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    Bernard-Marie Kolts

    Lesthtique dune argumentation

    dysfonctionnelle

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    LHarmattan, 2011

    5-7, rue de lEcole polytechnique ; 75005 Paris

    http://www.librairieharmattan.com

    [email protected]@wanadoo.fr

    ISBN : 978-2-296-56455-8EAN : 9782296564558

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    Samar HAGE

    Bernard-Marie Kolts

    Lesthtique dune argumentation

    dysfonctionnelle

    LHarmattan

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    Univers Thtral

    Collection dirige par Anne-Marie Green

    On parle souvent de crise de thtre , pourtant le thtre est un

    secteur culturel contemporain vivant qui provoque interrogation etrflexion. La collection Univers Thtral est cre pour donner la

    parole tous ceux qui produisent des tudes tant danalyse que de

    synthse concernant le domaine thtral.Ainsi la collection Univers Thtral entend proposer un panorama

    de la recherche actuelle et promouvoir la diversit des approches et

    des mthodes. Les lecteurs pourront cerner au plus prs les diffrentsaspects qui construisent lensemble des faits thtraux contemporains

    ou historiquement marqus.

    Dernires parutions

    Elise VAN HAESEBROECK, Identit(s) et territoire du thtre politique

    contemporain, Claude Rgy, le Groupe Merci et le Thtre du Radeau : un

    thtreapolitiquementpolitique, 2011.

    Franoise QUILLET, Lopra chinois contemporain et le thtre occidental,

    Entretiens avec WU Hsing-Kuo, 2011.Franoise QUILLET,Arts du spectacle, Identits mtisses, 2011.

    Emmanuelle GARNIER, Les dramaturges femmes dans lEspagne

    contemporaine, 2011.

    Franoise QUILLET, Le thtre scrit aussi en Asie (Inde, Chine, Japon),

    2011.

    Salah EL GHARBI,Yasmina Reza ou le thtre des paradoxes, 2010.

    Marjorie SCHNE, Les figures gomtriques et arithmtiques dans le

    thtre dEugne Ionesco, 2009.

    Jean VERDEIL, Lacteur et son public. Petite histoire dune trangerelation, 2009.

    Stina PALM, Bernard-Marie Kolts, vers une thique de limagination,

    2009.

    Romuald FRET, Thtre et pouvoir au XIXe

    sicle. Lexemple de la Seine-

    et-Oise et de la Seine-et-Marne, 2009.

    Johannes LANDIS,Le thtre dHenry Bernstein, 2009.

    Daniela PESLIN, Le thtre des nations, une aventure thtrale

    redcouvrir, 2009.

    Isabelle BARBERIS,Philippe Adrien, un thtre du rve veill,2009.

    Jacques JAUBERT,Moi, Caroline, marraine de Musset, 2009.

    Alexandre PAILLARD,La Diomde, 2009.

    Bernard JOUVE,La Dame du Mont-Liban, 2009.

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    IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN

    Le mythe de lcrivain sducteur au visage rimbaldien qui a entour

    Bernard-Marie Kolts survit et, prs de vingt ans aprs sa mort prcoce, ilparticipe toujours la russite notoire du dramaturge. Couronnant sesnombreuses mises en scne par son entre au r pertoire de la Comdie-

    Franaise en 2007, luvre koltsienne poursuit son ascension et suscite,dans le domaine des recherches tournes vers la dramaturgie et le champ

    dramatique, de nombreuses tudes centres sur le passage du texte sa scneou sur les traits distinctifs du texte koltsien. Bien quinterrompue au seuilde la maturit, luvre de Kolts est ressuscite car acheve1 et

    significative dans son ensemble autant que dans le dtail dune criturereconnue par Michel Vinaver comme un univers illimit dans ses

    dgagements dnergie, dans ses rsonances et ses significations2

    .Kolts affirme navoir pourtant jamais eu le projet dlaborer une

    uvre au vrai sens du terme. Pour chacune de ses pices, il dit trereparti de

    zro, dans llan dune criture qui ne cherche que le plaisir de son crateuret de son public, travers une recherche de la nouveaut, de loriginalit et

    dun dpouillement des rgles de la potique classique3. Cette potique non

    1Michel VINAVER, Pour Kolts , Alternatives thtrales. n 35-36, Kolts,

    Odon-Thtre de lEurope, revue coordonne par Anne-Franoise Benhamou avecla collaboration de Serge Saada, p.10.2

    Ibid.3Chaque fois que je commence une pice, cest comme si je recommenais zro,

    et heureusement[] Jcris des pices, les unes aprs les autres pour me faire

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    dfinie est au centre dtudes dramatiques : lespace, le temps, la fable sont

    au cur de nombreuses recherches qui se hasardent peu dans linvestigationdu champ du personnage, lment pourtant central llaboration dune

    potique1. Paradoxalement, au niveau de la thmatique, les tudes

    sintressent toujours, mme de manire allusive, la thmatique de lAutre

    et, corrlativement, celle de la solitude, attestes toutes deux comme lesconstantes du thtre koltsien.

    Dun autre ct, les contraintes spatiale et temporelle ont tourment,

    il est vrai, le jeune Kolts mais elles ont vite disparu pour laisser place lacontrainte de la parole sur laquelle sest centr lessentiel du travail

    dramaturgique koltsien.

    Jaime bien crire pour le thtre, jaime bien les contraintes quil

    impose. On sait, par exemple, quon ne peut rien faire dire par un

    personnage directement, on ne peut jamais dcrire comme dans leroman, jamais parler de la situation, mais la faire exister. On ne peut

    rien dire par les mots, on est forcde la dire derrire les mots2.

    Lensemble de la situation dramatique nat du rapport quentretient le

    langage avec laction. Le thtre cest laction, et le langage-en-soi,finalement, on sen fiche un peu. Ce que jessaie de faire comme une

    synthse cest de me servir du langage comme dun lment de laction 3

    avance Kolt

    s. Cest pourquoi, dans son

    uvre, la parole prend rapidementle dessus. Relguant les autres composantes du thtre un statut secondaire

    et accordant la potique une libert totale, lauteur se dfait de toutes leslois de la scne et spare le texte, primordial, de la reprsentation. Au cours

    dun entretien sur les origines de ses pices, Kolts souligne que son projet

    plaisir et faire plaisir au public. Mon seul critre, cest que le public les aime

    aujourdhui signale KOLTES dans un entretien accord au Rpublicain Lorrain, le

    27 octobre 1988, repris dans Une part de ma vie. Entretiens (1983-1989), ditionsde Minuit, 1999, p. 120. Franois REGNAULTavance, ce sujet : Kolts composait

    ses pices autant que Racine, simplement pas selon les mmes rgles []. Je tiens

    donc que son thtre est tonnamment nouveau par le dcentrement essentiel quil a

    tent dans la composition de chacune de ses pices , Passage de Kolts ,

    Nanterre-Amandiers. Les annes Chreau 1982-1990, collection Le Spectateur

    franais , Imprimerie Nationale-ditions, 1990, repris dans Thtre Aujourdhuin5, Kolts. Combats avec la scne, CNDP, 1996, p. 186.1

    La question du lieu a notamment suscitde nombreux travaux. Kolts. La question

    du lieu est le titre significatif des Rencontres Bernard-Marie Kolts dont les Actes

    ont paru en 2001, dits par AndrPETITJEAN, CRESEF. Cette mme anne parat LHarmattan louvrage de Marie-Paule SEBASTIEN intitul Bernard-Marie Kolts et

    lespace thtral.2

    Bernard-Marie KOLTES,Une part de ma vieop. cit., p. 13.3

    Ibid., p. 32.

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    est dcrire un texte lire et un texte jouer. Jai pens[ajoute-t-il] que le

    texte de thtre ne devait pas obligatoirement ntre quun matriau pour unspectacle, mais pouvait tre lu, comme un roman, si on sattachait luidonner une forme lire. Cest ce que jai tchde faire

    1.

    Cest pourquoi notre travail sancrera essentiellement dans le texte

    dramatique. En dautres termes, nous nous fonderons sur le dialogue qui,depuis Aristote jusquHegel, constitue llment dramatique primordial.

    [] cest le dialogue qui reprsente le mode dexpressiondramatique par excellence. Cest en effet par le dialogue seulement

    que les individus en action peuvent rvler les uns aux autres leur

    caractre et leurs buts, en faisant ressortir aussi bien leursparticularits que le ct substantiel de leur pathos, et cest

    galement par le dialogue quils expriment leurs discordances et

    impriment ainsilaction un mouvement rel2.

    Partant de cette parole qui agit, nous tenterons de mieux apprhender le

    personnage koltsien dfini par son dialogue. Dans une lettre adresse

    Hubert Gignoux, et la veille de son entre dans la carrire thtrale, Kolts

    dvoile sa propre conception des rapports interhumains et du fonctionnementdu personnage dans son thtre :

    Lensemble d

    un individu et l

    ensemble des individus me sembletout constitu par diffrentes puissances qui saffrontent ou se

    marient, et dune part lquilibre dun individu, dautre part lesrelations entre personnes sont constitus par les rapports entre ces

    puissances. Dans une personne,ou dans un personnage, cest un peu

    comme si une force venant du dessus pesait sur une force venant du

    sol, le personnage se dbattant entre deux, tantt submergpar lune,

    tantt submerg par lautre. [] Dans les rapports entre lespersonnes, cest un peu comme deux bateaux poss chacun sur deux

    mers en tempte, et qui sont projets lun contre lautre, le chocdpassant de loin la puissance des moteurs3.

    Individus et allgoriques par leur origine singulire, les

    personnages koltsiens sont des puissances idologiques qui saffrontent, etleur affrontement na lieu quautour de lunique constante quest leur parole.

    1Ibid., p. 48.

    2

    HEGEL,Esthtique(1953), Textes choisis et prsents par Claude Khodoss, PressesUniversitaires de France, 12

    edition, 1988, p. 146.

    3Bernard-Marie KOLTES, lettre datant du 7 avril 1970, parue dans Squence 2,

    Thtre national de Strasbourg,Dossier Bernard-Marie Kolts. De Strasbourg

    Zucco , 1er

    semestre, 1995, p. 13.

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    Mes personnages parlent beaucoup, cest lunique moyen dont ils

    disposent, il faut sen servir au maximum 1

    avance Kolts. Ce quil prfremontrer, ce sont justement les chemins ou les projections qui mnent au

    choc fatal plus que lactualisation de la collision, les sources plus que le

    conflit lui-mme.

    Une bagarre nest pas simplement faite dun poing sur la gueule;elle suit aussi les trois mouvements logiques de lintroduction, du

    dveloppement et de la conclusion. Cest cette construction forte etces rapports forts qui mritent dtre raconts au thtre, des

    histoires de vie et de mort. Les bagarres permettent de voir dans

    quelles limites on se trouve, par quels obstacles la vie se voit cerne.On est confront des obstacles cest cela que raconte le thtre2.

    Il fait ainsi talage des mcanismes qui mnent deux individus se battre enmaniant avec subtilit lart de cette stratgie relationnelle

    3du pr-

    combat. Kolts souligne en ce sens qu[] un dialogue ne vient jamais

    naturellement. Je verrais volontiers [dit-il] deux personnes face face, lune

    exposer son affaire et lautre prendre le relais. Le texte de la seconde

    personne ne pourra venir que dune impulsion premire. Pour moi, un vraidialogue est toujours une argumentation [] 4.

    Ces propos du dramaturge convergeant tous vers une parole

    argumentative constituent lhypoth

    se de base de notre r

    flexion. Si lestudes portant particulirement sur l argumentativit de la parole

    koltsienne sont rares, certaines schafaudent sur cette dimensionargumentative du dialogue koltsien sans chercher lexaminer de plus prs

    ou lapprofondir. Ainsi Donia Mounsef, dans son ouvrage Chair et rvoltedans le thtre de Bernard-Marie Kolts considre-t-elle les pices

    koltsiennes comme des duels du logos, des systmes dargumentation 5.

    Selon Patrice Pavis, les protagonistes koltsiens sont des abstractionslogiques charges de marquer la progression dune argumentation6, ils sont

    des machines raisonner et convaincre, se dfendre et contre-attaquer

    1Bernard-Marie KOLTES, Des histoires de vie et de mort , entretien avec

    Vronique HOTTE,Thtre/Publicn84, novembre-dcembre 1988, p. 109.2

    Bernard-Marie KOLTES,Une part de ma vieop. cit., p. 134.3

    Patrice CHEREAU dans un entretien pourLes inrockuptibles n 31, 8-14 novembre

    1995, p. 65.4Bernard-Marie KOLTES,Une part de ma vieop. cit., p. 23.

    5Donia MOUNSEF, Chair et rvolte dans le thtre de Bernard-Marie Kolts,

    LHarmattan, collection Univers thtral, 2005, p. 83.6

    Patrice PAVIS,Le thtre au croisement des cultures, JosCorti, 1990, p. 100.

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    [qui se] rpondent argument par argument selon les rgles dun trait de

    logique ou de droit 1.

    Largumentation est considre, dans le champ des investigations

    sur lcriture koltsienne, comme un principe, voire un quasi-axiome. Bien

    que Kolts ait lui-mme utilisun lexique argumentatif pour caractriser ses

    dialogues, ne faudrait-il pas sinterroger le bien-fond de ces dires parfoisexcessifs. Lobservation dchantillons dchanges koltsiens permetdexaminer le fonctionnement du dialogue qui semble effectivement

    argumentatif, dans le sens le plus commun du terme. Toujours est-il que,mme pour un observateur non-averti, ces argumentations apparaissent

    comme non-correctes , dsquilibres, voire dysfonctionnelles.

    Or, par son rapprochement du mimtisme, le thtre koltsien

    propose une parole-reflet du langage naturel, des personnages qui

    interagissent et se parlent comme si ctait vrai 2. Dans ces conditions, etpar opposition au texte romanesque, le texte thtral se laisse analyser sans

    rsidu les didascalies exceptes comme une squence structure de

    rpliquesprises encharge par diffrents personnages entrant en interaction,

    cest--dire une espce de conversation 3. En ce quil est le fruit dune

    production littraire, le thtre prsente ostensiblement, en une mise enabyme, le fonctionnement du genre premier quest la conversation,

    reproduisant autant que faire se peut le naturel conversationnel, car le

    dialogue th

    tral peut mimer limprovisation, il peut produire des effets-de-spontanit

    4. Reste toutefois que

    le langage crit, lui, est donn rectifi; sil est livr au lecteur cest

    quil est jug, par son auteur du moins, dot dune certaineperfection que le langage parl, tout spontan, ne possde gure.

    [Or] aprs avoir constat des faits aussi vidents, on conoit que, lencore, il y a le choix pourlauteur dramatique: il peut tirer certainseffets de cette improvisation imparfaite quest tout langage parl; il

    peut au contraire, par une sorte de convention, faire parler sespersonnages sans fautes et sans lapsus5.

    1Patrice PAVIS,Le thtre contemporain. Analyse des textes, de Sarraute Vinaver,

    Nathan, 2002, pp. 82-83.2

    Jean-Pierre RYNGAERT, Introduction lanalyse du thtre (Bordas, 1991),

    Dunod, 1999, p. 88.3

    Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, Pour une approche pragmatique du dialogue

    thtral ,Pratiquesn

    41, mars 1984, p. 47.4Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, Dialogue thtral vs conversations

    ordinaires,Cahiers de praxmatique n26, Les mots de la scne, 1996, p. 34.5

    Pierre LARTHOMAS,Le langage dramatique. Sa nature, ses procds (1972), PUF,

    1re

    dition Quadrige , 2001, p. 28.

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    Sans ces fautes caractristiques des conversations authentiques, lethtre revtirait une allure trop parfaite pour une reprsentation de lhumaincar si lon a pu tant se gargariser du ralisme de certains dialogues

    littraires, cest la faveur dune mconnaissance totale de lavraie nature du

    dialogue ordinaire.1

    Les imperfections du langage ordinaire apparaissentdans le texte dramatique sous deux aspects opposs : souci de mimtisme et

    de ralisme dune part, et produit dlaboration de lauteur dautre part, elles

    ne peuvent tre que dlibres, participant de la stylisation de la langue etpar consquent dune laboration esthtique dramaturgique.

    Mettre entre parenthses le sujet crivant me parat impensable. Il

    faut au contraire mettre fortement laccent sur lcriture en tant que

    pratique spcifique. Lcrivain est celui qui cre une langue: ce que

    Barthes a appel un idiolecte. Et cela nest absolument pascontradictoire avec le projet dune langue populaire. Ou, plutt, cest

    une contradiction productive2 !

    Il sagit justement de cette transmutation du matriau conversationnel, de

    cette diffrence dorganisation du matriau, puisque derrire le dialoguethtral existe un auteur dont la fonction est de prordonner les squences

    dialogues, de manifester des intentions, dorganiser le discours des

    personnages en fonction dun objectif supr

    me: communiquer avec lesspectateurs

    3.

    En ce qui concerne lcriture koltsienne, elle a ceci de particulierquelle offre, aux dires du dramaturge, dans un style qui se veut naturel ,

    une transcription de dialogues quasi-rels :

    Jai limpression dcrire des langages concrets, pas ralistes, maisconcrets []. Jcris comme jentends les gens parler, la plupart dutemps, et je ne sais pas trop comment cest fabriqu, je ne suis pas

    un thoricien4

    .

    1Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, Pour une approche pragmatique du dialogue

    thtral op. cit., p. 55.2

    Propos de Michel DEUTSCH constatant la rduction ontologique du dploiement

    dun langage thtral infailliblement mimtique, cits par Jean-Pierre SARRAZAC,Lavenir du drame. critures dramatiques contemporaines, prface de Bernard

    Dort, ditions Aire Thtrale, Lausanne, 1981, p. 126.3

    Jean-Pierre RYNGAERT, Introduction lanalyse du thtreop. cit., p. 94.4

    Bernard-Marie KOLTES,Une part de ma vieop. cit., p. 21.

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    Mais le dramaturge avoue galement qu il passe un temps norme

    couper dans le texte 1. Et de fait, on ne dialogue pas au thtre comme

    dans la vraie vie, et il ne faudrait surtout pas prendre ces simulations

    fabriques pour des reproductions parfaitement mimtiques des changes qui

    ont lieu dans la vie ordinaire 2.

    Partant de ce que le dialogue koltsien se dfinit comme une

    argumentation, lanalyse du fonctionnement ou dysfonctionnement

    delactivit argumentative dans le thtre koltsien semble lgitime. Ilsagira de proposer une lecture des dysfonctionnements de largumentation

    koltsienne, lesquels participent llaboration esthtique de luvre et,

    partant de la parole dysfonctionnelle, dessayer de retracer les liens entrecelle-ci et les autres constituants de luvre. Nous tenterons, travers

    lexamen de cette parole, de retrouver dans quelle mesure elle permet

    dapprhender, un niveau plus gnral, lcriture koltsienne dans sonrapportluvre et au rel et, par extension, dans son rapport son crateur.

    Le point de dpart thorique pour ltude de largumentation qui servira derserve pour lanalyse que nous nous proposons est double: nous

    examinerons largumentation travers, dune part le prisme de la rhtoriqueet, dautre part, celui de la linguistique pragmatique. Plus quun choix, la

    premire approche semble tre un impratif, la rhtorique tant cette

    institution bi-millnaire dfinissant lart de persuader en discours 3

    et la

    source des disciplines qui se tissent autour de la notion dargumentation. Parailleurs, Kolts, en bon lve des Jsuites, est nourri de la littrature

    humaniste et matrise parfaitement la rhtorique classique en ce quelle sert persuader, affronter, lier et combattre. Son thtre sera ds lors le terrain

    dinvestissement de son savoir des rgles qui rgissent les affrontementsverbaux tablies avec le dveloppement de lart oratoire depuis les Anciens4.

    Lapproche pragmatique, quant elle, se situe dans une continuit et unecomplmentarit de la rhtorique en ce quelle offre un ensemble derecherches qui abordent le langage en plaant au premier plan lactivit des

    sujets parlants, la dynamique nonciative [et] la relation un contextesocial5 , rappelant ainsi de manire spculaire la dfinition aristotlicienne

    1Ibid.

    2Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, Pour une approche pragmatique du dialogue

    thtral op. cit., p. 47.3

    Gilles DECLERCQ, Lart dargumenter. Structures rhtoriques et littraires,

    ditions Universitaires, 1992, p. 7.4

    Un rcent ouvrage dAndrJOB, intitulKolts. La rhtorique vive, Hermann, dit

    en 2008 mais paru en mars 2009, se penche sur la rhtorique dune pice unique deKOLTES,Dans la solitude des champs de coton, et il sinterroge sur le rapport entre

    la parole des protagonistes et le modle de la sophistique antique.5

    Dominique MAINGUENEAU,Lanalyse du discours,Hachette, 1991, p. 11. Philippe

    BLANCHET avance dans La pragmatique dAustin Goffman: Les anciens

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    dune rhtorique qui met profit les preuves administres par le moyen du

    discours [qui] sont de trois espces : les premires consistent dans lecaractre de lorateur; les secondes, dans les dispositions o lon metlauditeur ; les troisimes dans le discours mme, parce quil dmontre ou

    parat dmontrer1.

    Les approches socio-linguistiques du langage tentent de sepositionner face largumentativit des discours et de dfinir lextension

    que revt le terme argumentation. Dans Largumentation dans le discours,

    Ruth Amossy se place dans la ligne de Christian Plantin et distingue la

    dimension argumentative du discours de sa vise argumentative selon

    un degr graduel dargumentativit . Car la simple transmission dun

    point de vue sur les choses, qui nentend pas expressment modifier lespositions de lallocutaire, ne se confond pas avec lentreprise de persuasion

    soutenue par une intention consciente et offrant des stratgies programmes

    cet effet 2. En ce sens, la conversation quotidienne, les rcits de fiction,les dialogues de thtre, sils ne sont pas porteurs dune vise argumentative

    distincte demeurent dots dune dimension argumentative inhrente tout

    discours3.

    Bien que lensemble de luvre koltsienne soit dun intrt certainpour une analyse argumentative du dialogue, nous limiterons notre corpus,

    dans un souci de pertinence avec lhypothse dune vise esthtique des

    effets de langue, aux pi

    ces enti

    rement personnelles et reconnues comme

    rhtoricienstaient dj des pragmaticiens. Ils rflchissaient aux liens existant entrele langage, la logique (notamment argumentative) et les effets du discours sur

    lauditoire, p. 10, cit par Ruth AMOSSY, Largumentation dans le discours.

    Discours politique, littrature dides, fiction, Nathan Universit, 2000, p. 15.1

    ARISTOTE, Rhtorique, Gallimard, textes tablis et traduits par Mdric Dufour,

    1991, I, 1356a.2

    Ruth AMOSSY, Largumentation dans le discours op. cit., p. 25. cet gard,Jean-Blaise GRIZE se prononce galement et affirme quargumenter dans

    lacceptation courante, cest fournir des arguments, donc des raisons lappui ou

    lencontre dune thse [] Mais il est aussi possible de concevoir largumentation

    dun point de vue plus large et de lentendre comme une dmarche qui vise

    intervenir sur lopinion, lattitude, voire le comportement de quelquun ,Logique et

    langage, OPHRYS, 1990, p. 41.3

    Dire quil y a dans toute activit discursive une dimension argumentative semble

    de prime abord recouper avec la position des linguistes Oswald DUCROT et Jean-

    Claude ANSCOMBRE selon laquelle largumentation est inhrente la langue,

    position taye dans louvrage au titre significatifLargumentation dans la langue(1983), 3

    edition, Mardaga, 1997. Cette thorie qualifie dargumentativisme

    intgral sloigne des perspectives aristotliciennes. Dans la perspective ouvertepar PLANTIN et AMOSSY, largumentation est inhrente non la langue mais

    lactivitdiscursive en contexte.

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    telles par le dramaturge dont les premires tentatives dcriture ne sont que

    des adaptations et traductions. Jai commenc crivailler en 72, et crire vraiment en 77 confirme Kolts

    1. En effet, luvre proprement dite

    est officiellement inaugure par La Nuit juste avant les forts en 1977.

    Viennent par la suiteCombat de ngre et de chiensen 1979,Quai ouestainsi

    que luvre matresse Dans la solitude des champs de coton en 1985. LeRetour au dsert et enfin Roberto Zucco terminent, en 1988, luvre trop

    rapidement acheve par le dcs du dramaturge.

    Aux deux approches adoptes pour lanalyse du fonctionnement

    argumentatif dans ces six pices correspondront deux dmarches.

    Lapproche rhtorique permettra de dlimiter le point focal dudysfonctionnement et den circonscrire le champ dans chaque pice, partir

    dune macro-analyse des squences argumentatives dominantes. Lapproche

    pragmatique viendra affiner les aboutissements premiers par une micro-analyse et procdera de manire transversale, permettant de dceler,

    chaque fois, des dysfonctionnements communs plus dune pice. Ces deuxapproches et dmarches devraient permettre, terme, de reprer les

    constantes et volutions du dialogue argumentatif koltsien. Somme toute,lattention sera porte au dialogue koltsien non en tant quargumentation-

    type fondue dans un moule prconu mais en tant quargumentation

    dlibrment dviante par rapport aux rgles qui permettent desquisser une

    d

    ontologie de lactivit

    argumentative.

    1Bernard-Marie KOLTES,Une part de ma vieop. cit., p. 150.

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    PPRREEMMIIEERREEPPAARRTTIIEE

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    Avec la naissance de la dmocratie et lordonnancement de la cit

    Athnes, la parole se veut larme substitutive la violence, par consquent lemaniement dune rhtorique argumentative simpose. La parole devient uninstrument de pouvoir face lgalit des citoyens qui dtiennent une part

    gale de souverainet. Or, si la parole argumentative est lune desconditionsde la possibilitde vivre ensemble, elle est en mme temps une menace pour

    la dmocratie.

    Comme la dmocratie, la rhtorique a un double visage. Elle a une

    face claire, lumineuse, garantie de libert citoyenne, signe de la

    possibilitqui estdonne lhomme, grce au langage, dagir sur lesinstitutions quil a choisi de se donner. Mais elle a aussi une face

    sombre, dangereuse, o la libert de parole se retourne contre elle-mme, par la sduction, la manipulation, la pression1.

    Distinguant la bonne de la mauvaise rhtorique, Platon dnonce,dans un dialogue entre Socrate et Gorgias, cette rhtorique malfaisante,

    trompeuse, basse, indigne dun homme libre, qui produit lillusion par des

    apparences, par des couleurs, par un vernis superficiel et par des

    toffes

    2

    ,qui nest ni pistm ni techn3. Il lui oppose une psychagogie en qute du

    vrai, qui ne manipule pas parce quelle recherche le Juste et le Bien. Labonne rhtorique nutilise pas de faux-semblants ou des grimages

    inauthentiques qui masqueraient le vrai sens des choses 4.

    Ancien disciple de Platon, Aristote qui avait condamnla rhtorique

    comme art du mensonge finit par percevoir la ncessitde cette pratiqueoratoire au point dlaborer, dans sa Rhtorique, une techniquedargumentation fonde, cette fois-ci, sur le vraisemblable.

    Il est clair quon peut aussi en ces matires tracer une mthode. Si,

    en effet, le but est galement atteint par ceux que guide uneaccoutumance et ceux qui vont au hasard, on peut en rechercher

    1Emmanuelle DANBLON, Argumenter en dmocratie, ditions Labor, coll. Quartier

    Libre, Bruxelles, 2004, p. 7.2

    PLATON, Gorgias, in Protagoras et autres dialogues, texte tabli et traduit pasAlfred Croiset, avec la collaboration de Louis Bodin, Les Belles Lettres, Gallimard,

    1984, 465b.3

    Ibid., 463a.4

    Citpar Emmanuelle DANBLON,op. cit., p.16.

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    spculativement la raison; or, cest l, tous en conviendront

    maintenant, la fonction duneTechnique1.

    En dfinissant la rhtorique comme ce qui a pour objet un

    jugement (en effet, lon juge les conseils, et la sentence dun tribunal est un

    jugement) 2

    , Aristote distingue les discours en fonction de leur objet et deleur auditoire.

    Or, il faut ncessairement que l'auditeur soit spectateur ou juge, etque le juge prononce ou sur le pass ou sur l'avenir ; celui qui

    prononce sur l'avenir, c'est, par exemple, le membre de l'assemble ;

    celui qui prononce sur le pass, le juge ; celui qui prononce sur le

    talent de l'orateur, le spectateur ; il y a donc ncessairement trois

    genres de discours en rhtorique : le dlibratif, le judiciaire,

    l'pidictique3.

    Or, il ne faut rien persuader dimmoral 4 dira Aristote, rejoignant le

    Socrate du Gorgias. Et pourtant, rhtorique nest pas morale . Cest

    en ce sens que Mdric Dufour rappelle que la technique rhtorique est

    concevoir dans le champ de lamoralisme 5, savoir le domaine de ce qui

    est neutre, tranger au domaine de la moralit parce quil faut tre apte

    persuader le contraire de sa thse 6

    si lon veut, comme les Sophistes,

    vaincre sur le terrain verbal. Amoralisme ou immoralisme ? La rh

    toriquelongtemps dlaisse et condamne a aujourdhui regagn sa place avec desthoriciens tels le juriste Cham Perelman qui sest penchsur la question delexistence dune logique des jugements de valeur rejoignant par l

    laffirmation aristotlicienne selon laquelle, dans la nature des choses, lejuste prime sur linjuste.

    Comment peut-on raisonner sur des valeurs ? Existent-ils desmthodes rationnellement acceptables permettant de prfrer le bien

    au mal, la justice linjustice, la dmocratie la dictature? [] Lesjugements de valeur primitifs, les principes de la morale et de toute

    1Ibid., I, 1, 1354a.

    2Ibid.,II, 1, 1377b.

    3Ibid.,I, 2-3, 1358a-1358b.

    4Ibid., I, 1, 1355a.

    5Elle [la rhtorique] ne peut combattre limmoralit quen la connaissant, faire

    adopter le pour quen pntrant tous les secrets du contre ; bref, elle doit tre apte

    conclure dans les deux sens contraires, en sorte que la rgle est non paslimmoralisme, renversement de la morale reue, mais lamoralisme, indiffrence

    provisoirelgard de limpratif, introduction de Mdric Dufour laRhtoriquedAristote.6

    ARISTOTE,Rhtoriqueop. cit.,I, 1, 1355a.

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    conduite, seraient-ils purement irrationnels, expressions de nos

    traditions, de nos prjugs et de nos passions ?[] il nexistait pasde logique spcifique des jugements de valeur, mais [] ce quenous cherchions avait t dvelopp dans une discipline trs

    ancienne, actuellement oublie et mprise, savoir la rhtorique,

    lancien art de persuader et de convaincre. [] Nous constationsque, dans les domaines oil sagit dtablir ce qui est prfrable, cequi est acceptable et raisonnable, les raisonnements ne sont ni des

    dductions formellement correctes, ni des inductions, allant duparticulier au gnral, mais des argumentations de toute espce,

    visant gagner ladhsion des esprits aux thses quon prsente

    leur assentiment1.

    Ces argumentations de toute espce ont permis lmergence de

    nombreuses tudes centres sur les divers aspects de largumentation et leurarticulation avec lthique qui semble tre une ncessit vitale

    lexistence de largumentation2. Suite la dfinition perelmanienne de

    lactivit argumentative comme un ensemble de techniques discursives

    permettant de provoquer ou daccrotre ladhsion des esprits aux thses

    quon porte leur assentiment 3, de nombreuses dfinitions et variantes ont

    vu le jour. Nanmoins, philosophes, linguistes et sociologues gardent

    gnralement une attitude ambigu lgard de cette activit langagire

    quils confrontent

    des pratiques discursives sophistiques telles le dialoguepolmique, la manipulation, le discours du sducteur, la dialectique ristique

    et tant dautres.

    Au thtre, plus particulirement dans la tragdie classique fondesur un procs entre deux causes opposes, le discours slabore dans un

    moule dlibratif, qui met en relief la ncessit, pour les protagonistes, de

    prendre telle ou telle dcision en fonction des consquences qui enadviendraient. Aron Kibdi-Varga expose et discute dans son ouvrage

    1Cham PERELMAN, Lempire rhtorique. Rhtorique et argumentation, Librairie

    philosophique J. Vrin, 3e

    tirage, 1997, avant-propos, pp. 8-10. Les limites de la

    rhtorique sont dailleurs dessines depuis ARISTOTE. Situe dans le cadre de la

    polis, ellenest pensable que [] partir du moment oles groupes humains sont

    constitus autour de valeurs symboliques qui les rassemblent, les dynamisent et les

    motivent , Georges MOLINIE,Dictionnaire de rhtorique, Le Livre de poche, Paris,

    1992, p. 5.2

    Philippe BRETON, Largumentation dans la communication op. cit., p. 17,argumenter, cest savoir se restreindre au nom dunethique .3

    Cham PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, (1958), Trait delargumentation. La nouvelle rhtorique, ditions de lUniversit de Bruxelles,

    Bruxelles, troisimedition, 1976, p. 5.

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    Rhtorique et littrature1 les liens entre rhtorique et thtre et en vient un

    premier constat : dans la perspective rhtorique, le texte dramatique estdfini comme une suite de discours faits dans lun ou lautre des trois genresrhtoriques distingus par Aristote. De ce fait, nous recourrons, dans cette

    premire partie du travail, aux paramtres discursifs permettant de

    reconstituer la rhtoricit du dialogue koltsien. Envisageant les donnes dela rhtorique cette premire partie examine les pices de lauteur par

    binmes. Le classement, ni chronologique ni thmatique, nest nullement

    arbitraire : les critres retenus sont au niveau des paramtres rhtoriquesconsidrs dfectueux ou dysfonctionnels.

    Le premier chapitre, ou binme, propose dexaminer lhybridation

    des genres oratoires dans Le Retour au dsert et Combat de ngre et dechiens o le judiciaire luvre dans les affrontements permet une

    confrontation des personnages-puissances koltsiens. Le deuxime

    binme est constitu de Quai ouest et de La Nuit juste avant les forts,pices dans lesquelles les protagonistes dploient leur unique arme, le

    langage, qui fait osciller leurs affrontements en changes sophistiquesvoluant entre sduction et manipulation. Dans la solitude des champs de

    cotonet Roberto Zucco, le dernier couple de pices, met en jeu la questiondelopinion commune, laquelle joue un rle essentiel en tant que fondement

    de largumentation. La reconstruction idiosyncrasique de paramtres

    discursifs remet en question la validit de des changes. Les univers

    discursifs ainsi mis en place, travers un m

    tadiscours d

    nonciateur dans lapremire pice et travers une argumentation chorale dans la seconde, sontrvlateurs dune vision ontologique koltsienne largie du tragique dans

    le thtre du XXe sicle et dans la socit contemporaine, socit victime

    dune dconstruction du monologue et dune dissolution de lacommunication.

    1Aron KIBEDI-VARGA, Rhtorique et littrature. tudes de structures classiques

    (1970), paru aux ditions Klincksieck, 2002.