaquaient régulièrement les villages des seigneurs insoumis au prince Roberto. Personne ne pouvait prouver que c'était lui, mais tous savaient que les bandes de mercenaires attaquaient avec sa permission. Au début de son règne sur la terre de Tarragone, en 1129, le seigneur Burdet Roberto avait protégé les citadins et les paysans libres, tout en maintenant les impôts à un niveau bas, établis par l'église.

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Progressivement, il a augmenté les taux et a commencé à opprimer les habitants et les petits vassaux, en apportant des précepteurs normands et des mercenaires pour assurer sa défense contre la colère de la population. Cela, surtout après la mort de l'archevêque Oleguer, qui l’avait nommé à l’administration de la terre. Le nouvel archevêque, Bernart a tenté vainement de ramener la paix dans la province. Toutefois, il est resté un allié des seigneurs bien intentionnés qui luttaient pour la défense des habitants contre les abus du prince.

- Don Oreiro, lui dit Don Rodrigo, avez-vous pensé d’habiter à Salou? Maintenant, lorsque le fort de défense fut terminé, vous pouvez y vivre en permanence.

- J'ai pensé à cela, Don Rodrigo, mais il est trop dangereux pour ma dame et pour Melissa, surtout à cause des pirates. Je voudrais laisser à Salou un détachement de soldats pour défendre le port et le village contre les pirates et les bandes de voleurs et Melissa demeurera où elle choisira. Chez nous, de mȇme que chez Votre Seigneurie.

- Vous avez bien pensé. Si nécessaire, on envoie des aides de Vetéro, pour défendre le domaine de Salou.

- Nous aurons besoin d'aide quand les pirates viendront à piller les villages du bord de la mer, Don Rodrigo. On se débrouille avec les bandes de voleurs. Ils ont essayé plusieurs fois à attaquer les dépôts et le village de Pinar Viejo, mais nous les avons chassé avec assez de pertes pour eux.

- La semaine dernière, comme j'ai entendu, près du village d’Almos, quelques mercenaires, voleurs d’animaux, furent retrouvés pendus des arbres au bord de la route.

- Oui, moi aussi j'en ai entendu parler. C'est le troisième incident de ce genre, produit ce printemps. Personne ne sait qui sont ceux qui défendent les habitants des voleurs. Mais ils rendent justice au peuple et cela est très bien.

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- Je me suis demandé aussi qui pourraient être ces defensores, qui punissent les voleurs. Les gens du prince Roberto? Je ne pense pas, ses gens collaborent plutôt avec les voleurs.

- Tous les habitants parlent du fait que les mercenaires travaillent pour le prince, à qui ils donneraient une partie de la proie.

- Je ne pense pas qu’il prendrait une partie de la proie, mais qu’il leur permet des vols sur les terres provinciales, j’en suis sûr. Avec l'aide des mercenaires, il punit les seigneurs et les paysans libres qui lui s'opposent.

- Tous les seigneurs en pensent ainsi. Et ce qu’on peut faire, Don Rodrigo?

Le seigneur Oreiro de Gadára posa la question, mais il n’attendait pas une réponse. Il était difficile pour quiconque de la lui donner. Établi depuis peu de temps dans les terres tarragonnaises, il ne connaissait pas trop de seigneurs, ni les coutumes locales. Mais il n’eut pas de conflits avec personne, il agissait selon les anciennes règles nobiliaires, respectait tous les voisins, l'Église et le souverain de Barcelone.

Don Oreiro regarda autour de lui, laissant les chevaux se déplacer doucement. Derrière lui et Don Rodrigo, se trouvaient Melissa et Lopéz, puis les soldats compagnons, trois par trois, sur la route étroite. Laissant derrière eux la forêt, devant apparut la plaine, légèrement inclinée, s'étendant sur plus de deux lieues, vers Reus. “ Beaux endroits “ se dit Don Oreiro. " Chez nous, à Gadára, il y a plus des forêts et des plaines, avec des pentes abruptes et des zones rocheuses. Là, c’est beau aussi, mais il s’agit d’un autre type de beauté naturelle. Agréable pour nous, les montagnards.”

Melissa et Lopéz les suivaient silencieux, chacun avec ses propres pensées. Leurs chevaux allaient doucement, tout

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comme ceux des seigenurs, sans ȇtre conduits par les cavaliers. Lopéz accompagnait Melissa partout, protecteur, essayant de repousser toute menace. Dès son enfance il consacra sa vie à Melissa. Lorsqu’ils jouaient dans la cour du château de Vetéro, il la laissait toujours gagner n'importe quelle course, à sa grande satisfaction. C'était un frère attentif et protecteur. La disparition de Melissa il l’avait ressentie comme une grande perte et l’a cherchée sans arrȇt. Après son sauvetage du harem du générale maure, il a continué à lui consacrer sa vie, mais, le sentiment fraternel a disparu, laissant place à un amour profond. Mais bien caché, comme il le croyait. Il savait que Melissa ne pourrait pas l’aimer et il ne s’y attendait pas. Il était content d'être près d’elle et heureux quand il pouvait lui être utile. Ils provenaient des mondes différents et cela ne changera jamais; Melissa, fille de nobles, prendrait en mariage un noble, peut-être même un fils de roi ibérique; lui, Lopéz, il était le fils d'une servante du château de son seigneur et va se marier toujours avec une servante. C’était donc la loi du lieu et du temps, afin d'assurer la continuité des anciennes familles nobles, maîtres des territoires et des royaumes. Il ne voulait pas, ni pouvait modifier ces règles. Ȇtre près de Melissa, la protéger, c'était tout ce qu’il voulait et cela le rendait heureux.

Melissa pensait à ce qu’elle allait faire à Salou, avec ses grands-parents. Et il y avait beaucoup de choses à faire. Son père, Don Eduardo, lui avait promis d'apporter des travailleurs du nord, pour travailler la terre assez bonne du domaine. Son grand-père, Don Oreiro de Gadára, l’aidait à renforcer la garde contre les attaques des pirates et des voleurs. Elle, Melissa, voulait rester à Salou, maintenant, quand le fort, avec la tour de défense, ont été achevés. Se trouvant toujours là, elle pourrait tout superviser, le travail des gens et le service des soldats. Mais comment faire cela toute seule? Lopéz, bien sûr! Quand elle

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avait besoin de lui, il était à ses côtés, un soutien loyal et fiable. « Comment serait Lopéz comme mari? Je ne veux pas y penser maintenant. Tous ces ans perdus dans le harem musulman...Je veux vivre ma liberté, récupérée au temps. Maintenant, j'ai toute ma vie devant moi, le temps viendra de penser à un mari, à ma propre famille. Bien que mes sentiments envers Lopéz soient confus. Ma mère disait qu’au fil du temps, ils vont s'éclaircir. Mais il y a aussi d’autres caballeros hidalgos que j’apprécie. Je vais attendre. On dit que l'amour est comme une maladie. Il nous attrape lorsqu’on s’attend le moins. Serait-il vrai? »

En voyant que les grands-parents stimulèrent les chevaux d’aller au trot, ils les suivirent. Jusqu'à Salou, où ils arrivèrent en moins d'une heure, López lui parla des endroits qu’ils traversaient et du petit village de pêcheurs. Le village de Salou, situé à quelques lieues au sud de Tarragone, existait là depuis des siècles, depuis l'époque des Grècs antiques. Ceux-ci utilisaient la baie principale tout aussi que celles petites bordées des rochers, pour décharger les cargaisons qu'ils vendaient ensuite aux montagnards de l'ouest. Peu à peu, furent érigés des petits bâtiments en bois et en pierre et le village fut appelé Salauris. Les Romains, en conquérant l’est de la péninsule, ont continué à utiliser le port Salauris, pour des fins militaires et commerciales. C'était une sorte d'extension de la garnison de Redis (Reus), pour son approvisionnement et le chargement des bateaux avec des produits locaux pour l'Empire.

Le village n'a pas beaucoup changé depuis les Romains qui avaient aussi construit une tour de défense près du golfe, sur un monticule qui dominait le village. Là, sur les ruines de la tour romaine, Don Rodrigo avait commandé de bâtir le fort, avec mur et tour de défense.

Ils descendirent des chevaux dans la petit cour du fort où ils furent attendus par Huarez, le commandant du détachement

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de la garde du fort et ensemble, ils se dirigèrent vers l'entrée de la tour. Don Rodrigo et Don Oreiro allaient en tȇte, suivis de Melissa, Lopéz et Huarez. Ils voulaient, non seulement s’assurer de la résistance de la construction, mais aussi de voir le panorama qui dominait l'horizon. De la tour, on voyait le golfe du port, délimité du côté droit par Cap de Saint Pere et de celui gauche par Punta del Porroig. Deux galères avec le blason du comte de Barcelone étaient ancrées dans la baie, attendant d'être chargées ou déchargées. Une dizaine de bateaux flottaient sur la mer devant le port. C’étaient les pêcheurs partis dès l’aube. À gauche, on observait le promontoire Punta Grossa et les deux petites criques et plus loin, vers le nord, les tours des deux églises de Tarragone.

- Bel endroit, affirma Don Rodrigo. Nous pouvons y faire un domaine riche, parce que vers Reus, la terre est bonne pour les grains.

- J'y ai pensé aussi, juste que nous devons apporter des travailleurs d'autres régions. Dans le village, la plupart des habitants sont pêcheurs.

- À notre retour, nous allons tout au long du bord du domaine, celui vers Tarragone, continua Don Rodrigo. Nous pouvons voir les lieux et penser où placer nos espions. Les bandes de voleurs viennent de Reus ou de Tarragone et là, nous devons avoir des espions. Jusqu'à ce que les defensores inconnus attraperont les bandes de voleurs. Comment ils ont fait pendant les années précédentes.

À ces mots, Melissa et Lopéz se regardèrent l’un l’autre, puis tournèrent leur attention vers les deux grands-pères. Mais ceux-ci continuèrent à discuter entre eux, sans leur accorder aucune attention.

Lopéz avait raconté à Melissa, après sa libération, il y a plus d'un an, ce qui est arrivé aux bandes des voleurs.

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- Melissa, je vous ai cherché pendant des années, partout, dans les terres administrées par les Maures. J'ai demandé partout de votre énlevement et personne n'a pas été capable de me donner la moindre idée.

- Mon Dieu, quelle sorte de vie vous avez mené, vous aussi! répondit Melissa, en lui prenant la main.

- Moi, maman et tes parents. Nous avons tous vécu pour vous. Quelques fois je partais tout seul, étant obligé d'apprendre le dialecte berbère. D'autres fois, j’étais accompagné de quelques soldats, des gens de confiance. Et, là où j'étais, j'essayais de faire de la justice pour les chrétiens opprimés. Et pas seulement dans les territoires maures, mais aussi dans nos terres. J'ai défendu des pauvres, mais aussi des seigneurs, contre les voleurs, pilleurs et contre les abus. Autant que possible et là où nous les avons rencontrés. Nous avons attrapé des bandes de voleurs et nous les avons pendues des arbres, au bord des villages, comme une leçon pour les autres. En trois ans, les bandes ont disparu presque entièrement. Mais je vois que maintenant elles apparurent de nouveau.

Melissa l'écouta, en le regardant avec de grands et méfiants yeux.

- Avez-vous fait toutes ces choses? Je vous connaissais comme un homme paisible, tranquille.

- Je suis paisible, mais lorsqu’on rencontre des vols et des abus, on ne peut pas rester indifférent.

- Mais les seigneurs des domaines? Pourquoi n’ont-ils pas défendu leurs habitants?

- À cause de l'impuissance ou de l'indifférence. Ou parce qu’ils étaient pris dans les batailles avec les Maures. Il y avait des batailles entre les royaumes et les seigneurs avaient assez de soucis. Et les bandes se sont multipliées.

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- Mais mis abuelos et mi padre? Ils n’ont pas lutté contre ces bandes de voleurs?

-Si. Le domaine de Vetéro était l'un des rares zones contournées par les voleurs, par crainte des seigenurs.

- Ils n’ont jamais deviné? - Je ne sais pas. Nous avons parlé quelques fois des

defensores et ils m’ont regardé avec suspicion. Mais ils ne m'ont jamais demandé directement si j’étais impliqué dans la défense des habitants.

- Lopéz, vous êtes un vrai caballero, un combattant pour la justice. Un defensore con espada y caballo!

Melissa le regarda avec admiration et respect, regard qui restera à jamais dans l'esprit et dans le coeur de Lopéz.

- Lopéz, mon cher, pendant que les grands-pères parlent et donnent des commandements aux hommes du domaine, je voudrais vous parler. Sa voix était déterminée, ferme, basse, comme il ne l’avait jamais entendue parler jusqu'alors. Elle le regarda dans les yeux d'une manière étrange, son regard avait une lueur comme l'acier de Tolède.

- Je vous écoute, Melissa. Lopéz devint attentif et la regarda curieusement, en attendant qu’elle lui dise quelque chose de très spécial. Et il en fut ainsi.

- Les bandes de voleurs qui attaquent nos villages et les habitants, sont violentes, cruelles. Elles ne peuvent être arrêtées ou détruites à moins que quelqu'un leur réponde de la même manière. Quelqu'un puissant, prêt à tout moment à les rencontrer, à leur répondre avec espada et à les attaquer impitoyablement. Qu’ils sachent tous ceux qui viennent pour des pillages qu’ils risquent la vie. Si les seigneurs ou les rois sont trop faibles pour protéger les habitants, quelqu'un doit faire de la justice. Et c’est nous qui le ferons.

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Lopéz la regarda stupéfait. En dehors de l'apparence, cela aussi changée, il n’y avait rien de la belle demoiselle Melissa, la gaie et heureuse Melissa qui retourna dans son monde. C'était comme un ange de la vengeance,avec ses yeux qui jetaient des flammes meurtrières, la voix basse, forte, d'homme et le corps d’acier. Il ne put pas résister au regard vif et dut descendre ses yeux. Puis, il fut envahi par son énergie et par les mêmes sentiments de l’époque où lui et trois autres soldats ont détruit dans les montagnes une bande de voleurs, la bande qui avait volé les céréales des habitants.

Il leva son regard et demanda: - Qui, nous deux? Il attendit une réponse qu’il

connaissait déjà. - Oui, Lopéz, nous deux. Avec certains de vos soldats

loyaux, fiables. - Pardonnez-moi, Melissa, mais nous devons maîtriser

bien l'art du combat, avec toutes les armes dont nous disposons. Vous devez vous préparer.

- Mettez-moi à l’épreuve, Lopez, répondit Melissa très confiante, pas maintenant, mais quand nous arriverons à Pinar Viejo.

- Bien, je confie en vous. Quand voulez-vous déménager ici, à Salou?

- Cette semaine mȇme. Nous allons amener les serviteurs, pour aménager les nécessités de vivre dans le fort. Vous allez habiter avec moi?

- Il serait un grand honneur pour moi d'être dans votre service. Puis, doucement, pour lui: « et une grande joie ! »

Melissa le regarda, peut-être pour la première fois, autrement que comme un frère. « Un beau jeune homme, caballero, brave, sans crainte! »

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- Je vous ai entendu, Lopéz. Moi aussi, je suis très heureuse que vous m’aimez. Elle fit un mouvement involontaire comme si pour se débarrasser de l'état qui commençait l’envahir, état transmis par Lopéz.

- On y va? Rapprochons-nous des grands-pères. Je voudrais les demander sur ce qu’il nous reste à faire.

- Allons-y, bien sûr. Et, en regardant l’enclos de la cour du fort, il poursuit:

- Qu’en pensez-vous, Melissa, l’écurie n'est-elle pas trop petite? Il devrait avoir lieu dans l'écurie aussi les chevaux de la garde du Fort.

- Vous avez raison. Est-ce que quelqu’un a soigné nos chevaux? Je vais demander le commandant du fort.

Melissa manifestait une attention parfois exagérée, pour son cheval, Mia. C'était une belle pouliche, d’un blanc immaculé et la traitait comme son enfant. Elle avait des raisons pour l'aimer, parce que la jument a été celle qui a choisi Melissa comme maîtresse. Son choix était vraiment inhabituel.

Après son sauvetage du harem, Melissa, ses parents et ses grands-parents, accompagnés de Lopéz, sont allés au haras pour lui montrer les chevaux. À cette occasion, Melissa s’attacha à une pouliche blanche, belle et difficile à maîtriser. Don Rodrigo envoya un des valets d’écurie à attraper le cheval et à l'amener plus près d'eux, pour mieux le voir. Avec toute son expérience, le valet d’écurie ne put pas l’attraper et lorsqu’il essaya de jeter la corde, un jeune étalon d’environ deux ans fit son apparition, et, d’un coup de pied fit disparaître le valet. Puis, les deux chevaux commencèrent à galoper sur la pente de la montagne, s'éloignant des gens. Chose qui étonna tous. Les valets montèrent sur leurs chevaux et commencèrent la poursuite des deux chevaux. Une fois rattrapés, ils les ont entourés et ramenés à l'endroit où se trouvaient les maîtres du domaine.

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Melissa, étonnée, mais aussi enchantée du cheval indiscipliné, même rebel, s’approcha de celui-ci, sans crainte. "Mi caballo, mi caballo!", l'appela-t-elle avec une voix calme, tranquille et pleine d'amour en étendant sa main pour lui caresser la tête. Au grand étonnement de tous, la pouliche ronfla doucement, acceptant la caresse avec plaisir. “ Mia, Mia!” continua Melissa à cajoler la jeune jument. L'étalon, méfiant, en observant les gestes d'affection de Melissa, s'approcha lui aussi et étendit sa tête pour être caressé. Chose que Melissa fit avec joie.

- Mon Dieu, ils sont comme deux enfants, dit Don Eduardo.

Lopéz, sans penser à ce qu'il fait, s'approcha des deux chevaux et commença à les caresser sur la tête.

- Mes enfants, voici vos chevaux, dit Don Rodrigo, en regardant la scène émotionné. Il a vu beaucoup de choses au haras, mais ce qui eut place devant lui, le surprit tellement.

- Je voudrais Mia. - Et je vais prendre l’étalon, dit Lopéz. Je vous remercie

de mon coeur, Don Rodrigo. Je dois lui donner un nom. - Son nom sera...Ebo, cria Melissa. Mia et Ebo, Melissa

et Lopéz. Les chevaux, comme s’ils avaient compris les mots des

maîtres, s’approchèrent l’un de l’autre, eux aussi heureux. Depuis lors, gens et chevaux, étaient inséparables.

Melissa, heureuse du premier cheval qu'elle a jamais eu, apprit à chevaucher mieux encore aux côtés de Lopéz et de Don Rodrigo, en devenant une vraie amazone. Ils n’utilisèrent jamais la cravache ou les éperons, en s’entendant réciproquement, gens et chevaux, par des gestes et des mots.

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À plus d'un mois après le déménagement de Melissa et de son grand-père, Don Oreiro, à Salou, ils reçurent la visite du jeune Don Diego d’Adalgos, venu du nord de la province. Ȇtre joyeux, comme toujours, il exprima sa joie de revoir Melissa.

- Dona Melissa, permettez-moi d'exprimer mon bonheur de vous revoir. Vous êtes encore plus belle que lorsque nous nous sommes rencontrés la dernière fois. J'aurais déménagé ici, près de Votre Grâce, si les affaires du domaine et du Royaume ne m’avaient pas empȇché. Ces belles paroles, ils les prononça en la regardant dans les yeux avec une attitude que Don Oreiro qualifia d’insolente.

- Don Diego, j’apprécie la visite de Votre Seigneurie et nous la considérons comme une attention accordée à ma famille.

- Oui, nous avons tout le respect pour Don Eduardo et Don Rodrigo. Mais je dois admettre que les sentiments que j’éprouve pour vous m'ont amené ici.

- Les sentiments de Votre Seigneurie, Don Diego, n'ont pas été notre préoccupation, nous sommes toujours occupés avec les corvées du domaine. Mais, Votre Seigneurie soit le bienvenu.

Melissa, dans la présence de Don Oreiro, tenta de tempérer le voluble Don Diego, de lui imposer une limite de comportement. Pourtant, il était un hidalgo.

- Je connais les travaux d’un domaine, Dona Melissa et ensemble, nous pourrions les résoudre beaucoup plus vite et mieux.

Melissa et Don Oreiro restèrent bouche bée, muets d’étonnement. Une véritable demande en mariage, qui violait toutes les règles naturelles, nobiliaires.

- Je voulais dire, Don Oreiro, essaya Don Diego de corriger l'erreur, que si je suis ici plus souvent, je peux vous

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aider à administrer le domaine. J'ai assez d'expérience et mon père, le seigneur d’Adalgos, pourrait m’aider aussi.

- Je vous remercie pour votre offre, Don Diego, mais Melissa se débrouille très bien. Elle a des aides sur lesquelles elle peut compter, les parents et les deux grands-pères. Vous y restez longtemps?

- Je suis de passage, en route vers Tortosa, et j'ai pensé de voir Dona Melissa. Et Don Eduardo, car je tiens à lui parler.

- Dans ce cas, vous devriez aller à Vetéro mȇme aujourd'hui, parce qu'ici nous n'avons pas des conditions pour des nobles comme Votre Seigneurie, lui répondit Don Oreiro, très aimable.

- Je ferais ainsi, Don Oreiro. Je suis heureux de vous avoir vu, Dona Melissa! salua le jeune en quittant la pièce.

- Melissa, vous aimez ce jeune homme? - Il ne me déplaît pas, mi abuelo. Même s’il est trop

voluble et indomptable, il a une bonne âme. Il est courageux et fidèle. Et il dit toujours ce qu'il pense, il n'est pas faux.

- Je ne comprends pas la manière de penser des jeunes! répondit son grand-père, la regardant mécontent. Puis il quitta la salle où ils se trouvaient, celle des réceptions de la tour de défense.

Aussi mécontente du comportement du jeune Diego d’Adalgos qu’elle sympathisait juste pour sa nature ouverte, turbulente, volontaire, Melissa sortit de la salle pensant à aller se promener au bord de la mer. Jusqu'à la rive, il y avait une distance d'environ deux cents pieds et une promenade lui aurait fait du bien. À cette époque-là, elle avait d’autres préoccupations et l'arrivée, mais surtout les allusions de Don Diego, la firent réfléchir. " Il parle sérieusement, Don Diego. S’il est venu jusqu’ici, même de passage, cela signifie qu'il va discuter avec papá sur son mariage avec moi. Je suis sûre que

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papá ne lui promettra rien, mais qu'il restera dans l’attente d'une réponse. Je ne pense pas qu’il acceptera un refus et cela me mettra dans une situation difficile. Je ne l'aime pas assez pour l’épouser. En outre, je ne veux pas quitter ces terres. J'ai encore beaucoup à faire ici sur mon domaine. “

À la porte d'entrée dans la cour du fort, elle rencontra Lopéz qui, accompagné de cinq soldats, rentrait de Tarragone.

- Dona Melissa, la salua le jeune homme. Vous allez quelque part?

- Oui, je pensais faire une promenade jusqu'à la mer. - À votre retour, venez-vous dans la salle des chevaliers? - On y va maintenant, répondit Melissa et se dirigea vers

l'entrée de la tour. Leur entraînement pour le maniement des armes se

déroula comme d'habitude, en commençant avec l'épée. Par la suite, ils passèrent à la lance, à la hache de bataille et à la fin, au jet des couteaux. Au tir à l’arc ils s’exerçaient au bord de la mer à Punta del Porroig, où ils avaient suffisamment d'espace, entre les rochers du promontoire.

Lopéz maniait les armes dans le style des chevaliers espagnols, s'appuyant sur la force et la résistance à l'effort. En échange, Melissa, comme avait appris des enseignants maures, lorsqu’elle exerçait avec ses beaux-frères du harem, maniait les armes dans le style oriental, en utilisant l’habileté et la rapidité des mouvements. Elle avait un style élégant de combat et ses mouvements rapides étaient souvent trompeurs, en cachant le coup mortel à travers une succession de gestes pour distraire l'ennemi. Grâce aux exercices, ils connurent le style réciproque de combat et trouvèrent vite les méthodes permettant de dominer et vaincre l’adversaire. Lopéz apprit même quelques méthodes de combat sans armes, méthodes qu’il n’aurait jamais envisagées.

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À la fin de l'entraînement, Melissa, épuisée, lui raconta la visite de Don Diego et les mots de celui-ci. Pourquoi fit-elle cela, elle ne le savait pas. Peut-être qu'elle voulait entendre son opinion, lui donner un conseil. Mais Lopéz se contenta de la contempler, en silence, pâle. “ Lopéz m'aime tellement et moi, je le fais souffrir. Suis-je méchante, égoïste? Et lui, je l’aime aussi, je veux qu’il m'aide, qu’il me défende de tout ce qui est mal. Même de moi-même? " La question qu’elle se posa, l'effraya. « Comment demander à un jeune homme qui m'aime, d'ȇtre le confident de l’amour d’un autre?». Elle s'approcha de lui et le prit par la main.

- Je sais ce que je dois faire, mon cher Lopéz. Je ne quitte pas ces terres.

Lopéz continua sa contemplation. Juste un triste début de sourire apparut sur son visage. « Mon cher! » Doucement, elle caressa son visage, puis laissa sa main, tourna et sortit de la chambre. Elle alla changer ses vêtements trempés de sueur. Elle combattit, contrairement à l’habitude, dans des vêtements ordinaires, une barretina, une robe rouge vif, faixa qui lui soutenait les cheveux longs, blonds et espardenya, des espadrilles en cuir de chèvre, légères, de printemps. Et elle a bien combattu, ainsi vêtue, comme une Dona. En se dirigeant vers sa chambre, les questions et les réflexions la troublèrent.

“ Que dois-je faire? J’aime aussi Lopéz. Peut-ȇtre plus qu’à Diego ". Et encore une fois, cette pensée l’epouvanta.

Dans l’après-midi, Melissa et Lopéz prirent congé de Don Oreiro de Gadára et sortirent sur la porte du fort de Salou. Bien que le grand-père les conseilla de ne pas se mettre en marche sur une telle chaleur, les deux jeunes insistèrent et finalement ils obtinrent la permission d'aller à Pinar Viejo. Là, où les attendait Dona Vanessa de Gadára, abuela, restée toute

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seule. Ils étaient accompagnés de dix soldats, des gens de confiance. La route était assez longue et traversait des forêts, mais les jeunes allaient sans crainte. Plus, ils ont délibérément choisi de partir à ce moment-là, pour voyager pendant l'après-midi et le soir. Ce n'était pas la première fois qu'ils faisaient ainsi. Si quelqu’un avait connu les trajets que Lopéz, Melissa et leurs compagnons suivaient régulièrement autour de la ville de Tarragone et dans la montagne, vers le château de Pinar Viejo, peut-être qu’il aurait fait le lien entre eux et les événements inhabituels qui se passaient dans la région.

On parlait de plus en plus souvent des bandes de voleurs capturés par des chevaliers inconnus, durant les vols à main armée et de leur punition à la mort par pendaison. Après environ cinq incidents de ce genre, les pillages ont presque disparu dans les terres d’entre la mer et les montagnes du nord-ouest et de l'ouest de la province de Tarragone. Même l'archevêque, qui condamnait la violence bénissait ces defensores inconnus.

Ainsi, le groupe de soldats quitta le fort de Salou, contourna Punta del Porrig, Punta Grossa et longeant le long du bord de la mer, entra dans la ville de Tarragone. Ils s’arrêtèrent pendant quelques minutes devant la grande église de la ville, où Lopéz et Melissa, vêtus de vêtements de soldat, entrèrent pour prier. Ils sentaient, depuis un certain temps, le besoin de prier plus souvent dans l'église ou dans la chapelle du château. Mȇme s’ils pensaient que défendre les pauvres l’arme à la main n'était pas un péché. Mais pourtant?

Sans se hâter, ils traversèrent la ville vers le nord et puis, ils partirent vers l'ouest, sur la route qui bordait les dernières maisons. Vers l'ouest, la route traversait les terres des paysans libres, beaucoup d'entre eux ayant les maisons juste là, sur la terre qu'ils travaillaient. Ils marchaient, en parlant des souvenirs de Melissa d’avant son enlèvement, ce qui les a amenés à un état

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de nostalgie. Ils étaient petits, ignorants et heureux pendant ce temps-là.

Tout d’un coup, ils haussèrent tous la tête en regardant inquiets aux alentours. Ils entendaient des pleurs d’enfants et des cris. À leur droite, à environ un quart de lieue, on voyait un groupe de cavaliers et de là venaient les cris.

- On y va? demanda Melissa et partit, en éperonnant le cheval.

Après un quart d'heure, cinq cavaliers, soldats de l'armée de la province, croisèrent leur chemin. Ils se trouvaient sur la route qui menait à une des maisons d'où venaient les cris incessants.

- Vous n'avez rien à faire ici, Messieurs, dit l’un d'entre eux. Nous sommes les soldats du prince Roberto.

- Nous voulons savoir ce qui se passe ici, dit Lopéz, éperonnant le cheval, qui se cabra, nerveux. Faites-moi de la place!

Trois autres soldats, conduits par un officier, s'approchèrent menaçants.

- Je veux voir pourquoi les enfants pleurent. Que se passe-t-il ici? La voix de Lopéz était autoritaire, mais il ne semblait pas d’avoir impressionné les soldats de la province.

- Ce n’est pas l’affaire de Votre Grâce, répondit l'officier. Allez-vous-en! C'est l’ordre d’un officier du Prince, dit-il, posant sa main sur l'épée.

- Si vous retirez l'épée, vous mourez par l'épée, lui dit Melissa, avec une voix ferme, d'homme. Ensuite, à ses soldats: - Si quelqu’un lève l’épée, coupez-les!

- Vous serez attrapés et pendus pour désobéissance. L'officier était furieux, il ne pouvait plus se contrôler. Il mit sa main sur la poignée de l'épée et la leva, prêt à frapper Lopéz. Un petit couteau arabe vola dans l’air et s’enfonça dans sa main.

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L'épée tomba et il regarda surpris, impuissant, la main d'où coulait du sang.

- Vous payerez pour cela! Les soldats du prince, en voyant ce qui est arrivé à leur

commandant, gardèrent les épées dans le fourreau. - Nous allons voir ce qui se passe, dit Melissa, se

dirigeant vers la maison du paysan, où ses enfants pleuraient. Le commandant et les soldats les suivirent, indécis. S'arrêtant devant la maison, Lopéz descendit du cheval et s'approcha de l'entrée, en regardant stupéfait la scène devant lui. Un homme, le maître de la terre, lié au pilier de la maison, avait été fouetté par les soldats de l'armée provinciale. Trois petits enfants, de quatre, cinq ans, qui pleuraient effrayés entrèrent dans la maison et la femme de celui-ci, avec les mains jointes pour prier, les regardait avec peur.

- Arrȇtez le fouet, Monsieur. Nous vendrons tout et payerons la dette.

- De quelle dette parle-t-elle? demanda Lopéz à l’officier.

Celui-ci le regarda furieux et murmura entre ses dents: - Il n'a pas payé les taux depuis deux ans. Et il n'est pas

le seul. - Nous n'avons pas d’où payer, Monsieur, car c'est la

sécheresse. Nous avons à peine de quoi manger. Au cours des années où on a eu de la récolte, j'ai payé les impôts, même si cela nous a laissé sans nourriture.

- Combien doit-il payer? demanda Melissa en cherchant des yeux les enfants cachés dans la maison.

- Une livre, lui répondit l'officier. - Voici l’argent, répondit celle-ci, en lui étendant une

pièce d'or. Ensuite, à l'épouse du paysan:

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- Déliez votre mari. Voilà une livre pour avoir de quoi manger jusqu’à la récolte.

- Est-ce qu’il a d’autre dette? demanda-t-elle à l'officier. - Il ne lui reste aucune dette. Mais Vos Grâces seront

punis pour m’avoir insulté. - Si vous dites au prince ce qui s'est passé, il punira aussi

Votre Grâce, lui répondit Lopéz en riant. Remerciez que vous ȇtes encore vivant et vous avez reçu aussi les taux du paysan. Nous sommes d’ici et nous nous rencontrerons, si quelque chose arrive à la famille du paysan.

L'officier ne dit rien de plus, il tourna son cheval et s’en alla, plus malheureux qu'en colère. C’était de l’impuissance ce que ressentaient aussi ses soldats.

Melissa regarda pensive derrière les soldats qui se dirigeaient vers la ville.

- Soyez tranquille, il ne vous arrivera rien de la part des soldats de la province. Prenez soin des enfants, les pauvres. Ils sont éffrayés.

Ensuite, jusqu'à ce que la femme reprit ses esprits, elle tourna vers Lopéz.

- On part? - Que Dieu vous protège. Vous avez sauvé nos vies, dit,

en pleurant, la femme du paysan. Leurs enfants prirent du courage et sortirent devant la maison, main dans la main. Émue, Melissa lui donna une autre pièce en or.

- Achetez deux chevaux et une vache, pour vous aider à la ferme.

- Je vous remercie, Monsieur. Dieu vous a envoyé comme des anges gardiens. Le paysan pleurait en les regardant. Il ne pouvait dire plus de mots mais, pour eux, ça suffisait. Il avait parlé du fond de son cœur.

Ils tournèrent les chevaux et s’en allèrent.

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- Nous allons entendre parler de cette histoire, dit Lopéz mécontent. J'espère que personne n’établie une connexion entre nous et defensores.

- Personne ne nous connaît, soyez tranquille. Et l'officier et ses soldats seront ridiculisés s’ils racontent aux autres ce qui s'est passé.

- Qu’il en soit ainsi. Dépêchons-nous. Si nous allons un peu plus vite, jusqu'à minuit nous arriverons à Pinar Viejo, dit Lopéz.

- Nous n’irons plus à Pinar, mais à Vetéro. Nous resterons deux jours là-bas et puis nous irons à Pinar.

- À vos ordres, Dona Melissa, lui répondit Lopéz, content de ce changement de plan. Il lui manquait sa mère, Concíta, qu’il n'avait pas vue depuis deux semaines.

- Oui, nous allons directement à Vetéro, si nous ne rencontrons pas des intrus dans nos terres.

- Les voleurs ne sont plus revenus depuis des mois. Je ne pense pas qu’ils viendront maintenant.

- Nous allons voir. Dépêchons-nous, Messieurs, dit Melissa. Les chevaux demandent de courir.

Il ne fut plus nécessaire de pousser les chevaux à courir, ils commencèrent à galoper sur le chemin bien-connu vers le château. Attentifs, ils cherchèrent à observer des signes de la présence des cavaliers étrangers dans la région, mais ils ne remarquèrent rien. Melissa et Lopéz avaient un sentiment de soulagement qu'ils n'ont pas rencontré aucun détachement de mercenaires dans la région mais, il leur manquait l’émotion du combat, le frisson de la course et la satisfaction de la victoire. C'était une sorte de chasse, pas de plaisir, mais de la nécessité de défendre le peuple contre les injustices et les déprédations.

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Avec l'arrivée de l'hiver, les pillages recommencèrent dans les villages des régions montagneux et à Tarragone. La cessation des combats avec les Maures et la pénurie des aliments, poussèrent de nombreux mercenaires à attaquer, dans des bandes organisées, les ménages des paysans plus riches. Les seigneurs locaux sortirent les détachements des soldats pour défendre les territoires et les villages vassaux, mais il fut impossible d'arrêter tous les pillages.

Melissa et Lopéz, ayant près d'une vingtaine de soldats comme compagnons, étaient tout le temps partis, tantôt dans l'est, à Salou, tantôt dans l'ouest, au-delà du domaine de Pinar Viejo. Toutes leurs tentatives de maintenir secrètes leurs opérations contre des bandes de voleurs, échouèrent. Les locaux aidés par eux, ont raconté à tout le monde, avec des embellissements bien sûr, les actes de bravoure de los caballeros defensores, dirigés par deux vaillants, un segñor y una segñora. Toute bonne action qui s'est produite dans la province, fut mise sur leur compte et ainsi la légende de ce groupe de caballeros defensores s'est répandue non seulement dans tout la province de Tarragone, mais aussi dans les régions de Tortosa, Valencia et dans le nord, jusqu’à Barcelone. Leurs faits ont inspiré aussi les autres seigneurs à organiser des détachements d'auto-défense et, en conséquent, les bandes de voleurs ont progressivement disparu de ces terres. Du printemps, les habitants commencèrent à parler de la correction de quelques injustices qu'ils ont souffert de la part des collecteurs d’impôts, injustices réelles ou imaginaires. Alors, defensores sont devenus les défenseurs du bien, des gens humbles, opprimés.

Melissa, Lopéz, les parents de Melissa et abuelos, écoutaient étonnés toutes les histoires dites sur les defensores.

- Padre Rodrigo, j’ai peur qu’un jour notre nom sera prononcé, dit Melissa à son grand-père. Les habitants feront de

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nous de véritables anges du bien, ce qui est faux. Nous ne serons pas en mesure d'aller n'importe où, dans n'importe quel endroit sans ȇtre observés.

Dona Isolde, Don Eduardo et Dona Silvia, écoutaient attentivement les mots de Melissa. Mais aussi avec beaucoup d'inquiétude.

- Melissa, les gens ont besoin des modèles du bien, des héros pour exprimer leur soif de justice. Cela a été toujours comme ça. C’est impossible de mettre fin aux contes et aux légendes dites par les habitants sur leurs héros. Plus se multiplieront les histoires sur des faits incroyables, plus les gens s'éloigneront du modèle réel, ils choisiront des modèles légendaires. Ils raconteront d'histoires sur des anges, des esprits ou des fantômes qui luttent avec les démons et les dragons.

- Je tiens beaucoup à mener une vie normale, qu’il ne soit pas besoin de nous cacher en permanence pour n’ȇtre pas découverts comme étant les auteurs de bonnes œuvres. Moi et Lopéz, nous avons décidé de ne plus aller dans aucune expédition, jusqu’à ce que les choses se calment.

- Toute bonne action faite dans la province sera associée aux defensores et les légendes continueront à circuler parmi les habitants.

- De toute façon, nous allons prendre soin de nos vies, abuelo. La semaine prochaine, quand Don Diego viendra, nous irons à Salou.

- Melissa, lui dit Dona Silvia, vous avez toute la liberté de choisir votre mari selon vos sentiments et vos pensées. Êtes-vous convaincue de vouloir vivre à côté du jeune Diego? Sa famille est l'une des plus fortes du nord de la Catalogne et d'Aragon, des conseillers du Prince Ramon. Mais nous ne faisons pas des arrangements pour la puissance et la richesse.

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Est-ce que je parle bien, padre Rodrigo et mon cher Eduardo? Dona Isolde?

- Vous parlez du cœur, comme une mère, lui répondit Dona Isolde. Vous avez raison. Melissa, avez-vous pensé comment vous allez vivre dans la famille de Don Diego? Serez-vous heureuse?

- Je ne sais pas, mamá, mi abuela. Je pense que j’aime Don Diego, mais aussi Lopéz. Je suis vraiment confuse. Je pense que je veux tous les deux.

Sa manière de prononcer ces mots et l'expression de son visage, de petite fille qui veut tous les jouets, déclencha le rire des parents et des grands-parents.

- Indépendamment de l'âge, nous restons toujours des enfants, dit Don Rodrigo. Vous êtes un enfant, ma nièce chérie.

Il se leva et l’embrassa amoureusement. Melissa se cacha dans les bras de son grand-père comme dans l'endroit le plus sûr du monde. Il lui avait manqué pendant des années cet endroit pour se cacher, pour être en sécurité, gardée de tous les maux. Un endroit où elle pouvait sentir la puissance de l'amour parental et d’où leur donner en échange son amour. Les larmes coulaient sur son visage et elle sentait tous ses soucis disparaître. Elle avait un soutien, une aide si forte dans sa vraie famille, à qui elle n’avait pas toujours appelé à besoin. Là, dans la famille, elle trouvera toujours de l'aide et la réponse à toutes ses questions.

- Padre, mamá, quand Don Diego arrive, je déciderai à côté de qui je veux vivre ma vie. Je veux avoir ma propre famille qui soit reçue dans notre grande famille, près de tous mes chers grands-parents.

- N'importe à qui vous choisissez, nous sommes avec vous, ma chère.

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L’amour maternel se sentit une fois de plus, dans les paroles de Dona Silvia.

Don Diego d’Adalgos arriva au château de Vetéro au début du printemps, accompagné d'une suite assez grande. Des nobles catalans et aragonais, jeunes issus de familles riches, ennuyés par les jours courts et froids d’hiver, partirent vers l'est, avec le désir de passer une ou deux semaines dans les terres de la mer. Comme on a bien entendu, Don Diego voulait parler de mariage à Dona Melissa de Salou et si tout se passait bien, ses parents, les seigneurs, allaient venir aussi à Vetéro, selon l’habitude.

Dès le premier jour, les jeunes nobles montrèrent qu'ils savaient se divertir, la nourriture, le vin et les troubadours veillant à leur bonne disposition. Même s'ils dépassaient quelque fois les limites du bon sens, Don Rodrigo, padre familias, laissait passer, car ils étaient jeunes. Ils avaient du temps pour devenir de vrais nobles responsables.

Don Diego, le héros principal de l'amusement, d’après sa nature, faisait tout pour maintenir l'atmosphère de convivialité. Et une aide fiable c’était le vin noir, de Reus, des vignobles célèbres dans tout le comté.

- Messieurs, c’est la fête du jeune noble, le célibataire, avant de lier son sort à celui de la femme qui sera la mère de ses enfants et héritiers. Car on doit avoir des héritiers, de nous prendre le nom et la réputation. Donc, amusons-nous.

Ses paroles provoquèrent de forts cris, qui assurèrent l'atmosphère dans la salle des chevaliers, où ils fȇtaient l’arrivée à Vetéro.

- Faites venir à la future Dona d’Adalgos, Melissa, cria Don Diego.

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L’un des jeunes se leva et fit silence. C'était Don Paulo de Mantera.

- Nobles Messieurs, Don Diego, nous fûmes reçus ici avec honneur par nos nobles hôtes. Il serait bien de les honorer aussi et de leur montrer que nous sommes des nobles, avec du bon sens et un comportement chevaleresque.

D’autres cris couvrirent ses mots, des cris des jeunes dont les esprits étaient troublés par le vin noir.

- Don Paulo vous ruinez cette fête de la future famille d’Adalgos. Si vous n'aimez pas, vous pouvez partir. Don Diego était en colère et essayait de maîtriser cette rage violente.

- Alors je partirai, Don Diego et je demanderai pardon à nos nobles hôtes pour ce comportement offensant. Le jeune Paulo se dirigea, en colère, vers la porte, où apparurent Melissa, Don Rodrigo et Lopéz.

- Dona Melissa..., commença Don Paulo à parler, mais fut interrompu par Don Diego, qui le prit par l’épaule et le repoussa.

- Don Diego, cria Melissa, s'il vous plaît, calmez-vous. Le jeune Diego, en colère, la poussa d’un côté, se

précipitant à frapper le visage de Paulo. Lopéz, derrière Melissa, la prit lorsqu'elle était sur le point de tomber sur le sol. Ensuite, il sauta devant Diego, l’empêchant de frapper Don Paulo.

- Serviteur, mȇle-toi de tes affaires! Je vais te fouetter jusqu’au sang.

- Don Diego, maîtrisez-vous! Lopéz était furibond, offensé devant Melissa et les nobles. Mais, tout d'abord, il devait calmer Don Diego et il était le seul en mesure de le faire, afin d'éviter une catastrophe.

- Vas-y, je te dis! Ensuite, avec un geste brusque, il mit sa main sur la dague et frappa Lopéz. Celui-ci, à la dernière seconde, prit la main de Diego, mais la dague toucha son épaule,

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le blessant. Diego souleva de nouveau le poignard, pour frapper Lopéz. C'était trop pour celui-ci. Il immobilisa la main qui tenait le poignard, la tordit et planta le poignard dans la poitrine de Diego. Celui-ci, mortellement blessé, tomba sur le sol. Il ne pouvait plus être aidé, tous ceux présents virent cela.

Don Rodrigo, sans perdre son sang-froid, appela les soldats de la garde, afin d'éviter un carnage. Mais, réveillés instantanément de l'état d’ivresse, les jeunes nobles étaient calmes, conscients de la faute de Don Diego dans la production d’un tel malheur.

Le lendemain matin, les jeunes nobles attristés, partirent à la maison, emmenant avec eux le corps de Don Diego. Ils sont partis tristes, mais calmes, en sachant sa faute.

En échange, Melissa et Lopéz étaient dans un état de trouble, comme jamais auparavant. Chacun d'eux s’enferma dans sa chambre, en refusant de voir n’importe qui. Ils s’accusaient eux-mêmes pour ce qui est arrivé et ils voyaient leur futur sombre. S'il s'agissait d’un avenir pour chacun d'eux.

Tard dans la soirée, Don Rodrigo, appelant à ses attributs de seigneur, réussit à amener les deux dans le salon, où étaient les grands-parents et les parents de Melissa et Concíta, la mère de Lopéz.

- Mes chers enfants, ce qui est arrivé est un grand malheur, mais ce n'est pas de votre faute.

Il fit une pause et regarda les deux jeunes, assis sur des chaises, côte à côte.

- On ne vous juge pas, continua Don Rodrigo. Au contraire, nous cherchons la vérité dans les faits. Lopéz, vous avez fait votre devoir de caballero villano en sauvant la vie de Don Paulo. Vous étiez la seule personne qui pouvait le faire. Vous savez cela, hein?

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- Oui, Don Rodrigo, je le sais, mais j’aurais dû prendre le poignard de sa main sans le frapper.

- Comment, blessé? À propos, comment est votre blessure?

- Le médecin l’a soignée. Dans quelques jours ça guérira.

- Mi abuelo, tout ce qui est arrivé c’est de ma faute, affirma Melissa d’une voix basse, en profitant du fait que personne ne parlait.

- Je ne veux pas entendre une telle chose. C'était une commande proférée avec gravité par Don Rodrigo.

- J'ai accepté la visite de Don Diego, même je l’ai appelé. Je savais qu’il était indomptable. C'est de ma faute.

- Ainsi, vous pouvez dire que c'est de ma faute, je suis le seigneur du domaine. Lopéz, pensez-vous que Melissa est coupable?

- Non, Don Rodrigo. - Melissa, pensez-vous que c'est la faute de Lopéz? - Non, mi abuelo, il tenta de me défendre lorsque Don

Diego m’a frappé. - Il en est ainsi. Mon ordre est de vous comporter

normalement. Ce fut une bataille, dans laquelle Lopéz s’est défendu. Il a aussi défendu Don Paulo. Et il vous défendit aussi, mi hija. Maintenant, allons manger, si tout fut clarifié.

En sortant du salon, Melissa s’approcha de Lopéz et prit doucement sa main.

- Merci, Lopéz, murmura-t-elle. Puis, avec un geste inconscient, elle se colla à lui.

- Melissa, je donnerai ma vie pour vous des milliers de fois. Vous le savez.

- Je le sais, Lopéz. Et moi, je donnerais aussi ma vie pour vous. Ma vie vous appartient.

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Lopéz resta sans mots, sidéré. Et il n'était pas le seul. Les grands-parents de Vetéro, ceux de Gadára et les parents, y compris Concíta, les regardaient, les yeux écarquillés, sans pouvoir croire ce qu’ils avaient vu et entendu.

Melissa, surprise par le silence autour d'elle, se tourna vers eux. Elle avait des larmes sur la joue.

- J’aime López! J'ai dit quelque chose de mal? Combien j’étais aveugle! Mamá, vous aviez raison, l'amour est comme une maladie. Et j'ai été très malade, sans le savoir. Ne me dites pas qu'il n'est pas noble. Il sera mon noble. Peu importe ce qu’ils disent les autres seigneurs. Abuelo, Don Rodrigo, je tiens que Lopéz soit annobli pour m’avoir défendu, mais aussi pour tous les nobles actes qu'il a fait jusqu'à présent. Se peut-il?

- Bien sûr! Il est depuis longtemps un noble, hidalgo, seulement qu'il n'a pas reçu la consécration.

Concíta s’approcha de Melissa, tomba à genoux devant elle et embrassa sa main. Sans rien dire.

- Mon Dieu, Concíta! Levez-vous et embrassez-moi. Vous m’avez soigné! Vous ȇtes ma deuxième maman.

Timide, Concíta, la servante, se leva et embrassa sa petite fille. Sa petite fille à jamais.

Un mois s'écoula depuis la catastrophe du château de Vetéro. Les habitants et les seigneurs locaux, même l'archevêque, ont appris de l'accident et tous donnaient raison à Lopéz. Il avait agit comme un vrai caballero, en défendant l'honneur de sa maîtresse et la vie d'un autre caballero. Pareil à un hidalgo, comme il a reçu par la suite, la consécration.

Un soir, un groupe de cavaliers de la cour du comte de Barcelone, entrèrent par les portes du château de Vetéro.

- Don Rodrigo, lui dit l'officier commandant, Velasquez, Sa Grandeur nous a envoyé à amener l'un des sujets de Votre

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Seigenurie, Lopéz. Il est accusé par le Seigneur d’Adalgos, grand noble de Catalogne et d’Aragon, du meurtre de son fils, Don Diego. Le comte Ramon veut juger ce cas personnellement à la demande du Seigneur d’Adalgos.

Don Rodrigo resta comme foudroyé. Il est impossible que le sage comte Ramon n’ait pas appris la vérité des jeunes nobles présents à l’événement tragique.

- M. Velasquez, parce que vous êtes venu jusqu’ici, reposez-vous et demain vous partez à Barcelone. À Lopéz, mon sujet, je le conduirai moi-même devant le comte, comme le caballero hidalgo qu’il l’est et pas comme un voleur. Mais Votre Grâce sait bien que personne, ni le comte, notre parrain, ne peut prendre un de mes sujets, d’autant plus un caballero. Pourquoi vous vous ȇtes mis en marche en sachant cela?

L'officier était carrément effrayé, comme plusieurs autres soldats du seigneur, par l’apparence de celui-ci. Le visage rouge, des flammes jaillissant des coins de ses yeux, il semblait prêt à tuer quiconque voudrait le contredire.

- Je n'ai pas jamais connu une telle offense. - Désolé, Don Rodrigo, je respecte seulement un ordre

de mon maître. - Je ne veux plus vous voir. Vous recevrez de la

nourriture pour les gens et pour les chevaux et demain matin partez sans passer me voir.

- À vos ordres, Don Rodrigo. Je suis désolé pour ce qui s’est passé.

La suite de Don Rodrigo de Vetéro s'arrêta à environ deux lieues de la forteresse de Barcelone, près du village Castelldefels, juste au bord de la mer. Ils se sont joints aussi à Don Rodrigo et à Lopéz, Don Eduardo, Melissa et trente compagnons, caballeros villanos et des soldats du domaine.

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- Don Hervano, dit le seigneur de Vetéro au commandant du détachement de soldats, vous resterez ici avec Lopéz. Préparez-vous pour la défense, car on ne sait jamais quels dangers arrivent. Nous allons dans la ville à voir le comte Ramon. L’un des soldats viendra avec nous. Il vous transmettra mes ordres.

- Allez tranquilles, Don Rodrigo. Vous pouvez compter sur nous.

- Je le sais, mais je suis inquiet par ce qui pourrait arriver, avec ou sans la connaissance du comte.

Don Rodrigo, le fils et sa nièce, arrivèrent dans la ville de Barcelone, dans une demi-heure et furent accueillis par le comte Ramon Berenguer, Prince d'Aragón et gouverneur de la Province de Catalogne.

- Votre Grandeur, comte Ramon, on vous remercie de nous avoir reçu. Nous sommes venus vous présenter nos respects, comme des sujets loyaux.

- Don Rodrigo, Don Eduardo, Dona Melissa, je voudrais exprimer ma joie de vous revoir, surtout à notre filleule Melissa. Nous sommes heureux, moi et ma dame, Pétronille, pour le retour de notre filleule dans sa famille. Et on vous remercie pour l'aide que vous nous avez donnée lors de la croisade, pour la conquête, puis la défense de la ville de Tortosa.

- Nous avons fait notre devoir des nobles du comté, Votre Grandeur.

- Vous ȇtes venus à apporter à votre sujet, le jeune homme qui a tué le fils d’Adalgos? Il devait ȇtre amené par l’officier que j'ai envoyé.

- Votre Grandeur, je suis le noble seigneur d’un riche domaine. Les règles nobiliaires nous demandent de protéger nos sujets et pas même le roi ne peut surpasser notre volonté. Nous sommes en mesure de juger nos sujets.

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La voix de Don Rodrigo était ferme, un reproche ouvert fait à son seigneur qui avait violé la loi du lieu. Cela ne plut pas au comte Ramon, dont le visage devint rouge au fur et à mesure que Don Rodrigo parlait. Le reproche fut fait devant ses filleuls, Don Eduardo et Melissa, ce qui était presque une offense.

- Don Rodrigo, la volonté du souverain doit être respectée par tous les sujets, peu importe qui ils sont. Même Votre Seigneurie.

- Je ne suis pas soumis au gouverneur. J'ai reconnu sa souveraineté sur la province, mais pas sur les seigneurs et leurs domaines. La Catalogne n'est pas un royaume et les nobles seigneurs ont tous les droits sur leurs champs et leurs sujets. Mais cela vous le savez, Votre Grandeur. Je voudrais juste vous le rappeler. Quant à l'histoire malheureuse de ce printemps, notre sujet Lopéz a défendu sa vie, l'honneur et même la vie de Melissa. Mais aussi la vie d'un autre noble. Donc, il n'a commis aucune faute. Son Seigneur a jugé l'affaire et l’a trouvé innocent. En outre, il est un hidalgo et il doit ȇtre respecté en tant que tel.

- J’ai appris une toute autre chose, Don Rodrigo. Et cela me surprend que s'est passé précisément sur le domaine de Votre Seigneurie.

- Je suis le seigneur du domaine et ce que je dis, c'est la vérité. Votre Grandeur, combien de meurtres ont eu lieu et se passent encore dans la ville de Barcelone? Votre Grandeur en est coupable?

- Don Rodrigo, le Seigneur d’Adalgos est l'un des piliers de l’unité entre Aragón et la Catalogne. Il est notre conseiller principal. Il a perdu son fils, assassiné par un serviteur, selon ses mots. Je ne savais pas que Lopéz était un noble. Mais cela ne change pas trop sa situation. Dans ce cas, vous savez bien que l'ancien sujet est toujours coupable. Et il est coupable pour avoir soulevé la main à un noble, lâchement.

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- Votre Grandeur, si un royaume est fondé sur l'abus et l'injustice, il ne mérite pas d'exister.

- Ne parlez pas ainsi, Don Rodrigo. Je sacrifierai quiconque pour le maintien de cette unité d’état.

- Alors, cette unité va s'écrouler, parce que le royaume ne résiste pas sur des sacrifices, des mensonges et des abus. Car ce qu’il demande le seigneur d’Adalgos est un abus et il le sait très bien. Il sait que son fils a cherché tout seul le malheur lorsqu'il a soulevé sa main à ma petite-fille. Les jeunes nobles catalans et aragonais qui étaient présents lors de cet incident-là lui ont dit cela.

- Je ne sais pas tous les détails. Je veux les entendre de la bouche de Votre Seigneurie.

Don Rodrigo lui raconta avec des détails l’histoire qui a causé la mort de Don Diego d’Adalgos. À la fin de l'histoire, le silence gagna la salle, le comte méditant sur les faits. C'était une grande différence entre la description des faits faite par Don Rodrigo et ce qu'il savait.

- Pourtant, il faut donner satisfaction au seigneur d’Adalgos. Derrière lui sont d’autres nobles aragonais et catalans, qui n'attendent qu’une raison pour leur mouvement de séparation du royaume de notre province.

- Ne pouvez-vous pas trouver une autre façon de rassurer ces nobles? Ils vont vous demander plus tard de faire d'autres abus et injustices et puis ils vous blâmeront, Votre Grandeur. Et ils vous puniront aussi.

Don Rodrigo commença à perdre la patience face à l'injustice qu’allait faire Ramon Berenguer.

- Seriez-vous capable de sacrifier votre famille pour donner satisfaction à certains nobles malveillants? Car, il ne s’agit ici de l’unité du royaume, mais des ambitions personnelles, Votre Grandeur.

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- Que voulez-vous dire? Pourquoi sacrifier ma famille? - Je ne voulais pas vous dire cela, Votre Grandeur. Nous

avons gardé ce secret, moi et ma famille, pendant des années, pour le bien de Votre Grandeur. Mais maintenant, pour vous arrȇter de faire un abus, je vais vous le révéler.

Le comte Ramon se leva nerveusement, sur le point de perdre son sang-froid.

- Quel secret? Quelle est cette stupidité? Vous voulez m’intimider? Il va commencer une guerre entre nous. L’audience est finie.

- Papá, non! cria Don Eduardo. Il est mieux de partir. Don Eduardo et Melissa se levèrent, prêts à partir, mais

Don Rodrigo resta assis sur la chaise. - Qu’il en soit ainsi, si vous voulez, Votre Grandeur!

Lopéz est le fils de Votre Grandeur! Melissa sortit un cri et porta la main à la bouche. Elle

pâlit et secoua, prête à tomber. La même réaction eut le comte Ramon Berenguer de Barcelone.

Sans lui laisser le temps de penser, Don Rodrigo continua:

- Au mariage de mon fils Eduardo avec Dona Silvia de Gadára, vous avez passé une nuit avec l'une de nos servantes, Concíta. Celle-ci a accouché à Lopéz. Nous l’avons baptisé une fois avec Melissa, mon fils Eduardo était le parrain. Vous vous en souvenez?

- Oui. La voix du comte était perdue, comme tout son être.

- Je l'ai élevé comme mon propre fils et j'ai gardé le secret de sa paternité pour ne pas vous faire du mal. Surtout que vous étiez fiancé avec Pétronille depuis quand elle avait seulement un an. Si le roi Ramiro d'Aragón avait découvert que vous aviez un fils, je ne pense pas qu’il vous aurait promis sa

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fille et le royaume d'Aragón. Je me trompe? Maintenant, vous savez toute l'histoire, Votre Grandeur.

- Vous pouvez partir! Le comte Ramon tomba sur son siège, respirant

difficilement. Avant de sortir de la salle, Don Rodrigo ajouta. - Personne ne doit connaître ce secret, Votre Grandeur.

Nous avons juré de le garder, pour toujours. Dites au seigneur d’Adalgos que Lopéz est caballero hidalgo et vous ne pouvez pas le punir sans mon consentement. Il comprendra en fin de compte. On vous attend à Vetéro, Votre Grandeur, pour voir Lopéz. Il vous ressemble parfaitement. Mais il ne saura pas qui il est, vraiment.

Le mariage des deux jeunes gens, Dona Melissa de Salou et Don Lopéz de Vetéro, eut lieu au milieu de l'été. Y assistèrent les seigneurs de la province de Tarragone et fut officié par le nouvel archevêque, Gramen. Comme invité d'honneur et parrain, daigna de venir même le comte de Barcelone, Ramon Berenguer le IVe. Certains participants furent étonnés de la ressemblance du jeune Lopéz et de son parrain, mais ça pourrait être un accident, comme beaucoup d'autres. Puis, le bon vin supprima toute pensée à l’égard des deux hommes et personne, jamais, ne se demanda plus sur leur ressemblance.

On a beaucoup parlé du mariage du domaine de Vetéro, les habitants se souvenant de l'histoire du printemps quand le noble aragonais a été tué juste dans le château. Ceci, après avoir frappé une jeune châtelaine. Don Lopéz, caballero hidalgo, est devenu ainsi héros sans le vouloir, les troubadours faisant des vers de ses faits courageux, inventés par eux.

Le vieux prince de Tarragone, Roberto, a entendu aussi des histoires sur Don Lopéz, le héros devenu trop populaire. Il

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ne passa pas beaucoup de temps avant de faire le lien entre les deux jeunes gens et los caballeros defensores des seigneurs et des habitants attaqués par les bandes de maraudeurs. Bandes qui lui apportaient la reconnaissance sous la forme des biens volés des terres de la province et qui ont diminué considérablement pendant l'année dernière. À son mécontentement, mais au bonheur des habitants, des paysans libres, des commerçants ou des petites seigneurs de la région. Et lui, le Prince, par sa nature d’ancien mercenaire, ne pouvait pas laisser les choses au hasard.

Don Lopéz et Dona Melissa, à leur tour, ont eu assez des signes qui annonçaient des dangers supérieures à ceux du passé. Mais, avec leur optimisme juvénile, ils les traitaient comme des choses mineures, qu’ils surmonteront facilement.

Un beau matin serein, de fin d'automne, après avoir passé quelques semaines à Salou, Don Lopéz et Dona Melissa, partirent à Pinar Viejo. Ils étaient accompagnés d’environ quinze soldats, comme d’habitude dernièrement.

Dans l’après-midi, ils passèrent par la plaine du pied de la montagne et commencèrent à monter la pente. À droite de la route assez raide, il y avait des dénivellations causées par des glissements de terrain, couvertes d'arbustes et à gauche, se trouvait la forêt. Ils commencèrent à peine à monter la pente, lorsque les chevaux donnèrent des signes de nervosité. « Signe que tout proche il y a quelqu’un, homme ou animal », pensa Lopéz.

- Que deux soldats partent en reconnaissance devant nous, ordonna-t-il à ses compagnons et deux d’entre eux éperonnèrent les chevaux. Nous nous arrêtons ici. Qu’en dites-vous, Melissa?

- On attend le retour des gens, dit-elle. S’ils ne reviennent pas bientôt, nous irons à Vetéro.

- Attendons-les.

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Bientôt, s’entendit un groupe de cavaliers s'approcher de la forêt et par derrière, de la route, venaient environ cinquante mercenaires.

- Nous sommes entourés, cria Melissa. Essayons de monter la pente.

Devant eux, dans le bois, une cinquantaine d'autres mercenaires leur coupèrent le chemin. Ils n'avaient pas d’autre choix, ils devaient combattre à tous risques. L’un à côté de l'autre, Melissa et Lopéz combattaient avec l'épée et la hache et leurs chevaux, bien formés, faisaient chemin parmi les assaillants. Pour près d'une heure ils combattirent sans relâche en voyant leurs soldats tomber, un par un, sous les coups des mercenaires.

Sur le tard, fatigués et sales de sang, Melissa et Lopéz restèrent les seuls cavaliers de tout leur détachement.

- Allons vers la forȇt, peut-ȇtre nous parvenons à échapper, cria Melissa, en dirigeant son cheval vers la lisière. Lopéz la suivit, son cheval passant difficilement parmi les assaillants. Il jeta, en marche, ses deux derniers couteaux dans ceux qui coupèrent le chemin de Melissa et la jeune femme entra dans la forêt. Puis, il tourna son cheval, frappant à droite et à gauche, en essayant d’empêcher les mercenaires d’attraper Melissa. Il sentit une brûlure dans le dos et il sut qu’une des épées des mercenaires le perça. Il voulut retourner dans la selle pour repousser l'agresseur, mais son corps ne l’écouta plus. Il sentit son corps glisser vers l'avant et, avec le dernier effort, il se suspendit avec les mains au cou du cheval. Puis, il fit sombre.

Dans la forêt, le groupe de mercenaires poursuivit Melissa et dans peu de temps, ils la jetèrent de la selle avec des coups d'épée. Tombée sur la terre, Melissa resta immobile. « Elle est morte, allons-y! » s’entendit la voix de l'un des mercenaires. Lopéz, frappé lui aussi avec les épées, resta attaché

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au cou de son cheval Ebo, qui l'amena près de Melissa, tombée sur la terre. Comme si pour le protéger d’un coup, Ebo s’étendit sur le sol et secoua sa crinière, permettant à Lopéz de glisser doucement, sur la terre, près de Melissa. Celle-ci, gravement blessée, tendit la main et prit celle de Lopéz, la serrant. Elle soupira plusieurs fois et son corps se déteignit. Son âme monta au ciel.

Dans le mȇme temps monta au ciel aussi l’âme de Lopéz. Celui-ci, esprit sans corps, vit une lumière blanche, agréable qui l’enveloppa et doucement, comme un flocon de neige commença à voler parmi les arbres. Il vit Melissa gisant sur le sol. Il avait les yeux ouverts dirigés vers la cime des arbres imprégnés par la lumière. Son fidèle cheval Mia, se tenait au-dessus d'elle, comme pour la défendre. Puis, il vit comme le corps de lumière de Melissa, se détacha du corps gisant sur le sol et s’approcha de lui. Sa main de lumière toucha la sienne, toujours de lumière et ainsi, ensemble, ils se levèrent heureux, vers le ciel. Ils ne parlaient pas, mais ils connaissaient les pensées de l'autre. Ils étaient heureux ensemble. « Sur la terre ou dans le ciel, nous serons ensemble à jamais, mon amour! » À qui appartenait cette pensée? À lui ou à elle? « Non, c'est notre pensée ». Ils étaient dans le ciel et regardaient en bas vers les terres connues, vers Tarragona qui leur apparaissait comme une tache de couleur plus foncée, au bord de la mer. Ils voyaient aussi Salou avec la haute et dominante tour. Leurs âmes ne se mirent pas des questions sur cet état dans lequel ils se trouvaient, sur leur vol comme des oiseaux de lumière. Ils comprenaient qu’ils n’appartenaient plus à la terre, mais au ciel, qu'ils se dirigeaient vers Dieu. C’était le début du grand voyage?

Les corps terrestres de Melissa et Lopéz restèrent étendus sur la terre, dans la forêt, gardés par leurs fidèles chevaux. Mia, le cheval de Melissa, s'approcha d'Ebo. De ses

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yeux coulaient des larmes de douleur. Ebo, avec les yeux attristés, colla sa tête de celle de Mia et restèrent ainsi, comme deux êtres embrassés. Impuissants dans leur douleur, ne sachant pas quoi faire pour leurs maîtres gisant sur le sol.

- Que faisons-nous avec ces chevaux? demanda l’un des derniers mercenaires. Ils regardaient, émus, le comportement de deux chevaux. Bien qu’ils soient cruels, pour eux les chevaux étaient les plus fidèles serviteurs. Ils veillaient au bien des chevaux parce que les chevaux aussi prenaient soin d’eux, les sauvant dans les combats les plus féroces.

- Nous les laissons près de leurs maîtres. Telle est la loi de la nature, répondit celui qui semblait être leur commandant. Nous partons. Je pense que maintenant Son Altesse sera content.

Après le départ des mercenaires, le silence domina la forêt. Un silence étrange, lourd, à peine enduré même par les deux chevaux loyaux. Dans peu de temps la nuit tomba. Du fourré de la forêt s’entendaient des hurlements de loup, de plus en plus près. Les loups ont senti l'odeur du sang et sont venus chercher la proie.

Se comprenant des regards, les deux chevaux, Mia et Ebo s’assirent d’un côté et de l'autre de leurs maîtres, en attendant nerveux l’arrivée des loups. Organisés en meute, environ quinze loups encerclèrent la proie et attaquèrent tous à la fois, sans crainte. Mia et Ebo, nerveux, incités par les loups, répondirent à l’attaque de ceux-ci avec des coups mortels de sabots. Ensuite, ils déchirèrent avec les dents, chaque loup qui s’approchait de leurs maîtres. Deux loups sautèrent sur Ebo, en le mordant de la croupe, mais Mia les déchira. Dans des hurlements de douleur, les quelques loups restés vivants, s’en allèrent en clopinant.

La douleur fit Ebo à ronfler pareil à un cri, mais il resta debout, auprès de ses maîtres. Mia s'approcha de lui, ronfla

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comme pour l’encourager, le regarda dans les yeux, comme si pour demander quoi faire. Elle hocha la tête plusieurs fois, ronfla fortement et s’éloigna au galop.

Le temps passait difficilement pour le fidèle Ebo. Après minuit, Ebo affaibli, à peine se tenant debout, s’appuya contre un arbre. Tout d'un coup, il entendit des cris. « Ebo » Ebo! »

Il répondit avec un hennissement si fort et répété, comme jamais auparavant. Il savait que les seigneurs qui venaient au secours, attendaient son hennissement pour pouvoir les trouver. Quand ceux-ci arrivèrent, ils le trouvèrent tombé, la tête sur la poitrine de Lopéz. Comme s'il voulait lui donner la vie, ou l’accompagner dans le monde éternel.

- Vite, Eduardo, s’entendit la voix connue et chère du maître Don Rodrigo. Il hennit de nouveau, faiblement et ferma les yeux.

Mia, en ronflant, s'approcha de lui et sortit un hennissement qui assourdit tous à proximité. C'était son cri de douleur et de désespoir. Peut-ȇtre aussi d'amour pour son partenaire, son camarade de jeux et de combat. Ou l’appel à la vie!

La tragédie de la famille du seigneur de Vetéro a impressionné toute la province et les messagers de Barcelone et de Tortosa, envoyés par les seigneurs qui connaissaient la famille, ne cessaient pas de venir. Mais les seigneurs du comté et du royaume furent encore plus impressionnés par le sacrifice et l'héroïsme de deux chevaux, Mia et Ebo, les vrais héros de la province.

Comme pour les remercier et en signe de gratitude, Don Rodrigo a construit une étable seulement pour les deux héros avec des valets d’écurie payés pour les soigner et leurs descendants allaient recevoir les noms d'Ebo, ou Mia, tandis

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qu’ils auront des poulains, au fil des ans. Au moins, c’était la volonté testamentaire du seigneur de Vetéro.

La légende des deux caballeros defensores, Melissa et Lopéz, entra dans le folklore de la province, étant non seulement racontée, mais aussi chantée à toutes les grandes fêtes populaires.

À presque trois mois après la tragédie, vers la fin de l'hiver, dans une nuit sombre, des piaffements de chevaux furent entendus à Tarragone, devant le palais du Prince Roberto. Deux fantômes noirs descendirent des chevaux et entrèrent dans le palais. Les soldats gardant le palais ont déclaré plus tard que les fantômes étaient passées par le portail fermé ou à travers le mur, personne ne savait comment ils ont fait pour arriver dans la chambre à coucher de celui-ci. Le matin, les gens ont découvert avec horreur le corps du prince suspendu au mur du palais. Quelque chose d'incroyable s’est passé et aucun officier ou soldat de la garde ne savait rien.

Après trois autres semaines, à la périphérie de la ville, nuit après nuit, apparaissaient les corps des mercenaires qui volaient des habitants. Dans deux semaines, plus d'une centaine de mercenaires furent trouvés pendus et les gens disaient qu'il s’agissait des assassins des deux héros.

Des dizaines de personnes ont pu jurer que, jour ou nuit, ils ont vu deux fantômes sur des chevaux, vêtus d'une sorte de robes noires, parfois blanches. Certains disaient que ces fantômes volaient au-dessus les maisons, ou la forêt. Après chacune de leurs apparitions, on trouvait les corps des voleurs connus ou des mercenaires.

Avant la fête de Pâques, en 1151, les pirates arabes ont traversé la mer et ont attaqué les ports de Tarragone et de Salou. Les habitants ont affirmé que, quinze fantômes, dirigées par

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deux autres, habillées avec des robes noires, ont volé au-dessus de l'eau et ont attaqué les deux navires des pirates. Ils les ont submergées et ont laissé les pirates débarqués sans aide. Le lendemain, des fantômes à cheval, vêtus de robes blanches, coupèrent les pirates, en sauvant les deux ports de la destruction.

Le seul qui ne croyait pas ces rumeurs était l'archevêque de Tarragone, homme de grande probité et d’une foi indéniable.

- Je ne peux pas croire dans l'existence des fantômes, mes fils, disait-il aux fidèles qui lui demandaient de leur expliquer d’où ces fantômes bienfaisants sont apparus. Oui, il existe des anges, mais pas de fantômes.

Aux autres, il disait encore bien d’autres choses. - Si je ne savais pas que les neveux du seigneur de

Vetéro sont passés à une vie meilleure, je pourrais penser qu'ils sont les fantômes, ou, enfin, qu’ils nous joueraient des tours. Mais comme ils sont morts, je n'ai aucune explication.

- Je vous dis, Monseigneur, répondit Don Oreiro de Gadára, le grand-père des deux jeunes, les fantômes sont leurs âmes. Ils ne trouveront pas la paix jusqu'à ce que l'amour, la justice et la paix ne s’instaurent pas dans notre province. Voici la vérité, Monseigneur, vérité connue par tous les habitants, même par l'Église. Mais pas dite à haute voix.

- Mais pourquoi le seigneur Rodrigo de Vetéro est-il si tranquille, même heureux? Je le vois rarement, c'est vrai, mais il semble avoir trouvé la recette du bonheur, dit l'archevêque, perplexe.

- Moi aussi, je suis content comme toute notre famille, Monseigneur. Parce que nous, tous les membres des familles de Vetéro, Salou et Gadára, nous avons trouvé la paix et la joie de vivre dans la vérité et l'amour. Parce que Melissa et Lopéz sont l'incarnation de l’amour humain. Ils vivent et vivront éternellement.

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Le Monseigneur regarda Don Ramiro d’un air étonné, sans comprendre ses mots. Ou l’avait-il compris, mais il hésitait? Qui aurait pu savoir les pensées du Monseigneur?

Chapitre VII

Le Trésor de Tortosa

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Phillip de Chamont, Yvette et leurs amis, accompagnés de la guide de l’hôtel Landéros, admiraient la vue ouverte devant leurs yeux. Ils se trouvaient dans la tour ronde, de cristal, de la forteresse de Tortosa. Ce lundi, il n’était pas jour de visite, mais l’intendante adjointe, une dame très gentille, avait compris que le groupe de touristes français était venu à Tortosa, juste pour quelques heures. Ainsi, elle avait approuvé la visite, les touristes étant accompagnés par un guide de la ville. M. Massim, était un très bon historien, d’après les mots de l’intendante de la forteresse.

Devant eux s’ouvrait le panorama de la vallée du fleuve Ebre, large comme une dépression et longue, à perte de vue. La ville, située le long de la rivière, montrait ses deux secteurs, celui ancien, avec des bâtiments traditionnels et celui nouveau, avec des bâtiments modernes sans faire pourtant, une séparation ferme entre eux.

- Conformément à la légende, commença le guide local, Melissa de Gadára a vécu plusieurs années ici dans la forteresse de La Suda. Dans les presque treize ans, elle a grandi dans les appartements du harem et est devenue odalisque. C'était le niveau le plus bas occupé par les femmes dans un harem.

- Y a-t-il quelque document à cet égard? demanda Phillip. Ou c’est seulement une partie de la légende?

- Oui, répondit le quide, il y a certains documents, lettres de la période, sur la ville, les locataires et les événements passés au XIIe siècle. Nous y trouverons des informations sur le gouverneur de la forteresse et de la ville, Al Mandur, sur les deux assauts de la ville, des années 1148 et 1149 et les nobles

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chrétiens qui ont dirigé les armées des croisés et aussi d'autres données.

- Mais sur Melissa? - Elle était insignifiante en comparaison avec les maîtres

maures, n'ayant pas une raison pour apparaître dans leurs documents personnels.

- Nous pouvons voir les pièces du harem? Mireille, tout comme les deux autres dames, étaient curieuses de voir ce lieu mystérieux, sur lequel on avait écrit des centaines de livres.

- Bien sûr, je vous y conduirai aussi. Je voudrais vous décrire, si on est ici, comment s’est déroulé le siège de la ville en 1148. Les assaillants furent les armées commandées par le comte de Barcelone, Ramon Berenguer le IVe, Prince d'Aragón.

- Ce siège est-il lié à Melissa? - Pas seulement celui-ci, mais également un autre siège,

celui de l'armée maure, de 1149, est lié au nom de l'héroïne de la légende de Tarragone, leur répondit le guide. Puis, pour près de vingt minutes, il leur décrit comment se déroula le siège chrétien de la forteresse et la tentative de reconquête du château par les Maures, un an plus tard. La capture du général Al Madur étonna les dames et elles poussèrent des cris de satisfaction. « Il a mérité la punition pour tout ce qu’il a fait contre la famille de Vetéro ».

- Certains historiens affirment, dit enfin le guide, que la légende selon laquelle la forteresse avait été sauvée par des femmes avec des plateaux et pots, est fondée sur des faits réels. Rendons-nous maintenant dans les pièces où se trouvait le harem du général.

Une fois arrivés dans les deux appartements, le guide leur raconta des choses sur la vie des épouses dans un harem musulman, sur les intrigues tissées là-bas et les tragédies

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inconnues qui se sont produites dans les harems de quelques réputés sultans d’anciens empires musulmans.

- Je pense que la vie dans le harem était sombre. Toujors fermées, les épouses et les odalisques étaient comme des esclaves. Yvette était terrifiée seulement en pensant à la vie de ces femmes-là.

- Les femmes musulmanes, nées et élevées dans cette tradition-là, arrivées dans le harem, se sont créées un univers propre, avec des joies et des ennuis. Elles ne connaissaient pas un autre mode de vie, donc elles acceptaient sans réserve de faire partie du petit univers de leur maître. Certaines étaient simplement heureuses de devenir des concubines ou des épouses légitimes, c’était un véritable honneur. Elles pouvaient, en influençant le maître, même gouverner la ville, la Taïfa, ou même le califat. Les épouses des sultans gouvernaient des empires ou influençaient uniquement les principales décisions de l'empire. On peut parler pour des jours entiers sur le harem, leur dit le guide. Maintenant, nous avons fait aussi un petit tour de la citadelle, nous pouvons nous diriger vers la porte de la ville.

- J'ai une demande, dit Phillip au guide. Est-il possible de voir les souterrains de la ville?

- Non, Monsieur. L’accès est interdit aux visiteurs. Il est trop dangereux.

- Mais j'ai entendu dire qu’il y a des aménagements et des lumières, sur des portions.

Le guide regarda Phillip d’un air étrange. Il était un jeune homme d'environ vingt cinq ans, maigre, brun, typiquement méridional.

- Les souterrains sont ouverts aux visiteurs, mais aujourd'hui, à cause du programme administratif, vous ne pouvez y aller.

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- Mais est-il possible d’obtenir les plans de la forteresse et des souterrains?

- Vous pouvez les acheter de la boutique située à l'entrée. - Que sait-on sur le trésor du gouverneur Al Mandur?

Les chrétiens l’ont capturé après la conquête du château? Le guide le regarda avec de grands yeux, agité et ce

changement surprit Phillip. " Ce qu’il lui est arrivé? Jusqu'à présent, il fut tellement agréable. Il est peut-être fatigué. “

- Pourquoi m'interrogez-vous sur le trésor? Avez-vous trouvé des références à l’égard dans les dépliants?

- Ce n'est pas la première citadelle que je visite, répondit Phillip. Chaque ville a ses légendes, liées surtout à des trésors. C'est pourquoi je vous demande. Il doit exister aussi une légende de cette forteresse, La Suda.

- Bien sûr qu’elle existe. Une partie du trésor a été capturée, mais une autre partie, d’après les légendes, aurait disparue pendant le siège. Vous trouverez ces informations dans les brochures, Monsieur. Il y a de diverses histoires à l’égard du trésor des Maures et du trésor des templiers, qui ont reçu la ville en possession, à côté de la famille de Moncada. Rien de vrai, je vous assure. Le ton du guide redevint calme, convaincant.

- Merci, Monsieur [...] - Carlos Massim, Monsieur. - On vous remercie, Monsieur Carlos, vous avez été très

aimable de nous conduire à travers la ville. Beatrice exprimait les sentiments de tous du petit groupe de touristes. Nous allons vers la sortie?

- On y va, lui répondit Phillip. Remercions aussi Mme l’intendante. Elle a été aussi très gentille.

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La discussion avec Mme l’intendante dura très peu et, dans un quart d'heure, ils étaient de nouveau dans le minibus, prêts à partir.

- Où voulez-vous aller? Nous nous arrêtons dans une ville pour dîner, ou nous attendons d'arriver à l'hôtel? La guide, Cecilia Mendez, connaissait bien son métier.

- Je voudrais faire le tour de la ville et voir la place de l’ancien bazar, où furent enlevées les épouses du général et, ensuite, le lieu où elles ont été libérées par le père de Melissa.

- Moi aussi, je voudrais voir ces lieux, souligna Yvette. - Eh bien, si nous n’avons aucune autre proposition, nous

ferons ainsi. Nous suivons la rivière jusqu'à la limite nord de la ville et nous nous arrêterons ensuite dans les deux endroits associés à notre héroïne légendaire. Après cela, nous nous dirigerons vers Salou.

Ils prirent le déjeuner à Salou, plus tard qu’accoutumaient les espagnols. Le menu était une combinaison entre le goûter espagnol et la cuisine française. Très délicieux, le menu réussit à chasser la fatigue.

Lorsqu’ils savouraient le café, le téléphone d’Yvette sonna et, après les premiers mots, ses amis réalisèrent qu’elle parlait avec la femme de ménage, Madame Lisa.

- Et Brice, comment va-t-il? demanda Béatrice. Tout le monde savait que le sujet de conversation au

moins deux fois par jour, était le gâté et l’aimant Brice, qui ne se fatiguait jamais et qui pouvait représenter des vrais spectacles avec ses bȇtises. C’était pourquoi tous l'aimaient comme leur propre enfant.

- Il a assuré, comme d'habitude, l’atmosphère de la maison, Madame Lisa faisant l'objet de ses bȇtises. Que faisons-nous maintenant?

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- Nous, les dames, je pense que nous irons au sauna et au massage. Les seigneurs, selon leur gré.

- Magnifique, accepta Yvette. Ensuite, elle regarda Phillip d’un air interrogateur.

- Je vais aller à l'église de Reus. Je veux voir les régistres de l'église des années 1120, 1130, 1140. S'il y en a. Je reviens jusqu'à la fin de votre massage.

- Veux-tu qu’on t’accompagne? demanda Mark. - Merci, il n'est pas nécessaire. Accompagnez les filles

au massage. Quand je rentre, je vous rejoins aussi. Et le soir, nous allons organiser un vrai régal espagnol. Seulement des plats cuits selon des recettes anciennes de la Catalogne.

- Excellent. Ce sera un succès, certainement. Yvette était ravie de la cuisine espagnole et le mentionnait chaque fois qu’elle avait l'occasion. Le restaurant dispose également de la musique pour la danse?

- Bien sûr, lui répondit Rodrigo. Ni savez-vous comment passe la nuit dans notre hôtel.

Et leur hôte aimable eut raison dans tout ce qu’il affirma.

Le matin, en se dirigeant vers le salon pour le petit déjeuner, Phillip fur arrêté par le majordome de l’hôtel.

- Vous avez reçu une enveloppe de Tortosa, Monsieur lui dit celui-ci, en lui donnant une grande enveloppe jaune.

- Je vous remercie. Yvette le regarda curieuse. - L’intendante de la ville m'a envoyé les cartes et les

plans de la forteresse et des souterrains. - Ils n’étaient pas décrits dans les brochures? - Je voulais voir les plans authentiques, provenant des

archives de la fortification.

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- Comment les as-tu obtenus? Je pense qu’ils ne sont pas publiques.

- Rodrigo m’a aidé. Il a parlé au Ministère de la Culture, lequel a approuvé l'accès à ces documents.

- On t’aide, Phillip? demanda Paul. - Non, merci. Je veux me faire une image de

l'emplacement de la ville et des souterrains. Comme ils étaient sous la domination maure.

- As-tu trouvé hier à l'église de Reus, les données qui t’intéressaient?

- Oui, même plus que je ne m'y attendais. Je suis très content de la documentation jusqu'à présent.

La satisfaction de ces réalisations était visible sur le visage de Phillip. Ils savaient tous que celui-ci fera une recherche approfondie sur le sujet de son roman. Et maintenant il essayait de combiner le plaisir des vacances avec l’activité de documentation. Et il semblait réussir.

- Je ne sais pas le programme d'aujourd'hui, affirma Mireille tout en buvant du café. Que ferons-nous plus tard?

- Rodrigo nous propose d'aller à Vetéro et à Pinar Viejo, pour voir où nos héros ont vécu. Qu’en dites-vous?

- Je suis d'accord. Et après? - Au retour, nous nous arrêtons à Tarragone. Nous

visiterons la partie commerciale de la ville, répondit Phillip. Si les seigneurs sont d'accord, bien sûr.

- Ils le seront, lui répondit Beatrice. Ils veulent aussi voir les magasins d’ici.

- Il me semble le meilleur endroit pour la documentation, n’est-ce pas? La question il l’a mise sur un ton neutre, mais il se maîtrisa à peine pour ne pas éclater de rire.

- Concours, cria Yvette. Je veux un concours pour la plus belle robe, la plus belle blouse et les plus belles chaussures.

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Celui qui achète les plus beaux produits, tiendra la réunion à notre retour à Nice.

- Nous sommes d'accord, leur répondit Paul, en riant. Mais nous, les hommes, nous avons besoin de deux jours pour décider ce qu'il faut acheter. Nous ne suivons pas la simple intuition, comme vous, les femmes.

- Alors, c’est nous, les femmes qui déciderons qui sera la gagnante. Je vous propose de partir pour avoir le temps de dérouler le concours.

- Attendez que je prenne mes appareils vidéo et la caméra, dit Yvette.

- Nous devons les prendre aussi, tu as raison. Comme dans tous les excursions, les dames filmaient et

photographiaient tous les endroits par où ils passaient. Cela, pour leur bibliothèque vidéo personnelle, source de bonne humeur et de rêverie pour plus tard, dans les années à venir.

Le château de Vetéro a été construit après les années 900, sur un monticule de la pente de la montagne Montanyes de Prades. Sur une superficie de plusieurs hectares s’étendait le pâturage bien entretenu, utilisé, comme on pouvait le voir, pour l’élevage libre des animaux. Un grand troupeau de bovins se reposait à l'ombre de la forêt. Bien que propriété privée, Phillip et ses compagnons entrèrent sur le terrain, conduits par le désir de voir les endroits où ont vécu les héros de la légende qu’ils venaient d’entendre.

Trois, quatre murs, plutôt des ruines, témoignaient de l'endroit où, autrefois, s’élevait le majestueux et puissant château médiéval de Vetéro. Il avait été construit pour défendre les seigneurs locaux des attaques de l'armée maure, mais tout aussi pour y mener leurs vies quotidiennes. C'était leur maison, celle des seigneurs du domaine.

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L’herbe couvrait tout le périmètre du château, mais on pouvait voir les traces de l'ancien mur de défense. Tandis que les touristes photographiaient les ruines et les environs, deux cavaliers s’approchaient d’eux.

- Bonjour, les salua Cecilia Mendez, nous avons osé d’entrer sur la propriété pour voir les ruines du château. Si vous le voulez, nous partons immédiatement.

- Non, Mademoiselle, vous pouvez rester autant que vous décidez. Vous êtes des touristes, vous ne faites rien de mal. Je suis l'administrateur de la ferme, Luis Gonez.

- Les dames et les seigneurs sont des Français, venus à notre hôtel à Salou et veulent voir ces lieux. Ils ont entendu la légende des fantômes de Tarragone et ils ont été impressionnés par les deux héros.

- Ah, oui. Melissa et Lopéz. Ils ne sont pas les premiers touristes qui viennent ici, à la recherche des sources de la légende. En été, ils viennent par centaines.

- Vous connaissez la légende des fantômes. Pourriez-vous leur répondre aux questions?

- Ça dépend. Je peux leur dire ce que j'ai entendu de mes grands-parents.

- Nous sommes contents de votre gentillesse. Permettez-moi de vous présenter.

Après les présentations, Phillip était entousiasmé pour avoir rencontré l'un des habitants qui connaissaient l'histoire de ses grands-parents.

- Bonjour, Monsieur. Dites-moi, quand est-elle apparue cette légende?

La guide Cecilia Mendez traduisit la question, attendit la réponse de l’homme et ensuite, elle traduisit à nouveau.

- Nous savons que l'histoire de nos deux héros amoureux est apparue mȇme pendant leurs vies. Les gens ont raconté

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toutes sortes d'histoires sur eux, histoires tout à fait particulières qui sont devenues des légendes.

- Ont-ils eu des enfants? - On dit qu'ils avaient trois garçons. Mais, avec notre

histoire troublée on a perdu la trace de la famille. Certains de leurs descendants ont vécu à Pinar Viejo, à environ quinze kilomètres au nord d'ici. Ils semblent avoir disparu ou déménagé il y a des siècles.

- Leur légende a une relation avec la forteresse de Tortosa? Avec le trésor des Maures?

- Madame, dites-lui que Melissa a passé une grandie partie de sa vie dans la ville de Tortosa, mais je n'ai jamais entendu parler d’un trésor, fut la réponse de l’habitant.

- Demandez-lui de nous raconter la légende des fantômes, ainsi comme il la connaît de son grand-père.

L'administrateur de la ferme descendit du cheval et s’approcha du groupe de touristes. Il était content qu’il pouvait raconter l’une des leurs légendes populaires les plus aimées réliée mȇme à ces endroits. Il savait l'histoire et il raconta une foule d'événements associés à Melissa, Lopéz et à leur famille.

- Vous savez que le père réel de Lopéz, le fils de la servante, était comte?

- Oui, nous avons entendu cela. Mais je ne sais pas ce qu'il a fait après son mariage avec Melissa. Fut-il reconnu par les autres nobles comme le fils du comte?

- Tout ce que je sais, Monsieur, c'est que Lopéz se tenait loin des nobles, mȇme s’il fut, lui aussi anobli. Il est resté dans ces terres, vivant près de sa famille. Il a vécu et combattu en tant que seigneur de la région, sa mort étant regrettée par tous les habitants.

- Ah, c’est intéressant. Personne ne le sait, ou je n’ai pas bien entendu jusqu'à présent, quand exactement se produisit la

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mort de Melissa et de Lopéz. Et c'est la première fois quand nous entendons qu'ils avaient des enfants. Mais il y a beaucoup de variantes de la légende. Qui sait vraiment la vérité?

Pendant leur discussion, un autre cavalier s’approcha d’eux et dit quelque chose à son patron, l’administrateur de la ferme.

- Êtes-vous seuls ou accompagnés par d'autres touristes?

On les appele aussi? Les touristes français se regardèrent l’un l'autre, ne

sachant pas quoi dire. Ils étaient confus, pourquoi pensa l’habitant qu'ils avaient des compagnons?

- Nous n'avons pas de compagnons. Pourquoi la question?

- Une voiture qui arriva en mȇme temps que nous, s’arrȇta plus loin sur la route et semble nous attendre, traduisit la guide la réponse de l’homme.

- Phillip sentit qu'un frisson parcourt son corps. Il avait le même sentiment chaque fois quand quelque chose d'inattendu et dangereux lui arrivait. Tout comme quand il eut lieu la tentative de vol du sceptre hospitalier, ou à Jérusalem, lorsqu'il fut chassé par des voleurs d'artefacts. “ L'histoire de Jérusalem se répète-t-elle? Est-il possible que je sois chassé par d’autres voleurs d’artefacts? Mais, pourquoi? Je dois savoir de quoi il s'agit. Pour ne pas mettre mes amis en danger ".

- Priez-les de nous donner le numéro d'enregistrement de la voiture.

La guide parla quelques minutes avec l'habitant, qui les regardait avec méfiance. Puis, après un autre échange de mots, il semblait calme.

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- Il m'a demandé qui vous êtes, si vous avez, en quelque sorte, des problèmes avec la justice. Je lui répondis que vous êtes les amis de Don Rodrigo de Landéros et il se calma un peu.

- Connaît-il Rodrigo? - Oui, il disait que Rodrigo est un señor, un homme très

apprécié par les habitants. - Dites-lui que notre ami Rodrigo nous a raconté la

légende de Melissa. S’il trouve quelque chose d'intéressant sur cette légende, qu’il le dise à celui-ci.

- Don Rodrigo détient de la terre ici, au-delà de la route. Assez beaucoup, traduisit la guide.

- Pardon? Ici? Depuis quand? Phillip ne put pas s’empȇcher de demander.

- Il a les terres depuis longtemps. Dès son enfance, de ses grands-parents. Et Dona Isabel a des terres à Reus, continua la guide.

- Est-ce que les Landéros ont quelque lien avec la famille de Melissa?

- Pas du tout, lui dit l’habitant. Les grands-parents de Don Rodrigo sont venus du nord, réfugiés à cause de la guerre civile.

Phillip fut déçu. Il avait pensé qu'il a découvert un lien entre son ami et les héros de la légende. Il aurait été trop simple et trop beau. " Dommage. J'aurais aimé que mon ami ait comme ascendants des héros de légende. Je sais qu’il a des origines nobiliaires, mais avec des arrière-grands-parents légendaires, tout aurait été plus agréable et intéressant ".

- Nous vous remercions pour votre gentillesse. Avant de partir, nous ferons plus de photos, dit Phillip.

- Regardez, Yvette leur montra le ciel. Il était bleu et quelques aigles flottaient doucement, dans

les hauteurs du ciel. Juste au-dessus du groupe de touristes, ils

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apparurent deux pigeons blancs qui semblaient jouer. Ils se laissèrent au-dessus des gens, presque jusqu'au sol, puis ils montèrent à nouveau.

- Très beau, ils semblent ȇtre amoureux, dit Beatrice. Les rayons du soleil faisaient que les pigeons

apparaissent entourés d'un halo de lumière. - Magnifique! Du haut du ciel, un aigle, redoutable chasseur, descendit

pareil à une foudre vers les deux pigeons, voyant en eux la nourriture cherchée toute la journée. En sentant le danger, les pigeons s’approchèrent, en vol, l’un à côté de l'autre, en flottant dans l’attente de l'attaque.

- Hélas! Les pauvres pigeons! s’entendit une voix. L’attaque de l’aigle fut aussi foudroyante que sa

descente vers les pigeons. Justement qu'il fut accueilli par deux coups simultanés d'aile qui le déséquilibrèrent et le firent s'effondrer au sol. Il resta au sol, désorienté, pour quelques moments, puis s’envola vers la forêt.

Les pigeons semblèrent s’embrasser en volant, firent un détour au-dessus les gens et saluèrent avec un battement d'ailes, puis ils disparurent à l’horizon, vers le brillant soleil. Ils volaient sur les rayons divines de la lumière.

- Melissa et Lopéz, chuchota Yvette, les yeux en larmes. Ils se regardèrent mutuellement, en silence, chacun avec ses pensées. C'était dommage d'interrompre le silence, tout mot aurait été inapproprié.

Sur le tard, en saluant les deux habitants aimables, ils se dirigèrent vers la voiture. En descendant en voiture, près du carrefour vers Pinar Viejo, un autre habitant fit signe avec la main et donna au chauffeur un billet avec le numéro d'immatriculation de la voiture qui les avait attendu.

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- L’habitant dit que la voiture retourna vers Reus. Le conducteur tendit le billet à Mark, situé plus près de lui. Allons-nous à Tarragone? demanda-t-il en français.

- Nous l'avons décidé ainsi, dit Mireille. Qu’est-ce qu’elles disent les dames?

- Nous y allons, bien sûr. Le programme est fait et on doit le suivre, répondit, Yvette, toujours marquée par le vol des oiseaux.

L'atmosphère se détendit peu à peu à la pensée que les magasins les attendaient avec des produits des plus beaux. Tous pensaient à quoi acheter, à l'exception de Phillip, qui, silencieux, pensif, examina la possibilité d'être suivis. Objectivement, il n'y avait aucune raison d’ȇtre suivis. De l’autre côté, son intuition ne l’avait jamais trompé. Il alla déterminer si la poursuite était réelle. Tout à son temps. Mais sa décision avait été prise. Il partira à Nice. Il ne pouvait pas mettre en péril son groupe d'amis. Ni savait pourquoi ils pouvaient ȇtre en danger. Il agissait sur la base d'un instinct qui l’avait toujours aidé. Dans les circonstances les plus simples ou complexes.

Toutefois, ils ont vu la région, avec les plus importants objectifs touristiques, historiques et de loisirs, ainsi que le prochain retour à Nice, contenta tous les participants au voyage de l'amour, comment le nommait Yvette.

Dans les premiers jours après leur retour d'Espagne, Phillip de Chamont dut résoudre les questions non résolues de l'hôpital universitaire, ainsi que ceux de la chaire, des problèmes de sa stricte compétence.

Conformément à son accord avec Rodrigo de Landéros, celui-ci lui envoya les matériaux documentaires, au fur et à mesure qu’il les recevait des archives, du musée et de l’église de

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Reus. C’étaient des informations essentielles pour sa documentation sur les héros-fantômes de Salou et de Tarragone.

À Nice, Phillip et Yvette ont retrouvé la joie d'être près des autres membres de la famille, joie exprimée par Yvette à travers les mots « il n’y a nulle part comme chez soi. »

- Vendredi, nous allons à Chamont, n’est-ce pas? lui dit Yvette. Dimanche c’est la fête de Pâques, la résurrection de Jésus-Christ. Nous devrions aider aussi avec les préparatifs, hein?

- Nous prenons le vin et les cadeaux apportés de Tarragone. Tout est prêt pour dimanche. M. et Mme Saullieu arrivent samedi?

- Oui, mamá et papá arrivent samedi. Vendredi, ils ont aussi des invités. Madame Lisa demande si elle devrait emmener quelque chose d'ici.

- Non, tout est en ordre. Tout est prêt, nous prenons seulement les cadeaux. Je n’y suis pas allé depuis deux semaines et je m'ennuie tellement de mes parents et d’Evelyne.

- Moi aussi. Je suis impatiente d’y arriver et de revoir tous. Et que Brice coure partout, comme l’agité qu’il est habituellement.

La fȇte de Pâques passa avec le sentiment spirituel de la Résurrection et la joie d'être avec les proches à cette occasion. Du premier jour de travail, Phillip tenta d'associer l’activité professionnelle avec celle de documentation sur l'histoire de la province de Tarragone. Yvette allait presque tous les jours à l’opéra, à préparer les concerts pour la fête de printemps à Nice.

Après une dizaine de jours, Phillip se fit une image claire, mais incomplète, sur la vie des familles nobles espagnoles de Vetéro et Gadára. Il y avait beaucoup d’aspects sans documentation aucune. Il voulait aussi étendre la

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documentation sur les descendants, s'ils existaient, des héros Melissa et Lopéz. La seule solution afin de compléter en quelque sorte la documentation, était d'aller pour quelques jours, en Espagne. Rodrigo de Landéros était heureux de l'aider avec tout ce qu'il pouvait pendant ses voyages à Barcelone et Tarragone. Ainsi, avec l'aide de ses collègues de l'Université et de l'hôpital, Phillip réussit à prendre quelques jours de repos. Yvette, malheureusement, ne put pas l'accompagner, même si elle voulut le faire. Elle resta chez elle, à Nice, à la plus grande joie de Brice.

À l'aéroport de Barcelone, où atterrit la course aérienne, l'attendait une voiture envoyée par Rodrigo et dans un quart d'heure, Phillip de Chamont descendit devant l'hôtel de Salou.

- Phillip, je ne sais pas comment te remercier pour les efforts que tu fais. Je suis heureux de te revoir et désireux de t’aider, si je le peux.

- Pas besoin de me remercier. J'aime ce que je fais et, effectivement, je suis captivé par la légende de ces fantômes. Je veux savoir si elle repose sur des faits concrets et quels sont ces faits. Il serait utile tant pour les chercheurs que pour le grand public.

- Spécialement pour nous, les Catalans. D’ailleurs, la légende de Saint Jordi, ou Jan Jorge, fait aussi partie de notre patrimoine culturel. Comme celle des fantômes bienfaisants. Donc, nous complétons la documentation. Par quoi commences-tu?

- Par une visite à la forteresse La Suda, à Tortosa. Par la suite, au siège d'archives de la ville. J'ai besoin de votre guide, Cecilia Mendez. Et d’une voiture.

- Pas de problème. Elle et la voiture seront disponibles et tu pourras aller n’importe où.

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- Aussi, j'aurais besoin d’un permis pour explorer les archives de Tortosa, Tarragone, Barcelone et pour le régistre de la noblesse de Barcelone. Ceci, pour démarrer.

- Je m’en occuperai, intervint Dona Isabel. Ainsi, je pourrai vous aider avec quelque chose.

- Je te remercie, ma chére. Rodrigo fut enchanté de l'aide de sa femme, surtout parce qu'elle était passionnée par l'histoire du lieu.

- Je partirai maintenant à Tortosa et au retour, je vous dirai ce que j'ai fait. J'espère avoir la chance de trouver ce que je cherche.

En sortant de Salou, Cecilia Mendez conduisit la voiture vers l'autoroute E15 et dans une demi-heure, elle prit la bande de sortie de Tortosa, où ils arrivèrent dans quelques minutes. Phillip admira, encore une fois, la belle ville, où l'ancien et le nouveau se melaient armonieusement. À leur grande surprise, la moitié des places de stationnement à côté de la forteresse étaient libres, mais en échange, le parking des bus était plein, ce qui signifiait qu'il y avait plusieurs groupes organisés que des touristes indépendants.

La cour de la forteresse était pleine de touristes curieux, qui cherchaient à capturer sur les appareils photo et vidéo, tout ce qu’il y avait de plus beau dans la vieille citadelle. Un va-et-vient sans équivoque, spécifique pour tous les objectifs touristiques, quel que soit le pays et la région.

Au bureau d'information était grande agglomération, plusieurs touristes demandaient des informations sur la forteresse, mais également sur d'autres cibles touristiques de la ville. Phillip voulut demander de Carlos Massim, quand le vit s'approcher du burreau. Celui-ci, à son tour, reconnut aussi Phillip.

- Bonjour, Monsieur. Vous nous rendez une visite?

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- Oui, M. Carlos. Comme touriste. Je voudrais voir Mme l’intendante. Si c'est possible. Ma visite lui a déjà été annoncée, de Salou.

- Je vous conduis. Si vous avez besoin de quelque chose, s’y suis.

- Merci, je vous chercherai, si nécessaire. Mme l’intendante le reçut immédiatement, son intérêt

pour l'histoire de la forteresse l’honorait, selon ses mots. - Monsieur de Chamont, je serais heureuse de vous aider

dans votre documentation. J'ai trouvé deux de vos ouvrages sur les chevaliers hospitaliers et nous serions honorés de lire aussi sur la forteresse La Suda, dans un des livres que vous écrirez.

- Pour l'instant, je rassemble les matériaux documentaires. Mais je vous remercie pour l'appréciation de mon travail. Je voudrais trouver des documents de la période, ou des exposés oraux, enregistrés plus tard, sur la conquête du château par le comte de Barcelone en 1148.

- Comme vous le savez, à cette époque-là les documents publiés étaient peu nombreux, surtout parce que c'était la guerre contre les Maures. Nous pouvons dire que cela continua la croisade chrétienne commencée en 1147. Il est possible de trouver des rapports ultérieurs dans les archives de la ville.

- Vous connaissez peut-ȇtre des légendes orales à propos de la conquête de la ville et la capture du gouverneur Al Mandur.

- Il est dit, M. de Chamont, que le général fut capturé par les seigneurs de Vetéro, aidés par des complices parmi les défenseurs maures. Contre une grande récompense.

- Quel type de récompense? Argent, objets de valeur? - De ce que je sais, la légende dit qu'on avait promis aux

complices maures la liberté et une partie des valeurs que détenait le général. Son trésor personnel, qui était plus précieux

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que celui de la ville. Une partie du trésor fut sortie de la ville par le général au début du siège et envoyée à Murcia. Une autre partie a été capturée par le comte de Barcelone. Mais, une partie du trésor disparut, tout comme le général.

- Cela veut dire que cette partie-là avait été capturée par les seigneurs de Vetéro, ou enterrée dans les souterrains.

- Oui, vous avez raison. À moins qu’au fil du temps, on a trouvé dans les souterrains des caisses avec des objets précieux et bijoux. La forteresse fut un endroit très apprécié par les chasseurs de trésors, anciens ou plus récents, dans les siècles passés.

- Melissa a-t-elle participé à la capture du général? - On dit qu'elle aurait organisé l'incursion pour la capture

et l'action de la conquȇte de la ville. Mais il y a seulement des histoires, on n’a trouvé aucun document à cet égard. L’émir a cédé la ville, selon les documents, après un délai de quarante jours.

- J'en suis édifié. Je vous remercie pour votre aide. Et pour les documents reçus lors de ma première visite.

- Il ne faut pas me remercier. Je fais seulement mon devoir.

Au siège local des archives de Tortosa, situé dans le centre-ville, Phillip discuta avec le directeur, mais sans trouver aucun document sur les luttes de conquête de la ville. L'explication fut simple. À cette époque-là, marquée par des conquêtes et reconquȇtes des terres catalanes, l’adminstration c'était comme inexistante, il n’y avait personne pour rédiger et surtout, pour conserver des documents sur les événements de la province. Sauf, peut-être, quelques seigneurs et l'Église.

Avec la serviette sous le bras, Phillip quitta le siège des archives locales, mécontent et monta dans la voiture, avec

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Cecilia Mendez. La guide l’attendit, patiente, comprenant la difficulté de trouver des documents d’une période si éloignée.

- Où allons-nous, Monsieur? - C’est l'après-midi et le déjeuner est presque sacré pour

les espagnols, n’est-ce pas? - Oui, mais pas le manger, c’est la réunion avec les amis

ou la famille ce qui représente pour nous une occasion de grande joie. Personne ne mange seul, mais avec ses proches. C’est alors qu’on discute tout, depuis les dernières nouvelles, aux nouvelles concernant les amis ou les sports.

- Du football. - Aussi du football, car tout le monde aime ce sujet. - Nous pouvons sauter le déjeuner? - Bien sûr. - Alors, allons à Tarragone, aux archives locales. En

passant, nous nous arrêtons à Salou pour prendre un goûter et continuerons ensuite en chemin.

- On prend l'autoroute ou la route nationale, sur le bord de la mer?

- J’aimerais bien voir la mer et les stations du litoral. - Parfait, on va par là. Cecilia Mendez conduisait très bien, prudemment et lui

donnait, dans le même temps, des explications sur les endroits qu’ils traversaient. Ils sortirent de Tortosa par Raval de Cristo, puis ils prirent la route vers le sud, sur C42. À l'intersection avec la route N340, ils se dirigèrent vers L’Ampolla, en s'approchant de la côte. Le trafic n'était pas bondé, la saison estivale étant encore loin. De l'Ampolla, ils entrèrent sur AP7, en passant à proximité de l'Ametlla de Mar, Calafat et Cambrils, pour atteindre l'entrée de Salou. Les belles stations, étaient toujours prȇtes à recevoir les touristes qui préféraient l’extra saison.

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- Chez nous, la saison estivale commence le 24 juin, avec la fête de San Juan. C'est une des plus belles nuits, lorsque des grands feux sont allumés dans les villages, sur les routes, aux intersections et sur la plage. Toute la Catalogne est éclairée par des feux et feux d'artifices.

- Belle coutume. Chez nous aussi, en Provence on garde les mêmes habitudes depuis des siècles. On peut dire que nous avons les mêmes coutumes, anciennes et nouvelles.

- C’est vrai et tout se déroule avec tant de joie. Très bien. La nuit, nous allons sur la plage et nous nous lavons les pieds dans l'eau de la mer et ainsi nous nous lavons des péchés. Ensuite, nous sautons par-dessus le feu et brûlons ainsi les péchés faits jusqu'alors.

- C’est aussi le solstice d'été. - C'est vrai. Pour accueillir le solstice, les habitants

cuisinent d'après une recette traditionnelle et mangent une sorte de gâteau rond avec des fruits d’été. Cela représente le soleil qui commence son trajet descendant, jusqu'en décembre.

Cecilia Mendez racontait et regardait de plus en plus dans le rétroviseur.

- Je pense qu'une voiture nous poursuit depuis Tortosa, elle lui dit à l'entrée de Salou.

- On s’arrȇte à l'hôtel et on va voir si nous sommes vraiment suivis. Mais pourquoi?

- Qui sait? On va encore à Tarragone? - Oui, j’y veux aller. Si vous avez peur, j’irai tout seul,

dit Phillip. - Peur? Pourquoi? Je vous accompagne. Entrez dans

l'hôtel, je reste dans la voiture pour voir ce qui se passe. La voiture derrière eux, passa près de l'hôtel, en

continuant son voyage vers le centre de la station. Les deux

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hommes de la voiture, regardaient absentement de l’autre côté de l’hôtel, vers les palmiers du côté de la rue.

Dans les deux prochains jours, Phillip et Cecilia Mendez se sont déplacés à Tarragone où ils ont travaillé dans les archives locales et, par la suite, à la cathédrale. Satisfait de ce qu'il trouva à Tarragone, Phillip et sa compagnonne allèrent à l'église de Reus, où ils s’intéressèrent de l'ancien bâtiment de l'église, celui qui existait en 1129.

Chaque jour, dans tous leurs yoyages, ils furents suivis par une autre voiture, mais, comme l'avait remarqué Cecilia Mendez, les poursuivants étaient les mêmes. À la satisfaction de Phillip, il a réussi à faire quelques photos avec les poursuivants et les voitures utilisées par eux. La poursuite c’était son problème, c'est pourquoi il n’a rien dit à Rodrigo. La même chose il l’a demandée à Cecilia Mendez, c’est-à-dire de garder le secret devant les propriétaires de l'hôtel. Il voulait parler avec son ami seulement des données documentaires trouvées dans les endroits qu’ils ont visité dans ces derniers jours.

- Comment veux-tu procéder par la suite? demanda Rodrigo. Ils se trouvaient dans le salon de l'hôtel, avec tous les documents sur la table. Il s’agissait des copies des documents pris des archives de Tortosa et de Tarragone.

- Je rentre à Nice et je commence à travailler sur le livre, comme promis.

- Et les poursuivants? Que feras-tu à leur égard? Ont-ils continué la poursuite?

- Une seule fois. J'ai un soupçon ou plutôt, mon intuition me dit de quoi il s’agit. Je penserai comment agir pour les faire se trahir eux-mêmes. Simplement et sans danger. Mais, jusque-là, l’important est le livre. D'accord?

- Bien sûr. Quand veux-tu t’en aller?

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- Demain matin je vais à Barcelone et, en fonction de ce que je résous là-bas, je vais prendre le premier vol pour Nice.

- Je prends ma voiture et je te conduis à Barcelone. - Je te remercie. Nous devrios partir environ huit heures

du matin. - Nous allons nous rencontrer plus tôt, au petit déjeuner.

C’est vraiment un plaisir pour moi d’y aller ensemble, nous deux.

- Pour moi aussi, Rodrigo. J'étudie un peu plus la documentation, mieux dit, les plans de la ville et ceux des églises, car je ne connais pas la langue. Puis je me reposerai, parce que demain nous aurons une journée pleine d'activités.

- Tu as raison. Rendez-vous dans la matinée. Le jour, s’annonçait serein du début, il faisait beau en

cette fin de printemps. Et il fut ainsi toute la semaine, ce qui provoqua une affluence de touristes, chose observée à l'hôtel.

- Il se sent l’approche de l'été, augmente le nombre de touristes qui viennent sur la Costa Dorada, constata Phillip, lorsqu’il buvait son café avec Rodrigo.

- C'est vrai. Les plus contents sont les propriétaires des hôtels populaires de deux et trois étoiles qui travaillent saisonnièrement. Nous, les hôtels luxueux et exclusivistes, nous avons des touristes en permanence, même pendant les vacances d'hiver. Je peux dire qu’en hiver l’hôtel est plein et le logement se fait uniquement sur réservation préalable.

- Je suis heureux que tu es satisfait. Certes, il y a aussi un club de golf à Salou.

- Mȇme plus. Si tu veux jouer au golf, on peut aller ensemble à mon club. Exclusiviste, comme le votre, uniquement avec des gens qui savent bien jouer. Des vrais champions. Si tu le veux, tu peux devenir membre, temporairement.

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- La prochaine fois quand je viendrai à Salou, nous ferons une partie de golf.

- La prochaine fois, c’est-à-dire au lancement du livre sur les fantômes de Tarragone?

- Je ne sais pas, peut-être plus tôt. Nous partons? - D'accord. Tes bagages sont déjà dans la voiture. Assis confortablement dans la voiture, Phillip et Rodrigo

partirent pour Barcelone. En sachant que Phillip aimait l'opéra, Rodrigo mit un CD avec un chef d’œuvre de Beethoven, La Sixième Symphonie “Pastorale”. C’est un vrai plaisir d'écouter les accords musicaux, de s’imaginer les danses pastorales dans l'ambiance idyllique du passé. Ils se déplaçaient doucement, sur la première bande et Rodrigo lui racontait d’autres légendes espagnoles, des faits de l'histoire de la Catalogne et de l'esprit optimiste, ouvert, des habitants de la province.

Le trafic alternait entre des périodes de congestion et des périodes plus dégagées, comme il était habituellement, dans une journée de travail. Après environ une heure de marche, ils sont entrés sur E15, en s’approchant de la sortie de Martorell. Une des voitures qui roulait derrière eux, indiqua l’intention de les dépasser et s’encadra sur la voie de gauche. Mais au lieu de dépasser, la voiture s'approcha d’une manière menaçante de la voiture conduite par Rodrigo, le forçant à prendre la bande de sortie de l'autoroute, vers Martorell. À environ cent cinquante mètres de l'autoroute, le conducteur de la voiture qui les avait agressé, les frappa sur le côté gauche du derrière et les sortit de la route, la voiture de Rodrigo et Phillip se renversant sur le côté. Pris dans les ceintures de sécurité, les deux hommes essayèrent de sortir de la voiture renversée sur le côté droit. Phillip détacha facilement sa ceinture de sécurité, ouvrit la trappe du plafond et sortit de la voiture. Un peu étourdi, il s’assit sur l'herbe et resta étendu à côté de la voiture. Il se remit

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rapidement à l'idée qu'ils étaient dans un grand danger. “ Lequel sera le prochain mouvement des agresseurs? Viendront-ils à la voiture? Je pense qu'ils veulent la serviette avec mes documents ".

Il s’assit sur le sol, caché derrière la voiture, mais prêt à sauter sur le délinquant si celui-ci l’avait agressé. Il vit l'agresseur s'approcher, le pistolet dans la main. C'était un pistolet avec amortisseur. « Il a l’intention de nous tuer. » La pensée l’effraya. Rodrigo, resté dans la voiture, essayait en vain de se détacher la ceinture de sécurité. Caché derrière la voiture renversée, Phillip attendait l’approche de l’adversaire. L'assaillant arriva près du côté du conducteur et tenta d'ouvrir la portière gauche, où se trouvait Rodrigo. Phillip se leva, contourna la voiture et s'approcha de lui. Sans hésitation, l'agresseur pointa le pistolet vers Phillip, prêt à tirer.

Une ombre vague frappa la main qui tenait le pistolet et l’agresseur cria de douleur, en laissant tomber l’arme. Une détonation fut entendue lorque le pistolet atteignit la terre et se déchargea. Puis, sans dire un mot, l’agresseur tomba comme foudroyé. Frappé par quelque chose d'invisible. Phillip resta comme paralysé, ébloui par ce qu’il vit. Il ne pouvait faire aucun geste, était sidéré. L’ombre vague, venue du néant, frappa foudroyant et disparut de la mȇme manière, comme si elle ne fut plus qu'une simple illusion. Une illusion qui sauva la vie de Phillip. Il regarda les yeux écarquillés l’inconnu qui gisait sur le sol. Lentement il tourna ses regards, en cherchant l'ombre vague, qui avait frappé l'agresseur. Il ne vit rien, le silence fut troublé seulement par le bruit des voitures passant sur l'autoroute. Combien de temps est-il passé? Il lui sembla qu’il s’agissait d’heures, mais tout se passa rapidement, en quelques secondes. Il leva son regard vers le ciel serein. Deux taches blanchâtres

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flottaient dans l'air, loin, au-dessus de lui, se déplaçant lentement, vers les hauteurs du ciel.

Devant Phillip, la voiture de l’agresseur attendait quelque chose, probablement le complice du conducteur. Puis, contre toute attente, son pilote, démarra en hâte, en quittant son complice. " Mon Dieu, que signifie tout ça? Est-ce que j’ai commencé à voir des fantômes partout? "

Sans hâte, toujours sous l'influence des faits, Phillip s’approcha de l’inconnu qui gisait sur le sol, lui sortit la courroie des pantalons et lia ses mains avec celle-ci. Puis il s’approcha de la voiture pour aider Rodrigo, mais il était déjà à la trappe, prêt à sauter de la voiture. Avec l'aide de Phillip, Rodrigo sortit facilement et il s’assit sur l'herbe.

- Que fut tout ça? Es-tu blessé? - Non, Rodrigo. Et toi? - Je suis bien. Qui sont ces foux? Ce qu'ils veulent de

nous? - Je ne sais pas. Peut-être qu'ils sont les mêmes qui m’ont

suivi il y a quelques jours. Celui près de la voiture a un pistolet. Et, à la grande surprise de Rodrigo, Phillip lui montra le pistolet avec amortisseur.

- Mon Dieu, quelle histoire. Comment as-tu réussi à l’immobiliser?

- Tout simple. J’ai eu des aides. Rodrigo le regarda surpris. “ Il est traumatisé, il ne sait

pas ce qu’il dit. Pas étonnant.” Les sirènes de plusieurs voitures qui s’approchaient

s’entendaient de plus en plus fort, et après quelques minutes, deux voitures de police et une ambulance s’arrêtèrent sur la route, près d’eux.

- Y a-t-il des victimes, des blessés? demanda l'un des policiers.

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- Non, Monsieur. Nous n'avons aucune blessure, répondit Rodrigo.

Deux assistants de l'hôpital s'approchèrent d’eux pour les consulter. Pendant ce temps, les policiers questionnèrent Rodrigo et il leur raconta tout ce qui s'était passé.

- L’un des agresseurs fut immobilisé par mon ami. Je pense qu'il commence à se remettre de la perte de connaissance.

- Vous avez des pièces d'identité? Qui ȇtes-vous? demanda l'un des policiers en les regardant suspicieusement.

Après avoir dit son nom au policier, il présenta aussi Phillip.

- Nous allons à Barcelone, d’où mon ami prendra une course aérienne vers Nice. Je n'ai pas la moindre idée de qui sont ceux qui nous ont attaqués. Et mon ami ne le sait non plus. Il est pour la deuxième fois à Tarragone, il n'a donc aucune connaissance ici, en plus de ma femme et moi.

- Je suis désolé, mais il ne quittera pas le pays jusqu'à la clarification de la situation.

Rodrigo traduisit à Phillip les dits du policier. - Demande s’il y a quelqu’un parmi les policiers qui

parle le français. Je veux appeler quelqu'un qui leur précisera qui je suis.

Rodrigo parla avec l'agent de police pendant quelques minutes, en contradictoire et après, il appela quelqu'un et passa le téléphone au policier. Après une courte conversation, le policier tourna vers Rodrigo.

- Je regrette l'incident, Monsieur de Landéros. L’un des chefs de la police de Tarragone vous attend demain matin dans son bureau pour faire une déclaration détaillée. Il conduira l'enquête.

- Et mon ami?

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- Il ne m’a rien dit à l’égard. Probablement il vous accompagnera à Tarragone.

- Attendez. Phillip, veux-tu parler avec l'un des chefs de la police de Tarragone? Je sais qu'il parle aussi le français.

- Bien sûr. Je t’en prie mȇme. - Hola. Je suis Phillip de Chamont de Nice. Segñor

commandant, pour plus de données sur moi, veuillez parler avec l'inspecteur Jean Dupont, de l'Interpol de France.

- Monsieur de Chamont, je connais l’inspecteur, je peux dire que je le connais bien. Je parlerai volontairement avec lui. Vous pouvez aller à Nice, aujourd'hui mȇme si vous le souhaitez, sous réserve de retour à Tarragone pour des déclarations.

- D’accord, Monsieur et je vous remercie. Je voudrais vous proposer quelque chose. La voix de Phillip, fatiguée, hésitante au début, était maintenant pleine de vigueur.

- Je vous écoute. - Pour ne pas attendre tant de jours, je vais donner une

déclaration devant l’inspecteur Dupont, comme une commission rogatoire et il vous enverra immédiatement le document et ses conclusions. Êtes-vous d'accord?

- Très bien. J'accepte. - Et, encore une chose, M. le commandant. Mon intuition

me dit que j'aurai besoin de votre aide. Parce que vous fermerez l’affaire.

Après quelques instants de silence, le commandant de la police lui répondit sur le ton suspicieux des policiers de partout.

- Vous êtes sûr que vous n'êtes pas impliqué dans quelque infraction?

- Non, Monsieur, je suis le héros positif de cette affaire. Il vous clarifiera l'inspecteur Dupont.

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- Eh bien, je vais parler immédiatement avec l’inspecteur Dupont. Au revoir.

Les formalités étant conclues, Rodrigo commanda un taximètre et dans une demi-heure, les deux hommes arrivèrent à Barcelone, où ils se logèrent, tous les deux, à l'hôtel. Leurs vêtements étaient chiffonnés, un peu sales de poussière et leur apparition activa la vigilance des fonctionnaires de la réception.

- Vos documents, M. Chamont. Après s’ȇtre assurés de son identité, ils trouvèrent une

chambre aussi pour Rodrigo. L'attitude des fonctionnaires ne plut pas vraiment aux deux amis, mais ils les comprirent. Dans un tel hôtel on n’entre pas habillé avec des vêtements sales et sans prouver l’identité.

Après une douche bien mérité, ils se détendirent avec un verre d'armagnac Comte de Lauvia, en mettant leurs pensées en ordre.

- Je dois appeler Isabel et lui dire que je vais rester à Barcelone ce soir.

- Je vais appeler aussi Yvette. Je vais lui raconter qu’on a eu un incident pas grave pour ne pas l’inquiéter.

- Mais de quoi pourrait-il s’agir? Qui sont les auteurs? As-tu une idée de quoi il s'agit?

- Oui, j'ai une idée, mais je n’ai pas de preuves et je ne sais pas qui d’autre est impliqué. Je ne soupçonne qu'une personne.

- Sommes-nous en danger? - À partir de maintenant, je ne crois pas. Voici, ce que je

pense. À cause de ma documentation sur les fantômes de Tarragone, une des personnes impliquées dans la recherche du trésor pense que je suis à la recherche du trésor de la forteresse de La Suda. La fortune du général Al Mandur. Il a annoncé ses complices et tous, en croyant à leur tour que je détiens tous les

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documents pour localiser le trésor, nous ont attaqué pour les obtenir. Et, en échappant d’eux, ils se débarrassent de la compétition.

- Penses-tu qu’un telle chose puisse arriver? - Je ne pense pas, je suis presque convaincu. Ils m’ont

sûrement identifié, et ils attendent mes prochains mouvements. D'ici là, ils vont rester cachés, mais ils superviseront la citadelle.

- On devrait informer la police et leur dire tout ce que nous savons, qu’en dites-tu?

- Nous n'avons aucune preuve, et ils ne nous croiront pas. Mais, quand je serai à Nice, je vais contacter un inspecteur de l'Interpol. Nous établirons ensemble un plan, et il annoncera la police de Tarragone. Je pense qu’il est mieux de cette façon.

- Je connais aussi des gens dans la direction de la police, des gens intelligents et ouverts à toute proposition. Ils proviennent aussi des anciennes familles catalanes, donc on se connaît très bien.

- Je n’en doute pas. Nous allons parler avec eux quand je reviendrai à Salou.

- Bien, tu décides. Après environ deux semaines de l'incident sur

l'autoroute, Phillip prit un vol vers Reus. L'avion, de taille moyenne, avait uniquement la classe économique et tous les sièges étaient occupés. L’espace réduit d’entre les chaises le gêna au commencement, mais il s’habitua. C’était un voyage court, ainsi qu’il laissa de côté cet aspect.

Il emmena assez de documents sur la forteresse La Suda, l’histoire de la ville de Reus et l'histoire des anciennes familles espagnoles de la province de Tarragone, mais il n'avait aucune prédisposition pour étudier. Que fera-t-il à Salou? Il essaya remémorer le plan d'activités qu’il s’était engagé de réaliser à

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Salou et à Tarragone. Puis, il se rappela les conversations avec l’inspecteur Dupont, de l’Interpol.

Phillip avait appelé l’inspecteur et la joie manifestée par celui-ci, lui avait fait du bien, même l'avait encouragé de se consulter avec le policier très gentil. Ils ont établi un rendez-vous au domaine, assez près de Marseille. C'était un endroit où M. Dupont venait avec plaisir.

- Monsieur Dupont, je suis heureux de vous revoir et, surtout, je vous remercie pour l'aide que vous m’avez toujours donné et me donnez encore.

- Docteur, outre le fait que je vous sympathise, je fais aussi mon devoir. Donc, qu’est-ce que je peux faire pour vous?

- J’ai besoin d’un conseil. Je pense que l'histoire de

Jérusalem se répète, si vous vous en souvenez.2

- Bien sûr, comment oublier une telle histoire? - Voici de quoi il s'agit maintenant. Étant dans la ville de

Tortosa, pour me documenter à l’égard d'une légende populaire, je pense que j’ai attiré l'attention des chasseurs des trésors.

- Bien. Et qu'avez-vous exactement fait pour attirer leur attention?

- Rien de spécial. La légende catalane parle d'une héroïne du XIIe siècle, qui a vécu dans la ville de Tortosa. Même pendant la conquête de la ville par les chrétiens. Il me semblait normal de poser des questions sur le trésor de la ville, sur les histoires qui circulent à ce sujet. Peut-être que l’une des personnes impliquées dans la recherche des trésors cachés, a annoncé ses complices sur mon intérêt en rapport avec le trésor.

Phillip parla à l'inspecteur de la légende des fantômes, de son soupçon qu'ils avaient été suivis et de l'incident de la route, ce qui lui avait confirmé l’hypothèse.

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- Qui est le suspect principal? - Je pense que M. Carlos Massim, guide de la forteresse

La Suda, de Tortosa. L’intuition me dit qu'il fait partie d'une bande de chasseurs des trésors, volontairement placé là. Et moi, par l'intérêt manifesté pour le trésor maure, je représentais un danger pour leur travail et, pourquoi pas, un concurrent.

2 Voir aussi, du mȇme auteur, “ Le Médaillon hospitalier ”, éd. 2014

Peut-être ils ont pensé que si j’entrais dans le viseur de la

police, je les conduirai vers eux. - Je comprends. L'inspecteur regarda Phillip

pensivement, analysant les faits racontés. C'était une simple histoire, qui pourrait être développée dans n’importe quelle direction.

- Pourquoi pensez-vous qu’ils vous ont attaqué? - Je pense au fait qu'ils voulaient m'éliminer comme un

possible concurrent. Ils ont remarqué que je me suis documenté dans plusieurs endroits, archives, églises et ils croyaient que mes recherches ont pris fin. Ils ont voulu, très probablement, obtenir aussi mes documents, pour pouvoir localiser le trésor maure. Ainsi, ils auraient atteint les deux objectifs, en un seul coup. La police aurait pensé que c'était un incident entre deux bandes criminelles.

- Intéressant point de vue. Avez-vous vraiment découvert l'existence d'un trésor?

- Une partie du trésor maure pourrait ȇtre cachée dans les souterrains de la forteresse. C'est juste une opinion personnelle, mais je n'ai jamais cherché aucune fortune. J'ai été préoccupé uniquement par les preuves tangibles qui puissent montrer que

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la légende des fantômes de Tarragone est basée sur des faits réels. Cela, et rien de plus.

- Si vous retournez en Espagne, vous serez en danger, vous le savez.

- Oui, je le sais et c'est pourquoi j'ai besoin de votre aide et de celle de la police de Tarragone. L’un des chefs de la police, qui m’a semblé très intelligent et ouvert, disait qu’il vous conaissait.

L’inspectur Dupont sourit, de bonne humeur. Il sentait se préfigurer l’une des plus intéressantes actions de la police, au cadre de laquelle, bien sûr, il prendra une part active. Sa passion et son enthousiasme, difficiles à cacher, étaient visibles pour Phillip.

- Oui, Monsieur le commissaire Alberto D'Adonsa. Pour moi, a été toujours un plaisir de travailler avec les policiers espagnols. Très corrects et, surtout, très intelligents.

- Je serais heureux de le rencontrer, moi aussi, lui dit Phillip.

- Vous le connaîtrez, sûrement. Maintenant, il faut penser à un plan d'action. En ce qui vous concerne, parce que nous, les policiers, nous allons faire notre plan.

- Je vous écoute. - Quand irez-vous à Tarragone? - Je pense que dans deux semaines. Vous avez le temps

pour mettre en œuvre le plan, n’est-ce pas? - Bien sûr. Quand vous arrivez à Salou, vous effectuerez

les documentaires normales, dans les lieux que nous établissons maintenant.

- J’irai à Tortosa, Tarragone et Reus. Tout au long de mon séjour en Espagne, je serai logé à l’hôtel Landéros de Salou.

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Les deux, le policier et le détective amateur, parlèrent pour une autre heure, en établissant les détails de l'action qu’ils dérouleront ensemble.

- N’ayez pas peur, Monsieur le docteur. Vous serez toujours suivi et protégé.

- Je le sais, Monsieur Dupont, c’est parce que je suis tranquille.

Maintenant, dans l'avion, se souvenant de cette discussion-là, il se sentait vraiment tranquille. Il était sûr de sa sécurité et de celle de son ami, Rodrigo, mais il éprouvait aussi un sentiment d'impatience généré par le désir de finir la documentation, d’éclairer les dernières inconnues, perdues dans les brumes du temps.

À l'aéroport de Reus, il fut attendu par Rodrigo. - Phillip, je suis très heureux de te revoir. J’attendais

avec impatience notre rencontre, pour apprendre les nouvelles, comme promis.

- Je n’ai pas trop de nouvelles, mais je veux que tu saches que j'aime revenir à Salou. J’adore cette station.

- Tu n'es pas le seul. Beaucoup ont acheté des propriétés autour de la station et sont devenus des résidents de la province. Donc, quelle sont les nouveautés?

- J'ai parlé avec M. Dupont et la police connaît très bien l'affaire. Des dispositions ont été données pour notre protection.

Rodrigo respira, plus tranquille. - Mon Dieu, je me sens maintenant beaucoup plus calme.

Je ne suis pas habitué avec le danger et j’espère ne pas m'y habituer. Je préfère les affaires et le tourisme. J’ai parlé aussi avec le commissaire Alberto D'Adonsa, mais il connaissait la situation mieux que moi. Il m’a promis de prendre des mesures pour notre protection.

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- Je comprends. La police a pris toutes les mesures, et moi, je ferai tout ce qu’on m’a dit. J’y resterai seulement quelques jours et j’espère d’attraper nos agresseurs.

- Il serait bien. Que dois-je faire? - Toi, rien. Seulement de m’aider avec une voiture, pour

me déplacer où il sera nécessaire. Comment va Isabel? Mal à l'aise?

- Non. Je ne lui ai rien dit pour ne pas l’inquiéter inutilement.

- Très bien fait! À l’entrée dans l'hôtel, Isabel, prête à partir, parlait avec

l'un des fonctionnaires. - Sois le bienvenu, Phillip! Je suis contente de te revoir.

Je pars pour une demi-heure et on se verra à mon retour. Pour me parler d'Yvette et de Brice.

- Je te remercie pour l’accueil. Mois aussi, je suis heureux de te voir. Nous t’attendons ici.

- J'espère que vous n'aurez aucun accident de voiture. - Je suis sûr que cela ne nous arrivera plus. Rendez-vous

plus tard alors?

Plus tard dans l’après-midi, la voiture conduite par Cecilia Mendez s’arrȇta dans le stationnement de la forteresse La Suda, de Tortosa. Le parking était plein, cette fois, ils eurent de la peine à trouver une place libre.

- Je ne tarderai pas, lui dit Phillip, en descendant et se précipitant vers l'entrée.

Dans la cour de la forteresse étaient environ trois groupes de voyageurs, en attente d'être conduits par le guide à travers la ville. Phillip se glissa parmi les touristes, en regardant attentivement autour de lui. Il cherchait Carlos Massim et il était curieux de voir comment celui-ci se comportera envers lui. Il

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devait lui montrer qu'il est sain et sauf et qu'il continuera à chercher...le trésor. Seulement après une demi-heure, il l’a vu dans la cour, devant un groupe qu’il amena à l'intérieur de la forteresse.

- Massim, Monsieur Massim, cria-t-il, en s’approchant du guide.

Celui-ci tourna pour regarder celui qui l’avait appelé et quand reconnut Phillip, il tresaillit, effrayé. Il était très anxieux et ne pouvait pas cacher ce sentiment.

- Oui, Monsieur. Puis-je vous aider? - Je voudrais vous consulter pour me renseigner sur une

chose à l’égard de la forteresse et de vous demander de me montrer l'un des souterrains. Je ne connais qu’à vous et c’est pourquoi je fais appel à votre gentillesse, continua Phillip, sans lui laisser du temps pour le refuser.

- Pour la visite des souterrains, on doit avoir l’approbation de Mme l’intendante, répondit-il un peu plus calme. Mais on voyait qu'il était encore agité. Et curieux.

- Je ne veux pas qu’elle sache de cette visite. Je paierai bien votre dérangement.

La promesse sembla convaincre le guide. - Allons-y maintenant, avant de recevoir un autre groupe.

On parle en chemin. Ce que vous souhaitez voir? Ils allaient l’un à côté de l'autre et le guide le regardait discrètement, mais curieux. Ou, comme pensait Phillip c’était mȇme un intérêt dissimulé en simple curiosité.

- Je voudrais voir le tunnel par où le général Al Mandur a été sorti de la ville, après sa capturation.

- La sortie du tunnel a été bloquée. On peut voir seulement l'entrée de la cour.

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- Il est bien comme ça. Je suis intéressé par la taille du tunnel. Si les soldats groupés pouvaient passer par le tunnel et s’ils pouvaient transporter aussi des caisses et des bagages.

- Oui, ils pouvaient transporter des caisses, mais pas trop grandes et pas trop lourdes. Seulement deux personnes côte à côte peuvent circuler dans le même temps, à travers le tunnel.

- Je comprends. Je me suis demandé plusieurs fois, M. Massim, si j’étais Melissa, où porterais-je une caisse précieuse? La cacherai-je dans les souterrains de la ville, ou l’emmenerais-je à mon château, pour l’avoir près?

Le guide le regarda perplexe, puis curieux et, enfin, agité.

- Je vous demande cela parce que vous connaissez autant la ville que les régions avoisinantes. Et le caractère des gens. Même si des siècles passèrent, il est peu probable que le caractère des habitants se modifie.

- Je n'en ai pas la moindre idée, Monsieur. Mais, si je le pense, il est préférable de garder près un objet précieux, pour pouvoir le défendre ou le cacher en cas de danger.

- On pense pareil. Car, je ne devrais pas vous dire, mais j'ai visité beaucoup d'endroits comme celui-ci et j'ai une certaine expérience. Avec votre aide, je sais quoi et où chercher. Mais, s'il vous plaît, n’en parlez à personne. D’autant moins avec Mme l’intendante. Si je suis chanceux, vous le serez aussi.

- Si je peux vous aider avec quelque chose, j’en serais content, répondit le guide, les yeux brillants. " C’est la pensée du profit ou de la cupidité? Quoi que ce soit, bien qu’il me croit un trafficant d'artefacts et des trésors.“

- Je connais des gens de confiance dans le cas où vous avez besoin.

- Je vous remercie. Je préfère travailler seul, comme jusqu'à présent. Merci encore une fois. Ils sortirent dans la cour

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de la ville et après le départ de Phillip, le guide regarda longtemps, pensif, la silhouette de celui-ci. “ Qu’est-ce que cela signifie? Le Français est-il trafficant d'artefacts? Ou c’est un piège? S’il était natif, je penserais à une telle chose. Mais ainsi, qu’un Français vienne me faire tomber dans le piège? Peu probable. En tout cas, il semble confiant. Nous nous sommes trompés une fois, la deuxième fois, il n’y aura plus de fautes."

Il prit son portable et composa un numéro de téléphone. " Mme Duñez, s'il vous plaît. C’est une erreur? Excusez-moi! " Le message fut envoyé. Ils se réuniront ce soir et décideront ce qui devait être fait.

Phillip, à son tour, monta dans la voiture, avec un sentiment de satisfaction.

- Où allons-nous, M. Chamont? - À l'hôtel.

Le matin, à dix heures environ, Phillip de Chamont sortit

de l’hôtel Landéros, calme, tranquille, s'arrêta un instant à regarder la rue, en admirant le paysage. Un vent doux caressait les palmiers et les passants, vêtus pour la plage et qui marchaient lentement, pareil à tout homme pendant les vacances.

Habillé d’un pantalon de couleur claire, beige et d’une chemise bleue, un dossier en cuir dans la main, Phillip s’approcha de la voiture, déverrouilla la porte et monta au volant. Il démarra doucement en direction de Carrer de Barcelone et alla vers le nord pour environ dix minutes. À la cinquième intersection il vira à gauche et entra en Carrer de la Ciutat de Reus et continua sur la route C14 jusqu’à Reus. Calme, sans se dépêcher, il circula dans quelques rues, vérifiant s’il fut poursuivi et, voyant que personne ne le suivait, il se dirigea vers Les Borges. À environ cinq cents mètres avant

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d’arriver dans le petit village, il sortit de la route D420 et s'arrêta aux ruines d'une ancienne construction. Une ancienne inscription sur un pillier en métal, montrait qu'il y avait été élevé, il y a neuf siècles, la première église, après la reconquête de la terre des Maures.

Cette fois-ci, en hâte, Phillip descendit de la voiture, ouvrit le coffre et en sortit une pioche. Avec la bêche et la carte dans la main, il s’arrêta près des ruines et commença à étudier une esquisse du dossier. Puis, l’esquisse à la main, il commença à mesurer en comptant ses pas jusqu'à ce qu'il se décida où creuser.

Dans la rue, il n’y avait pas trop de circulation, donc, quand une voiture s’arrêta à côté de la sienne, il la remarqua tout de suite. Il s'arrêta du travail et, avec la bêche dans la main, prêt à se défendre, il attendit les trois hommes qui se dirigeaient vers lui. Bruns, minces, il avaient entre vingt et trente ans.

L'un d'eux s’approcha, le pistolet dans la main, l'obligeant à laisser tomber la bêche et s'arrêta près du trou que Phillip avait commencé à creuser. Les deux autres compagnons supervisaient Phillip, tandis que le premier, qui semblait être leur chef, étudia attentivement l’esquisse. Il hocha de la tête affirmativement, tandis que les deux autres s'approchèrent et l’un commença à creuser. Tout se passa dans un silence absolu. Toute la région était calme, dans une journée ordinaire comme toute autre, près du village de Les Borges. On voyait les voitures sur la route et autour d'eux, sur le champ ouvert, on n'apercevait personne. Sur la route, un tracteur venait lentement du village. Probablement que les travailleurs commençaient le travail sur le domaine. Sans attirer l'attention, le tracteur s’approcha d’eux et, contre toute attente, trois ouvriers sautèrent du véhicule en marche, avec des armes dans les mains. Dans quelques secondes, les trois hommes furent menottés par les travailleurs

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agricoles, sans opposer de résistance. Tout aussi rapidement, trois voitures de police sans emblème s’arrêtèrent à côté d’eux et ceux menottés furent montés dans ces véhicules. À la surprise de Phillip, prêt à agir afin d'aider les forces de police, dans une minute tout finit dans un silence absolu. Tout aussi rapidement qu'elles arrivèrent, les voitures de police disparurent, en trombe.

" Si je n'avais pas été présent, je n'aurais jamais cru qu’une telle chose s'est passée. Ce fut vraiment une action de la police ". Juste au moment où il voulait s’en aller, une voiture tout-terrain s'arrêta à côté de lui.

- À la promenade, docteur? La bien connue voix de l'inspecteur Dupont. Il descendit

de la voiture, souriant satisfait de la surprise qu’il fit à Phillip. - Monsieur Dupont. Je ne m'attendais pas à vous voir ici.

À quelle occasion? lui répondit Phillip de la même manière. - Avec des affaires, mais il me semble que je suis venu

trop tard. - La police espagnole a agi avec une rapidité et précision

étonnantes. Bravo à eux. - Dites-le au commissaire Alberto D'Adonsa. De la banquette arrière de la voiture sortit un homme de

taille moyenne, assez bien fait, d’une cinquantaine d'années, brun, aux cheveux riches, habillé élégamment tout comme Dupont, avec un costume marron clair.

- Voici le commissaire D'Adonsa, l’un des chefs de la police de Tarragone. Vous avez parlé au téléphone avec lui.

- Bonjour, Monsieur le commissaire. Je vous remercie pour votre confiance, affirma Phillip.

- Bonjour, Monsieur de Chamont. Je vous remercie pour votre collaboration. En fait, je voulais vous rencontrer afin de vous remercier personnellement. Mon ami Dupont a parlé en

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termes élogieux de vous, chose rare chez lui. J'espère que vous avez fini les actions policières dans notre province.

- Les actions policières, oui, je les ai terminées avec le soutien de M. Dupont et le vôtre. Mais il me reste à achever le roman sur les fantômes de Tarragone. J'espère le terminer dès que possible.

- Nous vous sommes reconnaissants pour l’intérêt envers notre histoire, docteur.

- Il n’est pas seulement la vôtre, Monsieur, c’est l'histoire universelle. En outre, la Provence et la Catalogne ont d’anciens liens par les comtes de Barcelone. Et, j'ai aimé la légende de Saint Jordi, ou, comme vous, les Espagnols la nommez, de San Jorge, tout comme la légende des deux héros de Salou. Ou Tarragone, si vous le voulez.

- Vous avez raison. Je serais impertinent si je vous demandais de me donner votre autographe sur le livre qui paraîtra?

- Avec plaisir. Nous vous tiendrons au courant par l’intermédiaire de M. Dupont. J'espère que votre enquête se déroulera bien et que vous neutraliserez le groupe de chasseurs de trésors.

- N’en doutez pas. Maintenant je vais aller au bureau. Vous êtes aimable d’emmener M. Dupont? Sa mission s'est terminée et je pense qu’il sera ravi de rentrer en France, avec vous.

- C’est la meilleure option, Monsieur. S'il le désire. - Bien sûr, leur dit l'inspecteur. J'ai la chance de voir la

station balnéaire de Salou, n’est-ce pas? - Il y a tant de choses à voir, M. Dupont.

Deux jours plus tard, Rodrigo et Phillip, en présence de

l’inspecteur Dupont et du commissaire Alberto D'Andosa, ont

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retiré d'une crypte située au-dessous des ruines de l'ancienne église de Reus, une caisse en bois pourri. Vieille de plus de trois cents ans. Sur le couvercle, on pouvait difficilement lire une inscription, écrite dans le vieux dialecte tarragonais. "Le Seigneur de Salou, cadeau de mariage pour sa chère fille Melissa et ses descendants. L’année 1670 après Notre-Seigneur Jésus-Christ. “ Les deux amis se regardèrent étonnés l’un l'autre. " Melissa? Quelle Melissa?" Rodrigo et Phillip avaient des raisons pour être confus.

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Épilogue

Comme convenu, les trois familles de Nice arrivèrent à Salou le matin du 23 juin, le jour de San Juan, le solstice d'été. Devant le jardin de l'hôtel, descendirent du bus Yvette de Chamont, Beatrice de Bercy et Mireille de Montereau, suivies de leurs maris, Phillip, Mark et Paul. Immédiatement, à la porte d’entrée firent leur apparition Isabel et Rodrigo de Landéros. Par la porte largement ouverte, on voyait l'allée qui menait à l'hôtel, bordée de fleurs magnifiques, vivement colorées, dans la gamme complète des couleurs.

S'approchant de la porte, Beatrice s’arrêta soudainement. - Regardez, nos pigeons! Au-dessus du jardin, volaient deux pigeons blancs,

brillants et dans la lumière du soleil, ils semblaient entourés d'une aura.

- Mon Dieu, ce sont eux! Yvette, à son tour, fut étonnée. - Melissa, Lopéz! les salua-t-elle de la main. En réponse, les pigeons battirent des ailes et montèrent

dans le ciel, vers le soleil. - Est-ce que vous comprenez quelque chose? la question

de Beatrice les ramena à la réalité. - De quoi s’agit-il? les demanda Isabel. Ce sont les

mêmes pigeons dont vous m’avez raconté en avril? - Certes, ils le sont. Ils nous souhaitent la bienvenue. Oh,

les chéris! En les embrassant, Isabel leur souhaita aussi la

bienvenue. - Les appartements sont prêts. Changez vos vêtements et

nous vous attendons à savourer une tasse de café. Et, surtout, je

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me réjouis beaucoup de vous revoir. Isabel, les yeux brillant de joie, exprima par son attitude ce qu'elle avait dit par les mots.

Yvette s’approcha d’elle et l’embrassa de nouveau. Par la suite, ils descendirent des appartements et se

réunirent dans le salon de l'hôtel, revigorés après une bonne douche.

- Alors, on se revoit de nouveau, nos chers amis, dit Rodrigo. C’est comme vous étiez ici hier et tant de choses se sont passées après votre départ.

- Que s'est-il passé de si important? Je suis curieux de savoir et parce que nous avons assez de temps pour t’écouter, tu peux nous le raconter.

- Plus tard. Maintenant, nous nous préparons à accueillir le solstice d'été et le jour de San Juan.

- Vous avez d’autres invités en plus de nous? L’hôtel semble plein de touristes.

- Oui, c’est le début de la saison estivale et nos touristes sont arrivés, avides de repos et de divertissement. Le programme pour aujourd'hui vous le faites tous seuls, mais à neuf heures, ce soir, rendez-vous dans la grande salle. On fête San Juan.

Le grand salon de l'hôtel était presque plein d'invités. Trois quarts du salon étaient occupés avec de grandes tables rondes et le reste, comme d'habitude, servait comme piste de danse. Un quartet était prêt pour le programme musical. La première ligne des tables était réservée pour les invités de la famille de Landéros, qui avaient commencé à faire leur apparition. En dehors des trois familles de Français, vinrent aussi l’inspecteur Dupont avec son épouse, le commissaire Alberto D'Adonsa avec sa femme et des officialités locales. Les

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autres tables étaient occupées par les touristes séjournant dans l'hôtel, tous habillés en tenue de soirée.

Tous ceux présents dans le salon regardaient confus trois tables rectangulaires, mises près du mur de la salle, à proximité de la musique. Sur celles-ci, se trouvaient rangés beaucoup de livres.

À neuf heures pile, conformément au programme, la musique annonça le début des festivités qui célèbrent la fête de San Juan. Isabel et Rodrigo de Landéros, s'approchèrent de leur table, accompagnés de deux couples d'invités. Les trois familles de touristes français restèrent bouches bées.

- Papá, mamá, dit étonné Phillip. - Papá, mamá, lui suivit l'exemple Yvette, tout aussi

étonnée. C’étaient M. et Mme de Chamont, les parents de Phillip

et M. et Mme Saullieu, les parents d'Yvette. - Mon Dieu, quelle agréable surprise. Ils se levèrent et

les embrassèrent. - Merci, Isabel, Rodrigo! La voix d’Yvette était pleine

d'émotion. Quelle joie! Et vous n’avez rien dit! - C’était une surprise pour vous. Et une réussie! leur dit

Mme Sophie de Chamont. Après que les invités s’assirent à la table, Rodrigo

s'approcha du microphone. - Nos chers invités, commença-t-il. Nous avons la joie de

participer ensemble, à deux événements importants pour nous. Le premier est la fête de San Juan, quand nous célébrons le solstice d'été. Le soleil, symbole de vie, le grand Helios commence son voyage astral sur la courbe descendante et donne le signal de la maturation des fruits de la nature et le début de leur récolte. C'est la nuit la plus courte de l'année et que nous, les habitants de cette région et pas seulement, la transformons

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dans une nuit de lumière. Après minuit, nous sortirons sur la plage, où les feux purificateurs sont allumés et on admirera le spectacle des lumières et de la musique, avec des feux d'artifices.

Mais, nous participons aussi à un autre événement, l'achèvement d'une action qui a débuté à l’occasion d’une autre fête, Diada de San Jorge, le saint patron de la Catalogne. Ce jour est le jour de l'amour, que nous célébrons en avril. Qu'est-il arrivé alors? Nous avons eu le bonheur de recevoir un groupe d'amis français, qui nous ont montré et nous montrent encore ce que cela signifie l'amour et l'amitié. Ce jour-là, ils ont entendu la légende de Saint Jorge, qui sauva une princesse du dragon. Mais, après, on leur a raconté aussi la légende d’anciens héros amoureux Melissa et Lopéz. La Légende des Fantômes de Tarragone. Nous avons convenu que notre ami, Monsieur Phillip de Chamont, écrira un livre sur les légendaires héros catalans. Au cours de la documentation, notre ami, le docteur de Chamont, a vécu une véritable aventure. Aventure qui s'est bien terminée, grâce aux forces de la police. Nous remercions les représentants de la police, Messieurs D'Adonsa et Dupont, dit Rodrigo, en inclinant la tête en direction des invités de la police.

Après les applaudissements qui ont accompagné ses mots, Rodrigo continua.

- Nous avons la joie de lancer ce soir-mȇme, le livre Les Fantômes de Tarragone, ici, où son aventure commença. Sur les tables il y a des exemplaires du livre, imprimés en espagnol, français et anglais, afin que tous les touristes le peuvent lire et profiter de son contenu. Parce qu'un livre c’est un univers, il vient du for intérieur de l'auteur et il reçoit, discrètement, le lecteur. Et, n'oublions pas que dans le livre, nous trouvons la noblesse de la connaissance. Nobilitas libris, la noblesse du livre et de la vie. La noblesse et la joie de celui qui l'a écrit, de l'âme.

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- Applaudissons alors, celui qui nous apporte la Nobilitas librum, la noblesse de ce livre.

Phillip de Chamont se leva et s'approcha du microphone, dans les applaudissements des tous ceux présents.

- Je remercie mon ami Rodrigo de Landéros pour les belles paroles que je ne mérite pas. La légende des héros de Tarragone, car celui-ci aurait dû être le titre du livre, m’a fasciné et c'est pourquoi j'ai voulu la faire connaître dans le monde entier.

Puis, avec des mots simples, émouvants, Phillip décrivit brièvement, la vie des deux héros catalans.

- Pendant la documentation, continua Phillip, je me suis demandé plusieurs fois si la vie de ces jeunes héros de légende est basée sur des faits réels et si oui, où sont leurs descendants.

Il fit une pause pour observer la réaction des invités de la salle. Ils semblaient pétrifiés, attendant ses révélations. Il y avait plus qu’une simple curiosité, c’était un véritable intérêt maifesté par tout le public. Isabel et Rodrigo, mais également les autres amis de leur table, le regardaient aussi avec un intérêt évident. Cette phrase également, fut une surprise pour eux, préparée attentivement par Phillip.

- Beaucoup des faits décrits par moi sont vrais, ils appartiennent à l'histoire héroïque du peuple de ces lieux. Sur Melissa et Lopéz, les héros principaux de la légende, je n'ai pas trouvé de documents écrits, mais j’ai de la confiance dans la mémoire populaire, qui évoque pour nous, des faits et des héros des siècles passés. Cependant, dans mes recherches, j'ai trouvé des choses intéressantes et d'autres carrément incroyables.

- Après le combat héroïque de la forêt de Vetéro, Melissa et Lopéz ne sont pas morts, comme on a compris de celles exposées par moi...

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Un soupir de soulagement et de satisfaction fut entendu dans la salle. Les invités se regardaient mutuellement avec joie.

- Oui, ils ne sont pas morts et ont été transportés, difficilement, au château. Amoureusement et attentivement soignés par ceux qui les entouraient, ils se rétablirent en moins d'un mois. Pour supprimer tout danger venant de leurs ennemis, notamment des descendants du prince Roberto, ils ont répandu la rumeur qu’ils étaient morts et ils visitaient les environs avec une apparence changée. On dit qu'ils ont parlé même avec l'archevêque et le nouveau prince de Tarragonne, qui ne les a pas reconnus.

- Je pense qu'ils ont appris alors comment utiliser leurs facultés extrasensorielles et ainsi, ils ont réussi à effrayer et à vaincre les adversaires, très superstitieux à cette époque-là. Mais, après leur mort, comment explique-t-on alors, les apparences qui leur furent conférées par les habitants? Je ne sais pas, je ne peux pas l'expliquer scientifiquement. Mais il pourrait y avoir des explications de nature paranormale, ésotérique. Il s'agit d'un autre domaine que je ne connais pas.

- Maintenant, parlons de leurs descendants, continua Phillip son exposition. Ils ont eu trois enfants, tous garçons, qui, à leur tour, ont assuré aussi bien la transmission du nom de Vetéro que de celui de Gadára. J'ai tracé le nom de Vetéro, que j'ai perdu plusieurs fois dans les brumes du temps et des événements turbulents de la péninsule. J'ai retrouvé le nom, avec certitude, accrédité par le registre national de la noblesse de Barcelone, dans l'année 1670, quand il disparut à nouveau. Mais pas pour toujours. La fille du seigneur de Vetéro, Don Alfonso, a été l’épouse d’un noble près de Zaragoza. Une étrange coïncidence, le lieu de naissance et le domaine de ce noble se trouvent à presque vingt kilomètres de...Gadára. Alors, la fille du seigneur de Vetéro, Dona Melissa de Vetéro...Oui, Dona

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Melissa, parce que toutes les filles nées dans les familles des descendants ont porté le nom de Melissa. Par conséquent, Melissa s’est mariée avec Don Miguel de...Landéros, en prenant son nom.

Un silence absolu regna dans la chambre. Mais tous connaissaient le nom de l'hôtel où ils étaient logés, Landéros.

Puis, instantanément, tous se levèrent et commencèrent à

applaudir. Rodrigo et Isabel se regardèrent l’un l'autre, éblouis. Ils

n'avaient plus de mots. Ils se levèrent comme tout le monde et eurent de la peine à supporter les regards des tous dirigés vers eux.

Au signe à la main fait par Phillip, les invités reprirent leurs places, en attendant la continuation de l'histoire.

- Je suis très heureux de leur remettre le certificat délivré par la registre nobiliaire. S’ils ont une petite fille, nos amis lui mettront le nom ...Melissa. S’ils ont un garçon, il s'appellera...Dans la salle s’entendit un nom, crié à l'unisson: Lopéz!

Puis, dans les applaudissements de tous de la salle, Phillip s’approcha de Rodrigo, lui donna un document scellé avec de la cire et l’embrassa. Il embrassa aussi Isabel.

- Je suis désolé que mes parents et grands-parents ne sont pas présents. Ils m'ont rraconté la légende des héros de Tarragone, sans savoir qu'ils étaient même leurs arrières-grands-parents. Seulement Phillip et Isabel, entendirent les paroles de Rodrigo, prononcées de l’âme.

À minuit, ils sortirent sur la plage de la mer. Pour eux, les feux sur la plage et les feux d'artifices qui allumaient le ciel, étaient comme si la voûte céleste aurait été ouverte, en leur

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éclairant le chemin. Quel chemin? Celui vers les esprits de leurs ancêtres. Esprits qui, avec nostalgie et gratitude, ils les cherchaient en regardant vers le ciel.

- Regardez, dit Beatrice, pointant vers le ciel. Deux globes lumineux, comme dans une danse élégante,

firent une rotation autour d'eux, sur le bord de la mer, en saluant la réunion, leur vraie réunion d’entre les ancêtres et leurs petits-enfants, huit siècles après. « Soyez les bien retrouvés, nos chers ancêtres. » La réponse des fantômes au chuchotement de Rodrigo fut inattendue. Dans l'air de la nuit, Melissa et Lopéz, apparurent comme deux silhouettes étincelants, heureux pour l’éternité.

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Du mȇme auteur:

* Le sceptre des Chevaliers hospitaliers, 2013, * Le Médaillon Hospitalier, 2014, * Le Chevalier de Payns, 2014, * L’Appel du Temple secret, 2015 * Saint Bernard de Clairvaux et Les Ordres de chevalerie, 2015,

* Les grandes misteries du templier Hugues,2016