AcLETTRE_04_D2_RACINE_LGhM

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  • Essai de lexicologie et dtymologie arabes :

    les vocables de la racine lm

    ... o il sera question de lcume du chameau, dalliage avec le mercure et de mines explosives1

    par Jean-Claude ROLLAND2

    Ltrange polysmie de la racine lm, telle quelle apparat dans notre sous-titre, ne semble pas avoir beaucoup proccup la lexicologie arabe. Les dictionnairesarabes, quils soient monolingues ou bilingues, par le type de classement gnralementadopt, sont tellement coutumiers de ce genre de rencontres que plus personne ne sentonne.

    Pour nous rendre compte des questions que soulvent les vocables regroupssous cette racine par les grammairiens arabes et les lexicographes orientalistes, nousobserverons par ordre chronologique les contenus des notices de quatre dictionnairesmonolingues3 :

    A-a fi l-lua, dIsml ben ammd al-awhariyy (Xe) Muam maqyis al-lua, dIbn Fris al-Qazwini (Xe) Lisn al-Arab, dIbn Manr (XIIIe) Al-qms al-mu, dal-Frzbd (XIVe)

    et de cinq dictionnaires bilingues :

    Le Dictionnaire arabe-franais, dA. de Biberstein- Kazimirski, 1860. Le Supplment aux dictionnaires arabes, de Reinhart Dozy, 1881. Le Dictionnaire arabe-franais El-farad , de Jean-Baptiste Belot, 1955. A Dictionary of Modern Written Arabic, de Hans Wehr, 1966. Le Dictionnaire arabe-franais franais-arabe As-Sabil , de Daniel Reig,

    1983.

    Il ne nous a t possible de recourir

    ni au Dictionnaire des Racines Smitiques, de David Cohen et alii (1993- ?), encours dlaboration : les fascicules publis nont pas encore abord les racines initiale L,

    1 Ce texte dveloppe la communication faite par lauteur la Sance SELEFA du 21/05/2015.2 Jean-Claude Rolland est lauteur dtymologie arabe Dictionnaire des mots de larabe moderne nonsmitiques, Paris : LAsiathque, 2015.3 Telles quelles sont fournies par le site http://www.baheth.info/.

    1

  • ni lArabic-English Lexicon dEdward William Lane (1863-1893), o notreracine nest tout simplement pas traite : Lane sest limit, dans son Supplment, faire un renvoi sur lequel nous reviendrons.

    1. Ce quen disent les dictionnaires monolingues

    1.1. A-a fi l-lua, dIsml bin ammd al-awhariyy (Xe)

    : :

    Observations :

    Les items sont curieusement ordonns mais la notice est brve, claire, prcise : lum dsigne lcume qui sort de la bouche du chameau. malim, ce sont les bords de la bouche que la langue peut atteindre et o cettecume samasse. talaama bi-..., cest senduire les bords de la bouche ici humaine de quelqueonguent ou pommade. laama, cest rapporter un bruit, une nouvelle non vrifie.La racine est monosmique : le vocable de base est le nom de lcume buccale duchameau. Il est accompagn de trois drivs : un nom de lieu, une cinquime forme ole sens glisse de lcume du chameau longuent qui lui ressemble et quon se passe surles lvres ou aux coins de la bouche, et un dnominal o lon observe un glissementsmantique vers un sens figur par une mtaphore assez comparable celle que lefranais connait avec le verbe baver.

    1.2. Muam maqyis al-lua, dIbn Fris al-Qazwini (Xe)

    :

    : : : : : : :

    Observations :

    Ibn Fris apporte deux nouveauts : citant Al-all, il donne le sens propre du verbe laama, savoir baver, absent

    de louvrage prcdent ;

    2

  • enu ,tiurb nu retroppar riovas ,ebrev emm ud euqirohpatm snes el euq esnep li liuq ,amaan NN ebrev ud evituaf noitartla enu d tse ,eifirv non ellevuon.sab relrap ed snes el snad tnemelbaborp dnerp

    )eIIIX( rnaM nbId ,barA-la nsiL .3.1

    :

    : :

    :

    :

    : :

    : :

    : :

    : : :

    :

    :

    : :

    :

    : )*

    ) :

    :

    3

  • Observations :

    Rsumons cette longue et quelque peu anarchique notice : pour Ibn Manr, qui commence par linformation non vrife, cest laama qui

    est une variante de naama et non linverse ! Mais lacception de laam entant que propos sditieux ou alarmants quil donne la fin contredit cette assertion.

    il fait driver talaama bi-... de malim : talaama, cest parler enremuant les coins de la bouche, un peu comme nous disons parler entre ses dents oumarmonner.

    il donne un vocable N lam secret, qui nest pas pour nous surprendre dans cecontexte mais que nous ne retouverons plus.

    il stend longuement sur les malim de la femme, sur lesquels elle se passedes onguents et aussi sur lesquels on peut dposer un baiser.

    mais surtout, vers la fin de la notice apparat une information capitale pour notretude : les formes IV et VIII de la racine servent dsigner lalliage de lor ou detout autre mtal similaire avec le mercure. Le rsultat concret de lalliage, cest un mulam. Nous aurons nous interroger sur le rapport smantique entre lcumedu chameau et lalliage avec le mercure.

    1.4. Al-qms al-mu, dal-Frzbd (XIVe)

    : : ~

    :

    : : ~

    : :

    Observations :

    Bien que succincte cette notice nous apporte elle aussi une nouveaut : le sens de nerfset veines de la langue pour laam. Terme trs technique donc, apparaissant dans undictionnaire au XIVe sicle, et qui ne semble avoir quun lointain rapport avec lcumedu chameau, sauf prendre la bouche comme dnominateur thmatique commun. Il nepeut gure sagir que dun homonyme. On verra que Kazimirski et Belot lont intgrmais que ni Wehr ni Reig ne lont conserv, soit parce quil est tomb en dsutude, soitparce quils lont jug trop technique pour figurer dans leur nomenclature. Nous nesavons pas sil est encore en usage dans les facults de mdecine. Nous avancerons plusloin une hypothse quant son origine.

    2. Ce quen disent les dictionnaires bilingues

    4

  • 2.1. Kazimirski (1860)

    NN laama 1. cumer, avoir la bouche cumante (se dit dun chameau) ; 2.rapporter un bruit, une nouvelle dont on nest pas bien sr

    Drivs : NN talaama senduire, se barbouiller les bords, les coins de la bouche dequelque onguent ou pommade, de l talaama bil-kalm remuer la bouchepour parler

    laam 1. un peu donguent ou de pommade ; 2. nerfs et veines de la langue lum cume, salive cumante sur les bords du museau dun chameau quicume

    lam (fm. de alam) qui a la bouche blanche (se dit dun animal) malim coins ou bords de la bouche o la salive samasse

    Observations :

    Kazimirski rapporte et classe clairement et simplement presque tous les mots etacceptions quil a trouvs dans les dictionnaires arabes. Mais il na curieusement pas vuou pas retenu les formes IV et VIII du Lisn o il tait question de lalliage de lor avecle mercure.

    2.2. Dozy (1881)

    laama I (form de lum) miner, pratiquer une mine sous un ouvrage defortification.

    lum (turc laum) pl. lum mine, cavit souterraine pratique sousun bastion, un roc, etc., pour le faire sauter par la poudre.

    lumaiyy mineur, celui qui fouille la mine. talm cume. mulam dans mulam bi--ahab qui (dans une citation) semble signifierdor.

    Observations :

    Dozy introduit un N talm cume, rare ou potique, semble-t-il, qui napparaitnulle part ailleurs.

    Il reprend mulam mais ne le cite que dans un exemple o, accompagn de ahab, il semble bien, en effet, navoir que le sens de dor, plaqu or, ce qui esttechniquement diffrent de lalliage.

    Mais la grande nouveaut, par rapport aux dictionnaires arabes et celui deKazimirski, cest surtout lapparition dans ce Supplment de trois termes techniquesrelevant du minage : lum mine, laama miner, et lumaiyy mineur,ce dernier entendre au sens de sapeur. On remarquera que la mine nest encore cette poque que la cavit pratique pour placer un explosif dont on ignore le nom.

    5

  • Ltymon de ce trio est, pour Dozy, le turc laum dont on suppose quil a le sensde mine.4

    2.3. Belot (1955)

    NNN laama avoir lcume la bouche (chameau) ; rapporter de faussesnouvelles

    laama miner (un difice)NN talaama se pommader les coins de la bouche, talaama bil-kalmremuer les coins de la bouche pour parler, talaama bi-ikr al-... rappeler lesouvenir de...

    laam un peu donguent ; nerfs et veines de la langue lum, pl. lum et luma mine, cavit pratique sous un dificeou dans un rocher pour les faire sauter par la poudre

    lum salive cumante du chameau

    lumaiyy mineur malim parties extrieures, coins de la bouche

    Observations :

    Lorganisation de la notice est purement formelle, calque sur celle de Kazimirski.Belot introduit le vocabulaire du minage relev chez Dozy sans se proccuper deregrouper les items en fonction de leurs sens, ce qui donne un texte assez htroclite. la fin de louvrage, dans les pages consacres aux emprunts, les mots du minage sontdonns comme dorigine turque, sans autre prcision. En bref, Belot ne nous apprendrien que nous ne sachions dj. Son seul mrite est davoir complt Kazimirski parDozy.

    2.4. Wehr (1966)

    1. laama to mine, plant with minesDrivs : lum, laam, pl. alm mine lam et ilm mining (of a harbour, a road, etc.)

    2. alama (IV) to amalgamate, alloy with mercury

    4 Pour lextraction des minerais par cassage de la roche, larabe disposait de la racine dn enlever,arracher un rocher, mais, on le voit, linverse de la famille de miner en franais cette racine na passervi exprimer galement le sens de creuser une galerie de sape. Un cas assez rare pour tre not : ilnexiste ni en grec ni en latin de mots exprimant la notion de minage. Les langues modernes occidentalesont donc toutes emprunt au franais les mots mine et miner, attests depuis le XIIe sicle, et suppossdorigine gauloise.

    6

  • Drivs : lum foam, froth ilm amalgamation

    Observations :

    Le vocabulaire du minage est pass en tte et le sens de lum, laam a gliss decelui de cavit destine recevoir lexplosif la dsignation de lengin explosif lui-mme. Le verbe NN laama na plus que le sens de poser des mines et le nomdagent lumaiyy mineur, sapeur a disparu.5 Le mot N laam a perdu lesdeux sens quil avait jusque l pour ne devenir quune variante de lum et lesdeux ne connaissent plus que le pluriel alm. Laction de miner ou minage sedit lam ou ilm (masdar de la forme IV). Wehr, qui donne gnralementlorigine turque des termes militaires, est muet sur celle de ce petit groupe. Il nereprend donc pas son compte ltymologie donne par Dozy, ce qui ne signifie paspour autant quil la rejette.

    Lacception premire, quasi la seule donne par nos auteurs pendant des sicles, apratiquement disparu ; il ne reste de lcume buccale du chameau que NN lumfoam, froth (= cume), assez maladroitement plac, semble-t-il, en deuximeacception entre un verbe et son masdar avec un lien smantique qui ne saute pas auxyeux. Ce verbe est la forme IV alama que Wehr a trouve dans le Lisn al-Arab avec le sens de pratiquer un amalgame, un alliage avec le mercure, formedont on a vu quelle avait t nglige par Kazimirski et Belot, et trs partiellementtraite par Dozy.

    2.5. Reig (1983)

    1. laama baver, cumer (chameau) lum bave, cume, salive (du chameau)IV alama amalgamer ilm amalgame mulam amalgam

    2. laama miner (une route, un pont) lam minage, lam a-awi minage des ctes laam, pl. alm mine, grenade sous-marine, alm sima / imamines flottantes, aql alm champ de mines, etc. malm min, explosif (fig.)

    Observations :

    5 Pour le forage dune galerie de sape, larabe dispose en effet de la racine smitique nqb do lenom dagent naqqb sapeur , mais cette racine nayant pas de driv ayant le sens dengin explosif,cest lum / laam qui vient combler cette lacune.

    7

  • Reig associe lui aussi la notion damalgame celle dcume, mais il rtablit lordrechronologique dapparition des acceptions ainsi que le verbe NN laama baver,cumer que Wehr avait escamot.

    Il ne reprend pas non plus le nom dagent lumaiyy mineur, sapeur mais ilintroduit en change une petite srie dautres mots et locutions lis au thme duminage militaire.

    Pour le sens prcis de mine, la variante NN lum a disparu ; il ne reste que NNlaam, pl. alm.

    Que conclure de ces observations ? La premire ide qui vient lesprit, au vudes disparits smantiques, est quil pourrait bien exister deux ou trois racines NNlm homonymes plutt quune seule racine polysmique. Il ny a gure de doute quilen existe au moins une dorigine smitique, la plus ancienne, celle qui porte le sensdcume buccale du chameau. Mais quen est-il des autres ? Il nous appartient devrifier ce qui justifie ventuellement que tous ces vocables continuent figurerensemble dans une mme notice dictionnairique, et sinon, den proposer uneprsentation plus rationnelle et plus cohrente. Nous tudierons les deux acceptionsapparues au cours de lHistoire dans lordre chronologique de leurs apparitions, savoirlamalgame dabord, puis la mine.

    3. Lamalgame

    3.1. Ce quen disent les tymologistes

    Do vient donc cette forme IV alama que Wehr et Reig rattachent bon grmal gr laama cumer et que le Lisn avait enregistre ds le XIIIe sicle ? Ni leverbe NN alama ni un quelconque driv napparaissent dans la nomenclature dudictionnaire de Rajki. Sans autre source tymologique directe o puiser, nous allonsprendre le problme par lautre bout, savoir vrifier, sur la base de la paronymie quonpeut constater entre larabe NN alama et les rejetons europens du latin mdivalamalgama, lui aussi attest au XIIIe sicle, si quelque auteur ne remonterait pas parhasard notre racine.

    Nous navons pas eu chercher bien loin ni bien longtemps : cest effectivementle cas

    de langlais amalgam. Dans la notice que le site amricain Etymonline6 consacre ce mot, on peut lire ceci (Traduction J.-C. Rolland) :

    De lancien franais amalgame ou directement du latin mdival amalgamaalliage de mercure (en particulier avec de lor ou de largent), terme dalchimie,possible altration du latin malagma cataplasme, pltre, probablement delarabe al-malgham cataplasme mollient ou onguent pour les plaies (surtoutchaud) [Francis Johnson, Dictionnaire du persan, de larabe et de langlais], oupeut-tre du grec malagma substance adoucissante, de malassein adoucir, demalakos doux.7

    6 Abrviation usuelle de Online Etymology Dictionary.7 Texte original : from Old French amalgame or directly from Medieval Latin amalgama, "alloy ofmercury (especially with gold or silver)", an alchemists' word, perhaps an alteration of

    8

  • Aucune certitude, on le voit, mais deux peut-tre et un probablement. Ce nest pastrs clair mais nous croyons nanmoins comprendre que lauteur propose troishypothses : peut-tre le grec malagma8 ou le latin malagma9, mais plusprobablement larabe al-malgham, dont la forme et le sens ont t relevs dans ledictionnaire de Johnson (1852), dment cit.

    du turc amalgam, trait dans le dictionnaire de Nianyan. Tout en se gardantprudemment daffirmer une filiation, Nianyan rapproche le latin mdivalamalgama dun arabe al-malam qui ne peut gure venir que de notre racine.Lui aussi tient probablement ce mot du dictionnaire de Johnson. moins quil nesagisse dune erreur, on peut supposer que NN al-malam est la prononciationpersane ou dialectale de al-mulam lamalgam. On notera au passage que ce mot alun des deux sens que Kazimirski et Belot donnaient laam, celui donguent.

    Quant au Trsor de la Langue Franaise (TLF), il voque bien lui aussi lapossibilit dune origine arabe du mot amalgame mais partir dune locution amal al-gama uvre de lunion charnelle o notre racine nest pas en cause. Il serait donchors sujet de nous attarder davantage sur la longue et complexe notice du TLF que lescurieux pourront consulter loisir par Internet.10

    Il nous reste dmontrer la parent smantique entre longuent et lalliage, quiferait de N malam un doublet plausible de N mulam. Nous utiliserons pour cefaire loutillage propos par Georges Bohas dans sa Thorie des Matrices, tymons etRacines.

    3.2. Ce quen disent les tymons de Bohas

    Un tymon , au sens trs particulier o lentend Georges Bohas dans saThorie des Matrices, tymons et Racines, est un ensemble non ordonn linairementde deux consonnes, porteur dune charge smantique dcelable dans un nombresignificatif de racines construites sur ces deux consonnes. Daprs Bohas, la racine lm peut donc thoriquement sanalyser comme construite sur lun des tymonssuivants : {l,}, {,m} et {l,m} ou mme rsulter du croisement de deux de ces tymons.

    Ltymon {l,}

    Daprs Bohas et Saguer,11 le smantisme associ cet tymon est celui de lalangue, de ses caractristiques, des oprations physiques qui lui sont propres, commeinstrument du langage, etc. En relvent notamment des mots comme notre NN laam

    Latin malagma "poultice, plaster", probably from Arabic al-malgham "an emollient poultice or unguentfor sores (especially warm)" [Francis Johnson, A Dictionary of Persian, Arabic, and English], perhapsfrom Greek malagma "softening substance", from malassein "to soften", from malakos "soft".8 Nous nous carterions de notre sujet en nous interrogeant trop longuement ici sur lorigine du grec [mlagma] mais nous ne pouvons pas non plus passer totalement sous silence sa ressemblancemorphosmantique troublante avec larabe NN al-malam. Nous nous contenterons de dire quuneorigine smitique non seulement de [mlagma] mais aussi de [malaks] nest pasexclue.9 Pour Gaffiot, le latin malagma nest quune latinisation du grec malagma.10 http://www.cnrtl.fr/etymologie/amalgame11 Voir bibliographie.

    9

  • nerfs et veines de la langue et aussi lab discours confus et law faute delangage.

    Or on voit que dans ces deux derniers mots, ce qui ressort en fait ce nest pastant le rle de la langue dans lactivit de la parole que la confusion du discours quandla langue se noue, ce qui se confirme quand on pousse la recherche. On constate en effetque ce mme tymon est porteur de charges smantiques affines comme les notions decosmtiques ou onguents constates dans lm et celles du bouillonnement, quilsoit rel ou mtaphorique (celui de la colre), et du mlange qui peut en rsulter :

    la graisser une bouillie, une soupe ld talaada se mettre en colre laifa faire des boulettes, des bouches rondes et les manger, do lufa, boulette, lafa bouillie paisse lalaa verser du bouillon sur le pain pour le faire mitonner

    Nous navons, on le voit, pris jusquici nos exemples que parmi les seulesracines o nos deux consonnes apparaissent dans lordre l-, mais si lon est prt accepter lordre inverse, notre liste senrichit ditems qui relvent du mme smantismeque ceux de la liste prcdente :

    alla huiler, pommader abondamment les cheveux ; mler, mlanger alaa mlanger allafa enduire, pommader la barbe de parfums al bouillonner, bouillir

    Par ces smantismes du bouillonnement et du mlange, ltymon {l,} semble unbon candidat au titre dlment structurant de la racine NN lm, quil sagisse desvocables relatifs lcume du chameau ou de ceux relatifs la notion damalgame.

    Ltymon {,m}

    Pour Bohas, cet tymon est justement lui aussi porteur du smantisme de lafusion, de la confusion et du mlange.12 Do les verbes ci-dessous o il estnaturellement question de boue, de pte, de graisse, et aussi de la colre, cette rageproductrice dcume :

    Ordre -m

    NN mm NN amm, lait que lon chauffe jusqu ce quil se change enfromage

    12 On remarquera en passant la proximit morphosmantique troublante de cet tymon smitique avec laracine indoeuropenne *mag-, ptrir . Au niveau des ralisations, on pourra comparer le franaismagma, du grec [mgma], masse ptrie, onguent , issu, semble-t-il, de cette racine, avecplusieurs mots de la liste et notamment avec larabe mamaa graisser un mets, mler, mlanger. Reig donne aussi le mot magma (ou magmaa) magma , qui semble bien ntre quunesimple transcription du franais ou de langlais avec prononciation gyptienne du .

    10

  • amama tre obscur et inintelligible amara enduire dune substance glutineuse umra cosmtique damara confondre, mler dissoudre dans leau zaama parler avec colre wm tawaama sirriter contre qqn rum morve taraama se mettre en colre

    Arrtons-nous un instant sur ce verbe. Dans le Supplment, Lane renvoie sanscommentaire de la racine lm, non traite, taraama se mettre en colre oil se trouve que le mot NN lum bave, cume (dune chamelle) apparat dans unecitation potique o il est question dune chamelle qui cume littralement de rage. Onrelvera que lassociation de ces deux mots, qui ont deux consonnes communes, et m,nest pas pour nous surprendre quand on la rapproche comme il se doit des locutionsfranaise cumer de rage et anglaise to foam with rage.

    Ordre m-

    mamaa graisser un mets, mler, mlanger ; se servir dun langage obscur,lembrouiller, le rendre inintelligible

    maaa faire dissoudre dans leau mara boue rougetre amaa huiler, graisser lgrement les cheveux dammaa graisser un mets, y mettre de la graisse ramaa pommader la tte, les cheveux ammaa baver, se couvrir de bave

    Ordre -c-m ou m-c- o c est un crment interne variable.

    aama passer un onguent (sur une plaie)NN maraa oindre, imbiber NN mar salive, bave des animaux NNamraa, dlayer une pte en y mettant beaucoup deauNB : On remarquera dans cette racine la prsence de la mme associationsmantique salive - oindre que dans lm.

    Par ces smantismes de la fusion, du mlange et de la colre, cet tymon {,m}nous semble tre lui aussi un bon candidat au titre dlment structurant de la racine lm, quil sagisse des vocables relatifs lcume du chameau ou de ceux relatifs lanotion damalgame.

    On vrifie en outre quun certain nombre de racines, dont la ntre, peuventsanalyser comme rsultant du croisement des deux tymons {l,} et {,m} :

    11

  • balam flegme, pituite, glaire lm italama sagiter (mirage, flots) lamaa enduire, barbouiller de lamana mlanger (le bon avec le mauvais) (Dozy)

    partir de ces observations, il nous semble difficile de ne pas admettre que nousavons l un ensemble de vocables en l- ou -m, voire en l--m, tous porteurs dunmme smantisme gnral de la bouillie et du mlange, et de celui plus particulier maisqui en dcoule, les scrtions de la bouche, cette bouche qui est le premier broyeur-mlangeur naturel des tres vivants. Les vocables de notre racine NN lm relatifs lcume du chameau ou la notion damalgame sinsrent tout naturellement dans cetensemble.

    Notre analyse nous amne penser que le latin mdival amalgama pourraitdonc bien tre, via une forme intermdiaire al-malam, une latinisation approximativede al-mulam lamalgam, participe passif dfini dune forme IV de la racine lm,un vieux terme du vocabulaire de lalchimie que selon toute probabilit Kazimirski atout simplement oubli de relever dans le Lisn. Oui, lum cume (du chameau) etNNN mulam amalgam relvent bien dune mme racine NNN lm, comme lontpressenti Wehr et Reig, et plus justement encore dun mme ensemble de vocables en l-, -m ou l--m porteurs du smantisme de la bouillie et du mlange. Nous verrons plusloin sil y a lieu de les rpartir sous deux racines homonymes ou de les rassembler sousune seule racine polysmique, car un glissement de sens qui irait de lcume au bouillonet du bouillon au mlange obtenu par bouillonnement est parfaitement naturel etenvisageable.

    4. La mine

    4.1. Ce quen disent les tymologistes

    Le mot laam mine se trouve dans la nomenclature de Rajki. Cet auteur yvoit un emprunt litalien laguna lagune, ce qui nest gure crdible, ni du point de vuedu sens ni du point de vue de la forme.

    Une autre hypothse, nous lavons vu, est celle de Dozy. Rappelons-la :ltymon au sens traditionnel du terme de NN laam serait le turc ottoman NNlaum13 qui scrit lam en turc moderne et signifie gout, conduit souterrain. Lalocution lam amak, littralement ouvrir un gout, signifie aussi miner. lappui decette hypothse, rappelons que le turc a effectivement fourni larabe un assez grandnombre de termes du vocabulaire militaire et que dans les emprunts au turc, un turcdevient gnralement un arabe.

    Mais pour Nianyan, cest linverse qui sest produit ! Cest le turc lam qui estissu de larabe laam, lequel viendrait dun grec [lakhma] excavation,tranche, tunnel, driv du verbe [lakhan] creuser. Or, pour Chantraine, ce est un terme dhorticulture rare dont les drivs modernes ont plus voir avec13 Prononciation approximative : [lagweum]

    12

  • les lgumes quavec les galeries de sape ou les explosifs, et ce [lakhma],inconnu des dictionnaires, semble bien ntre quune pure invention. Ce serait de toutesfaons le seul cas demprunt au grec o un deviendrait . Ces diverses restrictions neparlent pas en faveur dun tel emprunt.

    Si le turc lam ne vient pas de larabe, do peut-il venir ? Du persan ? Dugrec ? Nos recherches du ct du persan sont infructueuses. Nous apprenons enrevanche lexistence en grec moderne du nom [lagomi] tanire, terrier,galerie de mine, mine explosive ! Notre premier rflexe est de chercher ce mot untymon classique ; nous ne trouvons que [lagnes], pluriel dun singulier peuusuel [lagn] creux, flancs, frquent pour les flancs du corps, ct, creux dunemontagne (Chantraine). Cette option ntant gure satisfaisante daucun point de vue,nous consultons le Dictionary of Standard Modern Greek pour y apprendre queltymon de [lagomi] est ... le turc lam !

    Nous voil renvoys lhypothse de Nianyan, qui doit tre partiellementvraie : le turc lam qui a d avoir dans un premier temps le sens de galeriesouterraine vient bien dun arabe laam mais ce mot ne vient pas du grec et il estsmantiquement sans rapport avec lcume du chameau ou lalliage avec le mercure. Ilna donc pu surgir quau sein mme du domaine arabe. De quelle manire ? Nous allonsvoir si le recours la thorie de Bohas nous aide ici aussi rpondre la question.

    4.2. Ce quen disent les tymons de Bohas

    Se pourrait-il que la notion de creusement souterrain soit une deuxime chargesmantique de nos tymons {l,} et {,m} ? On trouve effectivement quelques racinesvoquant plus ou moins cette notion :

    partir de ltymon {l,} :

    laz trou de lzard, pl. alz labyrinthe alla pntrer jusque dans lintrieur alala entrer, pntrer jusquau fond des choses waala sintroduire, se glisser et pntrer dans quelque chose

    partir de ltymon {,m} :

    ams qui pntre loin et senfonce dans les chairs (coup de lance) amaa entrer, pntrer dans les chairs, dans le corps (arme tranchante) aml enterr, mis sous le sable umina tre enfonc dans la terre miy taupinire, trou de mulot ou de taupe

    Ces inventaires ne sont certes pas trs riches ils ne sont pas non plus exhaustifs mais ils tmoignent nanmoins de lexistence de deux groupes de vocables prsentantentre eux une certaine parent morphosmantique. La possibilit quun NNN laam

    13

  • galerie de mine appartienne cet ensemble nest donc pas carter. Lapparition tardivedu mot dans les dictionnaires darabe classique pouvait faire penser un emprunt maiselle peut aussi signaler lintgration dans la langue crite dun mot rest jusqualorscantonn dans des changes oraux en arabe dialectal.

    Un tel mot nest pas sorti de nulle part. Faisons une hypothse : prenons ledernier mot de la liste ci-dessus, miy taupinire : il convient bien dun pointde vue smantique.14 Quant la forme, appliquons ce mot classique muni de sonarticle un certain nombre des altrations dont les dialectes sont coutumiers : par agglutination et mtathse, al-miy devient lamiy ; par apocope et influence de la racine lm, lamiy devient laam qui, entre leXIIIe et le XVIIIe sicles, passe dabord en turc sous la forme lgm puis en grec sous laforme [lagomi]. Le sens de taupinire se conserve dans les trois langues etvolue tout naturellement vers ceux de galerie souterraine puis de galerie de mine, etenfin de mine explosive. Il reste trouver un dialecte oriental o le mot serait attest, commencer par le mot NN miy lui-mme, un driv de NN am que leQms est seul mentionner et qui pourrait bien tre une forme dialectale non signalecomme telle.

    5. Conclusion : pour une autre prsentation dictionnairique

    la lumire des rsultats de notre tude, dont nous rptons quelle ne sauraittre dfinitive quelle tude peut se targuer de ltre ? nous souhaiterions proposer enconclusion une autre manire de prsenter les divers vocables construits sur lesconsonnes l--m que nous avons rencontrs, lexception des quelques rarets que nousavons trouves ici ou l dans les dictionnaires arabes du Moyen ge. La notice de Belottant la seule rassembler presque toutes les donnes qui nous intressent, cest delleque nous partirons. Il nous suffira dy ajouter le vocabulaire relatif la notiondamalgame tel quil apparat dans la notice de Reig.

    Nous concluons lexistence dans le lexique arabe de quatre racines lmhomonymes. La deuxime peut tre considre comme une extension de la premire.Nous les prsentons par ordre chronologique dapparition dans les dictionnaires.

    lm.1 (Xe s.)

    lum cume buccale chameauNN laama avoir lcume la bouche (chameau). Fig. rapporter de faussesnouvelles laam un peu donguent, de pommade malim bords, coins de la boucheNNN talaama se pommader les coins de la bouche, talaama bil-kalmremuer les coins de la bouche pour parler, talaama bi-ikr al-... rappeler lesouvenir de...

    14 Cf. en hbreu talmudique et en judo-aramen le couple ulda taupe / alad creuser, saper .(Communication pistolaire de Michel Masson).

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  • tymologie : le mot NNN lum, qui semble tre la base do drivent les autresvocables, est rapprocher par deux (dont le ) ou trois de ses consonnes,

    de quelques noms dsignant des scrtions buccales ou nasales de mammifres : rum, mar, balam. dun certain nombre de verbes exprimant la colre (cf. fr. cumer de rage, angl. tofoam with rage) : talaada, zaama, taraama, tawaama.

    lm.2 (XIIIe s.)

    alama amalgamer, n. a. ilm amalgame (action) mulam amalgam, amalgame (produit obtenu)

    tymologie : cette racine, qui nest probablement quune extension formelle etsmantique de la prcdente, est rapprocher par deux (dont le ) ou trois de sesconsonnes, dun certain nombre de vocables exprimant laction de fondre, mlanger,confondre, brouiller, comme amraa, N damara, N alaa, N alla, Namama, maaa, mara, mamaa, etc.

    lm.3 (XIVe s.)

    laam nerfs et veines de la langue

    tymologie : ce terme technique sans drivs peut tre rapproch par ses deux premiresconsonnes dautres racines ayant un rapport avec la langue, notamment lb, lw et l.

    lm.4 (XIXe s.)

    lum, laam, pl. alm mine (cavit pratique sous un difice ou dansun rocher pour les faire sauter par la poudre) ; mine (explosif) laama miner (un difice, un pont, etc.)

    tymologie : cette racine est rapprocher par ses deux consonnes et m dautresracines ayant un rapport avec la pntration et les galeries souterraines comme ms, m, N ml, N mn et surtout de N miy taupinire do lenom laam est peut-tre issu par lintermdiaire de formes dialectales ayant subi desaltrations assez communes : agglutination de larticle, mtathses, apocope, et probableinfluence de la racine lm.1. Cf. turc lgm et grec [lagomi].

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  • Sources bibliographiques

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