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— 1 — Lucian Dinca Élève doctorand Université de Laval (Canada) Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos incarné 19 janvier 2004 I. LE MILIEU POLITIQUE ET RELIGIEUX 3 1. MILIEU HISTORIQUE 3 2. MILIEU POLITIQUE 4 3. MILIEU RELIGIEUX 9 II. ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES 12 1. J USQUÀ LÉPISCOPAT 12 2. UN ÉPISCOPAT MOUVEMENTÉ 14 3. UNE FIN DE VIE TRANQUILLE 18 III. L' OEUVRE D'A THANASE D’ALEXANDRIE 20 Écrits apologétiques et dogmatiques 20 Écrits exégétiques et ascétiques 22 IV. ÉLÉMENTS DE THÉOLOGIE ATHANASIENNE 24 1. LE PÈRE 25 2. LE FILS 29 a. L’éternité du Fils 29 b. Motifs de l’incarnation 31 c. Le Fils consubstantiel au Père 32 3. L’ESPRIT-SAINT 35 4. LA TRINITÉ 38 CONCLUSION 41

Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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— 1 —

Lucian DincaÉlève doctorandUniversité de Laval (Canada)

Athanase d'Alexandrie : Un théologien

amoureux du Logos incarné19 janvier 2004

I. LE MILIEU POLITIQUE ET RELIGIEUX 3

1. MILIEU HISTORIQUE 3

2. MILIEU POLITIQUE 4

3. MILIEU RELIGIEUX 9

II. ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES 12

1. JUSQU’ À L’ ÉPISCOPAT 12

2. UN ÉPISCOPAT MOUVEMENTÉ 14

3. UNE FIN DE VIE TRANQUILLE 18

III. L'ŒUVRE D'ATHANASE D’ALEXANDRIE 20

Écrits apologétiques et dogmatiques 20

Écrits exégétiques et ascétiques 22

IV. ÉLÉMENTS DE THÉOLOGIE ATHANASIENNE 24

1. LE PÈRE 25

2. LE FILS 29

a. L’éternité du Fils 29

b. Motifs de l’incarnation 31

c. Le Fils consubstantiel au Père 32

3. L’ESPRIT-SAINT 35

4. LA TRINITÉ 38

CONCLUSION 41

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Page 2: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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Athanase d’Alexandrie est un personnage incontournable tant pour l’historien

de l’Église que pour l’historien des dogmes. Né à Alexandrie à la fin du IIIe siècle, il

monte sur le siège épiscopal de sa propre ville en 328 alors qu’il n’a pas encore l’âge de 30

ans. Son élection à la plus haute charge ecclésiastique d’Égypte l’entraîne dans un

combat sans issue avec les mélétiens1. Sur le plan doctrinal, Athanase se remarque par

« l’orthodoxie » héritée d'Alexandre, son prédécesseur, et des grands noms de « l’École

d’Alexandrie », Denys, Clément et Origène.

Après la défaite du vieux prêtre Arius, que les plus anciennes sources décrivent

comme un personnage ascétique et un prédicateur vénérable à Alexandrie2, Athanase

s’oppose à la doctrine théologique que confessait celui-ci : la négation de la divinité du

Logos de Dieu incarné. Dès la fin du concile de Nicée (325), Athanase manifeste un

dynamisme particulier pour défendre la foi signée par les pères conciliaires à Nicée.

Cependant, le rôle stupéfiant qu’il joue dans l’Empire chrétien — dirigé par Constantin

et ses fils, de 324 à 361 —, l’amène à s’impliquer, contre sa volonté, dans une agitation

politique et religieuse sans précédent. Peu de personnages ont été l’objet de tant de

haine, au point de subir cinq exils sous autant d’empereurs, cumulant au passage plus

de 17 ans hors de son siège épiscopal, et en même temps le sujet de l’amitié indéfectible

des fidèles d’Alexandrie après chacun de ses retours à sa charge.

À travers ses écrits, Athanase exprime de fortes convictions qui s'opposent à la

politique impériale et à la théologie d’Arius. Il crée un langage théologique propre,

intentionnellement non technique, afin de partager avec ses fidèles la foi commune de

l’Église et de les convaincre de rester unis à leur évêque. En traitant du mystère de

l’Incarnation, l’évêque veut rester fidèle aux formulations traditionnelles de l’Église et

aux données de la Révélation. Par le biais de sa pensée théologique, c’est cet évêque

passionné du Christ — Logos de Dieu fait chair —, et de la vérité que nous nous

proposons de découvrir dans les pages de ce cours.

1 A. MARTIN, « Athanase et les mélétiens (325-335) », dans Politique et théologie chez Athanase d’Alexandrie ,Actes du colloque tenu à Chantilly 23-25 septembre 1973, édités par Ch. Kannengiesser, Paris, Beauchesne1974, p. 31-61.2 CH. KANNENGIESSER, « Alexander and Arius of Alexandria : the Last Ante-Nicene Theologians », dans Ariusand Athanasius : Two Alexandrian Theologians , Hampshire, Variorum 1991, p. 391-403.

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I. LE MILIEU POLITIQUE ET RELIGIEUX

1. Milieu historique

Au IVe siècle, les chrétiens sortent de la quasi-clandestinité dans laquelle ils se

tenaient. La religion chrétienne change de statut au sein de État : de persécutée elle

devient reconnue. Sur le plan politique, l’arrivée au pouvoir de Constantin signifie la

paix et l’unification de l’Occident et de l’Orient. Sur le plan religieux, la doctrine

arienne connaît un grand succès et marque le siècle. Soulignons que les historiens se

sont attardés à étudier ce siècle sans jamais arriver à en explorer toutes les facettes et

les enjeux politiques et religieux3.

Après les persécutions de Dèce, en 250-251, de Valérien, en 257-260, et de

Dioclétien, en 303-305, l’Église chrétienne jouit de ce que les historiens ont coutume

d’appeler « la petite Paix de l’Église »4. Les communautés chrétiennes peuvent

manifester leur foi, sortir des catacombes pour bâtir des églises. Les chrétiens deviennent

de plus en plus nombreux. Un élan missionnaire se développe et l’évangélisation dépasse

vite les frontières de l’Empire romain. Peu à peu, la religion chrétienne s’infiltre aussi

dans les classes élevées de la société. Le christianisme cesse d’être uniquement, ou

principalement, la religion des classes méprisées ou défavorisées, c’est-à-dire des enfants,

des femmes, des esclaves et des pauvres5. Cependant, du point de vue spirituel, la paix

dont jouit l’Église et l’absence de menaces de persécution amoindrissent la qualité des

nouveaux baptisés. Par ailleurs, la ferveur de l’Église primitive, « l’Église des Saints »6,

a disparu et le témoignage des Actes des Apôtres (2, 42-47) devient un idéal lointain pour

toute communauté chrétienne. Le paganisme reste toujours la religion d’État.

D’ailleurs, un culte rendu au souverain empereur se développe. Lui, un simple « homme

de chair et de sang », est adoré comme un « dieu » dont il est le reflet.

Cette paix ne dure pas longtemps. L’arrivée au pouvoir de Dioclétien, en 285,

change la donne. Sur le plan religieux, l’empereur reste attaché à la religion païenne de

l’ancienne Rome. De cet attachement à la tradition et de sa passion pour l'unité de

l’Empire naît un conflit avec la religion chrétienne. Après vingt ans de règne,

3 Tous les manuels d’histoire de l’Église consacrent d'abondantes pages au IVe siècle.4 P. CHRISTOPHE, L’Église dans l’histoire des hommes, Droguet-Ardent, Paris 1982-1983, p. 73.5 J. DANIÉLOU , Nouvelle histoire de l’Église, t. 1, Seuil, Paris 1963, p. 264-267.6 J. DANIÉLOU , idem, o. c., p. 269-270.

Page 4: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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Dioclétien impose graduellement des restrictions aux chrétiens. Celle-ci culminent

dans les édits de 303-304 :

• Le premier interdit tout culte chrétien et ordonne la confiscation des livres et vases sacrés, la

destruction des églises et l’exclusion des chrétiens des fonctions publiques ;

• Le deuxième ordonne l’arrestation des chefs des Églises ;

• Le troisième enjoint la libération des prisonniers qui sacrifient à l’empereur ;

• Le quatrième oblige tous les habitants de l’Empire à sacrifier aux dieux païens sous la

menace des pires supplices, ou d’une mort souvent cruelle7.

La logique d'un système impérial totalitaire explique cette progression de la

persécution. Tout ordre émanant de l’empereur, peu importe sa nature, est considéré

comme venant du pouvoir divin. Toute résistance est en conséquence considérée comme

une trahison et une impiété dont le châtiment est la mort. La persécution, par sa

gravité et sa violence, a profondément affecté la vie de l’Église. L’Église d’Orient est

celle qui a souffert le plus à cause de ses souverains hostiles au christianisme. Après

l’abdication de Dioclétien en 305, Galère lui succède et, dans les dernières années de sa

vie, 310-311, la persécution prend un caractère de propagande : organisation de

manifestations spontanées, choix de textes scolaires blasphématoires à l’égard de Jésus

de Nazareth8.

Malgré cette violence et ces « méthodes draconiennes », Galère reconnaît l’échec

de sa politique devant l’héroïcité des chrétiens qui, au milieu des plus cruelles violences,

témoignent d’une espérance et d’une charité encore plus grandes envers les bourreaux.

C’est pourquoi, il promulgue en 311 un édit de tolérance où il déplore « la folie des

chrétiens qui préfèrent le martyre au lieu de revenir à la religion païenne ». En 312,

Maximin Daïa revient à la tolérance et rétablit la paix religieuse9.

2. Milieu politique

La montée au pouvoir de Constantin aboutit à l’Édit de Milan de 313. D’abord

païen, mais d’un paganisme tolérant, Constantin se convertit au christianisme sans

pour autant se faire baptiser tout de suite. Selon la coutume de l’époque, il retarde le

baptême jusqu’à la veille de sa mort. Après la fameuse victoire au pont Milvius contre

Maxence, en 312, et la sentence de Milan, en 313, les chrétiens gagnent la pleine liberté

de culte, et récupèrent tous leurs biens confisqués. Une nouvelle ère s’ouvre pour

7 J. DANIÉLOU , idem, o. c. , p. 276-279.8 P. CHRISTOPHE, L’Église dans l’histoire des hommes, o. c., p. 80-83.9 L. PIETRI, « L’édit de tolérance de Galère (311) et les derniers feux de la persécution en Orient », dans

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l’Église : la réflexion théologique, l’art et la liturgie pourront se développer grâce à cette

paix. Une lettre est adressée par Constantin au gouverneur. Elle concerne le

rétablissement de l’Église et les pleins droits des chrétiens de pratiquer leur culte :

Moi, Constantin Auguste, ainsi que moi, Licinius Auguste, réunis heureusement à Milan pour

discuter de tous les problèmes relatifs à la sécurité et au bien public, nous avons cru devoir

régler en premier lieu, entre autres dispositions de nature à assurer, selon nous, le bien de la

majorité, celles sur lesquelles repose le respect de la divinité, c’est-à-dire, donner aux chrétiens

comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix, afin que tout ce

qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice à nous-mêmes et à tous

ceux qui se trouvent sous notre autorité.

C’est pourquoi nous avons cru, dans un dessein salutaire et très droit, devoir prendre la décision

de ne refuser cette possibilité à quiconque, qu’il ait attaché son âme à la religion des chrétiens

ou à celle qu’il croit lui convenir le mieux, afin que la divinité suprême, à qui nous rendons un

hommage spontané, puisse nous témoigner en toutes choses sa faveur et sa bienveillance

coutumières. […]

Nous avons cru devoir porter à la connaissance de Ta Sollicitude ces décisions dans toute leur

étendue, pour que tu saches bien que nous avons accordé aux dits chrétiens la permission pleine

et entière de pratiquer leur religion10.

Cette décision accorde aux chrétiens la permission pleine et entière de pratiquer

leur religion11

. De plus, l’empereur pose des gestes en faveur du christianisme : il crée

des conditions politiques, juridiques et économiques avantageant l’Église et favorise la

conversion d’un plus grand nombre au christianisme. Constantin est de plus en plus

persuadé qu’il n’y a pas de protecteur plus grand que le Dieu des chrétiens. C’est

pourquoi sa politique en faveur du christianisme va en s’accentuant jusqu’à la fin de son

règne12

. Il est d’ailleurs l'instigateur de l'assemblée de Nicée (325), premier concile

œcuménique reconnu par l’Église. Peu à peu apparaissent les premiers symboles

chrétiens sur les monnaies, et les dernières figurations païennes disparaissent à partir

de 323. L’Église jouit d’un statut juridique privilégié. Les sentences du tribunal

ecclésiastique sont reconnues valides par l’État. Les lieux de culte se multiplient. Un

nouveau type architectural voit le jour, la basilique13

. Très vite, Rome se voit enrichie de

magnifiques édifices : les basiliques du Latran, de Saint-Pierre au Vatican, des Apôtres.

À Jérusalem s’élève le magnifique édifice du Saint Sépulcre et, à Constantinople,

plusieurs églises sont construites, dont l’église des Douze Apôtres, à l’intérieur de

laquelle Constantin prépare sa sépulture14

.

Histoire du christianisme des origines à nos jours , t. 2, dir. Ch. et L. Pietri, Desclée, Paris 1995, p. 182-187.10 Ce passage de l’« Édit de Milan » est cité par LACTANCE, De la mort des persécuteurs 48, SC 39 bis, Cerf,Paris 1954, p. 132-133.11 P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e , PUF, Paris 1997, p. 6.12 CH. ET L. P IETRI, Histoire du christianisme des origines à nos jour, o. c., p. 191.13 La basilique est un bâtiment où se réunit la cour impériale. L’architecture suit un plan rectangulaire diviséen nefs par des colonnades avec une abside au fond.14 P. CHRISTOPHE, L’Église dans l’histoire des hommes, o. c., p. 106-107.

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La liberté religieuse s’étend davantage. Pour la première fois, des chrétiens

accèdent aux plus hautes charges de l’État : consulat, préfecture de Rome, préfecture du

prétoire, etc. Les cultes païens se réduisent et les pratiques magiques sont interdites, de

même que les sacrifices sanglants lors des anniversaires impériaux. La démolition des

premiers temples païens a lieu sous le prétexte que des cultes immoraux s’y produisent.

Les conversions au christianisme se font en masse15

. Il est possible à partir de ce moment

de parler véritablement de la « Paix de l’Église ». En somme, l’Empire tend de plus en

plus à devenir chrétien.

Malgré sa politique religieuse, sa protection des chrétiens et son souci de l’unité

de la foi, garante de l’unité de l’Empire, Constantin se laisse convaincre par la

rhétorique et la doctrine d’Arius. Après l’avoir d'abord excommunié et exilé hors

d’Alexandrie, l’empereur exigera par la suite qu'Athanase le réintègre dans la grande

Église :

Ma volonté est que tu laisses l’accès de l’Église libre à tous ceux qui veulent entrer. Si

j’apprends que tu empêches quelqu’un de s’unir à l’assemblée et que tu fermes les portes, je te

ferai déposer et transporter loin de ton siège16.

Ce va-et-vient tantôt arien, tantôt nicéen devient de plus en plus visible sous les

successeurs de Constantin. Les sentiments partagés des empereurs par rapport à la foi

chrétienne se manifestent dans les positions et les mesures qu’ils prennent en faveur de

la foi de Nicée ou contre elle. Par exemple, Constant et Constance II, les fils de

Constantin, ainsi que leurs successeurs immédiats sur le trône, sont élevés dans la foi

chrétienne, mais ils restent catéchumènes jusqu’à la fin de leur vie. La doctrine d’Arius

convainc Constance II qui poursuit la politique religieuse unificatrice de son père :

« l’unité de croyance est la garantie de l’unité politique »17

. Il commence ainsi à

persécuter les nicéens, c’est-à-dire les partisans de l' , de la consubstantialité

du Fils avec le Père. Les évêques d’Alexandrie, de Constantinople et d’Ancyre, fidèles à

Nicée, subissent des exils et des mauvais traitements, tandis que ceux de Nicomédie, de

Césarée de Palestine, d’Antioche, partisans de la doctrine arienne, sont privilégiés18

. Et

c'est ainsi que Constance II sera baptisé, quelques jours avant sa mort, par l’évêque

d’Antioche, arien convaincu.

Après Constance II, c’est le neveu de Constantin, Julien, qui accède au pouvoir.

Sa position religieuse diffère complètement de celle de son prédécesseur. Au début de son

15 P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e , o. c., p. 10-11.16 P. PEETERS, « Comment saint Athanase s’enfuit de Tyr en 335 », dans Recherches d’histoire et de philologieorientales , Bruxelles, Société des Bollandistes, 1959, p. 236.17 A. ROCHER , dans H ILAIRE DE POITIERS, Contre Constance, SC 334, Cerf, Paris 1987, p. 10.

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règne, il s’attache aux nicéens et toutes les mesures prises contre eux sont révoquées. Les

évêques exilés peuvent regagner leurs sièges19

, tandis que les ariens sont écartés des

leurs. Le retour d’Athanase d’Alexandrie, d’Hilaire de Poitiers, d’Eusèbe de Verceil et

de Lucifer de Cagliari contribue au rétablissement de la foi nicéenne. Un concile, que

Rufin nomme le « concile des confesseurs »20

, se réunit à Alexandrie sous la présidence

d’Athanase dans un but de réconciliation. Les évêques assemblés sont prêts à réadmettre

dans la communion de l’Église tous ceux qui confesseront la foi de Nicée. Julien

manifeste d’abord une certaine réserve à l’égard du paganisme, mais son attitude change

par la suite. Il déclare ouvertement son attrait pour le paganisme et finit par interdire

d’enseignement les maîtres chrétiens : « Je trouve absurde que celui qui commente leurs

ouvrages [les livres des auteurs païens] méprise les dieux qu’ils ont honorés »21

. Son

traité Contre les Galiléens22 et les lois antichrétiennes qu’il promulgue, révèlent son

l’hostilité à l’égard des chrétiens. Sa politique religieuse s’arrête au mois de juin 363

puisque lors d’une bataille contre les Perses, il est blessé mortellement par un coup de

lance.

Son successeur, Jovien, qui ne règne que quelques mois, se montre plutôt tolérant

envers le christianisme. Toutefois, il ne veut pas entrer dans ses querelles internes. Un

philosophe païen, Thémistios, le loue en ces termes : « La loi de Dieu, qui est aussi la

tienne […], confère à l’âme de chacun le privilège de choisir sa voie vers la piété »23

. C’est

à Jovien qu’Athanase écrit pour lui demander la permission de rentrer à Alexandrie, ce

qui met fin à son troisième exil. Revenu sur son siège, Athanase rédige le De decretis

Nicaenae synodi24 en collaboration avec d’autres évêques nicéens. C’est un commentaire,

pour l’empereur, de la foi signée au concile de Nicée. Celui-ci se montre intéressé par les

explications relatives à la signification du mot . Athanase explicite ce mot

dans la perspective de Nicée : le Fils est engendré de la substance du Père et il lui est

semblable selon la substance25

. Mais la mort brusque de Jovien met fin à ses efforts de

comprendre et de défendre cette foi.

18 A. ROCHER , id., p. 11-12.19 P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e , o. c., p. 13.20 RUFIN D’AQUILÉE , HE 1, 29.21 JULIEN , Lettre 42, citée par P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e, o. c. , p. 15.22 J. FLAMANT et CH. P IETRI, « L’échec du système constantinien : Julien dit l’Apostat (361-363) », dansHistoire du christianisme des origines à nos jours, o. c. , p. 344-346.23 THÉMISTIOS, Discours V, 67b – 70c, cité par P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquêtearab e , o. c., p. 16.24 ATHANASE D’ALEXANDRIE, De decretis Nicaenae synodi, (PG 25, 416-476), H.G. OPITZ, Athanasius Werke II,1, Berlin, 1935-1941, p. 1-45.25 CH. P IETRI, « L’établissement de l’Église sous Théodose », dans Histoire du christianisme des origines à nosjours, o. c. , p. 362-363.

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Après Jovien, c’est Valentinien qui prend le pouvoir en Occident et Valens en

Orient. Au début de leur règne, ils se montrent plutôt favorables à l’Église, tolérants

aussi envers le paganisme, et promulguent des lois en faveur de la liberté du culte26

.

Petit à petit, une divergence d’opinion entre les deux empereurs apparaît quant au

christianisme. En Occident, Valentinien considère que les affaires chrétiennes doivent

être jugées par les évêques, tandis qu’en Orient, Valens, baptisé par un arien homéen27

,

commence à persécuter sévèrement les confesseurs nicéens. C'est ainsi qu'il renvoie au

désert tous les exilés de l’année 360 amnistiés par Julien. Il se fait fort d’avoir des idées

théologiques, celles qu’on propageait dans la doctrine arienne, et qu’il pourrait les

utiliser pour unifier l’Empire (l’unification de la croyance garantissant l’unification de

l’Empire). Tandis que Valentinien se glorifie dans l’une de ses lois d’avoir laissé à

chacun « la libre faculté de culte auquel il est attaché »28

, Valens est violemment taxé

de laxisme à l’égard des païens par l’historien chrétien Théodoret de Cyr.

Les premières années du règne de Gratien, fils de Valentinien et son successeur

en Occident, sont caractérisées par une politique religieuse tolérante, semblable à celle

pratiquée par son père. Gratien considère que les affaires religieuses sont du ressort des

évêques. Cependant, il est un chrétien pieux, « plus pieux qu’il n’était utile à l’État »29

.

En janvier 379, il proclame que Théodose, un général d’origine espagnole, gouvernera

l’Orient. Ensemble, ils prennent le parti d’appeler la « vraie foi » la foi catholique qui a

été énoncée à Nicée. Cette politique religieuse s’oppose à l’arianisme, au manichéisme,

au donatisme et à l’apollinarisme30

. La tolérance envers les païens diminue dans les lois

impériales : interdiction de tout sacrifice, interdiction de visites des temples,

interdiction de rendre des hommages aux idoles. La victoire remportée en septembre 394,

à la Rivière Froide, par Théodose, marque le triomphe définitif du christianisme sur le

paganisme. La foi de Nicée gagne du terrain, jusqu’à devenir la religion de l’État. La

longue lutte entre les ariens et les nicéens s'achève sous Théodose. L'empire connaît

désormais la paix religieuse. La proclamation de la foi nicéenne comme religion officielle

de l’État est le fruit de nombreux débats théologiques et politiques antérieurs.

Cependant, aux avantages dont bénéficie l’Église se joignent aussi quelques

inconvénients : le développement du « césaropapisme », cette tendance du pouvoir civil à

26 P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e , o. c., p. 17.27 Les homéens sont des ariens modérés. Les formules utilisées pour expliquer leur doctrine restent assezvagues. Ils disent que le Fils est «semblable au Père ».28 CH. P IETRI, « L’établissement de l’Église sous Théodose », dans Histoire du christianisme des origines à nosjours, o. c. , p. 400.29 RUFIN D’AQUILÉE , HE, II, 13.30 P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e , o. c., p. 19.

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régler les questions d’ordre religieux ; l'existence d'un certain « servilisme », le fait que

les évêques doivent se soumettre aux ordres de la cour ; et l'expansion du « libéralisme

doctrinal », qui est une conséquence des deux inconvénients précédents. Seules quelques

voix, celle d’Athanase en Orient, celle d’Ambroise en Occident, affirmeront hautement

l’indépendance de l’Église et du spirituel31

par rapport à la politique.

3. Milieu religieux

Si le IVe siècle est habituellement appelé « l’âge d’or de la patristique », il est

aussi le siècle où, grâce à la liberté religieuse et à la paix constantinienne, de nombreux

courants théologiques se propagent dans l’Église. Les querelles christologiques et la

division que celles-ci ont provoquée dans l’Empire et dans l’Église en sont une

conséquence. En fonction du pouvoir en place, les communautés qui jouissent de la

protection impériale sont celles qui professent une doctrine proche de celle de Nicée, ou, à

l'inverse, proche de celle d’Arius. Au début du IVe siècle se pose dès lors la question de la

« pureté originelle de la prédication chrétienne, assurée par la fidélité des Apôtres à

l’enseignement de Jésus »32

. Aux siècles précédents, les Pères apologistes défendaient ce

qu’ils croyaient être la vraie doctrine transmise par les Apôtres et qu’ils avaient reçue

de la bouche même de Jésus33

.

Sur le plan religieux, le IVe siècle foisonne de débats doctrinaux qui ont permis à

l’Église de fixer, en des formules, la foi qui fera l’unité entre les chrétiens. Ces

discussions théologiques ont abouti, lors des conciles et des synodes, à des « exposés de

foi »34

, à des formules approuvées, opposées à des formules condamnées. Après le Concile

de Nicée plusieurs synodes et rencontres de chefs ecclésiastiques ont lieu à travers

l’Empire. En 335, un synode se réunit à Tyr où le « cas d’Arius » est réexaminé.

Constantin accepte le prêtre exilé dans la communion de l’Église et fait prendre à

Athanase, pour la première fois, la route de l’exil. Malheureusement, Arius meurt en

cours de route, en 336, sans avoir la joie de goûter le fruit de la réconciliation que lui

31 Voir A. MARTIN, Athanase d'Alexandrie et l'Église d'Égypte au IVe siècle (328-373), « Collection de l'Écolefrançaise de Rome » 216, École française de Rome, Rome 1985 (= Athanase d'Alexandrie ). L'auteur présentele travail et l’influence du « patriarche d’Égypte » dans l’Église de son temps.32 A. LE BOULLUEC, « Hétérodoxie et orthodoxie » dans Histoire du christianisme des origines à nos jours , o. c.,t. 1, p. 267.33 À cette époque, on parle peu d’hérésie. Progressivement on voit se définir, une « orthodoxie », opinion droite,opposée à des « hérésies » (terme qui au début signifiait un choix, puis une certaine manière de penser pourdevenir enfin un terme péjoratif qualifiant toute doctrine contraire à l’orthodoxie). L’exemple est l’ouvrage deJUSTIN , Traité contre les hérésies (Cf. A. LE BOULLUEC, art. c., p. 268-269).

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avait accordée l’empereur35

. Un autre concile se tient à Arles (353) où le « dossier

d’Athanase » est examiné sous l’égide de l’empereur arien, Constance II. Athanase est

poursuivi pour trahison et pour avoir semé la discorde entre Constant et Constance36

. Il

est aussi accusé d’avoir célébré la liturgie dans une église qui n’était pas encore

consacrée37

. En 357, un concile se réunit à Sirmium afin de proclamer une nouvelle

formule de foi éliminant l’ et l’ , parce que ces termes sont inconnus

de l’Écriture. En 359, une seconde formulation est signée à Sirmium, qu’on appelle le

« credo daté », une sorte de compromis entre les promoteurs du symbole de 357 et les

partisans de Basile de Césarée. Deux autres formules seront définies dans cette ville.

Une autre assemblée a lieu à Rimini, en Occident. Constance influence fortement ce

concile afin de donner la victoire aux homéens : le Fils est semblable au Père, mais en

aucun cas il ne peut lui être consubstantiel. Constance II réunit un autre synode à

Séleucie. Celui-ci condamne, une fois pour toutes, l’homoousios nicéen, mettant

provisoirement fin à une querelle qui déchire l’Église et l’Empire depuis plus de trois

décennies38

. Cette victoire, l’empereur veut la faire reconnaître en réunissant, en 360,

un concile dans la capitale même de l’Empire, Constantinople. La formule de Rimini est

reprise, retouchée et imposée à toute l’Église. Les opposants sont condamnés et

l’arianisme atteint son apogée. Les vainqueurs se partagent les sièges épiscopaux de

Nicomédie, de Tarse, de Laodicée et d’Ancyre.

L’arrivée au pouvoir de Théodose change toutefois complètement la situation

religieuse de l’Empire. Il fait revenir sur leurs sièges les évêques nicéens, et pense déjà à

réunir un concile œcuménique afin de régler toutes les querelles suscitées par les ariens.

Il convoque tous les évêques à Constantinople en 380-381. Son souci d’unité s’impose aux

évêques venus des quatre coins de l’Empire. La fidélité à la foi nicéenne et son désir d’en

finir avec les divisions théologiques sont appréciés par les participants. Les Pères

conciliaires rappellent que les trois hypostases du Père, du Fils et de l'Esprit doivent

recevoir a même adoration et même gloire au sein d'une unique divine. Désormais,

l’arianisme est totalement vaincu et les partisans sont exilés. Ambroise de Milan

34 P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e , o. c., p. 295.35 J. L IÉBAERT, Les Pères de l’Église, vol. 1, Desclée, Paris 1986, p 160-161.36 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Apologie à l'empereur Constance. Apologie pour sa fuite, 2, 6 et 11, SC 56, Cerf,Paris 1958, p. 167.37 Il s’agit du « Caesareum d’Alexandrie » dont la construction était inachevée par l’ordre de Constance, maisqu’Athanase utilise pour célébrer avec tout son peuple la fête de Pâques. (cf. A. MARTIN, Athanased'Alexandrie , o. c., p. 721).38 Cf. P. MARAVAL, Le christianisme de Constantin à la conquête arab e, o. c. , p. 326-327 et CH. et L. PIETRI, o.c., t. 2, p. 330-332.

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— 11 —

réunit à Aquilée, en 381, un concile occidental pour célébrer cette victoire. Les ariens

occidentaux sont exilés et Ambroise se réserve le droit de réorganiser la hiérarchie

ecclésiastique occidentale.

En Afrique du Nord, le donatisme gagne du terrain. Cette doctrine trouve un

ardent défenseur en la personne de Parménien, évêque de Carthage. Ce dernier

récrimine contre la communauté qui se dit catholique. Il accuse celle-ci d’être la seule

responsable du schisme produit. Par conséquent, il lui dénie le droit de s’appeler

chrétienne39

. Selon les donatistes, seuls les justes et les saints sont les vrais membres de

l’Église visible. D’où leur théorie que seuls ces justes peuvent administrer les

sacrements de l’Église. En Afrique latine, il n’y a qu’Augustin qui a fait face aux

évêques donatistes en démontrant que la grâce de Dieu prime toujours sur l’agir du

ministre, car celui qui administre les sacrements, c’est le Christ lui-même dans la

personne du ministre40

.

Vers la fin de la vie d’Athanase, surgira une autre dispute théologique liée à

Apollinaire, évêque de Laodicée et à sa doctrine sur la divinité du Christ. Fidèle à la foi

de Nicée, cet évêque veut défendre la divinité du Logos dans son incarnation. Dans le

prolongement de la christologie nicéenne, Apollinaire se donne comme objectif de

répondre à la question : « comment le Fils de Dieu, la deuxième personne de la Trinité,

s’unit-elle à l’homme Jésus de façon à constituer une véritable unité et non pas deux fils

séparés, le Fils de Dieu et le Fils de l’homme ? »41

En répondant à cette question, l’évêque

de Laodicée veut éviter les deux « erreurs » qui sont selon lui la christologie de la

séparation, telle qu’elle est proclamée par Paul de Samosate, et la christologie

adoptianiste, qui considère Jésus comme un simple homme élevé au rang de Fils de Dieu

par grâce.

Si […] quelqu’un […] enseigne que le Fils de Dieu est un autre, aux côtés de l’homme né de

Marie, qu’il est élevé au rang de Fils par grâce, si bien qu’il y a deux fils, un Fils de Dieu par

nature, celui né de Dieu, et un Fils de Dieu par grâce, l’homme né de Marie […] celui-là

l’Église catholique le maudit42.

39 A. PINCHERLE, « L’ecclesiologia nelle controversie donatista », dans Ricerche religiose, 1, 1925, p. 35-55.40 Saint Augustin formulera cette maxime qui sera reprise ensuite par la théologie et la spiritualité dubaptême : « Paul baptise, c’est le Christ qui baptise ; Pierre qui baptise, c’est le Christ qui baptise ; Judabaptise, c’est aussi le Christ qui baptise » (AUGUSTIN, De baptismo, XIV, 35)41 H. R. DROBNER, o. c. , p. 293.42 APOLLINAIRE DE LAODICÉE, Ad Jovianum 3, cité par H. R. DROBNER, Les Pères de l’Église, o. c. , p. 293.

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Sa réponse nie la complète humanité du Christ qui ne comprend que le corps et l’âme

sensible, le Logos remplaçant en lui l’âme spirituelle. C’est pourquoi il appelle le Christ

« ou même , et il explique ainsi avec une rigueur logique

remarquable et très séduisante, l’unité entre Dieu et l’homme dans le Christ au niveau

de la nature. Le Christ était , l’unique nature

du Dieu Logos devenue chair. Pour lui, nature, substance et unité personnelle se situent

au même niveau »43

.

II. ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

Athanase d’Alexandrie a été le « roc » qui s’est dressé contre Arius et les non-

nicéens. Son double traité Contra Gentes et De Incarnatione, de même que son ouvrage

dogmatique fondamental, Contre les ariens, défendent une vision traditionnelle de

l’Incarnation insistant sur la pleine divinité et la réelle humanité du Christ. Son

argumentation est tirée de la Bible et de la tradition de l’Église. Athanase est l’évêque

le plus dynamique de l’Égypte chrétienne au IVe siècle

44. Certains parlent même du

« siècle d’Athanase » 45

. Grégoire de Nazianze le nomme « le champion et le défenseur

de la foi de Nicée » et « le pilier de l’Église »46

. Accédant au siège épiscopal d’Alexandrie

après la mort d’Alexandre en 328, il n’a qu’un seul but : défendre la foi proclamée à

Nicée. Ses convictions et sa lutte pour la vérité le mènent au milieu des plus grands

combats pour la foi, où il se montre tolérant et modéré.

1. Jusqu’à l’épiscopat

43 H. R. DROBNER, Les Pères de l’Église, o. c., p. 294.44 CH. KANNENGIESSER, « Athanasius », dans Encyclopedia of Early Christianity , Garland Publishing, NewYork 1990, p. 110.45 CH. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu selon Athanase d’Alexandrie, Paris, Desclée 1990, p. 11.46 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Panégyrique de Saint Athanase trad. par J.-A. MOEHLER, Athanase le Grand etl’Église de son temps en lutte avec l’arianisme, Bruxelles, Société nationale pour la propagation des bonslivres, 1841-1842, p. V-XLI.

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Athanase d’Alexandrie naît vers 298-29947

, dans une famille probablement

chrétienne au sein de laquelle il reçoit une bonne éducation religieuse. Grégoire de

Nazianze écrit qu’il avait une excellente connaissance de la Bible, et le compare aux

grands personnages qui ont marqué l’histoire biblique : Noé, Abraham, Moïse, Aaron,

David, Salomon, etc48

. Ses ouvrages, en raison des citations scripturaires qu’ils

renferment, sont un témoignage éclairant de sa familiarité avec les livres saints. Au

temps des dernières persécutions, il était trop jeune pour garder un souvenir de scènes

sanglantes, mais il en avait entendu parler et il ressentait une grande admiration pour

ses prédécesseurs, voyant jusqu’où ils étaient allés par amour du Christ, le Logos de

Dieu fait chair pour nous49

.

Son enfance reste plutôt inconnue. Rufin d’Aquilée50

raconte toutefois la

fameuse histoire de la rencontre entre Alexandre d’Alexandrie et Athanase. L’évêque

donnait un festin en l’honneur de la fête de saint Pierre Apôtre, quand il aperçut par la

fenêtre quelques garçons en train de jouer sur la plage. Le « chef de la bande », Athanase,

alors âgé de 15-16 ans, reproduisait sur ses camarades de jeu le rite du baptême chrétien.

Alexandre envoya un de ses prêtres pour faire venir ce jeune homme auprès de l’évêque.

Dans le dialogue, il constata la piété de l’adolescent et déclara valides les baptêmes qu’il

avait effectués. À la suite de cet épisode, Alexandre le prit avec lui et s’occupa de sa

formation théologique et spirituelle. Dans l’ouvrage de jeunesse d’Athanase, Contre les

Païens et Sur l’Incarnation du Logos, transparaît l’influence théologique d’Alexandre et

des grands noms de l’École d’Alexandrie, Clément et Origène. Cependant, sa manière de

penser la foi chrétienne a quelque chose d’original grâce à l’empreinte pastorale qui

domine son œuvre et sa réflexion théologique.

En 318, au moment où éclate l'arianisme, Athanase est ordonné diacre par

Alexandre. Celui-ci en fait son secrétaire. Cependant, Athanase porte en lui un grand

désir de perfection et d’idéal de vie chrétienne. Il entre en contact avec les moines de la

Thébaïde et noue des relations profondes avec le « patriarche des solitaires », Antoine le

47 A. MARTIN, M. ALBERT, Histoire acéphale et index syriaque des Lettres festales d’Athanase d’Alexandrie , SC317, Cerf, Paris 1985, p. 229. Ch. Kannengiesser situe la date de naissance de l’évêque alexandrin au mêmemoment. La jeunesse d’Athanase qui pas encore 30 ans au moment de sa nomination à la tête de l’Églised’Égypte devient un motif de dispute avec les mélitiens. En effet, au concile de Nicée, les pères conciliairesavaient établi l’âge de 30 ans pour un candidat à l’épiscopat (cf. canon. 19).48 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 21, SC 270, Cerf, Paris 1980, p. 117. Lorsque Grégoire de Nazianze tient« cet éloge de la vertu » d’Athanase au jour de son anniversaire, vers 379, il veut montrer que cet évêque sesitue dans la lignée des grands personnages inspirés par Dieu.49 G. C., STEAD, « Athanase », dans DECA, t. 1, Cerf, Paris 1990, p. 285.50 RUFIN D’AQUILÉE , HE, 1, 14, cité par A. ROBERTSON , Athanasius : Select Works and letters, (coll. « Niceneand Post-Nicene Fathers », 4), Peabody, Hendrickson Publishers, seconde série, 1995, p. XIV.

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Grand : « Je fus son disciple, et, comme Élisée, je versais l’eau sur les mains de cet autre

Élie »51

. Pendant plusieurs de ses exils, Athanase trouve un bon accueil chez les moines

du désert pour lesquels il écrit la Vie d’Antoine, une sorte de règle monastique pour tous

ceux qui veulent suivre le Christ selon le modèle de vie du grand Antoine.

En qualité de secrétaire de son évêque, Athanase participe au concile de Nicée de

325. Comme simple diacre, il est peu probable qu’il ait pris la parole en public, mais il a

dû jouer un important rôle dans les coulisses du concile. Dans l’affaire de Mélèce de

Lycopolis, Athanase prend le parti d’Alexandre, c’est-à-dire qu’il soutient son choix de

remplacer, à sa mort, un évêque nommé par Alexandre par un évêque mélétien après

élection et approbation par Alexandre. Seul Mélèce reste privé du droit d’exercer ses

fonctions épiscopales. À Nicée, Athanase trouve le vrai sens de sa vie : devenir le

champion et le défenseur de la foi signée par les pères conciliaires. De plus, il a

probablement eu l’occasion de rencontrer à Nicée les principaux partisans de la doctrine

d’Arius et les principaux théologiens anti-ariens, Eustathe d’Antioche et Marcel

d’Ancyre52

. Après cette « victoire apparente de l’orthodoxie » sur l’arianisme, la vie

d’Athanase va connaître des moments de « gloire » entremêlés de temps d’exil et

d’excommunication.

2. Un épiscopat mouvementé

Dans ses Lettres festales, Athanase dit qu’au moment de son élection pour la plus

haute charge ecclésiastique en Égypte, en l’année 328, il n’avait pas l’âge requis, c’est-à-

dire 30 ans. Cela provoqua des ennuis avec les mélétiens53

. Autant le peuple était dans

la joie et la satisfaction pour le nouvel évêque, autant ses adversaires, ariens et

mélétiens, cherchaient à lui opposer d’autres candidats. Épiphane54

rapporte que les

mélétiens avait choisi un certain Théonas, mais qu’il est mort au bout de trois mois.

Après sa consécration, Athanase commence ses visites pastorales — Thébaïde,

Pentapole, Ammoniaca —, dans le but de grouper tous les évêques « nicéens » et de les

encourager dans la défense de la foi contre toute doctrine erronée. Comme évêque, il noue

davantage de relations avec les moines du désert. Il trouve un grand plaisir à fréquenter

51 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Vie d’Antoine, SC 400, Cerf, Paris 1994, p. 165.52 G. C. STEAD, « Athanase », dans DECA t. 1, o. c., p. 285.53 Voir A. MARTIN, « Athanase et les mélétiens, (325-335) », art. c..54 ÉPIPHANE DE SALAMINE, Haeresis 69, 1, cité par G. Bardy, Saint Athanase , Paris, Gabalda 1914, p. 24-25 ;voir aussi l’analyse faite par Annick Martin du témoignage d’Épiphane sur cet incident intervenu à l’occasionde la nomination épiscopale d’Athanase dans : Athanase d’Alexandrie , o. c., p. 261-286.

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ce lieu où il s’y rend souvent. Selon la tradition, il aurait conféré le sacerdoce55

à Pacôme

lors de l'une de ses visites. En qualité d’évêque, Athanase entre en contact avec ses

fidèles par des visites, mais surtout par ses Lettres festales56. Dans les deux premières

lettres, il donne un message de paix et de joie ; dans la troisième, il se plaint de ceux qui

enseignent une autre doctrine et troublent la paix de l’Église.

L’empereur Constantin remarque très vite le jeune évêque qui se distingue par sa

foi, son ascèse, sa piété et son zèle pour l’Église d’Alexandrie. Il lui donne le nom

d’« homme de Dieu ». Arius, resté silencieux après Nicée, écrit en 327 une lettre à

Constantin où il exprime sa profession de foi. Le mot était soigneusement

évité. À la suite de cette lettre, l’empereur oblige Athanase à recevoir Arius et ses

partisans dans la communion de l’Église. Le refus de l’évêque entraîne, en 335, la

convocation d’un synode à Tyr, où il est caractérisé comme un homme violent, irascible,

non obéissant aux ordres impériaux. Athanase quitte le synode pour aller trouver

l’empereur et s’expliquer, mais le synode profite de sa fuite pour le condamner57

.

L’empereur convoque un nouveau synode à Constantinople. Celui-ci approuve la

condamnation. Athanase est exilé à Trèves en Gaule où il est accueilli par l’évêque

Maximin. Il passe deux ans dans cette ville d’où, par l’intermédiaire des Lettres festales,

il entretient le contact avec son Église d’Alexandrie afin d’encourager ses fidèles à se

garder de la doctrine arienne. Seule la mort de Constantin, en 337, lui permet de revenir

dans son diocèse à la demande de Constance II.

En novembre 337, Athanase rentre dans son diocèse pour la plus grande joie des

prêtres et des fidèles. Les Ariens avaient ordonné évêque Pistus, fidèle compagnon

d’Arius. Mais Athanase fit appel au pape Jules afin d’éclaircir une fois pour toutes la

question arienne. Il gagne l’estime du pape et devint le défenseur acharné de la divinité

du Sauveur58

. Entre temps, Pistus est remplacé par Grégoire de Cappadoce qui s’impose

par la force comme évêque d’Alexandrie. Il chasse Athanase de son palais épiscopal.

Après quelque temps passé aux environs de la ville, Athanase se dirige vers Rome où il

arrive en 339. Avec Ossius de Cordoue, il va à Sardique où se tient un synode :

55 H. R. DROBNER, o. c. , p 269.56 Les Lettres festales font partie d’une tradition inaugurée par Denys d’Alexandrie († 264-265) et continuéepar ses successeurs. L’évêque y communique les orientations théologiques et doctrinales de l’Église et précisela date d'entrée en carême et la date de Pâque. Voir Histoire acéphale et index des Lettres festales d’Athanased’Alexandrie , o. c..57 P. PEETERS, « Comment saint Athanase s’enfuit de Tyr en 335 », dans Recherches d’histoire et de philologieorientales 27, 1959, p. 232-240 ; ATHANASE D’ALEXANDRIE, Apologie à l’empereur Constance, Apologie pour safuite, SC 56, Cerf, Paris 1958.58 CH. P IETRI, « La question d’Athanase vue de Rome, (338-360) », dans Politique et théologie chez Athanase

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Orientaux et Occidentaux y sont invités. Le synode débat de questions dogmatiques. Les

participants envisagent une nouvelle formule de foi pour remplacer celle de Nicée.

Toutefois, Athanase exerce une grande influence sur l’assemblée qui se range de son

côté pour maintenir la formule de foi nicéenne. Cependant, Grégoire de Cappadoce est

toujours l’évêque d’Alexandrie soutenu par l’empereur. D’où l’indignation d’Athanase

qui ne cesse de proclamer le droit de l’Église à se gouverner elle-même :

Où y a-t-il un canon stipulant qu’un évêque doit être nommé par la cour ? Où se trouve le canon

qui permet aux soldats d’envahir les églises ? Quelle tradition accorde à des comtes et à des

eunuques ignorants une autorité dans les questions ecclésiastiques et le droit de faire connaître

par des édits les décisions de ceux qui portent le nom d’évêques ?… Montrez-moi encore une

Église qui jouisse encore du privilège d’adorer le Christ en toute liberté ? […] Tandis que

l’empereur est le protecteur de l’hérésie et désire pervertir la vérité, tout comme Achab voulut

changer la vigne de Nabot en jardin potager, complaît à toutes les requêtes des hérétiques, car

leurs suggestions rejoignent ses propres désirs59.

À la mort de Grégoire en 345, Constance II rappelle Athanase sur son siège60

. Prenant

la route d’Alexandrie, l’évêque passe par Rome et le pape Jules lui confie une lettre pour

le clergé d’Égypte. Le 21 octobre 346, Athanase rentre à Alexandrie et se fait acclamer

par des foules venues à sa rencontre. Reprenant ses fonctions d’évêque, il commence ses

visites pastorales, rencontre et réconforte les moines de la Thébaïde. De grands écrits

théologiques et dogmatiques datent de cette période : la Lettre sur les décrets du concile de

Nicée, L’Épître sur la pensée de Denis, l'Apologie contre les Ariens, le traité Sur la virginité.

Très vite, sa renommée dépasse les frontières d’Égypte61

. Après la mort du pape Jules,

Athanase envoie une lettre à son successeur, Libère, pour le mettre au courant des

questions théologiques en Orient62

. Cependant, sur l’insistance de l’empereur, favorable

à l’arianisme, le pape convoque un concile à Milan en 355, où tous les évêques, à

l’exception de trois, Lucifer de Cagliari, Eusèbe de Verceil et Denis de Milan,

condamnent Athanase qui s’étonnait de toutes ces années de paix. Suite à cette

condamnation, l'évêque quitte sa ville sans but précis et devient un « fuyard ».

Quand les fidèles apprennent la nouvelle du départ d’Athanase, ils font de leur

mieux pour convaincre le pouvoir impérial de faire revenir leur évêque. Tous ces efforts

sont vains : Athanase est considéré comme un ennemi public. Les églises sont donc

d’Alexandrie , o. c., p. 93-126.59 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Histoire des Ariens 27-28, PG 25, 724C-725B, cité par Leslie W. Barnard,« Athanase, Constantin et Constance », dans Politique et théologie chez Athanase d’Alexandrie , o. c., p. 142.60 J.-M. SZYMUSIAK, « Un portrait d’Athanase d’Alexandrie », dans RSR, 35, 1948, p. 456-457.61 J.-M. LEROUX, « Athanase et la seconde phase de la crise arienne, (345-373) », dans Politique et théologiechez Athanase d’Alexandrie , o. c. , p. 148.62 G. BARDY, Saint Athanase, o. c., p. 100-102.

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remises aux mains des Ariens63

. Voyant toute son œuvre détruite et la doctrine

nicéenne menacée, le grand docteur se retire au désert auprès des moines, ses fidèles

amis. Il profite de cette occasion pour visiter les monastères de son diocèse et s’entretenir

avec ces solitaires sur la foi chrétienne reçue des Apôtres et transmise par l’Église. Du

désert, il continue à écrire des œuvres dogmatiques : les Lettres à Sérapion de Thmuis (sur

la divinité de l’Esprit-Saint), La lettre à Sérapion (encouragements pour garder la foi de

l’Église), l'Apologie à Constance, l'Apologie pour la fuite, l'Histoire des Ariens adressée aux

moines, Synodes de Rimini et de Séleucie64. En 361, Julien succède à Constance, Grégoire

de Cappadoce est emprisonné, et le retour d’Athanase est possible. Il rentre à Alexandrie

en février 362 après six ans d’absence. Pour sa plus grande joie, il constate, une fois de

plus, la fidélité de ses ouailles à son enseignement et à la foi de Nicée. Dans son

panégyrique Grégoire de Nazianze décrit ce troisième retour d’Athanase :

Ensuite l’Athlète revient de son vigoureux voyage, car c’est ainsi que j’appelle un exil subi à

cause de la Trinité et en même temps qu’elle. Ainsi il est accueilli par les citadins en liesse et

à peu près par tous les Égyptiens rassemblés de toutes parts, accourus même des coins les plus

reculés, les uns pour se rassasier ne fût-ce que d’entendre ou de voir Athanase, les autres,

comme l’Écriture le raconte aussi, on le sait, au sujet des Apôtres, uniquement pour être

sanctifiés par son ombre (cf. Ac 5, 15) et même par l’imagerie qui représente de nouveau son

portrait. De sorte que, de mémoire d’homme, parmi les nombreuses manifestations et réceptions

organisées bien souvent déjà dans tous les temps en l’honneur non seulement de beaucoup

d’autorités publiques ou religieuses mais encore en l’honneur de beaucoup de particulier très

distingués, pas une seule n’attira une foule plus nombreuse et plus brillante.65

Reprenant ses fonctions, Athanase travaille au rétablissement du symbole nicéen

là où la doctrine arienne avait gagné du terrain. Au printemps de 362, il réunit un

concile à Alexandrie dans le dessein d’accorder le pardon aux prêtres et aux évêques qui

ont adhéré à la théologie arienne par crainte ou séduction impériale. La formule de Nicée

est réaffirmée, bien que l’influence de Mélèce laisse des traces difficiles à effacer. Le

concile traite aussi d'une question dogmatique nouvelle posée par Apollinaire de

Laodicée : l’existence d’une âme rationnelle dans le Christ66

. Les décisions du concile

triomphent sur tout l’Orient et elles sont aussi acceptées par Rome. L’empereur Julien,

jaloux du succès d’Athanase, réagit avec violence contre lui :

Je n’apprendrais rien de ce que tu fais qui me fût plus agréable que l’expulsion, hors de tous les

points de l’Égypte, de cet Athanase, de ce misérable qui a osé, sous mon règne, baptiser des

femmes grecques de distinction 67.

63 G. BARDY, Saint Athanase , o. c., p. 128-129 ; voir aussi l'Histoire acéphale d’Athanase , V, 1-8, (o. c., p.161-163.64 M. TETZ , « Les écrits « dogmatiques » d’Athanase », dans Politique et théologie chez Athanase d’Alexandrie ,o. c. , p. 180-191.65 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 21, o. c. , p. 167-169.66 CH. KANNENGIESSER, « Apollinaire de Laodicée », dans DECA, t. 1, o. c., p. 186.67 o. c., Saint Athanase, o. c., p. 173 ; cf. RUFIN, HE, I, 35 ; SOCRATE, HE, III, 14 ; SOZOMÈNE, HE, V, 15, 3.

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L’évêque d’Alexandrie quitte ainsi la ville pour la quatrième fois, mais il

prononce ces paroles prophétiques : « ne vous inquiétez pas, mes enfants, c’est un petit

nuage, et il passe vite »68

. Athanase reprend la route du désert de Thébaïde où les

moines saluent son arrivée par des acclamations. En été 363, Julien meurt pendant la

guerre contre les Perses, et Jovien, un nicéen convaincu, rappelle l’évêque sur son siège à

Alexandrie après 14 mois de désert. Malheureusement, Jovien meurt subitement dans

un accident survenu sur la route de Constantinople. Son successeur, Valentinien, donne

à son frère Valens le gouvernement de l’Empire d’Orient. Celui-ci, un arien convaincu,

ordonne l’exil des nicéens. Ainsi, Athanase reprend la route de l’exil pour la cinquième

fois. Cet exil ne va durer que quatre mois. Dès février 366, les autorités impériales le

remettent solennellement en possession du siège d’Alexandrie. Athanase entreprend

alors des initiatives de réconciliation avec ceux qui ont obéi à la doctrine arienne par

crainte, peur ou ignorance. Il fait connaître au pape Libère ses démarches et le met au

courant de l’état de la doctrine en Orient :

La faute commise par l’ignorance est effacée par le repentir. On ne doit pas refuser le pardon

à ceux qui, à Rimini, ont agi par ignorance. Mais on doit condamner les auteurs de l’hérésie,

ceux qui, par leurs sophismes, ont égaré les esprits simples et jeté un voile sur la vérité69.

3. Une fin de vie tranquille

Après tant de luttes, de souffrances et d’exclusions, Athanase voit ses efforts

enfin couronnés. Le peuple est dans la joie et jouit d’avoir un si digne évêque, dans la

lignée de Denis et d’Alexandre d’Alexandrie. Pendant la dernière période de sa vie,

Athanase se consacre à l’administration de son diocèse. Malgré la vieillesse, il reste

toujours jeune d’âme, prêt à lutter jusqu’au bout afin de défendre l’héritage de la foi

chrétienne. Ses derniers livres sont sereins. Ce sont des ouvrages ascétiques,

biographiques, exégétiques. La Vie d’Antoine, ouvrage écrit à la demande des moines,

connaît un grand succès en Orient auprès des gens qui, par amour du Christ, le Logos de

Dieu Incarné, veulent tout quitter pour le suivre, selon l’exemple du grand Antoine.

Avec l’aide de l’empereur, Athanase entreprend un énorme travail de construction

d’églises. Ainsi, avec l’autorisation du préfet d’Alexandrie, il commence la

reconstruction du Caesarion. En 369, Athanase fait construire dans un quartier

68 Socrate note cette « prophétie » d’Athanase dans son Histoire ecclésiastique 14, 1, cité par G. C. STEAD,« Athanase », dans DECA, t. 1, o. c., p. 287.69 BÉNÉDICTINS DE PARIS, « Saint Athanase », dans Vie des Saints, t. 5, Paris, Letouzey & Ané 1947, p. 47.

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d’Alexandrie, Mendinion, une église qui porte son nom. Il l’inaugure le 7 août 370.70

Il

intervient également en faveur de l’unité des chrétiens, surtout dans l’Église

d’Antioche où apparaît la querelle théologique sur la divinité de l’Esprit-Saint. C’est

aux évêques d’Antioche qu’Athanase donne des explications concernant la formule de

foi signée à Nicée dans le Tomus ad Antiochenos. Après 75 ans de vie, dont 45 comme

patriarche d’Égypte, sans n’avoir jamais manqué à son devoir, d’abord de chrétien puis

d’évêque, Athanase rend son âme à Dieu dans la nuit du 2 au 3 mai 373. Avant de

mourir, il désigne Pierre71

« un ancien du presbytérium qui, après l’avoir suivi partout,

administra l’épiscopat » pour lui succéder sur le siège d’Alexandrie.

Athanase d’Alexandrie reste pour ses contemporains un homme de contradiction.

Dur avec ses adversaires, charitable et vrai pasteur pour ses fidèles, il laisse le souvenir

d’un grand évêque convaincu et zélé, ayant le grand souci de transmettre le plus

fidèlement possible la foi selon l’Écriture, l’enseignement des Apôtres et la Tradition de

l’Église. Il est un symbole, une doctrine, une force suprême de l’amour du Christ, celui

qui incarne la foi de Nicée et la défense de la divinité du Logos. Sans jamais se lasser,

seul parfois contre tous, il espère toujours la victoire de Dieu. Prudent et souple, il sait à

la fois attaquer l’adversaire, lui résister et le fuir. Pour lui, « le propre de la religion

chrétienne n’est pas d’imposer mais de persuader »72

. Athanase est l’homme qui ne se

laisse pas convaincre par les subtilités, et pour montrer la fausseté de ses adversaires, il

expose ses convictions le plus clairement possible, même si parfois il doit utiliser des

néologismes qu’il explique par la suite. Athanase le Grand reste avant tout un chrétien,

un évêque, un homme de Dieu dévoué totalement au service de la plus grande cause : la

vérité sur le Christ, le Logos de Dieu fait homme, pour notre salut73

. Toute la vie

d’Athanase d’Alexandrie est un lien cohérent entre foi et conviction, ascèse et mission

au nom de l’unité et de la paix dans l’Église, l’épouse immaculée du Christ.

70 Index des « Lettres festales » d’Athanase d’Alexandrie, o. c. , p. 273.71 Longtemps on a cru qu’il s’agit d’un des frères d’Athanase. A. Martin, en s’appuyant principalement sur letémoignage de l'Histoire acéphale d’Athanase , 5, 14.(o. c. , p. 169), conclut que non. Selon A. Martin, l’erreurvient d’un mauvaise compréhension de cette indication, où Timothée succède à son frère Pierre « pendantquatre ans ».72 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Histoire des Ariens, 67, trad. G., BARDY , Saint Athanase, o. c., p. 200.73 A. D ’ALÈS, « Le lendemain de Nicée », dans Gregorianum, 6, 1925, p. 489-468.

Page 20: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

— 20 —

III. L'ŒUVRE D'ATHANASE D’ALEXANDRIE

Son œuvre, la plupart du temps, est occasionnée les débats théologiques et

doctrinaux de son temps74

. L'éclosion de la doctrine arienne l’a d'abord incité à écrire une

série d’ouvrages d’un contenu dogmatique hors pair : trois Discours contre les Ariens, le

double traité Contre les Païens et Sur l’incarnation du Verbe, l’Histoire de Ariens, Apologie

contre les Ariens, Sur les synodes de Rimini et Séleucie, etc. Puis, à l'invitation de l’évêque

Sérapion de Thmuis, Athanase écrit les Lettres à Sérapion sur la divinité de l’Esprit-Saint

afin de réfuter les positions pneumatomaques des Tropiques. Enfin, lorsque vers 362,

Apollinaire de Laodicée, en vient à nier l'âme humaine du Christ croyant défendre les

positions nicéennes contre la doctrine arienne, Athanase rédige des lettres où il montre

la réelle humanité du corps assumé par le Christ composé de chair, âme et esprit.

D'autres ouvrages athanasiens sont occasionnés par les besoins pastoraux et

catéchétiques de la communauté qui lui a été confiée. Dans son œuvre littéraire, l’évêque

alexandrin se distingue par une connaissance approfondie des Écritures, un vrai talent

de controversiste et d’apologiste, enfin par son désir de faire connaître et de défendre la

vérité.

Écrits apologétiques et dogmatiques

L'ouvrage Contre les païens75réfute les mythologies, les cultes, et les croyances

païens. Il veut examiner la nature du mal et son histoire, et démontrer l’immoralité et

la folie de l’idolâtrie, le plus grand mal commis contre Dieu. L’homme est créé à l’image

de Dieu, et il peut accéder à la connaissance de son Créateur grâce à l’âme immortelle

que Dieu a semée en lui.

Sur l’Incarnation du Verbe76 forme avec Contre les païens un seul ouvrage nommé

par Jérôme Adversum gentes duo libri77. Dans ce livre, Athanase prouve aux adversaires

de la doctrine de l’incarnation, peut-être aux Ariens, que la restauration de l’homme et

sa guérison ne sont possibles que par l’incarnation du Verbe. Comme preuve, l’auteur

donne les motifs de l’incarnation, de la mort et de la résurrection du Christ, bénéfiques

74 J. LEBON, « Pour une édition critique de saint Athanase » dans RHE, 21, 1925, p. 524-530.75 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Contre les païens, P. Th. Camelot, SC 18 bis, Cerf, Paris 1977.76 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Sur l’incarnation du Verbe, Ch. Kannengiesser, SC 199, Cerf, Paris 1973.77 SAINT JÉRÔME, De viris illustribus, 87.

Page 21: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

— 21 —

et nécessaires au salut de l’humanité. Ensuite, il montre la vérité du christianisme par

la réalisation des prophéties.

Les Discours contre les Ariens constituent l'œuvre dogmatique majeure

d’Athanase. Elle est écrite vers 339-340. Elle comporte quatre discours dont trois sont

authentiques, le dernier étant apocryphe78

. Le premier d'entre-eux résume la doctrine

d’Arius contenue dans la Thalie et défend la définition du concile de Nicée : le Fils est

éternel, incréé, immuable, de même nature que le Père79

. Le deuxième et le troisième

discours80

donnent des interprétations scripturaires se rapportant à la génération du

Verbe, sa relation avec le Père, son incarnation. L’inauthenticité du IVe discours ne fait

de doute pour personne. Une analyse du vocabulaire et du contenu dogmatique permet de

le situer entre 350 et 360, à Antioche, et de le rattacher au groupe issu de l’évêque

Eustathe auquel appartenaient Diodore, Flavien et Paulin. L'ouvrage vise le

sabellianisme des disciples de Marcel d’Ancyre plus que les ariens81

.

Dans l’Apologie contre les Ariens82, Athanase justifie sa position d’évêque

d’Alexandrie en présentant toute une série de documents allant de la veille de son

départ pour Rome jusqu’à son retour à Alexandrie, entre 339 et 347. L’Apologie se

termine par trois lettres du synode de Sardique : la première exhorte l’Église

d’Alexandrie à la patience ; la deuxième incite les évêques de Libye et d’Égypte à être

solidaires du patriarche d’Alexandrie ; la troisième annonce la réhabilitation

d’Athanase et l’excommunication des partisans de la doctrine d’Arius.

Dans l’Apologie à Constance et l’Apologie pour sa fuite83, Athanase se défend des

accusations portées contre lui. On lui reprochait d’avoir excité la colère de l’empereur

Constant contre son frère Constance. Le ton calme, digne, respectueux et leur grande

78 CHARLES KANNENGIESSER, Athanase d’Alexandrie évêque et écrivain, o. c., p. 375-380. Selon l'auteur seulsles deux premiers discours seraient authentiques. Le troisième témoignerait selon lui d'un autre style littéraireet d'une autre manière de faire de la catéchèse. Mais Annick Martin dans Athanase d’Alexandrie, o. c.,accorde la paternité du troisième discours à Athanase (p. 629, n. 308). Kannengiesser lui-même accepteaujourd’hui que l’auteur du troisième discours soit Athanase.79 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Discours contre les Ariens de St. Athanase, A. Vaillant,. Version slave et traductionfrançaise, Sofia, 1952.80 Le deuxième discours propose une interprétation conforme à la tradition de l’Église de Proverbes 8, 22, texteclé utilisé par Arius. Le troisième discours établit l’unité de nature du Père et du Fils. Le Christ est vraiHomme et vrai Dieu.81 R. P. C. HANSON, « The Source and Significance of the Fourth Oratio Contra Arianos Attributed toAthanasius » dans Vigiliae Christianae, 1988, 42/3, p. 257-266.82 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Apologia contra Arianos, dans H. G. OPITZ, Athanasius Werke, p. 87-168.83 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Apologie à l’empereur Constance. Apologie pour sa fuite, J.-M. Szymusiak, SC 56,Cerf, Paris 1958.

Page 22: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

— 22 —

beauté littéraire de ces lignes conduisent à penser qu’il s’agit des deux écrits les plus

achevés d’Athanase.

L’Histoire des Ariens84 fut composée vers 358 à l’invitation des moines chez

lesquels il s’était réfugié. Avec grand courage, il attaque l’empereur Constance II en le

désignant « l’ennemi du Christ » qui contribue à la propagation de la doctrine arienne.

Dans cette œuvre, Athanase déploie son talent d’historien en s’appuyant sur des

documents, comme ceux relevant de l’admission d’Arius et de ses partisans dans la

communion de l’Église au concile de Jérusalem. Il y traite avec précision des événements

qui se sont passés entre 335 et 357. Le livre est précédé d’une Lettre adressée aux moines et

d’une Lettre à l’évêque Sérapion85 sur la mort d’Arius

86.

Écrits exégétiques et ascétiques

Dans À Marcellin sur l’interprétation des psaumes87, Athanase interprète les

psaumes de façon christologique. Le chrétien peut en tirer un réel profit dogmatique et

spirituel. L’incarnation du Verbe de Dieu, sommet de l’économie du salut, a été

prophétisée et chantée à travers les psaumes. Tout le psautier est orienté vers le Christ,

le Verbe incarné vrai Dieu et vrai homme.

La Vie d’Antoine88 reste le document le plus important sur le monachisme ancien.

Il fut écrit peu de temps après la mort d'Antoine, en 356. Athanase le rédige à la

demande des moines auxquels il offre un modèle de vie consacrée au service de Dieu.

Grégoire de Nazianze89

qualifie cet ouvrage de « règle monastique sous la forme d’un

récit ». Athanase rapporte une homélie d’Antoine contre les Ariens, que ce dernier

aurait prononcée à Alexandrie :

Un jour les ariens prétendirent mensongèrement qu’il pensait comme eux. Il s’en indigna et

s’étonna quand il l’apprit. Puis, à la requête des évêques et de tous les frères, il descendit de la

84 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Historia arianorum, dans H. G. OPITZ, Athanasius Werke, p. 183-230.85 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Epistola ad monachos, G. DE JERPHANION , « La vraie teneur d’un texte de saintAthanase rétablie par l’épigraphie », dans La voix des monuments II, Rome 1938, p. 95-10, (= RSR t.20,1930, p. 529-544). Epistola ad Serapionem de morte Arii. et Lettres à Sérapion sur la divinité de l’Esprit-Saint, J. Lebon, , SC 15, Paris, Cerf, 1947.86 A. MARTIN, Athanase d’Alexandrie, o. c., p. 510-518 et CH. KANNENGIESSER, « L’histoire des Ariensd’Athanase d’Alexandrie : une historiographie de combat au IV e siècle », dans L’historiographie de l’Église despremiers siècles, dir. B. Pouderon et Y.-M. Duval, Beauchesne, Paris 2001, p. 127-138, considèrent que letitre Contre Constance donné par certains manuscrits, serait plus approprié. Constance est le « coupable » dela propagation de la doctrine arienne dans l’Empire.87 ATHANASE D’ALEXANDRIE, L’épître à Marcellinus sur les psaumes M. J. Rondeau, dans Vigiliae christianae22, 1968, p. 176-197.88 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Vie d’Antoine, o.c..89 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discour s , 21, 5, o. c. , p. 119.

Page 23: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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montagne, vint à Alexandrie et condamna publiquement les ariens, disant que leur hérésie était

la dernière à l’avant-coureuse de l’Antéchrist. Il enseignait aussi que le Fils de Dieu n’est pas

une créature et qu’il n’a pas été fait de rien, mais qu’il est éternel. Verbe et Sagesse de la

substance du Père. « Aussi c’est une impiété de dire qu’il y eut un temps où il n’était pas, car le

Verbe existait toujours avec le Père. N’ayez donc aucun rapport avec les ariens très impies. Il

n’y a en effet aucun rapport entre la lumière et les ténèbres. Vous êtes des chrétiens pieux,

mais eux, qui disent que le Fils né du Père, le Verbe de Dieu, est une créature, ils ne diffèrent

en rien des païens, puisqu’ils adorent la créature au lieu du Dieu créateur. Croyez plutôt que

toute la création elle-même s’indigne contre eux, parce qu’ils mettent au nombre des choses

créées le Créateur et Seigneur de tout, en qui tout a été fait90.

Le traité Sur la virginité91 est une sorte de manuel pour la vierge chrétienne dans

lequel Athanase décrit la conduite et les devoirs religieux d’une « épouse du Christ ».

L’auteur ne s’adresse pas à une vierge en particulier, mais à toutes celles qui choisissent

cet état de vie par amour du Christ. Pour lui, la virginité est une vie angélique, signe

du monde à venir.

Athanase écrit aussi plusieurs Homélies : sur le diable, sur la passion du Christ,

sur les vertus chrétiennes, etc. Par ailleurs, la bibliothèque d’Alexandrie est riche de ses

Lettres festales92 pleines d’enseignements sur sa vie, la vie de l’Église d’Alexandrie, la

doctrine de l’Église :

L’ouverture du carême a lieu le cinq du mois de Phamenoth (1er mars) ; et après nous être

purifiés et nous être bien préparés, nous commencerons la sainte semaine de la grande Pâque le

dixième jour de Pharmuthi (1er avril) ; pendant ce temps, mes frères, nous devons nous livrer à

des prières, des jeûnes et des veilles assidus, afin de pouvoir oindre nos linteaux au sang

précieux et échapper à l’exterminateur. Et lorsqu’au soir du samedi, nous entendrons les Anges

dire : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? il est ressuscité, le grand dimanche

s’illuminera pour nous, le sixième jour, dis-je, du mois de Pharmuthi (10 avril), où notre

Seigneur ressuscita, lui qui nous accorda la paix avec notre prochain. (Lettre festale III, 6)

Parmi les autres ouvrages d’Athanase, trois méritent une attention

particulière :

- Le Tome aux Antiochiens écrit à la suite du synode alexandrin de 362. Longtemps

considéré comme la lettre synodale, le Tome ne traite que des questions doctrinales. Il

met en garde contre ceux qui nient la divinité une et vraie de la Sainte Trinité, qui

divisent le Fils du Père et séparent l’Esprit-Saint du Fils au risque de détruire le

christianisme et de précipiter l’Église dans le naufrage.

- La Lettre à l’empereur Jovien sur la foi écrite à la demande de l’empereur, nicéen

convaincu, qui le fait revenir à Alexandrie de son quatrième exil. Athanase lui explique

surtout la Symbole de foi signé par les pères conciliaires et dont l’ est la

90 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Vie d’Antoine, 69, 1-2, o. c., p. 315-317.91 J. LEBON, « Un attribué à saint Athanase », dans Muséon, 40, 1927, p. 209-218.

Page 24: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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grande originalité. En même temps il rappelle à l’empereur le mal causé par la doctrine

arienne et mentionne l’anathème formulé par les Pères.

- La Lettre aux évêques africains prévient la hiérarchie africaine des dangers de

l’arianisme et démontre la légitimité du mot cité par le Symbole de Nicée. La

foi de Nicée suffit. Elle ruine les Ariens qui font du Verbe de Dieu une créature et

anéanti ceux qui blasphèment contre l’Esprit-Saint.

Le travail littéraire d’Athanase fait découvrir un évêque soucieux de la foi et de

la croissance spirituelle de son peuple. Il désire ardemment offrir une nourriture saine à

l’âme de chacune de ses ouailles. Son œuvre relie la foi, l’ascèse, la contemplation et la

mission, au nom de l’unité et de la paix dans l’Église. Son long ministère est forgé dans

le combat pour l’orthodoxie de la foi et pour la fidélité à l’Écriture. Son principe

d’interprétation des Écritures est celui de Paul, l’Apôtre des nations : christocentrique

et sotériologique, principe qu’Athanase développe surtout dans les Discours contre les

Ariens. Tout l’enseignement scripturaire du patriarche d’Alexandrie est orienté vers la

Trinité, l’incarnation du Verbe et le salut qui en découle. Il donnait ce conseil à tous

ceux qu’il ordonnait évêques au service des communautés locales.

Bref, sa vie, sa pensée théologique, ses écrits et ses luttes pour la défense de

l’orthodoxie dévoilent un homme passionné, amoureux du Verbe de Dieu fait chair par

philanthropie et pour le salut de l’homme. Théologien par nécessité pastorale, Athanase

est davantage un théologien de la place publique qu'un théologien en chambre, il « écrit

non pour clarifier des doutes intérieurs ou satisfaire un besoin littéraire, mais en

réponse aux sollicitations pressantes de l’extérieur »93

.

IV. ÉLÉMENTS DE THÉOLOGIE ATHANASIENNE

Saint Athanase d’Alexandrie, que l'on appellera très vite « Athanase-le-

Grand »94

, s’inscrit, du point de vue de sa pensée théologique, dans la lignée des grands

théologiens qui ont fait la gloire de l’« École d’Alexandrie » : Pantène, Clément et

92 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion sur la divinité de l’Esprit-Saint, SC 15, Cerf, Paris 1947.93 A. MARTIN, Athanase d'Alexandrie , o. c. , p. 10.

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Origène. Cependant, Athanase reste plus modeste dans sa réflexion doctrinale ayant à

cœur de transmettre à ses fidèles les convictions de foi qui l’habitent et qui animent

toute sa vie de pasteur. « Si au point de vue de la spéculation théologique sa valeur est

peut-on dire nulle, affirmait Cavallera, au point de vue dogmatique, sa maîtrise est

incomparable. Nul au IVe

siècle ne me paraît le surpasser pour l’ampleur dans le

développement de la doctrine, la richesse de l’information scripturaire et, en dépit des

défauts qui lui sont communs avec son temps, l’à-propos de ses citations bibliques ;

surtout par la profondeur de sens chrétien qui lui fait comme naturellement chercher,

en toute doctrine, le côté par où elle pénètre jusqu’au plus intime de l’âme pour la

vivifier, l’exciter, rénover en elle la vie spirituelle et l’énergie pour le bien » 95

.

Grand catéchiste et ayant un cœur de pasteur pour le peuple qui lui a été confié

par la Providence, Athanase n’hésite jamais à mettre toutes ces énergies pour défendre

la foi que les pères ont signée au concile de Nicée de 325. Défenseur acharné de la foi

traditionnelle, il permit le triomphe de l’« orthodoxie » contre toute tentative

d’« enterrer » le Symbole nicéen. Souvent confronté au pouvoir impérial qui voulait

mettre la foi de l’Église au service des intérêts de l’État, parfois seul contre tous,

l’évêque alexandrin lutte toujours pour la défense de la vérité en s’appuyant sur le

témoignage courageux des apôtres du Christ. Ils ont témoigné, jusqu’au martyre, de ce

que le Christ, Verbe, Sagesse et Puissance de Dieu, s’est fait chair par philanthropie,

afin que nous devenions Dieu (Sur l’incarnation du Verbe, 54). Aussi il est tout à fait

normal que plusieurs historiens96

et théologiens97

se soient emparés de ce personnage

exceptionnel.

1. Le Père

La théologie d’Athanase ne peut se comprendre qu'à partir de ses débats avec les

Ariens. Or la doctrine sur Dieu le Père est source de nombreuses divergences avec eux.

L’évêque d’Alexandrie et Arius affirment la divinité véritable de Dieu le Père, seul à ne

pas être engendré, seul immuable, seul transcendant, seul incompréhensible, seule

source de toutes choses créées. Mais les opinions du patriarche alexandrin et de son

94 CH. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu selon Athanase d’Alexandrie, o. c., p. 23.95 F. CAVALLERA, Saint Athanase , o. c. , p. 34.96 Voir A. MARTIN, Athanase d'Alexandrie, o. c. .

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prêtre Arius divergent en ce qui concerne la paternité de Dieu. Dans la théologie

arienne, la paternité de Dieu joue un rôle minime. Arius préfère parler d’un Dieu non-

engendré comme premier principe et abandonne le concept de la correlativité du Père et

du Fils. Dans sa Profession de foi à Alexandre, il parle de Dieu en le nommant :

Nous reconnaissons un seul Dieu, seul inengendré, seul éternel, seul sans commencement, seul

véritable, seul possédant l’immortalité, seul sage, seul bon, juge de tous, gouverneur,

administrateur, immuable et invariable, juste et bon, Dieu de la Loi et des Prophètes et de la

nouvelle Alliance, qui a engendré son Fils unique avant les temps éternels98.

Arius ne fait aucune mention de la paternité de Dieu. Celle-ci intervient « avant les

temps éternels » lorsque par sa volonté Dieu a décidé de créer le Fils. Il a fait exister le

Fils

par sa propre volonté, immuable et invariable, créature de Dieu parfaite, mais non pas comme

une des créatures, production, mais pas comme un des êtres produits.

Dans le seul écrit dogmatique d’Arius, la Thalie99, dont nous disposons de petits

fragments rapportés par Athanase dans le De Synodis, on voit qu’Arius est toujours peu

disposé à appeler Dieu Père soit dans sa description formelle de la nature de Dieu soit

dans ses discussions sur la génération du Fils. Pour comprendre cette attitude, il faut

rappeler qu'Arius veut à tout prix sauvegarder l’unicité de Dieu, seul « inengendré ».

Sa conceptualité emprunte ses outils non seulement à la philosophie médio-

platonicienne mais encore de la philosophie de Plotin (vers 205-270). Si le moyen-

platonisme affirme une certaine continuité entre le premier principe et le second,

Plotin, quant à lui, introduit une coupure entre le premier principe et les hypostases qui

suivent. Les schémas qui ci-dessous montrent clairement qu'en ce qui concerne la

hiérarchie des êtres, Arius est plus proche de Plotin que de la représentation médio-

platonicienne. Tout en cherchant dans la Bible les arguments qui démontreraient sa

doctrine de la génération au sein de la monade éternelle, Arius se laisse fortement

influencé par la philosophie de Plotin et introduit une séparation explicite entre le

Premier Principe et le second puis les suivants. Ce système permet à Arius d'affirmer

97 Voir CH. KANNENGIESSER, Athanase d’Alexandrie évêque et écrivain , o. c..98 É. BOULARAND, L’hérésie d’Arius et la foi de Nicée, Létouzey & Ané, Paris 1972, p. 49.99 Athanase, dans le De Synodis, 15, traduit Thalie par « chanson à boire ». En effet il s’agit des chansonnettesqui circulaient à l’époque et qui avaient l’originalité d’être composées de vers faciles à retenir et la musiqueaidait davantage à la mémorisation. C’est ainsi qu’Arius met sa doctrine en des vers simples sur un airpopulaire de telle sorte que tous puissent la chanter et la retenir facilement.

Page 27: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

— 27 —

que le Père est la seule divinité véritable et que tout ce qui vient après est dissemblable à

l'infini. Le schéma médio-platonicien semble par contre davantage influencer davantage

la théologie d'Athanase.

Hiérarchie des êtres dans le moyen-platonisme 100

(continuité entre tous les échelons des êtres)

Moyen-platonisme Christianisme

1er Dieu

principe Père

2e principe Le Fils

Les êtres intelligibles L’Esprit-Saint

Les êtres spirituels et les Les êtres spirituels et les

autres êtres de l’univers autres êtres de l’univers

etc. etc.

etc., etc., jusqu’au monde matériel etc., etc., jusqu’au monde matériel

La hiérarchie des êtres dans la philosophie de Plotin

(séparation entre le premier principe et les échelons qui suivent)

selon Plotin selon Arius

Dieu

L’Un Père

2e Principe Le Fils

l’Intellect

3e Principe L’Esprit-Saint

Les êtres spirituels et les Les êtres spirituels et les

autres êtres de l’univers autres êtres de l’univers

etc. etc.

etc., etc., jusqu’au monde matériel etc., etc., jusqu’au monde matériel

100 R. WILLIAMS, Arius : Heresy and Tradition , Longman and Todd, London 1987, p. 233.

Page 28: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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Ce système philosophique permet à Arius d’affirmer la création dans « les temps

éternels » du Fils, et que par conséquent Dieu devient Père à un moment donné lorsqu’il

engendre son Fils. Athanase doit réagir contre une telle conception de la paternité

divine101

.

Si dans la conception d’Arius, on peut faire abstraction de l’attribut de la

paternité de Dieu, cela n’est pas possible pour le docteur alexandrin. Pour lui, la seule

possibilité de penser Dieu est de le penser dès le commencement comme Père et Fils :

La vérité témoigne que Dieu est source éternelle de sa propre Sagesse. Si la source est

éternelle, forcément la Sagesse, elle aussi doit être éternelle. C’est en elle que tout a été fait

comme chante David : Tu as tout fait dans la Sagesse (Ps 103, 24). Salomon dit : Dieu a fondé la

terre dans la Sagesse, et a préparé les cieux dans la Prudence (Pr 3, 19). Or la Sagesse est le Verbe

et par lui, comme dit saint Jean, tout a été fait, et sans lui rien ne s’est fait (Jn 1, 3). Lui-même est

le Christ.102

Les écrits d’Athanase, pénétrés de citations bibliques, reflètent la pensée

théologique traditionnelle de la foi de l’Église en un Dieu Père, Fils et Saint-Esprit.

Avec l’évêque d’Alexandrie, pour la première fois dans la tradition chrétienne, le

concept de la paternité de Dieu et sa relation avec le Fils forment une pensée théologique

cohérente ayant au centre l’œuvre de salut de l’humanité. La structure théologique

d’Athanase permet de distinguer nettement et systématiquement entre la relation du

Père et du Fils et entre la relation de Dieu et de la création. Dans sa théologie, le

langage de Dieu comme Père décrit d’une part la relation interne à la nature divine et,

d’autre part, par le Fils, la relation de Dieu avec tous ceux qu’il a adopté comme fils.

Bref, pour Athanase, le mot Père est un terme trinitaire et sotériologique. Dans la

description de la nature divine comme relation Père-Fils, une relation

fondamentalement génératrice, il identifie la nature divine comme source de la

création :

Dieu a suscité toutes choses dans l’être par le Verbe, … il les fait toutes à partir du néant par

son propre Verbe, notre Seigneur Jésus Christ, … Il ne créa pas simplement les hommes,

comme tous les vivants sans raison qui sont sur la terre ; mais selon son Image il les fit, leur

donnant part à la puissance de son propre Verbe : possédant comme des ombres du Logos et

devenus « logiques », ils pourraient demeurer dans la béatitude.103

Par de tels propos, Athanase entend balayer la thèse d’Arius selon laquelle Dieu serait

devenu Père à un moment donné. De son point de vue, la qualification d’Arius ne peut

pas être valable parce qu’elle n’a pas de sens dans un monde où des réalités

101 P.WIDDICOMBE, The fatherhood of Gad, Clarendon press, Oxford 1994, p. 145-158.102 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA I, 49, (trad. CAVALLERA, Saint Athanase, o. c. , p. 54)

Page 29: Athanase d'Alexandrie : Un théologien amoureux du Logos

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intermédiaires ne peuvent pas exister. Si on veut rester dans la tradition de l’Église, il

faut affirmer la paternité éternelle de Dieu. Le mot Père indique que le divin existe

depuis toujours en tant que relation Père-Fils. La description de Dieu comme Père est

aux yeux d’Athanase, comme aux yeux des ses illustres prédécesseurs Clément, Origène

et Alexandre, une donnée irréductible de la foi chrétienne transmise par les Apôtres.

2. Le Fils

L’expression qui caractérise le mieux Athanase est : « amoureux du Verbe de

Dieu » dont il défend la divinité à tout prix. Il portera dans sa mémoire l’expérience qui

marquera à jamais l’histoire de l’Église, le concile de Nicée (325). Sans avoir droit de

vote, il n’était que diacre, Athanase suit de près les débats concernant la divinité du

Verbe mise en question par la doctrine d’Arius.

a. L’éternité du Fils

Nous l’avons vu, Arius ne nomme pas Dieu Père comme étant un attribut

essentiel de la divinité parce qu’il est devenu Père à un moment donné :

Dieu n’a pas toujours été Père : il fut un temps où Dieu était seul et où il n’était pas encore

Père. Ensuite il devint Père. Le Fils n’a pas toujours existé : en effet, puisque toutes les réalités

ont été tirées du néant et sont des créatures et des œuvres (divines), le Verbe de Dieu, lui-

même a été tiré du néant, et il y a eu un temps où il n’existait pas avant de naître, et il a eu, lui

aussi, un commencement : la création. Au départ, Dieu était tout seul, et il n’avait ni Verbe ni

Sagesse. C’est ensuite, quand il a voulu nous créer, qu’il fit un certain être et le nomma Verbe,

Sagesse et Fils, afin de nous créer par lui.104

Dans ces propos qu’Arius tenait aux gens sur le marché d’Alexandrie, il est clair qu’il

veut isoler le Créateur éternel de toute sa création, création dont le Fils fait partie par

la volonté divine. Pourquoi Arius rejette-t-il la génération éternelle du Fils par le

Père que proposait par Origène ? Ephrem Boularand repère au moins trois raisons105

:

- Si Dieu engendrait éternellement le Fils, cette génération s’opérerait par une division

de la substance divine et introduirait en elle un changement. Or, par définition, Dieu

est l’être simple, immuable, indivisible, incorporel.

103 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, o. c. , 3, 1-3.104 ARIUS, la Thalie , extraits qui portent la dénomination de « blasphèmes d’Arius », trad. Y. N. LELOUVIER.,« L’affaire Arius : Jésus est-il Dieu ? », dans Notre histoire, 171-172, 1999, p. 26.105 ÉPHREM BOULARAND, o. c. , p. 69.

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- La génération éternelle ferait exister le Fils en même temps que le Père, de toute

éternité. Il y aurait donc deux principes inengendré. Le Fils « toujours engendré »

( ) serait « inengendré-engendré » ( ), ce qui est contradictoire.

- Le Fils émanerait du Père à la manière des éons gnostiques. Or Dieu est l’Un, la

monade, d’où rien ne peut jaillir.

Ces trois arguments d’Arius peuvent être résumés en un seul : une génération en

Dieu détruirait Dieu106

. En s’appuyant sur l’Écriture, Athanase arrive d'une part à

démontrer la fausseté d’un telle doctrine et d'autre part à faire exclure Arius de la

communion de l’Église. Les deux slogans ariens : « il y eut un temps où Dieu n’était pas

Père » et « le Fils n’existait pas avant son engendrement » sont considérés comme faux

dès le départ. Aux yeux de l’évêque alexandrin, le temps est une créature de Dieu. Or

Dieu est éternel et « il existe par lui-même », il ne peut pas être soumis au temps.

L’argumentation biblique permet à Athanase de défendre l’éternité du Fils. Tout

d’abord, la Bible n’utilise jamais des termes de temporalité pour décrire le Fils. Au

contraire, on rencontre dans les textes sacrés des termes comme « toujours », « éternel »,

« coexistant toujours avec le Père ». Par conséquent, les deux thèses ariennes sont

médiocres et il est impie d'imaginer qu’il y avait un temps qui précédait l’existence du

Fils. Les Écritures affirment que le Fils est le créateur du temps107

:

Le temps est ajusté par des phrases : « une fois n’était pas » et « avant qu’il soit » et « quand »

et cela peut être dit de l’origine des choses et des créatures, qui son venus à l’existence « ex-

nihilo ». Ils sont étrangers au Verbe.108

Athanase veut convaincre les partisans d’Arius que la substance du Fils est différente

de la substance des choses créées. Il inscrit la relation du Fils avec le Père comme étant

une relation basée sur la substance ( ). Souvent, Athanase accuse les Ariens de mal

utiliser la Bible. Les « Blasphèmes d’Arius » sont la preuve la plus éclatante qu’Arius

veut faire dire aux Écritures ce qu’il pense lui-même de l’éternité du Verbe. Or la Bible

doit être lue et interprétée à la lumière de l’expérience pascale que les Apôtres ont vécue

avec le Christ, le Fils de Dieu fait homme pour notre salut.

106 R. ARNOU, « Arius et la doctrine des relations trinitaires », dans Gregorianum, 1933, p. 269-272.107 Comme son prédécesseur Alexandre, Athanase cite Jn 1, 3 « toutes choses ont été faites par lui » ;Hb 1, 2, « par qui il a fait les anges » ; Ps 145, 13 « Que ton règne est un règne pour tous les âges ».108 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA I, 13

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b. Motifs de l’incarnation

Dans le système doctrinal des Ariens il manque la notion d’amour. C’est grâce à

l’amour qui existe éternellement entre le Père et le Fils que l’économie du salut

s’accomplit par l’incarnation du Fils. C’est grâce à la philanthropie divine que l’homme

bénéficie du salut de Dieu en Jésus Christ. Dans la conception sotériologique

athanasienne soutenir que le Fils est une créature a des conséquences dramatiques pour

le salut, car une créature ne peut en aucun cas donner le salut à d’autres créatures.

C’est pourquoi, l’évêque réagit à la doctrine arienne et construit son discours théologique

autour de l’incarnation du Verbe, celui-ci étant l’unique éternel engendré par le Père.

Ainsi, dans le traité Sur l’incarnation du Verbe, il mentionne deux motifs de

l’incarnation : relever l’homme et détruire la mort d'une part, restaurer la

connaissance du vrai Dieu d'autre part.

Premier motif :

Puisque j’ai à parler de la venue du Sauveur, il me faut parler aussi des débuts de l’humanité :

tu verras que nous avons été cause de sa venue, que notre transgression a excité la bénignité du

Verbe si bien que le Seigneur est descendu vers nous et a apparu parmi les hommes. Nous

avons été l’objet de son Incarnation et pour nous sauver il a été bon jusqu’à exister et se monter

dans un corps mortel… Car Dieu ne nous a pas seulement faits du néant mais nous a accordé de

vivre selon Dieu par la grâce de son Verbe. Les hommes se sont détournés des choses éternelles

et par la transgression du diable, s’étant inclinés vers la corruption, ils ont été la cause de leur

propre déchéance dans la mort. Ils étaient corruptibles par nature, il est vrai, mais par la grâce

de la participation du Verbe, ils auraient échappé à leur sort naturel s’il étaient restés bons.109

Deuxième motif :

Que devrait faire Dieu ? Que faire sinon renouveler la similitude de l’image pour que par elle

les hommes puissent de nouveau le connaître ? Comment y arriver si l’Image même de Dieu

n’était venue à nous, notre Sauveur Jésus Christ ? L’intervention des hommes était impuissante

puisqu’eux aussi sont seulement conformes à l’image ; les anges n’y pouvaient rien non plus

puisqu’ils ne sont pas images. Le Verbe de Dieu vient en personne, pour qu’en sa qualité

d’Image de Dieu il pût recréer l’homme selon l’image. Cela ne pouvait se faire si la mort et la

corruption ne disparaissaient pas ; il a donc convenablement pris un corps mortel pour y faire

disparaître à jamais la mort et renouveler les hommes selon l’Image. On n’avait besoin pour

cela que de l ’Image du Père… le Verbe s’est partout déployé : en haut, en bas, dans la

profondeur et la largeur ; en haut pour la création, en bas pour l’incarnation, dans la

profondeur pour l’enfer, dans la largeur pour le monde ; tout est plein de la connaissance de

Dieu.110

C’est donc la philanthropie et la bonté de Dieu qui sont à la base de l’incarnation. Pour

Athanase, il est impossible de bâtir une théologie saine et recevable sans s’appuyer sur

les grands moments de l’économie du salut : création, alliance, prophéties,

109 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, 4-5.110 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe , 13-16.

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accomplissement. C’est pourquoi, la conviction qu’il veut transmettre aux fidèles est que

l’incarnation ne peut être conçue en dehors de la promesse divine de salut de l’humanité.

Dans cette perspective, l’évêque d’Alexandrie ne voit pas la chute de l’homme comme

une fatalité mais comme une occasion pour l’homme d’expérimenter et de bénéficier de la

philanthropie et de la bonté de Dieu :

S’il ne l’avait pas fait, nul motif de mettre en cause sa faiblesse ; mais l’ayant fait et créé dans

l’être, il était tout à fait absurde de laisser périr ses œuvres, et surtout sous les yeux de leur

auteur. Il ne convenait donc pas de laisser les hommes se faire entraîner par la corruption,

parce que cela était inconvenant et indigne de la bonté de Dieu.111

Pour notre docteur, l’union du Verbe avec un corps humain est une véritable

source de vie « où l’être de tout homme peut se renouveler comme dans une fontaine de

jouvence »112

. La démarche méthodologique d’Athanase est résumée par

Kannengiesser113

dans un double mouvement :

- des œuvres visibles et contingentes du Verbe créateur et Sauveur Athanase nous fait

remonter au rapport invisible et nécessaire entre le Verbe et son Père, mais sans nous

laisser pénétrer dans l’intime secret de ce lien constitutif de la divinité ;

- en sens inverse, à partir du Verbe, posé comme cette image dont l’égalité avec le Père

est partout soulignée avec insistance, nous sommes introduits au plus intime de l’être

humain, là où, dans la clarté du originel, se réfléchit le rapport secret de

tous les êtres à leur créateur.

Bref, à travers les motifs de l’incarnation, l’évêque alexandrin exprime sa pensée

théologique fondamentale : seul le Verbe de Dieu était capable de nous donner

l’immortalité comme bien définitif et nous redonner la connaissance du vrai Dieu. Ici se

trouve la grande originalité d’Athanase.

c. Le Fils consubstantiel au Père

Alexandre d’Alexandrie réagit le premier contre la doctrine d’Arius qu’il avait

nommé curé de la grande paroisse de Baukalis. En 324, il réunit un synode dans la

grande métropole et Arius est rejeté de la communion de l’Église. À Nicée, en 325, les

pères conciliaires ne font que répéter et officialiser, si besoin était, l’excommunication

d’Arius et de ses partisans. Pour exprimer la foi de l’Église en la divinité du Fils, le

Symbole de foi composé à cette occasion « invente » un mot « -

111 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, o. c. , 6, 9-10.112 CH. KANNENGIESSER, dans Sur l'incarnation du Verbe , o. c., p. 61.

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consubstantiel ». Désormais, pour garder la communion de l’Église il faut croire que le

Fils est consubstantiel au Père, c’est-à-dire de la même substance que lui. Ainsi, ayant

une substance commune avec le Père, le Fils peut jouir de tous les attributs divins :

éternité, gloire, toute-puissance, omniscience, etc. Dans l’esprit des nicéens, le mot

représente la marque même de la foi « orthodoxe ».

Cependant, le parti groupé autour d’Arius ne peut pas accepter cette

« invention » du concile pour deux motifs : d’une part il s’agit d’un terme non-biblique,

par conséquent il ne faut pas établir une théologie là-dessus, d’autre part, c’est un terme

qui a attiré la condamnation de Sabellius lorsqu’il voulait voir dans le Père, le Fils et le

Saint-Esprit un seul Dieu mais plusieurs « modes » de manifestations de la divinité114

.

D’ailleurs ce terme divise les partisans d’Arius en trois groupes plus ou moins

extrémistes :

- Basile d’Ancyre et ses disciples soutiennent que le Fils est seulement « semblable au

Père » quant à l’essence. Ils utilisent le terme « » et on les appelle

homéousiens.

- Acace de Césarée et son parti affirment simplement que le Fils est « semblable au Père

selon les Écritures ». Ils font appel au terme « » et on les appelle homéens.

- Eunome et ses partisans refusent toute ressemblance entre le Père et le Fils. Le Père et

le Fils sont des substances totalement différentes. Ils adoptent le terme « » et

on les appelle anoméens. C’est l’arianisme pur115

.

Or justement, le but du concile était d’éviter toutes ces « dérives ». Car si le Fils

est Verbe, Sagesse, Image et Splendeur de Dieu, alors il doit lui être consubstantiel.

Cela veut dire que le Fils est véritablement Dieu par nature comme le Père. Une fois

devenu évêque, Athanase, s’appuyant sur l’Écriture et la tradition apostolique,

démontre longuement les propriétés du Fils par l’énumération des similitudes avec le

Père. Selon notre docteur, le Fils n’a rien de commun avec les créatures, au contraire il

possède tous les biens du Père, c’est-à-dire qu'il est au Père. Si le Fils avait,

avec les créatures, une ressemblance et une parenté – , il leur serait

. Mais, comme le Fils est, selon l’essence, étranger aux créatures –

, le Verbe propre du Père, pas autre que lui, il s’ensuit qu’il est

au Père. De cette théologie d’Athanase sur l’ , le syllogisme suivant apparaît :

113 Idem, p. 73.114 J. T. LIENHARD, , « Basil of Caesarea, Marcellus of Ancyra and “Sabellius” », dans Church History, 58 (2),1989, p. 157-167.

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- Ceux-là sont consubstantiels qui se ressemblent et sont identiques entre eux ;

- Or, le Fils ressemble au Père et il lui est identique ;

- Donc, le Fils est consubstantiel au Père, par conséquent, il est Dieu véritable.

Même si le terme est étranger à l’Écriture, il se trouve sous-jacent à

certains textes portant sur la naissance du Fils dans notre monde par l’action de

l’Esprit-Saint (cf. Lc 1, 26-31), la résurrection le troisième jour (cf. Lc 24, 112 ; Mc 16,

1-8 ; Mt 28, 1-9) et l’éternité du Verbe (cf. Jn 1, 1-14). Le vocabulaire biblique révèle à

Athanase que le langage concernant le Fils est différent de celui concernant la création.

Les deux verbes utilisés : « engendrer » et « créer » indiquent bien la relation filiale par

nature existante chez le Fils et la relation de créature propre à l’humanité appelée à la

divinisation grâce à l’incarnation du Verbe. Tous ces signes révèlent la

consubstantialité du Fils au Père, encore faut-il donner son adhésion de foi :

S’il s’agissait d’un homme, il faudrait parler humainement de son verbe et de son fils ; s’il s’agit

de Dieu qui a créé les hommes, il ne faut plus penser humainement, mais se lever au-dessus de

cette nature. Tel est celui qui engendre, tel forcément est l’engendré ; tel donc est le Père du

Verbe, tel est son Verbe. L’homme, engendré dans le temps, engendre à son tour dans le

temps ; comme il vient du néant, son verbe a une fin et ne persiste point. Dieu n’est pas comme

l’homme, l’Écriture le dit, il est l’être (cf. Ex 3, 14) et il existe toujours ; son Verbe est donc

l’être et est éternellement avec le Père, comme la splendeur avec la lumière.116

Dans l’esprit d’Athanase défendre la consubstantialité du Fils affirmée à Nicée, c’est

marquer l’identité dans la ressemblance de deux personnes distinctes. Il s’agit d’une

unité spécifique de nature qui ne compromet pas la distinction numérique des

personnes117

. Deux textes bibliques sont utilisés par les Ariens. Le patriarche

d’Alexandrie les reprend et les interprète en tenant compte de la tradition de l’Église.

Tout d'abord Proverbes 8, 22 : Le Seigneur me créa, commencement de ses œuvres vers ses

voies

Ils disent : le Verbe est une créature, mais il a appris comme d’un maître et d’un artisan à créer

et ainsi il a servi d’aide à Dieu qui l’avait instruit. C’est ce qu’Astérius le sophiste, habile à nier

le Christ a osé écrire, n’apercevant pas l’absurdité qui s’ensuit. Si en effet on peut apprendre à

créer, qu’ils prennent garde qu’on ne vienne pas à dire que Dieu lui-même n’est pas créateur par

nature, mais par science, de sorte qu’il peut cesser de l’être. De plus si la Sagesse de Dieu doit

à l’enseignement l’art de créer, comment est-elle encore Sagesse, puisqu’elle demande des

leçons ? … Ici l’Écriture n’a pas voulu parler par la bouche de Salomon de la substance de la

divinité du Verbe, ni de la génération éternelle et authentique par le Père, mais de son

humanité et de son économie à notre égard. Ainsi n’a-t-il pas dit : “Je suis, ou je suis devenu

115 H. M. GWATKIN, The Arian Controversy, AMS Press, New York 1979, p. 41-60.116 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA II, 35, trad. F. Cavallera, o. c., p. 114.117 L. ROUGIER , « Le sens des termes , et dans les controverses trinitaires post-nicéennes » dans Revue de l'histoire des religions, t. 74 (1916) p. 61.

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créature”, “mais il a créé”. Les créatures dont la substance est créée, méritent ce nom de

créatures et le sont complètement ; le mot “créer” tout seul, ne se rapporte pas à la substance,

ou à l’origine, mais indique autre chose sur le sujet en question et celui à qui s’applique ce mot

“créer” n’est pas nécessairement créature par nature et par substance. 118

Ensuite, Philippiens 2, 6-10 : C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a fait don d’un nom…

L’Apôtre écrit : C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a fait don d’un nom au-dessus de tout nom pour

qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre, dans les enfers… Les Ariens ajoutent

comme quelque chose de subtil : Si c’est pour cela qu’il a été exalté, a reçu en don et a été oint,

il a reçu la récompense de sa volonté. Or agissant par la volonté, il est forcément de nature

changeante. Eusèbe et Arius, non contents de le dire, ont osé l’écrire et leurs sectateurs n’hésitent

pas à le répéter sur les places, sans savoir combien ce raisonnement est insensé. S’il a reçu en

prix de sa volonté ce qu’il possédait et n’a possédé que parce qu’il a montré les œuvres d’un

indigent, sa vertu et son progrès les lui ont valu et c’est à cause d’elles qu’on l’a dit Fils de

Dieu… Il a été exalté ne signifie pas que la substance du Logos est exaltée ; elle a toujours été

et est égale à Dieu, mais c’est l’exaltation de l’humanité. Cela n’est pas dit avant l’incarnation du

Logos pour rendre évident que les mots s’est humilié et exalté s’appliquent à l’homme. Ce qui est

abaissé peut être exalté et s’il s’est humilié en prenant la chair l’exaltation se rapporte au

même fait. 119

Il s’abaissa lui-même en notre faveur, pour qu’en son abaissement, ce soit plutôt nous qui

puissions grandir. Mais notre croissance n’est rien de moins que de nous détacher des réalités

sensibles et de devenir le Logos même.120

Ces textes montrent bien la manière dont Athanase entend faire de la théologie à partir

des textes bibliques. À l’interprétation d’Arius et de ses partisans, l’alexandrin oppose

une exégèse traditionnelle où les arguments théologiques décident de l’interprétation

d’un verset biblique. Sa foi et son amour du Verbe de Dieu fait chair lui ont donné la

profonde conviction qu’il n’a jamais cessé de transmettre : le Verbe est vrai Dieu et vrai

homme et nous sommes les bénéficiaires de cette incarnation.

3. L’Esprit-Saint

Lorsqu'Athanase vit son troisième exil dans le désert en compagnie des moines,

en 356-361, il reçoit une lettre de Sérapion, l’évêque de Thmuis, lui demandant des

explications précises sur l’Esprit-Saint. Celui-ci lui signale qu’en Égypte, certains se

sont certes séparés des Ariens et confessent la divinité du Fils, mais que ceux-ci ne

peuvent se résoudre à accepter la divinité de l'Esprit-Saint. Ces gens sont appelés des

118 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA II, 19 et 45, trad. F. Cavallera, o. c., p. 112 et 121.119 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA I, 37, et 41, trad. Cavallera, o. c. , p. 134-135 et 138-139.120 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA III, 52, trad. Kannengiesser, Athanase d’Alexandrie évêque et écrivain, o. c., p.355.

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« tropiques » ou « pneumatomaques ». Athanase prend alors sa plume et écrit les

fameuses Lettres à Sérapion sur le divinité du Saint-Esprit121.

Dans ces lettres, il interroge les Tropiques sur la manière dont ils conçoivent

l’unité du Père et du Fils et il leur reproche de dire de l'Esprit Saint qu'il est une

créature alors qu'il est l’Esprit de la Trinité ? En exigeant d’eux une conception

cohérente de la divinité, ou entièrement divine, ou entièrement créée, il met en évidence

le point faible de leur doctrine où la divinité devient un mélange de divin et de créé.

Cette théorie, ils l’ont forgée pour deux raisons. La première, c’est qu’ils font un

usage fréquent du mot « trope » comme étant une clé leur permettant de lire

correctement la Bible. C’est à cause de cela qu’Athanase les appelle des « Tropiques » :

« ils donnaient comme des “tropes”, écrit J. Lebon, c’est-à-dire, des figures des mots, des

manières de parler, certains termes des Écritures afin d’y trouver, grâce à ce procédé

d’interprétation, des arguments pour leur doctrine, ou d’éluder par le même moyen les

arguments de la doctrine orthodoxe »122

. L’utilisation de ces « tropes » permettait aux

hérétiques de reconnaître l’Esprit-Saint comme créature en deux textes bibliques. En

Amos 4, 13 : Car voici celui qui a formé les montagnes et créé le vent ( , et qui fait

connaître à l'homme ses pensées, et en I Timothée 5, 21 : Je te conjure devant Dieu, devant

Jésus-Christ, et devant les anges élus ( ) d'observer ces choses sans prévention, et de ne

rien faire par faveur. Dans le premier texte ils traduisent par Esprit, alors qu’il

s’agit du vent, et dans le second ils comprennent comme étant la troisième

personne de la Trinité parce qu’elle se situe après le Père et le Fils, alors qu’il s’agit des

messagers de Dieu. La seconde raison, c’est qu’ils réduisent le mystère divin à des

connaissances et des attitudes humaines. Athanase intervient pour leur dire, comme il

l’avait fait pour les Ariens, que la divinité ne peut pas être conçue avec les catégories de

pensée que l’on a coutume d’appliquer aux êtres créés.

Ainsi, dans les Lettres à Sérapion, notre docteur formule contre cette nouvelle vague

doctrinale qui secoue l’Église d’Égypte trois griefs précis :

- ils inventent ce qui n’est pas dans les Écritures ;

- ils manifestent une curiosité indiscrète vis-à-vis du mystère de la divinité ;

- ils nient ce qu’ils ne peuvent concevoir d’après leur logique et leur raisonnement

humain.

121 La tradition manuscrite compte quatre Lettres d’Athanase à Sérapion sur la divinité de l’Esprit-Saint.Cependant, l’édition de Monfaucon ne sépare pas la IIe de la IIIe lettre qui a l’origine n’en faisaient qu’une.Dans la première partie (lettre II) l’auteur résume sa doctrine christologique pour mieux situer le problème destropiques, et dans la seconde partie (lettre III) il s’acquitte de la demande faite par Sérapion de résumer lapremière lettre (cf. J. Lebon, o. c. , p. 31-32).

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Et parce qu’ils sortent comme argumentation des textes bibliques, Athanase reprend les

mêmes textes pour leur montrer la fausseté d’interprétation et l’erreur dans laquelle ils

se noient s’ils n’acceptent pas la foi traditionnelle de l’Église qui donne le baptême au

nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Cf. Mt 28, 18-19) :

Voici ce que dit Athanase à propos d'Amos 4, 13 :

Eh bien, le texte d’Amos, vous l’avez lu ! … le terme employé par le prophète, vous ne

l’interprétez pas, mais dès que vous avez entendu le terme , vous avez pensé que l’Esprit-

Saint était une créature ! … Or la parole du prophète ne vise pas le Saint-Esprit, mais

mentionne simplement un . Comment donc, alors qu’il y a dans les Écritures, une très

grande diversité quant aux , et que ce terme peut avoir (ici) sa signification spéciale

correcte, vous, en disputeurs ou en hommes infectés par la morsure du serpent arien, pensez-vous

que c’est Esprit-Saint qui est désigné par Amos, pour ne songer qu’à le croire créature. Dites-

nous donc si, en quelque endroit de la divine Écriture, vous trouvez le Saint-Esprit appelé

simplement pneu'ma, sans addition des mots, soit « de Dieu, soit « du Père », soit « le mien »,

soit « du Christ même et du Fils », soit « (donné) par moi », c’est-à-dire, par Dieu, ou bien (sans

addition de) l’article, en sorte qu’il soit dit, non pas simplement « esprit », mais bien « l’Esprit,

ou encore « cet Esprit même », ou « (l’Esprit) Consolateur », ou « (l’Esprit) de Vérité »… Bref,

sans l’article ou l’addition susdite, jamais l’Esprit-Saint n’est marqué.123

Et à propos de 1 Timothée 5, 21 :

Pour eux, ils disent, que puisque (Paul) a cité Dieu et le Christ et ensuite les anges, l’Esprit est

nécessairement compté parmi les anges, et de leur rang lui aussi, et (n')est (qu')un ange

supérieur aux autres. Tout d’abord, cette invention appartient à l’impiété de Valentin, et ces

gens n’ont pas pu cacher qu’ils adoptent son langage, car il a dit que lorsque le Paraclet fut

envoyé, les anges de même âge furent envoyés avec lui, ni non plus qu’après avoir rabaissé

l’Esprit parmi les anges, ils rangent (ces derniers avec lui) dans la Trinité. Car si, comme ils le

pensent, les anges prennent place après le Père et le Fils, les anges appartiennent évidemment

à la Trinité ; ils ne sont plus des « esprits serviteurs envoyés pour le ministère » (cf. Hb 1, 14) ;

ils ne sont plus sanctifiés, mais ils seraient plutôt sanctificateurs des autres. Pourquoi donc la

folie extrême de ces gens ? Encore une fois, en quel endroit des Écritures ont-ils trouvé l’Esprit

appelé ange ? Il faut bien que je redise ce que j’ai déjà dit. Il a été appelé Consolateur, Esprit

de filiation par adoption, Esprit de sanctification, Esprit de Dieu, Esprit du Christ.124

En donnant une interprétation traditionnelle de ces deux textes bibliques,

Athanase entend se situer en porte-à-faux avec la doctrine des tropiques qui ne veulent

pas reconnaître l’esprit arien qui les anime. Cependant, tout en affirmant haut et fort

que l’Esprit-Saint n’a rien d’une créature, et tout en lui accordant tous les attributs

divins y compris la consubstantialité avec le Père et le Fils, l’évêque d’Alexandrie ne

nomme jamais l’Esprit-Saint Dieu. Il faut attendre Grégoire de Nazianze pour que la

divinité du Saint-Esprit soit explicitement affirmée.

Quant à la procession de l’Esprit, Athanase doit aussi répondre aux blasphèmes

des pneumatomaques. Pour eux, dire que l’Esprit vient du Père, cela signifie qu'il est

122 J. LEBON, id., p. 42.123 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion , I, 3-4.124 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion , I, 10-11.

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engendré comme le Fils, et qu'il est donc frère du Fils. Si l’Esprit vient du Fils, il est

alors fils du Fils et petit-fils du Père. La réponse de notre docteur est de leur montrer

que l’origine de l’Esprit ne peut être une génération. Par conséquent, l’Esprit n’est

engendré ni du Père ni du Fils, car dans une génération il n’y a que des relations de père

à fils. Dans la IVe Lettre à Sérapion, l’alexandrin décrit, à l’aide de l’Écriture et de la

tradition grecque la dérivation réelle de la substance divine du Père par le Fils dans

l’Esprit mais il avoue en toute simplicité qu’il n’en connaît pas le nom :

Il suffit de savoir que l’Esprit n’est ni créature, ni compté parmi les œuvres : en effet, rien

d’étranger n’est mêlé à la Trinité, mais elle est indivise et semblable à elle-même. Cela suffit

aux fidèles ; c’est jusque-là que parvient la connaissance humaine, jusque-là que les chérubins

étendent le voile de leurs ailes. Qui cherche et veut scruter davantage ne tient pas compte de

celui qui dit : « Ne sois pas habile à l’excès, de peur que tu ne sois pas frappé de stupeur » 125

Ce que nous pouvons dire du mystère de la procession de l’Esprit-Saint, c’est seulement

ce qu’il a voulu nous dire lui-même, car c’est lui qui a dicté les Écritures. Pour l’instant,

Athanase peut affirmer, sans craindre de se tromper ou de fausser les textes inspirés,

que l’Esprit-Saint vient du Père par le Fils en une dérivation réelle et naturelle qui

n’est pas une génération.

4. La Trinité

Quelle théologie de la Trinité pouvons-nous dégager après avoir vu brièvement

l’essentiel de sa pensée sur les trois personnes divines ? Athanase reconnaît souvent que

le langage humain est bien pauvre pour exprimer toute la richesse d’un si grand

mystère. La plupart du temps l’évêque alexandrin parle des rapports du Père et du Fils

sans mentionner l’Esprit-Saint. Cependant, il est présent dans son esprit parce qu’il

parle de la Trinité. D’ailleurs, les Pères grecs voient entre le Fils et l’Esprit les mêmes

rapports qu’entre le Père et le Fils, sauf la génération. L’Esprit Saint est l’image du Fils

comme le Fils est l’Image du Père. Affirmer que l’Esprit est l’Image du Fils signifie que

l’Esprit reçoit la divinité par une dérivation naturelle et directe du Fils sans que celui-

ci perde la dépendance immédiate du Père. Contre les pneumatomaques, Athanase

affirme que l’Esprit n’est pas engendré par le Fils comme lui-même est engendré par le

Père, mais il contribue en commun accord avec le Père à la procession de l’Esprit qui est

l’Image de l’Image sans être le Fils du Fils ou le petit-fils du Père. Ces relations

125 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion , I, 17.

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d’origine unissent les personnes divines en les rendant inséparables les unes des autres

au plan de la substance et leur donne l’originalité d’une personnalité au sein de la

Trinité. Le Père, le Fils et l’Esprit-Saint forment une seule divinité éternelle et

consubstantielle, égale en honneur et en gloire.

Sans entrer dans la querelle philosophique et épistémologique des mots « nature »,

« substance », « hypostase », « personne », qui ont jeté les bases de la théologie trinitaire

au IVe siècle, notre docteur veut, avant tout, donner une catéchèse compréhensible pour

ses fidèles sur la Trinité. Le conseil qu’il laisse aux chrétiens est d’éviter les calomnies

et les blasphèmes des Ariens et des Tropiques qui acceptent du créé dans la Trinité

incréée :

Si le Verbe ne coexiste pas éternellement avec le Père, il n’y a pas de Trinité éternelle. Il y a

eu d’abord monade et, par accroissement plus tard la Trinité. Ainsi, avec le temps, selon leur

opinion, s’accrut et se constitua la connaissance de la théologie ( ). De même si le Fils

n’est pas engendré en propre de la substance du Père, mais est issu du néant ; il y eut un temps

où n’existait pas la Trinité, mais seulement la monade. La Trinité est ainsi tantôt incomplète,

tantôt complète ; incomplète avant la production du Fils, complète après… Chose pire, la

Trinité se trouve être dissemblable en elle-même, composée de natures et de substances

étrangères et sans rapport, ce qui revient à dire que la Trinité dans sa formation est produite…

La Trinité n’est pas produite mais éternelle ; unique est la divinité dans la Trinité, unique la

gloire de la Sainte Trinité.126

La grandeur de la foi chrétienne consiste à faire confiance à la parole de Jésus qui

ordonna à ses Apôtres d’aller et de baptiser au nom du Père et du Fils et du saint Esprit

(cf. Mt 28, 18-19) et aucunement au nom du Créateur et de la créature :

Il y a donc une Trinité sainte et parfaite, reconnue comme Dieu dans le Père et le Fils et le

Saint-Esprit ; elle ne comprend rien d’étranger, rien qui lui soit mêlé de l’extérieur ; elle n’est

pas constituée de créateur et de créé, mais elle est tout entière vertu créatrice et productrice ;

elle est semblable à elle-même, indivisible par sa nature, et unique en son efficience. En effet,

le Père fait toutes choses par le Verbe dans l’Esprit, et c’est ainsi que l’unité de la Sainte

Trinité est sauvegardée, ainsi que, dans l’Église, est annoncé un (seul) Dieu, (« qui est) au-dessus

de tout et (agit) par tous et (est) en tous » : « au-dessus de tous » comme Père, comme principe

et source, « par tous » par le Verbe, « en tous » dans l’Esprit-Saint.127

Athanase aime parler du grand mystère trinitaire en utilisant des images de la vie

quotidienne (la source, la lumière, la filiation). Le docteur alexandrin est conscient que

Dieu échappe toujours à notre compréhension. S’il utilise ces analogies, c’est pour édifier

la foi et faire grandir en ses auditeurs la piété envers le Dieu trine :

Le Père étant la source et le Fils étant appelé fleuve, on dit que nous buvons l’Esprit. Car il a

été écrit : Tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit » (1 Co 12, 13). Mais, abreuvés de

l’Esprit, nous buvons le Christ, car : « ils buvaient à un rocher spirituel qui le suivait. Or, ce

rocher, c’était le Christ »128

126 ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA I, 17.127 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion , I, 28.128 ATHANASE D'ALEXANDRIE, Lettres à Sérapion , I, 19.

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Le Père étant donc la lumière et le Fils étant son éclat…, on peut voir aussi, dans le Fils,

l’Esprit par lequel nous sommes illuminés.129

Alors que le Christ est le vrai Fils, nous, en recevant l’Esprit, nous sommes faits fils : « car ce

n’est pas un esprit d’esclavage que vous avez reçu, pour (retomber dans) la crainte, mais c’est

l’Esprit de fils par adoption que vous avez reçu » (Ro 8, 15). Mais, faits fils par l’Esprit, il est

clair que c’est dans le Christ que nous sommes appelés enfants de Dieu, car : « Quant à tous

ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).130

Ces réflexions sur la théologie trinitaire chez Athanase d’Alexandrie nous ont

fait pénétrer un peu plus l’âme et le cœur du pasteur qui a marqué à jamais le quatrième

siècle au point que les historiens parlent même du « siècle d’Athanase »131

. Notre

habileté à appeler Dieu « Père » est due à la présence du Verbe et, par suite, de l’Esprit à

l’intérieur de nous. Quand les Apôtres demandent à Jésus de leur apprendre à prier, il

leur donne cette prière, devenue la prière par excellence des chrétiens : Notre Père. Du

point de vue d’Athanase, il est essentiel pour tout homme que le don de l’Esprit-Saint et

l’unité avec le Père et le Fils transforme notre relation à Dieu et fasse de nous ses fils

d’adoption appelés au salut et à la vie bienheureuse au sein de la Trinité.

Avant de conclure, voici une représentation schématique des débats trinitaires

au IVe siècle. Elle veut essayer de rendre compte des représentations qui, de fait,

marquaient les spéculations théologiques de l'époque. Les théologiens n'étaient pas

encore capables de dire l'égalité et la divinité des trois personnes de la Trinité. Arius,

ses disciples, tout comme les Tropiques s'exprimaient à partir d'un schéma

créateur/créatures. Athanase préfère évidemment s'exprimer en termes de Père et de

Fils. Nous assistons ainsi à la confrontation de deux visions du monde.

129 Ibid., I, 19.130 Ibid., I, 19.131 CH. KANNENGIESSER, Le Verbe de Dieu chez Athanase d’Alexandrie, o. c., p. 23.

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« Triunité » : Père – Fils – Saint-Esprit 132

P P P P

F F F

Créateur

E-S

F E-S ?

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

E-S E-S

Créature

Arius Nicée 325 Tropiques Constnatinople 381

3 hypostases, pas 1 physis / ousia 2 hypostases 3 hypostases

de physis commune ou 1 hypostase 1 physis 1 physis

CONCLUSION

Athanase d’Alexandrie n’est pas un théologien systématique de la taille de

Clément ou d’Origène. Il n’invente rien en matière de théologie. Son grand mérite est

d’avoir su se montrer un pasteur soucieux de la foi de son peuple auquel il veut

transmettre ses convictions concernant le Christ, le Logos de Dieu fait chair,

convictions fondées sur les données de la révélation et de la tradition de l’Église. Sa

pensée est profonde et ses affirmations sublimes. Athanase, tout en exaltant Dieu qui

prend visage humain par l’incarnation, fait accéder son auditeur aux réalités

chrétiennes en l’invitant à emprunter, à la suite du Christ, la voie de l’humilité,

chemin obligatoire pour tout fidèle qui veut accéder aux réalités d’en haut : la

contemplation du Dieu véritable, l’incorruptibilité et l’immortalité.

Ce cours sur Athanase le Grand, un théologien amoureux du Verbe incarné, a

voulu introduire dans les vives discussions théologiques du IVe siècle. Elles touchent le

132 Christianity: essence, genius, nature , New York 1995, p. 299 (trad. John Bowden, Christentum : Wesen und

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mystère central de la foi chrétienne, celui qui fait son originalité : la Trinité. La

conviction que nous en retirons est qu’Athanase, à travers ses écrits, sa catéchèse, ses

homélies, se plaît à présenter le mystère de la Trinité divine à l’aide d'analogies et

d'images toujours neuves et parlantes qui montrent à quel point Dieu aime l’humanité.

Athanase élabore sa pensée théologique en se conformant à la foi de l’Église signée à

Nicée. Sa foi et sa piété, de même que son amour pour le Christ et sa conscience de

pasteur nommé par Dieu, lui ont donné une profonde conviction qu’il n’a jamais cessé de

transmettre : le Verbe est vrai homme et vrai Dieu. Pour accomplir son plan de salut, et

pour nous introduire à la filiation divine, Dieu n’a pas hésité à envoyer son Fils dans le

monde de sorte que « le Verbe s’est fait lui-même homme pour que nous soyons faits

Dieu »133

.

Geschichte, Munich 1994).133 ATHANASE D’ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, 54, 3.

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© www.patristique.org - Luc Fritz 12 / 2003

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