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Le nord du Mali ré- colte aujourd’hui les fruits de cette er- reur politique ma- jeure que fut l’ingérence franco- otanienne dans la guerre civile libyenne. La descente aux enfers y a en ef- fet commencé au mois de janvier 2012, quand, de retour de Libye, les Touaregs du MNLA (Mouve- ment national de libération de l’Aza- wad), culbutèrent l’armée malienne avant de proclamer l’indépendance de la région. Profitant de l’aubaine, les islamistes d’Al Qaida et ses diverticules régionaux se joignirent au mouvement avec des ob- jectifs totalement différents puisqu’ils prônent la création d’un califat transna- tional, rêvant de faire du Sahel un nou- vel Afghanistan. Dans un premier temps ces groupes islamistes nouèrent des alliances de circonstance avec certaines fractions touaregs, ce qui leur permit d’étendre leur zone d’influence. Puis ils les doublèrent avant de les chasser de Tombouctou, de Gao et du fleuve Niger, les repoussant vers la frontière algé- rienne, dans le nord de la région de Kidal. Maîtres de Tombouctou, ils entre- prirent d’y purifier l’islam en luttant contre le culte des saints considéré par eux comme une résurgence ou une sur- vivance du paganisme, Allah, dieu unique qui mérite seul prière et invoca- tion, interdisant de demander à d’autres ce qui ne relève que de Lui. Face à cette situation, et comme je ne cesse de le dire depuis le début du conflit, il n’existe pas d’autre solution que locale et passant par un appui di- rect donné aux Touaregs, seuls capables de lutter en zone désertique contre les bandes islamistes. En échange d’une telle aide, il leur serait demandé de re- noncer à leur idée d’indépendance au profit d’une véritable autonomie. Para- doxalement, la gravité de la situation pourrait déboucher sur un rapproche- ment entre le MNLA et ce qui reste d’ar- mée malienne en dépit du lourd contentieux existant entre Touaregs et sudistes. En Libye, nous avons détruit un régime certes fantasque, imprévisible, dictato- rial et un temps terroriste, mais qui avait assuré la prospérité de la popula- tion, bloquait l’immigration africaine vers l’Europe et luttait efficacement contre les fondamentalistes. Sur le champ de ruines résultant de la guerre civile, l’hétéroclite coalition islamo- tribale curieusement baptisée « libé- rale » [1] par les médias et qui vient de l’emporter électoralement, va devoir re- construire un Etat capable de régler trois problèmes urgents : 1) Mettre au pas les milices et consti- tuer une armée au seul service de l’Etat. 2) Inventer une nouvelle organisation de l’Etat sous une forme très décon- centrée, avec une grande autonomie re- connue aux régions et aux villes, mais tout en ne favorisant pas le tribalisme et la partition. 3) Eviter que le pays soit réduit à une bande côtière coupée en deux blocs sé- parés par 1000 km de désert, avec une Tripolitaine regardant vers Tunis et une Cyrénaïque vers l’Egypte. La nou- velle Libye qui est plus « arabe » que sa- hélienne ne devra donc pas se désintéresser de ses prolongements sa- hariens. Si elle n'était tournée que vers son littoral et ses régions pétrolières, le sud du pays deviendrait en effet un sanctuaire pour Aqmi. Les actuelles « autorités » ne contrôlant, et encore, que la ville de Tripoli, et la Cyrénaïque refusant d’obéir à leur pou- voir perçu comme tripolitain, la tâche qui attend les « libéraux » libyens apparaît comme titanesque. Bernard Lugan [1] Ces « libéraux » viennent d’annoncer que la charia serait au coeur de la nouvelle constitution. L'AFRIQUE RÉELLE - N°31 - JUILLET 2012 PAGE 1 LETTRE MENSUELLE PAR INTERNET UNIQUEMENT PAR ABONNEMENT N°31 - Juillet 2012 Troisième année

Afrique réelle

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Afrique réelle

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Le nord du Mali ré-colte aujourd’hui les fruits de cette er-reur politique ma-jeure que fut l’ingérence franco-otanienne dans la guerre civile libyenne. La descente aux enfers y a en ef-fet commencé au

mois de janvier 2012, quand, de retour de Libye, les Touaregs du MNLA (Mouve-ment national de libération de l’Aza-wad), culbutèrent l’armée malienne avant de proclamer l’indépendance de la région.

Profitant de l’aubaine, les islamistes d’Al Qaida et ses diverticules régionaux se joignirent au mouvement avec des ob-jectifs totalement différents puisqu’ils prônent la création d’un califat transna-tional, rêvant de faire du Sahel un nou-vel Afghanistan. Dans un premier temps ces groupes islamistes nouèrent des alliances de circonstance avec certaines fractions touaregs, ce qui leur permit d’étendre leur zone d’influence. Puis ils les doublèrent avant de les chasser de Tombouctou, de Gao et du fleuve Niger, les repoussant vers la frontière algé-rienne, dans le nord de la région de Kidal. Maîtres de Tombouctou, ils entre-prirent d’y purifier l’islam en luttant contre le culte des saints considéré par eux comme une résurgence ou une sur-vivance du paganisme, Allah, dieu unique qui mérite seul prière et invoca-tion, interdisant de demander à d’autres ce qui ne relève que de Lui.Face à cette situation, et comme je ne cesse de le dire depuis le début du conflit, il n’existe pas d’autre solution que locale et passant par un appui di-rect donné aux Touaregs, seuls capables de lutter en zone désertique contre les bandes islamistes. En échange d’une telle aide, il leur serait demandé de re-noncer à leur idée d’indépendance au profit d’une véritable autonomie. Para-doxalement, la gravité de la situation

pourrait déboucher sur un rapproche-ment entre le MNLA et ce qui reste d’ar-mée malienne en dépit du lourd contentieux existant entre Touaregs et sudistes.

En Libye, nous avons détruit un régime certes fantasque, imprévisible, dictato-rial et un temps terroriste, mais qui avait assuré la prospérité de la popula-tion, bloquait l’immigration africaine vers l’Europe et luttait efficacement contre les fondamentalistes. Sur le champ de ruines résultant de la guerre civile, l’hétéroclite coalition islamo-tribale curieusement baptisée « libé-rale »[1] par les médias et qui vient de l’emporter électoralement, va devoir re-construire un Etat capable de régler trois problèmes urgents :

1) Mettre au pas les milices et consti-tuer une armée au seul service de l’Etat.2) Inventer une nouvelle organisation de l’Etat sous une forme très décon-centrée, avec une grande autonomie re-connue aux régions et aux villes, mais tout en ne favorisant pas le tribalisme et la partition.3) Eviter que le pays soit réduit à une bande côtière coupée en deux blocs sé-parés par 1000 km de désert, avec une Tripolitaine regardant vers Tunis et une Cyrénaïque vers l’Egypte. La nou-velle Libye qui est plus « arabe » que sa-hélienne ne devra donc pas se désintéresser de ses prolongements sa-hariens. Si elle n'était tournée que vers son littoral et ses régions pétrolières, le sud du pays deviendrait en effet un sanctuaire pour Aqmi.Les actuelles « autorités » ne contrôlant, et encore, que la ville de Tripoli, et la Cyrénaïque refusant d’obéir à leur pou-voir perçu comme tripolitain, la tâche qui attend les « libéraux » libyens apparaît comme titanesque.

Bernard Lugan

[1] Ces « libéraux » viennent d’annoncer que la

charia serait au coeur de la nouvelle constitution.

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LETTRE MENSUELLE PAR INTERNET

UNIQUEMENT PAR ABONNEMENT

N°31 - Juillet 2012Troisième année

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LA REVENDICATION DE L'AZAWAD EST-ELLE RÉALISTE ?

B. LUGAN

L’Azawad qui est revendiqué par les populations du nord du Mali ne constitue pas un ensemble ethniquement homogène. L’indépendance risquerait donc d’y déboucher sur des guerres, avec en toile de fond la présence des islamistes.

Géographiquement et humainement, il existe deux Mali, la boucle du fleuve Niger formant une sorte de frontière intérieure isolant du désert des Sud se prolongeant jusqu’à la frontière du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire.L’antagonisme nord-sud dépasse les seuls Touaregs car les Maures et autres les populations vivant au nord du fleuve, qu’il s’agisse des Son-ghaï ou des Peuls, se sentent profon-dément différents des Sudistes.

Pris au piège de l’Etat-nation post-colonial, nordistes et sudistes que l’histoire opposait furent forcés de vivre ensemble. La démocratie aggra-va le problème car les sudistes étant plus nombreux que les nordistes, l’ethno mathématique électorale leur assura le pouvoir.

L’Azawad est en guerre depuis 1963, donc quasiment depuis l’indépen-dance. Cependant, dans cette im-mense région, seuls les Touaregs se soulevèrent, essentiellement d’ailleurs ceux de la tribu des Iforas.La première rébellion touareg éclata en 1962-1963 dans l’Adrar des Ifo-ras au Mali. Elle s’éteignit à la suite d’une impitoyable répression menée le régime du président Modibo Keita, mais également en raison de la sécheresse des années 1970 qui poussa les Touareg vers les camps de réfugiés installés en Libye et en Algérie. De multiples guerres sui-virent entrecoupées de phases plus ou moins longues de paix et cela jus-qu’au mois de janvier 2012 quand éclata une rébellion aux caracté-ristiques nouvelles. Alors que durant

les précédentes insurrections les Touaregs se battaient pour obtenir davantage de justice, aujourd’hui ils

exigent la partition du Mali et la création d’un Etat de l’Azawad.

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Or, et nous l’avons vu en tête de cet article, l’Azawad ne constitue pas une entité humainement homogène et si tous les nordistes revendiquent un Azawad autonome ou décentrali-sé, ils ne parlent pas tous de la même région car les Touaregs n’en

constituent en effet pas les seules populations.

Il existe donc trois Azawad peuplés par trois grands groupes humains et dont les territoires sont bien identi-fiés.

1) Celui des Touareg, soit le Sahara central. Or ces derniers sont divisés en confédérations et tri-

bus jalouses de leur identité. L’histoire des Touaregs est celle des rivalités entre des tribus connais-sant une subtile hiérarchie, les Ifo-ras, étant ainsi jalousés par les Imghad qui vivent plus sud, vers le fleuve Niger.

2) Celui des Maures ou Kounta qui revendiquent une ascendance arabe et qui, eux aussi, sont profon-dément divisés. C’est ainsi que les Chaamba qui sont des Arabes se rat-tachant à la tribu des Beni Sulaym et qui ont pour coeur territorial l’oa-sis de Timimoun en Algérie, se distinguent des Reguibat, eux aussi Arabes, mais qui revendiquent une fi-liation idrisside et qui nomadisent

entre la Mauritanie et le Sahara occidental.Maures et Touaregs ont toujours été en conflit. Au moment de la poussée coloniale, les Chaamba furent ainsi les efficaces auxiliaires des Français qui butaient alors sur le bastion touareg. Aujourd’hui, Aqmi prospère essentiellement chez certains Arabes sahariens, peu chez les Toua-regs, à quelques exceptions près liées à des clivages internes à cer-tains sous clans.

3) Celui du fleuve à la population composite : Songhaï, Peul, Maure et Touareg.

Si l’Azawad était créé, au profit de qui naîtrait-il ? Pour éviter des guerres futures, il faudrait le subdi-viser en trois entités. Toute solution à long terme devra passer par la re-connaissance d’une double réalité :

1) Le Mali « unitaire » n’existant plus, sa survie comme Etat ne peut se faire qu’à travers la reconnais-sance institutionnelle d’une entité nordiste dont les liens avec le Sud seront à définir.

2) L’Azawad devra lui-même être subdivisé en trois sous régions cor-respondant aux réalités ethnogra-phiques locales.

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Combattants touaregs du MLNA

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AFRIQUE DU SUD : JULIUS MALEMA OU L’ÉPINE DANS LE PIED DE JACOB ZUMA

VICTOR ESTRANGIN

Président de la Youth League (ANCYL), Julius Malema, un jeune activiste d’ethnie Pedi, a finalement été exclu de l’ANC pour avoir « semé les graines de la discorde et de la division au sein du Parti ». Le processus disciplinaire aura pris 3 mois et aura révélé les fractures profondes qui traversent l’organisation sous une artificielle façade unitaire.

La Youth League, dans la tradition de l’ ANC, tient la position de « Faiseur de Roi ». Lors du congrès de l’ANC qui s’est tenu en 2007, ce fut Julius Malema qui donna le coup de grâce qui permit d’évincer Thabo Mbeki de la présidence du mouvement et qui permit donc de porter Zuma à la Présidence du pays. A l’époque, le jeune Julius Malema se déclarait prêt à mourir pour Jacob Zuma.

Depuis 3 ans Julius Malema tenait la vedette des media Sud-africains, dont il faisait avec régularité les gros titres. Excellent orateur, intelli-

gent bien que sans éducation, doté d’un sens politique inné, souvent considéré à tort comme un bouffon, il était devenu une force redoutable. Ses menaces et ses injures raciales ne se comptaient plus. Après son cé-lèbre « Kill the Boer » il traita les Indiens de Coolies, les métis de « co-conuts », les femmes journalistes blanches de « white bitch », Helen Zille, leader de la Democratic Alliance, le parti d’opposition, de « cafard qui danse comme un singe », etc..

Souvent décrit comme un futur Mugabe, il faisait plutôt penser à un

juvénile Amin Dada. Gonflé de l’importance que les medias accor-daient à chacun de ses éclats, il était devenu pour Jacob Zuma un élément incontrôlable et dangereux. Julius Malema ne cessa jamais ses provocations car il savait que les propos radicaux qu’il tenait en pu-blic, tels que la nationalisation des mines et la saisie des fermes appar-tenant aux Blancs, étaient partagés en privé par la plupart des diri-geants et des membres de l’ANC. Aussi, à chaque fois qu’il se trouva en difficulté, joua-t-il la « race card », la carte raciale en chargeant

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les Blancs de tous les maux.En dépit des enquêtes en cours sur son enrichissement personnel, car il était devenu le maître du Limpopo, sa province d’origine où il a fait béné-ficier ses amis d’appels d’offre ju-teux, la popularité de Julius Malema était grande. Cependant, il avait contre lui le clan de Jacob Zuma, le Parti Communiste (SACP) et la COSATU, l’union des syndicats. Ayant compris que sa survie poli-tique passait par la non reconduc-tion de l’actuel président à un second mandat il se mit alors mis à pousser le vice-président de l’ANC, le Sotho Motlanthe comme candidat à la succession de Jacob Zuma. L’ex-clusion de Malema a permis à ce der-nier de reprendre la main et tous les opposants sont aussitôt rentrés dans le rang. Hors du parti, pas de salut !

Le même scénario que celui qui avait abouti au renversement de Thabo Mbeki en 2007 se reproduira-t-il lors du congrès de décembre 2012 quand il s’agira d’élire le pré-sident de l’ANC, donc le futur chef de l’Etat ?Cela parait peu probable, car bien que très critiqué pour sa gestion des affaires, Jacob Zuma dispose d’un atout majeur : c’est un Zulu, ce qui lui assure le soutien indéfectible de son ethnie, les Zulu constituant l’eth-nie la plus nombreuse du pays ; de plus, des Zulu ont été placés par lui aux postes clefs des organes de sécu-rité.La carrière politique de Julius

Malema est-elle pour autant termi-née ? Son expulsion de l’ANC lui a coupé les ailes et il a en principe per-du toute légitimité à se réclamer du parti. Néanmoins, ses partisans au sein de la Youth League continuent à soutenir qu’il demeure leur Pré-sident jusqu'à la prochaine élection prévue en 2014.

Pour l’instant, Julius Malema vise à gagner du temps et par ses déclara-tions à tenir les projecteurs des me-dias braqués sur lui jusqu’au congrès de Maungeng qui se tiendra au mois de décembre prochain, avec l’espoir qu’une non-réélection de Zuma lui permettra d’être réintégré dans l’ANC. Dans l’immédiat, il conti-nue à faire comme « si » il était tou-jours le président de la Youth League, et le 15 mai dernier, il n’a pas craint d’annoncer ses ambitions à la presse en déclarant : « I will lead ANC one day ».

Quoiqu’il en soit et pour le malheur du pays, on n’a pas fini d’entendre parler de Julius Malema car la condi-tion économique du pays étant appe-lée à se détériorer, avec ses masses de jeunes marginalisés et sans em-ploi, elle offrira sans nul doute a cet agitateur suprêmement habile un sol fertile pour l’exercice de ses talents destructeurs.Pour le moment, dans la course à l’in-vestiture de l’ANC, le seul rival sé-rieux de Jacob Zuma, bien qu’il ne se soit pas déclaré semble être Tokio Sexwale, également Pedi, comme

Malema. Il avance prudemment ses pions en « travaillant » la province xhosa de l’Eastern Cape où il plane sur le sentiment « ABZ » (Anything

but Zuma – tout sauf Zuma), les Xho-sa ne pardonnant pas aux Zulu de leur avoir « ravi » l’ANC qui fut long-temps considéré comme la « Xhosa nostra ». Cependant, même s’il est à la tête d’une fortune considérable et même s’il rassemble tous les parti-sans du « ABZ », Tokio Sexwale a deux grands handicaps aux yeux des masses noires : il est considéré comme étant l’homme du grand capi-tal anglo-américain et sa femme est blanche.

Tokio Sexwale

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L’islam sud saharien se retrouve essentiellement au nord, à l’est et à l’ouest du continent, dans des États sahéliens (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Soudan), dans des États côtiers atlantiques (Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Sierra Leone, Liberia, Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria, Cameroun), et dans des États d'Afrique orientale et centrale (Érythrée, Djibouti, Éthiopie, Somalie, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Mozambique, Malawi). Cette dispersion est le fruit d’une histoire complexe expliquant sa diversité. Plusieurs zones doivent donc être mises en évidence dans lesquelles les manifestations reli-gieuses prennent des formes différentes. Nous parlerons donc des Islam sud sahariens.

Dans la région de l’ouest Niger, dans l’actuel Mali, les Bambara ont longtemps résisté à la conquête isla-mique, regroupés dans des royaumes qui ne furent subjugués qu’à la veille de la conquête coloniale, au moment des grands jihads peuls, notamment celui d’el Hadj Omar. Aujourd’hui, pour les Bambara, la pous-sée islamique qui s’exerce dans la région de Tombouctou et de Gao est ressentie comme la résurgence d’évènements antérieurs particulièrement douloureux. Quant à Aqmi, s’il apparaît comme un corps étran-ger en zone touareg, il s’inscrit en revanche dans une continuité historique en zone maure et arabe.

Dans le nord du Nigeria, Boko Haram s’inscrit clairement dans une tradition jihadiste locale. Contenu vers le Sud, sur la frontière géographique, raciale et religieuse qui coupe le Nigeria en deux, sa principale possibilité d’extension se situe vers le Nord et le Nord-ouest en remontant le fleuve Niger.

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LES DÉBUTS DE L’ISLAMISATION

B. LUGAN

L’islamisation de l’Afrique débuta en Egypte avant de se poursuivre vers l’Ouest. Le mouvement fut longtemps contenu le long du Nil, en Nubie, dans l’actuel Soudan où les premiers conquérants arabes ne réussirent pas à triompher de royaumes chrétiens noirs qui leur opposèrent une farouche résistance. L’Ethiopie fut une autre citadelle chrétienne. Le long du littoral de l’océan indien et dans l’ouest africain sahélien, supporté par de fortes activités commerciales, l’islam fut au contraire rapidement triomphant.

Dans la vallée du Nil les premières tentatives de conquête furent blo-quées dès 651- 652 par les Nubiens du royaume de Makuria qui impo-sèrent aux conquérants la signature du bakt, traité de non agression qui resta en vigueur jusqu’en 1260.Durant la période fatimide (969-1169) les relations entre l’Egypte et la Nubie furent excellentes puis elles se détériorèrent à partir de 1172, quand les Ayyubides prirent le pouvoir en Egypte. Turanshah, frère de Saladin, s’empara de Ksar Ibrim et de tout l’ancien royaume Nobade.Durant la période mamelouke et sous le sultan Baybars (1260-1277), la Nubie fut livrée au pillage et le royaume de Makuria dévasté (voir carte page 12). Sous le sultan Kalaoun (1279-1290), le royaume de Dongola fut vaincu et en 1315 le sul-tan En Nazir déposa Kérenbès son dernier roi chrétien. En 1317, la ca-thédrale de Dongola fut transformée en mosquée. En 1490 le roi d’Aloa, dernier royaume chrétien nubien fut exécuté puis, en 1504 son Etat devint le royaume funj de Sennar. Au XVIème siècle, les anciens royaumes chrétiens de Nubie étaient donc tous devenus des Etats musulmans.

Plus au Sud, les bordures éthio-piennes autour du plateau central amhara furent islamisées, surtout à l'Est, en zone dankali et somali. Au XVIème siècle, Ahmed ibn Ibrahim al-Ghazi, surnommé el Gragne (1525-1543), rassembla une armée compo-sée d’Afars et de Somalis puis, à par-tir de la région de Zeliha, il attaqua et ravagea l’Ethiopie. Au bout de dix-

huit ans de résistance opiniâtre et grâce au renfort de 400 soldats portu-gais commandés par Christophe de Gama, fils du navigateur Vasco de Gama, et débarqués à Massaoua (Adoulis), les envahisseurs furent re-poussés. Mais l’Ethiopie chrétienne était ruinée et l’islamisation avait tou-ché de nombreuses populations.

Entre les VIIème et XIIIème siècles, la péninsule arabique fut secouée par d’incessants conflits religieux ou dy-nastiques qui entraînèrent le départ de nombreux proscrits, dissidents ou fuyards, qui allèrent tenter fortune sur la côte des Zenjs (Noirs). Ils y constituèrent de petites entités auto-nomes, sortes de cités - Etats ayant parfois leurs propres colonies ou dé-pendances à partir desquelles se fit la première islamisation du littoral.Dès le VIIIème siècle, certains princes de la région d’Oman s’éta-blirent sur l’île de Zanzibar. Plus tard, au Xème siècle, des chiites s’installèrent à Mogadiscio et à Bara-wa tandis que des Persans origi-naires de Chiraz (ou Siraf) s’emparaient de Zanzibar, de l’île sœur de Pemba et d’une partie des Comores, contrôlant ainsi une des principales routes commerciales de l’époque.

Depuis le Yémen au Nord jusqu’au Mozambique au Sud, la région for-mait un seul monde commercial, culturel et religieux. La civilisation musulmane swahilie s’étendait de la Somalie au Nord jusqu’à l’île de Mozambique au Sud, englobant les Comores et une partie du littoral de Madagascar.

Comme en Afrique orientale, l'islam entra en Afrique occidentale d’abord par le commerce avant de s’étendre à la faveur de conquêtes militaires reposant sur le jihad. Les routes caravanières qui traversaient le Sahara constituèrent les grands axes de l’islamisation. Les grands empires urbanisés et islamisés de la frange subsaharienne apparurent tous aux débouchés des pistes trans-sahariennes, s'y succédant et dépla-çant leur coeur depuis le fleuve Sénégal à l'Ouest jusqu'à l'Est de la boucle du Niger.Le monde saharo-sahélien, depuis l’atlantique à l’Ouest jusqu’à la ré-gion du lac Tchad, connut une suc-cession de jihads qui ne furent interrompus que par la colonisation et qui ont aujourd’hui repris sous une forme nouvelle avec Aqmi et Boko Haram.

Le premier jihad saharien fut ber-bère. Il s’agit du mouvement almo-ravide né chez les Lamtûna vers 1040. Abd Allah Ibn Yasin qui vou-lait prêcher la vraie foi et le vrai droit islamique constitua sur la côte atlantique, près du fleuve Sénégal une ligue religieuse et guerrière. En-gagé par Abu Bakr, le jihad commen-ça en 1054 avec la prise d’Aoudaghost, important relais du commerce à travers le Sahara puis, en suivant les pistes du commerce caravanier, il remonta jusqu'à Sijilmassa qui fut prise en 1055. Vers le Sud, il conquit le royaume de Ghana en 1076. Au XIème siècle, plu-sieurs souverains locaux se conver-tirent à l’islam dont ceux de Gao, du Tekrour et du Kanem.

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Parmi les peuples qui prirent part aux jihads d'Afrique de l'Ouest, les Peuls, les Toucouleurs et les Haoussa ; jouèrent un rôle détermi-nant. Il y eut trois grands jihads[1] :

- Celui d’Ousman dan Fodio en pays Haoussa en 1804- Celui de Seku Ahmadou au Macina en 1818- Celui d’El-Hadj Omar contre les Bambara à partir de 1852

Tout commença chez les Peuls du Fouta-Toro et du Fouta-Djalon du-rant la seconde moitié du XVIIIème

siècle avant de s’étendre au tout dé-but du XIXème siècle à ceux des Peuls qui vivaient dans le royaume de Sokoto dans l'actuel Nigeria. De ces jihads menés par des Peuls (ou Fu-lani) qui vivaient dispersés dans tout le Sahel, naquirent notamment les

califats de Sokoto dans le nord du Nigeria et d’Hamdallahi au Macina.

Le jihad d’Ousman dan Fodio

C’est dans l’actuel Nigeria que se produisit le premier jihad, sous la conduite d’Ousman Dan Fodio (1754-1817). Ce Peul Fulani (synonyme : Fu-la ou Fulbé) était porté par l’idée de construire dans l’Ouest africain une société régie selon les préceptes de l’islam tel qu’il lui avait été enseigné au sein de la confrérie Qadiriya.Ses débuts furent difficiles car, en 1802, Yunfa, le roi Haoussa, décida de le chasser et peut-être même de le faire assassiner. A l’image du pro-phète Mohammed, Ousman dan Fo-dio connut alors sa propre fuite au désert, son Hidjira (Egire). Elle lui fut également profitable car il réus-

sit à attirer à lui une partie des Peuls qui nomadisaient alors à l’ouest du monde haoussa et qui lui fournirent l’appui de leur cavalerie. C’est eux qui le proclamèrent Emir al-Mouminin (guide des croyants), ce qui lui permit d’appeler au jihad et de rassembler une armée avec la-quelle il envahit le pays haoussa. Ayant conquis les villes de Zaria et de Kano, il fut bientôt le maître d’un vaste territoire dont il fit l’Empire de Sokoto, du nom de la capitale qu’il fonda en 1809. En 1815 il trans-mit le titre de sultan de Sokoto à son fils Mohamed Bello.

Le jihad de Seku Ahmadou

A la fin du XVIIIème siècle, au nom de l’islam, les Peuls vivant dans les royaumes bambara du Kaarta et de Ségou (Segu), se soulevèrent contre

LES JIHADS DES XVIIIÈME- XIXÈME SIÈCLES

H. NÉRAC

A la fin du XVIIIème siècle et dans la première moitié du XIXème siècle, le paysage politique de l’ouest africain sahélien fut largement remodelé par des éleveurs Peul (ou Fulbe) islamisés qui constituèrent de vastes Etats résultant de jihad. La principale résistance à cette expansion fut le fait des Bambara animistes des royaumes de Ségou et du Kaarta. Entre lac Tchad et mer Rouge, un autre mouvement islamiste apparût, le Mahdisme qui s’étendit inexorablement sur toute la région soudano-nilotique, ne butant que sur la résistance éthiopienne.

[1] Batran, A.A., (1997) « Les révolutions islamiques du XIX° siècle en Afrique de l’Ouest ». In Histoire générale de l’Afrique, Unesco, Paris, 1997, t.VI, pp

287-295.

Dans l'Ouest africain, trois grandes confréries ont joué un rôle essentiel dans l'islamisation :

- La Qadiriya, grande confrérie d'origine arabo-musulmane et d'inspiration sunnite hanbalite qui se ré-pandit chez les Peuls.

- La Tijaniya naquit au Maghreb, dans l’actuelle Algérie, sous l’inspiration d’Ahmad al-Tijani (1737-1815) qui s’installa ensuite au Maroc, à Fès où il est enterré. Au Maroc elle s’était placée sous la protection de la dynastie alaouite et traversa le Sahara en suivant les pistes du commerce transsaharien et c’est ainsi qu’elle atteignit les

territoires peuplés par les Peuls qui furent convertis.

- Le mouridisme, fondé en 1886 au Sénégal par Ahmadou Bamba, lui-même membre de la Qadiriya et qui a laissé une empreinte profonde dans le Sénégal d'aujourd'hui puisqu'un tiers de la population se rattache à cette confré-rie. En arabe, murid signifie novice et était employé dans l'Andalus du XIIème siècle pour désigner les soufis. Le fon-dateur du mouridisme s'était déclaré chargé par l'ange Gabriel/Jibril de rénover l'islam en exaltant notamment, au contraire de beaucoup d'autres mystiques, la valeur du travail manuel. Son tombeau, à Touba, est l'objet d'un pèlerinage annuel obligatoire pour tous les mourides.

LES CONFRÉRIES OUEST AFRICAINES

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leurs maîtres animistes. Le mouve-ment fut lancé par Seku Ahmadu.Né en 1773, il avait suivi des études islamiques à Djenné et était convain-cu de la nécessité d’un retour à l’or-thodoxie islamique originelle. Ayant regroupé autour de lui des disciples-

partisans, il se rendit à Sokoto au-près d’Ousman dan Fodio qui lui conféra le titre de Cheik, d’où son nom de Cheikou (Sékou) Amadou. Il

prit ensuite le titre d’Emir des Croyants, affirmant qu’il était le der-nier des douze Imam[2], à la suite de quoi, les Peuls du Macina se rallièrent à lui. Fort de cette recon-naissance, il entreprit de combattre le Kaarta et le Macina qui étaient sou-

tenus militairement par le royaume bambara de Ségou, mais, seul le Macina fut conquis.En 1817, à la mort d’Ousman dan Fo-

dio, Seku Ahmadu se déclara indé-pendant du califat de Sokoto et de son nouveau calife, Mohamed Bello. Poursuivant ses campagnes, mais dé-sormais vers le Sud puis vers l’Est, il s’empara de Djenné en 1819 et se donna une capitale, Hamdallahi (louange à Dieu), ville fondée en 1820. Dans les années suivantes, il élargit ses conquêtes, y englobant Tombouctou ; vers le Sud, il les éten-dit jusqu’à la confluence du Sourou et de la Volta Noire et il constitua l’empire peul du Macina.Quand il mourût, son fils Ahmadu Seku (1845-1853) lui succéda. Pour s’imposer, ce dernier dût affronter les Bambara du Saro, région com-prise entre Ségou et Djenné, qui

[2] En référence à la prophétie shiite.

[3] Littéralement élève ou étudiant apprenant le Coran. Par extension, et dans le cas présent, disciples-guerriers.

[4] Originaire du Futa Toro, région du nord du Sénégal actuel.

[5] Robinson, D., (1988) La guerre sainte d’al-Hajj Umar. Le Soudan occidental au milieu du XIX° siècle. Paris.

« Le Sénégal et le Mali gardent chacun un souvenir diamétralement opposé du jihad. Pour les Sénégalais, El Hadj-Omar et ses talibés[3] furent des héros de la cause islamique, des croisés contre les infi-dèles. Les Maliens, quant à eux, perçoivent leurs ancêtres comme des défenseurs face à un envahisseur futanké[4] qui masquait ses vi-sées impérialistes et sa cupidité sous le couvert de l’islam »[5].

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étaient toujours réfractaires à l’islam et qui se soulevèrent, ainsi que les Touaregs de la région de Tombouctou. En 1862 El Hadj Omar conquit le Macina.

Le royaume d’El Hadj-Omar (ou empire Toucouleur[6] ou Torodbe)

Omar Tall dit el-Hadj-Omar naquit dans le Fouta Toro, en 1796, au sein d’une famille peule (fulbé) convertie à l’islam et membre de la confrérie kadiriya. Encore jeune homme, il rom-pit avec cette dernière pour re-joindre la confrérie tijaniya. Il partit ensuite pour vingt années de voyages qui le menèrent en Arabie et en Afrique du Nord, se déplaçant grâce au réseau international de la puissante confrérie à laquelle il avait adhéré.De 1830 à 1838 il vécut dans l’em-pire de Sokoto où il fut reçu par Mohamed Bello et où il se forma mili-tairement. En 1847 il était de retour à l’ouest du fleuve Sénégal et il s’éta-blit au Fouta-Djalon. Ayant été nom-mé grand calife de la confrérie Tijaniya, il se fixa pour but l’islamisa-tion de l’Ouest africain. En 1847 il s’installa à Dinguiraye ; vers 1852 il s’attaqua aux Bambara de Segou et du Kaarta qui avaient réussi à échapper à la conquête de Seku Ahmadou.Pour El-Hadj Omar le moment était bien choisi car les Bambara du Kaarta étaient alors en pleine guerre dynastique. Profitant de leur

division, il prit Nioro la capitale du Kaarta en 1856. Au mois de juillet 1857 il tenta d’enlever Médine, poste français très avancé situé sur le haut Sénégal, afin de s’ouvrir une voie vers le bas-Sénégal, mais il fut défait par les troupes françaises com-mandées par le colonel Louis Faid-herbe. C’est alors qu’il prit la décision de se tourner vers l’Est.En 1859 il s’attaqua à Ségou, la principale cité bambara. En 1860, s’estimant en grand danger, cette der-nière s’allia au Macina alors dirigé par Ahmadu-Ahmadu, le petit-fils de Seku Ahmadu, le conquérant peul. La ville fut néanmoins prise en 1861 et le souverain bambara se réfugia au Macina qui devint dès lors le nou-vel objectif d’El Hadj Omar. Le premier affrontement entre l’ar-mée du Macina renforcée de contingents bambara et celle d’El Hadj Omar eut lieu en 1861. La ba-taille tourna à l’avantage du second qui marcha ensuite sur Hamdallahi qui fut prise en 1862. El Hadj Omar mit alors à la tête du Macina son propre fils Ahmadu Tall.Tout le Macina n’était cependant pas conquis. C’est ainsi qu’à Tombouctou, ville contrôlée par le clan arabe des Kunta et dont le chef, El Bekay, était un notable de la confrérie Kadiriya, la résistance s’or-ganisa. El Bekay avait ainsi soutenu les Bambara avant d’entrer lui-même en guerre ; ce fut d’ailleurs en le combattant qu’en 1864, El Hadj Omar trouva la mort sur les pla-teaux de Bandiagara.

Son fils Ahmadu Tall lui succéda (1864-1878) mais, durant tout son « règne », il lui fallut affronter d’abord ses frères, puis nombre de chefs de clans, cependant que les Bambara qui n’étaient toujours pas islamisés refusaient l’autorité de l’empire toucouleur.

« Pour prouver le bien-fondé du jihad , ses chefs faisaient (aussi) appel à la prophétie de Muhammad selon laquelle Allah enverrait tous les cent ans à toutes les communautés musul-manes authentiques le ré-formateur qui purifierait et régénérerait la religion. Douze de ces réformateurs successifs étaient réputés avoir été annon-cés par le prophète : les dix premiers, selon l’opinion com-munément admise étaient appa-rus dans l’Orient musulman et le onzième était venu en la per-sonne d’Askia al-Muhammad, le roi songhay. Le douzième était attendu au XIX° siècle. Les chefs du jihad surent exploiter cette croyance : Uthman dan Fodio et Seku Ahmadu affirmaient l’un et l’autre être le dernier réforma-teur promis par Allah quant à al-Hadjdj Umar, (il…) affirmait avoir été chargé dans une vision par le prophète et par Shaykh al-Tidjani, le guide spirituel de la Tijaniyya, de la mission de mener le jihad » (Batran, 1997 : 288).

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[6] Déformation du nom de Tekrour. Les Toucouleurs sont issus d’un mélange entre Peuls et Sérères et se désignent entre eux par le nom Haalpulaaren

ce qui veut dire « ceux qui parlent le pulaar », la langue des Peuls. La société toucouleur est composée de douze castes dont une est supérieure, celle

des Toorobbê ou Torodbe.

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[1] Il était à la tête d’une secte dont le nom était Ansar ce qui signifie « les victorieux »

[2] Littéralement « le bien guidé par Dieu ».

[3] Après cette victoire, le Mahdi partit vers l’Ouest, en direction du Darfour et à partir de ce moment, ses soldats furent de plus en plus originaires de

cette région, tandis que son recrutement dans la vallée du Nil diminuait. Ceci explique pourquoi, aujourd’hui, la base principale du mahdisme souda-

nais se situe au Darfour.

[4] Quelques mois plus tard, en juin 1885, le Mahdi mourût. Son successeur, le calife Abdallah, attaqua l’Ethiopie où il fut battu entre 1891 et 1894.

LE MAHDISME ET L’ISLAMISATION DE L’AFRIQUE NILOTIQUE

Dans la région nilotique, l’expansion et l’islamisation connurent un nouvel essor à partir de 1820 quand l’Egypte dévelop-pa un puissant mouvement impérialiste en direction de la Nubie. Avec l’accession au pouvoir du Khédive Ismaël (1863-1879), le mouvement fut amplifié et la conquête du Bahr el-Ghazal et de l’Equatoria entreprises. Puis, à l’appel d’un chef religieux originaire de Dongola, Muhamad Ahmed Ibn Abdallâh (1844-1885)[1], qui se faisait appeler al- Mahdi[2], un puissant mouvement connu sous le nom de Mahdisme agita toute la région.

Comme le Mahdi se soulevait contre le Khédive d’Egypte qu’il accusait d’être le « valet des infidèles », il réussit à rassem-bler autour de lui tous ceux qui étaient opposés à l’Egypte. C’est pourquoi ceux des chefs musulmans qui n’acceptaient pas la domination égyptienne, ainsi que les marchands d’esclaves qui ne suppor-taient pas d’être contrôlés dans leur lu-cratif commerce, se rallièrent à lui quand il proclama le jihad au mois d’août 1881.Le mouvement s’étendit comme une traî-née de poudre après qu’au mois de juin 1882, une force de plusieurs milliers d’hommes envoyée par le gouverneur égyptien de Khartoum eut été exterminée par les combattants rassemblés par le Mahdi. Le 18 janvier 1883, El Obeid, la capitale du Kordofan fut prise[3].Londres vola alors au secours du Khédive d’Egypte en armant une colonne compo-

sée d’une dizaine de milliers de recrues égyptiennes mal entraînées et encadrées par quarante-deux officiers bri-tanniques. Placée sous les ordres du colonel Hicks (Hicks Pacha), elle partit de Souakin sur la mer Rouge avec pour objectif El Obeid, mais le 4 novembre 1883, elle fut détruite par les Mahdistes, laissant sur le terrain, outre son chef, neuf mille cinq cents hommes, la quasi-totalité de son encadrement européen et tout son matériel.Les insurgés prirent ensuite le contrôle d’une grande partie du Soudan, notamment les provinces du Kordofan, du Darfour et du Bahr el-Ghazal, cependant que le gouverneur Charles Gordon était assiégé dans Khartoum. Le 26 jan-vier 1885, après plusieurs mois de siège, les forces mahdistes enlevèrent la ville dans laquelle quatre mille soldats anglo-égyptiens furent massacrés. Gordon subit le même sort et son cadavre fut décapité. Maître de Khartoum, Muhamad Ahmed fonda un Etat mahdiste et se donna le titre de calife[4].Seul, résistait encore l’Allemand Emin Pacha, gouverneur de l’Equatoria qui décida de reculer devant les armées mahdistes et d’établir une ligne de résistance loin vers le Sud, sur les bords du lac Albert.

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Les destructions opérées à Tombouctou par les mili-ciens islamistes ne répondent pas tant à l’inscription des richesses architecturales de la ville à l’inventaire pa-trimonial de l’UNESCO qu’à une réaffirmation clas-sique d’un courant fondamentaliste bien connu dans l’islam.

Pour les fondamentalistes, l’islam pratiqué au Maghreb et en Afrique sud saharienne[1] doit être purifié de ses pratiques héritées du fond païen local. Pour eux, l’islam maraboutique a été dépouillé de son contenu mystique au profit d’un aspect essentiellement rituel.Pour les fondamentalistes, tout culte rendu aux saints est ainsi une forme d’idolâtrie qu’il importe d’éradiquer avec la plus grande fermeté. Ces islamistes, inspirés par des interprétations rigoristes venues de la pénin-sule arabique, veulent ramener les croyants africains à un islam dépouillé, considérant que les pratiques régio-nales de rassemblement autour des tombeaux des saints constituent une profonde trahison du message co-ranique.C’est ainsi qu’en Cyrénaïque les islamistes fondamenta-listes combattent actuellement les membres des confré-ries soufies en les traitant d’hérétiques. Des heurts se produisent régulièrement lors des processions tradition-nelles et le 13 janvier, à Benghazi, les fondamentalistes ont passé un cimetière au bulldozer et profané une tren-taine de tombes de saints - les marabouts du Maghreb - dont ils ont dispersé les ossements. A Tombouctou, ils ont agi de la même manière.Cette idée de retour aux sources d’un islam purifié n’est pas nouvelle dans la région. Ainsi en fut-il au Maroc avec le sultan Moulay Slimane (1792-1822) qui avait adopté les idées wahabites venues d'Arabie. Vou-lant ramener l’islam à sa pureté originelle, il voulut limi-ter les cultes rendus aux saints et faire interdire les moussems, ces immenses rassemblements annuels se faisant autour de leurs tombeaux. Il justifia sa décision en ces termes :

« 0 Croyants, je vous en adjure par Dieu, le Prophète (qu'il ré-pande sur lui la bénédiction et lui accorde le salut) a-t-il consa-cré un moussem à son oncle, le premier des martyrs ? Le premier chef de notre communauté, Abou Bekr, a-t-il consacré un moussem au Prophète ? Un seul de ceux qui ont suivis le Pro-phète a-t-il songé à le faire ? Je vous en adjure encore une fois, par Dieu, décorait-on, du temps du Prophète, les mosquées ?

Ornait-on les tombeaux de ses compagnons ou ceux de la géné-ration qui les a suivis ? Vous me dites au sujet de ces mous-sems, de la décoration des mosquées et d'autres innovations. C'est ainsi que faisaient nos pères et nous suivons leur trace. C'est là l'argument des idolâtres... La voie droite est le Coran et la Tradition du Prophète. La voie droite n'implique pas de nom-breuses bannières, des réunions nocturnes où se coudoient femmes et enfants, la déformation des règles du droit divin par les innovations et les nouveautés, la danse rythmée par les bat-tements de mains ainsi que d'autres pratiques toutes entachées de vice et de bassesse... ».

[1] Voir à ce sujet le livre de Vincent-Mansour Monteil L’Islam noir. Paris 1971.

ISLAM MARABOUTIQUE ET ISLAM WAHABITE

Moulay Slimane (1792-1822)

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Comme je l’ai dit dès le début de cette affaire (voir mes communiqués en date du 1er juin et du 1er juillet 2012), nous sommes en présence d’un nouveau montage destiné à ra-lentir l’instruction judiciaire fran-çaise car le document « découvert » par Libération est bien connu des spécialistes… mais pas de Madame Malagardis :

1) Ce document « original » et « dé-couvert » en 2012 à New York est en effet régulièrement utilisé depuis des années par le TPIR (Tribunal pé-nal international pour le Rwanda), à Arusha, où il est référencé sous le titre : UN Restricted 01 sept 1994 UNRES-4125/J2M-2 Background Paper for U.S Mission, United Nations (USUN). Subject : Former Rwandan Army (ex Far) Capabilities and Intentions (U). La page mentionnant l’armement, dont les prétendus missiles Mistral, est ré-férencée Enclosure (2).

2) J’ai cité et analysé ce document en tant qu’expert assermenté, notam-ment en 2008 lors du procès du capi-taine Sagahutu, dans un rapport d’expertise déposé au greffe du TPIR le 1er décembre 2008, puis dé-fendu devant la Cour sous le titre :

Rapport de Bernard Lugan, témoin expert devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda dans le cadre de la procé-dure engagée par le Procureur contre le capitaine Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T). Je cite le document « dé-couvert » en 2012 par madame Malagardis aux pages 67-69, para-graphe IV, alinéa A de la version fran-çaise de ce rapport qui date de 2008…

Le lecteur de bonne foi jugera donc de la « qualité » et de la « fiabilité » de l’information délivrée par ma-dame Malagardis, sans parler de sa « rigueur » méthodologique et de son respect de la déontologie journa-listique.Mais, avant d’aller plus loin, une question doit être posée : pourquoi, et systématiquement, les journalistes ignorent-ils les travaux du TPIR et les montagnes d’archives et de docu-ments qui y furent produits, présen-tés, analysés, évalués et critiqués ? Pourquoi se contentent-ils de citer des documents non ou mal référen-cés, maintes fois critiqués et écartés pour leur manque de fiabilité ? Pour-quoi se complaisent-ils dans le recul des connaissances ? Pourquoi n’inter-rogent-ils jamais les vrais connais-

seurs du dossier avant d’écrire leurs articles ? Sont-ils donc des journa-listes militants, des militants journa-listes ou tout simplement des incompétents ?

Plusieurs éléments permettent de mettre à jour le montage opéré par Madame Malagardis et la rédaction de Libération. Ils montrent que les FAR ne disposaient pas de missiles sol-air et encore moins de missiles Mistral[2] :

1) Du 19 août au 31 août 1993, le gé-néral Dallaire, futur responsable mi-litaire de la mission de l’ONU au Rwanda (MINUAR), entreprit avec une équipe nombreuse une mission préparatoire au déclenchement de l’opération onusienne. Durant deux semaines, cette mission parcourut le Rwanda, insistant particulièrement sur la zone tenue par les troupes gouvernementales, les FAR (Forces armées rwandaises). A l’issue de cette mission, un rapport fut produit sous le titre Report of the UN reconnais-sance Mission to Rwanda, référencé dans les archives du TPIR sous les numéros L0022629 à L0022789.Page 36 de ce rapport (folio L0022736), la mission fait l’inven-

AUTOPSIE D'UNE MANOEUVRE DE DÉSINFORMATION À PROPOS DES PRÉTENDUES « RÉVÉLATIONS » DU JOURNAL LIBÉRATION DANS

L’AFFAIRE DITE DES MISSILES MISTRAL

BERNARD LUGAN

Rappel des faits : dans son édition du 1er juin 2012, le journal Libération publiait un dossier de trois pages avec « à la une », un titre explosif affirmant que sa collaboratrice, Madame Malagardis, avait « décou-vert » un document confidentiel jusque là « inconnu » et « prouvant » que les FAR, l’armée gouvernemen-tale hutu, possédaient des missiles sol-air, dont des Mistral. Elle en tirait une forte conclusion : des Hutu auraient donc pu abattre l’avion de leur propre président[1]. Dans le même dossier, la question était posée de savoir pourquoi il avait fallu attendre si longtemps pour qu’un document d’une telle importance sorte enfin du « placard » aux secrets entourant la question du génocide du Rwanda.

[1] Sous-entendu avec la complicité de la France puisqu’ils ne disposaient pas des personnels capables d’engager de tels armements…

[2] Le lecteur voudra bien comprendre que je ne tire pas toutes mes cartouches…

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taire de l’armement des FAR et après avoir énuméré les matériels individuels, elle écrit : « The major weapon systems are limited to 3x105mm gun/howitzers,3x120mm mortars and 3x107 mm rocket launchers. A limited num-ber of light AD MG (Air Defense Machine Gun ou mitrailleuses anti aériennes, notre note) exists ». Aucune référence n’est donc faite à des missiles sol-air et encore moins à des missiles Mistral.

En revanche, page 40 du même rap-port (folio L0022740), dans l’inven-taire de l’armement du FPR, nous lisons, une fois encore après la liste des armements individuels, « and a number of eastern-bloc short range AD missiles ». Le FPR possédait donc bien des missiles, et qui plus est des missiles de provenance sovié-tique, comme ceux qui ont abattu l’avion du président Habyarimana. Le rapport nous dit également que l’essentiel de l’armement du FPR provient d’Ouganda ; or nous sa-vons que ce pays, qui constitua la base arrière du FPR possédait une vingtaine de ces mêmes missiles qui lui avaient été livrés par l’URSS. Nous savons tout de ces missiles, depuis leur cheminement jusqu’à leurs numéros de série et d’identification.

2) Le général Dallaire chef militaire de la MINUAR a été plusieurs fois ap-pelé comme témoin devant le TPIR. Lors du procès du colonel Bagosora, il a réaffirmé que les FAR ne possé-daient pas de missiles sol-air mais que le FPR en possédait bien (TPIR-98-41-T Dallaire, 26 janvier 2004, pro-cès-verbal d’audience, pp 98 et 99 et TPIR-98-41-T Dallaire, 27 janvier 2004, procès-verbal d’audience pages 19,56,110 et 111).

3) Le major Brent Beardsley, chef d’état-major du général Dallaire au Rwanda a également témoigné de-vant le TPIR et le 5 février 2004, dans la même affaire Bagosora, il a affirmé que le FPR disposait de mis-

siles sol-air (TPIR-98-41-T procès-ver-bal d’audience, pages 28 et 29).

4) Le colonel belge Luc Marchal, com-mandant du contingent belge de l’ONU (Minuar) au Rwanda et qui eut, entre autres, pour mission de consigner les armes des FAR en appli-cation du processus de paix d’Arusha a maintes fois déclaré que ces dernières ne possédaient pas de missiles sol-air. Il l’a répété, sous ser-ment devant le TPIR le 30 novembre 2006, toujours dans l’affaire Bagosora (TPIR-98-41-T procès-ver-bal d’audience, pages 29 et 30).

5) Durant ce même procès Bagosora, voyant son acte d’accusation voler en éclats et son postulat selon lequel les « extrémistes » hutu avaient abat-tu l’avion de leur propre président, fondre comme neige au soleil, le Pro-cureur tenta une vilaine manœuvre pour faire croire à la Cour que les FAR disposaient bien de missiles sol-air. Insistons sur cette affaire qui va proprement « couper le souffle » à tous les juristes qui liront les lignes qui suivent car elles montrent qu’avec la « Common Law », tous les coups, même les plus tordus, peuvent être tentés en pariant sur le fait que la Défense ne saura pas les esquiver. De quoi s’agit-il ?- Durant l’été 1991, le colonel Laurent Serubuga chef d’état-major de l’armée rwandaise (FAR) deman-da au gouvernement égyptien, l’Egypte étant le principal fournis-seur d’armes du Rwanda, de lui éta-blir une facture pro forma concernant l’achat éventuel de missiles SAM 16.- Le 2 septembre 1991, la partie égyp-tienne répondit au colonel Serubuga qui fit suivre la lettre au Ministre de la Défense.- Au mois d’avril 1992, un gouverne-ment de coalition fut mis en place et au mois de juin, le colonel Serubuga fut remplacé comme chef d’état-major des FAR par le colonel Deogratias Nsabimana. Le nouveau gouvernement qui était largement

composé d’opposants hutu au pré-sident Habyarimana et dont le Pre-mier ministre, M. Nsengiyaremye était un de ses plus farouches adver-saires, ne donna pas suite à cette de-mande.

Il n’y eut donc pas de commande, donc pas de bon d’achat et encore moins de bon de livraison de mis-siles sol-air par l’Egypte.Or, durant le procès, le Procureur tenta de faire passer la facture pro forma pour une facture authentique (!!!) et il s’en servit contre le colonel Bagosora qu’il accusait d’être le « cerveau du génocide ».La démarche syllogistico-incohérente du Procureur mérite d’être suivie :

1) En 1991, le colonel Bagosora était Commandant du camp de Kanombe.2) Il avait donc sous ses ordres l’uni-té de défense anti-aérienne des FAR qui était basée dans ce camp et qui était équipée de missiles achetés à l’Egypte.3) Comme ce furent ces missiles qui, le 6 avril 1994, abattirent l’avion du président Habyarimana, le colonel Bagosora est donc coupable[3].

Lors des audiences du 16 novembre 2005 (TPIR-98-41-T, procès-verbal d’audience pages 52 à 55) et du 17 novembre 2005 (TPIR-98-41-T, procès-verbal d’audience pages 29 à 32), la Défense n’eut pas de peine à démonter la manœuvre grossière d’une Accusation aux abois et le Pro-cureur fut incapable de prouver ses allégations.Comme le débat était demeuré can-tonné à l’enceinte du tribunal et qu’il était par conséquent ignoré du monde extérieur, les amis, les relais et les agents du régime de Kigali à l’intérieur même du TPIR, firent pas-ser l’ « information » selon laquelle ce dernier détenait la preuve que les FAR possédaient des missiles sol-air et que, par conséquent, les conclusions du juge Bruguière concernant le rôle du président Ka-

[3] Deux ans avant l’attentat du 6 avril 1994 le colonel Bagosora avait reçu une autre affectation et il ne commandait donc plus la garnison du camp

Kanombe le 6 avril 1994.

Le Mistral est un missile SATCP (sol air très courte por-tée) performant développé par Matra maintenant MB-DA. Contrairement au Stinger américain et au SA16 Igla russe il n’est pas tirable à l’épaule mais nécessite dans sa version infanterie un trépied sur lequel le ti-reur est assis. Il peut être aussi tiré à partir d’un véhi-cule, d’un hélicoptère ou d’un bâtiment. La version infanterie qui nous intéresse, se décompose en deux co-lis, le trépied et le missile, le trépied étant bien entendu réutilisable. Ce missile est nettement plus lourd et volu-mineux que ses congénères. Long de 1,80m il pèse 18,7kg, sa vitesse de croisière est de mach 2,7 et sa por-tée de 5km. Il peut à l’aide de sa charge explosive de

3kg abattre une cible aérienne jusqu’à une altitude de 3000m. Comme pour tous les autres systèmes, l’autodi-recteur est infrarouge passif. Le Mistral a été large-ment diffusé dans toutes ses versions, il est utilisé par 24 pays dans le monde. Remarquons que le Mistral est une arme de professionnel, il nécessite une formation qui se fait surtout sur simulateur étant donné le coût de

la munition. En France la formation est dispensée au 54e RA à Hyères. Les tireurs sont formés et entrainés sur simulateur et n’effectuent un tir réel qu’une fois par an sur cible télécommandée à partir de l’Ile du Le-vant ou du centre d’essais de Biscarosse. C’est une af-faire de spécialiste et on ne peut envisager de former des tireurs sur le tas. Il est très peu probable que les FAR aient eu des tireurs formés capables de se lancer dans un tir comme celui de Kigali contre le président Rwandais. Remarquons que le départ du missile est extrêmement bruyant et nécessite des protections audi-tives. Il ne passe pas inaperçu. Soulignons enfin que l'enquête du juge Bruguière, puis le rapport remis au juge Trévidic, établissent que l'avion du président Juvénal Habyarimana fut abattu par 2 missiles SA16 Igla russe et non par de supposés missiles Mistral.

Amiral François Jourdier

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gamé dans l’attentat du 6 avril 1994 étaient donc infondées. Les habi-tuels relais de presse européens du régime de Kigali relayèrent cette « révélation » qui leur permettait d’ac-cuser les Hutu tout en disculpant le régime rwandais.Le TPIR se trouva alors dans une si-tuation bien embarrassante car il en allait de sa crédibilité. Aussi, le 17 oc-tobre 2006, fait exceptionnel dans son histoire, la Cour rendit-elle pu-blique une déclaration attestant que dans aucun dossier ou pièce, il n’existait le moindre élément permet-

tant de mettre en cause le colonel Bagosora dans l’assassinat (par tir de missile) du président Habyarimana :

« No allegation implicating the Accused (Bagosora) in the assassination of the Pre-sident is to be found in the indictment, the Pre-Trial Brief or any other Prosecution communication. Indeed, no actual evi-dence in support of that allegation was heard during the Prosecution case. » (TPIR- Decision on Request for Disclo-sure and Investigations Concerning the Assassination of President Habyarimana (TC) 17 octobre 2006).

Ces quelques éléments ainsi que ceux qui sont donnés dans les autres articles de ce numéro de l’Afrique Réelle devraient faire réflé-chir la rédaction de Libération et celle du Figaro qui a repris son ana-lyse sans même la vérifier…Dans toute véritable démocratie, des journalistes qui se seraient ren-dus complices, volontaires ou invo-lontaires, d’une telle manipulation auraient, au minimum, été montrés du doigt par toute la profession. Pas dans la « patrie des droits de l’homme »…

LE MISSILE MISTRALD

RD

R

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Dans le numéro du 1er juin 2012 du journal Libération, sur la « Une » por-tant en très gros titres « Rwanda : De très étranges missiles français » on lit « Exclusif : Un document de l’ONU ré-vèle la présence, à la veille du génocide, de 15 Mistral au sein de l’arsenal de l’ar-mée rwandaise… ». En page 2 de ce journal Maria Mala-gardis renchérit : « Rwanda : des mis-siles qui pointent Paris ». En page 3, Linda Melvern signe un article intitulé « Un document compro-mettant enterré dans les archives de l’ONU » dans lequel elle parle d’une « simple liste qui énumère des stocks d’armes, sans aucun commentaire…. » avant d’affirmer que cette dernière fut établie par : « des observateurs mili-taires de la Minuar, la mission d’observa-tion de l’ONU envoyée au Rwanda quelques mois avant le génocide, qui ont compulsé la liste des stocks d’armes dans le cadre des inspections qu’ils effec-tuaient en attendant l’application des ac-cords de paix. ».

Ces affirmations sont fausses car ce document n’est ni une liste isolée, ni une liste établie par la Minuar ; de plus, il n’a jamais été « enterré » dans les tiroirs de l’ONU.

A) Il ne s’agit pas d’une « simple liste » comme le prétendent mes-dames Melvern et Malagardis, mais d’un texte de cinq pages auquel a été annexé un état de trois pages comportant une liste d’armement.

Ces huit pages ont fait ensuite l’ob-jet de deux bordereaux d’envoi suc-cessifs, ce qui porte à dix pages l’ensemble du document. La journa-liste passe très rapidement sur le texte pour ne retenir que la liste soi-disant isolée car le premier contre-dit clairement la seconde qui, de plus, semble avoir été modifiée.

B) La Minuar n’est pas à l’origine de ce document. Les deux borde-reaux d’envoi sont riches d’enseigne-ment sur l’origine de ce document car ils indiquent, entre autres, qui sont l’expéditeur et le destinataire.

Le premier bordereau d’envoi (page 1 de l’envoi comportant dix pages) nous apprend que :

1) Ce document intitulé « Situation in Rwanda » est envoyé le 1 sep-tembre 1994 sous le numéro 2787 par le secrétaire général de l’ONU à son représentant spécial à Kigali ;

2) Le secrétaire général de l’ONU de-mande à son représentant à Kigali de lui faire tous commentaires utiles (« for your information and comments are welcome » – écrit-il). On comprend qu’il considère que les informations contenues dans le document restent à vérifier.

Le second bordereau d’envoi (page 2 de l’envoi comportant dix pages) nous apprend que :

3) Le document avait été précédem-ment fourni à l’ONU par un « Etat membre » sans autre précision.

La première ligne du document lui-même (page n°3 de l’envoi compor-tant dix pages) permet d’identifier l’Etat membre à l’origine de ce docu-ment puisque l’on y trouve l’indica-tion : « Background Paper for U.S. Mission, United Nations (USUN) ».

Une simple lecture de ces borde-reaux indique donc très clairement que ce document a été adressé par les Etats Unis à l’Organisation des Nations Unies. Dans un second temps, le Secrétaire Général de l’ONU a voulu en vérifier la véracité et la pertinence auprès de son Re-présentant Spécial à Kigali.

Ce document n’a donc pas été ré-digé par les forces de l’ONU pré-sentes au Rwanda. Il ne reflète en rien leurs constatations mais, bien au contraire, il a été établi - ou relayé - par les autorités amé-ricaines avant d’être transmis pour vérifications et commen-taires aux hommes du terrain à Kigali.

Ces données de base n’ont pas pu échapper aux journalistes expé-rimentées que sont mesdames Melvern et Malagardis. La question qui se pose est alors de savoir pour-quoi elles ont gardé par devers elles

UN DOCUMENT FAUSSEMENT ATTRIBUÉ À L’ONUPAR LE COLONEL (E.R) MICHEL ROBARDEY [1]

Le document « découvert » par madame Malagardis du journal Libération n’a pas l’ONU pour origine, et son contenu est contredit par de vrais rapports de l’ONU ou des services de renseignement belges.

[1] Le colonel Robardey a été Conseiller technique « Police Judiciaire » auprès de l’Etat-Major de la Gendarmerie Rwandaise de septembre 1990 à sep-

tembre 1993. En juin et juillet 1993, il a assisté comme « facilitateur » aux négociations qui à Arusha, devaient aboutir aux accords de paix signés en

août 1993 entre le gouvernement rwandais et le FPR. A ce titre, il a assisté aux discussions entre les deux parties sur les forces en présence. Il connaît

donc bien l’état du matériel dont disposaient les belligérants, et plus particulièrement les FAR.

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ces importants éléments.

C) Parvenu à l’ONU-Kigali en septembre 1994, ce document a été analysé par le capitaine Sean Moorhouse, affecté comme SO3 G2 (renseignements) de la Minuar (Mis-sion de l’ONU au Rwanda). Celui-ci s’est expliqué de cette mis-sion dans un mail rédigé le 15 avril

2011 adressé au professeur Filip Reyntjens. Il y confirme clairement qu’il n’est pas à l’origine du docu-ment mais qu’il l’a reçu (« I inherited it » dit-il). Après les vérifications qu’il a effectuées, en liaison avec ma-dame Alison Des Forges, il estime que la détention de missiles Mistral par les FAR relevait de la rumeur :

« Whilst I am sure that Alison Des Forges understood how many unfounded ru-mours werre swiring around… I can think of no reason that the Mistral missiles ap-peared on the list of weapons. Rwanda was – and often still- the land of ru-mours… » écrit-il.

D) Ce document n’a jamais été enterré dans les tiroirs de l’ONU comme le prétend Libération puis-qu’il figure depuis le début dans les archives du TPIR à Arusha et a été notamment utilisé dans le procès Militaires II par le bureau du Procu-reur qui avait achevé de présenter ses preuves – dont ce document – en décembre 2006, soit 6 ans avant sa « découverte ». Analysé au cours du débat contradictoire comme on peut le voir dans l’article signé de Ber-nard Lugan, ce document n’a pas da-vantage résisté à l’analyse de la Cour qu’il avait résisté à la sagacité du capitaine Moorhouse dès 1994.

Conclusion :

Le document Melvern-Malagardis-Libération n’est nullement, comme on a voulu nous le faire croire, un compte rendu allant du terrain vers le sommet de la hiérarchie. C’est tout au contraire une « informa-tion » fournie par le sommet de la hiérarchie au terrain. Dans quel but ? Information comme cela est dit ? Vérification ? Ou simplement manipulation ?

La réponse du terrain est parfaite-ment claire : la présence de missiles Mistral au Rwanda en 1994 relève de rumeurs sans fondement, avis par ailleurs confirmé par des docu-ments incontestables établis par les services belges et onusiens (voir l’ar-ticle suivant). Cette absence de mis-siles Mistral au Rwanda est confortée par la non apparition d’au-cun de ces « quinze missiles » dans la sous-région depuis près de vingt ans. Si les FAR en avaient possédé, ils seraient inévitablement apparus quelque part après que ces troupes aient été désarmées.

Que dit le document publié par Libération ?

Le texte du document qui n’est ni signé ni daté (la date du 1er septembre 1994 figurant sur un tampon est celle de l’envoi de Kofi Annan à Kigali et non celle où le document aurait été initialement établi), est une évaluation, voire un inventaire des différentes possibilités d’action des Forces Armées Rwandaise (FAR) réfugiées à l’extérieur du Rwanda (Zaïre mais aussi Tanzanie…) après la victoire de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) du gé-néral Kagame en juillet 1994. L‘état des forces composant les FAR et la liste du matériel dont elles étaient censées disposer à la date du 6 avril 1994 sont joints en annexe. C’est cette dernière liste que Libération pré-sente comme isolée pour en faire trois pages d’articles dans son numéro du 1er juin 201.

Le texte de cinq pages écarté par Libération fait longuement état de la to-tale désorganisation des FAR et du fait qu’elles ont perdu la quasi-totalité de leurs armes lourdes, au point de ne pas être en mesure de présenter un réel danger avant six mois. Faisant le bilan des capacités des FAR à moyen terme (30-90 jours), le rédacteur indique (§ C -2) que ces dernières dispo-saient d’un « unknow quantity of SA-7 family man-portable surface–to-air missiles before it fled to Zaïre and could threaten UN air opérations in the area if retained these missiles ». A aucun moment il n’est question de Mistral alors qu’on est par ailleurs suffisamment précis sur le type des missiles (SA7 family) suppo-sés être en possession des FAR avant leur fuite au Zaïre.

En contradiction avec le texte du rapport proprement dit, les missiles Mistral apparaissent ensuite de manière quasiment furtive sur la liste an-nexée au document. Encore doit-on observer que, compte tenu de la police d’écriture utilisée pour la rédaction de cette liste, on devrait trouver le nom de ces missiles écrit en minuscule, les majuscules étant, dans ce docu-ment, réservées aux têtes de chapitre. Ainsi, un peu plus haut, on trouve « Artillery/Mortars » en tête de chapitre puis « 122mm Howitzer » dans la liste qui suit. On devrait donc trouver de même « Air Defense Weapons » en tête de chapitre puis « Mistral Ada Missiles » et non « Mistral Ada Mis-siles » en fin de liste des armes sol-air.

De plus, dans chaque paragraphe de cette liste, les armes sont mention-nées dans l’ordre décroissant, les plus gros calibres étant en tête. Pour les armes sol-air, c’est également la règle, sauf qu’on y ajoute en fin de liste deux types de missiles d’une capacité bien supérieure aux canons antédi-luviens qui les précédent. On peut donc légitimement douter que ces mis-siles figuraient dans la liste originale parvenue à l’ « Etat membre » avant que celui-ci ne la reprenne – et la modifie ? – avant de l’envoyer à l’ONU.

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Le Rapport de la Mission de recon-naissance dirigée par le général Dallaire et effectuée par l’ONU au Rwanda entre le 19 et le 31 août 1993, intitulé « Report of the UN Recon-naissance Mission to Rwanda » et classi-fié « UN eyes only » fait le bilan des effectifs et moyens des Forces Ar-mées Rwandaises. Ce document de 188 pages, annexes comprises, ulté-rieurement transmis au TPIR est par-faitement connu de ceux qui s’intéressent au dossier Rwanda, mais pas de la rédaction du jour-nal Libération.

L’état de l’armement détenu par les FAR se trouve dès la page 8 de la seconde partie intitulée « Peacekeeping Aspects ». On y lit aux paragraphes 39 et 40 :

« Armament. RGF weapons come from Eastern, Western and African countries. The small arms consist of approximately 12,000 R4s, 6,000 KVs and 3,500 FALS. The major armoured vehicles in serviceable condition are 4 x AML 90, 5 x AML 60 and 3 x VBL. The major weapon systems are limited to 3 x 105 mm, 3 x 122 mm gun/howit-zers, 3 x 120 mm mortars and 3 x 107 mm rocket launchers. A limited num-ber of light AD MO exist… Helicop-ter/Aircraft. The RGF possesses four(4) gazelle helicopters armed with 6 rocket pods and one(1) with a 20 mm can-non. There are four(4) light/utility helicop-ters. There are also three (3) light/tpt

aircraft held in the International Air-port. »

Il n’y a aucune trace de quelque mis-sile que ce soit au sein des forces gouvernementales. Pourtant cette mission de reconnaissance onu-sienne s’était intéressée aux mis-siles présents sur le territoire puisque, page 11 de la même se-conde partie, quand elle fait l’état de l’armement en possession des

troupes de Paul Kagame, elle men-tionne aux paragraphes 62 et 63 :

Rwandan Partiotic (sic) Front (RPF)

Forces « 62. Armament. They claim most of their weapons are of western ori-gin, but the technical team observed large numbers of AK-47·rifles which· were not declared within the RPFreport. 63. They claim to have approximately 9,000 rifles, 500 machine gunsand 400 support weapons (mainly, composed of RPGs, mortars of different calibres and a number of eastern-bloc short range AD missiles). »

Ainsi, ce document authentique de l’ONU faisant le bilan des forces en présence au Rwanda après les accords d’Arusha et avant l’attentat du 6 avril 1994, fait état de la présence de mis-siles anti-aériens de courte por-tée au sein des seules forces du FPR. Il ne fait pas état de mis-siles, quels qu’ils soient, dans les troupes gouvernementales.

Un inventaire des forces armées rwandaises établi par les services belges de renseignement en oc-tobre 1993 (référence belge n° 93174419 ; référence TPIR 007145 et suivants) - confirme le rapport de la Mission de Recon-naissance de l’ONU notamment sur cette question des missiles. Il peut être considéré comme en-core pertinent en avril 1994

puisque les FAR ont respecté les ac-cords d’Arusha et n’ont pas acquis de matériel nouveau après le mois d’août 1993.

UN RAPPORT DE L’ONU SIGNÉ PAR LE GÉNÉRAL DALLAIRE MONTRE QUE LE FPR POSSÉDAIT DES

MISSILES SOL-AIR, PAS LES FARCOLONEL (ER) MICHEL ROBARDEY

Madame Malagardis et le journal Libération auraient évité de se fourvoyer s’ils avaient eu connaissance d’un document de l’ONU, authentique celui-là et signé de la main du général Dallaire, qui donne l’état des armements possédés par les belligérants. On y voit que les FAR ne détenaient pas de missiles sol-air.

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Hypothèse n°1 sur l’origine :

Ces pages ont été fabriquées par les services américains dont on sait qu’ils ont suivi de très près les opéra-tions du 6 avril 1994. On sait ainsi que le Colonel Vojkovic, attaché mili-taire américain en résidence à Kampala est arrivé à Kigali dans la journée du 6 avril 1994 ; on sait qu’un bataillon de rangers avait été pré-positionné à Bujumbura, et que cette arrivée s’était faite inopiné-ment, sans les préalables diploma-tiques habituellement en usage (témoignage de Déo Ngendahayo, ancien chef des services de rensei-gnements burundais). On sait égale-ment que Roger Winter[1], homme politique américain influent était pré-sent au quartier général de Paul Kagame à Mulindi quelques jours avant l’offensive lancée dans la nuit du 6 au 7 avril 1994. Enfin le colonel Marchal raconte :

« A la fin des années 90, j’ai revu, le géné-ral Dallaire aux Pays-Bas. A cette occa-sion, il m’a dit, et je suis formel, que le 6 avril les Etats-Unis avaient une Brigade de Marines embarquée au large des côtes africaines dans l’Océan Indien et prête à intervenir en cas de besoin » (Communi-cation personnelle).

Tous ces éléments constituent proba-blement une partie des éléments qui ont fait dire à Roger Booh-Booh, re-présentant spécial du Secrétaire géné-ral de l'ONU et le chef de la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar) de novembre 1993 à juin 1994, que les Etats-Unis portaient une grande responsabilité dans les évènements du Rwanda.

Dans ce cas, le document américain présenté par Libération serait le fruit d’une manipulation voulue par les Etats Unis dans le but d’égarer toute enquête conduite sur l’attentat qui a déclenché le génocide. A l’ap-pui de cette thèse on trouve égale-ment le titre d’un article de Libération, signé par Madame Malagardis, en page 3 de l’édition du 1er juin : « La liste de la Minuar versée au dossier du juge Trévidic ».

Hypothèse n°2 sur l’origine :

Ces pages sont un montage effectué à partir de listes établies par d’autres (qui ?), puis modifiées par les services américains. La manipula-tion est la même que ci-dessus mais on observe que le Colonel Marchal, commandant le bataillon belge de la Minuar et adjoint du Général

Quel a été le rôle du général Dallaire ?

L’exploitation du Rapport de la Mis-sion de reconnaissance de l’ONU au Rwanda conduite en août 1993 par le général Dallaire amène, à nouveau, à s’interroger sur le rôle tenu par cet officier général dans l’exercice de ses fonctions de chef de la Minuar.

Le général Dallaire savait en effet de manière incontestable, puisque sous sa signature, que le FPR disposait d’un certain nombre de missiles anti-aériens. Dès lors :

1) Comment a-t-il pu accepter, voire appuyer, la demande de ce dernier d’interdire un axe d’approche de l’aé-roport de Kigali, revenant ainsi à contraindre tous les avions décollant ou at-terrissant de cet aéroport à passer sur un seul axe, facilitant par là même leur acquisition par les seuls missiles présents sur le territoire, c’est-à-dire ceux du FPR ?

2) Pourquoi a-t-il traité à la légère l’intervention de l’Attaché de Défense français appelant clairement son attention sur la présence de missiles dans le casernement du FPR dans la ville de Kigali ?

Cela ne peut s’expliquer que de deux façons : par l’incompétence ou par la complicité.

HYPOTHÈSES SUR L’ORIGINE RÉELLE DU DOCUMENT ET SUR SON UTILISATION

COLONEL (ER) MICHEL ROBARDEY

[1] Le 4 juillet 2010, Roger Winter fut officiellement décoré par Paul Kagame pour les actions qu’il a menées depuis 1981 au profit du FPR jusqu’à sa

victoire du 4 juillet 1994.

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Dallaire en avril 1994, et qui était chargé de veiller à l’inventaire et à la consignation des armes des deux parties en présence dément qu’une telle liste émanant de ses services ait jamais évoqué la présence de mis-siles sol-air au sein des FAR.

Hypothèse n°3 sur l’origine :

Ces dix pages ont été reçues telles quelles par les services américains qui, de bonne foi, les ont transmises à l’ONU. La manipulation n’est plus américaine mais le fait de ceux qui les ont renseignés. On se souvient que ce genre d’états et de listes, tous plus fantaisistes les uns que les autres, étaient foison à Arusha en 1993 où, en vue des accords de paix et de l’intégration des forces mili-taires FAR et APR au sein d’une seule entité, chacun prêchait le faux pour savoir le vrai et, minorant ses propres effectifs, gonflait ceux de l’adversaire… pour faire le contraire le lendemain. Les services améri-cains, en la personne de madame Joyce Leader, première secrétaire de l’Ambassade à Kigali détachée à

Arusha pour la circonstance, étaient alors très proches des représentants du FPR. Les documents ont été nom-breux à passer du FPR aux mains des Américains. Cette liste en faisait-elle partie ? Dans ce cas la manipula-tion aurait le FPR pour origine, avec ou sans la complicité américaine.

Ces listes incertaines n’ayant pas été proposées à – ou n'ayant pas été retenues par – la Mission de recon-naissance de l’ONU en août 1993, la manipulation aurait dans ce cas at-tendu la commission de l’attentat le 6 avril 1994 pour se faire jour. Il y au-rait alors pour le moins collusion entre les auteurs de l’attentat et ceux de la manipulation.

Hypothèse n°4 sur l’utilisation :

Ces dix pages figurent on le sait dans les archives du TPIR. Pour les besoins de l’accusation menée contre les militaires rwandais (Pro-cès Militaires I et II) le bureau du procureur a avancé en la présentant comme issue de la Minuar l’annexe 3 du document américain, celle don-

nant la liste des matériels supposés être en possession des FAR à la date de l’attentat. Les experts qui ont re-çu et discuté cette liste devant la Cour attestent que cette page était isolée et présentée comme étant le fait de la Minuar. Depuis l’utilisation insidieuse de cet extrait de docu-ment, les partisans des thèses FPR ont emboîté le pas au Procureur pour attribuer ce document à la Minuar.Dans ce cas la manipulation serait passée par le bureau du procureur près le TPIR, celui-là même qui a re-fusé de poursuivre «

l’enquête

Hourigan » dès qu’il a appris que cette enquête sur l’attentat qui a dé-clenché le génocide conduisait à Paul Kagame.

Les juges Trévidic et Pons qui ne de-vraient pas tarder à entrer en pos-session de la totalité du document de dix pages – il est à craindre qu’on ne leur ait donné que la seule liste soi-disant « isolée » -, vont donc pou-voir prendre conscience de l’identité de ceux qui, dans ce dossier pro-cèdent à un « enfumage constant » en utilisant la technique de l’accusa-tion en miroir.

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