Analyse de la thèse d'Élizabeth Teissier

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  • 8/14/2019 Analyse de la thse d'lizabeth Teissier

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    Analyse de la thse de

    Madame Elizabeth Teissier

    soutenue le 7 avril 2001 l'Universit Paris et intitule :

    Situation pistmologique de l'astrologie travers l'ambivalencefascination/rejet dans les socits postmodernes

    Table des matires

    Introduction

    La non thse de sociologie d'Elizabeth TeissierBernard Lahire, Sociologue, Professeur l'ENS Lettres et Sciences Humaines

    avec la collaboration de

    Philippe Cibois, Sociologue, Professeur l'Universit de Versailles St-QuentinDominique Desjeux, Anthropologue, Professeur l'Universit Paris V

    Une non-thse qui cache mal une vraie thse :un plaidoyer pro-astrologique

    Jean Audouze, Astrophysicien, Directeur du Palais de la dcouverteHenri Broch, Physicien, Professeur lUniversit de Nice Sophia-Antipolis

    Jean-Paul Krivine, Rdacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences.Jean-Claude Pecker, Astrophysicien, Professeur honoraire au Collge de France, membre de lInstitut

    Denis Savoie, Historien des sciences, Palais de la Dcouverte

    Remarques philosophiques conclusivesJacques Bouveresse, Philosophe, Professeur au Collge de France

    Lundi 6 aot 2001

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    Introduction gnrale

    Suite aux diverses ractions publiques qui ont suivi la soutenance de thse de MadameElizabeth Teissier, le 7 avril 2001 l'Universit Paris V, le directeur de la thse ainsi qu'unepartie des membres du jury ont immdiatement ragi en s'indignant du fait que l'on puisse

    se prononcer sur une thse sans l'avoir lue. Ceux qui s'levaient contre un trs probabledysfonctionnement des procdures universitaires taient ainsi accuss de manquer duminimum de srieux requis. Comme il est frquent en pareil cas, ce sont ceux qui nerespectent aucune des rgles les plus lmentaires de la rigueur intellectuelle (sans mmeparler de rigueur scientifique) et commettent les plus grandes fautes, qui accusent ceux quiont laudace d'en parler de faire preuve d'un manquement caractris aux rgles.

    Mais l'argument selon lequel on ne peut juger que "sur pice", mme s'il tait enl'occurrence utilis comme un moyen de faire taire le doute lgitime, est videmmentparfaitement recevable. La thse n'tait pas lue, il fallait donc prendre le temps de la lire. Eten tout premier lieu, il revenait des sociologues de se prononcer, puisque la thse(Situation pistmologique de l'astrologie travers l'ambivalence fascination/rejet dans lessocits postmodernes) tait une thse inscrite en sociologie, dirige par un professeur desociologie, value par un jury compos essentiellement de sociologues.

    Une fois tablie l'absence de sociologie tout au long de la thse qui prtend pourtant serattacher l'une des grandes traditions sociologiques (cf. "La non thse de sociologied'Elizabeth Teissier"), le rapport de lecture pourrait se conclure sur un jugement dedysfonctionnement des procdures universitaires, pour ne pas dire plus. Mais la thse seplace elle-mme sur un terrain qui chappe totalement au sociologue. Par ses multiplesrfrences des mcanismes clestes et par la revendication permanente de la lgitimitacadmique et scientifique du discours astrologique, l'auteur de la thse oblige le lecteur-sociologue passer le relais aux physiciens et astrophysiciens afin qu'ils se prononcent sur

    le degr de srieux des rfrences et citations scientifiques utilises, ainsi que desarguments ou des "preuves irrfutables en faveur de l'influence plantaire"(cf. "Une non-thse qui cache mal une vraie thse : un plaidoyer pro-astrologique").Enfin, parce qu'il estquestion d'pistmologie dans la thse, que les rfrences des philosophes sont multipleset que la philosophie tait reprsente dans le jury de thse, il paraissait logique d'examinerla thse partir d'un point de vue philosophique (cf. "Remarques philosophiquesconclusives").

    Un tel rapport de lecture tait indispensable pour qu'un peu plus de vrit sur cette thsesoit porte la connaissance du public. Il a demand un long et minutieux travail sur letexte, et ceux qui ont contribu sa rdaction ont consenti un tel investissement avecl'espoir qu'il soit utile au plus grand nombre.

    Le 6 aot 2001

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    La non thse de sociologie d'Elizabeth Teissier

    par

    Bernard Lahire, Sociologue, Professeur l'ENS Lettres et Sciences Humaines

    avec la collaboration de

    Philippe Cibois, Sociologue, Professeur l'Universit de Versailles St-QuentinDominique Desjeux, Anthropologue, Professeur l'Universit Paris V

    Le samedi 7 avril de cette anne, Madame G. Elizabeth Hanselmann-Teissier (diteElizabeth Teissier) soutenait une thse de sociologie (intitule Situation pistmologique del'astrologie travers l'ambivalence fascination/rejet dans les socits postmodernes) l'Universit Paris V, sous la direction de Michel Maffesoli 1.Les membres prsents de sonjury il s'agissait, outre son directeur de thse, de Serge Moscovici 2, Franoise Bonardel3

    et Patrick Tacussel4 (Gilbert Durand5s'tant excus de ne pouvoir tre prsent et PatrickWatier6n'ayant pu se rendre la soutenance en raison de grves de train) lui ont accordla mention "Trs honorable". Cette mention est la plus haute qu'un candidat puisse recevoiret le fait qu'elle ne soit pas assortie des flicitations du jury n'te rien l'apprciation trspositive qu'elle manifeste (de nombreux universitaires rigoureux ne dlivrant la mention"trs honorable avec les flicitations" que dans les cas de thses particulirementremarquables). Deux professeurs avaient pralablement donn un avis favorable lasoutenance de cette thse sur la base d'une lecture du document : Patrick Tacussel et PatrickWatier. Formellement, Madame Elizabeth Teissier est donc aujourd'hui docteur ensociologie de l'universit de Paris V et peut entre autres choses prtendre, ce titre,enseigner comme charge de cours dans les universits, solliciter sa qualification afin de se

    prsenter des postes de matre de confrences ou dposer un dossier de candidature unposte de charge de recherche au CNRS.

    Une lecture rigoureuse et prcise de la thse dans son entier(qui fait environ 900 pages sil'on inclut l'annexe intitule "Quelques preuves irrfutables en faveur de l'influence

    1. Ce n'tait pas la premire fois que M. Maffesoli faisait soutenir une thse en rapport avec l'astrologie.Ainsi, en 1989, S. Joubert a soutenu une thse de doctorat intitule Polythisme des valeurs et sociologie : lecas de l'astrologie l'Universit de Paris V, sous sa direction. Le rsum de cette thse manifeste un styled'criture d'une aussi douteuse clart que celui que l'on dcouvre dans la thse d'lizabeth Teissier (Source :Docthese 1998/1).

    2. Directeur d'tudes l'EHESS (psychologie sociale).

    3. Professeur de philosophie l'Universit de Paris I.

    4. Professeur de sociologie l'Universit de Montpellier III.

    5. Professeur mrite l'Universit de Grenoble II, Fondateur du Centre de Recherche sur l'Imaginaire.

    6. Professeur de sociologie l'Universit de Strasbourg II.

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    plantaire", p. XII-XL) conduit un jugement assez simple : la thse d'E. Teissier n'est, aucun moment ni en aucune manire, une thse de sociologie . Il n'est pas mme questiond'un degr moindre de qualit (une "mauvaise" thse de sociologie ou une thse"moyenne"), mais d'une totale absence de point de vue sociologique, ainsi qued'hypothses, de mthodes et de "donnes empiriques" de nature sociologique.

    Ce sont les diffrents lments qui nous conduisent ce jugement que nous voudrionsexpliciter au cours de ce rapport de lecture en faisant apparatre que la thse 1) ne fait quedvelopper un point de vue d'astrologue et 2) est dpourvue de tout ce qui caractrise untravail scientifique de nature sociologique (problmatique, rigueur conceptuelle, dispositifde recherche dbouchant sur la production de donnes empiriques...).

    UN POINT DE VUE D'ASTROLOGUE

    Que l'astrologie (l'existence bien relle d'astrologues), les modes d'usage et les usagers (faible ou forte croyance) de l'astrologie constituent des faits sociaux sociologiquementtudiables, que l'on puisse rationnellement (et notamment sociologiquement ou

    ethnologiquement, mais aussi du point de vue d'une histoire des savoirs) tudier des faitsscientifiquement perus comme irrationnels, qu'aucun sociologue n'ait dcider du degrde dignit des objets sociologiquement tudiables (en ce sens l'astrologie comme fait socialest tout aussi lgitimement tudiable que les pratiques sportives, le systme scolaire oul'usage du portable), qu'un tudiant ou une tudiante en sociologie puisse prendre pour objetd'tude une ralit par rapport laquelle il a t ou demeure impliqu (travailleur socialmenant une recherche sur le travail social, instituteur faisant une thse de sociologie del'ducation, sportif ou ancien sportif pratiquant la sociologie du sport...), ne fait nos yeuxaucun doute et si les critiques adresses Michel Maffesoli et aux membres du jury taientde cette nature, nul doute que nous nous rangerions sans difficult aux cts de ceux-ci.Tout est tudiable sociologiquement, aucun objet n'est a priori plus digne d'intrt qu'unautre, aucun moralisme ni aucune hirarchie ne doit s'imposer en matire de choix desobjets, seule la manire de les traiter doit compter.

    Mais de quelle manire E. Teissier nous parle-t-elle d'astrologie tout au long de ses 900pages ? Qu'est-ce qui oriente et structure son propos ? La rponse est assez simple, car il n'ya aucune ambigut possible sur ce point : le texte d'E. Teissier manifeste un point de vued'astrologuequi dfend sa "science des astres" du dbut jusqu' la fin de son texte, sansrepos. Et pour ne pas donner au lecteur le sentiment d'un parti-pris dformant, nousmultiplierons les extraits tirs du texte de la thse en indiquant entre parenthses larfrence des pages (afin de donner la possibilit de retourner aisment au texte)7.

    Des commentaires astrologiques

    La premire caractristique notable de cette thse est l'absence de distance vis--vis del'astrologie. On y dcouvre de nombreux commentaires astrologiques sur des personnes,des vnements, des poques. Par exemple, sous le titre "Application de la mthodeastrologique : l'analyse du ciel natal d'Andr Malraux", les pages 120 131 de la thse

    7. Tout ce que nous mettons entre guillemets dans ce texte sont des extraits de la thse. Les italiques sont deschoix de soulignement de l'auteur de la thse et les gras sont nos propres soulignements de lecteur.

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    relvent clairement d'une "analyse astrologique" de la destine de l'crivain et ancienministre ("plutonien grand teint"). M. Weber est qualifi de "taureau pragmatique" (p. 38)et l'on "apprend" diversement que G. Simmel est "Poisson", que W. Dilthey est "Scorpion",que le psychologue C. G. Jung est "Lion" (p. 250), que l'ancien PDG d'Antenne 2, MarcelJullian, est "Verseau", etc. chaque fois l'auteur, nous gratifie d'une analyse mettant encorrespondance le "ciel natal" de la personnalit et sa pense.

    E. Teissier est d'ailleurs trs claire quant la primaut de l'explication astrologique sur toutautre point de vue (dont le point de vue sociologique qu'elle est cense mettre en uvredans le cadre d'une thse de sociologie) pour comprendre les faits sociaux. Critiquant unecitation de Serge Moscovici qui voque les causes sociales des crises, elle crit : "il noussemble qu'il occulte en l'occurrence la dimension cosmique desdits phnomnes ; unedimension qui, selon le paradigme astrologique et notre conviction vient coiffer lesocial. En effet, le social est loin d'expliquer toutes les crises... qui se produisent dans lasocit. preuve les actions totalement illogiques, non linaires, non-logiques etinexplicables autrement que par le paramtre astral qui joue alors le rle de paramtreclairant et englobant coiffant le non-logique apparent." (p. 525). C'est l'astrologie qui

    explique les faits psychologiques, sociaux et historiques.

    Et c'est E. Teissier qui conclut elle-mme son premier tome par un lapsus(sociologiquement comprhensible) ou un aveu, comme on voudra, consistant parler de sarflexion comme relevant d'un travail d'astrologue et non de sociologue : "Le travail del'astrologuesera maintenant d'interprter ces donnes, de tenter aussi de les expliquer. Etce, ainsi que nous sommes convenus depuis notre tude, travers l'outil de lacomprhension. Rappelons-nous en quels termes Weber dfinit la sociologie dansWirtschaft und Gesellschaft..." (p. 463)

    L'astrologie est ce point structurante du propos que, bien souvent, la manire dont E.Teissier conoit son rapport la sociologie consiste puiser dans les textes de sociologuesdes lments qui lui "font penser" ce que dit ou fait l'astrologie. Dans la sociologie, uneastrologie sommeille :

    [ propos de la notion astrologique d'interdpendance universelle] "Une notion qui, ensociologie, peut tre rapprochedu Zusammenhang des Lebens(liaison du vcu au quotidien)de Dilthey, d'une cohrence de la vie o chaque lment est pris en compte et complte le donnsocial" (p. XIV)

    " noter que la typologie zodiacale rappellela thorie wbrienne de l' idal-type, dans la mesureo chaque signe correspond au prototype purement thorique d'une personnalit, en liaison avecle symbolisme du signe." (p. 248)

    Point de vue normatif et envoles prophtiquesLe point de vue sociologique n'est pas un point de vue normatif port sur le monde. Lesociologue n'a pas, dans son tude des faits sociaux, dire le bien et le mal, prendre partieou rejeter, aimer ou ne pas aimer, faire l'loge ou condamner. En l'occurrence, unesociologie de tel ou tel aspect du "fait astrologique" ne doit en aucun cas se prononcer enfaveur ou en dfaveur de l'astrologie, dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Or,Elizabeth Teissier demeure en permanence dans l'valuation normative des situations, despersonnes et des points de vue, prouvant qu'elle crit en tant qu'astrologueet nonen tant

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    que sociologue des pratiques astrologiques. Ce jugement normatif se manifeste, commenous le verrons tout au long de ce rapport de lecture, diffrents niveaux :

    1) Dans l'valuation positive (dfense) de l'astrologie. De ce point de vue, tous les moyenssont bons pour prouver l'intrt de l'astrologie. E. Teissier se sert de faon gnrale de lalgitimit des "grands" qui auraient accord de l'intrt pour l'astrologie 8, quelle que soit lanature de leur "grandeur" (elle peut ainsi tout aussi bien citer Balzac, Goethe, Fellini,Thomas d'Aquin, Bacon, Newton, Kepler, Einstein, Jung, Laborit, le roi Juan Carlosd'Espagne ou l'ancien Prsident Franois Mitterrand) : politique, cinmatographique,philosophique, littraire et, bien sr, scientifique.

    2) Dans l'valuation ngative de la partie des astrologues jugs peu srieux, mais aussi de lavoyance et autres pratiques magiques. Si E. Teissier ne se prive pas d'tre dans le jugementpositif l'gard de l'astrologie qu'elle qualifie de "srieuse", elle n'hsite pas porter unregard ngatif sur les autres pratiques. En portant de telles apprciations, elle se comportealors en astrologue en lutte pour le monopole de la dfinition de l'astrologie lgitime, etnullement en sociologue.

    3) Dans l'valuation ngative des scientifiques (astronomes notamment, mais passeulement) qui ne veulent pas reconnatre la lgitimit de la "science des astres" (cf. infra"L'astrologie victime d'un consensus socioculturel et de la domination de la scienceofficielle").

    4) Dans l'valuation ngative de nombres de journalistes ou de mdias qui se moquent desastrologues et de l'astrologie (cf. infra "Les donnes : anecdotes de la vie personnelle,mdiatique et mondaine d'E. Teissier).

    Mais de mme qu'il ne doit tre ni dans l'loge ni dans la dtestation, le sociologue n'tudieque ce qui est et non ce qui sera. Or, E. Teissier annonce l'avenir de nombreuses reprises,

    prophtisant ce qu'elle dsire ou, comme on dit plus ordinairement, prenant ses dsirs pourdes ralits ( venir). Si l'astrologue critique la lecture de l'avenir dans le marc de caf, ellen'hsite cependant pas elle-mme prdire l'avenir sur la base de ses simples intuitionspersonnelles :

    "Nous oserons mme tenter une incursion imaginaire dans l'avenir, la recherche, en quelquesorte, du temps futuret de l'volution probable du phnomne socio-astrologique" (p. 69)

    "Car la raison sche, la raison ratiocinante a fait son temps. Voici venir l'ge d'une raison ouverte,d'une raison plurielle, rconcilie avec la passion et le vitalen l'homme, sa libido ou pulsionvitale vhiculant la fois sa sensibilit et son feu intrieur." (p. 834)

    "Mais les nouvelles nergies sont en marche, comme l'annonce Abellio, l'incendie de la nouvellescience fera irruption dans le monde" (p. 850)

    L'astrologie est une science, voire la plus grande des sciences

    8. Nous ne vrifierons pas ici la vracit des sentiments positifs l'gard de l'astrologie que l'auteur prte diverses personnalits.

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    Une lecture exhaustive de la thse fait apparatre que l'auteur soutient que l'astrologie estune science. L'auteur parle diversement de la "science des astres" ( de trs nombreusesreprises tout au long de la thse) ou de "la science empirique des astres" (p. 258), de "lascience par excellence de la caractrologie" (p. XI), de "la science par excellence de lapersonnalit" (p. 92 ou 815), de la "science de la qualit du temps" (p. 112), d'une "scienceempirique par dfinition" (p. 769) ou de "la reine des sciences" (p. 72)9. Parfois l'astrologieest considre comme une science sociale parmi d'autres, parfois comme une "science del'esprit" oppose aux "sciences de la nature" ou une "science humaine" (p. 98) oppose l'astronomie comme "science de l'observation".

    Mais on trouve aussi, toujours dans l'ordre de la rfrence scientifique, des revendicationsde plus grande dignit et de supriorit. Non seulement l'astrologie est une science, maisc'est la plus haute des sciences :

    "Elle apparat de ce fait comme peut-tre la seule science objective de la subjectivit, avec cequ'elle peut contenir d'hnaurme, au sens ubuesque du mot, et de drangeant." (p. 250)

    "L'astrologie estlamathmatique du tout(dans la Rome antique, les astrologues taient d'ailleursappels les mathematici). Elle est holistiquement logique, au contraire d'une logique fragmentaire,linairement rationnelle." (p. 501)

    "Que connaissaient-ils tous de cette science ? Car nos yeux, c'en tait une, une sciencehumaine bien plus charpente que beaucoup d'autres, qui taient respectes, elles. D'o venaitque la plus vrifiable tait justement la plus tabou, la plus salie, la plus rejete ? croire que lavrit tait maudite quelque part." (p. 597-598)

    Il ne faut cependant pas attendre de l'auteur trop de cohrence au sujet de la scientificit del'astrologie, car elle peut tout aussi bien soutenir d'autres moments que ce savoir se situeentre le mythe et la science ou qu'il est finalement en lien avec la plupart des scienceshumaines et sociales, la philosophie, la posie, la religion et la mythologie. Cette varit

    des dfinitions htrognes participe de la volont de mettre en vidence l'extraordinairerichesse et l'irrductible complexit de l'astrologie (p. 21, 210, 478, etc.).

    Ailleurs encore, l'astrologie est prsente comme tant presque l'avant-garde du "Nouvelesprit scientifique" et participant d'une "pistmologie de la complexit". Non seulementelle est une science, et l'une des plus grandes d'entre elles, mais en plus elle s'avre plusavance que toutes les autres :

    Le "systme astrologique" est "orient sur la loi hermtique des correspondances, sur l'ide desympathie universelle, autrement dit sur la notion, essentielle pour le Nouvel Esprit scientifique,d'interdpendance universelle" (p. XIV)

    "l'astrologie [...] non seulement ne serait pas en contradiction avec le paradigme du Nouvel espritscientifique, mais serait au contraire depuis toujours en congruence totale avec ce dernier"(p. 752)

    Mais si l'astrologue est si en avance, c'est nous explique l'auteur sans rire qu' ladiffrence de l'astronome "qui a en gnral une approche purement physique et mcaniste

    9. Elle crit par ailleurs : "D'autre part, la tlpathie ne s'est elle pas impose comme discipline scientifiquedepuis les expriences de Rhine ?" (p. 281).

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    de sa science" et qui "est hypnotis par la petitesse des astres, leur loignement, leur faiblemasse par rapport au Soleil", lui, "en coute la musique" (p. 98). La tristesse du savoir decelui qui "value le poids et la matire du disque, ses dimensions et sa temprature, supputesa densit" (p. 98) est grande face la joie de celui qui sait couter "la musique des sphres,chre dj Plotin, avant qu'elle ne fasse rver Kepler" (p. 98).

    L'astrologie victime d'un consensus socioculturel et de la domination de la "scienceofficielle"

    Pourquoi, se demande E. Teissier, l'astrologie ne bnficie-t-elle pas de la lgitimitacadmique (universitaire) et scientifique (au CNRS) ? Sa rponse formule maintesreprises dans le texte est la suivante : l'astrologie ("la sciences des astres") est victimed'un rapport de domination qui est parvenu instaurer un vritable consensus socioculturelen sa dfaveur. La science, souvent rebaptise "science officielle", "pense unique" ou"conformiste", opprime l'astrologie et fait croire au plus grand nombre qu'il s'agit d'une"fausse science" en cachant la ralit des choses ("conjuration du silence", p. 816). La"science officielle" est donc considre comme une idologie dominante, un "lieutotalitaire", un "imprialisme" ou un "terrorisme" face cette "contre-culture" astrologiquequi est maintenue dans un vritable "ghetto". Pire encore, la science n'est qu'affaire de"mode" et de "convention" et ne parvient maintenir sa domination que par unenseignement officiel qui dicte tous ce qu'il est bon de penser.

    Les "prjugs" et les "clichs" sont ainsi du ct de la "science officielle". Les rationalistessont "agressifs", "dogmatiques", "attards" et sont accuss de manque de curiosit pour nepas vouloir s'intresser l'astrologie et, surtout, pour ne pas lui trouver de l'intrt :"Aujourd'hui, l'obscurantisme, l'opposition aux Lumires n'est plus du ct que l'on croit."(p. 816).

    L'argument relativiste

    On voit bien qu'invoquant le consensus socio-culturel et la domination, E. Teissier avanceles lments clefs de la position la plus navement relativiste. Remplacez les enseignants dephysique par des enseignants d'astrologie, appelez l'astrologie la "science des astres" etimposez la tous ceux qui passent par l'institution scolaire et vous verrez que la Thorie dela Relativit ne vaut gure mieux que l'analyse astrologique du ciel natal. Tout est affaire demode et d'imposition purement arbitraire. Tout est relatif.

    Il suffirait donc de changer les "critres scientifiques" et de conception de ce que l'onappelle une "preuve" pour faire passer l'astrologie de l'tat de connaissance opprime

    l'tat de vritable science :"chaque fois, on voulut faire rentrer l'astrologie dans le moule des critres classiques descientificit, et celui de Procuste tait chaque fois trop petit, on s'en doute." (p. 743)

    "Tout le problme [...] rside dans l'acception qu'on peut donner du mot preuve, car ce que lesastrologues allgueront sous ce nom sera dni par les scientifiques hostiles l'astrologie."(p. XIV)

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    Par ailleurs, si E. Teissier insiste de nombreuses reprises sur l'absence d'enseignement del'astrologie l'universit et sur l'absence de dpartement de recherche astrologique auCNRS, c'est bien pour dfendre la thse de la valeur relative de la science actuelle et del'enseignement tel qu'il est pratiqu. partir d'un tel argument, fond sur l'ide de vritcomme pur effet d'un rapport de force, on pourrait tout aussi bien dire qu'en enseignantofficiellement l'"art de lire dans les lignes de la main" et en rebaptisant la chiromancie"science de la prdiction des destins individuels" on pourrait imposer un nouvel tat de lapense scientifique, ni plus ni moins valable que le prcdent ou que le suivant.

    E. Teissier met donc des commentaires astrologiques, se livre une dfense de l'astrologiequi est, pour elle, la "reine des sciences" et adopte sans discontinuit le point de vuenormatif de l'astrologue plutt que le point de vue cognitif du sociologue tudiantl'astrologie. Est-ce que, malgr tout, ce point de vue d'astrologue et ce plaidoyer pourlastrologie saccompagnent d'une rflexion et d'un travail de recherche sociologiques ?L'objet de notre deuxime partie est de montrer qu'il n'en est rien.

    LE MAUVAIS TRAITEMENT DE LA SOCIOLOGIEIl n'y a, dans le texte d'E. Teissier, aucune trace de problmatique sociologique un tant soitpeu labore, de donnes empiriques (scientifiquement construites) ou de mthodes derecherche dignes de ce nom. L'"hypothse" floue annonce (" savoir cette ambivalencesocitale o prime cependant la fascination, ambivalence qui frise parfois le paradoxe et quifait figure de schyzophrnie (sic) collective", p. 7) n'est d'ailleurs qu'une affirmation parmid'autres qui ne dbouche sur aucun dispositif de recherche en vue d'essayer de la valider(mais telle qu'elle est formule, on a en effet du mal savoir ce qui pourrait tre valid ouinvalid).

    En revanche, on a affaire, comme nous allons le voir, de nombreux usages douteux des

    rfrences sociologiques, des propos clairement a-sociologiques et anti-rationalistesexprims dans un style d'criture pompeux et creux, ainsi qu' des "donnes" anecdotiqueset narcissiques (E. Teissier la tlvision, E. Teissier et la presse crite, E. Teissier et sesdmls avec les scientifiques, E. Teissier et les hommes de pouvoir, Le courrier deslecteurs d'E. Teissier...) suivis de commentaires le plus souvent polmiques (rglements decompte ou rcits des rglements de compte avec telle ou telle personnalit de la tlvision,tel ou tel scientifique, etc.) ou d'une srie de citations d'auteurs rarement en rapport avec lespropos qui les prcdent et avec ceux qui les suivent.

    Contresens et mauvais usages

    La thse est truffe de rfrences sociologiques souvent affligeantes pour leurs auteurs(Durkheim, Weber, Berger et Luckmann...) et se lance parfois dans des critiques quimontrent que les auteurs critiqus n'ont pas t compris. Il faudrait videmment desdizaines de pages pour relever chaque erreur de lecture, chaque absurdit, chaquetransformation des mots et des ides des auteurs cits et expliquer pourquoi ce qui est dit neveut rien dire tant donn ce que les auteurs comments voulait asserter.

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    Par exemple, le sociologue allemand Max Weber est particulirement mal trait,systmatiquement dtourn dans le sens o l'auteur de la thse a choisi de le fairetmoigner. Weber, prsent comme le dfenseur d'un "subjectivisme comprhensif" (p. 37)est ainsi inadquatement invoqu propos de l'"interactionnisme" :

    [ propos des gens qui sont ns le mme jour et qui se rendent compte qu'ils ont des points

    communs]: "On a ainsi des questions du genre : Au fait, que vous est-il arriv en 1978 ? N'avez-vous pas comme moi divorc ? Et l'autre de rtorquer : Tiens donc, c'est intressant. C'est bienfin 1978 que mon couple a connu la crise la plus forte et il est vrai qu'avec ma femme nous avonssong nous sparer... n'en pas douter, ce genre de similitude cre des liens, dans la mesureo l'on se retrouve peu ou prou dans l'Autre et/ou que l'on s'y projette. travers le dialogue quis'instaure, on a affaire un vritable interactionnismequi, selon Weber, est une activit [...] quise rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel s'oriente son droulement" (p. 405-406)

    La "sociologie comprhensive" est invoque tort et travers. L'auteur crit qu'elle vamettre en uvre "la mthode de la comprhension" (p. VII) en interprtant vaguement la"sociologie comprhensive" comme une sociologie qui donnerait raison aux acteurs (et, enl'occurrence, aux astrologues). Ne pas rompre avec l'astrologie, lui (se) donner d'embleraison et voir en quoi tout ce qu'on peut lui reprocher est de mauvaise foi : voil ce qu'E.Teissier comprend du projet scientifique de la sociologie comprhensive applique l'astrologie. Et l'on pourrait faire les mmes remarques propos des rfrences l'"interactionnisme symbolique" dont l'auteur semble peu prs ne connatre que le nom :

    " travers ce que l'on pourrait appeler une hermneutique de l'exprience, c'est la recherche de cesens, aussi complexe qu'il se rvle, qui sera l'objet du second volet, o nous pratiquerons unesorte d'interactionnisme symbolique(selon l'cole de Chicago). Recherche du sens sous-tendu parcetteLebensweltde l'astrologie, par le donn social, l'aube de ces temps nouveaux." (p. 463)

    L'on voit aussi se dvelopper les "talents" d'argumentation critique de l'auteur dans cecommentaire de Durkheim, o l'on saisit que l'ide de traiter les faits sociaux comme des

    choses est "abusive, et donc difficile admettre parce qu'inadquate" :

    "DansLes rgles de la mthode sociologique, Durkheim affirme que les faits sociaux sont deschoses. Encore qu' coup sr il faille compter la mouvance astrologique dans les faits sociaux,cette identification, qui consiste chosifierainsi un phnomne qui est de l'ordre de l'esprit et duvivant, nous parat abusive, et donc difficile admettre parce qu'inadquate." (p. 278)

    Et que faire, sinon rire, face au drolatique contre-sens sur la pense de Michel Foucaultconcernant l'"intellectuel spcifique". L'auteur de la thse n'ayant de toute vidence pas luMichel Foucault invoque la soi-disant critique des "intellos spcifiques" (sic) par un MichelFoucault qui justement dfendait (en grande partie contre Sartre) la figure de l'"intellectuelspcifique" contre celle d'un "intellectuel universel" : "quoique puissent en dire les intellos

    spcifiques, hostiles au savoir transdisciplinaire, stigmatiss par Michel Foucault" (p. 860)

    Des propos a-sociologiques et parfois anti-rationalistes

    On a dj fait remarquer que l'auteur de la thse privilgiait le point de vue astrologique surl'explication sociologique. Mais souvent les explications apportes sont clairement a-sociologiques et trop floues ou trop gnrales pour tre considres comme de vritablesexplications. Qu'elle voque l'"atavisme" ou les "dispositions humaines ataviques" (p. 62),

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    "la part d'ombre" (p. 8) de chacun d'entre nous, la "reliance astrologique intemporelleinscrite au cur de l'humanit" (p. 62), le "rflexe de l'homme, archaque et intemporel,universel et omniprsent, qui le porte depuis la nuit des temps voir une admirablehomothtie entre la structure de l'univers et la sienne propre d'une part, la nature quil'entoure d'autre part" (p. 200), l'"hritage gntique" et le "ciel de naissance" (p. 243),l'"Urgrundcommun toute l'humanit" (p. 253), "la permanence et la similitude de lanature humaine, la fois sur le plan diachronique et synchronique" (p. 483), E. Teissierexplique la fascination des uns et le rejet des autres par la nature humaine, les plantes ouune vague "intuition miraculeuse". Ainsi, commentant les rsultats d'un sondage effectupar le journalLe Monde, outre sa polmique avec le journal, E. Teissier se demande face l'information selon laquelle les femmes seraient plus intresses que les hommes parl'astrologie : "Faut-il y voir la consquence d'un syncrtisme ontologique qui la porte davantage de permabilit spontane tout ce qui est de l'ordre de la Nature, sans la mettreen porte--faux avec une intuition qu'elle ne renie pas..." (p. 280). Les exemples de la sortesont trs nombreux.

    Mais c'est plus gnralement toute explication un tant soit peu rationnelle qui est

    explicitement rejete par l'auteur. Devant la trop grande complexit des choses, il faudraitabandonner tout espoir de parvenir en rendre vritablement raison et laisser parlerl'intuition sensible et le langage des symboles. Il est vrai que l'auteur est bien aide danscette voie par les auteurs qu'elle ne cesse de citer et qui s'affirment assez nettement anti-rationalistes :

    "une question primordiale apparat tre la suivante : faut-il voir dans l'approche astrologique unemanation de l'Absolu qui, bien qu'loigne des religions rvles, serait une tentative humainepour apprhender, travers l'ordre cosmique conu par un Dieu crateur, la manifestation d'unetranscendance ? Ou bien doit-elle tre considre comme le code explicatif et immanent d'uneinfluence astrale purement physique, phnomne rapprocher des sciences de la nature ? Et dansce cas, quelle serait la source ontogntique de cette miraculeuse adquation universelle, leprimum mobile? La rponse cette question ontologique ne peut qu'tre individuelle, carelle se place hors du domaine de la Raison pure, dans celui de l'indmontrable ." (p. 263)

    [Citation en exergue de Michel Maffesoli] "Le rationalisme classique (en sociologie) a fait sontemps..." (p. 813)

    Refus de toute objectivation

    On aura compris que tout ce qui pourrait permettre d'objectiver et de saisir mmepartiellement la ralit cense tre tudie est rejet par l'auteur fascine, sduite ("Simmeltant par ailleurs et avant tout un philosophe de la vie, au mme titre queSchopenhauer, Bergson ou Nietzsche, cela galement tait fait pour nous sduire [...]",

    p. 50) par "la vie" dans toute sa complexit ; complexit que les rationalistes, lessociologues positivistes, etc., s'acharnent vouloir rduire et abmer. La "mthode" quiconvient un objet aussi complexe et subtil est celle qui est "sensible l'universmystrieux, voire insondable, de l'me humaine". Cette "mthode" est indistinctementdsigne par les termes de "mthode phnomnologique", d'"empathie" ou de "sociologiecomprhensive".

    La pense de l'auteur fonctionne la faon de la pense mythique, sans crainte de lacontradiction. Pour elle, le "quantitatif" s'oppose au "qualitatif" comme le "carr" s'oppose

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    au "courbe", le "simple" au "complexe" (ou au "subtil"), l'"artificiel" au "naturel", etc. Sielle n'aime pas les mthodes quantitatives, c'est cause de leur "caractre plaqu etartificiel" (p. 57) ; si elle n'apprcie pas les statistiques, c'est parce qu'elle sont trop"carreset linaires" (p. 295), etc.

    Mais si les statistiques sont trop grossires pour l'esprit subtil d'E. Teissier, elles peuventaussi l'occasion tre utiles si on peut leur faire dire des choses positives sur l'astrologie.Par exemple, commentant un sondage sur l'astrologie publi dans Science et vie junior(p. 287-290), elle ragit au fait que les jeunes soient apparemment les plus intresss parl'astrologie de la manire suivante : "on peut d'ailleurs se demander si cela ne traduit pas unlien avec le cosmos rest plus vivant et pourquoi pas diraient les adeptes de larincarnation, un rsidu des vies antrieures ?" (p. 288). D'un seul coup d'un seul, lespauvres statistiques se transforment, tel le crapaud devenant prince charmant, en preuvesirrfutables du srieux et de la vridicit des analyses astrologiques : "il y a les statistiquesqui sont favorables l'astrologie d'une faon la fois premptoire et clatante" (p. XV).

    Et l'auteur se lance parfois elle-mme hardiment dans l'valuation chiffre, mais totalement

    intuitive, des faits sociaux : "je pense que ceux qui aujourd'hui en France, font professiond'astrologue et chez qui la spcialit astrologie proprement dite constitue effectivement90% et plus de la pratique professionnelle, doivent tre moins d'un millier. C'est plus uneimpression qu'un dcompte minutieux, mais ce chiffre me parat plausible." (p. 302).

    Un trange discours de la mthode

    Le discours de la mthode chez E. Teissier est aussi prcis que ses hypothses et sa"problmatique". Tout d'abord, l'"objectivit" est selon elle un idal parfaitementinatteignable (un paragraphe entier est consacr au thme de "L'utopie de l'objectivit",p. 28-31). Mais, comme son habitude, peu hante par le principe de non-contradiction, E.

    Teissier peut critiquer la prtention "positiviste" l'"objectivit" et dire que les scientifiquesmanquent d'objectivit, ou encore affirmer qu'elle est elle-mme anime par un "soucid'objectivit". La question de la possibilit ou l'impossibilit d'une objectivit est doncbeaucoup plus complexe que ce qu'un lecteur rationaliste peut modestement imaginer : sonsort dpend de la phrase dans laquelle le mot "objectivit" s'insre. Et l'on comprendra quel'auteur revendique l'"objectivit" lorsqu'il s'agit pour elle de dfendre l'astrologie.

    Pour E. Teissier tout est "mthode". Par exemple, lorsqu'elle crit : "D'o l'importanceessentielle de la dmarche mthodologique choisie, qui consistera cerner les motivationset sources secrtes des attitudes et comportements sociaux." (p. 20), on constate qu'unevague volont de "cerner des motivations" quivaut pour elle une "dmarchemthodologique". Lorsqu'elle crit aussi que, dans sa thse, "la mthode empirique parats'imposer" et qu'"elle sera (son) outil de rfrence" (p. 10), on voit que le mot "mthode",quivalent d'"outil de rfrence", est utilis avec l'imprcision la plus grande : "la mthodeempirique" semble s'opposer d'autres "mthodes" (qui ne le sont pas), mais on ne sait pasde quelle mthode prcisment il s'agit.

    Les termes "mthodes", "paramtres", "facteurs", "outils", etc., sont, en fait, utiliss demanire smantiquement alatoire, tant la fonction essentielle de ces usages lexicaux rsidedans l'effet savant que l'auteur entend produire sur elle-mme et sur le lecteur. Le fait que

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    dans la citation suivante, E. Teissier dise que les "paramtres" dont elle parle (quivalent icide "notions") apparatront "ici o l, au hasard de cette tude", fait bien apparatre lecaractre extrmement rigoureux de la "dmarche mthodologique" mise en uvre...

    "Et si les dieux me sont favorables, peut-tre pourrons-nous apporter quelques modestes lumiressur l'univers astrologique d'aujourd'hui par rapport cinq paramtres lmentaires qui, selon

    NISBET, caractrisent plus que tout autre la sociologie : communaut, autorit, statut, sacr,alination, toutes notions qui, ici o l, au hasard de cette tude, la marqueront d'une empreinteen filigrane" (p. 44)

    En sachant tout cela, tout lecteur peut mesurer l'effet comique de la prtention touteverbaliste la rigueur qu'affiche l'auteur de la thse : "nous avons eu l'occasion dedvelopper l'esprit de rigueur dont l'exigence nous habite depuis toujours. cela s'ajoutaitun souci de rationalit, de cohrence, mais cela travers une forte curiosit intellectuelle auservice d'une recherche de la vrit" (p. VIII). Visiblement, l'esprit ne parvient pas guiderles gestes.

    Les "donnes" : anecdotes de la vie personnelle, mdiatique et mondaine d'lizabethTeissier

    Si l'on entend par "donnes empiriques" des matriaux qui sont slectionns, recueilliset/ou produits en vue de l'interprtation la plus fonde possible de tel ou tel aspect dumonde social, c'est--dire des corpus de donnes dont les principes de constitution et dedlimitation sont explicitement noncs, on peut dire sans risque que la thse d'E. Teissierne contient strictement aucune donne empirique. Si l'auteur avait une conception un tantsoit peu empirique de la pratique de recherche en sociologie (rappelons qu'elle dit mettre enuvre "la mthode empirique"), elle n'oserait par exemple pas crire avec autant de lgretet d'inconscience empirique qu'elle va suivre l'volution de l'astrologie " travers le tempset l'espace dans les socits les plus diverses, de la nuit des temps nos jours" en annonant

    explicitement qu'elle se livrera " un rapide survol, aussi bien chronologique quegographique, diachronique que synchronique..." (p. 93). Mais pourquoi se donner la peinede mettre en place un vritable dispositif de recherche lorsque l'on pense que "la vitalit del'astrologie aujourd'hui ne fait aucun doute" et que "pour preuve, il suffit d'ouvrir les yeuxet les oreilles" (p. 792) ?

    De mme, comment apporter une preuve de "l'intrt de plus en plus marqu des mdiaspour l'astrologie" ? E. Teissier rpond : "il n'y a pas une semaine o nous ne soyons passollicite participer, ici ou l, en France ou l'tranger, une mission de ce genre"(p. 274). En fait, E. Teissier enchane de manire alatoire les anecdotes personnelles au grde l'association de ses souvenirs : "Dans le contexte de l'tre-ensemble, une autre histoire

    nous revient l'esprit, o nous tions la fois tmoin et partie" (p. 412) ; "Une autrehistoire exemplaire nous revient l'esprit." (p. 383), etc. Elle raconte ce qu'on lui a dit oucrit et ce qu'elle a rpondu. Ses commentaires, quand il y en a, se contentent de prolongerla polmique lorsqu'il y avait polmique (avec les journalistes, les animateurs de tlvision,les scientifiques, etc.) et de souligner l'intrt pour l'astrologie malgr le consensusculturel en dfaveur de l'astrologie et la ghttosation de cette dernire qu'illustrentcertaines anecdotes. L'anecdote tire "au hasard" (signe sans doute d'objectivit ses yeux)fait toujours preuve.

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    Si elle fait galement le compte rendu d'changes de courriers avec certains lecteurs, pour"preuve" de l'ambivalence fascination/rejet vis--vis de l'astrologie ("C- Le courrier deslecteurs et tlspectateurs, baromtres de notre socit", p. 311-386), il n'est aucunementquestion de constituer un corpus, ni mme de faire une analyse sociologique, mais dedonner lire le courrier reu, ainsi que les rponses envoyes ("Voici ce que nous avonsrpondu ce lecteur :...", p. 319 ; "Voici la rponse que nous adressmes cette lectricedsoriente", p. 327). On n'a pas mme d'valuation prcise des diffrents types decourriers qu'elle reoit. Ainsi, propos des lettres qu'elle range dans la rubrique "Les appels l'aide", elle crit de manire approximative : "Il s'agit certainement, quantitativementparlant, de la masse la plus importante de lettres reues" (p. 312) ou encore que "Parmi lesappels l'aide, les lettres manant de prisonniers ne sont pas rares" (p. 321).

    Et l'on va ainsi d'une anecdote l'autre : E. Teissier en "face--face avec un astronomemonolithique dans son agressivit" (p. 543), E. Teissier et Marcel Jullian, PDG d'Antenne 2(p. 588-629) propos de l'missionAstralement vtre, E. Teissier et l'mission allemandeAstrow-show entre 1981 et 1983 (p. 645 et suivantes), E. Teissier et l'mission Comme unlundide Christophe Dechavanne du 8 janvier 1996 (p. 671-685), E. Teissier et l'mission

    Duel sur la cinqdu 10 juin 1988 (p. 709-725), etc. Et chaque fois, l'auteur met desjugements premptoires, polmique, formule des rponses agressives. Elle n'tudie doncpas les ractions l'astrologie, elle la dfend. Elle ne fait pas l'analyse des polmiquesautour de l'astrologie, mais estdans la polmique, continuant dans cette thse commesur les plateaux de tlvision, sur les ondes radiophoniques ou dans la presse crite batailler contre ceux qui considrent que ce n'est pas une science.

    Dans tous les cas, le narcissisme naf est grand, bien que totalement dni : "Bien que nousrefusions dans ce travail de nous mettre en avant pour des raisons la fois d'objectivit etd'une dcence de bon aloi, on aura remarqu que nous fmes travers toute l'mission laseule astrologue tre prise parti..." (p. 686). Non seulement les exemples pris par E.Teissier ne concernent qu'E. Teissier (alors mme qu'elle aurait pu s'intresser d'autrescollgues astrologues), mais les rcits mettent toujours en avant la vie hroque oupassionnante d'E. Teissier. C'est ainsi qu'elle raconte par exemple comment la rencontre del'astrologie fut "le grand tournant de sa vie" : "Nous emes droit notre nuit de Pascalnuit borale en ralit, car l'illumination dura quelque six mois, le temps d'apprendre lesfondements cosmographiques et symboliques de l'art royal des astres, suffisamment pourtre blouie des convergences d'une part psychologiques, d'autre part vnementiellesavec notre caractre et notre vcu, ou ceux de notre entourage" (p. X). Ou encore, faisant lercit du contexte dans lequel elle a t contacte pour prsenter l'mission allemande Astro-Show: "Lorsque, au tout dbut de 1981, notre retour d'un voyage en Inde, nous trouvmestrois messages conscutifs et quelque peu impatients de l'ARD (premire chanetlvisuelle allemande), nous fmes plutt surprise. Jusque-l en effet notre rayon d'action

    n'avait pas pass les limites du Rhin." (p. 646).

    Une criture boursoufle et creuse

    Le problme essentiel avec le style d'criture que l'on trouve dans une thse comme celled'E. Teissier, rside dans le fait que l'on aura beau multiplier les "chantillons", rpter lescitations en vue de prouver que l'on a affaire une criture jargonnante, peu rigoureuse,souvent incomprhensible, parfois proche de l'absurde, d'autres verront au contraire dans

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    les mmes extraits toutes les marques de la profondeur ou de l'intelligence du propos.Devant un grand nombre de passages de cette thse, nous pourrions mettre le jugementsuivant : dans la mesure o nous croyons savoir ce que parler en sociologue veut dire, nouspouvons tmoigner du fait que nous n'avons rien compris ce qui a t dit. Mais qu'yaurait-il comprendre lorsque rien n'a t vraiment dit ?

    Dlire smantique ou esbroufe verbale, plaisir des mots savants qui sonnent bien accolsles uns aux autres pour asserter des banalits sur un ton srieux, enchanements descitations d'auteurs aussi sotriques les unes que les autres, la panoplie de l'criture pseudo-savante et rellement floue est assez complte. Donnons-en un exemple long pour garantirau lecteur que l'effet d'tranget n'est pas le produit d'une injuste dcontextualisation :

    "Tout au long de notre thse, nous avons l'instar de ce qui est la vocation et l'objectif duchercheur, tent de dceler les prmices sous-jacents, les frmissements de ce qui est en train denatre et qui se font sentir dans la ralit socitale aujourd'hui. Cela en pratiquant ce que G.Durand appelle une pense concentrique, c'est--dire une pense formant un systme ouvertqui refuse de rester au centre mais qui va glaner ce qui se passe et se propage en priphrie larecherche de l'humus sous-jacent. Autrement dit, il s'agissait de suivre un processus de va-et-

    vient, en vases communiquants, tout en refusant de rester prisonnier d'une ide, d'aller larencontre de l'inconnu, de ce qui se vit dans le donn social, de ce qui merge dans le champexprimental du chercheur. De tout ce vcu, de cet observ, nous avons tent de dgager ladynamique travers une synergie de la pense, en dlaissant son contraire : la pense unique,sous forme d'une doxa synonyme d'apparence. Nous avons ainsi pu faire tat de ce maillagemultiple, de ces innombrables passerelles qui s'effectuent entre changes de savoirs, dans un dsircommun de s'ouvrir d'autres connaissances et de partager son intrt, mais aussi travers cesnouvelles technologies, longuement voques, o tout un chacun fait un pied-de-nez cettepense conformiste reprsente par ceux qui dtiennent unpseudo-savoir un demi-savoirselon J.-C. (sic) Domenach. Au fil de notre travail, nous avons pu mettre le doigt sur la confusionqui merge par rapport ces donnes, o sont mis mal ceux qui croyaient dtenir le savoir, cettepense bien garde, convenable, intellectuellement correcte, tout en montrant que sonimprialisme peu peu se dsagrge et ce en dpit d'un combat d'arrire-garde qui se voit vou un chec long terme. Comme nous avons montr, pensons-nous, l'inanit d'un intellectualisme

    dessch. Le rgne absolu de l'ide ne peut s'tablir ni surtout se maintenir : car c'est la mort (inLe suicide de Durkheim cit par Maffesoli dans sa prface aux Formes lmentaires de la viereligieuse, p. 11). En paraphrasant K. Jaspers, on pourrait dire que c'est dans la communicationqu'on atteint le but de l'astrologie (la philosophie) (Introduction la philosophie, p. 25), dans cetchange chaleureux (dionysiaque ?) entre esprits branchssur des intrts semblables, orients enl'occurrence sur les arcanes clestes." (p. 861)

    CONCLUSION

    Que les choses soient claires : E. Teissier ne peut tre tenue pour responsable de ce qui s'estpass la Sorbonne et elle n'aurait pas mme eu l'ide de frapper la porte de notre

    discipline pour trouver un lieu de lgitimation de ses propres intrts d'astrologue si celle-cin'tait pas le refuge d'enseignants-chercheurs dpourvus de rigueur et parfois trsexplicitement anti-rationalistes.

    Revenons notre point de dpart : des "collgues" (abondamment cits dans cette thse)ont dlivr un droit de soutenance l'auteur de cette thse, puis, avec d'autres, ont dcid delui attribuer la mention "Trs honorable". Aprs lecture du compte rendu prcdent, oncomprend quel point le sentiment de scandale du lecteur de la thse est grand.

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    Esprons que les diverses ractions saines cette affaire malsaine puissent donnerl'occasion d'une rflexion collective sur le mtier de sociologue et sur les conditionsd'entre dans ce mtier.

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    Une non-thse qui cache bien mal une vraie thse :un plaidoyer pro-astrologique

    par

    Jean Audouze, Astrophysicien, Directeur du Palais de la dcouverteHenri Broch, Physicien, Professeur lUniversit de Nice Sophia-Antipolis

    Jean-Paul Krivine, Rdacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences.Jean-Claude Pecker, Astrophysicien, Professeur honoraire au Collge de France, membre

    de lInstitutDenis Savoie, Historien des sciences, Palais de la Dcouverte

    Un des thmes rcurrents de la thse est daffirmer que lastrologie est scientifique etvrifie. Une annexe entire est mme consacre aux "preuves irrfutables" en faveur delinfluence des astres. Labandon du terrain sociologique au profit dun plaidoyer pro-astrologique est en fait ouvertement revendiqu : "Si premire vue on peut mettre undoute quant lopportunit dlargir notre sujet sur ce thme, on en admet trs vitelutilit, ds lors que la situation pistmologique de lars regiaest profondment solidairede sa cohrence interne, voire de sa relative scientificit"(p. 93). Le "rejet", lun des deuxtermes de lambivalence annonce dans le titre de la thse, est mme expliqu par laconfusion qui existerait entre lastrologie, dclare scientifique, et les pratiquesdivinatoires, non-scientifiques. "Comme nous avons lintention de faire tat du syndromedu rejet ainsi que de son tiologie, en quelques sortes ; un rejet li essentiellement laconfusion et lamalgame fait autour de pratiques telles que la voyance, tarots etautres" (introduction, p. XV).Reste donc, comme "preuve sociologique" tablir quelastrologie est scientifique, ce que la thse prtend faire : "Dans le mesure du possible,

    nous nous soumettrons ladhsion de la preuve, ce qui ncessitera une interprtation lafois causale et explicative, en adquation avec les exigences wbriennes."(p. 79). Lestoutes dernires lignes du deuxime volume sont difiantes et rsument finalement bienlobjectif, de la thse, la vraie thse qui se cache derrire une faade sociologique : "Lascience officielle va-t-elle finir par rendre hommage la vrit exprimentale, reconnatreles faits ? En tout cas, la victoire parat clatante pour lAstrologie, car les faits sont lesfaits ; ils ont linsolence de lvidence".(page XL de lannexe).

    Les astronomes et les astrophysiciens sont, de faon gnrale, opposs aux principesmmes de lastrologie, qui sappuie sur une astronomie du XVIe sicle et ignore la massede savoir accumule depuis lors. Les distances des astres, inconnues lpoque sont tropconsidrables pour quils puissent exercer les influences que les astrologues leur prtent.Les interactions entre les astres et les terriens passent par lintermdiaire de forces connueset la physique les a catalogues. Des interactions ventuellement inconnues devraientnanmoins dpendre de la distance, aucune action ne pouvant tre plus rapide que la vitessede la lumire, 300.000 km/s, ce selon Einstein, auteur frquemment cit (et mal cit) parMadame Teissier. Ces arguments ont t rsums, et publis, par lun dentre nous commesuit (Jean-Claude Pecker, Cinq rponses un amateur dastrologie , Science et pseudo-sciencesn 206) :

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    On nous offre rgulirement des horoscopes... Pierre est Taureau, Paul est Scorpion... Cela indiquerait destraits de caractre de l'un ou de l'autre. Cela orienterait mme son avenir... Or, qu'est-ce que cela veut dire:Pierre est Taureau ? Cela veut dire que quand Pierre est n, le Soleil, qui parcourt le ciel constell en uneanne, se trouvait dans la rgion du ciel qu'occupe le signe du Taureau. Le caractre de Pierre, selonl'horoscope, est calqu sur ceux qu'on prte l'imaginaire mythique brod autour de l'image de laconstellation astronomique du Taureau... Or le Taureau, constellation, tait dans le signe du Taureau il y a

    deux mille ans il n'y est plus maintenant... Maintenant c'est le Blier qui s'y trouve ! Cet horoscope simplisteest donc une mystification. Que valent les horoscopes dans de telles conditions ? Rien !

    Les astrologues les plus savants en astronomie tiennent compte du glissement des constellations par

    rapport aux signes du Zodiaque, un glissement qui se continue, depuis 2000 ans que l'on a dfinil'astrologie sous sa forme actuelle. Mais tiennent-ils compte de ce qu'il y a TREIZE, et non DOUZE,constellations traverses par le Soleil en un an ? La treizime, entre Scorpion et Sagittaire, c'est Ophiucus,le Serpentaire... Savent-ils, ces savants astrologues, que le Soleil reste prs de deux mois dans laconstellation de la Vierge, peine 10 jours dans celle du Scorpion, et le reste l'avenant ? Que veulentdonc dire ces horoscopes qui classent les gens en tranches d'un mois, chaque mois en trois dcans ?Rien... Encore une mystification ! L'horoscope, mme celui qui tient compte du glissement desconstellations, n'a aucun sens.

    L'astrologie suppose une action des astres sur les hommes. Ceci tait raisonnable au moyen ge, quand

    on croyait que les toiles taient des lampes fixes sur une vote cristalline mobile. La hauteur de cette

    vote tait assez faible pour qu'on pt loger les dieux au del. Aujourd'hui, on sait que les distances sontconsidrables. La lumire parcourt, en une seconde, 300.000 km, le Soleil est 150 millions de km denous, huit minutes de lumire ! Les plus proches des toiles sont des annes de lumire, 10 000 100000 fois plus loin que le Soleil et les plantes. Le ciel constell, loin de nous, est aussi profond. Lesconstellations ne sont qu'apparences, effets de perspective. Deux toiles du Taureau, par exemple, sont des distances de nous trs diffrentes bien qu'elles apparaissent proches sur le ciel. Les dessins qui ontdonn leur nom aux constellations sont artificiels. Vues d'un autre point de l'Univers, aucune de cesreprsentations pittoresques ne se maintiendrait... Par ailleurs, les Chinois donnent d'autres noms auxconstellations. Le destin des Chinois obirait-il aux astres d'une faon diffrente du ntre ?

    On justifie souvent l'astrologie en invoquant les correspondances mystrieuses entre les signes du

    Zodiaque et les parties du corps humain... Le cur serait gouvern par le Lion, le sexe par le Scorpion, lespieds par les Poissons... La mdecine du moyen ge a largement utilis ( tort !) ces correspondances, et elle ne soignait pas grand-chose. Cela avait un sens il y a mille ans. Ciel et Terre taientcomplmentaires, mais essentiellement diffrents: le monde des hommes est prissable, fragile; il est

    domin par le monde du ciel, ternel et puissant... Ce genre d'ides ne tient plus ds lors que nous savonsque la nature physico-chimique des astres est la mme que celle des tres vivants: hydrogne, oxygne,carbone..., tout cela constitue la matire des toiles, celle du Soleil celle des hommes. Il n'y a pas decorrespondance ou d'analogie mystrieuse. L'unit de la nature est profonde, relle et non fantas tique. Etcela limine ces analogies sans signification, sous-jacentes pourtant toute astrologie...

    Les plantes jouent dans l'astrologie qui se dit savante un grand rle... Mais quelles plantes ? Quand

    l'astrologie s'est codifie... il y a plus de deux mille ans, on connaissait 5 plantes, Mer cure, Vnus, Mars,Jupiter et Saturne... Uranus, Neptune ou Pluton n'avaient donc pas d'influence avant leur dcouvertercente ? Aujourd'hui, on connat autour du Soleil 8 grosses plantes, des milliers de petites, quelquessatellites de mme nature et de mme taille que Mercure ou Vnus, et beaucoup de plus petits. Il y a dansle ciel des milliards de soleils comparables au ntre, des milliards de plantes comparables aux ntres... Etpensez que Mars, par exemple, est une distance de nous qui varie d'un facteur 5 d'une anne l'autre !Toutes ces plantes, toutes ces distances de nous, ont-elles une influence ? Pourquoi pas, si l'on croit l'influence de certaines d'entre elles ? La vrit est que l'astrologie plantaire n'a pas plus de valeur que

    l'astrologie zodiacale et qu'elles ne sont que de la poudre aux yeux...

    Ces arguments sont clairs, notre point de vue. Lauteur de la thse y rpond-elle elle-mme ? A lvidence, non. La lecture dtaille des 1000 pages confirme cette opinion.

    ASTROLOGIE ET ASTRONOMIE

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    Seuls les astrologues sont dclars habilits juger lastrologie

    "Lastrologie se fonde donc sur lastronomie, cest dire sur une science exacte. Elle sendmarque par linterprtation"(p. 98). Mais paradoxalement, les astronomes ne seraientpas comptents pour juger de ces "fondements" : "En quoi un astrophysicien, proccup delaspect matriel et mesurable des lments du ciel et en rien familiaris avec lastrologie

    dont le propos est dtudier limpact des corps clestes sur la Terre et ses habitants, serait-il habilit mettre un tel jugement ngatif ?"(p. 731). Elizabeth Teissier va mme plusloin, exigeant des contradicteurs quils se fassent tablir et analyser leur thme avant deprtendre pouvoir parler en connaissance de cause de lastrologie (p. 757). Bref, seuls lesastrologues pourraient juger de lastrologie qui pourtant prtend se fonder surlastronomie. Lastronomie est appele en appui la thse dfendue, mais les astronomesseraient disqualifis pour juger du srieux du recours lastronomie

    la recherche dinflux mystrieux

    A plusieurs reprise dans la thse il est question dune sorte de force la base de

    lastrologie. De mystrieux "influx plantaires" (page 112 par exemple) sont voqus. Maisimpossible de chercher les mettre en vidence : "Quoiquil en soit, les dfenseurs de laconception influentielle de lastrologie pensent que la science officielle, ayant ngligjusquici de se pencher, pour des raisons la fois pistmologiques et sociologiques, sur laproblmatique souleve par cette discipline, naurait donc pu, de ce fait, concevoir des

    instruments assez subtils, assez sophistiqus pour mesurer linflux astral."(p. 765). Bref,on affirme la fois lexistence dun phnomne et on explique quaucune exprience nepeut le mettre en vidence. A ce titre, on peut affirmer tout et nimporte quoi sans granddanger dtre contredit.

    La prcession des quinoxes

    La prcession des quinoxes, phnomne astronomique dj connu des Grecs est un desarguments souvent invoqu par les astronomes pour illustrer lastronomie simpliste utilisepar les astrologues. Ce phnomne astronomique est d une sorte de mouvement detoupie de laxe de rotation de la Terre. La consquence est que, "signes" du zodiaque et"constellations" ne concident plus.

    Notons que la concidence est toute relative, mise dans sa ralit historique. Pendant dessicles, chaque carte cleste tait diffrente ; les limites des constellations surtout taienttrs variables d'un auteur l'autre. Aussi au dbut du sicle, le besoin s'est fait sentir chezles astronomes de mettre de l'ordre dans le ciel. En 1930 est paru Cambridge l'ouvrageofficiel fixant les limites des constellations, en respectant l'hritage historique et certaines

    habitudes ("Dlimitation scientifique des constellations",par l'astronome belge Delporte).Le ciel boral et austral fut donc dcoup en 88 constellations par des arcs de mridiens etdes cercles de dclinaisons ou de parallles clestes. Le zodiaque lui-mme subit desmodifications et fut dcoup en 13 constellations, la treizime constellation, connue depuisdes sicles et ignore des astrologues est celle d'Ophiucus, situe entre le Scorpion et leSagittaire. L'aspect irrgulier des constellations a des consquences sur le temps que met leSoleil les traverser. Traditionnellement, chaque signe zodiacal est cens tre travers parle Soleil pendant un mois. Or dans le nouveau systme, le temps de parcours est totalement

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    diffrent. Pour preuve, on donne ci-dessous les dates d'entre du Soleil dans les 13constellations zodiacales valables pour la fin du vingtime sicle (calcul D. Savoie) :

    Entre dans les Poissons : 12 marsEntre dans le Blier : 19 avrilEntre dans le Taureau : 14 maiEntre dans les Gmeaux : 21 juin

    Entre dans le Cancer : 20 juilletEntre dans le Lion : 10 aotEntre dans la Vierge : 16 septembre

    Entre dans la Balance : 31 octobreEntre dans le Scorpion : 23 novembreEntre dans Ophiucus : 29 novembreEntre dans le Sagittaire : 18 dcembre

    Entre dans le Capricorne : 19 janvierEntre dans le Verseau : 16 fvrier

    On remarque par exemple que le Soleil ne reste cette anne que 6 jours dans laconstellation du Scorpion, et un mois et demi dans la constellation de la Vierge ! Parailleurs, la dure de passage de chaque plante dans chaque constellation est diffrente decelle du Soleil, en raison des dlimitations conventionnelles des constellations, et desdclinaisons des plantes.

    Il est facile de constater de plus que quelqu'un n un 1er mai n'est pas Taureau mais Blier.Elizabeth Teissier carte lobjection de la prcession des quinoxes en prcisant quelle

    adopte ce quon appelle lastrologie des saisons ou "astrologie tropique" : "utilisant unzodiaque qui prend pour repre spatio-temporel le point gamma lui-mme (qui correspondau printemps), c'est--dire un zodiaque des saisons, ce mouvement prcessionneln'intervient pas dans leur calculs. Nanmoins il faut dire que la confusion est grande surcette question"(p. 110). Et la confusion est plus que gnrale dans la thse elle mme.On y parle dun"point vernal qui quitte les Poissons pour entrer dans le signe du Verseau"(p. 110). Comment le point vernal (ou point gamma) qui sert de repre spatio-temporel pourle zodiaque pris en compte par Elizabeth Teissier peut-il... se dplacer sur ce mmezodiaque "pour entrer dans le signe du Verseau"? Mme confusion en page 19 : "le pointvernal met 2176 annes pour traverser ( reculons) un signe de 30", ou encore dans leglossaire en fin du 2e volume: "Point vernal: intersection du cercle de l'cliptique avec

    l'quateur cleste = 0 du Blier, dbut du printemps. Ce point appel aussi point gammarecule lgrement de 72'' par an (un signe de 30 en 2176 ans) sur le zodiaque; c'est laprcession des quinoxes.". La confusion entre les signes et les constellations est totale,prouvant que le phnomne de prcession des quinoxes nest pas compris, et plusgnralement, les bases de lastronomie. Ajoutons que le mouvement de prcession desquinoxes nest pas de 72'' par an, mais de 50'',291 (source : Bureau des longitudes, Institutde Mecanique Celeste). Bien dautres erreurs ou confusions pourraient tre releves. On serapportera par exemple lanalyse dtaille faite par lun dentre nous (HB) sur le sitehttp://www.unice.fr/zetetique/articles/index.html.

    Le Blier amricain vaut-il un Taureau europen ?

    Oublions juste un instant les mlanges de Madame Teissier. Il existe des astrologues, enparticulier aux USA, qui prennent en compte dune autre faon la prcession des quinoxes(et l, le point vernal se dplace par rapport ces signes). Madame Teissier souligne legrand srieux de ces coles. Une question se pose alors, qui nest nulle part voque dans lathse : une mme personne sera, par exemple Taureau pour lastrologie dElizabethTeissier, et Blier pour lastrologie amricaine. Les interprtations sont elles les mmes ? Sinon, qui a raison ? Si oui, o est la symbolique universelle associe aux signes ?

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    LES THMES ET LEURS INTERPRTATIONS

    Pour cette partie, ce nest plus lastronome qui a quelque chose dire, mais le scientifiqueau sens le plus gnral du terme. De quels faits parle-t-on ? Quelles vrifications ont tfaites ?

    En guise de "preuves irrfutables", on ne trouve presque exclusivement que desaffirmations du genre "il est prouv que", "les scientifiques admettent que", "on sait que".Dans une annexe de 40 pages consacre ce sujet, on ne dnombre en tout et pour tout que3 rfrences (plus ou moins prcises) auxquelles le lecteur peut se reporter : Lyall Watson,Histoire naturelle du surnaturel, Albin Michel, 1974, K.A. Roberts, Radio-Emission fromthe planets, 1963 etLastrologie, M. Gauquelin et J Sadoul, Bibliothque de lirrationnel.Cest bien peu, lappui de preuves irrfutables , surtout pour une thse de doctorat. Surchacun des sujets voqus, les rfrences se comptent pourtant par dizaines pour quiconquese donne la peine de rechercher, et tout ce qui va lencontre des motivations dElizabethTeissier est systmatiquement omis. Par exemple, si lon ne considre que linfluence de la

    Lune sur les maladies psychiques (page XVI de lannexe), l o Madame Teissier nementionne aucune rfrence dexprience, aucune rfrence darticle (juste " Lescommissariats connaissent bien cette recrudescence () en fonction des phases lunaires,des actes criminels"). Nous mettons disposition des lecteurs qui le demandent, pas moinsde 32 rfrences sur ce seul sujet. Et toutes ces rfrences vont lexact oppos de laconclusion tire par Elizabeth Teissier

    Les statistiques de Gauquelin

    Les "statistiques" de Gauquelin occupent une place de choix. Elles sont largement utilisestout au long de la thse et sont prsentes comme lexprience la plus importante et la plusprobante en faveur de lastrologie. L encore, alors quil existe une bibliographieimportante, Elizabeth Teissier ne fait rfrence quaux affirmations de Gauquelin, oublianten particulier la contre-exprience mene, selon un protocole dfini en commun avecGauquelin lui-mme (Benski et al. The Mars Effect, Prometheus Books, 1996). Il sagissaitpourtant dune des rares expriences o un protocole exprimental a pu tre dfini etaccept par toutes les "parties". Ltude a port sur plus de 1000 sportifs. Les donnes ontt publies, elle peuvent tre examines, ltude peut tre vrifie, et elle la t. Et laconclusion est sans appel : aucune influence astrologique na t mise en vidence. Cettetude est superbement ignore, elle va lencontre de la thse soutenue. Mais ce nest passuffisant, il faut aussi falsifier les avis des "sceptiques" sur le sujet.

    Ainsi, Madame Teissier affirme (Page 608) que ".. les expriences de M. Gauquelin, qui

    obtinrent pourtant - et ce ne fut pas facile - la sanction, sinon la bndiction du ComitBelge pour l'tude des faits paranormaux,...". En ralit, ce Comit Belge dont le vrai nomest "Comit Belge pour l'investigation scientifique des phnomnes rputs paranormaux",dit exactement le contraire (numro 43 des "Nouvelles Brves", revue du Comit,septembre 1976, p. 327-343) : "... Le Comit conteste la validit des diverses formulesadoptes par M.M. Gauquelin pour le calcul des frquences... (). Le Comit ne peut doncaccepter les conclusions de M. Gauquelin aussi longtemps qu'elles seront bases sur lesmthodes et formules que celui-ci prconise.".

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    Le hasard, ce nest pas une chance sur deux

    Les statistiques sont souvent invoques en faveur des "preuves de lastrologie". Examinonsla comprhension de ce concept travers la thse. Tout dabord, Elizabeth Teissier montrequelle confond le nombre de valeurs que peut prendre une assertion avec la probabilit apriori de ralisation de chacune de ces assertions. Ainsi, un d peut prsenter 6 facesdistinctes. Si le d nest pas pip, chacune des possibilits est quiprobable et le hasarddonnera une chance sur six pour chacune des faces. Mais ce nest pas le cas de toutes lesaffirmations. Toutes les possibilits ne sont pas toujours quiprobables, et le "hasard" nepeut donc tre invoqu aussi simplement. Par exemple, "il va pleuvoir au moins une fois en2001"peut prendre 2 valeurs (vrai ou faux). Mais la probabilit a priori des deux nest pasquivalente, et un astrologue qui revendiquerait de bonnes performances en proclamant"alors que le simple hasard donnerait une chance sur deux, nous avons pronostiqu mieuxen affirmant quil ferait beau au moins un jour sur deux en 2001"aurait lair peu srieux.Or cest exactement ce que fait Elizabeth Teissier dans sa thse : "Il faut prciser que leurconclusion [aux opposants lastrologie] consistait dire que les ressourcesprvisionnelles de lastrologie ne dpassaient pas le hasard, savoir une chance sur deux.

    Comme notre exprience nous avait donn des rsultats trs diffrents (environ 4 prvisionsur 5 avres), nous ntions pas prte laisser lastrologie malmene".(p. 760). Non, lehasard, ce nest pas une chance sur deux .

    Toujours propos des statistiques, Madame Teissier invente galement de nouveauxconcepts quelle ne dfinit jamais, comme par exemple les statistiques carres et linaires."En effet, la synthse subtile de mille facteurs quelle [l astrologie] ncessite de mme queleur enchevtrement complexe () apparaissent comme autant de contre-indications desstatistiques carres et linaires."(p. 295).

    Les expriences

    Mais il ny a pas que les statistiques qui sont malmenes. La mcanique quantique estinvoque pour disqualifier des expriences qui ne concluent pas en faveur de lastrologie:"Il faut dire que lintention dun chercheur, on le sait maintenant depuis Heisenberg,dteint sur les rsultats dune recherche".Le principe dincertitude dHeisenberg na enfait strictement rien voir avec lintention de lexprimentateur. Il concerne le lien entredeux paramtres dune particule, sa vitesse et sa position, qui ne peuvent tre connussimultanment quavec une prcision limite.

    Mais examinons plus en dtail ce qui est affirm. Le Principe dincertitude dHeisenbergest invoqu pour disqualifier une tude qui va lencontre des affirmations des astrologues.Si une exprience est entreprise, soit elle conclut en faveur de lastrologie, et tout va bien

    pour Madame Teissier, soit elle ne le fait pas, et alors, lexprience est remettre en cause,lexprimentateur tant (mal) intentionn. Pile, je gagne, face tu perds Notons au passagequElizabeth Teissier ne sinterroge pas pour savoir si les "expriences" prouvant sesyeux la ralit de lastrologie ne seraient pas galement victime de ce "syndromedHeisenberg" et de lintention des exprimentateurs (souvent dailleurs, desexprimentateurs peu forms aux exigences de lexprimentation scientifique).

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    DE MULTIPLES APPLICATIONS AVEC DES AFFIRMATIONS SANS PREUVE

    Lastrologie est quasi-universelle. Cest la science des sciences. L encore, des affirmationssans preuve, sans argument, sans rfrence.

    Psychologie : "Lastrologie se veut la science par excellence de la personnalit, assorti dela rvlation dun destin probable (lment qui est galement dans ses cordes)"(p. 9)."Nest il pas rvlateur par exemple que les psychologues fassent souvent appel auxastrologues du "plus" certain que lart royal des astres peut leur apporter, en particulieren ce qui concerne ltiologie ou les causes profondes dun complexe, dune nvrose oudune psychose ou tout simplement cause de la richesse et de la subtilit de lanalyseastrologique en gnral, alors que linverse semble tre lexception". (p. 746).

    "Les" psychologues, lesquels ? Ils font "souvent" appel. Do sort ce "souvent"? Dosortent toutes ces affirmations ? Les rfrences srieuses de publications en psychologiefaisant rfrence lastrologie sont toujours attendues.

    Mdecine : "De rcentes recherches nous ont en effet permis dtablir la corrlation entrecancer, voire sida, avec des dissonances de ces deux plantes par rapport au thme natal."

    (p. 213). "En revanche, il est dans les cordes de lastrologie de pouvoir focaliser sur despoints lumires ou des points sombres affrents lvolution dune maladie, ce qui estcertes un des avantages les plus notoires et les plus prcieux de la science des astres.Pouvoir dire une personne qui souffre et qui a perdu lespoir dune gurison prochainequandson calvaire sarrtera est, nen pas douter, un plus certain de la consultationastrologique". (p. 394).

    Quelles sont ces "rcentes recherches" tablissant une corrlation entre sida, cancer etastrologie ? O sont les expriences qui prouveraient que lastrologie permet de prdire une

    gurison, une date de "fin de calvaire" ? Mystre.Bourse et conomie : "Devant les rsultats souvent spectaculaires et inexplicables endehors de la logique des astres de certains conseillers astrologues auprs de grandsdcideurs intrigus"(p. 430).

    Recrutement des entreprises : "Lastrologie vient sajouter la graphologie et auxventuels psychotests [pour le recrutement]. Et cela juste titre"(p. 420).

    Ajoutons enfin ces explications indites aux tremblements de terre et au volcanisme :Elizabeth Teissier qualifie de "documents pointus sur sa discipline"ce quun correspondantlui crit : "Llectricit ngative solaire arrive la premire. Elle peut former des couchesdans latmosphre, qui induit des sismes ou des ruptions volcaniques ; celles-ci peuventtre considres, en partie du moins, comme des explosions dlectricit positive dumanteau". (p. 367). Ne cherchons plus les explications de ces phnomnes dans lesmouvements telluriques

    CONCLUSION

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    La thse est bel et bien un plaidoyer en faveur de lastrologie, cherchant dmontrer que lastrologie est scientifique. Mais il sagit systmatiquement daffirmations sanspreuve, de commentaires ignorant les rfrences existantes, dinterprtations errones, letout couronn par une confusion sur les sujets scientifiques invoqus.

    Concernant les principaux arguments mis en avant lencontre de lastrologie par lesscientifiques, ils sont en gnral traits par le mpris et par unedngation de principe, sansargument. Au vrai, ils sont ignors la plupart du temps. Et de ce fait, la thse napportemme pas le point de vue dun astrologue sur ces arguments pourtant vieux de plusieurssicles.

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    Remarques philosophiques conclusives

    par

    Jacques Bouveresse, Philosophe, Professeur au Collge de France

    La thse soutenue par Madame Elizabeth Teissier le 7 avril de cette anne sous le titre"Situation pistmologique de l'astrologie travers l'ambivalence fascination/rejet dansles socits postmodernes"soulve en premier lieu la question de savoir ce que vient faireexactement le mot "pistmologique" dans le titre. Mme si elle cite un nombreconsidrable de scientifiques et d'pistmologues minents (qu'elle interprte gnralement contresens, comme elle le fait galement, de faon peu prs aussi systmatique, avec lessociologues qu'elle utilise), elle ne comporte aucune analyse pistmologique relle. Lacandidate tait d'ailleurs, de toute vidence, bien incapable d'en fournir une seule. Et il nes'agit pas non plus d'un travail de sociologie des sciences (ou, si l'on prfre, des pseudo-sciences), une discipline dont la candidate ne matrise pas davantage les exigences, lesprincipes et la mthode. On se demande, de toute faon, ce que peut bien avoir faire, dansce qui est suppos tre une thse de sociologie des croyances et des pratiques astrologiques,un appendice intitul "Quelques preuves irrfutables en faveur de l'influence plantaire".La sociologie peut avoir, en l'occurrence, recenser et dcrire les "preuves" qui sontutilises par les dfenseurs et les adeptes de l'astrologie et la faon dont elles le sont; maiselle n'a pas adopter, en tant que telle, un point de vue normatif et valuatif quelconque surle discours apologtique qu'elle tudie et se prononcer sur la validit des argumentsutiliss et la vrit des conclusions qu'ils sont censes justifier. C'est la logique, l'pistmologie et la mthodologie des sciences qu'incombe en principe ce genre de tche;mais ce n'tait pas suppos tre l'objet de la thse. Dans la plupart des cas, il vaudraitmieux, du reste, parler de psychologie ou de psychosociologie lmentaires et mme

    rudimentaires que d'pistmologie proprement dite.

    On peut remarquer au passage que, si Madame Teissier avait eu la moindre envie de faireun travail pistmologique rel, elle aurait commenc par prendre un peu plus au srieux laremarque de Popper selon laquelle la difficult, dans le cas de disciplines commel'astrologie, n'est pas de trouver des confirmations (il n'y a rien de plus facile, en tout caspour les convaincus), mais plutt de trouver des faits susceptibles, le cas chant, deconstituer une rfutation de la thorie. Si l'on pouvait dire de la thse qu'elle dfend unpoint de vue pistmologique prcis, il faudrait ajouter immdiatement qu'il prsente toutesles faiblesses bien connues de la position confirmationniste nave. La prsence de l'annexesur le caractre "irrfutable" des preuves ne fait, bien entendu, que confirmer explicitement

    le fait que, sous le dguisement transparent d'une tude de sociologie, il s'agit en ralitessentiellement et pratiquement d'un bout l'autre d'un plaidoyer en faveur de l'astrologie,appuy essentiellement sur 1) l'intime conviction et le tmoignage personnel, 2) leconsensus et 3) la thse relativiste, caractristique de la mentalit et du mode deraisonnement "postmodernes", de l'gale dignit et de l'gale valeur de toutes lesconvictions et de toutes les croyances.

    Comme beaucoup d'autres travaux du mme genre, la thse essaie de faire simultanmentdeux choses contradictoires: elle revendique pour l'astrologie la dignit trs convoite de

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    science et mme de science par excellence (un point qui, de faon curieuse et inquitante,semble avoir chapp Alain Touraine); mais, en mme temps, en pratiquant uneffacement systmatique des diffrences et des frontires, elle ruine dfinitivement toutepossibilit de tracer une ligne de dmarcation quelconque entre la science et la non-science."L'astrologie, nous est-il dit, n'a pas encore sa place parmi les sciences dignes de ce nom"(p. XII), mais elle l'aura un jour; et, si elle ne l'a pas dj, ce "retard" ne s'appuie sur aucuneraison objective et est d uniquement l'intolrance des rationalistes et de la scienceofficielle. Mais on peut se demander ce que l'astrologie aura gagn quand elle aura conquisla place en question, puisque la distinction entre la science, la pseudo-science, lasuperstition et la mythologie sera probablement devenue en mme temps compltementvide, ce qui constituera sans doute le triomphe dfinitif, vers lequel on s'acheminevisiblement de plus en plus en plus, de la dmocratie et de l'galit parfaites en matire decroyance et de raisonnement. Un vrai "libral" n'a dj plus gure de choix qu'entrereconnatre que toutes les croyances sont vraies et admettre que la question de savoir sielles le sont ou non n'a aucune pertinence et aucune lgitimit: la poser srieusement estdj pratiquement une forme d'intolrance. Il va sans dire que ce qui est en question icin'est pas, contrairement ce qui est affirm ou suggr sans cesse, la distinction des

    sciences dures et des sciences molles et la prtendue tyrannie que les sciences exactes sontcenses exercer sur la pense et la culture en gnral: Madame Teissier est visiblement toutaussi ignorante des principes de la mthodologie des sciences humaines et de ce qui peutautoriser qualifier de "scientifique" ce qu'elles font qu'elle l'est de l'pistmologie dessciences exactes.

    La thse procde la plupart du temps par une accumulation, destine crer une impressiond'rudition et de srieux irrprochables - la candidate connat manifestement les rgles dujeu universitaire -, de citations de personnalits illustres de toutes les poques, utilises surle mode de l'argument d'autorit. Madame Teissier a trouv, en particulier, un nombreconsidrable de dclarations de grands scientifiques qui disent des choses qu'elle interprte

    comme des arguments en faveur de la reconnaissance de l'astrologie comme disciplinescientifique. Mais elle devrait, dans ce cas, se demander pourquoi les reprsentants agrsde ce qu'elle appelle le "nouvel esprit scientifique" n'ont pas encore sign un appel solennelen faveur d'une galit de traitement entre l'astrologie et l'astronomie (il doit s'agir ici nonplus d'intolrance, mais plutt d'inconsquence pure et simple). On ne peut pas ne pas avoirici une pense mue pour Bachelard, un des auteurs dont les textes sont le plusgrossirement msinterprts ou dtourns de leur sens et qui, quand il a parl d'un "nouvelesprit scientifique", ne pensait malheureusement pas, comme Madame Teissier, auColloque de Cordoue. Le comble de l'ironie est atteint quand elle cite un ouvrage commeLa Formation de l'esprit scientifique, dont elle a t manifestement incapable d'apprendrequoi que ce soit, en croyant que ce genre de livre apporte de l'eau son moulin. Tout estbon, commencer par les dclarations des plus grands scientifiques eux-mmes, quand il

    s'agit de balayer devant la porte de la science; mais rien de ce qui, dans leur discours,pourrait constituer, implicitement ou explicitement, une menace pour la respectabilitscientifique de l'astrologie n'est jamais voqu.

    Il vaut mieux viter, par charit, de s'attarder sur le dfil des formules rituelles, desclichs, des msinterprtations, des erreurs et des sottises habituels concernant les leonspistmologiques rvolutionnaires que nous sommes supposs devoir tirer de la physiquequantique. Il est plus important de remarquer que, dans la plupart des cas, Madame Teissier

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    ne comprend tout simplement mme pas ce qu'elle lit et commente. Quand, par exemple,Boudon crit qu'"il est des croyances fondes sur des raisons que la plupart des sujetsconcerns ont des chances de trouver bonnes: qualifions-les de bonnes raisons", elleconclut que"cela a pour nom le consensus socioculturel". (p. 734). Autrement dit, elleignore visiblement tout ou ne veut rien savoir du genre de distinction auquel songeaient lespenseurs de la tradition rationaliste, quand ils ont oppos les causes (psychologiques,sociologiques, socioculturelles et autres), qui sont indiffrentes par rapport la distinctionde la vrit et de la fausset, et les raisons objectives de la croyance; et elle fait comme si leconsensus lui-mme pouvait constituer la meilleure et pour finir la seule raison objective dela vrit d'une proposition ou d'une doctrine. Son argument le plus srieux en faveur del'astrologie est, de toute vidence, celui de l'accord entre les croyants: si 58% des Franaiscroient, d'aprs un sondage du Monde, que l'astrologie est une science, il y a galement58% de chances pour que c'en soit une, et mme probablement beaucoup plus, puisque,d'une part, un bon nombre de gens qui croient la scientificit de l'astrologie hsitent lereconnatre et, d'autre part, un bon nombre de ceux qui n'y croient pas sont simplementconditionns et influencs par les certitudes dogmatiques et les dcrets arbitraires del'establishmentscientifique. Penser qu'une majorit de gens peut croire un moment donn

    des choses fausses et mme absurdes, ce qui se vrifie pourtant rgulirement, n'est pas unemaxime mthodologique saine, que les rationalistes ont, pour une fois, raison d'adopter,mais simplement une preuve de suffisance, d'litisme, d'intolrance et de sectarisme.

    Que la sociologie doive galement s'intresser aux raisons que les individus donnent deleurs croyances et aux jugements de valeur qu'ils formulent, du point de vue pistmique, propos de la rationalit, de la vrit objective ou de la scientificit de ce qu'ils croient, nefait videmment aucun doute. Mais elle n'a pas, que l'on sache, les entriner, ce queMadame Teissier fait pourtant sans hsiter, tout au moins quand ils vont dans le sens qui luiconvient. Que l'opinion d'une minorit (en l'occurrence, celle de la communautscientifique et de ceux qui, sur la question de l'astrologie, sont du mme avis qu'elle) puisse

    ventuellement s'appuyer sur de meilleures raisons et tre davantage fonde que celle duplus grand nombre (qui est peut-tre, effectivement, plutt du ct de Madame Teissier),est une chose qu'elle ne parvient tout simplement pas envisager.

    Les dveloppements sur "la rsistible hgmonie de l'idologie scientiste" ont de quoidcourager le lecteur le plus indulgent par leur caractre positivement affligeant. On a djune ide de la prcision des connaissances historiques de l'auteur quand on constate que,pour elle, le mot "scientiste" a t introduit en 1911 par Le Dantec et que "ce fut ensuite autour de RENAN de confondre "science et perfection morale", montrant par l mme uneattitude utopiste"(p. 726). A supposer qu'il l'ait rellement fait, Renan avait sans doute tortde confondre science et perfection morale, mais srement pas plus que Madame Teissierquand elle nous invite compter, pour le perfectionnement de l'humanit, sur le

    dveloppement de la science la plus importante de toutes, savoir l'astrologie. On sedemande d'ailleurs bien pourquoi, la science tant ce qu'elle est, l'astrologie tient ce point apparatre un jour ses cts et entrer son tour dans la Sainte Eglise des disciplinesscientifiques reconnues. Madame Teissier, qui aime le mot "aporie", mais ignorevisiblement son sens, parle de "cette aporie qui incite la science reprocher la religionou tout systme para-religieux (astrologie) ses propres dviances"(p. 727). Autrementdit, c'est la science elle-mme qui a commenc en se transformant en une religion et qui at imite ensuite par d'autres. Mais, au fait, d'aprs Madame Teissier, l'astrologie est-elle

  • 8/14/2019 Analyse de la thse d'lizabeth Teissier

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    rellement un systme para-religieux, ou bien est-ce la science officielle et elle seule qui enest un et qui reproche tort l'astrologie de l'tre aussi ? Quand il est question du "non-logiquede PARETO, affectant mme - et peut-tre surtout - ceux qui veulent s'affranchirtotalement de l'irrationnel"(p. 727), faut-il comprendre que l'astrologie est l'abri de cerisque, parce qu'elle ne cherche en aucune faon s'affranchir de l'irrationnel et l'exploitemme ouvertement? L'auteur, apparemment soucieuse de protger la science contre sespropres tentations, n'oublie pas de citer Hayek, qui dit que "le danger est maintenant quel'influence du scientisme empche le progrs des sciences sociales"(p. 728). Mais elle nese demande pas si, pour ceux qui luttent avec raison contre le scientisme, dans l'intrtmme de la science, la croyance la scientificit de disciplines comme l'astrologie nereprsenterait pas un danger encore bien plus grand. De faon gnrale, la thse use etabuse de l'argument Tu quoque!, sans remarquer que soutenir que la science procdefinalement de faon aussi irrationnelle que l'astrologie revient concder que l'astrologieprocde effectivement de faon irrationnelle et scier la branche sur laquelle on souhaite lafaire asseoir, puisque ce que l'auteur voudrait nous faire croire est qu'elle est en fin decompte aussi rationnelle et mme, tout compte fait, beaucoup plus rationnelle qu'unescience qui a dgnr en une simple religion, sclrose, dogmatique et sectaire.

    Einstein pensait que la science repose sur une croyance de nature religieuse en laconnaissabilit et la comprhensibilit fondamentales du rel. Mais la prsence d'uneconviction et d'une motivation de cette sorte au fondement de l'activit du physicien nesuffit videmment pas faire de la physique une religion, pas plus que le recours auxmathmatiques et au langage des mathmatiques, que Madame Teissier n'oublie pasd'invoquer comme un argument (notamment quand il s'agit de distinguer la "bonne"astrologie (la sienne) de la "mauvaise") et dont elle fait visiblement tout un plat, ne suffit faire de l'astrologie une science. Dans toutes ces discussions, aucun effort srieux n'est fait,bien entendu, pour distinguer la part des facteurs psychologiques et logiques, subjectifs etobjectifs, rationnels et irrationnels, culturels et ontologiques, etc., qui interviennent dans la

    construction d'une image scientifique du monde, ce qui devrait pourtant constituer l'un desbuts principaux d'une rflexion pistmologique digne de ce nom. Le rsultat auquel on estconduit est une espce d'quivalence et d'indistinction gnralises, qui a pour but de rendreincomprhensible et insupportable l'attitude de