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Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, 178—183 RUBRIQUE PRATIQUE Anesthésie pour une liposuccion Anaesthesia for liposuction Karim Abdessalem Clinique El Amen La Marsa, Tunis, Tunisie Disponible sur Internet le 24 juillet 2010 MOTS CLÉS Liposuccion ; Embolie graisseuse Résumé La liposuccion est une intervention très fréquente. Le volume des solutions utili- sées varie selon la technique. De grandes quantités de lidocaïne et d’adrénaline peuvent être administrées. L’infiltration du tissu graisseux qui n’est que partiellement aspirée, induit des mouvements liquidiens. En postopératoire les complications rares mais graves sont liées à la résorption du liquide infiltré et/ou à la survenue d’embolie fibrinocruorique ou graisseuse. La liposuccion est une intervention chirurgicale qui doit être encadrée en ce qui concerne le monitorage per- et postopératoire des patients. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Liposuction; Fat embolism Summary Liposuction is the most common procedure performed by plastic surgeons. Volumes and concentrations of infiltrates vary widely but large amount of lidocaine and epinephrine may be administered. Infiltrated solution is only partly aspirated leading to change in intravenous volume balance. Rare but severe complication may occur postoperatively related to infiltrate resorption and/or pulmonary embolism especially fat embolism. Liposuction is a surgical pro- cedure that requires careful per- and postoperative monitoring of patients. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. La liposuccion est l’intervention la plus fréquente en chirurgie esthétique [1,2]. En Amérique du Nord, on estime qu’il se pratique plus de 300 000 actes par an [3,4]. La technique de liposuccion a été introduite par Illouz dans les années 1980 [5]. C’est l’hydrodissection-aspiration ou wet technique : la graisse sous-cutanée est décollée par l’infiltration d’une solution adrénalinée puis aspirée à l’aide de canules. Ses résultats sont Adresse e-mail : [email protected]. 1279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2010.06.003

Anesthésie pour une liposuccion

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e Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, 178—183

UBRIQUE PRATIQUE

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naesthesia for liposuction

Karim Abdessalem

Clinique El Amen La Marsa, Tunis, Tunisie

Disponible sur Internet le 24 juillet 2010

MOTS CLÉSLiposuccion ;Embolie graisseuse

Résumé La liposuccion est une intervention très fréquente. Le volume des solutions utili-sées varie selon la technique. De grandes quantités de lidocaïne et d’adrénaline peuvent êtreadministrées. L’infiltration du tissu graisseux qui n’est que partiellement aspirée, induit desmouvements liquidiens. En postopératoire les complications rares mais graves sont liées à larésorption du liquide infiltré et/ou à la survenue d’embolie fibrinocruorique ou graisseuse.La liposuccion est une intervention chirurgicale qui doit être encadrée en ce qui concerne lemonitorage per- et postopératoire des patients.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary Liposuction is the most common procedure performed by plastic surgeons. Volumes

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and concentrations of infiltrates vary widely but large amount of lidocaine and epinephrine maybe administered. Infiltrated solution is only partly aspirated leading to change in intravenous

volume balance. Rare but severe complication may occur postoperatively related to infiltrateresorption and/or pulmonary embolism especially fat embolism. Liposuction is a surgical pro-cedure that requires careful per- and postoperative monitoring of patients.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La liposuccion est l’intervention la plus fréquente en chirurgie esthétique [1,2]. EnAmérique du Nord, on estime qu’il se pratique plus de 300 000 actes par an [3,4].

La technique de liposuccion a été introduite par Illouz dans les années 1980 [5]. C’estl’hydrodissection-aspiration ou wet technique : la graisse sous-cutanée est décollée parl’infiltration d’une solution adrénalinée puis aspirée à l’aide de canules. Ses résultats sont

Adresse e-mail : [email protected].

279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.pratan.2010.06.003

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Anesthésie pour une liposuccion

nettement supérieurs à la technique sèche ou dry tech-nique, actuellement abandonnée, qui consistait quasimenten un curetage de la graisse. La liposuccion connaît plu-sieurs variantes aussi bien dans la composition et le volumedu liquide infiltré que dans la quantité de graisse aspirée. Ilimporte de bien connaître les différentes techniques opéra-toires pour y adapter le type d’anesthésie et la réanimationhydroélectrolytique. En outre, elle bénéficie du progrèstechnologique instrumental tel que les ultrasons et le laserqui ne seront pas abordés dans cette mise au point.

Les risques de la liposuccion moderne sont réduits maisnon négligeables et peuvent même être létaux. La mortalité,estimée par recensement, est de 95 cas sur 496 245 actes cequi correspond à près de 1/5000 [6].

Évaluation préopératoire

La liposuccion concerne en général des patients de statutASA 1 ou 2 mais pas toujours. C’est le type même de chirur-gie considérée comme simple mais qui peut engendrer descomplications graves jugées « imméritées ». Une évaluationattentive des patients et de leurs comorbidités, en parti-culier cardiovasculaires, doit être mise en œuvre pour unmaximum de sécurité. L’index de masse corporelle doit êtrecalculé.

L’évaluation anesthésique préopératoire recherche parti-culièrement, chez ces patients souvent obèses, un syndromed’apnée obstructive du sommeil, une cardiopathie isché-mique et des facteurs prédictifs d’intubation difficile. Laprésence d’une anémie doit faire reporter l’acte jusqu’à sacorrection [7]. La liposuccion, qui est une chirurgie fonction-nelle, est contre-indiquée en cas de comorbidité instable,d’anomalie de l’hémostase et en cas de grossesse [1,6,8]. Laphase préopératoire est également le moment de l’initiationde techniques de thromboprophylaxie comme la mise enplace de systèmes de compression—contention des membresinférieurs.

Anesthésie

Plusieurs techniques anesthésiques sont possibles : uneanesthésie locale par infiltration, une anesthésie locoré-gionale périmédullaire, une sédation ou une anesthésiegénérale. Les techniques sont parfois combinées et le choixest effectué selon le profil du patient, l’importance et lesiège de l’acte, la position opératoire et les habitudes del’équipe.

Anesthésie générale

Les agents de l’anesthésie subissent des modifications phar-macocinétiques chez les sujets obèses. Une réadaptationdes doses est donc nécessaire qui ne varie pas de faconlinéaire avec le poids. La technique la plus adaptée est doncla titration en se fiant à un monitorage de la profondeur

de l’anesthésie qui permet de limiter la quantité d’agentanesthésique administré à ce qui est nécessaire et suffi-sant. Dans ces conditions, l’usage du rémifentanil n’offrepas d’avantage majeur par rapport à celui d’opiacé plusliposoluble comme le sufentanil [9].

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On observe au cours de l’anesthésie une altératione la mécanique respiratoire d’autant plus significativeue l’indice de masse corporelle (IMC) est élevé. L’effetompressif du contenu abdominal sur le diaphragme seraduit par une réduction de la capacité résiduelle fonction-elle et de la compliance pulmonaire et d’une majoration de’effet shunt. Par ailleurs la réserve en oxygène, qui résultee la saturation de la capacité résiduelle avant induction,st moindre chez les obèses que chez les sujets de poids nor-al. Afin de minimiser ces effets, il est recommandé, dès

’induction, de maintenir tant que possible le patient en uneosition proclive de 25 degrés par rapport au plan horizontalt d’appliquer une pression expiratoire positive (PEP) de 5 à0 cm H2O [10,11].

L’installation en décubitus ventral est souvent demandéear le chirurgien. La plus grande attention est requise lorsu retournement du patient. Il doit se faire avec un nombreuffisant de personnels pour éviter les chutes et des trauma-ismes. Le thorax et le pelvis sont surélevés par des billots deaille adaptés au surpoids pour assurer une liberté des mou-ements abdominaux. Tous les points d’appui sont recensést protégés. Les difficultés et les risques liés au position-ement sont proportionnels à l’index de masse corporelle12].

nesthésie périmédullaire

’anesthésie rachidienne ou péridurale ne présente aucunearticularité dans cette chirurgie. Cependant, dansa mesure où des quantités relativement importantes’anesthésique local vont être utilisées pour la chirurgie,l faudrait définitivement préférer la rachianesthésie à’anesthésie péridurale. De plus, la vasoplégie qui résulteloc sympathique peut augmenter la résorption des anes-hésiques locaux injectés dans le tissu graisseux. Dans cesonditions, même la rachianesthésie ne paraît pas un choixrès approprié.

nesthésie locale

’anesthésie locale a été largement développée à l’initiativee Klein [13] qui a utilisé le terme d’anesthésie tumes-ente en précisant le volume et la composition de la solution’infiltration en anesthésiques locaux et en agents vasocons-ricteurs. Aux États-Unis, les deux tiers des interventionsont faites par les chirurgiens plasticiens et un tiers pares dermatologues. Ces derniers, n’ayant le droit d’opéreru’en cabinet médical et sans hospitalisation, ont largementontribué à la diffusion de la technique tumescente.

ontroverses anesthésie générale versusnesthésie locale

ans la littérature se dégage une controverse voire uneolémique entre spécialistes à propos de leurs perfor-ances respectives. Alors que les plasticiens rapportent

ne mortalité de 1/5000 liposuccions [6], les dermatologues

e leur côté, pour ce même acte, ne déplorent aucunécès [1,14] et tout en mettant en exergue l’intérêt dea technique tumescente, ils incriminent l’anesthésie géné-ale comme facteur majeur de risque de mortalité [1,15].l ne s’agit en fait que de vagues allusions aux dangers
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es anesthésies autres que tumescente et sans fondementscientifiquement valable [2]. En réalité, quelle que soit laechnique d’anesthésie adoptée, la liposuccion a son lot deomplications. En effet, sur une période de cinq années,2 complications sévères liées à la liposuccion tumescentent été rapportées, dont 23 ont été fatales. Ces décès neemblent pas en relation avec l’anesthésie générale (effec-uée dans dix des cas seulement) mais semblent imputablesl’administration de grandes quantités d’anesthésique localn solution adrénalinée lors de l’infiltration tumescentu’elle soit associée à l’anesthésie générale (dix fois), à uneédation (neuf cas) ou effectuée seule (quatre cas) [16].

ature des solutions utilisées pour laiposuccion tumescente

a liposuccion débute par une infiltration d’une solution deérum salé isotonique ou de Ringer lactate contenant de’adrénaline et éventuellement un anesthésique local. Laraisse ainsi disséquée est dans un second temps aspirée.

olume du liquide infiltré

e volume de la solution infiltrée est variable selon les opé-ateurs. En le rapportant au volume total de tissu graisseuxspiré (rapport infiltré—aspiré), qui est pré-estimé lors dea consultation chirurgicale en fonction de plusieurs para-ètres tels que l’âge, le statut physiologique, le poids et la

aille du patient ainsi que la nature et la localisation de laraisse, on peut distinguer [17] :

la wet technique, rapport volume infiltré—volume de tissugraisseux aspiré inférieur à 1 ;la superwet technique, ratio égal à 1 ;la technique tumescente, ratio entre 3 et 4.

Le saignement opératoire dépend en grande partie duolume du liquide infiltré. Quand l’infiltration est de faibleolume (wet technique : 300 mL par site), le sang représenteoins de 30 % du volume aspiré [17]. Une infiltration d’un

olume plus important de solution adrénalinée, au moinsgale au volume total de liquide qu’il est prévu d’aspirertechnique superwet), permet de réduire le saignement aueuil minimal de 1 % [17,18]. L’utilisation de volumes deux

trois fois plus élevés que le volume d’aspiration pré-stimé [13] ne réduit pas plus le saignement, mais aboutitl’administration d’une plus grande quantité de lidocaïne

iluée (0,1 % = 1 mg/mL). C’est une pratique privilégiée pares dermatologues qui opèrent sous anesthésie locale. Enait, dans la littérature, le terme « tumescente » a eu pluse succès que la technique elle-même [19], il est souventmployé comme un synonyme à la technique superwet etésigne une infiltration d’un grand volume de solution quelue soit le type d’anesthésie.

En réduisant les pertes sanguines, la technique superwetpermit de pratiquer des liposuccions de plus en plus larges.ne liposuccion importante correspond à un volume total

spiré supérieur à 5 L. S’il est préconisé par certains auteurse se limiter à des lipoaspirations de 4 ou 5 L par séances1,8,20] ou de ne pas dépasser les 5 % du poids du corps [21]’autres pratiquent des « mégaliposuccions » (8 L) voir desgigantoliposuccions » (12 L) [22].

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K. Abdessalem

éanimation hydroélectrolytique

e risque lié à une infiltration importante est de provoquerne hypovolémie ou une surcharge hydrosodée en fonctione l’osmolalité de la solution [23]. Plus le volume de la solu-ion infiltrée est élevé plus le volume des solutés perfusésoit être limité.

Dans le cadre de la wet technique et à titre d’exemple,l est recommandé pour pratiquer une aspiration de 4 L chezn patient de 80 kg, de perfuser un volume de 3000 mL asso-iant des colloïdes et des cristalloïdes [20]. Dans une sériee 580 liposuccions, le rapport volume infiltré sur volumespiré était de 0,38 et le volume moyen aspiré de 2234 mL.ans le contexte de la liposuccion tumescente, le volumee perfusion doit être restreint à moins de 500 mL [13].

La superwet technique se situe entre ces deux extrêmes.chématiquement, le bilan en eau est constitué par lesntrées : solution infiltrée et solutés perfusés et les sorties :roduit aspiré, diurèse et pertes insensibles. L’aspirationst constituée de 63 à 77 % de tissu graisseux (de faibleeneur en eau), de 30 % du liquide infiltré et de 1 % deang [24]. Le déterminant principal du bilan hydrique estonc le liquide infiltré dont 70 % du volume se trouvent,n fin d’intervention dans le tissu sous-cutané. Dans uneérie de cinq liposuccions expérimentales, le poids corpo-el était augmenté en postopératoire immédiat de 9 kg enoyenne [25]. La mise en place immédiate d’un systèmee contention adapté au poids et à la taille du sujet estmportante pour le devenir de ce liquide. Bien appliqué, ilermet son absorption lente dans le secteur vasculaire, sans-coups et sans risque de surcharge [18]. L’équilibre du bilanydrique est alors rétabli par une polyurie. Au contraire, sia gaine est inadaptée, ce liquide peut s’accumuler en sous-utané et entretenir un troisième secteur avec une possibleypovolémie postopératoire [24].

Divers protocoles sont proposés pour assurer un justequilibre de la balance hydrique [18,24,26,27]. Il faut seaser sur le rapport entre les volumes de la solution infil-rée et de liquide perfusé divisés par le volume total aspiré.n fin d’intervention, ce rapport doit être à 1,8 pour lesspirations inférieures à 5000 mL et à 1,2 pour les aspira-ions supérieures à 5000 mL [27]. Pour atteindre cet objectif,ertains recommandent d’adapter le débit de perfusion auxodifications des paramètres de monitorage standards et de

ompenser chaque millilitre de liquide aspiré au-dessus de000 mL par un quart de millilitre de soluté cristalloïde.

omposition du liquide d’infiltration

drénalinea concentration d’adrénaline est en général de 1 mg/L.on action vasoconstrictrice permet de diminuer voire’éviter le saignement. L’effet est maximum au bout de5 à 30 minutes, il autolimite l’absorption de l’anesthésiqueocal [25]. La quantité d’adrénaline devrait être limi-ée à 0,7 mg/10 kg. Les doses totales administrées varient

ependant de 50 �g/kg [8] à 12,5 mg [22]. Ces dosesont importantes et doivent être prises en considéra-ion car la résorption de l’adrénaline peut induire desroubles du rythme ou une hypertension artérielle. Lesituations contre-indiquant l’injection d’adrénaline telle
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qu’insuffisance ou arythmie cardiaque, hypertension arté-rielle sévère, doivent faire récuser les patients [8,16].

LidocaïneLa lidocaïne est le seul anesthésique local utilisé pour lesliposuccions. Certaines équipes l’associent systématique-ment à la solution d’infiltration même si la liposucciondoit se dérouler sous anesthésie générale dans l’objectifd’obtenir une analgésie postopératoire [17,24,26].

La dose de lidocaïne administrée est très variable de10 mg/kg lorsqu’elle s’associe à une anesthésie générale[26], à 55 [8] voire 88 mg/kg [28] pour la techniqued’anesthésie tumescente, ce qui est considérable et dépasselargement les normes recommandées pour les techniquesd’anesthésie locorégionale (5 mg/kg) [29]. Cependant lasociété américaine de chirurgie dermatologique recom-mande d’utiliser une dose de 35 à 55 mg/kg [31] alors qued’autres restreignent les doses à moins de 35 mg/kg [30].

Les études de pharmacocinétique ont montré que lepic de concentration plasmatique était atteint entre 18 à28 heures. Le seuil de concentration plasmatique toxique estde 5 mg/L. Plusieurs facteurs rendent compte de ce profil : lafaible résorption de la lidocaïne par le tissu graisseux, l’effetvasoconstricteur de l’adrénaline et l’aspiration d’une partiede la solution (estimée à 10 %). Des décès au décours d’actesde liposuccion, attribués à un surdosage en lidocaïne, ontété rapportés [32,33]. La toxicité de la lidocaïne peut semanifester tardivement par rapport à l’acte de liposuccion[36]. Elle s’explique par un retard d’élimination de la lido-caïne. Le métabolisme de la lidocaïne est exclusivementhépatique par le système du cytochrome P450. Ses deuxprincipaux métabolites sont la glycine-xylitide (GX) et lamono-éthyl-glycine-xylitide (MEGX). Ils sont hydrophiles etexcrétés par le rein. L’activité des microsomes hépatiques,d’une capacité de 250 mg par heure [34], est inhibée par leMEGX conduisant à une limitation de la clairance de la lido-caïne et à l’augmentation de son taux sanguin de 30 à 40 %[35].

Liposuccion et hypothermie

L’hypothermie est fréquente au cours de cette chirurgie.Le réchauffement du liquide d’infiltration est un élémentimportant parmi les moyens habituels de prévention del’hypothermie [25]. L’utilisation de liquide froid voire glacé,préconisée pour soulager la douleur et diminuer les pertessanguines, est dangereuse et doit être abandonnée [19].

Complications de la liposuccion

À côté des accidents liés au volume ou à la composi-tion du liquide d’infiltration, des complications d’ordrehémorragique, emboliques et infectieuses sont régulière-ment rapportées.

Hémorragie

La liposuccion s’accompagne obligatoirement de brèchesvasculaires et de pertes sanguines généralement de faibledébit mais prolongées. L’importance du saignement dépend,

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u volume du liquide d’infiltration, du type de matériel uti-isé et du savoir-faire de l’opérateur. Les canules de nouvelleénération, de petit calibre et à bord mousse, sont peuraumatisantes. Elles sont munies à leurs extrémités de mul-iples orifices latéraux qui facilitent l’aspiration de la graisset offrent un meilleur résultat esthétique [22]. L’anémieostopératoire augmente la morbidité et prolonge la durée’hospitalisation. Le seuil de transfusion est de 7 g/dL en’absence de comorbidités.

mbolie graisseuse

a réalité de l’embolie graisseuse est démontrée dans destudes expérimentales notamment chez le rat. Des embolesont retrouvés dans le sang et dans divers organes de’animal sacrifié après une liposuccion [37]. Ce risque estmprévisible et semble indépendant du volume de graissespiré. En effet, cette complication a été rapportée aprèsne liposuccion de seulement 600 mL [38]. Le syndrome’embolie graisseuse s’observe le plus souvent, après unntervalle libre de quelques heures. Le tableau, de gravitéariable et non spécifique, comporte classiquement la triadelinique : une détresse respiratoire aiguë, des signes neuro-ogiques variés (troubles de la conscience, crises comitiales,ignes déficitaires) et des lésions pétéchiales disséminées.n observe au fond d’œil un œdème maculaire, des tâcheslanches cotonneuses et des hémorragies rétiniennes. Lesnomalies du bilan sanguin sont peu spécifiques : anémie,eucocytose ou thrombopénie. La tomodensitométrie thora-ique montre des lésions alvéolo-interstitielles bilatéralest l’absence d’emboles cruoriques. L’échographie cardiaquelimine un problème de dysfonction cardiaque alors que leavage bronchoalvéolaire met en évidence des inclusionsipidiques dans les cytoplasmes macrophagiques. Un pour-entage de cellule à inclusion supérieur à 5 % et le contextee survenue sont fortement évocateur de l’embolie grais-euse [39]. Le diagnostic est évoqué essentiellement enaison du contexte clinique [40].

Le point de départ de ce syndrome serait la constitu-ion de microthrombi au niveau de la zone aspirée liée à’association d’infractions vasculaires et de lésions de tissuraisseux [41]. Les emboles de diamètre supérieur à 8 �m seogent dans les capillaires pulmonaires où ils sont hydroly-és par les lipoprotéines lipases en acides gras libres nonstérifiés. Ces derniers produisent des radicaux libres etctivent les neutrophiles. La libération de médiateurs telsue les amines vasoactives et prostaglandines provoque desésions microcirculatoires et des lésions directes des unitéslvéolocapillaires. Les lésions histologiques sont un œdèmenterstitiel transsudatif puis alvéolaire de type exsudatif,ne destruction des pneumocytes de type II et un dépôt deembranes hyalines. Le traitement de l’embolie graisseuse

st purement symptomatique.

ccidents thromboemboliques

’accident thromboembolique fibrinocruorique est la

omplication la plus fréquente de cette chirurgie [16].e risque d’embolie semble directement lié à la quantitée graisse aspirée et à la durée de l’intervention [42]. Laéambulation est essentielle dans la prévention des throm-oses veineuses profondes. Elle permet aussi d’accélérer
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’évacuation du liquide d’infiltration résiduel. Le lever estn des éléments de la réhabilitation précoce qui associee traitement de la douleur, la prévention des nausées etomissements, le réchauffement et la correction d’uneypovolémie.

L’emploi de bas de contention élastique ou d’un systèmee compression intermittent, mis en place avant l’inductionnesthésique, est préconisé pour la plupart des patients17]. La thomboprophylaxie par une héparine de bas poidsoléculaire est indiquée au cours des liposuccions impor-

antes et chez les patients à risque [43].

omplications infectieuses

armi les complications infectieuses de la liposuccion, la fas-iite nécrosante est la plus redoutable. Les premiers signesliniques apparaissent en moins de 24 heures imposant unontrôle systématique de l’état cutané avant la sortie duatient. Le traitement doit être rapide et consiste en unébridement large de la nécrose. Le retard de diagnosticst grevé d’une lourde mortalité [16].

La préparation des patients, par une douche à la povidoneodée à 5 ou 10 %, doit être particulièrement minutieuse.es recommandations actuelles de la SFAR en termes’antibioprophylaxie sont d’utiliser l’association amoxicil-ine plus acide clavulanique (Augmentin® 2 g intraveineux,g après deux heures d’intervention) ou la clindamycine

600 mg répétée après quatre heures d’intervention) en cas’allergie à la pénicilline.

utres complications

a perforation de viscère abdominal est possible, favori-ée par un abdomen cicatriciel. Des cas cliniques en sontégulièrement rapportés [16].

Une cécité uni- ou bilatérale a été rapportée. Il s’agit’une neuropathie du nerf optique de type ischémiqueavorisée par une hypotension artérielle prolongée et unenémie sévère. Cette complication n’est pas spécifique deette chirurgie, elle est plus fréquemment rapportée en chi-urgie cardiaque où le terrain athéromateux représente unacteur de risque supplémentaire [44].

onclusion

a liposuccion, intervention la plus fréquente en chirurgiesthétique, connaît autant de variantes dans le volume eta composition du liquide d’infiltration que d’opérateurs.’anesthésie générale est privilégiée pour les actes impor-ants et de longue durée. La superwet technique qui consisten une infiltration d’un large volume de solution adrénalinée

permit la pratique d’aspiration de plus en plus impor-

ante et faiblement hémorragique. Les doses importantes deidocaïne administrées doivent conduire à une très grandeigilance dans la surveillance per- et postopératoire desatients.

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K. Abdessalem

onflit d’intérêt

’auteur, médecin anesthésiste réanimateur, déclare avoirris connaissance de l’obligation de déclarer les intérêtsventuels et leur nature liés à l’élaboration de cet articlentitulé « anesthésie pour liposuccion », et être donc enesure de déclarer qu’il n’est pas en situation de conflit’intérêt particulier.

nnexe A. Matériel complémentaire

e matériel complémentaire accompagnant la ver-ion en ligne de cet article est disponible suroi:10.1016/j.pratan.2010.06.003.

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