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 BCAI 18 – 2002 126 VI.CODICOLOGIE, ÉDITION ET TRADUCTION DE TEXTES NaÏm al-Dîn Kobræ, Les éclosions de la beauté et les parfums de la majesté [Eve Feuillebois-Pierunek] NaÏm al-Dîn Kobræ, Les éclosions de la beauté et les parfums de la majesté. FawætiÌ al-Ïamæl wa fawæ’iÌ al-Ïalæl.  T raduit de l’arabe et présenté par Paul Ballanfat. Éditions de l’éclat, Nîmes, 2001 (Philosophie imaginaire, XXXVIII). 16 _ 23 cm, 244 p. Fritz Meier (1)  et Henry Corbin (2)  avaient depuis long- temps insisté sur l’originalité de la pensée de NaÏm al-dîn Kubræ (1145-1221), fondateur de la confrérie kubræwiyya. Cependant celui-ci était demeuré mal connu, et ce traité fondamental n’avait jamais été traduit aupara vant. En tra- duisant et en présentant les FawætiÌ al-Ïamæl wa-fawæ’iÌ al-Ïalæl  , Paul Ballanfat nous offre la première étude appro- fondie en français de la mystique de NaÏm al-dîn Kubræ. Il entend poursuivre ses recherch es sur cet auteur en publiant son commentaire coranique © Ayn al-Îayæt  et quelques autres traités mineurs. L ’introduction est copieuse et dense (120 p.). Elle pré- sente successivement des éléments biographiques et quelques grandes lignes de la pensée de N. Kubræ . P. Ballanfat reconstitue le parcours spirituel de N. Kubræ. Très érudit et imbu de sa science, le jeune homme est en recherche spirituelle, mais se montre hostile aux pratiques soues, en particulier à la soumission au maître. C’est à Dizfºl qu’il rencontre fortuitement son premier maître, Ismæ©îl al-Qasrî, vers 11 80. Ne pouvant venir à bout de sa sufsance, Ismæ©îl l’envoie auprès de son propre maître, ©Ammær al- Bidlîsî, un disciple de Abº l-NaÏîb al-Suhrawardî. Celui-ci lui conseille à son tour de rencontrer Rºzbihæn MiÒrî , un autre suhrawardî  établi à Alexandrie, lequel lui administre une gie salutaire qui le délivre enn de son défaut. N. Kubræ retourne ensuite auprès d’ Ismæ©îl al-Qasrî an d’y complé- ter sa formation. Il reçoit la permission de diriger et l’ordre de s’établir au wærazm, où le milieu politique devenait de plus en plus hostile au sousme. Il annonça l’arrivée des Mongols, qu’il considérait à la fois comme le châtiment d’un État où les sous é taient maltraités e t comme l’augure d’une renaissance où le sousme inspirerait la nouvelle société musulmane. Il mourut en martyr, tué par les Mongol s. Les éclosions de la beauté et les parfums de la ma-  jesté sont l’œuvre majeure de N. Kubræ. Elle furent écrites pour informer le soudes événements intérieurs expérimen- tés durant la retraite, et plus particulièrement les perceptions visuelles et auditives. Elles s’appuient sur les expériences spirituelles de l’auteur et abordent différents thèmes de manière un peu désordonnée. La présentation de ce texte par P. Ballanfat s’appuie sur l’étude de l’ensemble des œuvres de N. Kubræ et sur certains écrits de ses disciples; elle s’avère non seulement extrêmement éclairante, mais indispensable à sa compréhension correcte. Les principales caractéristiques de l’univers mental kubræwî sont la quête du maître véritable (sans lui le chemi- nement est impossible et les premières faveurs que le dis- ciple obtient ne sont que la perception de l’état de son maître), l’importance de la retraite spirituelle et de l’invoca- tion comme moyens d’accéder à la Connaissance mystique acquise par inspiration, le rôle des visions dans l’initiation spirituelle, et la rapidité de l’acquisition des degrés spiri- tuels (N. K. distingue trois voies vers Dieu, celle des pieux (ayær ) et des justes (abrær ) qui sont rares à réussir et che- minent très lentement, et celle des effrontés ( ‡u††ær ), les gens de l’amour qui voyagent par le ravissement et attei- gnent leur but dès le début). N. Kubræ se réclame de Íunayd (m. ca 910) et lui em- prunte certains traits de doctrine. Il lui emprunte notammen t ses huit principes – le maintien en permanence de la pu- reté rituelle, le jeûne, le silence, la retraite, l’invocation continue, la permanence du lien intérieur avec le ‡ay, le rejet des pensées conscientes, la soumission absolue à la volonté de Dieu –, et il y ajoute la réduction du temps de sommeil au minimum et la modération lors de la rupture du  jeûne. Ces conditions convergent vers un but unique qui est la mort anticipée volontaire. Cependant il ne s’agit pas de s’extraire du monde d’ici-bas pour rejoindre l’autre monde, mais bien d’aller outre l’autre monde, vers Dieu exclusive- ment, ceci grâce à l’annihilation du «je». Retraite et invocation ininterrompue libèrent le cœur de la domination de l’âme et induisent des expériences visionnaires et audi- tives. L’homme est une lumière divine qui doit se libérer des ténèbres de la nature pour rejoindre sa source, Dieu. C’est pourquoi les degrés de l’invocation sont marqués par des lumières colorées qui représentent l’ascension des or- ganes spirituels et permettent d’interpréter les états intérieurs et les progrès spirituels. En réalité, c’est le cœur du voyageur qui apparaît en face de lui et ce dédoublement symbolise l’espace manifesté entre existence métaphorique et véritable existence, entre soi invoquant et soi invoqué. Le cœur apparaît d’abord sous la forme d’un puits en ruines ou d’une lumière noire, car il est alors rempli de démons et de souffrance. L’invocation perce petit à petit la paroi du cœur an que la lumière qui y est enfermée puisse s’élan- cer vers la Lumière qui descend du Trône. Alors l’esprit s’élève vers la Présence divine et le corps imprégné de lumière est transguré. Différentes expériences visionnaires correspondent aux trois degrés ou phases de l ’âme. Dans un premier temps, le mystique perçoit son âme appétitive sous l’apparence d’un cercle d’un noir absolu qui peu à peu évolue vers un croissant de lune de plus en plus clair au fur et à mesure que la matière se clarie et laisse passer la lumière sous le feu de l’invocation. Puis son âme blâmante, assimilée à l’in- telligence, lui apparaît sous la forme d’un soleil rouge d’une (1) Fritz Meier, Die Fawâ’ih al-Jamâl wa Fawâtih al-Jalâl des Najm al-dîn al-Kubrâ,  Wiesbaden, 1957. (2)  Henri Corbin, L’homme de lumière dans le sousme iranien, Chambéry, Présence, 1971.

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    Nam al-Dn Kobr, Les closions de la beaut et les parfums de la majest [Eve Feuillebois-Pierunek]

    Nam al-Dn Kobr, Les closions de labeaut et les parfums de la majest.Fawti al-aml wa fawi al-all.Traduit de larabe et prsent par PaulBallanfat.

    ditions de lclat, Nmes, 2001 (Philosophieimaginaire, XXXVIII). 16_23cm, 244p.

    Fritz Meier (1) et Henry Corbin (2) avaient depuis long-temps insist sur loriginalit de la pense de Nam al-dnKubr (1145-1221), fondateur de la confrrie kubrwiyya.Cependant celui-ci tait demeur mal connu, et ce traitfondamental navait jamais t traduit auparavant. En tra-duisant et en prsentant les Fawti al-aml wa-fawial-all, Paul Ballanfat nous offre la premire tude appro-fondie en franais de la mystique de Nam al-dn Kubr. Ilentend poursuivre ses recherches sur cet auteur en publiantson commentaire coranique Ayn al-ayt et quelques autrestraits mineurs.

    Lintroduction est copieuse et dense (120p.). Elle pr-sente successivement des lments biographiques etquelques grandes lignes de la pense de N. Kubr.P.Ballanfat reconstitue le parcours spirituel de N. Kubr.Trs rudit et imbu de sa science, le jeune homme est enrecherche spirituelle, mais se montre hostile aux pratiquessoues, en particulier la soumission au matre. Cest Dizfl quil rencontre fortuitement son premier matre, Ismlal-Qasr, vers 1180. Ne pouvant venir bout de sa sufsance,Isml lenvoie auprs de son propre matre, Ammr al-Bidls, un disciple de Ab l-Nab al-Suhraward. Celui-ci luiconseille son tour de rencontrer Rzbihn Mir, un autresuhraward tabli Alexandrie, lequel lui administre unegie salutaire qui le dlivre enn de son dfaut. N. Kubrretourne ensuite auprs dIsml al-Qasr an dy compl-ter sa formation. Il reoit la permission de diriger et lordrede stablir au wrazm, o le milieu politique devenait deplus en plus hostile au sousme. Il annona larrive desMongols, quil considrait la fois comme le chtiment duntat o les sous taient maltraits et comme lauguredune renaissance o le sousme inspirerait la nouvellesocit musulmane. Il mourut en martyr, tu par les Mongols.

    Les closions de la beaut et les parfums de la ma-jest sont luvre majeure de N. Kubr. Elle furent critespour informer le sou des vnements intrieurs exprimen-ts durant la retraite, et plus particulirement les perceptionsvisuelles et auditives. Elles sappuient sur les expriencesspirituelles de lauteur et abordent diffrents thmes demanire un peu dsordonne. La prsentation de ce textepar P.Ballanfat sappuie sur ltude de lensemble desuvres de N. Kubr et sur certains crits de ses disciples;elle savre non seulement extrmement clairante, maisindispensable sa comprhension correcte.

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    N. Kubr se rclame de unayd (m.ca910) et lui em-prunte certains traits de doctrine. Il lui emprunte notammentses huit principes le maintien en permanence de la pu-ret rituelle, le jene, le silence, la retraite, linvocationcontinue, la permanence du lien intrieur avec le ay, lerejet des penses conscientes, la soumission absolue lavolont de Dieu , et il y ajoute la rduction du temps desommeil au minimum et la modration lors de la rupture dujene. Ces conditions convergent vers un but unique quiest la mort anticipe volontaire. Cependant il ne sagit pasde sextraire du monde dici-bas pour rejoindre lautre monde,mais bien daller outre lautre monde, vers Dieu exclusive-ment, ceci grce lannihilation du je. Retraite etinvocation ininterrompue librent le cur de la dominationde lme et induisent des expriences visionnaires et audi-tives. Lhomme est une lumire divine qui doit se librerdes tnbres de la nature pour rejoindre sa source, Dieu.Cest pourquoi les degrs de linvocation sont marqus pardes lumires colores qui reprsentent lascension des or-ganes spirituels et permettent dinterprter les tatsintrieurs et les progrs spirituels. En ralit, cest le curdu voyageur qui apparat en face de lui et ce ddoublementsymbolise lespace manifest entre existence mtaphoriqueet vritable existence, entre soi invoquant et soi invoqu.Le cur apparat dabord sous la forme dun puits en ruinesou dune lumire noire, car il est alors rempli de dmons etde souffrance. Linvocation perce petit petit la paroi ducur an que la lumire qui y est enferme puisse slan-cer vers la Lumire qui descend du Trne. Alors lespritslve vers la Prsence divine et le corps imprgn delumire est transgur.

    Diffrentes expriences visionnaires correspondentaux trois degrs ou phases de lme. Dans un premier temps,le mystique peroit son me apptitive sous lapparencedun cercle dun noir absolu qui peu peu volue vers uncroissant de lune de plus en plus clair au fur et mesureque la matire se clarie et laisse passer la lumire sous lefeu de linvocation. Puis son me blmante, assimile lin-telligence, lui apparat sous la forme dun soleil rouge dune

    (1) Fritz Meier, Die Fawih al-Jaml wa Fawtih al-Jall des Najm al-dnal-Kubr, Wiesbaden, 1957.(2) Henri Corbin, Lhomme de lumire dans le sousme iranien,26

    Chambry, Prsence, 1971.

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  • sophes (p.47-48). Leur mtaphysique est imprgnedavicennisme, et ce quils condamnent dans la philoso-phie, cest surtout son cantonnement la raison. Il existeen effet trois types de connaissance pour N. Rz: ration-nelle, mditative et visionnaire; le connaissant parfait estcelui qui a accs ces trois sortes de connaissance (4). Laphilosophie nest donc pas exclue, mais intgre dans lebagage idal du plerin.

    La traduction des Fawti al-aml wa fawi al-allpropose par Paul Ballanfat sappuie sur lexcellente di-tion critique de F. Meier. Fidle et rigoureuse, elle manqueparfois un peu dlgance. Les termes techniques traduitsen franais ne sont pas accompagns de leur transcriptionarabe, mais un prcieux lexique des termes arabes avecleurs quivalents franais claire le texte. Des index descitations coraniques, des traditions, des noms propres etdes notions compltent le tout. Un excellent travail qui int-ressera vivement les chercheurs en sciences religieuses.

    Eve Feuillebois-PierunekUniversit de Paris III

    ????????????VI. CODICOLOGIE, DITION ET

    lumire intense. Enn lme pacie nit par se confondreavec le visage de lumire du mystique, miroir blouissanto lon peroit les merveilles de lunivers, le tout nimb delumire verte. Cette vision de son propre tmoin intrieur,de son double cleste est en ralit lexprience de la Facede Dieu, car ce double nest autre que la prsence soi dela Lumire divine. La lumire du mystique reste toutefoisdiffrente de celle de Dieu.

    Les tats spirituels sont gurs par diffrentes cou-leurs: ainsi le jaune trahit la faiblesse de lme, une lumiretrouble et empoussire indique la lutte contre les dmonset lme apptitive, le bleu signie la vie de lme, le rougela puissance et la concentration visionnaire et le vert la viedu cur.

    N. Kubr se livre une analyse complexe du nom su-prme de Dieu, Allh. Ce nom permet lascension spirituelle,le mir, il nest rien dautre que la simplicit extrme ducur puri, vid du monde. Le nom suprme, crateur (leh est le soufe primordial) et capable dunir le ciel et laterre, est donn chaque voyageur en fonction de saconnaissance. Au cur parfaitement vid de toute gotest confre la puissance du Nom, dont le monde est lex-pression, et le cur devient alors lieutenant de Dieu etmicrocosme.

    N. Kubr distingue soigneusement entre lexistence(wud) et ltre (kawn). Lexistence est le propre de Dieu:elle est sans commencement et se suft elle-mme. Elleprcde ltre cr qui, lui, nest pas coternel Dieu. Ladistance entre lesprit et le corps tient tout entire dans ladistance entre lexistence et ltre. Le corps, cest ltre ar-rach au nant par lacte dune volont qui le transcende, ilest insparable du temps, connat un dbut et une n. Les-prit chappe ltre, il est ce par quoi lhomme participe delexistence divine. Il sefforce darracher son existence aumonde de ltre par lequel il est contamin via le corps.Lhomme partage avec Dieu le mystre de lexistence etcest par lexistence quil est dans lintimit de Dieu et nonpar quelque acte quil aurait accompli. Pourtant cette exis-tence humaine est aussi un redoutable pige: malheur lhomme qui sarrterait aux apparences et ne reconnatraitpas la dimension divine de sa propre existence en rencon-trant son matre intrieur, ce soi vraiment existant. Le plerinvise lannihilation de soi, cest--dire labolition de toute pr-tention lgot pour laisser se dployer en soi le don duje divin.

    Quil me soit permis de faire quelques remarques mi-neures qui nenlvent rien la valeur de ce beau travail.P.Ballanfat traduit lexpression wali-tar par raseur desaints (p.9). Il est vrai que le verbe persan taridansignie raser, mais aussi sculpter, faonner, et il mesemble que, daprs le contexte, faiseur de saints seraitune traduction plus approprie.

    Dautre part, le Uq-nme nest pas de Far al-DnErqi (p.40), mais dun auteur mineur appel A quiBCAI 18 2002 1

    crivit environ trente ans aprs la mort de Erqi (3). Enn il

    ???????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????(3) Nasrollh Pourjavady, hedbzi-h-ye Ahmad azli, HermannLandolts Festschift, paratre.(4) Najm al-Din Dye Rzi, Mird al-ibd, introd. et d. M. A. Riyhi.2??? TRADUCTION DE TEXTES

    faudrait peut-tre un peu temprer ou expliciter lafrmationselon laquelle N. Kubr et N. Rz ont condamn les philo-7

    Thran, Ilmi va farhangi, 1365, p.111sq.

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