49
Raymond Montpetit Une logique d'exposition populaire : les images de la muséographie analogique In: Publics et Musées. N°9, 1996. Les dioramas (sous la direction de Bernard Schiele) pp. 55-103. Citer ce document / Cite this document : Montpetit Raymond. Une logique d'exposition populaire : les images de la muséographie analogique. In: Publics et Musées. N°9, 1996. Les dioramas (sous la direction de Bernard Schiele) pp. 55-103. doi : 10.3406/pumus.1996.1071 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Embed Size (px)

DESCRIPTION

museum

Citation preview

Page 1: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Raymond Montpetit

Une logique d'exposition populaire : les images de lamuséographie analogiqueIn: Publics et Musées. N°9, 1996. Les dioramas (sous la direction de Bernard Schiele) pp. 55-103.

Citer ce document / Cite this document :

Montpetit Raymond. Une logique d'exposition populaire : les images de la muséographie analogique. In: Publics et Musées.N°9, 1996. Les dioramas (sous la direction de Bernard Schiele) pp. 55-103.

doi : 10.3406/pumus.1996.1071

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Page 2: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

AbstractWhen analyzed, the currently used word «diorama» appears to cover a whole range of variousmuseographical devices which have in common to place, in an exhibit, images that refer to reality. Forthis reason, such practices can be called «analogical museography» and its main devices be described— the panorama, the actual diorama, the wild life scènes, the period room, the streetscape, and theecosystem. Studying these analogical museographies leads to reflection on how the exhibitpresentation becomes autonomous from the collections, andfrom the way they are studied. We offer atypology which distinguishes between exhibitions with an exogenous logic — cognitive or situational —and exhibitions with an endogenous logic — thematical, narrative, or conclusive. Analogicalmuseographies takepart in a dynamic of démocratisation, which is willing to lead ail audience andterritories into the muséum.

RésuméLa désignation courante de «dioramas» recouvre, à l'analyse, une gamme de dispositifsmuséographiques variés, qui ont en commun d'installer dans l'exposition des images qui font référenceau réel. À ce titre, on peut qualifier de telles pratiques de «muséographie analogique» et décrire sesprincipaux dispositifs — le panorama, le diorama proprement dit , le groupe animalier, l'intérieurd'époque (period room), le paysage urbain (streetscape) et l'écosystème. L'étude de cesmuséographies analogiques conduit à penser comment la présentation en exposition s'autonomise àl'égard de l'ordre des collections et de leur étude. Une typologie est présentée qui distingue entre desexpositions à logique exogène — cognitives ou situationnelles — et des expositions à logiqueendogène — thématiques, narratives ou démonstratives. Les muséographies analogiques sont situéesdans la dynamique de démocratisation, qui veut fairer entrer au musée tous les publics et tous lesterritoires.

ResumenLa designación habitual de «dioramas» comprende, si analizamos, una gama de dispositivosmuseograficos que tienen una caracteristica en comun, la de instalar en la exposición unas imagenesque se refieron a la realidad. Con este concepto se pueder calificar tales practicas de «museografïaanalógica» y describir sus principales dispositivos — el panorama, el diorama propriamente dicho, elgrupo de animales, el interior de casa de época, el paisaje urbano y el ecosistema. El estudio de esasmuseografïas analogicas lleva a imaginar cômo se autono- miza la presentación en exposición conrelación al orden de las colecciones y a su estudio. Se presenta una tipologia que esablece unadiferencia entre unas exposiciones con lógica exógena — cognitivas o situacionales — y unasexposiciones con lógica endógena — tematicas, narrativas o demostra- tivas. Las museografïasanalogicas se sitùan en la dinamica de democratización que quiere abrir el museo a todos los publicosy a todos los territorios.

Page 3: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Raymond Montpetit

UNE LOGIQUE D'EXPOSITION POPULAIRE :

LES IMAGES DE LA MUSÉOGRAPHIE ANALOGIQUE

R réfléchir sur le phénomène des dioramas, c'est se placer d'emblée dans l'espace complexe des relations qui unissent publics et musées. L'étude de ces rapports aux publics emprunte, me semble-t-il, deux voies principales d'analyse : une première part des collections et des phénomènes de patrimo- nialisation ; elle pose la question des actions et des mécanismes par lesquels des objets particuliers sont acquis et entrent dans des collections, obtenant le statut de biens culturels collectifs qui justifie de les rendre accessibles aux citoyens, même si l'histoire de leur production et de leur rassemblement relève, le plus souvent, de passions bien individuelles.

Un second questionnement publics /musées s'initie non pas par le biais de la patrimonialisation et de l'accès aux collections, mais à partir de la présence des publics dans les salles d'exposition. Il prend en considération qui sont ces visiteurs, ce qu'ils font lors de leur visite et ce qu'ils en retirent; il analyse surtout comment, dans sa conception et sa réalisation, une exposition tient compte des visiteurs qui sont ses destinataires, en aménageant des accès praticables aux choses qu'elle montre et aux propos qu'elle tient, et en prévoyant les usages qui seront faits des dispositifs qu'elle met en place. Cette approche situe la réflexion au centre même de la mise en exposition, dans sa matérialité et son aménagement, pour analyser comment la présence postulée d'un public récepteur travaille la collection et la transforme en une présentation publique.

55 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 4: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

L'apparition, dans les musées, de présentations comme le diorama, le period room ou intérieur d'époque, le panorama, le habitat group ou groupe dans son habitat naturel, plus récemment celle de streetscape, qu'on pourrait traduire par paysage urbain ou par scène de rue, puis celle d'écosystèmes complets, comme ceux du Biodôme à Montréal, qui reproduisent sous serre des pans entiers de paysages naturels, manifeste bien l'intention des musées, de plus en plus affirmée, d'utiliser leurs collections dans des mises en scènes dont l'ordonnance répond à un objectif important: celui d'exposer et de s'adresser aux visiteurs «ordinaires» dotés de peu de connaissances préalables. La logique muséographique que je chercherai à définir sous le qualificatif d'« analogique » concerne plusieurs genres de musées, ceux d'histoire, d'ethnologie, de sciences naturelles, d'anthropologie, de civilisation, d'arts décoratifs, d'environnement, les aquariums et les zoos. On trouve parfois aussi des period rooms dans les musées de beaux-arts, quand, par exemple, un accrochage suggère la disposition des tableaux dans l'atelier d'un artiste, ou encore lorsqu'une installation montre une série d'oeuvres comme elles se présentaient, à un moment donné, chez un collectionneur, ou lors d'un Salon public, selon une mise en place dont certaines gravures nous ont conservé l'image. Cette logique correspond à un des deux grands modes possibles de présentation des expositions; en effet, plusieurs muséo- logues montrent que celles-ci sont organisées soit sous un mode systématique, soit sous un mode écologique1, misant alors sur l'analogie.

En choisissant ce genre de présentation, les concepteurs d'exposition ont recours à un procédé général qui tient de l'illustration. Définie comme une «image, figure composée pour être intercalée dans le texte d'un ouvrage imprimé» (Le Robert, 1970, p. 594) et comme l'« action d'éclairer, d'illustrer par des explications», l'illustration est une image qui accompagne un autre moyen de communication dans lequel elle s'insère. L'exposition, comme ces médias imprimés, communique d'abord avec ses destinataires par d'autres moyens que l'image; son action première est de disposer des objets dans un espace de visibilité, selon un ordre et parcours planifiés. Cependant, si l'illustrateur ajoute à du texte imprimé une image qui l'illustre, le responsable d'exposition peut aussi placer, dans l'espace où il exhibe les collections, certains assemblages d'objets qui fonctionnent comme une illustration en trois dimensions, intercalée parmi les autres choses exposées, pour illustrer et rendre plus clair le propos et s'assurer de rejoindre les spectateurs sous un mode accessible.

Recourir à l'illustration est un procédé qui a fait ses preuves dans d'autres secteurs culturels cherchant à atteindre le grand public. Par exemple, les discours de persuasion des pouvoirs, ceux des rois et autres puissants, multiplient les monuments et les images qui célèbrent et rendent visibles leurs personnes et leurs hauts faits. Et, à partir de la fin du xvnie siècle, ce qui est plus directement déterminant pour les musées, plusieurs autres lieux populaires diffusent des images — ombres chinoises, panoramas, lanternes magiques, panoptikons, scopes, musées de cire, cinématographes — et émerveillent les spectateurs avec ces images fixes ou mouvantes, étonnamment ressemblantes et efficaces.

56 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 5: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Je voudrais situer cette réflexion sur les muséographies de type dio- rama, à l'intérieur des stratégies de mises en exposition et en relation avec cette volonté croissante de démocratisation qui a conduit plusieurs musées, comme d'autres agents culturels, vers les mécanismes de l'illustration et donc vers l'analogie, qui se trouve au fondement du vaste territoire des images. Commençons par quelques définitions.

L'IMAGE ET LA MUSÉOGRAPHIE ANALOGIQUE

L ia notion première d'image peut se définir comme «quelque chose qui ressemble à quelque chose d'autre» (Joly, 1994, p. 24), donc comme une représentation, réalisée dans un quelconque matériau qui est sa concrétude, qui établit avec son réfèrent un rapport fondé sur l'analogie, c'est-à-dire, selon Umberto Eco (par exemple, 1992), sur la similitude, l'isomorphie ou la proportionnalité. Ici, il faut prendre garde à ce que la présence d'objets matériels réels dans une exposition ne nous cache pas le fait qu'ils peuvent servir de matériau à une image. Des objets comme une assiette ou un verre sont habituellement les référents de certaines images, et non eux-mêmes les éléments d'une image. Cela est vrai quand Cézanne peint, dans une nature morte, une assiette, un verre et un fruit qu'il a posé un jour devant lui, comme objets prétextes à peindre. Mais l'image peut prendre plusieurs substances, être non seulement peinte, dessinée ou photographique, mais se composer d'objets tridimensionnels scénographies. Ainsi des objets peuvent être disposés de manière à faire image et à entrer dans une composition analogique qui entretient un rapport de ressemblance avec un réfèrent donné. Nous pourrions, par exemple, reconstituer en trois dimensions la nature morte ci-haut décrite, et produire une image de ce qui a été à l'origine du tableau de Cézanne. Si les formes et les couleurs, ou les lignes d'un dessin, suffisent à l'établissement du rapport analogique, la réunion tridimensionnelle d'objets dans un espace circonscrit apporte à ce rapport un plus grand degré de réalisme.

L'image correspond, dans le vocabulaire de Peirce (1978), à un des trois types de signes qu'il décrit: le premier, «l'indice», se caractérise par un rapport de causalité ou de contiguïté physique avec son réfèrent (la fumée pour le feu, la trace de pas dans le sable); le second, le «symbole», n'entretient qu'une relation arbitraire avec ce qu'il représente (les mots d'une langue, les drapeaux nationaux) ; enfin l'icône, repose quant à elle sur la ressemblance, sur la similarité ou l'analogie entre le signifiant présent et le réfèrent qu'il représente. Aussi pour Peirce, «n'importe quoi [...] est l'icône de quelque chose pourvu qu'il ressemble à cette chose et soit utilisé comme signe de cette chose». L'image se présente donc, sémiologi- quement, parmi ces «signes iconiques» fondés sur l'analogie; le type précis de ressemblance qui existe entre l'image et ce qu'elle représente repose sur le fait que l'image reprend en elle certaines des qualités de son

57 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 6: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

réfèrent, par exemple sa forme, sa couleur, ses proportions. L'exposition, quand elle fait place au diorama ou au period room, fournit aux visiteurs une image au sens de Peirce : elle agence des objets réels dans un espace déterminé, pour faire qu'ils représentent, par le jeu d'une analogie qualitative de similitude, un certain état du monde hors du musée, invitant les visiteurs à le reconnaître et à le décoder, comme ils le font pour percevoir une situation «réelle».

Je qualifierais alors, de façon globale, la muséographie dont diora- mas, period rooms et autres reconstitutions environnementales tridimensionnelles sont des exemples, de muséographie analogique, en la définissant comme suit :

La muséographie analogique est un procédé de mise en exposition qui offre, à la vue des visiteurs, des objets originaux ou reproduits, en les disposant dans un espace précis de manière à ce que leur articulation en un tout forme une image, c'est-à-dire fasse référence, par ressemblance, à un certain lieu et état du réel hors musée, situation que le visiteur est susceptible de reconnaître et qu'il perçoit comme étant à l'origine de ce qu'il voit.

Le dénominateur commun de ces présentations est d'installer, dans les salles d'exposition, des images tridimensionnelles reconnaissables. Au moyen des objets réels montrés et, quelquefois, de composantes illustra- tives bidimensionnelles, elles provoquent un effet de réalité, en composant des «scènes de vie» vraisemblables. Sans connaître ou reconnaître chacun des objets vus, le visiteur est susceptible d'identifier globalement la scène qu'ils incarnent et de prendre pour acquis qu'une certaine situation de référence, extérieure au musée, est de quelque façon, à l'origine de l'ensemble muséographique qu'il contemple. Je voudrais faire trois remarques sur cette définition.

— Les objets qui composent la scène analogique peuvent avoir réellement cohabité ainsi et constitué un ensemble dans le monde avant leur entrée au musée. C'est, par exemple, le cas des intérieurs traditionnels acquis par G. -H. Rivière et exposés au musée des Arts et Traditions populaires à Paris; il qualifie ces réalisations «d'exposition ou présentation écologique », et écrit que leurs « composantes formaient déjà un tout avant que commence leur "existence muséale"; ils sont conservés ou reconstitués tels quels» (Rivière, 1989, p. 267). Mais avoir, dans les faits, formé un tout antérieur ne saurait entrer dans la définition de la muséographie analogique, car il est tout aussi possible que la réunion de ces objets en une totalité analogique scénographiée ne résulte que de l'intervention muséographique. C'est le cas lorsque le muséographie reconstitue, par exemple, une chambre à coucher typique de telle époque et de tel groupe social, sans qu'il ne s'agisse là d'objets ayant appartenu à une même personne, ni à une chambre connue où, jadis, ces choses auraient pris place. De même quand un animal naturalisé est montré dans son habitat, on se contente, le plus souvent, de reproduire un environnement typique dont les détails ne proviennent ni n'illustrent le lieu précis et identifiable où cet animal a vécu.

— Le réfèrent connu et reconnu auquel renvoie la mise en scène analogique peut concerner une réalité historique ou illustrer quelque

58 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 7: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

chose qui soit tiré du domaine fictionnel. C'est ainsi que des objets matériels exposés peuvent être disposés pour former le décor quotidien réel de tel auteur célèbre, — la chambre de Marcel Proust — mais peuvent aussi faire voir l'environnement imaginaire d'un personnage de roman, comme c'est le cas à Londres, pour la visite de la maison de Sherlock Holmes, et pour les expositions genre Cités-cinés ou MGM Studios, qui nous convient à entrer dans l'écran et à pénétrer dans des décors que nous reconnaissons être ceux où ont évolué des personnages de films de fiction.

— Un réfèrent reconnu est postulé être à l'origine de l'image proposée. Cela peut vouloir dire que tous les objets en montre ont fait partie de la situation « originale » d'où on les a tirés, par exemple, que tous proviennent de la véritable chambre de Proust, ou du «vrai» tournage de tel film célèbre. Au musée, de tels objets seront alors dits «originaux». Toutefois, une telle provenance n'est pas requise pour que l'analogie fonctionne: les représentations de la muséographie analogique sont vues comme «fidèles» si elles sont reconnues conformes globalement à leur modèle, si les visiteurs éprouvent, devant elles, une expérience qui répond à leurs attentes et à leurs représentations préalables. Ceci peut advenir sans qu'aucun objet ne provienne, en vérité, de la scène de référence: aussi, voit-on aujourd'hui de plus en plus, un moulage animalier trôner au centre d'un habitat reconstitué, et non un animal réel naturalisé. Les visiteurs se préoccupent moins, dans ces cas, de l'authenticité des objets un à un, que de la qualité et la vérité de la composition d'ensemble et de l'expérience qu'ils en font.

Cette troisième remarque nous conduit à saisir ce qui fait la force principale de ces muséographies analogiques: elles combinent en elles, le plus souvent, une présence et une représentation, ou plus précisément, elles construisent la représentation à l'aide de certaines présences objectives qui lui donnent corps. Ces installations fonctionnent en effet sur le mode de l'image, en renvoyant à leur situation de référence et en affirmant que «le vrai» est ou a été tel, hors musée; mais elles livrent aussi, sous le mode de la présence, quelque chose de leur réfèrent, qui est bien donné là, matériellement.

Que peut-on dire de cette présence convaincante que ces muséographies recèlent, de ce «quelque chose» de bien là? Ce qui est présent a trait à deux ordres différents de réalité. D'une part, il tient le plus souvent à ladite originalité de certains objets présents dans la scène et documentés comme ayant appartenu à la situation représentée. Quand c'est le cas, et que la muséographie mise sur la présence de ces objets «originaux», la présentation faite entretient alors avec son réfèrent plus qu'un rapport iconique de ressemblance : elle s'ancre dans la scène originale qu'elle fait voir et dont elle a retenu quelques fragments, les morceaux réels que sont ces artefacts témoins. L'ensemble exposé ne fait pas que reproduire analogiquement, comme une image; il est plus que le substitut de quelque chose, il en est une partie, une conséquence parvenue jusqu'à nous. La mimèsis se double alors de la métonymie. Cela rapproche alors ces muséographies de cette catégorie de signes que sont les indices, et dont

59 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 8: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Peirce dit qu'ils découlent d'une relation causale avec le réfèrent qui les a produits, et dont ils sont comme un effet, une trace. Lorsque tous les objets d'une composition analogique ont ainsi appartenu au contexte qu'ils illustrent au musée, l'ensemble est alors vu comme une trace, comme le rassemblement d'indices prélevés, pour ainsi dire, directement à même la situation de référence avec laquelle ils ont été en contact. Tout est alors en place pour suggérer l'illusion qu'aucune intervention muséo- logique majeure n'a présidé à leur installation, et que le visiteur serait mis en présence d'un tout qui n'est rien d'autre qu'un large fragment de la réalité, recueilli dans l'exposition. Cet aspect indiciel et métonymique prend, pour ainsi dire, la relève de l'analogie qui a conduit le visiteur vers la reconnaissance d'une référence ; il transforme la représentation en une présence, ou plutôt, maximise le caractère d'être-là de ces choses, en occultant le fait qu'elles sont autant le résultat d'un travail de représentation muséale que les restes intacts d'un réfèrent originel.

D'autre part, ce «quelque chose» qui place au cœur des arrangements une présence persuasive tient non pas aux objets originaux ou authentiques ni à leur nombre, mais plutôt à un certain climat, à une atmosphère, à une impression d'ensemble qui se dégage de la précision de la scène et de son rendu bien exécuté. Une impression vraie peut être obtenue d'une scène d'histoire dont tous les objets seraient des reproductions, grâce à la justesse du ton d'ensemble et à la correspondance qui s'établit avec ce que le public sait déjà de cette histoire ou de cette époque, via les autres représentations diffusées. Au-delà du contact avec des objets vrais, le visiteur est appelé à faire l'expérience de l'essentiel, à entrer par l'imagination, dans l'esprit du tableau ; cette réussite tient plus au style d'ensemble de ce qu'il voit, qu'à l'authenticité de chacun des objets. L'art du concepteur doit consister à rendre présent cet esprit du temps et du lieu, au moyen de choses dont aucune, peut-être, n'en provient. Et, comme le spectateur de théâtre accepte de jouer le jeu et suspend, un moment, sa conscience du monde pour ne retenir que le «faire comme si » du jeu théâtral, le visiteur de musée a confiance, a priori, d'être exposé dans un tel lieu, à une expérience qui, à un certain niveau fondamental, soit «vraie».

Avec ces muséographies commence véritablement le règne de l'exposition : celui-ci résulte de son autonomisation relative par rapport à l'emprise que les collections détenaient sur les logiques prévalantes de l'espace muséal. L'effet de cette autonomie, est que les spécimens mis en valeur et exhibés le sont, non plus dans un arrangement d'abord propice aux analyses savantes des connaisseurs, mais bien dans un dispositif qui se veut efficace comme spectacle capable d'intéresser, de frapper l'imagination et d'instruire tous ceux qui le perçoivent.

Avant d'aller plus loin, définissons maintenant les formes principales de cette muséographie analogique. Les principaux termes employés pour qualifier ces dispositifs de mise en scène proviennent de l'anglais ; je proposerai un équivalent français pour chacun, tout en utilisant aussi les désignations anglaises.

60 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n ° 9

Page 9: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

LES FORMES DE MUSÉOGRAPHIE ANALOGIQUE

L, les deux premiers termes qui désignent les moyens illustratifs concrets dont se sert la muséographie analogique, sont ceux de «panorama» et de «diorama». Tous les deux ont leur origine hors du musée, dans l'histoire des représentations illusionnistes qui, à partir du xvine siècle et tout au long du xixe siècle, attirèrent le public vers les attractions des boulevards, avant l'invention du cinéma. Même si ces termes décrivent deux dispositifs distincts, panoramas et dioramas sont parfois employés l'un pour l'autre. De plus, on trouve en muséologie le mot «diorama», dans des textes en anglais, mais aussi en français, pour désigner le concept général recouvrant toutes ces formes de présentation, concept pour lequel je propose plutôt l'expression de muséographie analogique. Voyons ces notions une à une afin de mieux les cerner et les situer parmi d'autres formes similaires.

Le panorama

Avant de faire partie des muséographies présentes au musée, le panorama commence donc par désigner un genre de tableau circulaire immense, ainsi que le bâtiment qui loge ce type de tableau et l'expose au public. Un dictionnaire du xixe siècle en donne cette définition: «Édifice dans lequel on expose un tableau dit en panorama, c'est-à-dire exécuté sur la paroi intérieure d'une rotonde, couverte d'un comble en coupole ou en cône. Les tableaux de ce genre imitent exactement l'aspect d'un site vu dans toutes les directions et aussi loin que l'œil peut distinguer. À cet effet, le spectateur est placé sur une tribune ou galerie circulaire simulant une tour et disposée au centre de la rotonde; la lumière vient d'en haut par une zone de vitres dépolies... » {Dictionnaire des termes employés dans la construction, Paris, 1881-1882, t. III, p. 5, cité par Comment, 1993. Voir aussi: Robichon, 1985).

L'invention du panorama est due à un artiste écossais Robert Barker, qui dépose un brevet à cet effet, à Londres, en juin 1787. Le panorama crée un espace illusionniste particulièrement efficace: Barker utilise une «conjugaison de peinture de paysage, d'éclairage et de conditions de perception de manière à accentuer l'impression de réalité qu'ont les spectateurs quand ils sont confrontés avec ces toiles exposées à 360 degrés et à hauteur des yeux» (Marsh, 1976, p. 581). Du point de vue des spectateurs, plongés dans la pénombre au centre, la toile est peinte selon une perspective illusionniste qui semble naturelle.

Le panorama classique joue sur l'articulation de trois principaux éléments constitutifs: 1) la galerie centrale où le public est regroupé, 2) l'immense toile peinte circulaire, où l'œil se perd dans le lointain de la perspective, 3) le «faux-terrain», cet espace d'avant-plan au pied de la toile, qui résulte de la distance qui doit séparer la toile de la plate-forme

61 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 10: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

centrale d'observation. L'efficacité de la mise en place vient de l'unité thématique et visuelle qui lie les éléments et assure l'impression qu'ont les spectateurs, «d'être là» où cette scène les place. «C'est donc en ôtant à l'œil tous les termes de comparaison que l'on parvient à le tromper au point de le faire hésiter entre la nature et l'art.» (Moniteur Universel, 8 Vendémiaire an dc, cité par Robichon, 1985, p. 5. Pour les panoramas présentés à Montréal, voir Montpetit, 1983).

Les réalisateurs de panoramas en viennent à scénographier tout l'espace créé, afin que tout contribue à la représentation qu'ils installent. La galerie d'observation, au lieu de n'être que le lieu neutre de regroupement du public, est très tôt dotée d'un décor en continuité avec le thème peint. Par exemple, quand Jean-Charles Langlois exhibe à Paris, en 1831, le panorama de «La Bataille navale du Navarin», ce plateau central devient un artefact maritime authentique: «Une des grandes innovations apportées par Langlois consiste à remplacer la traditionnelle plate-forme par la véritable dunette d'une frégate qui avait effectivement participé au combat, le Scipion, très connu du public pour ses faits d'armes. L'effet d'illusion n'en est que renforcé et porté à son degré ultime. [. . .] Langlois perfectionne le faux-terrain et ajoute à l'impression par des éclairages au gaz et par des ventilations qui miment l'incendie et la brise marine.» (Comment, 1993, p. 22.)

Dans la même veine, d'autres rendront la plate-forme d'observation mobile, pour imiter, par exemple, le tangage d'un pont de vaisseau sur la mer, toujours avec pour objectif que le visiteur vive une expérience multi- sensorielle la plus complète possible et soit mis non seulement devant, mais « dans » la représentation. Je reviendrai vers la fin, à cette muséographie «participatoire», que j'appelle d'immersion.

Au premier plan, tout autour des spectateurs, le faux-terrain se peuple aussi d'objets tridimensionnels; ces éléments comblent la zone entre la plate-forme et le bas de la toile circulaire: ils sont disposés de manière à s'harmoniser avec la ligne d'horizon de la perspective peinte et à rendre indiscernable, grâce à un effet de trompe-l'œil, le passage du tridimensionnel à la bidimensionnalité des choses peintes sur la toile.

Peu à peu, le terme de panorama en vient à désigner toute toile de très grande dimension, qu'elle soit installée ou non sur la surface circulaire d'une rotonde2. D'autres façons d'exhiber des longues toiles peintes apparaissent aussi, par exemple en les déroulant lentement de chaque côté des spectateurs, suggérant ainsi une impression de déplacement et de voyage. Un nouveau terme, celui de « cyclorama », apparaît alors, pour marquer explicitement les dispositifs encore conformes à l'idée originale d'une représentation à 360 degrés, caractéristique des «vrais panoramas».

Je dirais qu'un peu comme nous voyons, aujourd'hui, des musées se doter d'une salle de cinéma IMAX, certains musées ont vu l'intérêt que le panorama pouvait représenter pour faire voir de façon saisissante, des objets de leurs collections ou des scènes d'histoire concernant leur thématique. Panoramas authentiques, ou tableaux «panoramiques» par leurs grandes dimensions, sont apparus dans des expositions d'histoire et de

62Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 11: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

civilisation, où ils peuvent servir de complément spectaculaire aux collections. Par exemple, en 1824 à Londres, William Bullock, de retour d'une expédition au Mexique, tient dans son célèbre Egyptian Hall, une exposition intitulée «Ancient and Modem Mexico», qui innove dans la gamme des muséographies utilisées. Il place une vue panoramique de paysages mexicains derrière les présentoirs vitrés qui contiennent les nombreux objets authentiques qu'il a rapportés et fait appel à un jeune Mexicain pour animer l'exposition, dans un double rôle de guide et de figurant dans la représentation ethnologiques.

Nous trouvons encore des panoramas intégrés à un musée ; par exemple, celui de la bataille de Gettysburg, peint en 1884 par Paul Philippoteaux, en montre au musée du Parc national de Gettysburg. «Modernisé» par un jeu d'éclairage, une bande sonore et un commentaire, il donne lieu à un audiovisuel d'une vingtaine de minutes qui est placé en finale d'une exposition montrant des artefacts reliés à la bataille et narrant les mouvements de troupes, à l'aide d'une maquette topographique à points lumineux.

Le panorama est entré au musée par le biais de lieux privés qui se devaient d'attirer le public pour survivre. L'exposition et ses effets étaient, pour ces promoteurs, de toute première importance : objets de collections et autres moyens se devaient de concourir aux objectifs ultimes d'attirer le public, de le retenir, de raconter et de plaire.

Le diorama

Comme le panorama, le diorama désigne, à l'origine, un dispositif précis de représentation. Ses créateurs sont Jacques Mandé Daguerre et Charles-Marie Bouton, en 1822. Sa particularité est d'utiliser, sur un support transparent illustré au recto et au verso, des jeux de couleurs et des variations d'éclairage, pour simuler le passage du temps et le mouvement. L'éclairage plus ou moins intense, devant et derrière la toile, mise sur le caractère translucide du support, afin de faire apparaître et disparaître certaines zones de l'illustration, modifiant ainsi le contenu de l'image que les spectateurs peuvent voir. L'anglais dit bien cette caractéristique de transparence, en qualifiant les dioramas de « dissolving views». Avec les fantasmagories, les «théâtres d'ombres» d'Henri Rivière présentés au célèbre Chat Noir de Montmartre et les autres lanternes magiques, les dioramas constituent des spectacles populaires animés, avant l'invention des projections du cinématographe.

Mais c'est une autre composante de certains dioramas, qui les rapproche des panoramas et des muséographies qui nous retiennent. En effet, la «Vue du Mont Blanc prise de Chamonix» de Daguerre, par exemple, n'a pas un cadrage rectangulaire régulier; ce diorama cache les limites de la représentation derrière des objets placés à l'avant-plan — un chalet, des arbres, une grange, et même une chèvre vivante pour celui-ci. Conjugués avec la scène illustrée, ils l'encadrent et la prolongent en direction des spectateurs, ce qui accentue l'effet global obtenu.

63 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 12: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

La signification du mot diorama comme médium de translucidité et de durée simulée, tend à disparaître, probablement avec la perte de popularité du procédé lui-même. Mais le terme reste présent dans le monde des musées et des expositions. Un article de N. J. Burns, paru en 1940 dans Muséum News, fait l'histoire du terme en anglais. Il note la généralisation, dans les années 1930, de son emploi, pour désigner toutes les formes muséales de modélisation miniaturisée en vitrine, «ce qui, auparavant, était désigné groupes de miniatures et maquettes de toutes sortes» (Burns, 1940, p. 8), usage qu'il juge abusif, mais probablement impossible à contrer dans l'avenir: «Le diorama de Daguerre et Bouton, avec ses séries de transparences, est certainement très différent de nos groupes miniaturisés modernes, qui consistent essentiellement en un premier plan de figurines tridimensionnelles placées en perspective avec un fond peint. Il est alors évident que l'utilisation du mot diorama pour décrire de tels groupes n'est pas adéquat, mais il est aussi très probable que nous soyons contraints de l'accepter4. »

S'il y a hésitation sur le mot à employer, la réalité muséale désignée et le but poursuivi sont plus faciles à cerner. Au musée, le diorama désignait, il y a cinquante ans, une présentation miniaturisée qui conjugue, dans l'unité d'un espace présenté derrière une vitre, des éléments en trois dimensions placés au premier plan de la scène, avec un fond incurvé de nature iconographique, le tout cherchant à instaurer un effet perspecti- viste réaliste. Dans cette acception, il n'y a de diorama que miniaturisé; les présentations en grandeur nature sont désignées plutôt par l'expression « muséum group» ou « habitat group», ou encore par leurs dérivés plus spécifiques, comme « ornithological groupe « historical and ethnolo- gical groups».

La technique du diorama résulte du désir de montrer le contexte de certains objets de collection exposés, en occupant le moins d'espace possible. Plus le contexte importe, plus la scène à montrer est vaste, et plus la miniaturisation du diorama, s'impose. Le diorama miniaturisé ne constitue donc pas un moyen d'exposer des pièces de la collection; il agit comme un outil qui commente et interprète des objets de collection exposés ailleurs dans la salle. Mais il serait faux de le voir comme un pis-aller, une solution de repli faute d'espace. La scène miniature du diorama répond aussi à un besoin du visiteur, elle le place en situation dominante et rassurante de démiurge: «La véritable valeur des miniatures réside dans leur capacité de raconter une histoire vivante de façon dramatique, grâce à leur caractère en soi attrayant et stimulant pour l'imagination [...] Les miniatures, bien conçues et bien installées, possèdent un pouvoir universel sur l'imagination de nous tous qui, enfants, avons pris plaisir à des jouets qui créaient nos propres mondes miniaturisés. En se fondant sur ce trait de psychologie fondamentale, nous pouvons raconter l'histoire que l'exposition transmet d'une manière qui soit agréable, tout en étant aussi efficace et bien mémorisée.» (Burns, 1940, p. 12.)

Ce plaisir de jouir d'un point de vue dominant, manifeste dans la contemplation d'une miniature, joue aussi un rôle important dans l'observation de tout diorama, de quelque dimension qu'il soit. Même réalisé

64 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 13: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

avec certains figurants en grandeur nature, ce dispositif muséographique présente une réduction de la nature, toujours ramenée à une échelle observable ; il place ainsi le spectateur devant une image déployée à son intention, sans points de confusion ni obstacles nuisibles, rassurante du fait qu'elle est facilement offerte au regard. Aussi, le mot de diorama ne désigne-t-il plus, aujourd'hui, uniquement le modèle réduit, la miniature au sens propre, peut-être parce que plusieurs dioramas font montre de certaines composantes aux dimensions «réduites», entremêlées avec d'autres de pleine grandeur, placées au premier plan.

La définition contemporaine du diorama n'insiste plus sur ses dimensions miniaturisées. On peut le définir ainsi : Le diorama est une présentation muséographique qui conjugue, dans l'unité d'un espace vitré, des figures d'avant-plan en trois dimensions — certaines pouvant être grandeur nature — avec un fond iconographique, souvent incurvé, illustrant un paysage approprié. Devant ce fond, peuvent prennent place d'autres figures tridimensionnelles, de tailles plus ou moins réduites, disposées de manière à s'intégrer à la perspective d'ensemble du lieu recréé.

Tout le dispositif travaille donc à créer une image illusionniste : « les dioramas museaux captent l'attention des visiteurs en offrant l'illusion d'une scène réelle vue à travers une fenêtre [. . .] Les techniques optiques utilisées dans ces dioramas de musée sont essentiellement les mêmes que celles qui produisaient des effets de perspective et d'espace dans les premiers spectacles illusionnistes» (Wonders, 1990, p. 90; voir aussi Wonders 19895).

En français aussi, le terme de diorama a connu des glissements de sens, qui vont du procédé mis au point par Daguerre aux regroupements qui, en vitrine, composent une scène réaliste qui installe un environnement; le terme est donc l'objet d'une généralisation, qui lui fait le plus souvent désigner tout ensemble qui simule ou recompose, dans l'espace d'exposition, un environnement naturel donné, définition large dont témoigne ce texte récent: «Le terme de diorama signifie littéralement "voir à travers". Il désigne une reconstitution tridimensionnelle d'un environnement naturel. On trouve des dioramas de toutes tailles, des représentations en miniature à celles en grandeur réelle. [. . .]Nous rassemblons sous le terme «diorama» toutes les représentations qui, au premier plan et dans les plans rapprochés, sont une combinaison d'éléments tridimensionnels et, à l'arrière-plan, bidimensionnels. Nous y incluons aussi la présentation, sans arrière-fond, de groupes de spécimens ainsi que les «period rooms» ("chambre d'époque").» (Davallon, Grandmont, Schiele, 1992, p. 105.)

Le concept est ici très inclusif, il s'étend même aux ensembles «sans arrière-fond», aux maquettes et aux intérieurs d'époque. Cette généralisation me paraît priver le dispositif d'une de ses caractéristiques fondamentales. Aussi, limiterai-je la définition aux présentations qui composent leur cohérence à même une liaison spatiale d'objets tridimensionnels et d'un fond illustré. Quant à l'objectif de ces présentations, contextualiser les objets, les montrer comme ils seraient «hors musée» pour mieux en communiquer l'unité des contextes et les significations, il fait consensus chez

65 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 14: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

les chercheurs, même si tous ne sont pas aussi optimistes sur ses qualités éducatives effectives: «Le diorama permet de recontextualiser, dans un espace muséal, des objets ou des spécimens qui autrement seraient appréhendés indépendamment les uns des autres, sans que le visiteur puisse spontanément saisir les liens, physiques, chronologiques ou symboliques, qui les unissent. C'est pourquoi, il se présente toujours comme une fenêtre qui invite le visiteur à découvrir: il propose de montrer les choses liées de la manière où elles le sont dans la nature. » (Davallon, Grandmont, Schiele, 1992, p. 107.)

Le diorama a connu une grande popularité dans les musées de cire, pour faire voir des scènes d'histoire, mais aussi des faits divers étonnants et des actes d'horreur qui excitaient la curiosité publique. Nous y reviendrons plus loin. En Amérique du Nord, plusieurs musées d'histoire mais surtout de sciences naturelles, en présentent aussi en grand nombre, misant sur leur potentiel comme instrument d'éducation publique. Les dioramas sont soit regroupés autour d'un grand hall, où plusieurs sont visibles de tous les côtés et d'un seul coup d'œil, — comme c'est le cas dès 1902, dans le «Hall des Oiseaux nord-américain» à V American Muséum ofNatural History, ou présentés isolément, un à un, le long d'un parcours. Certains musées aménagent aussi des dioramas ouverts, qui se présentent directement aux visiteurs, sans qu'une surface vitrée ne les ferme à l'avant. C'est le cas, par exemple, de plusieurs dioramas récents au Royal Ontario Muséum au Canada, comme celui de «la forêt automnale», dont tous les éléments environnementaux reproduisent, avec une précision «moulée», un emplacement géographique réel d'une forêt, alors que quelques arbres sortent de la scène et sont distribués dans l'espace où les visiteurs prennent place pour l'observer.

La technique du diorama se prête autant au traitement de scènes à caractère environnemental, qu'historique, anthropologique ou ethnologique. Le Smithsonian Institution, à Washington, montre des dioramas centrés sur un groupe de loups ou de lions; mais d'autres présentent, selon les mêmes procédés, des peuples autochtones d'Amérique du Sud, ou des «Esquimaux à la chasse» dans un paysage de neige, où hommes et animaux figurent ensemble. Ce sont cependant les musées de sciences naturelles qui ont eu le plus recours en Amérique aux dioramas, pour présenter des animaux dans leur environnement. Le diorama paraît alors un développement de la muséographie des habitat groups, terme anglais qui fait allusion cette fois, au contenu plutôt qu'à la technologie du dispositif, comme le font les expressions de habitat diorama ou faunistic diorama aussi employées6 (voir illustration n° 1).

Avant de définir ces groupes dans leur habitat, je voudrais traiter d'une forme particulière d'exposition de dioramas, très populaires à Disneyland et qui, plus récemment, s'est répandue dans les Héritage centres en Grande-Bretagne : ce sont les rideshows ou encore dark rides qui consistent à offrir plusieurs dioramas à la suite, en les plaçant le long d'un parcours linéaire que les visiteurs suivent, assis par groupes de deux à quatre, dans de petits véhicules motorisés. Les attractions des parcs d'amusement à l'américaine ont multiplié les rides thématiques, c'est-à-

66 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 15: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

dire les manèges dotés de véhicules de type nacelles ou wagon sur rail, qui transportent les passagers à travers un espace où sont aménagées des zones scénographiées à éclairage ponctuel, qui montrent des scènes successives concernant un thème. Ces manèges procurent aussi aux occupants des sensations kinesthésiques, plus douces que celles des montagnes russes dont c'est le seul objet. Chez Disney, un de ces manèges est «Pirates ofthe Caribbean»; il transporte les visiteurs dans de petites barques qui avancent sur un étroit canal d'eau, le long duquel des scènes montrent que «les Pirates sont plus féroces, plus roublards et plus criants de vérité que jamais. [...] Les visiteurs sont témoins, malgré eux, des vilenies et des trafics perpétrés par les gredins» (Walt Disney Co. 1992. EuroDisney, p. 42).

Comme les panoramas ou les dioramas du xixe siècle, ces technologies ont été importées au musée et adoptées par des concepteurs d'expositions, pour attirer le public vers des contenus thématiques en relation avec les collections et les sites qu'ils devaient mettre en valeur. Un des plus célèbres et des mieux fréquentés est le Jorvik Viking Centre à York, où les véhicules entraînent les visiteurs dans une remontée à travers le temps, jusqu'à la période où les Vikings vivaient et commerçaient dans cette ville. Après avoir vu plusieurs dioramas illustrant des scènes de vie de l'époque Viking, les visiteurs contemplent les vestiges archéologiques mis au jour sur ce site et plusieurs objets découverts durant les fouilles. Des mises en exposition tout à fait similaires ont été aménagées dans plusieurs villes, dont, par exemple, les dark rides au Tower History Pageant à Londres, l' Oxford Story à Oxford, ou le Scotch Whisky Héritage Centre à Edimbourg. Ailleurs encore, le même principe d'une série de dioramas dans le noir s'applique sur un circuit dans lequel les visiteurs avancent à pied, comme au White Cliffs Expérience à Douvres, où la présentation est annexée à un musée qui expose des collections sur la même thématique d'histoire maritime locale, mais selon une muséographie plus traditionnelle, le Dover Muséum7 .

L'habitat group ou l' habitat diorama, le groupe animalier dans son habitat

Si le diorama désigne un procédé et un système de présentation neutre quant au sujet et aux objets qu'il donne à voir, le terme habitat group ou habitat diorama réfère quant à lui au contenu de la représentation. Voici la définition proposée récemment par K. Wonders: «Les dioramas d'habitat sont des scénarios d'histoire naturelle qui contiennent généralement des spécimens zoologiques naturalisés, disposés dans un espace d'avant-scène qui imite leur environnement dans la nature. Idéalement, ce premier plan en trois dimensions se fond imperceptiblement dans le paysage peint en toile de fond, créant ainsi l'illusion — au moins momentanée — d'un espace et d'une profondeur» (Wonders, 1993, p. 9).

Ce dispositif muséographique fait voir une scène où figurent des spécimens, moulés ou naturalisés, présentés dans des postures qui sont

67 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 16: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

fidèles à leurs comportements habituels. Le groupe est accompagné de quelques éléments tridimensionnels de son habitat naturel, végétation, rochers, étendues d'eau, que prolonge, plus ou moins largement ou même à l'infini, un paysage peint montrant leur environnement naturel. L'animal est alors situé parmi ses proches, dans son territoire, ce qui permet de renseigner le public sur des aspects de son mode de vie: «En installant des groupes animaliers dans leur habitat, le musée tente de faire voir non seulement l'apparence des espèces, mais aussi de traiter des modes de vie et des relations de ces espèces à l'environnement.» (Pair, 1959, p. 108).

Le désir d'exposer des animaux naturalisés selon un ordre autre que les regroupements en genres et espèces apparaît chez les naturalistes et les muséologues, à mesure que la distinction s'impose entre des collections pour fins de recherches et d'études, et des collections pour fins d'éducation publique. Un arrangement qui les présente en couples plutôt qu'à l'unité, est un premier pas : les taxidermistes font aussi des montages incluant, par exemple, un couple d'oiseaux avec un oisillon, en les plaçant sur une branche et y ajoutant un nid. Dès la fin du xvme siècle, Charles Willson Peale, taxidermiste et fondateur de musée à Philadelphie, expose des tels groupes naturalisés: «Peale a été un pionnier des dispositifs en habitat group, en installant des oiseaux et d'autres animaux dans des attitudes variées, sur des étangs artificiels, dans des arbres ou encore en les suspendant dans l'espace» Quelquefois aussi, il peignit des fonds naturels appropriés à ses spécimens.» (Washburn, 1990, p. 201. Pour un historique des premiers groupes animaliers, voir aussi: Lucas, 1914, janv., p. 3-15; fév., p. 51-65.)

Les expositions déjà citées, montées par William Bullock à Londres, dans son Egyptian Hall ouvert en 1812, montrent aussi des environnements complets, avec leurs «habitants», animaux ou humains. Son musée «excellait de trois façons — par la qualité des spécimens, par la variété de la collection et par l'effet impressionnant des éléments d'exposition. Bullock était fier d'avoir trouvé des méthodes de conservation qui maintenaient les spécimens dans toute la beauté et la fraîcheur de la vie» (Alexander, 1985, p. 123. Cet article décrit en détail les salles de l'établissement de W. Bullock). Quand le dispositif de regroupement demeure des plus simples et ne fait pas montre d'un décor de fond qui engloberait la scène, l'anglais le nomme semi-habitat group8. Une telle présentation agit comme un gros plan: elle permet, aux visiteurs d'observer de près l'intimité de la vie animale, et brise la monotonie des expositions qui étalent en continu plusieurs spécimens similaires, rangés en séries systématiques.

Tout aurait commencé avec les oiseaux, dont la mise en groupe ne requiert qu'un espace relativement limité. Lorsque la même approche s'intéresse aux gros mammifères, le changement requis dans les dimensions du dispositif provoque aussi une modification dans les ambitions des concepteurs, qui cherchent alors à inclure les spécimens dans un paysage naturel plus complet, capable de suggérer non seulement leur habitat immédiat, mais le territoire où il se situe et même la géographie de la région. Sans multiplier les analyses de détails, il faut constater que

68 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 17: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

les dioramas animaliers ne mettent pas tous l'accent sur le même élément de la composition. Certains restent orientés sur un groupe animalier central et traitent un sujet spécifique comme «tel groupe dans son habitat coutumier»; d'autres inversent la logique, donnent priorité au cadre naturel, à l'image de fond et à la vaste perspective qu'elle ouvre : ceux-ci mettent d'abord en valeur la dynamique d'un environnement global, peuplé des différents animaux qui y habitent, mais sans faire d'eux les figures centrales du sujet. On parle alors de «paysage avec des animaux».

Ces groupes animaliers dans leur habitat sont coûteux à réaliser, en temps et en argent ; ils exigent des espaces importants et, appliqués dans la pureté de leur concept, ils ne permettent de montrer que peu de spécimens et généralement d'une seule espèce. C'est pourquoi certains conservateurs amendent la formule originale «un groupe, un habitat» et optent pour la réalisation de dioramas « plus denses » ; dans ceux-ci, la vue panoramique environnementale, qui identifie la nature du lieu, reste assez vaste pour permettre de réunir dans sa perspective, une plus grande variété de spécimens. A. E. Parr classe les habitat groups en fonction de ce que je dirais être le degré de concrétude topologique de la scène, et selon l'élément — paysage ou spécimens, qui domine la composition. Les groupes animaliers n'occupent pas tous un même type d'espace, Pavant-plan entretient, avec le décor de fond, plusieurs types de relations. Si certains animaux sont dans un habitat bien précis, d'autres sont disposés dans un espace plus diffus, une région, un continent, ou même l'espace abstrait d'une catégorie d'analyse.

À Y « habitat group» et au « semi-habitat group» décrits, qui tous deux installent un habitat défini et bien spécifique — nid, tanière, antre, hutte, terrier, ou autre — s'ajoutent des groupes animaliers, réunis dans des espaces de moins en moins spécifiques et caractérisés. Dans un ordre croissant d'abstraction, on obtient alors, selon la terminologie de Parr, ces trois catégories: 1) le « spécial situation habitat», ou «scène animalière circonstancielle», qui représente non pas l'habitat des animaux montrés mais une situation momentanée, un événement qui rend plausible que plusieurs variétés se regroupent en un même lieu, par exemple, un point d'eau où s'abreuver. Une telle astuce ouvre la gamme des animaux qu'un diorama est justifié de contenir. 2) Le « composite faunistic habitat» ou «paysage faunique composite» fait voir, dans l'unité d'une scène, une sélection d'animaux qui, dans la nature, ne se côtoieraient pas ainsi. Dans ces cas, l'arrière-fond naturel représente un type de territoire géographique, et les seules relations signifiantes sont celles des membres d'un groupe entre eux, et celles de tous les groupes entre eux et avec le contexte d'ensemble. Le dispositif installe ainsi un espace de référence général: il peut, par exemple montrer toutes les espèces d'une région, d'un pays ou d'un continent9. 3) Le dernier palier d'abstraction est incarné par les regroupements en « systematic pseudo-habitat group» ou «regroupements animaliers systématiques et pseudo-environnementaux». Ceux-ci reposent, épistémologiquement, sur une catégorisation analytique très éloignée du principe topologique d'un habitat concret. Ils placent le visiteur devant un regroupement détaché de toute référence

69 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 18: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

précise à une situation ou à un lieu réels. L'évocation d'un décor, présenté en toile de fond, n'est qu'ornementale, ces regroupements animaliers conjuguent «dans une disposition décorative pseudo-naturelle, des spécimens plus ou moins reliés vivant dans différentes régions géographiques et donc ne cohabitant jamais dans la nature.» (Pair, 1959, p. 124- 125.) Cela donne des présentations mettant en scène des «oiseaux des forêts» ou encore des «oiseaux aquatiques» de toute provenance, réunis et placés sur un fond vague de paysage unificateur, qui remplit une fonction uniquement décorative10.

La plupart de ces groupes animaliers constituent bien des dioramas : comme les life groups anthropologiques montrant des humains, ils en ont les composantes, le fonctionnement et les objectifs. Mais les semi-habitat groups, qui ne présentent pas un fond imagé ni un jeu de perspective, dérogent au mécanisme complet du diorama. Au-delà de ces distinctions, toutes ces muséographies misent sur l'analogie et répondent à la définition de la mise en exposition analogique.

Le period room, ou intérieur d'époque

Une autre modalité de la muséographie analogique est celle du «period room» que je traduis par «intérieur d'époque», afin d'éviter les connotations trop résidentielles du mot «chambre»; en effet, ces intérieurs ne concernent pas que des espaces résidentiels privés, ils mettent en scène aussi des lieux commerciaux, des lieux de travail, de sociabilité, etc. Alors que le groupe dans son habitat implique une notion de lieu, la désignation «intérieur d'époque» ajoute à la dimension topologique celle de la temporalité. Conformément au principe fondamental de toutes ces muséographies, le period room offre aux visiteurs des objets de collection en les disposant de manière à ce que l'ensemble qu'ils forment fasse image et réfère à un état spatio-temporel reconnaissable du réel. Un exemple, déjà donné, est celui des objets multiples qui forment les intérieurs traditionnels — salle commune bretonne, atelier de forgeron, chalet d'alpage — exposés par Georges-Henri Rivière. Commençons par rappeler une définition généralement acceptée de ces intérieurs d'époque : «L'intérieur d'époque recrée la totalité d'une pièce avec tout son contenu, ou bien comme elle était meublée lorsque tel personnage d'origine y vivait, ou bien selon un aménagement typique qui, probablement, était le sien, à une certaine époque donnée.» (Pair, 1963, p. 335.)

Toute la dialectique repose sur cette reprise présumée, sur cette «recréation», plus ou moins documentée, d'un lieu et d'un temps, qui sont ceux où tous ces objets meublaient une pièce qui est justement celle-ci.

Les intérieurs d'époque ont existé hors des musées, bien avant qu'on en ait une notion claire. Les familles qui ferment la chambre d'un parent décédé et la conservent longtemps dans cet état en font, avec le temps, un «intérieur d'époque». Un exemple frappant de ce genre nous est fourni par les pièces souterraines dans lesquelles le cabinet de guerre de Churchill se réunissait, à Londres, durant la Deuxième Guerre mondiale.

70 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 19: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Tout, dans ces War cabinet rooms, est resté en place quand, aux derniers jours de la guerre, le local a été fermé. Presque cinquante ans plus tard, les responsables du musée impérial de la Guerre ont conféré à tous ces objets de la vie quotidienne d'alors, meubles, matériel de bureau, cartes et plan, vêtements civils et militaires, etc., le statut de collection: ils ont aménagé un accès public, placé un verre protecteur devant certains ensembles, rédigé quelques textes explicatifs, réglé une circulation et un éclairage, afin que le public puisse venir visiter une série d'intérieurs d'époque, «muséalisés» par le passage des ans... et par cette intervention discrète d'une mise en valeur in situ.

Les premiers intérieurs meublés d'époque sont en effet ceux qui, dans les monuments et les lieux historiques, ont été protégés, conservés sur place et ouverts au public, sans qu'un déplacement et une reconstitution ailleurs ne fassent clairement émerger une définition de cette pratique. Mais, on s'en doute, il est rare que ces intérieurs traversent le temps et nous parviennent «intacts»; presque toujours, ils ont fait l'objet, à plusieurs reprises, de modifications importantes, à la suite de dispersions, de dégradations et d'intervention de restaurations. Aussi, faut-il prendre conscience, qu'm situ ou replacés en exposition dans un musée, les intérieurs d'époque, comme les groupes animaliers, sont des constructions qui appartiennent bien autant au présent qu'au monde dont ils se réclament les témoins. Ils sont constamment l'objet d'interventions d'ordre matériel pour les maintenir dans de bonnes conditions de conservation, et d'ordre épistémologique, pour faire que ce qu'ils montrent corresponde toujours à l'état actuel des connaissances sur la période.

L'analyse du rapport entre le period room et le site initial permet de décrire quatre types d'intérieur d'époque: les premiers sont ceux qui occupent toujours leur bâtiment et leur environnement d'origine et maintiennent ainsi la relation dedans / dehors ; les maisons historiques ouvertes au public avec leur mobilier d'époque, en sont des exemples; les seconds résultent du déplacement d'un bâtiment et de son contenu vers un autre site, comme ces maisons anciennes venues de toutes les régions d'un pays, réunies en un «village historique», Ballenberg en Suisse par exemple; le troisième type compte tous les intérieurs extraits de leur construction d'origine et déplacés, avec meubles et éléments architecturaux, afin d'être conservés et remontés dans un autre espace, le plus souvent de nature muséale ; le quatrième type est celui des intérieurs qui, dans les faits, n'ont jamais fait partie d'une construction autre sur un site hors musée. Une telle absence de site réel de provenance s'explique par deux raisons principales: la première est que la muséographie est une imitation, une copie; dans ce cas, rien de ce que montre le period room ne provient réellement d'ailleurs, car tout ce que l'on voit est un double qui imite l'apparence intérieure d'un autre lieu, comme ce salon ovale de la Maison Blanche, présenté au musée John Kennedy à Boston, alors que son «modèle» subsiste toujours, dans la résidence présidentielle à Washington. Dans le second cas, l'intérieur mis en place est une œuvre de création; nous sommes alors devant des réalisations scénographiques à part entière. Ces installations ou bien reconstituent l'apparence pro-

71 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 20: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

bable d'un intérieur type dont on ignore les détails, à l'aide d'objets de diverses origines qui respectent la cohérence d'une stylistique d'époque ; ou bien elles érigent le décor d'un bâtiment au statut fictionnel, — château de Barbe-Bleue ou celui de la Belle au Bois Dormant — en ne référant à rien d'autre qu'une certaine imagerie, ce qui laisse place à l'imagination dans ladite «recréation» évocatrice.

L'origine des intérieurs d'époque, comme dispositif muséographique dans l'espace d'exposition, est difficile à déterminer avec certitude. On retrace les rudiments de cette pratique dans des présentations diverses. L'inventif londonien W. Bullock figure encore parmi les initiateurs, avec sa reconstitution d'une hutte mexicaine entièrement aménagée et même habitée (Alexander, 1985, p. 134-135). À Paris, les arrangements d'Alexandre Lenoir dans son musée au couvent des Petits-Augustins, à partir de 1795, et ceux du collectionneur Du Sommerard à Cluny, vers 1830, sont aussi des précurseurs des «intérieurs d'époque» qui suivront. En optant pour une disposition chronologique, Lenoir dispose «systématiquement» ses objets de collection, dans des salles titrées par siècle. Cela ne suffit pas à créer une présentation analogique; Lenoir fait cependant preuve d'un sens certain de la mise en scène suggestive, en voulant qu'un climat évocateur global se dégage de chaque salle, et «en donnant à chacune le caractère, la physionomie exacte du siècle qu'elle représente» (Poulot, 1986, p. 504). Mais les collections évoquent plus l'esprit d'un temps que celui d'un lieu connu. Du Sommerard, dans l'architecture gothique tardive de l'ancien l'hôtel des abbés de Cluny, fait un pas de plus: utilisant le cadre architectural réel, il distribue plusieurs objets de ses collections médiévales d'une façon fonctionnelle, en les disposant comme il conviendrait de meubler chaque pièce de la maison. Il place ainsi, dans une chambre à coucher qu'il nomme «chambre François Ier», des objets anciens susceptibles de se trouver dans une telle chambre à l'époque. Il établit entre certains objets des rapports fidèles à leurs usages courants et qui établissent un milieu de vie ancien11. Mais l'analogie ne joue pas complètement, ni n'impose partout son arrangement. Ce dispositif, comme celui de Lenoir, relève d'un period setting, qui utilise un cadre architectural comme un écrin autour d'un espace qui reste encore, par plusieurs aspects, celui d'une collection montrée, et non pas celui plus unifié d'un intérieur simulé.

Une autre influence qui a conduit à l'adoption, dans les musées, des présentations de type period room est celle des tableaux montrés dans les musées de cire et des présentations à caractère ethnologique réalisées à l'occasion des Expositions universelles12. Une scène comme celle de l'assassinat de Marat, exposée chez Madame Tussaud à Londres et au musée Grévin à Paris, fait bien usage de certains éléments du period room: on y trouve quelques meubles, dont la célèbre baignoire, avec des mannequins en cire pour illustrer l'action, le tout dans une composition qui installe le décor d'une chambre et qui fait voir l'événement de référence, en suivant les grandes lignes des représentations qu'on en avait13. Certes, la scène ici reste tracée à grands traits, elle réunit assez peu d'objets. En plaçant le principal de son effort sur les personnages et sur

72 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 21: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

l'action, de même qu'en ne faisant montre d'aucun élément architectural qui proviendrait de la maison du drame, le tableau d'ensemble manque d'ancrage dans le réel; c'est comme si le caractère factice des mannequins déteignait sur tout le dispositif et rappelait explicitement aux visiteurs sa nature de représentation scénique. Mais de telles réalisations sont bien, à plusieurs égards, des intérieurs d'époque reconstitués: ils montrent des objets — originaux, authentiques ou reproduits — mis ici clairement au service d'un sujet, dans un contexte reconnaissable qui est fidèle à celui de l'événement de référence.

Les muséographies créées dans des musées des pays Scandinaves14 et celles adoptées dans les Expositions universelles, en particulier celles de 1867 et 1878 à Paris et de 1876 à Philadelphie, inspireront aussi les pratiques d'expositions muséales. En Suède, dans les années 1870, Arthur Hazélius met en place des tableaux en trois dimensions, inspirés des scènes de genre de peintures à la mode ; y figuraient plusieurs objets ethnologiques, du mobilier, des mannequins de cire costumés, tous faisant partie des collections qu'il avait acquises lors de ses cueillettes systématiques dans la campagne suédoise. Récemment, d'autres travaux sur l'histoire de la muséologie dans les pays Scandinaves, ont montré l'existence d'expériences du même genre, antérieures ou contemporaines de celles d'Hazélius, dont en particulier, les intérieurs d'époque de Bernhard Olsen à Copenhague; dans les années 1880: «ses reconstitutions d'intérieurs ne forment pas des scènes séparées du public comme celles d'Hazélius. Elles constituent de "vrais" intérieurs, véritables pièces délimitées par quatre murs dans lesquelles les visiteurs se meuvent» (Maure, 1993. Pour l'utilisation de personnages dans des reconstitutions contextuelles dans les musées d'anthropologie, voir aussi Jacknis, 1985). Ce plain-pied est important, parce qu'il permet aux visiteurs d'avoir l'impression de partager et de vivre l'espace ; la réception se fait alors non pas sous le mode du seul regard, comme devant un tableau ou une scène au théâtre, mais aussi sous le mode de l'habitabilité propre à la perception des volumes architecturaux.

La muséographie des period rooms conjugue trois composantes principales: la première concerne tous les objets mobiliers et usuels de la scène, originaux, authentiques ou reproductions: ils sont souvent très nombreux, une salle à manger, un magasin ou un atelier de travail devant faire montre de tous les outils et équipements de la vie quotidienne. La seconde a trait aux éléments architecturaux, à ces morceaux d'immeuble qui installent l'espace intérieur construit et fournissent un cadre aux objets mobiliers qui y prennent place. Ces éléments remplissent une fonction similaire à ceux qui, dans les groupes animaliers, suggèrent le milieu naturel: ils ferment l'espace de l'installation en le dotant d'un cadre bâti qui contribue lui-même à la scène d'ensemble et en est une partie intégrante. Ici le cadre est aussi en trois dimensions et non un fond illustré mis en relation perspectiviste avec les objets réels présents15. Il en résulte que ces intérieurs sont observables de différentes positions, frontales ou latérales, parce qu'ils ne jouent pas sur un effet précis de perspective qui imposerait un point de vue privilégié. Enfin, la troisième composante,

73 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 22: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

essentielle mais plus abstraite, a trait à l'arrangement de tous les éléments montrés dans une disposition familière qui fait allusion à une scène de la vie courante et qui se veut conforme à l'aménagement du lieu, à la période traitée. Les premiers véritables period rooms présentés dans un musée aux États-Unis sont attribués à George Francis Dow de l'Essex Institute à Salem, au Massachusetts et datent de 1907 (Alexander, 1964, p. 264 ; cette attribution est aussi reprise par Washburn, 1990). En 1972, on estimait à plus de trois cents les period rooms réalisés dans les musées américains, cela sans compter les huit mille autres period rooms situés dans des bâtiments historiques (McClung Fleming, 1972, p. 39).

En partant d'une définition large, toute scénographie qui installe les éléments d'un décor quelconque d'intérieur, afin de le montrer à des spectateurs, obéit au dispositif et constitue un «intérieur d'époque». Trois autres critères me semblent pertinents pour préciser la notion d'intérieur d'époque, au sens muséologique : 1) les composantes et l'ordonnance du dispositif en place doivent être documentées et conformes à ce qu'on peut savoir de la situation reprise; 2) la présentation doit se trouver de plain- pied avec le niveau des visiteurs, et non en élévation sur un espace scé- nique distinct, comme c'est le cas au théâtre ; 3) le dispositif doit être situé dans un contexte muséal et être utilisé comme élément d'une exposition.

L'exigence première de cette muséographie est de favoriser l'analogie et de tout faire pour que la mise en scène s'efface devant la réalité des choses exposées et le jeu de la référence. Grâce au plain-pied, le period room minimise tout ce qui le sépare de l'espace où le public circule : ses concepteurs renoncent, presque toujours, à la grande cloison vitrée et à tout autre élément visible qui rappellerait trop la nature muséographique de la présentation. Dans le même sens, il est souvent permis aux visiteurs de pénétrer dans la scène et d'y circuler, comme ils ont l'habitude de le faire dans les salles des bâtiments historiques. Une telle similitude dans les usages et dans la forme que prend la visite rend le dispositif encore plus opérant quant à sa puissance d'évocation et sa perception comme lieu.

Les intérieurs d'époque partagent plusieurs des caractéristiques et des objectifs des dioramas fauniques : on peut dire qu'ils font, pour les collections d'histoire et d'ethnologie, ce que ces derniers font pour les spécimens des sciences naturelles. Mais suffisamment d'éléments importants distinguent les deux logiques en présence, pour qu'on y voie deux applications muséographiques particulières. Quelles sont ces principales différences ?

Une première découle de ce qui précède: ces dispositifs ne montrent, en général, que des objets tridimensionnels, les éléments illustratifs n'y tenant aucune place. Une deuxième différence est que la notion «intérieur d'époque » exclut une présentation en version miniaturisée : seule la grandeur réelle rend possible de percevoir que cet «intérieur» a été partie intégrante d'une architecture «habitée» et d'établir un rapport effectif avec un lieu originel postulé. La miniaturisation interrompt toute relation indicielle avec le réfèrent: elle change si fondamentalement la relation au visiteur que maintenir l'étiquette de period room dans ces circonstances devient incongru. Il vaut mieux alors parler de maquette, ou de diorama, si la miniature comporte aussi des éléments bidimensionnels illustratifs.

74 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 23: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Troisième différence: contrairement aux dioramas de groupes animaliers, les intérieurs d'époque ne peuvent pas évacuer la question du temps qui, pour eux, est constitutive. En effet, il se dégage des scènes montrant les paysages peuplés d'animaux une impression d'intempora- lité, qui rend impossible ou non pertinent de chercher l'époque du sujet représenté. Ces installations peuvent faire allusion au temps, par exemple en jouant sur les quatre saisons, pour des raisons de variété et d'intérêt visuel ; mais même là, cet automne ou cet hiver sont « de toujours », ce lion habite une jungle africaine qui est la jungle éternelle. Le plus souvent, l'effort des groupes animaliers est concentré dans la suggestion du lieu, au détriment d'une indication du temps historique16. Les intérieurs d'époque sont éminemment liés au temps; ils posent tout de suite la question de la période qu'ils incarnent. L'analyse montre qu'ils installent différents types de temporalité : certains illustrent, par exemple, un moment bien défini, une date, une heure: «Napoléon sur son lit de mort», la signature de tel traité, le moment d'une découverte scientifique ; d'autres représentent une durée plus longue et indéfinie, allant de quelques années d'un siècle comme «les années de guerre», aux périodes moins définies, comme «l'âge grec» ou «la Renaissance». D'autres intérieurs ont un tout autre rapport au temps, parce que leurs référents sont empruntés à un récit fictionnel et que leur temporalité est d'abord celle du «il était une fois».

Deux dernières différences méritent encore d'être notées : le dispositif en habitat group diorama ne permet presque jamais que le visiteur pénètre dans l'espace scénographie, l'efficacité de la mise en scène imposant un point de vue externe sur une perspective protégée. Au contraire, plusieurs intérieurs d'époque sont aménagés de manière à ce que le visiteur y circule physiquement. La dernière différence a trait aux relations que ces intérieurs d'époque entretiennent avec leurs occupants présumés. Il est impossible d'imaginer un habitat group sans présence de spécimens ; même quand leur importance relative dans le dispositif diminue, par l'accentuation des éléments environnementaux, les animaux demeurent, à l'avant-plan, des sujets incontournables du propos tenu. Or la plupart des intérieurs d'époque ne montrent pas ceux qui y résidaient, mais se contentent de laisser les objets suggérer leur vie passée, ou même «un» mode de vie passé, sans personnalisation, quand l'intérieur ne concerne aucun personnage illustre. Peut-être cette absence favorise-t-elle aussi l'identification des visiteurs avec ce qu'ils voient et leur projection imaginaire dans cet espace ouvert, à la place des personnages du temps maintenant absents17.

L'analyse muséologique produit une autre catégorisation de ces muséographies, en fonction de ce qui constitue leur objectif principal. A. E. Pair en distinguait trois : le period room esthétique, historique, et sociologique (Parr, 1963, p. 330-331). Plusieurs intérieurs d'époque ont pour objectif premier de donner lieu à une présentation qui met en valeur de belles pièces de collection. Les concepteurs veulent montrer plusieurs belles choses anciennes et, pour ce faire, ils sélectionnent et composent, au moyen des objets d'arts décoratifs et des éléments architecturaux

75 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 24: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

d'une époque, un ensemble intérieur qui répond à leur conception du beau et aux critères esthétiques d'aujourd'hui. Ces intérieurs esthétisants sont fréquents dans les musées de beaux-arts et d'arts décoratifs, qui ne montrent que des pièces d'excellence, disposées pour plaire au regard contemporain. L'objectif principal qui guide un second type d'intérieurs est d'abord historique : renonçant à produire un tout qui doive être agréable aujourd'hui, les réalisateurs cherchent à restituer un tout d'abord représentatif de son temps, typique d'un goût ancien, que cela plaise encore ou non. Le troisième type d'intérieur, dit sociologique, n'a rien à voir avec le goût ni le beau, ancien ou actuel. Il a pour objectif un réalisme sociologique qui montre des intérieurs factuels, bien ancrés dans les conditions de vie réelles des différentes classes sociales. L'objectif est d'illustrer, par l'apparence d'un lieu donné, intérieur domestique ou autre, le mode de vie d'un groupe social particulier, à une époque déterminée. Ce type sociologique, déjà à l'œuvre chez les ethnologues comme Hazélius, est aussi populaire dans les musées d'histoire: il donne lieu à des réalisations remarquables, au People 's Muséum à Edimbourg, où sont installés des intérieurs originaux pris dans des lieux typiques du milieu — une cuisine, une laverie publique, un salon de thé, un pub — et documentés par les témoignages, sonores ou écrits, de gens qui ont habité ou fréquenté ces endroits. Ces trois types d'intérieurs sont réduits à deux par E. P. Alexander: les intérieurs de caractère artistique et ceux de nature historique. Citons ses définitions devenues classiques: «L'intérieur d'époque dit "artistique" a pour objectif d'exposer de façon esthétique des exemples remarquables d'architecture intérieure et des arts décoratifs d'une période. Ce type d'installation est un moyen de mettre en valeur non seulement la beauté des objets, mais leur époque culturelle en général; il ne s'agit donc pas de montrer un véritable milieu historique, avec ses connotations anthropologiques ou ethnographiques. L'intérieur artistique met en évidence la qualité, l'expertise du connaisseur et le bon goût. Par contre, les intérieurs qualifiés de «historiques» sont axés sur la présentation d'une véritable pièce, comme elle se présentait jadis. L'installation suit alors les lignes directrices d'un inventaire ou d'une autre source documentaire. Les choses montrées peuvent faire preuve ou non d'une grande qualité de design et de fabrication, dépendant des objets que cet intérieur contenait à l'époque. » (Alexander, 1964, p. 27318)

II est compréhensible qu'après avoir contextualisé les objets dans des intérieurs d'époque, certains ont aussi voulu faire voir des contextes plus larges encore qui exigeraient la mise en place de «scènes d'extérieur». D'ailleurs ce pas est franchi en douce quand un dispositif de period room permet aux visiteurs de le traverser et les fait passer de l'intérieur d'époque à un extérieur correspondant qui est son contexte. Après avoir visité un salon victorien, par exemple, les visiteurs passent la porte pour se retrouver dans «la rue», devant la façade de la maison qu'ils viennent de quitter et d'où ils aperçoivent maintenant le salon, par une fenêtre. L'exposition du Smithsonian Institution «From Field to Factory» use très bien d'un tel aménagement, pour mettre en rapport la case d'une famille noire du sud avec les champs de coton voisins qui l'entourent.

76 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 25: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Nous passons alors du period room à une « scène extérieure d'époque» ou un «paysage d'époque», qui, selon la thématique retenue, prend souvent la forme d'une scène urbaine ou de village, dite en anglais streetscape, cinquième forme majeure de muséographie analogique.

Le streetscape, ou paysage urbain

Le streetscpape est un mot formé d'après celui de landscape ou paysage; il a l'avantage de marquer, dans son signifiant, qu'au lieu du «visage du pays», il désigne un «visage de la rue». L'anglais parle aussi de «citys- cape» pour dire l'image que trace sur le firmament le profil des gratte- ciels d'un centre ville, vu de loin.

Le streetscape, en tant que dispositif, fonctionne à la manière des intérieurs d'époque : si le period room place des meubles et certains éléments d'architecture d'intérieur afin de les réinstaller dans une disposition conforme à leur contexte d'usage, le paysage urbain recompose et évoque un lieu extérieur, une place aménagée, avec l'aide d'éléments bâtis et d'éléments de l'environnement: il s'agit de «la reconstitution d'édifices historiques pour illustrer des thèmes importants de l'histoire, [...] de la combinaison de bâtiments reconstitués, d'artefacts historiques, de son et de lumière à l'intérieur d'un espace bien organisé» (Ruddel, 1985, p. 23). Cette muséographie complexe installe, dans une salle d'exposition, des façades de bâtiments complets, du mobilier urbain, des véhicules, du pavage, etc., tous susceptibles de provenir d'un ou de plusieurs lieux d'origine. Un tel paysage urbain a souvent recours à la panoplie des procédés déjà décrits, empruntant au panorama ses vastes horizons d'arrière-fond, pour recréer l'image d'un grand espace, et au diorama la conjugaison d'éléments tridimensionnels en grandeur réelle avec du matériel illustratif en trompe-Pœil.

De plus, toujours comme les intérieurs d'époque, ce procédé instaure avec les visiteurs un rapport volumétrique d'habitabilité : il rend possible qu'ils y entrent et y déambulent, comme ils le feraient pour une rue de village ou de ville. Les paysages urbains reconstituent donc, en salle de musée, les bâtiments qui longeraient une rue ou une place, à telle époque, comme cela se trouve aussi dans les musées de plein air. C'est un peu comme si le musée de plein air, ou le site historique, revenaient sous le toit du musée.

Le musée qui affirme avoir le premier exposé ainsi une scène de rue dans un parcours d'exposition permanente, est le York Castle Muséum, «England's most popular Muséum of everyday life». L'exposition montre deux rues typiques: la première évoque le début de la période victorienne, mais n'a jamais nulle part existé telle quelle, les éléments qui la composent provenant de différents endroits. Elle est nommée «Kirkgate», en l'honneur de son concepteur John Kirk, le fondateur du musée ; la terminaison «gâte» vient des vieilles langues Scandinaves et est fréquente dans la région, pour désigner des noms de rues. Les boutiques, toutes dans des bâtiments antérieurs à 1830, sont regroupées des deux côtés de

77 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 26: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

la rue ; plusieurs façades s'ouvrent sur des intérieurs d'époque, où les visiteurs entrent, d'autres ne se contemplent que du «dehors» (voir illustration n° 2). Plus loin, dans une autre salle du musée, une deuxième reconstitution du même type fait déambuler les visiteurs dans une rue edwardienne «HalfMoon Court», typique de la région au début du xxe siècle. Elle comporte aussi des intérieurs à visiter, comme ceux d'un garage et d'un pub, jadis situé dans la ville de York19.

De ces rues composites, puisant leur matériel bâti dans différents sites, aux rues typiques qui érigent des copies architecturales, on passe aux paysages qui «trichent» dans les dimensions en réduisant le format des façades, et aux rues synthèses qui ne sont plus qu'un procédé scéno- graphique servant à évoquer, dans un espace de type voie de circulation urbaine, un environnement bâti plus vaste, dont les éléments n'ont jamais en réalité, formé un alignement. C'est le parti qui a été pris dans la grande salle d'histoire du musée canadien des Civilisations, à Hull, au Canada: pour illustrer l'histoire canadienne dans une perspective régionale, on a réalisé une présentation genre streetscape, dont le réfèrent n'est ni une rue spécifique, ni même une rue typique, mais bien l'espace global du pays et de ses régions. La scénographie montre un paysage-synthèse à parcourir, une traversée du pays où sont groupés, dans une suite chronologique, divers environnements bâtis typiques de ceux qui scandent le territoire canadien, d'est en ouest. Ses concepteurs se sont inspirés pour réaliser ce dispositif, de plusieurs reconstitutions architecturales et environnementales en exposition ailleurs : celles des répliques architecturales érigées dans la section World Showcase au Epcot Centre (Disney world), les reconstitutions historiques du Royal British Columbia Muséum au Canada, celles du Henry Ford Muséum près de Détroit, premier musée américain à avoir installé ce genre de muséographie de rue, enfin celles du Jorvik Centre et du York Muséum à York. Les composantes de ce paysage-synthèse jouent sur différents degrés de réalisme. «Lorsque l'équipe de projet responsable de la salle d'histoire fut mise sur pied, nous avions la certitude que la longue Salle de l'histoire du MCC, qui suit la courbe de l'architecture de l'édifice, pourrait convenir parfaitement à un paysage urbain. [...] Le concept final présentait un peu de tout: des édifices complets, des façades d'édifice, des décors entièrement meublés, des expositions en vitrines traditionnelles, et des présentations multimédia. L'élément de base demeure le paysage urbain, qui est le principal moyen mis en oeuvre pour évoquer le passé. » (MacDonald & Alsford, 1989, p. 101-10220.)

La mise en scène de ce vaste paysage comprend, le long du parcours unifié, des scènes extérieures et des places urbaines, avec reconstitutions architecturales et des intérieurs d'époque, comme la cale d'un navire du xvie siècle ou les pièces d'une maison ontarienne de 1890, des audiovisuels et des animations théâtrales, ainsi que des vitrines de présentation. Si l'idée de rue s'impose, c'est que la circulation prévue entraîne les visiteurs à travers un parcours scandé par des architectures, selon une logique qui est celle de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire.

78 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 27: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Encore une fois, ce type de présentation place les visiteurs dans un espace analogique, dont ils reconnaissent la référence topologique globale. Ce dispositif permet aux musées de s'effacer et de rivaliser avec les sites patrimoniaux, en offrant des expériences qui tendent vers le «in situ» des destinations touristiques. Fort d'un être-là authentique, le site historique promet un déplacement dans le temps avec, par exemples, des slogans comme «entrez dans l'histoire» ou «avancez d'un pas... reculez d'un siècle21»; au musée, les présentations « streetscape» misent à leur façon sur un effet de distanciation temporelle perceptible, afin de faire oublier le lieu physique de leur mise en exposition et de maximiser l'expérience des visiteurs. Comme les intérieurs, ces présentations peuvent être d'abord esthétiques, historiques, ou sociologiques, selon l'intention première qui préside à leur réalisation.

L'ÉCOSYSTÈME

La dernière forme de muséographie analogique que je retiens est celle des écosystèmes, de plus en plus utilisés dans des expositions traitant de thématiques zoologiques et botaniques, ou de thèmes reliés à l'environnement. Ces présentations reproduisent en environnement hautement contrôlé, donc dans un immense «in vitro», des pans entiers de paysages naturels, dans lesquelles interagissent plantes naturelles et animaux vivants ; des décors en fac simile, comme des rochers, des arbres, des banquises ou autres éléments de paysages, complètent au besoin la scène représentée. Le terme lui-même est emprunté à un des fondateurs de l'écologie, Eugène Odum (Odum, 1971). Une telle muséographie découle de deux sources: d'une part, de l'aménagement des jardins et des parcs, naturels et zoologiques, et d'autre part, des présentations muséales de spécimens naturalisés groupés dans leur habitat naturel, déjà analysées plus haut.

Au xviiie siècle, l'idée d'évasion dans la nature suggère une nouvelle esthétique des jardins et des parcs. Elle préconise d'aménager à la fois une série de lieux-tableaux évocateurs et des endroits précis, d'où un visiteur peut les contempler avantageusement: «les jardins organisent une mise en scène, selon les recommandations des manuels [. ..] Au musée comme au jardin, il faut à ces "tableau" un point de vue d'où l'on puisse les embrasser tout entiers» (Poulot, 1986). Ces tableaux constituent des ensembles ponctuels qui scandent un parcours, afin de produire, théâtralement et naturellement, des effets particuliers sur ceux qui les regardent: «Le jardin, comme le théâtre, est un art visuel [. . .] tous deux sont étroitement liés à la peinture, à la sculpture, et bien sûr, à l'architecture. Un patrimoine commun de croyances religieuses, de légendes médiévales, de mythologie classique, d'histoire nationale, et d'allégories fantastiques inspirait les décorateurs de jardins et de théâtres, qui usaient du même vocabulaire que les peintres, les sculpteurs et les tapissiers.» (Adams, 1980, p. 63.)

L'insertion de tels tableaux, à même de grands parcs, en fait, selon les théoriciens de l'époque, des «jardins d'illusion»; le parc offre alors,

79 Une logique d'exposition populaire publics & musées n°9

Page 28: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

dans un microcosme paysager, des îlots de dépaysement capables de faire voyager l'imagination des promeneurs à travers le temps et l'espace, vers les pays lointains où une telle végétation pousse librement. Dans telle section du parc, les promeneurs contemplent un paysage qui évoque une région exotique, la Chine, l'Orient ou les Alpes; ailleurs, ils pourraient se croire soudain transportés dans l'Arcadie mythique, ou dans l'Italie de Virgile ou de Dante. Plusieurs perspectives ouvrent ainsi des percées visuelles qui semblent conduire «ailleurs» les promeneurs en quête de rêve et d'évasion.

Nous sommes ainsi très près de la collection et de sa mise en exposition, car ces paysages et leurs architectures «s'entassent dans le jardin comme des prodiges réunis dans les vitrines d'un cabinet de curiosité, une Kunst-und-Wunderkammer en plein air» (Jardins en France, 1760- 1820, 1977, p. 1022).

Au jardin zoologique, les concepteurs pratiquent aussi l'implantation, à même la nature, de tableaux paysagers, dans le but de contextualiser l'animal montré. En effet, la présentation d'animaux vivants dans un jardin zoologique s'est faite selon diverses logiques: «toute l'évolution des parcs zoologiques modernes, depuis leur naissance sous l'égide de l'Histoire naturelle, est traversée par une contradiction entre l'animal-objet et l'ani- mal-sauvage, entre une appropriation de l'animal par la science et l'attente du spectaculaire par le public» (Cousin-Davallon & Davallon, 1986, p. 89). Alors que l'approche des sciences naturelles opérait une décontextualisa- tion des animaux, en les répartissant par catégories dans l'espace abstrait d'un tableau scientifique se voulant complet, une nouvelle approche refuse de les couper ainsi de tout espace géographique concret. Une volonté de recontextualiser la faune et la flore s'impose, et des muséographes interviennent pour scénographier des espaces analogiques et suggestifs, où «chaque enclos simule un territoire dans lequel l'animal peut évoluer comme chez lui» (Cousin-Davallon & Davallon, 1986, p. 92 ; 1987). Les responsables d'expositions zoologiques aménagent, autour des animaux vivants, des éléments qui les campent dans un décor d'habitat, comme le font les conservateurs qui, au musée, ajoutent aux groupes animaliers naturalisés un décor approprié illustrant le territoire qu'ils occupaient. Ainsi, au musée ou en plein air, vivants ou naturalisés, les animaux sont dotés d'un territoire constitué d'éléments de végétation naturelle et de reproductions qui simulent des composantes du paysage.

C'est d'abord, nous l'avons vu, par le biais de ces dioramas montrant des habitats animaliers dans les musées de sciences naturelles, que des paysages et des fragments de nature sont mis en exposition. Une fois adoptée, la dynamique de l'analogie s'étend, elle tend au respect de l'échelle réelle, puis à l'inclusion du visiteur dans l'espace du spectacle. Comme les intérieurs d'époque imitent, en contexte muséal, l'expérience que les visiteurs font dans les sites historiques, les reconstitutions d'espaces naturels au musée cherchent, à leur manière, à offrir dans les expositions à thèmes environnementaux des expériences vécues analogues à celles que la contemplation des sites naturels peut procurer. «Les bioexhibits ou expositions d'immersion, permettent non seulement de

80 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 29: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

présenter la nature, mais aussi de faire vivre l'expérience de cet environnement aux visiteurs. Au Québec, le Biodôme de Montréal et le Jardin zoologique de Saint-Félicien, l'un étant intérieur, l'autre extérieur, illustrent bien cette tendance. »> (Charpentier, 1995, p.5023.)

Ce concept d'immersion, réelle et simulée, dans un contexte d'apparence naturelle, peut avoir lieu à l'intérieur d'un bâtiment muséal ou à l'air libre. Il a été réalisé sur une très grande échelle par la conversion du vélodrome olympique en Biodôme de Montréal, ouvert au public en 1992. Pour traiter de l'écologie de la biosphère et des équilibres environnementaux planétaires souvent menacés, quatre «écosystèmes» ont été aménagés. Dans des zones pouvant atteindre 3000 mètres carrés, on a cherché à «mettre la nature sous un toit, ou presque, en représentant, dans leurs composantes physiques, biologiques et climatiques, certains écosystèmes des trois Amériques» (Landry, 1995, p. 14324). La collection s'expose donc en quatre écosystèmes distincts, dont deux sont exotiques pour la majorité des visiteurs — la forêt tropicale et le monde polaire — , alors que les deux autres reprennent des paysages plus proches et plus familiers — la forêt laurentienne et le Saint-Laurent marin.

La réalité construite de ces écosystèmes est certes incomplète, et les messages qu'ils portent, pas toujours évidents; plusieurs théoriciens ont discuté du statut de ces ensembles, en tant que réalisations médiatisées, relevant à la fois du savoir, du vivant, de l'imaginaire et du spectacle25. En effet, lorsqu'il s'agit de collectionner et d'exposer des réalités culturelles ou naturelles, les responsables ne peuvent qu'avoir recours à des artifices muséologiques bien «culturels», qui conjuguent ces objets de collection avec plusieurs autres facteurs et dynamiques: l'objet est articulé avec ce qu'on en sait, avec des impératifs de communication, avec une stylistique qui suggère comment il convient muséologiquement de le présenter, avec les besoins de la conservation, avec les attentes présumées des visiteurs, avec leurs représentations préalables et la satisfaction que les responsables veulent qu'ils retirent de leur visite. Aussi, les campagnes publicitaires récentes du Biodôme misent plus sur l'animal spectaculaire et sur l'expérience promise que sur les problématiques écologiques, soulignant ainsi comment l'écosystème peut redevenir pour le public un immense habitat, centré sur l'animal qui s'y montre et sur la découverte qu'on en fait, en se pliant volontiers au jeu du dispositif analogique26.

L'étude des formes de muséographie analogique a pour conséquence de nous rappeler que les musées ont depuis longtemps puisé dans les technologies de mise en image et de mise en scène qui leur étaient disponibles, afin de fournir un cadre aux objets qu'ils montraient et de les combiner dans des ensembles visuels qui puissent suggérer des significations immédiatement perceptibles à leurs publics. Ce faisant, leurs concepteurs ont dû en venir à accepter que l'ordre des choses dans l'exposition ne soit plus nécessairement celui qui prévaut pour l'étude des collections et qui découle plus directement des catégories de son classement et de son analyse.

Que savons-nous de cette autonomisation progressive de la relation collection /exposition? Comment les collections ont-elles dicté, dans un

81 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 30: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

premier temps, la configuration de l'espace expositionnel ? Quels principes et dispositifs spatiaux ont pris en charge les collections? Sont-ce les mêmes, ou d'autres, qui offrent les collections aux visiteurs venus les voir, surtout quand l'institution conçoit ses expositions à l'intention du grand public? Et quelles transformations sont survenues pour que naisse une logique propre de l'exposition, logique qui est la condition de possibilité de l'apparition des muséographies analogiques que nous examinons ici?

Pour répondre à certaines de ces questions, je voudrais examiner quelques changements qui ont eu cours dans l'aménagement des espaces museaux quand ceux-ci ont pour fonctions de contenir et d'exposer les collections amassées, puis, de plus en plus, seulement de les exposer, dans des présentations muséographiques accessibles et visuellement intéressantes.

L'EMPIRE DE LA COLLECTION

Parmi les pratiques qui intéressent la muséologie, la collection est bien l'objet d'étude qui a retenu d'abord l'attention. Longtemps en effet, l'agent déclencheur de la naissance du musée a été la présence d'une collection jugée exceptionnelle. Il y aura un musée parce qu'il y a eu collec- tionnement et rassemblement d'objets et que leur détenteur, privé ou public, souhaite établir un lieu capable de contenir et de conserver ces choses intéressantes et d'accueillir ceux qui s'y intéressent. Quel est le but de ces initiatives? En termes d'utilité pour la collectivité, il s'agit de rendre possible un partage du savoir et l'avancement des connaissances. En termes de symbolique, la réunion d'une collection a trait aux signes extérieurs du prestige de celui qui la constitue et témoigne de sa position sociale importante, qui rend possible le mécénat. En termes économiques, la collection muséale agit très tôt comme un attrait et une destination pour les voyageurs. Les études sur les collectionneurs et les collections, sur les catalogues qui les décrivent et sur les institutions créées pour les conserver, les étudier et les montrer, sont nécessaires, afin de saisir quelle est la culture des collectionneurs, quels genres d'objets sont acquis et entrent dans les collections à diverses époques, pourquoi des établissements publics sont fondés et quels objectifs ils poursuivent. Le plus souvent, notons-le, de telles études ne livrent que peu de renseignements sur les logiques de mise en exposition de ces collections, comme si l'exposition s'effaçait devant la réalité première et déterminante du collectionnement lui-même.

Le développement de plusieurs institutions montre comment la collection a eu préséance dans la dynamique constante d'une recherche d'équilibre entre une collection qui augmente rapidement, et un bâtiment toujours trop petit pour bien la loger et l'exposer, malgré les agrandissements successifs. L'espace muséal est d'abord celui des collections, qui longtemps, croyait-on, devaient y trouver leur place définitive dans l'agencement d'une exposition «permanente». La possession et l'étude des pièces de collection importent plus que leur exposition.

82 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 31: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Il est manifeste que musées et collections sont liés, que la nature des premiers doit beaucoup à la réalité et à la richesse de celles-là. La réalité de l'exposition s'est fondée sur la collection: c'est d'un même geste de rassemblement que la collection se forme, se conserve, s'ordonne, occupe l'espace et s'expose en partie. L'exposition, aspect visible du col- lectionnement, correspond alors à l'espace d'étalage de la collection conservée, elle relève de la place que prennent les objets réunis et des significations suggérées par leur regroupement.

Il faut se rappeler que l'aménagement des premiers cabinets de collection est très différent de ce qu'on voit aujourd'hui dans les salles publiques d'un musée. L'ancien cabinet tient plus de la réserve que d'un lieu moderne d'exposition ; si certains objets y sont placés dans un espace de visibilité immédiate et offerts à l'observation de tout visiteur admis, plusieurs autres objets sont rangés dans les meubles que le cabinet contient — dans des coffrets et des classeurs à tiroirs — où ils sont conservés hors du champ du regard, et d'où un hôte, souvent le collectionneur, ancêtres de nos animateurs-éducateurs, doit les tirer au besoin, pour les montrer et en parler.

Le dispositif spatial des premiers cabinets, ceux par exemple de Calzolari à Vérone (1622) ou d'Ole Worm à Copenhague (1655), ou encore celui d'un des premiers musées comme YAshmolean Muséum à Oxford, est typique de la conception du musée en tant que lieu de collec- tionnement et d'entreposage pour fins d'études. Le bâtiment d'Oxford, complété en 1683, compte plusieurs salles dont les trois principales sont le cabinet proprement dit, qui contient les collections, une salle de cours pour les conférences d'histoire naturelle, et un laboratoire doté de deux bibliothèques, l'une en chimie, l'autre en philosophie et histoire naturelle. L'exposition, au sens actuel du terme, ne tient ici pas de place; ce qui compte, c'est que les professeurs aient à leur disposition une collection sur laquelle mener des études, pour ensuite avoir recours «ad hoc» à certains spécimens, lors des démonstrations requises par les enseignements qu'ils dispensent. Et si un spécimen original se détériore, ou manque dans la collection, ils ont recours à une illustration faite dans ce but, un dessin ou un moulage pouvant tout autant servir l'étude et la démonstration. La même logique s'applique au Muséum à Paris, où les galeries sont avant tout des «réserves de spécimens» dont le rôle «est d'abriter des collections ordonnées de manière systématique» (Laissus, 1993, p.113- Pour une histoire des cabinets, voir Impey & Macgregor, 1985).

C'est donc sous l'empire des collections que ces musées, meubles et immeubles, se configurent. Ils répondent avant tout à une volonté de cumul et de savoir et placent, pour ainsi dire, ceux qui y viennent, parmi leurs collections plus que devant une exposition. En un sens, les «connaisseurs» ont souvent du musée un usage qui occulte, ou du moins réduit, sa dimension expositionnelle : en allant, dans les études qu'ils poursuivent, directement vers l'examen des objets de collection du musée, les chercheurs de disciplines diverses ne s'arrêtent que peu ou pas à la disposition de ceux-ci dans le lieu lui-même. Ils cherchent un contact immédiat avec l'objet conservé, préférant souvent une observa-

83 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 32: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

tion privée dans un espace d'étude, ou même la lecture des notices d'un catalogue, à une contemplation dans l'espace public d'une exposition.

Une telle attitude est symptomatique du déplacement épistémolo- gique qui avait cours avec la naissance de l'expérimentation et de ce que l'on désignait, au xvif siècle dans les cercles scientifiques anglais, de «New Pbilosopby». Elle correspond au refus de croire en l'autorité des seuls textes anciens, à la faveur d'un questionnement nouveau, qui prend appui sur l'observation directe des choses réelles, tant naturelles que culturelles (Grafton, 1995, p. 217-227). C'est pourquoi, plusieurs points de similitude unissent ce type de cabinets de collections à d'autres lieux comme les salles de dissection, véritables «théâtres anatomiques» qui se répandent aux xvie et xvne siècles, et les laboratoires. Là aussi, l'aménagement physique a pour but de conjuguer le savoir, le regard et les choses, il doit favoriser l'observation du réel et le partage du savoir entre connaisseurs, quitte à ce que des étudiants et même le public puissent être admis et assister à certaines démonstrations que mènent les savants.

Retenons que l'aménagement de ces cabinets de collections porte les signes de leur appartenance à la sphère de la curiosité, puis à celle des études méthodiques et comparatives (Pomian, 1987), définies par le savoir expérimental naissant. Lieux d'objets, de tels endroits sont aussi ceux de Poralité et des démonstrations: les collections d'artefacts ne sont pas vues comme parlantes en elles-mêmes, ni autosuffisantes; elles restent en liaison avec un collectionneur qui sait les dire, elles prennent place dans un discours tenu à leur sujet et dans une démarche de recherche qui utilise l'original, mais aussi du matériel illustratif.

Montrer, qui n'est pas encore exposer, n'est ni l'essentiel, ni le principe premier de ce dispositif muséal. La collection exige bien un espace, mais celui-ci a pour fonction première de permettre sa conservation et sa classification, afin qu'il soit possible de retrouver les pièces à leur place, pour comparaison et étude.

On pourrait dire que de tels cabinets «contiennent» des artefacts collectionnés, qu'ils les agencent et les montrent, plus qu'ils ne les exposent, un peu comme les bibliothèques contiennent et classent des livres, mais sans véritablement en faire exposition. C'est pourquoi l'espace aménagé est bien sous l'égide des collections et qu'au sens propre, le geste de mettre en exposition n'est pas encore explicitement apparu: «L'exposition, comme fonction du musée, s'est développée à partir de la phase constitutive des collections des premiers musées. Le désir d'exposer était implicite dans celui de collectionner, ne serait-ce que pour montrer ses trésors à un groupes choisi d'amis. » (Washburn, 1990 p. 199). L'ordre classificatoire de la collection décide à la fois de la place, dans le dispositif, des objets conservés hors de la vue, et de la position de ceux qui sont mis en vue.

Plusieurs recherches récentes sur l'histoire des cabinets de curiosités, sur les collections de «sciences naturelles» et sur l'histoire des musées, prennent comme hypothèse de travail les notions mises de l'avant par l'archéologie du savoir de Michel Foucault, en particulier l'idée de la succession des trois épistémès qui gouvernent les formes de savoir. Elles montrent comment ces configurations du savoir, — celle de la

Une logique d'exposition populaire publics & musées n°9

Page 33: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Renaissance, qui prévaut jusqu'à la fin du xvie siècle, celle de l'époque «classique», qui opère des années 1600 à 1780, enfin celle de l'ère «moderne», qui s'instaure à partir de la fin du xvme siècle — fondent des manières de penser et de structurer le réel, et conséquemment influencent aussi les façons de collectionner et surtout celles de classer et de répartir les choses collectionnées, dans l'espace concret des cabinets et musées, de manière à ce qu'elles représentent adéquatement le monde tel qu'on le comprenait27.

Avant 1600, sous le règne de Yépistémède la Renaissance décrite par Foucault, la quête de savoir cherche à découvrir partout, dans la nature et la culture, de secrètes correspondances, des similitudes et des ressemblances, souvent dévoilées par des spécimens rares et exceptionnels; aussi, les premiers cabinets agençaient leurs collections de manière à manifester visuellement ces rapports symboliques, ces isomorphies, ces harmonies et ces symétries. Les objets que le cabinet installe dans un espace de visibilité sont, dans cette phase, disposés en fonction d'un rang, d'une place qu'on leur assigne dans l'ordre symbolique et secret du grand «théâtre du monde». Les regroupements d'objets s'ordonnent alors en conformité avec les pratiques de la «curiosité»; ils font ressortir et révèlent les correspondances matérielles, symboliques et langagières de cet ordre mystérieux, au moyen des mises en relation formelles et de contiguïtés suggérées par l'étalage des collections.

De même, aux xviif et xixe siècles, quand une autre épistémè dite classique, plus analytique et expérimentale est à l'œuvre et structure autrement les pratiques et les normes du savoir, les collections s'articulent différemment dans les espaces où elles sont montrées. L'arrangement antérieur, à cohérence symbolique, fait alors place à une distribution qui regroupe les spécimens en fonction de leur caractérisation en genres et espèces, selon la logique classificatoire du nouveau savoir taxinomique constitutif des sciences naturelles. L'espace physique, à l'intérieur duquel s'établissent des relations visibles de contiguïté, reste comme auparavant signifiant. La logique qui y préside est autre, mais ce qui ne change pas, c'est le fait que cette logique émane toujours des conceptions épistémolo- giques qui prennent en charge l'étude et la classification des collections. Les catégories qui servent à comprendre et à classer le réel sont celles qui structurent la mise en espace qui montre les collections. Le visiteur visé est un initié, il connaît les principes du travail scientifique et il a les compétences requises pour voir à la fois les objets exposés et le rationnel de leur répartition. Un tel connaisseur contemple la matérialité et la qualité des choses, il comprend, simultanément, le vu et l'ordre sous-jacent que l'arrangement cristallise.

Une troisième configuration du savoir caractérise l' épistémè moderne; elle fait passer de l'Ordre à l'Histoire, et structure la connaissance autour d'une relation à l'humain: «Dans la pensée classique, celui pour qui la représentation existe, et qui se représente lui-même en elle [. . .] celui qui noue tous les fils entrecroisés de la "représentation en tableau" — celui-là ne s'y trouve jamais présent lui-même. Avant la fin du xvme siècle, l'homme n'existe pas. » (Foucault, 1966, p. 319.)

85 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 34: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Dans cette nouvelle configuration qui prévaut, la description des parties observables des choses est moins importante que leur compréhension en tant que totalités fonctionnelles, et tout est rapporté à l'historicité vivante de l'être humain, qu'étudient les sciences humaines.

«À l'âge moderne, il ne suffisait plus que des choses matérielles soient présentées en un tableau de connaissances ; comprendre les choses demandait de les penser en relation à l'homme [...] Les histoires humaines, la vie, la civilisation devenaient plus importantes que l'identification physique des choses matérielles. Les structurants du savoir de Vépistémè moderne sont des totalités (un récit, un thème, l'histoire, des relations organiques) et des expériences [. . .] Les thèmes principaux de ce savoir sont alors les personnes, leurs histoires, leurs vies et leurs relations vécues. » (Hooper-Greenhill, 1992, p. 198.)

La perspective de l'Histoire noue différemment les relations entre les objets, elle les structure dans une relation obligée au vécu d'une subjectivité humaine: ainsi, les objets de collection sont-ils montrés, à l'intérieur de cette dynamique fonctionnelle, comme étant inscrits dans une temporalité vécue et parties d'un contexte qui est le milieu de vie de ceux qui les fabriquent, les utilisent, les cumulent, les échangent et même, éventuellement, les collectionnent et les exposent.

L'émergence, dans Vépistémè moderne, de cette référence au sujet humain, en tant que « ce par quoi toute histoire se dessine », est aujourd'hui omniprésente dans la structuration de nombreuses expositions. Celles-ci sont, de plus en plus, configurées en un récit et rapportent les choses exposées à des contextes spécifiques de vie, dont les collections portent l'histoire. Ces contextes sont ceux de la fabrication, de l'utilisation, de la découverte ou du collectionnement de ces objets, par les gens de ces époques, ou encore, ont trait aux préoccupations actuelles des visiteurs et aux questionnements qui sont aujourd'hui les leurs, devant de tels objets.

Ainsi, aux rapports symboliques des cabinets, aux classes des présentations taxinomiques, succèdent des expositions «de l'âge moderne», où les objets sont disposés selon leur rôle dans la trame discursive qui les articule en une histoire; cette approche épistémologique en fait des témoins matériels d'une expérience humaine qui interpelle les visiteurs et par laquelle ils se sentent concernés.

Ces considérations sur les étroites liaisons entre configurations de savoir et types d'arrangements dans l'espace permettent de distinguer, à travers l'évolution historique des dispositifs museaux, des logiques muséographiques correspondantes.

Les muséographies retenues ou bien se fondent sur les pratiques et les concepts d'un savoir constitué, ou aménagent, à même leurs dispositifs, une cohérence explicite, destinée à prendre en charge les objets et à être communiquée aux visiteurs.

Je distinguerais alors deux grandes catégories de mises en exposition. D'une part, celles qui restent fortement tributaires du travail studieux sur les collections et qui trouvent dans des savoirs préalables, les grandes lignes directrices de leur disposition. D'autre part, celles dont l'aménage-

86 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 35: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

ment ouvre la voie à une nouvelle gestion de leur rapport au savoir et qui l'inscrivent dans une nécessaire relation de communication avec le public. Résumons ces deux catégories, et voyons comment les muséogra- phies analogiques décrites pourraient se situer dans ces différentes logiques.

L'ANALOGIQUE PARMI LES STRATÉGIES DE MISE EN EXPOSITION

L tes deux premières configurations épistémiques évoquées, celle des correspondances symboliques (Renaissance) et celle des classifications taxinomiques (classique), donnent lieu à une mise en exposition que je nomme «reférentielle» ou «exogène», en ce sens qu'elle concrétise des logiques établies par un savoir particulier, constitué hors d'elle. La disposition de l'exposition fait voir comment un savoir disciplinaire structure et analyse ses objets d'études. La compétence essentielle et presque exclusive requise pour procéder à l'exposition est bien celle de connaître les éléments de la collection: aussi, cette responsabilité revient-elle à celui qui l'étudié et la conserve, le collectionneur ou son mandataire, le conservateur.

On obtient alors la définition d'une première logique d'exposition: Les expositions à logique exogène, ancrées dans un savoir spécialisé. Ce sont des expositions où la disposition des choses montrées repose sur un ordre préalable, qui est maintenu et doit être connu et reconnu par les visiteurs. Dans ces expositions, les objets sont disposés selon un ordre qui réfère aux notions et aux catégories d'un savoir particulier, celui qui prend ces choses comme objets d'études. Comprendre le propos de l'exposition exige, en bonne partie, que les visiteurs soient détenteurs des connaissances qui sont au fondement de la sélection faite et de l'ordonnance spatiale des objets que l'exposition installe.

La configuration épistémologique «moderne» voit, quant à elle, apparaître en scène le narrateur; cette relation déterminante à une historicité vécue modifie les manières d'exposer, en suggérant l'inclusion des choses exposées dans la trame historique d'une aventure humaine. Je qualifierais la logique des expositions auxquelles une telle épistémè donne lieu, d'« endogène» ou d'« interprétative», parce qu'elle est, en quelque sorte, autosuffisante. Elle ne tire pas d'ailleurs son articulation, mais génère elle-même, les stratégies communicationnelles qu'elle implante. Une telle logique endogène gère donc dans son dispositif les relations qu'elle établit entre les objets, et avec les visiteurs. Connaître la collection n'est plus l'unique compétence requise pour l'exposer: aussi, cette responsabilité incombe le plus souvent à une équipe multidiscipli- naire, qui compte en plus des spécialistes des objets, des spécialistes des formes de médiation et du rapport scénarisé aux publics.

Résumons cette seconde catégorie d'expositions: Les expositions à logique endogène, fondées sur la communication. Ce sont des exposi-

87 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 36: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

tions où la disposition des choses montrées est générée selon les besoins identifiés par la mise en exposition elle-même. L'ordre et la logique retenus sont fonction du propos et des objectifs spécifiques de communication avec les publics. Les objets, dans ces expositions, sont disposés selon le rôle que les concepteurs leur attribuent dans un scénario d'ensemble; celui-ci est élaboré en tenant compte des messages à transmettre, de la réception présumée et des usages que les visiteurs feront des dispositifs de l'exposition.Comprendre le propos n'exige que très peu de connaissances préalables, parce que la mise en exposition offre, à même son dispositif et dans une trame explicite, les clés d'accès requises pour sa compréhension de base.

Ces deux grandes catégories posées, demandons-nous quelles logiques sont susceptibles d'être en action quand on est en présence des formes de muséographie analogique. Ces présentations, qui font image, manifestent bien un écart par rapport aux savoirs disciplinaires et à l'ordre des collections, elles s'éloignent, nous l'avons vu, des présentations analytiques en séries comparatives. Aussi, ces formes muséogra- phiques ne sont-elles concevables que dans des mises en exposition relativement autonomes à l'égard des savoirs constitués : elles n'ont guère place dans les dispositifs exogènes des symboliques mystérieuses de la curiosité, ni dans ceux relevant du travail systématique des taxinomistes.

Mais, si ces muséographies analogiques demandent que l'exposition s'autonomise, elles n'échappent pas, elles-mêmes, nous l'avons vu, au jeu de la référence à un ordre préalablement établi: au lieu de renvoyer le visiteur aux catégories d'un certain savoir qui fournit les structurants de ce qu'il voit, ces présentations le renvoient à un certain état du monde, que l'arrangement figure et laisse deviner. La disposition analogique demeure bien la reprise d'une ordonnance antérieure; elle peut régler l'entièreté de l'exposition, si cette muséographie s'étend à tout l'espace, ou une partie seulement, si ces dispositifs interviennent parmi plusieurs autres arrangements, dans la mise en exposition globale. Un ordre externe fonde donc cette muséographie ; il n'est autre que celui qui structure la perception des choses du monde, c'est pourquoi l'exposition qui mise sur ce dispositif a toutes les chances de rejoindre les visiteurs dans l'appel à des références partagées.

Les muséographies analogiques occupent ainsi une place intermédiaire: elles sont présentes dans des logiques d'exposition libérées de l'ordre symbolique ou classificatoire, mais qui cherchent toujours à faire que ceux qui les visitent se retrouvent, pour ainsi dire, en territoire connu et familier. Ce territoire postulé n'est plus celui de la curiosité, de l'érudition et du savoir scientifique, mais celui des schémas de perception qui régissent l'expérience pratique du monde réel.

L'avantage de la muséographie analogique est bien son accessibilité, qui émane du fait qu'elle est directement reliée aux expériences et aux représentations dont la majorité des gens sont pourvus. Ce que dit le sociologue Pierre Bourdieu de la perception des œuvres d'art est aussi valable de la perception des éléments d'une exposition: «faute de détenir les moyens de percevoir les œuvres d'art dans ce qu'elles ont de plus

Une logique d'exposition populaire publics & musées n°9

Page 37: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

spécifique, ces spectateurs leur appliquent inconsciemment le code qui vaut pour le déchiffrement des objets du monde familier, c'est-à-dire les schèmes de perception qui orientent leurs jugements pratiques » (Bourdieu, 1969, p. 170).

La muséographie analogique non seulement tolère un tel déchiffrement, mais elle l'appelle. Elle invite, à un premier niveau, ceux qui la contemplent à considérer ce qu'elle fait voir comme une «scène de la vie quotidienne» et à en trouver le sens en référence à des expériences lointaines — celles de ce lieu et de ce temps — mais pourtant similaires à des situations encore familières aujourd'hui. Le dispositif est configuré pour tenir compte des compétences de réception dont sont dotés les visiteurs, de par leur expérience pratique. Le recours à des savoirs plus spécialisés, capables d'identifier avec plus de précision les objets, leur fonctionnement, leur style, leur importance historique ou artistique, leurs sens etc., paraît alors optionnel et non une condition d'accès à la compréhension.

Ainsi, le tableau présenté des expositions à logique exogène se divise pour comporter deux sous-catégories qui sont fonction du jeu de références structurantes que ces expositions impliquent: les premières sont ancrées dans le savoir spécialisé qui les ordonne, les secondes sont disposées en référence à une situation reconnue par l'expérience commune.

Tableau 1 Les expositions à logique exogène

1 — expositions cognitives: expositions ancrées dans une référence à un savoir spécialisé ; l'arrangement muséographique est régi par des savoirs spécialisés et fait appel à leurs catégorisations ;

2 — expositions situationnelles: expositions ancrées dans une référence à une situation réelle ; l'arrangement muséographique est régi par un réfèrent mondain et fait appel aux schèmes perceptifs qui guident l'expérience du monde familier. Les dispositifs de la muséographie analogique permettent d'installer dans l'exposition un tel jeu de références au monde pratique et aux expériences familières.

Si, comme tels, les muséographies analogiques sont des procédés à logique exogène qui empruntent leur articulation spatiale à l'ordre familier du réel, l'analyse des expositions montre que les concepteurs font souvent appel aux diverses formes de présentations analogiques à l'intérieur de stratégies de mises en exposition globalement endogènes. En effet, ces dispositifs accessibles peuvent fort bien servir l'objectif de présenter des objets dans une trame interprétative explicite, qui les contextualise en relation avec leur monde d'origine et avec le monde des visiteurs contemporains. Une telle trame communicationnelle se développe soit discursi- vement dans une thématique, soit narrativement, en un récit qui livre une

89 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 38: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

histoire. Dans les deux cas, ces expositions à fonctionnement endogène ont recours à une gamme de dispositifs muséographiques pour développer leur thème ou raconter leur histoire ; parmi ceux-ci figurent souvent, en bonne place, les dispositifs illustratifs de la muséographie analogique.

L'évolution des muséographies montre que les espaces d'exposition ont été constitués en les détachant des impératifs de la logique du collec- tionnement et en leur confiant une fonction autre que celle d'être les lieux d'entreposage de collections. Un moment capital de cette «autono- misation de l'exposition» est franchi quand les salles d'exposition sont clairement distinguées des espaces de réserve : d'un côté la conservation, l'entreposage et le classement hors du regard public, de l'autre, le placement de certains objets dans un espace de visibilité, planifié chaque fois en fonction d'un propos spécifique et du déplacement programmé des visiteurs dans un parcours. Et, comme l'utilisateur principal visé — le curieux, Pérudit, le connaisseur, le scientifique — , se lit dans l'aménagement de l'espace des cabinets de curiosités et de sciences naturelles, un autre destinataire privilégié se laisse deviner dans les formes muséographiques d'analogie : le grand public28.

Nous constatons partout les effets de cette autonomisation : du côté de l'architecture du musée, qui n'est plus bâti autour d'objets ou de mobiliers fixes imposant un agencement définitif. On cherche plutôt à disposer d'espaces neutres et polyvalents, capables de convenir à plusieurs stratégies et conçus pour rendre possible des expositions à disposition et parcours différents. Pour une bonne part, l'architectonique des salles de musées est remplacée par un design ponctuel de parcours spécifiques, que chaque nouvelle exposition installe. De même, le mobilier des expositions, coupé de l'immeuble, peut sans cesse être déplacé et remplacé. La neutralité de l'espace est la condition de possibilité d'une prise en charge à chaque fois spécifique, par une logique expositionnelle qu'on veut autonome, explicite et accessible. Cette autonomisation se manifeste aussi du côté de la visite, car le public se rend moins au musée et, plus que jamais, à telle exposition, qui prend figure d'un événement sur la scène culturelle et dans l'opinion.

L'exposition endogène et interprétative se moule sur son propos, transforme les objets qu'elle retient, en les plaçant dans un espace et un parcours planifiés, qui sont déterminants pour la réception publique de ce qu'elle donne à voir. Les définitions contemporaines de l'exposition rendent bien manifeste comment celle-ci instaure une logique dont l'intentionnalité va vers le public et relie le montré aux visiteurs et à une «historicité» vécue. «L'exposition doit se définir comme une présentation intentionnelle, un montrer doté d'un objectif, cet objectif étant d'affecter le visiteur d'une façon prédéterminée.» (Belcher, 1991, p. 37). Ou encore: «Dans la majorité des expositions, les objets rassemblés le sont non pas pour leur simple apparence visible ou leur juxtaposition, mais bien parce qu'ils s'inscrivent dans une histoire que l'on cherche à raconter. Le contexte de l'exposition leur confère une signification particulière. » (Vergo, 1989, p. 46). Les objectifs de signification que l'exposition poursuit déterminent la narration particulière qui dispose les objets dans un

90 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 39: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

récit spatialisé. C'est alors à travers la logique propre de l'exposition que ces objets de collection sont donnés aux visiteurs et acquièrent un sens qui est grandement fonction des messages que les concepteurs ont voulus sélectionner pour leur être transmis.

Je voudrais, pour terminer, reprendre dans un tableau d'ensemble les logiques décrites, en précisant les muséographies qui exemplifient celles que j'ai qualifiées d'exogènes ou d'endogènes; les présentations analogiques peuvent maintenant être mieux comprises et situées quant au fonctionnement qui est le leur et aux stratégies d'exposition qu'elles viennent appuyer et servir.

Tableau 2 Les logiques d'exposition et leurs muséographies

Logiques d'exposition exogène

1 - Les expositions cognitives, ancrées dans des savoirs spécialisés 1° La muséographie symbolique : cette forme de mise en exposition dispose les objets montrés en fonction de l'interprétation de leurs affinités dans un réseau de correspondances et des rapports établis par un savoir préalable, partagé par les visiteurs. Au niveau de la réception, la symbolique de ces rapports suggérés n'est perceptible que par les visiteurs dotés du savoir et des références requises. La forme adéquate pour user de cette exposition est la discussion et le partage entre pairs. 2° La muséographie taxinomique: cette forme de mise en exposition dispose les objets conformément au travail classificatoire d'un savoir scientifique ; les objets sont placés selon leur rang, dans des distributions sérielles comme celle des genres et espèces. La réception requise repose aussi sur le savoir et les références pertinentes. La forme adéquate pour user de cette exposition est la discussion et le partage des références.

2- Les expositions situationnelles, ancrées dans les références à un réel familier 1° La muséographie «in situ»: cette forme de mise en exposition montre à la fois des objets dans leur site d'origine, et le site lui-même, selon l'une de deux dispositions contextuelles : — celle de leur fonctionnement, à l'époque

de leur utilisation ; — celle du lieu et de son état, au moment

de sa découverte et mise au jour. La réception requise par le « in situ» ne demande, au départ, que de constater l'« ancienneté» évidente des sites historiques et la «naturalité» des sites naturels préservés, à l'aide des références et schèmes courants de perception. 2° La muséographie analogique: cette forme de mise en exposition présente des ensembles d'objets disposés dans l'exposition comme ils l'étaient dans leur contexte d'origine. Elle installe une «image» du réel, une «scène de vie»

91 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 40: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

qui fait référence, par ressemblance, à une situation réelle, que les visiteurs reconnaissent comme étant à l'origine de la présentation. La réception requise n'exige pas de compétence particulière, hormis celles qui prévalent dans la perception courante de la vie quotidienne. 3° La muséographie d'immersion: cette forme de mise en exposition vise la simulation intégrale; elle plonge les visiteurs physiquement au centre de la scène reproduite, afin qu'ils éprouvent concrètement l'environnement de la

Logiques d'exposition endogène

1° La muséographie thématique : cette forme de mise en exposition regroupe les objets en fonction d'un thème intégrateur donné et les ancre dans ce thème. La réception exige attention, écoute et lecture des supports qui portent l'articulation des thèmes.

2° La muséographie narrative: cette mise en exposition distribue les objets dans une histoire qu'elle raconte ; elle installe un récit avec des épisodes, des personnages et des actions, qui conduit les visiteurs d'un début vers un dénouement final. La réception demande que le visiteur s'identifie aux personnages, qu'il suive le déroulement du récit et qu'il en imagine les actions.

Les muséographies thématiques ou narratives prévoient souvent la réalisation de certains dispositifs analogiques pour insérer des îlots imagés dans leur thématique ou leur histoire. Elles ont aussi recours, par moment, aux dispositifs qui poussent l'analogie encore plus loin que l'illustratif, vers des muséographies d'immersion ou démonstratives.

3° La muséographie démonstrative : cette mise en exposition distribue des objets parmi des dispositifs qui permettent de les inclure dans des démonstrations actives ; par l'intervention de démonstrateurs ou par des moyens technologiques, ils sont mis en action et repris dans des dynamiques explicatives qui ont trait à leurs causes, leur nature ou leur fonctionnement. La réception demande la compréhension des processus explicatifs et peut exiger la participation active des visiteurs : ils doivent alors se soumettre au dispositif et répondre à la procédure qui règle les étapes de la démonstration.

La muséographie démonstrative peut se dérouler en conjugaison avec des muséographies exogènes — analogie et simulation — afin d'ajouter une certaine théâtralisation à l'explicatif abstrait.

Au terme de cette réflexion, le fonctionnement et les possibilités qu'offrent les formes de muséographie analogique apparaissent plus nettement. Une telle muséographie est au cœur du virage de l'espace muséal vers les publics, elle opère en s'adressant à tous et en partant de réfé-

92 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 41: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

rences partagées. Le rapport aux visiteurs qu'elle implique prend appui sur le mode de présence habituel aux choses perçues ; il rattache les collections de toute nature aux spectacles du monde et aux codes qui servent à structurer la perception vécue que chacun peut en avoir.

L'analogie fonctionne alors, pour que tous les territoires entrent au musée. L'analogie intervient pour faire vivre le musée comme si on n'y était pas, comme si on était ailleurs, en un lieu et un temps autres, où ces choses aussi étaient ailleurs et servaient à quelqu'un, où ces œuvres, maintenant conservées, étaient le fruit mal assuré des explorations d'un individu créateur. «Au château d'Auvers, les Impressionnistes sont plus vivants que dans un musée, plus présents que dans un livre » (Texte d'une publicité pour les présentations au Château d'Auvers sur Oise). Allons alors à leur rencontre, dans cet espace muséal analogique, que la magie de l'exposition instaure, comme étant vraiment le leur et pourtant bien aussi le nôtre.

R. M. Groupe de recherche en histoire

et théorie des expositions (GRHITE) Université du Québec à Montréal

93 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 42: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Illustration n°l - Le diorama des ours «grizzly» au National Muséum of Natural History, Smithsonian Institution, à Washington. L'action représentée montre une famille d'ours ; un ourson apprend à chercher de la nourriture. Le vaste panorama situe la scène dans la région du passage Logan, dans le Glacier National Park.

Illustration n°2 - La rue Kirkgate, reconstituée au York Castle Muséum à York, dans le nord de l'Angleterre. Il s'agit, selon plusieurs observateurs, de la première réalisation d'une rue urbaine aménagée à l'intérieur d'une exposition permanente d'un musée.

Une logique d'exposition populaire publics & musées n°9

Page 43: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

NOTES

1. Voir, par exemple, G. Ellis Burcaw (1984), qui affirme: «exhibitions may be classed according to the organiza- tion of the material as systematic — organized according to similarity of the objects and their genetic relation- ship to each other ; or ecological — organized according to area, habitat, or living relationship to each other» p. 117. Les period rooms et les diora- mas sont, en ce sens, des muséogra- phies à organisation écologique. G. H. Rivière retient aussi cette dualité.

2. Le dictionnaire Robert précise que «par extension» le terme désigne une «vaste peinture, (un) paysage ou (une) bataille, d'un réalisme poussé».

3. Voir la description dans Kirshenblatt- Gimblett (1991, p. 404): «William Bullock designed an exhibition that would make visitors feel like they were in Mexico, enjoying a panoramic view of Mexico City painted on the wall and intimate contact with its inhabitants. An observer of the period reported that in order to heighten the déception, and to bring the spectator actually amidst the scènes represen- ted, he presented a fac simile of a Mexican cottage and garden, with a tree, flowers and fruit; they are exactly the size of their natural models, and bear an identity not to be mistaken. To complète the effect, Bullock installed the Mexican Indian youth in the cottage and had him des- cribe objects to the visitors. »

4. Karen Wonders (1993, p. 14) note aussi ce glissement de sens dans les années 1930: «During the Century of Progress Exposition in Chicago (1932- 33) diorama was revived to describe the displays of miniature groups and models... It was claimed that the diorama had been introduced from Europe as a miniature représentation of a scène made life-like by clever application of foreshortened perspective and realism. »

5. L'auteur attribue au taxidermiste suédois Olof Gylling le premier emploi du terme diorama pour décrire les

scènes illusionnistes qu'il réalise à partir de 1911 et où se fondent des éléments tridimensionnels avec un fond peint (Wonders, 1993, p. 16).

6. L'« habitat diorama» respecte la quantité de spécimens présents dans un habitat réel donné, le «diorama fau- nique » expose plus d'individus qu'une parcelle de nature de même surface en compterait.

7. Le texte du dépliant publicitaire du Oxford Story est typique :«How do you tell the story of one of the world's greatest Universities in under one hour? The Oxford Story Exhibition does just that. Created with University support, using techniques developed at York's Jorvik Center, The Oxford Story introduces visitors to the main events and people in 800 years of University history. The highlight of the visit is a leisurely «ride» through a three-level former Victorian whare- house. On this journey through scènes from the University's past, Magnus Magnusson tells of the wri- ters, scientists, politicians and eccen- trics who ail hâve a rôle in the Oxford Story». Le dépliant précise plus loin qu'il s'agit du plus long dark ride intérieur en Europe.

8. «The semi-habitat group does not attempt to create an illusion of the lar- ger environnement in which the animal lives. It simply reproduces a small, rectangular section of nature entirely removed from its normal sur- roundings. [...] The semi-habitat group uses no background painting to form an integrated whole with the fooreground, and suggest no distances in any direction. » Voir Parr (1959, p. 107.)

9. «The composite faunistic exhibits do not attempt to présent a panoramic vista of any particular landscape. Rather they can be described as a composite of numerous intimate habitat groups of a great variety of species and environments, synthetically assembled to form a continous dis- play, after the manner in which a landscape architect plans a botanical nature garden. » (Parr, 1959, p. 119-

95 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 44: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

122.) Un exemple de ce type serait la présentation des animaux d'Afrique dans l'ancien musée du Duc d'Orléans, à Paris.

10. Karen Wonders (1993, p. 20-21) distingue aussi différents types de groupes animaliers, en fonction des éléments et logiques qui y prédominent. Voir ses descriptions des «simple groups, miniature groups, composite groups, sériai groups, sys- tematic groups, picturesque groups, trophy groups, narrative groups, zonal groups, ecological groups. »

11. Voir l'analyse de Stephen Bann (1984, p. 77-92) qui rapproche la muséographie de Lenoir d'un fonctionnement métonymique, et celle de Du Sommerard de celui, plus organique, de la synecdoque.

12. Voir l'article de Pilgrim (1987, p. 5) : «The idea of period room is a relati- vely new phenomenon. It originated in 19th-century Europe with a funda- mental change in the philosophy of muséum installations. The impetus for this change came from many différent sources and took many diverse forms : panoramas, dioramas, wax muséums, natural history muséum habitats, international expositions. »

13. Madame Tussaud, en juillet 1793, avait moulé un masque mortuaire de Marat; en 1802, elle part pour Londres, avec plus de de trente figures en cire. Voir Chapman (1992). La baignoire originale de Marat figure dans une scène similaire, au musée Grévin à Paris. Voir Dubé (1990, p. 118).

14. « Several Scandinavian and German muséums started to experiment with moving within their walls actual rooms authentically firnished. They abandoned the old principle of tech- nical classification and aopted instead the culture history theory of arrangement. » (Alexander, 1968, p. 270.)

15. Il est à noter toutefois que la présence d'une fenêtre dans certains intérieurs permet d'ouvrir sur le contexte naturel où est située la scène ; un paysage peint, visible dans cette fenêtre, recontextualise à son tour l'espace tri-

dimentionnel, le plaçant dans un panorama plus vaste comme le fait le fond illustré des dioramas.

16. Il n'est cependant pas impossible que des habitat groups revêtent un caractère historique en montrant une faune et une flore d'une époque révolue ; pensons, par exemple, aux reconstitutions de scènes de la préhistoire, ou à celles qui mettent en scène des espèces aujourd'hui disparues.

17. La. présence dans une scène de mannequins nuirait à l'effet de réel, ceux- ci n'étant jamais capables de faire illusion aux yeux des visiteurs. Voir à ce sujet Wonders (1993, p. 17).

18. L'auteur reprend cette distinction dans Muséums in Motion. An Introduction to the History ans Functions of Muséums (1979, p. 185-186). Voir aussi la typologie semblable de McClung Fleming (1972, p. 41). Les distinctions faites dans le champ des sites historiques, entre site documentaire, site représentatif et site esthétique, sont aussi pertinentes pour les reconstitutions en salle de musée. Voir Alderson & Payne Low (1985, p. 12-15).

19. Ces paysages de rues datent de 1938, année d'ouverture du musée. Voici la description qu'en donne le York Castle Muséum Guidebook, York, 1990: «The most famous view of York Castle Muséum is Kirkgate, the oldest recreated street in any muséum, which was personally designed by and named after Dr Kirk, the founder of the Muséum. In the middle of kirkgate is a Hansom Cab.[...] On either side of the street visitors may do their window shopping in authentic Victorian shops. [...] The General Store is an Aladdin's Cave of products no longer in use in the home. . . » (p.4). « Half Moon Court is the Edwardian (1901-1914) Street, built in the half moon shaped part of the original prison yard [...] The new and exciting motor cars were becoming a common sight on Edwardian Street», p. 32.

20. Une note précise au sujet du terme anglais de streetscape : « Paysage urbain est une expression courante

Une logique d'exposition populaire publics & musées n°9

Page 45: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

pour désigner ces expositions, mais, à strictement parler, l'exposition du Grand Hall est plutôt un paysage rural. Le terme de décor est plus général et s'applique à des reconstitutions intégrales à caractère historique, ethnologique et naturaliste» p. 249- Voici une descriptrion des éléments muséographiques retenus : « La salle comprend trois types de décors: réalistes, stylisés et symboliques ; ces décors sont les bâtiments auxquels se superposent les autres éléments de l'aménagement et de l'animation. Les décors réalistes recréent, dans la mesure du possible, tous les aspects d'un contexte historique particulier. Les décors stylisés suggèrent des milieux, tels une forêt ou un paysage urbain, mais permettent aux visiteurs de donner libre cours à leur imagination. Les décors symboliques ne contiennent que des icônes (par exemple, structures d'édifice) sans cadre environnant. Les structures architecturales sont pour la plupart des exemples typiques, plutôt que des répliques d'édifices particuliers ; néanmoins, elles sont représentatives de l'architecture canadienne et leurs détails sont rendus fidèlement. [...] Des matériaux de construction authentiques ont été utilisés au niveau du rez-de-chaussée et des matériaux synthétiques plus légers, aux étages supérieurs. » p. 102.

21. Slogan publicitaire utilisé sur un dépliant du «Village québécois d'an- tan» qui regroupe, à Drummondville au Québec, quarante bâtiments authentiques et une vingtaine de reconstitutions en un «village» typique du XIXe siècle.

22. Louis Carmontelle écrit, en 1779, dans Jardin de Monceau près de Paris: «La Nature est variée suivant les climats... Faisons donc varier les climats pour oublier celui où nous sommes. Changeons les scènes du jardin comme le décor de l'Opéra, faisons y voir en réalité ce que les plus habiles peintres pourraient y offrir en décoration, tous les temps et tous les lieux. » p. 11. Une récente publicité pour le

Jardin Botanique de Montréal maintient bien cette logique en affirmant: «Découvrez l'Orient au beau milieu de votre jardin. Au hasard de votre promenade, au détour d'un bosquet, se dessinera un pavillon insolite entouré d'arbustes inusités[...] vous vous retrouverez tout à coup en Orient ! »

23. Cette expérience fondée sur une mixité de nature et d'artifice, n'est pas loin du « jardin d'illusion » de Carmontelle (1717-1806) déjà cité : « S'il est possible de transformer un jardin pittoresque en pays d'illusion, pourquoi ne pas le faire? [...] Représentons dans la réalité ce que les peintres les plus habiles représentent sur leurs toiles. » (Cité dans Adams, 1980, p. 124-125.)

24. La description de l'écosystème se poursuit ainsi: «Ces objets sont complexes, puisqu'ils intègrent à la fois des éléments vivants — des milliers de plantes et d'animaux — et des éléments non vivants — air, eau, sol, lumière... Ces objets sont mouvants, puisque, comme dans la nature, les éléments vivants et non vivants interagissent constamment les uns avec les autres, conférant à chaque écosystème sa dynamique propre». Voir aussi Davallon, Grandmont, Schiele (1992, p. IQSsq).

25. Voir, par exemple, Davallon, Grand- mont, Schiele (1992) ainsi que Dubé (1995, p. 25-36).

26. Exemple d'une publicité de l'été 1995 : «Si votre branche c'est l'aventure. Des singes vous observent derrière un épais feuillage, des conservations entre perroquets, des caïmans émus de vous voir. . . c'est vraiment la jungle au Biodôme. Comme nos trois autres écosystèmes, la forêt amazonienne y est recréée avec tant de précision que la visite prendra vite des allures d'expédition. Si la famille est tentée par l'aventure, frayez-vous un chemin jusqu'au Biodôme. »

27. Hooper-Greenhill (1992, p. 191) écrit: «Accumulation of material things, both natural and artificial, has always been one of the ways in which it has been possible to know the world, but

97 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 46: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

cabinets, studioli, Theatrum sapien- tiae, repositories and muséums hâve been constituted according to the pre- vailing epistemological context, and hâve, therefore, enabled différent pos- sibilities of knowing according to the rules and structures in place at the time. » Voir aussi Montpetit (1990, p. 11-22) et pour une analyse plus détaillée des divers styles d'arrangement des cabinets, voir le catalogue Muséum Europa. An Exhibition about the European Muséum from the Renaissance to our time, Danish National Muséum, 1993.

28. Aussi, la présence et la multiplication des dioramas et des autres formes de muséographies analogiques témoignent, selon plusieurs observateurs, d'une approche axée sur l'éducation populaire: «Those muséums in which the administrators were concerned first and foremost with scientific research, had few if any dioramas. By contrast, the trustées and curators of muséums devoted to popular éducation eagerly embraced the diorama- type of exhibition as an effective means of public instruction. » Wonders (1993, p. 10.)

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Adams (W.-H.). 1980. Les Jardins en France. 1500 Le rêve du pouvoir. 1800. L'Équerre.

Alderson (W.T.), Payne Low (S.). 1985. Interprétation of Historical Sites. Nashville : AASLH Press.

Alexander (E.P.). 1964. «Artistic and Historical Period Rooms », Curator, 7.

Alexander (E.P.). 1968. «A fourth dimension for history muséums», Curator, 11.

Alexander (E.P.). 1979. Muséums in Motion. An Introduction to the History ans Functions of Muséums. Nashville : AASLH Press.

Alexander (E.P.). 1985. «William Bullock: Little-remembered museologist and showman», Curator, 28(2).

Bann (S.). 1984. The Clothing ofClio: A Study of The Représentation of History in Nineteenth-Century Britain and France. Cambridge : University Press.

Belcher (M.). 1991. Exhibitions in Muséums. Leicester : Leicester University Press / Washington : Smithsonian Institution Press.

Bourdieu (P.). 1969. «Sociologie de la perception esthétique», in Les Sciences humaines et l'oeuvre d'art. Bruxelles : La Connaissance.

Burns (N.-J.). 1940. «The history of dioramas», Muséum News, 12, février.

Chapman (P.). 1992. Madame Tussaud in England. Career Woman Extra- ordinary. Londres : Quiller Press.

Charpentier (A.). 1995. «L'intégration de différentes muséographies pour la diffusion d'un message environnemental », in Les Muséographies multimédias : métamorphose du musée. Québec : Musée de la Civilisation.

Comment (B.). 1993. Le XIXe siècle des panoramas. Paris : Adam Biro

Cousin-Davallon (F.), Davallon (J.). 1986. «Les parcs zoologiques: l'imaginaire du naturalisme», in Claquemurer pour ainsi dire tout l'univers. La mise en exposition : sous la direction de Jean Davallon. Paris, Centre Georges Pompidou.

Cousin-Davallon (F.), Davallon (J.). 1987. « Du musée au parc : exposer le

98 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 47: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

vivant», Loisir et Société, 10(1), Presse de l'Université du Québec, 1987, p. 23-43.

Davallon (J), Grandmont (G.), Schiele (B.). 1992. L'Environnement entre au musée. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, / Québec : musée de la Civilisation.

Dubé (P.). 1990. «Le musée de cire en tant que médium de l'histoire », in Muséologie et champs disciplinaires. Québec : Musée de la Civilisation.

Dubé (P.). 1995. «In vitro, in vivo, in situ. À propos des manières d'exposer...», in Les muséographies multimédias: métamorphose du musée, Québec: Musée de la Civilisation.

Eco (U.). 1992. La Production des signes. Paris.

Ellis Burcaw (G.). 1984. Introduction to Muséum Work. Nashville : AASLH.

Foucault (M.). 1966. Les Mots et les choses. Paris: Gallimard.

Grafton (A.). 1995. New Worlds, Ancient Texts: The Power of Tradition and the Shock of Discovery. Cambrige : Belknap Press of Harvard University Press.

Hooper-Greenhill (E.). 1992. Muséums and the Shaping of Knowledge. London, New York : Routledge.

Impey (0.), Macgregor (A.). 1985. The Origins of Muséums: The Cabinet of Curiosities in Sixteenth and Seventeenth-Century Europe. Oxford: Clarendon Press.

Jacknis (I.). 1985. «Franz Boas and Exhibits. On the Limitations of the Muséum Method of Anthropology» in Objects and Others. Essays on Muséums and Material Culture/ 'sous la direction de George W. Stocking Jr., University of Wisconsin Press.

Jardins en France, 1760-1820: Pays d'illusion, Terre d'expériences. 1977. Catalogue de l'exposition. Paris: Éd. de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites.

Joly (J.). 1994. Introduction à l'analyse de l'image. Paris : Nathan.

Kirshenblatt-Gimblett (B.). 1991. «Objects of ethnography », in Exhibiting Cultures: The Poetics and Politics of Muséum Display/ sous la direction de

Karp (I.) et Lavine (S.). Washington & London : Smithsonian Institution.

Laissus (L.). 1993- Le Muséum d'histoire naturelle. Paris: Gallimard.

Landry (J.). 1995. «Le Biodôme et ses publics ou... les publics et leurs Biodômes?», in Le Musée: lieu départage des savoirs/ sous la direction de Michel Côté & Annette Viel. Montréal : Société des musées québécois/ Québec : musée de la Civilisation.

Le Robert. Paris : Société du Nouveau Littré, 1970.

Lucas (F.A.). 1914. «The story of muséum groups », The American Muséum Journal, 14(1), janv. : p. 3-15; fév. : p. 51-65.

MacDonald (G.-F.), Alsford (S.). 1989. Un musée pour le village global, Hull : musée canadien des Civilisations.

Marsh (J.L.). 1976. «Drama and spectacle by the yard: the panorama in America», Journal ofPopular Culture, 10(3).

Maure (M.). 1993. «Nation, paysan et musée. La naissance des musées d'ethnographie dans les pays Scandinaves (1870-1804)», Terrain, 20, mars.

McClung Fleming (E.). 1972. «The Period Room as a curatorial Publication », Muséum News.

Montpetit (R.). 1983. «Attractions et curiosités à Montréal au XIXe siècle : culture et exotisme », Loisir & Société, 6(1), p. 71-104.

Montpetit (R.). 1990. «Exposer le savoir et savoir exposer: les champs disciplinaires et la muséologie», in Muséologie et champs disciplinaire. Québec : Musée de la Civilisation.

Muséum Europa: An Exhibition about the European Muséum from the Renaissance to our time. 1993- Danish National Muséum.

Odum (E.). 1971. Fundamentals of Ecology. Philadelphie.

Parr (A.E.). 1959- «The habitat group», Curator, 2(2).

Parr (A.E.). 1963- «Habitat Group and Period Room», Curator, 6(4).

Peirce (C.S.). 1978. Écrits sur le signe. Paris: Seuil.

Pilgrim (D.H.). 1987. «Inherited from the Past. The american period room», American Art Journal, 10(1).

99 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 48: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

Pomian (K.). 1987. Collectionneurs, amateurs et curieux: Paris, Venise: xvie- xviiie siècles. Paris : Gallimard.

Poulot (D.). 1986. «Alexandre Lenoir et les musées des Monuments français» p. 504, in Les Lieux de Mémoire. La Nation, sous la direction de Pierre Nora. Paris: Gallimard.

Poulot (D.). 1986. «Le monument entre territoire et musée », p. 52-53, in Claquemurer pour ainsi dire tout l'univers: La mise en exposition sous la direction de Jean Davallon. Paris : Centre Georges Pompidou.

Rivière (G.-H.). 1989- La Muséologie selon Georges Henri Rivière. Paris : Dunod.

Robichon (F.). 1985. «Le panorama, spectacle de l'histoire », Le Mouvement social, 131, avril-juin, p. 65-86.

Ruddel (D.T.). 1985. «Paysage de rue: cul- de-sac ou la signalisation de l'avenir», Muse, 2(4).

Vergo (P.). 1989. «The Réticent Object», in The New Museology/ sous la direction de Peter Vergo. Londres : Reaktion Books.

Walt Disney Co. 1992. EuroDisney. Washburn (W.E.). 1990. «Muséum

Exhibition», p. 199, in The Muséum Référence Guide/ 'sous la direction de Michael Steven Shapiro. New York: Greenwood Press.

Washburn (W.E.). 1990. «Muséum exhibition», p. 201, in The Muséum Référence Guide/ 'sous la direction de Michael Steven Shapiro. New York : Greenwood Press.

Wonders (K.). 1989. «Exhibiting fauna: From spectacle to habitat group », Curator, 32(2), p. 131-156.

Wonders (K.). 1990. «The illusionary art of background painting in habitat dio- ramas», Curator, 33(2).

Wonders (K.). 1993- Habitat Dioramas. Illusions of Wilderness in Muséums of Natural History. Uppsala.

100 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9

Page 49: article_pumus_1164-5385_1996_num_9_1_1071

RESUME

L 43. désignation courante de «dioramas» recouvre, à l'analyse, une gamme de dispositifs muséographiques variés, qui ont en commun d'installer dans l'exposition des images qui font référence au réel. À ce titre, on peut qualifier de telles pratiques de «muséographie analogique» et décrire ses principaux dispositifs — le panorama, le dio- rama proprement dit , le groupe animalier, l'intérieur d'époque (period roorri), le paysage urbain (streetscapë) et l'écosystème. L'étude de ces museographies analogiques conduit à penser comment la présentation en exposition s'autonomise à l'égard de l'ordre des collections et de leur étude. Une typologie est présentée qui distingue entre des expositions à logique exogène — cognitives ou situationnelles — et des expositions à logique endogène — thématiques, narratives ou démonstratives. Les museographies analogiques sont situées dans la dynamique de démocratisation, qui veut fairer entrer au musée tous les publics et tous les territoires.

hen analyzed, the currently used word «dio- rama» appears to cover a whole range ofvarious museographical devices which hâve in common to place, in an exhibit, images that refer to reality. For this reason, such practices can be called «analogical museography» and Us main devices be described — the panorama, the actual diorama, the wild life scènes, the period room, the streetscape, and the ecosystem. Studying thèse analogical museographies leads to reflection on how the exhibit présentation becomes autonomous from the collections, andfrom the way they are studied. We offer a typology which distinguishes between exhibitions with an exogenous logic — cognitive or situational — and exhibitions with an endogenous logic — thematical, narrative, or conclu- sive. Analogical museographies takepart in a dynamic of démocratisation, which is willing to lead ail audience and territories into the muséum.

-Lia designaciôn habituai de «dioramas» com- prende, si analizamos, una gama de dispositivos museogrâficos que tie- nen una caracterïstica en comûn, la de instalar en la exposiciôn unas imâgenes que se refieron a la realidad. Con este concepto se pueder cali- ficar taies prâcticas de «museografïa analôgica» y describir sus principales dispositivos — el panorama, el diorama propriamente dicho, el grupo de animales, el interior de casa de época, el paisaje urbano y el ecosistema. El estudio de esas museografïas analogicas lleva a imaginar cômo se autono- miza la presentaciôn en exposiciôn con relaciôn al orden de las colecciones y a su estudio. Se présenta una tipologîa que esablece una diferencia entre unas exposiciones con lôgica exôgena — cognitivas o situacionales — y unas exposiciones con lôgica endôgena — temâticas, narrativas o demostra- tivas. Las museografïas analogicas se sitûan en la dinâmica de democratiza- ciôn que quiere abrir el museo a todos los pûblicos y a todos los territorios.

103 Une logique d'exposition populaire

publics & musées n°9