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© Inalco-Centre de Recherche Berbère AÏT-AMRANE Mohammed (dit Idir) Militant nationaliste algérien, né à Tikidount (Ouacif), en 1924. Il appartient au groupe de jeunes Algériens du Lycée de Ben-Aknoun (Alger) qui, à partir de 1945, ont essayé d'intégrer la dimension berbère dans la revendication nationaliste. Sa première sensibilisation politique s'est produite dans les années 1941-42 dans le cadre des Scouts Musulmans Algériens, contrôlés par le Mouvement National. Aït-Amrane ne semble pas être interve- nu directement dans la "crise berbériste" de 1948-49 qui secoua le PPA-MTLD et se solda par l'exclusion des berbéristes. Mais il a joué un rôle décisif dans la production de chants nationalistes en langue berbère. Il a composé, entre 1945 et 1954, au moins une quinzaine de chants engagés, de marche ou de groupe, dans lesquels la référence à la langue et à la culture berbères est fortement présente. On citera parmi les plus connus (et encore bien vivants) kker a mmi-s umaziɣ ! “Debout fils de Berbère !” (1945) ɣuri yiwen umeddak°el (1947) “J'avais un camarade” (adaptation d'un poème allemand de Uhland, en hommage à Laïmeche Ali qui venait de mourir). Tigerɣlanit “L'Internationale” (adaptation kabyle) Cette production "berbéro-nationaliste", à laquelle Aït-Amrane a fortement contribué, marque le début des efforts d’aménagement linguistique axés sur la recherche de systèmes de notation usuels et surtout sur l'enrichissement et la modernisation du lexique. C'est de cette époque que datent les premiers néologismes socio-politiques berbères (amazià, tilelli…). Aït- Amrane participera activement à cette entreprise dans laquelle des Kabyles iront puiser en touareg, en mozabite ou en chleuh des unités lexicales ou créeront des formes nouvelles à partir des matériaux kabyles. En cette matière, les conceptions de Aït-Amrane sont assez originales et distinctes de celles qui ont prévalu dans la mouvance culturelle et militante kabyle : on y perçoit une nette influence de sa formation arabisante et des Etudes sémitiques (il a été en relation assez suivie avec Marcel Cohen dans les années 50). Le système de notation qu’il a toujours préconisé, fruit d’une réflexion assez subtile, est cependant trop personnel pour faire école. En fait, en matière de langue berbère, Idir Aït-Amrane est resté un autodidacte isolé, très motivé, mais en marge à la fois des Etudes berbères universitaires et de la militance culturelle berbère de l’après-indépendance, qu’il n’a pas vraiment fréquentées. Aït-Amrane est arrêté et emprisonné de 1956 à 1958. A sa libération, il prépare une licence d'arabe qu'il achève en 1961. Il est député à la première Assemblée nationale algérienne (1963-1964), Préfet d’El-Asnam (actuel Chlef) en 1964-1965, puis il entame une carrière dans l'Education Nationale de 1965 1

Ait_Amrane Mohammed Idir

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kabyle (berber or amazigh) texts after WWII

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AÏT-AMRANE Mohammed (dit Idir) Militant nationaliste algérien, né à Tikidount (Ouacif), en 1924. Il appartient au groupe de jeunes Algériens du Lycée de Ben-Aknoun

(Alger) qui, à partir de 1945, ont essayé d'intégrer la dimension berbère dans la revendication nationaliste. Sa première sensibilisation politique s'est produite dans les années 1941-42 dans le cadre des Scouts Musulmans Algériens, contrôlés par le Mouvement National. Aït-Amrane ne semble pas être interve-nu directement dans la "crise berbériste" de 1948-49 qui secoua le PPA-MTLD et se solda par l'exclusion des berbéristes. Mais il a joué un rôle décisif dans la production de chants nationalistes en langue berbère.

Il a composé, entre 1945 et 1954, au moins une quinzaine de chants engagés, de marche ou de groupe, dans lesquels la référence à la langue et à la culture berbères est fortement présente. On citera parmi les plus connus (et encore bien vivants)

kker a mmi-s umaziɣ ! “Debout fils de Berbère !” (1945) ɣuri yiwen umeddak°el (1947) “J'avais un camarade” (adaptation d'un

poème allemand de Uhland, en hommage à Laïmeche Ali qui venait de mourir). Tigerɣlanit “L'Internationale” (adaptation kabyle) Cette production "berbéro-nationaliste", à laquelle Aït-Amrane a

fortement contribué, marque le début des efforts d’aménagement linguistique axés sur la recherche de systèmes de notation usuels et surtout sur l'enrichissement et la modernisation du lexique. C'est de cette époque que datent les premiers néologismes socio-politiques berbères (amazià, tilelli…). Aït-Amrane participera activement à cette entreprise dans laquelle des Kabyles iront puiser en touareg, en mozabite ou en chleuh des unités lexicales ou créeront des formes nouvelles à partir des matériaux kabyles. En cette matière, les conceptions de Aït-Amrane sont assez originales et distinctes de celles qui ont prévalu dans la mouvance culturelle et militante kabyle : on y perçoit une nette influence de sa formation arabisante et des Etudes sémitiques (il a été en relation assez suivie avec Marcel Cohen dans les années 50). Le système de notation qu’il a toujours préconisé, fruit d’une réflexion assez subtile, est cependant trop personnel pour faire école. En fait, en matière de langue berbère, Idir Aït-Amrane est resté un autodidacte isolé, très motivé, mais en marge à la fois des Etudes berbères universitaires et de la militance culturelle berbère de l’après-indépendance, qu’il n’a pas vraiment fréquentées.

Aït-Amrane est arrêté et emprisonné de 1956 à 1958. A sa libération, il

prépare une licence d'arabe qu'il achève en 1961. Il est député à la première Assemblée nationale algérienne (1963-1964), Préfet d’El-Asnam (actuel Chlef) en 1964-1965, puis il entame une carrière dans l'Education Nationale de 1965

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jusqu’à son départ à la retraite en 1986, en tant qu’Inspecteur d’académie (Directeur de l’Education d’une wilaya).

Pendant sa période d’exercice en tant que haut fonctionnaire de l’Algérie

indépendante (1962-1986), il restera d’une grande discrétion quant à ses amours berbérisantes de jeunesse. Ce n’est qu’après son départ à la retraite qu’il renouera avec ses premières passions et publiera différents témoignages sur la période 1940-50 et des documents qui présentent ses conceptions en matière de langue berbère.

Alliant à la perfection engagement nationaliste, amour pour la langue

berbère, formation arabisante et long service de l’Etat, il représentait sans doute le profil idéal pour les autorités algériennes ; c’est certainement ce qui lui a valu d’être désigné à la tête du Haut Commissariat à l'Amazighité en mai 1995, institution placée auprès de la présidence de la république algérienne.

Aït-Amrane a publié lui-même son témoignage sur la période 1945-51

ainsi que ses textes dans deux petits opuscules : – Mémoire. Au lycée de Ben-Aknoun, 1945 (Ekkr a mmis oumazigh), Alger, s.d.

[1992]. – Inachidn oumennough. Chansons de combat, 1945-1951. L’éveil de la

conscience identitaire, Alger, s.d. [1993] Il a également publié deux petits livrets de planification linguistique : – Ils amazigh atrar - La langue berbère moderne, Alger, 1992, 63 p. – Pour la renaissance et le développement de tamazight - Asidder d wesgam n

tmaziɣt, Alger, 1997.

[S. CHAKER]

Bibliographie

– BENBRAHIM (Melha) : La poésie populaire kabyle et la résistance à la colonisation de 1830 à 1962, thèse de Doctorat de 3 cycle, Paris, EHESS, 1982. e

– CHAKER (Salem) : Berbères aujourd’hui (Berbères dans le Maghreb contemporain), Paris, L’Harmattan, 1998 (notamment chap. 2, « Repères historiques »). – CHAKER (Salem) : « Aït Amrane », Encyclopédie berbère, III, 1986, p. 386-387. – GUENNOUN (Ali) : Chronologie du mouvement berbère. Un combat et des hommes, Alger, Casbah Editions, 1999.

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Annexe : Paroles et musique de Ekker a mmi-s umaziɣ (extraits) (d’après M. Benbrahim et N. Mecheri, « Chants nationalistes algériens d’expression kabyle. 1945-1954 », Libyca, 28/29, 1980/1981, 217-218)

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