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5/21/2018 BastideRencontreDieuxAfricainsEspritsIndiens-slidepdf.com http://slidepdf.com/reader/full/bastide-rencontredieuxafricainsespritsindiens 1/15 LA COMMUNICATION AU COLLOQUE DE DAKAR La rencontre des Dieux africains et des Esprits indiens (octobre 1973) A qui souhaiterait une méditation parallèle au texte précédent, et qui lui soit approximativement contemporaine, le texte qui suit (I) aura de quoi combler son attente. I1 y retrouvera, en effet, non seulement le Spiritisme de Umbanda § 4 , mais aussi le candomblé d'abord dans ses différences avec le catimbó § l), puis dans sa différenciation en can- domblé bantou 6j 2 , puis dans son métissage dans la contexture de la macumba la compénétration ou la conflictualisation africaine-indienne s'accentuant d'un type à l'autre. Théogonies et théophilies s'entrelacent dans des pCripéties notées et annotées par ailleurs dans la communica- tion de Genève: Nous devons faire une première distinction: la possession par les esprits des Vieux Africains et la possession par les es- prits des Indiens. La violence n'apparait qu'avec la seconde et si elle n'apparait qu'avec la seconde, c'est que les représen- tations que le Brésilien se fait du Nègre et de 1'Indien règlent encore inconsciemment le déroulement de l'extase. Le Bré- silien en effet considère le Nègre comme foncièrement bon: il a conçu, au temps de l'esclavage, une idéologie du Noir de même nature que celle qui a donné aux U S A l'image de l'oncle Tom, i1 a rejeté dans l'oubli collectif le Nègre marrori ou rebelle pour ne garder que le Nègre soumis, respectueux. aimant son Maitre et se dévouant pour lui, comme un vieux Nota da Redação A comunicação acima foi publicada pelo Prof. Henri Desroche, Diretor de Estudos na Ecole des Hautes Etudes de Paris, no n.* 38 da revista Archives de Sciences Sociales des Religions como parte de uma coleta por ele organizada dos iiltimos trabalhos de Roger Bastide. sob o titulo de Roger Bastide: Ultima Scripta. Foram conservadas as notas originais da publicação francesa. 1) I1 s'agit, rappelons-le, d'une communication destinée a un congrès de Dakar: Le Président de Ia République du Sénégal, M Senghor, m'a demandC d'assister au Congrès sur le Brésil qu'il organise à Dakar et oh j'aurai le plaisir de retrouver plu- sieurs de mes collègues brésiliens, également invités. Je leur ai promis de faire un rapport sur Ia Rencontre des Dieux Africains et des Esprits Indiens en Amazonie. Congrès du 5 au I3 janvier 74 . C supra 11 A cette date, le rapport était assurément rédigé comme promis mais son auteur était déjà depuis plusieurs semaines hors d'état de se trouver au rendez-vous. Nous n'avons pas pu obtenir d'informations sur la publication des Actes de ce Congrès. Bastide, Roger. 1974. “La rencontre des Dieux africains et des Esprits indiens”.  Archives de Sciences Sociales des Religions 38: 19-28.  AfroAsia 12, 1976: 31-45.

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Roger Bastide sobre encontro entre afros e indígenas

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  • LA COMMUNICATION AU COLLOQUE DE DAKAR "La rencontre des Dieux africains et des Esprits indiens"

    (octobre 1973)

    A qui souhaiterait une mditation parallle au texte prcdent, et qui lui soit approximativement contemporaine, le texte qui suit (I) aura de quoi combler son attente. I1 y retrouvera, en effet, non seulement le Spiritisme de Umbanda ( 4 ) , mais aussi le candombl, d'abord dans ses diffrences avec le catimb ( l ) , puis dans sa diffrenciation en can- dombl bantou (6j 2), puis dans son mtissage dans la contexture de la macumba, la compntration ou la conflictualisation africaine-indienne s'accentuant d'un type l'autre. Thogonies et thophilies s'entrelacent dans des pCripties notes et annotes par ailleurs dans la communica- tion de Genve:

    "Nous devons faire une premire distinction: la possession par les esprits des Vieux Africains et la possession par les es- prits des Indiens. La violence n'apparait qu'avec la seconde et si elle n'apparait qu'avec la seconde, c'est que les reprsen- tations que le Brsilien se fait du Ngre et de 1'Indien rglent encore inconsciemment le droulement de l'extase. Le Br- silien en effet considre le Ngre comme foncirement bon: il a conu, au temps de l'esclavage, une idologie du Noir de mme nature que celle qui a donn aux U . S. A . l'image de l'oncle Tom, i1 a rejet dans l'oubli collectif le Ngre marrori ou rebelle pour ne garder que le Ngre soumis, respectueux. aimant son Maitre et se dvouant pour lui, comme un vieux

    Nota da Redao - A comunicao acima foi publicada pelo Prof. Henri Desroche, Diretor de Estudos na Ecole des Hautes Etudes de Paris, no n.* 38 da revista Archives de Sciences Sociales des Religions, como parte de uma coleta por ele organizada dos iiltimos trabalhos de Roger Bastide. sob o titulo de Roger Bastide: Ultima Scripta. Foram conservadas as notas originais da publicao francesa.

    (1) I1 s'agit, rappelons-le, d'une communication destine a un congrs de Dakar: "Le Prsident de Ia Rpublique du Sngal, M. Senghor, m'a demandC d'assister au Congrs sur le Brsil qu'il organise Dakar et oh j'aurai le plaisir de retrouver plu- sieurs de mes collgues brsiliens, galement invits. Je leur ai promis de faire un rapport sur Ia Rencontre des Dieux Africains et des Esprits Indiens en Amazonie. Congrs du 5 au I3 janvier 74". C. supra, 11. A cette date, le rapport tait assurment rdig comme promis mais son auteur tait dj depuis plusieurs semaines hors d'tat de se trouver au rendez-vous. Nous n'avons pas pu obtenir d'informations sur la publication des Actes de ce Congrs.

    Bastide, Roger. 1974. La rencontre des Dieux africains et des Esprits indiens.Archives de Sciences Sociales des Religions 38: 19-28.

    AfroAsia 12, 1976: 31-45.

  • chien, souvent battu, toujours content. La possession par les Esprits des Africains refl6te la persistance de ce streotype. L'Indien, au contraire, n'a pas accept l'esclavage (du moins le dit-on, car i1 y a bien eu un esclavae indien et des plus importants; mais ce n'est pas ce qui s'est passe rellement qiii nous intresse, ce sont les ides que l'on se fait de Ia ralit) ; i1 a lutt contre le Blanc, i1 a t vaincu sans doute, mais i1 a gard toute sa fiert d'homme libre; et c'est cette fiert d'hom- me libre, guerrier, vaillant, que Ia transe, par les esprits des Irr- diens, reflkte: la violence n'est donc pas au point de dpart expression de sauvagerie, mais expression d'un strotype ethni- que; seulement, la sauvagerie va utiliser le strotype pour mieux se faire accepter, comme dans le rve, te1 que Freud l'analyse, les pulsions du a se dguisent pour pouvoir passer impunment la censure; dans la macumba, Ia transe sauvage rprime s'autorise de la barbarie de 1'Indien pour exprimer, contre la culture blanche, une contre-culture en formation ou une anti-socit" (2) .

    Voil, l'auto-commentaire valeur prospective puisqu'il aura t prsent (en septembre) un mois avant Ia rdaction et plus de quatre mois avant Ia prsentation de Ia communication pour Dakar.

    Et voici le texte de cette communication, demeur, semble-t-il, indit et reproduit ci-aprs in extenso.

    On sait que les Africains, amens dans le Nouvc:iu Monde, ont apport avec eux leurs croyances et leurs cultcs et que, tout au moins dans certaines rgions du Brsil, de So Luiz do Maranho a Porto-Alegre, ils les ont conservs jusqu' aujourd'- hui avec Ia plus grande fidlit. Mais on connait aussi l'extra- ordinaire plasticit des cultures africaines, qui savent s'adapter aux plus divers milieux sociaux et culturels pour pouvoir sur- vivre dans d'autres environnements que leur environnement origine1 . Cependant, les anthropologues se sont surtout int- resss aux phnomnes d'adaptation des candombls africains la socit des blancs et la culture luso-catholique. Ce qui se comprenait, car I'poque de leurs recherches, le problme des relations entre les dieux africains et les divinits ou les es- prits des Amrindiens tait un problme relativement secon- daire. Mais depuis trois ou quatre dcennies deux faits nou- veaux se sont produits:

    1) Une migration plus intense entre le Maranho et 1'tat de Par en Amazonie. Belm do Par qui n'avait que 400 000 h. en 1960 en a plus de 570 000 en 1970, et toute Ia

    (2) Loc. cit., pp. 130-131 et l'ensemble de I'analyse pp. 130-134. (Cf. infra, Vl).

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  • politique du gouvernement actuel du Brsil, pous dconges- tionner la rgion du Nord-Est, trop peuple, et peupler 1'Ama- zonie, dsert de population, travers une route conue en vue de drainer les populations misreuses du Nord-Est, la Par-Ma- ranho, tend intensifier cette migration; or les Afro-Bresi- liens du Nord-Est y rencontrent une religion populaire in- dienne, la paglance, avec laquelle ils doivent se confronter.

    2) Plus au sud. le Spiritisme de Umbanda, dont le dve- loppement est spectaculaire (on parle parfois de plusieurs millions de fidles) , tente de crer une religion nationale qui syncrtiserait les apports culturels des trois grandes races cons- titutives de la population brsilienne, amrindienne, euro- penne et africaine; ce qui pose toute une srie de questions intressantes justement sur les apports respectifs des Amrin- diens et des Africains l'intrieur de ce syncrtisme, volon- taire et, par consquent, cohrent. C'est pourquoi nous avons choisi comme objet de notre contribution ce Colloque l'tu- de de la rencontre et du mariage des Dieux africains et des Esprits indiens dans le Brsil d'aujourd'hui. TYPOLOGIE

    1. Au dbut, les deux religions, dans leurs formes popu- laires et classiques, coexistent sans se pntrer, sous les noms de candombl et de catimb. Le premier surtout dans les r- gions de forte densit de la population de couleur, le second surtout dans les rgions de cabocles, plus ou moins mtisss d'Indiens. Les deux sont radicalement diffrentes. Pour me borner quelques traits: la transe dans le candombl est pro- voque par la musique (sauf une seule fois, au cours de l'ini- tiation, o la candidate prend un bain de "feuilles") ; la transe au contraire dans le catimb est provoque soit par le tabac, aval plus que fum (surtout chez les Indiens les moins accul- turs), soit surtout par un hallucinogne tir des racines d'une mimose du serto, le jurema. La transe, dans le candombl, atteint ou peut toucher tous les fils et filles de Santo, c'est--dire toutes les personnes qui ont subi l'initiation,'alors que dans le catimb, i1 n'y a pas d'initiation des masses; seul le chef du culte reoit les Esprits qui communiquent, travers lui, avec les fidles. Le Maitre du Catimb, au cours d'une mme sance, peut recevoir successivement plusieurs esprits; plus i1 en reoit et plus i1 est considre puissant; au contraire chaque initi dans le candombl ne reoit qu'un seul dieu africain ( de trs rares exceptions prs) . La danse, enfin, qui constitue la base de tout culte africain, est absente du catimb, o ce qui est fondamental est le "discours" tenu par les esprits travers le Maitre qui est devenu leur receptacle. L'inter-communi-

  • cation, d'un ct, est donc gestuelle et musicale; de l'autre, elle est orale.

    Les candombls traditionnels (Engenho Velho, le Gan- tois, Opo Afonja; la Maison des Minas. . .) continuent re- pousser toujours toute interfrence avec les religions in- diennes pour se maintenir dans la fidlit des cultes ances- traux, Yoruba ou Fon. Nanmoins, j'ai souvent entendu dire que tout candombl yoruba contient en son sein un "cabocle", sans avoir pu dnouer le mystkre de cette prksence, puisqu'il n'apparait pas dans le culte, du moins en tant que cabocle. Une des explications qui m'ont t proposes, c'est que celui que les prtres du candombl appelleraient le "cabocle" ne serait autre que Oxossi, qui est un dieu authentiquement afri- cain, le dieu de la chasse, sans aucun rapport avec les esprits des Indiens, sauf que comme eux i1 est arm d'un arc et d'une flche. Si cette interprtation est exacte l'identification d'Oxossi avec un esprit cabocle ne serait qu'une affirmation usage externe, de faon montrer que, malgr leur volont de continuer I'Afrique, les membres des candombls sont de bons Brsiliens, patriotes et nationalistes. En tout cas le pro- blhme est pos, de cette premire forme, qu'elle soit apparente ou relle, d'union des deux types de cultes.

    2. Le deuxihme type est celui que l'on rencontre dans un grand nombre de candombls bantous, les Bantous tant moins ferms que les Yoruba ou les Fon aux influences ext- rieures; c'est le candombl de cabocle. I1 s'agit ici de la coe- xistence, dans une mme secte, de deux cultes, chacun restant autonome par rapport l'autre. Certains jours de l'anne, on clhbre les dieux africains en suivant les mmes squences rituelles que les candombls classiques, et d'autres jours - en particulier le 2 octobre, une fte nationale du Brsil -, on clbre les cabocles.

    Mais cette coexistence ne manque naturellement pas d'avoir des effets acculturatifs sur l'un et l'autre culte. D'abord, par rapport au catimb: changement des instruments de musi- que (le tambour remplace la maraca des Indiens) ; surtout, la transe est gnralise; elle n'est pas privative au Maitre ou i son apprenti; tous les "initis" de la secte peuvent, tour de role, tomber en transe quand on invoque leur esprit indien; enfin, le candombl de cabocle est un candombl dans, tout comme le candombl africain, bien que les danses soient diff- rentes puisqu'elles rptent dans le second les mythes des dieux, tandis que dans le premier, elles sont une initiation des danses guerrires des Indiens "sauvages". En second lieu, par rapport au candombl yoruba: maintenant tout fils ou fille de Saint a deux divinits dans Ia tte au lieu d'une seule, une

  • divinit africaine et un esprit indien, ce qui entraine par voie de consquence une modification de l'initiation, car i1 faudra un moment donn de son parcours planter l'esprit indien dans la tt du candidat ou de la candidate, ct de son dieu propre, africain. Cependant, encore une fois, ces deux cultes restent spars: le cabocle ne vient pas quand la cr- monie est ddie aux orisha yoruba, on ne l'appelle d'ailleurs pas par ses cantiques appropris, et rciproquement, les orisha restent tranquilles dans le candombl des cabocles. Tout de mme cette coexistence pose quelque embarras: ne peut-i1 pas y avoir opposition entre le caractre de l'orisha et celui du cabocle qui se disputent la mme personne? Joozinho da Go- mea rpond cette difficult en tablissant une srie de cor- respondances entre les orisha et les cabocles (dans le mme genre que celles que l'on tablit ailleurs entre les orisha et les saints du catholicisme) , ce qui fait que ce serait le mme "pouvoir" qui, sous des noms diffrents, possderait la mme personne. Mais i1 ne s'agit 1 que d'une rationalisation aprs- coup, car i1 suffit de demander un individu son orisha et son cabocle pour s'apercevoir que le cabocle n'est que trs rare- ment le correspondant, dans le dictionnaire de la tradition orisha cabocle, de son orisha personnel. Et d'ailleurs, s'il y a 12 grands dieux africains, les esprits des cabocles, eux, sont lgion .

    Nous pourrons ranger dans ce second type le Ballassu de Belm do Par, dcouvert par la mission Mrio de Andrade en 1938, mais disparu aujourd'hui, dans leque1 les deux cultes coexistaient bien aussi, mais taient spars dans l'espace: les dieux africains dans le pegi et les "encantados" (ou ca- bocles) dans le Royaume de Aruanda, les premiers diviss en familles gnalogiques, les seconds en districts clestes.

    3. Nous faisons un pas plus dans l'entrecroisement des deux cultes avec la macumba carioque. Dieux africains, en effet, et esprits de la mythologie indienne sont appels venir s'incorporer dans leurs fidles au cours de lu mme crmonie et non, comme pour le candombl des cabocles, dans des crbmonies diffrentes. Cependant, i1 y a des questions de pr- dance; les dieux africains viennent les premiers, Ies cabocles apparaissent la fin; les deux cultes restent donc, comme dans le type prcdemment dcrit, autonomes, ils ne se m- lent pas, ils coexistent seulement. Ce qui s'est produit, c'est une espce de contraction du temps sacr qui, au lieu de s'tirer tout le long de l'anne en ftes alternes, africaines, amrindiennes, les unit en un mme moment privilgi de Ia dure. En gros (nous disons bien en gros, cai- la macumba connait bien des variantes) , la crmonie-type comprend trois

  • parties. La premihre est l'incorporation et la danse des Esh. Le candombl classique commence aussi par I'invocation des Esh et de ce point de vue, la macumba suit bien l'ordre tra- ditionnel. Mais dans le pade d'Esh, qui ouvre le candom- bl, Esh est voqu en tant que dieu intermdiaire; i1 est celui qui ouvre le chemin, en I'occurrence le chemin qui relie le monde profane au monde sacr, pour que les orisha puissent descendre; mais cette vocation n'est jamais accompagne de danses et de crises de possession; Esh ne s'incorpore jamais et s'il dsire, pour une raison ou pour une autre, faire une rvlation aux hommes, ils ne le fait que par I'intermdiaire de Ogun qui est son frkre et qui lui, peut descendre. Dans la macumba au contraire, Esh entre dans la tte de ses enfants, et les crises de possession qu'il provoque sont particulire- ment spectaculaires, parce qu'Esh est considr ici non comme celui qui ouvre les chemins, mais comme une entit dmo- niaque, mchante, dangereuse. La deuxime partie de la cr- monie est la partie africaine; ce sont les mmes divinits que celles des candombls qui montent leurs chevaux, Ogun, Ye- manja, Shangb, etc.; on retrouve les mmes danses souvent et les mmes rythmes musicaux que dans le Nordeste. La derniere partie est celle ou les divinits indiennes, comme Tupan (le dieu tonnerre) , Jurupari (le dieu hros-culturel amazonien) , ainsi qu'une quantit disparate d'esprits indiena, des forts, des cascades, des lacs, des pierres, possdent les fils et les filles des Saints.

    On nous permettra de faire ici deux remarques: cette di- vision ternaire du culte se retrouve, sous une forme d'ailleurs diffrente, dans le Vaudou de Haiti qui comprend galement trois parties: la descente des grands Zoa dahomens; la des- cente des "cousins" Zerka, c'est--dire des dieux paysans; en- fin, l'arrive des Morts des cimetires. Ce qui fait que l'on peut se demander si Ia mentalit de I'Africain ne rpugne pas la confusion des genres et n'est pas une mentalit de compartimentage des entits spirituelles. Ce qui expliquerait pourquoi, en gros, le mlange dans une mme crmonie de dieux africains et d'esprits amrindiens ne va pas jusqu' l'anar- chie et que les deux cultes se suivent plus qu'ils ne se pn- trent proprement parler. La deuxime remarque, c'est que, avec l'arrive des multres et des blancs de Ia classe basse dans la macumba, i1 est plus difficile d'imposer une discipline abso- lue dans l'ordre d'arrive de nos entits spirituelles. Nau$ avons par16 du grand nombre de variantes possibles de la irlu- cumba et i1 est certain que l'on tend passer de Ia sparation crmonielle de Ia partie africaine et de la partie indienne iI leur inter-pntration. Celle-ci se manifeste encore plus nette-

  • ment dans le culte syncrtique de Belm do Para, appel ba- tuque ou tambour.

    4. Enfin. le dernier type considrer est celui de Z'intC- gration, qui dfinit, mon sens, le spiritisme de Umbanda. 11 s'agit d'un culte rcent, qui date environ des annes 30, et qui a suivi l'introduction au Brsil du spiritisme des Blancs, c'est-adire du kardecisme, o les esprits africains certes des- cendaient parfois, mais ils taient imrndiatement chasss, car ils troublaient le culte de leurs plaisanteries de mauvais gout. I1 ne nous appartient pas ici de dcrire ce spiritisme, mais seu- lement d'tudier la liaison en lui des deux religions populai- res qui l'ont prcd, africaine et indienne.

    Notons d'abord aue le s~iritisme de Umbanda continue la macumba, qu'il est dans une certaine mesure une adaptation de Ia macumba Ia nouvelle socit urbaine, industrielle, ra- tionaliste. du Brdsil. Tout ce aui est tror, "africain" - les sa-

    I

    crifices sanglants d'animaux, par exemple, ou le rituel secret de l'initiation avec son "bain de sang" - est supprim. Mais malgr cela, se spiritisme retient beaucoup de la liturgie de Ia macumba, au point qu'il est parfois difficile de dire o commence l'un et finit I'autre. Notoris, en second lieu, que le spiritisme de Umbanda, comme son nom l'indique, est un "spiritisme", et que le spiritisme est non point une incorpo- ration des dieux, mais une incorporation des mes des morts dsincarns; par consquent, les orisha des candombls et de Ia macumba n e vont pius possder leurs fidles; comme nous le verrons dans un instant, ils continuent certes jouer un role, et important, mais d'une toute autre nature. Les crises de possessi& des mediums constituent bien touiours le centre du culte, mais ce sont maintenant les mes des anciens es- claves morts qui reviennent (os pretos velhos) : Pre Jean, P&re Joaquim, Tante Marie, etc., et qui reviennent pour "faire la charit" aux vivants, leur apporter le salut du corps (gu- rison des maladies) ou de I'me (purification des passions) .

    Le candombl et Ia macumba sont considrs et se consi- drent eux mmes comme des religions africaines. Par con-

    -

    tre, le sfiiritisme de Umbanda se considhre comme une - - j'aurais mme envie de dire, comme Ea - religion national du Brsil. En fait, la tres posse majorit des chefs de Ten- tes (c'est ainsi que l'on appelle les lieux de culte) sont des multres ou des blancs de la classe moyenne, donc ayant une certaine culture et une mentalit plus luso-brsilienne qu'afro- brsilienne i proprement parler. 11s ont beaucoup lu, depuis les livres sotriques d'Annie Besant, spirites d'Alan Kardec, jusqu'aux livres des anthropologues et des africanistes. Ce qui va leur permettre de passer d'un syncrtisme spontanb un

  • syncrtisme rflchi et de tenter une synthse qui soit coh- rente des diverses religions qui s'affrontent au Brsil: celles des Blancs catholiques ou spirites, celles des primitifs habi- tants du Nouveau Monde, les Indiens, celles, enfin, des an- ciens esclaves africains, pour les rconcilier, les rendre har- moniques entre elles, et opposer alors cette religion construite au Brsil, aux religions europennes d'exportation tout comme au colonialisme culturel occidental. J'ajouterai que les mi- grants qui, depuis le XIXe siecle, sont venus s'implanter au Brsil, trouvent leur place dans cette synthse, car i1 y a des "lignes" de Gaulois, de Germains, de Slaves, de Peaux-Rouges nord-amricains et une ligne orientale, ce qui permet d'int- grer Franais, Allemands, Italiens, Polonais, Nord-Amri- cains, Japonais, etc., dans ce melting-pot ciment par une m- me volont politique de "brasilianit" et dsormais, au-des- sus, par une mme super-structure religieuse, qu'il nous reste rsumer rapidement .

    Les esprits qu'voquent les mediums, forms dans les coles de mediumnit (qui remplacent au fond I'initiation, rduite, elle, un strict minimum) , sont des esprits de morts dsincarns. Mais ces esprits forment des "phalanges" ou des "lgions" qui vont depuis les phalanges ethniques (Gaulois, Germains, Orientaux) jusqu'aux phalanges cosmiques (des Eaux, des Morts, des Cimetires, des Esh) . Chacune de ces phalanges est commande par un dieu africain ou par son correspondant catholique. voire mme par une divinit am- rindienne. Mais ces chefs de phalange ne descendent pas, ce sont des "gnraux", et les gnraux orientent, contrlent le combat du Bien contre le Mal, ils ne s'incarnent pas. D'ailleurs, ils sont considrs plus comme des forces (U1!1- banda hsite, quand i1 tente de se dfinir, entre se dfinir comme spiritisme ou se dfinir comme magie blanche) . Ce sont les "Pretos Velhos" ou les anciens caciques indiens dispa- rus qui seuls se rincarnent au cours des sessions de Umbanda. C'est dire que 1'Afrique a tout de mme une place prpond- rante dans cette dogmatique, puisque c'est elle qui fournit l'en- cadrement des Esprits des Morts et que, finalement, ainsi, se sont bien les Orisha qui gouvernent le monde. C'est dire aussi que, dans une certaine mesure, Umbanda continue dans la ligne trace par les cultes qui l'ont prcd, puisque les esprits des Africains se trouveront de prfrence dans les lgions com- mandes par les Orisha et les esprits des Indiens dans les 16- gions commandes par les divinits de la mythologie Tupi. Nous retrouvons l i , sur le plan de Ia pense et non plus du crmonial, la mme coupure entre les deux types de religions. Mais elle est maintenant purement thorique, et le tableau

  • double entre - classification ethnique et classificitaion cosmi- que - va I'empcher de jouer a plein. Pour nous borner un exemple, nous trouvons, en effet, dans la phalange des Eaux, des entits surnaturelles africaines comme Yemanj, indiennes comme D. Janaina, Ia mre des eaux amazonienne, euro- pennes, enfin, comme la Sirne au buste de femme et 1a queue de poisson. Le spiritisme de Umbanda aboutit donc a une confusion totale des valeurs dans un but de prsenter ses fidles une religion unifie qui exprimerait I'me mme du Brsil, en tant que sa socit est une socit multiraciale et que son homognit culturelle ne peut se fonder que sur I'identification des apports de chacune des races constituan- tes en un mme ensemble idologique.

    Ensemble encore Eragile, car malgr les efforts de regrou- pement qui sont tents (formation de fdrations des centres umbandistes), chaque centre se diffrencie de son voisin, puisqu'il se moule en grande partie sur les messages de m- dium et que ces messages sont imprvisibles. Deux tendances en particulier se heurtent, I'une plus europisante, qui veut privilgier l'lment chrtien, vanglique; I'autre plus afri- canisante: certains chefs de centres vont mme jusqu' se faire initier dans des candomblCs pour pouvoir nourrir leurs cultes spirites de plus de puissance magique. Mais ces variations chappent notre sujet. I1 nous suffisait de montrer que c'tait dans le spiritisme de Urnbanda que I'interpntration des cultes indiens et des cultes africains tait Ia plus pous- se, au dtriment d'ailleurs de ce qui fait l'originalit des religions africaines pures, considres comme dpasses par l'volution conomique et sociale du pays, et ne pouvant tre sauves, selon les chefs interrogs, qu' condition de se "purger" de ses lments sauvages pour se repenser a un autre niveau .

    Tels sont les faits. I1 nous reste en voir la signification, pour les comprendre. Qu'est-ce qui pousse ainsi. d'une faon continue et de plus en plus en profondeur, deux religions typiquement diffrentes, comme nous I'avons dit au dbut, h se rejoindre et se mler?

    I1 y a une premire raison, d'ordre idologique, qui est Ia valorisation de I'lndien non seulement au Rrsil, mais dans Ia plupart des pays de 1'Amrique du Sud. Cette valo- risation peut, premire vue, paraitre tonnante, car I'his- toire de la colonisation blanche a t celle du gnocide con- tinu de la race indienne. Mai lorsque les nations d'Amri- que du Sud ont conquis leur indpendance, pour mieux couper le cordon ombilical qui les reliait I'Europe, elles se sont inventes - en s'appuyant sur I'existence d'une miscgnation

  • entre les Blancs (qui taient venus sans leurs femmes) et les Indiennes nues - une origine amrindienne. Les grandes familles se faisaient un honneur d'avoir quelques gouttes de sang indigne dans les veines. A partir de cette motivation politique, le romantisme a idalis 1'Indian contre le Nkgre. Le Ngre est dvaloris non cause de Ia couleur de sa peau, mais cause de sa condition d'esdave; i1 porte Ia mar- que infamante de Ia servilit. L'Indien est alors l'anti-ne- gre; c'est celui qui a prfr mourir plutt que de porter des chaines, c'est le guerrier courageux et vaillant, c'est I'homme de la fiertd et de la libert. Sans doute cette idolo- gie est loin, fort loin, de la ralit, car elle oublie que le Ngre a t lui aussi rebelle et que, de son ct, 1'Indien a t esdavagid ou rduit Ia condition de serf. . . , mais peu importe; ce qui compte c'est cette image de 1'Indien que les Blancs ont cr la fin du XVIIIe sicle et au dbut du XIXe. Car les Noirs l'ont accepte leur tour. Bien des multres, ceux surtout dont le teint avait des reflets cuivrs, ont alors chang de nom pour prendre des pseudonymes am- rindiens, et j'ai connu pas mal de Nkg~es So Paulo qui prdtendaient avoir aussi du sang indien et qui, pour le prouver, donnaient des gdndalogies assurment assez fantai- sistes. Nous pouvons donc penser que les Noirs, dans le do- maine religieux, taient tout disposs li admettre l'entre dans leurs cultes africains d'lments amrindiens qui, par voie de contagion, ne pouvaient que valoriser, aux yeux-du public blanc qui assistait a leurs crmonies publiques, la part africaine de leurs religions .

    La seconde raison, toujours d'ordre idologique, qui a facilit le mariage des dieux africains et des esprits indiens, c'est Ia forme qu'a prise le nationalisme dans une socit pluri-raciale et d'intense miscgnation. L'ceuvre de Gilberto Freyre, Maftres et Esclaves, est typique de cette idologie na- tionaliste rcente (rcente, puisqu'elle ne pouvait apparaitre qu'aprs la suppression du travail servile et Ia critique du ra- cisme de la fin du XIXe sikcle) . Si le Brsil se constitue par le rnlange de trois races, i1 e& essentiellement non un pays blanc, mais un pays mtis. Mais le mtissage n'a pas t seulement physique, i1 est aussi culturel. G . Freyre n'a pas de mal montrer que le Portugais a accept de I'Indien, pour pouvoir s'adapter aux Tropiques, toute une srie de traits culturels matriels (Ia culture sur brulis, le manioc, le ra- man, les plantes mdicinales du pays. . .) , ct que si l'esclave a dt europanis et christianis, rciproquement, travers Ia nourrice noire qui a lev les enfants des Blancs, puis travers Ia maitresse de couleur qui les a initis au monde de Ia se-

  • xualit, bien des traits de la culture africaine sont passes aux Blancs, d'une faon dfinitive. I1 est vident que le succs des candombls de cabocles tient la volont des Ngres de faire preuve de leur patriotisme brsilien (certains observateurs ne manquent pas de souligner que ces candombls de cabocles prennent souvent plus l'aspect d'une fte politique que celui d'une crmonie religieuse, aux yeux de ceux qui les frquen- tent) . I1 est encore plus vident que'le dveloppement de Umbanda est dii ce qu'il offre une population mlange sa religion du mdlange, en faisant du syncrtisme afro-catho- lico-indio-spirite le fondement en quelque sorte mystique du mtissage, physique ou culturel; ou, si l'on prfre, en cons- tituant le versant religieux de ce qui, en politique, se dfinit comme "la dmocratie raciale" et qui est, comme chacun sait, la fiert des Brsiliens, son "image de marque" aux yeux des Europens ou des Nord-Amricains .

    Le troisime facteur qui intervient pour pousser les des- cendants des Africains accepter aussi les esprits des Indiens dans leurs cultes, se situe sur la ligne de partage entre les super-structures idologiques et les infrastructures: la con- ception brsilienne de la fte. Deux remarques pralables sont ici ncessaires: d'abord, le candombl, le batuque, la macumba ne sont pas seulement des crmonies religieuses, ce sont aussi des spectacles - souvent, pour la population misrable, le seu1 spectable possible car gratuit. Les tambourinaires sont d'excellents musiciens, le rythme des chants est enlrainant, les filles des dieux deviennent en transe de remarquables balle- rines. En second lieu, les centres de cultes afro-brsiliens sont trks nombreux, plusieurs centaines dans une mme ville, en concurrence les uns avec les autres; tout pai de santo sait que son prestige au sein de la population locale dpend de la beauti- des ftes qu'il donne. Avant toute crmonie, tout comme au thtre, i1 y a une rptition gnrale; j'ai assist l'une d'elles et pu admirer loisir l'art du metteur en scne qui critique les danseurs, apure les gestes, ordonne les ensembles. Or le public, ce public auquel on pense avant chaque fte donni-e aux dieux, celui qui va tablir .une hirarchie des prestiges, prfre en gnral les cabocles aux orisha (comme j'ai pu le constater en interrogeant certains spectateurs) ; c'est que danses africaines sont strotypes, puisqu'elles doivent suivre les archtypes mythiques, alors que les danses cabocles (bieii que chaque cabocle qui descend ait sa personnalit propre: I'un est coquet, i1 aime changer souvent d'habits au cours de a soire; un autre est violent, redoutable, terrifiant, etc.) ,

    laissent une trs grande place l'improvisation, aux innova- tions, prennent parfois mme l'allure d'un mimodrame (la

  • lutte de deux tribus, la mort d'un ennemi flch, etc.). O r l'imaginaire a plus de pouvoir attractif que la commmora- tion, qui est mmoire gestuelle, tout au moins pour ceux qui viennent assister un spectacle et non nourrir leur foi reli- gieuse. De 1 une certaine tendance, du moins dans les can- dombls d'origine bantoue, s'ouvrir la danse des cabocles, plus frntique, moins liturgique et que viennent enrichir encore la somptuosit des habits ports, les couronnes de plu- mes multicolores, les robes de paille de couleurs ardentes en vue d'attirer de plus de spectateurs possibles et mieux assurer ainsi l'lvation de leurs status (sauf l o, comme Bahia, i1 existe des experts en danse et en musique afri- caines qui savent gouter un spectacle purement africain et qui dtestent au contraire les danses, leur avis, trop anar- chiques des Indiens "sauvages") .

    Les infrastructures interviennent naturellement aussi et d'abord celles d'ordre dmographique. L o, comme dans le Nord-Est, i1 existe une grosse majorit de gens de couleur, multres et noirs (sur le littoral) et une majorit de paysans plus ou moins fortement mtisss d'indien (plus vers l'int- rieur) , les deux sortes de cultes tendent coexister cote A cote sans fusionner, puisque chacun s'adresse des populations s- pares. Un peu plus haut, dans le Maranho, les mlanges commencent apparaitre: un culte vodun pur (Casa das Mi- nas), des cultes africains syncrtiques, avec des vodun fon et des orisha yoruba, enfin - surtout quand on s'enfonce vers l'intrieur - des cultes mixtes avec vodun, orisha et cabocles. Des migrants ngres venus du Maranho ont transport ces cultes en Amazonie, ou ils ont eu un Eort rayonnement. La population native, ou le sang indien domine, les a acceptts, mais naturellement en les combinant alors avec leurs anciennes religions populaires; on comprend dans ces conditions qu' un changement racial de population correspond une place plus ou moins importante des esprits indiens ou au contraire des dieux africains .

    En second lieu, les infrastructures d'ordre conomique et social. Dans les grandes mtropoles, comme Rio de Janeiro et So Paulo, i1 se forme une socit de classes avec un proltariat et un sous-proltariat, constituant la masse de manceuvre uti- lise par la socit industrielle pour freiner la monte des salaires, masse compose de migrants venus des zones rurales, faisant l'apprentissage du genre de vie urbain, et de demi- chmeurs aptes tre utiliss dans les gros travaux mais sans aucune qualification professionnelle. Ce proltariat, et plus encore ce sous-proltariat, ne sont pas homognes racialement: ngres, multres, mtis d'lndiens, blancs, s'y ctoient et fra-

  • ternisent ensemble. A la division antique d'origine raciale se substitue donc une autre division, celle des classes sociales, et chacune de ces classes tend avoir sa culture propre; dans les classes basses i1 se forme ainsi une culture ou une sous-cul- ture spcifique, dans Ie genre de celle que Lewis a dcrite sous le nom de ''culture de Ia misre", et puisque cette classe basse n'est pas homogne racialement parlant, cette culture, ou sous-culture, exprimera forcment I'htrognitC raciale de ses composants en mme temps que - un autre niveau - I'unit de conscience de classe, l'unit d'un certain genre de vie, l'unit des intrts conomiques et sociaux de ses mem- bres. Je crois que nous pouvons dire que Ia tendance au syn- crtisme est fonction du passage de Ia socit traditionnelle archaique a Ia socite capitaliste et industrielle avec sa hi- rarchie des classes sociales qui faonnent les mentalits des constituants de ces diverses classes. Historiquement en effet, on peut suivre Rio de Janeiro I'volution qui va des cultes africains encore existants au dbut du XXe sicle la ma- cumba d'abord, au spiritisme de Umbanda ensuite, la ma- cumba correspondant la formation d'une classe basse ra- cialement htrogne, et le spiritisme de Umbanda la prise de conscience de cette classe et sa volont d'ascension sociale dans le cadre de la socit industrielle concurrentielle, tout comme i1 marque la transformation de Ia pense intellectuelle sous l'influence d'un environnement marqu par la rationali- sation toute-puissante: car ce spiritisme marque le passage d'un systme symbolique un sysdme conceptuel. En un mot, et pour revenir notre sujet prcis: le mariage des dieux africains et des esprits amrindiens est le reflet ou l'expression, au niveau de Ia conscience religieuse de Ia masse, des mta- morphoses apportes dans les structures sociales par l'urbani- sation intense et l'industrialisation triomphante . Nous avons trop insist sur ce point dans un livre antrieur, Les Religions africaines au Brsil, pour que nous ayons besoin de dve- lopper davantage ici l'analyse de ces rapports dialectiques en- tre les infra-structures conomico-sociales et super-structures religieuses .

    Mais i1 y a un dernier point que nous devons soulever, pour conclure, et qui va nous faire passer du structurel au fonctionnel. La religion est, pour moi, plus qu'une super- structure idologique, mais elle est aussi cela dans la mesure OU elle est vcue par des hommes et des hommes intgrs dans un certain type de socit. En tant que super-structure, elle est introduction une "autre" socit que celle dans laquelle nous vivons et qui peut soit redoubler notre socit soit Ia contredire, suivant que nous sommes dans une socit "or-

  • ganique" ou une socit "de transition", comme disent les so- ciologues. C'est cet aspect du religieux qui intresse parti- culirement les psychologues qui ont tudi les religions afro- amricaines, quand ils en soulignent le caractre cathartique. de compensation, de dfoulement - ou quand ils les compa- rent a des psycho- et des socio-drames (Louis Mars les dfinit comme des ethno-drames, puisque les mcanismes de dfense qu'elles mettent en jeu sont fournis par des cultures ethni- ques) . Les mtamorphoses dues au passage du capitalisme sauvage au capitalisme planifi, de l'industrie familiale celle des trusts, et qui vont en s'acclrant au cours de la dernire dcennie, suscitent de nouveaux besoins, qui ne peuvent ue satisfaits immdiatement, crent des tensions intra-physiques qui vont se rpercuter inluctablement dans le domaine reli- gieux. Or, comme me le disait, avec raison, une intellectuellc de couleur, le culte purement africain, parce qu'il est essen- tiellement commmoration, donc mmoire, ne peut jouer le rale de dfoulement de ces drames intrapsychiques; ce sont les Indiens, ajoutait-elle, qui fournissent aux cultes populaires leur aspect de dynamique de groupe, en tant que processus de rsolution des tensions; et cela justement parce que les danses indiennes font plus appel I'imaginaire collectif qu' une mythologie organique. Peut-tre est-ce l i aussi une des raisons, ajouterais-je, qui explique: 1) pourquoi les cultes afro-brsiliens qui n'existaient pas encore i1 y a trente ou vingt ans So Paulo s'y implantent aujourd'hui et s'y developpent rapidement; 2) pourquoi les Noirs de So Paulo vont plutt du ctC du spiritisme de Umbanda, avec ses Indiens, que du ct des candombls traditionnels, avec ses seuls orisha.

    Nous avons, pour des raisons de commodit, spars, les divers facteurs qui peuvent expliquer le passage des cultes afro-brsiliens des cultes afro-indio-brsiliens en indiquant les divers types possibles de mariages qui s'talent tout au long d'un continuum candombl-Umbanda. Mais i1 est bicn entendu que ces divers facteurs jouent toujours simultanment, quoique certains peuvent dominer dans certaines rgions (ainsi le facteur dmographique Belm do Par) et d'autres dans d'autres rgions (ainsi le facteur infra-structure coiio. mico-sociale dans le centre du Sud du pays) . Au moment ou les derniers "sauvages" disparaissent, ils revivent ainsi daris la grande fte nocturne de la basse classe ou de la petite dassc moyenne brsilienne, grce I'appui qu'ils reoivent des vodurl et des orisha et sous la bndiction efficace des dieux qui sont venus dlAfrique.

  • O E N C O N T R O DOS DEUSES AFRICANOS E DOS ESPfRITOS I N D f GENAS

    Nesta comunicao, Roger Bastide aborda o que denominou de "o casamento dos deuses africanos e dos espiritos indigenas", n o quadro (!as religies africanas n o Brasil. Duas razes so invocadas para justificar a preocupao contida no trabalho: a crescente migrao para o Norte do Brasil, ambiente da "pajelana", culto de origem indigena, e o cresci- mento espetacular do "espiritismo de umbanda", no Sul do Pais.

    A o abordar esta Ultima forma religiosa, escreve Roger Bastide que os seus adeptos consideram-na como uma religio nacional do Brasil, julgamento que ganhou peso ao considerarem-se os componentes tni- cos que preponderam nos seus centros religiosos, onde prevalecem os mu- latos. Depois de descrever o funcionamento do "e$iritismo de umban- da", acrescenta o socilogo: " O 'espiritismo de umbanda' resulta, ento, numa confuso total de valores com o fito de apresentar aos seus fiis uma religio unificada que exprimiria, a prpria alma do Brasil, visto que a sua sociedade uma sociedade multirracial e que a sua homogeneidade no pode fundar-se seno na identidade das contribuies de cada uma das raas constituintes n u m mesmo conjunto ideolgico".

    O trabalho , tambm, uma exposio sobre o processo de passagem dos cultos afro-brasileiros ci categoria de cultos afro-indio-brasileiros.

    T H E MEETZNG OF T H E AFRICAN GODS W I T H T H E IhTUIAN SPIRITS

    In this communication, Roger Bastide deals with what he called "the wedding of the African gods and the Indian spirits", within the fra- mework of the African religions in Brazil. T w o arguments are presented to justify the concern of the article: the growing migration to the North of Brazil, locale of the "pajelana", a cult of Indian origin, and the sen- satzonal increase of "Umbanda spiritism" in the South of the Country.

    Dealing with the latter religious form, Bastide writes that its follo- wers consider it to be a national religion of Brazil, a judgement which gains in importante when we consider the ethnic components in its re- Ligious conters, where mullattoes predominate. After describing the func- tioning of "Umbanda spiritism", the sociologist adds: "Umbanda's spi- ritism results thus in a total confusion of values with the aim of pre- renting to its believers a unified religion which would express the v e y very sou1 of Brazil, since its society i s a pluriracial society and its homo- geneity can be founded only in the identity of the contributions of each of the constituent races within the same ideological union".

    T h e article is, likewise, an exposition of the transfornational process of the Afro-Brazilian cults to the category of Afro-Indian-Bra- zilian cults.