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A-t-on besoin de compétence pour travailler ? Jacques MERCHIERS Résumé. L’usage de la notion de compétence, qui se répand, ne doit cependant pas masquer les problèmes que soulève cette notion. On ne peut non plus se contenter d’en stigmatiser son usage. Cet article pré- sente à ce propos quelques réflexions issues de la sociologie. Tout d’abord de la sociologie du travail qui propose une analyse de la com- pétence à la lumière de sa notion centrale, la qualification. Puis de certaines orientations sociologiques plus générales mettant en doute l’existence des compétences. Pour, finalement, suggérer une vision plus réaliste des compétences en se gardant toutefois d’en étendre in- considérément le champ. Summary p. 71. Resumen p. 71. A border le thème de la compétence au travail revient à se plon- ger dans un débat passablement virulent. La notion de com- pétence est extrêmement controversée aussi bien du point de vue de son intérêt théorique que de celui de ses usages dans le monde du travail. Cet article tente d’apporter de la clarté dans le débat actuel sur la compétence. Il le fait d’un double point de vue. En exposant les différentes doctrines professées par la sociologie à son propos et tout d’abord celles qui se situent dans le champ de la sociologie du travail. En examinant, d’un point de vue plus conceptuel et sémantique, les difficultés qu’éprouvent ces doctrines à rendre compte de la com- plexité de cette notion. En adoptant cette double approche, je voudrais montrer qu’on ne peut se contenter de tenir sur la compétence un discours visant à la 43 Débat

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A-t-on besoin de compétencepour travailler ?

Jacques MERCHIERS

Résumé. L’usage de la notion de compétence, qui se répand, ne doitcependant pas masquer les problèmes que soulève cette notion. On nepeut non plus se contenter d’en stigmatiser son usage. Cet article pré-sente à ce propos quelques réflexions issues de la sociologie. Toutd’abord de la sociologie du travail qui propose une analyse de la com-pétence à la lumière de sa notion centrale, la qualification. Puis decertaines orientations sociologiques plus générales mettant en doutel’existence des compétences. Pour, finalement, suggérer une visionplus réaliste des compétences en se gardant toutefois d’en étendre in-considérément le champ. Summary p. 71. Resumen p. 71.

Aborder le thème de la compétence au travail revient à se plon-ger dans un débat passablement virulent. La notion de com-pétence est extrêmement controversée aussi bien du point de

vue de son intérêt théorique que de celui de ses usages dans le mondedu travail. Cet article tente d’apporter de la clarté dans le débat actuelsur la compétence. Il le fait d’un double point de vue. En exposant lesdifférentes doctrines professées par la sociologie à son propos et toutd’abord celles qui se situent dans le champ de la sociologie du travail.En examinant, d’un point de vue plus conceptuel et sémantique, lesdifficultés qu’éprouvent ces doctrines à rendre compte de la com-plexité de cette notion.

En adoptant cette double approche, je voudrais montrer qu’onne peut se contenter de tenir sur la compétence un discours visant à la

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stigmatiser ou au contraire à en justifier tous les usages, mais qu’il faut plu-tôt tenter d’expliquer l’origine et la nature des difficultés que l’on éprouvevis-à-vis de cette notion qui fait maintenant partie de notre vocabulaire surle travail. Lorsqu’on introduit un terme du langage commun dans l’analysesociologique, on amène souvent avec lui toutes les prénotions et les liai-sons conceptuelles implicites que ce terme véhicule. Le sociologue estalors exposé au danger de susciter ou de favoriser des analyses rapides etpeu détachées des intérêts des acteurs sociaux. La notion de compétenceest controversée parce que sa diffusion semble précisément correspondredans la période actuelle à de tels intérêts. C’est pourquoi il me semble utilede présenter en introduction quelques éléments de la controverse que sus-cite la notion de compétence et les raisons que l’on peut avoir d’approfon-dir l’enquête sur cette notion.

Les raisons d’une controverse

La compétence est un concept qui vient des praticiens et non deschercheurs. En ce qui concerne tout au moins ses applications dans lemonde du travail, car cette notion existe depuis longtemps dans le domainedu droit – compétence comme aptitude d’une autorité à effectuer certainsactes – et d’une certaine manière dans le langage commun pour se référerà des qualités ou capacités individuelles.

Dans sa première acception juridique, la compétence ne constituepas une qualité réelle d’un sujet concret qui lui permettrait d’effectuer desactions spécifiques en raison de la possession de cette qualité – comme parexemple la force physique permettant de soulever un poids très lourd –mais une propriété d’une institution. Qualifier ce type de propriété de sym-bolique n’apporte pas beaucoup d’intelligibilité. Par contre, il faut remar-quer que cette propriété est attribuée en général à l’institution par une autreinstitution ou une autre entité du monde social. La compétence d’un juge àeffectuer certains actes d’instruction et non d’autres lui est attribuée par ledroit matérialisé sous la forme d’un code. Si l’on changeait un article de cecode, sa compétence en serait modifiée. Un tel changement aurait sa sourceà l’extérieur de l’entité à laquelle la compétence est attribuée et ne dépen-drait pas de modifications internes à cette entité. Le juge peut vieillir sansque sa compétence juridique change. Ce type de compétence constitue lemodèle de la compétence attribuée. Certaines doctrines sociologiques sou-tiennent que toutes les compétences sont attribuées de sorte que les chan-gements de l’agent n’auraient aucun effet sur ses compétences. Si l’on

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poussait à l’extrême cette conception, on ne pourrait accepter que les chan-gements individuels, aussi bien psychiques que cognitifs, puissent jouer unrôle quelconque dans l’évolution du travail.

Au contraire, dans une acception plus commune, la notion de com-pétence est liée à l’agent et permet de donner un rôle au changement indi-viduel. L’agent peut acquérir une compétence ou celle-ci peut faire partiede sa définition en tant qu’agent – au sens où la compétence linguistiqueest propre à l’agent humain. L’acquisition d’une compétence provient d’unchangement dans l’agent et non d’un changement du milieu dans lequel ilvit, car le milieu peut rester le même et l’agent changer. Les notions de su-jet et de changement sont liées et l’on peut même dire qu’en un certain sensdu terme sujet, qui ne correspond pas entièrement au sens moderne maisqui en fait partie, Aristote nous a donné une analyse logique du change-ment qui « suppose, dès le départ, un sujet qui se conserve à l’arrivée » 1.

La méfiance envers la notion de compétence qui suppose le change-ment 2 provient de sa relation conceptuelle à celle d’individu. L’analyse dutravail présentée comme l’analyse de l’activité d’individus est soupçonnéed’encourager les pratiques qui favorisent les intérêts individuels aux dé-pens des intérêts collectifs, que ces intérêts individuels soient ceux des sa-lariés de l’entreprise mis en concurrence ou qu’ils soient ceux des diri-geants recherchant par exemple la flexibilité du travail et des salaires.

La notion de compétence est maintenant utilisée pour établir de nou-veaux modes de fixation des rémunérations. Nombreux sont ceux qui pen-sent que ces nouveaux instruments de gestion jouent un rôle défavorableaux salariés parce qu’ils octroient au management des entreprises davan-tage de liberté dans la fixation des rémunérations et des augmentations desalaire. Leur raisonnement est le suivant.

Ils distinguent un mode antérieur de fixation des rémunérations,dans lequel la rémunération du salarié était fixée par des négociations auniveau des branches en tenant compte des qualifications, d’un mode danslequel la rémunération serait fixée individuellement en fonction de la com-pétence du salarié ou de sa contribution productive. Dans ce système de ré-munération fondé sur la compétence, il y aurait négociation individuelleentre un salarié et son supérieur hiérarchique, alors qu’auparavant, il yavait négociation entre des représentants syndicaux et patronaux au niveaudes branches. Lorsqu’on présente la différence de cette manière, on ne peut

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1. Cf. Bodéüs R., art. « Aristote », Gradus philosophique, GF Flammarion, p. 36.2. Pour Aristote, l’exemple typique de changement qu’il faut analyser est l’acquisitiond’une compétence montrant comment l’ignorant peut devenir savant.

qu’en déduire que le salarié est plus isolé et plus vulnérable dans le nou-veau système qu’il ne l’était dans l’ancien. Mais l’on peut douter, commeje tenterai de le montrer dans la partie suivante du texte, que cette diffé-rence, qui s’appuie sur l’opposition des qualifications et des compétences,caractérise bien la façon dont les choses se passaient dans l’ancien sys-tème. Il y avait aussi des possibilités d’individualisation des rémunérationsdans l’ancien système et le poids des accords de branche est aujourd’huiloin d’avoir disparu dans le nouveau, si bien que les différences entre lesdeux systèmes s’en trouvent fort atténuées.

La compétence est également stigmatisée pour l’usage idéolo-gique que l’on en fait dans la conjoncture économique actuelle consti-tuée en bonne partie de plans de restructuration et de suppression d’em-plois dans les entreprises. Ces changements s’accompagnent seloncertains de nouvelles exigences en termes d’activité et de compétencesqui renforcent « la pression qui pèse sur les salariés » (Le Goff, 1999,p. 14) du fait en particulier que, désormais, « l’individu porte le poids dela responsabilité de ses compétences » (ibid., p. 22). Mais, en réalité, lesconditions de travail qui sont faites à l’individu déterminent complète-ment les résultats de son activité tout en lui donnant l’illusion d’en êtrele responsable du fait de ses compétences ou de son manque de compé-tences. La compétence n’est qu’un outil idéologique jouant un rôle dansune « tentative d’intériorisation des contraintes et des normes » (ibid.,p. 21).

À ce stade de la présentation, il faut remarquer que ce raisonnementrepose sur le fait que les conditions dans lesquelles l’activité s’exerce dé-terminent son résultat. Lorsque ces conditions sont réunies, le résultat estatteint. On ne devrait pas qualifier ce résultat de performance ou manifes-tation d’une compétence propre au sujet puisqu’au contraire ce résultat nedépend pas du sujet mais de la réunion de certaines conditions sur les-quelles il n’a aucune prise. Cette conception de l’activité qui vide la notionde compétence de tout contenu sera examinée de façon plus détaillée dansla troisième partie – compétence comme étiquette.

Une autre position critique vis-à-vis de la compétence accorde aucontraire à l’individu une autonomie mais soutient que faire appel auxcompétences de l’individu, à sa créativité, à son imagination, etc., n’estqu’un moyen d’intensifier son travail et d’augmenter les pressions qui pè-sent sur lui. Pour comprendre et évaluer cette critique, il faut, je crois, la re-placer dans une analyse plus large portant sur la notion d’autonomie au tra-vail. Cette dernière notion a trait en un sens assez général à la maîtrise du

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processus de travail dont on peut penser qu’elle s’accompagne de la miseen œuvre de capacités, de compétences ou de ce qu’on appelle parfois l’in-telligence créatrice de l’être humain au travail.

Afin de présenter rapidement cette notion d’autonomie et sa relationavec les compétences, je me servirai d’un article de Thomas Périlleux(1998). L’auteur distingue deux composantes de l’autonomie, l’une en rap-port avec l’oppression dans le travail et l’autre en rapport avec l’expressionde soi dans l’activité professionnelle. Certains expriment de façon radicalecette dualité en suggérant qu’un travail divisé est toujours source d’op-pression pour l’individu et que seule une activité maîtrisée totalement parl’individu, comme le serait par exemple l’activité artistique 3, peut être qua-lifiée d’autonome parce qu’elle permet l’expression de soi.

L’auteur ne semble pas partager cette conception et lui oppose uneautre vision du travail divisé qui renvoie à la fois à une « répartition des ac-tivités entre des individus différents » et à un « morcellement de la subjec-tivité » (Périlleux, ibid., p. 23), si bien que, comme il a été observé delongue date, une telle division, poussée à son maximum, produit « un cer-tain rabougrissement de corps et d’esprit » en sacrifiant chez les tra-vailleurs « tout un monde de dispositions » 4. Il semble dès lors logique depostuler que tout accroissement de l’autonomie par réduction de cette divi-sion fera appel à des aptitudes et capacités nouvelles.

Sans vouloir intervenir sur le fond de cette controverse, il mesemble néanmoins utile de distinguer dans l’autonomie ce qui se rap-porte à l’activité et à sa répartition et ce qui est de l’ordre de l’individu.On peut juger de l’utilité de cette distinction si l’on remarque que la so-ciologie du travail, à l’âge classique si l’on peut dire – pendant la périodede reconstruction et de croissance qui suit la guerre –, s’est davantage in-téressée à l’activité qu’à l’individu dans ses analyses portant par exemplesur l’évolution des qualifications et l’accroissement de l’autonomie ou-vrière par le biais de l’enrichissement ou l’élargissement des tâches (voirinfra, 2e partie). Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles il est sidifficile de développer maintenant, pour employer une formulation fai-sant référence aux débats menés dans cette revue, « des instrumentsconceptuels et un appareillage théorique permettant d’analyser ce quifait qu’une organisation du travail est favorable à l’avènement du sujet »(Dejours, 1998a, p. 10).

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3. Selon une conception développée par Gorz que l’auteur expose, cf. art. cit., p. 23.4. L’auteur reprend ici des formulations de Marx, cf. op. cit., p. 23.

Cependant, développer l’autonomie, et avec elle les dispositions,qualités, capacités et compétences individuelles que ce développementexige, suscite des effets pervers. L’autonomie risque de « se charger denouvelles contraintes » (Périlleux, op. cit., p. 36) lorsqu’elle sert à « mettreles opérateurs sous pression » (ibid.).

Christophe Dejours formule un constat analogue lorsqu’il observeque le patronat a mis en place de nouvelles formes d’organisation de la pro-duction qui rendent le travail plus attrayant et conduisent les travailleurs às’impliquer davantage dans leur activité, à faire preuve d’intelligence, desouplesse et d’initiative. Mais, « en échange de l’enrichissement destâches, ils ont fait passer la flexibilité, c’est-à-dire une nouvelle forme dedomination du travail » (Dejours, 1998b, p. 133).

L’autonomie accordée aux travailleurs les transformerait en « entre-preneurs de leurs propres tâches » (Périlleux, op. cit., p. 31) et permettraitla définition de nouveaux critères de performance encore plus difficiles àrespecter que les anciens parce qu’ils exigent davantage d’attention, d’ima-gination ou, comme on dit souvent, de présence d’esprit et de présence à ceque l’on fait, et qu’ils font reposer le succès, mais aussi et surtout l’échec,sur la responsabilité du travailleur et non de l’organisation, d’autres tra-vailleurs ou des responsables hiérarchiques. Par un phénomène qu’onpourrait qualifier d’identification à l’employeur, cet accroissement d’auto-nomie aboutirait en fait à une intensification de leur travail dont ils seraienten partie responsables.

Sans contester la force de cette argumentation, il me semble qu’ellesous-entend cependant l’existence d’une liaison trop étroite entre autono-mie, compétence et flexibilité. On peut interpréter en effet la formulationde T. Périlleux, selon laquelle l’autonomie « se charge de nouvellescontraintes », comme une reconnaissance du fait que ces contraintes sontextérieures à la notion d’autonomie. Autrement dit, les réquisits en termesindividuels nécessaires à un accroissement de l’autonomie peuvent êtrel’occasion mais n’entraînent pas nécessairement de nouvelles contraintespesant sur les individus et ne seraient pas reliés nécessairement à une in-tensification du travail.

La question de savoir si l’élargissement et l’enrichissement destâches que l’on prend souvent comme synonymes de l’autonomie ouvrièresont liés à l’exigence de flexibilité est une question largement historique etempirique. C’est une chose de constater que la flexibilité du travail est deplus en plus recherchée par les entreprises, c’en est une autre de soutenirque cette recherche s’appuie sur la diffusion d’outils de gestion fondés sur

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les notions de compétence et d’autonomie, car bien d’autres phénomènespeuvent être à l’origine d’un accroissement de la flexibilité. Dans le cadrejuridique du passage aux trente-cinq heures par exemple, beaucoup d’en-treprises tentent actuellement de marchander une diminution du temps detravail et une création d’emplois contre un accroissement de la flexibilitéqui ne devra rien à la diffusion de la notion de compétence 5.

En outre, il y a différentes sortes de compétences. Pour prendre unexemple simpliste mais clair, le travail aux pièces exige des compétencesen matière de rapidité d’exécution qui peuvent être à l’opposé de compé-tences nécessaires à la réalisation d’un travail soigné qu’exige la tendance,grandissante depuis quelques années, à l’amélioration de la qualité des pro-duits. L’acquisition de connaissances permettant d’utiliser les technologiesnouvelles permet également d’augmenter les capacités des travailleurs. Cemode d’accroissement des compétences est bien adapté à la problématiqueen usage des qualifications dont le trait principal réside dans la séparationdu travail qualifié et du travail non qualifié, séparation objectivée par lapossession de diplômes techniques. Mais la notion de compétence tech-nique est loin de rendre compte entièrement de l’idée d’intelligence créa-trice de l’être humain au travail, bien qu’elle en saisisse quand même cer-tains aspects et qu’il n’y ait guère de sens, comme on le montrera, à vouloirs’en passer.

La notion de compétence, bien que reliée à celle d’individu, ne portepas en elle-même les conséquences néfastes qu’on lui attribue souventlorsqu’on en fait la cause de l’intensification du travail ou de la flexibilitéet du caractère arbitraire des politiques salariales. Il n’en reste pas moinsque certaines utilisations de la notion de compétence ouvrent la voie à detelles pratiques de gestion, mais l’on peut alors se demander si ces utilisa-tions sont des applications légitimes de la notion de compétence. Ces ex-plications par les compétences supposent en effet l’existence de ces com-pétences auxquelles on fait appel alors que d’autres explications, plusdirectes et moins fragiles, sont disponibles 6. Les explications par les com-pétences sont toujours fragiles parce qu’on court le risque d’imaginer descompétences pour la circonstance. L’explication par l’existence d’unecompétence n’est pas plus une explication universelle que son contraire,

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5. Certains commentateurs parlent même à ce propos d’institutionnalisation de la flexibilitédu travail, cf., dans le journal Le Monde du 02/07/99, l’article de F. Lemaître, « Le paraventdes 35 heures ».6. On peut estimer que le développement massif du chômage est à l’origine de la baissecontinue de la part des salaires dans le revenu national ces dernières décennies et que celan’a rien à voir avec les politiques salariales récentes fondées sur les compétences.

l’explication par l’illusion de la compétence, qu’attribuerait la société ouque l’un de ses membres s’attribuerait frauduleusement. Il faudrait sansdoute à chaque fois justifier ces modes d’explication, en montrant parexemple que telle compétence est indispensable à la meilleure explicationpossible, ou, au contraire, que l’existence d’une telle compétence est tropcontroversée pour apporter de la clarté dans l’analyse du phénomène. Il mesemble toutefois que si l’opérationnalité de la notion de compétence estsouvent sujette à caution, son rejet paraît aller de pair avec une conceptionqui occulte la place de l’individu dans l’organisation du travail et néglige,de ce fait, des pratiques susceptibles d’en favoriser un changementmaîtrisé.

Les relations ambivalentes entre qualificationet compétence

En sociologie du travail, un débat prenant parfois une tournure assezpolémique s’est développé récemment entre les partisans de la qualifica-tion et ceux de la compétence. Exposer les termes de ce débat, dont le ca-ractère peut-être trop franco-français provient du fait que la notion de qua-lification n’existe qu’en France alors que celle de compétence est beaucoupplus répandue ailleurs, permettra, je crois, d’entrer plus facilement dans lesproblèmes théoriques de cette notion et d’apercevoir leurs incidences pra-tiques.

Les deux modèles

La relation entre les termes de compétence et de qualification n’apas toujours été présentée comme une opposition. Historiquement, on voitapparaître cette opposition dans un texte de Philippe Zarifian (1988) quidécrivait un modèle de la compétence en rupture avec celui de la qualifica-tion. Ce texte apparaît dans un contexte où la notion de qualification sou-lève de plus en plus de problèmes. Le thème de la qualification avait étélargement abordé aux Journées d’étude de Nantes en 1987. Le rapporteursur ce thème était Claude Dubar, auteur d’un article récent (Dubar, 1996)traitant de la controverse qualification/compétence. Avant de présentercette controverse, je rappellerai brièvement les trois conceptions de la qua-lification qui avaient cours à la grande époque de cette notion.

On sait que la qualification est au centre de la sociologie du travaildepuis le début des années 1950. On trouve déjà à cette époque trois

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conceptions concurrentes de la qualification : pour les uns, c’est une pro-priété soit de l’individu, comme l’habileté professionnelle par exemple ;soit du poste, et elle est alors définie à partir d’analyses de poste par descritères de complexité, de pénibilité, de responsabilité, etc. ; enfin, pourd’autres comme Pierre Naville, la qualification n’est pas une propriétémais un rapport social qu’exprime en partie le temps de formation des tra-vailleurs. On retrouvera ces diverses conceptions tout au long de la contro-verse. Je laisserai provisoirement de côté la conception difficile de la qua-lification comme rapport social pour examiner l’objet de notre controverse.Schématiquement, la qualification doit être évaluée à partir du poste,comme le soutiennent les directions d’entreprise, ou à partir de l’individu,comme tentent de le faire admettre les travailleurs.

Alain Touraine, dans sa célèbre enquête sur l’automatisation desusines Renault en 1955, se place aussi du côté de l’individu pour définir sanotion de « qualification sociale », mais retient déjà deux traits qui l’appa-rentent, comme l’explique Claude Dubar, aux notions actuelles de compé-tence. Dans un système de machines automatisées, on ne demande plus autravailleur de faire preuve d’habileté manuelle face à une machine mais decomprendre et de maîtriser le système, et cette capacité est déterminée pardes normes de gestion qui assignent au travailleur un statut social de parti-cipant à la vie des ateliers. Or, ces deux traits, exigences cognitives géné-rales et engagement personnel, renvoient selon Dubar au modèle actuel descompétences. Je pense qu’un troisième trait renforce cette parenté. C’est lafaible importance de la dimension technique dans la définition des deuxtraits précédents. On s’éloigne des critères purement techniques qui défi-nissent le poste de travail mais aussi des connaissances techniques et pro-fessionnelles exigées par ces postes. Cette définition de la qualification so-ciale semble déjà s’éloigner du monde de l’industrie qui dominera pourtantles trente années suivantes. On pourrait presque dire que dès le début le verde la compétence est dans le fruit de la qualification.

C’est aux Journées de Nantes de 1987 qu’apparaissent certains desthèmes actuels de la controverse, avec des études de groupes profession-nels extérieurs au monde de l’industrie, les enseignants et les policiers (De-mailly, 1987 ; Monjardet, 1987). Je rappelle brièvement l’analyse qu’endonne Claude Dubar. Ces deux groupes professionnels ont ceci de com-mun qu’ils peuvent être chacun divisés en deux sous-groupes faisant réfé-rence, pour définir leur métier, l’un à la qualification et l’autre aux compé-tences. Pour exercer le métier d’enseignant, il faut posséder des titresscolaires qui sanctionnent des savoirs académiques et didactiques de na-ture disciplinaire acquis en formation initiale ou, si l’on est policier, des

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qualifications techniques résultant de la possession d’un savoir rigoureuxet précis en matière de législation et de technique policière. Inversement,les enseignants et policiers qui se réfèrent à la compétence pensent que leurmétier ressemble davantage à un art dans lequel ils mettent en œuvre desqualités personnelles et des savoir-faire empiriques et opératoires permet-tant de faire face aux situations imprévues et aux finalités diverses de leursactivités. Ces qualités essentiellement relationnelles ne peuvent s’acquérirpar une formation préalable. Elles font corps avec la personnalité des pro-fessionnels et leur permettent un engagement profond dans leur travail. Onretrouve bien, il me semble, les caractéristiques cognitives et morales dé-crites par Alain Touraine trente ans auparavant.

Vers la même époque, en 1988, Philippe Zarifian entreprend de géné-raliser aux entreprises le dualisme précédent. Il repère de nouvelles pratiquesen matière de recrutement et de gestion des carrières, qui se combinent pourfaire émerger un nouveau modèle de la compétence qui s’oppose au modèleancien de la qualification en privilégiant l’individualisation des procéduresd’avancement et l’évaluation des qualités personnelles et relationnelles audétriment des habiletés manuelles et des connaissances techniques.

Tout cela aboutit à remettre en cause l’élément central du modèle dela qualification, c’est-à-dire les grilles de classification fondées sur les qua-lifications et négociées collectivement. On voit mieux alors les raisons del’appel à la notion de compétence. Celle-ci sert, nous dit Claude Dubar, àpersonnaliser les critères de récompense et de reconnaissance sociale desindividus en tenant compte de l’intensité de leur engagement subjectif et deleurs capacités cognitives à comprendre, anticiper et résoudre les pro-blèmes de leur travail qui sont aussi ceux de leur entreprise (Dubar, op. cit.,p. 189). Pour compléter cet examen de l’opposition compétence/qualifica-tion, j’examinerai maintenant les travaux d’Élisabeth Dugué.

Une lecture radicale de la dualité compétence/qualification

À partir d’un important travail documentaire sur la notion de compé-tence (Dugué et Maillebouis, 1994a, 1994b) et d’une recherche sur les em-ployés, peu qualifiés, d’entreprises de service (Dugué, 1994), Élisabeth Du-gué radicalise certaines des conclusions de l’analyse précédente. La thèseprincipale de cette auteure est que la logique de la compétence permet auxdirections d’entreprise d’exercer sur les salariés une domination plus com-plète que celle qu’autorisait la logique de la qualification. Pour le démon-trer, elle analyse les conséquences de la diffusion de pratiques de gestion de

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la main-d’œuvre basées sur la notion de compétence. Ces pratiques boule-versent le travail dans plusieurs de ses dimensions dont deux me paraissentimportantes ici, la dimension cognitive des activités professionnelles et laconflictualité du travail salarié.

Les transformations incessantes des entreprises vers la fin des an-nées 1980 exigent une adaptation du personnel aux fluctuations perma-nentes des activités et favorisent tout ce qui peut être transféré d’un emploià un autre. On cherche de plus en plus à définir des compétences transver-sales pouvant s’appliquer à des postes différents. Mais en s’appliquant àdes postes de plus en plus différents, ces compétences transversales de-viennent aussi de plus en plus générales et décrivent donc de moins enmoins les savoirs techniques liés aux postes et de plus en plus des aptitudesgénérales au changement ou à la prise d’initiative. De telles compétencessont difficilement objectivables car elles sont « liées en propre à l’indi-vidu » et font partie du domaine de « l’être », comme l’exprime l’auteure(Dugué, 1994, p. 277) pour les opposer aux qualifications liées à la pos-session durable de diplômes et relevant de « l’avoir ». L’auteure en tire leconstat que les savoirs de métier sur lesquels s’appuyait la qualificationsont dévalorisés et même éliminés au profit des compétences personnelles.

La dimension conflictuelle du travail salarié est également touchéepar cette logique de la compétence. Les classifications résultent de négo-ciations qui expriment les rapports de force entre directions d’entreprise etsalariés, les premières tentant de baser les qualifications sur les exigencesdu poste et les seconds sur les diplômes possédés. La compétence, aucontraire, n’exprime que des transactions individuelles entre les salariés etleur poste de travail qui les incitent à se prendre pour les acteurs du chan-gement, alors qu’auparavant ils étaient clairement définis comme des su-bordonnés. Or, pense l’auteure, ce nouveau rôle est purement fictif car leschoix en matière d’organisation leur échappent toujours, si bien que la lo-gique de la compétence contribue à masquer les rapports de pouvoir quis’exercent dans le travail.

Sous les qualifications, des compétences ?

Il me semble que l’opposition des deux modèles est trop schéma-tique et ne rend pas compte d’aspects importants du travail. Avant de ten-ter de le montrer, je voudrais suggérer rapidement qu’il y a des raisons demettre en doute le caractère d’évidence du passage historique de la qualifi-cation aux compétences.

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L’article de Claude Dubar mettait en évidence le fait que les traitsprincipaux du modèle de la compétence, à savoir l’accent mis sur les capa-cités cognitives et l’engagement, apparaissaient déjà chez Alain Touraine.On peut donc se demander si cette continuité des années 1950 à nos joursn’est pas l’indice d’une permanence, malgré la domination du modèle de laqualification, de pratiques de gestion qui n’étaient peut-être pas si éloi-gnées de celles que décrit Philippe Zarifian à la fin des années 1980.

Prenons le cas des cadres. S’il existe une catégorie que l’on a tou-jours pu caractériser par l’engagement personnel envers l’entreprise, l’in-dividualisation des récompenses et la concurrence entre collègues, c’estbien celle des cadres ! À tel point que, loin d’assister aujourd’hui au déve-loppement du modèle de la compétence chez les cadres, on assisterait plu-tôt à des tentatives de remise en cause de ce modèle, finalement tradition-nel, du cadre, en raison des plans sociaux, des préretraites et des menacesde chômage qui pèsent sur cette catégorie, ou plus récemment du passageaux trente-cinq heures. Mais en ce qui concerne les catégories ouvrières,peut-on penser que leur classification était indépendante de l’intensité deleur engagement et de leurs capacités et ne dépendait que de leur qualifica-tion ? Pour éclaircir ce point, je vais d’abord examiner les procédures defixation de la classification et les rapports entre classification et qualifica-tion selon le modèle de la qualification. Puis, j’examinerai les relationsentre qualification d’une part, capacité, savoir et compétence de l’autre, enme demandant s’il est possible de parler de qualification sans faire réfé-rence aux capacités et inversement.

Qualifications et classifications

Quand on dit que les grilles de classification étaient fondées sur lesqualifications et négociées collectivement, que veut-on dire ? Il y a, jecrois, un problème général en ce qui concerne l’usage de la notion de qua-lification. La qualification renvoie à l’attitude des employeurs qui cher-chent à la définir par le poste alors que les travailleurs veulent la faire dé-pendre de leur expérience. Il en résulte un conflit entre les deux. Jusque-là,tout est clair. La qualification est un mot du débat social, comme le ditClaude Dubar, c’est-à-dire une catégorie utilisée par les acteurs pour « ra-tionaliser et argumenter leur stratégie et exprimer leurs croyances » (op.cit., p. 191). La qualification n’est pas dans ce cas la cause des classifica-tions. Mais beaucoup de recherches en sociologie du travail se servent si-multanément des trois définitions de la qualification que j’ai données pré-cédemment en ajoutant, par exemple, que la qualification est un rapport

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social, c’est-à-dire quelque chose qui existe indépendamment des théoriesdes chercheurs et qui exerce des effets sur les phénomènes de reconnais-sance salariale.

La théorie de la qualification comme rapport social a été développéepar Naville dans les années 1950 et est reprise maintenant par certains so-ciologues du travail 7. Pierre Naville cherche à donner une définition socio-logique de la qualification, et donc, selon lui, une définition en termes derapports sociaux. Tout d’abord, il rejette la qualification du poste car, sou-tient-il, il n’existe aucun moyen direct et objectif de qualifier un ensemblede postes pour des raisons purement techniques. D’un point de vue socio-logique, la qualification n’est pas une chose dépendant de circonstancestechniques, poursuit-il, mais une appréciation sociale portée sur des diffé-rences techniques, les différences entre postes de travail. La société porteun jugement de valeur sur des travaux différents et, de ce fait, produit unclassement. Ce n’est donc pas le travail qui qualifie mais la société. Cen’est pas non plus la formation qui qualifie, car il ne faut pas oublier que ladurée de formation est un indice de la qualification mais ne la déterminepas. Le temps de formation n’est pas la cause de la qualification.

Il me semble qu’on ne peut pas utiliser toutes ces définitions enmême temps lorsqu’on traite des classifications. Soit les classificationssont négociées collectivement dans des situations conflictuelles, soit ellessont le résultat de la qualification en tant que rapport social. Je vais essayerde montrer sur un exemple stylisé la difficulté des relations entre qualifica-tion-rapport social et classification.

On sait que l’un des objectifs du modèle de la qualification était dedistinguer le travail qualifié du travail non qualifié. La grille standard desannées 1950 à 1980 comportait deux catégories d’OS, OS1 et OS2, et troisd’OP, les P1, P2, P3. Ces catégories avaient des définitions très généralesafin qu’elles puissent s’appliquer dans tous les secteurs d’activité. Il fallaiten principe partout le CAP pour être ouvrier professionnel. Mais la périodedes années 1960-1975 est aussi celle des grandes grèves dans l’automobile.L’une des revendications est celle du passage au P1 pour les OS2 en fonc-tion de l’ancienneté. Les directions d’entreprise refusent ce principe géné-ral en raison du grand nombre d’OS et du bouleversement qui en résulteraitchez les professionnels, car les P1 ont vocation à devenir P2, etc. L’une destactiques des directions est de céder partiellement en posant des contraintes

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7. Cf. Stroobants 1993 pour un examen de ce renouveau auquel j’emprunte les éléments quisuivent.

fortes d’ancienneté et de formation continue ou de formation initiale, carcertains OS ont un niveau CAP ou même un CAP, ou encore de créer des ca-tégories spéciales de P1 ne jouissant pas des mêmes possibilités de promo-tion que les vrais professionnels, etc. De telles luttes sociales sur les clas-sifications n’étaient pas l’exception mais la règle dans tous les secteurs del’industrie et pour de nombreuses catégories de travailleurs, sauf les ingé-nieurs et cadres.

Ce rappel de faits largement admis montre, il me semble, que lesgrilles de classification en usage à l’époque du modèle de la qualificationévoluaient sans cesse et étaient en bonne partie le résultat de luttes so-ciales conclues par des négociations collectives. Remarquons que ces né-gociations pouvaient porter sur les effectifs d’une entreprise ou debranches entières, mais aussi, plus localement, sur des catégories aux ef-fectifs extrêmement réduits, dans un atelier par exemple où le passage auP1 était quasiment examiné au cas par cas. Mais à côté de ces actions, cesconflits, ces grèves et mouvements sociaux divers, se terminant plus oumoins bien par des négociations, y avait-il des entités particulières venanten supplément déterminer les classifications ? Si l’on répond non, on nevoit plus comment les classifications étaient fondées sur les qualifica-tions, et si l’on répond oui, il faut préciser la nature de ces entités qu’onn’aperçoit pas dans ces conflits du travail. L’une des réponses consiste àsoutenir que les relations qui déterminent la qualification, qui elle-mêmefonde les classifications, dérivent du rapport salarial qui s’impose à l’en-semble de la société (Stroobants, op. cit., p. 103). Il ne s’agit pas seule-ment de dire que les conflits naissent de l’inégalité des rapports entrel’employeur et les salariés, mais que ce rapport est à l’origine des qualifi-cations puis des classifications. Finalement, l’explication sociologique dela détermination des classifications par la qualification renvoie à quelquechose d’encore plus compliqué que la qualification, c’est-à-dire à l’exis-tence de rapports sociaux qu’il reste à expliciter et à une théorie écono-mique particulière, celle du rapport salarial. Il resterait en outre à montrercomment ce type de théorie peut expliquer également les liens empi-riques évidents que l’on observe entre classifications et luttes sociales. Detels arguments jettent, il me semble, un doute sur l’évidence de la relationde détermination entre système de classification et qualification, et peut-être même sur l’existence d’une telle relation. Si la notion de qualifica-tion ne peut servir à expliquer directement l’évolution du système de clas-sification, peut-elle au moins servir indirectement cet objectif enfournissant la matière des différences individuelles qui font l’objet declassifications ?

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Qualifications, capacités et savoirs

Un examen attentif de certains travaux antérieurs amène là encore ànuancer des oppositions que l’on a peut-être trop tendance aujourd’hui à ri-gidifier. Mireille Dadoy remarquait dans un texte provenant des actes desJournées de sociologie du travail à Toulouse en 1990, où la distinctioncompétence/qualification fut largement examinée, que la prédominance dela notion de compétence sur celle de qualification était flagrante, aussi bienchez les sociologues que dans les entreprises (Dadoy, 1990, p. 196). Ellesoutenait également que l’émergence de la notion de compétence était lesigne d’une interrogation profonde sur les deux versants de la qualificationtraditionnelle, les exigences des emplois concrets d’une part et d’autre partles capacités et les potentialités des travailleurs.

Selon cette auteure, des changements dans l’origine de l’encadre-ment sont une des raisons du développement du modèle des compé-tences. L’encadrement était en général issu du rang. Il connaissait donc letravail puisqu’il l’avait exécuté et pouvait donc évaluer les capacités destravailleurs à faire ce travail, de façon implicite mais sûre. C’était une desfonctions de l’encadrement. Avec le développement de l’enseignementtechnique, dans les années 1980, cette filière est modifiée du fait du re-crutement direct ou quasi direct sur le marché externe 8. L’accès direct auxcapacités des travailleurs est donc perdu et les employeurs cherchent à leremplacer en développant des méthodes d’analyse des compétences quin’étaient auparavant pas nécessaires. Si cette analyse est exacte, on voitque la notion d’évaluation des capacités des travailleurs était loin d’êtreabsente à l’époque du modèle de la qualification. Un autre argument peutêtre trouvé dans certaines pratiques de gestion de la main-d’œuvre nonqualifiée.

Dans les années 1960, la procédure utilisée pour fixer la classifica-tion dans les travaux de fabrication est en général la cotation par poste.Un poste comprend différentes opérations plus ou moins simples ou pé-nibles et ces opérations ont des taux de salaire différents. Mais il en ré-sulte des différences de salaire par poste. On trouve, par exemple, sur unechaîne de montage de Renault, 57 taux de salaire différents pour 170postes de travail 9. Les agents de maîtrise affectent les travailleurs sur lespostes selon leur bon vouloir. Ils savent qu’à tel poste difficile, il vautmieux affecter quelqu’un de rapide et à tel autre poste stratégique, où il

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8. P. Trouvé (Rev. Fran. Soc., avril-juin 96) apporte toutefois des restrictions à cette thèse.9. Selon une étude de J.-M. Bouguereau et P. Boullu, La crise des systèmes de classifica-tion, CAES, 1973, citée dans Merchiers (1984).

est facile d’arrêter la chaîne, il vaut mieux mettre un non-syndiqué, etc.Les travailleurs, au contraire, jugent que les postes sont similaires et quetout le monde devrait avoir le même salaire. Ils font grève à de nom-breuses reprises pour remettre en cause les principes de cotation de poste.On voit bien fonctionner sur cet exemple l’opposition entre deux prin-cipes différents de fixation des rémunérations, les principes d’engage-ment et de capacité du côté de la maîtrise et les principes revendiquant laqualification par le poste de l’autre, avec un conflit sur les critères declassification du poste.

De tels faits suggèrent qu’il y a donc dès cette époque coexistencedes deux modèles. Mais celui de l’encadrement est en quelque sorte impli-cite, puisqu’il prétend officiellement se fonder sur la cotation alors qu’ilfonctionne en réalité sur l’estimation de propriétés, d’attitudes ou de dis-positions particulières des travailleurs. Cependant, contrairement à ce quecet exemple pourrait laisser croire, le principe officiel du patronat reste àcette époque la qualification requise par les exigences du poste, alors queles syndicats tentent souvent de la faire reposer sur l’expérience et les ca-pacités des travailleurs. C’est l’opposition bien connue de la qualificationdu poste et de la qualification du travailleur. Ainsi, en 1975, l’UIMM réaf-firmait avec force le principe selon lequel les classifications découlent dela nature des postes et non des aptitudes des personnes qui les occupent(Merchiers, 1984). Elle avait besoin de réaffirmer ce principe parce qu’ilétait mis en défaut, chez Renault, par exemple, où l’on commençait à par-ler de « potentiel » de l’individu pour indiquer ses capacités à occuperd’autres postes de travail ou remplir d’autres tâches (ibid.). C’était en par-ticulier une manière de répondre aux revendications des ouvriers spéciali-sés dépourvus de diplômes spécifiques qui réclamaient le classement enouvriers professionnels en raison de leur expérience. Il fallait pouvoir gé-rer ce classement, ne serait-ce que pour les empêcher de passer massive-ment à la catégorie supérieure, et la notion de potentiel comme capacité gé-nérale à occuper des postes différents faisait l’affaire, à condition que cepotentiel soit estimé selon des critères définis par la direction et non par lestravailleurs.

Ces exemples nous suggèrent que le modèle actuel de la compétencetrouve l’une de ses sources dans une sorte de systématisation de pratiquesde gestion qui existaient à l’époque, pour pallier les défaillances du modèlede la qualification. De ce fait, au lieu d’opposer qualification et compé-tence, ne faudrait-il pas plutôt nous demander ce qui les relie et pousserl’interrogation jusqu’au point de savoir s’il est possible de les séparer sansen altérer la signification ?

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Des qualifications sans capacités ni compétences ?

Lorsqu’on compare les modèles de la qualification et de la compé-tence, on suppose la plupart du temps que ces notions n’ont besoin d’au-cune clarification, ni en tant que catégories utilisées par les acteurs, ni entant que concepts explicatifs en sociologie du travail, et l’on suppose éga-lement qu’elles sont indépendantes l’une de l’autre. Or, dans les usages quiprécèdent, ces notions sont vagues, et, lorsqu’on les examine pour elles-mêmes, elles sont beaucoup plus liées qu’il n’y paraît.

Je voudrais développer maintenant l’idée que la qualification nepeut se passer de la référence aux savoirs, savoir-faire, habiletés profes-sionnelles, capacités de toute nature, alors que ces dernières notions peu-vent être définies sans faire appel aux qualifications : si quelqu’un a telleou telle connaissance ou sait faire telle ou telle chose, cette réalité nechange pas lorsque sa qualification ou sa classification changent ou dispa-raissent. On peut exprimer cela en disant que le concept de compétence nedépend pas conceptuellement de celui de qualification. On est alorsconduit à se demander si l’inverse est vrai : peut-on définir la qualificationsans faire intervenir de notions de connaissance, de capacité, de compé-tence, etc., et cela pour les trois définitions de la qualification repérées jus-qu’ici : qualification du travailleur ou qualification acquise, qualificationdu poste et qualification comme résultante d’un rapport social ?

La qualification du travailleur fait appel à sa formation et à son ex-périence. Ce n’est que par une simplification exagérée que l’on peut fairereposer le modèle de la qualification sur le diplôme en assimilant forma-tion, qualification acquise et diplôme, ou en opposant les capacités au di-plôme comme on oppose l’être à l’avoir. La qualification acquise renvoieaussi en effet à l’expérience professionnelle que l’on ne peut définir autre-ment que par l’acquisition de capacités spécifiques à l’activité profession-nelle.

La qualification du poste, quant à elle, est définie par une descriptionde poste indépendante d’un travailleur particulier mais non des capacités hu-maines en général. Il faut qu’un individu puisse exécuter la tâche même siune machine ou un robot pourrait également le faire. En fait, un robot neremplace jamais un travailleur parce qu’on n’arrive presque jamais à repro-duire à l’identique les gestes de travail même les plus simples et que ce n’estd’ailleurs presque jamais nécessaire. On connaît le célèbre exemple de l’ou-vrier de Taylor. Taylor avait décrit les gestes nécessaires pour effectuer uncertain travail en se servant d’une pelle de la façon la plus efficace possibleà ses yeux, mais les ergonomes qui ont étudié ce cas ultérieurement ont

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montré qu’un ouvrier qui aurait respecté les exigences de ce poste seraitmort d’épuisement à la fin de la journée. C’est en ce sens que la qualificationdu poste doit nécessairement faire appel à la notion de capacité humaine.

Reste la troisième définition de la qualification comme rapport so-cial. Peut-on soutenir dans ce cadre d’analyse que la qualification estconceptuellement indépendante de toute notion de capacité ou de compé-tence ? Il est possible de le faire de deux façons. Soit en soutenant que laqualification-rapport social est fondée sur le rapport salarial qui peut êtredéfini sans utiliser de concepts de capacité ou de compétence. Je ne peuxexaminer ici la théorie du rapport salarial. Mais je m’engagerai dans la se-conde voie, plus sociologique, qui tente de montrer que les capacités oucompétences dépendent logiquement de la notion de qualification-rapportsocial.

La détermination sociale des compétences

Ainsi que le soutient Marcelle Stroobants, l’un des auteurs partisansde cette doctrine que l’on pourrait qualifier de thèse de la déterminationsociale des compétences, il faut envisager la compétence comme l’effetd’une construction plus globale, la qualification, qui attribue une compé-tence ou qui « habilite » l’individu à devenir effectivement compétent(Stroobants, op. cit., pp. 91, 98, 102). Toutefois, pour M. Stroobants, laqualification n’est pas une capacité individuelle ni une propriété des actesde travail mais un processus dont le résultat situe les individus dans uneclassification. De plus, « le processus de qualification gouverne la possi-bilité de faire reconnaître et même tout simplement, de reconnaître, c’est-à-dire d’identifier une compétence » (ibid., p. 98). Elle en déduit que « siles savoirs “effectivement mis en œuvre au travail” sont toujours relatifs,ils sont aussi relatifs à la grille instaurée par la qualification » (ibid.).L’existence des compétences est alors subordonnée à celle de la qualifica-tion. On pourrait en déduire que, dans une société où le processus de laqualification serait différent de celui qui existe ici, les individus se ver-raient attribuer d’autres capacités ou compétences. La possession d’unecompétence ou d’une capacité par un individu dépendrait logiquement del’existence d’autres individus, de sorte que l’on pourrait dire, en paraphra-sant Wittgenstein, qu’il n’y a pas de compétence privée. Avant de propo-ser quelques arguments susceptibles de questionner la portée de cettethèse, je voudrais examiner sa parenté avec les théories sociologiquesdites de l’étiquetage.

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Les compétences ne sont-elles que des étiquettes ?

Ce rapprochement peut sembler d’autant plus intéressant qu’il estsusceptible de clarifier certaines propositions exprimant la position del’auteure vis-à-vis de ces théories. L’auteure leur reconnaît le mérited’avoir maintenu que la compétence n’est pas une capacité réelle des indi-vidus mais une qualité qu’on leur attribue puisque « le processus par lequelles agents négocient des catégories est, en effet, de l’ordre de l’étiquetage »(Stroobants, op. cit., p. 99) mais leur reproche d’avoir ignoré les conditionsqui organisent ces attributions. L’auteure veut nous empêcher de tomberdans le déterminisme qui nous ferait prendre ce processus pour un méca-nisme en rappelant qu’il s’agit d’un processus de catégorisation « constam-ment négocié » par des agents, tout en soulignant que ceux-ci sont eux-mêmes le produit de processus de socialisation qui leur fournissent enquelque sorte les ressources dont ils disposent pour transformer la société.

On conçoit facilement que les agents munis de ressources détermi-nées puissent bénéficier d’une certaine autonomie dans leur pratique quiles fasse échapper au déterminisme mécaniste. Cependant, l’intérêt del’explication par les ressources consiste à spécifier suffisamment la notionde ressource incorporée par socialisation pour pouvoir ensuite montrer enquoi elle pèse sur les activités des agents à titre de contrainte extérieure àces activités. Mais ne risque-t-on pas alors de se rapprocher de la concep-tion de Parsons, dans laquelle la conventionnalité du monde social est leproduit de normes intériorisées par les agents au cours de leur socialisa-tion 10 ? Il semble difficile d’accepter la conventionnalité des résultats del’étiquetage en continuant à faire peser sur les jugements et les pratiquesdes contraintes issues de la socialisation et qui sont au fondement du pro-cessus de qualification-différenciation. Cette difficulté conduit à se de-mander dans quelle mesure la théorie des compétences de l’auteure se rap-proche des théories de l’étiquetage.

Les théories de l’étiquetage ont été formulées à l’origine pour expli-quer les phénomènes de déviance. Selon l’un des principaux auteurs de lathéorie de l’étiquetage, Howard Becker, « la déviance n’est pas une qualitéde l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’ap-plication par les autres de normes et de sanctions à un “transgresseur”. Ledéviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et lecomportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette éti-quette » (Becker, 1985, p. 33). Certains auteurs généralisent cette doctrine

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10. Selon l’expression d’Ogien (1995, p. 170).

en refusant de rapporter l’anormalité d’une conduite « à une propriété in-hérente à l’acte commis » aussi bien qu’aux « qualités personnelles de ce-lui qui le commet ». C’est le « processus de désignation qui transforme unagissement en infraction et fixe un individu dans un état de contrevenant »(Ogien, 1995, p. 103). Il suffit de remplacer déviance par compétence et in-fraction par comportement compétent pour obtenir les grands principesd’une théorie sociale des attributions de compétence dans laquelle la com-pétence n’est pas une propriété des actes ni des personnes qui les exécu-tent, de sorte que l’individu ne devient « effectivement compétent » qu’enraison du fait qu’on lui a attribué une compétence. C’est, je crois, ainsiqu’il faut comprendre la phrase suivante : « La compétence attribuée “ha-bilite” à devenir effectivement compétent » (Stroobants, op. cit., p. 102).

Une autre manière de formuler cette doctrine consiste à soutenirqu’il existe une liaison nécessaire entre l’existence de la compétence et lejugement d’autrui. Ainsi, comme l’exprime un autre auteur, « toute com-pétence pour exister suppose le jugement d’autrui », et, par conséquent, lacompétence n’est pas une propriété d’un acte parce que c’est ce jugementd’autrui ou validation « qui rend compétente une façon d’agir » (Le Boterf,1994, p. 36). De la première proposition, on peut tirer qu’il n’y a pas defactualité de la compétence si un fait est ce qui se maintient en l’absence dejugement, et, de la seconde proposition, qu’en l’absence de ce jugement, lemême acte ne pourrait être un acte compétent mais pourrait être classécomme incompétent selon un autre jugement qui procéderait d’autresnormes ou d’un autre ordre normatif. De même, dans le domaine de la dé-viance, l’acte d’un tueur de la maffia est un crime pour l’ordre normatif dela société mais un travail pour l’ordre normatif de l’organisation maffieuse.

Cependant, Becker lui-même a, par la suite, atténué la radicalité deces thèses. Dans ses travaux sur le marché de l’œuvre d’art par exemple 11,il ne soutient pas que le caractère d’œuvre d’art d’un objet est le produitd’un jugement social. Il défend une thèse plus subtile, qui consiste à dis-tinguer jugement social et jugement artistique et à étudier à quelles condi-tions sociales ces jugements coïncident ou s’écartent. Il est possible, selonlui, de trouver des critères permettant d’identifier un travail de qualité su-périeure, mais il est peu probable que de tels critères coïncident avec ceuxdes institutions qui décident de ce qu’est l’art dans une société. Il n’estdonc pas impossible d’attribuer aux auteurs de travaux de qualités diffé-rentes des capacités différentes mais Becker suggère que l’échelle de cescapacités ne coïncidera pas, sauf hasard, avec celle du prestige. Il ne dit pas

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11. Cf. Becker, 1986, pour l’ensemble de ce paragraphe.

non plus que le talent du peintre n’existe pas, mais que ce talent ne peuts’exercer que dans un monde où il y a des marchands d’art, des collection-neurs, des fabricants de peinture, des critiques d’art, etc. Son objectif estd’analyser le développement de la peinture dans nos sociétés, mais non dedécrire ou d’expliquer la nature de la compétence du peintre.

De telles analyses suggèrent qu’il est possible de concilier l’exis-tence de jugements sociaux, entendus comme jugements d’institutions cul-turelles, et l’existence de traits objectifs du produit esthétique, et, parconséquent, de maintenir l’objectivité de la capacité dont ils sont la réali-sation. Cette doctrine présente, il me semble, l’avantage immense d’ad-mettre que les institutions se trompent quelquefois 12 et qu’il est dès lorspermis de mettre en doute leur légitimité. Je crois qu’il en va de même pourla compétence et qu’il est possible de ne pas accorder trop de crédit aux ju-gements de compétence des acteurs, sans pour autant nier que la compé-tence puisse être parfois reconnue.

Les compétences attribuées peuvent-elles être efficaces ?

Les théories de l’étiquetage tirent une partie de leur force de convic-tion dans le domaine de la déviance de l’évidence de la variabilité des ju-gements portant sur les mêmes actes dans le temps et dans l’espace. Êtrebarbu est un acte de déviance en Turquie alors que l’inverse est vrai enIran. La controverse sur la dépénalisation de certaines drogues en fournitun autre exemple. Il n’est pas évident toutefois qu’on puisse tirer parti dumême genre d’arguments dans le domaine de la compétence. Toute laquestion est de savoir si l’on peut découvrir une variabilité des jugementsde compétence portant sur les mêmes actes dans le temps et dans l’espace.

La thèse de M. Stroobants affirme, on l’a vu, que l’individu ne de-vient « effectivement compétent » qu’en raison du fait qu’on lui a attribuéune compétence. Cette thèse assigne à la notion de compétence deux pré-dicats qu’il faut soigneusement distinguer. La compétence est, d’un côté,une compétence attribuée, et, de l’autre, une compétence effective. Unecompétence effective est une compétence qui a un effet, et cet effet ne peutêtre situé que du côté de la performance. La question de la nature du lienentre compétence et performance est une question centrale et les réponsesque l’on y donne sont au principe des différentes théories de la compé-tence, aussi bien dans notre domaine du travail que dans celui de la

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12. L’impossibilité d’expliquer l’erreur institutionnelle est l’une des critiques que l’ethno-méthodologie adresse aux théories de l’étiquetage (selon Dulong, 1984, et Ogien, 1995).

linguistique par exemple. La plupart des théoriciens évitent d’assimiler celien à une relation de causalité. Chomsky, qui est en grande partie à l’ori-gine du renouveau de l’utilisation de la notion de compétence, affirme poursa part que l’on ne sait pas trop ce qui cause notre comportement dont nosperformances linguistiques sont un exemple (Chomsky, 1986).

Pour éclairer ce point 13, il est commode de distinguer la notion depouvoir ou capacité naturelle, le pouvoir qu’a l’eau de geler par exemple,qui s’exerce chaque fois que certaines conditions que l’on peut précisersont remplies, de la capacité d’un être humain à nager ou à calculer, qui nes’exerce pas lorsque certaines conditions précises sont remplies maislorsque le possesseur de la capacité le décide, car il peut toujours s’abste-nir de l’exercer.

Dans cette perspective, les capacités sont des qualités ou propriétésque les personnes qui se comportent d’une certaine manière possèdent né-cessairement. Lorsque je lis, je manifeste ma capacité de lecture, mais il n’ya pas plus de sens à dire que cette capacité est la cause de mon acte qu’àsoutenir qu’une autre capacité pourrait l’être. Y a-t-il maintenant un sens àdire que cette capacité effective est aussi une capacité attribuée ? Si l’onconsidère le jeune enfant qui apprend à lire, il se peut qu’au cours de sa pé-riode d’apprentissage ou même avant, il soit amené à croire et parfois à fairecroire qu’il sait déjà lire alors qu’il ne le sait pas encore. Peut-être veut-ilsimplement faire semblant, ou peut-être croit-il que lire, c’est bien ce qu’ilfait. Mais il est en général aisé de lui démontrer le contraire, qu’il ne sait pasencore lire, ou pas complètement peut-être. Il y a certainement un sens àsoutenir, dans ce cas, qu’on ne peut s’attribuer à soi-même cette capacitémais qu’elle doit nous être attribuée pour devenir une capacité effective.Cette attribution n’est cependant pas un acte isolé, comme celui de baptiserquelqu’un, mais le résultat d’une interaction prolongée entre maître etélève, au cours de laquelle le maître fait passer des tests pour vérifier si lacapacité a été acquise. L’ensemble de ces activités, que Wittgenstein quali-fierait de jeu de langage 14, est un processus éminemment social dont cer-tains moments comme la vérification ne pourraient être exercés en privé, desorte que le processus d’attribution de la capacité est lié nécessairement àl’acquisition de cette capacité, comme dans le cas du langage d’ailleurs.

Les théories de l’étiquetage décrivent également des ensemblesde procédures mises en œuvre par certaines catégories d’agents pour

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13. Ce paragraphe s’inspire de Kenny, 1989.14. Je m’inspire de Hintikka, 1986, chap. 8, qui développe ces points.

« transformer un contrevenant en criminel » (Ogien, op. cit. p. 28), mais iln’existe pas de procédures qui auraient pour fonction de faire passer destests pour voir si l’étiquetage a marché et si la personne a vraiment acquisdes dispositions particulières. Il n’y a aucune relation nécessaire entre ledispositif social et la transformation des personnes. Les personnes qui agis-sent ainsi n’ont pas été formées à agir ainsi par le dispositif d’étiquetage.Comme le remarque Ogien (ibid., p. 122) ni la désignation ni la stigmati-sation goffmannienne n’ont d’effets mécaniques sur le devenir social d’unindividu.

L’une des sources des difficultés d’usage de la notion de compétenceréside dans sa polysémie (Merchiers et Pharo, 1992). Au sens moderne, lacompétence est une capacité à faire un travail déterminé, alors qu’en unautre sens plus ancien (vers 1690), elle est, selon le Larousse, « l’aptituded’une autorité à effectuer certains actes », ce qui la relie aux notions d’au-torité et de jugement. Le sens commun moderne fait de la compétence unecompétence effective ou une capacité déterminée des personnes qui s’ac-corde parfaitement avec la grammaire des capacités que l’on vient de dé-crire, tout en permettant de donner un sens précis quoique restreint à la no-tion d’attribution en tant que phénomène public et observable. Par contre,le sens ancien du terme relève d’un usage symbolique dans lequel la com-pétence est attribuée à une autorité sur un mode semblable à celui du bap-tême ou de la nomination. Le baptême n’est pas un processus qui peutéchouer ou dont le résultat peut être testé. S’il est vrai que la sociologie descompétences tente de construire un concept de compétence en empruntantdes traits aux deux acceptions précédentes, elle ne peut le faire en établis-sant une relation réelle entre deux ordres de phénomènes conceptuellementdifférents, comme l’ordre des capacités et l’ordre symbolique, ou entre ca-pacités de fait et capacités de droit (selon la distinction de Stroobants, op.cit., p. 103). Ou plutôt, elle ne pourrait le faire qu’en gommant de la notionde compétence les traits les plus fondamentaux que cette notion doit au faitqu’elle est aussi une capacité possédée par une personne et mise en œuvredans des activités déterminées dont le résultat porte nécessairement lamarque de cette capacité.

Or, on sait, depuis Durkheim, qu’il n’est pas possible, sans s’expo-ser à de graves difficultés, d’exclure de la définition sociologique de l’ob-jet les traits les plus importants de la notion qu’utilise le sens commun, nonseulement parce que la notion commune est « un passage obligé » maisaussi parce que les faits sociaux « nous sont d’abord donnés dans la notioncommune que nous en avons » (Isambert, 1982). Ne s’expose-t-on pas dès

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lors à de grands risques lorsqu’on tente de construire un « vrai » concept decompétence en le coupant aussi bien des capacités des agents que des pro-priétés de leurs actes pour le faire dériver d’une construction plus globale,la qualification, qui n’est jamais « qu’une hypothèse sur le principe qui or-ganise les structures de classification » (Stroobants, op. cit., p. 96) ? Je vou-drais, pour terminer, essayer de montrer que cette crainte n’est pas imagi-naire, en examinant la portée de la distinction de sens commun entrecompétence technique et compétence sociale, parce qu’en traitant cettedistinction comme une illusion, une certaine conception de la compétencene nous permet plus de comprendre le sens de certains de nos énoncés lesplus ordinaires.

Existe-t-il des compétences techniques ?

L’un des traits les plus répandus de nos discours ordinaires sur lescompétences consiste à distinguer les compétences techniques d’autressortes de compétences comme des compétences sociales ou communica-tionnelles. L’un des procédés les plus fréquents des sociologues qui traitentde la question des compétences consiste à montrer l’inanité d’une telle dis-tinction en soutenant qu’il est impossible de faire le partage entre ce qui esttechnique et ce qui est social (voir, par exemple, Dodier, 1993 et Stroo-bants, 1993, qui s’inspirent des thèses de Bruno Latour, 1988).

Si l’on pouvait montrer que cette distinction n’a pas de sens, c’estune de nos intuitions les plus fortes en matière de compétence qui serait re-mise en cause. Lorsqu’on dit qu’un médecin est un bon médecin qui s’yconnaît à soigner les malades, on veut dire qu’il fait les bons diagnostics,qu’il donne les bons médicaments, et cela en raison de ses connaissancesmédicales et non parce qu’il posséderait des pouvoirs surnaturels commeon en prête aux rebouteux. La relation médecin-malade n’est sans doutepas sans influence, parce qu’on préfère être soigné par un médecin sympa-thique que par un médecin froid et distant, mais de là à dire que l’un soignepar sa sympathie alors que l’autre ne peut le faire en raison de sa froideur,il y a un fossé. On peut qualifier les compétences fondées sur le savoir mé-dical de compétences techniques, alors que la sympathie qu’il provoque se-rait plutôt une compétence sociale. Il ne semble y avoir là rien d’extrava-gant.

Pour M. Stroobants cependant, cela n’a pas de sens de parler decompétence technique, car la distinction entre compétences technique etsociale est artificielle. Elle se heurte en effet à la difficulté d’identifier une

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compétence purement technique (Stroobants, op. cit., p. 43). Pourquoi nepeut-on pas identifier directement une compétence technique ? Parce quele partage entre ce qui est technique et ce qui est social n’est pas absolumais relatif à la société. Pour justifier cette affirmation, M. Stroobants faitun parallèle entre ses propres thèses et celles de Bruno Latour.

Ce dernier explique que la différence entre la connaissance scienti-fique et le reste de nos croyances est une différence établie au cours d’unprocessus social de lutte ou, comme l’exprime M. Stroobants, « un com-bat pour définir la vérité et l’erreur » (ibid., p. 88). Autrement dit, la fron-tière entre la vérité et l’erreur, la science et la non-science, est sociale-ment déterminée. Chacun sait que les théories scientifiques sont relatives,au sens où elles peuvent changer, les bonnes théories chassant les mau-vaises et les meilleures les moins bonnes. Mais ce que veut dire BrunoLatour, c’est que la hiérarchie des bonnes et des moins bonnes, des vraieset des fausses, est socialement déterminée par les combats que mènentleurs partisans. À une époque donnée, une théorie gagne en raison de laforce de ses partisans et on la considère comme vraie, et même certains,particulièrement naïfs, la croient scientifique parce que vraie. Mais enréalité, les partisans de la théorie gagnante eussent-ils été moins forts, uneautre théorie aurait triomphé et serait devenue la théorie scientifique dudomaine. Le partage entre les théories scientifiques et le reste de noscroyances à une époque donnée existe donc mais n’est pas un grand par-tage qui aurait existé quoi qu’il advienne en raison de la vérité ou de l’ob-jectivité de la science. De même, le partage entre compétences techniqueet sociale n’a pas de sens pour le sociologue, puisque ce partage qui existenaturellement dans les catégories du sens commun, et en particulier dansla vie professionnelle, est déterminé par la société et non par la science,la technique ou la nature des choses. Cette conception peut être à bondroit qualifiée de conception antiréaliste de la compétence si l’on penseque l’élégante expression d’un des tenants de l’antiréalisme en philoso-phie, Richard Rorty, qualifiant la vérité de compliment que l’on fait à cer-taines de nos assertions 15 peut parfaitement s’appliquer à la notion decompétence qui deviendrait de ce fait un compliment que la société fait àcertains de ses membres, plongeant les autres dans l’indignité et la dé-possession.

Le refus de distinguer ce qui est technique de ce qui est socialmène cependant à des difficultés sémantiques considérables, comme

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15. Expression citée par Pascal Engel, 1994, p. 262.

l’illustre l’analyse des compétences du bon pêcheur que donne M. Stroo-bants à partir de quelques éléments d’une étude de Delbos et Jorion(1984) sur la transmission des savoirs chez les travailleurs de la mer. Lebon pêcheur, nous dit-elle, est celui dont la compétence réside dans la ca-pacité à accomplir les actes qui signalent aux autres qu’il est un bon pê-cheur, quelle que soit la quantité de poissons obtenue (ibid., p. 313). Au-trement dit, en déduit l’auteure, cette compétence est indissociable de samanifestation sociale qui démontre quotidiennement qu’on est qualifiépour exercer ce métier. Ainsi, le pêcheur qui ramènerait quotidiennementpeu de poissons mais qui le ferait dans les formes admises par la com-munauté serait considéré comme plus compétent que celui qui en ramè-nerait davantage sans s’en soucier. Cela semble contre-intuitif, à moinsde supposer que la société n’accorde aucune utilité à la quantité de pois-sons pêchée, mais s’agirait-il encore de pêche ? La pêche est peut-êtreune activité s’exerçant dans des formes socialement définies – dont, denos jours, des contraintes écologiques par exemple –, mais sa significa-tion implique de ramener une certaine quantité de poissons, sinon le bonpêcheur pourrait également être un non-pêcheur. On peut sans doute pas-ser pour un bon pêcheur sans satisfaire à cet impératif dans certains casde malchance ou d’accident, et l’on peut même être plus ou moins ca-pable d’attribuer au mauvais sort de mauvais résultats ou d’attribuer à sapropre compétence ce qu’on doit à la chance, mais rien ne permet d’af-firmer que cette dernière capacité d’auto-attribution de compétence estidentique à celle qui permet d’attraper le poisson. Il paraît plus simple dedissocier ces deux capacités en reconnaissant qu’une moindre capacitétechnique peut être compensée, dans une certaine mesure, par une capa-cité d’un autre ordre à « se faire valoir » et que cette capacité ne peut êtredéfinie sans faire intervenir des éléments culturels propres à la société depêcheurs. Loin de montrer que la distinction de la compétence techniqueet de la compétence sociale n’est qu’une illusion, cet exemple montre, aucontraire, qu’elle est nécessaire à la compréhension de bon nombre dephénomènes de compétences analogues à celui qu’on vient de décrire.En témoignent, de façon élégante et concise, certains propos de PierreBourdieu qui fulmine souvent contre ce qu’il appelle les intellectuels –les mauvais sociologues par exemple – en les accusant de « légiféreren toutes choses au nom d’une compétence sociale qui est souventtout à fait indépendante de la compétence technique qu’elle semble ga-rantir » 16.

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16. Cette remarque n’a aucun lien avec des controverses récentes car elle s’appuie sur unentretien de Pierre Bourdieu au Monde du 4 mai 1980.

Il est possible toutefois de maintenir l’intuition sociologique del’idée d’attribution sociale en remarquant qu’il est parfois utile dedistinguer les capacités des compétences pour faire de la compétence lapropriété d’une activité réussie (Merchiers et Pharo, 1992). L’objetd’analyse est alors l’attribution non de propriétés à un individu mais desuccès à une activité. La notion de succès est d’emblée une notion nor-mative et sociale, mais cela ne signifie pas qu’elle est arbitraire au sensoù les critères de succès seraient purement culturels et ne pourraient êtrereliés à aucun fait indépendant comme la possession de capacités ou desavoirs par les agents ni aux significations en usage comme celle de lapêche en tant qu’activité consistant à attraper du poisson. De même,l’idée selon laquelle la société transforme des capacités en compétencesà des conditions sociales qu’il faut étudier si l’on veut faire une théoriedes compétences suppose qu’il existe des capacités que la société trans-forme et non que ces capacités soient le produit du processus de trans-formation ou d’attribution.

Conclusion

Je voudrais, en conclusion et pour atténuer le caractère sans doutetrop péremptoire des propos précédents, proposer l’idée que la réalité de lacompétence est une exigence conceptuelle qui n’impose en rien d’accepterl’existence de compétences partout où les acteurs sociaux qui se servent duvocabulaire de la compétence prétendent en trouver. Dans une vision réa-liste de la compétence, celle-ci est une condition de l’action compétentemais est également reliée à l’individu indépendamment du jugement que lasociété porte sur lui. Cependant, le lien entre jugement de compétence etexistence de cette compétence est loin d’être évident. Si l’on considère lelangage de la compétence ou le réseau conceptuel des termes attachés à cejeu, on peut très bien soutenir, à la manière des philosophes nominalistes,que les distinctions dans le langage ne désignent pas nécessairement desdifférences dans le réel tout en acceptant un certain réalisme dans certainesparties de ce domaine parce qu’on pense que l’acceptation d’un réalismepartiel n’entraîne pas que l’on soit réaliste en totalité 17. Le fait qu’il existecertains arguments conceptuels pour donner de la substance à certains pré-dicats comme avoir du talent ou être compétent ne préjuge en rien de lapossibilité de retrouver dans les catégories et les expressions du langageusuel cette substantialité, comme le montre le cas du talent dont il est à la

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17. Application particulière d’une thèse plus générale développée par Engel (1994).

fois difficile de nier l’existence – il y faudrait vraiment un grand talent –sans pour autant qu’il soit possible de lui trouver d’autres critères d’exis-tence que des critères relatifs soumis à ratification sociale et qui, de ce fait,laisseront toujours prise au soupçon d’inexistence.

Jacques MerchiersLaedix-Paris X

200, avenue de la République, bât. K, 92001 Nanterre [email protected]

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Summary. The use of the notion of competence being in full expan-sion must not, meanwhile, mask the questions raised by this notion.Nobody can go on with denying its use. This article brings up on thispurpose some ideas borrowed from sociology. First of all from so-ciology of labour that suggests an analysis of competence in thelight of its main notion : qualification. Then, from certain more ge-neral sociological directions that show a certain doubt about thereality of competences. And finally it suggests a more realistic visionconcerning competences observing meanwhile a drawback againstenlarging their field.

Resumen. El uso de la noción de competencia, que se extiende, nodebe esconder, sin embargo, los problemas que comprende esta no-ción. Tampoco es posible contentarse con estigmatizar su uso. Esteartículo presenta algunas reflexiones sociológicas. En primer lugar,la sociología del trabajo que propone un análisis de la competenciaa la luz de su noción central, la capacitación. Luego, algunas orien-taciones sociológicas más generales que ponen en duda la existen-cia de competencias. Finalmente, sugiere una visión más realista deestas competencias ; sin tratar de ampliar el campo de forma des-considerada.

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