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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 148–158 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Aides-soignants : toujours la distribution des médicaments. . . Gilles Devers (Avocat, Docteur en droit, HDR) 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 28 juin 2013 Résumé Les aides-soignants et autres personnels non IDE ont l’obligation de s’impliquer dans la distribution des médicaments, mais uniquement pour la phase d’aide à la prise, reconnue comme acte de la vie courante par le médecin traitant. Cela laisse entières les phases de préparation, d’administration et de surveillance. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Encore et toujours la distribution des médicaments par les aides-soignantes. L’état du droit a été posé par l’avis du Conseil d’État de 1999 mais le débat nourri par la rareté des effectifs et les petites facilités, ne se tarit pas. La chambre sociale de la cour d’appel de Montpellier (4 avril 2012, n o 10/08545) fait application de ses règles de manière classique, mais il se trouve que le licenciement a été jugé bien après son intervention, car cette mesure disciplinaire s’est inscrite dans des dysfonctionnements institutionnels qui avaient conduit à l’engagement d’une procédure pénale. 1. Le droit applicable 1.1. Le rôle propre et les conditions de la collaboration Le décret aborde alors la question du rôle propre défini par l’article R 4311-3, et les conditions dans lesquelles la collaboration s’organise au sens du rôle propre par l’article R 4311-4 : Article R 4311-3 Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.04.007

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 148–158

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Chronique

Aides-soignants : toujours la distribution desmédicaments. . .

Gilles Devers (Avocat, Docteur en droit, HDR)22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Disponible sur Internet le 28 juin 2013

Résumé

Les aides-soignants et autres personnels non IDE ont l’obligation de s’impliquer dans la distribution desmédicaments, mais uniquement pour la phase d’aide à la prise, reconnue comme acte de la vie courante parle médecin traitant. Cela laisse entières les phases de préparation, d’administration et de surveillance.© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

Encore et toujours la distribution des médicaments par les aides-soignantes. L’état du droit aété posé par l’avis du Conseil d’État de 1999 mais le débat nourri par la rareté des effectifs etles petites facilités, ne se tarit pas. La chambre sociale de la cour d’appel de Montpellier (4 avril2012, no 10/08545) fait application de ses règles de manière classique, mais il se trouve que lelicenciement a été jugé bien après son intervention, car cette mesure disciplinaire s’est inscritedans des dysfonctionnements institutionnels qui avaient conduit à l’engagement d’une procédurepénale.

1. Le droit applicable

1.1. Le rôle propre et les conditions de la collaboration

Le décret aborde alors la question du rôle propre défini par l’article R 4311-3, et lesconditions dans lesquelles la collaboration s’organise au sens du rôle propre par l’article R4311-4 :

Article R 4311-3

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.04.007

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« Relèvent du rôle propre de l’infirmier ou de l’infirmière les soins liés aux fonctionsd’entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalementun manque ou une diminution d’autonomie d’une personne ou d’un groupe de personnes.

Dans ce cadre, l’infirmier ou l’infirmière a compétence pour prendre les initiatives etaccomplir les soins qu’il juge nécessaires conformément aux dispositions des articles R.4311-5, R. 4311-5-1 et R. 4311-6. Il identifie les besoins de la personne, pose un diagnosticinfirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue.Il peut élaborer, avec la participation des membres de l’équipe soignante, des protocoles desoins infirmiers relevant de son initiative. Il est chargé de la conception, de l’utilisation etde la gestion du dossier de soins infirmiers. ».

Article R 4311-4

« Lorsque les actes accomplis et les soins dispensés relevant de son rôle propre sont dispensésdans un établissement ou un service à domicile à caractère sanitaire, social ou médico-social,l’infirmier ou l’infirmière peut, sous sa responsabilité, les assurer avec la collaborationd’aides-soignants, d’auxiliaires de puériculture ou d’aides médico-psychologiques qu’ilencadre et dans les limites de la qualification reconnue à ces derniers du fait de leur for-mation. Cette collaboration peut s’inscrire dans le cadre des protocoles de soins infirmiersmentionnés à l’article R. 4311-3. ».

1.2. L’administration des médicaments

S’agissant de l’administration des médicaments, le dispositif réglementaire est scindé entrel’article R 4311-5, pour la partie relevant du rôle propre, et R 4311-7 pour ce qui relève de laprescription :

Article R 4311-5

« Dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes ou dispenseles soins suivants visant à identifier les risques et à assurer le confort et la sécurité de lapersonne et de son environnement et comprenant son information et celle de son entourage :

4◦ Aide à la prise des médicaments présentés sous forme non injectable ;5◦ Vérification de leur prise ;6◦ Surveillance de leurs effets et éducation du patient »

Article R 4311-7

« 5◦ Injections et perfusions, à l’exclusion de la première, dans ces cathéters ainsi que dansles cathéters veineux centraux et ces montages (. . .)

6◦ Administration des médicaments sans préjudice des dispositions prévues à l’article R4311-5 »

La notion de distribution de médicaments est une appellation globale, que l’on ne retrouvepas dans les textes, car cette opération s’agissant du rôle propre est distinguée en trois fonctions :l’aide à la prise, la vérification de la prise et la surveillance des effets.

1.3. L’avis du Conseil d’État du 9 mars 1999

C’est d’ailleurs l’interprétation qui sera fort logiquement retenue par le Conseil d’État saisipour avis en 1999.

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Le Conseil d’État (Section sociale) avait été saisi par le Secrétaire d’État à la santé et à l’actionsociale des questions de savoir si, compte tenu, d’une part, des dispositions de l’article L. 372 duCode de la santé publique et, d’autre part, de celles du décret du 15 mars 1993 relatif aux actesprofessionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier (devenu CSP art. R. 4311-1 s.)

• des aides-soignants, dans une maison de retraite ;◦ des aides-soignants, des aides ménagères et des auxiliaires de vie, hors hospitalisation et au

domicile des personnes âgées ou handicapées,◦ des personnels sociaux, médico-sociaux ou éducatifs prenant en charge des enfants, des per-

sonnes âgées ou handicapées dans des institutions ou services, tels que les crèches familialesou les centres d’hébergement des handicapés peuvent, en application du dernier alinéa del’article L. 372 du code précité, être autorisés à « distribuer » des médicaments et à aider àleur prise par voie orale ;

• la formation exigée des aides-soignants ou auxiliaires de puériculture à laquelle fait référencel’article 2 du décret du 15 mars 1993 précité doit être la formation initiale ou peut être égalementla formation continue.

Le Conseil d’État a répondu de la manière suivante.La fonction de « distribution » des médicaments à laquelle se réfère la demande d’avis est

susceptible de recouvrir plusieurs situations et activités distinctes.La première consiste à faire parvenir les médicaments au malade auquel ils ont été prescrits ;

elle n’entre pas dans la définition des actes réservés au médecin par l’article.L. 372 et ses dispositions d’application, ni, par conséquent, dans celle des actes pour lesquels

l’intervention d’un auxiliaire du médecin serait directement requise.La seconde situation est celle où une personne, qu’elle soit ou non un auxiliaire médical, aide un

malade, empêché temporairement ou durablement d’accomplir les gestes nécessaires, à prendredes médicaments qui lui ont été prescrits. Cette situation n’entre pas, sauf cas exceptionnel qu’ilappartiendrait au pouvoir réglementaire de définir, dans le domaine des actes de nature proprementmédicale. Elle constitue une des modalités du soutien qu’appellent, en raison de leur état, certainsmalades pour les actes de la vie courante.

La troisième situation est celle que décrivent les articles 3 et 4 précités du décret du 15 mars1993 en ce qui concerne la vérification de la prise du médicament, la surveillance de ses effetset son administration directe ; elle entre, pour partie au moins, dans le domaine de l’articleL. 372.

Mais les termes du décret du 15 mars 1993 ne permettent pas, en l’état, d’apporter toute la clarténécessaire, ils assimilent la vérification de la prise effective du médicament à la surveillance deses effets alors qu’il s’agit de fonctions distinctes ; ils ne distinguent pas, à l’inverse, les diversesformes et voies d’administration du médicament alors qu’elles peuvent requérir des compétencesdifférentes.

Si la simple vérification qu’une prescription a matériellement été exécutée n’entre pas néces-sairement dans le domaine de l’article L. 372, il en va tout autrement des deux autres actes, sur ladéfinition desquels il y aurait lieu d’apporter des éclaircissements et des compléments par la voieréglementaire.

À ce stade, le Conseil d’État procède à une analyse théorique de ce que pourrait êtrel’évolution du droit au regard de ce qui fonde légalement l’exercice des professions. Ainsi,dans cette phase complexe qu’est l’administration des médicaments dans les établissements, le

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Conseil d’État estime que deux tâches ne ressortent pas du domaine protégé par la loi, à savoirl’acheminement des médicaments et l’aide à la prise. En revanche, pour tout ce qui concernel’administration du médicament, (c’est-à-dire la gestion des stocks, la vérification de la péremp-tion, l’analyse des ordonnances, la préparation sous forme individuelle ou sous piluliers) puisensuite la vérification de la prise du médicament, la surveillance des effets et l’administrationdirecte (c’est-à-dire quand il ne s’agit plus d’aider le patient mais d’administrer le médica-ment) ceci relève de la compétence légale de l’infirmière, qui peut confier la réalisation deces actes dans le cadre d’une collaboration effective prévue par l’article R 4311-4 uniquementavec des professions sanitaires en l’occurrence les aides-soignants, les auxiliaires de puéricul-ture.

Le Conseil d’État évoque ensuite une évolution de la situation : « Dans le cas où le gou-vernement entendrait ouvrir aux personnels énumérés ci-dessus l’administration même desmédicaments . . . ».

Et là le Conseil d’État préconise un certain nombre de mesures soulignant, d’une part, que cen’est pas l’état actuel du droit, et, d’autre part, qu’il y aurait des préalables à respecter avant touteévolution de la réglementation :

« Dans le cas où le gouvernement entendrait ouvrir aux personnels énumérés au 1◦ ci-dessusla possibilité, dans les institutions, services ou maisons de retraites ou à domicile pour desenfants accueillis en crèches familiales ou pour des personnes âgées ou handicapées, deprocéder à l’administration même des médicaments, il conviendrait, préalablement à toutemodification des textes actuels et notamment du décret du 15 mars 1993, de réaliser une étuded’ensemble permettant de déterminer ceux des actes en cause qui, en raison de leur difficultéou de la gravité des conséquences qu’ils peuvent comporter pour la santé des personnesconcernées, ne pourraient en tout état de cause être pratiqués que par des infirmiers soitdans le cadre de leur “rôle propre” soit sur prescription médicale et à l’exclusion de touteintervention de personnels non infirmiers ».

1.4. La jurisprudence du Conseil d’État

La jurisprudence administrative a fait état de ces principes à l’égard des aides-soignants.Conseil d’État, 22 mai 2002, No 233939Considérant que l’ordre donné aux aides-soignants, par la note de service du 18 mai 2000 du

directeur de la maison de retraite de procéder à la distribution des médicaments n’était pas manifes-tement illégal dès lors que l’aide apportée aux résidents empêchés temporairement ou durablementd’accomplir les gestes nécessaires pour prendre les médicaments qui leur ont été prescrits consti-tue l’une des modalités de soutien qu’appellent, en raison de leur état, certains malades pourles actes de la vie courante et relève donc en application des dispositions précitées du rôle del’aide-soignant ; que la circonstance que la même note donne l’ordre à ces mêmes personnelsde procéder à l’administration de médicaments, sans distinguer ceux des gestes y afférents quirelèvent de la mission des aides-soignants de ceux qui relèvent du rôle propre de l’infirmier ausens de l’article 2 du décret précité du 15 mars 1993, est sans influence sur la légalité de l’avis dela commission des recours du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière dès lors qu’ilressort des pièces du dossier que M. BERHNARD a refusé, les 19 et 24 mai 2000, toute forme departicipation à la simple distribution de médicaments ; que ce refus constitue un manquement àses obligations professionnelles.

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Cette jurisprudence a été reprise par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, égalementpour des aides-soignantes le 3 avril 2008 (no 06BX01457).

1.5. La réglementation de la profession d’aide-soignante

D’ailleurs le pouvoir réglementaire a tiré les enseignements de l’avis du Conseil d’État de1999, à l’occasion de l’adoption de l’arrêté du 22 octobre 2005 relative au diplôme professionneld’aide-soignant, auquel est joint en annexe le référentiel de formation.

Le texte rappelle d’abord que l’aide-soignant n’a jamais de rôle autonome et qu’il intervientdonc toujours en collaboration effective avec un infirmier.

Définition du métierL’aide-soignant exerce son activité sous la responsabilité de l’infirmier, dans le cadre du rôle

propre dévolu à celui-ci, conformément aux articles R. 4311-3 à R. 4311-5 du code de la santépublique.

Dans ce cadre, l’aide-soignant réalise des soins liés aux fonctions d’entretien et de continuité dela vie visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution de l’autonomiede la personne ou d’un groupe de personnes. Son rôle s’inscrit dans une approche globale dela personne soignée et prend en compte la dimension relationnelle des soins. L’aide-soignantaccompagne cette personne dans les activités de sa vie quotidienne, il contribue à son bien-êtreet à lui faire recouvrer, dans la mesure du possible, son autonomie.

S’agissant de l’administration des médicaments, le pouvoir réglementaire a tranché la question,définissant avec précision le rôle de l’aide-soignant selon le module 3 de la formation :

« Module 3.– Les soins

Dans le cadre du rôle propre de l’infirmier, en collaboration avec lui et sous sa responsabilitéaide aux soins réalisés par l’infirmier.

– Prise de médicaments sous forme non injectable »

C’est dire que la seule évolution réglementaire postérieure à l’avis du Conseil d’État a étél’arrêté du 22 octobre 2005 et notamment l’annexe, ouvrant réglementairement la possibilité pourles aides-soignants d’aider les infirmiers dans la prise de médicaments sous forme non injectable.

1.6. Circulaire DGS/PS3/DAS no 99-320 du 4 juin 1999 relative à la distribution desmédicaments

Le suivi quotidien de traitements médicamenteux, lorsque les personnes concernées ont recoursà des tiers pour les aider à accomplir des actes de la vie courante, pose la question de savoir à quipeut être confiée la distribution de médicaments, en particulier quand ces personnes sont hébergéesdans des établissements sociaux et médico-sociaux ou assistées à leur domicile. Les divergencesd’interprétation des dispositions de l’article L. 372 du code de la santé publique (notions d’exerciceillégal de la médecine et d’habilitation des professions paramédicales à pratiquer les actes médi-caux) et des dispositions du décret du 15 mars 1993 relatif aux actes et à l’exercice de la professiond’infirmier m’ont conduit à saisir le Conseil d’État pour recueillir son avis sur la question.

La présente circulaire a pour objet de tirer les conséquences de l’avis que cette assemblée arendu le 9 mars 1999, dans l’attente de la refonte en cours du décret no 93-345 du 15 mars 1993,dont le Conseil d’État a souligné la nécessité.

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Le Conseil d’État a estimé que la distribution de médicaments, lorsqu’elle correspondait àl’aide à la prise d’un médicament prescrit apportée à une personne empêchée temporairement oudurablement d’accomplir ce geste, ne relevait qu’exceptionnellement du champ d’application del’article L. 372 ; les restrictions exceptionnelles évoquées par le Conseil d’État correspondant soitau mode d’administration (par exemple une injection), soit au médicament lui-même (nécessitéd’une dose très précise de la forme administrable).

La distinction ainsi établie repose, d’une part, sur les circonstances, d’autre part, sur le modede prise et la nature du médicament. D’une manière générale, l’aide à la prise n’est pas un acterelevant de l’article L. 372, mais un acte de la vie courante, lorsque la prise du médicament estlaissée par le médecin prescripteur à l’initiative d’une personne malade capable d’accomplir seulece geste et lorsque le mode de prise, compte tenu de la nature du médicament, ne présente pas dedifficultés particulières ni ne nécessite un apprentissage.

Il apparaît ainsi que la distribution de médicaments dûment prescrits à des personnes empêchéestemporairement ou durablement d’accomplir ce geste peut être dans ce cas assurée non seulementpar l’infirmier, mais par toute personne chargée de l’aide aux actes de la vie courante, suffisammentinformée des doses prescrites aux patients concernés et du moment de leur prise.

Inversement, lorsque la distribution du médicament ne peut s’analyser comme une aide à la priseapportée à une personne malade empêchée temporairement ou durablement d’accomplir certainsgestes de la vie courante, elle relève de la compétence des auxiliaires médicaux habilités à ceteffet, en application des dispositions de l’article L. 372. En ce qui concerne les infirmiers, ceux-ciseront compétents soit en vertu de leur rôle propre, soit en exécution d’une prescription médicale(art. 3 et 4 du décret no 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l’exercice dela profession d’infirmier). Le libellé de la prescription médicale permettra, selon qu’il sera fait ounon référence à la nécessité de l’intervention d’auxiliaires médicaux, de distinguer s’il s’agit ounon d’actes de la vie courante.

2. L’affaire de Montpellier

2.1. Embauche

Madame Felicetta a été embauchée en qualité d’aide-soignante suivant contrat de travail à duréeindéterminée à temps complet du 03 février 2000, par la Résidence Antinea qui est spécialisée dansl’accueil des malades âgés fortement dépendants. Elle a été affectée à un poste d’aide-soignantede nuit.

Au moment des faits, les effectifs en personnel de la résidence, qui possédait une autorisationd’ouverture pour 60 lits, n’étaient constitués, hormis la directrice et deux médecins, que d’uneseule infirmière et de deux aides-soignantes. L’ensemble des autres salariés étant cuisinières,lingères, aides des collectivités ou pour la majeure partie d’entre-elles « auxiliaires de gériatrie »,alors que cette « qualification » ne correspondait à aucun diplôme mais avait été créée par l’équipede direction.

2.2. Enquête pénale

À l’époque, une procédure pénale était en cours.Une famille de résidents avait déposé plainte à propos du fonctionnement de la résidence, et

une information judiciaire a été ouverte le 07 septembre 1998.

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Cette aide-soignante, au même titre que nombre de ses collègues de travail, été entendue enqualité de témoin, alors que la directive de l’établissement et le médecin coordonnateur ont étémise en examen.

Le 19 septembre 2000, l’aide-soignante a adressé tant à la directrice et au médecin coor-donnateur, un courrier aux termes duquel, faisant référence à des discussions récentes, elle leurdemandait de respecter leurs obligations afin que le travail au sein de l’établissement « se fasseconformément au code de la santé » ainsi que sur la nécessité de prévoir « un poste infirmier denuit. ».

Par lettre également datée du 19 septembre 2000, l’aide-soignante a été convoquée parl’employeur à un entretien préalable fixé au 03 octobre 2000 et mise à pied immédiatement àtitre conservatoire. Elle a été licenciée par lettre recommandée en date du 06 octobre 2000, distri-buée le 09 octobre 2000, pour « attitude d’insubordination grave » tenant au refus, réitéré lors del’entretien préalable, « d’effectuer la distribution des médicaments, préalablement préparés parles infirmiers en exécution des ordonnances du médecin, de surveiller des résidants sous perfusionou stomisés, mettre les collyres, etc. ».

Le 09 octobre 2000 l’aide-soignante a contesté, dans une longue correspondance adressée à ladirectrice de l’établissement, la légitimité de la mesure de licenciement en rappelant l’absenced’infirmier de nuit et sa propre volonté d’être encadrée par un infirmier afin de collaborer, soussa responsabilité, aux soins dans les limites de sa compétence et de sa formation.

2.3. Procédure

2.3.1. Premier degré• Saisine du Conseil de prud’hommes et sursis à statuer

Le 03 novembre 2000, l’aide-soignante a saisi le conseil de prud’hommes de Carcassonned’une demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelleet sérieuse ainsi que pour le paiement des indemnités de rupture.

Le Conseil de prud’hommes a, à la demande des parties, sursis à statuer dans l’attente de ladécision pénale.

• Tribunal correctionnel

La directrice et le médecin coordonnateur ont été condamnés suivant jugement du tribunal cor-rectionnel de Carcassonne rendu le 23 janvier 2008, lequel les a reconnus coupables de complicitédu délit d’exercice illégal de la profession d’infirmier et condamnées au paiement d’une amende.Il n’a pas été interjeté appel.

• Conseil de prud’hommes

Par jugement rendu le 05 octobre 2010, la juridiction prud’homale a dit le licenciement pro-noncé à l’encontre de Madame X. dénué de cause réelle et sérieuse.

2.3.2. Cour d’appel, chambre sociale• Arguments opposés

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Appelante, la Résidence Antinéa soutient que la mesure de licenciement est fondée, lasalariée ayant refusé d’accomplir des « tâches qui font intégralement partie de la fonction d’aide-soignante ». Elle affirme qu’il appartient aux aides-soignantes « de réaliser certains soins » etconclut à l’infirmation du jugement déféré.

L’aide-soignante fait valoir qu’à aucun moment elle n’a refusé d’accomplir les actes relevantde sa profession, mais a simplement demandé à être encadrée par un infirmier dont l’absencedurant son service de nuit a été expressément visée dans le cadre de la procédure pénale.

• En droit

La faute grave, dont la preuve incombe à l’employeur, est celle qui rend impossible le maintiendu salarié dans l’entreprise et situe nécessairement le débat sur le terrain disciplinaire.

Il ressort de la lecture du décret n◦ 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnelset à l’exercice de la profession d’infirmier (CSP, art. R. 4311-1 s.), pris en son article 3 que« dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier accompli les actes ou dispense les soins infirmierssuivants, visant notamment à assurer le confort du patient et comprenant, en tant que de besoin,son éducation et celle de son entourage : soins d’hygiène corporelle et de propreté, vérification dela prise des médicaments et surveillance de leurs effets,. . . surveillance de l’élimination intestinaleet urinaire,. . ., surveillance des cathéters courts : veineux, artériels ou épicrâniens, surveillancedes cathéters ombilicaux. . . ».

En son article 4, le texte édicte que « L’infirmier est habilité à accomplir sur prescriptionmédicale, qui, sauf urgence doit être écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, les actesou soins infirmiers suivants :. . ., mise en place et ablation d’un cathéter court ou d’une aiguillepour perfusion dans une veine superficielle des membres ou dans une veine épicrânienne,. . .,administration des médicaments,. . ., pulvérisations médicamenteuses,. . ., irrigation de l’œil etinstillation de collyres,. . . ».

Après interrogation de l’Académie Nationale de Médecine, le Conseil d’État, dans un avisd’assemblée a souligné la nécessité d’assouplir les conditions d’application du décret susvisé.Cet avis a fourni la base d’une circulaire de la direction générale de la santé publique, en datedu 04 juin 1999, relative à la distribution des médicaments qui, opère une distinction entre, d’unepart, les circonstances et, d’autre part, le mode de prise et la nature du médicament.

Cette circulaire énonce notamment que lorsque la distribution du médicament ne peuts’analyser comme une aide à la prise apportée à une personne malade empêchée temporaire-ment ou durablement d’accomplir certains gestes de la vie courante, elle relève de la compétencedes auxiliaires médicaux habilités à cet effet lesquels interviennent alors, soit en vertu de leurrôle propre (article 3 du décret du 15 mars 1993), soit en exécution d’une prescription médicale(article 4 du même décret).

Il résulte ainsi des dispositions combinées du décret et de la circulaire que l’aide à la prisedu médicament ne correspond à un acte de la vie courante que dans la mesure où le moded’administration et la nature du médicament ne présentent pas de difficulté particulière ; toutefoislorsque le mode d’administration présente au sens des textes « une difficulté particulière », qu’ils’agisse d’injection ou de soluté buvable ne pouvant garantir l’administration d’une dose précise etne pouvant être préparé d’avance dans un pilulier, l’on se trouve en présence d’actes exclusivementréservés à un personnel infirmier.

Dès lors que l’administration de médicaments, la surveillance des cathéters et l’instillation decollyres, tous faits visés dans la lettre de licenciement, constituent des actes relevant soit du rôlepropre de l’infirmier, soit d’une exécution par celui-ci sur prescription médicale écrite, il ne peut

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être reproché à une aide-soignante, de s’y être opposé dans son exécution hors la présence etl’assistance d’un infirmier seul habilité à le faire.

• Analyse en fait

La Résidence Antinéa est au surplus dans l’incapacité de justifier avoir informé le personnelde l’établissement du contenu de la circulaire de juin 1999 et plus encore d’en avoir assuré unecommunication individuelle à ceux et celles qui, dans le cadre des fonctions qui leur étaientdévolues, étaient enjointes par leur hiérarchie d’assurer l’administration des médicaments auxpersonnes hébergées dont il a été dit qu’il s’agissait de malades âgés fortement dépendants. Cefaisant n’ayant pas placé les salariés en situation de connaître le contenu de cette circulaire ellene peut s’en prévaloir à leur encontre.

En confirmant le conseil de prud’hommes la Cour déclarera le licenciement dont Madame X.a fait l’objet dépourvu de cause réelle et sérieuse.

3. Commentaire

L’aide-soignante avait tort et raison. . . À juste titre, elle refusait les actes techniques, mais à tortelle refusait aussi toute participation, alors qu’elle doit apporter une aide à la prise, considéréecomme un acte de la vie courante par le médecin prescripteur. La cour d’appel retient qu’àl’époque le droit était moins connu et que l’employeur, qui organisait de manière générale lesdysfonctionnements, au point d’avoir été condamné au pénal pour complicité d’exercice illégalde la médecine, n’avait apporté aucune explication à la salariée, de telle sorte que le refus detoute participation à l’administration des médicaments per os a été jugé excusable. Il faut ajouterque cette aide-soignante se trouvait seule la nuit, ce qui la conduisait, vu l’état de patients et lesprescriptions médicales, à effectuer des actes infirmiers. Pour de faits récents, il serait beaucoupplus difficile de faire admettre cette bienveillance, alors que l’état du droit est bien connu.

Deux points méritent encore d’être soulignés.Le tribunal correctionnel a condamné la directrice de la résidence et le médecin coordonnateur

pour complicité d’exercice illégal de la profession infirmière, ce qui établit que des actes illégauxétaient pratiqués par les aides-soignantes et les autres personnels. Pourtant, le parquet a fait lechoix de ne poursuivre que les complices, et non les auteurs principaux, par équité, et cettepossibilité est juridiquement certaine.

La part laissée à l’aide-soignante est l’aide à la prise, lors que le médecin a estimé que c’étaitassimilable à un acte de la vie courante. Cela suppose que toutes les autres phases de la distribuaitdes médicaments soit effectué par l’infirmière. Il en est ainsi de toute la phase de préparation etde la surveillance. Lorsqu’elle assiste ou participe à la prise des médicaments, l’aide-soignantedoit exercer une surveillance vigilante, liée à son niveau de compétence réglementaire. Elle n’estpas en mesure de poser un diagnostic infirmier, mais elle doit savoir apprécier l’état de vigilancedes patients, et pouvoir, le cas échant, alerter un médecin ou un infirmier.

4. Documents

4.1. Solution classique

Réponse ministérielle, Santé et personnes âgées, no 41752 du 22 juin 2004, AN

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Le décret du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la professiond’infirmier attribue à l’infirmier, dans le cadre de son rôle propre, l’aide à la prise de médicamentsprésentés sous forme non injectable, la vérification de leur prise, la surveillance de leurs effets etl’éducation du patient. De plus, sans préjudice des dispositions précédentes, ce même décret dis-pose que l’infirmier peut administrer des médicaments en exécution d’une prescription médicale.L’administration des médicaments relève bien de la compétence infirmière. Par ailleurs, l’article4 de ce même décret stipule que lorsque les actes accomplis ou les soins dispensés, relevant du rôlepropre de l’infirmier, « sont dispensés dans un établissement ou un service à domicile, à caractèresanitaire, social ou médico-social, l’infirmier peut, sous sa responsabilité, les assurer avec la colla-boration d’aides-soignants, d’auxiliaires de puériculture ou d’aides médico-psychologiques qu’ilencadre et dans les limites de la qualification reconnue à ces derniers du fait de leur formation ».

Il ressort de ce texte que la fonction « distribution » des médicaments dans les établissementssociaux ou médico-sociaux doit être scindée en plusieurs étapes, et faire l’objet d’une analyseconcernant les circonstances, d’une part, et la nature du médicament (qui nécessiterait notammentun dosage très précis de la forme administrable) et son mode de prise (par exemple, une injection),d’autre part.

La préparation dans tous les cas relève uniquement de la fonction de l’infirmier, l’aide à laprise, la vérification de la prise, et la surveillance des effets peuvent alors être confiés, sous la res-ponsabilité de l’infirmier, aux auxiliaires cités et formés. Les autres personnels sans qualificationne peuvent aider à la prise de médicament que s’il s’agit d’un acte de la vie courante, selon l’avisformulé par le Conseil d’État, distinct de l’acte médical relevant de l’article L. 4161-1 du codede la santé publique (notions d’exercice illégal de la médecine et d’habilitation des professionsparamédicales à pratiquer les actes médicaux).

Dans ce cas, la prise d’un médicament est laissée par le médecin prescripteur à l’initiativede la personne malade elle-même et cette prise, compte tenu de la nature du médicament, neprésente pas de difficultés particulières ni ne nécessite un apprentissage. Ces personnes doiventavoir été suffisamment informées des doses prescrites aux patients concernés et du moment deleur prise. Ainsi, c’est donc bien au médecin prescripteur d’apprécier si l’administration ou laprise du médicament nécessite ou non l’intervention d’un personnel infirmier. Enfin, il revientdonc au personnel soignant formé d’analyser s’il s’agit bien d’une aide à la prise apportée à unepersonne malade empêchée temporairement ou durablement d’accomplir certains gestes de la viecourante.

4.2. Solution confirmée par la loi HPST

Réponse ministérielle, Santé et sports, no 22941 du 13 mai 2010, AN.Conscient des risques civils et pénaux encourus par les établissements en l’absence de texte

de référence réglementant explicitement la distribution et l’aide à la prise de médicaments, leGouvernement a souhaité clarifier ce qui relève des compétences de professionnels habilités àorganiser et à surveiller la distribution des médicaments et ce qui relève de l’aide aux actes de lavie courante.

C’est pourquoi la loi no 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relativeaux patients, à la santé et aux territoires, dans son article 124, a prévu un article L. 313-26 dansle code de l’action sociale et des familles ainsi rédigé : « Au sein des établissements et servicesmentionnés à l’article L. 312-1, lorsque les personnes ne disposent pas d’une autonomie suffisantepour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l’exclusion de tout autre, l’aide à la

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prise de ce traitement constitue une modalité d’accompagnement de la personne dans les actes dela vie courante.

L’aide à la prise des médicaments peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée del’aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le modede prise ne présente ni difficulté d’administration ni d’apprentissage particulier. Le libellé de laprescription médicale permet, selon qu’il est fait ou non référence à la nécessité de l’interventiond’auxiliaires médicaux, de distinguer s’il s’agit ou non d’un acte de la vie courante. Des protocolesde soins sont élaborés avec l’équipe soignante afin que les personnes chargées de l’aide à la prisedes médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise.

4.3. Pratique dans les crèches

Réponse ministérielle, personnes handicapées et la lutte contre l’exclusion, JO Sénat du03/10/2012 – page 3391.

La réponse à la question orale au Gouvernement du 30 mars 2011 a soulevé beaucoupd’interrogations sur la possibilité pour un assistant maternel d’administrer des médicaments àun enfant dont il a la garde. En effet, selon cette réponse, l’administration des médicamentsne peut être autorisée pour tous les personnels de crèches, mais seulement pour les infirmiers,les puéricultrices ou les auxiliaires de puériculture, sous leur contrôle. Cette réponse a ainsi étéinterprétée comme revenant implicitement à interdire aux assistants maternels d’administrer desmédicaments, sauf en cas de situation de péril imminent et constant. Elle revient donc à rendre,en principe, impossible tout accueil d’un enfant malade par un assistant maternel.

Pour lever le doute sur cette question, une circulaire du 27 septembre 2011 de la direction dela sécurité sociale et de la direction générale de la santé a permis de préciser que, dans le cas d’unmédicament prescrit, si le mode de prise ne présente pas de difficultés particulières ni de nécessitéd’apprentissage, et lorsque le médecin n’a pas demandé l’intervention d’un auxiliaire médical,l’aide à la prise du médicament est considérée comme un acte de la vie courante.

Concrètement, cela signifie que seule l’autorisation des parents, accompagnée de l’ordonnancemédicale prescrivant le traitement, suffit à permettre aux assistants maternels d’administrer lesmédicaments requis aux enfants qu’ils gardent.

De plus, afin que ces règles soient bien connues des assistants maternels, le décret du 15 mars2012 relatif au référentiel fixant les critères d’agrément des assistants maternels prévoit que soitprise en compte pour l’examen d’une demande d’agrément la capacité du candidat à appliquerles règles relatives à l’administration des médicaments.

Pour conclure, monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question. Elle nousdonne l’occasion d’affirmer qu’il n’existe pas de contradiction dans la réglementation. Le champdes devoirs et obligations, ainsi que le rôle des assistants maternels est clairement défini par laréglementation existante, et garantit pleinement la sécurité des enfants.