Albert Bruce, Une critique chamanique de l'économie politique de la nature

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    LOr cannibale et la chute du cielUne dritique chamanique de lconomie politique de la nature

    i (Yanomami, Brsil)*I

    Bruce ALBERT,Or cannibale et la chu te du ciel. Une critique chamanique delconomie politique de la nature (Yanomami, Br&l). - Le discours daffirmationethnique et de revendication territoriale des nouveaux leaders indignes amazonienssemble, depuis les annes 80, saligner sur la rhtorique cologiste de leurs allis locauxou internationaux. Cet article sefforce de montrer, partir dun cas yanomami, quecet apparent mimtisme dissimule en fait un travail complexe dimbrication symboliqueentre cosmologie traditionnelle et catgories imposes de lethnification. I1 sattachepar ailleurs cerner leffet danalyse en retour que produit ce

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    productifs : une > rcente du dis-cours politique des reprsentants indignes, en cho la monte en puissancede lcologisme dans la sensibilit politique des pays les plus industrialiss1 .Cependant, on aurait tort de ne voir dans ce phnomne queffets idologiquesdont les Indiens seraient traverss sans y avoir place de sujets (et dont ils nepourraient tre, au mieux, que les manipulateurs)12. Les nouveaux leadersindiens dveloppent au contraire, en contrepoint des figures imposes de lethni-cit, une symbolisation politique complexe et originale qui djoue le labyrinthe

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    dimages de lindianit trac aussi bien par la rhtorique indigniste de 1tatque par celle de leurs allis. Et la diversit culturelle des modalits de cetteexpression nest en rien rductible - ien quelle sy articule troitement-au dploiement des cadres emblmatiques de lindianit gnriquel3. Ceci sansoublier quil existe, au sein de chacune des socits que reprsentent ces leaders,de multiples approches diffrentes (sous-ensembles rgionaux) ou divergentes(factions politiques antagonistes ; eaders bilingues vs.majorits monolingues,leaders traditionnalistes vs. (< entrepreneurs B) ans linterprtation des situa-tions de contact interethnique et dans la manire dy rpondre.I1 serait donc simpliste de considrer la formation des ethnicits amazoniennescontemporaines sous le jour dune thtralit aline ou cynique. Elle rvle linverse un processus dadaptation crative dont le travail symbolique et poli-tique pose les conditions de possibilit mme dun espace dinterlocution et dengociation interethnique, donc dune rversibilit du discours de domination~olon ia l e~~ .e travail constitue une dimension fondamentale de lintertextua-lit culturelle du contact. Au mme titre que le discours blanc sur les Indiens(ngatif ou positif), et dans lexacte mesure o, dans tout systme interethnique,limage que chacun des protagonistes construit de lautre et de la reprsenta-tion que lautre a de lui est essentielle son auto-dfinition15.A propos du cas yanomami

    Le discours politique indien de ces dernires dcennies se fonde sur un doubleenracinement symbolique :auto-objectivation au prisme des catgories blanchesde lethnification (G territoire ))> culture a environnement D) et rcriturecosmologique des faits et effets du contact. Rien nautorise distinguer cesregistres au nom dune suppose

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    au cours des annes 80 dans la lutte pour la dmarcation des terres de songroupe envahies par une vritable rue vers lor.Ce simple cart chronologique rvle un vritable renversement de perspec-tive dans la pense yanomami du contact interethnique : e passage dune symbo-lisation ethnocentre et (< en aveugle )) (avec des blancs sous-humains, priph-riques et inintelligibles) une symbolisation relativiste et dpendante (intgrationdes donnes de lenglobement ethnique et des modles blancs de lindianit).Passage, donc, de la rsistance spculative (discours sur lautre pour soi) laresistant adaptation (discours sur soi pour lautre), du discours cosmologiquesur laltrit au discours politique sur lethnicit, des c,atgoriesdey5nomnethb

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    difficiles daccs, le Roraima sommeillait encore dans sa capitale de 43 O00 habi-tants (1980) alors que le reste de lAmazonie tait dj un champ de batailleconomique et social croissance rapide (Abers& Loureno 1992). Cette lthargieprserva les Yanomami du pire jusquen 198718.LAmazonie des rseaux routiers et des projets de colonisation des annes70 sest trouve submerge d b e dbut des annes 80 par la frontire des garim-peiros (mineurs artisanaux de minerai dtain, de pierres prcieuses, mais, sur-tout, dor). Tout commena, sur fond de marasme conomique gnralis, parune hausse du taux de lonce (31, l g) dor la Bourse de Londres en 1979,qui atteignit un record historique de 850 dollars au dbut de 1980 (il avait oscillentre 35 et 42$ de 1943 1973)19. En quelques annes lorpaillage passa aurang dactivit conomique dominante en Amazonie, occupant environ un demi-million de garimpeiros et produisant, en 1987, quelque 120 tonnes dor, pla-ant le Brsil au 3e rang de la production mondiale de ce mtal derrire 1Afri-que du Sud et lURSS20. La rue vers lor amazonienne des annes 80 devintainsi, en quelques annes, le boom extractiviste le plus important dans la rgiondepuis celui du caoutchouc (Cleary 1990 : 3 , 5).Balbutiante dans le Roraima jusquen 1985-1986, cette frontire de lor finitpar y exploser au cur du territoire yanomami, Paapi, sur le haut Mucajai(affluent du Rio Branco). Les garimpeiros assassinrent, en aot 1987, les leadersindiens qui bloquaient leur accs aux gisements de la rgion, et linvasion mas-sive put commencer21. En 1989, on comptait dans la rgion 30 40 O00 orpail-leurs exploitant 150 placers desservis par 82 pistes datterrlsage (Feijo& Pinto1990). Limpact sanitaire et cologique de cette invasion fut, comme on lima-gine, tragique pour les Yanomami encercls sur leurs propres terres par ceuxquils dnommrent urihi wabob, les : pidmies quiprovoqurent plus dun millier de morts () blanc sefforait de faireA la fin des annes 70 , Davi travaillait

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    tablir dans les environs quelques communauts de la rgion. Lune dentreelles, situe sur le rio Mapula, sintressa ces manuvres dattraction. Sonisolement avait brutalement cess en 1973 avec une pidmie qui la rduisitdes deux tiers. Son ) (bata th), Lourival, savait quil taitmaintenant crucial de garantir laccs de son groupe aux mdicaments des blancsautant qu leurs outils mtalliques. I1 avait eu des contacts pisodiques avecdes agents de la FUNAI sur le rio Mapula. La cration dun poste Demini,o Davi travaillait de manire permanente, lui sembla offrir lopportunit quilcherchait. I1 sy laissa attirer et, stratge avis, donna Davi une de ses fillesen mariage. I1 entreprit ensuite son initiation chamanique. Faisant ainsi de luison oblig - a relation beau-pre/gendre est le pivot de lautorit politiqueyanomami - Lourival russit inverser la polarit de son rle dinterprte22.Ce subtil dtournement politique sapa la base de lautorit des a chefs de poste ))blancs qui se succdrent Demini. tel point que ladministration rgionalede la FUNAI finit par nommer Davi leur place.La stratgie de Lourival fut doublement couronne de succs. Ayant conquisla matrise des termes de la relation interethnique par le biais du jeu politiquetraditionnel, il avait garanti son groupe les avantages dune association avecun poste de la FUNAI (changes, mdicaments, transports) tout en neutralisantla structure de dpendance paternaliste quelle implique habituellement. Ensuite,grce linitiation chamanique de Davi, il avait ouvert un espace commun dinter-prtation des ralits du contact et dlaboration dun discours de dfense desintrts yanomami communicable lextrieur du groupe. Cette alliance decomptences cosmologiques et interethniques constitue une mise en acte exem-plaire de la double articulation du discours politique indigne que jai voque ;double articulation qui ne recoupe donc pas ncessairement, comme on le pensetrop souvent, une division entre anciens et modernes parmi les leaders indiens.Cette collaboration intellectuelle sest rvle dune remarquable efficacitpolitique dans un contexte international o lAmazonie est devenue la scneemblmatique et fantasmatique de la crise cologique plantaire du > (Lipietz 1990). Les dclarations de Davi contre les chercheurs dor,tayes la fois par son exprience des discours blancs sur lindianit (mission-naires, indignistes officiels puis non gouvernementaux, cologistes) et celle dusavoir chamanique de son beau-pre, furent ainsi relayes, la fin des annes80,par tous les grands mdias, au Brsil, aux tats-Unis et en Europe de lOuest,au point de contraindre le Gouvernement brsilien signer un dcret de dmar-cation des terres yanomami peu avant le sommet des Nations unies sur 1Enri-vonnement Rio de Janeiro (Albert 1992b).De 1observation participante ci 1a observant participation93

    Le processus dmergence des Indiens comme sujets de leur histoire et deleur image a, au cours des dernires dcennies, passablement modifi les pers-pectives danalyse et les champs dtude de lanthropologie amazoniste (Taylor

    .

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    1992). I1 a galement boulevers- ela a peut-tre t moins soulign- esconditions du (t terrain >) et du (< dialogue ethnographique B.Lauto-objectivationde leur culture par les Indiens, titre denjeu et de vecteur dun projet de terri-torialisation et dautonomie sociale, a ainsi fait de lactivit ethnographiqueun canal, parfois dcisif, de la viabilit de ce projet (Turner 1991a :304-312).Seuls blancs verss dans leur langue et leurs usages, dots de comptenceset de moyens qui les distinguent de la population rgionale, les anthropologuessont apparus dans ce contexte, au del de leur rle habituel de source de biensmanufacturs et dinformations, comme les instruments privilgis dune stra-tgie de matrise des reprsentations de soi travers le miroir culturel de lafrontire (Tilkin-Gallois 1991 : 22). Et ce un double titre : la fois commecanaux de communication du discours politique indigne capables de restituerla substance de sa spcificit culturelle, et comme vritable (t bancs dessai ))de la communicabilit interethnique des thmes quil vhicule.Ce dtournement dialogique de lactivit ethnographique contribue certai-nement catalyser la rflexivit culturelle qui sous-tend lauto-affirmation eth-nique vhicule par les leaders de contact. Inversement, il propose aux anthro-pologues une subversion de lobservation participante qui offre de nouvellesperspectives thoriques en ouvrant lanalyse du symbolisme (),t( repr-sentation D) au politique et lhistoire.Les propos de Davi produits ici comme t( matriaux ethnographiques )) sontissus dune telle observant participation au titre de tt compagnon de route Bde sa lutte pour la dmarcation de la terra indkena yanomami au cours desannes 80, et dassesseur du projet de sant quil y a mis en uvre depuis 1990.Aprs une thse consacre au systme rituel yanomami (1985), mon intrt ethno-graphique stait orient vers les reprsentations associes au contact interethnique.Constatant, entre 1985 et 1989, une monte en puissance des thmes cosmolo-giques dans le discours politique de Davi, je dcidai deffectuer une srie dentre-tiens sur ce sujet. Le terrain tait interdit aux anthropologues par les militaires(Albert 1992a). Le premier enregistrement fut ralis pour moi par une col-lgue (A. R.Ramos) lors dune visite de Davi Braslia en dcembre 1989.Ctait une longue relation, en yanomami, des tragdies de la rue vers lor,entrecoupe par une vhmente prophtie chamanique. Davi my demandaitaussi de diffuser ses propos et de participer son projet sanitaire24. Dautresenregistrements suivirent, au fil de la course dobstacles politiques des annessuivantes, des bureaux dassociations aux campements de fort en passant parles couloirs de ministres. Fieldwork tout terrain partir duquel Davi dbordatrs vite mon projet ethnographique pour me demander de laider donner ses paroles le pouvoir dun livre25.Les rflexions de Davi commentes ici sont extraites de ce manuscrit. Ellessont la fois le produit dun renversement du processus de traduction cultu-relle (de linterview ethnographique au message politique) et dune rlabora-tion des conceptions chamaniques traditionnelles (du savoir cosmologique audiscours ethnique). Lethnographie quelles nous proposent est donc, signe des

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    temps, la rsultante dun dialogue triangulaire entre un ancien (bata th), unleader de contact et un anthropologue. Davi, mdiateur interculturel sil en fut,constitue le point de convergence de ce dispositif politique de reprsentationinterethnique. Ceci la faveur dun double retournement dinterprtation dontil est la fois objet - omme interprte dtourn (par le chamanisme)- tsujet - omme dtourneur dethnographe (par lindignisme).cologie cosmologique et prdation marchandeD&marqtier la terre, protger la fort

    Tout le discours de Davi, qui revendique le droit des Yanomami conser-ver lusage exclusif de leur territoire traditionnel dfini comme terra indkena ,se fonde sur lexpression urihi noami, qui signifie la fois (( refuser (de cder) ))et

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    blancs la maltraitent, cest pouiquoi nous voulons la protger. Si nous ne le faisonspas, nous disparatrons. Cest ce que je pense. Je suis devenu adulte mon tour etje comprends la langue des blancs. Cest pourquoi je leur parle, pour dfendre lafort et pour empcher notre disparition.

    Voir, savoirLauri sacra fanzes des orpailleurs qui, jour et nuit, pataugent en haillons dansla boue en

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    Mythologie mtalliqueCe que G voit n avant tout Davi derrire lignorance des (< mangeurs defort n, cest une relation de causalit cosmologique entre extraction de loret pidmies qui dvastent la rgion. Lor, a chose cache lintrieur de laterre, sous leau des rivires D, est une matire (( chaude n et dangereuse, unanti-aliment. Ce savoir chamanique sur lor se fonde en mythologie sur un brefpisode qui relate comment Omam dissimula les mtaux sous la terre afin deprotger les tres humains de leurs proprits pathognes :

    Lor et les autres minrios que je ne connais pas, OmamE les a trouves et cachsau fond de la terre pour que personne ny touche. Ce sont des choses qui ne se mangentpas. I1 na laiss dehors que les choses que nous mangeons [...I Ces minrios, onne les mange pas, ce sont des choses dangereuses. Ils causent des maladies qui sepropagent et tuent tout le monde ;pas seulement les Yanomami, les blancs aussi.

    Cette extension mythologique reprend et renouvelle une association, sansdoute trs ancienne, des outils mtalliques Omam. Les fragments mtalliquesutiliss dans le pass par les Yanomami pour confectionner des hachettes(haowatim) taient considrs comme des objets abandonns par Omam danssa fuite (Wilbert & Simoneau, eds., 1990 : 302). Afin de rendre cohrente soninnovation mythologique relative aux mtaux pathognes, Davi rlabore, aufil de son discours contre lextraction minire, un mythe qui associe Omam lorigine des plantes cultives et des outils agricoles29.Omam y pche et pouse la fille du monstre aquatique Tbrsik (parfoisassoci lanaconda). Ce dernier lui enseigne lusage des plantes cultives afinquil puisse nourrir sa fille30. Effray par le bruit de son beau-pre quisapproche de sa maison, Omam se transforme en barre de fer, mtal (boostik)quil a trouve sur le sol de la fort,

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    y a de plus traditionnel dans les traditions amazoniennes. Loin dtre un corpusnarratif canonique, la mythologie y constitue un univers surrel des originesdont les chamanes sont les tmoins et les protagonistes permanents. Elle nestainsi que la condensation toujours provisoire de leur production de connais-sances sur cet univers parallle ;un processus interprtatif ouvert dont la go-mtrie et les registres sont perptuellement variables (Overing 1990). On pourraitdonc dire ici de la mythologie yanomami ce que Viveiros de Castro (1986 :252) dit de la cosmologie arawet :quelle est le rsultat contingent, filtr parles contraintes de la mmorisation collective, de la crativit chamanique.Fiivres de lor et ef fet de serre

    La caractrisation des proprits pathognes de lor (des mtaux) nous ren-voie une thmatique familire de la pense yanomami des effets pidmiolo-giques du contact. Ce que lon redoute de ces

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    (< se meurt dpidmie, comme les Yanomami, comme la fort ~ 3 5 . a concep-tion dune telle contamination gnralise dbouche sur une extension maxi-male du champ smantiquedurihi

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    Shawarari a, comme on limagine, lapparence dun blanc et tous les dtailsde ses macabres expditions soulignent son identit : des employs laident capturer ses victimes ; il leur tranche la gorge avec une machette ; lorsquilles dpce, il fait de leur peau des hamacs ; il les frit sur de grandes plaquesde mtal ; l jette leurs entrailles ses chiens de chasse ; l boucane leurs cadavreset les garde dans des caisses de bois, moins quil ne fasse de leur chair desconserves dans des botes mtalliques.La figure des blancs esprits anthropophages, omniprsente en Amazonie,hante limaginaire yanomami du contact depuis ses origines, au fil de diversestransformations symboliques et selon diffrents degrs de littralit. Elle senra-cine dans une conception traditionnelle de laltrit ontologique et sociale poseen termes de prdation cannibale, galement classique dans cette rgion (Albert1988). Je ne reviendrai pas sur ce point ici mais plutt sur lnigme qui sous-tend ce systme et que sefforce de circonvenir linsistante mtaphore des blancscannibales, recompose sans relche depuis les premiers contacts sous lauramalfique des objets manufacturs.Le terme matihib, appliqu aujourdhui essentiellement aux objets des blancs,se rfrait autrefois plus particulirement aux parures de plumes et aux osse-ments funraires (ou gourdes cinraires), donc des biens crmoniels prcieux.Les objets manufacturs, par leur similarit superlative avec des objets yano-mami, ou par leur extrme exotisme, se sont vus assimils sous cette dsigna-tion. Ils lont bientt colonise presque totalement et matihib est devenu lqui-valent de mercadorias.Les matihib traditionnelles sont avant tout des biens changs notammentlors des grands rites intercommunautaires reahu (Albert 1985, chap. 12) ;changes matriels et crmoniels dont la rciprocit constitue symboliquementet politiquement les partenaires (chacun a prend la trace )> ou a les restes )) delautre). Hors des relations concrtes que fondent ces changes, elles ne sontque le signifiant dune absence, labsence de relation, quil faut oblitrer. Lesparures et autres biens des morts, pour porter en vain

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    ne les emporte pas en mourant 1)

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    Cette prophtie apocalyptique se construit partir du retournement pros-pectif de plusieurs mythes yanomami qui associent la chute du (devenu la terre actuelle) la mort des grands chamanes ances-traux leurs esprits auxiliaires a orphelins D endus ivres de fureur par ce deuil,layant dcoup avec leurs armes surnaturelles jusqu ce quil cde sous sonpoids (Wilbert & Simoneau, eds., 1990 : 35-36). Une nouvelle vengeance desesprits chamaniques, dcuple par lanantissement des chamanes, menace deprovoquer, cette fois, un cataclysme qui mettra fin lhumanit actuelle :

    Mes esprits chamaniques me disent : Ne soyez pas anxieux, nous vous vengerons !Nous briserons le ciel et tous mourront ! n Si tous les Yanomami disparaissent, ilsdcouperont le ciel qui tombera. Alors les blancs- es orpailleurs, le gouvernement,larme- isparatront aussi ! Cest dj arriv, le ciel est tomb aux premiers temps.Les gens qui vivaient cette poque ont disparu et nous sommes venus leur place.

    La continuit du chamanisme est lunique moyen dviter la chute du ciel :seuls les esprits des chamanes vivants peuvent retenir la violence de ceux deschamanes morts (ibid. : 5-46). Le chamanisme, lgu par Omam, est un savoirstratgique vou djouer les pouvoirs entropiques de laltrit cosmologiqueet sociale ; il sefforce, cette fin, de socialiser certains de ces pouvoirs sousla forme dentits auxiliaires en une sorte dhomopathie symbolique gnra-lise39. Sa mise en chec ne peut que renvoyer la socit et lunivers au chaospr-humain. Leffondrement du cosmos sous le coup des esprits chamaniquessans matres quvoque Davi assigne cette entropie lexcs de puissance pr-datrice de laltrit blanche4O. La rue vers lor reprsente ainsi, au sein de lafort et de lunivers, une irruption de forces destructrices si incontrlables quellesne peuvent se voir rfres qu la mmoire mythique des transformations erra-tiques des anctres animaux (do, peut-tre, la dnomination chamanique desmineurs : ) et ).Cette symbolisation est caractristique dune conception indigne de lhistoirequi envisage le changement plus sous le jour de mtamorphoses radicales quedune mutation progressive41. Interprtation traumatique qui se prsente ici souslaspect dun renversement eschatologique dans lequel la gense se reproduiten menace dapocalypse. Pris dans une relecture politique au futur antrieurle mythe de la chute du ciel voit ainsi rabattre lautorit de sa symbolique fon-datrice dans un projet de rsistance ethnique qui prend la forme dune sortede millnarisme de basse intensit.

    La Nature entre la proie et lombreRevenons, aprs lcologie chamanique de la frontire minire, lcolo-gisation du discours ethnique et aux divergences culturelles sous-jacentes la(trs efficace) alliance entre environnementalistes et peuples autochtones qui

    domine la scne amazonienne depuis quelques annes. Divergences sur lvaluation

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    desquelles les Indiens me semblent plus lucides que les cologistes. Les rflexionsde Davi sur la Nature (natureza), lEnvironnement (meio ambiente) et lcologie(ecologia) serviront de base cette ethnographie comparative.Indiens naturalistes et Nature productive

    Plusieurs anthropologues amazonistes ont, au cours des annes 80, dit leurinconfort devant lidologie envahissante qui reprsente les socits amrindiennescomme des G populations )) en continuit parfaite avec leur environnement dontles membres, cologistes spontans, doivent tre a prservs )) pour tre les dten-teurs de savoirs naturels hors du commun42. On sait que cette image jouit dunelarge audience, qui va des anthropologues tenants de lethno-cologie aux labo-ratoires pharmaceutiques amateurs de biodiversit (comme Shaman Pharma-ceuticals Inc.), en passant par le grand public cologiste. Ces auteurs ont remar-quablement dmontr en quoi cette

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    La Nature et sa traduction

    Ds lors quils entrent dans larne politique interethnique, les Indiens doiventdonc se dbattre, non sans perplexit, avec ce double langage sur la Naturede leurs interlocuteurs blancs. Il nest aujourdhui pour eux de discours poli-tique plus efficace que dans ce registre, rfutant la ngation productiviste deleurs adversaires tout en sefforant de. traduire leur altrit dans lcologismede leurs supporters (valorisant, dfaut dtre culturellement acceptable). Mais,au fond, quelque chose ne cesse de rebuter les Indiens dans ces deux discourssur la Nature, qui tient leurs prmisses communes. Exploitation ou prserva-tion renvoient en effet au mme prsuppos dune Nature-objet, rifie en ins-tance coupe de lhumanit et soumise ses desseins. Or, cette csure et cetanthropocentrisme sont on ne peut plus trangers aux conceptions des socitsamazoniennes, qui font du cosmos une totalit sociale rgie par un complexesystme dchanges symboliques entre sujets humains et non humains, dontle chamanisme est la pierre de touche.Davi ne cesse ainsi de sinsurger contre la vision blanche dune fort inerte,

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    Omam parle ainsi : < Ne dtruisez pas lendroit o habitent mes gendres [les Yano-mami] et mes esprits chamaniques ! n Cest ainsi que la nature parle aux blancs,mais ils ne comprennent pas. Ils sont sourds et ignorants. Leur pense est pleine devertige. Ils regardent leurs peaudcorces images [papier imprim, utub Sitte1 ,ils y voient dautres choses : le dessin crit des choses souterraines quils dsirent,le mtal, lor. Et ils pensent avec satisfaction quils sont intelligents.

    L environnement revisiteS i Davi sefforce de se conformer lusage de la notion de (meio mbiente).Ce terme, issu du discours cologiste, hante galement la rhtorique techno-

    cratique gouvernementale. La tentative de dmembrement des terres yanomamimene au cours des annes 80 par les militaires brsiliens la ainsi t au nomde la prservation de lenvironnement (Albert 1992a). Cette association lidede dmembrement et la polysmie du mot portugais meio (

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    Chamanisme et cologismeNotre ftichisation conomique de la Nature comme instance exclue ne nouslaisse le choix quentre la prdation aveugle, lutopie fusionnelle ou son moyenterme ) par les blancs, il les a nanmoins a entendues rapi-dement )) en assistant la destruction de la fort par les chercheurs dor47. Cestainsi, ajoute-t-il, quil sest mis penser droit N et que, pour la premire fois,la voix des Yanomami a pu tre entendue par les blancs :Au dbut les paroles de lcologie nexistaient pas. Aujourdhui elles se sont rvleset, cause de cela, les paroles yanomami se sont aussi rkles [...I Ces paroles se sontpropages partout !Aujourdhui les paroles yanomami ne sont plus caches. Aupara-vant, vous, les blancs lointains, vous ne nous connaissiez pas. Nous tions cachs commedes tortues sur le sol de la fort. Cest dans cet tat que les blancs dici nous mainte-naient. Mais vous, vous mavez dit souvent que je parlais avec sagesse, alors jai aussirvl mes paroles. Je suis devenu avis mon tour: Jtais ignorant, mais aprs avoirpris lhallucinogney2kana mon spectre a march sous la conduite des esprits de lafort. Jaivu a fort en train dtre dtruite. Alorsj ai commenc vouloir la protger.

    Propos qui, loin dindiquer que le discours cologiste soit devenu pour luiune rhtorique convenue, dmontrent quil a trouv l un mdium de symboli-sation interculturel adquat lexpression et la validation dun projet politiqueyanomami sur la scne nationale et internationale. Davi considre ainsi lcolo-gisme, avec intrt mais sans complaisance, comme un creuset discursif privil-gi pour linvention de lhistoire immdiate de son groupe. Cest, ses yeux,au mme titre que lethnicit, le lieu culturel dune adaptation crative, sur leplan symbolique et politique, un champ de forces interethniques qui ne laissegure dalternative. Sa conception de la cologie )) prend ainsi une configura-tion spcifiquement yanomami par sa rfrence premire aux esprits chamaniquesshabiribt? :

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    368 B R U C E A L B E R TAvant nous ne pensions pas : (( nous allons protger la fort ! )) Nous pensions queles esprits chamaniques shabirib nous protgeaient ! Voila tout. Ce sont les shabi-rib qui possdaient les premiers lcologie. Ils chassent les esprits malfiques, empchentla pluie de tomber sans arrt, font taire le tonnerre I...] et lorsque le ciel menacede seffondrer ce sont eux qui parlent lcologie. Ils protgent le ciel quand il veutse transformer, lorsque le monde veut sobscurcir. Ils sont lcologie, alors ils lenempchent. Nous possdions ces paroles depuis toujours mais vous, les blancs, vousavez invent la cologie n, puis ces paroles ont t dvoiles et propages partout !

    Lecologia, ce sont les paroles du crateur des shabirib, gardiens de la fort :Nous sommes des protecteurs de la fort. Nous ne voulons pas la dtruire parce queles esprits chamaniques shabirib lhabitent. Lcologie, ce sont les paroles dOmam.

    Ce sont galement leurs pouvoirs de rgulation des forces cosmiques, capablesaussi bien de prvenir leffondrement des cieux que de chasser les pidmies-fumes shawara de la fort. Davi qualifie ainsi de

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    LOr cannibale et la chute du ciel 369le prsent des enjeux de lethnicit (Tilkin-Gallois 1993). Certains pisodesmythiques font ainsi lobjet dextensions rtrospectives qui posent, en lesrinscrivant au temps des origines, les fondements de la rsistance territorialeyanomami (interdit sur les mtaux pathognes). Dautres sont soumis unrenversement prospectif qui lgitime cette rsistance

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    leaders de contact amazoniens renvoie un espace de relations et de rfrencesconstitutivement interethnique. Leur projet de reproduction culturelle et dcrituresymbolique de lhistoire en cours na de sens quau sein de cette nouvelle totalitet intertextualit sociales. Excellente invite, me semble-t-il, repenser le substan-tialisme sociologique qui nous fait trop souvent considrer les cultures et lessocits amazoniennes comme des monades mtaphysiques ( histoire dgn-rative) ou des satellites sociologiques de la frontire ( histoire induite).ORSTOM, Puris- Universit de Puris X-Nanterre

    N O T E S*1.2.

    3.4.5.6 .

    7.8.9.

    Je remercie Philippe Descola @HESS), Patrick Menget (Universit de Paris X-Nanterre) et EduardoViveiros de Castro (Museu Nacional, Rio de Janeiro) pour leur lecture critique dune premire ver-sion de cet article.On nommait drogas do sertao un ensemble de stimulants, colorants, condiments, substances mdi-cinales, rsines odorifrantes, graines olagineuses... Sur lhistoire de lAmazonie brsilienne,cf. FARAGE991 ; HEMMING 987 ; SANTOS 980 ; SWEET 974 ;WEINSTEIN983.Ouverture de rseaux routiers, construction douvrages hydro-lectriques, cration de programmesde colonisation, attraction de grands investissements dans les secteurs minier, agro-pastoral et forestier ;cf. AUBERTIN L ~ N A ,ds, 1986 ;BECKER 982 ;C N R SLa 111) 1977 ;DAVIS 977 ;MAHAR989 ;SCHMINK WOODS, ds, 1984.. .par lArme, les grandes entreprises publiques et prives (compagnies minires, forestires, hydro-lectriques, leveurs), les petits agriculteurs, les orpailleurs, les collecteurs de latex, les Indiens...Sur la logique de ces stratgies territoriales, cf. ALBERT, d., 1990 ;BECKER1990 ;BECKER t aZ.1990 ;LNA& OLIVEIRA,ds, 1991 ; SCHMINK WOOD1992.Cf.ALBERT1982 ;MENGET 982 ; PRESLAND979.La lgislation de rfrence est ici le Statut de lIndien de 1973. Taill sur mesure pour favoriserlavance de la nouvelle frontitre amazonienne, il donne cependant une dfinition juridique desterres indignes et confre 1Etat la responsabilit de leur dmarcation (OLIVEIRA ILHO985).I1 est en cours de refonte dans la perspective de la Constitution de 1988.Pour un rsum du dbat sur la notion dcr ethnie D, cf. TAYLOR 990 et, sur les organisations indi-gnes au Brsil, CARNEIROA CUNHA1986 : 97-108 ; OLIVEIRA 981 ; RICARDO 991.Contrairement aux formes de rsistance antrieures cette phase de territorialisation de la frontire(fuite, guerre ou messianisme).Les quelque 250 000 Indiens du Brsil (prs de 200 ethnies) reprsentent 0,2% de la populationnationale.10. CJ JACKSON989, 1991 ; RAMOS 1990 : 142-146 ;TURNER991a : 301, 1993 : 26.

    11. Sur le nouveau discours politique indigne en Amazonie, cJ CHAUMEIL990 ;HENDRICKS988,1991 ;MCCALLUM990 ;ORLANDI 990 : 209-232 ; RAMOS 1988 ;RIVAL 990;TILKIN-GALLOIS12. Lusage dune notion rifie de rc culture )) ou celui, simpliste, drc idologie )) sont lorigine dunvain discours su r lauthenticit qui hante le dbat sur lethnicit (CARNEIROA CUHNA 986 :103-107 ;CLIFFORD1988 : Introduction, chap. 12 ; ACKSON989). On en trouve une transposi-tion sur la scne indigniste o les leaders indiens, pour peu quils ne se conforment pas au rcilepolitique auquel on les voue, sont sempiternellement taxs de navet ou de cynisme.13. La transformation du meeting Indiens-cologistes contre Iles barrages du no Xingu dAltamira (fvrier1989) en rite traditionnel par les Indiens Kayap en est um bon exemple (TURNER 991b ; D. n.d. :

    160-167). Sur les rapports entre cosmologie, cologie et lutte politique indigne, cf. WHIEN 1978.

    1993 ; %RNE.R 1988.

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    LOr cannibale et la chute du ciel 37114. Ce dispositif spculaire est dj nou par le recours impos la langue dominante dans lexpressionpolitique : affirmation daltrit dans les catgories de lautre et de son dispositif dexclusion(ORLANDI 990 : 221-227).15. Cf. BERCROMBIE990 ;TAUSSIG1987 : chap. 12.16. Hors de cette double dimension le discours indigne tombe dans la langue de bois ou lincommuni-cabilit. Dans les deux cas, 16chec de ce mode de symbolisation conduit lchec politique. Samatrise fait, inversement, les grands leaders de contact.17. CJ TURNER.d. : 168. Ce processus dethnification (fixation ethnonymique et dfinition juridiquedu territoire) a pris forme A partir de 1978 dans la lutte contre un projet officiel de dmembrementlance par une association regroupant indignistes et anthropologues (CCPY) et reprise par les Indiensau cours des annes SO. Lexpression resistant adaptation est emprunt6e A louvrage de STERN1987)cit par WRIGHT 1992b).18. Le sud de leur territoire fut cependant durement, mais provisoirement, atteint par la constructionavorte dun segment nord de la Transamazonienne en 1973-1976 ( m o s 1979).19. Cf. RAY 1986 : 42-45 ; LOURENO990 : 148-154.20. Cf. LEARY 990 : 2-4 ;ABERS& LOURENO 992 : 9.21. Paapi est le nom dun poste de lorganisme indigniste officiel, la Fundao Nacional do Indio(FUNAI). Sur la monte en puissance de lorpaillage en territoire yanomami et linvasion de Paa-pi, cf. CCPY 1989 et la thse (en prparation) de G. MacMillan (Universit dgdimbourg).22. Les (( grands hommes D achuar transforment, de faon similaire, les instituteurs bilingues en gendresdpendants (TAYLOR981 : 661). Dpendance dautant plus grande pour Davi quil est un gendreen rsidence uxorilocale.23. Expression emprunte TURNER 1991a : 309).24. Nous avons ralis une interview filme condensant les thmes de cet enregistrement en mars 1990pour le CEDI (So Paulo) (KOPENAWA ALBERT 991).25. Ce travail, en cours, totalise ce jour une cinquantaine dheures denregistrements en yanomam,une des quatre langues de lensemble culturel et linguistique yanomami.26. Sur le cycle mythologique yanomam consacr Omam (et son mauvais frre Yoasi), cf. ALBERT1990.27. Les garimpeiros destructurent les sols alluvionnaires la lance eau haute pression et aspirentle gravier aurifre laide de moto-pompes. Pour une description des techniques dorpaillage enAmazonie brsilienne, CJ FEIJO & PINTO990 : 9 et CLEARY 990 : 19.28. Pour une opposition similaire dans le discours politique shuar, c l . HENDRICKS991. Lhallucino-gne yiikana est tu de la rsine darbres Virolasp. cristallise et pulvrise. Davi utilise, pourdsigner lcriture, le terme oni qui renvoit un motif de peinture corporelle form6 de tirets successifs.29. Bton fouir et hache de pierre (WILBERT SIMONEAU,ds, 1990 : 398).30. Le thme de lacquisition des plantes cultives grce un beau-pre aquatique se retrouve des Guyanes(RIVBE 1969 : 259-261) au haut Rio Negro (HUGH-JONES 979 : 296-297).31. Pour une version de ce mythe avec bton fouir, cf. WILBERT SIMONEAU990 : 405-407.32. Cf. UGH-JONES988 : 148-149 ;TOWNSLEY988 : 151-153.33. Le thme des objets manufacturs pathognes, combin ou non celui de la

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    38 . Sur cette ide de critique indigne du ftichisme de la marchandise, cJ TAUSSIG 980 : chap. 1,et WAGNER1975] 1981 : chap. 2.39 . Les chamanes peuvent ainsi capter 1(< mage vitale D des anctres animaux (yarorib) et des espritsmalfiques (n warib), celle de diverses entits cosmologiques et mythologiques ainsi que celle desblancs (nabnabrib).40 . Sur lassociation entre fin du chamanisme et fin du monde chez les Baniwa, cJ WRIGHT 992a :145.41 . HILL 1988 : 7 ; ce passage est cit et dvelopp par BROWN 991 : 390, 407, n. 5 ; cf. galementBROWN FERNANDEZ991 : 216-217 et 243, n. 9.

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    ABSTRACT

    Bruce ALBERT,annibal Gold and the Falling Sky. A Shamanic Critique of the PoliticalEconomy of Nature (Yanomami, Brazil).-Since the 1980s, the discourse of ethnic assertionand the territorial claims made by the new native leaders of Amazonia seems to borrowheavily on the ecologist rhetoric developped by their local or international allies. This articleaims to describe, on the basis of a Yanomami example, that this apparent mimetism hidesin fact a complex symbolic interplay between traditional cosmology and imposed categoriesof ethnicity. It shows further how this politico-symbolic bricolage produces an analyticalfeed-back into our own cultural construction of Nature.

    R E S U M E NBruce ALBERT,I Oro canibal y la caida del cielo. Una crtica chamnica de la economade la naturaleza (Yanomami, Brasil). - Desde la dcada de los ochenta el discurso deafirmacin tnica y de reivindicacin territorial de los nuevos lderes amaznicos parecedeslizarse en la retrica ecologista de sus aliados locales e internacionales. A partir de uncaso yanomami este artculo trata de mostrar como ese mimetismo aparente disimula enrealidad un complejo trabajo de imbricacin simblica entre cosmologa tradicional y categoriasimpuestas de la etnificacin. Por otro lado pretende delimitar el efecto analtico retroactivoproducido por ese (< bricolage n poltico-simblico sobre nuestra invencin cultural de laNaturaleza. I

    u

    Y