ADT, Bruxelles Dans 20ans

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Bruxelles [dans]Jean Puissant Roel Jacobs Xavier Mabille Jean-Luc Dehaene Philippe Moureaux Magali Verdonck Rik Pinxten Yves Schoonjans Sven Sterken Olivier Lodzia Brodzki liane Deproost Benjamin Wayens Jean-Franois Kleykens Ren Schoonbrodt Judith le Maire Dominique Nalpas Benoit Prilleux Pierre Lallemand Jean-Louis Genard Jean-Claude Daoust Marie-Laure Roggemans Siim Kallas Franoise Nol Patrick Crahay Bernard Rey Alain Faure Jacky Goris

20Christian Vandermotten Olivier Willocx Michael Dooms Stphane Thys Myriam Grard Philippe Vandenabeele Philippe Van Muylder Filip Vanhaverbeke Gatan Tarantino Alain Flausch Nicolas Bernard Vincent Degrune Nic Van Craen Vincent Carton Bernard Deprez Fabienne Lontie Jean-Louis Colinet Jan Goossens Bernard Foccroulle Andr Vrydagh tienne Davignon Jol Gayet Pierre-Yves Bolus Stphane Demeter Maurizio Cohen Marc Thoulen Michel Van der Stichele

ans

Cet ouvrage constitue le Cahier de lADT n 7 (janvier 2009). Il est dit par lAgence de Dveloppement Territorial (ADT) Rue Royale 2-4, 1000 Bruxelles T +32 (0)2 563 63 00 F +32 (0)2 563 63 20 www.adt-ato.be Cet ouvrage est ralis dans le cadre des 20 ans de la Rgion linitiative du Gouvernement de la Rgion de Bruxelles-Capitale, en collaboration avec lAgence de Dveloppement Territorial.Dpt legal : D/2009/10.645/1 Editeur responsable : Luc Maufroy, ADT, Rue Royale 2-4, 1000 Bruxelles

Bruxelles [dans]Conu et ralis par :

20

ans

Pierre Dejemeppe Cline Mouchart Caroline Piersotte Frdric Raynaud Dirk Van de Putte

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Sommaire01 Prface....................................................................... p . 9Charles piCqu

02 Ville ancienne, jeune Rgion............................................. p . 13Jean puissant

Hymne au compromisroe l JaCobs

03 Le fait bruxellois institutionnel.......................................... p . 39X av i e r m a b i l l e

Confiance, smantique et pragmatisme autour du berceau de la RgionJe an-luC dehaene philippe moure auX

Les enjeux du financement de la Rgion de Bruxelles-Capitalemag ali ve rdonCk

04 La Rgion de Bruxelles-Capitale et la socit multiculturelle ......... p . 61rik pinXten

Parcours subjectif de 20 ans de politiques dintgrationliane deproost

Affrontements au-del du clivage communautaireolivier lodzia brodzki

Le patrimoine de laprs-guerre comme interface entre les culturesY ves sChoonJans sven sterken

05 Territorialit et quartiers :b e n J a m i n WaY e n s

mise en place et (re-) production de la mosaque urbaine.............. p . 85 Viens chez moi, jhabite dans mon quartierJean-Franois kleYkens

06 Bruxelles : Capitale mondiale de la participation ? ..................... p . 113ren sChoonbrodt

Favoriser lclosion de la participationJ u d i t h l e m a i r e d o m i n i q u e n a l pa s

07 La planification et lamnagement du territoire Bruxelles,benoit prilleuX

bilan et perspectives...................................................... p . 133 Bruxelles ma bellepierre l allemand

08 Rflexions sur la gouvernanceJe an-louis genard

de la Rgion de Bruxelles-Capitale Trouver la main-duvre adquateJe an - Cl aude daoust

.....................................

p . 163

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09 Bruxelles linternationale................................................ p . 189marie-l aure roggemans

La Rgion de Bruxelles-Capitale et la Commission europenne : ensemble, au-del des prjugssiim k allas

10 La politique de revitalisation des quartiers :Franoise nol

la croise de laction urbanistique et sociale.......................... p . 213 Contrats de Quartier, lieux dinnovation urbainepat r i C k C r a h aY

11 La ville et lcole.......................................................... p . 241bernard reY

Remdier lingalit des chancesa l a i n Fa u r e J a C k Y g o r i s

12 Ltat de lconomie bruxelloise,C h r i s t i a n va n d e r m o t t e n

vingt ans aprs la cration de la Rgion................................ p . 265

Rseaux internationaux volontolivie r WilloCX

Le Port de Bruxelles : une option importante pour la croissance conomique durable de lagglomrationmiChael dooms

Ralits et dfis de lemploi et du chmage en Rgion de Bruxelles-Capitale........................................ p . 297stphane thYs

Priorit lenseignement et la formation professionnellem Y r i a m g r a r d p h i l i p p e va n d e n a b e e l e p h i l i p p e va n m u Y l d e r

13 Mobilit, espace public et (tl)communications...................... p . 329F i l i p va n h av e r b e k e

Le graffiti comme invitation au voyageg a ta n ta r a n t i n o

Le transport public, outil de dveloppement durableal ain Fl ausCh

14 Vingt ans de politique du logement en Rgion bruxelloise :niColas bernard

entre bilan et prospective................................................ p . 359

Le logement MolenbeekvinCent degrune

Des institutions denseignement font cause commune et participent la revitalisation du centre ville et des quartiers dfavorissn i C va n C r a e n

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15 La Rgion a pris son environnement en main......................... p . 389vinCent Carton

Lnergie de changer les modes de viebernard deprez

Lenvironnement au cur de la villeFa b i e n n e l o n t i e

16 Conjuguons nos cultures dans la ville.................................. p . 415Je an-louis Colinet Jan goossens

Bruxelles, miroir de la diversit culturelle europennebernard FoCCroulle

17 Limage de Bruxelles : tre et paratre ................................... p . 431andr vrYdagh

Bruxelles, symbole dune ralit europenne et internationale t i e n n e d av i g n o n

Marketing territorial : les habitants au cur du systmeJ o l g aY e t

Schmas prospectifs, le City Marketing au service des quartiersp i e r r e -Y v e s b o l u s

18 Patrimoine et architecture : transcender la Bruxellisation........... p . 453stphane demeter

Le constat difficilemaurizio Cohen

19 20 ans de rapports entre Rgion et Communes....................... p . 475marC thoulen

20 ans de finances communalesm i C h e l va n d e r s t i C h e l e

20 Liste des auteurs.......................................................... p . 497

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01pr FaC eCharles piCquMinistre-Prsident de la Rgion de Bruxelles-Capitale

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PrfaceCharles piCqu

Il y a 20 ans, la Belgique voyait natre une troisime Rgion au sein de son paysage institutionnel, dont les frontires correspondaient aux 19 communes de lagglomration bruxelloise. Les particularits de cette Rgion tiennent essentiellement son caractre exclusivement urbain, sa taille plus modeste que celles des Rgions wallonne et flamande, son bilinguisme institutionnel et lenchevtrement relativement complexe des comptences communautaires qui sexercent sur son territoire. Mais la Rgion bruxelloise dispose surtout des mmes comptences et des mmes organes institutionnels que ses homologues flamande et wallonne et peut, ce titre, mener une action au bnfice et sous le contrle dmocratique des citoyens bruxellois. En ce vingtime anniversaire de la Rgion, nous avons souhait porter un regard sur ce qui a t fait dans le champ des politiques rgionales que sont notamment lurbanisme, lamnagement du territoire, la revitalisation urbaine, la mobilit, lconomie, lemploi ou lenvironnement et sur les directions qui pourraient tre prises lavenir. Pour ce faire, nous avons demand une vingtaine dexperts, essentiellement des universitaires, de synthtiser dans le domaine de leur comptence les principaux acquis et constats de laction rgionale bruxelloise. Ces synthses se veulent non seulement critiques, ce qui peut tre salutaire, mais elles sont galement constructives car elles sinscrivent dans la perspective de btir aujourdhui lavenir de notre Rgion. Elles sont en outre compltes par la vision dacteurs engags dans les domaines conomique, culturel ou associatif. Cet ouvrage rend compte de toute la complexit du territoire urbain, creuset des volutions et tensions sociales, lieu daffirmation de la ville/monde, rencontre et confrontation entre le besoin douverture et la recherche identitaire.

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Au final, il nentend nullement dresser une valuation globale ou une apprciation de nature politique de laction des quatre gouvernements qui se sont succd depuis 1989. Par contre, son contenu confirme mes yeux la pertinence et la ncessit de lexistence dune Institution rgionale permettant une gestion de Bruxelles par et pour les Bruxellois. Ce qui tait un pari il y a vingt ans est devenu aujourdhui une ralit incontestable, ainsi quune fiert et une responsabilit pour lensemble des Bruxellois. Fiert davoir pris notre destin en main, et responsabilit de lui donner en permanence des lans nouveaux. n

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02ville anCienne, Jeune rgionJean puissant

Professeur mrite, Universit Libre de Bruxelles (ULB), Prsident de La Fonderie, Muse de lIndustrie et du Travail de Bruxelles

fo c u sh Y m n e au C o m p r o m i sr o e l J aC o b sAuteur, Confrencier sur lhistoire de Bruxelles

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Ville ancienne, jeune RgionJean puissant

Les prmisses des dimensions rgionaLe et internationaLe de La viLLe Lapparition de la ville de Bruxelles au 11e sicle participe de la renaissance urbaine europenne au Moyen-ge. Modifications climatiques, croissances de la productivit et de la production agricoles, de la population expliquent le phnomne gnral. Dans le cas de Bruxelles, sil existe des antcdents de peuplement et dactivits (ne fut-ce quune chausse romaine, et les villae qui la scandent, tangente la rgion actuelle, des vestiges carolingiens), cest au carrefour de voies de communication nord-sud, la Senne et le chemin flanc oriental de valle et ouest-est, le chemin qui relie la Mer du Nord la Meuse et au Rhin, que se constitue progressivement une agglomration qui multiplie les fonctions habituelles de la ville : conomiques (portus, marchs), cultuelles (collgiale, glises et couvents), politiques (rsidence ducale) et sociales (habitat et circulation). Ds la premire moiti du 13e sicle, une premire enceinte de 4 km distingue un espace spcifiquement urbain dun environnement rural, nourricier, en pleine mutation en raison mme du dveloppement de la ville. La muraille enserre les divers noyaux dhabitats et les fonctions principales (ce qui explique sa forme dhanche). La ville, ne de la rivire, pousse ses bourgeons sur le flanc oriental de la valle. Le fond de celle-ci, malgr des amnagements hydrauliques prcoces, est soumis aux sautes dhumeur du cours deau. Lamnagement et lurbanisation de la rive occidentale resteront plus difficiles et plus tardifs, jusquau 19e sicle. Ces circonstances expliquent la croissance asymtrique de la ville et de lagglomration, ainsi que la diffrenciation spatio-sociale au sein de la population, observable jusqu nos jours : classes populaires en fond de valle et dans les zones inondables vers louest, bourgeoisie et aristocratie flanc de valle oriental. La seconde enceinte du 14e sicle matrialise la croissance de la ville, son enrichissement mais sans dessiner les seuls progrs de lurbanisation. Dimportantes rserves foncires

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sont prserves au Sud et lOuest surtout, qui permettent de conserver des activits de marachage intra-muros, mais surtout des espaces libres destins ltendage et au blanchissage des draps. Le dveloppement de la ville est d la richesse de son environnement : prairies naturelles en fond de valle, favorables llevage des ovins et des bovins, terres fertiles, cralires louest et au sud, favorables au maraichage, abondance de ruisseaux amnageables (moulins, tangs poissonneux), fort proche, tendue et giboyeuse qui jouxte les murs. Mais aussi lintervention rapide du comte de Louvain (puis duc de Brabant) qui, ds le 11e sicle, cre un chapitre de chanoines (Collgiale Saints Michel et Gudule sur le Treurenberg), une demeure seigneuriale (sur le Coudenberg) et qui dsigne des officiers, chargs de la gestion du territoire (amman puis chevin). Si le pouvoir princier napparat plus comme lorigine de la ville hypothse qui prvalait il y a vingt ans son implication prcoce ne surprend pas si on imagine les transformations considrables de lespace et de lconomie de cette rgion aux 11e et 12e sicles. Plus mme, lautorit comtale est attire par le dynamisme urbain, mais aussi en raison de lhabile politique des diles de la ville pour la sduire, au point dabandonner progressivement (au 14e sicle) sa Capitale originelle, Louvain. Il ne faut pas chercher plus loin lorigine de la rivalit sculaire entre les deux villes jusquaujourdhui, malgr leurs diffrences de destin et de taille. Pierre Gourou note pertinemment : La grandeur de Bruxelles est ne de circonstances historiques ; quant au site local, il ntait ni meilleur ni pire que celui de Louvain rien ne faisait prvoir au 14e sicle que les deux villes connatraient des sorts aussi ingaux. Seule lhistoire donne la clef de ces diffrences. (1956) Lautorit seigneuriale concde peu peu des privilges, des franchises (1229) la ville et ses habitants et confre ainsi ses gestionnaires une autonomie relative qui va slargissant avec le temps. Si symboliquement le prince garde ses prrogatives, symbolises par la crmonie de la Joyeuses Entre lors des successions, si les grandes dcisions sont prises en commun par le prince ou son reprsentant et les autorits urbaines, le pouvoir communal saffirme de plus en plus. Le magistrat urbain soppose ainsi la dcision de crer une universit Bruxelles. Le duc de Brabant se rsout la crer Louvain. Ce pouvoir se matrialise au 15e sicle par ldification dun monumental Htel de Ville, flanqu dune haute tour qui marque le paysage. Elle rivalise en hauteur et en lgance avec les flches dglise et le chteau comtal et tmoigne de

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lmergence dun pouvoir civil indpendant. Ce phnomne caractristique de lEurope du centre-ouest, entre Rhin et Marne, trouve ici une belle illustration. Bruxelles est devenue, entre-temps, une importante ville industrielle : artisanat li la croissance de la ville et de sa population, orfvrerie lie latelier montaire comtal, mais surtout industrie drapire qui bnficie dune importante division et spcialisation du travail de la laine, de labondance des produits locaux, puis de limportation, marchs longue distance, de laine anglaise, de produits tinctoriaux et dapprt. Le Schaerlaken, lcarlate de Bruxelles, devenu le drap des rois et des princes se vend dans toute lEurope et le bassin Mditerranen au 14e sicle. Le dclin de la draperie sera compens par lessor de la tapisserie partir du 16e sicle puis par celui des dentelles partir du 17e sicle. Ainsi que par de nouvelles activits comme limprimerie. La dimension prise par la ville, lautorit croissante de son administration, la ncessit de garantir ses approvisionnements et dharmoniser les rgles en vigueur lui permettent dobtenir divers largissements de son autorit sur son hinterland en matire juridique, administrative, fiscale et logistique. Lammanie exerait ses pouvoirs, approximativement, lintrieur dun cercle de quatre lieues de rayon (22 km). Depuis 1229, la franchise sapplique progressivement aux villages voisins pour former la cuve (keure) de Bruxelles qui tend les comptences territoriales des chevins (Anderlecht, Forest, Ixelles, Laeken, Molenbeek-Saint-Jean, Schaerbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode). La banlieue, qui apparat en 1291, unifie la fiscalit applicable par la ville un territoire dun rayon dabord dune lieue (mile, qui est gal 5.5 km), tendue deux lieues (milen) en 1503. Cest le cas de la banlieue de la bire qui explique la propension des habitants frquenter, lors dexcursions dominicales, les auberges (et leurs brasseries) qui prolifrent au-del de cette limite et qui explique aujourdhui encore le maintien de cette tradition et la localisation de petites brasseries dans la priphrie de lagglomration. Les barrires correspondent ces limites anciennes. Si les comptences des chevins bruxellois sexercent sur ces divers territoires concentriques, elles entranent galement des responsabilits, comme lentretien des voies de communication et leur pavage prcoce dans ces limites respectives. Les chausses (steenweg) daccs la ville et les portes qui leur correspondent se comprennent dans cette perspective ; respectivement les portes actuelles de Gand la premire pave, la porte dAnvers, de Haecht, de Louvain, dIxelles, de Saint-Gilles vers Uccle, Alsemberg et Forest et de Mons. La relative urbanisation viaire quelles entranent rpond cette mme logique. Ce renforcement des relations ville-

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campagne, de lemprise de la ville sur son hinterland, saccompagne galement dun investissement de la campagne par des citadins qui y achtent des terres, des quipements (moulins par exemple), y construisent ou y acquirent des demeures. Le phnomne tmoigne de limportance de la symbiose, il ne cessera jamais de se manifester. Ds 1383, une Ordonnance reprise ultrieurement oblige les chevins habiter la ville, ce qui sous-entend que dj certains ny vivaient plus. Le cours de la rivire est trop irrgulier (trac sinueux, crues puis tiage insuffisant), les contrles de Vilvorde et Malines en aval sont trop onreux en temps et en argent, pour assurer des transports satisfaisants et bon march. Aussi ds le 15e sicle, les autorits bruxelloises revendiquent la cration dune voie deau artificielle. Malgr lopposition de Malines, le canal de Willebroeck qui facilite laccs au Rupel, lEscaut et Anvers, est ouvert en 1561. Il est lorigine de nouvelles installations portuaires dans la ville, le quartier Sainte Catherine. La ralisation du canal na pu se faire quen raison de la dcision favorable du prince et de la participation de ltat son financement.

Une histoire europenneLa premire carte rgionale (Deventer, milieu du 16e sicle) donne parfaitement conscience de la ralit de la ville et de ses relations avec son hinterland. Mais grce ses industries florissantes, la ville a obtenu galement une dimension interrgionale et internationale non ngligeable. Cest une des principales raisons, avec la politique attractive mene par ses diles, du choix de Bruxelles comme ville principale, comme Capitale, par le prince : les ducs de Brabant au 14e sicle, les ducs de Bourgogne au 15e sicle, les Habsbourgs dEspagne, puis dAutriche. Ils y rsident de plus en plus souvent, entranant autour deux administrations, courtisans qui irriguent lconomie locale de leurs investissements immobiliers et de leurs dpenses courantes. Le chteau comtal est devenu un impressionnant complexe palatial. Philippe le Hardi, puis Philippe le Bon crent et dveloppent la bibliothque de Bourgogne, fonds ancien de lactuelle Bibliothque Royale. Charles-Quint, n Gand, y connat les moments les plus importants de sa vie publique : mancipation, couronnement et abdication. Cest Bruxelles que rside le plus souvent ce souverain voyageur. Ce nest donc pas tonnant de voir le premier service postal europen sy mettre en place sous la houlette de la famille de la Torre e Tassis, dorigine italienne. Paradoxalement, la dcision prise par Louis XIV de faire dtruire, par ses armes, la Capitale des

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Pays-Bas en 1695, souligne limportance europenne prise par la ville. Lobjectif nest pas tactique, il ne sagit pas de sen emparer ; le but est go-politique et vise raffirmer la place de la France dans la politique europenne, alors que sa position militaire risque de saffaiblir face la Ligue dAugsbourg. Bruxelles est alors une ville mdivale moyenne, dynamique, contrainte par sa croissance dsordonne. Sa reconstruction rapide tmoigne de sa richesse. Des rgles durbanisme apparaissent mais nempchent pas la reconstitution, presque lidentique, du tissu urbain antrieur. Du moins, autre paradoxe, les bombes incendiaires du marchal de Villeroy ont-elles permis la reconstruction homogne dans sa diversit de la plus belle place du monde. En revanche, le pouvoir central commence jouer au 18e sicle un rle plus actif dans lvolution de lurbanisme, en concertation avec le pouvoir communal. Par la modernisation ou la cration densembles no-classiques, comme le quartier royal (place, nouveau palais, amnagement de la rserve, de warande, en parc paysager), les places SaintMichel (actuelle place des Martyrs), du Nouveau March aux Grains, puis par la dcision de Joseph II de dmanteler les remparts qui tranglent la ville. Le pouvoir urbain a donc volu dun pouvoir seigneurial un pouvoir municipal domin par les grandes familles, les lignages, qui, au 15e sicle, doit slargir aux reprsentants des mtiers majeurs, avnement dun rgime dmocratique comme la dsign de manire quelque peu force Flicien Favresse. Lautonomie urbaine saccroit avec llargissement de la base sociale de ceux qui exercent le pouvoir. A contrario, le succs de la ville attire un pouvoir princier de plus en plus international et cosmopolite qui tend renforcer linfluence du pouvoir central, certainement du point de vue politique mais aussi peu peu du point de vue de la politique urbaine. Les administrations centrales sy multiplient. Durant la priode autrichienne, sous Joseph II en particulier, elles tentent de rduire le poids des particularismes conquis au cours des sicles prcdents. Cest une des causes de la rvolution brabanonne en 1789. En fin de compte, seul le pouvoir ecclsiastique manque la ville. Si lglise est bien prsente grce ses 7 paroisses et ses 39 couvents, multiplis par la Contre-Rforme dont Bruxelles, aux confins du monde protestant, est une des principales Capitales, larchevch lui chappe au profit de Malines (cest en fin de compte la seule administration, ecclsiastique en loccurrence, conserve par Malines qui a concurrenc un temps Bruxelles de ce point de vue). En tout tat de cause, la ville, tant donn sa capacit crer des richesses grce lindustrie qui se diversifie, au commerce local, rgional et

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longue distance ( En Occident, capitalisme et villes, au fond, ce fut la mme chose. F. Braudel) sert rgulirement de vache lait au pouvoir suprieur qui lui impose rgulirement tribut pour financer sa politique. La ville, qui comptait sans doute prs de 20.000 habitants en 1374, 44.000 en 1480, atteint 74.000 en 1784, aprs avoir connu des variations importantes au cours des sicles. En 1800, la ville-centre, en rgression, compte 66.000 habitants, les villages les plus proches 11.000 (plus ou moins la Cuve mdivale). Limplantation Bruxelles dun pouvoir princier pluriculturel (le duch de Bourgogne, puis les empires espagnol puis autrichien) a provoqu lapparition dune administration et dun public cosmopolites. Si le latin est rest longtemps la langue de culture suprieure en Europe, il est peu peu supplant par le franais, plus que lespagnol, ce qui distingue ds lors, Bruxelles des autres villes flamandes. Etant donn la scission des Pays-Bas au 16e sicle, la langue qui simpose partir dAmsterdam aux Provinces-Unies et devient langue dadministration et de culture nexercera de vritable influence qu partir de 1814. Contrairement aux villes flamandes, la premire gazette publie Bruxelles lest en franais, Le Courrier vritable des Pays-Bas. Des lieux de culture apparaissent, soutenus par les gouverneurs successifs : La Monnaie, le Thtre du Parc, lAcadmie Thrsienne, la bibliothque princire qui souvre au public, contribuent diffuser la langue franaise. Type de pouvoir, mode du franais dans lEurope du 18e sicle, puis intgration la France en 1795, tous ces lments expliquent la francisation relative et spatialement organise de la ville. Mais mme les classes populaires du bas de la ville ne parlent plus exclusivement le nederduitsch car des artisans et portefaix romans y influencent les comportements linguistiques.

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Les temps de La modernisation Lannexion des Pays-Bas la France en 1795 rtrograde Bruxelles au rang de simple prfecture du dpartement de la Dyle, certes prospre, mais une parmi 90 autres. La ville est donc soumise lautorit dun prfet dpendant du pouvoir central. Dans cette configuration, qui a pour objectif de faciliter la modernisation, la gnralisation et lharmonisation du mode dorganisation, des procdures de fonctionnement et des rgles appliques, la position de Bruxelles est bouleverse. La Cuve est supprime et les villages sont rigs en municipalits indpendantes. La ville perd donc sa suprmatie rgionale mais aussi une part importante de ses revenus. Ses protestations rptes, qui vont dans le sens de llargissement de ses limites dans les dcennies qui suivent, ny changeront rien. Du moins la cration de loctroi moderne, perception de taxes sur lentre de marchandises, lui fournira de nouvelles ressources. Mais la mesure est contradictoire au moment o Napolon ordonne de terminer le dmantlement de lenceinte et de lui substituer de grands boulevards (1810) puisquil faudra rtablir une clture qui est perce des mmes portes limitant la circulation entre la ville et les faubourgs. Les rgimes qui se succdent au tournant des deux sicles ont soutenu lactivit conomique qui se modernise. Les Autrichiens font paver les anciennes chausses jusqu leur destination, en ouvrent dautres vers Namur et Luxembourg et, in fine, vers Vienne, vers Charleroi, par Waterloo (qui devient le village des paveurs) pour faciliter larrive des houilles hainuyres. Mais trs vite le cot du transport handicape fortement lutilisation du charbon comme source dnergie commune. Napolon prend la dcision de faire creuser un canal entre les deux villes (Bruxelles et Charleroi), entre la Senne et la Sambre. Ralis sous le rgime hollandais, il est mis en service en 1832. La modernisation du Port dAnvers est galement favorable Bruxelles. Lamlioration du rseau routier permet dacclrer les relations entre les principales villes du pays mais aussi dEurope. Elles sont favorises par les mesures dunification du territoire prises galement sous lempire. La ralisation sous la rpublique dun rseau de tlgraphie optique (Chappe) met Bruxelles en relation avec les villes de lempire, dAmsterdam Toulon. Les corporations sont supprimes par le rgime franais. Leur conservatisme et leur refus de modernisation avaient favoris lapparition dindustries hors les murs. Les pouvoirs centraux, par leurs commandes ou leurs aides directes, soutiennent les industries qui occupent la majorit de la population active.

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Les industries textiles, les plus importantes, et les industries cramiques bnficient du dveloppement de lindustrie chimique. La carrosserie bruxelloise (bois, cuir, fer, textile) devient, sinon la plus productive dEurope continentale, du moins la plus prestigieuse. Sous le rgime hollandais, cest Bruxelles, Capitale mi-temps, que le souverain du Royaume-Uni des Pays-Bas cre la Socit Gnrale pour favoriser lIndustrie nationale (1822). Malgr les alas politiques et les changements de rgime, la population reprend sa croissance et atteint prs de 100.000 habitants en 1830, le territoire de la rgion actuelle, 140.000. La rvolution anti-hollandaise qui clate en aot 1830 est dabord urbaine. Il sagit de linsurrection dune ville frappe par la rcession conomique, la baisse des prix, le chmage qui stend, lhostilit au Hollandais qui semble vouloir remplir tout lespace symbolique, social, linguistique et de plus introduire de nouvelles taxes qui risquent de faire augmenter les prix des denres alimentaires au moment o le pouvoir dachat seffondre. La revendication politique de plus dautonomie, pour la ville, pour le pays tout entier le Sud du royaume sy greffe sans difficult. Lintervention de larme pour rtablir lordre intrieur et europen la transforme en une rvolution, un changement de rgime lorigine dun nouvel tat. Parce quil sagit bien dune rvolution violente, sanglante qui fit trois quatre fois plus de victimes que la rvolution franaise, qui la prcde et linspire, dune vritable rvolution nationale, caractristique des rvolutions nationales du 19e sicle en Europe et en Amrique, qui a t prcde par des mouvements de protestation mobilisant tout le pays pendant des mois. Bien sr, ce sont les Bruxellois qui ont port lessentiel du combat, les Bruxellois et les proches Brabanons (85 % des victimes des combats sont originaires de Bruxelles, de Louvain, de Wavre, de Vilvorde, de Nivelles, de Halle et des villages voisins) et moins daffirmer sans raison que ces Bruxellois et ces brabanons taient majoritairement Francophones, il faut souligner que la majorit dentre-eux devaient parler des dialectes flamands. Ce paradoxe apparent sexplique lorsque lon se rappelle la haine du Hollandais, toutes dimensions confondues (sociale, linguistique, religieuse), propage pas seulement par les gazettes francophones mais aussi par le bas clerg dans la partie flamande du pays. Une partie des lites fortunes (20 % des dputs au Congrs National lu

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en pleine guerre) combattit la scission du Royaume Uni, contesta lindpendance de la Belgique, mais pas la majorit de la population. De fait Bruxelles devint la Capitale du nouvel tat, avant de le devenir constitutionnellement.

Capitale pleine et entireLe rgime parlementaire libral, monarchie rpublicaine, qui se met en place de 1830 1839, na aucune hsitation concernant le choix de sa Capitale, en raison de son rle primordial dans le changement de rgime, de sa position centrale dans le pays, du fait quelle est la ville la plus importante ainsi que de son rle historique. Il ny a pas eu dbat ce propos : il sagissait dun fait indiscutable. Le centralisme de ltat suscite une croissance rapide de la ville, sige des institutions excutives, lgislatives, judiciaires, administratives, nationales et provinciales, des principales socits financires comme des principales institutions culturelles. Il ny avait pas duniversit en raison du refus des autorits urbaines daccepter la dcision du duc de Brabant qui lavait alors cre Louvain au 15e sicle. Mais la lutte politique qui sengage dans le pays conduit rapidement la bourgeoisie librale fonder une nouvelle universit, lUniversit de Belgique (future Universit Libre de Bruxelles), au moment o le Gouvernement empreint de lidologie de libert son origine, na pas encore dcid de recrer les Universits dtat. Tout concourt la centralit de Bruxelles. La modernisation de rseau routier et mme le chemin de fer cr par ltat dont le Ministre Charles Rogier disait en 1834 : Le chemin de fer dotera la Belgique dune constitution matrielle comme le Congrs national la dot dune constitution politique. . Il tait prvu darticuler le rseau partir de Malines mais il sorganise trs vite en toile autour de la Capitale. Plus mme, ce premier chemin de fer pour passagers sur le continent, qui devait dsenclaver le pays, servira de base un rseau de relations transeuropennes ds la seconde moiti du sicle. Avec le petit problme quil fallait traverser Bruxelles pied ou en voiture quand on se rendait de Londres Istanbul, ce ntait pas une mince affaire avant la ralisation des boulevards centraux.

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Le nouveau plan topographique de la Ville de Bruxelles et de ses environs , E. Persenaire (1842), Collection Cartes et Plans de Bruxelles, n 76 Archives de la Ville de Bruxelles

Ceci peut apparatre anecdotique mais permet dintroduire la question des difficiles relations entre la Ville et le pouvoir central. Si elle profite de sa politique (croissance, quipements, patrimoine immobilier, embellissements), la ville nen a pas moins des intrts particuliers. Que le voyageur en transit doive la traverser ne dplat pas au commerce local. Il faudra un projet urbain de grande envergure adopt par la Ville pour que laccord se fasse avec ltat (1903) pour entreprendre la Jonction Nord-Midi qui ne sera mise en service quun sicle aprs la parution des premiers projets. Cette position centrale favorise les proccupations rayonnantes au dtriment des relations priphriques (P. Gourou). La Constitution puis la loi communale de 1836 dotent les pouvoirs locaux dune grande autonomie. Le bourgmestre est lu au sein du conseil communal, mme si une possibilit dy droger existe, utilise de manire rarissime. Il est sans doute un reprsentant de ltat en tant que chef de la police, mais peut,

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comme la fait par exemple le Bourgmestre Charles Buls, sopposer au Ministre de lIntrieur, en invoquant lautonomie communale et lappui de sa majorit. A plusieurs reprises, Bruxelles, ville librale, sest dresse comme rempart la politique de ltat, en matire denseignement en particulier (mais pas seulement), contre les majorits catholiques, principalement flamandes, qui dominent le pays avant 1914. La statuaire publique qui orne la ville tmoigne de cet engagement (tSerclaes, Egmont et Hornes). De son ct, le pouvoir central se mfie de cette ville si importante du point de vue matriel et symbolique, lieu des grandes manifestations de lopinion publique, qui reprsente prs dun habitant sur dix et constitue lpine dorsale du principal arrondissement lectoral. Ce qui na pas facilit ni les relations entre la Ville et le pouvoir central ni les prises de dcision. La Ville de Bruxelles nest plus lagglomration urbaine et son poids relatif diminuera au fil du temps, avec lexpansion de la priphrie et de la rgion. Ces contradictions expliquent lchec de toutes les tentatives de constituer une grande entit urbaine unifie. Les efforts de la ville-centre pour annexer les communes de lagglomration se heurteront lindpendance obtenue par les communes qui, en gnral, se prononceront contre labsorption pure et simple. Lorsque le gouvernement, avec lappui de la province de Brabant, dfend la cration dune vaste entit urbaine, mais avec limitation de son autonomie (1854), une forte majorit au parlement vote contre le projet runissant ceux qui sopposaient la cration dun Grand Bruxelles qui risquait de devenir dominant dans le pays, ceux qui dfendaient lautonomie des villages devant la boulimie de la ville et ceux qui refusaient la perte dautonomie de la Capitale. Une dernire tentative est mene aprs la Premire Guerre, autour du Bourgmestre Adolphe Max, aurol de sa rsistance loccupant, mais sans succs. Seules les autorits allemandes, lors de la Seconde Guerre, par souci de rationalit, de contrle plus efficace de la population, de dislocation du sentiment national au profit dune identit flamande prsume favorable leur pouvoir, ont ralis lunification administrative de la ville. Le Gross Brssel (qui comprenait les 19 communes) y a perdu, pour longtemps, toute attractivit aux yeux de lopinion publique bruxelloise. Les mutations territoriales, au dtriment de ses voisins, dpendent ds lors de projets urbanistiques ponctuels qui, en plusieurs pisodes, donnent la configuration actuelle de la ville-centre qui passe ainsi de 4,5 33,4 km 2. Le dernier, le plus important, qui conduit, en 1921, lannexion de trois communes (Laeken, Haren et Neder-Over-Heembeek) est justifi par la ralisation des installations

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maritimes, la rectification et modernisation des canaux, la cration dun nouveau port et dun avant-port capable daccueillir dsormais des navires de pleine mer. Des liaisons rgulires sont galement cres vers divers ports de la mer du Nord. Laxe Anvers, Bruxelles et Charleroi est renforc. Par contre les bassins intrieurs, qui ont perdu progressivement leur raison dtre, sont combls et laissent la place un nouveau quartier. La ville-centre a exig la matrise territoriale de ce vaste projet mais la socit gestionnaire du port prfigure sa gestion rgionale actuelle puisquelle runit, outre la Ville de Bruxelles, la province de Brabant et neuf communes dont Schaerbeek, Molenbeek-Saint-Jean, Anderlecht, mais aussi Ixelles Ce vaste projet tait soutenu par les forces vives de la rgion, les communes, les milieux daffaires, les partis politiques. La modernisation du transport par eau a t accompagn par la ralisation dun vaste complexe multi-modal (113 ha) darrive des marchandises au centre de lagglomration (voies ferres, route et eau), dentrepts de stockage et de services des douanes : Tour & Taxis dessert lagglomration, la rgion et mme lintrieur du pays depuis 1905, jusqu sa disparition au moment de la formation de lespace douanier de lUnion europenne. Divers terrains, des hippodromes notamment, servent aux dbuts de laviation. Un premier arodrome est cr par loccupant Haren-Evere en 1915 mais trs vite, laugmentation des activits de laviation civile (cration de la Socit Nationale pour ltude des Transports Ariens -SNETA- en 1919, lorigine de la Socit Anonyme Belge dExploitation de la Navigation Arienne -SABENA- et de la Socit Anonyme Belge des Constructions Aronautiques -SABCA) conduit sa dlocalisation progressive vers Melsbroek puis Zaventem. Plus tard, premire mondiale, laroport est reli directement, partir du sige social de la socit, au centre-ville, par chemin de fer (Jonction). La cration de lHliport de lAlle Verte (1958), mais cette fois sans succs, sinscrit galement dans le projet de maintenir la ville au centre dun rseau de communications, nationales et internationales, de qualit. Le Train Grande Vitesse (TGV) actuel et le rle de plaque tournante entre les principales villes du centre-ouest de lEurope, ne vient que confirmer et acclrer une tendance bien prsente depuis le 16 e sicle.

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La structure spatiale de la rgion urbaine bruxelloise

La ville au 14e sicle (seconde enceinte) Vier milen (1450) Rgion de Bruxelles-Capitale (19 communes, 1.000.000 habitants) Agglomration morphologique (44 communes, 1.585.000 habitants) Aire urbaine fonctionelle (130 communes, 2.600.000 habitants) Autoroutes Source: Espaces partags, espaces disputs. Bruxelles, une Capitale et ses habitants , CIRHIBRU-ULB et Rgion de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 2008 Ministre de la Rgion de Bruxelles-Capitale

La Ville de Bruxelles a tent de pallier le manque de contrle de son hinterland par un largissement progressif de son territoire, qui lui a permis dans un premier temps de conserver un certain nombre de contribuables cossus (Quartier Lopold, Avenue Louise, les squares). Les problmes de gestion de lensemble urbain conduisent le Bourgmestre de Bruxelles, Jules Anspach, convoquer une Confrence des Bourgmestres de lagglomration en 1874 qui se tiendra plus ou moins rgulirement titre consultatif. Runissant, dans un premier temps, les communes de la premire couronne, elle compte ds 1932, les 19 communes de la future Rgion de Bruxelles-Capitale. Cest au titre de Prsident de cette Confrence quAdolphe Max se prsente, en aot 1914, devant les envahisseurs allemands la limite de Schaerbeek, pour obtenir leur entre pacifique dans la ville.

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Il y eut, bien sr, des tentatives de cration dintercommunales en matire demploi et de travail au tournant du sicle (la Bourse du travail), plus tard par lunification des transports publics au sein de la future Socit Intercommunale des tramways Bruxellois (STIB, 1900). Mais lexemple de la distribution deau souligne les difficults de ces organisations. Dans un premier temps, Bruxelles, qui en a fait une priorit pour lutter contre les pidmies (la dernire pidmie de cholra remonte 1866), tente dlargir son rseau de distribution aux communes voisines puisque le cot moyen des investissements considrables diminue videmment avec la multiplication des utilisateurs. Craignant la prise de contrle de ce service capital par la Ville, les communes, sous la houlette de Saint-Gilles, crent leur propre socit lorigine de la Compagnie Intercommunale Bruxelloise des Eaux (CIBE-Vivaqua, 1933). Des laboratoires intercommunaux voient nanmoins le jour. La premire unification contemporaine du territoire rgional, involontaire et relative, relve de la lgislation linguistique. En effet, les lois de 1932-33, portant cration en matire administrative et judiciaire (except larrondissement judiciaire de Bruxelles) de deux rgions unilingues, flamande et wallonne, dessine en creux, une agglomration urbaine bilingue au centre du pays. Elle compte alors 16 communes. Trois autres y seront runies aprs le recensement linguistique de 1947, Berchem-Sainte-Agathe, Evere et Ganshoren. Cet ensemble est fix lors de la formulation dfinitive de la frontire linguistique en 1962. Il forme ce qui deviendra en 1970 lagglomration de Bruxelles, prmisse territoriale fonctionnelle mais non politique de la rgion. Cest le statut bilingue des communes qui la composent, sur la base de recensements linguistiques (le dernier en 1947) qui en dfinit la gographie, et non les particularits morphologiques, dmographiques ou conomiques. In tempore non suspecto (1956), le gographe franais, Pierre Gourou, professeur lUniversit Libre de Bruxelles et au Collge de France Paris, dveloppe la problmatique bruxelloise en identifiant des territoires concentriques relevant de particularits urbaines diffrentes de celle du bilinguisme institutionnel, ce qui donne : A : lagglomration des 19 communes (161,66 km 2 et 985.793 habitants). B : lagglomration bruxelloise (communes ayant tripl leur population depuis 1846 : + 28 communes). C : le plus grand Bruxelles (zone conomique et rsidentielle + 16 communes). Soit un total de 63 communes, 642,96 km 2 et 1.256.909 habitants).

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Il souligne galement combien il lui semble que le pays et les sentiments rgionalistes qui commencent le traverser, ignorent, sous-estiment systmatiquement, le rle et le poids de la Capitale. En effet quand, aprs les grves de 1960-61 et lexigence de rgionalisation conomique wallonne, aprs lexpulsion des Francophones de lUniversit de Louvain en 1968 et lexigence dhomognit culturelle flamande, des lois de dconcentration et dexpansion conomiques sont votes en 1970 . Elles concernent presquexclusivement la Flandre et la Wallonie. Avec la crise conomique profonde des annes 70, cest le point de dpart de labandon de Bruxelles par les deux grandes rgions qui se constituent et qui prfigurent lorganisation fdrale ultrieure. Il faudra, partir de la formation de lAgglomration bruxelloise, prs de vingt ans pour obtenir lorganisation dune Rgion de Bruxelles-Capitale qui dispose de comptences rgionales identiques celles des deux autres rgions. Mais le mal tait fait puisque, crise urbaine, dsindustrialisation, caractristiques du monde dvelopp cette poque mais aggrave dans le cas de Bruxelles par les crises institutionnelles, la population a commenc se rduire. Et que le dpart vers la priphrie des catgories sociales mieux nanties contribue provoquer le recul du niveau moyen des revenus, qui se rvle infrieur celui des deux autres Rgions depuis respectivement 1985 et 1995.

Urbanisation et unification du territoireSi lunification administrative et politique du territoire na pas fondamentalement progress aux 19e et 20e sicles jusqu la cration de la Rgion, lurbanisation densemble a-t-elle t envisage et initie ? Lunification urbaine, la ville et les faubourgs, est tardive. En effet si le rgime hollandais a permis dachever le dmantlement des fortifications et de raliser des boulevards de la petite ceinture, ltablissement de loctroi a (re)suscit une nouvelle clture et maintenu la limitation du nombre de portes daccs jusqu sa suppression en 18601. Dsormais larticulation viaire des faubourgs et de la ville-centre est facilite, lagglomration urbaine peut sharmoniser. Mais cest msestimer le poids de lhistoire des relations urbanistiques, contraintes par les cltures successives et des destins divergents depuis lautonomie municipale de 1795. Cela na videmment pas chapp au pouvoir central qui, ds 1807, impose aux municipalits de raliser et de prvoir des plans dalignement (existant et envisag). Pas plus qu la province de Brabant qui, en 1827, se proccupe de larticulation entre les faubourgs et la

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ville et dsigne une commission ad hoc. A la suite de la loi communale (1836), qui attribue aux communes la pleine responsabilit en matire de voirie, sous contrle de la dputation permanente, la province de Brabant cre le poste dinspecteur voyer (1837), fonctionnaire provincial mais pay par le Gouvernement, charg de coordonner la mise en uvre dune urbanisation cohrente entre les diverses communes concernes dans un rayon de 1.500 puis de 3.000 mtres autour de lHtel de ville. Son titulaire, le bien nomm Charles Vanderstraeten, tablit un premier plan, dun rayon de 6.000 mtres, purement conceptuel approuv par Arrt Royal en 1846 (M. De Beule 2004). Aprs lchec du projet gouvernemental dunification de lagglomration en 1854, un nouveau titulaire, Victor Besme (1859), recrut sur concours, tablit en 1866 un nouveau plan densemble, fonctionnaliste avant la lettre qui trace les grandes lignes dune ville intgre mais aussi les projets de voirie et de nouveaux quartiers qui, pour beaucoup, seront raliss au cours du sicle qui suit. Besme avait 25 ans, il est rest en fonction jusqu sa mort en 1904. Aujourdhui, on connat mieux les raisons de son influence extraordinaire sur lurbanisation de la ville. Outre ses talents propres et sa longvit dans la fonction, il tait le strict contemporain du duc de Brabant, futur Lopold II, qui ne manquait pas de projets en la matire. Besme lui servit dexpert, sinon dexcutant. Du moins nombre de responsables, lus ou administratifs, pensaient, lorsquils le rencontraient, apercevoir derrire lui, lombre du souverain. Linfluence directe et indirecte de Lopold II sest exerce sur les propritaires, sur les lus communaux et sur les ministres. Diverses transformations ont t finances par sa cassette personnelle, puis par les revenus de lexploitation du Congo. Mais il tait vident que sans lintervention claire et vigilante de Victor Besme, lextension du Grand-Bruxelles se serait faite de manire toute empirique. (G. Jacquemyns 1936). Son poste est ensuite supprim, laissant lautonomie communale jouer plein. En revanche, les exigences croissantes des communications et des transports vont donner un pouvoir grandissant aux ministres responsables : celui de lIntrieur, qui exerce la tutelle sur les chemins de fer, puis celui des Travaux Publics dans la dfinition du projet de Jonction Nord-Midi et des amnagements ncessaires pour sa ralisation qui prit un demi-sicle, bouscule par deux guerres mondiales ; celui des Communications enfin, au moment o la voiture individuelle bouleverse les conceptions et les pratiques de la circulation. Une partie du programme du Ministre des Communications a t ralise, au nom de la rationalit et tenant compte de lurgence, pour lExposition Universelle de 1958, puis sest peu peu

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heurte des oppositions grandissantes venant de la population, mais aussi dautorits communales. La ncessit dune programmation et de prvisions moyen terme plus structures a pouss le ministre des Travaux Publics confier au groupe Alpha une mission denqute et de planification dont les premiers rsultats sont dvoils au Palais des Beaux-Arts en 1954. Ce travail est lorigine dun Plan de secteur 1965-1980 prsent en 1962 qui consacre le retour lide de planification urbaine abandonne au dbut du sicle.

La dynamique urbaineBruxelles na sans doute pas connu de croissance aussi forte que dautres villes dopes par les transformations conomiques et sociales du 19e sicle en Europe ou en Amrique du Nord, mais cette croissance est quand mme spectaculaire : le nombre dhabitants est multipli par 12 en un sicle et demi ; 10 % de la population nationale en 1950. Elle dcoule de son rle de Capitale dun pays densment peupl et en dveloppement rapide, mais aussi des particularits de son conomie. La modernisation des moyens de communication, la fourniture massive dnergie primaire bas prix ont permis lindustrie de se diversifier, de slargir dautres secteurs que les secteurs traditionnels de la ville. Industries alimentaires, du btiment, de la confection, industries mcaniques, mtalliques et chimiques, lies lnergie, gaz et lectricit la palette est large. Bruxelles devient la principale rgion industrielle du pays pendant prs dun sicle, dpassant 170.000 emplois dans le secteur secondaire au sommet de son expansion dans les annes soixante. Ds la fin du 19e sicle surviennent des dlocalisations, ainsi que des crations dentreprises en relation avec lindustrie urbaine dans la valle de la Senne. Un sillon industriel continu sest alors cr entre Clabecq (sidrurgie) et Vilvorde (industries diverses). Petites et moyennes entreprises sont prsentes dans lensemble de la rgion mais se concentrent avec les plus grandes dans le fond de la valle et le versant occidental, irrigus par les moyens de communication et de transports (canaux, chemins de fer). Cette industrie est lorigine tourne vers la croissance de la ville, de ses entreprises et vers la satisfaction des besoins primaires de sa population, mais nombre dentreprises fourniront lensemble du pays et ltranger. Corollaire du dveloppement industriel, les emplois dans le secteur tertiaire se multiplient galement : services aux personnes (la domesticit, lenseignement fort dynamique Bruxelles), le commerce de dtail de base et spcialis (boutiques, cafs, grands magasins dans la deuxime

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moiti du 19e sicle, 37 Bourses rgulires et informelles dans les annes 1950), emplois de bureaux peu nombreux encore avant la Premire Guerre mondiale mais en pleine croissance (banques, assurances, services publics comme la Poste, les Comptes chques, Tlphones et Tlgraphe), les transports, etc. Au 20e sicle, la multiplication et lintensification des tches remplies par ltat augmentent sensiblement le nombre de fonctionnaires et demploys. Les services privs ne sont pas en reste. Bruxelles compte 360.000 m 2 de bureaux en 1945, 2.500.000 m 2 en 1970. Le secteur tertiaire supplera le secteur secondaire qui seffondre plus rapidement que dans les rgions industrielles. En 1981, il y avait 689.000 emplois soit 18.6 % du total de la Belgique (pour moins de 10 % de la population), dont 277.620 sont occups par des navetteurs. Bruxelles est devenu un moteur important pour lconomie du pays. Sans oublier ici les activits culturelles, les muses, thtres, cinmas et autres activits de loisir caractristiques de la grande ville, qui gnrent une activit conomique croissante et qui contribuent souvent leur faon simprgner dinfluences trangres, il convient de sattacher linternationalisation de la ville.

Ville internationalePas assez grande, ni extravertie pour attirer lattention linstar des grandes mtropoles europennes (au contraire nombre de tmoignages soulignent laspect provincial et morne de la ville), Bruxelles attire par les liberts qui y rgnent, par la neutralit oblige du pays. Rfugis, exils, journalistes, publicistes, romanciers, artistes trangers y trouvent un moment de rpit et le moyen de publier sans risque. Des journaux trangers y paraissent. Les entrepreneurs aussi y trouvent une atmosphre de libert propice leurs affaires (Delacre, Kestkides, Neuhaus, Wolfers sans plus voquer dIeteren, Jones, belges depuis lorigine du pays). Par son aspect multiculturel, son rle ancestral de passage entre le Nord et le Sud de lEurope, de mitoyennet entre les mondes germanique et latin, lintrt des lites pour lAllemagne surtout, pour la France crainte mais sduisante et si proche, Bruxelles tmoigne dune ouverture assez large vers lextrieur. Ses intellectuels se dressent pour la Pologne, pour lItalie, pour les Boers, certains se mobilisent pour le Pape. Les travailleurs migrants venus des pays voisins, mais de plus loin aussi, sont de plus en plus nombreux. Les associations internationales y trouvent un terrain propice, de lUnion interparlementaire internationale la

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seconde Internationale. Plus prcisment, la Belgique y organise des Expositions Internationales et Universelles pour attirer lattention du monde sur les russites dun petit pays sur lequel pas grand monde navait pari en 1830. En 1880 pour clbrer son cinquantenaire, en 1897 avec notamment lexposition coloniale de Tervueren, en 1910, en 1930 et last but also least en 1958 (la premire daprs guerre dans le monde) les expositions se succdent, avec la cl, une impulsion lurbanisation de nouveaux quartiers. Mais linternationalisation de Bruxelles est videmment due aux volutions daprs la Seconde Guerre mondiale. La cration du Benelux, hritier de lUnion conomique Belgo-Luxembourgeoise, la politique des gouvernements qui ont dfinitivement abandonn toute ide dindpendance solitaire, le rle spcifique dune personnalit comme Paul-Henri Spaak, Ministre des Affaires Etrangres devenu Secrtaire gnral de lOrganisation du Trait de lAtlantique Nord (OTAN) et par ailleurs Bourgmestre de Saint-Gilles, mais aussi tout le pass bruxellois voqu prcdemment expliquent le choix de Bruxelles comme sige de la Commission europenne en 1957, puis comme sige politique de lOTAN en Europe en 1967. Linternationalisation des activits de la ville est devenue Capitale. Avec toutes les consquences induites en matire durbanisation, de circulation et dvolution des populations qui expliquent galement la situation actuelle. La cration dfinitive de la ville-rgion en 1989 poursuit une volution sculaire de la formation de lentit urbaine par rapport son hinterland, le territoire de la Cuve (Keure), en partie de la banlieue, est runifi mais rompt avec lui en raison de rglementations a-conomiques (culturelles lorigine) qui la distingue dsormais de son nouvel hinterland. Ce dernier ne la nourrit plus. Cest linverse, cest la ville qui nourrit la population de son hinterland. Les consquences urbanistiques et conomiques de cette mutation sont considrables et demandent des rformes profondes et urgentes pour sauvegarder la dynamique lorigine de la prosprit du pays et de ses rgions. Pierre Gourou le pressentait bien qui concluait en 1956 : Faut-il croire quun affaiblissement relatif, efficace et obtenu par intervention volontaire du rle de Bruxelles nentranerait pas un dprissement de ltat belge ? Ny a-t-il pas un lien dinterdpendance entre le fait bruxellois et le fait politique belge ? Toucher lun nest-ce pas toucher lautre ? Bien vu ! Reste ne pas casser le moteur de la dynamique bruxelloise. n

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notes1

Loctroi est cr par Napolon pour compenser les pertes fiscales dues la nouvelle organisation du territoire et lautonomie des municipalits. Il consiste en la perception de taxes lentre de marchandises dans la ville. Une nouvelle clture est donc ncessaire la place des fortifications disparues. La suppression de loctroi suscite la cration dun fonds des communes. Le Crdit Communal (1860) est charg de sa redistribution.

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focusH y m n e au co m p r o m i s Plus ou moins, cest selon Lhistoire de Bruxelles remonte plus que vingt ans. Lhistoire du millnaire qui la prcd prsente la fois un bilan survalu et sous valu, et sexprime donc en terme de less and more, de plus et de moins. Le dbut de la dynamique pr-urbaine bruxelloise est traditionnellement situ au 10 e sicle. Cependant, les dernires recherches contestent de plus en plus ce fait. Il y aurait en effet quelques bonnes raisons de situer le vritable dbut du dveloppement urbain bruxellois au 11e sicle seulement. Celui-ci serait cependant beaucoup plus spectaculaire quon ne lavait imagin. Revenons aux commmorations de lan 2000, organises en lhonneur du 500 e anniversaire de Charles quint. Compos par mes soins, le top dix des villes les plus illustres o Charles quint a pass la nuit, place Bruxelles largement en tte, avec un total de 18 % des nuites. Augsbourg, o sige souvent le Reichstag, arrive en deuxime position, et Valladolid, o se runissaient rgulirement les tats gnraux de Castille, seulement en troisime, ces deux dernires comptabilisant chacune environ 6 % des nuites. on fera le rapprochement avec la mise au jour des importants vestiges du palais imprial reprs sous la Place Royale. Les Bruxellois nont quune trs vague ide de limportance du rle que leur ville a jou au 16 e sicle. Un gros plus donc. Si le dbut de lhistoire de leur ville est moins prcoce que les Bruxellois le pensent, et lampleur des ralisations largement suprieure ce quils croient, cest que la progression dans lintervalle savre plus spectaculaire quils ladmettent. La constitution, un compromis Chaque ville possde son identit propre, Anvers la ville marchande, Gand lindustrielle, et Bruxelles, un centre politique. Ds la seconde moiti du 13e sicle, lorsque le duc Jean Ier de Brabant arrive au pouvoir, Bruxelles devient sa ville de rsidence. Au 15e sicle, le Brabant passe dans les mains de la Maison de Bourgogne ; au 16e sicle, dans celles des Habsbourg qui, lpoque, acquirent le monopole de fait sur le titre imprial. Lorsque les Bourguignons arrivent au pouvoir, le comt de Flandre perd de sa splendeur au bnfice du duch de Brabant qui gagne en importance. Bruxelles prend alors lascendant sur les autres lieux de rsidence, le Brabant devenant la rgion centrale des Pays-Bas bourguignons. La ville acquiert alors le statut de centre politique du Brabant et de lensemble des Pays-Bas. Cette volution fera la particularit par excellence de Bruxelles : le consensus. Dsormais, les lites urbaines vont ngocier avec la Cour qui vient de sy installer et chanter haut et fort lode du compromis.

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Lart du consensus prendra des formes nouvelles en 1830, au moment de la dclaration dindpendance de la Belgique. Un an plus tard, la Constitution scellera le grand compromis entre Catholiques et Libraux, que tout oppose. Ce fil rouge parcourt toute lhistoire de Bruxelles. Personne ne se maintient au pouvoir assez longtemps pour dcider seul de lavenir de la ville. La reconstruction de la Grand-Place aprs le bombardement de 1695 en offre un excellent exemple. Hormis lHtel de ville et la Maison du Roi, lensemble des btiments aurait pu prsenter un aspect homogne, en raison de leur reconstruction rapide entre 1695 et 1700. Il nen est rien ! Certes ces btisses ont effectivement t rdifies simultanment, mais cest mal connatre les Bruxellois que dimaginer quils auraient pu se mettre daccord sur laspect leur donner. Du ct des ducs de Brabant, sept maisons distinctes se partagent une faade commune. En face, du ct du Roi dEspagne, les pignons sont hardiment disparates. Je ne connas aucune place en Europe o conservateurs et modernistes se font ce point concurrence sans quil ny ait ni gagnants ni perdants. Au 19e sicle, Bruxelles devient la ville belge la plus moderne et la plus librale. Avec la rnovation de la Grand-Place, la bourgeoisie revendique quelle a un grand pass qui ne cde en rien celui de lEglise. De jolies sculptures envahissent alors le Petit Sablon voquant le 16 e sicle et non le Moyen-ge comme les sculptures brugeoises. Les Libraux entendent bien montrer par l que ce sicle est le creuset de toutes les rvolutions, avec son cortge de gueux, de protestants et de scientifiques faisant la nique lInquisition. Rien nest innocent dans la manire dont scrit lhistoire de la ville au 19e sicle. Luvre de lhomme Dun point de vue conomique, la ville est bien loin de jouer un rle industriel ou commercial quivalent celui de Bruges, Gand, Anvers ou Lige. Elle deviendra toutefois un centre important de fabrication de produits de luxe haut de gamme, dabord en sa qualit de fournisseur des souverains qui y rsident et, ensuite en sappuyant sur ces mmes souverains pour vhiculer le savoir-faire bruxellois dans le monde entier. Dans ce domaine, la ville se montre particulirement dynamique. Vers le 14e sicle, le drap le plus fin est fabriqu Bruxelles. Cette prdominance ne sera que passagre, comme ce fut le cas pour dautres villes. Ensuite, Bruxelles se spcialisera dans les tapisseries. Les plus belles tapisseries dEurope y seront tisses entre le 15e et le 16e sicle.

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Bruxelles doit son dveloppement sa situation le long de la route commerciale reliant Cologne Bruges. La perte, au 15e sicle, du monopole commercial de ces deux villes mettra fin cette opportunit. Entre 1550 et 1560, les Bruxellois vont creuser le canal de Willebroek, vritable prouesse du monde conomique aux yeux de quelques rhtoriqueurs de lpoque. Ne sur laxe nord-sud, Bruxelles sest dveloppe sur laxe est-ouest et a retrouv son second souffle sur le nouvel axe nord-sud : celui du canal, bien plus efficace que la Senne. Pour rpondre la monte de lindustrie lourde, le trac du canal est prolong au 19e sicle, en direction de Charleroi. Cest laboutissement de 300 ans de lobbying. Lenvironnement bruxellois nest gure propice au dveloppement dune grande ville. Ce qui fait la grandeur de cette ville, cest luvre spectaculaire de lhomme qui lui donne une dimension internationale insuffisamment perue. n Propos de Roel Jacobs, recueillis par Steven Vandenbergh

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03X av i e r m a b i l l e

l e Fa i t b r u X e l lo i s i n s t i t u t i o n n e lPrsident, Centre de recherche et dinformation socio-politiques (CRISP)

fo c u sC o n F i a n C e , s m a n t i q u e e t p r ag m at i s m e au t o u r d u b e r C e au d e l a r g i o nJe an-luC dehaeneMinistre dtat, Membre du Parlement europen

p h i l i p p e m o u r e au XMinistre dtat, Snateur, Bourgmestre de la Commune de Molenbeek-Saint-Jean

les enJeuX du FinanCement de l a r g i o n d e b r u X e l l e s - C a p i ta l em ag a l i v e r d o n C kProfesseure, Facults Universitaires Saint-Louis (FUSL)

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Le fait bruxellois institutionnelX av i e r m a b i l l e

Le fait bruxellois comporte de longue date de multiples dimensions. Cest notamment le cas en matire institutionnelle. Il nest peut-tre pas inutile de rappeler quelques vidences. En rigueur de terme, Bruxelles dsigne, ds lindpendance de ltat, la ville qui est la Capitale du royaume et le chef-lieu de la Province de Brabant. Le vocable dsignera toutefois aussi rapidement une agglomration de fait. Les communes qui la composent dont le nombre a certes vari dans le temps se donnrent dailleurs une instance elle aussi de pur fait : la Confrence des Bourgmestres. Bruxelles et les autres communes de lagglomration ont longtemps bnfici dune position centrale dans ltat unitaire. Le rseau des chemins de fer rayonnant sur tout le pays partir de Bruxelles fut sans doute la mtaphore la plus loquente du fonctionnement lpoque de ltat et de lconomie. Cette position entrana une identification certaines des caractristiques majeures de cet tat. Il y eut une forte tendance tant en milieu wallon quen milieu flamand identifier la centralisation le lieu o elle soprait, dautant plus quil ne sagissait pas seulement de la centralisation politique et administrative de ltat mais aussi de la centralisation et de la concentration du pouvoir conomique priv. En outre, Bruxelles sest aussi trouve au nud du contentieux linguistique. On peut dailleurs considrer que cet aspect tait li au prcdent, dans la mesure o, lorigine de ltat, la langue franaise fut aussi un instrument de la centralisation.

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Bien avant que ltat ne sengage dans un long processus de rformes institutionnelles, la lgislation sur lemploi des langues dans ladministration, dans lenseignement et dans les autres domaines de la vie publique, avait dtermin la dlimitation de rgions linguistiques, Bruxelles et les communes de son agglomration ayant un statut bilingue.

Le Long cheminement de Laffirmation rgionaLe La situation institutionnelle actuelle de la Rgion de Bruxelles-Capitale rsulte des dcisions prises partir de 1970 dans le cadre de la rforme des Institutions. De lamorce du processus en 1970 la cration de la Rgion en 1989, le cheminement a toutefois t long, lent et complexe. Si lexistence de trois Rgions, Wallonie, Flandre et Bruxelles, fut officiellement consacre ds la rvision de la Constitution de 1970 par le nouvel article 107 quater, les tentatives de mise en uvre de cette dcision furent mailles de difficults politiques tout au long des annes 1970. Si la Constitution proclamait dsormais lexistence de Communauts culturelles et de Rgions, si la composition des organes des Communauts culturelles avait t prcise, de mme que la liste des matires de leur comptence et que ltendue de leurs pouvoirs, ctait loin dtre le cas pour les Rgions. Pour ces dernires, la Constitution rvise ne faisait que les numrer, sans dfinir ni leur territoire, ni les matires de leur comptence ni ltendue de leurs pouvoirs. A peine prcisait-elle que leurs organes devaient tre composs dlus. Pour le reste, le soin de prciser les comptences, la composition et ltendue des pouvoirs des organes crer tait renvoy au lgislateur, sous condition de majorit spciale (les deux tiers des voix dans chaque Chambre et la majorit simple dans chaque groupe linguistique de chaque Chambre), ces comptences ne pouvant concerner ni lemploi des langues ni lautonomie culturelle, ces organes devant tre composs de mandataires lus sans quen soit prcis le mode dlection.

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Dautres dispositions de la Constitution rvise en 1970 concernrent particulirement dans les faits la Rgion bruxelloise : il sagissait de celles qui concernaient la cration dun niveau supra-communal de pouvoir. Une tendance dominante lpoque considrait que le remde lmiettement des pouvoirs locaux rsidait dans la cration dagglomrations et de fdrations de communes. Dans les faits, alors qutait prvue la cration de cinq Agglomrations (Anvers, Bruxelles, Charleroi, Gand et Lige) et que le reste du territoire devait tre couvert de Fdrations de communes, seules furent cres lAgglomration de Bruxelles et cinq Fdrations de communes priphriques (en 1976 quand se ralisa la grande opration de fusions de communes ces cinq Fdrations furent dissoutes et mises en liquidation). La Constitution avait prcis que les membres du Conseil dAgglomration devaient tre rpartis en deux groupes linguistiques et que le Collge comprendrait, le Prsident except, autant de membres de chaque groupe linguistique. Il tait prvu aussi la cration dune Commission franaise de la Culture et dune Commission nerlandaise de la Culture, composant ensemble un autre organe, les Commissions runies, comptent pour les matires dintrt commun et pour la promotion du rle national et international de lAgglomration. LAgglomration et les Commissions de la Culture furent cres par la loi du 26 juillet 1971. Ainsi, tandis que tardait la mise en place des Rgions, certaines matires taient dj rgles par des Institutions communes aux dix-neuf communes bruxelloises. La loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la dcentralisation conomique appartint en fait au mme ensemble de dcisions que la rvision de la Constitution de la mme anne. Cest en vertu de cette loi que furent cres diverses Institutions, parfois par transformation dInstitutions prexistantes. Parmi elles, le Conseil conomique rgional pour le Brabant, assemble consultative appele se prononcer en matire de planification et de dveloppement conomique. Ou encore la Socit de dveloppement rgional de Bruxelles. La loi du 15 juillet 1970 fut applique progressivement, le processus de cration, de mise en place et dentre en activit des Institutions prvues stendant dans certains cas sur plusieurs annes.

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La loi du 1er aot 1974, adopte la majorit simple, cra des Institutions rgionales titre prparatoire lapplication de la Constitution rvise en 1970. En ce qui concerne la Rgion bruxelloise, cette loi crait : un Conseil rgional bruxellois compos des snateurs domicilis dans la Rgion bruxelloise et de quarante-deux membres du Conseil dAgglomration de Bruxelles ; comme ses homologues flamande et wallonne, cette assemble avait un pouvoir davis ; un Comit ministriel des affaires rgionales, compos dun Ministre et de deux Secrtaires dtat ; comme ses homologues flamand et wallon, ce Comit ministriel tait partie intgrante du Gouvernement central. La mme loi bauchait un processus de rgionalisation des budgets et des administrations. Le pacte dEgmont de mai 1977 et les accords de Stuyvenberg de janvier 1978 prvoyaient de profondes rformes institutionnelles, dont la cration des Institutions des trois Rgions. Leur chec en octobre 1978 ouvrit une grave crise de confiance politique. La loi du 5 juillet 1979 cra des Institutions communautaires et rgionales provisoires. Et parmi elles, un Excutif de la Rgion bruxelloise, compos dun Ministre et de deux Secrtaires dtat et auquel participaient en outre le membre bruxellois de lExcutif de la Communaut franaise et le membre bruxellois de lExcutif de la Communaut nerlandaise et de la Rgion flamande. Pour la premire fois, lon scartait des conceptions de type symtrique qui prvalaient jusqualors en matire institutionnelle : on crait un seul Excutif de la Communaut nerlandaise et de la Rgion flamande et des Excutifs distincts de la Rgion wallonne, de la Rgion bruxelloise et de la Communaut franaise. Une nouvelle fois, des articles de la Constitution furent rviss en 1980 et de nouvelles lois de rformes institutionnelles adoptes. Lasymtrie institutionnelle tait confirme entre la Communaut flamande dont les Institutions exeraient les comptences de la Rgion en Rgion flamande, dune part, et dautre part la Communaut franaise et la Rgion wallonne dotes lune et lautre dInstitutions propres. Mais la situation institutionnelle de la Rgion bruxelloise demeurait sans rglement. Dans son avis sur le projet de loi spciale, le Conseil dtat fit observer quil ntait admissible que pour autant que lexcution de larticle 107

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quater lgard de la Rgion bruxelloise soit simplement diffre et non pas abandonne et que le dfaut dexcution ne se prolonge pas au-del dun dlai raisonnable . La loi du 5 juillet 1979 continua sappliquer la Rgion bruxelloise, toujours place sous la direction dun Excutif de trois membres, appartenant au Gouvernement central et responsable devant la Chambre des reprsentants et le Snat. Cette situation eut des consquences pour la Rgion, tant sur les plans institutionnel et financier que sur celui des politiques mener. La loi du 21 aot 1987 rforma les comptences et le mode de fonctionnement de lAgglomration.

La mise en pLace de La rgion Ce fut dans le contexte de nouvelles rformes dcides en 1988-1989 que furent enfin cres, par la loi spciale du 12 janvier 1989, les Institutions politiques de la Rgion de Bruxelles-Capitale. Ces rformes avaient t dcides lors de la formation dune nouvelle coalition gouvernementale lissue de la longue crise ouverte lors de la dissolution des Chambres fin 1987. Dans le mme train de dcisions, les comptences des Communauts et des Rgions avaient t largies en 1988 par la rvision de la Constitution et par de nouvelles lois de rformes institutionnelles. Si pour lessentiel, la loi du 12 janvier 1989 crant les Institutions politiques de la Rgion de Bruxelles-Capitale refltait larchitecture de ltat en voie de fdralisation, il est un point sur lequel elle ne faisait pas que reflter cette architecture mais sur lequel elle anticipait sur une volution ultrieure : ctait llection directe du Conseil de la Rgion, dont les rformes de 1993 introduirent le principe appliqu la premire fois en 1995 pour les deux grandes Communauts et pour la Rgion wallonne. Dautres dispositions relatives cette assemble voquaient des mcanismes rgissant le fonctionnement de la Chambre des reprsentants et du Snat : rpartition des membres en groupes linguistiques, procdure dite de la sonnette dalarme. Des dispositions telles que la composition de lExcutif rgional voquaient, elles, la composition du Gouvernement central mais avec davantage de prcision quant au nombre de ministres et de secrtaires dtat.

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Lexistence des Commissions communautaires caractrisait aussi cet ensemble institutionnel nouveau, en y introduisant un lment de continuit avec les anciennes Commissions de la culture. La loi spciale du 1er janvier 1989 confia aussi la Rgion lexercice des comptences de lAgglomration. Enfin, la Rgion se singularisait aussi par rapport aux autres Communauts et Rgions par la nature de sa norme lgislative, lOrdonnance.

Les voLutions et Les rformes uLtrieures Les rformes institutionnelles de 1993 qui ont consacr formellement le caractre fdral de ltat ont, divers titres, eu un impact sur la Rgion de Bruxelles. Au 1er janvier 1995, la Province de Brabant tait scinde et donnait naissance aux deux nouvelles Provinces de Brabant flamand et de Brabant wallon, le territoire de la Rgion de Bruxelles-Capitale chappant dsormais toute appartenance provinciale, tout en conservant un Gouverneur et un Vice-gouverneur. Des comptences de lancienne Province de Brabant taient attribues la Rgion, dautres aux Commissions communautaires. La deuxime lection du Parlement de la Rgion de Bruxelles-Capitale eut lieu le 21 mai 1995 en mme temps que llection de la Chambre des Reprsentants et du Snat et que la premire lection directe des autres assembles rgionales et communautaires. En novembre 1998, le Gouvernement de la Rgion de Bruxelles-Capitale connut une crise suite la dmission du Secrtaire dtat flamand, seul de son parti lExcutif. Sa dfection priva le Gouvernement de la majorit dans le groupe linguistique flamand du Parlement et, en cascade, au Collge de la Commission communautaire flamande (VGC) et au Collge runi de la Commission communautaire commune (COCOM) (o une double majorit est exige pour ladoption des projets dOrdonnance).

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Lobjet du litige (en ordre principal, les cadres linguistiques dans les services publics rgionaux) a perdur. Laccord dit du Lombard du 29 avril 2001 sest situ au terme des travaux du groupe de travail sur le fonctionnement des Institutions bruxelloises, mis en place par laccord de Gouvernement rgional de juillet 1999, qui avait pour mission de trouver des solutions permettant dassurer le bon fonctionnement des Institutions bruxelloises, dempcher leur blocage ventuel et dtudier la possibilit dune meilleure reprsentation du groupe linguistique nerlandais au Parlement de la Rgion. En application de cet accord, des dispositions spcifiques Bruxelles furent introduites dans les projets de lois spciales de 2001. Le Conseil dtat mit de srieuses rserves sur certaines de ces dispositions. Alors que le Conseil de la Rgion de Bruxelles-Capitale tait initialement compos de 75 membres, ce nombre fut port 89. Alors que la rpartition des siges dpendait jusqualors du nombre de voix portes sur les listes francophones et flamandes, la rpartition fut dsormais prdtermine : 72 pour lensemble des listes de candidats du groupe linguistique franais et 17 pour lensemble des listes de candidats du groupe linguistique nerlandais. En mme temps, tait modifi le statut des supplants appels siger. En mme temps encore, tait institue une reprsentation directe des Flamands de Bruxelles au Parlement flamand. En mme temps enfin, tait prvu un encouragement financier la constitution de majorits bilingues dans les Collges des Bourgmestres et chevins des communes bruxelloises.

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Les enjeux institutionneLs de Lavenir BruxeLLois

Lenjeu rgional troitSous cette rubrique, on peut considrer que lavenir bruxellois se joue essentiellement sur le fonctionnement optimal des Institutions dont la Rgion a t dote. On est l devant un champ trs vaste, o ct des Institutions politiques proprement dites, figure lensemble des fonctions administratives, parargionales et consultatives. Il peut paratre contradictoire dvoquer un champ trs vaste propos dun enjeu troit. Ce nest l sans doute quune contradiction premire vue. Cet enjeu trs prcis concerne en effet tous les mcanismes institutionnels internes de la Rgion, et en mme temps larticulation sur lensemble fdral.

Lenjeu communautaireLa projection qui sest opre sur la Rgion de tous les prismes de contentieux communautaire gnral lui impose un impact fort de rapports de force qui lui sont en grande partie extrieurs. Du fait de la scission linguistique des partis politiques, leur composante bruxelloise y a perdu la position centrale qui y tait auparavant la leur. Le fonctionnement des Institutions tant de la Rgion que des Commissions communautaires sest droul jusqu prsent sans heurt dramatique, mme si ce ne fut pas toujours sans difficult. Les antagonismes communautaires y sont moins vifs quau niveau fdral, mme si les moments de dramatisation ne manquent pas. Lavenir dune Institution comme la Commission communautaire commune est sous le poids de besoins financiers normes, au premier rang desquels ceux des hpitaux qui relvent delle.

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Lenjeu communalLes Communes sont des institutions dimplantation ancienne, et ce titre appellent trs certainement une attention particulire. A ce titre aussi, elles risquent de voir leur facult dadaptation se rduire. Mais lon peut percevoir aisment les attitudes entaches dexcs, depuis le procs sans nuance et sans appel de la municipalisation jusqu la dfense du maintien intgral des situations acquises. Le champ est ouvert aux coordinations entre Rgion et Communes. Cest ainsi quon peut sans doute viter que Bruxelles ne souffre trop de son image de chantier perptuel et perptuellement dsordonn.

Lenjeu citoyenUne exigence citoyenne simpose aujourdhui de faon gnrale. De profondes mutations sont luvre depuis des dcennies au sein de la population bruxelloise. La diversit de la population y revt dsormais de multiples dimensions. Un enjeu citoyen fort concerne au moins la participation lectorale au niveau local, non seulement juridiquement mais aussi dans les faits. Lapproche citoyenne exige aussi des conditions dquit. Cest particulirement le cas en matire de capacit contributive. Dautant plus que la situation de fait est caractrise par de profonds dsquilibres, entre la cration de richesses qui distingue la Rgion et la pauvret de la population imposable compte tenu quune partie non ngligeable de la population aise chappe dans les faits, pour des raisons multiples, limposition dans la Rgion.

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Lenjeu europen et internationalOn ne fera que citer ici cet enjeu essentiel, mais qui doit tre trait par ailleurs de faon tout fait distincte. Aprs un sicle dexpansion dmographique de lagglomration, cest un autre mouvement qui a pris le relais depuis quelques dcennies : celui de linternationalisation sous de multiples aspects. En termes dchanges, en termes de population, en termes dactivits, le changement a affect les caractristiques de lagglomration et affirm son rle international qui est aujourdhui hors de proportion avec sa taille.

Lenjeu rgional largeToute mtropole exerce la fois attraction et rayonnement. Vers elle, convergent des flux dapports extrieurs. A partir delle, rayonnent les flux de ses propres apports. Dans cette logique de dveloppements et dinteractions, la rigidit des frontires tatiques et rgionales traditionnelles a, de faon gnrale, tendance sestomper. Ce nest pas le cas de Bruxelles dont le dveloppement est aujourdhui entrav du fait tant dvolutions de droit que dvolutions de fait. Dans les faits, la zone dinfluence urbaine et conomique de Bruxelles excde les limites que la loi a fixes la Rgion. Les spcialistes distinguent ce propos lagglomration morphologique (plus tendue que lagglomration de droit), la proche banlieue et la lointaine banlieue rsidentielle. La dissociation des perspectives de dveloppement de la Rgion dune part et de certaines communes avoisinantes dautre part ne peut tre que contre-performant pour chacun. Le cas de Zaventem est trs illustratif ce propos. La question est pose de savoir si des formules comme celle de la Communaut urbaine sont les plus appropries pour apporter des lments de rponse probants.

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Dans le long processus de rformes institutionnelles qua connu ltat, le statut reconnatre la Capitale a constitu une vritable pierre dachoppement. Laffirmation de lagglomration urbaine, bien videmment indiscutable, a servi longtemps de prtexte la dngation de la lgitimit de la revendication rgionale. La cration de la Rgion de Bruxelles-Capitale sest situe dans le cadre de compromis englobant aussi dautres dcisions, mais le contentieux actuel relatif Bruxelles et sa priphrie procde largement dune volution historique encore plus longue, antrieure au dclenchement du processus de rformes. Les mcanismes de fonctionnement toujours en vigueur alors de la Belgique unitaire ont dtermin des dcisions qui sont parfois, aprs coup, indment prsentes comme faisant corps avec le passage ltat fdral. Cela a t particulirement le cas de la fixation de la frontire linguistique par la loi ordinaire.

Le degr de cohrence denjeux multiplesLexamen successif de chacun des enjeux institutionnels aujourdhui poss comporte un risque majeur, qui est celui dune sorte de dilution de tout enjeu globalisable. Mais si cet examen est men en toute rigueur, il peut au contraire dboucher sur laffirmation dune citoyennet rgionale quilibre, rebelle toute sujtion extrieure. Comme dans le cas de toutes les autres composantes de ltat fdral, le respect des citoyens impose un tel quilibre. Il est une dimension qui affecte chacun des enjeux institutionnels, cest celle du financement. Celui-ci est caractris par, dune part, un sous-financement rgional incontestable et, dautre part, un risque daggravation de cette situation du fait de la concurrence entre Rgions avive par leur autonomie fiscale accrue. n

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focusco n f i a n c e , s m a n t i q u e e t p r ag m at i s m e au t o u r d u b e r c e au d e L a r g i o n Ils sont un peu les pres de la Rgion de Bruxelles-Capitale. Jean-Luc Dehaene (CD&V ChristenDemocratisch en Vlaams) et Philippe Moureaux (PS Parti Socialiste) ont men les ngociations de 1988 qui ont permis la troisime Rgion du pays de sortir du frigo institutionnel en 1989, aprs des annes de discussions et plusieurs checs. Un duo atypique et pourtant redoutablement efficace.

quest-ce qui a permis de conclure un accord en 1988 ?Jean-Luc Dehaene (J-L D) Il faut retourner au pacte dEgmont en 1977 qui, en ce qui concerne la Rgion bruxelloise, tait un assez bon accord aussi bien dun point de vue flamand que francophone. Lorsquil a foir pour des raisons flamandes motionnello-idologiques sur la question de la priphrie, je me suis engag ce quon obtienne plus tard un accord quilibr sur Bruxelles. En 1980, cela na pas t possible et on a mis Bruxelles au frigo, ce qui a permis daboutir en 1988. Jai toujours eu le sentiment que Bruxelles tait trop dtermine dans son amnagement du territoire par les navetteurs qui avaient pour seule ambition daller le plus rapidement possible jusqu la Grand-Place en voiture ! Il fallait donc donner aux Bruxellois le pouvoir dorganiser cette ville. La premire tentative avec lAgglomration en 1971, abandonne pour des raisons communautaires, avait dj dmontr la plus-value dune gestion de lamnagement du territoire ce niveau, entre autres au travers de la politique mene par lchevin de lAgglomration bruxelloise. Philippe Moureaux (P M) Selon moi, il faut mme remonter jusqu la priode dhypertension sur Bruxelles entre Francophones et Flamands, avec les marches sur Bruxelles, la tentative de lAgglomration, le rassemblement de Van Ryn*, etc. Cest alors que vient le pacte dEgmont, sorte darmistice au milieu dune guerre. on est ensuite entr dans une priode de gurilla et de marasme institutionnel. Arrivent enfin les ngociations 1980. Un soir, Grard Deprez (PSC Parti Social-Chrtien) et toi, vous avez russi me convaincre quil fallait avancer temporairement sans Bruxelles dans la rgionalisation et la rforme de ltat Je crois, moi aussi, que cet accord a t le tremplin de laccord de 1988. Entre ces deux dates, les comportements et les mentalits ont chang, la haine autour

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Prsid par le Btonnier Jean Van Ryn, le Rassemblement pour le Droit et la Libert a t cr en 1963 par trois cents professeurs duniversit, en rponse la lgislation linguistique de 1962-63. Ce mouvement milite en faveur des intrts linguistiques des Francophones.

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de la question bruxelloise sest un peu apaise. En 1987, Guy Spitaels (prsident du PS) a fait un choix stratgique et courageux lors des ngociations : nous avons obtenu presque 100 % de notre programme lectoral sur Bruxelles mais peu sur les Fourons qui nous avaient pourtant fait gagner les lections. J-L D Cest vrai quen 1988 le choix implicite des Francophones a facilit laccord : puisquil ny avait pas de pression sur la frontire linguistique, nous pouvions suivre nos Bruxellois flamands dans leur volont de conclure laccord sur la Rgion P M Sur la priphrie, je me suis tromp. Jai cru les Flamands qui me disait Si vous renoncez vos volonts territoriales, nous serons dune grande modration dans la priphrie ! Ces ngociateurs ont ensuite t dpasss par dautres hommes politiques flamands Ce qui fait rebondir encore aujourdhui le problme de la priphrie.

y a-t-il eu lune ou lautre occasion manque ?P M Sans tre une occasion manque, la Cocom, commission communautaire commune, nest pas llment le plus brillant de laccord. Elle a t cre pour maintenir le paralllisme avec les Ministres nationaux qui traitaient certains dossiers de manire paritaire. Elle na plus de raison dtre. J-L D A chaque tape de la rforme, on doit oser faire un compromis pour avancer. Aprs un certain temps, il faut valuer et corriger. Voil pourquoi je nai jamais parl de dernire phase de la rforme de ltat. Chaque compromis contient les germes de ce qui sera au centre des discussions dix ans plus tard

Pourquoi le tandem Moureaux-Dehaene a-t-il si bien fonctionn ? Vos caractres taient-ils complmentaires ?J-L D Dans la mesure o les contraires peuvent ltre ! P M Cest un des mystres de lalchimie personnelle ! quand on tait chacun Chef de cabinet, on a commenc se parler trs librement. on a constat que cette confiance tait lgitime : ce quon se disait sur nos partis respectifs ne se retrouvait ni dans la presse, ni chez les autres hommes politiques.

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J-L D Par ailleurs, on avait chacun la confiance 150 % de nos patrons respectifs, Andr Cools (PS Parti Socialiste) et Wilfried Martens (CVP Christelijke Volkspartij). quand on concluait un accord, on savait quil serait accept. Dailleurs, on arrivait boucler des accords quils nauraient jamais pu conclure directement ! P M Aujourdhui, je ne vois pas deux hommes politiques, lun Flamand et lautre Francophone, qui sont capables de parler ensemble de dossiers comme nous lavons fait lpoque. J-L D En 1988, quand Guy Spitaels a quitt les ngociations et que tu as pris la relve, il y avait quatre prsidents de parti autour de la table : Frank Swaelens (CVP Christelijke Volkspartij), Jaak Gabrils (VU Volksunie), Karel Van Miert (SP Socialistische Partij), et Grard Deprez. on tait environ 100 jours de ngociations Je me suis dit : sans accord ce soir, cest foutu . Jai alors jou en plein le trio Deprez-Moureaux-Dehaene qui avait fonctionn en 1980, jusqu offusquer les trois prsidents flamands. on sest vite compris sur la mthode, en lanant des ides, en faisant du brainstorming. Sans cette base de confiance, on ny serait pas arriv P M on sen est sorti car on parlait la mme langue. Dailleurs, quand Guy Spitaels a quitt la table des ngociations sans mme me transmettre ses notes, ce sont Jean-Luc Dehaene et Grard Deprez qui mont inform des dernires volutions de la ngociation !

Est-ce que la smantique a jou un grand rle ?J-L D Si on a fait laccord de l988, cest parce que, moi, jai expliqu que Bruxelles ntait pas une Rgion part entire, et que, toi, tu as expliqu que Bruxelles tait une Rgion part entire Sur base des textes, on pouvait prouver tous les deux quon avait raison ! P M Et en plus, chacun tait convaincu de ce quil disait ! La grande concession que jai faite porte sur le nom de la Rgion. Moi, je voulais Rgion bruxelloise et, toi, Rgion-Capitale pour pouvoir dire que Bruxelles ntait pas sur le mme pied que les deux autres Rgions. Jai cd et aujourdhui beaucoup de Francophones, qui ne savent pas a, tirent gloire de ce nom Bruxelles-Capitale !

Au bout de 20 ans, comment jugez-vous la mise en pratique de cette ingnierie institutionnelle que vous avez cre ?J-L D Dune part, mon reproche permanent aux Flamands est quils voient Bruxelles comme une ralit purement institutionnelle. Certains ont mme t jusqu demander la parit dans les Collges chevinaux, l o ils narrivent mme pas avoir un lu flamand !

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Dautre part, jai une position que tous les Bruxellois ne partagent pas. Je suis trs fier de ce quon a pu raliser au niveau de la Rgion. Ceci dit, jai une difficult quand les Bruxellois dfendent le statut de Rgion part entire et en mme temps, au nom du rle de Capitale, posent des exigences de financement hors du cadre gnral appliqu aux trois Rgions. Et cela, tout en estimant que la gestion de cet argent supplmentaire doit tre du ressort exclusif des Bruxellois ! L, il y a deux niveaux diffrents. Je suis favorable une Rgion qui a les moyens de fonctionner, mais un dialogue doit se faire autour des dossiers lis au rle de Capitale qui, de ce fait, ne sauraient dpendre exclusivem