Upload
others
View
3
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Alcool et vieillesse:croyances,
représentations, réalités Dr Véronique Griner-Abraham
Psychiatre Secteur 29G01
CHRU de BREST 1
Mourir, la belle affaire mais
vieillir….! • Ce n’est pas seulement la
vieillesse et la dépendance
qui pose problème, c’est
aussi la conception de
l’homme et de sa
perfectibilité infinie…
• Comment peut-on exister
sans être performant?
• Comment peut-on exister en
étant vieux, affreux, sale et
méchant? Et dépendant!
2
Sérieux obstacles à
l’abord de ce sujet
• Culturels
• Ethiques
• Scientifiques
• Routine de la vie
quotidienne: impossible
d’imaginer une
naissance, un baptême,
un mariage, une
promotion, un départ à
la retraite sans « une
petite goutte »…
• Médicament du chagrin,
de la peine et de
l’ennui.
• Compagnon de la
grande misère.
3
Plan? Ce qu’on croit? Ce qu’on sait ou croit
savoir? Et alors, qu’est-ce qu’on en fait?...
• CROYANCES et IDEES RECUES? Quelle histoire a pris l’alcool dans la vie de ces générations?
Quelles représentations en ont-ils? Qu’en est-il de la société? Irreprésentable parce que tabou?
. SAVOIRS? Flous ….Notions épidémiologiques, cliniques, et psychopathologiques
• REALITES et inquiétudes: absence de prises en charge adaptées
gériatrie et alcoologie disciplines pauvres et non rentables!...
Alcoolodépendant et vieux: double peine!!! (N‘ont pas la chance de DSK….)
4
Représentations
sociétales
• Alcool: fléau reconnu au niveau des jeunes et même des adultes pas encore au niveau des vieillards.
• C’est manquer de bon sens, de culture et de compassion de ne pas laisser aux aînés « ce dernier petit plaisir ».
• Beaucoup de manifestations demeurent non diagnostiqués parce que prêtés à un état naturel et inévitable de la vieillesse.
5
Bénéfices à consommer? A propos de représentations…
• French paradoxe?
-affections cardio
vasculaires)
-DTA (risques minorés ou
moindre conversion MCI
DTA)
• La moyenne pour être
saoul? 8 ou 9 verres? Et
encore!....
• à table…Jamais en dehors
des repas…
• Jamais saoul!
• Le vin, ce n’est pas de
l’alcool…
6
Notre patient
classique…
• « un coup de barre, un verre de vin et le pépé, il est reparti pour un tour… »
• « je sais ce que je fais, jamais plus de 4à 5 verres par repas, avec un apéritif midi et soir, que du bon vin, jamais de bière… »
• « depuis que mon père a décrété que j’étais devenu un homme ».
• « le bon vin est bon pour la santé ».
• « je bois avec retenue, je ne suis jamais rond comme une barrique même pas au service militaire ».
7
8
Une boisson d’homme
Incroyable
mais vrai!
9
10
11
12
Premier dopage? Fortifiant…
après l’effort, le réconfort.. (après la tondeuse…)
le meilleur remède contre le mauvais temps!
13
Repérages ou abords difficiles
entre méconnaissances et réticences …
• Pertes d’obligations sociales
• Moindres occasions d’apparaître alcoolisé
• D’autant qu’il existe un isolement pas forcément que rural…
• Dans la mesure où il dérange moins, le patient âgé peut passer inaperçu.
14
Regard sociétal: entre complaisance,
déni, projection et angoisse? • Une réponse immédiate au besoin, qui
nous évite de réfléchir au manque, au désir, à la demande.
• Le plaisir, coupé de sa base inconsciente ,de l’histoire du sujet, n’a alors d’autres buts que lui-même.
• Quels sont ces désirs que je ne saurais voir? Désir de sagesse et sagesse des désirs….
• Quelle est cette demande que je ne saurais accompagner?
• Demande de savoir sur la mort???
15
Age et mésusage d’alcool:
un des plaisirs de la
vieillesse?
• La substance active la plus accessible aux personnes âgées, à domicile ou en institution.
• Platon interdit le vin aux jeunes, le recommande aux vieillards pour adoucir l’âpreté de la vieillesse: « le vin est le lait des vieillards… ».
• Baudelaire: « enivrez-vous pour ne pas être l’esclave du temps! »
• Little miss sun shine: « à ton âge, se droguer c’est criminel, à mon âge, c’est de ne le pas le faire qui est criminel ».
16
Parler d’alcool avec des sujets âgés: connaissances
théoriques peu développées, peu enseignées
• Le dernier plaisir: « on ne va pas lui retirer ça! »
• L’image parentale
• La crainte de blesser
• Protéger l’autre en se taisant (si maltraitance)
• Désir de mort inconscient (ultime forme de rejet, d’épuisement soignants aidants…)
17
• Sous estimation: présentations différentes.
• Invisibilité des vieux alcooliques?
• « le patient âgé dérange moins: il passe inaperçu »
• Si ils sont identifiés, ils sont orientés vers une offre de soins médicale aspécifique, plutôt qu’en addictologie ou en psychiatrie.
• Outils de référence chez l’adulte sont moins pertinents.
• « c’est parce qu’il est vieux ou qu’il perd la tête ».
18
Ces représentations
n’épargnent pas les soignants • En quoi le vieil alcoolique
est-il intolérable au point qu’on ne puisse le regarder?
• Manque de formation? Représentation caricaturale du mal et de l’alcoolique en coupable?
• 36% des soignants se sentent impuissants ou compatissants.
• 30% se sentent mal à l’aise ou fuyant.
• 24% sont moralisateurs ou répressifs.
Les soignants
• Ne sollicitent un avis médical ou d’une équipe spécialisée pour 1/3 des circonstances rencontrées et n’en parlent à l’intéressé qu’une fois sur deux.
• L’alcool: déviance, redevable d’éventuelles sanctions morales ou légales.
• Hostilité envers le malade alcoolique âgé.
• Réaction du soignant est en lien à sa propre relation à l’alcool: peu tolérant ou sous estimant?
• Présupposé du seul plaisir retiré des alcoolisations, d’un des derniers plaisirs de l’existence. 19
Des savoirs
balbutiants….
A propos de
l’épidémiologie, la clinique
et la psychopathologie…
20
21
42% des sujets âgés
consommeraient
plus d’un quart de
litre de vin par jour
15%consommeraient
un demi litre ou plus
Abus d’alcool
concerne 2 à 10%
des personnes
âgées
Alcoolisme
ancien
A commencé
avant 65 ans et
qui se
pérennise au
cours de
l’avancée en
âge avec des
modifications
Alcoolisme tardif
débute après 60
ans: le tiers des
alcooliques âgés!
22% des
personnes âgées
hospitalisées
suite à une chute:
sevrage difficile
épidémiologie
Image
d’antan?
Image du
présent
Évolutions à prendre en compte
L’alcoolo
dépendance de l’âgé:
c’est grave, docteur?
• Physiologie du vieillissement: diminution du métabolisme, de la masse maigre, augmentation de la masse grasse, baisse de l’eau corporelle, diminution de la capacité de filtration des reins
(Les alcoolémies sont plus fortes et leurs décroissances plus lentes à consommation égale que chez un adulte jeune)
• Risques d’abus et de dépendance plus forts!!!
23
Les sujets âgés sont fragiles vis-à-vis de
l’alcool!!!!!
• Poly pathologies
associées potentialisent les effets de l’alcool (Alzheimer, AVC) surtout affections psychiatriques (suicides par seize, dépression par 4)
• Qui dit polypathologies dit poly médications et iatrogénie
• Impact sur les fonctions cognitives
24
La grande complexité du problème de l’approche
de l’alcoolisme avec les personnes du 4è âge
• Haute valeur symbolique positive dans la relation au père, le fait passer de l’enfant à l’homme
• Intimement lié à sa vie sociale et culturelle, au bonheur et au plaisir de vivre
• Dimension inséparable du côté « bon vivant »
• Comment cet alcool qui fait grandir, qui procure de la joie, qui renforce l’aspect sociable et convivial, qui est bon pour la santé, dont il use avec modération, sans jamais éprouver d’ivresse, pourrait-il devenir subitement mauvais?
• Le médecin de famille qui le connait depuis 20 ans est totalement passé à côté du problème.
• Fausses certitudes et stigmatisations qui s’attachent à l’âge.
• Une boisson indissociable depuis longtemps de la nourriture quotidienne qu’on ne consomme que pendant les repas, sous entendant qu’il s’agit là du signe le plus évident de leur modération et de leur tempérance.
• Pour 1/3 des PA, l’alcoolique, c’est celui qui consomme de l’alcool vulgaire entre les repas et ne sait pas se tenir.
25
• Mieux connaitre les seuils limites
de consommation de l’alcool, en
fonction du sexe, des vulnérabilités
liés à l’âge, à l’histoire, au
contexte, aux habitudes de vie.
• Le problème de l’institution….peut
favoriser des accès répétés à
l’alcool et des situations à risques!
• Valorisé+++: boire un coup avant de conduire, fortifiant, conseillé aux femmes enceintes et allaitantes
• Réfléchir au seuil de consommation sans risques plutôt qu’au seul niveau de consommation.
• American gériatric sociéty: moins de 1 verre par jour (7 par semaine) et pas plus de 3 en une seule occasion.
• Moins pour les femmes. Zéro si pathologie médicale chronique ou thymique et si un traitement médicamenteux psychoactif est en cours
• Le conseil de s’abstenir de boire n’est pas forcément déplacé.
• Ne pas proposer plutôt que d’interdire autoritairement
26
La grande complexité du
dépistage et des soins,
même en institution…
Pourquoi à cet âge-là?Vulnérabilité?
Fragilité?
• Prédisposition à être attaqué, blessé
• Facteurs individuels: estime de soi, résilience, capacités adaptatives, ressources
• Facteurs environnementaux: milieu de vie, soutien social, services de santé
• Un même sujet peut être plus ou moins vulnérable selon les périodes de sa vie, du contexte, de ses ressources et de ses fragilités
• Vulnérabilité subjective ou perçue et une vulnérabilité objective et réelle en interactions permanentes
• « personne en situation avec toute sa complexité…. »
27
Quand la vulnérabilité
augmente • Après 70 ans
• Après 85 ans: accumulation de
tensions chroniques: situation
extrême de mise à l’épreuve de
leurs capacités d’ajustement au
stress
• Vulnérabilité physique, psychique,
sociale et environnemental
• Troubles somatiques, incapacités physiques et fonctionnelles, gestion du budget, mobilité
• Troubles cognitifs
• Troubles psychocomportementaux (familiarité excessive, méconnaissance des troubles, labilité de l’humeur, agressivité, jalousie, perte de motivation)
• Troubles mentaux: 40% des personnes dépendantes à l’alcool. (dépression, anxiété :alcool anxiolytique, apaisant, sédatif: initiation et perennisation…mais la dépression automédiquée par l’alcool n’explique pas tout
• Facteurs iatrogènes, pertes affectives, sensorielles,
• Douleur++++ 28
Pourquoi à cet
âge-là?
Hypothèses
psychopathologiques?
29
Vieillir
• Paroles d'écrivains
• Simone de Beauvoir: "Je suis devenue une autre alors que je demeure la même"
• Proust: "la vieillesse est de toutes les réalités humaines, celle qui demeure longtemps la plus abstraite"
30
31
Rater ou réussir
sa vieillesse???
• Les winners? Les résilients?
Mécanismes de défenses plus
souples, plus matures, plus
adaptées au long terme
Donnent du sens à leurs blessures
Bonne symbolisation des affects,
bonnes représentations
psychiques
Créativité, humour, intellectualisation,
altruisme, sublimation 32
Les loosers??? • Mécanismes de défense du sujet
âgé:
– Le déni avec projection et déplacement (délires)
– La régression avec souffrance psychique et dissolution démentielle (dépressions démences)
– L’addiction: sert d’étayage à l’existence, le protège d’une souffrance psychique, transforme l’inadaptation en une conduite
Hypothèses psychopathologiques de
l’addiction du sujet âgé
• De dépendances en
dépendances….
• Évitement de la
séparation?
• Moyen d’attaquer le
corps?
• Moyen de conjurer
l’attente? Et quelle
attente?
• Comment vieillir sans
être addict?
33
La vieillesse: Ruptures,
séparations, ou
changements
d’addiction?
• Dépendance extrême au conjoint:
et le veuvage?
• Dépendance au travail: et la
retraite?
• Dépendance à l’intellectualisation:
et les troubles de mémoire?
• Dépendance au sport: et le
handicap?
• Dépendance amoureuse ou
sexuelle: et la perte de séduction?
34
Sans compter la tolérance
sociale
Et sa hiérarchisation….
Les alcoolos dépendants
sont mieux tolérés que les
DSK en institutions
Les addictés à la télé plus
faciles à gérer que les
diabétiques boulimiques au
chocolat….
Attaquer le corps
vieillissant? • Passer du « corps que l’on a » au « corps que l’on est… » ….
• Le corps vécu l’emporte sur le corps vu, dedans sur dehors…
• accepter limites, lenteur et recul.
• Discriminer les sensations de douleur des sensations de plaisir.
• Créer de nouvelles références…(toucher, goût, odorat)
• « Il existe une sagesse du corps, parce qu’il y a des choses que l’on ne comprend que par lui » Nietzsche.
• Capacité à reconnaître l’altérité sans se sentir menacé?
35
Les winners
• Résurgence d’affects archaïques:
• Morcellement…Corps perçu en pièces détachées (dentier, lunettes, prothèses auditives, cannes….)
• Perte d’étanchéité et de contenant… (Incontinence…)
• Honte, isolement (mauvaises odeurs…)
• Angoisses de séparation : mère toute puissante et son envers persécutif
La question du corps:
Les loosers….
• Vieillir, c’est consentir au temps, une forme de résignation, de réconciliation avec le monde…
• « dans le temps qu’il me reste? » estimation intuitive de sa capacité à faire désormais aboutir certains de ses projets, ce n’est pas une soustraction à lui-même, mais une soustraction des possibles.
• L’alcoolodépendant n’a jamais consenti au temps, il ne vit que dans le temps présent, pas dans le futur.
• Ses prises de risques???: pas la destruction de soi, mais une forme de reconstitution d’une identité illusoire, d’un narcissisme aliénant. Forcément séduisant quand on est un vieux looser!
• Il existe un désarroi incapable de préparer la société à cette époque de la vie: réfléchir sur le sens de la vie et non plus sur son usage
La question du temps:
37
Prendre
soin…
• Résistance au traitement, défaut de
soins adaptés.
• Soigner l’alcoolisme du sujet jeune
pour ne pas devenir un vieil
alcoolique.
• Les malades de l’alcool vieillissant
vient leur situation se dégrader et
les offres de soin limitées (« au
point où il en est… »
• On a tous le droit de traverser une
période de vulnérabilité sans en
avoir l’étiquette à vie !!!
• Pourquoi avoir besoin de concepts
aussi idiots que bientraitance et
vulnérabilité????
• Résister au fatalisme, à la complaisance…qui retire toute forme d’amélioration: rajouter de la vie aux années, pas des années à la vie
• Cesser d’improviser, de faire avec les moyens du bord, de dénier, de tolérer jusqu’à…,de le réduire à un trouble du comportement, de sanctionner (éviction, punition…)
• Cesser de prendre parti entre sujet, famille, institution
38
Savoir s’interroger et se poser des questions
• Isoler le symptôme de l’économie psychique du sujet… Le
symptôme a un sens dont nul médicament ne peut le priver
(exemple, sens des douleurs…)
• On objective l’autre pour échapper au facteur d’identification
source d’angoisse. On codifie informatiquement les actes, rendre
compte de la réalité d’une manière rationnelle?
• Une société d’experts où l’autorité est fonction de compétences
nommées par autrui….système qui peut rapidement laisser de côté
les plus démunis (il n’y a pas d’urgentistes
addictopsychogériatres…ne rentrent pas dans les cases, ne sont
pas rentables…)
• On crée des lieux où on veut résoudre les problèmes (et ça a l’air
de les aggraver…)
• On se lance dans une quête effrénée de consensus:
« à quand la conférence de consensus sur conduite à tenir face à la
mort lente du vieillard? À quand la conférence de consensus sur
l’arrêt des soins aux alcooliques de plus de 75 ans? » 39
Réalités du terrain
• On confond besoin et demande, pour éviter la question du sens, la
question du manque, la question du désir….
• A l’hôpital, il y a beaucoup de demandes sans besoins et de besoins
sans demandes….Confortable pour certains soignants….
• Moins la loi fonctionne, plus on a besoin de médiateurs…on n’a plus de repères internes permettant d’affronter ce qui est dissemblable! or la vieillesse et l’addicté confrontent au dissemblable, à l’altérité.
• La vie psychique n’a plus sa place et seul ce qu’on croit être pragmatique et mesurable compte.
• On s’enferme dans des discours théoriques au détriment de l’accueil de la parole de l’autre…
• Le temps du soin est soumis à des contraintes budgétaires: rapidité, productivité…
• Savoir être au clair avec son attitude temporelle, accepter, accepter des risques calculés et des tensions élevées, être ouvert au risque et à la mort, à notre propre mort aussi.
40
En conclusion • Alcool et vieillesse, c’est une
question compliquée ….qui mérite
qu’on se la pose.
• 3 choses à retenir?
1) les représentations et les
croyances sont toujours
intimement liés à une génération et
à un parcours singulier: en tenir
compte.
2) Vieillir, c’est très fatigant
physiquement et psychiquement et
recourir à l’alcool peut être très
séduisant! Remplacer une ancienne
addiction, attaquer ce corps hideux,
conjurer l’attente de la mort, entre
autres…
3) les réalités épidémiologiques et
cliniques sont banalisées voire
niées, ce qui explique le no man’s
land des prises en charge
41
• S’il faut beaucoup
d’amour pour vivre, il
fait beaucoup
d’humour pour bien
vieillir
42
Merci de votre attention…