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18 <<< ENQUÊTE N°420/OCTOBRE 2007 <<< 60 MILLIONS DE CONSOMMATEURS ACTUALITÉ ENQUÊTE ACTUALITÉ ENQUÊTE MAISON Georges Picard. Aurélien Busson, ingénieur. Françoise Hébert-Wimart, juriste. Ne vous laissez pas embo Ventes à l’intimidation, faux rabais, malfaçons… Depuis des années, nous dénonçons les abus de certains cuisinistes. Notre nouvelle enquête montre que ce commerce génère toujours de nombreuses plaintes. En matière de cuisines inté- grées, il y a parfois loin du rêve à la réalité. Le rêve, c’est la débauche de photos, de com- mentaires et de publicités ly- riques innombrables dans les magazines consacrés à la mai- son et, bien sûr, dans les cata- logues des fabricants. Tout y est « calme, luxe et volupté ». Au- jourd’hui, en effet, la cuisine est bien plus qu’une pièce fonction- nelle : c’est un lieu où l’on « ren- contre, communique, échange ». Pour un peu, on y dormirait ! Les publicitaires ont bien compris cet engouement. Ils vantent leurs cuisines avec des mots qui font mouche – « convivialité », « harmonie », « authenticité » quand ils ne vont pas jusqu’à délirer comme sur le site de Cuisines Plus, où le modèle Antarctique « se targue de silhouettes à faire pâlir les grandes stars ». Les commerciaux attisent les désirs Ce verbiage très élaboré joue sur des pulsions profondes, qui associent chez de nombreux consommateurs cuisine et foyer, cuisine et famille, et même cui- sine et bonheur ! Une identifi- cation qui explique, en grande partie, l’efficacité des méthodes psychologiques de vente basées sur un jeu subtil d’excitation du désir – « Choisissez votre cui- sine idéale » – et de frustrations « C’est notre dernier prix, ne laissez pas passer l’occasion ». Certes, le marché est porteur, nonce les abus innombrables qui sévissent dans ce com- merce. De quoi refroidir l’en- thousiasme des clients à qui l’on avait promis une cuisine stylée et rutilante, et à qui l’on offre un chantier interminable et des fac- tures injustifiées. Bien sûr, l’achat d’une cuisine n’est pas toujours synonyme de catastrophe ou de problèmes. Mais si l’on ne perd pas à tous les coups, les risques de se voir embarqué dans un litige sont loin d’être négligeables. Com- ment le savons-nous ? C’est vous, lecteurs, qui l’affirmez, non seulement dans votre courrier, mais également dans l’enquête LES RÉSULTATS DE NOTRE ENQUÊTE ché. Si l’on ajoute les artisans, et surtout les grandes surfaces de bricolage et d’habitat telles que Ikea, Lapeyre, But, Conforama, etc. qui vendent notamment des cuisines en kit, l’offre est abon- dante. Cependant, attention : installer soi-même sa cuisine ne permet pas de bénéficier de la TVA à taux réduit. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes des cuisi- nistes si la réalité de l’achat ne venait si souvent contredire le rêve. Ce n’est pas la première fois que notre magazine dé- comme disent les économistes, puisque le taux d’équipement atteint 55,6 % des ménages français, majoritairement pro- priétaires de leur logement, et que les prévisions sont opti- mistes : 61,6 % d’équipement en 2010, selon l’Institut de promo- tion et d’études de l’ameublement (Ipea). Rien d’étonnant à ce que de nouveaux acteurs comme Darty désirent occuper une place auprès des Vogica, Hygena, Mobalpa, Cuisinella et autres Cuisines Plus. Ces spé- cialistes couvrent 62 % du mar- P. SITTLER/RÉA/«60» 1 Vous avez été 400 environ à répondre au questionnaire concernant vos achats de cuisine que nous avions mis en ligne sur le site de «60», entre février et début juin. 77 % DE MÉCONTENTS C’est l’une des conclusions issues de vos réponses à notre questionnaire . Si la moitié des acheteurs en grandes surfaces de bricolage ont eu des problèmes, 77 % des clients ont eu à déplorer des produits manquants, ne correspondant pas à la commande ou des malfaçons. Pas très réjouissant ! 10 SEMAINES DE RETARD EN MOYENNE Pas non plus de quoi pavoiser concernant les retards. Alors que les délais annoncés pour la fin des travaux sont de huit semaines en moyenne, les délais réels sont de… dix-huit semaines, soit dix semaines de retard ! 25 % DES CLIENTS SOUS PRESSION Un quart des clients estime avoir été mis sous pression par le vendeur. Précisons que 60 % des lecteurs qui nous ont répondu ont fait cet achat chez un cuisiniste, 35 % dans une grande surface spécialisée (GSS). 82 % ont bénéficié de remises (seulement un tiers en GSS). Moins d’un quart de notre échantillon a souscrit un crédit, 43 % ont payé moins de 20 % après la pose, mais 7 % (quand même !) ont payé l’intégralité, cuisine et pose, au moment de la commande !

ACTUALITÉ ENQUÊTE MAISON Ne vous laissez pas …...le confirme : « Une “casse” de 35% est prévue pour l’offre exceptionnelle qui sera présen-tée au client par le directeur

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Page 1: ACTUALITÉ ENQUÊTE MAISON Ne vous laissez pas …...le confirme : « Une “casse” de 35% est prévue pour l’offre exceptionnelle qui sera présen-tée au client par le directeur

18 <<< ENQUÊTE N°420/OCTOBRE 2007 <<< 60 MILLIONS DE CONSOMMATEURS

ACTUALITÉENQUÊTE

ACTUALITÉENQUÊTE MAISONGeorges Picard. Aurélien Busson, ingénieur. Françoise Hébert-Wimart, juriste.

Ne vous laissez pas embo biner par les cuisinistes ! Ventes à l’intimidation, faux rabais, malfaçons…Depuis des années, nous dénonçons les abus de certainscuisinistes. Notre nouvelle enquête montre que cecommerce génère toujours de nombreuses plaintes.En matière de cuisines inté-grées, il y a parfois loin du rêveà la réalité. Le rêve, c’est ladébauche de photos, de com-mentaires et de publicités ly -riques innombrables dans lesmagazines consacrés à la mai-son et, bien sûr, dans les cata-logues des fabricants. Tout y est« calme, luxe et volupté ». Au -jourd’hui, en effet, la cuisine estbien plus qu’une pièce fonction-nelle : c’est un lieu où l’on « ren-contre, communique, échange ».Pour un peu, on y dormirait ! Lespublicitaires ont bien compriscet engouement. Ils vantentleurs cuisines avec des mots quifont mouche – « convivialité »,« harmonie », « authenticité » –quand ils ne vont pas jusqu’àdélirer comme sur le site deCuisines Plus, où le modèle Antarctique « se targue de silhouettes à faire pâlir lesgrandes stars ».

Les commerciaux attisent les désirsCe verbiage très élaboré jouesur des pulsions profondes, quiassocient chez de nombreuxconsommateurs cuisine et foyer,cuisine et famille, et même cui-sine et bonheur ! Une identifi-cation qui explique, en grandepartie, l’efficacité des méthodespsychologiques de vente baséessur un jeu subtil d’excitation dudésir – « Choisissez votre cui-sine idéale » – et de frustrations– « C’est notre dernier prix, nelaissez pas passer l’occasion ». Certes, le marché est porteur,

nonce les abus innombrablesqui sévissent dans ce com-merce. De quoi refroidir l’en-thousiasme des clients à qui l’onavait promis une cuisine stylée etrutilante, et à qui l’on offre unchantier interminable et des fac-tures injustifiées. Bien sûr, l’achat d’une cuisinen’est pas toujours synonyme decatastrophe ou de problèmes.Mais si l’on ne perd pas à tous lescoups, les risques de se voirembarqué dans un litige sontloin d’être négligeables. Com -ment le savons-nous ? C’estvous, lecteurs, qui l’affirmez, nonseulement dans votre courrier,mais également dans l’enquête

LES RÉSULTATS DE NOTRE ENQUÊTE

ché. Si l’on ajoute les artisans, etsurtout les grandes surfaces debricolage et d’habitat telles queIkea, Lapeyre, But, Conforama,etc. qui vendent notamment descuisines en kit, l’offre est abon-dante. Cependant, attention :installer soi-même sa cuisinene permet pas de bénéficier dela TVA à taux réduit.Tout serait pour le mieux dans lemeilleur des mondes des cuisi-nistes si la réalité de l’achat nevenait si souvent contredire lerêve. Ce n’est pas la premièrefois que notre magazine dé -

comme disent les économistes,puisque le taux d’équipementatteint 55,6 % des ménagesfrançais, majoritairement pro-priétaires de leur logement, etque les prévisions sont opti-mistes : 61,6 % d’équipement en2010, selon l’Institut de promo-tion et d’études de l’ameublement(Ipea). Rien d’étonnant à ce quede nouveaux acteurs commeDarty désirent occuper uneplace auprès des Vogica,Hygena, Mobalpa, Cuisinella etautres Cuisines Plus. Ces spé-cialistes couvrent 62 % du mar-

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Vous avez été 400 environ à répondre au questionnaire concernant vos achats de cuisine que nous avions mis en ligne sur le site de «60», entre février et début juin. 77 % DE MÉCONTENTS

C’est l’une des conclusions issues de vos réponses à notre questionnaire . Si la moitié des acheteurs en grandessurfaces de bricolage ont eu des problèmes, 77 % des clientsont eu à déplorer des produits manquants, ne correspondantpas à la commande ou des malfaçons. Pas très réjouissant ! 10 SEMAINES DE RETARD EN MOYENNE

Pas non plus de quoi pavoiser concernant les retards. Alors que les délais annoncés pour la fin des travaux sont de huit semaines en moyenne, les délais réels sont de… dix-huit semaines, soit dix semaines de retard !25 % DES CLIENTS SOUS PRESSION

Un quart des clients estime avoir été mis sous pression par le vendeur. Précisons que 60 % des lecteurs qui nous ont répondu ont fait cet achat chez un cuisiniste, 35 %dans une grande surface spécialisée (GSS). 82 % ont bénéficiéde remises (seulement un tiers en GSS). Moins d’un quart de notre échantillon a souscrit un crédit, 43 % ont payé moinsde 20 % après la pose, mais 7 % (quand même !) ont payé l’intégralité, cuisine et pose, au moment de la commande !

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Ne vous laissez pas embo biner par les cuisinistes !

que nous avons lancée sur notresite, et à laquelle vous avez étéplus de quatre cents à répondre.Ses principaux enseignementsfigurent dans notre encadré, ci-contre. Si vous vous apprêtez àacquérir une cuisine intégrée,ne vous précipitez donc pas surla première offre sans lire nosmises en garde et nos conseils.

Pris dans les mailles du magasinStéphanie C. s’est rendue avecson ami chez Vogica à Saint-Priest (69). « Le vendeur nous aretenu six heures pour un devis,explique-t-elle. Malgré notrecaractère fort, nous sommes par-

tis en colère, et moi avecquelques sanglots. Incroyable ! »Pas si incroyable que cela. Car lesvendeurs de cuisines, payés enpartie à la commission, nelâchent pas facilement un clientquand ils le tiennent. Lorsqu’ils’agit de caser une installation à10 000 e ou plus, les bons sen-timents restent au vestiaire.Pourtant, des bons sentiments,les cuisinistes en ont à revendre.Ne vont-ils pas jusqu’à débusquerles clients à domicile, avec lapromesse téléphonique d’uncadeau, genre service de tableou ménagère, à venir retirer aumagasin ? En réalité, si le clienta gagné quelque chose, c’est

surtout le droit d’être harcelésur place, d’abord avec sourireset ronds de jambe ; ensuite, s’ilrésiste, avec une insistance quipeut virer à la brutalité (lirenotre reportage à la Foire deParis, page 21).

Un grand classique : lemarchandage insistantQuand l’intimidation ne suffitpas, le procédé du marchandagevient en renfort. Jonathan A.s’est ainsi laissé forcer la mainpar un vendeur du magasinCuisines Plus à Barentin (76). « Le commercial m’a poussé àsigner tout de suite le bon decommande en proposant une

remise de 47 %, soit une cuisineà 4 750 e. Il a affirmé que c’étaitune offre exceptionnelle, que sil’on attendait, la remise seraitproposée à d’autres clients.Alors, j’ai signé. » Cette tech-nique, qui consiste à gonfler le prixinitial pour, ensuite, accorderdes rabais défiant toute concur-rence, est un grand classique.En réalité, c’est le miroir auxalouettes. Un ancien vendeur le confirme : « Une “casse” de 35 % est prévue pour l’offreexceptionnelle qui sera présen-tée au client par le directeur. Si cela ne suffit pas, uneseconde “casse” de 5 % est auprogramme. »

Dix-huitmalfaçons pour Hygena !La cuisine achetée parNicolas Venne chezHygena, en janvier 2006,et installée chez lui à Vanves (92) n’est pas un chef-d’œuvre definition. Pas moins dedix-huit malfaçons ontété recensées après la pose. Par exemple, le meuble n’a pas étécoupé droit au-dessusdu plan de travail et il n’est pas alignéavec les fours (1). Une porte voilée a dûêtre remplacée (2).L’intérieur des tiroirsprésentait des trous de perceuse (3). La hotte mal fixéen’était pas stable (4). Du mauvais bricolageindigne deprofessionnels.

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mais plus chère : 17 000 € aulieu de 13 000 € ! »Le métré est parfois approxi-matif, voire complètement fan-taisiste, y compris en ce quiconcerne les passages detuyauteries ou les raccorde-ments d’appareils. Françoise S.,de Mussy-sous-Dun (71), a étésidérée d’apprendre qu’elle nepouvait pas sortir son four desa niche pour le faire réparer,car un meuble posé par son cui-siniste en bloquait le passage,suite à une erreur de mesure !L’ama teurisme paraît à peinecroyable au vu des témoignagesde consommateurs excédés par le bâclage et la négligencede soi-disant professionnels.Secret de Polichinelle : certainscuisinistes n’hésitent pas àrecourir à de la main-d’œuvreclandestine !

En général, une cuisine type estlivrée en quatre ou cinqsemaines. Pourtant, les délaisde plusieurs mois ne sont pasrares. Magaly Mazenq, pari-sienne, a patienté sept mois,presque la durée d’un accou-chement qui, dans son cas, a étédifficile (voir photos ci-dessous).En effet, les cuisinistes annoncent des délais optimistes aux clientspour ne pas rater la vente. Lechèque d’abord, on verraensuite. Mais les fournisseurs,eux, travaillent à leur rythme.

Un chantier désastreuxAttendre sans cuisine, ce n’estdéjà pas drôle, surtout quand ona des enfants. C’est encore pirelorsque le livreur vous apporte des éléments dépareillés, nonconformes à la commande ouabîmés. Les témoignages sontinnombrables. De même, lesprotestations contre les malfa-çons lors de la pose. NicolasVenne, de Vanves (92), en arecensé dix-huit, pas une demoins, sur la cuisine achetéechez Hygena (voir page 19).Patrick K., client de Mobalpa lesHalles, à Paris, a eu droit à desmeubles mal coupés, un plande travail rayé, une hotte nonraccordée… Une fois, c’est uninterrupteur qui est oublié, uneautre fois, des portes qui fer-ment mal, des meubles qui nesont pas alignés, des trous etdes fissures dans les murs, etc.Jacques Broche, secrétairegénéral du Syndicat national del’équipement de la cuisine(Snec) est catastrophé par cespratiques généralisées danscertaines enseignes ayant pour-tant pignon sur rue. « On en avraiment assez, s’exclame-t-il,de ces méthodes d’un autretemps qui ternissent l’image detous les vendeurs de cuisine. »Son syndicat, qui ne regroupeque 380 points de vente sur 2 000 environ, répertoriés sur

La galère Vogica Magaly Mazenq,parisienne, n’a pashésité à investir plus de 12 000 e dans sa cuisine. Son chèquea été encaisséimmédiatement,les ennuis sont venusensuite : délaisd’installation nonrespectés, pose bâclée,casse et vol dematériel ! Exemples : la hotte électrique,installée en dépit des règles de sécurité,n’avait pas de prise de terre (1). Le carre -lage était cassé enplusieurs endroits (2).Quel gâchis !

Comment ne pas craquerdevant le plan en perspective devotre future cuisine, un travailréalisé par des dessinateursspécialisés, qui ont pris la peinede donner un contour plausibleà votre rêve ? Assortie d’unrabais exceptionnel, cette“œuvre d’art”, ou presque, atout pour déclencher la déci-sion d’achat. Prudence si vousn’êtes pas sûr de vous ! Car,derrière les manières accortes duvendeur, son objectif est de vousfaire signer un engagement ensouscrivant un “crédit maison”(sur lequel il perçoit parfois unecommission), ou vous faire ver-ser un (gros) acompte. Les plusmalins obtiennent l’intégralitédu paiement à la commande.Avec le bon de commandedûment signé par le client, lescuisinistes n’offrent pas les

mouchoirs. Pourtant, le clienten aurait besoin, car l’affaireétant bouclée, les ennuis com-mencent. Premier problème :la prise des mesures exactesau domicile, qui génère souventdes “adaptations”, comprenezdes augmentations de prix.

Après la signature, les désillusionsPour Laurence R., ça a mêmeété pire : « J’avais acheté unecuisine chez Vogica à Claye-Souilly (77). Nous l’avions choi-sie avec un commercial et nousavons eu le tort de signer lacommande croyant à un simpledevis. Quelque temps plus tard,on nous annonce que le com-mercial s’était trompé, les élé-ments choisis n’existaient plus.Nous avons fini par accepterune cuisine de remplacement,

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Lors de la Foire deParis du 27 avril au 8 mai dernier, nos deux enquêteurs, Françoise et Aurélien,ont pu tester l’habileté des professionnels de la vente, maîtresdans l’art d’embobinerles clients potentiels. Attention si vous avez l’intention de commander votre cuisine dans un salon commercial ou une foire! Vous ne bénéficierez pas du délai de rétractation de sept jours, même si le vendeur vousaffirme le contraire.

VENTE PIÈGÉE À LA FOIRE DE PARIS

ÉTAPE N° 1 :FAITES-VOUS PLAISIR Notre couple désire changer decuisine. Il vient donc se renseignersur les prix. « Les prix ? Nousverrons plus tard, dit la ven-deuse. Ce qui compte, c’est de choisir la cuisine idéale, cellequi vous fait plaisir. Ensuite, onl’adaptera à votre budget. »Objectif, attiser le plaisir, le désir,le rêve. À bas les frustrations, lavie est courte ! Oui, mais les cré-dits sont longs. Une dure réalitéque les vendeurs ont pour tâchede faire oublier jusqu’à la signa-ture du bon de commande.

ÉTAPE N° 2 : NOUS SOMMESLES MEILLEURS« Enfin, voyons, Vogica, c’est lehaut de gamme ! », affirme lavendeuse à notre couple, qui aeu l’idée saugrenue d’évoquerles cuisines de chez Ikea à mon-ter soi-même. Comme si l’onpouvait comparer ! Évidemment,si madame veut des meubles qui durent moins de cinq ans !Cela dit, sans vouloir dénigrer la concurrence… Dans la foulée,notre couple a droit à un coursmagistral sur Vogica, grandesociété, gage de sérieux et defiabilité. « Chez Vogica, glisse lavendeuse, les meubles de cui-sine ont des charnières Ferrari,monsieur comprendra… » Laseule société dont tous les ven-deurs sont aussi des décora-teurs. C’est dire !

Les cuisinistes ne laissentrien au hasard et leursméthodes de vente sontbien rôdées. Deux de nosenquêteurs se sont faitpasser pour des clientssur le stand Vogica de la Foire de Paris. Quatreheures d’acharnementcommercial résumées…

Madame et monsieur blêmis-sent subitement. Ils ne s’atten-daient pas à une note aussisalée… Voyons, surtout pas depanique, on est là pour vousaider, même à faire des écono-mies, affirme suavement la ven-deuse. Par exemple, pourréduire le coût du devis, le plande travail en Wengé, ce bois exo-tique très en vogue, peut êtreremplacé par un carrelage façonbois à poser soi-même. Idempour les branchements deplomberie. Même les meubles,monsieur peut les monter seulou avec des amis.

ÉTAPE N°3 : CONCEVONSLA CUISINE IDÉALEL’idéal, c’est ce qu’il y a de pluscher, évidemment. Mais la ven-deuse n’est pas payée pour lesignaler. Pendant la sélectiondes éléments, des couleurs, desfinitions, elle soi gne ses clients,les interroge sur l’âge de leursenfants, leur profession, leurmode de vie… Créer une dépen-dance affective du client… unetactique commerciale immémo-riale. On sympathise et on posi-tivise. L’em ployée ne se croitquand même pas à un barbecueentre amis. Elle trouve le tempsde faire dessiner un plan enperspective de la cuisine qu’elleprésente, radieuse, à notrecouple, en les félicitant pour leurgoût merveilleux !

ÉTAPE N° 4 : DISCUTONS AMICALEMENT DU DEVISIl faut d’abord compter 2 800 ede frais fixes incompressibles(pose de l’électroménager, desmeubles et des accessoires…),détaillés sur un feuillet qui serarayé plus tard pour impression-ner. La vendeuse note à la voléeles prix des éléments qui ont été choisis. Total : 10 300 e !

ÉTAPE N° 5 :LE SAUVEUR ARRIVE Le couple est au bord de ladépression. Mais comme il estsympathique et « qu’on a eu unbon feeling ensemble », on vatrouver une solution. La ven-deuse s’éclipse et revient avecle chef des ventes en personne.En vrai pro, il admire le choixjudicieux des clients. Ce seraitvraiment trop bête de renoncermaintenant. Allez, Vogica prendà sa charge les frais fixes. Et 5 %de réduction, non 10 %, si lesclients signent tout de suite.Mais il faut se décider, d’autresconsommateurs attendent. Sondernier prix : 6 500 e. Alors,cette signature ? Voilà quatreheures que l’on discute… Le“bon feeling” du début tourne àl’agressivité. Finalement, nosenquêteurs anonymes rompentl’entretien, mais ils ont eu chaud.Combien peuvent résister à desméthodes qui joignent si effica-cement séduction et intimida-tion ? Comme le dit Stéphanie C.,qui a fait cette expérience chezVogica à Saint-Priest (69) : « Ilsont un discours qui vous endortde manière incroyable et vousdonne un drôle de sentiment… »

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ACTUALITÉENQUÊTE MAISON

● DÉMARCHAGE À DOMICILEÊtre invité par téléphone ou par courrier personnalisé à venir retirer un cadeau au magasin relève du démarchage à domicile(articles L. 121-21 et suivants du code de laconsommation) : ces situations vous donnentdroit au délai de rétractation de sept jours. ● ABUS DE FAIBLESSEEn cas de harcèlement manifeste, n’hésitezpas à quitter immédiatement le magasin.L’article L.122-8 du code de la consommationsanctionne d’une amende de 9 000 eet/ou de cinq ans de prison les vendeurs qui abusent de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne notamment à son domicile,ou dans le cadre d’une foire ou d’un salon.

● AFFICHAGE DES PRIX ET REMISESLe décret n° 86-583 du 14 mars 1986 rend obligatoire l’affichage des prix sur les meubles et les documents commerciaux. La circulaire du 19 juillet 1988 précise que le prix des ensembles de cuisine exposés à la vente doit être indiqué élément par élément. Méfiez-vous des remises exorbitantes souvent artificielles. La remisedoit être calculée sur le prix le plus bas pratiqué au cours des 30 derniers jours● DÉLAI DE RÉTRACTATIONIl n’y a pas de délai de rétractation pour les achats faits dans les magasins et dans les foires, sauf si le client a été démarché chez lui ou s’il a signé un contratavec une proposition de crédit affecté.

● DEVIS ET BON DE COMMANDEÀ ne pas confondre ! Le bon de commandeengage les deux parties, le vendeur et vous. Le devis, lui, engage le professionnel sur le prix pendant le délai de validité. Mais dèsque vous le signez, il vous engage également. ● CRÉDITLorsque vous signez un contrat de crédit pour l’achat d’une cuisine, vous bénéficiez d’undélai de rétractation de sept jours. Si le créditest affecté, c’est-à-dire destiné expressémentà l’achat de la cuisine, l’exercice du droit derétractation entraîne automatiquement l’annu-lation du bon de commande. En cas de créditrenouvelable (revolving ) ou de prêt personnel,vous pouvez annuler le crédit dans les sept jours,mais pas la commande. Renseignez-vousd’abord sur les crédits auprès de votre banque. ● RELEVÉ DES MESURESS’il est effectué après la signature du bon decommande du fait du professionnel, les diffé-rences éventuelles avec les mesures que vousavez fournies ne doivent pas être à votre charge.● LIVRAISONQuand le prix est supérieur à 500 e, la datelimite de livraison doit être indiquée sur le bonde commande. En cas de dépassement de plusde sept jours, non dû à un cas de force majeure,vous pouvez demander l’annulation par lettrerecommandée avec avis de réception. Ce droitpeut s’exercer dans les soixante jours ouvrés à partir de la date de livraison indiquée.

En cas de retard de livraison, de chantierou de malfaçons, commencez par envoyer une lettre recommandée avec avis de récep-tion au cuisiniste pour le mettre en demeurede vous satisfaire dans un délai précis. En casd’échec, passez aux étapes suivantes.

Si le professionnel appartient au Syndicatnational de l’équipement de la cuisine (Snec)(à vérifier sur le site www.snec.org) contactezcet organisme, qui s’engage à intervenir. Snec : 10, rue du Débarcadère, 75017 Paris.

Pensez à vous adresser à une association

de consommateurs, qui peut vous aider efficacement (voir la liste, page 67).

Faites constater les malfaçons par un huissier. Comptez de 300 à 500 e environ,remboursables si vous gagnez en justice.

Si le litige est inférieur ou égal à 4 000 e,vous pouvez saisir le juge de proximité au tribunal d’instance. De 4 001 à 10 000 e, le tribunal d’instance est compétent (du siègesocial de l’entreprise ou de votre domicile). Au-delà de 10 000 e, adressez-vous au tribu-nal de grande instance (avocat obligatoire).

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Pour vous défendre en cinq étapes

Pour faire reconnaître vos droitsNOS CONSEILS le site www.snec.org, avait lancé

il y a quelques années un“contrat approuvé” garantissantaux clients une qualité de service.Celui-ci vient d’être remplacépar une certification AFAQService confiance, fruit d’uneréflexion menée avec cinq asso-ciations de consommateurs,sous l’égide de la Directiongénérale de la concurrence, dela consommation et de la ré -pression des fraudes (DGCCRF).

Restaurer la confianceprendra du temps Les cuisinistes peuvent adhérerà vingt-deux engagements sur l’information des con -sommateurs, l’établissementdu devis, le relevé des cotestechniques, la vente, la pose, laformation du personnel et letraitement des réclamations declients ! Un programme ambi-tieux, mais in dispensable, hélaslimité aux professionnels volon-taires, en général des petites etmoyennes entreprises qui sontsans doute, déjà, parmi les plussérieuses. Un logo doit être créépour permettre aux consom-mateurs de les repérer. Combien d’années faudra-t-ilpour voir enfin le torrent desplaintes s’amenuiser en simpleruisseau ? En attendant ce jourespéré, la DGCCRF a dressé 22 procès-verbaux et 81 rappelsà la réglementation (notammentsur les rabais illusoires et ledéfaut d’information) lors d’uncontrôle de 182 points de venteen 2006.Et parfois, comme en février del’année dernière, de lourdesamendes sont infligées par untribunal : ainsi, la cour d’appelde Grenoble a con damné lesresponsables et les vendeursde Vogica de Saint-Egrève (38)pour une série d’infractions etd’abus. Sans doute faudra-t-ilquelques exemples spectacu-laires pour intimider et faireréfléchir les brebis galeuses dela profession. ●

POUR METTRE FIN AUX ABUS, L’INC DEMANDE :• l’instauration d’un délai minimal de sept jours entre l’envoi du devis réalisé après

les mesures effectuées chez le client et la signature du bon de commande.• l’échelonnement des paiements avec un solde de 30 % à l’achèvement des travaux.