actes_quebec2008_livre2

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FIPF, au CIEP 1 avenue Lon Journault 92318 Svres cedex FranceTl. : (33) (0) 1 46 26 53 16 Fax : (33) (0) 1 46 26 81 69

Fdration

internationale des proFesseurs de Franais

www.fipf.org

9 rue Jean de Beauvais 75005 Paris France

Jean-Pierre CUQ Prsident

(FranCe)

dario PaGeL (BrsiL) Prsidenthonoraire

Peiwha Chi Lee ViCe-Prsidente

(taiwan)

raymond GeVaert (BeLGiQUe) ViCe-Prsident madeLeine roLLe-BoUmLiC seCrtaire Couverture - Laurent Pochat Logo - Qubec - 2008GnraLe

(FranCe)

Faire vivre les identits FrancophonesaCtes dU Xiie ConGrs mondiaL de La FiPF QUBeC 21 - 25 JUiLLet 2008

tome i. enjeux socio-politiques tome ii. enjeux culturels et littraires enjeux technologiques tome iii. enjeux pdagogiques et didactiques

tome ii. enjeux culturels et littraires enjeux technologiques

FIPF- 2008 FEDERATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANAIS

FEDERATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANAIS

comit organisateur du colloque Prsidente : Madame Marguerite Hardy Vice-Prsidente : Madame Louise Savoie administratrices Madame Lizanne Lafontaine Madame Suzanne Fradette Madame Genevive Leidelinger administrateurs Monsieur Olivier Dezutter Monsieur Dario Pagel coordonnateur Monsieur Bruno Dufour trsorier Monsieur Marcel Tremblay

dialogues

et

Numro 55

cultures

ISSN - 0226-6881

Imprim en Pologne en dcembre 2009 Sous les presses de Zakad Graficzny Colonel s.c. - ul. Dbrowskiego 16 30-532 Krakow Tl. (012) 423-66-66

pour la prparation et la coordination de ce numro Jacques Corts, Henda Dahouadi, Sylvie Liziard, Jean-Jacques Liziard, Laurent Pochat, Madeleine Rolle-Boumlic

Faire vivre les identits Francophonessommaire

tome ii. enjeux culturels et littraires - enjeux technologiquesAgha Malak Ezza (Liban) - Les implications identitaires dans le roman francophone libanais : le cas du roman fminin Alvarez Dolores (Union latine), Duchesne Christiane (Qubec), Gueye Masambe (Sngal), Tost Planet Manuel Antonio (Espagne), Chardenet Patrick (France) - Contes617 625

multilingues entre universalit et particularits : un didacticiel en ligne pour mettre en valeur et favoriser les changes interculturels

Anjali V. Bagde (Inde) - Exploiter les textes littraires dans les cours de FLE en Inde, une approche interculturelle Blanc Mireille (France) - Ladaptation comme propdeutique au texte littraire, lexemple du Petit Chaperon rouge Bogle-Cayol Desrine (Jamaque) - Traduire la littrature de la Carabe francophone Bondarenko Anna, Ion Guu (Moldavie) - Identification de lidentit nationale dans lcriture de Panati Istrati Bouvier Batrice (France) - Mdiation, mtissage dans luvre romanesque de Franois Cheng et de Dar Sijie Boza Araya Virginia francophone(Costa Rica)

641 649 657 663 675 681 687 691 693

- Diversit culturelle travers la littrature

Buisseret Chritiane (Belgique) - Intrt, difficults et avantages dun cours de littrature et langue franaises en classe terminale en Belgique francophone Cholette-Rees Louise de la paix(Canada)

- La littrature franaise de jeunesse au service

Claustre Daniel, Jacques Martine (France) - Le dcentrement, moyen daccs une culture littraire (dcouvrir des textes utopiques de lge classique lcole primaire) Colls Luc (Belgique) - Littrature beur et qute identitaire Conte-Stirling Graciela (France) - Colette et les contes enfantins : une technique originale pour transmettre la parole de Sido Cosma Mihaela (Roumanie) - Comment valoriser la nouvelle littrature contemporaine dans la classe de franais

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Actes du Xiie congrs mondial de la FipF - Qubec 2008 723 729 745 755 761 767 773 779 785 797 803 811 819 827 835 839

Chianca Karina (Brsil) - Lyrisme, posie et art dans un dialogue littraire entre la France et le Brsil Deslauriers Camille (Canada) - Dvelopper la comptence crire des pomes et des nouvelles littraires en recourant des hypotextes contemporains qubcois Duhaime Andr (Canada) - Autour du haku et du tanka Fourtanier Marie-Jose (France) - Comment la littrature peut-elle contribuer faire vivre les identits francophones dans la classe de franais Geffroy Kontack Danile (Tchquie) - Pour le rayonnement des identits par le rayonnement des livres Gruca Isabelle (France) - La dcouverte de lautre, la dcouverte de soi par la littrature franaise et francophone Kaya Mumtaz (Turquie) - Lapprentissage du franais des affaires par immersion dans la littrature contemporaine Khattate Nasrine la posie persane(Iran)

- Le franais, un espace daccueil pour la traduction de

Lebrun Marlne (France) - Quand les professeurs en IUFM parlent de leur rapport la littrature de jeunesse et son enseignement Lebrun Monique (Canada) - La reprsentation et le rle de ltranger dans la littrature qubcoise de la migration Lpine Martin (Qubec) - Lle perdue : une aventure littraire interdisciplinaire Lions-Olivieri Marie-Laure (Canada) - Quelle place accorder la culture et la littrature en classe de franais Lopez Morales Laura (Mexique) - Un espace dtranget sapproprier Maisonneuve Lise (Qubec) - La reprsentation de ltranger dans le roman Les Lettres chinoises de Ying Chen Moutakil Samira Jordanie(Jordanie)

- La culture franaise dans un cours de langue en

Nadalin Eduardo, Cherem Lcia P., Dessartre Nathalie, Moreira Sandra (Brsil) - Comment incorporer des littratures francophones dans un cours de lettres de tradition franaise ? Nguyen Van Dung, Le Viet Dung, Nguyen Van Huan, Pham Duc Su (Vietnam) Culture denseignement et culture dapprentissage du franais au Vietnam Ozolina Olga (Lettonie) - La prsence des cultures dans les manuels de franais en usage en Lettonie Pietraria Cristina (Brsil) - Langue, culture et littrature dans les manuels brsiliens de FLE Pizako Anastasie (Gabon) - Une francophonie de la littrature

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Actes du Xiie congrs mondial de la FipF - Qubec 2008

Porto Maria Bernadette (Canada) - Langues et cultures en mouvement dans le paysage transculturel de Montral, pistes dexploration du livre Les Aurores montrales de Monique Proulx Sanada Keiko (Japon) - Littrature et rvolte chez les crivaines asiatiques dexpression franaise : Ying Chen et Aki Shimazaki Shahin Shahnaz (Iran) - Pourquoi apprendre la littrature franaise en Iran ? Sorin Nolle, Pouliot Suzanne (Canada) - Les retombes du discours ditorial sur la lecture des jeunes Qubcois (1970 - 2005) Svatkova Tatiana, Oxana Sumida (Ukraine) - Le discours de la presse franaise dans lapprentissage du FLE la Facult des langues Vaupot Sonia (Slovnie) - Culture et traduction Vignest Romain (France) - Franais, littrature et humanisme Vivanco Luis (Venezuela) - Ibn Khaldn et la construction de contenus historiographiques Yang Shu Nu (Tawan) - La stratgie culturelle dans lorientation dapprentissage

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889 897 903 913 919 927 933 945

enjeux technologiquesBittoun-Debruyne Nathalie (Espagne) - Le FLE et la Francophonie en ligne Black Catherine (France) - Clavarder avec le monde : simple change linguistique ou beaucoup Plus ? Cansino Maria Otilia, Neira Loaiza (Colombie) - Les TIC et les styles dapprentissage dans la classe de FLE Koecher Liliane (France) - Faire vivre les identits francophones travers le cinma Komatsu Sachiko, Delmaire Gilles (Japon) - Manuel pour lenseignement du franais et Internet bas sur la perspective actionnelle Lacelle Nathalie (Canada) - Les langages littraire et cinmatographique pour parler de la culture francophone Lappin-Fortin Kerry, Tremblay Cinthia aussi bien en ligne quen classe ?(Canada)

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- Nos dbutants apprennent-ils

Ortga Jos (France) - Nouveaux enjeux de la culture scientifique et technique Pquier Evelyne, Dautry Claire-Lise, Boiron Michel (France) - Dispositif interactif multimdia pour enseigner et apprendre le franais avec TV5 monde : 7 jours sur la plante Prieto Luis E., Rueda Ana Maria (Mexique) - Connatre les reprsentations des lves pour crer du matriel multimdia sur mesure Lobato Theodore Esteban, Serrano Heras Julin (Espagne) - Ateliers et concours de karaoke en Association

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Actes du Xiie congrs mondial de la FipF - Qubec 2008 1043 1047

Sommet Vicky, Bastide Emmanuelle, Amar Yvan studio la classe

(France)

- Micros ouverts, du

Tchomyen Robeline (Cameroun) - Limpact des nouvelles technologies de linformation et de la communication sur lexpression orale et crite en classe de FLE travers la mthode Apprendre et Enseigner avec TV5 Tobiassen Rolf (Norvge) - Comment inciter les jeunes des pays non francophones choisir le franais ? Tzanavari Mirsini (Grce) - Exploiter les nouvelles technologies pour ltude dun texte littraire

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Faire vivre les identits francophones

actes du xiie congrs mondial de la FipF - qubec

enjeux

culturels et littraires

Ezza Agha Malak Ecrivaine, Liban

les

implications identitaires dans le roman Francophone libanais

le

:

cas du roman Fminin

Lcrivain francophone libanais, ce narcisse moyen-oriental, se penche sur le miroir du monde pour en extraire son image culturelle. Sil abandonne sa langue pour sinvestir dans la langue de lAutre, ce nest pas pour rejeter ses idologies, sa culture, ses racines, mais pour permettre justement celles-ci de spanouir, panouir sa propre identit culturelle, ses problmes indignes dans une langue de partage. Le roman fminin expose la singularit de linvestissement de la Libanaise dans cette langue. Il dveloppe une stratgie identitaire en faisant merger la condition fminine souvent soumise au machisme. Si les romancires libanaises recourent dans leurs crits lhistoire, cest pour faire exister leur propre identit enfouie dans leurs racines. La francophonie est une sorte de mouvement salutaire du monde contemporain o sunissent voire concubinent celles et ceux qui ont choisi de parler et dcrire en franais. Littrature arabe et littrature francophone se donnent la main dans une complmentarit vidente, faisant vivre une troisime littrature imprgne de mtissage, de cohabitation et dacculturation. Existe-t-il vraiment des implications identitaires en matire du roman francophone et quel est cet impact psychologique, anthologique, socioculturel, etc. consquent cette crise didentit souvent invitable ? Cette thmatique propose un cas particulier : le roman francophone libanais se conjugue au fminin. Et il se porte bien ! Un cas qui interpelle. Alors quel est le problme ? Rien si ce nest que la Francophonie assure la femme crivante un espace vital et un poumon pour respirer. Elle lui permet doser. Les violences, la guerre, le machisme, linjustice etc. deviennent des thmes privilgis, en roman comme en posie, rdigs en franais. En dnonant aujourdhui le mal et le mle, la romancire libanaise revendique ses droits de femme sous forme dune histoire le plus souvent taxe dautobiographie. La francophonie fait souffler sur elle un vent de libert. Les diffrents enjeux de cette question identitaire dans lcriture romanesque francophone amne sinterroger sur le franais comme facteur culturel et interculturel, sur la francophonie en tant quespace de libert particulirement fminin et sur lidentit francophone en tant quentit complexe btie sur un617

Faire vivre les identits francophones

dilemme. On sinterrogera ainsi la manire dont la francophonie a particip lmancipation de lcrivaine libanaise en lui permettant plus despace de libert dexpression ; comment lcriture en franais lui est devenue un moyen de sortir du silence, de lever le doigt pour accuser et dnoncer selon un enjeu non seulement culturel mais cultuel qui exhibe cet attachement, ce culte avou et dvou aux origines. Au Liban, on ne nat pas francophone comme au Qubec, en Belgique, ou en Suisse. On le devient. Ceci par un processus infatigable de plonges dans lunivers de la langue franaise et une qute continuelle dune nouvelle identit. Cela dit, un court envol historique nous parat ici indispensable. La francophonie libanaise est le fruit de deux faits historiques : les croisades et le mandat franais. Elle a fait ses dbuts ds 1109 Tripoli, la seconde ville du Liban, qui fut durant le temps des croisades, la rsidence des seigneurs du Comt de Tripoli et lun des principaux tats francs du Levant. Or, au Liban, la francophonie libanaise nest pas une entit complexe aux codes insaisissables, mais une jonction dchanges, de connaissance et de reconnaissance. Cest un parcours laborieux donnant accs au partage ; avec une diversit didentits culturelles qui se racontent entre elles, en parcourant le monde vers un mme lieu de rencontre : la francophonie. Cette approche de la mme langue tisse des liens indestructibles quoique invisibles. Cest quoi tre Francophone ? Revenons la thmatique gnrale du congrs Faire vivre les identits francophones. Son nonc suppose la prsence de plusieurs identits. Ce qui implique un questionnement sur le statut de lcrivain francophone qui devrait faire vivre et entretenir SON identit. Adepte du mtissage culturel, un francophone puise dans la culture de lautre tout en saccrochant sa propre culture. Sans se dculturaliser, il transpose en franais ses motions et ses ides, penses dans sa langue maternelle. En dautres termes, cest un narcisse qui se penche sur une langue qui nest pas la sienne pour en extraire sa propre image identitaire. Empruntant la langue de lautre quil domestique et dompte pour les besoins de sa cause, le francophone (de langue et culture arabes) ressemble au passager dun pont construit avec les mots de lautre, liqufis dans une expression de pense particulire selon un mouvement migratoire de lcriture afin de rapprocher deux rives : une rive droite, la sienne, o la plume va de droite gauche ; et une rive gauche, celle de lautre, o cette mme plume aura choisi de voler de gauche droite. Un pont entre ce quil est et ce quil projette, entre ce quil a vcu et ce quil va vivre et qui constitue son espace culturel, donc vital. Il devient ainsi le point de jonction qui lie deux civilisations, deux cultures, deux mondes, deux manires de penser, en les rapprochant jusqu la fusion souvent harmonieuse, comme ces variations thmatiques quimprovisent, sur un clavier, les mains dun pianiste. Ce passager du pont (le francophone libanais), afin dexister et faire exister son identit culturelle, effectue des allers-retours entre les deux rives, allant de618

Enjeux littraires et culturels

la sienne et de sa Mditerrane inspiratrice, celle de lautre, ocanique quil apprivoise en se ddoublant. La duplicit est le propre du francophone : quand jcris en franais, moi la libanaise de langue arabe, je suis double. Larabophone en moi se ddouble dune francophone qui trouve dans la langue emprunte, son bien tre, sa libert et sa scurit. Cest l que se situe mon identit libanaise francophone ; non point impose ni subie mais base sur un choix. La cration francophone cest donc dans le fait dtre soi-mme et un autre. Soi-mme eu gard ces empreintes de lenfance et du terroir, qui marquent indlbilement ltre humain. Jai beau enterrer, en crivant en franais, cette partie orientale, mditerranenne, libanaise, arabe, tripolitaine... de moimme ; elle se dterre, comme un sphinx ensabl, dans un seul but, faire vivre MON identit culturelle, mtisse de couleurs. Dans mes romans, je mets en scne des personnages de mon pays, de ma socit et de mon entourage oriental. La franaise que je suis devenue garde en elle les origines de la Libanaise que jai laisse l-bas, au bord dune Mditerrane incitatrice qui cre en moi un tiraillement permanent entre deux histoires, deux gographies, deux cultures, deux pays. Lidentit francophone est un mouvement migratoire qui oriente vers les origines ; cest ce retour inexorable vers ses racines, sa culture, son existence premire ; vers son berceau qui se refuse leffacement et au nihilisme. Non sans quelque perversion, je file souvent mes mtaphores en conservant de ma langue arabe sa syntaxe musicale, ses images qui minspirent dans ma langue seconde. La dramaturge et romancire Abla Farhoud dit quelle habite ses mots la manire dune patrie: Chaque livre que jcris est ma patrie pendant que je lcris. Chaque mot () devient (...) le pays qui me sauve momentanment de la mort, de la non-existence... Plus universelle encore, velyne Accad parle de mixit et de mtissage, tablissant une forte relation entre identit et criture: que je vive au Liban ou ailleurs, je nai pas un sentiment dexil mais plutt de mlanges. Vnus Khoury Ghata parle de strabisme culturel : Les francophones sont des crivains qui crivent une langue, la langue franaise, tout en louchant vers leur langue maternelle. Ce phnomne est de fait : en faisant courir ma plume de gauche droite dans le sens contraire mon sens naturel, moi larabophone qui cris dans une langue qui ne mappartient pas, je ne me trouve pas dpayse. Car il sagit bien dun problme dadoption : jai adopt la langue franaise mais elle aussi, la langue franaise ma adopte en me fournissant ses outils et un espace vital o je jouis dune certaine libert dexpression. Rsidant dans lHexagone, ma pense voltige trs loin en survolant ma Mditerrane afin damener mon chez moi chez moi en France, ma terre daccueil et damour. Jai apprivois la langue franaise et la France na pu compltement mapprivoiser, mme en faisant de moi sa citoyenne. Jappartiens dlibrment deux cultures, deux langues, cest l que je trouve mon visage de femme tout nu, mon identit culturelle libratrice, mon image de Narcisse que jaurais cache en crivant en arabe. Quand jcris, cest la femme libanaise francophone qui surgit en premire pour crier en franais, sa rvolte.619

Faire vivre les identits francophones

Mes romans crits en franais racontent, non pas la France mais mon Liban, ma socit, mes problmes de femme et le visage de mes hommes. Aurais-je crit de la mme faon en arabe ? Probablement que non. Une certaine pudeur (et peur) intellectuelle men empcherait. Ces femmes qui ont os crire... Dans ce Liban francophone, le paysage culturel contemporain prsente une forte prsence de femmes crivaines. Une littrature francophone fminine sest impose, dfiant par sa quantit et sa qualit, la littrature francophone masculine ou encore la littrature fminine dans le monde arabe. Entendons-nous dabord sur le concept Fminin que certains crivains ont rfut. Dans son Site des crivains Libanais Francophones , Alexandre Najjar refuse de qualifier lcriture dA. Chdid de fminine : terme trop souvent associ une mivrerie de convention dit-il ; et Vnus Khoury Ghata rejette le terme dcriture francophone fminine. Il y a une criture, quelle soit fminine ou masculine . Mais un crit de femme est, par dfinition grammaticale, un crit fminin. On se doit de recourir ce qualificatif afin de nous simplifier la vie et la syntaxe. Le franais tolre cet emploi. Quon le veuille ou non, les crits des femmes appartiennent une littrature qualifie aujourdhui de fminine . Il existe bel et bien un roman fminin et des crits fminins ; lutilisation de ce qualificatif que certains considrent comme une incongruit smantique, est assez pertinent. Je le pense dans son sens aussi bien dnotatif que connotatif, dans son sens qualificatif et attributif, loin de tout militantisme ou fminisme ! Ainsi, assiste-t-on aujourdhui un phnomne culturel important concernant lcriture francophone des femmes libanaises dans un contexte culturel qui vient de vivre les grands mouvements de libration de la femme mais aussi de grands moments de conflits et de violences. Telle une prise de conscience, lcriture devient leur raison dtre et une arme de salut face la ngation. Elles y exposent leur condition et leurs problmes de femme : la discrimination, la polygamie, la rpudiation, la marginalisation dont elles sont victimes. Elles envahissent lunivers du mle, lhomme oriental qui a fait le monde sa mesure. Lcriture en franais devient ainsi leur espace de libert o elles peuvent se mouvoir sans tre pies. La crise identitaire du roman francophone libanais Cette crise identitaire sest rvle au cours des conflits qua subis le Liban. Disons que face labsurdit et les violences de la guerre de 75, limaginaire fminin a pris de lessor et les voix fminines des crivaines libanaises se sont multiplies. Rvoltes contre les folies meurtrires et le fondamentalisme, leur arme fut la plume, afin de porter vif le tmoignage survivant dune fureur exacerbe . Les recherches doctorales de Anne-Sophie Riquier ont bien su explorer ce visage fminin du pays. Autant quun acte crateur, le roman se fait ainsi passation, hritage, esprance... Pour lauteure les crivaines libanaises francophones

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Enjeux littraires et culturels

ont brandi le livre pour faire barrage la ruine et conduire vers les voies de lamour et du vivre ensemble En fait, la guerre est fortement prsente dans la littrature fminine francophone, confronte la manipulation politique et confessionnelle, lune lie lautre comme la cause leffet. Cependant, crire la manipulation et le confessionnalisme, accuser, rvler... tout cela constitue souvent un danger mais aussi un interdit pour une femme. Raconter en franais quivaut une mise labri peut-on dire. Le franais devient mon bouclier qui me protge de lhostilit des esprits inquisiteurs. Cest un acte librateur que dcrire dans une langue que les sbires ne comprennent pas ou la rigueur, ngligent. Rappelons que nombre de femmes qui ont os parler ouvertement pour saffirmer et pour dnoncer, ont pay trs cher le prix de cette libert dexpression. Citons entre autres, Mona Jabbour trouve morte dans sa salle de bain ; Assia Djebbar crivant sous un pseudonyme, Nawal Saadaoui auto-exile, Sahar Khalif, durement critique Le franais : langue de truchement Serait-ce lanathme quand la femme arabe dnonce, en arabe, les tabous et les interdits ? Et serait-ce la francophonie qui saurait lui procurer cet espace de libert quelle cherche, o elle sera diffrente et difficilement repre ? Cette diffrence peut tre saisie en survolant deux romans libanais, lun en arabe, lautre en franais, crits par deux surs bilingues et relatant le mme drame familial : La Maison au bord des larmes de Vnus Khoury Ghata, et Feuilles des cahiers dun grenadier de sa sur arabophone May Mnassa. Ce survol amne des considrations surprenantes. Bien que les vnements dramatiques soient presque les mmes dans les deux romans, nous remarquons une diffrence nette dans la manire de les exprimer. Le roman crit en franais est dun ralisme scandaleux, narrant la ralit crue : vocabulaire brutal, expression rvoltante, ides scabreuses et images brutes sans retouches. Par contre, le roman arabe tente damnager le scandale en vitant le vocabulaire cru et les ides brutales : ambiance amne et tolrante, vrit maquille dans un souci de dvoiler prudemment la ralit. La raison de ces diffrences est simple: larabophone vit au Liban et crit en arabe, donc conditionne par un environnement socio culturel qui nest autre que la preuve ontologique de son existence. La francophone crit en franais et ce fait lui assure un espace de libert et une protection loin de son environnement inquisiteur. Ainsi lcriture en arabe tant soumise certaines conditions thiques, le besoin de sexprimer en franais semble tre avant tout un besoin de protection. Cependant, mme avec cette partie de cache cache et lemprunt dune langue de truchement, ce nest toujours pas sre. Je donne en exemple la table ronde organise autour de mes deux romans crits en franais : Balafres et La Mallette. Le premier est rest indit pour des raisons inavouables expliquais-je. Par prudence ou par peur ? Probablement les deux la fois! Ce livre expose entre autres ltat daberration politique et conomique o a sombr le Liban pendant

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Faire vivre les identits francophones

loccupation syrienne. Quant La Mallette, le roman fut durement critiqu par des tudiants et des professeurs. Cest quil procde une dconstruction du systme confessionnel concernant certaines lois religieuses (lhritage, la domination masculine, la rpudiation, la corruption, etc.) Mes critiques ont propos que je laisse dans lombre toute vrit qui dprcie et rabaisse, ne pas rvler aux autres le scandale oubliant ainsi le rle du romancier : dire la vrit. Disons donc que cest plutt dans un enjeu librateur que les crivaines libanaises francophones ont recours la langue franaise : affirmer leur identit ; rester identiques elles-mmes alors que leur langue arabe ne le permet pas toujours. La langue emprunte devient une urgence pour asseoir lespace identitaire. Et cest dans un attachement particulier au patrimoine culturel que ces femmes ont pris la parole en franais, imposant leurs propres mtaphores, partant dun style iconoclaste qui carte les conventions et les traditions dun pays aux appartenances multiples et dune socit orientale attache ses rites: une remise en cause de la question identitaire au sein dune globalisation dune culture dominante franaise. Cette appropriation linguistique donnant lieu une ouverture sur lautre et lautre, une sorte daltrit consensuelle, leur permet daccder une individualit intrieure et une libration quelles prononcent ostensiblement. Les crits fminins sont un moyen sr de faire reconnatre les droits spolis des femmes et leur cause prioritaire. LExcise dvelyne Accad et son recueil de nouvelles Femmes du crpuscule, ou encore la Femme de mon mari de Ezza Agha Malak et son dernier roman Franaise et... musulmane sont des tmoignages vivants de la revendication de ces droits. Aujourdhui, la femme ose dnoncer en mettant le doigt sur la blessure. Disons aussi que lune des proccupations constantes de la littrature fminine daujourdhui semble tre la figure du mle. Entre le mal et le mle homonymiques, on trouve souvent un rapport synonymique. La peinture des figures masculines dans ce quon appelle la perception de lhomme, occupe une place prpondrante dans les romans des femmes libanaises. Problme dgotisme Revenons aux implications identitaires. Il est vrai que lorsquon migre dans une autre langue on abandonne sa langue maternelle, mais abandonnera-t-on sa culture et son patrimoine ? Non. Il est infiniment rare que cela arrive. Car, inconsciemment, on continue entretenir avec la langue maternelle un rapport nombriliste. Les implications identitaires sont fatidiques. Par ailleurs, on ne peut pas accder la francit par la seule porte de lOccidentalisation. En migrant dans la langue de lautre, on porte avec soi ses bagages culturels, comme dans un dmnagement. On change de logement, cest tout. tre francophone ne veut pas dire tre dracin ou rejeter ses convictions, mais plutt accder lhumanit suprieure et universelle par ses propres racines. Et crire dans la langue de lautre ne veut pas dire gommer ses propres diffrences et renier ses germes culturels mais plutt les enrichir par lapport de lautre. La rencontre devrait se faire dans la reconnaissance marque par la diffrence. Cest pourquoi on trouve runies dans la mme uvre francophone, notamment celle des femmes, arabit et francit, langue dappartenance et langue622

Enjeux littraires et culturels

dadoption, tout en gardant le jeu des diffrences dans toutes ses particularits linguistiques et ses implications identitaires. Quelles soient en France, au Canada, aux tats-Unis, en Australie, etc., quelles aient parl dimmigration, dintgration ou dacculturation, les crivaines libanaises ont gard lempreinte du terroir et sont ainsi devenues les acteurs interculturels entre leur pays et le pays daccueil. tre la mme et tre une autre : francophonie oblige. En qute de son lieu imaginaire o elle peut fconder, la Libanaise ajoute sa dimension gotique. Le questionnement identitaire et la question identitaire ne peuvent senvisager que par notre rapport lAutre, au sein mme du mtissage et du mlange des cultures. Cest ainsi quon parvient dcloisonner les frontires. Faire rayonner lidentit francophone cest donc faire rayonner en mme temps sa propre identit culturelle. La ngliger, ce sera une dmarcation par rapport son origine et la mmoire collective, nationale et spirituelle. Que voulez-vous ? Migrante ou immigrante, exile ou auto exile, lcrivaine libanaise semble tre indracinable. Elle se refuse perdre son identit premire, la dissoudre dans une autre, mme si elle veut participer un monde douverture. Pas de mondialisation sans respect de lidentit. Problme de rception travers cette exprience migratoire, la question de lidentit culturelle parat donc capitale. Cependant, certains crivains francophones en abusent dans lintention de confrer lexpression, leur individualit et leur cachet propre : donner limpression de ltranget travers laquelle sexprime leur identit. Introduire des lments tranges et trangers proches de lexcentricit revient revendiquer ses racines et affirmer son appartenance: une sorte de crise identitaire prsente dans luvre francophone de la Diaspora libanaise. Labus (dun idiome, dune structure linguistique ou syntaxique, bref de certains aspects fortement identitaires) peut devenir dangereux dans un crit en franais, et crer ainsi un problme de rception qui embarrasse le lecteur issu dune autre culture. Celui-ci fait certes une visualisation dapproximation ; mais lorsque lambigut domine et que lidentit culturelle dorigine prend des dimensions suprieures celles de lautre identit, lopacit est invitable. Cependant, ce problme de rception ne nous amne gure partager la vue de Zahida Darwiche sur lintrt exotique en littratures francophones, ni admettre son constat savoir que lcrivain francophone du Moyen Orient ne suscite gnralement quun intrt exotique ou au mieux documentaire en France et dans les autres rgions francophones. Nous nadhrons pas non plus son opinion qui dit que lcrivain de langue franaise est forcment un auteur marginal dans son pays dorigine et quil nest pas pour autant mieux connu en dehors, etc. Un roman francophone ne diffre dun roman franais que par le nom de son auteur ou par quelques arabismes dlibrs dans un but dtermin. Noublions pas que pour ces crivains francophones, limmersion dans la langue franaise est totale. Un texte extrait dune uvre francophone et un autre extrait dune uvre franaise sont difficilement distinguables sur le plan linguistique ou623

Faire vivre les identits francophones

pragmatique. Les deux sont crits en franais et en gnral, un bon franais littraire. Lintrt exotique ou documentaire prtendu se rvle nul (sauf dans certains abus volontaires). Je donne en exemple le recueil de pomes quatre mains et deux curs, crit simultanment par Gilles Sicard dorigine franaise et Ezza Agha Malak dorigine libanaise. Dans ce recueil, les pomes franais sont difficilement distinguables sur le plan linguistique et littraire des pomes francophones. On ne peut pas dire QUI a crit QUOI. Bibliographievelyne ACCAD : Francophonie : Conflit ou complmentarit identitaire ; actes du colloque Balamand, Liban 2007. .......... Femmes du crpuscule, lHarmattan 2008. .......... LExcise, LHarmattan, Paris 2000. Ezza AGHA MALAK : crits fminins, crits masculins ; actes du colloque de Zahl, Liban, 1999. .......... La Mallette ; d. jarrous, 1989, Liban. .......... La femme de mon mari, d. des crivains, 2001. .......... Franaise et musulmane, LHarmattan 2008. Ezza AGHA MALAK et Gilles SICARD : quatre mains et deux curs, posie du Yin et du yang, d. des crivains, 2008. Carmen BOUSTANI : Effets du fminin, Kartala 2003. Carmen BOUSTANI et Edmond JOUVE : Des femmes et de lcriture, Kartala 2006. Collectif 1999, Regards sur luvre narrative et potique de Ezza Agha Malak, d. des crivains. Collectif 2005, Regards croiss francophones sur luvre de Ezza Agha Malak, lHarmattan. Zahida DARWICHE JABBOUR : Littrature francophone du Moyen Orient, disud 2008. Vnus KHOURY GHATA : Actes du colloque de la Francophonie, 2001. Rencontre 2005 Paris. Lucie LEQUIN : Abla Farhood et la fragilit du bonheur, Condorcia 2004. Alexandre NAJJAR : Site des crivains Libanais francophones. Anne Sophie RIQUIER : Les femmes du Liban face la guerre, thse de doctorat, Paris IV 2005.

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lvarez Dolores, Union Latine Christiane Duchesne, Qubec Massamba Guye, Sngal Manuel Antonio Tost Planet, Espagne Patrick Chardenet, Agence universitaire de la Francophonie Universit de Franche Comt

contes

multilingues, entre universalit et particularits

:

un didacticiel en ligne pour mettre en valeur et Favoriser les changes interculturels

Les contes dun didacticiel en ligne pour promouvoir les changes Dolores lvarez Union Latine Cinq voix se sont manifestes, dans cette table-ronde, pour essayer de montrer pourquoi, o et comment, dans le contexte o les contacts interlinguistiques et interculturels sont limits , on peut favoriser les changes virtuels entre les locuteurs . abord celle de lcrivaine qui allie dans un conte-fable animalier la modernit et la magie blanche du grand nord. Celle, ensuite, du conteur, dans les deux sens du terme, qui invente des contes et qui raconte la connivence du baobab et de la petite princesse esseule qui finira par trouver, sinon pantoufle de vair son pied, du moins force et bonheur face la mchancet. Celle encore de lenseignant-chercheur qui, pour sa part, essaie damalgamer ce qui prcde en un artefact servant communiquer, apprendre et enseigner par lcrit, loral, limage et le jeu. Celle du didactologue qui fonde en thorie les donnes prsentes dans les apports divers de lintercomprhension. Celle, enfin, de linstitution, qui organise, coordonne, pourvoie et soutien, et sans laquelle rien ou peu de chose aurait pu tre ralis. Lensemble visant aussi ouvrir encore des voies pour le plurilinguisme et linterculturalisme. Dautant que si leur objet premier nest pas la promotion dune seule mais de plusieurs langues (six en loccurrence), il ne fait pas de doute que les modules du didacticiel en ligne de lUnion latine Itinraires romans ( la conception et la ralisation desquels ont particip, des titres divers, les personnes prcdemment cites), prsentent des caractristiques particulirement intressantes sur les plans culturel et ducatif et plus prcisment sur celui de la promotion de la diversit dans lunit identitaire francophone. Le grand voyage de Tomi, conte qubcois original, et La Princesse, le baobab et les cauris, conte sngalais crit lui aussi pour la circonstance, ont effectivement en commun de prsenter des univers mtaphoriques quelque peu fantastiques et merveilleux, pour un public dadolescents dans ou hors de linstitution scolaire, sans se dpartir de leur finalit ludique et pdagogique. Sils sont, dautre part, diamtralement opposs par leur localisation et leurs climats respectifs, ils nen restent pas moins unis dans la diffusion de valeurs telles que le respect de la diversit, la fraternit et la solidarit.625

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Aprs avoir expos, chacun son tour, la part de leur implication dans le projet de lUnion Latine, les participants cette table ronde ont dbattu, entre eux et avec le public, des perspectives prometteuses quouvrent les dveloppements rcents des technologies de linformation et de la communication et des approches plurilingues en didactique des langues. Et lorsque nous disons globalement didactique des langues , nous nous rfrons, sous diffrentes formes, aussi bien la didactique des langues trangres (dLe) ou secondes (dLs) qu celle des diffrentes langues maternelles (dLm) impliques dans le didacticiel. Le conte : vecteur de valeurs ducatives Christiane Duchesne Autant dans le conte que dans le film ou le roman, si les valeurs ducatives sautent aux yeux, elles parviennent bien mal sduire. Lorsquon fait la leon, le charme opre bien peu. Instruire et amuser, duquer et mouvoir, on pourrait dcliner de bien des manires ces deux grandes fonctions du conte. De tout temps, les conteurs ont transmis les valeurs fondamentales qui donnent un sens la vie et les grands courants mouvants de limaginaire. On peut crire pour rien du tout, on peut aussi crire pour rpondre une commande. Certains crivains ont horreur du texte de commande. Pour moi, au contraire, ces demandes me mettent sur des pistes que je naurais sans doute jamais explores si on ne me les avait pas proposes. Dans le cas de lhistoire de Tomi, il sagissait dune commande douce Au moment dcrire cette histoire, je vivais Paris. Est-ce le fait davoir t depuis tant de mois loin du Qubec? La premire ide qui mest venue fut dcrire un conte blanc . Tout allait tourner autour de la neige. Vu de loin, ce qui mapparaissait le plus caractristique du Qubec par rapport aux autres pays membres de lUnion latine, ctait nos hivers, ces six mois de froid et de neige qui font de nous ce que nous sommes. Partant de l, il allait de soi dimaginer un voyage aux confins de nos mondes blancs, l o vivent videmment des animaux blancs. tous ces enfants espagnols, catalans, roumains, italiens, portugais, brsiliens, franais, tous ceux qui allaient, de partout dans le monde, entendre ce conte, jallais parler de neige. Ce vaste pays blanc qui fascine, cest un jeune renardeau qui allait le dcouvrir bien malgr lui. Le conte peut vhiculer une infinit de notions. Ici, cest dabord lenfant qui tient faire par lui-mme lapprentissage de la vie qui est mis en scne. Tomi dclare : Ne vous inquitez pas, je reviendrai quand je serai grand . Utiliser comme dcor la fort borale, la toundra et le Grand Nord allait me permettre de faire croire Tomi quil grandissait. De jour en jour, il avance vers le Nord et traverse des forts o les arbres se font de plus en plus rabougris : Tomi croit quil grandit, se retrouve devant des arbres dont la cime lui arrive au museau Fiert, russite, il nest plus un petit renardeau, mais un grand renard. Et mme si cest absolument faux, il nen est pas moins fier. La confiance en soi sest installe, Tomi se sent trs fort. Or, il ne lest pas puisquil est particulirement vulnrable, ne pouvant pas se camoufler cause de son pelage roux. Les animaux blancs le conseillent, le626

Enjeux littraires et culturels

protgent, mme les loups sont pleins dadmiration pour ce petit tmraire. La qute de Tomi fait dcouvrir la toundra, le grand harfang des neiges oiseau emblmatique du Qubec, les aurores borales ces merveilles que ma grandmre appelait les marionnettes , fait dcouvrir aussi tous ces animaux qui vivent en harmonie avec la nature qui est la leur et qui ont su sadapter leur environnement. Ce conte souligne galement que les espces diffrentes peuvent vivre en harmonie. Pause devinette : savez-vous comment lours polaire se camoufle lorsquil flaire le chasseur lafft? Rponse : il ferme demi les yeux et cache son museau entre ses grosses pattes, les yeux et le museau tant les seuls lments noirs de cet animal. Assez impressionnant voir, ce grand colosse blanc qui marche sur ses pattes de derrire, le museau entre les pattes, comme un petit enfant qui tente de se cacher Cette image de lours polaire si massif et si fragile devant larme du chasseur recle pour moi les fondements du conte. Cest en quelque sorte mon personnageftiche, le symbole du hros qui possde la force et que tous admirent, mais qui risque tout moment de sombrer par sa propre faiblesse. Dans Le long voyage de Tomi , jai opt pour le petit hros, petit mais qui se sent trs fort, limage de lenfant qui vit dans un monde de grands, en toute confiance, mais sans se sentir si petit. Lenfant a ses forces et les connat, souvent bien mieux que ses faiblesses. Cest cette belle confiance qui anime Tomi et qui le fait se sentir prt tre grand . Dans dipe sur la route, Henri Bauchau crit ceci (cest Antigone qui sadresse dipe) : Je nai jamais vu de gant. Mais si, tu en as vu. Quand tu tais petite, tu vivais au milieu deux. Tu les connais trs bien.

Lenfant vit au milieu de gants, mais ne se sent pas miniaturis pour autant, ni amoindri, ni cras (ou du moins ne le devrait pas). Il sera grand lui aussi, cest sa tche : grandir. Les hros de contes permettent lenfant desprer, de se projeter dans le temps et de simaginer hros son tour. Lenfant frmit lorsque son hros vacille, lorsquil se retrouve aux prises avec plus fort ou plus malin que lui. Lenfant exulte lorsque le hros vient bout des embches qui se sont places sur son chemin. Lenfant sattendrit lorsque le hros sapitoie sur le sort de plus faible que lui, il est rconfort lorsque le hros prend sous son aile un plus petit que lui. Ne faisonsnous pas de mme lorsque nous sommes pris par un roman ou par un film ? Ces valeurs didentification, cest le conte qui les vhicule. Lenfant lecteur ou auditeur aime reprendre cent fois le mme conte, car il finit par sy sentir confortable, il sait ce qui va se passer, mais il veut lentendre encore. Il sait quil va frmir tel passage, il sait quil aura peur, quil passera par tant et tant dmotions, et cest ce quil aime. Lapprhension du connu est bien plus627

Faire vivre les identits francophones

rassurante que celle de linconnu Voil pourquoi on aime lire et relire et relire. Le conte sert donc de refuge. Mais il sert galement de mine de renseignements. Quest-ce quune aurore borale, comment se forment-elles, quelle poque de lanne peut-on les observer? Quest-ce quun harfang des neiges, o vit-il, de quoi se nourrit-il, quelle est sa longvit? Pourquoi les animaux arctiques ont-ils ce pelage blanc? Tant et tant de questions souleves par le conte Si je disais au dbut que ces valeurs ne doivent pas sauter aux yeux, cest quil faut tout prix viter de briser la magie du conte. Si le conteur ou lcrivain interrompt le fil de lhistoire pour expliquer ceci et cela, le charme seffrite, lenchantement disparat. Le retour la ralit se marie trs mal au trac apparemment farfelu de la ligne dramatique dun conte. Le conte est donc lamorce toutes les questions qui viendront, auxquelles lenfant rflchira ou quil posera carrment. Mais seulement aprs Moment magique entre le conteur et lauditeur ou le lecteur, moment suspendu entre idalisation et ralit, entre le connu et linconnu. Le bel imaginaire se construit, daprs moi, sur une solide ralit. De toute manire, tout ce que lon croit inventer la souvent dj t, depuis des sicles, depuis des millnaires de tradition orale. Nous revoyons le monde, nous le saisissons selon ce que nous sommes. Une Qubcoise Paris rinvente sa neige et imagine un petit renard audacieux Cette ralit sur laquelle sappuie lcrivain ou le conteur , cest celle que tant dautres histoires ont forge, celle quil a absorbe au fil des ans, des expriences et surtout, en observant ce monde dont il veut retransmettre une image, la sienne. Et cette image quil retransmet, cest en quelque sorte lensemble des valeurs auxquelles il croit. Tradition orale et classe de langue, ou de loralit loralit Massamba Guye Mesdames, Messieurs, merci de me prter pour un temps, vos oreilles qui, soyez srs, seront rendues la fin de mon propos. Nous saluons celles et ceux qui ont eu linitiative de cette table ronde qui sera un lieu dchange de nos expriences professionnelles dans le cadre de lamlioration de la pratique de lenseignement/apprentissage du Franais. Nous traverserons le temps qui nous est imparti en essayant de centrer notre propos sur lactivit priscolaire comme lieu de performance pdagogique. Avec La princesse, le baobab et les cauris , nous aborderons la question de la tradition orale et classe de langue. Ce thme est pour nous une belle opportunit de discuter du conte comme outil au service dune pdagogie participative. Vous comprendrez donc demble que nous faisons partie de ces enseignants dits indisciplins qui lcartent des normes normaliennes qui ont forg leurs aptitudes enseigner. Dans le cadre de notre pratique de classe, la question fondamentale que nous nous posons est toujours : Sommes-nous avec nos lves pour enseigner les penses des autres ou pour les aider discipliner leurs penses . Parfois la rponse tombe laconique : Fais comme on te la enseign ; respecte le programme scolaire. Entre le marteau dun programme achever et lenclume du dsir dinnovation permanente, nous choisissons628

Enjeux littraires et culturels

toujours le bonheur de nos lves qui, parfois, ne comprennent pas eux-mmes au dbut les mthodes vers lesquelles nous les menons. Le conte est pour nous un outil essentiel au mme titre que les devinettes, les mythes, les lgendes, les gnalogies, etc., pour dvelopper les performances des apprenants en langue en gnral et en franais en particulier. Cest pour cela que nous insisterons sur notre pratique du conte lcole comme aspect didactique de lenseignement/apprentissage du franais . La tentation est grande de parler de trop dexpriences pdagogiques, mais comme qui trop embrasse mal treint, nous nous cantonnerons au conte oral comme support pdagogique et la toile comme moyen douvrir la classe lexprience de luniversel. Dans le cadre des modules Itinraires romans notre travail consiste produire des contenus en adquation avec le projet de lUnion Latine en intercomprhension. Nous prcisons que notre rencontre a t naturelle car ayant toujours produit des contes pour nos besoins artistiques et pdagogiques, nous avons t recommands lUnion Latine par un professeur duniversit collaborateur de ladite institution. En ce qui concerne La princesse le baobab et les cauris , il sagit dun conte original. Il est n de notre rencontre avec un artiste plasticien nomm Makhtar Pouye loccasion dune de ses expositions au centre culturel rgional Blaise Senghor de Dakar, pour ne pas dire de notre rencontre avec une de ses uvres. Cest la fascination que nous avons eue pour lun de ses tableaux qui nous a pouss ladapter en conte. Ce travail a donn naissance un recueil de contes intitul Hritage et autres contes , paru en 2003 aux ditions Le Ngre international avant de devenir un spectacle de conte qui nous a servi de support pour nos ateliers Dire le conte au bnfice des lves qui participent au festival interscolaire de thtre du Sngal organis par le Centre Culturel Franais. Cest cet atelier que lUnion Latine et ses experts ont vu avant de nous proposer den faire un support intgr aux Itinraires romans. Le travail de cration des squences narratives a permis en accord avec Dolores lvarez de lUnion Latine et son quipe darriver donner au texte un rythme adquat pour les diffrentes cibles. Cest donc fort de la matrise de ces tapes que le travail de studio sest fait. En studio, il a fallu travailler avec le chef des ingnieurs du son de la Radio Tlvision Sngalaise (RTS1) M. Moustapha Diop qui a assur la prise de son, les corrections et la masterisation puis la conversion des formats. La dernire tape de son implication a consist envoyer lenregistrement via Internet lUnion Latine. Dans llaboration de ce module, nous avons plac au centre de nos proccupations la question des leons de grammaire, de vocabulaire et de conjugaison dans un processus intgr des objectifs spcifiques lenseignement de la langue franaise pour ne pas dire des langues romanes. Ce travail distance est une base essentielle. Pour ce qui concerne les illustrations, il ny a pas une seule image qui figure sur le site et qui nait t valide par le conteur-auteur. Lillustrateur que

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Faire vivre les identits francophones

nous ne connaissions pas navait pas forcment les clefs culturelles ncessaires pour comprendre le sens des mots ou les relations entre les personnages anthropomorphes et les personnages non anthropomorphes. En tant que pdagogue, cest ce moment que nous avons commenc nous rendre compte de lintrt rel du projet dans le cadre de lintercomprhension. Ce long dialogue qui a dur des mois nous a permis davoir une nouvelle lecture de notre propre conte. Nous commencions en saisir encore plus la polysmie et la profondeur smantique par la lecture que dautres nous en proposaient. De l est n une autre approche qui a fait que dsormais louverture luniversel est la base de mon travail. Aprs les illustrations, il restait travailler sur lhabillage sonore. Les diffrents bruitages proposs ont d tre profondment discuts pour arriver faire en sorte que la voix, les images et les effets sonores ne soient pas en conflit avec lanimation finale. Les diverses tapes ainsi dcrites montrent la large palette de possibilits quoffre le travail sur le conte. Le matre de classe peut partir dun conte, dvelopper dautres activits comme le dessin, le travail de diction, la grammaire et le lexique. Si nous abordons ce point ce niveau de notre texte, cest moins par dsir de lui accorder une quelconque valeur suprieure aux autres points de grammaire que par lintrt que le mot cauris a suscit pour nos autres partenaires. En effet, ce terme qui est dune vidence certaine pour un sngalais, a donn lieu une leon dhistoire et de culture pour quil ny ait pas de confusion de sens durant les diffrentes traductions. Il en a t de mme pour le mot canaris qui renvoie un objet servant garder de leau boire et qui risquait de devenir un oiseau dans les autres langues. Ainsi le travail de traduction du conte rvle toutes les stratgies que la classe et le matre ont face au texte. Le conte devient ds lors, plus quun texte lire ou une histoire dire, une opportunit de lire lhistoire des autres peuples car, pour pntrer linconscient dun groupe social, il ny a rien de mieux que dapprendre sa langue. Toute langue est vhicule dune culture. De traduire les contes permet aussi aux lves de partir de leur univers par les accessoires des personnages et les cotextuels. Cela est dautant plus essentiel que le caractre universel du conte lui offre une adaptabilit selon diffrentes entres littraires. Le conte, sous cette forme, offre en plus dune varit dexercice, une trajectoire qui bien prise en charge donne une grille complte dactivits. Les diffrentes tapes voques vont de la collecte la fiche modle. De la collecte au spectacle : les diffrentes phases de la rduction des conflits entre langues locales et langues trangres. Llve qui cueille le conte dans sa langue maternelle arrive facilement le raconter dans un groupe restreint. Le fait quil sache le dire est essentiel car sur le plan psychologique la certitude du savoir a lavantage de mettre en position de russite. Cest alors que la deuxime tape, consistant en la traduction du conte, devient loccasion de rgler les conflits linguistiques et syntaxiques sans parler de la conjugaison. Dans le premier cycle (de la sixime la troisime), les leons de franais prenant en charge les pr-requis en langue peuvent reposer sur cette traduction en ce sens que cest llve lui-mme qui cre son corpus. Si la didactique630

Enjeux littraires et culturels

peut tre conue comme ce qui sert linstruction, il devient vident que le nouvel enseignant ne peut plus ne pas tre un animateur qui cherche rendre performants ses lves aprs les avoirs accompagns dans lassise de leurs comptences linguistiques. Lenseignant se sent avec ces Itinraires romans, artiste de lenseignement du franais. En outre, les Itinraires romans permettent de passer de loralit loralit. Lcriture devient comme un support de transmission du savoir si on ne confond pas les objectifs. On est tent de se demander si la fiche modle existe pour le conte. Non, bien videmment. Cest pour cela que ces Itinraires romans ne peuvent tre quun des multiples supports que lenseignant doit matriser pour amener ses lves changer leur rapport lcole. Apprendre doit cesser dtre une torture pour llve et cest en cela que les animations dans La princesse, le baobab et les cauris ont une interface agrable. Le conte, par sa fonction ludique libre lapprenant de la contrainte de la classe grce des activits extra-muros. Un autre intrt pour nous est que, par ce module, llve choisit son moment pour apprendre et peut dans un premier temps se passer des exercices. Cette libert est un gage de confiance dont tout apprenant a besoin. La peur de la faute et la contrainte punitive sont des freins au progrs de lapprenant. La langue franaise ne sapprend pas seulement en classe car elle doit mener llve la rencontre dune culture gnrale qui forge sa personnalit. Nous pouvons ici citer de nombreuses activits auxquelles nous avons particip soit en tant que concepteur soit en tant quexpert invit. La dernire activit autour du conte sest droule ce 02 mai 2008 Dakar o comme chaque anne, le rseau des clubs dart de littrature et de philosophie du Sngal (RESACLAP) tient son assemble gnrale. Nous y avons dirig un atelier intitul Dire le conte avec pour objectif principal darriver une sance de conte scolaire dont les diseurs sont exclusivement des lves issus de cet atelier. Cette sance organise dans la cour du lyce Thierno Seydou Nourou Tall (lyce dapplication) a t facilite par le fait que les lves se sont familiariss au rythme des contes grce des missions radios et au module des Itinraires romans. Disposer de cet outil permet douvrir latelier par une sance dcoute qui installe une situation de production orale dont la finalit nest rien dautre que dencourager la prise de parole. Si, comme on le dit, la parole souffre de trois choses : dtre dite quand il ne faut pas la dire, dtre dite o il ne faut pas la dire, dtre dite par qui ne doit pas la dire, nous pouvons affirmer que le contact avec la voix du conteur par lInternet permet lapprenant de choisir des squences et de sentraner ne pas frustrer la parole. Nous savons quil y a une ncessit de former les professeurs et les matres conduire des ateliers dcriture dans diffrents genres littraires. Notre exprience dans la direction de ces formations de nos collgues a fini par nous convaincre que la demande est bien relle. En outre, chaque fois quun collgue sollicit notre passage dans sa classe, les lves nous ont interpell631

Faire vivre les identits francophones

sur lexistence dun site pour couter des contes. La dcouverte des Itinraires romans a rendu crdible notre pratique du conte comme outil pdagogique novateur. Cest dailleurs pour cela entre autres raisons quau niveau du ministre de lEducation du Sngal, il devient de plus en plus facile de faire des activits de ce type. Aujourdhui, cette exprience avec lUnion Latine nous a permis de dposer un projet de cration dun cdrom de huit contes en wolof et en franais accompagn dun livret pdagogique. Ayant dj eu laccord de principe des autorits qui ont visit le site de lUnion Latine, nous avons fini la consolidation du rpertoire. Nous appelons aussi tous nos collgues sintresser aux devinettes et aux posies traditionnelles car le travail sur le rythme et la structuration potique peut bel et bien se reposer sur les formes voisines. Il ne tient qu nous de trouver ces jeunes dans leurs espaces (le net) pour les convaincre que nous nous intressons leur univers. Le dernier module des Itinraires romans Voix sans frontires prouve que loin dtre un discours inaudible, la posie urbaine est un socle assez solide dans la structuration des formes, au mme titre que le slam. Avec la coordination de la squence sngalaise de ce module, nous avons t frapps par lengagement des jeunes lves et leur enthousiasme pour le rap. Nous ne pouvons plus enseigner la posie si nous ne savons rien du contenu des MP3 de nos lves. Ce module met en commun la musique, lcriture et le jeu pour arriver convaincre llve de la ncessit de matriser la langue. Sa richesse est dans la possibilit quoffrent les Itinraires romans de naviguer dune langue lautre dans un sentiment de communaut linguistique. Enfin nous aimerions dire ici que labsence de matrise de loutil informatique cre des ruptures entre lenseignant et ses lves. Cest alors le lieu de faire un dernier appel en direction de tous les enseignants comme apprenants car il ne sert rien de mettre en ligne des modules performants si les coles sont encore lge de pierre dans le domaine de lquipement informatique. Un jour peuttre, le cours de franais se fera dans la bibliothque, la mdiathque, dans les salles dexpositions ou les salles de thtre Un genre littraire revisit par les didacticiels plurilingues en ligne Manuel Antonio Tost Planettice

ou Les valeurs ajoutes des

Il nest pas facile de venir aprs les auteurs-conteurs, crateurs et amis qui mont prcd cette table ronde. Surtout pour un enseignant qui ne pourra dbiter que des donnes techniques , platement prosaques et peut-tre mme ngligeables pour certains. Il nen reste pas moins quon ne saurait prsenter les Itinraires romans sans expliquer, ne serait-ce que succinctement, quelques-uns des aspects les plus remarquables de cette application dun point de vue pdagogique. Ces explications porteront sur plusieurs points : tout dabord, la didactique de loral et de lcrit, lutilisation de limage, et aussi, au passage, les lments dinteractivit, au sens premier du terme, qui en loccurrence les caractrisent. Ensuite, nous voquerons lutilisation de lapplication dans une perspective langue maternelle et dans son rapport linterculturel.632

Enjeux littraires et culturels

Les proprits du conte (classique ou moderne, dici ou dailleurs) sont bien connues, comme genre littraire, comme type textuel, mais aussi comme merveilleux instrument didactique pour la classe de langue (cf. Poiri, 2000). Il y a dailleurs toute une littrature au sujet de lutilisation de cet instrument dans la classe de FLe, depuis les publications anciennes du BeLC (cf. les textes de F. Debyser et F. Yaiche) jusquaux fiches pratiques de Franc-parler et dEduFLE. net (Pageaux, 2005), par exemple. Il serait donc inutile dinsister sur la question si ce ntait que les fonctionnalits du multimdia sont venues en renouveler les approches didactiques. Associant aux caractres propres de ce genre littraire (et ce type de discours) les possibilits quoffre loutil informatique, on renouvelle en effet les pratiques possibles du conte sur le traitement de loral, lexploitation de limage, la comprhension de lcrit. Cela dit, la distinction faite ici entre les deux codes est purement opratoire car, comme le disait il y a bien longtemps dj Petar Gubrina (1965, p. 48), Il ny a pas de langue crite : il y a seulement la langue qui peut tre parle et crite . Et il ajoutait ceci, qui vient encore lappui de notre rfrence au genre littraire : La littrature est la forme artistique des possibilits de la langue parle . De son ct, lorsque Christian Tardif rappelle que Le conte, acte formel de parole, avec justement ses paroles formulaires, est partout un outil de construction du langage, depuis que les humains se parlent , il se rfre certes la transmission orale du conte et lart du conteur en prsence quun produit multimdia peut difficilement reproduire dans toute sa richesse ( la gestuelle du conteur, sa prsence dans lespace, ses silences, son coute de lauditoire [qui] sont autant de relances de lattention des auditeurs). Il nen reste pas moins que dans un didacticiel comme celui de lUL si on perd le bnfice de cette prsence physique (bien que, pour le cas, dans la version franaise, le conte sngalais ait t enregistr par son auteur), on gagne, en revanche, la possibilit dutiliser des accessoires de navigation dans laudition qui constituent un puissant recours didactique pour la comprhension de loral. Ce recours permet en effet dactiver laudition, de larrter, la reprendre, aller de lavant, revenir en arrire, squence par squence si besoin, changer de langue, revenir celle du dbut, etc. Tout cela en conservant lessentiel de ce que Tardif signale comme tant une des caractristiques de ce type de discours : Les contes possdent un mouvement propre [] : rptitions, rythmes, embotements, symtries, boucles, abmes, structures grammaticales reprables Ces formes sont des jalons, [qui,] comme les panneaux indicateurs, nous aident sur des routes inconnues . Voil, en bref, ce qui a un rapport loral. Voyons maintenant un autre des points annoncs. Point besoin de rappeler la place quoccupe limage en didactique des langues. De ce point de vue, les illustrations du matriel qui nous occupe sont un aspect des plus remarquables des modules, non seulement pour ce qui concerne le ct esthtique (chaque module est trait en un style diffrent), mais encore par les ressources didactiques quelles sont susceptibles de gnrer. Nous sommes l dans le domaine de ce que lon dsigne parfois par lexpression images numriques (cest--dire qui permettent lusager dintervenir sur elles) dont les potentialits en termes dapprentissage ont t souvent soulignes.633

Faire vivre les identits francophones

Qui plus est, ces contes, Le long voyage de Tomi et La princesse, le baobab et les cauris, se prsentent comme de vritables dessins anims, offrant une lecture plurielle (toujours dissociable cependant), dabord cause de leur caractre multicanal (au sens de limage anime sajoute le redoublement smantique de loral et de lcrit) et ensuite parce quelle peut seffectuer, outre le franais, en plusieurs langues romanes, ce qui offre bien des dveloppements ventuels. De leur ct, les exercices qui figurent dans chacun des modules, requirent des manipulations diverses sur cran, qui sont autant de manires dinteragir avec des lments iconographiques. De surcrot, et comme pour les textes des contes eux-mmes, la possibilit disoler et dexploiter soit des images fixes extraites de la fiction image, soit de brves squences animes (possibilits non prvues au dpart) est toujours envisageable et laisse linitiative de lenseignant-utilisateur, en fonction des contextes et des publics. Venons-en lcrit. Il est toujours prsent dans les modules des ir. Prsent et prdominant en quelque sorte, surtout cause des caractristiques de loutil informatique qui, pour loral, requiert un trs fort investissement en mmoire ce qui limite son dveloppement. Lcrit est trait dune manire particulire qui en renouvelle galement les possibilits dexploitation didactique. Dabord, il est le plus souvent scription (dans le sens que Jean Peytard, 1970, donnait cette expression) dun texte oral (conte ou rcit), ce qui est spcialement utile pour lapprentissage de la comprhension dune langue comme le franais, dont le rapport graphie-phonie est beaucoup plus diffrenci que dans dautres langues romanes. De plus, lcrit, prsent le plus souvent dans des sous-titres (mais pas seulement), a ceci de particulier quil ne reste sur lcran que durant un bref instant (par squences) pour disparatre ensuite. Autant dire que son statut se rapproche de celui de loral dont le flux, continu, est non rversible, mais avec la possibilit pour lcrit, si on en arrte le droulement (ce qui est facile), de conserver sur lcran la squence crite par del la disparition de la squence sonore. On voit tout de suite les possibilits dexploitation pdagogique quoffre cette fonction (relecture, rptition, transcription, manipulations diverses, etc.). Autant doprations spcifiques de ce type de matriel que lon ne trouve habituellement sur aucun autre support. Il reste que lenseignant-animateur conserve tout moment la facult de recourir la transcription du texte complet (qui sera sa disposition dans le guide pdagogique) de chacun des modules pour en faire une exploitation plus traditionnelle, soit avec le texte entier, soit par squences (et, dans celles-ci, par type discursif : narration, description, dialogue, sil le souhaite). Il y a l un apport important dinformation avec lequel on peut, hors ligne, mettre en place des exploitations pdagogiques de toute sorte qui peuvent dailleurs dpasser le cadre de la simple comprhension (orale ou crite) pour entrer de plain-pied dans la production, dans lexpression. Nous navons pas parl jusquici des potentialits quun matriel comme celui qui nous occupe renferme dun point de vue sociologique, culturel et/ ou ducatif. Elles sont videntes, compte tenu de la varit des situations prsentes, et des traits essentiels des documents exploits. exemple, ces contes font largement appel laffectivit et lon sait limportance de cette634

Enjeux littraires et culturels

dernire dans lapprentissage des langues. Ils intgrent une dimension initiatique quillustrent les voyages entrepris aussi bien par Tomi que par la Princesse, de gr ou pousss par la ncessit, et laquelle sont particulirement sensibles enfants et adolescents. En loccurrence, aussi bien pour les enfants canadiens que pour les sngalais, mais aussi pour tous les autres jeunes internautes, ils ont la particularit de dpayser dans le temps et dans lespace. Ils traitent du rel mais encore et surtout de limaginaire. Ils font appel au symbolique mais prsentent le plus souvent des situations socialement problmatiques pour lesquelles les apprenants sont appels trouver des solutions. A cela, encore faut-il ajouter que ce didacticiel permet prcisment un traitement renouvel des contenus traits par linstitution scolaire mais en en changeant le signe, de lanalogique au numrique, dans des contextes o les contacts interculturels sont limits ainsi de favoriser les changes virtuels entre les locuteurs . dit, il permet :- de faciliter la dcouverte de ralits diffrentes de celle de lapprenant, dautres systmes de dcoupage du monde rel ; - de faire merger les reprsentations de llve sur sa culture et sur celle des autres ; - de relativiser ces dernires et sympathiser avec elles (au sens tymologique du terme) pour en faciliter lintgration ; - de mettre en place des stratgies facilitatrices daccs aux faits culturels.

Autant de donnes que nous avons, ailleurs, tenu dfinir comme consubstantielles dune approche interculturelle, et qui, sloignant de tout ethnocentrisme, prsentent la culture de lautre sans prtendre limposer et, qui plus est, en valorisant ce quil y a de positif dans celle de lapprenant. Bien que lobjet premier des Itinraires romans ne soit pas la promotion dune seule langue mais de plusieurs (six en loccurrence), il ne fait pas lombre dun doute que ce didacticiel plurilingue en ligne peut galement servir lapprofondissement dans lapprentissage de la langue maternelle ou seconde. Le grand voyage de Tomi, conte qubcois original, et La princesse, le baobab et les cauris, conte sngalais crit lui aussi pour la circonstance, ont encore ceci en commun de prsenter des univers mtaphoriques, quelque peu fantastiques et merveilleux, sans se dpartir de leur finalit ludique et pdagogique. Sils sont, dautre part, diamtralement opposs par leur localisation et leurs climats respectifs, ils nen restent pas moins profondment unis dans la promotion de valeurs telles que le respect de la diversit, la fraternit et la solidarit et, ce qui ne gche rien selon nous, dans une relle unit identitaire francophone. Plurilinguisme et pluriculturalisme, un enjeu pour lavenir de la didactique des langues Patrick Chardenet Je voudrais vous dire en trs peu de temps, ce qui fait qu aprs un certain nombre dannes passes travailler la diffusion de la langue franaise dans diffrents pays du monde, au Moyen Orient, en Afrique, en Amrique

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Faire vivre les identits francophones

latine, puis dans le domaine de la recherche en didactique lUniversit, je suis aujourdhui convaincu que le destin des langues rside dans lavenir de chacune, et que les enjeux daujourdhui, dans une monde plurilingue et pluriculturel ouvert, relvent de notre capacit prendre en compte et grer non pas les langues une par une, mais les relations entre toutes. De ce point de vue, lintercomprhension et le travail men dans ce sens, par les quipes de didacticiens et les organisations qui les appuient, est essentiel. Linterlinguisme, comme linterculturel sont des approches qui unissent le dveloppement global et le dveloppement local. Certains parlent cet effet de glocalisation. Pourquoi essentielles ? Pour rpondre cette question, je ferai brivement et de manire trs synthtique et schmatique, deux volets de remarques : par lvolution des contextes locaux et globaux de la dynamique des langues (colinguistiques-relations entre les langues, et sociolinguistiquesrelations entre les locuteurs); par lvolution de la discipline didactique des langues (complexification de lobjet et du sujet). Lvolution des contextes locaux et globaux de la dynamique des langues (colinguistiques et sociolinguistiques). Trois dynamiques caractrisent aujourdhui les rapports entre les langues, qui se manifestent aussi concrtement par des rapports interlinguistiques et interculturels entre les locuteurs. - La dynamique colinguistique Jusque dans les annes 1950, le solde entre la cration et la disparition des langues tait positif. Depuis, cette dynamique sest radicalement inverse. Pour la premire fois, une langue est en voie de devenir la lingua franca mondiale pour un ensemble de situations de communications, mais environ 50 % des quelques 6 000 langues parles dans le monde sont menaces parce quelles sont parles uniquement par des adultes qui ne les apprennent plus leurs enfants. Bientt, 40 % de plus des langues pourraient tre menaces en raison de la diminution apprciable du nombre de locuteurs dans la gnration la plus jeune (Brenzinger, 1992; Crawford, 1992; Krauss, 1992). Autrement dit, 90 % des langues existantes disparatront vraisemblablement au cours du prochain sicle. Seulement 600 langues environ, soit 10 % du nombre total dans le monde, seraient relativement durables.Ceci nous impose des choix : ou accompagner et renforcer ce mouvement, ou amnager les relations entre les langues (en particulier par un enseignement-apprentissage plus performant quil ne lest aujourdhui) - La dynamique sociolinguistique Jamais les flux de population nont t aussi nombreux en individus et aussi varis dans leurs mouvements : flux migratoires, flux de rfugis, flux touristiques, flux professionnels. Ces facteurs ajouts aux flux communicationnels de linternet, jamais les contacts de langues nont t aussi intenses et divers (ce qui modifie radicalement les conditions dusage des langues et celles de leur enseignement-apprentissage). - Dynamique communicationnelle Jamais les moyens de communication entre les tres humains de la plante navaient t aussi denses, grce des supports renouvels de lcrit et de636

Enjeux littraires et culturels

la parole et au rapprochement par lcrit de linstantanit de loral par les technologies (ce qui modifie les relations normatives entre des codes crit et oral, longtemps rests relativement stables, ou en rapports de lente volution lun par rapport lautre). Ces caractristiques de la dynamique des langues questionnent bien entendu le corpus des langues dont un des lments de densit sexprime par le nombre de locuteurs, elle questionnent galement les dispositifs et les approches didactiques denseignement-apprentissage qui en permettent la diffusion. Mais elles affectent aussi la dnomination des langues et leur confinement dans des territoires, et in fine le rapport entre un continuum et des ruptures entre les langues et les cultures. Que sont pour les langues, les frontires des Etats, les noms quon leur attribue ? Le catalan est une langue dite rgionale en France, avec ses 30.000 locuteurs mais elle est langue officielle dominante en Catalogne et langue officielle en Andorre, ce qui reprsente plus ou moins 7 millions de locuteurs transfrontaliers. Le Yupik est une langue parle, au moins ancestralement, par peu prs autant de gens sur lle Saint-Laurent en Alaska que dans la rgion de Novo ChaplinoSirenik en Sibrie russe. Mme quand les Etats ont donn leur nom aux langues, les langues transcendent ces entits :- quest-ce que le franais, lespagnol, le portugais, sinon des dialectes romans qui ont russi et qui ne se distinguent que par certaines formes dans le continuum no-latin ? - peut-on dire que de nouvelles langues sont nes avec la cration de la Serbie et de la Croatie, alors que du temps de la Yougoslavie on dsignait une seule et mme langue : le serbo-croate, ou encore avec la cration de la Moldova o lon parle une langue qui est aussi proche du roumain que le franais de France est proche du franais du Qubec ?

Les langues parles et parfois dcrites dans les zones transfrontalires ne peuvent videmment pas porter le nom dun pays, dune nation, et pourtant elles existent dans le quotidien langagier :- comme dans lespace multifrontalier entre lArgentine, lUruguay, le Brsil et la Paraguay o se parle une langue mlange despagnol du Rio de la Plata, de Guarani et de portugais du sud du Brsil ? - comme dans la zone ctire entre la Syrie et la Turquie o se mlangent arabe et turc (langues de groupes diffrents) ? - Quel statut ont les croles, langues produites et dveloppes par les locuteurs partir de bases de langues europennes sur lesquelles se sont greffes des langues autochtones indiennes et dautres importes dAfrique avec la traite de esclaves ? Un statut faible, alors que leur nombre de locuteurs est en expansion.

Jarrterai l ces exemples destins montrer que les dynamiques des langues et des cultures, linterlinguisme et linterculturation, font que les approches didactiques monolingues, cest--dire fondes sur lintgrit de la langue637

Faire vivre les identits francophones

cible :par rapport aux autres langues acquises ou apprises; par rapport aux langues de lenvironnement denseignement/apprentissage,sont dans lespace glocal, une pure vue de lesprit ou dun dsir de puret inaccessible. Lvolution de la discipline didactique des langues (complexification de lobjet et du sujet) Le second volet de remarques concerne lvolution mme de la discipline didactique des langues et ses changements de paradigmes travers les constats suivants : lexpansion du sujet et des supports ; lexpansion de lobjet langue. Ce que je veux dire par expansion , cest la modification radicale et la complexification de lobjet dtude et de transfert denseignement/ apprentissage. Des ides-forces montrent que lunivers dapprentissage est une situation sociale complexe, qui provoque le changement tout en tant elle-mme en mouvement. En dveloppant le processus de construction au regard des contextes interlinguistiques et interculturels, on peut dire que les activits dinterculturation et dinterlinguisme auxquelles tout apprenant de langue est soumis (non seulement par la langue cible, mais par ses langues dj acquises ou apprises, et par les langues de lenvironnement), donnent forme lappropriation de comptences distribues de faon variable, selon des progrs potentiellement distincts de la progression. A cela sajoute une varit de supports dapprentissage en volution technologique rapide et acclre depuis une cinquantaine dannes, qui mettent aujourdhui lapprenant et contact direct avec des corpus de langue dans le cyber-espace dinterlocution plurilingues bien sr, mais aussi dans les espaces dinterlocution plurilingue que sont les grandes villes (eu gard aux flux de population dj comments). La notion qui opposait, jusque dans les annes 1970, lapproche didactique entre les groupes homognes et les groupes htrognes na plus aucun sens. Disons que le sujet nest plus dtermin par un les seuls domaines de rfrence, linguistique, psychologique, sociologique, ethnologique, mais par des faisceaux plastiques et combinatoires. Paralllement, la description des langues et sa part utile pour lenseignementapprentissage a fait plusieurs bonds : au socle descriptif grammatical (qui lui-mme a connu des volutions pistmologiques depuis lAntiquit), sest substitu un socle linguistique : de la phrase comme unit, puis une prise en compte du texte et des discours, des actes de langage et des actes de parole, puis celle des genres textuels. Et paralllement tout cela, des rfrentiels de comptences langagires et culturelles sur lesquelles sarticulent les descripteurs de telle ou telle langue. Or avec la reconnaissance des contextes plurilingues dapprentissage, on prend conscience aujourdhui, quil ny a plus (si tant est quil y en ait eu un jour), de contexte monolingue (ou unilingue) et monoculturel (ou uniculturel), mais des ensembles de situations denseignement-apprentissage variables o sont en contact des langues et des cultures.Un constat qui me porte croire que638

Enjeux littraires et culturels

finalement ce qui est peut-tre le plus important ne rside pas dans les langues elles-mmes, mais entre chacune de celles qui sont en contact. Comme cest le cas dans les situations denseignement/apprentissage. Je voudrais conclure en saluant les quipes qui travaillent sur lintercomprhension, approche aujourdhui bien matrise, car elles constituent en quelque sorte, les avant-postes, avec celles qui travaillent sur la didactique intgre des langues en Afrique et en Amrique latine, de ce changement paradigmatique profond qui sopre et par lequel se constitue une vritable didactique des langues pour un mme mtier quelle que soit la langue, et non plus des didactiques spares pour des mtiers diffrents. Point de vue de la responsable de la Table ronde Dolores lvarez Union Latine Les approches plurilingues dans le domaine de la didactique des langues sont en plein essor. Cela, dautant plus que la diversit culturelle et linguistique comme facteurs ducatifs, est valorise chaque jour davantage. Dans ce contexte, les TICE offrent un champ de plus en plus large et diversifi, surtout concernant les aspects interculturels et ducatifs. Raisons pour lesquelles il nest plus envisageable aujourdhui de concevoir lenseignement dune langue trangre sans intgrer les approches plurilingues et pluriculturelles qui existent et qui sont mises la disposition des enseignants.

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Anjali V. Bagde Inde

exploiter

les textes littraires dans les cours de Fle en inde

une

-

approche interculturelle

La pratique des textes littraires dans les cours de langue est aujourdhui une ralit indniable et ceux-ci sont accepts comme partie intgrante des cours de FLE. Un grand nombre de manuels utiliss en Inde aujourdhui comprennent des textes littraires et la plupart des enseignants sont daccord que ceux-ci peuvent tre exploits de manire efficace dans les cours de langue. Nanmoins, la prsentation des textes littraires dans les cours de langue semble susciter un sentiment dinscurit et danxit chez les apprenants. Cette communication essaie dexaminer tout dabord des raisons pour cette anxit notamment la complexit de la nature du texte littraire et de proposer certaines dmarches interculturelles susceptibles de dissiper ltat dangoisse ou danxit auquel sont sujets nos apprenants. La pratique des textes littraires dans les cours de langue est aujourdhui une ralit indniable et ceux-ci sont accepts comme partie intgrante des cours de fle. Un grand nombre de manuels utiliss en Inde aujourdhui comprennent des textes littraires comme des contes, des extraits de romans et des pomes et la plupart des enseignants sont daccord que ceux-ci peuvent tre exploits de manire efficace dans les cours de langue. Ces textes illustrent gnralement des lments lis soit la grammaire, soit au lexique, soit un thme quelconque et ne semblent pas poser de grandes difficults linguistiques aux apprenants car ils sont choisis en fonction de leur niveau de langue. Les apprenants indiens, souvent des jeunes adultes, sont motivs (apprendre le franais est un choix personnel) et plusieurs entre eux ont dj une comptence littraire dveloppe. Nanmoins, en essayant dinitier les tudiants la littrature franaise, jai observ que la prsentation des textes littraires dans les cours de langue suscitait souvent un sentiment dinscurit et danxit chez les apprenants. Cette communication vise baucher en bref, des rflexions portant sur des raisons pour ce malaise et de proposer ensuite certaines dmarches susceptibles de dissiper ltat dangoisse ou danxit auquel sont sujets nos apprenants. Les prjugs contre les textes littraires paraissent dcouler de plusieurs facteurs. Tout dabord, mon exprience en tant quenseignante de la langue

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Faire vivre les identits francophones

et de la littrature franaises en Inde me permet de dire que pour la plupart des tudiants indiens aujourdhui, comme dans les autres pays en voie de dveloppement, lenseignement est intimement li la notion dutilit. Lapprentissage de la langue franaise leur offre des ouvertures dans les domaines techniques et commerciaux. ce qui peut tre stimulant et bien rmunr et donc fort motivant. La littrature par contre, nest associe quau plaisir personnel . De mme, les mdias, surtout la tlvision et linternet, sont aussi responsable de ce dsintrt vis vis la littrature. Les jeunes lisent trs peu aujourdhui, mme en langue maternelle ! Deuximement, parmi les lments qui font obstacles, les pratiques institutionnelles paraissent trs importantes. Ayant tabli que la littrature peut tre utilise de manire efficace dans les cours de langue, il savre ncessaire de former les enseignants vers ce but. Pourtant, la formation de la plupart des enseignants en Inde ne les prparent en aucune faon tre un enseignant de la littrature. Les programmes scolaires ainsi que les examens sont massivement domins par lvaluation des lments lexico-grammaticaux ou lcriture informative et argumentative. Les prjugs contre les textes littraires chez nos apprenants sont aussi dus une certaine tradition daccs la littrature en Inde. La littrature, traditionnellement considre comme le domaine des rudits, a toujours t est associe lsotrisme, et la comprhension des textes littraires est considre mme aujourdhui hors de la capacit matrielle et intellectuelle de tout le monde. Toute approche la littrature engendre donc une crainte mle de vnration et dadmiration. Pourtant la raison la plus importante pour ce manque de motivation est peut tre la nature mme de la littrature. Le transfert de la littrature au cours de langue risquerait de provoquer certaines difficults cause de la nature complexe du texte littraire. La polysmie et lambigut sont la base de tout texte littraire et le plaisir du texte dpend essentiellement des connotations quil contient. Comment un lecteur arrive-t-il donc dchiffrer les connotations dun texte littraire ? La rponse cette question se trouve dans les thories littraires modernes qui sefforcent de redfinir la notion de la lecture littraire . A cet gard, les thories dhermneutique qui traitent la lecture comme un processus communicatif comme celles de Wolfgang Iser et Umberto Eco semblent particulirement intressantes. Ces thories qui sont centres sur le lecteur dmontrent que des processus interactionnels sont en jeu lors de la lecture dun texte littraire ou non littraire. La lecture est un processus bidirectionnel, une interaction, voire une transaction entre le lecteur et lauteur o le lecteur joue un rle actif et non passif. Certaines thories modernes comme celles de Greimas, Barthes et Riffaterre, mettent aussi laccent sur la participation active du lecteur dans le processus de la lecture. Pourtant, les calculs interprtatifs du lecteur ne sont pas bass uniquement sur des connaissances linguistiques. La lecture efficace dpend des comptences non seulement linguistiques mais aussi extra linguistiques psychologiques,642

Enjeux littraires et culturels

socioculturelles - en gros, les expriences mme du lecteur. Le lecteur doit avoir des connaissances culturelles et pratiques, ainsi que la connaissance des conventions littraires et la motivation pour rflchir sur les sentiments contenus dans un texte et pour en prouver. Ainsi, pour lire et comprendre un texte littraire, une connaissance des conventions socio- culturelles ainsi que des conventions littraires et intertextuelles sont indipensables. Le lecteur doit non seulement saisir la structure du texte (sa forme, le contenu etc) ainsi que les valeurs et les intentions du texte mais aussi il doit les interprter la lumire de ses connaissances pralables. Une tude approfondie des textes souvent prsents nos apprenants rvlent que ce sont largement des textes dorigines franaises Hugo, Balzac, Flaubert - Prvert, Camus, Ionesco - et refltent une vision purement occidentale et trangre. Le contenu de la plupart de ces textes est parfois loign des expriences de lapprenant indien et compltement dtach de sa ralit. Les notions de mort, damour, de famille, dducation etc., les thmes qui apparaissent frquemment dans la littrature, ne correspondent point celles des textes que llve indien est cens lire dans le cours de franais. Il risque alors dprouver un sentiment dalination et dloignement et ne parvient qu retenir les lments de grammaire, de vocabulaire ou la sonorit des mots qui sont vids de leur sens concret. Les difficults interprtatives seront nombreuses quand, le lecteur modle (le lecteur vis par le texte et capable de cooprer lactualisation textuelle de la faon dont lui, lauteur, le pensait..) (Eco,1985, 71) diffre considrablement du lecteur empirique (non vis par le texte). Il nest pas surprenant alors si lapprenant prouve un certain malaise devant ces textes littraires qui font partie du programme de FLE. Comment viter ce type de lecture dsesprante et incomplte ? Je soutiens que la dimension socio-culturelle doit tre un des critres importants du choix des textes et cest partir de ce critre que nous devons dtablir un nouveau modle le modle interculturel- pour exploiter les textes littraires dans les cours de Fle en Inde. Nous devons intgrer la littrature trangre, une littrature avec laquelle nos tudiants peuvent sidentifier. Dans ce contexte, la littrature de langue franaise hors de la France surtout la littrature provenant des pays en voie de dveloppement qui partagent les ralits sociales, conomiques et politiques avec lInde rpondrait peut-tre ce besoin. La gamme de textes notre disposition est riche et diversifie : le Maghreb, lAfrique noire, Madagascar, les Antilles, le Vietnam etc. Les intrts de ces pays concident avec les ntres et il y a un fond commun de comprhension surtout du point de vue thmatique entre le vcu indien et le vcu des ces pays. La littrature indienne dexpression franaise ou mme les textes indiens traduits en franais seraient galement intressants. En reconnaissant des thmes familiers lapprenant - lecteur pourrait sapprocher plus facilement dune exprience qui nest pas trs trangre lui et cela pourrait veiller chez lui un certain intrt pour la littrature.

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Faire vivre les identits francophones

Pourtant lintention du cours de langue nest pas simplement de remplacer linconnu par le connu ni de construire un canon parallle ou alternatif. Le cours de langue et la littrature en particulier, constitue un lieu privilgi pour entrer en contact avec LAutre et pour dcouvrir dautres visions de la ralit, dautres valeurs, dautres faons de vivre et de penser. Il sagit donc dadmettre et dincorporer ces textes de manire permettre aux tudiants indiens de passer facilement du connu linconnu, autrement dit, de modifier les faons daccder la culture trangre. Daprs le modle interculturel propos ici, les apprenants sapproprient de la culture trangre par le biais des textes dont ils ont une connaissance pralable. Ils lisent et analysent les textes francophones avant daborder les textes franais. La juxtaposition et la comparaison des textes par la suite, permet un vritable dialogue entre les deux cultures, entre les diffrentes visions du monde et entre les diffrentes reprsentations de Soi et de lAutre. La culture trangre nest pas enseigne comme tel, mais problmatise en relation la culture dorigine des apprenants. Aprs tout, comme la dit Mikhail Bakhtine (1984 ,140 ) Une culture trangre ne se rvle dans sa compltude et dans sa profondeur quau regard dune autre culture.... Pour illustrer mes propos, je prsente titre dexemple quelques pomes de Jacques Prvert tirs du recueil Paroles ( 1972) qui sont souvent prsents nos lves de niveau intermdiaire surtout pour les raisons de simplicit au niveau langagier. Le premier pome Le Cancre - renvoie au thme de lducation. Le cancreIl dit non avec la tte Mais il dit oui avec le coeur Il dit oui ce quil aime Il dit non au professeur Il est debout On le questionne Et tous les problmes sont poss Soudain le fou rire le prend Et il efface tout Les chiffres et les mots Les dates et les noms Les phrases et les piges Et malgr les menaces du matre Sous les hues des enfants prodiges Avec des craies de toutes les couleurs Sur le tableau noir du malheur Il dessine le visage du bonheur.

Quand jai demand mes lves de dcrire llve du pome, voil quelques rponses que jai obtenues: Il sagit dun lve impoli, mchant, impudent, distrait, dsobissant et mme dyslexique!! Plusieurs entre eux ont trouv difficile dapprcier, mme comprendre les gestes symboliques du cancre de Prvert.

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Enjeux littraires et culturels

La raison pour ce manque de comprhension est vidente. Un apprenant indien en gnral sort dun systme dducation o dire non professeur serait scandaleux et mriterait certainement dtre puni. Dailleurs, dans un pays o la moiti de la population reste encore illettre, dans un pays qui fait de grands efforts pour duquer les enfants et les adultes qui nont jamais eu la chance de voir ni tableau noir ni professeur, lducation, loin dtre un malheur, ne peut tre considre que comme un privilge. Cette lecture lacunaire peut peut tre vite en juxtaposant le texte suivant au pome de Prvert. Il sagit dun pome de Rachid Boudjedra, un pote algrien. AlphabtisationA quoi servent mes pomes Si ma mre ne sait me lire ? Ma mre a vingt ans Elle ne veut plus souffrir Ce soir elle viendra Epeler mes lettres Et demain elle saura Ecrire Emancipation. A quoi servent mes pomes Si mon pre ne sait me lire ? Mon pre a cent ans Il na pas vu la mer Ce soir il viendra Epeler mes lettres Et demain il saura Lire Dignit. A quoi servent mes pomes Si mon copain ne sait me lire ? Mon copain na pas dge Il a vcu dans les prisons Ce soir il viendra Epeler mes lettres Et demain il saura Crier Libert.

Les deux perspectives opposes sont videntes- dans le premier cas, lc