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Boudon -- Reseau de Sens

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© Pierre Boudon, 2004. Tous droits reserves.

Pierre Boudon

([email protected])

RÉSEAU DU SENS I (nouvelle version)

Une approche monadologique pour la

compréhension du discours,

Mots-clés: - Analyse de discours

- Sémiotique - Linguistique cognitive

- Réseau sémantique - Interface communicationnelle

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La réalisation de ce site n’aurait pas pu être menée sans la participation de Jorge Zeledon. Qu’il en soit ici remercié.

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SOMMAIRE PRÉSENTATION ...........................................................................1

(i) Précédents

A. LE TEMPLUM............................................................................................ 3 (ii)

Modèle du templum (3 et 2 dimensions)

B. CARTOGRAPHIE DU RÉSEAU DE TEMPLA ........................................ 6 (iii) Tableau d'ensemble

C. TROIS EXEMPLES ILLUSTRATIFS........................................................ 8

D. UN MINI RÉSEAU DE TEMPLA............................................................ 14 (vii)

Mini réseau de templa (discursivité)

PREMIÈRE PARTIE: L'INSTANCIATION DISCURSIVE.......20

I.1. CATÉGORISATION DE LA PERSONNE............................................. 21 (ii-ii')

templum des pronoms d'adresse

I.2. CATÉGORISATION DE L'INSTANCIATION ..................................... 27 I.2.1. LES TROIS OPÉRATIONS DE BASE, .......................................................... 29

{énonciation, référenciation, mention}

(iv-iv')

templum d'une instanciation discursive

I.2.2. PREMIER TERME MIXTE, {niveaux de métalangage}.................................. 34

I.2.3. DEUXIÈME TERME MIXTE, {cotexte} ......................................................... 37

I.2.4. TROISIÈME TERME MIXTE, {sui-référence} ............................................... 43

I.3. LES MODALITÉS PRÉDICATIVES: L'ASSERTION.......................... 45

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(ix-ix')

templum des modes de l'assertion

I.4. CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE........................................ 52

DEUXIÈME PARTIE: L'OBJET DE RÉFÉRENCE ...................53

II.1. DEUX NIVEAUX DE FONCTIONNEMENT, .................................... 54 SYNTAXE ET SÉMANTIQUE

(i) schéma d'articulation

II.2 LES ENJEUX DE LA CATÉGORISATION LEXICALE ..................... 57

II.3. FIGURES DE L'ENTRECROISEMENT SÉMANTIQUE .................... 60 (ii) domaines notionnels: morphologie, écologie, sociologie axiologie

II.4. RELATIONS D'OBJET, RELATIONS D'INSTANCE ......................... 63 (SÉMANTIQUE)

(iii-iii’) Champ sémantique associé à l'< objet sonore >

II.5. MATRICE SYNTACTICO-SÉMANTIQUE......................................... 67 (v) Variations sur la lexie < livre > (vi) lexie (rapport sens-référence)

II.6. APPENDICE: LA SÉMANTIQUE DE L'< OISEAU > ........................ 72

TROISIÈME PARTIE: LA DÉTERMINATION, .......................92 QUANTIFICATION DISCURSIVE ET PROTOTYPICITÉ

III.1. LA QUANTIFICATION DISCURSIVE .............................................. 93 III.1.1. LA QUANTIFICATION PAR DÉFINITUDE ............................................... 96

(ii-ii')

templum d'une qualification désignative

III.1.2. LA QUANTIFICATION PAR DÉNOMBREMENT ................................... 103

(xi-xi')

templum d'une quantité dénombrable

III.2. LE PROBLÈME DE LA PROTOTYPICITÉ ..................................... 109 III.2.1. LES TROIS OPÉRATIONS DE BASE, ...................................................... 111

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{généricité, prototypie, individuation}

III.2.2. TERMES MIXTES ASSOCIÉS AU PROTOTYPE, ................................... 113 {coordinations, subordinations}

(xxi-xxi')

templum de la prototypicité

III.2.3. TROISIÈME TERME MIXTE, ................................................................... 119

{hors classe}

III.3. LE TREILLIS DES RAPPORTS, SYNTAXE ET SÉMANTIQUE... 123 III.3.1. LA FORME (SIMPLE) DU TREILLIS........................................................ 125

(xxii)Treillis I: premier registre (feuilletage de base)

III.3.2. LA FORME (DÉDOUBLÉE) DU TREILLIS.............................................. 126

(xxii') Treillis II: deuxième registre (rapports {Langage, Texte})

III.3.3. LE PRINCIPE D'IDOÉNITÉ........................................................................ 130

(xxiii-xxiii')

templum d'une idoénité

QUATRIÈME PARTIE: ............................................................135 UNE INTERFACE DISCURSIVE, L'IRONIE

IV. PROLOGUE........................................................................................... 136

IV.1. DESCRIPTION DE LA FIGURE....................................................... 139

IV.2 EXPLICATION DE L'IRONIE ........................................................... 141 (i) Reprise et complément au mini-réseau (vii) de la Présentation

IV.3. LES MODALITÉS DISCURSIVES, ................................................. 144 {sens littéral, figuré, sous-entendu} IV.3.1. RELAIS ENTRE CES TROIS MODALITÉS DE BASE ............................ 147

(ii-ii')

templum d'une modalité discursive (littéral, figuré, sous-entendu)

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IV.4. LA FORMATION DES TROPES (POÉTIQUES/RHÉTORIQUES) 151 IV.4.1. LES TERMES MIXTES COMME FIGURES ............................................ 156 COMPLEXES DE L'HOMOLOGIE

(iii) Positions dérivées de la métaphore et de la métonymie

(iv-iv')

templum des tropes rhétoriques/poétique

IV.5. L'ÉLOGE ET LE BLÂME.................................................................. 161

(v-v')

templum d'un éloge et d'un blâme

IV.6. LES INTONATIONS DE LA VOIX .................................................. 165

(vi-vi')

templum des intonations de la voix

IV.7. POUR CONCLURE: LA SCÈNE DE LA PAROLE.......................... 169 (vii) Matrice de mises en correspondance de l'< ironie >

IV.7.1. LES RÔLES ÉNONCIATIFS....................................................................... 172

(viii-viii')

templum de la Scène de la Parole

CINQUIÈME PARTIE: .............................................................177 L'« OBJET QUELCONQUE » ET SON ASPECTUALISATION

V.1. CATÉGORISER L'OBJET GÉNÉRIQUE........................................... 180 (i)

Mini réseau de templa (aspectualité)

V.2. LES GRANDEURS INTENSIVE ET EXTENSIVE ........................... 183

(iii-iii')

templum de la constitution de l'objet générique

V.2.1. LA PROPORTION ....................................................................................... 188

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V.3. MODES DE LA SÉRIALITÉ .............................................................. 194 V.3.1. L'ORDONNANCEMENT NUMÉRIQUE..................................................... 195

(iv-iv')

templum d'une structure d'ordre

V.3.2. L'INTERVALLE TOPOLOGIQUE............................................................... 198

(v) Schéma de développement de la notion d'intervalle

V.3.3. LES ÉCHELLES DE GRANDEUR .............................................................. 201

(vi) rapport d'inversion scalaire

(vii-vii') templum des rapports d'échelle entre « mondes »

V.4. PREMIÈRES FORMES D'ASPECTUALISATION,.......................... 206 {temporalisation}

V.4.1. ÉTAT, PROCÈS, ÉVÉNEMENT .................................................................. 209

(viii) Scène d'ensemble avec repérage énonciatif

(ix-ix')

templum d'un processus de temporalisation I

V.4.2. SOUS-PROCESSUS: LA NOTION DE « CRISE » ..................................... 217

V.4.3. INCHOATIVITÉ, DÉROULEMENT, TERMINATIVITÉ ......................... 219

(xii-xii')

templum d'un processus de temporalisation II

V.4.4. POINT DE VUE PROSPECTIF ET POINT DE VUE RÉTROSPECTIF .... 224

(xiv-xiv')

templum d'un processus de temporalisation III

V.5. DEUXIÈMES FORMES D'ASPECTUALISATION,......................... 228 {spatialisation} V.5.1. JONCTION, DISJONCTION ........................................................................ 229

(xv-xiv')

templum d'une jonction, disjonction

V.5.2. SOUS-PROCESSUS: LES RAPPORTS {dessus-dessous} .......................... 234

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V.5.3. AGRÉGATION, DÉSAGRÉGATION.......................................................... 239

(xviii-xviii')

templum d'une composition

V.6. CONCLUSION: DE L’OBJET À SA CAUSE .................................... 247 (xxi-xxi')

templum d'un processus vital

(xxii) exemple de scénario

(xxiii-xxiii')

templum d'un processus de spéciation

INDEX DES NOMS ET DES NOTIONS ..................................263

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................274

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PRÉSENTATION

Cet ouvrage fait partie d'un ensemble de recherches, appelé: Le réseau du sens, principes de monadologie discursive, dont une première édition a constitué le texte inaugural. Depuis, j'ai fait paraître deux autres ouvrages qui ont enrichi cette problématique, le but étant la constitution d'un ensemble sémiotique (combinatoire) aux multiples entrées dont l'articulation de base (cf. la monade comme unité de synthèse) est représentée par ce que j'ai appelé un templum en tant que plus petite unité réunissant des rapports de catégorisation,

i) Précédents .a. Le réseau du sens I, Une approche monadologique pour la

compréhension du discours (Peter Lang, 1999, épuisé). .b. Le réseau du sens II, Extension d'un principe monadologique à

l'ensemble du discours (Peter Lang, 2002). .c. Le champ sémantique de la parenté, Rapport entre langage et

représentation des connaissances (L'Harmattan, 2002). .d. Topo-analyse des formes du territoire (à paraître). .e. Cosmos, Sites et textures du monde (à paraître). Ce dernier texte

tentera de préciser les différents rapports morphologiques nous permettant de constituer une grille de lecture du monde naturel.

A. LE TEMPLUM

Présentons brièvement l'outil théorique, pierre angulaire du réseau qu'il constitue par démultiplication; le mieux est de reprendre la Préface que Jean-Blaise Grize a donnée à ce premier texte (1999, xi-xiii), point de vue d'un lecteur attentif qui récapitule bien cette démarche inscrite dans une tradition contemporaine (Piaget, Lévi-Strauss, Morazé). Rappelons que son but est la définition d'une entité minimale de catégorisation au moyen de relations invariantes.

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(...) Par ailleurs, un discours s'inscrit dans une temporalité, de sorte qu'il est exclu d'en rendre compte à l'aide des seules catégories de la logique usuelle. Même si, à la suite des travaux de Piaget, celle-ci a pu être expliquée par des groupes de transformations comme INRC, il fallait aller plus loin encore et imaginer une nouvelle structure. C'est celle de templum qui va servir. Le terme choisi ne manque pas de pertinence. Il relève sans doute de l'architecture, discipline à laquelle Pierre Boudon avait déjà consacré un ouvrage en 1992 (Le paradigme de l'architecture1). Mais, dans la tradition antique, le templum est l'endroit où l'augure receuille et interprète les présages, c'est-à-dire les signes. Ici un templum sera une structure abstraite qui, instanciée, va servir d'élément à des réseaux de templa propres à saisir la signification des mécanismes du discours. Un templum peut être figuré comme un double tétraèdre dont les sommets opposés sont en relation dichotomique (défini/indéfini, dire/non-dire, succession/simultanéité, etc.). Quant à leur base triangulaire commune XYZ (par exemple singularité, universalité, particularité dans le templum défini/indéfini), elle offre une dynamique qui permet d'introduire entre chacun des sommets du triangle des intermédiaires (prototype, par exemple, entre singularité et universalité). Là d'ailleurs ne s'arrête pas sa portée. D'une part, on peut imaginer de poursuivre la démarche —même si l'ouvrage n'en tire que peu parti— et à la limite aboutir à un bicône. D'autre part, le sens du parcours de X à Y et de Y à X n'est pas toujours indifférent: tiède n'a pas le même sens si l'on va de chaud à froid ou de froid à chaud. La réflexion épistémologique contemporaine ne cesse d'attirer l'attention sur la nécessité d'aborder la complexité en tant que telle. Malheureusement rares sont ceux qui proposent une méthode opératoire pour le faire, mais Pierre Boudon est l'un d'eux. D'abord, il dépasse les seules classifications d'objets atomiques au profit de modules qu'il ne se contente pas d'associer linéairement mais qu'il compose entre eux dans un mouvement dynamique d'agrégation, de totalisation et de génération. S'il procède bien évidemment à des analyses, c'est au sein d'une totalité, locale sans doute, mais toujours présente. Ensuite, les ensembles qu'il dégage sont bien davantage des ouverts au sens de Culioli que des classes booléennes et leurs relations sont plus de nature topologique qu'algébrique.

Cet exposé est suffisamment clair pour n'avoir pas à revenir sur les

dispositions formelles du templum (illustrées au moyen du diagramme générique (ii) infra). Disons que, par ses buts, il fait partie de ces recherches portant sur les « structures élémentaires » (du discours, de la culture) permettant de caractériser 1 Le paradigme de l'architecture, Préface de Philippe Hamon, Montréal, 1992.

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par leurs formes invariantes un principe de catégorisation que l'on peut situer à un niveau mimimal en deça duquel nous n'aurions qu'une poussière d'événements. C'est par cet axiome d'extrémalité que cette forme noologique existe comme unité synthétique a priori.

Rappelons, au moyen d'une schématisation, le modèle (topologique) de ces structures élémentaires que l'on peut comparer à des modules (cf. « ouvert » et non « clos »2 comme le précise la citation de J.-B. Grize, en ce qu'ils se prêtent à des jeux de renvois entre eux),

(ii) le modèle du templum (2 et 3 dimensions)

mt+

mt-

xy

z

Structure tridimensionnelle (trois dimensions)

Y

X

Z

XY XZ

YZ

Plan équatorial (deux dimensions)

MT +,-

2 Tels que ceux de J. A. Fodor.

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Au départ, nous avons trois termes en relation de contrariété, X,Y,Z; la variation entre ces termes est gouvernée par les métatermes MT+ et MT- qui constituent, par complémentarité, les « chefs de variation » du plan équatorial que forment ces termes de base. Les termes mixtes XY, YZ, XZ sont engendrés par dérivation de ceux-ci et représentent des formes médiatrices (terme unique ou gradient). Chaque poste (termes de base et termes mixtes) reçoit une affectation catégorielle (cf. étiquetage), sauf le centre de l'intersection (cf. petit triangle) représentant un « trou » topologique3. C'est cette vacuité qui assure un rapport alternatif entre les métatermes MT+ et MT-. On peut parler ainsi de structure holomorphe récursive en ce qu'elle peut être réïtérée indéfiniment.

Le point de vue « atomistique » du templum s'oppose ici au point de vue global appelé « holistique », consistant à dire qu'on ne peut réduire la multiplicité des rapports (dans le discours, dans la culture) sans perdre du même coup ce qui fait leur intégralité en tant que vision d'ensemble « interprétative » (ou « contextuelle »); la « vision » implique alors des points de vue extérieurs à l'ensemble considéré4. Mais, comme le souligne Jean-Blaise Grize, il y a

3 S. Schwer m'a éclairé sur le sens de ces relations entre sommets étiquetés et non étiquetés,

faisant apparaître ce trou au centre; qu'elle en soit ici remerciée. 4 Ce problème de la partie et du tout n'est pas sans faire penser à la critique faite par Lorenz à

propos de certaines tendances de la théorie de la forme où Forme et Totalité sont assimilées:

« de très nombreux psychologues de la forme, et Wolfgang Köhler lui-même, tendent à assimiler purement et simplement les concepts de totalité et de forme... » (cf. « Le tout et la partie dans la société animale et humaine », dans Trois essais sur le comportement animal et humain, Paris, 1970, p. 75 sq). L'auteur poursuit:

« Toute tentative de compréhension scientifique qui n'examine que dans une direction une liaison causale qui est en fait réciproque, comme celle qui unit dans la plupart des cas la partie et le tout d'un système organique, se rend coupable d'une erreur de méthode. Cette erreur est fondamentalement identique à celle que nous critiquons chez les mécanistes « atomistiques ». Cela donne un résultat hautement paradoxal quand cette infraction aux règles de la recherche inductive vient précisément du côté de ceux qui, du matin au soir, n'ont à la bouche que le mot d'ordre de « totalité »!

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possibilité de trouver un moyen terme entre ces deux extrémités du spectre en introduisant des « mini réseaux de templa » (comme nous les avons intitulés) qui constituent par voisinage une mosaïque de renvois5 et dont la logique de regroupement se fera par domaines d'affinité (ainsi des propriétés associées à une prédication, à une énonciation, à une aspectualité spatio-temporelle, à une mise en discours; etc.).

« Ce qui vient d'être dit trouverait sa pleine justification lors même que les systèmes organisés seraient, au sens idéal, des « totalités », c'est-à-dire lors même qu'ils ne comprendraient aucun élément qui ne fût une pièce incluse fixe ou un élément d'ossature serti dans l'enchevêtrement mobile des liaisons causales réciproques, propre de ce fait à influencer par sa forme et par son jeu la totalité, sans être lui-même influencé, sinon dans une mesure négligeable, par le tout. Mais en fait, étant donné que, comme nous le verrons bientôt, des « matériaux —indépendants de l'édifice » jouent bel et bien, dans la construction de chaque organisme, de chaque société d'organisme, un rôle décisif, l'attitude des mécanistes —qu'il s'agisse des behavioristes ou des réflexologues— est moins fautive, et même en un certain sens plus respectueuse de la totalité que celle des auteurs cités plus haut qui spéculent exclusivement sur la totalité: des liaisons causales qui unissent la partie à la totalité, voilà au moins qui existe bien souvent, et les « atomistes » ne commettent pas d'erreur de méthode aussi longtemps qu'ils restreignent leurs recherches à des chaînes causales de ce type. En revanche des chaînes causales univoques qui relient la totalité formant système à ses parties, voilà qui n'existe point: il s'agit d'une fiction qui, dans le domaine de la psychologie de la perception de la forme, pour des raisons qu'il serait trop long de développer ici, n'entraîne aucune erreur substantielle, mais qui dans les recherches portant sur des systèmes organisés objectifs peut gravement gêner la recherche. »

Ces différentes questions seront abordées plus particulièrement à propos de l'aspectualité spatiale et temporelle (Cinquième partie).

5 Cf. W. H. Calvin, Cambridge, 1996. Dans ce titre, la mosaïque de l'esprit n'est pas une métaphore mais correspond très exactement à l'idée de base avancée par l'auteur à la suite des travaux précurseurs de Hebb (1949). Par code, il entend un mode de structuration (hexagonale) et de traduction entre domaines et/ou niveaux de représentation. C'est une théorie catégorielle de l'encodage/décodage de l'information (venant du monde) propre à une perception, à une imagination ou à une symbolisation, car le réseau qui s'en déduit n'est, ni aléatoire (construit au gré d'une acquisition petit à petit), ni statistique (au sens où la forme qui en résulterait serait comparable à des nuages de points); le réseau constitue une architectonique régulière dont la notion de schèmes kantiens est l'abducteur. Je dirai ainsi que le thème de l'ouvrage est fondamentalement son anti-associationnisme puisqu'il présuppose une grille préfabriquée par rapport aux informations recueillies; j'en veux pour preuve également que l'auteur associe, in fine, la notion de protolangage (cf. une « fonction langagière schématique ») à cette constitution de la grille. Or ce protolangage auquel aboutit le processus d'acquisition, et qu'on appelle l'intelligence humaine, présuppose un type d'ordre qui ne se réduit pas à de simples connexions par voisinages immédiats.

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B. CARTOGRAPHIE DU RÉSEAU DE TEMPLA

Le tableau suivant est une carte en ce qu'il situe les différents domaines les uns par rapport aux autres. L'énumération de ces domaines n'est pas ici exhaustive (contrairement aux mini réseaux de templa que nous allons considérer au fur et à mesure de l'exposé) et l'ordre des liaisons proposé n'est pas définitif dans la mesure où il existe un « principe de simultanéité » permettant de faire marcher l'ensemble, et cela, à tous les niveaux d'élaboration des messages, depuis les énoncés minimaux tels que les interpellations jusqu'aux grandes constructions discursives appelées Textes (cf. plaidoiries, compte-rendus documentaires, pièces de théâtre, poèmes, contes, formes romanesques).

(iii) Tableau d'ensemble par domaines d'affinités

base prédicative

actantialité argumentation

modes allocutoires et textuelles

temps et modes prédicatifs

aspectualité (processus et et totalisation)

quantification discursive

couplages phoriques

scène

On peut supposer que le point de départ de ce tableau est représenté par des structures prédicatives qui ne sont que des cadres vides pour un remplissage de propriétés qui viennent s'y agréger au fur et à mesure. Encore faut-il dire que

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ce point de vue est celui du grammairien qui « part » de ces structures élémentaires appelées « phrases » (et que nous récusons à la suite de linguistes tels que Culioli ou Ducrot, lesquels parlent d'« énoncés » discursifs). Les principes d'une énonciation peuvent également prétendre être à l'origine du processus de communication6; or l'énonciation ne peut être définie que par rapport à une référenciation, soit la constitution d'« objets auxquels on réfère », et auxquels il faut adjoindre un statut phénoménologique (objet réel ou imaginaire). Enfin on ajoutera que les processus mêmes du discours impliquent la notion de paraphrase (soit de « traductibilité » entre énoncés), ou encore, que ces processus constituent d'emblée un double niveau (cf. {langage-objet, métalangage}) entre l'objet auquel on réfère et le niveau métalinguistique permettant d'en expliciter le statut (la base de ce processus résidant dans la notion de « métanomination », déployée successivement en « comparaison », « justification », et « légitimation »).

Bref, la notion de point de départ dans ce tableau (iii) est sujette à caution puisqu'elle va dépendre du point de vue adopté pour l'analyse, sachant par ailleurs que tous ces points de vue se retrouvent dans l'objet à décrire. Dans les ouvrages précédents (cf. (i) supra), nous avons parlé ainsi de « couplages » entre templa: nous n'avons pas d'abord des structures prédicatives, puis des structures énonciatives, puis des propriétés modales, etc.; d'emblée, ces pièces du puzzle discursif s'agencent par renvois entre leurs propriétés, de la plus petite unité formative (interpellation, exclamation7) jusqu'aux grandes formations textuelles. Ainsi, à travers ces couplages, constitutifs des mini réseaux puis du réseau dans son ensemble, le templum reste le filtre élémentaire d'un ensemble de renvois entre ces sous-réseaux, où le message à constituer n'arrête pas de circuler entre ces différents domaines de propriétés que sont la constitution des cadres morpho-syntaxiques, les rapports d'instanciation (énonciation, référenciation, métanomination), les registres d'une temporalité et d'une modalité prédicatives, le suivi discursif (par anaphore vers l'amont et cataphore vers l'aval); ou encore, la formation des objets de discours en tant que narration textuelle et/ou

6 Sans toutefois les faire disparaître; c'est le reproche que l'on peut adresser aux démarches

pragmatiques dans lesquelles les propriétés prédicatives s'évanouissent. 7 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre IV.

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d'argumentation. C'est pourquoi, ce message qui circule entre ces multiples domaines (constituant autant de modalités du sens) peut être pauvre ou complexe, normal ou déviant (pensons aux lapsus, aux clics vocaux), linéaire et plus ou moins décousu dans nos conversations courantes ou articulé en niveaux de référence comme dans le double sens (l'ironie, l'allégorie), les figures de rhétorique (l'analogie, la partie pour le tout), les modes direct et indirect de la mise en discours. Etc. Finalement, on dira que les expressions: « énoncés », « échanges verbaux », « textes »,... ne sont que les formes apparentes d'un mécanisme monadologique sous-jacent où chaque unité joue sa partition au même titre que les autres. Toutes concourent à un même résultat, les messages discursifs, dont le statut est l'inachèvement permanent. C. TROIS EXEMPLES ILLUSTRATIFS

Afin d'expliquer le fonctionnement de ce tableau (iii) supra, trois exemples vont nous permettre de mieux comprendre ce sens interactif entre les divers domaines de propriétés. Les astériques signaleront le fait que nous avons des traits de catégorisation analysables dans le texte.

(iv) Tiens! cette pomme est abîmée

Cet énoncé peut être interprété comme un constat (de visu)8 ou un jugement (évaluation), résultats d'une surprise (cf. l'interjection: Tiens! qui peut être une exclamation ou une interpellation indirecte9). Dans le premier cas, l'observation en reste là: je n'ai fait qu'enregistrer une information visuelle. Dans le second cas, par contre, l'énoncé peut renvoyer à deux énoncés implicites: a) Quelqu'un a abîmé cette pomme, b) Quelque chose a abîmé cette pomme. Pourquoi? Parce que dans: ...est abîmé, nous avons affaire à un adjectif déverbal10 qui exprime une action accomplie et non un simple état (comme dans, 8 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre III. 9 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre IV. 10 Cf. Réseau du sens II, Deuxième partie, Chapitre II.

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Jean est grand) et que l'objet présent a subi; de l'action accomplie par un agent11, on peut donc remonter (c'est-à-dire, régresser) à une origine, à savoir qui (sujet) ou quoi (objet) a agi sur la chose (montrée par le déictique : Cette).Afin de départager ces deux possibilités (cf. faire un choix12), on aura recours à une instance de dialogue (ce qu'on appellera, la Scène de la parole en tant que monologue ou dialogue).

Enfin, troisième possibilité, on veut faire constater que la pomme a subi un processus de dégradation : Cette pomme est en train de s'abîmer, soit un processus d'altération de type, cause naturelle conséquence, qui d'ailleurs, rejoint la première interprétation puisque dans celle-ci, on pouvait se demander qui ou quoi a précipité le processus de dégradation (propre à tout être vivant). Finalement, dans un cas, nous avons un processus avec intention (cf. soit, J'ai abîmé la pomme en la mettant dans le sac; soit, L'épicier m'a encore refilé une pomme abîmée), alors que dans l'autre, il n'y a pas d'intention mais un processus naturel (cf. Cette variété de pomme s'abîme vite), ce qui pourrait nous ramener au choix que nous avons fait (cf. une espèce de pomme parmi d'autres).

(v) Vous! Vous êtes quoi, vous, au juste?

Dans ce deuxième exemple, le Vous! est d'interpellation13, comme dans Hep! vous là-bas!, et non d'exclamation (plus ou moins adressée à la cantonade). Ce qui frappe, c'est à la fois le mode injonctif14 de l'énoncé et son sens indécis: ce n'est, ni une affirmation (en tant que déclarative: Vous êtes ceci, Vous êtes cela), ni une interrogation (cf. Qui dois-je annoncer à Monsieur?), ni une négation ; c'est un sens situé entre une affirmation et une interrogation et que nous analyserons un peu plus loin comme étant une insinuation (qui n'est pas une perplexité, située entre l'affirmation et la négation).

11 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre II. 12 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre III. 13 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre IV. 14 Cf. Réseau du sens II, Quatrième partie, Chapitre III.

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Poursuivons. Le ...quoi, bien sûr, frappe puisque ce mode est objectal; la reprise du Vous (son insistance) se situe dans ce qu'on appelle une topicalisation15 qui a pour effet de disloquer l'énoncé (où le détachement renforce l'insinuation comme incertitude). Enfin, le ...Au juste? renvoie à des propriétés de quantification discursive , et plus particulièrement, à la notion d'existence par rapport à une pluralité dénombrable (Tous, Quelques). Nous allons avoir l'occasion de revenir sur ce mécanisme complexe d'instanciation des énoncés. Juste, Au juste, Justement, comme la série parallèle, Tel, Tel que, Tel quel, précise un point/moment dans un continuum comme dans, Il est juste cinq heures, Il est justement là. Mais ici, le ...Au juste? associé à la forme semi-interrogative suspend ce caractère situationnel. Ce qui est questionné, c'est la place de la personne à qui est adressé cet énoncé (comme si cette place n'était pas évidente).

(vi) C'est une pas grand chose

Dans ce dernier exemple à caractère judicatif16, comment pouvons-nous interpréter le fait qu'il s'agit d'une femme dont on parle sur un mode péjoratif? Il pourrait s'agir plus généralement d'une « personne », catégorie épicène17 recouvrant les deux sexes.

Considérons la forme générale de cet énoncé présenté comme un état; il est introduit par ce qui est appelé un présentatif18 (ou « introducteur de topics »), C'est un..., C'est une... (équivalent au, Soit un triangle... des mathématiciens); c'est-à-dire, un énoncé qui ne fait pas intervenir un énonciateur précis. Présentatif sans énonciation d'un côté, réïfication d'une personne de l'autre puisque le deuxième membre de l'énoncé se présente comme une locution figée: Pas grand chose (comme dans les énoncés en répons: —Qu'est-ce que tu fais en ce moment? —Pas grand chose...). Nous avons, là encore, une quantification discursive qui se situe entre l'existence (de quelque chose) et le rien (quantification nulle). On ne

15 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre III. 16 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre III. 17 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre III. 18 Cf. Réseau du sens II, Deuxième partie, Chapitre IV.

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peut nier l'existence de quelqu'un mais on peut en dénier la valeur, et comme dans l'exemple de Benveniste: ça se promène sans complexe! (dit par la vieille dame parlant de jeunes filles un peu délurées), on fait passer la personne au rang de non-personne (cf. ça, impersonnel objectal).

Commentons ces trois exemples; au départ, le réseau sous-jacent aux univers de discours est petit, mais, par extension à de nouvelles propriétés que l'on peut stratifier en couches il acquiert rapidement une surface de description qui le rend complexe. Dans ce dispositif d'ensemble nous avons deux niveaux de compréhension: le premier répond à la définition de propriétés génériques de nature syntactico-sémantique; le second répond à la définition de propriétés sémantico-encyclopédiques. C'est à ce niveau que nous pouvons décrire des propriétés comme celles que nous avons proposées pour un réseau de relations de parenté (point (i.c) supra); ou encore, telles que nous allons les proposer pour le champ sémantique de l'< oiseau >.

Dans la description linguistique, ce qui importe, c'est montrer le type de compréhension à l'oeuvre dans la production des énoncés, comment le discours, tel une caisse de résonance, permet de générer du « savoir » (intuitif) sur ce qui est dit, la manière dont une situation d'énonciation est envisagée et comment les interlocuteurs font des choix dans leur manière d'appréhender ce que nous avons intitulé la Scène de la Parole. C'est la connaissance de ce savoir propre au discours qui est le but de l'analyse, et ainsi, qui nous guide dans la recherche des meilleurs « outils » capables de saisir cette réflexivité-transitivité qu'opère le discours dans chaque moment d'instanciation. Nous savons déjà que les grammaires génératives de Chomsky n'y répondent pas en ce qu'elles ne peuvent « décrire » en faisant appel à ce niveau de réflexion sur soi (par exemple, comprendre la notion de « paraphrase », soit l'interchangeabilité entre énoncés); elles ne savent pas « mettre en perspective » un savoir inhérent au discours en ce qu'elles s'enferment dans un systèmes de règles qu'elles ne peuvent pas dépasser dialectiquement. Les grammaires cognitives (Langacker, Lakoff, Vandeloise) cherchent plutôt du côté des rapports entre langage et perception ces processus de compréhension, faisant de chaque énoncé une petite scène visuelle du monde. Le risque est grand en ce qu'elles peuvent déboucher sur une psycho-sémantique qui mettrait entre parenthèses les véritables fondements de nature syntactico-sémantique du langage (ce qui fait sa spécificité) par rapport à la perception.

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Notre recherche, à la charnière entre linguistique et sémiotique, se situe plutôt dans le prolongement des travaux de Culioli et de Desclés où la reconnaissance d'une « noologie » discursive permet de saisir ces propriétés de réflexivité-transitivité qui font de celui-ci un dispositif symbolique (et pas seulement cognitif) éminemment complexe.

Nous pensons bien sûr à la notion de « domaine notionnel » qui est au centre de cette démarche et avec laquelle nous pouvons comparer le templum18. Similaires dans leur but (la définition de « noyaux noologiques »), elles sont toutefois distinctes dans leur mode d'exposition: si le concept de templum est issu d'une longue tradition spéculative sur les rapports de contrariété et de contradiction logiques (dont font partie le « carré sémiotique » de Greimas, l'« hexagone logique » de Blanché, le « tétracanthe de coordonnées sémantiques » de Morazé), celle de domaine notionnel est plus proche d'une topologie dans la notion de lieu qu'elle suggère entre une intériorité et une extériorité, des degrés de seuils par rapport à une frontière délimitant ces deux régions19. La dynamique sous-jacente à cette structure domaniale est celle d'un attracteur qualifiant les rapports d'intériorité-extériorité par rapport à un « idéal-type » dont la notion de

18 Cf. A. Culioli, Paris, 1990; de même, La notion, Actes du colloque sur « la notion »

(présentation, p. 9-24), Paris, 1997. Nous aborderons ces problèmes dans la Deuxième partie, Chapitre II.3., infra, à propos de la notion de champ sémantique.

Ce qui rapproche également ces deux démarches, c'est leur caractère « paradigmatique » par rapport à l'approche « syntagmatique » des grammaires génératives; notons au passage cet étonnement de la part d'un disciple de Chomsky (Milner (1992, p. 27) à propos de la théorie de Culioli: « Au sens précis des mots analyse et syntaxique, la théorie de Culioli n'est pas une théorie syntaxique et aucun des formalismes développés pour l'analyse syntaxique n'y a de place ».

On peut rapprocher cette conception non dérivationnelle (cf. par règles) de l’énoncé de celle des stoïciens pour qui le sens ne se réduisait pas à la composition logique des termes. Cf. Cl. Imbert (1978, p. 223-249), « Théorie de la représentation et doctrine logique dans le stoïcisme ancien ».

19 Cette notion de « lieu » traverse tous nos travaux sur une représentation spatio-temporelle des

différentes formes de l'habiter (architectures, territoires, cosmogonies; cf. (Boudon, 2000) par exemple); ce fut même l'origine conceptuelle du « templum ». Ces travaux nous permettent de comprendre qu'entre l'approche logique et l'approche topologique il y a de profondes similitudes dans ce que M. De Glas a appelé une « locologie », notamment par l'introduction de la notion de « frontière épaisse ». Pour un aperçu général, on peut se reporter au dossier de J.-P. Barthélémy, M. De Glas, J.-P. Desclés, J. Petitot, (1996).

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prototypie « à la Rosch » pourraient être une illustration. Dans les deux cas, le templum d'un côté, ou le domaine notionnel de l'autre, ce qui est fondamental est la reconnaissance de relations de colocalisation spécifiées par rapport à un bornage (extrémal et/ou médian). Dans les deux cas, nous retrouvons la notion d'intervalle topologique (ouvert, fermé) mais il semble que dans la démarche de Culioli il n'y a pas cette préoccupation d'une triadicité sous-jacente à cette structuration (triadicité qui permet d'introduire des termes neutres par rapport aux relations d'opposition). D. UN MINI RÉSEAU DE TEMPLA

Entre le réseau dans son ensemble (cf. Tableau (iii) supra) et les différents templa particuliers, nous avons cette notion intermédiaire de sous-réseaux qui organisent un certain domaine d'affinités, ou même, qui relient deux d'entre eux afin de saisir les liens qui les associent à la manière d'un pont.

Celui qui est proposé concerne la forme fondamentale d'une énonciation sous les espèces d'une instanciation discursive, d'une modalité assertive et d'une typicité lexicale. Il couvre les trois premières parties: la Première est associée aux mécanismes d'une instanciation et de ses ancrages énonciatifs (la notion paradigmatique de « personne » en tant que forme d'adresse); la Deuxième, à celui d'une définition des référents mondains, ce à quoi « vise » en particulier le discours (cf. mettre en place une Scène de la Parole, représenter un Monde); la Troisième, aux propriétés de la quantification discursive en tant que constitutive de la notion de classe d'objets et à une prototypicité de ceux-ci. D'autres propriétés adjacentes sont toutefois nécessaires quant à la spécification du discours. Il est difficile en fait d'isoler un certain niveau d'appréhension sans suggérer au moins ce par rapport à quoi celui-ci se caractérise. C'est pourquoi dans ce sous-réseau nous faisons apparaître des propriétés adjacentes que nous associerons dans la Quatrième partie à une « parole figurée »; elle concerne les figures rhétoriques mais aussi des figures de pensée comme l'ironie révélant ainsi la dialectique entre paroles prononcées et sous-entendus. Enfin, dans ce schéma, nous faisons apparaître des éléments que nous n'analyserons pas vraiment (comme la notion de véridiction ou les rapports

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entre celles de fait et de fiction20) mais qui nous servent de points de repère dans une démarche générale entre ce schéma et ses aboutissants textuels.

(vii) Le mini réseau de templa (discursivité)

instanciations

dire/ non-dire

rôles énonciatifs

intonations

tropes poétiques/rhétoriques

assertion (modes)

faitfiction

véridiction

typicité lexicale

hic et nunc

personnesquantification discursive I

quantification discursive II

Ce sous-réseau est beaucoup plus précis que le Tableau (iii) supra puisque

nous articulons des processus à travers une série de templa, le système qu'ils forment ici renvoyant à d'autres (relevant d'autres domaines que le Tableau précédent permet de localiser).

Ces processus ne sont pas linéaires. Considérons par exemple le point de départ (flèche en gras). Nous allons voir dans la Première partie que le dispositif des instanciations est fondamental en ce qu'il gère, à la manière d'une plaque-tournante, un ensemble de corrélats qui constituent autant de points de départ pour des types d'énonciation-référentiation (échanges verbaux, descriptions, gloses, etc.). C'est ainsi que la double flèche qui relie ces instanciations aux

20 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre V, et Sixième partie, Chapitre I et Chapitre

II.

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notions du dire (l'exprimé verbalement) et du non-dire (propos passé sous silence ou dénié) indique le fait que ces deux complexes de propriétés sont indissociables, qu'introduire l'un renvoie aux propriétés de l'autre. On en déduira donc que les deux processus induits par cette dualité d'origine (l'une vers la notion d'assertion, l'autre vers celle de tropes) ne sont pas deux processus linéaires indépendants, mais qu'ils sont en simultanéité dans la détermination des énoncés discursifs. Entre ces différents processus qui se répondent nous avons ainsi un mécanisme de va-et-vient où, selon l'expression de Leibniz qui nous est chère, ils s'« entr'expriment ». Ce n'est que lorsque les buts de ces processus sont remplis que nous obtenons finalement une unité expressive.

Si d'un côté les modes de l'assertion précisent ce qu'il faut entendre par « affirmation », « négation », « interrogation » soit les moyens courants des usages interlocutoires, de l'autre, nous avons également des choix possibles entre les notions de « sens littéral » (posé, présupposé), « sens figuré » (recours à des tropes, pas seulement au sens rhétorique/poétique mais aussi idiomatique), « sens sous-entendu » (implicitations non verbalisées mais interprétables pragmatiquement en tant que savoir tacite). En particulier, alors que les modes de l'assertion déclinent ce qu'est un simple énoncé (cf. du genre, Je suis allé à la gare chercher Françoise), ceux entre dire et non-dire déclinent des formes plus complexes en ce qu'elles peuvent avoir recours au « double sens » (comme dans l'ironie interlocutive, comme dans l'allégorie textuelle), que l'on retrouve dans les procédures interprétatives. C'est donc toute une économie du sens qui est en jeu entre les notions d'énoncé, d'énonciation, de symbolique (entendu au sens d'une mise en scène fictionnelle).

Revenons au registre des instanciations qui est au point de départ de ces relations; afin d'ancrer ce mécanisme complexe dans la discursivité, ce registre renvoie à des particules précisant les points d'ancrage. C'est, par exemple, le sens des pronoms dits personnels dont l'usage spécifie des rapports (paradigmatiques) d'adresse à quelqu'un. C'est également le sens de ce qui est appelé des « rôles énonciatifs » qui ne sont pas nécessairement les individus qui participent réellement à la Scène de la parole —énonciateurs fictifs aussi indispensables dans l'échange que les interlocuteurs en présence21. Dans ce mini-réseau (vii), nous 21 O. Ducrot, Paris, 1984, p. 171.

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dissocions apparemment ces rôles énonciatifs (énonciateur, énonciataire, témoin) des pronoms personnels, ce qui est bien sûr un artifice de présentation dans la mesure où nous cherchons à respecter l'ordre de leur présentation par chapitre. L'énonciation synthétise ces deux registres.

À la notion de personne (pronoms personnels), à celle d'une Scène de la Parole, nous devons également associer d'autres spécifications comme le suggère l'expression hic et nunc mentionnée: soit un « lieu d'ici » (situation spatio-temporelle) par rapport à un « lieu du là-bas » (entourant, où l'on veut se rendre) et un « lieu d'ailleurs »22. La Scène de la Parole fixe ainsi un Ici d'énonciation; de même, nous avons un Présent d'énonciation (qui dure tant que celle-ci se manifeste), par rapport à un passé et un futur23. Cette expression hic et nunc rassemble une diversité de propriétés relevant de plusieurs domaines d'affinité (adresses, localisations, temps et modes verbaux, mode narratif).

Abordons la question de la notion de quantification discursive: nous l'analyserons en tant que spécification des objets de référence dont on parle, cette quantification étant à la fois qualitative et quantitative, déterminative et dénombrable. Nous avons en fait un processus dédoublé en deux templa qui fonctionnent en parallèle en ce que la détermination des entités discursives joue sur l'un ou l'autre de ces registres, sur les deux parfois, et ce n'est qu'à travers une glose explicitative que nous pouvons démêler ce double rapport de quantification en tant que précision (notionnelle, indicative) de ce dont on parle. Ainsi doit-on définir la différence entre une propriété générale, Le panda est gentil par exemple, et une propriété accidentelle, Ce matin, le panda est malade. C'est la quantification qui permet de dissocier une qualité d'ensemble et une qualité montrée (au moyen d'un déictique): les gâteaux sont bons dans cette pâtisserie, ce gâteau est délicieux. Enfin, des propriétés aussi importantes que le partitif, comme dans Du vin tachait les nappes, ou la précision de justesse, Il est tel que je me le figurais, relèvent de cette notion d'une quantification discursive.

Enfin, nous dirons que ces modes de détermination des entités discursives s'achève (temporairement) dans la notion d'une typicité lexicale (notions de lexies

22 Cf. Réseau du sens II, Quatrième partie, Chapitre IV. 23 Cf. Réseau du sens II, Quatrième partie, Chapitre II.

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simples ou complexes comme dans les expressions idiomatiques24). Nous sommes à la limite d'une expression discursive et d'une perception mondaine; c'est pourquoi nous avons recours à cette expression de « typicité » dont l'usage en linguistique est apparu à la suite des travaux psycho-cognitifs d'E. Rosch et de son groupe25. Au-delà de cet usage (qui, à bien des égards, est difficilement recevable pour les linguistes en ce qu'on n'utilise que des lexèmes hors contexte langagier), cette recherche a par ailleurs mis l'accent sur les rapports complexes entre usages et classification, sens littéral et sens figuré (expressions idiomatiques, analogies). Nous l'avons adopté à la suite d'autres auteurs (comme Culioli ou Desclés) en ce que cette typicité lexicale constitue un principe d'organisation des champs sémantiques, au moyen de gradients, beaucoup plus complexe que celui des analyses componentielles qui se résument à la confection de matrices de traits lexicaux.

On verra ainsi que la forme de cette organisation est, à bien des égards, comparable à celle du templum en ce que chaque entité lexicale est composée comme un champ notionnel à partir d'un pôle qui en délivre le centre idéal (cf. prototype, donné ou construit), par rapport auquel on peut définir des exceptions. L'entité lexicale, multiple, est ainsi le lieu d'un conflit entre des forces normatives (qui la ramènent vers la centralité prototypique) et des forces anomales dispersives. Or, parler de normes, c'est évoquer un hors-classe (distinct des exceptions qui sont des manques à la norme; ainsi un manchot est quelqu'un de tout à fait normal à qui cependant il manque un bras). Ainsi, à l'animal ordinaire est toujours associé son complémentaire, le monstre, où nous avons les mêmes ingrédients mais composés à l'opposé du premier (cf. l'être ordinaire comme Ulysse et le Cyclope comme être extraordinaire). Cette monstruosité, si elle est en un premier temps un écart extrême à la classification, est recomposable à un autre

24 La conception développée est donc référentielle, au contraire de l'approche saussurienne, en

ce qu'elle inclue les propriétés « physico-culturelles » (comme dit Culioli) de ces entités dont on parle: rapports partonomiques, par exemple, qui renvoient cependant à des principes hiérarchiques {tout, partie} que nous aborderons à propos des problèmes de l'identification. De toutes façons, cette conception « référentialiste » ne préjuge pas de leur mode d'existence (réel, imaginaire) « dans le monde », ce dont se soucient le logicien ou le philosophe analytique.

25 Cf. G. Kleiber, , Paris, 1990.

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niveau dans les « fables » (contes, mythes) qui sont des formes narratives où les mondes imaginaires côtoient le monde ordinaire26.

C'est dans ce passage d'une norme à un hors-classe que nous pouvons situer une opération de « fictionnalisation »27 , située au-delà d'une classification, en tant qu'émergence de quelque chose de non-conventionnel; cette opération crée un écart critique par rapport aux conventions qui gouvernent les variations autour du prototype représentant une idéalité pour la catégorie envisagée (ainsi de celle de l'< animal >). Inversement, on parlera de « naturalisation » (comme dans les fictions dénommées télé-romans) comme mouvement inverse à cette fictionnalisation où l'univers extraordinaire d'une fiction (toujours possible) est rabattue dans l'univers trivial du social quotidien.

Pour finir, nous dirons que la typicité lexicale comme fabricatrice d'une multiplicité de lexies est « encadrée » par deux instances qui en modulent les variations:

a) d'une part, c'est la distinction entre fait et fiction28 qui délivre le sens de ces différences entre monde ordinaire (pratiques, discours) et monde extraordinaire (monde des mythes, du fantastique littéraire ou cinéma- tographique), où la notion de Texte comme substrat joue un rôle clef, en ce qu'il devient, en tant qu'univers de textes co-référents entre eux, le principe organisateur de ces « fables »; b) d'autre part, c'est la notion de « véri-diction »29, à la fois comme principe de vérification à la base des constats expérimentaux, du vraisemblable argumentatif (les lieux communs, la doxa en cours) et

26 Ce mouvement entre la classification ordinaire et son en-dehors (cf. classification extra-

ordinaire productrice de merveilleux ou d'effroi) est bien raconté par Foucault (1966) dans sa préface à Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, à propos des fables de Borges. Ce qui est remarquablement bien mis en valeur par le philosophe, c'est le principe de montage de la classification comme tableau qui ne supporte pas les hybrides et les monstres en ce qu'ils représentent la confusion d'un principe dissociatif.

27 Cf. J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction?, Paris, 1999. 28 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre V. 29 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre II. Cette notion est dûe aux travaux de

Greimas et de son groupe qui ont beaucoup insisté sur ce rapport dans la définition des quêtes narratives; cf. A.-J. Greimas, J. Courtés, Paris, 1979.

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comme principe d'intersubjectivité d'un caché/montré (entre évidence perceptive et leurre), où la logique du secret joue un rôle clef puisqu'il est au coeur des rapports public/privé qui fondent les pratiques discursives (cf. la Scène de la Parole puisque c'est, par exemple, la présence ou l'absence d'un témoin qui caractérise cette distinction).

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PREMIÈRE PARTIE: L'INSTANCIATION DISCURSIVE

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La démarche initiale consiste à mettre en place un dispositif d'énonciation minimale qui va jouer le rôle d'exemple-type de la notion de templum. À cet effet, je vais reprendre le cas célèbre des pronoms personnels comme forme d'adresse analysés par Benveniste; le linguiste a procédé en deux étapes puisqu'il a écrit, à dix ans d'intervalle, deux articles1: le premier porte sur la catégorie de la personne, le second sur son mode d'instanciation dans le discours2; ce qui va nous permettre d'introduire cette problématique de l'énonciation. On va voir ainsi comment, sur cet exemple très circonscrit, nous abordons les problèmes d'une description: non pas par le biais de la notion de « phrase », à laquelle on agrège des propriétés lexicales, mais à partir directement de la notion de « paradigmes de propriétés » qui représentent des micro-univers de sens composant une totalité fragmentaire. Les propriétés de la grammaire ne s'additionnent pas mais s'imbriquent les unes dans les autres par renvois à la manière d'un puzzle. I.1. CATÉGORISATION DE LA PERSONNE

Pour Benveniste, la catégorie de la personne revêt un caractère universel en ce qu'il n'existerait pas de langue qui en serait dépourvue (par exemple, l'absence de pronoms dans la formation des régimes verbaux). Par contre, c'est dans l'usage qui est fait de cette notion (en japonais, par exemple) qu'il peut y avoir une grande diversité de manifestations.

L'autre façon d'indexer la personne comme individu passe par la formation des « noms propres » qui sont déclinables à leur manière; ainsi, traditionnellement dans la culture française, un nom familial (patronyme) suivi d'un prénom usuel (singulier) extrait d'un répertoire symbolique (les saints, les fleurs,...) et de deux prénoms afin d'éviter toute homonymie avec d'autres

1 Benveniste (1966), « Structure des relations de personne dans le verbe » [1946] et « La nature

des pronoms » [1956]. 2 Cf. Sa notion fondamentale d'« instances de discours », p. 251.

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individus (on sait qu'ils répondaient traditionnellement à une filiation symbolique, cf. grands-parents, oncles ou tantes)3 .

Revenons aux pronoms d'adresse qui entrent dans la définition d'un régime verbal et que l'on dissociera d'autres formes de la façon suivante:

(i) .a. Je suis allé à la gare cherché Françoise

.b. Ma soeur et moi, on est allé à la gare chercher Paul .c. Elle et moi, on est allé à la gare ... en (a) nous avons un régime « paradigmatique » du pronom où il s'« oppose » à d'autres, alors qu'en (b), nous avons un régime « syntagmatique » qui « associe » deux personnes; ce qui donne (c) par abréviation.

Ce que Benveniste a considéré, c'est donc le régime paradigmatique de la personne qui instancie un énonciateur et c'est en ce sens qu'il n'y a que trois types de « personne », leur énumération ne rendant pas compte du fait qu'entre les deux premières et la troisième nous avons une hétérogénéité de statut (1966, p. 228):

Dans ces dénominations se trouve impliquée une notion juste des rapports entre les personnes; juste surtout en ce qu'elle révèle la disparité entre la 3e personne et les deux premières. Contrairement à ce que notre terminologie ferait croire, elles ne sont pas homogènes. C'est ce qu'il faut d'abord mettre en lumière.

Mais n'est-ce pas là aussi la marque d'insertion dans un régime de

l'opposition que nous allons avoir à définir de façon plus complexe? A propos de cette 3e personne, on a reproché (Moignet, Joly4) à Benveniste de parler de non-personne (alors que, par exemple, la grammaire arabe parle de la « personne absente », ce qui est différent). On va justement montrer que Benveniste a

3 Les noms propres renvoient à une « économie du sens » impliquant les rapports entre la nature

et la culture, la société et ses fictions (une mythologie, un panthéon, par exemple). Cf. Lévi-Strauss (1962, chapitre VII, p. 253-286).

Dans la notion d'adresse, on doit tenir compte également d'autres facteurs tels que des rangs hiérarchiques (par exemple, supérieur, inférieur, égal, en coréen) qui relèvent d'une sériation.

4 Cf. A. Joly, Lille, 1987.

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confondu cette 3e personne (cf. « terme » par rapport aux deux autres) avec la catégorie générale (cf. métaterme) de la « non-personne » qui surplombe ce régime des pronoms; comme si notre auteur avait « écrasé » le dispositif tridimensionnel dans son seul plan équatorial5.

Nous avons donc une asymétrie entre les deux premières personnes, instanciées par Je et Tu, associées à une dimension dialogique (puisque dans le procès de communication il y a alternance, Je-Tu, des locuteurs) et la troisième personne dont le régime est beaucoup plus variable. Bref, d'un côté nous avons des sujets de la communication et de l'autre un objet sur lequel porte celle-ci, ou ce dont on parle (1966, p. 230-231):

Il ne faut donc pas se représenter la « 3e personne » comme apte à se dépersonnaliser. Il n'y a pas aphérèse de la personne, mais exactement la non-personne, possédant comme marque l'absence de ce qui qualifie spécifiquement le « je » et le « tu ». Parce qu'elle n'implique aucune personne, elle peut prendre n'importe quel sujet ou n'en comporte aucun, et ce sujet, exprimé ou non, n'est jamais posé comme « personne ».

Bref, cette 3e personne est hors de la dimension intersubjective qui

caractérise les deux premières. C'est pourquoi, d'un côté, nous situons en X cette 3e personne (dont le régime générique peut être un Il ou un Elle), alors que nous situons en Y et Z les deux personnes de dialogue Je et Tu. Nous avons bien finalement une opposition triadique par contrariété dans laquelle ce Il ou Elle est le terme neutre.

La disposition d'ensemble {X, Y, Z} s'appuie donc au départ sur une distinction catégorielle: la personne en MT+ et la non-personne en MT-. Ce n'est qu'à ce niveau méta- qu'il est légitime d'opposer la personne à la non-personne afin de distinguer, en troisième personne, les deux sortes d'usage: un Il qui peut renvoyer à une personne absente dont on parle, Il est allé à la gare, et ce qu'on appelle par ailleurs le Il impersonnel, Il pleut, il vente aujourd'hui. En tant que non-personne, nous avons ce Il, mais nous avons également le ça comme dans, ça bouge drôlement là dedans, qui serait par ailleurs opposé catégoriellement au On indéfini, Bon, on y va?. Dans une expression comme, ça se promène sans

5 La différence est semblable à celle, perceptivement, entre les couples {figure, fond} où celui-

ci participe de la forme et {forme, informe} exprimant l'absence complète d'ordre, le vide.

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complexe (parlant d'un groupe humain), on peut dire que le locuteur fait passer de personne à non-personne la caractérisation de ce groupe, le déqualifiant de sa valeur d'humanité. D'où le jugement implicite très négatif.

A propos du rapport entre Je et Tu, Benveniste reprend la même distinction qu'entre la personne et la non-personne, et c'est pourquoi il parle d'un « non-Je » pour désigner la 2e personne comme étant en dehors de la sphère egocentrée. Ce qu'il faut regretter, c'est que l'auteur prend la négation dans un sens absolu (cf. logique: non-personne, non-je), acception qui ne souffre pas de terme intermédiaire. Or, justement, nous allons voir que ces termes jouent un rôle considérable (1966, p. 233).

Il semblerait que toutes les relations posées entre les trois formes du singulier dussent demeurer pareilles si on les transpose au pluriel (les formes de duel ne posent de question que comme duel, non comme personnes). Et cependant on sait bien que, dans les pronoms personnels le passage du singulier au pluriel n'implique pas une simple pluralisation. De plus, il se crée en nombre de langues une différenciation de la forme verbale de 1re plur. sous deux aspects distincts (inclusif et exclusif) qui dénonce une complexité particulière.

Complétons la configuration du schéma en introduisant la qualification des

termes mixtes entre les termes précédents: entre un Je au poste Y et un Tu au poste Z, et qui définissent l'alternance intersubjective du dialogue, nous avons au poste YZ ce qu'on appelle un Nous inclusif, égale à un, moi + vous. Celui-ci associe la première et la seconde personne pour former, par assimilation, une entité unique, Nous allons faire ceci. Ce Nous est distinct de l'indéfini On en ce qu'il est l'assomption des deux personnes (avec prédominance de la première), alors que le On représente la catégorie générique de personne; celle-ci intervient par ailleurs dans les processus d'anaphorisation comme le note Benveniste: « Par exemple, « vous » fonctionne en français comme anaphorique de « on » (cf. « on ne peut se promener sans que quelqu'un vous aborde » ( p. 232). On remarquera la nature orientée du passage de métaterme (On) à terme (Vous) indiquant la justesse de notre schéma.

Entre un Je au poste Y et un Il au poste X, nous avons par contre ce qu'on appelle un Nous exclusif au poste XY qui exprime un rejet, moi + eux; ou encore, Nous autres et Eux autres, comme dans, Eux autres, y sont pas pareils, y pensent pas comme nous... Ces expressions caractérisent une exclusion entre une 1re

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personne « dilatée » (Cf. plus que plurielle, « amplifiée » comme le précise Benveniste) et un tiers étranger (plus que neutre).

Parallèlement à cette procédure d'exclusion (d'autant plus forte qu'il y a rapprochement), nous avons au poste mixte XZ, entre le Tu (adresse ou interpellation) et le Il comme tiers terme neutre, la notion graduelle de respect (de distance sociale). En d'autres termes, ce Il peut exprimer, soit le rejet (Cf. Qui c'est celui-là ?), soit le respect comme dans la formule dite « de Majesté »: Monsieur désire-t-il manger sur la terrasse? (dit, par exemple, par le maître d'hôtel au client). La personne s'adresse pourtant à moi, mais elle le fait à la troisième personne comme si j'étais une personne étrangère à son monde. Le Il/Elle représente ainsi une position très ambivalente (cf. personne, non-personne; rejet, respect), contrairement aux deux premières personnes de dialogue.

Entre le Il et le Tu, nous avons ainsi une gradation qui représente les degrés d'une distance sociale dans les formules de politesse; on sait qu'en français il y a une distinction entre le Tu familier et le Vous; l'usage des titres honorifiques amplifie cette distance sociale et l'on sait par ailleurs qu'en italien et en allemand l'adresse de politesse s'effectue à la troisième personne du pluriel. Fait amusant mais notable, en ce qui concerne la position même du terme mixte XZ: en présence d'une tête couronnée, je peux dire tout aussi bien, Sire, désirez-vous reprendre du café? (j'adresse la parole au moyen du Vous), comme, Sa Majesté reprendra-t-elle du café? (j'adresse la parole au moyen de la troisième personne, signifiant l'objet d'une certaine vénération).

L'analyse remarquable de Benveniste exprimait donc bien, avant la lettre, cette disposition schématique que nous pouvons développer et le sens d'un micro-univers centré ici sur la notion de personne d'adresse; c'est grâce au schéma sémiotique que nous comprenons les déplacements de sens entre les trois sites d'origine, coiffés par le métaterme de la catégorisation générique. On peut ainsi repérer la portée de chacune des expressions utilisées en la rapportant aux gradients qui relient les termes: ainsi de la valeur des Nous qui restent fondamentalement attachés au pôle égocentré, soit dans le sens inclusif, soit dans le sens exclusif; ainsi de l'interpellation à la seconde personne qui peut osciller entre le Tu familier (orienté vers le Je) et les gradients de respect qui l'éloigne vers un Il.. On peut également repérer des formules « métaphoriques » qui contractent des distances dans le schéma: Hep, toi là-bas! où le Tu est de pseudo-

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familiarité (comme dans le tutoiement domestique) exprimant un rapport, à la fois, de proximité et d'infériorité. Soit le tableau:

(ii) Templum des pronoms d'adresse Métatermes: MT+: personne générique (On) MT-: non-personne (impersonnel: Il, ça)

Corrélats initiaux: X : tierce personne dont on parle (Il/Elle, Lui,...); rejet ou respect

(Monsieur, Maître) Y : première personne de dialogue (Je, Nous) Z : deuxième personne de dialogue (Tu, Vous)

Corrélats dérivés: XY: Nous exclusif (moi + eux) YZ: Nous inclusif (moi + vous) XZ: formules de politesse (passage de sujet d'adresse à objet de

considération) (ii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: personne (On) # non-personne (Il, ça)

Il

formules de politesse

Tu

Nous (exclusif)

Je

Nous (inclusif)

rejet respect

Cette première analyse va nous introduire à la seconde.

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I.2. CATÉGORISATION DE L'INSTANCIATION

Abordons maintenant un dispositif beaucoup plus complexe que le précédent en ce qu'il fait intervenir les dimensions fondamentales du discours, comme la notion de « temps situé » (moment temporel synthétisant une énonciation et une référenciation). Si, d'un côté, les pronoms personnels ont été une première mise en forme paradigmatique, selon le point de vue adopté, ils vont être maintenant les formes d'ancrage d'une interlocution en tant que « curseur » de la production discursive. Une citation de Benveniste prépare à ce passage (p. 228):

Dans les deux premières personnes, il y a à la fois une personne impliquée et un discours sur cette personne. « Je » désigne celui qui parle et implique en même temps un énoncé sur le compte de « je »: disant « je », je ne puis ne pas parler de moi. A la 2e personne, « tu » est nécessairement désigné par « je » et ne peut être pensé hors d'une situation posée à partir de « je » ; et, en même temps, « je » énonce quelque chose comme prédicat de « tu ». Mais de la 3e personne, un prédicat est bien énoncé, seulement hors du « je-tu »; cette forme est ainsi exceptée de la relation par laquelle « je » et « tu » se spécifient.

Nous allons aborder ainsi des problèmes d'instanciation des personnes

dans le discours; l'expression vient de la logique et signifie la fixation des valeurs d'une variable; en instanciant le Je ou le Tu, nous « ancrons » le discours dans un espace/temps localisé. Benveniste ajoutait même, nous le créons (1974 [1970]) en ce que cette présence d'énonciation constitue le rapport au monde (dans ce dernier article, le linguiste apparente cette présence à celle définie par la phénoménologie husserlienne comme « présent vivant »). Cette opération d'instanciation n'est d'ailleurs pas propre aux pronoms personnels; des déictiques spatiaux comme ici, là-bas, temporels comme, maintenant, aujourd'hui, hier, demain,... s'y réfèrent au même titre et c'est pourquoi nous dirons qu'il y a élargissement de la problématique; de leur côté, ces expressions déictiques sont interdéfinissables comme les pronoms personnels, par corrélation et opposition entre elles: ici vs là-

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bas vs ailleurs6, il y a trois jours vs trois jours avant, etc., soit selon un régime similaire.

L'opération d'instanciation correspond ainsi à l'actualisation d'une variable qui institue une présence (interlocuteurs, situation) comme forme de l'énonciation. Cette opération s'oppose à ce que les logiciens nomment une référenciation comme spécification d'une désignation (cf. objets, actions, valeurs, jugements). Alors que, d'un côté, l'instanciation institue des relations intersubjectives, elle constitue de l'autre une référence à un monde désigné, permettant de préciser la nature des objets dont on parle, leur domaine de validité, leur statut classificatoire, etc. Dans le premier cas, nous parlons de propriétés d'énonciation en ce que, pour communiquer, il est nécessaire de fixer des points de repère énonciatifs (pronoms d'adresse, déictiques), alors que dans le second cas, nous parlons de propriétés d'une référenciation comme désignation-définition-description d'objets de connaissance; convoquer des objets dont on parle, c'est bien sûr non pas les interpeller mais les spécifier à travers un mécanisme cognitif de classification, de quantification, d'aspectualisation, etc. On va voir que tout cet appareil cognitif dépend des rapports que Frege (1971 [1892]) a établis entre les notions de sens (Sinn) et de référence (Bedeutung); le sens, c'est l'expression nominale qui permet de constituer une adresse des objets visés (dans le monde réel, dans un monde imaginaire) alors que le référent, c'est l'existence de ces objets dont on parle. Ce terme peut très bien ne pas exister.

D'un côté, on aura donc un « lieu du sens » vide, défini au moyen d'une dénomination/spécification, etc., dont le référent manque (ainsi, de ces animaux étranges décrits par Henri Michaux, tel que l'< Enanglom >); c'est pourquoi on parlera de simulacres objectaux. De l'autre, on peut avoir une quantité d'objets/situations qui ne sont pas qualifiables au moyen des ressources linguistiques dont nous disposons. Il faut introduire ici une distinction entre ce qui relève du prédicatif et ce qui relève de l'antéprédicatif (la perception).

Pour illustrer cette opposition entre la référenciation et l'énonciation, on peut dire que, dans le premier cas, les conditions de vérité {vrai, faux} sont assignables (il faut toutefois définir le « type de monde » dans lequel nous nous situons; pensons à la différence entre le < cheval > ordinaire et < Pégase >), ce 6 Cf. Réseau du sens II, Quatrième partie, Chapitre IV.

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qui n'est pas le cas dans une énonciation où elles n'ont pas lieu d'être (concernant les pronoms d'adresse, les déictiques, les performatifs). I.2.1 LA MISE EN PLACE DES TROIS OPÉRATIONS DE BASE

Au moyen de propriétés bien différentes, nous pouvons ainsi opposer une référenciation (objective) et une énonciation (subjective), comme dans le cas du Il d'un côté et du Je/Tu de l'autre. Nous avons deux opérations qui font couple comme les termes d'une dialectique, puisque dans la constitution du discours, nous passons continuellement de l'une à l'autre. Dans, Hier, Jean est allé à la gare, nous avons une interrelation entre un terme qui exprime implicitement ma situation d'énonciateur (le fait de dire, Hier, nous situent dans un lendemain de ce jour) et d'autres termes qui représentent des entités définissables et/ou à définir (Jean a ici le statut d'un Il; aller, gare, sont par ailleurs des expressions qui font partie de répertoires codés).

À ces deux opérations « transitives » (au sens où elles renvoient à des termes désignables et/ou spécifiables hors discours; ce sens n'est pas celui de la logique), nous allons opposer conjointement une autre opération fondamentale: la mention. La mention est une opération « réflexive » sur l'expression utilisée; c'est une opération interne au discours. Si je dis, Le mot « chien » ne mord pas, j'effectue une mention en ce que l'énoncé renvoie à lui-même pour se désigner (on parle également d'une opération de mise entre guillemets —comme ici— l'expression Chien dont le statut est distinct du reste de l'énoncé). Cette opération crée implicitement un « niveau de langage » supérieur, au sens où pour parler de lui-même, l'énoncé requiert un autre niveau pour être réfléchi. Du coup, on peut imaginer une série de niveaux qui se reprennent les uns les autres par mentions successives: Nom, Nom de nom, Nom de nom de nom, etc; la métanomination est l'opération de passage d'un niveau à un autre7. C'est ce que nous allons exploiter

7 La notion de « niveau de langage », au sens d'une instanciation logique et non d'une

caractérisation sociolinguistique, est ici essentielle. Cette opération de métanomination n'est pas réservée aux termes (comme dans l'exemple (iii) infra) mais s'applique également à des énoncés, introduisant la notion de « modalités » au moyen de l'inférence:

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dans ce qu'on nomme la fonction métalangagière du langage (Jakobson, 1963, p. 220).

Pour les logiciens, cette opération spécifie le rapport entre langage-objet et métalangage, rapport défini par Frege et repris par toute une tradition (Frege, Russell, Quine) qu'on appelle « représentationnaliste »8. On peut ainsi décrire le langage par référence à une stratification de niveaux où les expressions sont reprises les unes à partir des autres dans un processus qu'on pourrait appeler d'explicitation (l'opération d'un dépli), où les énoncés primaires sont « filtrés » au moyen des niveaux supérieurs (cf. par commentaire, comparaison, justification, etc., ce qu'on appelle une glose). C'est à cette tradition représentationnaliste que s'oppose la pragmatique du langage ordinaire (le second Wittgenstein, Searle) pour laquelle ce décrochage en niveaux n'est qu'un artifice d'école où il est possible de distinguer précisément le sens des mots entre langage-objet et métalangage; dans le langage ordinaire, il n'y a qu'une langue sans cesse variable selon les savoirs et les circonstances (contextes d'énonciation).

mention modalités

qu'elles soient celles de l'assertion (cf. attitudes propositionnelles), de la prédication en général, ou encore des modalités praxéologiques (savoir, pouvoir). Ainsi, la formule qu'introduit J.-P. Desclés (2000) pour décrire des schèmes d'énonciation sont de cet ordre:

Je dis ce que je dis )(être vrai)

Je dis ce qui est dit (doxa)

où l'on a bien le dénivelé entre un modus et un dictum, hérité de la tradition scholastique. Ces modalités ont également une valeur dialogique comme dans cet autre exemple d'échange:

Je sais que tu sais que je sais

soit trois niveaux d'instanciation nécessaires pour caractériser celui-ci (au quatrième niveau nous avons une fermeture par « bouclage »).

8 Cf. F. Récanati (1979). Dans cette présentation où je reprends des notions bien connues mais qu'il est nécessaire de récapituler afin de comprendre les enjeux, je me réfère également à l'ouvrage de Berrendonner (1981, p. 128-137), en particulier à son chapitre « Quand dire, ce n'est rien faire » où il insiste beaucoup sur la fonction métalangagière dans la constitution d'une dialectique énonciative. On dira toutefois que ses « niveaux de renvoi » (p. 133) se situent entre référenciation et énonciation alors que nos « niveaux de langage » à titre d'explicitation des énoncés se situent entre référenciation et mention.

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Revenons à nos trois opérations selon cette conception représentationnaliste que nous assumons pleinement: elles sont mutuellement exclusives et collectivement exhaustives du champ théorique qu'on appelle une instanciation. C'est à travers ce dispositif catégoriel que nous pouvons situer minimalement des énoncés, comme exprimant des propriétés d'énonciation (cf. j'irai tout à l'heure à la gare) qui renvoient non seulement à des sujets énonciateurs mais à des actions qui s'ensuivent, exprimant des propriétés de référenciation (cf. La gare est à dix minutes d'ici), exprimant des propriétés de mention (dont pourraient faire partie, par dérivation, les définitions, cf. la gare est un lieu où s'arrêtent les trains de voyageurs). Dans un énoncé complexe comme,

(iii) Hier soir, Ruby —quel nom pour un chien!— a mordu le voisin au mollet gauche. Nom d'un chien!

nous avons un entrelacement de propriétés énonciatives, référentielles et réflexives (l'exclamation finale étant bien sûr ambiguë).

A partir de ces premières considérations, nous pouvons établir la base d'un templum où nous situons en X la mention, en Y la référenciation, et en Z l'énonciation.

La notion elle-même d'instanciation comme principe de fixation des valeurs d'une variable —et qui se distribue différemment sur les trois champs opératoires— est définie au niveau du métaterme MT+ qui ouvre ce domaine de l'énonciation comme « temps situé »; soit, l'ouverture d'un espace/temps existentiel qui n'est pas sans faire penser à l'opération du templum que les augures effectuaient à l'époque romaine pour savoir si la journée serait faste ou néfaste. La notion d'instanciation renferme donc les opérations (réversibles à ce niveau) d'une réflexivité et d'une transitivité (ces deux expressions étant prises dans un sens moins technique que celui en logique). Pour Récanati (1979, p. 15-28), c'est la définition même du « signe » dans la philosophie classique (Descartes, Arnaud, Malebranche, les Idéologues), entité qui est à la fois réfléchissante sur soi et renvoyant à un monde dont elle localise les éléments. C'est le sens même de la notion de représentation en tant que prisme réfractant un monde.

On opposera à la forme positive du métaterme sa forme négative MT- en tant qu'absence d'instanciation. C'est toujours en se référant à une démarche

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logique, ce que Kripke (1982 [1972]) a nommé un « désignateur rigide » par rapport à la définition de ce qu'on entend, par ailleurs, par « mondes possibles » (on est vraiment dans une tradition leibnizienne où ce désignateur rigide serait un « passeur » nominal). Cette expression logique constitue une forme invariante (cf. un nom propre au sens logique) pour tout monde quelqu'il soit —un terme absolu en quelque sorte9. Ainsi, une désignation est « rigide » si elle désigne le même objet quelque soit le monde où on l'évoque; en ce sens, c'est un point fixe « vide » semblable au zéro par rapport à la multiplicité numérique. Or, la thèse de Kripke, c'est qu'on ne peut réduire l'existence de ce désignateur rigide à une somme de « descriptions » particulières. Davantage, c'est cette identité co-référentielle sous-jacente entre locuteurs (cf. un pronom personnel, un éponyme, un nom d'espèce comme < chat >, etc.) qui permet de passer d'un monde à un autre. Ainsi, les cinq expressions (parmi bien d'autres possibles): Le petit caporal, Le mari de Joséphine de Beauharnais, Le vainqueur d'Austerlitz, Le vaincu de Waterloo, L'exilé de Sainte-Hélène,... réfèrent toutes à un même objet identifiable, « Napoléon », qui n'est pas réductible à l'une de ces descriptions définies (dont certaines peuvent être inconnues des locuteurs). Il y a donc une asymétrie fondatrice d'où peuvent être énoncées ces cinq descriptions (parmi d'autres). En ce sens la non-instanciation serait plus que la désignation par un nom propre (qui n'en est que l'index); c'est le cadrage même de l'opération de désignation, ce qui ne peut être montré mais qui permet la monstration. Encore une fois, nous dirons que la notion de templum correspond très exactement à ce dispositif de la monstration comme non-instanciation.

Donnons ce paradigme au complet dont nous analyserons après les termes mixtes: 9 Cf. S. Kripke (1982 [1972]). Nous nous référons plus exactement à l'interprétation qu'en a

donnée R. Martin (1987), permettant d'établir un lien entre la logique du discours et celle de la science grâce à la notion d'« univers de discours » apparentée à celle de « mondes possibles ».

Nous sommes bien conscient du fait que cette notion de désignateur rigide comme point fixe d'un champ ou origine historique (c'est le sens qu'il faut donner à la transmission dont parle Kripke comme chaîne de relations entre générations, entre un terme a quo et un terme ad quem, soit une tradition qui se perpétue) relève d'une problématique plus large; toujours pour ce logicien, le désignateur rigide est un objet quelconque (au sens de l'expression dûe à Gonseth) et non un faisceau de propriétés (de marqueurs sémantiques); ce n'est pas tant une constante par rapport à une variable qu'un objet (comme l'entend la logique combinatoire) par rapport à des relations.

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(iv) Templum d'une instanciation discursive

Métatermes: MT+: instanciation (opérations de réflexivité et de transitivité) MT-: non-instanciation (désignateur rigide comme point fixe)

Corrélats initiaux: X : opération de mention (métanomination) Y : opération de référenciation (distinction fregeenne entre sens

et référence) Z : opération d'énonciation interlocutive (adresses, situations,

rôles, intonations)

Corrélats dérivés: XY: registre métalangagier d'une glose (définie par niveaux

d'instanciation: comparaison, explicitation, justification, légitimation, des propos tenus)

YZ: situation énonciative comme co-texte d'avant et d'après encadrant l'énoncé présenté comme moment hic et nunc (corrélativement, d'un côté, modalité de re, de l'autre, modalité de dicto). On peut dériver de la notion d'instant présent la notion de bifurcation (lapsus, mot-valise) et de saut (métaphore) comme transgression classificatoire

XZ: sui-référence: soit comme « sujet » (ego comme point fixe, lieu du paradoxe logique comme dans: Je mens), soit comme « objet » (énoncé poétique en tant qu'auto-télique)

(iv') La schématisation sera de la forme:

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MT+,-: instanciation # non-instanciation

référenciation énonciation (personnes, sites, intonations)

sens

désignation

mention

niveaux de métalangage sui-référence

cotexte (avant + X + après)

bifurcation (lapsus, mot-valise)

saut (métaphore, syllepse)

objet

sujet

0

mode de re

mode de dicto

Ce dispositif est beaucoup plus complexe que le précédent en ce qu'il correspond au noyau conceptuel des différentes opérations discursives produisant des énoncés. Il est comparable au mécanisme de l'aiguillage dans un réseau ferroviaire en ce qu'il a le pouvoir de diriger des types d'énoncé dans des directions différentes. I.2.2. PREMIER TERME MIXTE EN TANT QU'OPÉRATION

COMPLEXE

Entre une métanomination au poste X et une référenciation au poste Y, nous avons les fonctions métalangagières constituées par des niveaux de langage. De la première opération, nous retenons ainsi l'idée de réflexivité et de constitution d'un niveau supérieur méta—. De la seconde opération, nous retenons l'idée d'une expression nominale et référentielle à expliciter (cf. un renvoi au monde et un sens paraphrastique). Ce sont deux opérations conjointes qui peuvent générer ce qu'on a appelé une glose métalangagière; celle-ci est un « travail » sur le langage afin d'expliciter le sens des vocables que nous utilisons pour communiquer. Cette opération assimile donc la partie sens (Sinn) de la

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référenciation Y pour la mettre au service de la métanomination X; nous obtenons ainsi différentes « couches » de la signification: la simple paraphrase qui est une reformulation de l'énoncé (cf. On sait qu'à une structure prédicative correspond une « famille d'énoncés » équivalents ou paraphrastiques (Fuchs (1982), Pottier (1987)); puis, l'explicitation qui est un commentaire plus approfondi en ayant recours, par exemple, à une étymologie (une origine), à des comparaisons (analogies), aux présupposés et aux conséquences (implications) des termes et/ou tournures employés.

La notion de « définition » relève d'une telle opération métalangagière en ce qu'elle institue un rapport entre deux parties asymétriques, définissante et définie, qui renvoit à deux niveaux distincts. En fait, nous avons deux types de définitions qui participent de cette dualité10: d'un côté, on parlera de définition ostensive où, justement, on ne fait pas appel à une métanomination (c'est un geste de renvoi direct au monde, comme dans, Un marteau, ça sert à enfoncer des clous), et de l'autre, on parlera de définition explicite (soit de nature « nominale » —le sens— soit de nature « réelle » —la référence, ceci pour suivre une tradition leibnizienne), laquelle a recours à la notion de métanomination11. Ces définitions explicites entrent dans la confection d'un métalangage scientifique à titre de points de départ de l'analyse (postulats).

Revenons à notre échelonnement en niveaux; à un niveau supérieur, on aura ensuite la justification comme recours à des « raisons » (argumentatives), des précédents historiques (comme dans les rendus de justice). Enfin, une légitimation comme recours ultime où l'on touche au « fondement » même de la valeur des énoncés (convictions). Bien souvent, cette dernière couche métalangagière dégage les « actes de croyance » qui sont à la base des arguments; lorsque quelqu'un vous dit, La propriété privée, c'est sacré, ou encore, Le Parti a toujours raison,... il est au plus profond de son argumentaire pour légitimer ses propos. Il délivre ainsi un credo (un acte d'allégeance, un principe philosophique, etc.). Comme on le voit, c'est à la fois un travail sur le langage (argumentaires) et l'emploi implicite de

10 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre III. 11 L'adéquation (ou non) entre la définition ostensive (qui montre ou qui illustre) et la définition

explicite sera l'un des thèmes de la notion de « typicité » que nous aborderons à la suite des travaux de Rosch.

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conditions de vérité {vrai, faux} qu'on cherche à légitimer . À l'acte de croyance correspond ainsi un ancrage dans le monde, indécidable analytiquement, mais existentiellement fondé.

Cette présentation laisse entendre que ces fonctions métalangagières sont essentiellement à vocation monologique (définition d'un argumentaire ou d'une science); loin de là, car celles-ci sont également inhérentes au dialogue. Dans une interrogation qui suit une affirmation, du genre: Qu'est-ce que tu veux dire par là? ou, Où veux-tu en venir? qui sont des énoncés du langage ordinaire, nous dirons que nous avons les amorces d'une opération de métanomination12. Il suffit de comparer ces formules avec la suivante: J'ai acheté un livre sur Picasso; tu veux le voir? pour comprendre que dans le premier cas nous avons une différence de niveau de langage amorcée alors que ce n'est pas le cas dans le second où l'interrogation porte sur la nature d'un objet (un référent, Livre sur Picasso) et non sur la portée d'un énoncé (un sens). Dans une autre forme d'interrogation, du genre: Qu'est-ce que t'as dit?, ce serait par contre sur l'énonciation en tant production matérielle que porte celle-ci (ce que nous allons aborder un peu plus loin à propos des distinctions de re et de dicto).

Dans la reprise d'un énoncé par un autre, nous avons souvent un changement de niveau qui signifie une demande de commentaire sur le sens des énoncés produits; la réponse sera alors une explicitation, voire une justification de ce que nous voulons dire. Mais dans le dialogue, on « monte » très vite aux niveaux justificatif et légitimateur des « raisons » qui nous font dire telle ou telle chose, qui nous font avancer tel jugement péremptoire plutôt que tel autre, contrairement aux argumentaires oratoires (ou scientifiques) plus pondérés. On arrive très vite à des échanges heurtés, du genre: -Pourquoi dis-tu ça? -Parce que!!, ou, -Pourquoi lui as-tu dis ça? -Est-ce que ça te regarde finalement!!. Nous avons dans ces deux exemples l'expression d'un grippage de la machine métanominative qui est censée constituer un niveau de langage après un autre; c'est-à-dire qu'au lieu de suivre graduellement cette montée argumentative, on bascule très vite dans des rapports interpellatifs où les arguments deviennent alors ad hominen.

12 Associée à des énoncés et non uniquement à des termes comme nous l'avons signalé dans la

note (7) précédente.

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Finalement, il y aurait beaucoup à dire sur ces fonctions métalangagières qui participent directement à l'élaboration du discours (dans son rôle dialogique et argumentatif) en tant qu'auto-constitution13. C'est à travers cet aspect intégrateur d'une référenciation et d'une métanomination que l'on peut saisir la complexité des renvois internes entre nommer, désigner, commenter, expliciter, justifier, fonder,... Tout ceci étant exprimé par des types d'énoncé selon une stratification par niveaux où l'on retrouve le caractère fondamentalement « feuilleté en couches » du langage. Nous sommes au coeur d'une machinerie qui exprime « en petit » (pars totalis) ce que l'ensemble du réseau du sens effectue « en grand », puisque de son côté, celui-ci agit sans cesse par renvois d'une qualification à une autre. I.2.3. DEUXIÈME TERME MIXTE EN TANT QU'OPÉRATION

COMPLEXE Entre une référenciation en Y et une énonciation en Z, nous avons ce que les logiciens appellent l'emploi, directement opposé à la mention en X. Alors que celle-ci est, fondamentalement, une opération réflexive du langage sur lui-même, l'emploi correspond de son côté à l'usage situé des énoncés; c'est là que nous pourrions parler d'un « suivi discursif », d'un cotexte comme entourage de l'énoncé présenté, soit ce qui précède et ce qui suit (donc formant une entité projective plus vaste que l'énoncé lui-même). La production est le résultat d'une succession d'énoncés (selon un certain « fil conversationnel ») que l'on peut appeler le « présent vivant » de la conversation en tant que hic et nunc successifs que nous schématisons ici par l'équation: (avant + [X, Ø] + après), où à X correspond un énoncé présenté et à Ø une absence (un blanc, une césure, un silence).

Cet usage courant renvoie d'abord à un moment d'énonciation et bien sûr à une foule de choses qu'il s'agit d'expliciter comme rencontre entre deux interlocuteurs (cf. salutations, stéréotypes conversationnels, lieux communs,

13 Cf. Sixième partie du volume, Réseau du sens II.

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questionnement qui fait l'air du temps,... )14, dialogue, récit, paroles rapportées, ... Bref, ce que nous appelons la Scène de la Parole comme théâtre de nos activités langagières. Ce hic et nunc est ainsi un moment d'ancrage (fluent, versatile) dans le temps. C'est par rapport à celui-ci que l'on peut définir linguistiquement deux types de subjonctif, par exemple, un « subjonctif d'avant » (à caractère énonciatif) comme dans, Avant qu'il arrive, je dois te dire que... et un « subjonctif d'après » (à caractère énoncif) comme dans, Après qu'il soit venu, Jean n'a toujours pas fait son choix. L'avant et l'après, par rapport à un hic et nunc énonciateur, modifient ainsi le mode verbal.

Par rapport à cet emploi qui intègre des opérations de référenciation (implicites par rapport à ce que nous venons de considérer) et d'énonciation faisant intervenir la nature des rôles dialogiques (on parlera ainsi de co-énonciateurs), nous allons plus particulièrement nous intéresser à deux modalités qui vont agir comme deux « catalyseurs » de ce qui est exprimé: la modalité de re qui serait du côté d'une référenciation et la modalité de dicto qui serait du côté d'une énonciation15; celle-ci a également une valeur situationnelle du « dire » par rapport aux co-énonciateurs, comme dans, A propos, tu me disais que Jean est arrivé? (Berthoud, 1996; la forme interrogative précédente est également de ce type). Cet énoncé est exprimé non pas tant par rapport à ce qui est dit d'une situation ou d'un objet dont on parle mais (en tant que rappel) par rapport à l'énonciateur à qui on s'adresse. D'où sa valeur de de dicto et non de re.

Pourquoi introduire ces deux modalités qui ont au départ un sens logique? J'essaierai de répondre à cette question à la suite de Martin (1987) pour qui elles offrent une valeur discursive; au départ, précisons que celles-ci ne sont pas toujours facilement distinguables et cette ambiguité correspond bien à la position intermédiaire que nous leur assignons dans le templum, à mi-chemin entre une référenciation (à caractère objectal) et une énonciation (à caractère intersubjectif). Comme on le voit mieux, la complexité de ces opérations débordent sur leurs collatéraux. Ainsi, à la suite de Grize (1982, p. 206), nous ajouterons qu'à partir

14 Cf. (Boudon, 1998). 15 Là encore, nous nous référons à l'interprétation qu'en a donnée R. Martin (1987, p. 111-125).

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d'un énoncé comme, Jean est certainement malade (où il n'y a aucune marque apparente d'énonciation), nous pouvons dériver deux interprétations possibles:

(v) J'asserte que Jean (est certainement) malade (modalité de re) ou bien, (J'asserte avec certitude) que Jean est malade (modalité de dicto)

Comme on le voit, il est difficile de trancher entre ces deux interprétations dont la signification peut être infléchie, suivant le schéma (iv-iv') supra, dans un sens (vers Y) ou dans l'autre (vers Z). C'est pourquoi, un énoncé a toujours besoin de son cotexte (d'avant, d'après) pour pouvoir être désambiguisé.

Pour R. Martin, cette distinction est l'amorce d'une différence entre des univers de discours assimilés à la notion de « mondes possibles » (dont nous avons déjà parlé à propos de l'instanciation); ce sera, par exemple, l'introduction d'une différence de temporalisation entre une « temporalité énonciative » (rattachée à la modalité de dicto) et une « temporalité énoncive » (rattachée à la modalité de re); c'est-à-dire, comme temporalité de faits établis. Citons Martin (1987, p. 113),

En disant de Pierre qu'il a les mains sales, je situe de re le fait que Pierre a les mains sales dans le présent, c'est-à-dire dans un intervalle qui comporte le moment to de l'énonciation. Je sais que la proposition Pierre a les mains sales, actuellement vraie et donc par moi prise en charge, ne sera vraie qu'aussi longtemps que Pierre a effectivement les mains sales. Pour peu que Pierre se lave les mains, et Pierre a les mains sales sera une proposition fausse. Ici temps de re et temps de dicto se confondent. Mais rien de tel au passé. A ce moment-là, Pierre avait les mains sales. De re cette proposition est située dans le passé; de dicto je la prends en charge non seulement au présent, mais indéfiniment, sauf erreur ou sauf oubli. Cette fois, temps de re et temps de dicto se disjoignent. Au reste, la proposition Pierre a les mains sales, actuellement par moi admise pour vraie, sera, dans l'avenir, une fois que Pierre se sera lavé les mains, tenue pour une proposition qui a été vraie. On retrouve ainsi, intuitivement, les théorèmes bien connus de la logique priorienne, mais interprétés en termes de re et de dicto.

Il est difficile de reprendre au complet toute l'argumentation du linguiste

qui permet d'inscrire ici au poste YZ une modalisation à double versant, avec son

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renvoi aux temps (passé, présent, futur), aux modalités prédicatives (indicatif, conditionnel, subjonctif), aux conditions de vérité (vrai, faux) attachée à une référenciation —contrairement à une énonciation—; sans parler de son rapport aux connecteurs d'argumentation (Ducrot, (1980)) comme dans une restrictive du genre: Jean fera le nécessaire, si tant est qu'il ait reçu ma lettre,... Tous ces éléments nous permettent de construire une catégorisation qui peut rendre compte d'un « suivi discursif » comme temporalisation, infléchissement dans un sens ou dans l'autre, modification, reprise en écho de paroles précédentes, concession, etc. C'est par ce biais que nous rendons compte d'un emploi du langage en situation. Ainsi du rapport entre les divers registres d'une énonciation, du mode du récit comme dans la situation dite de « présent historique »; un énoncé tel que, Il vient me voir et comme je ne suis pas là, il ... est dépourvu de sens dans un présent situationnel mais pas si je rends compte d'un moment de mon passé (qui devient historique). Tous ces éléments d'une catégorisation permettent de définir ce qu'on entend pluriellement par « univers de discours », saisis dans ce rapport entre une référenciation et une énonciation.

Cette modulation d'une temporalité discursive pourrait être également accompagnée de formules énonciatives stéréotypées qui ne sont, ni des lieux communs (cf. Un sou est un sou, Il y a champagne et champagne, etc.,) ni un sens idiomatique comme, Il nous a mis dans un sale pétrin, On est fait comme des rats, etc... Ainsi, dans un énoncé comme, L'Université française est devenue —passez-moi l'expression— un véritable bordel (propos entendu à la radio), l'expression de dicto: « passez-moi l'expression », ne spécifie aucune adresse précise ni une quelconque demande performative; c'est une fonction éminemment catalysatrice de propos que l'on veut atténuer (cf. euphémisme). Ainsi des expressions, Je ne vous dis que ça, Soit dit en passant, Sait-on jamais, Pour ainsi dire ; les reprises en, Que dis-je, Je me disais aussi,... qui n'ont pas seulement valeur grammaticale d'incises mais de ponctuation énonciative/énoncive (en ce qu'elles réfèrent à une pseudo-énonciation qui fait « entrer en résonance », par réflexivité, le discours sur lui-même). Celles-ci ne peuvent donc être situées qu'à ce poste YZ, et plus précisément, entre ce terme mixte et le poste Z. Terminons cet excursus en abordant l'expression adverbiale de temps: Toujours est-il que... qu'on peut ranger à côté de ces expressions stéréotypées dont nous venons de parler. Ainsi, cette expression n'a d'autre valeur discursive que de

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signifier une reprise concessive (dans une argumentation)16, la persistance d'une opinion momentanément interrompue par d'autres propos, mais que l'on maintient. Dans le dialogue,

(vi) —Mais, elle l'aime toujours ... — Ouais, ouais, toujours est-il qu'elle l'a trompé! (Martin, 1987)

les deux Toujours expriment deux sens radicalement différents: d'un côté, de re quant à une permanence (où l'on pourrait lui substituer un encore comme relatif à une durée qui se poursuit); de l'autre, de dicto, quant à une persistance de l'opinion de l'interlocuteur vis-à-vis de la personne dont on parle. Là encore, nulle trace d'énonciation explicite dans cette opinion (et cependant, l'interlocuteur a bien saisi le sens argumentatif de cette ambiguité).

Bref, c'est par la place de l'emploi comme cotexte entre énonciation et référenciation que l'on peut situer le hic et nunc fluctuant du discours; les entités dont on parle (objets, actions, opinions) ne sont pas tant donnés une fois pour toutes que transigés, négociés, au fur et mesure du dialogue; les évoquer, les convoquer, les justifier, c'est les faire apparaître sous divers angles subjectifs, à travers un certain nombre de formules du genre: futur conjectural, futur ou conditionnel d'atténuation, interrogation prudemment référée au passé comme dans, Qu'est-ce qu'il vous fallait comme ruban? (dit par la marchande à sa cliente). Il y a donc, fondamentalement, une indétermination des entités dont on parle qui permet, d'un côté, les malentendus possibles, mais de l'autre, une possibilité de se reprendre, de pratiquer une temporalité dialogique où l'on fait avec le co-énonciateur « un bout de chemin » ensemble.

Dans cette formule d'un présent de discours, nous avons enfin introduit un sous-ensemble qui, à lui seul, renverra à des phénomènes attenants à l'emploi et cependant radicalement distincts de l'usage ordinaire en ce qu'ils feront apparaître une « étrangeté » au sein même de la production discursive. Reprenons ce sous-ensemble distinct: 16 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre II.

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(vii) sous-ensemble du schéma (iv-iv') précédent,

cotexte (avant + X + après)

bifurcation (lapsus, mot-valise)

saut (métaphore, syllepse)

0

Au départ, nous avons une alternative entre les symboles [ X ] et [ Ø ], le premier signifiant la présence d'un énoncé formulé par rapport à un précédent et un suivant, le second signifiant son absence (formant ainsi une discontinuité)17. Nous dirons qu'il est la marque d'un manque, d'une vacuité, que la loi de discours exige de combler et c'est le sens des deux flèches qui partent de ce symbole (et qui renvoient à d'autres spécifications dans le réseau du sens). C'est donc en fonction de cette continuité postulée (expression physique d'un déroulement temporel dont cependant l'articulation discursive est distincte) que nous pouvons dériver deux manifestations symboliques corrélées; dans un premier cas, nous avons celui d'une bifurcation comme dans l'expression: La langue m'a fourché!, comme dans le cas des lapsus, des mots-valises (qui deviennent des signifiants psychanalytiques dans l'analyse du même nom), alors que dans le second cas, nous avons plutôt un saut en tant que suppression du mode articulatoire normal (par exemple, suppression des marques syntaxiques, créant ainsi des rapprochements hétéroclites). C'est par ce biais que nous pouvons interpréter le sens des métaphores poétiques qui ne sont pas des comparaisons abrégées (sinon à titre de justification rhétorique) mais des rapprochements incongrus qui associent des catégories hétérogènes pour former des transgressions du discours ordinaires. Ce qu'il faut noter, c'est donc que cette vacuité interruptive est réintégrée dans le discours sous la forme d'un comblement qui exprime alors une « étrangeté » par rapport aux co-énonciateurs.

Le mécanisme que nous venons de situer ne rend pas compte du contenu de ces transgressions (par bifurcation ou par saut) mais du mode de leur

17 Il existe ainsi des discontinuités « naturelles » en tant qu'amorce et terminaison normales d'un

discours et que les salutations justifient en tant que modes de l'ouverture et de la fermeture et des discontinuités « en rupture », imprévues; ce sont celles-ci dont nous parlons.

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apparition comme discontinuités erratiques sur fond de continu (on sait par ailleurs qu'un discours fait continuellement de métaphores n'est pas possible; celui-ci, « farci » de métaphores, serait à la limite de l'audible). I.2.4. TROISIÈME TERME MIXTE EN TANT QU'OPÉRATION

COMPLEXE

Terminons cette analyse par le terme mixte, dénommé sui-référence par Benveniste, situé entre une énonciation et une mention; il s'agit d'une auto-référence diamétralement opposée à la notion de référenciation.

Comment se constitue cette sui-référence? Nous dirons qu'elle est la rencontre d'un redoublement métanominatif et de l'assignation d'une source énonciative; alors que la mention est une opération d'ouverture indéfinie de niveaux de langage (cf. d'où le problème de sa clôture évoquée à propos d'une légitimation dernière), ici elle correspond à une involution sur elle-même, caractéristique d'énoncés comme, Je Suis Celui qui Suis (Exode, III, 14), Est Je celui qui dit je, ... C'est la définition d'une centralité egologique (bien différente du cotexte fluctuant et versatile dans un suivi discursif). Il n'y a apparemment qu'un Je énonciateur qui peut être exprimé par cette formule d'auto-référence car toute autre personne (Tu, Vous, Il) constitue une transitivité et non une réflexivité sur soi (le Nous, par contre, en tant qu'amplification du Je peut être également un tel symbole egologique).

C'est la reconnaissance d'un point fixe et d'une origine d'où le sujet (singulier, pluriel) parle; on dira ainsi que cette sui-référence abolit la notion même d'instanciation comme variation (puisqu'elle est identifiée à une non-instanciation). Mais, n'y a-t-il qu'un sujet qui possède ce privilège? Non, car on peut également souligner le fait que cette formule se rencontre également dans certains documents tels qu'une lettre administrative du genre, Par la présente, vous êtes prié... « qui sert à qualifier la fonction de la lettre prise dans sa totalité » (Ducrot 1984, p. 182). La sui-référence exprime un « propre » (au sens phénoménologique) qui se situe au-delà de la notion de sujet et d'objet et qu'elle qualifie en tant qu'auto-référence18. C'est dans ce contexte d'un certain type 18 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre I.

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d'« appropriation » comme réflexivité globale que l'on pourrait parler ainsi des énoncés poétiques comme auto-référence (on dira de ceux-ci qu'ils réfèrent d'abord à eux-mêmes avant de référer à un monde imaginaire dont les éléments sont empruntés au monde naturel). La poeïtique, en tant que faire propre à un énonciateur, met en rapport un sujet et un objet (celui-ci étant dissocié d'une référenciation normale).

Renvoyant ainsi aux métatermes qui gouvernent ce templum, la sui-référence est un « blocage » des mécanismes d'instanciation; il n'y a pas d'en-deça à ce niveau existentiel et tout énonciateur (ou son délégué) qui réfère à sa parole exprime cette limite que représente le désignateur rigide (MT-). Cet auto-centrage a bien sûr ses effets pervers, appelés paradoxes, comme celui du menteur où la vériconditionnalité de l'énoncé (à savoir la possibilité de départager le vrai du faux) est suspendue: Je suis un menteur. Alors qu'à l'énonciation au poste Z on peut assigner des pronoms de dialogue qui constituent une logique de renvois à travers le discours (cf. la Scène de la Parole), ici on doit parler d'une opacité réflexive: le sujet est maître absolu de son énonciation (cf. Je suis je, c'est moi qui parle) mais il est aussi piégé par celle-ci. Bref, le dialogue se réduit au soliloque comme Épiménide le Crétois l'était par sa formule paradoxale.

Il faut donc bien distinguer l'acte d'autorité que représentent les verbes performatifs (cf. l'ordre, la promesse, la requête), qui reçoivent une légitimation de la part d'autrui, de cette formule auto-référentielle. Il s'agit d'une transitivité qui porte non sur le dire lui-même (en l'opacifiant) mais sur l'action qui s'ensuit; dans les termes de la théorie classique du signe, cette expression est parfaitement transparente19.

Or cette parole d'autorité (faisant référence à des statuts sociaux, cf. on ne peut commander que si on a le pouvoir de le faire) s'oppose à une métanomination. L'acte d'autorité ne supporte pas le commentaire et encore moins la justification (pensons, par exemple, aux ordres militaires). Très proche en apparence d'une « énonciation privée », comme peut l'être l'énoncé poétique, elle

19 Cf. (Récanati, chapitre 2). Comme les opérations de réflexivité et de transitivité, l'opacité

associée à la première et la transparence associée à la seconde constituent des notions fondamentales à celle du signe à l'âge classique; on peut penser au montage perspectif albertien en peinture qui met en scène tour à tour un « paysage » vu et un « cadrage » qui fait voir, celui-ci renvoyant à celui-là, lequel a besoin pour être constitué de ce dernier.

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en est en fait à l'opposé en tant que directement associée à une représentation institutionnelle.

Mais dira-t-on également que, de son côté, l'énoncé poétique n'est qu'une « énonciation privée » auto-télique, sans légitimité? Cette formule de la pragmatique ne convient pas à cette forme d'expression en ce qu'elle ne rend pas compte du pouvoir symbolique que détient la Parole poétique en tant que fondement d'une Culture (ce n'est pas une Parole contraignante mais une Parole incitative, comme on parle d'« incitation à la violence »). Imagine-t-on une société, ses échanges langagiers, privés de cette « fonction poétique » dont parle Jakobson et qu'il situe au même niveau que la « fonction référentielle »20? Non, car ce pouvoir symbolique détenu par la poésie est celui d'une remise en cause des automatismes du discours (par ses transgressions par exemple, comme on vient de le voir auparavant à propos de l'emploi). Cette remise en cause est liée au fait que la réflexivité-transitivité dont elle use, comme « en abîme », touche directement aux modes de l'instanciation (cf. le métaterme MT+), qu'elle est une remise en cause des cadrages institutionnels auxquels font référence implicitement les régulations discursives. I.3. LES MODALITÉS PRÉDICATIVES: L'ASSERTION

Terminons cette Première partie en abordant le problème des modalités prédicatives qui constituent, comme l'instanciation, un ensemble de propriétés abstraites21; l'exemple sera celui de l'affirmation, de la négation et de l'interrogation. Ces modalités, noologiques et non relevant de la désignation d'un monde, sont également distinctes des modalités praxéologiques (cf. propres à l'action, comme le devoir-faire, le pouvoir-faire, le savoir-faire, dans la sémiotique d'A.-J. Greimas) qui entrent dans la définition d'une démarche argumentative22. Celles-ci ont leur place au sein du discours mais pas au même titre que l'affirmation et la négation; ou encore, les modalités dites verbales

20 Cf. Jakobson (1963, chapitre 11). 21 Afin de comprendre la situation de ces modalités de l'assertion par rapport aux autres

propriétés discursives. 22 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre IV.

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(indicatif, conditionnel, subjonctif) qui se marient aux temps (passé, présent, futur). Nous dirons donc que ces propriétés de l'assertion sont en amont de celles-ci.

Considérons en premier ce couple de l'affirmation et de la négation, donné dans sa naïveté initiale (comme l'ont fait bien des théories structuralistes), comme rapport entre la marque et son absence: prédicativement, celle-ci est représentée par des particules, continues ou discontinues, qui inversent le sens d'une position à l'autre: Jean fume, Jean ne fume pas (Jean ne fume plus, introduit déjà des considérations plus complexes associées à la présupposition par rapport au temps). On a, d'une part, la position d'une proposition assertée, Jean fait ceci: il fume, et son inverse, qui est un ajout, et qui nie cette position déclarative, Non, Jean ne fume pas,... d'autres particules comme le oui et le non, le jamais et le toujours, relaient par quantification discursive ces rôles affirmatif et négatif.

Les analyses énonciatives, à la suite de Frege (Ducrot, 1972, p. 25-67), ont mis en évidence le fait que nous avions deux niveaux distincts: une déclaration et une assertion sous-jacente; c'est la modalité déclarative qui nous fait passer de l'affirmation à la négation alors que l'assertion reste finalement la même: Jean fume, Jean ne fume pas et [Jean, fumer] qui est une proposition abstraite, non-manifeste, ou plus exactement, qui se manifeste sous les aspects de l'affirmation et de la négation. Or il est possible de généraliser cette expression à un troisième terme qui relève également des mêmes rapports: je veux parler de l'interrogation, comme dans Est-ce que Jean fume?, Jean fume-t-il?, où l'assertion conserve la même fonction (cognitive) sous-jacente. L'assertion ne renvoie donc pas uniquement à deux manifestations mais à trois: l'affirmation, la négation et l'interrogation, qui relèvent du même micro-univers à partir de l'assertion sous-jacente. On dira donc que ces trois manifestations représentent les trois termes de base: {X, Y, Z} du templum dont l'assertion sous-jacente serait le métaterme MT+.

Le rôle de l'interrogation ne se limite d'ailleurs pas à ces modalités de l'assertion; ainsi, à propos de l'instanciation, l'interrogation peut porter, soit sur un objet, Quel livre lis-tu en ce moment?, soit sur le sens de l'énoncé dont on veut avoir un commentaire, Qu'est-ce que tu veux dire par là?, soit la différence entre

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sens et référence chez Frege. Outre le fait que la marque d'interrogation se décline en genre et nombre (traitables dans d'autres templa: Qui est-ce qui vient demain?, Que fais-tu en ce moment?, Quoi faire aujourd'hui? Etc.), ce mode interrogatif peut également entrer dans la composition d'une exclamation (Culioli, 1983, p. 13)23 comme dans, N'était-il pas là pour le constater?!, Que lui faut-il de plus?! Par là, on voit que nous avons tout un réseau de renvois où les modes prédicatifs (l'assertion, les modes verbaux, l'exclamation) s'interdéfinissent mutuellement24.

A partir de cette mise en place des trois termes de base, il nous reste à préciser les termes mixtes qui vont les relier et le rôle que peut jouer le complémentaire de l'assertion.

Entre la notion d'affirmation au poste Y et celle d'interrogation au poste X, nous avons ce qu'on peut appeler une admission tacite: Jean est arrivé hier soir? Dans cette semi-interrogation, nous dirons (après les linguistes de l'énonciation) que le locuteur dispose de l'information nécessaire pour poser la question; s'il peut le faire sous cette forme (même s'il n'en connaît pas la réponse) c'est qu'il sait qu'il existe un certain Jean et que celui-ci est censé être arrivé à cette date (hier) dont on parle. Sinon, il exprimerait son étonnement. Ainsi peut s'expliquer toute une variation sur l'interrogation elle-même, Quelqu'un est-il arrivé hier soir?, Qui est arrivé hier soir?, Depuis quand Jean est-il arrivé? . Etc. Toutes révèlent un degré de connaissance plus ou moins grand dont le minimum est formé par les Qui?, Quoi?, Où?, etc.

Dans l'interrogation, nous avons donc une admission indirecte (oblique) et c'est d'après ce degré de connaissance (partielle, complète) que l'interlocuteur peut répondre. Admettre, c'est donc savoir sans l'affirmer explicitement, comme dans le cas d’une insinuation: C'est bien Jean qui est arrivé hier soir? Bref,

23 Cf. « On comprend donc pourquoi l'on peut employer dans une exclamative le tour

interrogatif: c'est que la modalité interrogative parcourt toutes les valeurs possibles. Une fois de plus, nous retrouvons donc le concept d'image: ici, c'est la forme interrogative du verbe qui est le représentant de la classe des valeurs imaginaires que peut prendre le prédicat. En outre, comme il s'agit non d'obtenir une réponse d'autrui, mais de recourir à la notion pour asserter le « haut degré » d'une propriété, on comprendra aisément que le verbe soit, indifféremment, à la forme positive ou à la forme négative, du moins dans la plupart des cas ».

24 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre IV.

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insinuer c’est faire admettre sans que la chose ait été clairement énoncée (c'est, par exemple, la base des rumeurs) comme dans le cas de l’affirmation. Ce terme mixte de l'admission joue également le rôle syntaxique d'une conversion entre les moyens de l'affirmation et ceux de l'interrogation comme dans:

(viii) Viens-tu? Je te demande si tu viens Quand viendra-t-il? J'ignore quand il viendra etc.

Dans ces différentes formes de conversion où l'admission joue le rôle d'un pivot syntaxique, les éléments interrogatifs introduits au départ servent de conjonction entre la principale et la subordonnée. Ceci permet de définir précisément la nature dérivée et intermédiaire des interrogations indirectes. D'ailleurs, comme les éléments interrogatifs de l'interrogation directe, ces éléments conjonctifs de l'interrogation indirecte peuvent être suivis dans la langue familière de Est-ce que, Est-ce qui, comme dans: Je veux savoir avec qui est-ce que tu sors; les formules en, Je te demande..., Je veux savoir..., renvoyant de leur côté à des actes d'attitude dont il faut définir la modalité discursive.

Considérons maintenant le pendant de ces rapports entre modes directs et obliques; entre l'interrogation et la négation, nous pouvons situer en XZ le doute qui s'exprime par exemple dans l'interro-négatif. Dans cette formule, comme dans l'insinuation, mais inversement, on cherche à mettre en doute une déclaration: Jean ne devait-il pas arriver hier soir?, ou encore, N'y aurait-il pas là matière à débat?. Etc. Comme dans l'admission implicite, le doute exprime une continuité possible entre l'interrogation et les déclaratifs correspondants, positif ou négatif.

A noter d'ailleurs cette formule étrange du N'est-ce pas? qui est une demande explicite d'acquiescement de l'énonciataire à ce qu'on vient de dire; dans ce N'est-ce pas?, diamétralement opposé à l'affirmation, nous avons comme un « enjambement » diamétral par dessus ce qu'on va nommer en YZ la position de perplexité: Je ne sais pas, J'ignore, Peut-être,... (entre l'affirmation et la négation), et c'est, bien sûr, l'appréhension d'obtenir une réponse négative.

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Dans cet exposé des modalités prédicatives de l'assertion, on voit déjà

apparaître l'intrication entre les règles de la grammaire (hors discours) et un jeu

énonciatif entre interlocuteurs où les affirmations-négations-interrogations ne sont

plus seulement des déclarations en retour mais des réponses à des assertions

antérieures. C'est à ce titre que l'on peut introduire des demandes de confirmation

(affirmation renforcée comme dans le Si!) dont la définition fera appel aux

connecteurs d'argumentation (Ducrot, 1980)25. Ainsi, dans un énoncé comme,

Pardon Monsieur le chef de gare, c'est bien le train pour Caen? Nous avons une

formule indirecte d'admission qui attend sa confirmation (demande exprimée par

le bien, et en conséquence on aura, Mais certainement Madame); l'admission

implicite cherche son explicitation dans une affirmation qui se redouble. Même

dialectique avec le Si! d'opposition et de reprise confirmative face à un

interlocuteur obstiné: - Jean n'est pas encore arrivé? - Si! J'ai vu sa valise. Le

redoublement (oui devient si!, en incorporant un non qui pourrait apparaître),

diamétralement opposé à la négation, cherche à annuler la position de

perplexité,Je ne sais pas, J'ignore.

Entre l'affirmation et la négation comme modalités directes, nous avons

donc comme une sorte de « point mort » qui représente une impossibilité de

trancher entre le oui et le non, entre Jean est arrivé hier soir et Jean n'est pas

arrivé hier soir (formule négative qui, par ailleurs, est ambigüe puisqu'il a pu

arriver un autre jour). Le Je ne sais pas, le Peut-être, le Sans doute, sont des

absences de réponse orientée vis-à-vis d'une interrogation (on répond sans

répondre, au sens où l'obligation de répondre est remplie mais son contenu est

laissé vacant)26. C'est pourquoi des formules interpellatives comme le N'est-ce

25 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre II. 26 Mentionnons cette note de J. Bouveresse (1971, p. 119): « Dans le même ordre d’idées, il

arrive fréquemment qu’une contradiction littérale ne soit pas du tout, en fait, une contradiction, parce que ce n’est pas la même proposition qui est affirmée et niée. Tel est le cas, par exemple, lorsque nous répondons par « oui et non » à une question ou que nous utilisons des expressions comme « je l'ai vu sans le voir », « je le connais sans le connaître », etc. Des cas de ce genre ont été, comme on sait, abondamment exploités par les sophistes grecs. »

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pas? ou injonctive comme le Si! cherchent à faire l'économie de ce dubitatif,

obligeant l'autre à répondre affirmativement ou négativement. Il nous reste finalement à caractériser le sens du métaterme

complémentaire à l'assertion. Nous avons vu que dans le templum, l'enjeu correspondait davantage au rapport entre un mode direct et un mode oblique (soit la différence entre les termes de base et les termes mixtes) qu'à celui entre une assertion et une non-assertion (même le silence peut être assertif comme lorsqu'on ne répond pas volontairement à un certain type de question jugée embarassante). Afin de caractériser ce mode oblique, nous parlerons, à la suite de C. Fuchs (1996, p. 176) d'« incidence » et cette expression permet d'apporter une réponse au problème de l'ambiguité, même dans la négation:

partie de l'énoncé sur lequel porte un opérateur linguistique; ainsi, dans Pierre ne lit pas de romans policiers, la négation peut être incidente à lire (il ne lit pas de romans policiers, il en écrit), à romans policiers (il ne lit pas de romans policiers, il lit des nouvelles), à policiers (il ne lit pas de romans policiers, il lit des romans à l'eau de rose), ou à lire des romans policiers (il ne lit pas de romans policiers, il écrit une thèse). Certains opérateurs, comme les adverbes, peuvent avoir une portée interne à la relation prédicative (« incidence intra-prédicative », ex.: Il a répondu habilement = il a fait une réponse habile) ou une portée externe (« incidence extra-prédicative », ex. : Habilement, il a répondu = il a eu l'habileté de répondre).

Bref, cette modalité permet d'expliciter les différentes façons d'interpréter

un énoncé puisque l'opérateur d'incidence permet de faire comprendre, paradigmatiquement (en déclinant les termes de l'énoncé), et syntagmatiquement, en ce qu'il peut incorporer à la définition du prédicat une qualification adverbiale. Nous n'avons donc pas à sortir des propriétés discursives (par exemple, pour en rendre compte pragmatiquement) pour expliciter le sens des nuances d'assertion que l'on peut apporter à son énonciation.

Les différentes formes de l'assertion peuvent être synthétisées par le templum suivant :

(ix) Templum des modalités de l'assertion Métatermes:

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MT+: assertion MT-: incidence (intra-prédicative, extra-prédicative)

Corrélats initiaux: X : interrogation (partielle, complète; discursive, métanomina-

tive) Y : affirmation (mode direct); confirmation (en reprise) Z : négation (mode direct); réfutation (en reprise) Corrélats dérivés: XY: admission, insinuation (interrogation indirecte);

pivot syntaxique, YZ: perplexité (indifférence, dubitation) XZ: doute (interro-négatif)

(ix') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: assertion # incidence

douteinsinuation, admission

interrogation

affirmation négation

perplexité

Partant de la modulation de ces rapports, nous pourrons développer d'autres rapports entre le dire et le non-dire constitutifs d'effets de sens qui ne portent pas tant sur un mode prédicatif que sur un type de formulation du contenu; nous voulons parler des rapports entre,

(ix) Trois instances discursives (et non strictement énonciatives), a) un sens littéral où nous avons un rapport strict entre « posé »

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et « présupposé » (Ducrot (1972) à la suite des travaux de Frege) où la vériconditionnalité peut être effectivement réalisé, comme dans Jean est allé à la gare chercher Françoise (on peut répondre par oui, non, peut-être), soit les modalités ci-dessus;

b) un sens figuré qui renvoie à la définition des tropes rhétoriques et/ou poétiques (métaphore, métonymie, syllepse,...), comme dans La terre est bleue comme une orange (Éluard), où l'on ne peut répondre par oui ou par non, en ce qu'il renvoit à un monde imaginaire;

c) un sens sous-entendu où nous avons les implicatures gricéennes faites de convenances sociales et de savoirs tacites entre les énonciateurs.

I.4. CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Nous venons d'effectuer un certain parcours entre une instanciation en tant qu'instauratrice d'une interlocution et ses modalités assertives. Si, au départ, la notion de templum pouvait encore évoquer une sorte de paradigme classificatoire, à la manière des déclinaisons verbales ou nominales, nous constatons rétrospectivement que ce dispositif cognitif constitue un jeu d'opérations permettant de mettre en place une diversité de structures (instanciatives, modalisatrices) à partir desquelles nous pouvons effectuer, au moyen d'exemples, un repérage dans les corpus empiriques. Mais, comme on le voit également, cette description empirique mobilise finalement l'ensemble de ces différentes opérations et c'est pourquoi il est nécessaire d'en exposer le réseau entier afin de nous permettre d'avoir une « grille de lecture » de ces corpus.

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DEUXIÈME PARTIE: L'OBJET DE RÉFÉRENCE

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Dans la Première partie, nous avons abordé des propriétés essentiellement énonciatives; ce qui veut dire que la notion d'« univers de discours », associée à une instance au sens où Benveniste l'entendait, a été appréhendée d'un point de vue intersubjectif puisque nous sommes en présence d'un échange dialogique mais aussi sur une méta-énonciation effectuée par commentaire, justification, légitimation, soit sur un échange qui porte sur la nature des entités dont on parle. Ce n'est qu'à travers cette pluralité de propriétés que l'on peut saisir la notion de présent d'énonciation comme convocation d'une diversité de mondes possibles (souvenirs, évocations, argumentations, attente ou anticipation d'un futur).

Abordons maintenant le complémentaire de cette co-énonciation dialogique en analysant les propriétés d'une référenciation, lieu de croisement d'un sens (discursif) et d'une référence (mondaine). Hormis dans le simple geste ostensif d'une désignation: Passe-moi le truc qui est là,...Là!...mais non, je t'ai dit là!! (où le contexte d'énonciation est essentielle pour situer un objet), il faut en fait tout un appareil sémiotique afin de saisir le sens de ce dont on parle et nous avons vu que cette référenciation s'appuie sur ses collatéraux (cf. (iv-iv') de la Première partie supra): une représentation par niveaux de langage d'un côté, un emploi comme cotexte de l'autre. C'est cette dialectique entre le sens et la référence que nous allons aborder dans les deux prochaines parties. II.1. RAPPORT ENTRE DEUX NIVEAUX

DE FONCTIONNEMENT

Avant de procéder à une analyse des mécanismes de compréhension onomasiologique (dans le sens donné par les travaux de B. Pottier ou J. Picoche1), il est nécessaire de préciser les rapports entre un niveau syntaxique en tant que modes de formation des énoncés instanciés et un niveau sémantique en tant que rapports entre signification et référenciation. Par signification, nous entendons un mécanisme de

1 Cf. Pottier, Sémantique générale, (1993) et Picoche, Structures sémantiques du lexique

français (1986).

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catégorisation reposant sur un dispositif cognitif, et par référenciation, ce que nous avons défini auparavant comme renvoi à des entités relevant du monde; plus généralement, à ce qu'il faudrait appeler des « simulacres objectaux » comportant ou non des répondants mondains. Ainsi, au départ, il n'y a pas de différence sémantique profonde entre < cheval > et < centaure >, ou < cheval > et < Pégase >. La sémantique dont nous parlons ici n'est pas celle de la logique énonçant les conditions d'un {vrai, faux} mais celles d'une élaboration des cadres mentaux permettant de constituer un repérage référentiel dont le monde exprime une diversité de manifestations (réel ou imaginaire comme dans le cas de < Pégase >, où l'on a la différence entre « fait » et « fiction » régissant la nature des lexies). C'est cette constitution des cadres mentaux, nécessaires à la conceptualisation de ces entités sémantiques (cf. entités isolables et spécifiables), qui nous retiendra ici.

Voici comment nous pouvons concevoir les rapports entre le niveau de formation syntaxique et le niveau de formation sémantique dont la notion de discours constitue l'ensemble:

(i) articulation du niveau syntaxique et du niveau sémantique

schémas grammaticaux

polysémie lexicale

expressions syntaxiques

expressions idiomatiques

Ce schéma est emprunté plus aux sciences de l'auto-organisation2 qu'à la linguistique générative (Chomsky, Montague); ce n'est pas un schéma arborescent qui part d'un niveau abstrait pour aboutir à des termes concrets, auxquels sont associés une matrice de traits (cf. analyses componentielles, analyses sémiques); ce schéma n'exprime pas une hiérarchie de relations de dépendance directes mais un entrecroisement (appelé « hétérarchie ») en ce que ces deux niveaux sont, à la fois, dépendants l'un de l'autre et autonomes dans leur fonctionnement (ils ne 2 Cf. Colloque de Cerisy: L'auto-organisation, de la physique au politique, sous la direction de

Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy, Paris, 1983; on se référera en particulier à l'intervention de Francisco Varela suivie du débat avec Pierre Livet, p. 141 sq.

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répondent pas aux mêmes objectifs). Si, d'un côté, les schémas grammaticaux issus des analyses d'une instanciation discursive caractérisent des propriétés générales (mécanisme des modalités prédicatives, mécanisme de la quantification discursive, mécanisme d'une aspectualité spatio-temporelle; etc.), de l'autre, l'onomasiologie sera caractérisée comme description des cadres mentaux permettant une représentation du monde au moyen de registres de catégories; l'ensemble des termes sur lesquels s'appuie une telle représentation étant limité, la polysémie lexicale (noms et prédicats) en découle nécessairement.

Entre un fonctionnement systématique au niveau des schémas grammaticaux et un recoupement polysémique plus ou moins important au niveau des lexies, nous avons ainsi un « coulissage » caractérisé par ce double renvoi de l'un à l'autre: tout énoncé a besoin d'expressions sémantiques en tant que références mondaines afin de désigner, de dénommer, de décrire; inversement, ces expressions sémantiques n'ont de sens que par rapport à des modes d'enchaînement énonciatif qui les prennent en charge (production des assertions ou d'une glose sur celles-ci).

Mais la distinction fonctionnelle entre ces deux niveaux n'est pas aussi tranchée que le laisse entendre ce schéma (i) supra. Considérons, par exemple, l'usage qui est fait d'un « sens figuré » par rapport à un « sens littéral » en tant qu’assertion: Jean est allé à la gare chercher Françoise (sens littéral) et Jean nous a mis dans un sale pétrin (sens figuré); dans ce cas, la référence n'est pas objectale mais figurative, où l'expression figée sale pétrin est mise pour « situation difficile ». Ainsi, des lexies comme tête ou main servent autant à définir les parties du corps (ou d'un repérage spatio-temporel: La tête d'un canal) que ceux d'expressions figurées dont la signification est plus ou moins éloignée de ce sens « dénotatif ». Ce sens figuré n'est pas celui d'une expression poétique plus ou moins libre mais d'un sens « en langue », cristallisé dans des expressions qui entrent dans la définition des catégories grammaticales. Les exemples suivants pour le lexème < tête >, pris par Greimas en son temps3, étaient clairs:

3 Cf. Sémantique structurale, Paris, 1966, p. 42 sq.

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(ii) faire une tête (une parmi d'autres) faire la tête (être contrarié) Une tête à claques (personne énervante) crier à tue tête objet qui coûte les yeux de la tête (objet coûteux) se casser la tête (chercher la solution d'un problème) payer de sa tête (sacrifice de soi) se payer la tête de quelqu'un (se moquer) etc.

Ce sens idiomatique entrent ainsi dans la définition d'un fonctionnement

discursif (cf. le schéma (i) supra) au même titre qu'un sens littéral et c'est la signification de la flèche qui renvoie du niveau sémantique au niveau syntaxique, puisque le point de départ est une compréhension onomasiologique avant d'être phrastique (alors que dans l'autre sens, nous avons la compréhension linguistique ordinaire). II.2 LES ENJEUX DE LA CATÉGORISATION

LEXICALE

Comment caractériser dans son ensemble les rapports dialectiques entre sens et référence? On pense d'abord à un savoir de type classificatoire, pratiqué dans les taxinomies populaires ou savantes et qui conduit à une représentation plus ou moins systématique du monde au moyen d'un vocabulaire spécialisé (Lévi-Strauss (1962), Atran (1986, 1989)); d'un côté, ce vocabulaire caractérise une partonomie en ce qu'on peut dénommer par décomposition les entités considérées (corps, phénomènes) en relations élémentaires, et de l'autre, caractériser une classification (ouverte) en espèces et sous-espèces. Mais ce type de pensée classificatoire recouvre-t-il l'ensemble des procédures sémantiques en tant que désignation et description? Certes, il constitue un bon moyen d'accès à ce qu'on entend par modes de la représentation du monde mais qui reste partiel en ce que ces domaines ne dépasse pas le cadre d'une taxinomie pratiquée (dont on ne connait pas les procédures d'acquisition). Or le niveau sémantique dont nous avons parlé précédemment exige ce type d'enquête.

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Le mieux est donc, au départ, de prendre l'exemple d'un certain domaine de connaissance que l'on pourra définir par la suite comme « champ sémantique » plus ou moins étendu; ce que nous avons fait à propos de la notion de l'< oiseau >. Reportons-nous à l'Appendice (II.6) infra pour comprendre le sens des commentaires que nous allons apporter maintenant, en rappelant que les procédures sémantiques évoquées fonctionnent sur un repérage référentiel à partir de ce nous avons appelé des simulacres objectaux.

Pour organiser un tel repérage, nous avons ainsi recours à un certain nombre de cadres mentaux formant autant de registres, articulés selon la même disposition du templum que des propriétés syntaxiques en réseau, mais appliquées à un mode de catégorisation des entités, indéfinies au départ, du genre: qu'est-ce qu'un < oiseau > par rapport à d'autres types d'êtres (et d'artefacts si l'on pense à la notion d'« objet volant » en général)? Ainsi, il est nécessaire de préciser la nature de ceux-ci en tant qu'êtres (animés ou inanimés), en tant qu'animaux (leur anatomie, leur physiologie), en tant qu'animaux qui volent; il est nécessaire de préciser ce qu'on entend par formes organiques (mode d'alimentation, mode de reproduction), par formes de localisation géographique, par types d'habitat construit ou non. Il est bon également d'identifier leurs divers modes de « socialité » (prédation, groupement); etc... Ainsi, nous construisons au moyen d'une démarche comparative une représentation à travers un certain questionnement et c'est en fonction de celui-ci que nous sommes amenés à sérier les types de problèmes soulevés, auxquels on doit répondre pour comprendre la nature des objets dont on parle. Par exemple, si nous sommes amenés à définir celui-ci comme « être en mouvement » on doit se demander ce que représente cette notion en tant que stabilité et/ou instabilité physique propre au déplacement (ce qui n'est pas réservé aux seuls êtres vivants mais à toute forme d'objet naturel et/ou artificiel) .

En consultant, dans l'Appendice (II.6) infra, la manière dont nous avons mené notre enquête, nous voyons comment nous avons opéré par ce que Lévi-Strauss a appelé dans ses Mythologiques (1964-1973) une démarche « en rosace »: partant d'un groupe de propriétés (repérage), nous sommes amenés à nous poser des questions sur les tenants et aboutissants de celles-ci. Ainsi, un groupe de ces propriétés qui font système (à un certain niveau) va permettre de préciser des caractères différentiels (par exemple, aspects visuels de certains

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animaux tels que la forme ou le pelage), ce qui nous conduira à préciser d'autres aspects (la couleur, sa disposition par rayures ou par taches, ses emplacements); ces groupes de propriétés présupposent également d'autres (plus profondes, moins évidentes, mais cependant indispensables quant à une qualification complète) et que nous situerons à un niveau plus abstrait (ainsi du rapport entre types de mouvement affectant des êtres animés, marcher, courir, sauter, voler, nager,... et la notion d'un déplacement au sens abstrait).

Cette description sémantique n'est pas sans faire penser, au départ, à une approche phénoménologique par son mode naïf de questionnement; toutefois, si elle part des objets empiriques donnés, rapidement, elle constitue des cadres mentaux plus abstraits qui permettent de catégoriser par comparaison ces objets empiriques avec d'autres qui relèvent plus ou moins du même domaine (en particulier, les êtres vivants sont associés à des phénomènes géographiques, climatiques et même cosmiques comme le jour et la nuit, les saisons)4. Ainsi peut-on différencier un niveau local et un niveau global de la description à travers ce mode catégorisation défini au fur et à mesure de la démarche donnée en Appendice. Nous construisons ainsi une représentation du monde; Jusqu'où celle-ci ira-t-elle? C'est bien sûr la question d'une délimitation d'un savoir sémantique par rapport à un savoir encyclopédique; mais, ce qu'il est important de noter, c'est que notre démarche n'interdit pas de soulever cette question (au contraire des différentes approches taxinomiques proposées jusqu'à maintenant qui s'appuient plutôt sur ce genre de délimitation implicite pour pouvoir rendre compte d'une certaine description; ces procédures sont ainsi restrictives en tant que conditions de leur mise en oeuvre).

Ainsi, le champ sémantique de l'oiseau, non seulement se réfère à ses nombreux caractères (morphologie, localisation, habitat,...) mais également aux analogies que cet être évoque. Ainsi, dans le savoir de la Renaissance (Foucault, 1966), on devait associer à ce champ sémantique, non seulement celui de sa description (apparences), mais également celui des différents modes culinaires, des différents remèdes qu'on pouvait en tirer, des parures et emblèmes dont on pouvait se revêtir, associant le monde du vêtement ou des armoiries et celui des

4 La notion de « milieu » géographique et climatique que nous introduirons à propos d'une

aspectualité spatiale.

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animaux (sauvages, domestiques; naturels, mythologiques comme la licorne, la salamandre). Pensons également à la place des oiseaux dans les mythologies (messagers de la Fortune et de l'Infortune, des calamités et des rédemptions). Bref, il s'agit d'un savoir cosmologique et non spécialisé dans ce qu'on appellera au XVIIIème siècle des « sciences naturelles ». Nous touchons là à des questions épistémologiques qu'une analyse sémantique peut difficilement éviter si on ne veut pas la réduire à une lexicographie, notamment concernant la notion d'un genre (animal, humain; naturel, surnaturel) qui différencie des mondes de la référence implicites. Or ces distinctions qui touchent à la nature profonde de la notion de Culture comme modes de catégorisation du monde relèvent de ce que Lévi-Strauss (1958, 1962) a défini comme étant des rapports d'échange entre la Nature et la Culture en tant que couple épistémologique fondateur de l'humanité (par rapport à l'animalité). II.3. FIGURES DE L'ENTRECROISEMENT SÉMANTIQUE

L'entité que nous cherchons à décrire, comme dans l'Appendice II.6., renvoie à un certain nombre de domaines d'analyse, du genre, < Morphologie >, < Écologie >, < Socialité > auquel il faut adjoindre la notion de système de valeurs relevant d'une cosmogonie (religions, mythes; ainsi des rapports {Vie, Mort}, {Terre, Ciel}). Chacun de ces domaines mobilise, non pas directement des entrées lexicales (à la manière d'un dictionnaire), mais des types de propriétés relevant de ce que Culioli a appelé des « notions » entrant dans la composition des entités lexicales5. Ainsi les propriétés introduites renvoient non seulement à 5 Cf. « La frontière », Paris, 1990, p. 85-86,

« Nous n'avons pas, comme je l'ai dit tout à l'heure, une relation d'étiquetage entre des mots et des concepts, mais nous avons ce que j'ai appelé « notion », ce qu'on peut appeler aussi éventuellement « représentation structurée ». La notion sera distinguée du concept, qui a une histoire, par exemple épistémologique (les concepts sont structurés les uns par rapport aux autres dans un univers technique). Lorsqu'il s'agit de notion, nous sommes dans un domaine qui nous renvoie, d'un côté à des ramifications (les notions s'organisent les unes par rapport aux autres: tel animal par rapport à tel autre animal et nous créons forcément des relations entre eux (relation de prédation, d'accompagnement, d'identification).(...) Donc d'un côté, il y a ces ramifications. D'un autre côté, il y a foisonnement, c'est-à-dire que vous avez tout un ensemble de propriétés qui s'organisent les unes par rapport aux autres, qui sont physiques, culturelles, anthropologiques, et qui font qu'en fin de compte un terme ne renvoie pas à un sens, mais renvoie à —je ne dirais pas un champ, car un champ

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des formes d'oiseaux mais également à toutes espèces d'êtres ayant un « corps » (dont l'homme en particulier) en tant qu'entité organique et douée de sensibilité. Si nous avions pris un autre exemple, tel que celui des < plantes >, nous aurions ouvert d'autres rubriques parallèles à celles retenues ici. Entre ces exemples, nous avons des différences et des ressemblances en tant que propriétés inhérentes et afférentes6 qui portent tant sur des relations à l'intérieur de chacun de ces domaines (par exemple, une localisation géographique et/ou climatique qui conditionne les aspects morphologiques), qu'entre ces domaines corrélés à travers les entités à décrire. Ainsi, les templa introduits sont propres, tant à l'exemple retenu, qu'à toutes sortes d'êtres et/ou phénomènes dont on peut dire qu'ils entretiennent des rapports de similarité et de différence.

Ce n'est ainsi qu'à un niveau sous-jacent aux termes que nous pouvons proposer une analyse sémantique et non directement au niveau d'une nomenclature où la seule issue possible est d'en proposer des tables de traits distinctifs par absence/présence. Ainsi, les templa de notre description sémantique ne sont pas sans faire penser au statut du lekton stoïcien comme « être incorporel »7, à la fois sensible et intelligible, sous-jacent à la manifestation. En d'autres mots, ces groupes de propriétés s'incarnent dans des termes constitués par le recoupement de plusieurs d'entre eux et dont la liste n'est pas nécessairement arrêtée au départ.

À la suite du précédent schéma (i), nous allons proposer dans le suivant (ii) des domaines de référence auxquels se rattachent des analyses partielles; ce niveau de la description est catégoriel dans la mesure où les templa sont d'ordre général avant de pouvoir être spécifiées dans des entités particulières.

À la suite à ce premier niveau (A), répondant aux divers domaines: Morphologie, Écologie, Socialité, Axiologie, dont la liste peut être élargie —et, surtout, renvoyant à un niveau plus profond, comme par exemple, celui de la notion de genre en tant que mode délimitatif des domaines eux-mêmes—, on aura en second (B) un niveau de description empirique qui représente l'incarnation d'un

est déjà une organisation d'un certain type entre des termes— mais renvoie à un domaine notionnel, c'est-à-dire à tout un ensemble de virtualités. »

6 Cette distinction est dûe à F. Rastier, Paris, 1987, p. 131 sq. 7 Cf. L'ouvrage collectif sous la direction de J. Brunschwig, Les stoïciens et leur logique, Paris,

Vrin, 1978, et notamment l'article de C. Imbert, p. 223-250.

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ensemble de propriétés rassemblées sous une même lexie et ses équivalents lexicaux: non seulement l'oiseau, mais tel oiseau de telle région.

Enfin, à un dernier niveau (C), ici appelé celui des idiosyncrasies, nous avons en tant que présence des cas particuliers individués, le niveau expérientiel de ces descriptions dans lesquelles, non seulement on peut reconnaître ces propriétés générales, mais dans lesquelles on peut avoir d'autres considérations issues de points de vue particuliers pouvant conduire à une réévaluation de l'ensemble:

(ii) domaines notionnels

morphologie (anatomie, physiologie)

écologie (géographie, climat)

socialité (genre de vie)

axiologie (valeurs renvoyant à une cosmogonie ou à une histoire)

La barre en pointillés expriment le fait que nous avons un rapport implicite entre les domaines de la nature et de la culture (inter-domanialité caractérisant un genre de vie)8.

A) Descriptions catégorielles (templa sémantiques formateurs de simulacres objectaux)

B) Descriptions empiriques (incarnation de ces simulacres dans des expressions lexicales ou discursives)

C) Idiosyncrasies (cas particuliers individués)

C'est dans la Troisième partie que nous aborderons cette question d'une

individuation des descriptions particulières pour lesquelles les simulacres objectaux constituent des « modèles » prototypiques de conceptualisation. 8 Nous aurons l'occasion d'aborder ces questions à propos de la notion de causalité.

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II.4. RELATIONS D'OBJET ET RELATIONS D'INSTANCE (SÉMANTIQUE)

Revenons sur le sens de cette démarche, développée dans l'Appendice

.II.6. infra, dont nous avons dit qu'elle procédait « en rosace » à la manière de l'analyse mythologique chez Lévi-Strauss. Les rapports que nous établissons peuvent être répartis entre des propriétés intra-domaniales et des propriétés inter-domaniales; dans l'un et l'autre cas, elles sont donc toujours « centrées » sur des objets de référence (cf. la notion de l'< oiseau >), même si notre démarche s'avère plus complexe que dans le cas des taxinomies.

Procédons inversement: les « champs sémantiques » tels qu'on les rencontre dans les dictionnaires analogiques correspondent plutôt à l'assemblage de différentes relations inter-domaniales en ce qu'ils partent de la notion de champ en tant que niveau d'instanciation (sémantique), pour ensuite dégager par spécifications relatives des objets particuliers relevant de celui-ci. C'est, par exemple, le cas suivant emprunté à R. Martin (1983, 83-90) qui s'est posé la question d'une définition non pas lexicale mais « noématique » de ces rapports sémantiques. Voici comment se présente cette analyse, non pas « centrée » au départ sur des objets particuliers mais sur la notion d'un « champ d'aperception » de ceux-ci.

(iii) Champ sémantique associé à la notion d'audition (Martin, 1983-92) lexies retenues par l'auteur (celles qui sont soulignées signifient des pôles majeurs constitutifs du champ): entendre : perception + son ouïe : capacité (possibilité + être animé) d'entendre oreille : organe (partie du corps + fonction) de l'ouïe auditif : qui se rapporte à l'ouïe acoustique : qui se rapport au son bruit : son non harmonique audible : qu'il est possible d'entendre

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(iii') Soit en schéma (non normalisé, c'est-à-dire, qui ne répond pas à une forme canonique préétablie):

(Perception) Son (Non harmonique)

(Possibilité + Être animé entendre

audible ouïe

auditif oreille

(Partie du corps + Fonction)

acoustique bruit

Les deux démarches ne sont d'ailleurs pas incompatibles en ce que la nôtre procède d'une déduction des objets des domaines de relations —l'approche n'est pas sans faire penser à ce que Kant (1980, p. 842 sq) appelait une déduction transcendentale—, alors que celle de Martin serait plutôt abductive au sens de C. S. Peirce (en ce qu'elle postule, au départ, le principe d'une description « noématique » de ce champ d'aperception par « composantes connexes » comme il le mentionne). Disons que les deux démarches se différencient plutôt par leur point de départ que part les buts recherchés.

Ainsi, Martin en vient à se poser la question de la notion d'harmonie qui dissocie les notions de bruit (non harmonique) et de son (harmonique) alors que cette notion sous-jacente n'apparaît pas dans la listes des propriétés (iii) supra. Les relations, telles qu'elles sont proposées, forment ainsi quatre registres constitutifs du champ d'aperception à partir duquel on peut inférer des types d'objets particuliers:

a) registre des « parties du corps » (cf. oreille) que nous savons identifier puisque nous parlons, à propos du schéma corporel, de capteurs perceptifs (l'ouïe, la vue, le tact); cette référence nous permet de dire qu'il y a une distinction sémantique entre, avoir une oreille (organe) et avoir de l'oreille (don perceptif);

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b) registre d'une distance implicite9 puisque pour qu'un bruit ou un son soient entendus (cf. être audible), il faut être dans un certain périmètre de réception; c'est cette qualité qui nous permet de dire de quelqu'un qu'il a l'oreille fine.

c) une capacité auditive (en termes de modalité praxéologique, un « pouvoir-entendre »)10 puisque, par exemple, la surdité annule cette capacité; plus généralement, on dispose d'un seuil plus ou moins élevé comme lorsqu'on dit de quelqu'un, qu'il est dur d'oreille (et figurativement, qu'il est dur de la feuille).

d) Enfin, venons-en à la notion d'harmonie qui est le but de ces remarques. Une émission sonore n'est pas un signal dénué de forme et qu'on saisit au hasard mais une entité (à base de vibrations physiques) qui est le résultat d'une certaine composition. Or c'est de cette modalité d'une composition sonore dont on parle implicitement, lorsqu'on différencie un bruit et un son: au bruit correspond quelque chose de brut alors qu'au son correspond une certaine élaboration technique (une articulation); c'est cette différence que l'on retrouve dans les énoncés, Ce son est agréable, Ce bruit est insupportable, Cette musique me casse les oreilles,... soit un certain nombre de jugements de perception (en tant que bien-être traduit en termes d'euphorie/dysphorie). Or cette forme produite ne dépend pas directement de son aperception (cf. elle n'est seulement qu'acceptée ou refusée) et nous ajouterons qu'elle renvoie à une certaine organisation sui generis.

Pour rendre compte de cette structure de l'objet sonore (comprenant bruits

et sons), proposons à titre d'exemple un certain templum qui va nous permettre de comprendre que c'est dans la qualification et la variation de ces paramètres que nous pouvons saisir cette différence entre bruit à l'état brut et son plus ou moins travaillé; enfin des sons musicaux qui relèvent d'un art accompli. À ce templum

9 Laquelle peut être introduite grâce au dispositif des lieux entre un ici et un là-bas par rapport à

un ailleurs, Cf. Réseau du sens II, Quatrième partie, Chapitre IV. 10 Cette modalité d'un champ d'aperception, associée à une sensibilité, peut être introduite grâce

aux rapports entre les notions de proprioceptivité, d'extéroceptivité (champ perceptif) et d'intéroceptivité (sa résonance comme for intérieur).

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(iv) suivant, on pourrait ajouter celui des registres de la voix et d'une instrumentation en tant que (percussion, vent et cordes)11,

(iv) schéma du templum d'une production sonore

MT+,-: son # bruit

intensité

harmoniques

hauteur durée

ligne mélodique

rythmes

Les dimensions de base de ce processus sont, les notions d'intensité (faible ou forte), de hauteur (grave et aigu), de durée (brève ou longue); toute sonorité peut être ainsi enregistrée à travers ce filtrage élémentaire. Ainsi un bruit peut être une intensité (forte), sans durée, en ce qu'il correspond à une explosion (voix, cri, choc, détonation). Un son, par contre, va jouer sur ces trois dimensions en ce que son expression est modulée sériellement à travers une intensité (relative et non absolue), une durée (introduisant des phases, des alternations, des débuts et des fins), une hauteur (des registres), assimilables à une aspectualité temporelle . La production des sons (en tant que simultanéité de rapports) introduit ainsi une proportion entre ces trois dimensions défini par les termes mixtes comme étant, des harmoniques (registre des rapports en tant qu'accords congruents), des rythmes (mesures et scansions du déroulement), et une ligne mélodique (refrain, ritournelle) en tant que continu variationnel d'un début à une fin. Associé à d'autres templa, ce dispositif permet ainsi de constituer un domaine des objets sonores que l'oreille peut percevoir et apprécier en tant qu'esthétique.

11 Il y a un certain parallèle entre ce templum et celui que nous proposerons à propos d'une

modulation accentuelle associée au débit de la voix.

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Parallèlement, c'est à travers ce processus que l'on peut qualifier quelque chose d'audible puisque son intensité va définir sa portée, que sa présence peut avoir des conséquences auditives (cf. pièce bruyante, atelier assourdissant) sur la personne; enfin, qu'on peut traduire en termes d'attention aperceptive comme la différence sémantique entre entendre et écouter12. Bref, si le champ sémantique de l'audition définit bien un niveau d'instanciation basée sur des relations inter-domaniales13, en revanche, certaines propriétés dépendent plus ou moins fortement de la spécification des entités qui le constituent et ce n'est pas un hasard si R. Martin privilégie certaines « entrées » pour en rendre compte; ces choix ne sont pas le signe d'un relativisme mais d'une façon de « varier » (phénoménologiquement) à partir des données de ce champ. C'est en ce sens qu'il spécifie des pôles et que l'on peut parler d'une logique multi-polaire. II.5. MATRICE SYNTACTICO-SÉMANTIQUE

Reprenons la problématique des rapports entre niveau syntaxique et niveau sémantique. Ces rapports sont, comme nous l'avons dit, d'entrecroisement et portent à la fois sur un développement référentiel en tant que lexies définissant une représentation du monde et sur un jeu d'acceptions (polysémiques) pour un même signifiant, comme dans ces exemples proposés par G. Kleiber (1990, 127) où les différences ne sont pas tant lexicales (il s'agit toujours d'une même « définition » en dictionnaire) qu'énoncives:

(v) Variations sur la lexie < livre > (Kleiber, 1990)

J'ai acheté ce livre à la librairie X (ce livre réfère à une singularité que l'on peut montrer: ce livre-ci, ce livre-là, que nous allons aborder dans la prochaine partie)

Jean écrit un livre (il s'agit d'une action en cours, écrire un livre, qui induit un processus d'accomplissement, cf. le livre n'existe pas encore),

12 Cf. J.J. Franckel et D. Lebaud, , Paris, 1987. 13 On peut parler de Forme synthétique, au sens de Kant (1980), en ce que ce « champ

d'aperception » représente une synthèse du divers.

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Ce livre m'a fait passer un moment agréable (il s'agit par contre de la lecture, acte de réception)

Après ce livre, Pierre n'a plus rien écrit de valable (Il s'agit d'un livre en particulier, il a certainement un titre et une date, dans une succession temporelle14)

Ce livre est un événement dont le Tout-Paris a parlé (Il s'agit d'une diffusion, d'un écho dans un milieu social donné, bref, d'une opinion publique à propos d'un ouvrage)

Ce livre a fortement influencé les révolutionnaires de 1789 (le livre est ici plutôt le porte-parole d'idées qui ont influencé une époque historique) Dans ces deux derniers exemples, il s'agit donc d'un livre à titre de témoignage (écho mondain, époque historique) relevant des rôles énonciatifs.

(d'un documentaliste): Encore un livre et j'ai terminé cette pile (il s'agit d'un collectif où le livre est réduit à l'état d'objet physique).

Si la lexie < livre > renvoie à une même entité référentielle (cf. ouvrage écrit ayant un certain format commercial), son sens variationnel relève davantage de celui des énoncés dans laquelle elle prend place (dont le sens référentiel, livre = objet comptable, est toutefois gardé en mémoire). Or ce sens variationnel renvoie à des modes de discours (la quantification discursive, les valeurs médiatives, les valeurs aspectuelles, etc.), soit à l'ensemble des propriétés du réseau de templa (cf. (iii) de la Présentation).

Le niveau sémantique en tant que dialectique du sens et de la référence articule des rapports discursifs et des rapports qui relèvent également d'un symbolisme comme représentation du monde (valeurs sociales et culturelles, cf.

14 En termes d'aspectualité, on parlera plus d'événement que de moment particulier dans la vie

d'une personne.

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rôles de la mythologie, de la littérature; rôle épistémologique des disciplines scientifiques, dans cette constitution du monde comme savoirs).

Bref, une entrée onomasiologique générale, située au niveau sémantique prend la forme suivante:

(vi) lexie (rapport sens-référence)

< lexie > (rapport sens/référence

a) formation morphosyntaxique(associée à l'appareil prédicatif) b) domaines notionnels en tant que mise en place des rapports entre relations intra-domaniales et relations inter-domaniales; le domaine peut être assimilé la notion cognitive d'« espèce » à laquelle on associera par la suite celle de « prototypicité » c) champs sémantiques en tant que niveau d'instanciation des domaines notionnels (champ d'aperception comme précédemment, textuel en analyse littéraire, épistémique en théorie des sciences).

(vi.a) La morpho-syntaxe (intégrable aux structures prédicatives15) correspond au dispositif de formation des lexies en tant que noms, prédicats, déterminants (flexions casuelles, articles, prépositions, quantificateurs,...); le schéma de base correspond non seulement à ces termes de la syntaxe mais également à la formation des mots-composés tels que tire-bouchon, porte-serviettes, grille-pain,... et à celle des dérivations à partir d'une base (habiter

habitable habitation,..). Adjectifs et adverbes relèvent de cette formation dérivationnelle distincte d'une flexion paradigmatique (nominale, verbale). Enfin, on associera à cette formation celle des

15 Cf. Réseau du sens II, Deuxième partie, Chapitre II.

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synapsies en tant que locutions figées (Un je ne sais quoi, Un monte en l'air, Un décrochez moi ça,...) qui constituent des syntagmes non phrastiques. Il s'agit donc d'un mécanisme génératif des lexies au même titre que celui des structures prédicatives (on parlera ainsi de couplage entre cette morphosyntaxe et la structure prédicative). (vi.b) La notion générique de domaine notionnel sémantique correspond aux différentes particularités que nous avons fait apparaître en (ii) supra; la catégorisation ne se réduit pas à des nomenclatures (tableaux taxinomiques), ni même à des « champs sémantiques », si on interprète ceux-ci du seul point de vue d'une asssociation terminologique sans les relations catégorielles sous-jacentes qu'elle implique. La classification, en tant que formation de simulacres objectaux, renvoit à un dispositif cognitif que l'on peut appeler, à la suite de Lévi-Strauss, l'opérateur spécifique qui rassemble des rapports d'homogénéité-hétérogénéité, de genre-individu; enfin, à propos de la notion même de classification comme opération cognitive, nous introduirons la notion d'« idonéité » comme principe d'identification. Reprenons la définition anthropologique que donnait Lévi-Strauss de la notion d'espèce (1962, p.180):

Dans la notion d'espèce, en effet, le point de vue de l'extension et celui de la compréhension s'équilibrent: considérée isolément, l'espèce est une collection d'individus; mais, par rapport à une autre espèce, c'est un système de définitions. Ce n'est pas tout: chacun de ces individus, dont la collection théoriquement illimitée forme l'espèce, est indéfinissable en extension, puisqu'il constitue un organisme, lequel est un système de fonctions. La notion d'espèce possède donc une dynamique interne: collection suspendue entre deux systèmes, l'espèce est l'opérateur qui permet de passer (et même y oblige), de l'unité d'une multiplicité à la diversité d'une unité.

L'espèce naturelle se prête donc à des opérations de totalisation (composition énumérative et intégrative); elle constitue un lieu mental, à la façon du templum formant une homologie de rapports entre des principes de généralisation comme partition taxinomique et

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d'individuation comme partition morphologique, lesquelles peuvent s'intervertir. Elle constitue véritablement la base d'une économie symbolique des noms comme l'a remarquablement bien montré l'anthropologue (par exemple, dans le jeu de renvois entre noms communs et noms propres, désignation des végétaux et désignation des femmes: Rose, Violette, Anémone,...). (vi.c) Ce troisième niveau correspond à l'analyse que nous avons faite en (iii) supra d'un champ sémantique tel que celui d'une instanciation aperceptive; on dira que les lexies en tant qu'expressions élargies à des domaines notionnels sont intégrables à des formations discursives appelées Textes (Hjelmslev) ou « systèmes modelants secondaires » (Lotman)16.

16 À propos du treillis dédoublé {Langage, Texte}.

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II.6. APPENDICE: LA SÉMANTIQUE DE L'< OISEAU >17

Le but de la démarche est celui de la constitution de la signification en tant qu'analyse systématique des rapports entre les lexies renvoyant à un monde (donné, construit) et la catégorisation sous-jacente qui préside à leur élaboration. Les traits de catégorisation ne sont pas des sèmes comme de simples indicateurs d'enregistrement des données empiriques (comme dans les analyses componentielles ou sémiques). Les lexies ne sont pas une tabulation (énumération sans ordre) de ces traits mais une pluralité de qualifications organisée que l'on rattachera à un principe de schématisation qui engendre des formes (en un sens logique et iconique, cf. ce n'est donc pas non plus une notion strictement gestaltiste renvoyant à une perception). Les lexies expriment ainsi un processus de composition et de projection entre plusieurs de ces formes que l'on rattachera à la notion de re-présentation par catégories.

Comment va-t-on organiser les catégories les unes par rapport aux autres de telle façon qu'elles constituent un ordre autonome puisque nous sommes à la recherche d'une consistance, soit de l'auto-organisation d'un champ sémantique? Ce principe de schématisation sensible, nous l'intitulons un templum des relations descriptives, ceci afin d'en montrer figurativement le caractère logique et iconique. Un mini réseau de templa corrélés (on va voir comment) constituent un champ de mises en rapport de leurs spécifications dont on pourra dériver des descriptions empiriques particulières.

Partons du principe qu'il existe une entité noologique dénommée < oiseau > , laquelle va pouvoir être dissociée en une certaine variété de types morphologiques. Celle-ci doit être introduite (spécification par rapport à d'autres formes animales) indépendamment du fait que nous disposons de différentes dénominations particulières (cf. moineau, corbeau, mouette, aigle, pie, colibri, fauvette,...) permettant de construire un certain repérage taxinomique18.

17 Cf. Boudon, 2003. 18 Nous ne tenons pas compte ici du principe de catégorisation, appelé prototypicité ; soit, le fait

que certaines formes sont exceptionnelles comme la chauve-souris, l'autruche ou le kiwi; ou

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Préalablement, on doit ainsi définir le fait que l'être animal constitue un certain « règne » par rapport à d'autres êtres, comme les végétaux; les deux s'opposent à un troisième représenté par le monde minéral (les roches, les terres, les reliefs, etc.) qui est inerte (sans vie). Ce premier dispositif permet ainsi de localiser ces formes animales dont les termes mixtes précisent également qu'il existe des aspects intermédiaires, du côté du végétal et du côté du minéral. Ce dispositif préalable est de la forme:

(i) dissociation en règnes naturels

MT+,-: animé # inanimé

animal végétal

minéral

polypes, etc.

os, ivoire humus

Ce schéma est donc construit sur la distinction entre être vivant et être non-vivant (le monde minéral)19; des trois règnes généraux on peut ainsi dériver des termes mixtes qui constituent leurs modes de transition (cf. ils ne sont donc pas exclusifs les uns des autres). Partant du monde animal on a, d'un côté, des formes fixes qui sont entre un mode animal et un mode végétal, et de l'autre, dans la morphologie même de ces animaux, nous avons des composants minéraux (les os, les extrémités des membres comme les griffes, les dents, les défenses). Enfin, on aura pour compléter ce schéma, la notion d'« humus » où se mélange (à titre de pourriture) le végétal, l'animal et la terre,

encore, que certaines formes sont extraordinaires (le phenix en tant qu'animal fabuleux) par rapport aux autres.

19 En ce qui concerne la distinction entre mortel et immortel.

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constituant une « terre arable » (cf. propre à la culture). L'inanimé est donc également le terme d'un cycle vital. Enfin, nous devons ajouter que, dès qu'il y a vie, il y a sensibilité à l'écosystème comme la chaleur et le froid, les rythmes journaliers et saisonniers (dans la reproduction, par exemple).

Considérons au départ une série de propriétés générales qui vont nous

permettre d'amorcer l'analyse dans son ensemble:

(ii) propriétés générales

.a. En tant que corps, l'< oiseau > dispose d'une morphologie qui nous permet de la comparer à d'autres (bipèdes, quadrupèdes, apodes comme les anguilles et les serpents). Cette morphologie est caractérisée par un vocabulaire qui procède d'une décomposition partonomique: l'aile de l'oiseau, le bec de l'oiseau, les plumes, la queue, etc.

.b. En tant que corps mobiles, l'oiseau dispose de mouvements libres (contrairement aux plantes enracinées) nous permettant de le comparer à d'autres: l'oiseau vole, l'oiseau prend son essor, l'oiseau plane, l'oiseau fond sur sa proie,...alors que le chien court, gambade, le poisson nage, la panthère bondit,...

.c. On peut associer ces modes de déplacement spécifiques à des milieux écologiques distincts (aquatique, terrestre, aérien): l'aigle vit en haute montagne, l'outarde vit dans les marais, la pie vit dans les champs, la mouette vit au bord de la mer,...

.d. Enfin, pour finir, on dira qu'à l'oiseau est associé un mode de vie par rapport à l'homme, soit qu'il vit à l'état naturel, soit qu'il vit à l'état domestiqué. On fera ainsi la différence entre des oiseaux en liberté (moineau, alouette, chouette,...) et des oiseaux d'élevage, appartenant à la basse-cour (poule, dindon, oie,...) ou simplement des animaux de compagnie (perruche, serin) ou de parade (comme dans les cirques). D'ailleurs, avec ces animaux de la basse-cour, comme avec le bétail, on est à la limite de la notion d'< oiseau > puisqu'on ne parle pas des « oiseaux de la basse-cour » pour désigner les gallinacés.

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Prenons la notion de corps qui est la forme de base de tout être animé

mobile (celui de la < plante > est distinct20 ). Ce corps est une totalité empirique, asymétrique (il a un devant et un derrière); il possède des membres (supérieurs et inférieurs ou de devant et de derrière) permettant un déplacement et une tête plus ou moins distincte. Ce schéma corporel est propre à toutes formes d'animal, terrestre, aquatique ou aérien,...On dira également que c'est un cadre mental en ce qu'il peut être transposé par analogie (cf. l'habitation, par exemple, où l'on parle de corps de logis, d'ailes d'un bâtiment, de couronnement de l'édifice, bien que ces entités ne sont pas douées de mobilité).

Le templum permet de représenter ce schéma corporel de la façon suivante:

(iii).a. Templum du schéma corporel

MT+,-: ventral # dorsal

queue

membres tronc (cage thoracique)

colonne vertébralecapteurs

tête

supérieurs

inférieurs

Iconiquement, ce schéma synthétise les différents aspects qui caractérisent la notion de corps en général (cf. vertébré; la question de l'apodie, comme dans le cas des serpents, serait traitée dans un autre schéma). Les métatermes introduisent ici par complémentarité la dimension orientative (dorsal, ventral) qui contrôle l'ensemble du schéma et par rapport à laquelle est définie le devant/haut (la tête) et

20 Nous l'avons développé dans « L'appréhension catégorielle du corps », Montréal, 2000.

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le derrière/bas (la queue). Les trois termes de base, tête, tronc, membres, caractérisent par leur corrélation-opposition les parties du corps et constituent sa forme générale par association/dissociation: la tête en tant qu'élément directeur où sont localisés les capteurs « à distance » (vision, audition, odorat) permettant de développer des types de compétence; le tronc en tant que cage thoracique où sont enfermés les principaux organes (viscères); les membres (bilatéraux) en tant que moyens de préhension (mains, pattes) et de locomotion, membres supérieurs et inférieurs chez les bipèdes, d'avant et d'arrière chez les quadrupèdes. Par dérivation, nous pouvons distribuer les trois autres termes en tant que médiation des précédents: la colonne vertébrale qui lie la tête et le tronc (cf. le cou; ainsi, nous avons des vertèbres cervicales et dorsales); la queue qui termine le tronc et qui peut agir en tant que membre de préhension ou de direction. Enfin, les capteurs qui agissent comme organes de mise en rapport avec l'extérieur, localisés dans la tête (par ex., vision, audition, odorat) ou distribués sur la surface corporelle (toucher). Nous devrions associer enfin à un dispositif corporel une symétrisation (bilatéralité, translation, rotation) comme on l'associe également à la notion de corps géométrique.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce templum (iii.a) n'est qu'une pièce du

puzzle permettant de décrire en son entier le schéma organique. Nous venons d'évoquer à l'instant un principe de géométrisation permettant d'en offrir une dimensionnalité (abstraite) pour des mouvements; mais il faudrait également évoquer ceux d'une fonction organique (respiration, alimentation), ceux d'une reproduction sexuelle,... C'est l'ensemble de ces templa (associables) qui constitue un champ sémantique puisque, à cette répartition méréologique en touts et parties, correspondent, non seulement des taxinomies différenciées, mais également des motifs pour une description des univers mythologiques.

Enfin, c'est à partir de ce schéma corporel que l'on peut caractériser des amputations en tant que soustraction de parties (décapitation, éviscération, amputation des bras ou des jambes).

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Considérons par exemple la vêture des oiseaux; sans parler de ses couleurs, de ses dessins (uni, bariolé, tacheté, rayé, moucheté...), nous pouvons introduire le motif de sa texture que l'on appliquera au schéma précédent afin de lui donner une apparence. Ces différents aspects sont essentiels dans la classification des oiseaux et, le plus souvent, c'est par celle-ci que l'on identifie et range les oiseaux dans telle ou telle classe. Cette texture, qui n'est pas propre aux oiseaux mais à toute espèce animale, peut être alors introduite de cette autre façon:

(iii).b.Templum d'une texture animale

MT+,-: nudité # parure

poilras

longcrinière, aigrette

plumage

écaille

cuir

piquant

Dans ce schéma qui couvre la diversité de vêtures offertes aux animaux, nous dirons que la description de celle des oiseaux n'en sollicite qu'une partie; ainsi, il n'existe pas d'oiseau (réel) dont la vêture est faite de cuir (carapace), d'écailles ou de piquants, ce qu'on rencontre chez d'autres animaux (hippopotame, mangouste, porc-épic). Plumage et poils constituent ainsi les éléments de base de cette vêture que l'on pourra diversifier en de nombreux aspects de plumes et de poils (duvet par exemple, aigrette dans certains cas; le cas de la crête est différent). Nous dirons également que nous pouvons dissocier celle-ci d'avec la peau sous-jacente (rôle attribué aux métatermes) puisqu'on peut déplumer un oiseau sans qu'il soit dépiauter, raser les poils ou la crinière d'un animal (chien, cheval). Du coup, plumes et poils apparaissent comme une parure détachable du corps.

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Avec ces deux templa (iii.a) et (iii.b) couplés, nous avons la base d'une

composition possible des différents aspects que revêtent les animaux dans leur apparence; c'est par exemple sur cette base que l'on peut montrer des images d'animaux que les gens reconnaîtront. Cette composition est le produit des rapports entre les traits du premier templum et ceux du second, en sachant que certaines corrélations ne sont pas possibles. Ainsi, les oiseaux ne comportent pas de carapace (cuir) ou de piquants, traits que l'on rencontre chez d'autres animaux. Nous ajouterons que certaines parties ne sont pas homéomères à l'ensemble; ainsi les pattes des oiseaux n'ont pas de plumes ou de poils (mais forment une sorte de cuir souple, surtout chez les palmidés); la tête est généralement couverte de poils et non de plumes; etc. Nous dirons donc que ces lois de composition entre templa implique des opérations de filtrage appliquant certaines propriétés à certaines parties mais non à d'autres.

Au départ, nous précisons bien que nous donnons une description d'animaux réels; mais en fonction de ces opérations de filtrage, on peut imaginer par combinaison des animaux qui n'existent pas, sinon dans les bestiaires qui forment un monde à part21. C'est dans ces ouvrages, d'ordre mythique, que l'on retrouve alors toutes les combinaisons « possibles et imaginables » et dont on dira par soustraction que la réalité n'en exploite que certaines; de ce point de vue élargi, l'imagination (mythes, représentations fantastiques) est un champ beaucoup plus vaste que la réalité. Les normes jouent ainsi un rôle fondamental dans la restriction de ces opérations de filtrage en ce qu'elles configurent une distribution des rapports entre templa.

Passons à la notion de mouvement en tant que modes d'un déplacement. C'est ici que nous allons pouvoir mieux saisir la différence existant entre des types d'animalité. A quelques exceptions près, on dira que la qualité essentielle de l'< oiseau > est de voler; certes, les oiseaux marchent, courent, nagent, comme d'autres animaux, mais ceux-ci n'ont pas cette qualité sui generis.

Nous opposerons ainsi, au départ, trois formes de mouvement en tant que types de déplacement: voler, marcher, nager, répondant aux énoncés, l'oiseau vole, l'homme marche, le poissonn nage. A partir de cette triade constitutive du 21 Cf. J. Baltrusaitis, Paris, 1981.

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sens d'un mouvement, nous allons pouvoir ainsi développer un registre d'autres possibilités attenantes.

(iv).a. Templum des types de mouvement

MT+,-: gravité + # gravité-voler

planer, flotter

nager

s'enliser, s'enfoncer

marcher

sauter, bondir

Les métatermes expriment le fait que la pesanteur (gravité+) et l'apesanteur (gravité-) sont à la base de la définition du mouvement en tant que montée ou descente22; ainsi, s'élever dans les airs suppose un effort, ce qui n'est pas le cas dans descendre (où on se laisse aller). Par contre, c'est l'inverse dans l'élément aquatique: on remonte à la surface facilement, par opposition à, on s'enfonce dans les profondeurs. Marcher présuppose, par différence de ces deux aspects, un « sol » de déplacement sur lequel on prend appui avec la plante des pieds. La morphologie des mouvements est donc étroitement corrélée à une écologie (milieux terrestre, aquatique, aérien) que l'on proposera à la suite.

Ces trois types de mouvement sont opposables en tant que genres de vie de

l'animal mais ils sont aussi associables en tant que possibilités offertes: certes, l'oiseau vole par nature mais il peut également nager, plonger (canard, cygne); il peut marcher, courir, grimper comme l'homme; mais par contre, ce dernier ne 22 Cf. Boudon, , Paris, 1999, p. 23-34.

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peut pas voler (réellement; imaginairement toutefois, cela a été une quête constante, cf. tapis volant des contes orientaux, aigle ou cygne porteurs, voilure imitant des ailes chez Vinci reprenant le mythe d'Icare,...). Les mêmes observations seront faites à propos des poissons dont l'élément est l'eau (on dira que les poissons volants sont une exception à la règle). L'homme nage mais les poissons ne peuvent absolument pas marcher (absence de membres locomoteurs).

À partir de ces trois postes qui caractérisent trois formes dominantes, on peut engendrer par corrélation plusieurs autres aspects qui vont définir des médiations entre celles-ci. Ainsi, entre marcher et voler, on peut situer le fait de sauter (soit, s'élever dans les airs, soit se laisser tomber d'une hauteur). Par contre, entre voler et nager, on peut situer le fait de se laisser porter par les éléments (air, eau) et l'on a, planer ou flotter qui expriment une homologie de rapport, comme on peut avoir fondre (sur une proie) ou plonger (dans l'eau).

Enfin, entre marcher (courir, trotter, gambader, en sont diverses modalités) et nager, on peut situer le fait de s'enliser (venant de marcher) ou de s'enfoncer et de sombrer (venant de nager), soit dans ce cas, l'impossibilité de remonter à la surface. Là encore, nous avons descriptivement des mises en regard qui permettent de lier nos termes de base et de les ouvrir à des modalités graduelles.

Comme on le voit, ces principes de catégorisation du mouvement forment l'amorce de descriptions qui font du discours et dont les significations réclament (pour les enfants, par exemple) une certaine glose comme explicitation des propriétés du réel. Nous avons ainsi l'amorce d'une dialectique entre les dénominations (sémantiques) et les qualités phénoménologiques des objets dont on parle.

Prenons cet exemple: la notion de mouvement, dans sa généralité, renvoie à l'opposition naïve entre « repos » et « mouvement » proprement dit (dont nous avons proposé certains caractères parmi d'autres); ainsi, l'oiseau se repose sur la branche, l'hirondelle prend son essor, etc. Or, cette notion de mouvement affecte bien d'autres types de corps, naturels (comme les objets célestes en mouvement autour de la Terre) ou artificiels (les meubles peuvent être déplacés alors qu'un immeuble ne bouge pas sauf à l'occasion d'un tremblement de terre; certains lieux d'habitation sont à la fois mobiles et immobiles comme les tentes, les roulottes; etc.). Bref, la notion de mouvement renvoie à celle, plus abstraite, de déplacement qui affecte toute sorte de « corps », comme lorsque Aristote dans sa Physique

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posait la question d'un « monde apparent » dans sa généralité, mobile ou immobile, et la nature des nombreux mouvements qui l'animent.

Ainsi, à la suite du précédent templum, nous pourrions introduire le suivant qui représente une plus grande abstraction en ce qu'il définit les tenants et aboutissants de la notion de déplacement quelque soit le type d'objet:

(iv).b. Templum des formes d'un déplacement MT+,-: déplacement + # déplacement -instable

stable

repos mouvement

basculement renversement

tremblement

Ce schéma est général dans la mesure où on peut l'introduire sous n'importe quelle forme d'objet matériel: une tasse, une automobile, le corps humain, les êtres vivants, les corps célestes. Dans la philosophie antique, l'opposition du repos et du mouvement, du stable et de l'instable, du fixe (cf. déplacement-) et de l'amovible (cf. déplacement+), est un des grands paradigmes épistémologiques. Ainsi, tout corps (sans attache fixe) peut être en repos ou en mouvement, celui-ci gardant une certaine stabilité (l'homme court, l'oiseau vole, sans tomber); c'est sa valeur propre, au contraire de la pierre qu'on lance et qui n'a pas de stabilité propre (elle est inerte). Par contre, tout corps (fixe ou mobile) peut être affecté par une instabilité qui le dépasse en tant que contexte (l'arbre dans la tempête, la maison dans le tremblement de terre). L'instabilité renvoie, à la fois, au déséquilibre d'un corps propre (en repos ou en mouvement) et de ceux qui dépendent d'une attache apparemment inébranlable (cas de la tempête ou du tremblement de terre). Enfin, cette instabilité peut être faible (simple tremblement comme lorsqu'un corps est secoué) ou

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forte (basculement, renversement) pouvant aller jusqu'à la destruction comme totalité de l'objet (la tasse se fracture en mille morceaux, la voiture se disloque, le pont s'écroule). Ainsi, ce templum énonce les tenants et aboutissants de la notion de corps matériels (par rapport à celle de corps immatériels, non assujetis à ces conditions du déplacement qui impliquent une nature solide), indépendamment de leur forme et de leur échelle. Nous avons là un principe d'explication de nature phénoménologique (et non scientifique) qui réfère à une pluralité de formes prédicatives.

Revenons à nos objets initiaux: les différentes formes de l'< oiseau > et aux façons de les catégoriser. Après avoir décrit ses qualités propres, passons aux milieux associés à des types de mouvement puisque nous avons évoqué auparavant une complémentarité entre morphologie et écologie:

(v).a. Templum des différents milieux

MT+,-: monde du dessus # monde du dessous

rivages

mercours d'eau

milieu aquatiquemilieu terrestre

nuées

milieu aérien

cîmes

On dira maintenant que la description de l'animal tient compte de son écosystème, que celui-ci est partie prenante dans sa définition. Ainsi, les métatermes délimitent implicitement un dessus et un dessous de la surface terrestre, que celle-ci soit un sol ou une surface aquatique. Les oiseaux vivent « au-dessus » (indépendamment des régions qu'ils privilégieront) alors que d'autres animaux (certains serpents, les

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poissons) vivent « au-dessous ». Cette surface est donc une frontière que l'on peut franchir ou non (dans les univers mythiques, c'est la distinction redoutable entre monde chthonien et monde humain)23.

Les trois milieux, terrestre, aquatique, aérien, que l'on oppose ici en termes

de substrat, reprennent les qualifications que nous avons données du mouvement en leur apportant une extension spatiale; nous traduisons ainsi des possibilités de déplacement en termes de régions de l'espace que l'on pourra préciser géographiquement (et climatiquement). Le milieu terrestre peut être ainsi diversifié en types de relief (vallée, plateau, montagne) et de couvert végétal; le milieu aquatique peut être différencié en proximité de la côte (avec ou sans présence d'îles) et grand large; le milieu aérien peut être différencié en couches de hauteur dans le ciel (dans les mythologies, l'empyrée était situé au-delà du monde atmosphérique, lui-même situé au-dessus du couvert végétal). Ainsi les oiseaux peuvent être caractérisés par une localisation géographique (cf. mouette, goeland, cormoran, fou de bassan, albatros, participent d'une même localisation dont la côte maritime est le terme médian); suivant les saisons, ils peuvent être sédentaires ou migrateurs (cf. la cigogne qui caractérise une image régionale).

Ce templum (v.a) joue ainsi le rôle de dispatcher pour une diversité écologique que des espèces animales investissent. Les formes intermédiaires et graduelles (cf. termes mixtes entre ces milieux) renforcent ce caractère différencié en introduisant des interfaces géographiques où s'entremêlent ces milieux: les rivages peuvent être une côte (avec sa morphologie plus ou moins accidentée) ou des rives de cours d'eau (avec leur morphologie, cours d'eau ou marécage, suivant qu'il s'agit de fleuve, de rivière ou de torrent); aux nuées, on peut rattacher des changements climatiques (orage, tempête) dont les oiseaux sont souvent annonciateurs. Enfin la cîme, en tant que relief privilégié par ceux-ci, peut être celle des montagnes ou des grands arbres (puisqu'au milieu terrestre est associé un couvert végétal). Bref, c'est à travers cette multiplicité géographique et climatique —qui forme comme une sorte de patchwork écologique— que l'on pourra

23 À propos de la différence entre microcosme et macrocosme qui articule une représentation du

monde; au macrocosme correspondrait le ciel empyrée, la voûte céleste, alors qu'au microcosme correspondrait inversement les lieux de nidification.

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spécifier un attachement local (qui est celui de leur refuge, de leur nourriture) pour des espèces et sous-espèces animales24.

À cet habitat naturel que constitue une région de l'espace, on peut enfin ajouter un autre type d'habitat qui apparente les animaux aux humains puisqu'on peut parler de « lieu » défini: il s'agit de leur refuge (niche) qui est un lieu de reproduction et que l'on peut distinguer par des formes de l'aménagement. C'est la différence entre la simple aire, comme surface déblayée et située sur un sommet, et le nid comme artefact, fait de matériaux et selon une géométrie bien précise; enfin le cocon comme enveloppe plus ou moins close (certains oiseaux font de tels abris). On remarquera qu'entre ces formes et l'habitat humain certaines relations d'analogie sont possibles en langue (nicher, se percher, se terrer, sont des métaphores représentatives d'un tel rapprochement).

(v).b. Templum d'une nidification

MT+,-: terricole # arboricole

nid cocon

degrés (ouverture/fermeture)

gîte, litière terrier, grotte

aire

Le point de vue adopté ici est nouveau puisque nous basculons —à travers la notion d'artefact— des opérations naturelles (déplacement, localisation) à des opérations techniques. C'est par rapport à cette forme de l'artefact que nous pouvons décrire l'« entreprise » de certains animaux (oiseaux, castors) par rapport à d'autres.

24 La distinction anthropologique entre la Nature et la Culture, entre « oiseaux des villes » et

« oiseaux des champs » par exemple, est reprise peu après (point 6.a, infra) à propos de la question d'un état sauvage ou domestiqué.

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Mais les métatermes que nous utilisons reflètent plutôt une implantation de cet artefact (dans la terre, dans les arbres) en sachant que le milieu terrestre est à la fois un sol et un couvert végétal (dont il est l'extension). Les trois termes de base utilisés établissent les rapports entre un simple aménagement de la nature (une aire, un gîte), ou l'investissement d'un endroit (une grotte au flanc de la montagne, une cavité dans un arbre) et des formes plus ou moins construites. En termes de comportement animal, la différence est énorme. Alors que l'aire n'est qu'un simple nettoyage, le nid ou le cocon sont des constructions dont la variation réside dans le degré d'enveloppement (largement ouvert pour le premier mais comportant des bords, simple ouverture plus ou moins grande pour le second). Dans cette fabrication d'un abri on spécifie également le fait qu'il peut relever d'un « monde du dessus » (nid ou cocon) ou d'un « monde du dessous » (terrier), suivant la distinction faite en (iv.b) supra. Nid et cocon représentent ainsi les extrémités d'une variation dans la formation d'un réceptacle construit; c'est par rapport à celle-ci que nous pouvons « mesurer » (qualitativement) le degré de complexité des deux autres termes mixtes, partagés entre un simple aménagement et une élaboration plus ou moins sophistiquée: le gîte et la grotte ne sont, complémentairement, que des abris naturels au départ alors que la litière et le terrier constituent des aménagements plus élaborés.

Revenons à des considérations générales puisque, à plusieurs reprises,

nous avons parlé des rapports entre le monde des oiseaux et le monde humain. Les oiseaux forment une « société » et cette comparaison exprime bien les rapports qu'ils entretiennent avec nous; ils nous côtoient, ils nous suivent (dans les déplacements); leurs moeurs sont souvent semblables aux nôtres; nous en avons domestiqué plusieurs espèces, et surtout, ils entrent dans notre alimentation et notre vêture (les parures faites de plumes d'oiseau se retrouvent dans bon nombre de sociétés). Il y a donc un parallélisme entre le monde des oiseaux et les cultures humaines qui n'est pas du même ordre que celui que nous entretenons avec le bétail par exemple (celui-ci est totalement soumis, ce qui n'est pas le cas des oiseaux).

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Ce rapport, pour Lévi-Strauss25, est celui entre les notions de Nature et de Culture car la société des oiseaux est à la fois semblable et dissemblable à celle de l'homme, à la manière du miroir qui nous permet d'entretenir une relation spéculaire (cf. soit, de créer une forme imaginaire). Ce rapport est donc celui d'une différence irréductible (celle entre l'animalité et l'humanité) et d'une analogie indispensable (d'une mise en regard de l'une vis-à-vis de l'autre), car à qui d'autre pourrions-nous nous comparer? C'est ce rapport harmonique/dysharmonique26 qui permet alors de réfléchir ceux entre l'ordre et le désordre (la loi, la guerre), la contrainte (l'éducation, la civilité) et la liberté (les arts).

Afin d'exprimer dans nos termes ce problème des rapports Nature-Culture, nous allons le circonscrire à ceux des moyens de subsistance dont le schéma va se prêter à une double lecture: des animaux d'un côté, des hommes de l'autre; enfin, des hommes vis-à-vis des animaux puisqu'ils en mangent certains (on pourrait évoquer un dernier rapport: celui des animaux anthropophages comme dans les mythologies, les contes fantastiques). Ces moyens de subsistance impliquent alors un régime alimentaire et des types d'échange que nous aborderons après.

Dans le templum (vi.a) infra, nous opposons trois types d'acquisition: la chasse en tant que comportement violent, aléatoire (chasser, piller); la cueillette, en tant que déambulation aléatoire, pacifique (mode privilégié de bon nombre d'oiseaux, picorer; dans les cultures primitives, ce rôle de ramassage était réservé aux femmes); l'agriculture qui représente alors le basculement d'une itinérance (celle de la chasse, de la cueillette) vers une sédentarité; il n'y a plus quête et attente d'une subsistance mais production stable (bien qu'apparemment humain, ce comportement se retrouve déjà dans certaines espèces animales qui « cultivent » d'autres pour s'en nourrir).

Enfin, nous introduisons comme métatermes la distinction (qui deviendra un partage avec les animaux domestiques) entre un état sauvage et une domestication qui, d'une part, concrétise le rapport général Nature-Culture, et d'autre part, fait qu'un canard domestique (distingué comme sous-classe) n'a plus grand chose à voir avec un canard sauvage. 25 Cf. Lévi-Strauss (1962), Chapitre VII. 26 Cette harmonie relève des rapports cosmiques, évoqués auparavant: la note (23) à propos des

rapports entre le microcosme et le macrocosme.

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(vi).a. Templum du rapport entre état sauvage et domestication

MT+,-: état sauvage # domestication

élevage

apprivoiser reproduire

chasse agriculture

cueillette

piégage horticulture

Les termes mixtes expriment des rapports de médiation entre ces trois modes de base: dans l'activité de piégage (piéger, trapper) nous avons à la fois une chasse (attraper) et un dispositif d'attente (cueillir au bon moment); l'horticulture de son côté est à mi-chemin de la cueillette (sans son mode itinérant) et de l'agriculture (sans son mode intensif; c'est la différence entre jardin ou verger et champ). L'élevage est enfin une production comme l'agriculture (élevage de bestiaux) mais d'animaux comme dans la chasse (élevage de faisans). Il faut bien sûr distinguer entre apprivoiser et reproduire, bien des animaux sont apprivoisés (on les dresse en vue d'une tâche, l'aigle à la chasse, ou d'une parade comme dans les arts du cirque, dans les zoos) sans être le produit de l'industrie humaine (c'est la notion du troupeau, de la basse-cour).

Ce schéma représente une interface entre le monde humain et le monde des

oiseaux, avec leurs différences et leurs assimilations. Dans les deux cas, nous avons des prédateurs (aigle, vautour, buse), des piégeurs (le coucou) et des cueilleurs (la différence entre chasse et cueillette recoupe fortement celle entre carnivores et herbivores que nous allons considérer peu après). Par contre,

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l'agriculture les sépare27 en ce que les oiseaux ont la réputation de ne pas avoir d'industrie (hormis celle de leur nid); comme dans les contes moraux, La cigale et la fourmi par exemple, on leur prête une certaine insouciance de l'avenir (ce qui peut-être les rend si heureux).

Aux modes de subsistance qui définissent des formes de vie nous pouvons associer finalement un régime alimentaire; celui-ci redouble, d'une part, ce que nous venons de proposer (cf. la chasse est équivalente au régime carnivore; la cueillette est équivalente au régime herbivore-frugivore); elle introduit d'autre part de nouvelles spécifications qui entrent dans la définition des animaux. Ainsi, au sein de la classe des carnivores nous avons ceux qui mangent la viande crue et ceux qui mangent la viande putréfiée (les charognards, comme les vautours). C'est peut-être ce trait qui deviendra pertinent dans une description, dans un mythe. Par ailleurs, certains animaux sont à la fois carnivores et herbivores, ce qui introduit une ambivalence entre ces deux aspects que l'on peut traduire en termes de saison (cf. la viande sera signe de richesse, d'abondance d'été, les baies seront signe d'austérité, de famine d'hiver). Etc.

Enfin, les métatermes caractérisent une forme de « vie sociale » puisqu'on a deux formes générales de comportement, en groupe ou solitaire:

(vi).b. Templum d'un régime alimentaire

MT+,-: grégaire # solitaire

herbivore

omnivore

carnivore

rongeurcharognard

vermine (détritus)

27 N'oublions pas que c'est la même distinction que l'on rencontre entre les cultures dites

primitives et les cultures historiques (ou cultures sans écriture et culture avec écriture); l'agriculture représente ainsi une rupture fondamentale.

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De même que les carnivores (cf. carnassiers) sont dissociables en chasseur et en charognard, nous avons symétriquement la distinction entre les herbivores et les rongeurs (les écureuils). Enfin, à la limite de cette consommation, nous avons la vermine qui se nourrit des détritus (ou de la terre comme dans le cas des vers), soit une anti-nourriture en tant que quête d'un aliment recherché.

Au-delà d'un mode d'acquisition, au-delà d'un régime alimentaire, le

parallèle que nous établissons entre le monde des animaux (et plus particulièrement celui des oiseaux) et le monde humain ne serait pas complet si nous n'évoquions pas ce qui fait le fondement de ces liens: celui des bases de la notion d'échange, ce qui constitue le « socius » de toute espèce de groupement (humain, animal). Analyser celles-ci représente pour l'anthropologue ce qui caractérise l'un des fondements de la Culture et c'est pourquoi sans pouvoir rendre compte de l'ensemble des schémas permettant de le caractériser nous en évoquerons l'un plus particulièrement. Étendre ce schéma à certains groupements animaux (comme les oiseaux), c'est donc établir un parallèle entre leurs moeurs et les nôtres; c'est jeter les bases d'un échange entre deux « sociétés », même si les humains conservent une relative supériorité.

(vii) Templum des formes de l'échange

MT+,-: échange + # échange -

compétition (échange dissymétrique)

partage (échange symétrique)

protection

parasite

pillage

don (échange asymétrique)

Partons de la considération (au niveau des métatermes) qu'il existe une différence radicale entre la notion d'échange et celle de non-échange,

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que celui-ci soit le fait d'un isolement ou d'un refus (refus de l'étranger, par exemple). L'absence d'échange est donc celle du socius (c'est par exemple le cas de Robinson Crusoe avant qu'il ne découvre Vendredi. Passons au niveau des termes de base; nous dirons que le « pillage » exprime une forme (première) négative de l'échange; piller c'est prendre sans rendre, c'est faire violence à autrui (la barbarie) et le réduire à un objet de possession. Les deux autres termes expriment alors deux modes d'un échange réversible: d'une part, c'est le partage qui est l'expression la plus complète de l'échange en ce qu'elle est le signe d'une réciprocité; d'autre part, c'est le fait de protéger quelqu'un (comme dans la relations entre parents et enfants, entre suzerain et vassal) dont on dira qu'il conduit à un échange asymétrique (positif). On peut parler ainsi de don en ce que le sens est celui d'une offre sans avoir immédiatement la réciproque (qui peut arriver dans un moment ultérieur). Ce type d'échange asymétrique positif est ainsi l'envers d'une même relation de protection, mais négative comme dans le parasitage; un parasite se met sous la protection de quelqu'un sans demander son autorisation. C'est donc un profiteur, sans compensation. À propos de la notion de compétition, nous dirons qu'elle est un mixte de capture (comme dans le pillage) et de rivalité (comme dans le partage; la compétition suit des règles contrairement au pillage; par contre son résultat est une différence de statut (vainqueur et vaincu, par exemple). Les potlatchs décrits par les anthropologues ressemblaient à des compétitions de richesses où il fallait détruire un maximum de biens pour prouver sa prodigalité (cf. être le plus fort); on parlait ainsi de don et de contre-don créant une escalade dans la rivalité (parfois, jusqu'à l'absurde). Le « socius », pour les groupements humains, est ainsi fait de cette diversité de rapports où les échanges entretiennent en permanence le bon voisinage avec autrui. Bref, c'est la création d'un « double » à la manière d'une relation spéculaire puisque, dans l'autre, on se reconnaît

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à travers lui; c'est pourquoi également, l'étendre aux moeurs des oiseaux c'est les qualifier comme on le fait à propos des espèces humaines. Il existe donc chez les oiseaux des pillards (les rapaces), des parasites (le coucou qui s'installe dans le nid d'autrui), des relations d'entraide (les pigeons); il existe des compétitions (dans le chant, par exemple) et le rapport entre les oiseaux et leur nichée n'est pas sans faire penser à la maisonnée humaine. Bref, la correspondance entre les deux sociétés peut être établie, marquée par des échanges (on « emprunte » aux oiseaux leur parure, l'âme peut être comparé à l'un d'entre eux), ou au contraire par des prohibitions (qui sont une forme de respect de l'autre).

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TROISIÈME PARTIE: LA DÉTERMINATION, QUANTIFICATION

DISCURSIVE ET PROTOTYPICITÉ CLASSIFICATOIRE

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Revenons au mini réseau de templa (vii) de la Présentation, à propos d'une référenciation, mais sous l'angle maintenant d'une détermination en discours dont les deux volets vont être une quantification des expressions lexicales (relevant de l'appareil syntaxique en tant que propriétés prédicatives) et une classification en genres et espèces des lexies basée sur les travaux associés à la prototypicité catégorielle. III.1. LA QUANTIFICATION DISCURSIVE

Cette notion de « quantité discursive » doit être bien distinguée de celle que nous avons en logique, depuis Frege et Russell, dans ce qu'on appelle la logique des prédicats avec quantificateurs (universel, existentiel); le problème de ces logiciens était celui d'une dénotation fonctionnelle qui est beaucoup plus circonscrite que celui d'une désignation linguistique (que l'on doit traiter, à la fois, comme spécification d'objets mondains et co-référence dans le discours sous la forme d'anaphores). Dans un de ses premiers articles, Ducrot (1970) avait bien montré l'écart qu'il y a entre une approche logique (Strawson, Geach) et une approche linguistique; il ne suffit pas non plus de recourir à la notion élargie d'énonciation pour rendre compte de l'assignation d'une valeur référentielle; sinon, tout peut relever d'une telle énonciation, ce qui ruine l'usage même que l'on peut faire de ce concept. Disons qu'il peut y avoir une correspondance générale entre les problèmes logiques et les problèmes linguistiques, que certains ont traitée comme parallélisme logico-sémantique (dont la grammaire générative est devenue un cas exemplaire (Chomsky (1975) renouant avec ses origines cartésiennes issues de la Grammaire de Port-Royal).

Ainsi, nous allons avoir une triade qui oppose l'universalité (au sens de la généralité aristotélicienne), la particularité (dans le sens d'une série distributive) et la singularité (par déixis, nom propre ou description). Cette triade pourrait renvoyer à l'universalité (logique), à l'existentialité et au descripteur iota

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(signifiant un et un seul). Toutefois, dans ce dernier cas, il s'agit d'une restriction du quantificateur d'existence à un seul terme (cf. l'opérateur iota « reste » dans le champ de ce quantificateur) alors que dans notre structure triadique, la singularité est en opposition conjointe à l'universalité et à la particularité.

On voit qu'il n'y a pas véritablement d'adéquation entre la série des termes logiques et la série des termes linguistiques, la dénotation référentielle et la désignation discursive; ainsi comment traduire logiquement la différence entre le défini et l'indéfini? Reste enfin les problèmes de la « mise en discours » qui ne sont jamais abordés par la première puisque la logique ne s'intéresse qu'à des propositions isolées et non à des enchaînements d'énoncés.

A propos de cette quantité discursive, nous n'avons pas un templum mais deux qui font couple: d'un côté, ce sera celui d'une désignation des entités en tant que classes génériques, spécifiques et singulières; de l'autre, ce sera celle d'un parcours de la classe, d'une fonction cursive qui la balaie entiérement (Tout, tous), ou seulement certaines de ses parties (Quelques, quelque). Pour illustrer cette différence d'interprétation dans la quantification, considérons quelques exemples:

(i) Exemples:

Jean a acheté un animal mais je ne sais lequel (un chat? Un chien? Un perroquet ?) (Kleiber, 1989) si « animal » renvoie à une généralité indéfinie (comme dans Une drôle de bête), par contre, l'énumération particularise des entités selon une série plus ou moins hétérogène

C'est tout? dans cette interrogation, on laisse entendre que la totalité n'est pas achevée (le balayage n'est pas complet)

Quand Jean est arrivé, presque tous les invités étaient là nous avons un ensemble (les invités) auquel il manque quelques éléments dont Jean juste avant qu'il n'arrive

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Du vin tachait les nappes où situer ce partitif qui se distribue sur une collection indéfinie de lieux?

L'homme est au-dessus de tout soupçon (énoncé que l'on peut extraire d'une conversation entre policiers) il s'agit d'un homme en particulier, singularisable par son nom, par rapport à d'autres et non de l'homme en général qu'on aurait dans: L'homme a défiguré la planète ou

Les hommes ont défiguré la planète où il s'agit de la race humaine et non d'un de ses éléments (l'énoncé suppose que tous les hommes sont responsables, ce qui est faux); c'est pourquoi, on peut avoir aussi bien le singulier que le pluriel. Par contre, si je dis,

Des hommes ont défiguré la planète la question immédiate sera:Lesquels? ce qui n'est pas du tout la même chose puisqu'on a affaire ici à une particularisation implicite

Reprenons les termes de nos deux templa conjoints; d'un côté, nous avons donc

une variation entre la généralisation, la particularisation et la singularité; cette variation sera établie sous le signe de la « définitude » entre d'une part, le défini, et d'autre part, l'indéfini; de l'autre côté, nous avons une variation entre le Tout, le Rien et le Quelquechose que l'on peut entendre, soit au sens du partitif (Quelque, quelconque, quiconque), soit au sens de la pluralité exprimant une somme entre la nullité et l'entièreté. Cette seconde variation est donc établie sous le signe du « dénombrable » où l'on retrouve le sens de la quantification logique.

Ce sont deux modes de la quantité discursive qui sont issus du même méta-rapport entre la classe et ses éléments, qui représenterait là une distinction de base interprétée de deux façons différentes. On pourrait sans doute imaginer un même templum qui rassemblerait toutes ces propriétés, mais pour des raisons de facilité dans la présentation, nous les maintiendrons séparés en deux volets complémentaires.

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III.1.1 LA QUANTIFICATION PAR DÉFINITUDE

Commençons par la notion de « définitude/indéfinitude » qui exprime une désignation des entités énoncées:

(ii) Templum d'une qualification désignative

Métatermes: MT+: définitude MT-: indéfinitude

Corrélats initiaux: X : singularité (par monstration déictique, par dénomination, cf:

noms propres, par description définie) Y : généralité Z : particularité (distribution en classes ou sous-classes)

Corrélats dérivés: XY: spécimen (ce qu'on appelle le prototype en termes de

référence classificatoire) YZ: collectif (Une pile, une rangée, un tas, une foule,...) XZ: déficience, contingence (passagère)

(ii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: définitude # indéfinitudesingularité

monstration dénomination

particularitégénéralité

collectif

spécimen déficience

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Rappelons que les métatermes, définitude et indéfinitude, représentent le mode de désignation d'une classe dont la frontière est imprécise; comme quoi, il s'agit davantage d'une entité idéale que d'une entité empirique (énumérable, assignable localement); ou encore, en termes logiques, que nous sommes dans le cadre d'une définition intensive de la classe plus que d'une définition extensive.

Décrivons chacun des termes de base de ce dispositif en débutant par la notion de généralité, en montrant que celle-ci n'est pas équivalente à l'universalité des logiciens:

(iii) Les hommes ont mis le pied sur la lune en 1969 or, il n'était que deux et l'on peut dire aussi bien, L'homme a mis le pied sur la lune en 1969 nous avons affaire à un générique; on peut dire, par exemple, que ce générique caractérise le statut de la définition: Le chat est un mammifère carnivore L'homme doit travaillé pour vivre définition sapientiale

Dans la notion opposée de la particularisation (distributive), nous avons par contre une distinction en classes ou sous-classes qui constitue une collection (ouverte) en tant que série distributive. Ce « dénombrement » effectué n'est pas synonyme d'un décompte mais d'une spécification diversifiante; les numéraux: un/deux/trois,... ne sont pas ici synonymes de somme mais d'ordre d'apparition; ou encore, plus minimalement, nous avons les jeux d'opposition, l'un/l'autre, la somme/le reste, premièrement/deuxièmement,

(iv) À plusieurs reprises, un homme se présenta chez elle (Corblin, 1987) on ne sait pas s'il s'agit du même homme ou de plusieurs Quatre élèves avaient un stylo, deux un cahier, trois un livre (idem) on ne peut répondre à la question: combien y avait-il exactement d'élèves? Deux chiens aboyaient dans la cour à la vue des gendarmes (idem) on peut ajouter un blanc et un noir

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Dans la notion de spécification (pluralité plus ou moins précisable), on doit également dissocier le fait que nous avons un parcours entre différentes entités particulières; par exemple:

(iv') Dans la librairie, les livres d'art côtoyaient les livres d'histoire et les nouvelles, et le fait que nous avons une extraction d'une collection (Culioli, 1970); c'est la différence entre:

(iv") Fido est un chien (dénomination par rapport à d'autres noms) Fido est un des chiens du chenil (implicitement, il y en a plusieurs qui portent d'autres noms)

Enfin, en ce qui concerne le troisième pôle de ce schéma, la singularisation, nous avons le choix entre une monstration par geste: Je veux de ce gâteau-ci, une dénomination: Mon chien s'appelle Fido, où les possessifs peuvent jouer un certain rôle comparable aux démonstratifs en ce qu'ils localisent mentalement une appartenance; enfin, par description:

(v) Cet enfant est indocile Cet = l'enfant que je montre déictiquement Le père de Marie vit en France singularisation par propriété de la relation elle-même: un individu n'a qu'un seul père alors que la converse, fils/fille, peut être plurielle La singularisation a souvent besoin d'une co-référence implicite pour exprimer une unicité; dans, Les enfants sont au cinéma il s'agit en fait de, Nos enfants, et non ceux du voisin J'ai rayé l'aile de la 106 ce chiffre ordinal renvoie à la notion de modèle et de marque qui caractérisent une particularisation (une série de modèles, une série de marques); là encore pour qu'il y ait singularité par appropriation, il faudrait ajouter, De notre voiture, l'énoncé présupposant également que cette famille a plusieurs autos.

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Un home au chapeau mou était assis au fond du café, à gauche du comptoir où se tenait la patronne nous avons affaire à une singularisation par description

Dans bien des cas d'individuation, il est nécessaire d'apporter des

précisions co-textuelles pour que la détermination soit complète, notamment avec les démonstratifs; ceci nous renverrait à une « mise en discours » par processus d'anaphorisation (co-texte d'avant, cf. le point (vii) supra de la Première partie) ou cataphorisation (co-texte d'après, cf. idem).

Je vais prendre un dernier exemple troublant à propos de cette singularité par déictisation (exemple dû à D. Slatka, Le Monde, 1993). Prenons un énoncé isolé, parfaitement acceptable,

(vi) Ce camion roulait trop vite mais, tel quel, il devient impossible si un énoncé antérieur mentionnait deux véhicules: J'ai vu un camion et une moto spontanément, on substituera l'article défini au démonstratif dans l'énoncé suivant à ce rapport: Le camion (et non, ce camion) roulait trop vite et la moto (et non cette moto) aussi Que s'est-il alors passé? Dans notre dispositif de la quantification, on dira que, de la singularité par démonstratif on est « remonté » (flèche en pointillés ci-dessous) au métaterme qui gouverne catégoriellement l'ensemble de ces variations:

définitude (MT+)

démonstratif (X)

C'est ce parcours paradigmatique à double sens (haut et bas) que la « mise en discours » révèle spontanément.

Après avoir précisé les termes de base du schéma (ii) supra , tournons-

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nous vers les termes mixtes qui complètent cette assignation des valeurs de la « définitude/indéfinitude ».

Repartons de la généralité en Y; bien souvent, il est difficile de statuer précisément sur la nature exacte de celle-ci; cela vient de ce que le général peut représenter, d'un côté, une entité collective où se fondent des individus comme numéraux anonymes, ou de l'autre, d'un exemplaire-type comme spécimen de la classe. Ainsi, on aura:

(vii) L'homme a défiguré la planète, comme, Les hommes ont défiguré la planète nous avons un glissement du général au collectif

Qu'est-ce qu'un chat? (et non, Qu'est-ce que le chat?) où on cherche à définir une essence, un être générique, donc l'exemplaire-type de la classe de ces félins

Un Écossais ne refuse jamais de boire (Kleiber, 1989) il s'agit de l'Écossais en général et non d'un en particulier; le déterminant ne spécifie pas là une particularité mais un spécimen

Tel père, tel fils, définition sapientiale; le proverbe typifie une relation d'héritage. L'exemplaire-type relie ainsi la notion d'une individuation possible à une généralité (par exemple, une définition sapientiale), représentée par un spécimen de la classe. Considérons maintenant,

ça c'est un vrai chien! monstration déictique qui s'appuie sur une définition implicite de ce qu'est un chien

ça, un chien? on met en doute la typicité de l'animal (qui n'est donc pas représentatif de sa classe).

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Continuons notre description en passant maintenant à la classe collective située entre la généralité et la particularité; il s'agit en fait d'une particularité indifférenciée qui s'oppose diamétralement à une singularité. Des expressions comme, Un tas de bois, Une pile d'assiettes, Une rangée d'arbres,... représentent un tel collectif à la manière d'une classe anonyme. Prenons cet exemple troublant (dû à Ruwet, 1982),

(viii) La police nous a passé à tabac, les salauds! bien que La police soit en apparence une entité générale non pluralisable puisque Des polices parallèles expriment une toute autre signification, l'apposition représente par contre un pluriel référé à des individus; on ne peut pas dire en effet: La police nous a passé à tabac, la salope! Il s'agit donc d'une entité démultipliable sans spécification. Ainsi des collectifs, du genre: Une famille de grands savants (combien sont-ils?), Des gens sans histoires, Un touche-à-tout (et à rien sans doute), Il a fait trente-six métiers (le décompte est-il exact?), relèvent d'un tel terme mixte bien distinct de la distribution en classes et sous-classes.

Considérons la différence entre ces deux formulations:

(ix) Une famille complète Une famille au complet la dénomination famille renvoit à un être collectif (comme, des gens sans importance) plus ou moins différentiable; par contre, on peut dire que, dans le premier cas, l'expression se situe « entre » généralité et collectif, alors que dans le second cas, l'expression se situe « entre » ce collectif et la particularité puisqu'on pourrait énumérer les différents membres présents de cette famille (cf. La famille au complet se présenta au guichet: le père, la mère et les trois enfants)

Passons au dernier terme mixte entre la particularisation et la

singularisation. Nous dirons qu'il s'agit d'une particularité accidentelle, appelée

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ici déficience, ou encore d'une contingence passagère signifiant une situation qui affecte temporairement un individu et qui s'oppose donc aux caractères généraux (permanents):

(x) Le panda est gentil (Berrendonner, 1992) Le panda est malade dans le premier cas, nous avons affaire à une qualité générale à l'espèce alors que dans le second nous avons affaire à un état passager d'une bête Un des jouets est cassé parmi plusieurs formant une collection, un des jouets s'avère défectueux

Ceci a été noté par Kleiber (1989) lorsqu'il se demandait où on peut situer des énoncés (apparemment définitionnels mais qui ne le sont pas) comme, La baleine malade ne chante plus L'animal qui a peur est toujours dangereux

Il s'agit dans chaque cas d'une déficience, ou encore, d'un inaccom-

plissement dans une énumération1; bref, d'un côté, d'une particularité par rapport à d'autres, et de l'autre, d'une singularité par accident comme dans, Ce livre est sale et déchiré (Kleiber, 1990), qualification qui s'oppose à un caractère général; ou bien, qui se différencie d'une spécification qui reste invariante du genre, Livres de poche et Livres cartonnés.

1 Comme dans l'expression, ... et tout le reste, où l'énumération est suspendue à un terme indéfini:

Jean est arrivé hier soir avec ses filles, son chien, sa mauvaise humeur et tout le reste

où nous avons le passage:

particularités déficience

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III.1.2 LA QUANTIFICATION PAR DÉNOMBREMENT

Considérons maintenant la quantité discursive sous l'angle d'un dénombrement dont les métatermes sont, d'une part, la notion de « pluralité », et d'autre part, celle d'« existentialité » (en un sens que je vais préciser). Soit le tableau,

(xi) Templum d'une quantité dénombrable Métatermes: MT+: quantité plurielle (dénombrable) MT-: quantité existentielle (indénombrable)

Corrélats initiaux: X : quelques (pluralité comme plusieurs, certains,...; moyenne

quantitative entre la somme complète et la nullité Y : tout, tous (quantité universelle au sens de la classe entière);

toujours (temporellement) et partout (spatialement), plein (massivement)

Z : nul, aucun, rien (quantité vide); jamais (temporellement), nulle part (spatialement), vide (massivement)

Corrélats dérivés: XY: beaucoup (quantité abondante), trop (quantité supérieure

par rapport à une norme implicite), souvent (sens temporel) YZ: quelque, quiconque, quelqu'un (c'est la précision d'une

existence et non l'affirmation d'une dénombrabilité; on peut la dériver en partitif: du vin, du pain (sens massif), quelque part (sens spatial), quelquefois (sens temporel)

XZ: peu (quantité rare), pas assez (quantité par rapport à une norme implicite)

(xi') La schématisation sera de la forme:

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MT+,-: pluralité # existentialité

quelque

partitif (petite portion)

justesse (point/moment)

tout rien

quelques

beaucoup peu

davantage un peu

Ce second schéma de la quantification est donc construit sur l'opposition globale entre le dénombrable introduisant une quantité numérique, additive ou soustractive, et la présence de quelque chose comme existence d'« au moins un » (la notion de partitif) qui se distingue ici de la singularité vue auparavant comme étant l'existence d'« au plus un ». Les bornes extrêmes de la variation seront, soit pour la pluralité, soit pour l'existentialité, les notions de,

a) en quantité dénombrable: tous, toutes, au contraire d'aucun, aucune; b) en quantité non-dénombrable: tout, toute, au contraire de personne,

rien. Cette ambivalence entre pluralité et existentialité est très proche du rapport Qlt/Qnt qu'a introduit Culioli (1990) et les deux opérations sont assez semblables dans leur versatilité (un peu à la façon des figures ambigües dans la Gestalttheorie). Passons en revue un certain nombre d'exemples illustrant chacun des postes X, Y, Z:

(xii) au poste X: Plusieurs personnes sont allées voir ce film (pluralité) La moitié des Français pense que le gouvernement a pris une mauvaise décision (moyenne: 50/50)

(xii') au poste Y: Tous les matins, Jean prend son petit-déjeuner au lit (tous pluriel)

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Jean est plein aux as! (tout massif) Tout le monde s'attend a un dénouement de la crise

(xii") au poste Z: Personne n'est venu Aucun des étudiants n'a remis son devoir à temps Y a rien là (expression québécoise)

Au moyen de ces exemples, nous fixons bien les limites assignables à ce type de variation quantificative qui oscille entre la pluralité que l'on peut éventuellement énumérer et une présence ou une absence existentielles; ceci est bien rendu par l'opposition diamétrale entre le quelques pluriel et le quelque partitif (qui exprime une présence sans avoir à mentionner la quantité dénombrable).

Entre ces deux formes de quantification, nous avons donc, du côté d'une pluralité, des termes mixtes qui expriment une quantité importante ou réduite, une croissance ou une décroissance sérielles (par changement d'état). Par contre, entre les mêmes extrémités Y et Z qui représentent, soit l'entièreté soit la nullité, soit la plénitude soit le vide, nous avons une présence qui peut également osciller entre le un peu et le davantage par rapport à YZ qui exprime le quelconque ou le quiconque. Résumons:

(xiii) Au poste XY: Il y a beaucoup de monde dans cette pièce Il y a trop de monde dans cette pièce on implicite une norme médiane en X (cf. moyenne), ce qui donne l'énoncé: Il y a suffisamment de monde dans cette pièce Par contre, la limite supérieure serait: Il y a beaucoup trop de monde

(xiii') Au poste XZ: Il y a peu de monde dans cette pièce Il n'y a pas assez de monde dans cette pièce (par rapport à une norme établie) Par contre, la limite inférieure serait: Il n'y a presque pas de monde —> Il y a personne

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Diminution et augmentation sérielles forment ainsi un double mouvement par rapport au poste X qui représente un milieu relié aux extrémités Y et Z par des gradients latéraux discrétisables.

Indépendamment de ces variations graduelles, nous avons également, selon une acception qualitative, une répartition (triadique) entre adverbes: souvent (du côté de XY), rarement (du côté de YZ) et quelquefois (du côté de YZ).

(xiii") Au poste YZ: J'éprouve quelque lassitude à toujours me répéter (Culioli, 1983, parmi de très nombreux exemples) Quiconque franchira cette porte est passible de poursuite N'importe qui peut faire ce travail

Du côté d'une quantification existentielle, nous avons également une certaine graduation mais de type « intense » (pour reprendre une terminologie guillaumienne) au lieu d'être « extense ». Ainsi:

(xiv)Qu'il aille voir sa mère, c'est la moindre des choses (situé entre YZ et Z) J'attends davantage de lui, par rapport à, J’attends quelque chose de lui (situé entre YZ et Y). Le terme mixte YZ est ainsi entre deux forces opposées, l'une tendue vers le « moins » (cf. Il est à peine cinq heures), l'autre tendue vers le « plus » (cf. Il est plus que cinq heures); ce que l'on pourrait représenter par le schéma2:

2 Ce schéma est une interprétation des propos tenus par A. Culioli dans son Introduction au

recueil, La notion, p. 16 sq. avec des exemples comme:

Il est uniquement cinq heures

Il est justement arrivé,

etc.,

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quelque moinsplus

ni plus/ni moins = exactement justement

Qui correspond à une extension du rapport du plus et du moins à partir de YZ et auquel nous ajouterons pour « boucler la boucle » le terme neutre ni/ni = exactement cette chose, justement cette chose. On notera la différence entre ces opérations et la position aux extrêmes avec des énoncés tels que:

(xv) J'attends rien de lui (en Z) J'attends tout de lui (en Y) notons en passant l'expression: Tout contre vous (qui exprime un contact global entre corps)

Le partitif, que l'on situera également en YZ, exprime de son côté une présence indénombrable alors que l'opération de spécification des termes particuliers (abordée en (iv)-(iv") supra) exprimait l'ouverture d'une collection d'items. (jusqu'à l'incomplétude). Ces deux aspects peuvent s'équivaloir dans certains cas:

(xvi) Voulez-vous du vin ? Partitif comme quantité en soi ; par contre, par rapport à, Voulez-vous de l’eau, de la bière...? Nous aurions une spécification distributive, Quel vin prendrez-vous: du rouge ou du blanc? on décline une collection d'articles où l'on retrouve un certaine particularisation: du rouge, du blanc, du rosé ; du bordeaux, du bourgogne,...

(xvi') Le carrelage est mouillé (Kleiber, 1990) partitif: il suffit d'une petite tache pour que l'énoncé soit vrai.

Enfin, en reprenant les propos tenus auparavant en (xv), nous ajouterons à côté de cette spécification partitive sous la forme du Quelque, du Quiconque,...

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celle d'un point/moment dans un continuum, une « justesse » en termes de précision (qui reprend ce que nous venons de dire à propos du « ni plus/ni moins ») représentée par des expressions comme: Tel, Tel que, Tel quel, ou bien Juste, Au juste, Exactement,

(xvii) Jean est tel que je me l'imaginais Au juste, qu'est-ce que tu fais demain? Jean est tellement plus gentil que Jeanne (où nous avons le retour à une progression vers la plénitude en Y, équivalente à davantage)

Je terminerai cette seconde analyse par un problème qui a été abordé par plusieurs linguistes, Pottier (1966), Martin (1969) et Ducrot (1972, p.191-220) qui récapitule cette problématique: il s'agit du rapport entre peu et un peu. Leur différence peut être très bien définie par la logique de ce second dispositif (xii-xii') de la quantification dans le rapport collatéral qu'entretient le poste Z (cf. rien) avec XZ d'un côté (cf. peu) en tant que quantité plurielle, proche de zéro, et YZ de l'autre (cf. un peu) en tant que quantité existentielle. Ainsi:

(xviii) Cette situation est peu gênante (Ducrot 1972) quantitativement proche de zéro; et, Cette situation est un peu gênante (idem) bien que peu marquée, la présence de quelque chose d'embarrassant est spécifiée. Il n'y a donc pas entre ces deux expressions une différence de degrés (située sur un même gradient) mais une différence de nature puisque, finalement, elles ne participent pas des mêmes principes de quantification. Il y a donc entre ces deux expressions un « seuil » à franchir (le poste Z):

(xviii') Il a bu peu de vin hier (Ducrot 1972) on postule la sobriété de la personne

(xviii") Il a bu un peu de vin hier (idem) on postule que la personne s'est remise à boire après un certain temps. Citons (1972, p. 194):

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Tout se passe donc comme si peu et un peu se situaient dans des paradigmes linguistiques tout à fait différents, comme si leur différence était de nature, et impossible à effacer à l'aide d'atténuations ou de renforcements quantitatifs...

Je ne développerai pas plus ces quelques remarques; elles ne font que renforcer

la pertinence de la triade comme introduisant trois discontinuités (cf. X, Y, Z), à partir desquelles on peut déployer trois types de gradience qui les relient. Ajoutons à ces exemples ceux-ci tirés d'un ouvrage de G. Duhamel:

(xix) « —C'est bien toi qui est Lapointe? —Un peu que c'est moi qui est Lapointe » où l'on retrouve bien la notion d'existence. J'ajouterai de mon côté: Excusez du peu! Vise un peu la nénette! afin de bien faire comprendre que cette formulation n'est pas quantitative mais qualitative.

III.2. LE PROBLÈME DE LA PROTOTYPICITÉ

Revenons au point de départ, celui de la Deuxième partie, en tant en tant que lieu d'une référenciation distincte d'une énonciation.

Nous savons maintenant que cette opération est complexe, en tant que dialectique entre sens et référence, qu'elle joue sur des rapports prédicatifs et dénominatifs; les premiers sont associés à une définition de la quantification discursive en tant que formation de la notion de classes, plurielles ou existentielles, générales, particulières ou singulières; les seconds sont associés à une définition des catégories descriptives qui prennent en charge les lexies (sous les espèces de simulacres objectaux). Ainsi la distinction que nous avons faite entre un niveau syntaxique et un niveau sémantique (cf. schéma (i) supra de la Deuxième partie) permet de dissocier ces deux aspects, l'un constitutif d'entités lexicales fermées (par quantification), l'autre constitutif d'entités lexicales ouvertes en ce qu'elles renvoient à une représentation du monde dont les termes sont indéfinis (par définition). Comme nous l'avons signalé, nous sommes à la

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jointure entre un savoir sémantique et un savoir encyclopédique (ce que l'Appendice (II.6) supra reflète bien à propos de la formation d'un champ sémantique, puisque ce savoir sémantico-encyclopédique peut être prolongé, par exemple, dans une logique mythologique).

Après avoir précisé la notion de sens sous l'angle de la quantification discursive (associée aux propriétés prédicatives), nous allons nous tourner à nouveau vers la notion de référence en tant que spécification classématique. Auparavant, la description s'attachait aux propriétés morpho-écologiques3 afin d'éviter de tomber dans le piège d'une simple analyse des nomenclatures lexicales (opération vaine comme nous le soulignions en ce qu'elle ne peut rendre compte des tenants et aboutissants de celles-ci). Nous allons reprendre ce dossier de la taxinomie sous l'angle des travaux récents développés par E. Rosch et son groupe dans les années 70, issus des recherches anthropologiques de Berlin et Kay (1969) sur la couleur. Cette théorie psycho-cognitive est maintenant suffisamment connue pour n'avoir pas à être réexposée en détail4. C'est d'ailleurs la

3 Rapports partonomiques distincts d'une caractérisation spécifique; ainsi, un < arbre > est

composé de < racines >, d'un < feuillage >, d'un < branchage >,... indépendamment du fait qu'il s'agit d'un chêne, d'un peuplier ou d'un épicéa. Une < maison > est composée d'un soubassement (cave), d'un soutènement (murs de refend et murs de façade), d'un couvrement (toit ou terrasse),... indépendamment du fait qu'il s'agit d'un pavillon de banlieue, d'une villa à la mer, d'un chalet à la montagne ou d'un hôtel particulier en ville.

4 La littérature sur ce sujet est devenue très abondante, signe que ce thème correspond à une préoccupation fondamentale qui traverse tant les sciences naturelles que les sciences sociales (ainsi en est-il en anthropologie avec les théories ethno-classificatoires, cf. Atran (1986, 1989)).

Outre l'ouvrage de synthèse que l'on doit à Kleiber (1990), nous avons le receuil de Dubois (1991); on mentionnera les deux derniers articles importants parus en français:

Desclés, dans le receuil dû à Denis et Sabah (1993, éds, p. 133-164); Dubois et Resche-Rigon, (1995, p. 217-245).

De notre côté, nous avons déjà proposé un rapprochement entre les problèmes de la prototypicité et ceux du templum dans un article paru dans Recherches sémiotiques/Semiotic inquiry: « Généricité et typicalité des objets discursifs », vol 14, n° 1/2, (Montréal, 1994, p. 49-64); ces deux objets théoriques sont assimilables en ce que l'un « schématise » (le templum) ce que l'autre « investit » en termes classificatoires (cf. processus de focalisation typifiant, processus de balayage diversifiant, processus d'exclusion hors du domaine ou par individuation extrême; etc.). Dans cette mise en correspondance des deux, nous avons une véritable opération d'auto-référence objective en ce que le templum représente idéalement un prototype des structures cognitives à la manière de ce que Lévi-Strauss appelait, dans sa citation, la notion d'« espèce » rassemblant l'unité et la multiplicité.

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problématique de la prototypicité qui nous intéresse ici plus que les protocoles d'expérimentation (parfois douteux, comme le note Rastier (1991, p. 179-204) ou les positions prises par Rosch ou certains de ses continuateurs (par exemple, Lakoff (1987)) vis-à-vis de la théorie classique issue de la tradition aristotélicienne.

III.2.1 LES TROIS OPÉRATIONS DE BASE

Quelle en est la thèse? Dans le processus cognitif (sans doute inné) de catégorisation des êtres en genres et espèces (Atran, 1986), nous pouvons dire qu'il existe des formes plus représentatives que d'autres, des types d'être qui caractérisent plus facilement que d'autres une certaine classe. Ainsi, dans le domaine des oiseaux, le moineau est (pour nous) un exemplaire plus représentatif de la classe < oiseau > que la pie ou le cormoran; certainement plus que l'aigle et évidemment des animaux exotiques comme l'autruche ou le kiwi. Alors que la tradition néo-aristotélicienne traitait tous les membres d'une même classe de façon équivalente, que les animaux soient communs ou pas, on parlera ainsi d'un prototype comme élément identificationnel5 qui est au plus près de ce que représente génériquement les oiseaux, le représentant « par excellence » (parangon) de ceux-ci.

En d'autres termes, pour « classer » il faut savoir préalablement « identifier » les êtres. On peut parler à nouveau d'un simulacre objectal par rapport à l'idéal-type que nous nous faisons de l'oiseau (cf. rassemblant les caractères que nous connaissons bien: voler, bipédie, avoir des plumes, un bec, être ovipare,... l'Appendice (II.6) supra) ou, en d'autres termes, ce n'est pas une simple occurrence d'objet parmi d'autres mais l'exemple représentatif de la classe entière.

Ainsi, on pourra ranger scalairement en plus ou moins typiques, par rapport à cette référence centrale, les différentes sortes d'oiseau comprenant également les exceptions: ainsi, l'autruche est-elle ou non un oiseau (elle ne vole pas)? Et la chauve-souris (elle n'est pas bipède)? Ou encore, le kiwi (dépourvu

5 Nous allons reprendre ce problème de l'identification dans le chapitre portant sur le « principe

d'idonéité ».

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d'ailes)? Le champ sémantique exposé précédemment, portant sur une éco-morphologie, ne tenait pas compte de ces questions.

Ce qui est significatif dans la théorie de Rosch, par rapport à la tradition taxinomique ordinaire, c'est donc qu'il existe d'emblée un niveau de base représenté par le prototype, distingué d'un niveau de superordination (plus abstrait) qui représente la spécification en genre et espèce de l'animal (cf. oiseau - vertébré - animal - être animé); soit le domaine de généricité de l'être dont on se préoccupe et où l'on retrouve, d'une certaine façon, la classification hiérarchique de la tradition aristotélicienne. Le niveau de base se distingue également d'un niveau de subordination où l'on peut situer la diversité empirique de tous ces êtres qui composent intuitivement le domaine et que l'on peut ranger (scalairement) du plus typique au moins typique. Ici, le principe de catégorisation n'est plus l'inclusion logique de classes dans d'autres mais l'intersection puisque ces différentes sous-espèces de l'animal forment, entre elles, une série (ouverte) du centre vers la périphérie6.

Au niveau de base, distinct d'une hiérarchisation verticale et d'une sériation horizontale, correspond ainsi un optimum où se situe la reconnaissance immédiate de l'animal qui représente la classe entière, celle qu'acquièrent le plus vite les enfants ou dont les dénominations sont les plus faciles à retenir. Or ces traits de caractères font plus penser à un « champ d'aperception », tel que nous l'avons considéré auparavant à propos des objets sonores qu'à un domaine classificatoire objectif, tels que ceux qu'offrent les sciences naturelles. Ainsi, derrière les propos quelque peu excessifs d'E. Rosch (remettant en question l'universalité des principes de la classification), c'est aussi cela qu'il faut considérer: une conception phénoménologique du monde dans le sens que lui donnaient les Recherches logiques de Husserl.

Mais ce n'est pas tant les diverses qualifications psycho-cognitives de ce phénomène qui m'intéressent (par exemple, la notion de cue validity d'une propriété en tant que degré de prédictibilité pour une catégorie) que la place que va occuper le mécanisme triadique de notre templum dans un repérage des multiples formes animales du monde. Je veux montrer qu'entre cette approche

6 C'est le domaine de ce que Wittgenstein (1962 [1953]) entendait par « airs de famille » et que

nous intégrons dans le principe d'idoénité.

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expérimentale et le dispositif de catégorisation que j'utilise, il existe une homologie structurale.

Ainsi, selon la catégorisation par métatermes qui ouvre celui-ci, on doit pouvoir distinguer radicalement le « typique » et l'« atypique » (cf. l'exceptionnel se définissant comme défaut par rapport au type complet). Un oiseau typique, quelqu'il soit, est bipède, apte à voler, a des plumes, pond des oeufs. L'autruche, la chauve-souris, le kiwi,... sont dès lors, à divers titres, atypiques en ce qu'ils ne possèdent pas l'un ou l'autre de ces traits de typicité permettant de définir normalement la classe des volatiles. III.2.2. TERMES MIXTES ASSOCIÉS AU PROTOTYPE

En termes de relations superordonnées (hiérarchiques), on peut ainsi introduire un terme unique de départ (qui occupera le poste Z) définissant une série de critères taxinomiques: notion d'< animal > par rapport à < plante > (tous deux relevant des êtes vivants), de < vertébré > par rapport à < invertébré > (présence d'un squelette), de < bipèdie > par rapport à < quadrupèdie >. Ainsi, cette caractérisation associe le prototype (situé au poste X) à son domaine de généricité puisqu'il en est le parangon (l'exemplaire-type) sous d'autres aspects. Nous avons, à la fois, une spécification construite hiérarchiquement de l'< oiseau > par rapport à < animal > en général, et dans ce domaine circonscrit, celui du moineau par rapport à la classe général des < oiseaux >. Dénominativement, nous avons la possibilité d'une variation hypero-hyponymique puisque nous nous situons dans une stratification où l'on peut passer d'un niveau à un autre de façon continue; je peux dire aussi bien:

(xx) Exemples

Regarde les petits oiseaux! (plusieurs sortes sont possibles)

Oh le beau moineau! (cela peut être une variante), comme:

Regarde l'animal!

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Il s'agit donc, cognitivement, d'une variation possible selon les strates d'une hiérarchisation en classes, du générique au plus haut (cf. unique beginner) jusqu'au prototype (au plus bas).

Par contre, en termes de relations coordonnées je peux introduire une diversité d'espèces « au même niveau », que nous allons ranger des plus prototypiques au moins prototypiques selon d'autres critères; cette nouvelle disposition forme également un continuum mais horizontal par différence d'avec le continuum vertical précédent. Cette autre distribution relie la prototypie (au poste X) à un principe d'individuation (situé au poste Y); en effet, l'animal le plus prototypique est sans doute le plus commun, le moins différenciable et, partant, le plus banal puisqu'il est finalement le représentant de toute une classe implicite. Nous dirions que le prototype confine au stéréotype (cf. mais ces deux choses sont toutefois distinctes: l'une représente un mécanisme d'acquisition catégorielle, l'autre un effet de redondance habituelle). Dès qu'on introduit des spécifications supplémentaires, nous particularisons —mieux, nous « individuons » l'animal concerné: qualité de plumage, possibilité de mimétisme (comme le perroquet), style de vol (chouette, gerfaut), mode de nidification (pic-vert); etc. Bref, tous ces critères permettent de « varier » considérablement la représentation que nous avons des oiseaux en général. Plus l'animal est singulier, moins il est prototypique; à l'extrême, il est une originalité non directement comparable aux autres individus de sa classe bien qu'on sache qu'il relève de celle-ci7. On dira donc que le principe d'individuation est finalement un principe d'incarnation (expression récurrente chez Lakoff) producteur d'exempla illustratifs d'une propriété, d'une classe (ce que nous pourrions intituler leur fonction 7 Je note cette remarque de Sperber (1975, p. 21) à propos des rapports entre classification et

symbolisme:

« Je prends un hareng, je le peins en rouge, je lui coupe la queue et je le dépose dans un nid d'hirondelle; il devient difficile, voire impossible de l'identifier à première vue. Mais en même temps, il n'y a pas de doute qu'une seule identification serait correcte:il s'agit d'un hareng. Le format proposé pour les définitions taxinomiques des animaux résout le paradoxe que de telles situations semblaient comporter. Il apparaît du même coup que mon hareng rouge est aberrant non par rapport à la définition taxinomique des harengs, mais par rapport aux critères de reconnaissance habituellement utilisés pour les identifier, c'est-à-dire par rapport à un savoir encyclopédique sur les harengs, qui ne recoupe qu'en partie leur définition. »

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d'« imagibilité » comme mode d'exemplification visuelle sur lequel on a beaucoup insisté dans ces recherches). Enfin, un nom propre peut l'assimiler au régime de la « personne », comme dans le cas des animaux domestiques (chiens, vaches, chevaux) ou même de certains artefacts (bateau, voiture); on change alors de genre par personnification.

Dans cette différenciation entre prototypie et individuation, nous pouvons, à la fois, varier l'ensemble (en espèces particulières) et introduire des sous-ensembles qui acquéreront une autonomie (dûe au principe même d'individuation/incarnation). Ainsi les perruches peuvent-elles devenir une famille variée de volatiles, distincte comme sous-type spécifique des autres oiseaux (cf. moineau, pigeon, hirondelle, pie, corbeau,...), et distinctes entre elles puisqu'on peut les différencier au sein même de la classe des < perruches >. C'est dans ce mécanisme d'« approfondissement » (par enchâssement) où l’on redéploie une classe particulière à partir d’un individu que l'on peut introduire un enrichissement taxinomique par sous-catégorisation8. Le même mécanisme qui nous a permis de différencier les animaux en espèces naturelles permet, par décrochement génératif, de reproduire le même mécanisme au sein d'une sous-espèce artificielle (domestique). Dans le domaine des plantes, le cas remarquable est celui des < fleurs >: pensons à tous les sous-types de < rose > (plusieurs dizaines) issus de la même fleur sauvage (l'aubépine), et dont le domaine a été profondément enrichi par les jardiniers qui ont crée de nouvelles variétés9. Pensons aux « oiseaux de la basse-cour » que sont les poules, les canards, les dindons, les paons,...Ces volatiles sont-ils directement comparables aux autres types d'oiseau que l'on trouve dans la nature? Entre eux et celle-ci, l'histoire a opéré un véritable de décrochement civilisationnel.

Cette transformation amplificatrice constitue ainsi une nouvelle classe d'individus qui caractérise dès lors le travail de la culture (domestication) dans une nature donnée au départ dans sa diversité. C'est pourquoi, nous devons

8 La relation qui lie les éléments à la classe n'est donc pas d'appartenance mais d'inclusion de la

partie dans le tout (relation réversible dans ce dernier cas puisque, d'un individu, on refait une classe).

9 De longues discussions avec J. P. Desclés (notamment, à propos de son article paru en 1993) m'ont permis de mieux cerner les enjeux épistémologiques de toutes ces différences; qu'il en soit ici remercié.

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revenir à l'opposition conceptuelle {Nature, Culture} redevable aux travaux de Lévi-Strauss (1958, 1962)10 et que nous devons croiser avec les propriétés d'une acquisition psycho-cognitive11.

Ainsi, le schéma de la prototypicité est-il intimement lié à ce genre de transformation anthropologique, ce qui nous permet dire que les < gallinacés > sont, certes, des oiseaux en général (souvent atypiques en ce qu'ils ont perdu certains caractères comme le fait de voler), mais pas au même titre que d'autres qui vivent à l'état sauvage. Aussi, peut-on vraiment dire de façon équivalente: Va nourrir les oiseaux de la basse-cour pour Va nourrir les poules?. Ici, la domestication a crée une coupure entre le monde des animaux sauvages et celui des animaux domestiques, cette coupure étant représentée dans le continuum précédent d'une variation par la formation d'un sous-ensemble enchâssé dans la série. La domestication a ainsi « individué » une nouvelle classe d'animaux qui n'existait pas au départ (même chose avec les fleurs, les graminées, les légumes). C'est pourquoi, on ne peut assimiler sans autre forme de procès des classes d'êtres culturels avec des classes d'êtres naturels (ce qu'a fait Rosch); les spécifications ne sont pas les mêmes dans l'un et l'autre cas, en particulier, on surimpose aux êtres culturels des critères qui sont proprement humains (en termes d'usage, de finalité, de normes culturelles), ce qui n'est pas le cas des êtres laissés à l'état

10 Nous avons déjà rencontré cette problématique et plus particulièrement à propos de la

correspondance entre la « sociétés des hommes » et la « société des oiseaux » ; c'est également l'un des chapitres importants de notre étude sur le champ sémantique de la parenté.

11 Le manque d'approfondissement épistémologique de la part de Rosch a pour conséquence une certaine confusion qui se révélera explicitement dans le passage de sa première conception de la typicité à sa seconde, dénommée « théorie étendue »; on passera en fait d'une conception réaliste (centrée sur le concept) à une conception relativiste (centrée sur l'expérience pratique où sont utilisés les « airs de famille » de Wittgenstein).

Qu'entend-on dès lors par l'expression de « catégorie »? S. Atran (1986), tout comme E. Pacherie (dans Dubois (1991, p. 279-294) dans son article, « Aristote et Rosch: un air de famille? », ont une certaine explication intéressante: on confonderait ici les propriétés d'une « série naturelle », où l'on ne peut confondre des espèces avec d'autres (bien que très proches perceptivement, un pékinois et un angora seront toujours, génétiquement, un chien et un chat) et celles d'une « série d'artefacts », tels que les meubles, les véhicules, les tasses et même les fruits du jardin. Dans le premier cas, les rapports restent exclusifs (même s'il y a confusion dans l'apparence), alors que dans le second cas, ils peuvent interférer, créant un « mélange des genres ».

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naturel. Cela dit, les mêmes mécanismes de différenciation de la prototypie à l'individuation se retrouvent dans ces sous-ensembles culturalisés et c'est pourquoi on peut les traiter en parallèle.

Résumons ces propos en reprenant le schéma formel du templum:

(xxi) Templum de la prototypicité Métatermes: MT+: typicité MT-: atypicité (exception)

Corrélats initiaux: X : prototype (parangon; dénominateur commun de propriétés

typiques) Y : principe d'individuation (correspond au maximum d'écart

par rapport au prototype central le plus commun) Z : domaine de généricité (summum genus à l'origine d'une

hiérarchie déployée en genres et espèces)

Corrélats dérivés: XY: exempla morpho-géographiques (dans les termes de notre

Appendice II.6 supra) situés dans une chaîne de rapports subordonnés (relations intersectives horizontales); gradient décroissant de prototypicité dans la première version du modèle de Rosch

YZ: hors-classe (anomalie venant d'une individuation, ou changement de registre générique par recatégorisation comme dans le passage d'« animal ordinaire » à « animal extraordinaire » (fabuleux comme la licorne ou monstrueux comme le cyclope)

XZ: génériques-spécièmes (Atran) correspondant au déploi-ement de rapports superordonnés (relations inclusives verticales) où l'on retrouve une hiérarchie taxinomique mais aussi une dénomination hypero-hyponymique entre ces différents niveaux classificatoires.

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(xxi') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: typicité # atypicité

individuationgénérique (unique beginner) < animal >, < plante >

hors-classe

génériques-spécièmesexempla morpho- géographiques

merveilleux < licorne >

monstrueux < cyclope >

< chien >, < chat > < moustique > prototypie

Nous dirons donc, au départ, que nous avons un principe général de catégorisation définissant la notion de classe par rapport à la non-classe, et dans la première, un centrage selon la notion d'« être typique » (MT+) par rapport à « être atypique » (MT-) —êtres auxquels il manque un trait pour être semblables aux autres.

La classe se distribue en trois postes, définissant la triade dans le plan équatorial: l'exemple prototypique au poste X12, le domaine de généricité (cf. < animal >, < plante >) au poste Z qui représente ici le point de départ de la hiérarchie classificatoire, déployée à partir de ce qu'on peut appeler un noyau générique-spécième indifférencié en XZ (on peut dire, par exemple: Quel drôle d'animal! en parlant d'une espèce de chien inconnue) qui se différencie par complexification; nous obtenons un gradient de relations entre genres et espèces du prototype en bas au summum genus et permettant une variation hypero-hyponymique dans les différentes dénominations. Enfin, nous placerons en Y le

12 Dans l'« être prototypique » est ainsi rassemblé, au départ, le fait d'appartenir à une certaine

classification (relevant de XZ) et d'en être l'illustration la plus prégnante (relevant de XY); le poste X est donc bien le commun dénominateur des deux domaines.

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principe d'une individuation spécifique (opposée conjointement aux notions de générique et de prototypie). Ceci permet, d'une part, de sérier des individus (concrets) du plus prototypique au moins prototypique, formant ainsi une chaîne associative, et d'autre part, de « creuser » (par auto-enchâssement de classe) cette chaîne pour engendrer de nouvelles variétés (culturelles), introduisant ainsi des rapports à la fois de similarité et de disjonction.

Nous dirons enfin que l'individu le « moins prototypique » (cf. donc, le « plus individué ») n'est pas assimilable à la notion d'exception qui, de son côté, représente la notion d'atypicité (soit, l'autre métaterme). Nous avons ainsi une différence marquante entre, d'une part, le mouton ordinaire (prototype représenté par le troupeau comme être collectif), le mouton angora (individué) et d'autre part le mouton noir (cf. exception, comme l'est le cheval albinos); enfin, le mouton à cinq pattes (monstre). Cette distinction est valable tant pour une série d'êtres vivants que pour une série d'artefacts, puisque l'industrie humaine est capable de créer, des êtres standards (pour le plus grand nombre), des êtres originaux (qui seront peut-être les plus recherchés esthétiquement), des exceptions (défectuosités) et des monstres (dont on a dressé des catalogues). III.2.3. TROISIÈME TERME MIXTE

Ceci nous amène à définir l'espace de variation entre le principe d'individuation au poste Y et le domaine de généricité au poste Z (espace de variation YZ qui n'a jamais été évoqué dans les travaux sur la prototypicité13).

Dans la mesure où cette zone de variation s'oppose au prototype, nous dirons qu'il s'agit d'anormalité, d'êtres hors-classe tels que les monstres, naturels (par altération, par mutation) ou culturels (chimères mythologiques). Il s'agit toujours d'individus singularisés (uniques en leur genre) et non de collectif; c'est bien pourquoi, nous sommes dans une opposition diamétrale à la prototypie qui exprime un standard, une uniformité. Parlons des monstres: ces individus « dépassent » le cadre naturel qu'impose un domaine générique (l'animal, la plante) et qui représente une borne maximale dans une classification, en ce que

13 L'article de E. Pacherie est le seul, à ma connaissance, à mentionner ce rapport à l'extérieur de

la classification normale.

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ces monstres n'en relèvent plus. Ils deviennent uniques en leur genre comme le cyclope, le mouton à cinq pattes. Les chimères, ou toute autre forme de création, « dépassent » la borne du principe d'individuation en ce qu'elles sont « fabriquées » (on ne les rencontre pas à l'état naturel), en ce qu'ils sont donc le produit d'une imagination humaine qui accouple combinatoirement des « morceaux » d'êtres vivants14 (La Sirène, le Centaure, le Minotaure, le Sphinx, Frankenstein...) pour créer de nouveaux types hors du commun. Le monstre est bien l'envers tératologique du prototype: isolé, fabriqué (par les hommes, par les dieux), sans descendance possible. Toute classification des « êtres ordinaires » présuppose finalement cette classe complémentaire d'« êtres extraordinaires ». Cet envers du monde ordinaire n'est pas une classe vide ou un chaos (l'absence de tout ordre) mais l'association étrange des critères de « bonne formation » (au sens où l'entend la Gestalttheorie) des êtres vivants, donc se reproduisant « identitairement ». Ainsi, c'est ce monde hors-classe, ce produit de notre imagination qui combine des formes, qui induit un monde symbolique (mythes et rites comme dans les personnages de carnaval) qui se situe au-dessus ou en marge de notre univers quotidien.

Dans un dispositif de catégorisation, au sens le plus général (comprenant donc, à la fois, un mode taxinomique et un mode symbolique de mises en correspondance, comme dans la pensée totémique ou la pensée mythologique), nous voyons que la prototypicité occupe une position centrale dont dépend la mise en ordre des êtres particuliers (l'animal, la plante, les phénomènes 14 Il faut voir dans cette propriété fondamentale d'une segmentation des êtres vivants en

morceaux, des êtres naturels quels qu'ils soient (y compris l'homme), l'indice d'une disposition cognitive que l'on peut rapporter à un principe « méréologique » (Lesniewski, 1989) abordé dans la Troisième partie, et également, dans la Cinquième partie à propos du rapport jonction-disjonction.

Ces morceaux ou fragments sont ainsi à la base de cette fonction mytho-poétique que Lévi-Strauss a appelé un « bricolage » mental (1962, p. 26-47), constitutif des univers mythologiques qui se défont et se refont sans cesse et que l'on peut traiter comme des rébus ; ou encore, des pratiques culturelles comme la boucherie par rapport au dépeçage animal des viandes (d'un côté, on décompose par morceaux pour être consommables, et de l'autre, on recompose dans la façon de les présenter à l'étal. On parlera donc de « parties de » et non d'« éléments » d'un ensemble. On retrouve également la « pensée en patchwork » définie dans certaines approches cognitives actuelles, telles que celles de Edelman (1992) ou Varela-Thompson-Rosch (1993 [1991]).

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géologiques ou météorologiques): d'un côté, nous avons les rapports constitutifs de l'« objet » en général (en termes de parties-touts, d'homogénéité-hétérogénéité, de croissance-décroissance)15, et de l'autre, nous avons implicitement une distinction radicale entre un ordre et un désordre, une agrégation et une désagrégation. Cette différence caractérise celle entre un « monde ordinaire » (cf. monde réel) et un « monde extraordinaire » (cf. monde imaginaire); c'est aussi celle qu'on a implicitement entre la nature comme ordre donné et la culture comme ordre recomposé (cf. l'artifice) puisque, comme on l'a vu, ce couple renvoie à des régimes différents dans la détermination des espèces, les unes « naturelles » (cf. sauvages) les autres « artificielles » soumises à des finalités, à des normes humaines; ce que Rosch n'avait pas clairement distingué. Cette distinction se retrouve d'ailleurs dans la formation des êtres extraordinaires, puisque les uns sont naturellement monstrueux (les mutants, dont la production est aléatoire), les autres étant les produits de l'imagination humaine (les chimères, les monstres). C'est pourquoi on dira que ce dispositif de constitution des objets de référence est à la base, tant des rapports d'aperception ordinaire comme dans le cas des descriptions phénoménologiques16 que des rapports de création imaginaire (associés à des transpositions mythopoétiques).

Dans tous ces cas, la notion de catégorie sémantique reste pertinente; ce fut donc le but de ces recherches sur la prototypicité que de montrer que l'information qui nous vient du monde sensible est traitable selon un tel mécanisme de tri (et de transposition, ajouterions-nous maintenant). L'une des critiques adressées à cette théorie a consisté à dire que ces catégories n'étaient pas « données » naturellement mais « construites » par l'analyste (et implicitement, selon la culture à laquelle il appartient), ne serait-ce que dans la nature des protocoles mis au point par les psychologues et les anthropologues qui « projettent » sur les autres cultures leur conception occidentale; ainsi en serait-il, à propos des travaux de Berlin et Kay (1969) sur la couleur, soit la façon de la traiter comme entité détachée des substrats auxquels elle adhère consubstantiellement, comme le son ne pourrait être détaché du timbre qu'il forme

15 Ce sera la matière de notre Cinquième partie infra, en termes d'aspectualité spatio-temporelle

et de causalité. 16 L'analyse que nous avons reprise de R. Martin à propos du champ sémantique de l'audition.

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avec l'instrument requis; opérations nullement évidentes (ce que Husserl (1962 [1913] dénommait à l'époque une théorie des objets dépendants).

Ainsi, à propos de cette notion de catégorisation, il faut distinguer deux choses: les objets « traités » par le dispositif catégoriel et dont la nature peut varier culturellement, et la structure cognitive de ce dernier, soit l'analyse du concept proprement dit de catégorisation: qu'est-ce que catégoriser? Là encore, il ne faut pas confondre deux niveaux dans un même syncrétisme, comme précédemment nous avions deux régimes possibles de l'objet, naturel et culturel. Ce que nous venons de proposer à travers la procédure du templum qui met en place des principes généraux, c'est un mécanisme de catégorisation qui répond à cette observation troublante de Dubois et Resche-Rigon (1995, p. 242):

Un des aspects les plus productifs des théories de Rosch réside peut-être, paradoxalement, dans le fait que bien que les travaux issus de cette tradition se soient mis dans la plus mauvaise situation, ils aient pu montrer la solidité des phénomènes observés (prototype et typicalité). En testant des savoirs constitués à la fois à partir de connaissances normées par la culture à travers la science, les pratiques, les habiletés cognitives prévalantes dans nos sociétés, ces recherches ont pu mettre en évidence des mécanismes cognitifs qui s'opposaient aux logiques internes et acquises de ces savoirs.

Là est le socle cognitif que nous voulons mettre au jour et que nous

rapprocherons, pour reprendre l'une des idées de départ de ce travail, de la notion des noèmes husserliens, de celles d'une réduction (épochè) et d'une variation eidétique. constitutives des essences. Le templum représente une matrice de rapports permettant de départager conceptuellement: classes et éléments de celles-ci, individus propres et exceptions, hors-classe. Il est également un transformateur permettant de passer du « monde ordinaire » de la perception à un « monde extraordinaire » de l'imagination, ce qui nous permettra d'aborder la question d'une création mythopoétique associée aux principes d'une narration. Bref, une « saisie » des choses, au sens phénoménologique, ne peut s'effectuer qu'à travers un tel prisme catégoriel.

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III.3. LE TREILLIS DES RAPPORTS ENTRE SYNTAXE ET SÉMANTIQUE

Il nous reste à préciser ce que nous avons appelé au départ une dialectique

entre sens et référence ou, maintenant, entre une quantification discursive (dont les propriétés sont syntaxiques) et une prototypicité (dont les propriétés sont sémantiques). Dans le premier cas, nous avons la définition d'un « lieu de discours » que l'on peut rattacher aux propriétés d'une instanciation, permettant d'assigner un certain nombre de valeurs resituables dans le jeu métalangagier entre une référenciation et une mention ; dans le second cas, nous avons une conception évaluatrice de la classification, nous permettant d'introduire les référents différenciés selon une généricité et une individuation, une normalité et une anomalité (exception ou hors-norme); on ne peut ainsi comparer directement < cheval > et < Pégase > sans introduire du même coup tout un processus de transformation implicite qui les catégorise en deux domaines sans commune mesure. Bref, nous disposons d'un ensemble de considérations permettant de préciser de nouvelles formes d'instanciation (qui entreraient par exemple dans la définition des rapports entre un monde ordinaire —le monde quotidien— et un monde imaginaire —la fiction).

Ces deux ensembles de considérations, syntaxique et sémantique, sont ainsi parallèles et c'est pourquoi nous les avons différenciés en deux niveaux dans le schéma (i) supra de la Deuxième partie; chacun renvoit à sa propre logique et cependant ils forment une correspondance entrecroisée puisque de nombreux renvois sont possibles entre spécimen (relevant de la quantification) et prototypie (relevant de la prototypicité), entre généralité et domaine de généricité, entre particularisation et spécification d'exemples plus ou moins remarquables, exception et déficience. Nous avons une double variation concomitante qui ne correspond pas au sens logique traditionnel du terme « dénotation » (cf. assignation directe entre Noms et Objets) mais qui correspond bien à celui des signifiés dans la linguistique saussurienne (qui ne jouent pas sur des référents mondains mais sur des acceptions de sens à leur propos et dont la gamme est plus ou moins étendue; ainsi, < véhicule à moteur > peut renvoyer à des centaines de modèles, types ou marques). Dans nos termes, nous poserons le rapport:

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Quantification + Prototypie = signifiés (saussuriens) dans leur double variation. Nous avons trois niveaux dans l'opération d'une référenciation: celui d'une

variation dénominative, celui d'une variation prototypique qui permet de construire une « recevabilité » socio-culturelle des entités désignées (cf. objets, artefacts, rôles, scènes, événements); enfin, les composants descriptifs de ces entités qui les qualifient en particularités morpho-géographiques (qualités sensibles, milieux, parties, comportements, etc.). C'est à ce dernier niveau que nous pouvons situer une sémantique associée à une encylopédie (plus ou moins développée selon les types de savoir).

A propos de l'intégration de ces différentes variations, nous pouvons reprendre l'expression husserlienne d'une variation eidétique par esquisses17 , comportant plusieurs dimensions épistémologiques puisque nous avons une dénomination qui permet de spécifier des acceptions, des points de vue; nous avons un dispositif de normalisation comme matrice symbolique qui renvoit à des mondes possibles (dans le sens, à la fois, logique des énoncés contrefactuels créant des univers de fiction, et dans le sens littéraire, fables, mythes, épopées, créant des univers fabuleux). Enfin, nous avons une morphologie sur laquelle pourra s'appuyer des principes d'homologie comme mises en rapport des parties d'un objet avec d'autres (à la base de ces correspondances que l'on peut avoir entre les taxinomies ordinaires et l'univers du totémisme ou de l'emblématique). Ce ne sont pas des analogies entre des formes globales mais entre des parties (entités démembrées pour être aussitôt récomposées). C'est là que nous retrouvons le sens profond de la figure du templum comme unitas multiplex, son sens méréologique (Lesniewski, 1989) qui n'est pas une collection faite d'éléments qui y appartiennent mais une mise en rapport des parties-tout selon une structure d'homologies.

17 Cf. E. Husserl (1950 [1913]). Pour un rapprochement entre phénoménologie et cognitivisme,

mentionnons le bel article de J. Petitot, « Phénoménologie computationnelle et objectivité morphologique » , Paris, PUF, 1995, p. 213-248.

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III.3.1. LA FORME (SIMPLE) DU TREILLIS

Rassemblons l'ensemble de ces considérations dans une figure de synthèse, appelée treillis, dont le principe de composition est radicalement différent de celui des grammaires génératives; au lieu d'avoir des termes résultant d'une partition exclusive (comme dans les structures de dépendances syntaxiques empruntées aux schémas taxinomiques), nous obtenons des termes synthétisant des propriétés catégorielles. Celles-ci sont échelonnées, depuis le schéma à l'état pur au niveau supérieur (cf. templum comme format générique abstrait) et les lexies résultant d'une spécification successive au niveau inférieur (concrétisation).

Nous avons le niveau d'une instanciation qui distribue les rôles fondamentaux entre énonciation et référenciation; le niveau d'une catégorisation prédicative (actantialité, diathèse, modalités, quantifications, par exemple) formant autant de mini réseaux de templa; le niveau d'une typicité articulant le rapport entre des entités syntaxiquement définies par des cadres prédicatifs et sémantiquement disponibles (c'est le lieu d'une catégorisation comme champs sémantiques). Nous n'obtenons pas une collection de lexies résultantes (comme dans les nomenclatures) mais des familles de lexies différenciables; enfin, le dernier niveau, celui des entités complexes associant un savoir linguistique et un savoir encyclopédique (plus ou moins développé).

(xxii) Treillis I: premier registre (feuilletage de base)

instanciation

catégorisations idoénité (congruences)typicité

lexies résultantes

cat A cat B

schéma pur

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Rappelons que ce dispositif d'engendrement n'est pas une grammaire mais un treillis dans lequel nous pouvons démultiplier les strates intermédiaires comme le nombre de catégories (catA, catB, catC, catD,... soit, autant qu'il est nécessaire pour décrire un processus) formant ainsi des mini réseaux de templa, semblables à ce que Husserl appelait dans sa philosophie des « couches d'être » constitutives des entités résultantes. Dans ce treillis, le terme central d' «idoénité »18, en ce qu'il relie directement les rapports d'instanciation à ceux d'une typicité, caractérise un principe d'ajustement que nous pouvons traduire au moyen d'un jeu de congruences entre expressions engendrées; il démultiplie ces expressions en autant de variantes nécessaires (à la manière d'un spectre chromatique dont on peut tirer une variété de tons) et il dédouble le dispositif en entier afin de pouvoir répondre au caractère dialogique de ces rapports d'énonciation/énoncés où les rôles énonciatifs sont intégrés.

III.3.2. LA FORME (DÉDOUBLÉE) DU TREILLIS

La lexie cumule génériquement des propriétés abstraites et concrètes; elle est le pivot articulatoire entre une théorie du langage et une théorie de l’aperception du monde à travers celui-ci. Ce sont deux niveaux de définition bien dissociables, comme on l’a vu à propos de la constitution de la notion de champ sémantique.

Or la prototypicité porte sur la définition de la lexie comme rapport entre ces deux niveaux: elle est une théorie (naïve) de l’acceptabilité des objets de discours à titre de choses, d’actions, de mises en scène. Si la lexie est sujette à interprétation, elle n’est pas cependant le produit d’une imagination aléatoire de la part des locuteurs. En tant que relevant d’un langage communiqué, elle correspond à un ancrage dans le monde fait d’une multiplicité de renvois qui viennent se fondre dans sa définition générale.

Nous voyons apparaître ainsi un nouveau statut de la prototypicité qui n’est plus seulement lié à une quantification discursive; nous dirions que ce nouveau statut est « à part », qu’il est transversal par rapport au régime des 18 Ce terme, dérivé de l'expression « idoine », signifie une « convenance », une « capacité à

être »; ce terme est empruntée à la philosophie des sciences de Gonseth dont nous expliquerons peu après le sens qu'il peut avoir dans notre démarche.

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différents domaines de la catégorisation (actantialité, diathèse, modalités, quantification,...). Cette fonction normative met en rapport directement l’institution du templum comme schème sémiotique et la production des lexies à travers le réseau des catégories syntaxiques et sémantiques. La prototypicité est le paradigme même d’une différenciation évaluatrice (cf. elle assure le rapport de la norme et de l'anomalie, de la généralité et de la spécificité); l’objet abstrait qui se réfléchit lui-même en attente d’un remplissement empirique.

C'est cette fonction catalysatrice de la prototypicité qui nous amène ainsi à une nouvelle formulation du treillis (xxii) supra, dans laquelle nous avons, non seulement une stratification en niveaux d'analyse, mais également une différenciation en deux registres superposés où nous retrouvons la distinction que nous faisions (à propos des domaines notionnels) entre une description catégorielle productrice de simulacres objectaux et une description empirique (cf. Deuxième partie, point (ii) supra). Soit un nouveau schéma (dédoublé) de la forme,

(xxii') Treillis II: deuxième registre (rapports {Langage, Texte})

Textes (production, interprétation)

duction (connecteur, phorie)

idoénité (congruences)

schéma pur

mini réseaux de templa

champs sémantiques descriptifs

typicité

(I)

(II)

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registre I: niveau d’une théorie du langage (catégorisation telle que proposée en (xxii) supra, productrice de simulacres objectaux), registre II: niveau d'une représentation des connaissances par catégorisation descriptive, sémantique, encyclopédique).

a) Ces deux registres caractérisent ce que nous avons proposé auparavant comme descriptions catégorielles (syntaxique, sémantique) et comme descriptions empiriques (sémantique, encyclopédique). À ce niveau, nous n'obtenons pas des lexies (unités résultantes segmentées) mais des Textes (entiers ou fragmentaires), assortis de leur glose, et dont on aura à préciser le genre (conte populaire, article journalistique, nouvelle littéraire, mythe,...)

b) Les champs sémantiques descriptifs caractérisent des plages de connaissance plus ou moins approfondie (par exemple, le champ sémantique des oiseaux, le champ sémantique de la parenté, le champ sémantique du droit).

c) Typicité: place transversale de la fonction prototypique issue de la généricité du templum qu’elle représente (comme « armature idéale »), et à la fois, de sa spécification en domaines notionnels distincts à travers la définition des lexies qui les constituent (cette typicité associe directement la borne supérieure et la borne inférieure du treillis dédoublée à travers les notions d'« idoénité » et de « duction ). Ainsi les lexies constituent une double ramification, orientées vers le haut (propriétés abstraites) et orientées vers le bas (descriptions concrètes) que les premières articulent. Synthétiquement, c’est là que nous retrouvons le sens complexe d’une onomasiologie définie comme système de catégorisation, où les unités de base ne sont pas seulement les éléments d'un vocabulaire mais des symboles (cf. renvois à plusieurs domaines).

d) Duction: cette expression couvre les différentes formes de liaison discursives19, correspondant aux phories comme dans l'anaphore et la

19 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre II.

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cataphore, aux connecteurs d'argumentation (à la suite des travaux de Ducrot, par exemple) entre énoncés; ou encore, aux figures (tropes) telles que nous allons les considérer dans la prochaine partie. Enfin, elle participe du raisonnement en tant que valeurs modales inférées dans les argumentaires (induction comme extraction de propriété; déduction comme dérivation syllogistique, abduction comme mise au jour de principe)20. C'est à ces différents titres que la duction (qui est un mouvement de l'esprit) représente l'armature d'une cohésion textuelle selon différents genres (cf. texte littéraire, scientifique; conversation « à bâtons rompus » où l'on passe du coq-à-l'âne; harangue publique; homélie; etc.); ainsi le problème de la duction est celui du lien causal qui permet de lier un texte21 (dans ce qu'on a appelé la logique narrative du post hoc ergo propter hoc), d'associer des fragments en une description, de construire des homologies de rapports textuels. Cette fonction transversale où la duction (au niveau II) reprend celles, normatives, de la typicité, se superpose aux propriétés formelles de la constitution prédicative en ce que, pour « normer » une production discursive, il est nécessaire d’avoir au préalable des « objets » sur lesquels s’appuyer. Cette double fonction évaluatrice (typicité, duction) ne constitue pas un ordre profond en tant que « faculté de langage » (qui relève d’une conception cognitive) mais elle n'en constitue pas moins un ordre du discours façonnée par des normes (rhétoriques, idéologiques) qui s'impriment en lui.

e) Texte (production, interprétation): c’est la résultante générale de toutes ces opérations en ce qu’elle les rassemble. C'est une entité partagée en ce qu'elle est, d’un côté, produite, et de l’autre, glosée ou interprétée (c’est la fonction exégétique essentielle de tous les commentaires qui reprennent des textes préalables; d’où l’importance du registre métalangagier inhérent à une instanciation).

20 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre VI. 21 Cette notion de la causalité argumentative est distincte de celle développée dans l'aspectualité

« objectale ».

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Ce dernier dispositif constitue le cadre général d'un ordre du discours, où l'engendrement s’effectue en deux temps (abstraitement définis): en premier, l’exercice d’une compétence cognitive comme mise en place des objets du discours sur lesquels, en un second temps, va s'exercer une performance psycho-sociale (normes culturelles, par exemple) que l'on retrouve à l'état implicite dans la formation d'une typicité; cette performance est, à la fois, de production et d'interprétation (gloses).

On ne doit pas confondre ces deux temps sinon on réduirait les propriétés du premier ordre à n’être qu’un sociolecte relevant du second (dans l'opération inverse, nous aboutissons par contre à une image « idéaliste » de ce modèle, comme dans la grammaire de Chomsky). Nous dirons donc que ce dispositif permet d’ordonner les différentes « classes de templa » selon une architectonique préétablie où nous pouvons échelonner des propriétés abstraites de constitution et des propriétés concrètes de description; ce qui ressort de la généricité dans une langue donnée et ce qui ressort des textes dans une production discursive socialisée. III.3.3. LE PRINCIPE D'IDOÉNITÉ

Terminons ces analyses par ce qui est appelé un principe d'idonéité (expression empruntée à la philosophie de Gonseth), en tant que capacité (régulative) qu'à un dispositif d'engendrement à produire une variété de formes congruentes, dont le but est une relation d'ajustement (à un contexte, à d'autres formes). On notera la place intermédiaire qu'occupe ce principe dans la schématisation (xxii-xxii') supra, situé entre les modes fondamentaux d'une instanciation, mettant en présence les locuteurs, le discours et sa glose, et la typicité qui hérite de ce mécanisme d'ensemble dans la confection d'expressions « idoines ».

Par rapport à ce que nous appellerons dans la Cinquième partie une aspectualité spatio-temporelle, nous dirons que nous avons affaire à ce que les linguistes nomment des « relations sortales » (cf. Une sorte de, relations hiérarchiques ou non) que nous différencierons des « relations sérielles » propres à une énumération définie en termes de grandeur, « plus petit que » et « plus grand que » .

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Ce problème d'une identification/différenciation des termes a déjà été abordé sous l'angle d'un repérage à la suite des analyses fondamentales de Culioli et de Desclés22; c'est un problème qui est proche de celui de la définition d'un domaine notionnel puisque, dans celui-ci, on peut dire (toujours selon Culioli) qu'il existe un gradient de plus ou moins grande proximité de ces expressions par rapport à un prototype qui en représente la valeur centrale. Bref, logique de l'identité et topologie domaniale convergent vers ce problème d'une caractérisation typique du rapport entre éléments et classe à laquelle ils appartiennent. C'est pourquoi, nous situons également cette problématique « au coeur » de la schématisation (xxii-xxii') supra, c'est-à-dire, « au plus profond » de son mode de production.

Ainsi, nous disposons de trois expressions pour caractériser ces différentes formes de repérage:

a) la notion d'identification, dans le sens que lui a donné Frege, où il faut bien distinguer ce qui est tautologique (cf. A = A) et ce qui est identificationnel (cf. A = B); cette relation introduit une substitution-équivalence qui « ouvre » la relation à une série de substituts.

b) La notion d'appartenance (relation intransitive, cf. A ∈ Β) qui caractérise l'élément par rapport à la classe et définit ainsi un dedans et un dehors de celle-ci (appartenir, ne pas appartenir).

c) La notion d'inclusion (entre classes, cf. A ⊂ Β) qui est une relation transitive, permettant ainsi de construire une hiérarchie entre plusieurs classes (cf. relation d'héritage sémantique, par exemple).

Ces trois relations logiques sont la base d'un templum dont les métatermes

sont les notions antithétiques (forgées par Culioli et Desclés) de repérage comme relations de voisinage entre deux expressions (l'une étant le définissant, l'autre le défini); inversement, de ruption en tant que dissociation de ceux-ci. Ainsi, la relation d'appartenance constitue une forme de tri entre éléments relevant ou non

22 Cf. Réseau du sens II, Deuxième partie, Chapitre III. Une correspondance avec J.-B. Grize et

des entretiens avec J.-F. Bordron m'ont permis d'approfondir ce dispositif nouveau par rapport au précédent; qu'ils en soient ici remerciés.

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d'une certaine classe définie; par exemple, l'énoncé, La main a cinq doigts, L'homme a deux jambes (bipédie), etc., l'exclusion (cf. ou en tant que aut) ne permet pas de jouer sur une relation graduelle entre le dedans et le dehors de cette classe. Le résultat est la formation de classes distributives opposée à celle de classes collectives (Lesniewski) . Or c'est justement cette exclusion d'un gradient qui fait problème dans la constitution binaire d'une logique ensembliste.

Dans la logique du templum, par contre, nous pouvons inserrer ces relations graduelles entre les termes de base et ce sera la caractéristique dominante de notre dispositif ; celle-ci va permettre en particulier d'introduire d'autres considérations nécessaires à la définition (complexe) de la notion de classification:

(xxiii) Templum d'une idoénité (congruences des rapports)

MT+,-: repérage # ruptionidentification

(A = B)

inclusionappartenance

ingrédience (partie-tout)

appariement (airs de famille)

classes distributives (arbre de Porphyre)

type hiérarchie

occurrence

similarité contiguité

L'ouverture qu'offre ce dispositif va permettre d'aborder la question d'une classification, non pas restreinte (comme dans le cas des relations taxinomiques ordinaires) mais élargie, permettant de faire une synthèse entre les notions de domaines notionnels (sémantique, encyclopédique), de typicité (taxinomie) et de rapports partie-tout qui sont à la base de la logique méréologique de Lesniewski23 (dont on sait qu'ils s'opposent diamétralement à la relation

23 Cette question sera abordée à propos de la notion de totalisation et de croisement.

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d'appartenance); pour nous, ces rapports seront ceux d'une homologie entre expressions relevant de deux domaines (relations inter-domaniales et non plus intra-domaniales).

Ainsi, reprenons les éléments de notre analyse; au départ, nous avons comme base, des relations d'identification (A = B) permettant d'introduire des descriptions définies du genre, Paris est la capitale de la France; ou bien des relations d'appartenance du genre, Lyon, Grenoble et Bordeaux sont des villes françaises; ou bien, des relations d'inclusion du genre, La France est située en Europe.

Nous situons les relations d'ingrédience de la logique méréologique entre un principe d'identité-substituabilité (sous la forme d'une « contiguité », par exemple, en tant que voisinage) et un principe d'inclusion puisque la relation d'ingrédience possède cette qualité (et celle de transitivité qui est attenante) mais non la relation d'appartenance. La relation d'ingrédience constitue ainsi des classes collectives (et non distributives) d'individus constituant un ordre « horizontal » par rapport à un ordre « vertical » (celui des classification hiérarchiques).

À cette première interprétation collatérale de la relation d'identité-substituabilité, nous associons une seconde qui est de « similarité »; c'est celle que Wittgenstein (1953) nommait les « airs de famille » qui sont des relations plus ou moins assimilatives mais non transitives, formant ainsi un domaine de recouvrements partiels (ou « tuilés »). Or cette configuration, appelée ici appariement, a été reprise par E. Rosch dans sa seconde conception de la prototypicité dans laquelle elle a suspendu le principe (réaliste) de centrage sur le prototype (en tant que point identificateur de tous les éléments de la classe); elle a remplacé cette conception centralisée par une distribution aléatoire (association plus ou moins libre) où le domaine (nominalement défini) ne peut être alors caractérisé que dans un balayage des nombreux éléments rassemblés. on peut parler ainsi de classes, non pas collectives, mais dispersives.

Par rapport à la relation d'appartenance, nous avons également deux interprétations collatérales distinctes: du côté d'un appariement, la relation sera d'« occurrence » (cf. token dans l'acception que Peirce lui a donnée) en ce qu'elle

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caractérise une série indéfinie d'apparitions des « mêmes » éléments; ce « même » renvoie au principe sous-jacent d'identification d'un côté en tant que plus ou moins similaires (d'où la notion de classes dispersives partagées entre identités et différences), car on est jamais sûr que ces items relèvent des « mêmes » termes, apparaissant dans des contextes différents; de l'autre, par contre, la notion d'appartenance renvoie à celle de type qui est normée à travers la notion hiérarchique de taxinomie. Dans un cas, nous avons des classes (ouvertes) d'occurrences dont la série est indéfinie, et dans l'autre, des classes (fermées) de types puisque relevant d'un principe classificatoire (arborescence).

Il nous reste à préciser le dernier terme mixte entre une relation d'appartenance et une relation d'inclusion. Nous dirons que c'est le lieu d'une classification taxinomique qui renvoie à ce qui est appelé historiquement « l'arbre de Porphyre » en tant que types de relations d'un côté et en tant que hiérarchie entre classes inclusives de l'autre (où l'on retrouve l'ordre générique-spécième de la prototypicité supra). Ce n'est donc que dans cet intervalle que nous retrouvons le principe taxinomique classique opposé, d'un côté, à la relation partonomique d'ingrédience en ce que la taxinomie est caractérisée par un ordre distributif (et non collectif), et de l'autre, aux airs de famille wittgensteiniens qui associent des classes sans autre ordre que celui d'une succession plus ou moins aléatoire. On dira enfin que cet ordre taxinomique compose un ensemble virtuel de rapports conceptuels alors que dans le cas des relations d'ingrédience on peut parler d'un réalisme des rapports tout-parties.

Ceci termine notre définition de la référenciation réunissant, sous le même concept, plusieurs formes de catégorisation.

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QUATRIÈME PARTIE: UNE INTERFACE DISCURSIVE, L'IRONIE

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Pour raconter une histoire drôle, il faut être trois:

un premier qui raconte, un second qui comprend

(et qui rit) et un troisième qui ne comprend pas. Sacha Guitry

IV. PROLOGUE

Abordons maintenant des problèmes de rhétorique qui font partie du langage au même titre que les modalités prédicatives ou l'aspectualité. Nous allons voir que les propriétés analysées ne relèvent pas tant d'une conception pragmatique (telle qu'elle a été développée ces 20 dernières années) que d'une conception proprement discursive (toujours au sens de Benveniste). Il s'agit donc de préciser la place qu'occuperont ces figures (ou tropes) dans une « faculté de langage » élargie, productrice de ces effets de sens symbolique.

a) La figure proposée, à titre de tensivité discursive1, est l'ironie. C'est une figure, à la fois, « de pensée » et « de mots » comme disait la tradition rhétorique; par exemple chez Beauzée (dans l'Encyclopédie) où il s'opposait par ailleurs au Traité de Dumarsais. J'emprunte à l'ouvrage de Perrin (1996, p. 95) cette citation du premier:

Quintilien distingue deux espèces de l’ironie, l’une trope, l’autre figure de pensée. C’est un trope, selon lui, quand l’opposition de ce que l’on dit à ce que l’on prétend dire ne consiste que dans un mot ou deux. [...] C’est une figure de pensée lorsque, d’un bout à l’autre, le discours énonce précisément le contraire de ce que l’on pense. ...La différence que Quintilien met entre ces deux espèces est celle de l’allégorie et de la métaphore. N’y a-t-il pas ici quelque inconséquence?.[...] M. du Marsais, plus conséquent, n’a regardé l’ironie que comme un trope, par la raison que les mots dont on se sert dans cette figure ne sont pas pris, dit-il, dans le sens propre et littéral: mais ce grammairien ne s’est-il pas mépris lui-même? « Les tropes, dit-il, sont des figures par

1 Une première présentation de cette analyse a fait l'objet d'un exposé dans le séminaire de D.

Bertrand, J. Fontanille, Cl. Zilberberg, dont le thème était Tensivité et figures de rhétorique. Celle-ci a fait l'objet d'une publication (Boudon, 1997).

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lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot ». Or il me semble que dans l’ironie, il est essentiel que chaque mot soit pris dans sa signification propre, autrement l’ironie ne serait plus une ironie, une moquerie, une plaisanterie, « illusio », comme le dit Quintilien. Par exemple, lorsque Boileau dit Quinault est un Virgile, il faut, 1° qu’il ait pris le nom individuel de Virgile dans un sens appellatif pour signifier, par antonomase, excellent poète; 2° qu’il ait conservé à ce mot ce sens appellatif que l’on peut regarder en quelque sorte comme propre relativement à l’ironie. [...] Ainsi le nom de Virgile est pris ici dans la signification que l’antonomase lui a assignée, et l’ironie n’y fait aucun changement. C’est la proposition entière, c’est la pensée qui ne doit pas être prise pour ce qu’elle paraît être; en un mot, c’est dans la pensée qu’est la figure.

C’est ainsi la place de l’ironie entre une logique cognitive et une rhétorique discursive qui va constituer l'enjeu de cette analyse issue, comme les précédentes, du mini réseau de templa (vii) de la Présentation où nous avons cette dualité centrale entre le « dire » et le « non-dire », attenante aux instances de l'énonciation/énoncé analysées dans la Première partie. Si la présente analyse prend sa source dans ce complexe instaurateur du dialogue, elle est orientée dans un autre sens (vertical) comme le schéma l'indique.

b) Au-delà de la tradition classique, et plus près de nous, cette figure a retenu l'attention des linguistes comme (Kerbrat-Orrechioni (1980), Berrendonner (1981), Ducrot (1984), et tout récemment Perrin (1996) qui en a constitué le dossier le plus complet; des pragmaticiens (Searle (1982), Sperber et Wilson (1978, 1989), peut-être plus que des rhétoriciens (Groupe µ (1970)), ont cherché à décrire ce que représente la forme cognitive de sa signification. En effet, le sens induit par l'ironie va dépendre autant d'une disposition d'esprit que d'une formulation langagière, comme dans le cas plus évident de la métaphore et de la métonymie (c'est-à-dire de tropes au sens explicite). Berrendonner (1981, 174) parle, à la suite de l'Ecole de Palo Alto, de l'ironie comme d'une métacommunication, soit la reconnaissance d'une différence de niveau qui révèle des normes implicites au dire (sous la forme de « lois de discours », par exemple), en les « faisant vaciller » dans leur évidence même. L'ironie est ainsi un acte métalangagier qui n'est, ni performatif (ou attestatif de quoi que ce soit) ni argumentatif, mais ludique.

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c) Fort de ces différentes études2, je vais reprendre l'analyse de cette figure en la rapportant aux dispositifs théoriques précédents. L'ironie participe de la tensivité comme antithèse, mais également du non-dire en ce que le « double sens » qu'elle exprime n'est pas explicite mais simplement suggéré. C'est, également, pour certains pragmaticiens (Sperber et Wilson, 1978), une opération de mention à titre d'instanciation (redoublante) de l'énoncé proposé, soit, comme nous le savons une opération de réflexion de l'énoncé sur lui-même. La mention suspend donc le sens d'un renvoi au monde (référenciation) comme d'une adresse explicite entre interlocuteurs. Pour ces auteurs, c’est en fait une mention indirecte en ce que l'ironie prend l’allure d’une parole fictivement rapportée, d’une reprise en écho à ce qui aurait pu être dit par autrui. Pour comprendre cette opération d'interruption d'un « suivi discursif » ordinaire et de redoublement, il est bon de se rapporter à ce que nous avons dit à propos de la notion de cotexte d'avant et d'après. On notera donc que l’ironie est semblable à une bifurcation qui « ouvre » le discours à un double langage où l'énonciation n'est plus adressée comme dans une situation ordinaire mais devient comme une sorte de parole dite « à la cantonade »; ceci permet de suspendre toute responsabilité engagée par l'énonciateur, au contraire des actes performatifs3. Bref, l’ironie est énonciativement une duplicité simulée, homologue énoncivement au double sens. Tous ces aspects de l’ironie peuvent être importants d’un point de vue pragmatique, mais je ne l’aborderai pas, en ce que mon hypothèse propose un mécanisme discursif sur lequel s'appuie justement le comportement pragmatique.

2 Etant donné la parution récente de l'ouvrage de Perrin (1996), j'éviterai de reprendre toutes ces

études antérieures auxquelles on peut se référer. Je préciserai que ma conception est assez proche de celle qu'annonce l'auteur, soit une conception plus rhétorique que pragmatique; citons (p. 39):

« Je précise d'entrée de jeu que si le modèle de Sperber et Wilson (1989) est à la base de mes propres investigations, cela ne signifie pas pour autant que je partage leur analyse des tropes et de l'ironie. De fait, la conception de l'ironie comme trope que je me propose de défendre est sans doute intuitivement plus proche de celle de Grice ou de Searle que celle de Sperber et Wilson, qui considèrent ces questions sous un jour à mon sens contestable, que n'exige aucunement leur conception générale de la communication. L'exercice périlleux que je vais donc tenter jusqu'au terme de cette étude consiste notamment à réhabiliter une conception de l'ironie comme trope somme toute assez traditionnelle—dont s'inspire également Grice et Searle— […]. ».

3 Cf. Réseau du sens II, Quatrième partie, Chapitre III.

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d) Enfin il y a dans l'ironie une intonation essentielle qui fait que l'ironie n'en serait pas une si elle était dite sur un autre ton. Bref, l'ironie est une figure complexe qui participe de plusieurs niveaux à la fois: illocutoire, tropologique, judicatif, et qui les met en relation pour faire résonner le langage sur lui-même comme dans l'énigme (qui a rapport à une véridiction)4 . L'ironie traverse le langage pour le déconstruire, opération inverse d'une fonction métalangagière qui accumule par niveaux d'argumentation une glose afin d'en renforcer le sens asserté. Le fait qu'elle soit polémique n'est pas une cause mais une conséquence de ce mécanisme inversé, récusable d'ailleurs par un, Mais je n'ai jamais voulu dire ça,...,Vous vous méprenez, Mon vieux.

IV.1. DESCRIPTION DE LA FIGURE

On rappellera en premier lieu que l'ironie relève de l'antithèse, trope fondamental de type A vs B, comme dans l'adage latin traduit par Gide que rappelle Berrendonner (1981, p. 176): le nombre deux se réjouit d'être impair. L’antithèse est ici assimilée à la formule contradictoire de type A vs non A, et de ce fait, l'énoncé est renvoyé à une incohérence logique (du genre, Il pleut et il ne pleut pas), qui va à l'encontre d’un discours rationnel. Dans l’ironie, il s’agit toutefois d’une contradiction implicite car l’un des deux membres de l’énoncé complexe n’est pas dit mais suggéré (par inférence sous-entendue). L’antithèse ne renvoie donc pas tant ici à une contradiction, expression linéaire impossible, qu’à un paradoxe, toujours au sens logique, du style: Je mens. Il y a dans cette formule d’auto-réfutation une sorte de « circularité du sens » qui nous ramène à ce que nous avons appelé, à la suite de Benveniste, la sui-référence : « si je dis: je mens, je dis la vérité mais en disant cela je dis que c’est faux; etc.,... ». Le paradoxe exprime une vacuité, une insignifiance qui représente la limite de tout discours rationnel tenable. En ce sens, c’est un piège, comme si l’ironiste nous enfermait dans un piège énonciatif dont il a bien soin de se retirer en prenant un ton témoignant que c’est un piège; c’est pourquoi l’ironiste engage rarement sa responsabilité d’énonciateur.

Alors que la contradiction est une impossibilité littérale, un arrêt du discours par incohérence logique, le paradoxe serait plutôt une impossibilité

4 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre II.

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« jouée » (ludisme qui caractérise bien l’ironie) où l’on a une dissociation en niveaux: un niveau d’affirmation suivi d’un méta-niveau de négation qui lui-même est repris par un autre niveau d’affirmation... Comme le souligne Berrendonner (1981, p. 216), l’ironie consiste « à faire entendre le contraire de ce que l’on dit dans le moment même et par l’acte même où on le dit ». Nous avons ainsi une dialectique de l’affirmation et de la négation qui n’exprime pas seulement une incohérence logique (contradiction) mais, argumentativement, une réfutation dont la figure paradoxale est le support.

Il s’agit là d’un paradoxe pragmatique et non simplement logique où le mouvement même de l’ironie, indépendamment du contenu propositionnel qu’elle véhicule, exprime l'alternance entre deux pôles (entre A et non-A, le paradoxe comme la contradiction ne souffrant pas de moyen terme) sur le mode du « en dire le moins qu’on peut tout en laissant entendre le plus possible (et à bon entendeur, salut!) ». En ce sens l’ironie use de la litote (que nous assimilerons plus loin à un « sens euphémistique » participant du sous-entendu), comme dans cet autre exemple, Ça sent pas la rose ici! . Dans ce cas, nous avons une antithèse implicite, ou soumise à une ellipse, dont je définirai le statut par sa position vis-à-vis d'autres tropes fondamentaux. Ce que j'ajouterai par anticipation sur cette présentation, c'est que dans tous ces exemples, on « glisse » de l'antithèse vers un renversement comme dans l'exemple typique, Il n'est pas bête, qui ne veut pas dire uniquement (en clair), Il est intelligent (opposé à Il n'est pas intelligent), mais, Il est très intelligent!.

Dans ce basculement du négatif au positif, on ajoute une plus-value évaluative (cf. très) qui est alors une forme de louange dissimulée. Donc, dans le cas de, Ça sent pas la rose ici!, non seulement on veut dire, Ça sent pas très bon, mais implicitement, Ça sent très mauvais!, Ça schlingue, quoi!! Nous avons là, de façon sous-jacente, ce que Ducrot (1980) a appelé une « échelle argumentative » graduée en degrés du genre: très bon, bon, assez bon,...assez mauvais, mauvais, très mauvais,...échelle qui permet de sérier des jugements de valeur et c'est d'après cette échelle implicite qu'opère, par exemple, un renversement. Nous avons ainsi une opération du genre: jugement de valeur + trope, comme dans le banal, C'est malin!, adressé à quelqu'un qui vient de faire une grosse bêtise.

Du coup, on peut appliquer cette formule discursive à toute sorte de situation, pas seulement appréciative par rapport à des actions commises par l'énonciataire mais par rapport à un contexte dans lequel se trouvent des interlocuteurs: Quel temps superbe! devant le spectacle d'une pluie diluvienne (nous avons là une contre-vérité flagrante). Dans la mesure où l'ironie est, non pas

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adressée mais « située »5, le jugement ne porte pas tant sur le constat de la situation que sur des propos qu'a pu émettre une personne à ce sujet. Cela veut dire également que dans cette opération: jugement de valeur + trope, on suspend la valeur référentielle d'une désignation pour lui donner une valeur polémique, ce qui fait que l'ironie participe des tropes au même titre que la métaphore, l'hyperbole, le chiasme, mais selon un mode distinct. Dans l'exemple que l'on trouve dans tous les traités de rhétorique, Cette obscure clarté qui nous vient des étoiles, il y a bien une antithèse (c'est un oxymore) entre l'obscurité et la clarté, mais ce n'est pas une ironie. Inversement, dans cet autre exemple, C'est très-très fort ce que vous venez de dire là (adressé à quelqu'un qui vient d'énoncer une platitude), l'hyperbole par répétition est une ironie si on y ajoute l'effet d'un renversement de sens du plus au moins. On obtient une exagération simulée, bref un jugement « trop fort » pour être crédible.

Quelques mots encore sur cette opération de renversement associée à une échelle de valeurs; dans certains cas, la conclusion correspond au terme complémentaire de celui qui est affiché, comme dans, Je suis enchanté d'apprendre que tu as été renvoyé du lycée, (Berrendonner, 1981, p. 189) où l'ironie renvoie au terme antithétique, Je suis consterné,... alors que dans cet autre cas, Je suis enchanté d'apprendre qu'il y a des éclaircies dans le Sud-Ouest, (idem) nous avons par contre, l'expression d'une indifférence (cf. « Je m'en fiche complétement »). Là encore, l'image de l'échelle graduée joue puisque, dans le premier cas, nous avons une relation, {A+ A-}, alors que dans le second nous avons, {A+ Ao}, soit le terme neutre opposé au contraire6. IV.2 EXPLICATION DE L'IRONIE AU MOYEN

DU RÉSEAU DE TEMPLA

Comme dans le cas de la référenciation, et comme nous le réïtérons sans cesse, un phénomène discursif est pour nous le produit d'une pluralité de dispositifs sous-jacents; c'est donc dans le jeu de renvois entre ceux-ci que nous pouvons trouver le sens de ces phénomènes qui constituent une configuration

5 Chapitre I.2. (iv-iv') et (vii), supra, où nous avons deux postes distincts, Z en tant

qu'énonciation adressée et YZ en tant que situation de cotexte (avant, après). 6 On notera ici que Berrendonner (1981, p. 190-193) développe toute une argumentation en

faveur de la triadicité des termes par rapport à la notion courante de binarité puisqu'entre les valeurs positives et négatives nous avons une valeur zéro mise pour l'indifférence: ni ni.

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significative. Si chaque analyse est centrée sur un type d'objet de discours, nous voyons également que ses corrélats sous-jacents permettent d'analyser d'autres aspects qui y participent (ainsi, l'analyse de la temporalité présuppose l'énonciation pour définir la notion de temps situé, et ainsi, tout un dispositif de l'instanciation.

Dans le cas de l'ironie, nous reprenons une partie du mini réseau de templa (vii) de la Présentation, en ajoutant d'autres aspects (tels que la notion d'acte de langage, d'instance judicative7) qui permettent d'associer certains de ces dispositifs à ceux d'une procédure d'évaluation en général.

(i) Complément au mini-réseau de templa (vii) de la Présentation

Actes de langage

dire/ non-dire (modalités discursives) (Ch. IV.3.)

tropes poétiques/rhétoriques (Ch. IV.4.)

intonations (Ch. IV.6.)

Rôles énonciatifs: Scène de la parole (Ch. IV.7.)

éloge, blâme (Ch. IV.5.)

Les annotations (Ch. IV. 3.), (Ch. IV. 4.), (Ch. IV. 5.), (Ch. IV. 6.), (Ch.

IV. 7.) etc, renvoient maintenant aux chapitres suivants ainsi qu'au tableau final.

7 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre III.

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Au départ, nous avons une structure modale qui jouent le rôle de dispatcher entre des formes littérale, figurée, sous-entendue. L'ironie fait intervenir un double sens: l'un est entendu, l'autre est sous-entendu, ce que l'on inscrira entre un sens figuré (celui du dire) et un sens sous-entendu (celui du non-dire) puisque l'interlocuteur qui ne saisirait pas ce double sens ne peut « entrer » dans le processus d'ironisation (cf. il prend le dire à la lettre, ce qui l'arrête immédiatement dans la recherche d'un autre sens).

L'appel à un sens figuré, accompagnant le double sens, fait intervenir des figures de rhétorique comme l'antithèse puisque, entre le sens entendu et le sens sous-entendu, nous avons une simultanéité d'expression (le « même » énoncé selon deux registres différents): Quel temps superbe! (dit devant le spectacle d'une pluie diluvienne). Nous passons ainsi, sans transition, d'un mécanisme prédicatif (l'exclamation) à un mécanisme discursif où les figures seront définies les unes par rapport aux autres, tropologiquement. La double ligne (oblique) est donc très forte puisque ces tropes entrent dans la définition d'un sens figuré, globalement défini (poésie et rhétorique).

Comme nous le proposons, de l'antithèse exprimant un conflit entre deux interprétations du même énoncé, on « glisse » vers un renversement de valeurs (par exemple, du plus au moins) dans une échelle axiologique, C'est très fort ce que tu viens de faire là ... (mis pour).., C'est profondément stupide!. Cette échelle de valeurs sur laquelle opère rhétoriquement un renversement participe en fait de la fonction judicative (appréciative, comparative) que nous aborderons plus particulièrement ici sous la forme de la louange et du blâme. Cette fonction judicative prend place dans un dispositif8 où nous avons les fonctions d'attestation, de constat, de paroles rapportées, d'évaluation, etc; bref, les différentes formes du jugement.

Dans l'ironie, le jugement de valeur implicite est fondu dans une certaine intonation, comme si celle-ci devait être la marque signifiante d'un sens qui n'est pas le sens tout à fait littéral. L'intonation réverbère ainsi ce mouvement de bascule entre valeurs positive et négative: Monsieur est d'une grande générosité!. L'accent est mis sur un certain formant sonore afin de spécifier ce double sens. Dans la mesure où l'ironie est bien distincte de l'humour et de la moquerie comme 8 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre III. (iii-iii').

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telle (les enfants savent se moquer des autres —et même très cruellement— mais ils ne savent pas ironiser à leur propos), elle reconduit ce processus rhétorique/évaluatif vers la structure typologique des modalités discursives; soit le point de départ du tableau.

Nous introduisons en conclusion la structure des rôles énonciatifs (et médiatifs) assumés en tant qu'énonciateur, énonciataire ou témoin de ce que nous avons déjà appelé la Scène de la Parole. C'est là que nous retrouvons la situation concrète d'un face-à-face où l'énonciataire se sent pris à partie par l'ironiste mais où aussi celui-ci peut toujours se retrancher derrière un alibi, n'ayant pas directement engagé sa parole. Dans ces jeux de rôles, la présence du témoin est évidemment essentielle, puisque la parole est à la fois « située » par rapport à quelqu'un mais aussi non « adressée » (fonction d'un cotexte) et « entendue » par plusieurs (c'est le sens de notre exergue emprunté à Guitry).

Comme dans la référenciation analysée auparavant, nous avons donc une économie du sens (ici, symbolique) engendrée par un réseau de templa qui décrit le phénomène avec ses pôles d'attraction, ses jeux de renvois, ses bords délimitatifs. IV.3. LES MODALITÉS DISCURSIVES,

{sens littéral, figuré, sous-entendu}

La structure des modalités discursives proposée, en tant que formes du jugement, est assez différente d'une simple structure formelle entre prédicats, actants et circonstants linguistiques9. D'emblée, cette structure de modalités caractérise trois types d'acception de sens (ou d'interprétation) à partir de la notion d'assertion : un sens littéral, un sens figuré et un sens sous-entendu.

Ainsi, par rapport à l'approche grammaticale, nous ne partons pas d'une conception strictement distributionnelle de la langue mais de l'énoncé (énonciation + référenciation) en tant qu'interprétation en discours, irréductible à une décomposition en constituants immédiats (ou encore, s'aidant d'un vocabulaire auxiliaire dont la conception est empruntée aux « parties du discours » comme dans les grammaires génératives). Nous avons ainsi affaire à 9 Cf. Réseau du sens II, Deuxième partie, Chapitre II.

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une représentation complexe de l'énoncé10 qui associe les modes de l'assertion définis auparavant (affirmation, négation, interrogation) à une notion d'implicite entendue (ou pas) où l'on retrouve la caractérisation en niveaux d'une instanciation .

En premier lieu, nous posons par hypothèse qu'il existe un terme neutre (appelé sens littéral) où l'implicite est défini par la corrélation entre les notions de « posé » et de « présupposés » associés par implication analytique (nous suivons l'hypothèse de Ducrot (1972) qui se réfère à Frege) comme dans l'énoncé, Jean est allé à la gare chercher Françoise, où nous avons des acteurs, des types d'action, une temporalité, des lieux; bref, un implicite d'énoncé qui représente une situation donnée (cf. le fait que Jean soit parti, qu'il est allé à un certain endroit situé à une certaine distance), renvoyant à un sens analysable en propositions simples auquel on peut répondre au moyen d'une vériconditionnalité (laquelle relève d'une transparence informationnelle)11. Ainsi, peut-on répondre à cet énoncé par un:

10 Rappelons que nous sommes toujours dans le contexte d'une théorie représentationnaliste du

langage (Berrendonner, 1981, p. 117 sq). 11 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre I.

La vériconditionnalité départage le vrai du faux à travers la notion ambivalente d’erreur; elle permet d'enchaîner des propositions les unes à la suite des autres, comme dans cet exemple emprunté à R. Martin (1983, p. 48):

A: Tu continues à te moquer de moi

(posé) = tu te moques de moi

(présupposé) = tu t’es déjà moqué de moi tout à l’heure

B peut répondre par:

(a) Oui, je le reconnais (pp = V; posé = V)

(b) Ah non! Cette fois, non (pp = V; posé = F)

(c) Je reconnais que je viens de plaisanter mais tout à l’heure, non! (pp = F; posé = V)

(d) Mais je me suis jamais moqué de toi! (pp = F; posé = F)

On voit que l’assignation d’une valeur de vérité attachée au posé et au présupposé déclenche une multiplicité de réponses que l’on n’aurait pas si on maintenait ce rapport de présupposition dans une indétermination véridictoire. C’est pourquoi, sans doute, les

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Non, ce n'est pas Jean mais Paul qui y est allé .... Ce statut d'énoncé littéral (analytique) n'est pas modifié par l'introduction d'un pronom personnel, comme dans: Hier, je suis allé à la gare ... L'information, sous l'angle où nous nous situons, n'est pas affectée par ce changement de personne (cela peut être un mensonge; de toutes façons, il faudra d'autres moyens pour résoudre cette question). On dira enfin que c'est ce sens littéral qui est réclamé dans la formulation des expressions performatives (ordre, promesse,...).

En deuxième lieu, nous avons un sens figuré qui est en particulier celui des tropes remplissant une fonction rhétorique et/ou poétique, comme dans cette métaphore rebattue: La terre est bleue comme une orange, où la valeur référentielle est comme suspendue (elle renvoit à la distinction entre un monde réel et un monde imaginaire). La comparaison figurative (introduite par un comme) a pour effet, pourtant, d'introduire une distance d'objectivation par différence d'avec une énonciation directe du genre: Je suis la plaie et le couteau ... où la métaphore exprime une entière subjectivité. Mais le comme de notre premier exemple, à valeur comparative/évaluative, vise une objectivité dont bien sûr la référenciation à ce qui serait un monde réel dément le propos.

On va voir ainsi que ce sens figuré.—qui est ici, à la fois, figure de pensée et figure de mots— n'est pas dérivé d'un sens littéral, créant entre eux un écart qui peut toujours être réduit, mais complémentaire de celui-ci. Plus que d'écart (qui permet toujours un rabattement de l'un sur l'autre), il faudrait parler d'un décalage plus ou moins réductible. Il en est de même du sens sous-entendu, mais dans une dimension négative: au lieu d'ajouter quelque chose en plus au sens ordinaire, on retranche quelque chose en moins. Ce qui fait qu'un sens figuré excède toujours un sens normal alors qu'un sens sous-entendu est en retrait par rapport à la même norme que représenterait le sens littéral (sens neutralisant les différences).

En troisième lieu, nous avons un sens sous-entendu. L'implicite qu'il évoque n'est pas celui du rapport strictement énoncif (entre les notions de posé et de présupposés ou de tropes) mais d'un rapport véritablement énonciatif. Le sous-entendu, qui renvoit à un contexte, à un savoir tacite entre interlocuteurs, à des

performatifs (et toutes les formes d’attestation en Je dis que) constituent un court-circuitage de ce dépli du vrai et du faux (cf. on affirme une position d'autorité).

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conventions reconnues (ou, au contraire, à quelque chose qui serait caché) exprime ici le rapport fondamental —et que nous situerons au niveau des métatermes— entre le dire et le non-dire (cf. qui se fait entendre d'une certaine façon; ce fut la thèse initiale de Ducrot (1972) que l'on retrouve dans le titre même de son ouvrage). Ces deux catégories complémentaires prennent en charge, tant l'énoncif (dans le rapport posé/présupposé) à titre analytique que l'énonciatif (dans ce qu'on a appelé, à la suite de Grice (1979), des implicatures conversationnelles qui sont des implications non-analytiques).

Entre ces trois modalités de base en opposition-corrélation, situées respectivement aux postes X (sens littéral) Y (sens sous-entendu) et Z (sens figuré), nous disposons des trois termes mixtes qui permettent de passer d'une modalité discursive à l'autre.

Notre hypothèse est donc que ces différentes acceptions de sens (à visée judicative) représentent le spectre d'une manifestation discursive dans son mode de composition le plus général. En effet, d'un côté nous avons un rapport direct à la formation prédicative des énoncés, remplie par un sens littéral (neutre); de l'autre, un décalage manifesté par un sens figuré où on situe la formation des tropes (métaphore, synecdoque, syllepse, chiasme,...), et par un sens sous-entendu qui représente l'amorce de savoirs partagés ou tacites, d'interdits observés, d'informations occultées, etc., soit la possibilité d'une interaction langagière capable ou non d'expliciter ces sous-entendus du discours. Ce n'est donc qu'à ce niveau que nous retrouvons le sens profond d'une énonciation telle que nous l'avons considérée dans la Première partie. IV.3.1. LES TERMES MIXTES, RELAIS ENTRE CES TROIS

MODALITÉS

Entre un sens littéral et un sens figuré, nous avons ce qu'on appelle un « sens idiomatique » en ce qu'il fait appel à des expressions figées, à des tournures, à des catachrèses (Les bras du fauteuil, La feuille de papier), et même, à des clichés (stéréotypes) passés dans la langue12. Dans l'énoncé, Jean nous a 12 Le schéma initial de la Deuxième partie a été le point de départ de notre analyse de la

référenciation où l'on différenciait une « expression syntaxique » (assimilée maintenant à un sens littéral) et une « expression idiomatique ».

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mis dans un sale pétrin, on ne peut décomposer analytiquement l'énoncé en constituants immédiats: « Jean + nous + mettre + pétrin + sale ». Nous avons affaire à un sens globalement saisi qui a fait le désespoir des linguistes générativistes et qui renvoit davantage à une disposition de l'esprit (cf: « une situation embarassante ») qu'à une désignation objective (cf: « un pétrin est un instrument qui permet de pétrir la pâte à pain »)13. Ainsi, que doit-on comprendre dans cet autre énoncé, Jean a mis de l'eau dans son vin: est-ce un constat visuel ou un jugement porté sur l'attitude psychologique de la personne?

R. Martin (1983-1992, p. 159) a fait une remarque importante: il existe dans le langage des expressions verbales syncatégorématiques qu'on ne peut réduire analytiquement à une suite: verbe + objet. Ainsi de la différence entre, Prendre un disque et Prendre la fuite; dans ce dernier cas, on ne prend rien, on « échappe à une situation dangereuse ». Même chose avec, Prendre la porte, Mettre les bouts,... Dans un cas, nous avons donc un prédicat simple à deux arguments (Prendre un disque) alors que dans l'autre, nous avons un prédicat complexe à un seul (Prendre la fuite, Prendre une veste). On aura donc des prédicats complexes, des expressions idiomatiques (très proches des précédents mais cependant distinctes en ce qu'elles proviennent de figures éteintes) que l'on peut distinguer par ailleurs des locutions composées (presse-papier, grille-pain) qui relèvent de propriétés morphologiques.

Pourquoi introduisons-nous ces remarques? C'est pour montrer qu'entre un sens littéral et un sens figuré nous avons une continuité de sens. Plus exactement, nous avons un passage continu avec, à un moment donné, un basculement où le sens devient vraiment figuré (rhétoriquement et/ou poétiquement). Prévert a beaucoup exploité ce sens locutoire « endormi » dans la langue en lui redonnant une fraîcheur poétique14; c'est alors le passage d'une « métaphore morte » à une « métaphore vive » selon la belle expression de P. Ricoeur (1975). Encore une 13 Deuxième partie, Chapitre II.5. (vi) supra. La formation d'un sens idiomatique, en ce qu'il

porte sur un syntagme entier, peut être comparée à celle des synapsies (ou synthèmes) engendrés au niveau morphosyntaxique: Un m'as-tu-vu, Le quand dira-t-on, etc., qui sont des locutions figées. Au lieu que le sens s'investisse dans des formes de radicaux: maison, bateau, entreprise, il s'investit dans des expressions étendues, comme, prendre le large, prendre ses jambes à son cou, prendre la poudre d'escampette, etc. qui expriment autant de différences du verbe « fuir ».

14 Comme le note Perrin (1996, p. 55): « Prévert fait ainsi revivre métaphoriquement l'expression phrase creuse et le verbe trébucher en écrivant qu'un grand homme d'Etat, trébuchant sur une belle phrase creuse, tombe dedans. »

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fois, le langage ordinaire est fait d'un multitude de catachrèses (Les ailes du moulin, Les bras du fauteuil,...), de tournures, qui forment un dépôt en langue de métaphores usées.

Entre un sens littéral et un sens sous-entendu, nous avons par contre un « sens euphémistique ». L'euphémisme, comme évocation furtive, signale la présence d'interdits dans la langue comme des amers qui affleurent au ras de l'eau. On entendra davantage un énoncé du genre, Je vais au petit coin, plutôt que, Je vais aller pisser un coup; ou dans un hôpital, Il est parti cette nuit sans trop souffrir, plutôt que, Il est mort (d'où la violence d'un énoncé, quasi blasphématoire, comme, Il est mort comme un chien). Dans un autre registre, on aura comme énoncé, Nous devons nous séparer de vous, mis pour, Je vous renvois!, Vous êtes foutu à la porte!. Dans tous ces cas, nous avons un décalage entre deux formulations, l'une exprimée publiquement, l'autre sous-entendue, produisant un effet de gommage pour dire des choses malséantes ou désagréables à entendre.

Nous arrivons enfin au dernier terme mixte situé entre le sens sous-entendu et le sens figuré et qui représente la notion de double sens comme base de l'ironie. Plus exactement, le double sens renvoit dans ce cas à lui-même (et par ricochet, à l'antithèse sous-jacente). Dans un autre registre, il renvoit à une thématisation narrative à deux niveaux distincts comme dans le cas du sens allégorique où nous avons la différence, selon l'Apôtre, entre l'esprit et la lettre. C'est, par exemple, le cas d'une description d'actions ordinaires —comme dans les Évangiles— qui bascule dans un sens extraordinaire (spirituel).

Le double sens est ainsi étroitement associé, d'une part, au sens figuré (en tant que figure de pensée), et d'autre part, au sens sous-entendu qui fait entendre, par résonance, autre chose que ce qui est véritablement dit (c'est de cette façon que l'ironie induit un effet de litote à caractère euphémistique où l'on feint de n'avoir pas dit ce qu'on dit véritablement). Le double sens est donc, comme on le voit dans le schéma (ii) qui suit, diamétralent opposé au sens littéral. C'est pourquoi on s'amuse toujours de la personne qui prend ce genre d'énoncé « à la lettre » car, manifestement, elle n'a pas saisi que, sous l'apparence littérale, il y avait un sens caché (pas au sens de crypté comme dans les énigmes mais au sens de sous-entendu). Bref, l'opération même de l'ironie qui départage « ceux qui comprennent » de ceux « qui ne comprennent pas » (retour à notre exergue dû à Sacha Guitry).

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(ii) Templum d'une modalité discursive (littéral, figuré,

sous-entendu)

Métatermes: MT+: dire MT-: non-dire (implicite)

Corrélats initiaux: X : sens littéral (analytique, transparent, présupposition comme

implication analytique) Y : sens sous-entendu (contexte, convention, savoir tacite, impli-

cature comme implication non-analytique) Z : sens figuré (figures de pensée, figures de mots renvoyant aux

tropes rhétoriques/poétiques)

Corrélats dérivés: XY: sens euphémistique (litote, silence, signalant en creux des

interdits dans la langue) YZ: double sens (double niveau à partir de la même expression:

ironie où l'énoncé renvoit à lui-même et allégorie distinguant thénatiquement l'esprit et la lettre)

XZ: sens idiomatique (expression syncatégorématique issue de prédicat complexe dans un sens; expression figée, tournure, catachrèse, dans l'autre)

(ii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: dire # non-dire sens littéral

(posé, présupposé)

sens figurésens sous-entendu (implicatures)

double sens (ironie, allégorie)

sens euphémistique

sens idiomatique

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Ce dispositif introduit un déploiement du sens énoncif en trois modes généraux à partir d'un métaterme commun, la notion de dire, qui représente ici une formule discursive n'ayant pas encore reçu sa pleine valeur interprétative; sa plus simple expression est celle d'une formule littérale dont l'implicite est réduit au rapport entre posé et présupposés (analytiquement repérables). Par différence d'avec cette formule, on peut en poser deux autres, l'une fonctionnant par excès, l'autre fonctionnant par défaut: d'un côté, nous avons le sens figuré où vont s'exercer les opérations tropologiques; de l'autre, nous avons le sens sous-entendu où l'implicite devient celui d'une énonciation entre locuteurs (implicatures conversationnelles, vraisemblable rhétorique tel que défini par Aristote).

Ce dispositif joue ainsi sur une conception fondamentalement feuilletée de la langue (au sens saussurien), par types de niveau (cf. la notion de double sens), par types de domaine (référence à un monde réel, à un monde imaginaire) ou par types de savoir (cf. tacite, explicitatif).

Le non-dire représente, de son côté, l'inexprimé comme dans le silence qui suit une interrogation (cf. refus de répondre? ignorance? indécision en tant que perplexité entre l'affirmation et la négation?). Le silence relève ainsi de cette structure d'énoncés (à titre de sous-entendu interprétable) et non bien sûr d'une structure de prédicat, ce qui n'aurait aucun sens; il en est le terme le plus « profond » par rapport à d'autres formes d'implicite qui entrent dans l'articulation du discours et que l'on retrouve dans le double sens (ludique, anagogique) ou dans l'euphémisme (interdit, censure, bienséance) qui correspondent alors à des degrés d'implicitation face à l'interlocuteur (et donc, face à la vérité qu'on veut bien lui transmettre). IV.4. LA FORMATION DES TROPES

(POÉTIQUES/RHÉTORIQUES)

Au-delà de cette mise en place discursive, venons-en à la catégorisation des tropes puisque nous savons que l'ironie participe (implicitement) de la nature de l'antithèse; c'est ainsi cette figure du conflit que nous retrouvons dans la différence entre sens littéral et double sens.

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Le domaine des tropes est considérable et il n'est pas question ici d'exposer en détail le cas de chaque figure, les unes par rapport aux autres15. La tradition des Traités est importante en nombre de volumes, mais ce qu'il faut bien voir, c'est qu'elle les a considérées essentiellement d'un point de vue taxinomique et non « systématique » (cf. procédant d'une générativité qui les spécifie les unes par rapport aux autres, telle que nous allons la développer). Nous dirons donc:

a) que ces tropes font partie des mécanismes de la langue au même titre que les modes de l'assertion, de l'anaphore/cataphore, ou des connecteurs d'argumentation16. Les tropes ne sont donc pas une pièce rapportée (un ornement) par rapport à la grammaire mais font partie intégrante de celle-ci.

b) Qu'on peut réduire ce genre de fonctionnement à un petit nombre de figures-clés. Lesquelles? C'est bien sûr l'enjeu d'un tel fonctionnement qui va privilégier certains modes de dérivation des figures les unes par rapport aux autres.

c) On peut opposer deux traditions: celle d'Aristote qui place au centre du dispositif poétique/rhétorique l'analogie comme proportionnalité, soit le transfert de rapports entre deux domaines distincts. Il y a, chez Aristote, un dynamisme implicite qu'on opposera à une tradition taxinomique plus récente, celle de Jakobson, avec son couple fondateur de la métaphore et de la métonymie, s'appuyant sur la théorie de la binarité.

Cette seconde tradition a surtout influencé les études littéraires (Groupe µ

(1970), Genette (1972), Eco (1988)) alors que la tradition aristotélicienne s'est plutôt perpétuée du côté d'une épistémologie des sciences dans une conception cognitive telle que celle développée par Hesse (1966) à la suite de Black (1960); plus récemment par Molino (1979) et Grize (1990). Nous réinterpréterons cette problématique dans la prochaine partie. Cette tradition est assez proche de la conception anthropologique de Lévi-Strauss (1958, p. 235 sq, 1962) développant,

15 L'ouvrage d'U. Eco (1988, p. 139-189) représente un bon panorama des différentes tendances

actuelles de la recherche portant sur les figures poétiques et/ou rhétoriques. 16 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre I et Chapitre II.

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dans sa « formule canonique du mythe », un transfert et une inversion des termes dans les rapports deux à deux (entre le thème et le phore)17. Dans tous ces cas, l'opération de transfert porte sur une homologie de rapports entre deux domaines distincts (ou entre deux niveaux d'un même domaine). Comme nous allons le voir, les tropes représentent l'exemplification de mouvements tensifs sous-jacents; ainsi, dans la figure de l'antithèse (l'antiphrase, l'antagonisme), c'est le sens d'un conflit sous-jacent entre deux parties; dans l'analogie, celui d'un transfert de rapports homologues; etc.

C'est donc cette conception néo-aristotélicienne que nous allons privilégier, faisant de l'homologie de rapports l'un des pivots de notre templum. Ainsi, c'est d'elle que nous dériverons les rapports d'une métaphore et d'une métonymie, alors que pour Jakobson, ces deux figures emblématiques étaient à la base de sa conception poétique. On a parlé, à sa suite, d'un opérateur métaphoro-métonymique qui permettrait de passer de l'une à l'autre; nous pensons que le transfert de rapports homologues remplit ce rôle de trait d'union entre les deux figures.

En un premier temps, je situerai donc cette opération de transfert entre deux domaines (analogie de rapports) ou au sein d'un seul (relation de la partie et du tout) au poste X. Bref, il s'agit d'une mise en rapport projective, bien distincte par ailleurs de la simple comparaison où il s'agit plus d'une évaluation judicative; dans le réseau de templa, ces deux opérations sont distinctes et relèvent de deux dispositifs distincts18.

Or, nous changeons de point de vue: auparavant, nous parlions de la propriété des énoncés discursifs en tant qu'acception de sens (littéral, figuré, sous-entendu); maintenant, nous parlons d'une thématisation des entités discursives (comparaison, transfert), soit de leurs possibles propriétés phénoménologiques telles que nous avons pu en donner une certaine illustration (l'Appendice II.6. de la Deuxième partie). Auparavant, nous étions dans une modulation discursive

17 Ou encore, une mise en correspondance sérielle dans les rapports totémiques comme mise en

rapport des intervalles entre termes relevant d'une série naturelles (espèces animales ou végétales) et ceux d'une série sociale (groupements humains). Cf. Le totémisme aujourd'hui, p. 23 sq; La pensée sauvage, p. 66 sq, p. 152 sq.

18 Cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre I., à propos de la notion d'« épiphore » opposée à l'«anaphore » et à la « cataphore ».

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dont nous avons défini les régimes; nous sommes maintenant dans une référenciation dont l'échelle peut être aussi bien les énoncés que le Texte entier (surtout, s'il s'agit d'un genre comme le poétique). C'est par exemple le cas de l'analogie aristotélicienne qui établit des rapports globaux entre le couple {jour, nuit} et le couple {vie, mort}19. Il s'agit donc de rapports cognitifs et non simplement discursifs puisque c'est parce que nous comprenons phénoménologiquement ce qu'est le rapport {jour, nuit} que nous pouvons le traduire en termes d'opposition et de transfert à d'autres couples (il s'agit bien d'une procédure de type orientée-objet en ce que nous nous appuyons sur la spécificité des objets de départ pour en inférer, par projection, celle d'objets-cibles).

L'homologie est donc, à la fois, une figure cognitive et discursive en ce qu'elle participe de la constitution des « choses mêmes », pour parler le langage de Husserl. De ce fait, il y a tout un volet gnoséologique que nous allons retrouver dans la description du réseau de templa et que nous appellerons le problème aspectuel des « objets quelconques » où l'homologie est un principe de caractérisation associant des corrélats quantitatifs (proportions, échelles, modules, qui sont à la base des comparaisons) et des corrélats qualitatifs (opposition double ou triple; équipollence de rapports graduels). Dans la référenciation précédente, nous avons abordé ces problèmes sous l'angle d'une qualification descriptive et d'une prototypie où l'objet était appréhendé comme étant typique ou atypique, générique ou individué.

En deuxième lieu, je situerai au poste Y la notion d'antithèse dont nous avons déjà parlée. Cette figure est primitive en ce qu'elle est la reprise du thème de l'opposition duale, A vs B, non du point de vue formel mais de celui des contenus investis: Le jour, la nuit; La lumière, les ténèbres; L'homme, la femme; Les anges, les démons; etc. Bien des arts poétiques s'y réfèrent (celui de Hugo étant le plus évident (Riffaterre, 1971, p. 203-258) en ce que l'antithèse met en place des univers de discours basés sur l'antagonisme, permettant d'évoquer des passages dramatiques d'un des termes à l'autre. Cette prédilection pour l'opposition binaire n'est pas seulement poétique mais narrative (ainsi l'univers manichéen des contes populaires fonctionnent à partir de ce genre de considérations).

19 À propos de ce couple, nous dirons que c'est un principe poétique que nous retrouvons jusque

dans la démarche récente de Johnson et Lakoff (1989).

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En troisième lieu, je situerai au poste Z une figure aussi élémentaire que les précédentes: il s'agit de la répétition qui se présente au départ sous sa forme la plus simple dans la réïtération d'une même expression: A, A, A, A, ...(cette répétition n'ayant rien à voir avec une reprise anaphorique). On connait le vers célèbre de Gertrude Stein, A rose is a rose is a rose, ou celui de Mallarmé, L'azur! l'azur! l'azur! l'azur!... Il ne s'agit pas d'une mise en correspondance ou d'un conflit mais du report de la même expression ou du même formant phonématique (comme dans les assonances, les paronomases); soit une résonance au terme indéfini. Là encore, narrativement, nous avons souvent un motif de répétition (comme dans la triplication des épreuves narratives) qui nous fait dire qu'entre les tropes et ces dernières nous avons une équivalence définitionnelle.

On pense bien sûr à une répétition linéaire; il faut également penser aux reprises en écho comme dans les litanies. Ainsi, le poème Union de Breton, .../Ma femme aux épaules de champagne/ .../Ma femme aux poignets d'allumettes /Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur/...(Hamon, 1981). Pensons aux refrains des chansons ou aux comptines pour enfants. Il ne s'agit pas dans ces différents cas d'une forme linéaire par réïtération mais d'une formation par reprise en parallèle, proche de la composition orchestrale (il s'agit alors d'une reproduction en tant que cycle parcouru et non d'une connexité terme à terme). Bref, nous sommes bien dans la dimension textuelle d'une oeuvre qui dépasse la nature segmentaire des énoncés mis bout à bout (cette dimension correspond par exemple à de « grosses unités constitutives », à la manière des mythèmes lévi-straussiens (1958), que l'on pourrait appeler les « cellules » textuelles)20.

Enfin, la répétition comme principe fait référence à des formes plus libres que la réïtération en ce qu'elle peut également introduire une énumération d'objets divers qui font songer aux catalogues (pensons aux descriptions de Rabelais, à celles de Verne, ou plus cocasses, à celles de Prévert). Associée au métaterme d'une amplification, cette énumération prend alors la forme d'une accumulation rhétorique. Dans tous ces cas, nous avons bien une figure qui reste au départ élémentaire et dont le caractère indéfini s'oppose, tant au caractère « bloqué » de l'antithèse (où les termes en conflit forment un bornage implicite), qu'au caractère

20 Comme on parle de « cellules » musicales Cf. C. Lévi-Strauss, Chapitre XI. Cette approche a

été reprise en partie par R. Barthes dans son S/Z, p. 36.

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de mise en correspondance qu'offre le transfert homologique d'un domaine à un autre (cf. projection du connu à l'inconnu selon la fameuse définition aristotélicienne). Concluons temporairement:

a) nous disposons de principes « objectaux » (qui manipulent des propriétés phénoménologiques);

b) nous partons du postulat que ces trois types de base permettent de recomposer l'éventail figural des tropes poétiques et/ou rhétoriques.

Comme métatermes du dispositif de cette réduction drastique à trois formules de base, nous avons, d'un côté, la notion de contraction (comme dans la formation des ellipses, des mots-valises, par exemple) et de l'autre, celle d'amplification21 , comme dans, En nettoyant ton assiette, tu as fait preuve d'un effort colossal!, où l'ironie fait référence, à la fois, à l'antithèse et à l'hyperbole.

L'ensemble, formules de base + métatermes, constitue ainsi une sorte d'« économie phorique » (propre à des figures de mouvement) permettant de saisir la notion de tensivité et d'intensité (associée à une aspectualité spatio-temporelle). Il s'agit donc de procès par opposition à des relations simplement de comparaison où il n'existe aucune tension (mais une évaluation), et par opposition également à une conception logique des énoncés sous leur forme propositionnelle (où l'on ne peut introduire de telles considérations tensives). C'est pourquoi, dans la conception pragmatique de Sperber et Wilson, les tropes, comme modes d'explication des figures du discours, sont évacués, alors que pour nous ils restent au coeur d'une activité langagière. IV.4.1. LES TERMES MIXTES COMME FIGURES COMPLEXES

ASSOCIÉES À L'HOMOLOGIE

On situera d'abord la métaphore (cf. rapprochement + contraction) entre l'homologie et l'antithèse; là encore, nous avons affaire à une conception aristotélicienne de mise en rapport « objectal » puisque le philosophe faisait

21 A noter que pour L. Perrin (1996, p. 51-85) l'amplification sous la forme de l'hyperbole

représente une figure élémentaire; or, c'est celle-là même que nous retrouvons dans le métaterme négatif.

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dériver cette figure d'un rapport sous-jacent de quatre à trois termes (cf. la métaphore est un produit; elle est l'expression résultant de cette mise en rapport contractée)22. Plus spécifiquement, entre la métaphore en XY et l'antithèse en Y, nous pouvons situer un type particulier de métaphore, appelé oxymore, qui radicalise cette rupture catégorielle (cf. Le soleil noir de la mélancolie) en opposant conflictuellement les deux termes.

En deuxième lieu, entre l'antithèse en Y et la réïtération en Z, on situera la notion de basculement d'un registre dans un autre; ou encore, d'une inversion de sens comme dans le cas typique du chiasme: Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. Le rapport n'est donc pas transféré par projection comme dans le cas diamétral du rapport homologique, les termes (relevant du même ensemble) ne sont qu'inversés. Il est à noter qu'une double inversion donnerait la palindromie, comme dans Amor—Roma, soit une équivalence par double asymétrie.

Dans l'ironie, nous avons le mouvement qui va de l'antithèse (implicite) vers un renversement des valeurs (du plus vers le moins), comme dans, C'est pas chouette ce que tu viens de faire là... avec « chouette », nous avons un terme (familier) valorisant la proximité, mais par inversion, nous obtenons quelque chose de très dévalorisant (étant donné que l'on conserve la connotation de familiarité). Comme dans le cas de, Il n'est pas bête, nous n'avons pas affaire à une simple négation mais à un basculement des valeurs qui renforce l'autre aspect (puisque nous sommes dans un paradigme du plus et du moins). Associé au métaterme d'une amplification, nous obtenons par contre une hyperbole ironique: C'est très-très fort ce que tu viens de faire là! Nous avons une similarité de contenu avec l'exemple précédent mais qui s'appuie sur la réïtération (qui, par amplification, donne l'hyperbole) et non sur l'antithèse.

En dernier lieu, je situerai entre l'homologie et la répétition la notion de métonymie comme déplacement + substitution. Nous retrouvons bien le couple instaurateur dû à Jakobson; mais par contre, ce ne sont pas des termes posés (corrélats initiaux) mais des termes dérivés (corrélats secondaires). Pourquoi?

22 Conception reprise par Perelman et Olbrechts-Tytéca (1959, tome II., p. 205).

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Parce que nous pensons qu'ils sont le produit de corrélations:

(iii) Positions dérivées de la métaphore et de la métonymie

homologie de rapports

métaphore (effet de rupture)

métonymie/ synecdoque (effet d'assimilation)

dissemblables semblables

Dans le cas de la métaphore, il s'agit d'une mise en correspondance entre deux domaines hétérogènes, subissant une contraction afin de produire l'effet de rupture (celui-ci rencontrant l'antithèse pour donner l'oxymore); dans le cas de la métonymie/synecdoque, nous avons une mise en correspondance au sein du même domaine, soit une homogénéité de rapports entre deux niveaux. À ce poste XZ, nous avons donc la synthèse, d'un côté, des qualités homologiques qui relèvent d'une similarité d'ensemble et d'une différence de niveaux, et de l'autre, des qualités de contiguité et de déplacement qui relèvent des principe de la répétition, (permettant ainsi une permutation dans un contexte de substituabilité). Pour nous, la synecdoque (la partie pour le tout, l'effet pour la cause, le contenant pour le contenu) peut être assimilée au principe général de la métonymie et elle ne correspond donc pas à une opération distincte (contrairement à la proposition du Groupe µ qui faisait de cette synecdoque un terme de transition entre métaphore et métonymie). Dans ces deux figures, nous avons un principe de substituabilité au sein du même univers de référence qui s'oppose à l'opération de rapprochement incongru de la métaphore. Dans ces deux cas, nous avons par contre une contraction qui produit, dans un cas, l'effet de rupture catégorielle, et dans l'autre, un mode d'ingrédience implicite. Au-delà de cette opération d'ellipse, on peut bien sûr engendrer par amplification une « métaphore filée » qui est une figure revêtant les aspects de la thématisation.

Donnons le tableau récapitulatif de ces différentes figures traduisant un mouvement tensif (tropes, phorie):

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(iv) Templum des tropes rhétoriques/poétiques

Métatermes: MT+: condensation (ellipse, mot-valise) MT-: amplification (hyperbole)

Corrélats initiaux: X : homologie comme transfert de rapports, inter-domaniale

(rapports analogiques) ou intra-domaniale (rapports partie-tout)

Y : antithèse (rapport d'opposition entre deux thèses, deux personnages, deux points de vue)

Z : répétition (reprise en écho, énumération)

Corrélats dérivés: XY: métaphore en tant que mise en rapport et rupture

(contraction, incongruence) YZ: interpolation (dédoublement et inversion comme dans la

figure du chiasme) XZ: métonymie/synecdoque en tant que mise en rapport et

déplacement (substitution de niveaux, détachement) créant des effets de sens, partie/tout, effet/cause, contenu/ contenant).

(iv') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: condensation # amplification

interpolation (chiasme, palindromie)

répétition (A, A, A,...)

antithèse (A vs B)

homologie de rapports

métaphore (2 domaines)

métonymie/ synecdoque (1 domaine)

interdomanial intradomanial

oxymore

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Dans la mesure où elle met en jeu des rapports de congruence-incongruence (rupture), de niveaux et de domaines distincts, d'opérations d'opposition, de répétition ou d'interpolation, etc., cette économie du sens figuré doit être rapprochée du principe d'idonéité, établi à propos des rapports entre l'identification, l'appartenance et l'inclusion. Nous avons des mécanismes comparables, où l'un permet de construire un ordre classificatoire (au sens large), et l'autre inversement, de construire des modes de franchissement entre ces domaines circonscrits relevant, rappelons-le, de la notion de domaines notionnels (sémantiques, encyclopédiques). C'est pourquoi, dans l'un et l'autre cas, on retrouve des aspects similaires comme celui d'une partonomie en tant que rapports de totalisation (ici, comme pars totalis), celui d'une répétition énumérative d'occurrences diverses, d'airs de famille jouant sur les identités et les différences; etc.

Ce dispositif des tropes a été principalement défini sous l'angle d'une formation des expressions (cf. énoncés poétiques, par exemple); mais il est évident que le même dispositif peut être généralisé à la formation des thèmes textuels (narratifs, ou descriptifs, axiologiques).

Par rapport à la fonction discursive des énoncés, les tropes constituent ainsi un mécanisme, à la fois, au-delà (en ce qu'ils peuvent constituer un canevas textuel) et en-deça, « bloquant » le sens de l'énoncé par rapport à son cotexte23; on ne peut ainsi ramener l'effet d'une métaphore comme, Soleil cou coupé (Apollinaire) à un énoncé de comparaison, ce qui trahirait sans aucun doute sa valeur foncièrement iconique. Ici, la figure « fait image » au sens où elle fixe un terme (par hypotypose) à la poursuite indéfini du sens.

Pour en revenir à l'ironie, on se rend mieux compte qu'il s'agit d'une figure de pensée aux aspects multiples en ce qu'elle associe plusieurs types de procédure représentés par autant de templa. Nous dirons ainsi qu'elle est l'association d'un double sens —lié au sous-entendu d'un côté et à la notion de sens figuré de l'autre— et d'une antithèse (implicite) « logeant » dans ce sens figuré; antithèse qui peut « glisser » vers un renversement des valeurs (du plus vers le moins), ou

23 Nous sommes toujours dans le cadre général des principes d'une instanciation énonciative-

énoncive. Dans ce schéma (vii) supra on voit bien qu'à la métaphore correspond un saut inter-domanial, une rupture dans le suivi discursif.

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bien, d'une répétition dont l'emphase, « trop grosse pour être vraie », fait basculer le sens en son contraire. Ainsi l'ironie comme interface entre ces types de procédure rassemble une diversité de propriétés (comme dans un tout autre genre, l'énigme) et c'est pourquoi elle est une figure qui fait résonner le langage sur lui-même.

Figure complexe par ses différentes facettes, on la dira éminemment symbolique en ce qu'elle agrége des mécanismes distincts qui s'avèrent toutefois complémentaires (cf. sous-réseau de templa (i) supra). IV.5. L'ÉLOGE ET LE BLÂME

Abordons l'ironie sous l'angle d'une évaluation; il s'agit donc d'une fonction judicative qui relève de ce qu'on peut appeler très largement des actes de langage24 . A ce titre, l'évaluation est une forme d'énonciation que je considérerai, là encore, d'un point de vue discursif et non pragmatique. Dans l'ironie, on introduit ainsi un contenu judicatif dont la forme est tributaire de ce mode de renversement rhétorique qui est le basculement de sens (cf YZ précédent) comme on a, inversement, l'amplification élogieuse: Il n'est pas bête, qui est beaucoup plus que le simple, Il est intelligent. L'évaluation dont nous parlons est donc un rapport entre éloge et blâme, ce que notait déjà, dès l'Antiquité, La Rhétorique à Alexandre (Perrin, 1996, p. 8).

Pour fixer les idées, j'emprunte à Fuchs (1996) cet exemple: Cette robe te va à ravir, c'est fou ce qu'elle t'amincit . Nous avons là ce qu'on appelle un « compliment en manche de veste »; généralement, dans cette formule, on débute par une reconnaissance publique (par exemple, qualités morales et intellectuelles d'une personne) puis à un moment donné, par basculement, le propos s'inverse en son contraire, détruisant ainsi l'image flatteuse qu'on a pu donner auparavant. C'est, par exemple, le sens remarquable de la grande tirade d'Antoine (Acte III, scène 2) dans le Jules César de Shakespeare. Nous avons là, dans le même mouvement —et j'insiste sur cette continuité phorique— un passage de l'éloge au

24 Cf. Réseau du sens II, Chapitre III.

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blâme. Là encore, une simple binarité ne rend pas compte de ce mouvement (et parfois, presque dans les mêmes termes) du positif au négatif.

Ce passage avec renversement se situe donc entre deux postes complémentaires, l'éloge et le blâme, qui sont deux façons extrêmes de porter des jugements sur des personnes (cf. C'est un génie! ; C'est un con!), des actions (cf. Ce que vous venez de dire est tout à fait remarquable!; Paul s'est conduit comme le dernier des imbéciles), des oeuvres... Ces jugements, où l'orateur s'implique, s'opposent à ce qu'on peut appeler le « sens critique » d'une évaluation faite de dosage du pour et du contre, où l'orateur introduit une distance par rapport à l'objet jugé; bref, où il cherche à traduire une certaine impartialité, comparée à l'engagement subjectif dans l'éloge et le blâme (où l'absence de distance crée une adhésion complète).

Ainsi, dans les termes de notre dispositif, nous placerons ce sens critique d'une évaluation au poste X qui exprime une neutralisation des effets positifs et négatifs qu'implique toujours l'opération de jugement (qu'on retrouve même dans les adverbes d'attitude, Heureusement, Jean est venu; Malheureusement, Jean n'était pas au rendez-vous); par rapport à cette position médiane, nous avons l'éloge (au poste Y) et le blâme (au poste Z). Cette triade bloque ainsi les positions extrêmes qu'offre toute possibilité d'évaluation puisque, entre ces termes, nous pouvons introduire des relations de passage qui expriment une échelle de valeurs relatives: entre un sens critique neutralisant et un éloge, nous avons en XY les encouragements qui peuvent être plus ou moins « appuyés »: C'est bien, C'est pas mal, C'est très-très bien;... ce sens de l'encouragement va de plus en plus vers l'éloge inconditionnel s'il n'est pas contrebalancé par des reprises critiques.

Inversement, entre le même sens critique qui exprime une pondération et le blâme, nous avons en XZ les reproches qui sont également graduables, mais dans un sens négatif: C'est pas très bon, C'est assez mauvais, Ce serait mieux s'il n'avait pas commis telle gaffe,... L'absence de contrebalancement (introduit au moyen de comparaisons) peut aller jusqu'au blâme extrême, C'est inexcusable, qui exprime ainsi, comme l'éloge mais complémentairement, un jugement absolu. On voit ainsi que la fonction judicative peut s'étendre très facilement sur plusieurs énoncés liés par des comparaisons, des reprises, concessions, restrictions, etc., un

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seul énoncé exprimant par contre un jugement définitif, sans appel. Par rapport à la modalité discursive des énoncés et par rapport au mécanisme des tropes, nous avons ainsi un autre type de procédure qui vient d'ailleurs les compléter dans le cas de l'ironie.

Du fait de leur caractère extrême, nous n'avons pas apparemment de moyen terme direct entre l'éloge et le blâme, leur médiation passant plutôt par leur neutralisation au poste X. Or un « compliment en manche de veste », situé au poste YZ (diamétralement opposé au jugement critique) joue ce rôle pseudo médiateur, amenant obligatoirement l'étonnement de l'auditoire: élever quelqu'un pour le rabaisser, peindre le portrait pour en signaler les grimaces,...Il s'agit bien d'un mouvement (asymétrique puisqu'on va de l'éloge au blâme) et non d'un centre d'évaluation, d'une stratégie quelque peu perverse en ce que l'on flatte pour mieux châtier, en ce que la procédure est finalement sans appel (puisqu'elle est sans débat). L'ironie mordante participe de cet esprit; elle prend sa source dans cette distorsion judicative.

Enfin, nous ajouterons que les métatermes de ce nouveau templum résident dans la personnalité de l'évaluateur; mais comment l'évaluera-t-on, me direz-vous? Eh bien, par la façon dont celui-ci articule ses propos, qu'ils soient positifs ou négatifs; « juger » n'étant évaluable que par le caractère des énoncés tenus, l'auditoire ne peut s'en remettre qu'au sens évaluatif de ceux-ci, « mesurés » à l'aune des rapports gradués que nous avons introduits dans le templum entre l'éloge, le blâme et le sens critique. Ces métatermes seront ainsi ceux d'une partialité et d'une impartialité, reflétant une « pondération » de la personne qui juge. Même dans le cas de ce qui est appelé, « compliments en manche de veste » où, apparemment la procédure s'avère quelque peu perverse puisqu'on fait l'éloge pour finalement blâmer, un auditoire peut se faire un jugement de l'évaluateur en le considérant comme partial ou impartial et, par exemple, dans le cas de ces types de compliment, il peut considérer les propos tenus comme « mérités » ou « non mérités » par la personne dont on parle. L'évaluation n'est donc plus en termes de qualités ou de défauts mais en ceux (pour l'évaluateur) de crédit ou de discrédit.

Résumons ces différentes formes de l'évaluation (qui peut se faire à deux niveaux) par le dispositif suivant:

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(v) Templum d'un éloge et d'un blâme

Métatermes: MT+: partialité MT-: impartialité

Corrélats initiaux: X : position critique (mesurer le pour et le contre) Y : éloge Z : blâme

Corrélats dérivés: XY: degrés d'encouragement (exprimé par une échelle en plus

ou moins) YZ: « compliment en manche de veste » XZ: degrés de reproche (exprimé par une échelle en plus ou

moins)

(v') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: partialité # impartialité

compliment en manche de veste

blâmeéloge

position critique

degrés d'encouragement

degrés de reproche

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IV.6. LES INTONATIONS DE LA VOIX

Dans l'ironie, l'intonation est constitutive. Sans elle, bien souvent, nous ne comprendrions pas en quoi l'énoncé est ironique; dit sur un autre ton, sérieux, agressif,... celui-ci perdrait tout son sens de persiflage. Comment représenter cette intonation de la voix par rapport à d'autres? On voit bien qu'une hypothèse propositionnaliste comme celle de Sperber et Wilson ne permet pas de saisir cet aspect saillant du phénomène et c'est pourquoi ils renvoient la signification de l'ironie à ses fonctions contextuelles. On se réfère donc à l'intonation, on s'y réfère comme à un phénomène essentiel, mais on ne peut l'inscrire fondamentalement dans le mécanisme même de la figure. Inversement, un modèle structural comme celui de la sémiotique d'A.-J. Greimas ne permet pas non plus d'enregistrer dans ses couples d'opposition tranchés le caractère à la fois discontinu (distinctivité) et continu (transition) qu'offre cette intonation par rapport à d'autres. En effet, nous sommes proches ici de considérations quasi musicales en ce que, entre différents régimes de la parole, nous avons des transitions qui font passer continûment du sérieux au ludique, ou du sérieux au dramatique25. Le templum que nous proposons fonctionne donc comme un résonateur dont le but est de manifester par la voix des intentions sous-jacentes. Nous retrouvons un critère de double sens, soit d'un double niveau de langage parfaitement entendu par les interlocuteurs dans sa simultanéité.

Au premier abord, il paraît difficile de « paradigmatiser » (introduire une déclinaison en valeurs discrètes) ces formes intonatives car il semble bien que leur nombre est indéfini. Or ce n'est pas exact si l'on part du principe qu'elles entrent dans des registres rhétoriques de la parole, indépendamment du fait que celle-ci appartiennent à des hommes et des femmes, des adolescents et des adultes. Comme dans l'art vocal, nous avons des régimes codés (en hauteurs, par exemple) et je reprendrai ici— à la suite de G. Genette (1983, p. 39) dans son Palimpsestes— ce que Goethe a proposé dans ses Dichtarten, reposant comme on le sait sur une tripartition. 25 À propos de ce type de régime continu, l'un est propre à la musicalité, l'autre à la discursivité.

Ceux-ci sont différents dans la mesure où chaque templum offre catégoriellement une « entrée » distincte, ayant ses propres caractéristiques (il existe toutefois des genres mixtes comme les airs d'opéra)

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Notre templum va s'appuyer au départ sur trois dimensions de base qu'une intonation (non-syntaxique mais mélodique) peut revêtir. Je dis non-syntaxique car, à propos de l'interrogation, de l'exclamation, de l'interpellation, etc., nous avons des modalités qui s'inscrivent syntaxiquement dans le discours et qui caractérisent la voix par des types de formant. Or, nous allons la caractériser par des régimes thymiques:

a) un ton sérieux qui est celui de la simple adhésion à nos propos (sans autre forme d'intention), de la conversation courante lorsqu'elle n'est pas investie d'un quelconque affect (attirance, rejet); on va voir finalement que ce registre correspond à une neutralisation par rapport à d'autres et qu'il en constitue la norme;

b) un ton polémique qui est celui de la manifestation d'opposition (d'un rapport conflictuel en termes actantiels), de combativité, de rémontrance quand nous sommes dans des rapports asymétriques (le père qui dispute ses enfants, le patron en colère contre sa secrétaire; etc.). Dans tous ces cas, nous avons une charge agressive qu'il n'y a pas dans le ton sérieux.

c) Enfin, un ton ludique comme, par exemple, lorsqu'on blague, lorsqu'on raconte une histoire drôle accompagnée ou non d'éclats de rire (manifestation proprement somatique distincte de la voix). Par rapport aux deux précédents registres nous avons donc un ton enjoué (la plaisanterie).

Nous pouvons répartir ces trois types de régime dans le templum: le ton sérieux (ou grave) au poste X, le ton polémique au poste Y et le ton ludique au poste Z. Notre hypothèse, dérivée ici des recherches de Goethe, est donc que nous pouvons saturer (par variation) l'ensemble des différents types d'intonations discursives (elles ne sont, ni syntaxiques, ni psychologiques; nous dirons également que les pleurs, les cris, les rires, ne font pas partie de cette définition en ce que ces manifestations somatiques ne sont pas articulables au même titre qu'un ton dramatique ou moqueur).

Les métatermes de ces différents régimes sont, d'un côté, la notion d'intonation comme figure mélodique générale, comme type de débit (pensons à la différence entre un ton normal et un ton dramatique); de l'autre, la notion de pause comme silence intercalaire, comme silence qui précède ou qui suit une

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interrogation, une réponse,... Ce phénomène de pause peut ainsi se joindre au non-dire: c'est alors un silence d'acceptation, de doute, de refus implicites (dans ce dernier cas, équivalent au ton polémique mais contraint par la bienséance). La notion de pause rythmant la chaîne discursive a donc ici une valeur de ponctuation dans la conversation, notion fondamentale au regard de l'interactionisme comme celui de l'école Palo Alto issu des travaux de Bateson.

Introduisons maintenant cette variation au moyen de nos trois termes mixtes: entre le ton sérieux et le ton polémique, nous avons le ton dramatique (XY); celui-ci exprime une tension de l'énonciateur laquelle peut ou non manifester une agressivité vis-à-vis de l'énonciataire. Disons que le ton dramatique exprime une violence propre plus ou moins contenue (on pourrait l'associer à des phénomènes de climax intensif, de « crise » entre une attente et un relâchement).

Entre le ton polémique et le ton ludique, nous avons par contre la moquerie en YZ (qui devient satire à l'écrit); celle-ci est ouvertement orientée vers un objet ou un sujet puisqu'elle tente de dénoncer un état de fait, des travers, etc. Elle est polémique en ce qu'elle agresse l'autre et même elle attend de ce dernier une réaction plus ou moins vive (cela peut devenir une joute verbale comme dans les scènes de ménage). Elle est ludique en ce que le caractère drôle permet de neutraliser la charge d'agressivité que peut comporter cette moquerie. Rappelons, à propos de ces termes intermédiaires que nous avons toujours une variation en degrés entre des pôles, ou encore, une oscillation puisque se rapprocher de l'un implique s'éloigner de l'autre. Ainsi, la moquerie peut être plus ou moins méchante (par rapport au poste Y) ou plus ou moins drôle (par rapport au pôle Z). De toute façon, elle représente l'exact opposé du ton sérieux, que celui-ci soit simplement « normal », « posé » ou « grave » (docte).

Enfin, entre le ton sérieux et le ton ludique, nous avons le ton humoristique, pince-sans-rire, où l'on prend une certaine distance vis-à-vis de ce dont on parle et vis-à-vis de ce dont on en dit. L'humour, contrairement à l'ironie, n'est pas orienté vers l'énonciataire mais vers le propos énoncé; c'est pourquoi il n'est pas agressif mais exprime une distance, une opinion personnelle à laquelle l'énonciataire peut ou non adhérer. Son ton, qui exprime un décalage (on parlerait d'un « débrayage » thymique dans la sémiotique d'A.-J. Greimas (1979, p. 79)), permet aux interlocuteurs de s'entendre dans le non-dire, donc dans un double

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sens possible. Il ne s'agit donc pas de se moquer ouvertement de quelqu'un mais de prendre ou de garder ses distances. Bref, l'humour ne peut être foncièrement méchant.

Où situer alors l'ironie? Elle est bien sûr proche de l'humour en ce que tous deux usent d'un double sens, du détachement du locuteur vis-à-vis de ce qu'il énonce; mais elle est aussi du côté de la moquerie en ce qu'elle se permet d'être polémique, en ce qu'elle interpelle l'énonciataire (ce que l'humour ne fait pas; disons plus précisément que l'ironie laisse entendre qu'on interpelle celui-ci). Bref, nous dirons de l'ironie qu'elle est ici « à cheval » entre deux tendances autour du pôle Z (ludique), tendant plus ou moins vers l'un ou l'autre des postes X et Y complémentaires. Elle est donc instable: d'un côté, elle peut être fine comme l'humour, mais de l'autre, elle peut être cinglante, et là, nous retrouvons le caractère agressif de la polémique; d'où la possibilité d'une certaine réaction violente de la part de l'interpellé qui se sent menacer par le propos ironique. Mais l'ironie étant instable autour du pôle Z, on a toujours la possibilité de se retrancher, de se rabattre sur l'autre tendance (l'humour): Mais je n'ai jamais voulu dire ça! Qu'est-ce qui te fait croire que je pensais ça!...Bref, l'ironie est un faire-semblant, un dire sans être dit.

Récapitulons ces différents mouvements entre régimes de l'intonation discursive au moyen de la distribution suivante:

(vi) Templum des intonations de la voix

Métatermes: MT+: intonation (courbe mélodique) MT-: pause (intervalle, silence)

Corrélats initiaux: X : ton sérieux (ordinaire, posé, grave) Y : ton polémique (conflictuel, agressif) Z : ton ludique (plaisanterie)

Corrélats dérivés: XY : ton dramatique YZ : ton moqueur XZ : ton humoristique

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(vi') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: intonation # pause ton

sérieux

ton polémique

ton ludique

ton dramatique

ton humoristique

ton moqueur

Ces intonations, constitutives d'inflexions particulières, prennent place

dans une grande syntagmatique qui exprime une durée (celle de la conversation, par exemple); l'enchaînement discursif revêt ainsi la forme d'une variation permanente en occurrences/types (référés au présent registre) avec des modes de transition entre eux et une ponctuation faite de pauses/silences. Nous obtenons ainsi une partition (au sens musical) qui exprime le signifiant phonique du discours. IV.7. POUR CONCLURE: LA SCÈNE DE LA PAROLE

Nous venons de définir une dynamique de renvois entre les différents templa constituant les bornes de ce mini réseau de templa.

Une information peut « entrer » dans un dispositif par une porte et en ressortir par une autre: ainsi, de sens figuré à tropes, on peut entrer, soit par l'antithèse, soit par la répétition qui devient hyperbolique par amplification, et en « sortir » par un basculement de sens (interpolation); c'est ce dernier poste intermédiaire qui sera mis en relation avec le jugement d'évaluation où l'on a, en particulier, ce grand mouvement rhétorique appelé « compliment en manche de veste » dont le statut est ambivalent. L'intonation « chapeaute » tout ce processus de renvois pour en donner une image synthétique (sensible) se fondant à nouveau

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dans les modalités discursives de l'énoncé sous la forme d'un signifiant phonique (l'ironie peut correspondre ainsi à une brève accentuation de la parole, une inflexion rhapsodique, parfaitement compréhensible toutefois).

Au-delà de la constitution des templa à laquelle nous avons procédée au fur et à mesure, nous avons donc une matrice de mises en correspondance où l'on peut repérer les différents modes de renvoi de templum à templum. Dans notre cas, l'expression globale serait: < ironie > en ce que, au-delà de tous les exemples que nous pouvons rencontrer, nous avons une figure typique par rapport à d'autres: l'humour, l'insulte, la dispute (comme dans les scènes de ménage), etc. Soit le tableau:

(vii) Matrice de mises en correspondance associée à l'< ironie >

double sens(sous-entendu)

sens figuré

énonciation: < cotexte > (Partie I, (iv-iv'))

sens figuréantithèse interpolation

ourépétition (en écho)

interpolation (= amplification)

instance judicative

« compliment en manche de veste » (louange/blâme, ambivalence)

vérité (cf. Vol.II, Partie 6)

véricondition (acte de langage)

véridiction (tromperie, secret)

conclusion: ambivalence (ludisme)

humour

moquerie ( polémique)

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L'ironie est ainsi, comme phénomène global, le produit de quatre instances: double sens, antithèse et/ou répétition, instance judicative (avec, pour corollaire, le rapport au vrai), ludisme (à titre d'ambivalence), dont découlent dans l'ensemble des propriétés présupposées (mises entre parenthèses) ou consécutives, selon les lois de chaque templum. Bien entendu, il n'est pas dit que ce phénomène global correspond à une seule matrice; nous pourrions en disposer d'une autre (cf. qui passerait, par exemple, par les propriétés de la mention comme « paroles rapportées », suivie des rapports entre actes de langage) et qui représenterait ainsi une variante, soit un cheminement différent dans le réseau. Toutefois, entre ces différentes possibilités, nous aurions des points communs qui nous permettraient de les mettre en rapport, obtenant ainsi une sous-matrice commune.

Une chose est restée en suspens dans cette présentation: c'est celle du statut de la vérité puisque nous avons dit que l'ironie était un faire-semblant, qu'elle peut être même une contre-vérité flagrante. C'est là que nous devrions évoquer sa valeur argumentative par rapport à d’autres figures puisque nous avons parlé d’une vériconditionnalité et d’une véridiction; entre l'une qui exprime une quête du vrai et l'autre qui exprime un jeu de duplicité possible, nous avons une dialectique affichée par l'ironie. Celle-ci ne trompe pas mais provoque l'autre jusqu'à cette contre-vérité flagrante28.

Comme je l'ai annoncé, je terminerai cette approche de l'ironie en abordant l'analyse des rôles énonciatifs que tiennent les interlocuteurs réunis dans un face-à-face, ce que j'ai appelé la Scène de la parole en ce qu'elle fait penser à un théâtre de la vie quotidienne.

Cette structure de rôles est à la base d'une théorie de la communication et nous permettra, une fois de plus, de montrer le bien-fondé de notre schéma triadique. Le plus souvent, ces rapports communicationnels sont basés sur des structures duales entre un émetteur et un récepteur, entre lesquels existe un va-et-vient constant, que ce soit dans le dialogue entre deux personnes ou dans le monologue où le locuteur se dédouble. Or nous allons voir que notre dispositif triadique impose un tiers terme que nous définirons comme « témoin » du processus d'échange. C'est cette présence tierce qui nous permet de différencier ce qui est communication publique (réclamant trois personnes au minimum) et 28 Cf. Réseau du sens II, Sixième partie, Chapitre II.

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communication privée qui se réduit à deux personnes (dialogue). Celui-ci est donc, à titre de rôle (même s'il ne parle pas), un critère permettant de départager ces deux modes situés au niveau des métatermes: une communication sera publique ou privée suivant qu'il y a (ou non) un témoin. IV.7.1. LES RÔLES ÉNONCIATIFS Abordons ainsi la structure générale de ces rôles dont la place, dans le réseau de templa, est dans le prolongement direct de la logique d'une instanciation puisqu'elle va spécifier les positions/moments des énonciateurs au sein d'une énonciation générale. La notion d'énonciateur (rôle) est donc bien distincte de celle de locuteur (individu) puisque celui-ci peut jouer sur plusieurs rôles. En premier lieu, nous avons ainsi un couple qui instaure le rapport dialogique: d'un côté, nous avons l'énonciateur comme étant « celui qui parle »;. de l'autre, nous avons l'énonciataire comme étant « celui qui écoute » (cela peut être un individu ou un collectif comme dans le cas d'un auditoire). Le tout forme l'espace-temps situé de la communication dans laquelle on notera l'asymétrie de départ: si l'émission ne peut être qu'unique (on ne peut parler à plusieurs à la fois), par contre la réception peut-être plurielle. Ce rapport entre l'énonciateur et l'énonciataire est un « contrat fiduciaire » implicite (Greimas et Courtès, 1979, p. 69) qui peut être, soit symétrique (cf. alternant, comme dans la conversation), soit asymétrique (cf. unidirectionnel, comme dans les discours tenus devant une assemblée). Le droit de réponse (ou son absence) fait ainsi partie de ce contrat fiduciaire dont le mode communicationnel sera situé en YZ, terme mixte qui relie les co-énonciateurs alternativement. Ce mode de l'échange est important en ce qu'il fixe la nature de celui-ci, qu'il soit verbal ou écrit (comme dans les échanges épistolaires), ou même représentationnel (comme dans le cas du théâtre où la valeur de ces échanges n'a pas le même sens que dans la réalité). Enfin, ce contrat peut varier au cours de l'échange puisqu'il est basé au départ sur une entente des deux parties: « parler à quelqu'un », « écouter quelqu'un », constituent un accord tacite (que l'on peut « signifier » tout au long de l'échange par des petits signes d'acceptation ou de réticence); il peut donc osciller entre la coopération, pour parler le langage de Grice (1979), et la polémique lorsqu'il y a désaccord, remise

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en question du contrat; enfin, cessation par rupture plus ou moins brutale (dispute, altercation).

Nous avons inscrit dans le templum la relation de base du rapport communicationnel qui peut être un rapport d'échanges verbaux, écrits (lettres) ou de mise en scène dans le cas du théâtre29. Nous allons finalement compléter cette relation par d'autres rôles qui se présentent plus indirectement.

Comme nous l'avons précisé, la fonction témoignante, que nous situerons au poste X, constitue un pivot en ce qu'elle permet de différencier les deux types de communication (un entretien amoureux se passe de témoin); dans cette fonction de témoignage il y a donc un facteur d'hétérogénéité, d'extériorité, qui l'oppose globalement aux protagonistes qui s'entretiennent. Le témoin n'est pas directement dans l'échange verbal; il offre un point de vue extérieur qui lui permet d'intervenir ponctuellement dans son déroulement. D'un côté, le témoin peut être un informateur transmettant une message venant de l'extérieur de la Scène de la parole; de l'autre, il peut jouer le rôle d'arbitre dans une conversation (cf. en apportant des précisions, en rappelant des vérités qu'il est bon de dire; dans une assemblée, c'est le rôle du président qui s'élève « au-dessus des parties » en litige, du modérateur qui distribue les tours de parole afin de prévenir la

29 Dans un autre registre, ce dispositif d'énonciation, intégré à la sémantique du discours, permet

d'expliciter des opérations de description des lexies. Ainsi, reprenons l'exemple de < livre > tel que nous l'avons considéré auparavant à partir de l'exemple de Kleiber:

a) indépendamment de ses aspects matériels, nous dirons que cet objet renvoit à une communication publique (à l'encontre de « manuscrit » ou de « lettres » qui expriment une communication privée);

b) le < livre > est un témoignage (d'une époque, d'un style, d'un auteur) en tant qu'oeuvre diffusée; il entraîne ou non une certaine rumeur à sa parution, ou bien il est le porte-parole de certaines idées (comme dans un « Manifeste » poétique ou politique);

c) enfin le < livre > est, soit thème de production en tant qu'« écriture », soit thème de réception en tant que « lecture » . Bref, le < livre > est un contrat fiduciaire en tant que parole écrite, donc différée (par l'écriture) au contraire du < théâtre > qui représente, comme spectacle, une parole immédiate (mais figée par rapport à la conversation courante dans la mesure où le texte est plus ou moins arrêté). Plus exactement, le théâtre constitue un redoublement du dispositif communicationnel en entier, auto-enchâssé dans la notion d'échange communicationnel.

Nous avons donc une homologie de rapports entre les termes d'une Scène de la parole et une sémantique de l'expression < livre > telle qu'elle a été proposée auparavant.

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confusion). Enfin, comme nous l'avons vu à propos d'une fonction judicative, l'auditoire peut témoigner vis-à-vis de la partialité ou de l'impartialité de la personne qui porte des jugements (faisant de cette instance judicative un acte complexe à deux niveaux, associés et/ou dissociés). Ainsi le crédit ou le discrédit de la personne évaluatrice va dépendre de ce témoignage collectif.

Le témoignage peut être ainsi actif (cf. il use de la parole temporairement) ou passif (cf. muet); sujet ou objet. C'est ainsi le rôle témoignant des objets de preuve dans un litige, au sujet des actes délictueux (crime notamment). Tous ces termes nous permettent de comprendre ce que représente une communication publique comme Scène de la parole comportant une multiplicité de rôles en interaction, en particulier, des témoins (sujet ou objet) qui offrent un regard venant de l'extérieur et qui sont essentiels à la légitimité des actes produits.

Entre cette fonction de témoignage et les protagonistes de la relation d'échange, nous situerons les deux rôles intermédiaires; en XY, nous introduisons des considérations empruntées aux travaux de Z. Guentchéva30; celle-ci a mis en évidence le fait que dans certaines langues il existait (sous une forme grammaticale) des modes afin d'exprimer que les informations reçues n'étaient pas directement perçues mais transmises par l'intermédiaire de moyens qui ne dépendaient pas directement du locuteur; ou encore, dont l'information reçue l'a été par certains moyens de perception (cf. le tact, l'écoute,...) ou un tiers. Dans tous ces cas, le « médiatif » catalyse la valeur d'une information qui n'est pas d'observation directe et qui ne relève pas uniquement de la rumeur anonyme. Le médiatif atteste de la validité des informations transmises (c'est pourquoi cette fonction est dérivée du témoignage) et c'est pourquoi l'énonciateur peut, de son côté, se sentir partiellement désengagé.

Inversement, au poste XZ, nous situons le rôle de la rumeur qui est, par définition, une parole anonyme. Cette rumeur est indirectement témoignante puisqu'elle peut colporter des nouvelles, faire circuler une information sous le couvert de l'anonymat; ce sont les « bruits qui courent », les « ouï-dires dont on a entendus parler », le « on-dit » invérifiable (On dit qu'untel, il boit,... On dit 30 Cf. Z. Guentchéva, Paris, 1995, p. 301; également, J.-P. Desclés et Z. Guentchéva, , Paris-X,

1996. Bien qu'en français nous ne disposons pas de mode grammatical spécifique, ce médiatif peut emprunter certaines tournures, comme dans cet exemple où l'on précise le moyen:

J'ai vu de mes yeux vu le voleur s'enfuir par la fenêtre

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qu'untel il sort le soir, et c'est pas pour promener son chien; c'est ma voisine qui m'a dit ça...). C'est donc une parole qui échappe entièrement à la responsabilité des co-énonciateurs, lieu des ragots, des médisances, des calomnies faciles; bref, la parole insaisissable qui fait le « fond » de la rumeur publique comme le « bruit de fond » dont parlent les physiciens à propos de l'univers. Il s'agit donc de sources d'information diffuses, à l'opposé de ce qu'est la parole de l'énonciateur en Y qui doit assumer la portée de ses propos.

Autre aspect également de ce ouï-dire: celui d'une amplification de la réception afin de témoigner son accord ou son désaccord; ceci n'est pas dit sur le mode de la parole (comme dans les remerciements, les voeux,...), mais sur celui de la clameur, comme dans les Hourra!, Bis!, les applaudissements, ou bien les Hou! Hou!, Sortez-le!, les sifflets, ... Bref, une parole publique, confuse. Dans tous ces cas, il ne s'agit pas d'une parole officielle, exprimée clairement mais d'une clameur anonyme, plurielle, irresponsable qui est à la limite d'une communication articulée (mais qui témoigne d'un mécontentement).

Récapitulons ces différentes facettes par le templum suivant:

(viii) Templum de la Scène de la parole

Métatermes: MT+: communication publique (trois personnes minimalement) MT-: communication privée (dialogue à deux)

Corrélats initiaux: X : témoignage (tiers terme en tant que sujet informateur ou

objet de preuve de ce qui est dit; en tant que légitimation d'un statut)

Y : énonciateur (celui qui parle, source d'information) Z : énonciataire (celui qui écoute, individu ou collectif)

Corrélats dérivés: XY : médiatif (moyens par lesquels une information est trans-

mise, indices ou tiers) YZ : contrat d'échange (oral, écrit; direct, indirect; transposé) XZ : rumeur (paroles anonymes, bruit qui court; clameur appro-

batrice ou désapprobatrice)

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(viii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: com. publique # com. privée

témoignage

information preuve

énonciateur énonciataire

médiatif rumeur

dialogue

direct transposé

En revenant finalement au thème de l'ironie, nous obtenons grâce à cette définition de la Scène de la parole le contexte perlocutoire qui permet de saisir l'échange implicite sur lequel joue l'ironie; c'est pourquoi nous comprenons que celle-ci est une communication à trois personnes et non seulement à deux puisque c'est dans l'attitude du témoin que nous pouvons voir si l'ironie a réussi ou pas (retour final à notre exergue initial).

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CINQUIÈME PARTIE: L'« OBJET QUELCONQUE »

ET SON ASPECTUALISATION

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Oublions les choses, ne considérons que les rapports

Braque

Dans la Deuxième et Troisième parties, nous avons abordé la question d'une détermination référentielle du point de vue de la désignation, de la dénomination et de sa normalisation en tant que prototypie constitutive des classifications. Nous allons aborder maintenant la question de l'objet sous l'angle de ses qualifications comme objet-monde, le fait qu'il puisse être décrit comme un être ayant une consistance « mondaine » (en relation avec le discours).

Pour cela, il nous faut partir de la conception la plus générique qui soit, celle de l'« objet quelconque », un peu à la façon dont Gonseth (1937) parlait d'une « logique de l'objet quelconque »; de même qu'un « triangle » quelconque est un triangle ni isocèle, ni équilatéral, ni rectangle,... et cependant il est quelque chose, nous voudrions constituer cet objet de discours à partir d'une minimalité générique distincte de la désignation (qui est un acte) et de la dénomination (conduisant à une description) et de la prototypicité (qui est une évaluation). Là encore, nous devons dégager des opérations cognitives qui nous permettent de définir sa nature, non pas hors discours, ce qui serait un tout autre projet (cf. celui d’une phénoménologie, par exemple) mais à travers celui-ci. C'est ce que nous allons appeler une aspectualisation, l'expression utilisée étant plus large que celle des propriétés spécifiquement grammaticales, comme lorsqu'on parle des valeurs aspectuelles associées aux temps des verbes (dans les langues slaves, par exemple). On parlera ainsi d'une aspectualité temporelle en tant que processus de déroulement (état, procès, événement), d'une aspectualité spatiale (différents types de localisation), ou encore celle que nous rencontrons dans des processus organique (genèse)1, de totalisation/détotalisation.

1 On retrouve cette notion élargie de l'aspectualité dans les travaux de B. Pottier ou de J.-P.

Desclés.

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En cela, nous retrouvons le schéma (i) supra de la Deuxième partie où nous avons une grande latitude entre le niveau des schémas syntaxiques et le niveau d'une polysémie sémantique. Entre ceux-ci, nous avons une logique, non pas hiérarchique (de dépendance du second par rapport au premier), mais d'auto-organisation où le montage fonctionne dans les deux sens. C'est pourquoi, l'objet de discours en tant que « physique » (au sens où l'entendait les Grecs, c'est-à-dire, des processus organiques) peut être aussi bien celui du langage ordinaire (système de repérage des sujets et des objets) que celui d'une poétique où l'énoncé fait monde, parfois même, le mot fait monde (comme dans la poétique de Mallarmé).

Cet objet, comme lexis ayant son propre système de référence à travers ce double niveau syntaxique et sémantique, se présente ainsi au départ comme le croisement d'une quantité (au sens d'un dénombrement, d'un ordonnancement, d'une mesure) et d'une qualité (indénombrable, non-ordonnable mais cependant perceptible). C'est à partir de cette articulation minimale que nous pouvons déployer deux axes, l'un vers une topologie des ordonnancements, l'autre vers une qualification aspectuelle de type spatio-temporel. Dans la Première partie, nous avons ébauché une notion de « lieu intersubjectif » en tant que modes d'une instanciation localisatrice des énonciateurs (cf. temps situé, moment dialogique; co-énonciation; etc.). Nous abordons maintenant la question d'une aspectualité associée au temps et à l'espace référents en tant que constitutifs d'un monde dans lequel nous vivons implicitement,... ces formes de processus (notions, temps, espace, localisation, totalisation) nous permettent de retrouver le sens d'une description et d'une spécification des entités que nous avons abordées, mais d'un autre point de vue (celui d'une inter-objectivité aspectuelle et non d'une inter-subjectivité énonciative).

Le mouvement proposé est finalement l’envers d'une démarche classificatoire à partir de la grande variété des données empiriques; par contre il est proche de ce qui fit le fond de la variation/réduction phénoménologique (l’epokè husserlienne (1972 [1913])). Au lieu d'abstraire pour obtenir des classes de plus en plus réduites, nous enrichissons des objets en tant que formes élémentaires; au lieu de hiérarchiser par simplification, nous thématisons des qualités de plus en plus concrètes. Nous verrons finalement que ces deux démarches peuvent se rejoindre dans une restitution épistémologique de ces « lieux de vie » que nous cherchons à décrire, des « corps » qui les animent.

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V.1. CATÉGORISER L'OBJET GÉNÉRIQUE

Dans un article qui fit date, puisqu'il suscita de nombreuses réactions de la part des philosophes (Vuillemin, Derrida), Benveniste mit en parallèle les catégories de la langue grecque avec celle de sa philosophie —plus spécifiquement, celle d'Aristote dans ses Catégories (chapitre IV)— allant même jusqu'à les assimiler (1966, p. 63-74); l'expression de « catégories », avec son corrélat Table des catégories en tant que déclinaison paradigmatique, est le lieu d'articulation entre ces deux manifestations (la langue, la pensée), et ce sera notre point de départ:

Chacune des expressions n'entrant pas dans une combinaison signifie: la substance; ou combien; ou quel; ou relativement à quoi; ou où; ou quand; ou être en posture; ou être en état; ou faire; ou subir. “Substance”, par exemple, en général, “homme”; “cheval”;— “combien”, par exemple “de deux coudées; de trois coudées”; “quel”, par exemple “blanc, instruit”;— “relativement à quoi”, par exemple “double; demi; plus grand”;— “où”, par exemple “au Lycée; au marché”;— “quand”, par exemple “hier, l'an passé”— “être en posture”, par exemple “il est couché; il est assis”;—“être en état”, par exemple “il est chaussé; il est armé”;— “faire” par exemple “il coupe; il brûle”;— “subir”, par exemple “il est coupé; il est brûlé”. Aristote pose ainsi la totalité des prédicats que l'on peut affirmer de l'être, et il vise à définir le statut logique de chacun d'eux. Or, il nous semble —et nous essaierons de montrer— que ces distinctions sont d'abord des catégories de langue, et qu'en fait Aristote, raisonnant d'une manière absolue, retrouve simplement certaines des catégories fondamentales de la langue dans laquelle il pense. Pour peu qu'on prête attention à l'énoncé des catégories et aux exemples qui les illustrent, cette interprétation, non encore proposée apparemment, se vérifie sans longs commentaires. Nous passons en revue successivement les dix termes.

Finalement, Benveniste assimile terme à terme catégories de langue et

catégories de pensée, ce que nous ne chercherons pas à faire; il y a une homologie entre ces expressions et, curieusement, lorsque le linguiste cherche à réduire ces catégories linguistiques au minimum, il arrive au chiffre de six catégories de prédicables (Op. cit., p. 66).

Nous allons procéder différemment, bien que nous suivrons dans l'ensemble cette démarche puisque nous pensons que ces catégories font partie d'une faculté de langage (Op. cit., p. 74) qui structure la pensée.

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Ceci nous amène à définir un nouveau mini réseau de templa, comparable à celui proposé dans la Présentation et qui nous a permis d'avoir une vision d'ensemble de la problématique développée au cours des quatre premières parties. Nous allons procéder de façon similaire avec la notion d'aspectualité laquelle sera analysée globalement sous la forme de ce second mini réseau de templa:

(i) Le mini réseau de templa (aspectualité)

agrégation désagrégation

prospectif rétrospectif

gr. intensive gr. extensive

homogénéité hétérogénéité

sérialité

complétude incomplétude

successif simultané

jonction disjonction

dessous dessus

microcosme macrocosme

Comment préciser un sens de parcours dans ce mini réseau de templa ? Au centre de celui-ci, nous avons des phénomènes processuels en tant que déroulement; phénomènes fondamentaux qui tournent autour de la notion de complétude-incomplétude (cf. accompli-inaccompli dans le vocabulaire linguistique). Or ce sens comme déroulement (avec ses différentes phases) renvoie à des modes plus généraux; ce seront ceux que nous introduirons sous le titre de successivité/simultanéité en tant que définition de ce qu'est un état (stationnaire), un procès (action, mouvement), un événement (interruption); successif et simultané précisent le fait que nous sonmmes en présence d'un ou de plusieurs processus en cours.

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Enfin, dernière étape dans cette notion de déroulement: nous introduirons sous le nom de prospectivité et de rétrospectivité le sens d'un point de vue sur ces modes d'accomplissement lesquels ont un type d'orientation vers des points d'arrivée (cf. accomplissement progressif « vers un avant » et régressif « vers un arrière »).

Toutefois, les conditions générales de cette notion de processus ne sont pas remplies; nous devons savoir également qu'elle est la nature de ces « objets ». Tout phénomène est-il processuel? C'est ce que nous allons considérer en premier en définissant le rapport entre les notions de grandeur intensive et de grandeur extensive3. Pour qu'il y ait mouvement directionnel, il faut des objets qui soient désignables comme entités localisables. Bien sûr, les énoncés, La mer est en mouvement, La mer est agitée, Elle est le lieu de mouvements incessants,... expriment une agitation mais on dira alors que ce substrat est un « milieu » et non une « totalité » circonscrivable au moyen d'une limite et composée . Il faut donc associer à la notion de processus temporels (cf. déroulement) une qualification spatiale comme la notion de milieu ou de totalisation et c'est ce que nous aurons à considérer en association étroite avec les précédents. Ce sera le dispositif de l'agrégation/désagrégation.

Tous ces aspects: définition d'une limite, d'un substrat, d'un déroulement, d'une totalisation, sont ainsi liés les uns aux autres et c'est pourquoi il est difficile d'analyser l'un des termes de ce mini réseau templa (i) supra sans faire appel à des considérations qui touchent aux autres. Tous ces aspects sont liés par des prérequis; toutefois, il est possible de lire cette carte à travers le cheminement qu'on peut en faire, permettant de retracer les conditions de validité des uns par rapport aux autres.

Par exemple, l'accomplissement, comme l'agrégation-désagrégation, fait référence à des modes d'articulation élémentaires: soit comment des unités s'assemblent par contact, par lien, par emboîtement, (ou inversement, se rompent par détachement, par rupture ou scission). Ce que nous aborderons sous le titre

3 Ce couple de termes est emprunté à la linguistique de Guillaume (Québec, 1973, p. 260), sous

les noms d'intensité et d'extensité, distincte dans ce dernier cas de l'extension logique, c'est-à-dire, d'une collection donnée d'objets. L'extensité désigne, pour le linguiste, non pas l'ensemble maximal des objets auxquels le mot convient mais l'ensemble des objets auxquels momentanément le discours réfère.

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des modes de la jonction-disjonction en tant que principe. Ainsi une aspectualité spatiale est constituée par ces phénomènes de voisinage (au sens mathématique), d'assemblage formant des entités supérieures (collection, totalité) où nous retrouvons les problèmes méréologiques introduits précédemment .

Enfin, à propos de la notion de substrat (définie à travers celle de grandeurs intensive et extensive), nous devons savoir si celui-ci est de nature homogène ou hétérogène. Ainsi ce couple permet de définir la nature d'une production comme extensité, en tant que rassemblement et surtout en tant que décompte. Une sérialité (celle de la notion de nombre, par exemple) n'est possible que dans le contexte d'une homogénéisation préalable des entités considérées (cf.une uniformité de substrat et non une disparité). L'hétérogénéité ne conduit pas à la collection mais au chaos (qui est une forme de milieu sans ordre linéaire) relevant de l'agrégation-désagrégation. Dans ces différentes propriétés d'une homogénéité-hétérogénéité nous pensons d'abord à des propriétés « mécaniques », les modes d'un rassemblement et d'une production d'objets isolables et comptables; toutefois, ce couple de termes recouvre également des propriétés « organiques » comme assemblage et engendrement non d'objets mais de « corps ». Or, cette notion est à rapprocher de celle des « airs de famille » introduits auparavant à propos d'une identité partielle puisqu'un corps n'est jamais semblable à un autre, qu'entre eux il y a mille variations qui les différencient, contrairement aux objets standards (mais cependant, gardant tous la même définition). V.2. LES GRANDEURS INTENSIVE ET EXTENSIVE

Considérons les termes de notre hypothétique objet de départ; pour caractériser sa généricité, nous dirons qu'elle relève de deux types de propriétés: celles d'extensité, propres à des objets isolables les uns des autres et celles d'intensité, propres à des phénomènes non isolables (qu'on ne peut « morceler »). Cette opposition, que nous empruntons à Guillaume (voir la note (3) précédente)4, aurait pu être également celle entre les notions de discret et de

4 Ce couple de grandeurs a été repris par J. Fontanille et Cl. Zilberberg (1998) afin de

caractériser le rapport entre continu et discontinu dans une sémiotique tensive.

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continu; mais celle-ci s'avère déjà « concrétisée » dans des substrats, ce que nous voulons éviter puisque c'est la notion même de substrat que nous voulons clarifier au niveau des métatermes.

Cette problématique est proche de celle abordée dans la Troisième partie à propos des quantificateurs discursifs où l'on a également cette distinction (implicite) entre une grandeur prise dans son sens intensif et une grandeur prise dans son sens extensif. D'un côté, nous avons les partitifs qui spécifient sans préciser une quelconque quantité; de l'autre, nous avons un balayage de la classe qui relève d'une extensité puisqu'on peut faire la différence globale entre une « grande quantité » (beaucoup) et une « petite quantité » (peu). Comparons ces exemples,

(ii) Jean a mangé beaucoup de viande Jean a beaucoup rigolé

Il ressemble beaucoup à son frère Son courage nous a beaucoup plu

Dans le premier cas, nous avons une grandeur extensive en ce que la

quantité de viande pourrait recevoir une certaine évaluation (numérique), alors que dans le second cas, le rire n'est pas détachable du corps de Jean, qu'il en est une émanation intensive (cf. on ne peut isoler le rire de son visage, de son corps tressautant); les deux exemples suivants sont comparables à ce dernier en ce que tous relèvent de valeurs intensives (cf. un air de famille, une satisfaction). Cette distinction ne relève donc pas des quantificateurs discursifs mais du problème que nous voulons résoudre maintenant.

La notion de grandeur, qu'elle soit intensive ou extensive, représente implicitement une notion de corrélation (soit, une mise en rapport implicite à un récepteur). La notion de grandeur ne peut donc être un « en soi ». Dans le dispositif suivant, deux niveaux de cette corrélation sont distingués: celle dont on vient de parler entre les notions d'objet (extensif) et de phénomène (intensif) et celle entre des rapports, quantitatifs et qualitatifs, lesquels sont beaucoup plus concrétisables en ce qu'ils seront à la base de relations de repérage. Cette distinction sera celle entre métatermes et termes de base.

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Venons-en à la définition de ces deux types de corrélats qui vont nous permettre de préciser, par différence, le troisième terme qui ne peut être ni l'un ni l'autre. Par corrélats quantitatifs, nous dirons qu'on peut énumérer, qu'on peut mesurer des grandeurs (et, pour mesurer, il faut un étalonnage); on établit ainsi la notion de « nombre », non réductible aux choses nombrées. Par corrélats qualitatifs, nous dirons par contre qu'on oppose des qualités dont le prérequis de base est d'être homogènes, de relever du même registre mais avec des signes inversés: {chaud et froid}; {épais et mince}; {lourd et léger}; etc. On peut ainsi opposer des qualités sensibles, des couleurs, des textures, des sons, des émanations (odeurs, saveurs), et même des comportements.

Ces qualités sont des corrélats puisque, au départ, elles n'existent qu'à travers une opposition; on ne peut qualifier que par différence; soit, A vs B (Cette viande est chaude, cette viande est froide), soit, A vs non-A (Cette viande est chaude, cette viande n'est pas chaude); nous retrouvons bien sûr le leitmotiv de ce qui fit le fond d'une linguistique et d'une sémiotique contrastives. Nous avons donc des corrélats qualitatifs avant même d'avoir des qualités comme telles (intitulées ici, qualia): La chaleur, Le froid; La sécheresse, L'humidité, etc., dont nous dirons que la considération nous ramène à une grandeur intensive; cela est vrai pour toute forme de corrélations sensibles (couleurs, sons, textures, émanations, ambiance). Ajoutons ainsi que la sensibilité (aux couleurs, aux sons, aux émanations,...) est le produit d'une grandeur intensive (en tant que phénomènes) et de différents registres corrélationnels.

Ainsi, à propos de la notion de corrélat, nous venons de développer une procédure qui nous amènent de la qualité au registre dans lequel celle-ci prend place; de cette qualité enregistrée (par couples) à une qualification comme propriété sensible (cf. où l'entité « est le siège » d'une propriété). A propos d'une quantité, nous pouvons procéder de façon similaire: de la possibilité d'un dénombrement (les cailloux, les arbres, les doigts,...) nous pouvons passer à une échelle de dénombrement et/ou de mesure construite à partir de la propriété de nombre (succession, égalité). Nous retrouvons finalement les choses comme se prêtant ou non à une énumérabilité (le caractère discret de celles-ci) et c'est par différence d'avec cette dernière propriété que nous considérons des « substances massives » qui ne peuvent être décomposées (cf. ou segmentées, La terre, le vent, l'air, le sang). Elles sont toutefois mesurables au moyen d'artefacts qui les plient à

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une mesure (même grossière): Un tombereau de terre, une bouteille d'eau, une pelletée de neige; etc.

Dans tous ces cas de relations, quantitatives et qualitatives, il faut donc parler de corrélats (corrélats quantitatifs et qualitatifs) puisqu'ils ne peuvent être appréhendés qu'à travers des registres, une homogénéité des termes mis en relation. D'un côté, nous avons donc des corrélats quantitatifs au poste Y, et de l'autre, nous avons des corrélats qualitatifs au poste Z. C'est par rapport à ces deux types de registres que nous situons en opposition conjointe la notion de massivité comme ce qui relève d'une substance (indécomposable); toutefois, comme « milieu » distinguable d'autres (le règne minéral et le règne végétal, par exemple)5. Ces substances peuvent faire partie à nouveau de grandeurs extensives (mais indéfinies).

Dans cette explication, nous faisons implicitement appel à la nature des termes mixtes: en XY, nous situerons la notion d'une énumérabilité des objets, le fait qu'ils soient dénombrables (ce qui n'est pas le cas de toutes les substances), et en XZ celle des qualités sensibles (qualia) comme sensations propres à des corps mais aussi à l'« apparaître » des choses (cf. phénomènes) dont la principale propriété serait l'absence/présence d'une de ces qualités. En effet, la massivité ne peut engendrer une discernabilité des sens, le principe même d'une discrimination perceptive. Pour qu'il y ait perception de ces qualités, multiplement données par ailleurs, il faut qu'il y ait un rapport comparatif dont le terme minimum est l'absence/présence d'une qualité (couleurs, sons, textures, émanations, etc.). Cette présence de l'opposition privative serait donc la pointe vers XZ des rapports oppositionnels développés au poste Z.

Nous avons amplement parlé des métatermes qui sont à l'origine de ces distinctions et des rapports de renversement possible entre ces deux notions de la grandeur, intensive et extensive. Ainsi, partant de la notion de « chaleur », en tant que telle (cf. La Chaleur), qui est massivement une qualia comme dans, Quelle chaleur étouffante!, on peut passer à, Qu'est-ce qu'il fait chaud!, puis à, La température n'arrête pas de monter (c'est une progression dont on ne peut isoler des stades mais qu'on ressent), jusqu'à l'énoncé, Il fait presque quarante! (qui présuppose un registre de quantification, par exemple « degrés Celsius »). On dira 5 À propos de la description encyclopédique de l'< oiseau >.

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donc que dans ces différents cas (cf. graduables, mais de façon différente) nous avons un parcours cinématique, les uns en tant que processus intensif (montée en puissance, sensible, ressentie), les autres en tant que processus extensif (gradation référée à des registres de mesure). Nous avons là des couples de notions en deçà desquelles il n'y a rien (le néant), où ainsi, entités et phénomènes sont constitués in nascendi.

Récapitulons ces différences de base sous la forme du templum:

(iii) Templum de la constitution de l'objet générique

Métatermes: MT+: grandeur extensive MT-: grandeur intensive

Corrélats initiaux: X : massif, entier Y : corrélats quantitatifs (la discrétivité permet d'introduire une

échelle de rapports que l'on pourra ordonner au moyen d'autres propriétés comme la succession et l'égalité); notions de mesure, d'étalonnage, de proportion, d'échelle, qui se déduiront de ces corrélats

Z : corrélats qualitatifs (la qualité ne peut apparaître que sous la forme d'un registre, cf. opposition, privation; oppositions binaire, ternaire, donnant les couples: chaud/froid, haut/bas, lourd/léger; etc.

Corrélats dérivés: XY: dénombrabilité (le fait que des objets puissent être séparés,

décomptés) par rapport à d'autres qui restent massifs YZ: gradience/équipollence (l'association de ces deux formes

corrélatives nous permet de construire des échelles de rapports complexes associant le qualitatif et le quantitatif); notion de comparaison entre grandeurs, de proportion, de similitude sous une forme attributive ou proportionnelle qui nous reconduit à l'homologie (cf. Quatrième partie) où l'on retrouve l'analogie comme transférabilité inter-domaniale

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XZ: qualité sensible (qualia) dont la marque minimale est l'absence/présence issue des rapports d'opposition; par équipollence et gradience, cette qualité peut être démultipliée pour former un corps multiple

(iii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: grandeur intensive # grandeur extensive

massif

dénombrable

corrélat quantitatif

corrélat qualitatif

qualia (sensible)

proportionnalité

V.2.1. LA PROPORTION

Le dernier terme mixte YZ est très important en ce qu'il introduit de nouvelles considérations à partir des notions de rapports quantitatifs et de rapports qualitatifs. Des premiers, on pourra tirer des gradiences comme échelle de rapports; des seconds, on pourra tirer des équipollences comme équivalences entre des registres distincts. Les échelles des uns et les registres des autres constituent des système de repérage utilisés, par exemple, dans les « échelles argumentatives » (Ducrot 1980, Berrendonner 1981) ou la description des « analyses de scène » (Langacker, 1991), où nous pouvons introduire une mesure (au sens large) des dimensions, de la hauteur, de la largeur et de la profondeur (tant de la scène elle-même, cf. la notion de cadrage, que des divers objets qui la composent). Notre démarche nous amène ainsi au dédoublement de l'objet, en tant qu'objet qu'analysé et objet analysant (référentiel au sens cartésien). Dans l'énoncé, Jean pèse 5O kilos (qu'une structure prédicative rend mal compte en

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termes de complément d'attribut), nous avons une entité physique (cf. le « corps de Jean) mesurée à l'aune d'un référentiel quantitatif (cf. une échelle des poids : 50 kilogs = 100 livres). C'est de ce complexe corps-mesures que rend compte l'énoncé précédent.

L'expression de « proportionnalité » est donc fondamentale en ce qu'elle institue un nouvel ordre qui se substitue à l'apparence des choses/phénomènes. Elle « boucle » la structure du templum sur une notion complexe qui en redistribue les termes puisqu'elle est le lieu d'un transfert entre ces rapports quantitatifs et ces rapports qualitatifs. Mariée avec la notion d'homologie de rapports intra-domaniaux et inter-domaniaux, elle constitue la notion d'analogie de proportion qui est au coeur de la pensée « scientifique » grecque6.

Cette démarche permet d'introduire le thème du comparatif, soit en termes d'état, comme dans, Jean est plus grand que Paul (que l'on peut transformer en rapport de deux mesures particulières), ou encore, Paris est plus peuplé que Lyon; soit en termes de procès, comme dans, Entre Paris et Lyon, le train est plus rapide que la voiture et même que l'avion (où l'on peut introduire des rapports complexes associés à la vitesse). Tous ces rapports de comparaison impliquent une homogénéité des comparés (cf. de différence entre types de registre); ainsi, {lourd, léger} peut être transformé en différence de poids mais non en degrés d'intensité lumineuse qui relèvent d'un rapport {clarté, opacité}. On peut obtenir ainsi une hiérarchie de rapports quantitatifs suivant la nature des objets comparés (ainsi de la pesanteur des corps vivants entre eux, des véhicules entre eux, des astres entre eux). On peut dire que la science s'est constituée à partir de cette possibilité de transformation du qualitatif en quantitatif (et de l’intensif en extensif), avec parfois des distorsions importantes puisque tout mesurer peut déboucher sur une caricature de savoir scientifique. Bref, on obtient un référentiel unique (la pesanteur, par exemple) pour une multiplicité d'objets distincts.

Inversement, nous pouvons avoir une transformation de la quantité vers la qualité en introduisant un gradient entre les termes d'une opposition: au simple registre {chaud, froid} on peut substituer une échelle de valeurs différentielles {très chaud, chaud, pas très chaud,... pas très froid, froid, très froid, glacial !}7 . 6 Cf. A. Lichnerowicz, F. Perroux, G. Gadoffre, Paris, 1980-1981. 7 Cf. E. Sapir, Linguistique, troisième section, Paris, 1968.

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A la limite, on peut substituer aux termes de l'échelle des degrés centigrades (10 degrés, 25 degrés, 70 degrés,...). La notion d'échelle incorpore finalement l'opposition entre le plus et le moins relevant, au départ, d'une opposition contrastive et que l'on peut sérier selon deux sens du continuum numérique (le problème du bornage de cette série relève d'un autre problème, celui de la définition des intervalles). Nous obtenons ainsi une opposition à trois termes {+, 0, -} où l'on retrouve bien le sens du terme médian qui neutralise les extrêmes.

Nous venons d'établir la multiplicité des rapports de comparaison qui sont homogénéisés à travers une quantification qui exprime, numériquement, des rapports, des proportions, des moyennes proportionnelles (lesquelles sont abstraites puisqu'elles introduisent la notion de « population » d'objets). On va voir au prochain chapitre comment construire une sérialité, et donc, un certain type de continuum (arithmétique, algébrique). L'autre aspect de cette mise en rapport entre des corrélats quantitatifs et qualitatifs va être la constitution des similitudes (attributives, proportionnelles) où les registres peuvent être distincts. Ceci nous reconduit aux homologies de rapports intra-domaniaux et inter-domaniaux où l'on retrouve la propriété d'analogie en tant que trope. Rappelons que ce passage à l’analogie est celui du rapport de ressemblances (comparaisons) à une ressemblance de rapports (proportionnalité).

Nous avons ainsi une translation de la notion de rapports proportionnels, d'une quantité (où elle est établie en premier) à une qualité (registres d'opposition); d'une homogénéité comparative, grâce au pouvoir du nombre, on passe ainsi à une mise en rapport d'hétérogénéités, à leur homologation substantielle, où des registres sont rassemblés sous le signe de l'équipollence. Une grande partie de la philosophie grecque (celle d'inspiration pythagoricienne) tourne autour de cette opération de conversion de la quantité en qualité, avec son pouvoir illimité d'extrapolation (au sens strict du terme). Afin de situer ce rapport d'homologie, qui est au coeur de l'opération, je citerai assez longuement un article de Molino (1979)8 qui récapitule bien une position épistémologique issue de la tradition aristotélicienne et développée actuellement dans les théories de la science (Black 1962, Hesse 1966, Holton 1981):

8 Cf. « Métaphores, modèles et analogies dans les sciences », 1979, p. 83-102.

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Le point de départ de la réflexion d'Aristote, et le modèle —si l'on nous permet d'employer ce mot non encore défini— de sa conception de l'analogie sont fournis par la théorie mathématique de l'analogie, c'est-à-dire de la proportion, théorie édifiée par Eudoxe et dont il est assuré qu'Aristote la connaissait. Cette théorie, qui a permis à la mathématique grecque de triompher de la crise ouverte par la découverte des irrationnels, est exposée dans le livre V d'Euclide; elle vise à construire une théorie générale des proportions, valable aussi bien pour les nombres rationnels que nour les grandeurs irrationnelles. Cette validité générale est assurée par la définition 5 du livre V: « Quatre grandeurs sont dans le même rapport deux à deux, la première par rapport à la deuxième et la troisième par rapport à la quatrième, lorsque n'importe quels communs multiples de la première et de la troisième sont en même temps plus grands, égaux ou plus petits que n'importe quels communs multiples de la deuxième et de la quatrième », ou,

a c < < -- = -- si et seulement si ma = nb implique mc = nd » b d > >

Il est donc possible maintenant de mettre en rapport des grandeurs irrationnelles, mais aussi d'utiliser l'analogie de manière purement formelle, indépendamment du domaine considéré: un rapport analogique peut être établi entre des longueurs et des surfaces, entre la surface de cercles et la surface de carrés. La proportion permet d'organiser le monde des grandeurs au-delà des limites du genre. (Op. cit., p. 89).

L'analogie aristotélicienne est donc un schème de transfert, une fonction

cognitive que l'on peut associer à une diversité de substances; elle est valable, tant dans le domaine sémantique que dans le domaine des sciences naturelles9. Poursuivons:

En biologie, Aristote utilise deux types d'analogie, que l'on appellera avec Nagel analogie substantielle et analogie formelle. Dans le premier cas, il s'agit de propriétés communes possédées par les parties d'individus appartenant à des espèces différentes: l'os de la seiche, l'arête et 1'os ont en commun la nature osseuse (Seconds Analytiques, 98a). Dans le deuxième cas, il y a identité ou ressemblance de la relation qui unit les parties entre elles au sein de plusieurs espèces: l'écaille est au poisson ce que la plume est à l'oiseau, l'os est à l'homme ce que l'arête est au poisson (Parties des animaux, p. 644). On représentera la première forme d'analogie de la façon suivante, A1(x), A1(y), etc., représentant les propriétés de deux êtres x et y:

9 Pour un développement récent de ces différents aspects, J.-F. Bordron, « Analogie, modèle,

simulacre: Trois figures de la médiation », (2003, p. 21-34).

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A1(x) B1(x)...Relationd'analogie

B(y) C(y)...

L'analogie repose sur la possession d'une propriété B1 commune. L'analogie formelle sera représentée de la façon suivante, x1, x2, Y1, Y2, etc., représentant les parties de deux êtres appartenant à des espèces différentes entre lesquelles existent des relations r1 et r2:

Relationd'analogie

x1

x2

r1

y1

y2

r2

... ...

L'analogie se fonde ici sur l'identité des relations rl et r2 (...) (Op. cit., p. 89-90).

En développant ces fonctions d'une mise en rapport, nous retrouvons les caractéristiques d'une entrée onomasiologique qui nous permet d'établir, d'un côté, des formules de « mise en correspondance » inter-domaniales, et de l'autre, des formules taxinomiques qui président aux classifications intra-domaniales. D'un côté, nous avons donc des propriétés qui permettent la formation d'univers symboliques (le totémisme étudié par les anthropologues, l'emblématique médiévale) où les termes sont des syncrétismes de propriétés (cf. nous pouvons parler à ce propos de microcosmes symboliques); de l'autre, nous avons des propriétés qui constituent des taxinomies (animale, végétale, minérale) où les termes sont des éléments univoques (et non polysémiques comme les précédents). Ces deux volets relèvent finalement de la même formule, dualement interprétée: l'un constitue des dénominateurs communs entre des domaines hétérogènes (c'est ce qu'on rencontre également dans les analogies et/ou métaphores poétiques), l'autre constitue un même domaine d'homogénéité que l'on peut hiérarchiser selon l'Arbre de Porphyre.

On rapprochera de même cette constitution profonde de l'homologie —comme transfert de la quantité à la qualité, de la proportion à l'homologie— de celle de la prototypicité où nous avons la constitution d'une norme entre des êtres typiques ou atypiques, normaux ou anormaux (cf. les monstres dont nous avons dit qu'ils représentaient l'envers d'une taxinomie, et à ce titre, qu'ils participent d'une économie symbolique dans les fables, les mythes). Terminons cette longue citation par,

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L'analogie et son rôle dans la métaphysique d'Aristote posent un problème plus compliqué, parce qu'aux données ontologiques se mêlent des données linguistiques. Dans le cas de la proportion utilisée en biologie, en physique ou en métaphysique, deux cas peuvent se produire: il existe ou il n'existe pas de nom pour désigner la relation commune aux quatre termes pris deux à deux ou la propriété commune aux termes en position analogue. S'il existe un terme commun, nous avons affaire à un type spécifique de correspondance entre signifiant et signifié, intermédiaire entre la pure homonymie (homonymie par accident) et la synonymie, entre l'équivocité et l'univocité. Mais il y a deux types d'intermédiaires: à côté des homonymes selon l'analogie de proportion, fondée sur une égalité de rapport, existe une homonymie “ad unum”, dans laquelle la communauté de nom a sa raison d'être « en ce qu'il y a une certaine nature, qui se manifeste en quelque facon en toutes leurs acceptions, relativement à laquelle elles sont ce qu'elles sont, et qui sert de principe à leur dénomination commune » (Robin, 1908, p. 151). Les scolastiques parleront dans le premier cas d'“analogia proportionalitatis”, dans le second cas d'“analogia attributionis”. Mais il importe de noter qu'Aristote n'emploie jamais le terme d'analogie pour désigner ce deuxième cas d'équivocité “ad unum”. C'est bien la preuve que, pour Aristote, le cadre fourni par la proportion mathématique est contraignant et impose sa marque à l'analogie: l'équivocité “ad unum” est irréductible à la proportion à quatre termes. En métaphysique comme dans l'enquête scientifique, l'analogie est l'outil logique qui, sous la forme canonique de la proportion arithmétique, permet de connaître le réel en dehors des limites imposées par la hiérarchie classificatoire des genres et des espèces (nous soulignons): grâce à l'analogie, la metabasis eis allo genos, exclue en principe de la science, devient un procédé légitime de connaissance. Mais en même temps l'analogie voit son sort lié à celui de la sémantique: qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de mot pour désigner la propriété analogique commune, celle-ci fait apparaître l'ambiguité essentielle d'un terme et d'un signifié, qui, allant au-delà des genres, sont nécessairement d'irréductibles moyens termes entre univocité et équivocité. (Op. cit., p. 90).

Par cette citation, nous comprenons le principe d'homologie, à la fois cognitif et discursif, qui représente plus qu'une expression dans un dispositif (dont on peut dériver par scission la métaphore et la métonymie). Entre corrélats quantitatifs et qualitatifs, nous avons une dialectique qui nous permet de produire la notion de comparaison et de similitudes (attributive, proportionnelle) autour du poste YZ; elle nous permet d'établir dans son prolongement d'autres propriétés dans le Réseau de templa10. 10 La comparaison prendra place dans des mécanismes discursifs qui l'associent, en tant que

phorie, à l'anaphore et à la cataphore; ce qu'on peut traduire par épiphore (cf. Réseau du sens II, Cinquième partie, Chapitre 1). Par contre, comme nous l'avons souligné auparavant, l'homologie est à la base du mécanisme des tropes. La comparaison évalue des rapports alors que la métaphore constitue par transgression catégorielle des rapports.

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Nous dirons ainsi que le principe d'équipollence entre différents registres permet de constituer une unité complexe faite d'une multiplicité de qualités réunies (couleurs, sons, textures, émanations,...) que l'on peut à nouveau reverser dans la notion de qualités sensibles (cf. poste XZ) issues du poste Z qui joue là le rôle de « pivot » dans la formation de ces registres. L'univers des qualia peut être ainsi envisagé comme multiplicité de qualités réunies sous le signe de l'équipollence et de l'homologie sous-jacente; dans cette réversion, nous avons ainsi une véritable « incarnation » au sens du passage d'un ensemble de mises en rapport (métaterme négatif) à la formation d'une entité multiple (métaterme positif)11. V.3. MODES DE LA SÉRIALITÉ

Reprenons l'analyse des corrélats quantitatifs; nos différentes opérations partent de cette base et c'est par transfert de ses propriétés que nous pouvons établir les notions de comparaison et de similitude, de gradience et d'équipollence.

Nous allons ainsi la compléter à l'aide de trois autres templa: le premier va porter sur la notion d'un ordonnancement des termes; par exemple, la série des nombres naturels (1, 2, 3, 4, ...), soit un ordre référé aux opérations de succession et d'égalité entre termes12. Le second va porter sur la notion d'intervalle topologique ouvert et fermé; alors que dans une série ordonnée nous avons une progression, dans celle d'intervalle (de temps, d'espace), nous avons un espace (topologique) bornée par des extrêmes à partir desquels nous pouvons définir un terme médian qui départage l'intervalle en deux moitiés; opération subdivisante que l'on peut répliquer afin d'obtenir des sous-espaces, deux, quatre, huit,... L'exemple typique est la gamme musicale, possédant une borne supérieure et une borne inférieure et que l'on peut subdiviser en un certain nombre de sous-intervalles (qualifiant des écarts perceptifs13). En dernier lieu, nous avons un dispositif qui définira la notion d'échelle de grandeurs comme rapport global entre

11 Dans cette multiplicité substantielle, différentielle et graduable sous la forme de valences, on

peut voir un certain rapport à la « priméité » de C. S. Peirce (1978, 19 sq). 12 Pour une distinction entre « relations sortales » et de « relations sérielles ». 13 À propos du champ de perception sonore.

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des mondes (la différence qualitative entre macrocosme et microcosme) dont nous allons tirer un principe spéculaire de représentation puisque ces mondes, dans les philosophies traditionnelles, sont « mis en miroir » les uns par rapport aux autres.

Nous avons ainsi affaire à trois types de grandeur qui participent de la notion générale de corrélats quantitatifs et qui permettent d'enrichir celle de corrélats qualitatifs puisqu'on sait, qu'entre eux, nous avons une possibilité de conversion. V.3.1. L'ORDONNANCEMENT NUMÉRIQUE

A propos du premier templum, nous pouvons reprendre ce que Blanché (1966, p. 63-64) a mentionné comme un exemple précis de confirmation de son hypothèse, à savoir qu'à l'aide des six termes de son hexagone logique, on peut constituer la notion de continuum numérique. En effet, alors que d'un côté, nous avons un concept fondamental d'égalité entre nombres (a = b), de l'autre, nous pouvons disposer, de part et d'autre de celui-ci, de ceux de « plus grand que » (a > b) et de « plus petit que » (a < b); alors que ces relations sont inverses l'une de l'autre, la première les neutralise. On dira donc que nous pouvons situer l'égalité au poste X, « plus grand que » et « plus petit que » aux postes Y et Z, formant les corrélats de base de notre continuum dans les deux sens (croissant et décroissant). Ajoutons enfin que par rapport à l'égalité, les deux opérations situées aux postes Y et Z ont pour terme mixte la notion d'inégalité (a ≠ b); par exemple,

Une gentilhommière n'est pas un château: c'est plus petit. Ajoutons par ailleurs que Blanché ne précise pas le type de grandeur

proposée; en effet, cela peut être un ordre ordinal (positions), le fait qu'ils se rangent successivement; cela peut être également une quantité, à savoir qu'entre deux nombres l'un est « plus grand » ou « plus petit » que l'autre. Les opérations que nous décrivons sont ainsi plus abstraites que la simple constitution d'un continuum numérique. D'un côté, on peut ordonner des nombres, mais aussi bien, des sens d'orientation, des dimensions spatiales, voire, des rangs hiérarchiques

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dans la société14; de l'autre, on aura une augmentation ou une diminution numériques, soit une variation continue.

Mathématiquement, c'est la différence fondamentale entre les nombres « ordinaux » et les nombres « cardinaux », les uns exprimant un ordre, les autres, une quantité, comme lorsque nous parlons, De la première, de la seconde ou de la troisième pomme,... ou bien, D'une, de deux ou de trois pommes. C'est cette différence entre types de grandeur qui explique que, dans un cas, le nom reste au singulier en tant que désignation des positions prises successivement par une unité, alors que dans l'autre, le nom est mis au pluriel. Cette distinction fondamentale est ainsi réservée aux métatermes du templum.

Ajoutons subsidiairement que la relation de grandeur (mesure) peut être convertie en une attribution: Le grand type qui fait plus de un mètre quatre-vingts,... Le petit mec qui est passé hier soir, etc. On comparera cette attribution aux relations, du genre: Le plus grand des deux types, Le plus petit d'entre eux,... qui définissent implicitement des intervalles de grandeur (taille) que l'on doit préciser; dans le dernier exemple, le groupe peut être celui d'athlètes, d'adultes ordinaires ou d'enfants; on fait donc intervenir implicitement des référentiels de taille (cf. celle des humains, les uns par rapport aux autres; celle des habitations, les unes par rapport aux autres15; etc.). Or cette notion d'intervalle unitaire va faire partie des considérations qui suivent sur les espaces topologiques; en particulier, c'est par rapport à cette notion que l'on peut définir celle de superlatif par rapport à celle de comparatif puisque des extrema sont implicitement signifiés (cf. identifiés à une borne supérieure ou inférieure): Le plus grand des types de ce groupe; Le plus petit des enfants. En particulier, c'est grâce à la notion d'intervalle unitaire que l'on peut préciser une moyenne générale qui ne répond pas à un

14 À propos, par exemple, des termes d'adresse dans certaines langues; ainsi, « le coréen dispose

de morphèmes honorifiques qui « sont diversifiés à l'extrême selon le rang du sujet et de l'interlocuteur, et varient suivant qu'on parle à (ou d') un supérieur, à (ou d') un égal ou à (ou d') un inférieur » (Benveniste, 1966, p. 226, et Kouang Hyeun Kim, 1994, p. 204, pour les parenthèses ajoutées au texte de Benveniste). Ces rangs hiérarchiques sont ici équivalents à nos relations, « plus grand que », « plus petit que », « égal à », et c'est pourquoi on peut les associer aspectuellement en tant que modes d'un ordonnancement.

15 Soit, des critères d'échelle infra.

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individu en particulier (Les français mesurent, en moyenne, un mètre soixante treize).

Rassemblons ces différentes considérations dans le dispositif:

(iv) Templum d'une structure d'ordre

Métatermes: MT+: grandeur cardinale (mensurations) MT-: grandeur ordinale (ordonnancement)

Corrélats initiaux: X : notion d'égalité ou de position identique (a = b) Y : notion de « plus grand que » ou de succession (a > b) Z : notion de « plus petit que » ou de précession (a < b)

Corrélats dérivés: XY: notion d'approximation (plus grand ou égal: a ≥ b) comme

limite supérieure YZ: notion d'inégalité numérique ou de distinction positionnelle

(a ≠ b) XZ: notion d'approximation (plus petit ou égal: a ≤ b) comme

limite inférieure

(iv') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: grandeur ordinale # grandeur cardinale

égalité

plus petit queplus grand que

inégalité

plus petit ou égal

plus grand ou égal

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Nous n'avons pas parlé du statut des termes mixtes XY et XZ, c'est-à-dire, de la notion d'« approximation » comme expression graduelle tendant vers une limite supérieure (dans une progression), ou tendant vers une limite inférieure (dans une régression). Or ce statut, loin d'être négligeable, est capital en ce qu'il a joué un rôle historique dans l'avénement d'un calcul différentiel et intégral16 ; c'est ici le sens profond de ces expressions, « plus grand ou égal », « plus petit ou égal » qui expriment cette notion d'approximation et qui fera la différence entre la mathématique de Descartes et celle de Leibniz.

Linguistiquement, c'est la différence entre, Il est cinq heures et Il est presque cinq heures. Des expressions comme: presque, pas tout à fait, à peu près,... mentionnent cette approximation que l'on va retrouver aspectuellement dans la notion d'un procès d'accomplissement: Il a presque fini ses devoirs; ou encore, dans une véri-conditionnalité comme lorsqu'on vous annonce, Le dîner est presque prêt, ce qui serait une contradiction logique si on prenait la personne au mot: Ou le dîner est prêt ou il n'est pas prêt! Or ce n'est pas le cas et c'est pourquoi Ducrot (1984, p. 95-114) a parlé de « loi de discours » à propos de ce genre d'exemples où la logique est gommée par euphémisme. V.3.2. L'INTERVALLE TOPOLOGIQUE

Passons à la notion d'intervalle topologique; nous changeons de dimension puisque de l'ordre arithmétique précession/succession nous passons à un ordre géométrique fait d'espaces bornés par des extrema; on parlera donc de bornes supérieure inférieure à propos d'une gamme musicale où les extrema sont indépassables, comme d'une borne gauche et d'une borne droite dans un espace/temps de déroulement d'activités. C'est ce qu'on appelle aspectuellement une durativité, opposée au caractère ponctuel d'un événement (coincidence, rupture, changement); c'est ce qu'on peut appeler un espace/temps cinématique dans une scène visuelle qui associe l'ensemble d'un procès à la succession de ses états transitoires.

La durativité propre à une action ou à un mouvement est généralement limitée dans le temps; elle a un point de départ et un point d'aboutissement. Dans 16 Cf. Y. Belaval (1960, p. 304 sq).

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le domaine cosmique, ces mouvements sont illimités (à notre échelle); les extrema sont alors rejetés à l'infini.

Considérons plus précisément la notion de bornage17; topologiquement, elle circonscrit un espace (peu importe sa dimension métrique) qu'on peut appeler un intervalle fermé s'il s'agit d'un événement ou un intervalle ouvert s'il s'agit d'un état ; on aura enfin un intervalle semi-ouvert s'il s'agit d'un procès qui a un point de départ mais qui n'a pas de point d'arrivée spécifié; de plus, son déroulement peut avoir des phases, c'est-à-dire, être ponctué au moyen de moments de fermeture/ouverture de cycles (un ancien suivi d'un nouveau), comme dans le cas des phases de la lune ou le cours du soleil pendant une année.

On peut subdiviser un intervalle en d'autres. Ainsi aux extrema, pris ensembles, s'oppose ce qu'on appellera une médiété comme médiane qui partage l'intervalle en deux moitiés, puis en quarts, en huitièmes. C'est à partir de cette médiété, comme point d'origine de l'opération, que l'on peut développer un espace illimité d'avant et d'après puisqu'on dispose d'une mesure intérieure. On retrouve tout ceci dans la forme d'une aspectualité où la langue reflète ces différences essentielles. Diagrammatiquement, nous avons la suite des opérations:

(v) Schéma de développement de la notion d'intervalle

intervalle fermé

intervalle ouvert

bg bd bg bd

bg = borne gauche bd = borne droite

Subdivision de l'intervalle semi-ouvert:

17 Je dois beaucoup à J.-P. Desclés à propos de cette conception de l'aspectualité spatio-

temporelle basée sur l'intervalle topologique (borné et orienté); en particulier les articles, (Desclés, 1985) et (Desclés, 1989) où il montre comment plusieurs phases peuvent se superposer dans un déroulement sans se confondre aspectuellement.

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bg m bd

intervalle semi-ouvert

Subdivision de l'intervalle ouvert avec double direction d'orientation:

m = 0 le point d'origine m peut être le zéro d'une datation historique (ères): naissance du Christ, de Mahomet,... il y a alors un avant (remontant et un après (descendant).

Intervalle semi-ouvert avec orientation (sens de parcours d'une action

Ainsi on peut avoir des intervalles semi-ouvert (vers l'avant) permettant de sérier des espaces de déroulement d'activités (ou de mouvement physique); un processus peut démarrer à un moment donné (borne gauche ouvrante, signifiant un point de départ) et se poursuivre indéfiniment tant qu'un point d'aboutissement n'est pas signifié (borne droite fermante), ce qu'on appelle un point télique; les civilisations se pensent généralement sur ce modèle. Inversement, un processus peut s'arrêter (borne droite fermante) sans qu'on sache précisément quand il a commencé (borne gauche ouvrante); par exemple l'expression, Dans la nuit des temps...

On ajoutera que la médiété centrale peut être une mesure spatio-temporelle de scansion à partir de laquelle on peut évaluer la vitesse d'un déroulement. Ainsi, La montre avance , spécifie que le mouvement de la montre devance sa vitesse normale (même chose avec, La montre retarde). Dans, Il est allé trop vite dans son travail, on spécifie un intervalle semi-ouvert nécessaire pour faire un travail et le sujet en a devancé le terme d'accomplissement. La médiété peut devenir ainsi le curseur d'un accomplissement qui part de la borne gauche pour aller vers la borne droite selon un certain rythme.

En résumé, la médiété —simultanément donné aux extrema dans la définition de l'intervalle— peut être subdivisée pour donner ce que Aristote

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appelait les corrélatifs: moitié, double; triple, tiers. Elle peut exprimer une norme entre deux parties; elle peut exprimer une scansion comme subdivision d'un espace mesuré par des barres de mesure (comme en musique, ce qu'on appellera le mode fréquentatif); elle peut exprimer enfin un balayage de l'intervalle avec une vitesse normale de ce mouvement.

L'espace de l'intervalle offre donc une dynamique, exprimée dans une dimension horizontale (référée par exemple à des temps d'accomplissement) et dans une dimension verticale (l'intervalle des hauteurs qu'offre la gamme musicale). C'est dans le croisement de ces deux dimensions que nous pouvons saisir une dynamique de procès scandée sous forme d'états successifs à titre de phases du processus. V.3.3. LES ÉCHELLES DE GRANDEUR

Abordons la question des échelles de grandeur à la suite d'un ordre arithmétique et des différents types d'intervalle topologique. Cette notion se réfère principalement à celle des proportions géométriques (et de disproportions), ce qui permet de « proportionner » des objets les uns par rapport aux autres. Ce système de rapports utilise des concepts numériques (progression, subdivision, choix d'un étalon, etc.) définis à l'intérieur de « cadrages » implicites18. Dans la constitution d'échelles de grandeur, nous avons à la fois la notion de proportionnalité (puisque les rapports sont à la fois quantitatifs et qualitatifs) et de cadrages (type d'intervalle comme bornage) que nous appellerons des « mondes ».Ce sont des « mises en scène » d'objets et/ou de phénomènes impliquant des types de points de vue (observateur), que ces mises en scène soient naturelles (dans la notion de paysage) ou culturelles (artefacts et bâtis architecturaux).

Tout ceci pour dire que les rapports d'échelle conduisent à une problématique de la représentation beaucoup plus large que la sérialité ou le découpage d'espaces de déroulement; nous avons affaire à des « analyses de scène » intégrant une multiplicité de facteurs: un rassemblement, sous la forme d'objets à proportionner, de cadrages implicites de ceux-ci, d'une vision

18 À propos des corrélats quantitatifs; la notion de « cadrages » est proche de ce que G.

Fauconnier appelle des « espaces mentaux », Paris, 1984.

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totalisatrice qui est le propre au point de vue; d'une multiplicité de ceux-ci, soit relevant d'un mouvement général (des objets comme du sujet percevant, soit de plusieurs observateurs distincts); d'une distance d'observation par rapport à ce qui est observé; etc.. Nous avons affaire à un monde qui n'est pas tant l'enveloppement de formes dans d'autres que l'intégration de tous ces facteurs dissemblables, et cependant, coordonnables dans la notion de point de vue et de mise en scène.

S'agissant d'objets, on peut développer schématiquement des rapports d'homologie très simple entre des types que l'échelle de grandeur reflète:

(vi) rapport d'inversion entre formes d'objets

poupée corps

boîte lieu

maquette maison

carte territoire

jardin paysage

etc.,

Les homologies caractérisent ici plutôt des classes d'« objets » mises en miroir que les objets proprement dits qui, par ailleurs, entrent dans la composition d'une scène. Ainsi, dans un énoncé tel que, Jean contemplait en médaillon (modèle réduit) le portrait que lui avait laissé Françoise (visage humain), nous reconnaissons une telle différence (typologique) d'échelle entre une partie du corps humain (objet réel) et sa représentation (objet représenté). Nous n'avons donc pas affaire à des « objets » mais à des « lieux » (impliquant un rapport d'intériorité-extériorité à la manière des corps)19.

Nous pouvons alors étendre cette différence (typologique) d'échelle à des « mondes » distincts où s'échangent les rapports entre proportions réelles (entre

19 C'est la problématique de nos études sur la notion de lieux, par exemple (Boudon, 2000).

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corps) et proportions imaginaires (en tant que représentation). Bref, il ne s'agit pas de choses (phénoménologiquement données) mais de lieux d'apparition comme mises en scène de celles-ci, ce qu'exprime cette notion dans son sens théâtral.

Ainsi, chez les Grecs, le cosmos est un être vivant, un organisme (Cassirer 1983, Koyré 1962). Nous introduisons ainsi des distinctions d'échelle en tant que mondes; de même que nous avons des rapports d'homologie entre une maison (qui est immobile) et sa maquette (que l'on peut transporter), un visage et sa peinture en médaillon, etc., on parlera de microcosme et de macrocosme. Le premier représente une minimalité en tant que borne inférieure de la perception en-deçà de laquelle plus rien n'est perceptible (le grain de sable, le ciron pour Pascal); le second représente une maximalité en tant que borne supérieure de la perception au-delà de laquelle l'homme ne perçoit plus rien (la voûte céleste qui « incorpore » les astres, les constellations, la Voie Lactée comme fond de scène céleste). Tout l'espace compréhensible des philosophies traditionnelles issues du monde grec (par exemple, dans la tradition platonicienne du Timée), se situe entre ces deux extrema comme moyens termes que l'on peut échelonner en niveaux de représentation. Au-delà de ces bornes comme microcosme et macrocosme, nous avons l'infini (l'infiniment petit et l'infiniment grand) comme étant sans dimension imaginable, sans mesure commensurable, sans ordre assignable.

Sur cette « scène du monde » où peuvent se déployer les mythologies, l'homme n'est pas uniquement un échelon intermédiaire dans ce continuum; il est le lieu d'inversion entre ces deux ordres de grandeurs, celles qui sont « au-dessous » et celles qui sont « au-dessus » de lui; il est un point de retournement et un lieu de réflexion en lui-même comme image en miroir (grandeurs, orientations) et toutes les théories du microcosme et du macrocosme ont insisté sur ce rapport spéculaire qui ordonne ces rapports comme étant symétriques et inverses (on peut comparer cette opération à celle du rapport numérique entre la progression Xn et la subdivision 1/Xn)20. Tout ceci constitue une simultanéité de

rapports dissymétriques puisque définissant deux plages de mises en rapport à travers cette conversion qu'est le lieu de l'homme.

Nous pouvons mettre en place les corrélats de base (quantitatifs et

20 Ce que nous avons proposé dans un travail récent, (2003, p. 45-56) et dont l'analyse est

réintroduite dans l'exposé de ce templum.

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qualitatifs) de ces rapports d'échelle qui expriment une discontinuité entre « mondes », microcosme (au poste Y) et macrocosme (au poste Z), dont le terme neutre, la notion d'intervalle unitaire, va constituer le lien « représentationnel »; nous établissons entre ces termes de base une sorte de chassé-croisé qui va permettre de « positionner » un certain nombre de classes d'« objets » et de « lieux » génériques (en référence à (vi) supra)):

(vii) Templum des rapports d'échelle entre « mondes »

Métatermes: MT+: commensurabilité MT-: incommensurabilité (la notion d'infinitude)

Corrélats initiaux: X : intervalle unitaire (topologiquement définie) Y : microcosme, en tant que pluralité et minimalité (borne

minimale) Z : macrocosme, en tant que globalité et maximalité (borne

maximale) définissant un horizon de la vision

Corrélats dérivés: XY: subdivision (ou monde en réduction) YZ : conversion en tant que coincidencia oppositorum (cf. N. de

Cues), soit une mise en équivalence A = B entre deux séries

XZ : progression (ou monde en grandeur nature)

(vii') La schématisation sera de la forme:

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MT+,-: commensurable # incommensurable intervalle

unitaire

subdivision (monde réduit)

progression (grandeur nature)

microcosme (plural, minimal)

macrocosme (global, maximal)

conversion (coincidentia oppositorum) équivalence A = B atome système solaire corps temple germe corps

Dans ce dispositif, nous avons la confrontation par mises en relation de

deux univers appelés, microcosme et macrocosme, qui se mesurent l'un à l'autre; si, au départ, nous disposons au poste X de la notion la plus élémentaire qui soit: celle d'intervalle unitaire (extensible indéfiniment), dans un cas, nous avons un univers formé de petits intervalles, et dans l'autre, nous avons son réciproque formé de grands intervalles. Ces deux modes sont ceux d'une subdivision et d'une progression dont les termes peuvent être le commensurable (finitude) ou l'incommensurable (infinitude).

Le sens de cette confrontation réside dans la rencontre entre des termes relevant d'une série et ceux relevant de l'autre; c'est pourquoi, la conversion (au poste YZ) comme lieu de mise en équivalence —que l'on peut intituler à la suite de Nicolas de Cues une coincidencia oppositorum en ce qu'elle relie le « petit » et le « grand »— représente le moment fondamental d'une équilibration de ces deux univers qui seraient sinon sans rapport. Cette conversion exprime un accord et non une relation établie mécaniquement. C'est, par exemple, la représentation du système solaire (macrocosme) et du système atomique (microcosme) mis en équivalence dans la théorie de Bohr. Ce fut, à la Renaissance, la représentation du corps humain (microcosme) et de l'édifice religieux (macrocosme) dans la

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conception architecturale de Francesco di Giorgio. Ce fut enfin la représentation du germe (microcosme) comme animalcule dans la théorie préformationniste des corps (macrocosme) au XVIIème siècle. Etc. Dans tous ces cas, c'est la projection d'un rapport dans l'autre qui établit, par coincidence, une représentation symbolique; la même que celle que nous avons entre la maquette et le bâtiment en grandeur nature ou la carte géographique et le territoire représenté21.

Enfin, si nous parlons d'établissement d'un accord, nous pouvons également parler d'un discord en tant qu'inversion polémique de cette relation symbolique. C'est ce qu'on appelle les représentations hors d'échelle comme dans le cas de certaines architectures fantastiques qui expriment une démesure (celles de Boullée au XVIIIème siècle, de F. L. Wright avec son gratte-ciel de Chicago dans les années quarante, One mile high) où nous retrouvons la problématique de la typicité; ce hors d'échelle peut être interprété comme écart à la norme, voire même, monstruosité comme dans le cas des figures gigantesques (celles de Goya, par exemple). V.4. PREMIÈRES FORMES D'ASPECTUALISATION

(TEMPORALISATION)

Le thème de l'aspectualité, comme telle, est relativement récent dans les analyses grammaticales puisqu'il ne date que d'une trentaine d'années22. Bien sûr, toutes les études casuelles (portant, par exemple, sur les langues slaves) ont proposé un certain nombre de caractéristiques aspectuelles (à côté de celles d'une temporalité et d'une modalité); mais disons que ce n'est que récemment que les linguistes ont pris conscience du fait que ces propriétés formaient un champ théorique homogène que l'on pouvait rapporter à des propriétés logico-

21 La carte est ce diagramme qui représente un macrocosme tout en étant à l'échelle réduite de

l'objet domestique que l'homme peut manipuler à sa guise (la corriger, la compléter, l'emporter en voyage). En ce sens, c'est la base d'une science des formes au même titre que l'arithmétique et la géométrie qui raisonnent sur des figures abstraites. Cf. Cartes et figures de la terre (1980), catalogue de l’exposition au Centre Georges Pompidou.

22 D'un point de vue général, la linguistique de Guillaume (1970 [1929]) est certainement la première à proposer un caractère franchement aspectuel que l'on retrouve par exemple dans celle de Pottier (1974, 1987).

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mathématiques (topologiques) plus profondes. Ainsi, la notion de structures d'ordre, comme nous l'avons explicitée auparavant, va permettre une compréhension approfondie des différents mécanismes aspectuels (définition des lexies, leur composition prédicative et énonciative) dans le langage et c'est l'application de ces structures profondes aux phénomènes discursifs que nous tenterons d'opérer.

Ainsi, du côté des linguistes, une terminologie très diverse (et pas toujours cohérente entre les auteurs) est apparue au fur et à mesure des descriptions particulières (ainsi de l’usage de l’opposition perfectif/imperfectif dans la littérature anglo-saxonne); ce n'est que progressivement que les notions d'état, de procès et d'événement se sont imposées clairement. Aussi, dans le développement de l'aspectualité comme champ homogène, on peut mentionner les noms de Seiler (1952), Comrie (1976) et Mourelatos (1981), Guentcheva (1990, p. 25-50).

Par contre, de leur côté, les propriétés logico-mathématiques ne disposent pas toujours de critères spécifiques aux phénomènes décrits puisqu'elles renvoient à des notions abstraites tenant à la globalité, à l'uniformité ou à l'homogénéité des espaces appréhendés. L'analyse aspectuelle doit donc se situer à la jointure de ces deux approches, empiriques et théoriques, et c'est ce que nous tenterons d'effectuer à la suite du travail exemplaire de J.-P. Desclés et Z. Guentcheva afin de rendre compte de cette agrégation d'espaces-temps particuliers. Ainsi, la notion de l'intervalle (ouvert, fermé) va jouer un rôle crucial dans la détermination d'un processus qui couvre, à la fois, les notions particulières d'état et de procès. C'est la même notion qui va permettre de fixer les dimensions d'un espace cinématique de déroulement, celui-ci pouvant être décomposé en un certain nombre de phases.

Reprenons le mini réseau de templa (i) de cette Cinquième partie. À propos de cette aspectualité temporelle, nous allons subdiviser notre problématique en trois sous-problèmes couplés (comme pour la quantification discursive).

Le premier, sous l'appellation « successif, simultané », sera consacré aux conditions générales d'un repérage où nous pouvons interdéfinir les notions d'état (Cf. Jean est grand; le temps est au beau; le granit est une roche dure; etc.), de procès (Cf. Jean s'habille lentement; le train arrive dans 10 minutes; etc.) et

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d'événement (Cf. La bombe explosa au passage du train) qui exprime une rupture non comprise dans un déroulement régulier (un programme préalablement établi); donc, formant une sorte d'irruption (hapax) dans un ordre projeté. En ce sens, l'événement est distinct, voire opposé, aux points/moments d'un déroulement où ils sont en synchronie les uns par rapport aux autres, bien que les deux expriment une sorte de ponctualité temporelle.

Le second, sous l'appellation « complétude, incomplétude », sera consacré aux phases particulières d'un déroulement en tant qu'orientation intentionnelle (visée télique) exprimant un achèvement: phase inchoative (Cf. Le bébé est né à 5 heures du matin), phase d'accomplissement (Cf. Jean écrit une lettre à sa mère), phase terminative et/ou résultative dans un procès de création (Cf. Le train est arrivé à 3 heures; le sculpteur a fini enfin son oeuvre). Alors que dans le premier dispositif nous avons des critères de déroulement, de scansion, de changement d'état, etc., bref de bornage, dans le second dispositif, nous avons des phénomènes de visée et d'atteinte du processus dont le sens est linéaire (complétude en tant qu'achèvement d'un programme ou incomplétude en tant qu'inachèvement).

Le troisième dispositif, sous l'appellation « prospectif, rétrospectif », définira plus précisement cette forme de mouvement en tant que points de vue comme étant porté vers l'avant (introduction, visée télique) ou vers l'arrière (regard en arrière, récapitulation). Ce mouvement exprime donc une progression vers un but ou une régression vers une origine. Entre ces deux orientations, on peut enfin introduire un troisième terme la reprise du mouvement (dans un sens et dans l'autre).

Tous ces aspects sont fondamentaux: non seulement pour décrire la nature des lexies (lexèmes, particules) ou le sens complexe des énoncés temporels (comme l'aoriste ou le parfait), mais également, ils entrent dans la composition d'une thématisation narrative permettant de décrire des modes d'enchaînement d'actions qui se suivent, qui alternent, etc..

Pour décrire ces processus complexes (associant, temps, modes, aspects, narration), il faut retrouver le dispositif de l'énonciation située en tant que moment coextensif à la chaîne d'actions qui se déroulent dans le temps et par rapport à laquelle on peut avoir un regard prospectif où l'on anticipe des achèvements et un regard rétrospectif qui permet de les mettre en perspective. A

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la suite de Desclés-Guentcheva (1987), nous allons voir que cette opération repose sur une simultanéité qui prend en charge ces deux aspects concomitants (superposition de processus à la manière d'une portée musicale). V.4.1. ÉTAT, PROCÈS, ÉVÈNEMENT

Prenons les métatermes du premier templum: pour définir la notion de processus; nous devons avoir recours à ces deux aspects complémentaires: la successivité et la simultanéité. Nous ne faisons qu'intégrer ici les propriétés topologiques introduites auparavant. La successivité est constitutive d'un substrat temporel (l'écoulement) alors que la simultanéité (cf. parallélisme et concomitance) va nous servir à construire un mécanisme de l'insertion de l'énonciation dans la chaîne temporelle, indépendamment du fait qu'elle caractérise un départ et un aboutissement de chaque action (les extrema d'un intervalle fermé). C'est à partir de ce « cadrage » abstrait que nous allons pouvoir déployer les autres caractéristiques aspectuelles.

Considérons l'instance énonciative située à la manière d'un index inséré dans la chaîne temporelle; par exemple, par un, —Que faites-vous en ce moment? —J'écris une lettre, où au rapport interlocutoire se superpose une concomitance de procès (d'un côté, une interrogation qui correspond à une action, de l'autre, une action déjà en cours, soit dont le début a précédé la demande d'information).

Au départ, nous avons un référentiel général qui exprime une situation d'ensemble stable à la manière d'un tableau iconique: Aujourd'hui, il fait beau, que l'on peut représenter comme état par un intervalle ouvert (départ et fin ne sont pas stipulables). Par ailleurs, nous introduisons un type de procès (une action en cours, une perception), défini par un intervalle semi-ouvert vers l'avant (si un début est posé, par contre, la fin ne peut être que postulée). Ainsi, Jean fait son jogging. L'instance temporelle d'énonciation ouvre une situation dans laquelle un observateur contemple la scène (concomitance de moments) et la rapporte à un tiers indéfini: Je vois que Jean fait son jogging,... Je vois ce matin que Jean fait son jogging (peut-être ne le fait-il pas chaque matin?). Finalement, nous pouvons intégrer ces trois stades dans un processus d'ensemble qui exprime un espace

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cinématique de déroulement d'une action, par rapport à un cadre stable et par rapport à une situation d'énonciation qui introduit un repère To comme origine de

cette énonciation présente:

(viii) Scène d'ensemble avec repérage énonciatif

To = S obser

joggingjoggingscène (état)

scène (état)

accompli inaccompli

Exemple: Aujourd'hui il fait beau; je vois que Jean fait son jogging

To est le point/moment d'insertion d'une situation d'énonciation, avec un sujet d'observation Sobser; celui-ci opère un constat (flèche rétrospective de l'accompli) et projette un futur (inaccompli prospectif) qui correspondra dans un futur plus ou moins proche à la cessation de l'action de Jean (Cf. Dans une heure, Jean aura sans doute terminé son jogging : anticipation d'une récapitulation). Cette « analyse de scène » est proche de ce que Langacker appelle un scanning de la situation, laquelle pourrait être sectionnée en plusieurs phases correspondant à des moments d'un espace cinématique dont l'ensemble forme un parcours à la manière d'un ruban:

Or la situation d'énonciation, en tant que lieu et durée d'une scène qui s'ouvre à l'observateur, peut être à elle-même un intervalle de temps dont le départ correspond au point/moment d'insertion dans l'espace cinématique et dont la borne de fermeture est indéfinie (cela peut être 10 secondes, 3 minutes, ou 1 heure comme dans le reportage des manifestations sportives). L'énonciation est

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un processus aspectuel au même titre que les actions décrites et définira, narrativement, la voix du témoin. Elle correspond à une médiété (définissant un avant et un après sur cette action) puisqu'elle « prend en cours » (in medias res, pourrait-on dire narrativement) le fait d'observation. Par rapport à elle-même, l'énonciation est donc un intervalle de temps qui peut se réduire à un point/moment (sans être identique à un point), où commence l'observation/relation et où l'on peut préciser la borne terminale: Cela fait au moins 10 minutes que Jean fait le tour du square en courant, énoncé distinct de Jean fait son jogging depuis 10 heures du matin, puisque dans le premier cas, on mesure un temps d'énonciation, alors que dans le second, c'est le décompte à partir d'un point de départ de l'action.

Nous venons de proposer un espace complexe fait de plusieurs durées d'action associées à une énonciation qu'on peut rapporter à un tiers (simultanéité de rapports représentée par la superposition des processus); le tout par référence à une stabilité d'ensemble (un tableau général) représentant le fond de scène.

Inversement, on peut avoir un même type d'espace complexe, fait d'actions qui se suivent et sans énonciation qui fixe un point/moment d'observation; ce que Guentcheva (1990, p. 46) appelle le registre du non actualisé, comme dans, Il faisait beau, Jean se sentait en pleine forme; il décida de faire un petit jogging. Nous avons un espace cinématique fait d'une suite d'actions (intervalles semi ouverts) où, pour que l'une s'ouvre il faut que la précédente se ferme: Jean prit son maillot, mit ses chaussures qu'il laça soigneusement,... (ainsi, la superposition d'actions n'est possible que dans une énonciation/observation qui embrasse la scène dans son ensemble). Nous obtenons ainsi une chaîne d'actions qui nous permet de définir, dans une trame narrative, une isotopie de l'action (Greimas & Courtès, 1979, p. 197) comme ensemble orienté vers des buts. Plus exactement, c'est à partir de cette notion de succession d'actions que l'on peut introduire celle de causalité entre elles, comme dans: Je recopie la lettre pour l'envoyer dès ce soir (Guentcheva, 1990). Bref, la relation de déroulement, décomposable en phases, peut devenir celle de « tenants à aboutissants ».

Comme dans une situation d'énonciation (définissant un système de repérage), l'intervalle d'action possède une double visée d'orientation, prospective

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et rétrospective qui permettrait d'anticiper à moyen terme d'autres actions à entreprendre dans le prolongement de celle qui est présentement accomplie; ou au contraire, de rappeler en mémoire des actions déjà entreprises; d'une part, En laçant ses chaussures, Jean se dit qu'il faudrait en acheter une nouvelle paire, et d'autre part, En enfilant son maillot, Jean se rappelle les nombreux exploits qu'il fît dans sa jeunesse. Ces actions, projetées ou remémorées, ne sont pas directement consécutives mais cependant elles font partie d'un projet intentionnel global. Elles ne participent pas d'une énonciation externe à la scène mais interne à ce projet (relevant d'une subjectivité en tant que for intérieur) et elles constituent une temporalité au même titre qu'une chaîne d'actions parcourant l'espace cinématique présent23. Avant de poursuivre, rassemblons ces premières considérations:

(ix) Templum d'un processus de temporalisation I (espace de repérages)

Métatermes: MT+: successivité (le fait qu'il y ait un avant et un après de

l'action) MT-: simultanéité d'actions (parallélisme, concomitance)

Corrélats initiaux: X : notion d'événement comme singularité remarquable (data-

tion, rencontre inattendue, coïncidence, rupture) Y : notion d'état: intervalle ouvert, comme dans les définitions

(le granit est une roche cristalline) ou exprimant une situation stable servant de référentiel à des actions: le ciel est bleu

Z : notion de procès (action, perception): intervalle semi-ouvert vers l'avant, définissant un départ, une fin potentielle et un

23 En fait, ces observations font appel à un autre type de templum portant sur la mémoire et

l'attente, définissant un Présent de situation par rapport à des événements passés comme souvenirs, à une remémoration de ceux-ci (comme dans l’art de la Mémoire), ainsi qu'à une commémoration de ceux-ci comme dans les différents événements sociaux.

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développement qui les relie

Corrélats dérivés: XY: fréquentatif (répétition d'un état et/ou événement à

intervalle régulier) YZ: espace/temps cinématique d'un déploiement temporel,

décomposable en phases, associant d'un côté l'état (dans la notion de moments) et de l'autre le procès (notion de parcours dans son ensemble); linéarité en tant que durativité d'une action ou parallélisme de plusieurs actions ensemble; reprise de la même action; superposition de processus action + énonciation, définissant un système de repérage complexe (viii) supra)

XZ: changement d'état (le procès en cours, impliquant une terminaison normale, bifurque et engendre un nouvel état); on a une mutation de la situation, une rupture d'équilibre opposée à l’état antérieur dont l'événement rend compte.

(ix') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: successivité # simultanéité

événement

changement d'état

procès

espace cinématique

état

fréquentatif

moments parcours

datation rupture

Reprenons notre description à partir de la notion d'état; nous savons qu'un même prédicat peut avoir deux modes aspectuels; ainsi, être assis (état) et s'asseoir (procès), être couché et se coucher, être allongé et s'allonger,...Nous

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avons donc une conversion entre une position et une action, exprimant deux situations possibles; inversement, le même prédicat peut avoir deux acceptions opposées La corniche avance (c'est un état où le prédicat exprime une stabilité; la description est plus proche d'une spatialité que d'une temporalité) et Jean avance lentement dans son travail (c'est un procès où le prédicat exprime un déroulement qui aura une fin); nous avons donc un même prédicat pour deux acceptions très différentes.

Mais prenons un énoncé comme, La terre tourne autour du soleil; apparemment, tourner exprime une action comme dans Tournez à gauche puis allez tout droit; mais c'est un procès qu'on ne peut décliner temporellement (on ne peut pas dire: ...tournait...ou..tournera...). C'est donc un état qui représente non pas une position stative mais une scansion, un retour incessant au même point (en termes de cycles cosmiques).

Ainsi, d'un côté, l'état Y entre dans la définition d'un espace cinématique YZ à titre de fond de scène, et de l'autre, il peut également renvoyer à une disposition récurrente qui exprime une identité comme dans Chaque samedi Jean va faire son bridge. L'état fréquentatif XY est caractérisé comme un intervalle ouvert formé d'intervalles fermés identiques puisque la même action est répétée indéfiniment. Ce fréquentatif, fait du même procès répété, s'oppose diamétralement au procès comme action, ce qui présuppose que celle-ci renvoit, d'une part, à un cours régulier entre un début et une fin, mais d'autre part, qu'elle peut être perturbée comme on va le voir peu après. Un énoncé ambigü comme, Jean mange de la viande, renvoit à deux aspects antithétiques: d'un côté, il exprime un procès en cours (et qui peut être interrompu) comme dans Je vois que Jean mange de la viande, et de l'autre, il exprime une habitude comme dans Jean a l'habitude de manger de la viande.

Sous l'action qu'exprime le procès, il y a donc un sujet agentif ou une cause agissante24, alors que le fréquentatif représente un retour immuable de l'action (en ce sens, le fréquentatif, de par sa position, est radicalement distinct d'un enchaînement en tant que suite d'actions située au poste YZ).

Le fréquentatif peut être également une classe d'événements qui se

24 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre II.

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répétent identitairement dans le temps25; ces événements ne sont pas inattendus, comme ceux que nous allons considérer peu après, mais au contraire, ils ponctuent notre vie: c'est le retour des fêtes (religieuses, laïques), celui des anniversaires; c'est le rythme invariant des habitudes coutumières dont la visée est représentée par un On a toujours fait comme ça. Tout ceci définit finalement une absence de temps en tant qu'accomplissement d'un procès, mais par contre, c'est le cadre pour un déroulement cinématique du temps ordinaire (le rythme des saisons, des années). C'est pourquoi, l'état fréquentatif est la neutralisation de toute espèce d'action ou de changement intentionnels.

Considérons la notion d'événement comme tel; comme nous l'avons dit, il se détache d'un contexte fait de durée ou d'itérativité continues (il n'est pas assimilable à un point/moment d'un espace cinématique mais « saute » hors du continuum). Il exprime une rupture, une exception remarquable; parfois, il est sans cause apparente. Considérons quelques exemples:

(x) Quand Jean mit le pied sur la marche, l'escalier s'effondra (rupture d'un procès)

Les deux voitures se heurtèrent de front (rencontre inopinée)

Mon père est mort il y a juste trois ans (événement terminatif et inchoatif)

En 1789, de grands changements eurent lieu en France (date remarquable)

Dans le premier énoncé nous avons un rapport de cause à effet (donc un

déroulement); mais, dans cet effet, il y a beaucoup plus que ce qu'on pouvait présumer dans la cause; l'effet est de rupture du procès dissocié du processus régulier de « monter un escalier ». Dans le deuxième énoncé, nous avons une coincidence entre deux procès, le parallélisme supposé entre eux n'en faisant plus

25 Rappelons que l'« identification » (à la base de l'identitaire) ne se confond pas avec

l'« identique ». Ainsi, comme le mentionnait Saussure, le train Genève-Paris de 6h 45 est toujours le même train bien que ses wagons ne le soient sans doute pas.

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qu'un seul par rencontre; dans cette singularité (l'accident), nous avons un sens interruptif brutal puisqu'on se doute que cette rencontre va transformer les deux voitures en épaves (et les passagers en blessés ou morts, cf. changement d'état). Inversement, dans le troisième énoncé, nous avons un événement symbolique qui ferme un processus et qui en ouvre un autre (la notion de deuil, par exemple). Enfin, dans le dernier énoncé, nous avons une date remarquable qui entre dans une série discontinue de singularités historiques où l'on pourrait avoir, Comme en 1848, comme en 1871, comme en 1936,... C'est ainsi le sens symbolique des inaugurations comme marques d'origine.

L'événement doit donc être spécifiquement distingué des points/moments réguliers d'un déroulement (par exemple, la vie d'un être humain déroulée en naissance, âge mûr, mort); certes, il participe d'un procès en tant que tenant et aboutissant, toutefois il s'en détache comme singularité hors d'un présent duratif. Ainsi l'événement correspond à un surgissement hors de toute successivité (procès, habitudes) comme avec les expressions: Un jour, Un beau jour,... Par exemple26:

(x') Un jour, Jean prit sa voiture et s'en alla

Un jour, Jean prendra sa voiture et s'en ira dans ces deux exemples, l'événement est associé à une projection hors du présent comme durée (induisant un « ailleurs » de type narratif)

Un jour, il prit un verre, puis deux, puis trois,... nous passons ainsi d'une apparition (événement) à une habitude (fréquentatif)

Un jour, la pluie se mit à tomber nous passons d'une absence à une présence par changement d'état

D'un côté, l'événement peut conduire à la formation d'une série qui va

constituer rétrospectivement une classe homogène de moments remarquables 26 Cet exemple est dû à M. Charolles (séminaire de Desclés, 2004) pour qui « moments » et

« événements » sont dissociables.

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(datations comme histoire, comme temps calendaire dans les festivités; habitudes ancrées des individus). De l'autre, l'événement peut être le moment (inchoatif ou terminatif) d'un procès déviant.

En effet, du procès en Z nous pouvons dériver collatéralement, soit le processus d'accomplissement régulier en YZ, soit un cours distinct que nous appelons en XZ un changement ou une modification d'état; or ce processus de changement peut conduire à un terme non prévu au départ. Ainsi dans, La voiture s'engagea dans le virage, dérapa sur le bord et se retourna dans le fossé, nous avons un enchaînement d'actions qui n'exprime plus, à un moment donné, un accomplissement régulier (qu'on aurait dans, sortit du virage mais le chauffeur garda le contrôle de la voiture). Déraper, se retourner,... sont des lexies qui induisent une irrégularité (que l'on peut rattraper ou non). Dans leur définition, nous pouvons ainsi anticiper un terme résultatif non compris dans le programme de départ. Bref, certaines actions représentent des points critiques de bifurcation d'un procès (diamétralement opposés à la notion d'état stable).

Comme nous l'avons suggéré, le procès est donc assujetti à un rapport d'équilibre et de déséquilibre (ou d'évolution régulière et irrégulière); d'ailleurs la notion de changement peut être autant la bifurcation d'un procès en cours qu'une modification des conditions de l'état initial (Cf. un changement d'état substantiel comme dans le cas des états de la matière). Dans, La pluie se mit à tomber à seaux, nous sentons linguistiquement une différence entre une pluie normale et une pluie anormale (torrentielle); il y a donc eu un changement dans le processus en cours que l'on peut d'ailleurs poursuivre par un, Mais, par miracle, elle cessa subitement, soit l'irruption d'un événement exceptionnel qui nous ramène à une situation régulière.

Le procès est donc le siège d'un déroulement cinématique, d'un changement éventuel, et nous ajouterons maintenant, d'une tension au sens de la tensivité dont nous avons parlée auparavant et de la phorie dans le cas des tropes . Alors que les figures précédentes relevaient d'une extensité (notions d'intervalle, de points/moments, de bifurcation), nous dirons que celles d'une tension basculent dans une intensité (ainsi le verbe s'inquiéter comme dans: Ne le voyant pas arriver, je commencçais à m'inquiéter, exprime une tension engendrée par l'attente). Dans tous ces cas, il s'agit de grandeurs intensives que l'on pourrait d'ailleurs quantifier au moyen d'un gradient exprimant une force.

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V.4.2. PROCESSUS TENSIF: LA NOTION DE « CRISE »

Nous subdiviserons cette notion de l'intensité (psychologique, théâtrale) en trois phases de base: l'attente, qui prépare ou qui anticipe un mouvement; la crise qui exprime le moment extrême de tension, celle, par exemple, de confrontation dans un récit entre le héros et son adversaire, celle où l'action est la plus tendue. Enfin, le relâchement qui représente le retour à une situation normale d'avant l'attente initiale. C'est le calme après la tempête; c'est le résultat heureux après le combat27.

Entre ces trois phases articulatrices d'une intensité, préparée, portée à son comble et résolue (dans une forme d'amortissement), nous avons les phases intermédiaires qui les relient pour former un continuum cyclophorique: entre l'attente et le moment de crise, nous avons la tension qui monte, le « suspense » qui tient en haleine le spectateur (Cf. La jeune femme entre dans la maison où se tient l'homme avec son couteau); entre le moment de crise et le relâchement, nous avons la détente (Cf. La jeune femme ne s'est pas engagée dans le couloir au fond duquel se tient l'homme). En phase de croissance de l'intensité, nous avons donc des effets anxiogènes (de crainte, de peur, d'affolement) dans le comportement; en phase de décroissance, nous avons des effets de détente, ceux d'un dénouement de la crise comme signe de résolution des conflits28 et dont la phase terminale marque la cessation. Tension et détente encadrent ainsi la phase de crise (l'affrontement, l'agitation extrême) et sont encadrées par une préparation, l'attente d'un événement qui se précipite et d'une résolution finale où tout rentre dans l'ordre. Soit le dispositif récursif:

(xi) schéma du templum d'une cyclophorie tensive

27 À propos des intonations de la voix. 28 Ce schéma cyclophorique fait penser à celui de la dramaturgie dans La Poétique d'Aristote

(chapitre 18) réinterprétée par R. Dupont-Roc et J. Lallot, (1980, p. 291-292); au moment de tension correspondrait le nouement (désis) et à celui de détente le dénouement (lusis).

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MT+,-: hyperesthésie # anesthésie

crise

attente relâchement

calme

suspense détente

Nous avons ainsi un cycle que les termes du templum enclenchent les uns à la suite des autres et auxquels s'oppose le calme, l'absence d'engagement dans un tel mécanisme de montée aux extrêmes (Cf. Garder la tête froide, rester de marbre). Les métatermes de ce processus tensif sont ainsi la notion d'« hyperesthésie » comme excès de la sensibilité jusqu'à un climax et celle d'« anesthésie » comme neutralisation de celle-ci. Or ces deux expressions évoquent de leur côté un rapport au corps sous la forme du plaisir-déplaisir que nous pourrions développer à la suite. V.4.3. INCHOATIVITÉ, DÉROULEMENT, TERMINATIVITÉ

Reprenons le fil de notre exposé en considérant maintenant le second volet de ces processus de temporalisation, dont nous allons voir que certains termes ne sont pas sans faire penser à ce que nous venons de décrire à propos de l'intensité phorique (par exemple, les notions de phases de croissance et d'amortissement, soit un mouvement linéaire orienté). Toutefois, celui que nous allons décrire relève davantage d'une grandeur extensive (et active) plutôt qu'intensive (et passive). Nous allons voir de quelle façon.

Alors que le premier templum de ce sous-ensemble mettait en place un repérage topologique, celui-ci va concerner le processus lui-même issu de la notion d'espace cinématique en tant que moments et parcours. Ce processus peut

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être accompli ou inaccompli. Nous suivons les remarques de Z. Guentcheva qui note que les oppositions linguistiques de l'accompli/inaccompli, du perfectif/imperfectif, ne sont pas toujours très claires29; il faut bien distinguer un procès en cours, à travers ses différentes phases, du procès achevé que l'on peut évaluer après coup (soit, d'un procès révolu ; c'est cette distinction que les temps précisent comme entre l'imparfait et le passé simple en français). D'ailleurs, dans cette notion d'un accomplissement entre un point de départ et un point d'arrivée, les linguistes oublient parfois qu'il existe un phase pré-inchoative qui serait celle de l'annonce de ce qui va être fait ou de ce qu'on va dire: Je vais vous parler des champignons hallucinogènes (le procès n'a pas encore démarré; nous ne faisons qu'indiquer la nature d'un projet); de même, il existe une phase post-terminative où le procès est non seulement arrivé à son terme mais récapitulé: Finalement, ma conférence a porté sur les effets néfastes des champignons hallucinogènes. Dans une conclusion récapitulative, non seulement on ramasse les principales thèses du développement mais on ajoute un regard rétrospectif sur la signification de l'ensemble.

L'annonce d'un projet, comme la conclusion rétrospective, font donc partie d'une orientation télique sous-jacente dont le point de vue sera clairement établi dans le troisième templum de ce sous-ensemble aspectuel. Par contre, dans le présent dispositif, nous ne faisons que préciser le fait que ce processus est, soit complet (abouti), soit incomplet (interrompu, arrêté ou dévié); en consultant le mini réseau de templa (i) qui nous guide dans cette Cinquième partie, on voit que ce dispositif est à la croisée des axes entre une aspectualité temporelle et une aspectualité spatiale, la notion de complétude, comme bouclage, étant équivalente à celle d'une délimitation spatiale30. Soit, le second templum qui fait système avec le précédent et le suivant:

29 Cf. Z. Guentcheva (1991, p. 49-65). 30 On peut illustrer cette coincidence par l'expression, Tracer une ligne, qui exprime à la fois une

complétude en tant que temporalisation et une totalité en tant que délimitation spatiale (par exemple, tracer un cercle).

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(xii) Templum d'un processus de temporalisation II (accomplissement)

Métatermes: MT+: complétude MT-: incomplétude

Corrélats initiaux: X : accomplissement (suspension, reprise) Y : inchoativité (départ) Z : terminativité (fin)

Corrélats dérivés: XY: progression (croissance) YZ: annonce du procès (associé à l'inchoatif), récapitulation du

procès (associé au terminatif) XZ: amortissement (décroissance)

(xii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: complétude # incomplétude accomplissement

(interruption, reprise)

inchoatif terminatif

annonce, récapitulation

amortissementprogression

Nous décrivons ainsi extensivement chacune des phases du parcours relevant de l'espace cinématique, y compris —comme nous l'avons noté— la phase préliminaire à l'inchoatif qui anticipe ce qui va arriver et la phase conclusive après le terminatif qui rassemble récapitulativement les propos. Ce ne sont pas des phases « transitives » mais « réflexives » qui « encadrent » le

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déroulement; en cela, cette double phase d'amorce et de récapitulation (au poste YZ) agit à la façon d'une bascule dans un sens prospectif et rétrospectif; elle exprime un point de vue qui est une mise en situation du mouvement à accomplir.

Quelques exemples vont nous permettre d'illustrer ces types de phase en rappelant qu'ils se réfèrent toujours à des intervalles topologiques orientés:

(xiii) Comme lexies, Commencer, partir,démarrer, naître, apparaître, surgir,... expriment une phase inchoative. Par opposition, nous avons: Terminer, atteindre, arrêter, mourir, disparaître, cesser, ... expriment une phase terminative; celle-ci peut représenter un certain temps comme dans, agoniser, mourir à petit feu ; on dira que c'est une phase terminative + amortissement (poste XZ intégré).

Grossir, s'enrichir, croître,... expriment une phase progressive. Par opposition, nous avons, Maigrir, s'appauvrir, décroître,... expriment une phase décroissante, ou encore, un amortissement.

(xiii') Comme énoncés, Le bébé est né à cinq heures (inchoativité + durativité implicite, sans fin assignée) Jean a enfin fini son travail (terminativité après une longue durativité implicite) Jean grandit très vite (progressif où la vitesse de croissance dépasse la norme implicite) Jean a de moins en moins de chance au jeu (décroissance qui peut aller jusqu'à une terminaison nulle) Il n'y a plus de beurre dans le frigo (énoncé bien distinct de: « Il n'y a pas de beurre... » qui exprime une absence; ici, nous avons affaire à un constat récapitulatif: Il y avait du beurre (duratif), il n'y a plus de

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beurre (cessation implicite) A pu!! (cri de victoire du bébé s'essuyant la bouche pleine de crème; l'énoncé exprime un récapitulatif et non simplement un terminatif comme dans: J'ai fini!)

(xiii") Comme suite d'énoncés exprimant un accomplissement général, Jean à l'intention d'écrire une lettre (annonce d'un processus) Jean commence à écrire une lettre (inchoativité) Jean est en train d'écrire une lettre (accomplissement) Jean termine une lettre (terminativité) Jean a écrit une lettre à sa grand-mère hier matin (récapitulation)

Ces exemples (parmi de nombreux) montrent que l'on peut facilement repérer les divers moments d'un procès et de son observation (en référence à la notion de point de vue, infra) dans le schéma cyclophorique: début cours

fin, du templum. Celui-ci est partagé entre un grand cercle passant par la notion d'un accomplissement réel (être en cours, devenir, évoluer), permettant de décrire des types de croissance ou de décroissance, et un petit cercle qui annonce ou récapitule les données sous la forme d'un achèvement (complétude). En plus d'être des termes mixtes, XY et XZ expriment des rapports d'approximation et/ou d'amortissement jusqu'à l'annulation du processus qui renvoient au templum (iv-iv') supra d'un ordre sériel.

Mais dans cette notion de processus, nous avons implicitement deux choses: une linéarité de développement et un sens de parcours obligatoire puisqu'on va du début à la fin du même. La phase de décroissance n'est pas identique à une régression; bien au contraire: dans une régression, on change de sens de parcours puisqu'on « remonte » le temps au lieu de le « descendre »; on cherche des origines et non à atteindre des buts (orientations opposées en termes d'intervalle). Enfin, la linéarité présuppose qu'il n'y a pas de choix quant au

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parcours à accomplir, que le mouvement lancé va se dérouler selon le programme envisagé, sans hésitation et sans déviation. Pour ces deux raisons, il faut un dernier templum qui puisse spécifier ce changement d'orientation, ces moments d'incertitude, ces déviations possibles à partir d'un programme annoncé. V.4.4. POINT DE VUE PROSPECTIF ET POINT DE VUE

RÉTROSPECTIF

L'annonce d'un projet, comme sa conclusion récapitulative, fait donc partie d'une orientation télique du processus qui en spécifie le caractère achevé (complétude) ou inachevé (incomplétude). Cette vision d'ensemble —véritable synthèse portant sur ses différentes phases—nous allons la situer maintenant au niveau des métatermes qui organisent ce troisième templum d'un système de l'aspectualité temporelle. Ces métatermes qualifient un double sens de mise en perspective (prospectif vers un avant du procès inaccompli et rétrospectif vers un arrière accompli) dans lequel nous retrouvons la description que nous avons proposée au point (viii) supra; dans l'énoncé, Hier, j'ai vu Jean qui faisait ses courses quotidiennes, j'inscris une Scène de la Parole (rapportée à un tiers) dans un procès fréquentatif qui a implicitement une phase précédente et une phase suivante (ce qu'implique la notion de « quotidien »). Cependant, la notion de processus en tant que tel doit être également dissocier en deux aspects fondamentaux: un mouvement de progression (vers un but futur) et un mouvement de régression (vers une origine supposée). Ces deux orientations, comme quête d'un terme d'accomplissement, sont diamétralement opposées. Il nous faut donc distinguer deux choses: le sens d'un processus et le regard (points de vue) qu'on porte sur lui.

D'un côté, les métatermes qualifient ce double sens comme visée qui articule (cf. notion d'avant/après) les différentes phases du procès et les domine comme précédemment (dans l'exemple (viii) supra) le point/moment d'énonciation l'effectuait par rapport au déroulement observé. De l'autre, il s'agit d'une orientation quant au processus lui-même dont l'opposition entre les notions de progression vers un but et de régression vers une origine introduit un troisième

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terme implicite qui serait ni l'un ni l'autre: par exemple, la notion de reprise comme définissant un moment d'indécision entre ces deux sens. Or, dans l'exposé du templum (xiii-xiii') supra, nous associons à la notion d'accomplissement au poste X celle d'interruption, de reprise, etc.; soit différentes formes de discontinuité dans un processus global qualifié de continu par la mise en perspective de ses différentes phases.

Dans un déroulement, nous avons donc une continuité postulée; par exemple, de Jean est en train d'écrire une lettre, nous supposons qu'un but est assigné à cette action indépendamment des péripéties de sa réalisation. On aura donc, Jean est en train d'écrire une lettre à sa soeur, que la lettre sera, envoyée par la poste, qu'elle sera, reçue par sa destinatrice, qui lui répondra peut-être, etc. Toutefois, en introduisant une discontinuité dans l'effectuation de chacune de ces phases, nous complexifions le processus en suspendant certains liens. C'est, par exemple, le sens de la reprise d'une action jugée insatisfaisante, comme dans, Jean est en train d'écrire une lettre et, mécontent de lui, la déchire, reprend une feuille, recommence, hésite sur certaines formules, rature et réécrit un passage entier... Le double sens, prospectif et rétrospectif en tant qu'avant/après régissant les points de vue, permet de lier ces morceaux de procès, raboutés au fur et à mesure d'une évolution. Ou encore, nous avons ces allers et retours comme dans la conversation courante, introduits par des annonces et/ou récapitulations successives, Je reprends donc ce que je disais à l’instant..., ou, Rappelez-moi ce dont nous parlions... Le procès n’est donc pas unidirectionnellement orienté mais bidirectionnel. Toutefois, entre le poste X d’un déroulement et le poste YZ d’une annonce/récapitulation, nous avons la différence profonde entre un procès en cours de réalisation, dont on ne peut faire l’économie des étapes (les hésitations, les repentirs, les changements) et un procès observé puis révolu que l’on peut schématiquement récapituler. Entre le déroulement et cette récapitulation nous avons donc un décrochement, une différence de nature, puisque le premier est assujetti à un temps d'effectuation réel alors que la seconde peut correspondre à une reconstruction plus ou moins imaginaire de la part du sujet lui-même qui a accompli ce processus (a fortiori, d'une observation extérieure). Cette notion de reconstitution d’un procès achevé est particulièrement sensible en littérature (par exemple, dans la rédaction des Mémoires autobiographiques). La reconstruction

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est une restitution plus ou moins fidèle de ce qui a eu lieu et d’ailleurs, dans une narration, on peut sauter des étapes comme dans: Trois ans se passèrent... Cette formule elliptique (qui correspond à une suspension de l'action) n’est possible que parce qu’on peut manipuler le temps comme une fiction. Z. Guentcheva (1991, p. 182) fait ainsi référence à un processus d’abduction au sens de Peirce (1978), soit un processus argumentatif où l’hypothétique joue un rôle aussi important que l’assertorique dans la reconstitution des enchaînements31. Le poste X du précédent templum représente ainsi un moment d'incertitude qu’il faut compenser par d’autres procédures telles que celles d’une argumentation (en tant que glose) qui, finalement, permet de reconstituer une cohérence d’ensemble là où il n'y avait qu'une disparité plus ou moins grandes de procès ponctuels.

Exposons ce troisième templum, couplé au précédent, en ce qu'il constitue un approfondissement de la notion d'orientation du processus:

(xiv) Templum d'un processus de temporalisation III (double sens d'orientation)

Métatermes: MT+: prospectivité (visée vers l'avant) MT-: rétrospectivité (visée en retour)

Corrélats initiaux: X : reprise Y : progression (sens du procès vers un but) Z : régression (sens du procès vers une origine)

Corrélats dérivés: XY: faisceau de voies possibles YZ: retournement de situation XZ: suspension (défection, perte)

31 Ainsi le but de l'analyse est de restituer des processus cognitifs sous-jacents qui n'apparaîssent

(en surface) qu'à travers certains indices disséminés.

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(xiv') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: prospectivité # rétrospectivité

reprise

faiceau de voies possibles

progression régression

retournement de situation

suspension

Nous avons ainsi trois modes d'un parcours d'accomplissement (expression générale développant le poste X du précédent templum): un sens de progression vers un but (où nous retrouvons le cas précédent) et que l'on peut différencier en plusieurs phases; une reprise au sens de reprendre, de refaire quelque chose (présupposant un état d'incertitude où la direction du procès vacille entre plusieurs possibilités); un sens de régression vers une origine qui peut être, par exemple, l'inversion d'un mouvement précédent. Ce changement d'orientation implique alors un point de retournement comme retour en arrière (vers le point de départ dont on vient) et non un accomplissement du procès vers le point d'arrivée présupposé. Ainsi, on aura, Jean se dirige vers le village mais, réflexion faite, retourne à la maison pour voir si Marie dort toujours.

Cette nouvelle disposition relativise la notion de parcours en offrant une gamme de possibilités dans l'accomplissement même du projet dont l'unicité d'une progression n'est qu'un aspect; surtout, elle introduit des choix qu'un sujet peut faire (cf. ouvrant des discontinuités), ne serait-ce que dans les termes d'atteinte: progresser vers un but est à l'opposé de régresser vers une origine. Les deux peuvent être considérer comme des quêtes (la recherche d'une fin) mais le sens ontologique qu'on peut leur prêter est radicalement différent: ainsi, cette régression peut être considérée comme la constitution d'une mémoire personnelle, comme dans le cas de la littérature autobiographique, ou d'une anamnèse philosophique, cf. une remontée aux origines; ou encore de la recherche d'un monde primitif perdu.

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Terminons la description de ce dispositif par celle des termes mixtes; si la notion de progression peut être interprétée comme une « voie à suivre », nous ajouterons alors qu'entre ce mode du procès et la notion de reprise, nous pouvons situer celle d'une possibilité de voies (ainsi la reprise permet un changement de programme). C'est à ce poste mixte que l'on peut rattacher les notions d'interruption, de changement d'orientation, de déviation afin de contourner un obstacle ou au contraire de dériver vers des buts imprécis32. C'est ce que nous appelons un faisceau de voies possibles permettant des choix, à mi-chemin entre une seule voie et une pluralité, où le risque opposé est de ne plus permettre d'engagement par indécision (la reprise glissant vers un état de suspension).

Entre la reprise et la régression, nous pouvons situer cette suspension qui peut aller jusqu'à une dissolution du projet (un oubli, une perte comme dans, Perdre son chemin, s'égarer); opposée diamétralement à la notion de progression comme acquisition, comme résultant d'un faire engagé vers un but assigné, c'est la notion d'un défaire (comme on parle d'une armée défaite), de la dissolution d'un acquis. V.5. DEUXIÈMES FORMES D'ASPECTUALISATION

(SPATIALISATION)

Revenons au mini réseau de templa (i) qui nous guide dans l'exposé de ce champ de l'aspectualité où l'entrecroisement des propriétés spatiales et temporelles est bien lisible.

Dans la notion de processus, il est difficile de dissocier ce qui relève des propriétés strictement temporelles et ce qui relève des propriétés strictement spatiales: ainsi, un mode d'accomplissement n'est pas sans faire penser à une « voie » possédant une limite, des marges, des embranchements, et dont les termes ont un caractère temporel (cf. un but est au futur; la recherche d'une origine est celle d'un passé; etc.). Un « tracé » est à la fois une délimitation pouvant comporter un intérieur et un extérieur et une complétude temporelle avec son départ et sa fin potentielle. Etc.

Au sein de cette aspectualité spatiale, nous considérons deux points de vue complémentaires: a) celui des rapports d’articulation entre éléments où nous 32 Où l'on retrouve, d'une certaine façon, la notion de changement d'état comme modification

d'un programme, quitte à ce que celui-ci soit repris un peu plus tard.

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dissocions des termes continus et discontinus, en contact ou sans contact; à cette présentation générale, nous associons le cas particulier du rapport entre dessus et dessous comme type de localisation spécifique; b) celui des rapports de totalisation, beaucoup plus complexes en ce qu’ils font intervenir des propriétés relevant de plusieurs templa associés, formant donc entre eux un système (comme on vient de le voir à propos des trois templa précédents) et caractérisant des rapports d’intégration (la notion intuitive de corps), de somme (la notion intuitive de collection) laquelle est distincte du simple agrégat sans ordre (dispersion); de croissance sous la forne de genèse (processus distinct d’une temporalité comme mouvement et/ou déplacement); c) enfin, les rapports d’homogénéité et d’hétérogénéité de ces agrégats dans la définition d’un mode de spéciation (la notion intuitive d’espèce et de lignage comme rassemblement d'êtres similaires). La formulation de ces rapports d'homogénéité/hétérogénéité bouclera notre analyse, comme nous le voyons dans le mini réseau de templa (i) en ce qu'ils sont associés homologiquement à ceux d'une grandeur intensive/extensive.

Comme pour l’aspectualité temporelle précédente, nous ajouterons que cette dissociation en templa représente avant tout un mode d’exposition didactique. Dans les faits, nous avons une interaction entre ces différentes notions, assurée par les renvois multiples entre leurs termes. Là encore, nous avons un phénomène complexe représenté par autant de facettes qu’on ne peut directement embrasser d’un seul coup d'oeil mais qui, à la manière du prisme décomposant la lumière, permet d’articuler plusieurs catégories en même temps selon différents points de vue. V.5.1. JONCTION, DISJONCTION

Considérons le premier de ces templa définissant des rapports d’articulation; nous pouvons les distinguer selon la segmentation (continu, discontinu), selon le contact (contact, non-contact), selon la fermeture (intériorité). A ce stade, on ne peut véritablement parler de phénomène de totalisation mais d’une description des assemblages. C’est pourquoi, nous choisissons d’entreprendre cette analyse par ses aspects les plus superficiels.

Les deux métatermes retenus concernent les opérations de jonction (joindre, associer, juxtaposer) et de disjonction (disjoindre, dissocier, séparer ou

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trier). Nous considérons que ces deux volets, comportant une pluralité de manifestations, sont à la base du dispositif suivant:

(xv) Templum d'une jonction, disjonction (articulation)

Métatermes: MT+: jonction (opération d'assemblage) MT-: disjonction (opération inverse)

Corrélats initiaux: X : associer, dissocier (juxtaposer, séparer); Y : inclure, exclure (introduire, ôter; remplir, vider) Z : connecter, déconnecter (lier, délier; nouer, dénouer)

Corrélats dérivés: XY: situer dessus, situer dessous; situer au-dessus, situer au-

dessous (présence ou absence de contact avec une surface de référence)

YZ: envelopper, développer XZ: souder, rompre (briser, casser, arracher),

(xv') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: jonction # disjonction associer-dissocier

(segmentation)

inclure-exclure connecter-déconnecter

envelopper- développer

situercontact+

contact-

souder-rompre

Ces opérations concernent des types d’action comportant leur inverse (cf. ajouter, retrancher, comme exemple canonique); elles entrent dans la définition des lexies verbales ou nominales et traduisent des opérations manuelles et/ou

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intellectuelles (opérations sur des signes graphiques, par exemple). Ce sont ainsi des opérations cognitives qui permettent, d’un côté, de classer des gestes d’accomplissement, et de l’autre, de leur assigner des termes en tant que tenants et aboutissants. Des prépositions associées à des radicaux, jouent par exemple un rôle fondamental dans la traduction de certaines de ces opérations cognitives: mettre dedans, mettre dehors, mettre sur, mettre dessus, mettre à découvert, mettre à côté, mettre entre, mettre ensemble, mettre sans dessus-dessous; etc. Nous avons là des actions bien différentes les unes des autres et, souvent (comme en anglais), c’est dans le sens de la préposition (ou locutions associées) que réside la véritable signification du prédicat. Dans l’exemple que nous venons de prendre, le radical mettre est synonyme de « situer » (cf. mettre avant, mettre après) en tant que base neutre par rapport au jeu des prépositions qui signifient la variété des opérations qu'on peut lui adjoindre.

Prenons un verbe comme coller (enduire de colle); il traduit une action proche de l’opération de connexion comme lier, nouer, coudre, tresser, tricoter,... en ce que de deux choses distinctes on en fait une seule; les différences, à l’intérieur de cette notion générique de connexion (différente d'une simple juxtaposition), tiennent par ailleurs à des types de substrat sur lesquels on agit: coudre un bouton est distinct de coller un timbre ou de souder au chalumeau, en ce que, d’un côté, nous avons des solides, souples (fil) et dur (bouton)—à l’intérieur des « fibres » nous avons la différence technique entre coudre et tricoter— et de l’autre, une substance liquide ou liquéfiable (qui entre alors en fusion)33.

La connexion peut toujours, par inversion, être rompue ou distordue: On arrache un bouton (distinct de, Le bouton s’est détaché, qui reléverait d’une dissociation); On démaille un tricot, On décolle un papier peint. On passe ainsi par transition d’une connexion à une coupure située entre l'assemblage et le lien.

Considérons ainsi nos termes de base comme reflétant des opérations cognitives élémentaires; la plus simple, apparemment, est celle d’inclusion comme action de « mettre quelque chose dans quelque chose » (cf. soit de fermeture; la psychologie génétique de Piaget classait cette opération parmi les

33 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre II, à propos de cette différence instrumentale

entre actions associées à un agent.

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plus simples dans le développement intellectuel de l’enfant); qu'elle soit matérielle comme dans, Mettre les fleurs dans un vase ou intellectuelle comme dans, Mettre quelqu'un dans l'embarras. Des prépositions et/ou locutions telles que: dans, à l’intérieur de, parmi, chez, (qui ne s’emploie qu’à propos d’êtres animés en tant que milieu vivant), expriment cette localisation de « quelque chose dans quelque chose » (présupposant la possibilité d’une inclusion, puisque a contrario, on aurait, Dans quoi veux-tu que je mette ça?). Mais, derrière ce générique, il faut bien voir la différence entre trois formes d’inclusion:

(xvi) Exemples. situation: poser, mettre, introduire, situer, trouver, charger,... nous avons des opérations de localisation; substance: vider, remplir, transvaser, insuffler,... nous avons des opérations de transfert d'un contenant à un autre; mouvement: encercler, enrouler,... nous avons des opérations d'enfermement à l’intérieur de quelque chose.

L’opération est accompagnée de sa duale comme inversion de sens: mettre

et enlever (Mettre un chandail, enlever un chandail); poser et ôter; introduire et extraire;... De même des verbes tels que entrer et sortir, faire entrer, faire sortir (Inviter à entrer, mettre à la porte), actions que nous avons à propos de la notion de lieu d'habitation.

Après la notion générique d’inclusion/exclusion en Y, nous avons celle d’un assemblage comme jointement en X; il s’agit d’associer (juxtaposer, mettre ensemble, rassembler, réunir, apparier) ou de dissocier suivant le même mouvement général d’inversion. Sous cet aspect, le tri (trier, sélectionner, classer) est une opération complexe d’association et de dissociation que nous retrouverons peu après dans les principes d’une homogénéité et d’une hétérogénéité. Or c’est la base d’une taxinomie où l’on retrouve associés le geste et la dénomination (la classification renvoie à une procédure de totalisation afin de constituer des classes hiérarchisées). Plus généralement, on dira que l’association/dissociation présuppose la répartition en genres et espèces laquelle

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est une opération du type mentionné34. Au-delà de cette opération d’assemblage, celle-ci peut être dérivée, d’une

part, vers une opération d’exfoliation comme dans l’acte de peler un légume ou un fruit, d’effeuiller une fleur, soit le sens allant vers le terme médian XY (où la notion de surface est essentielle); d’autre part, elle conduit à des opérations de coupure, de brisure et d’éclatement, dans le sens du terme médian XZ. Phénomène de rupture d’un assemblage (l’expression figurée, Casser la baraque; dépecer ou morceler, seraient du même ordre) qui exprime l’envers d’une entité assemblée, d’un ensemble joint.

Passons au dernier terme en Z: la notion de connecter/déconnecter. Comme celle-ci l’indique, nous avons implicitement la notion de continuité par rapport à celle de discrétivité (segmentation). Comme nous l’avons mentionné, il s’agit des rapports réciproques entre lier et délier, nouer et dénouer (nous avons parallèlement: relier, renouer, recoller, resouder, qui expriment une reprise, une double inversion); on peut faire suivre ces opérations de connexion, comme dans brancher et débrancher un appareil, par celle entre ajouter et retrancher si l’on spécifie le fait que le continuum sous-jacent n’est pas affecté par cette opération (au contraire de l’effet de rupture comme dans, Le courant a été coupé pendant une heure) mais seulement ses extrémités, laissées vacantes. Dans une expression telle que: ça passe ou ça casse, nous avons bien une alternative (en XZ) entre une rupture et un passage dont la notion de connexion est le support.

A partir de cette base d'opérations primaires, nous pouvons décrire facilement les termes mixtes comme modes de transition des unes aux autres. Entre une association et une inclusion, nous avons la notion de situation en tant que repérage qui n'est, ni poser (comme dans juxtaposer) ni inclure mais situer par rapport à une surface (en tant que repère); c'est le sens des expressions situer sur et situer sous (que nous allons reprendre et développer dans le prochain chapitre), situer au-dessus et situer au-dessous où l'opération est effectuée par rapport à un plan de référence (celle-ci exprime une conjonction ou une disjonction par rapport à ce plan que l'on peut traduire en termes de contact et de

34 D’un côté, c’est le renvoi a la question du principe d'idoénité, et de l’autre, a celle d'une

totalisation; nous avons donc trois points de vue possibles sur cette question de la classification: opératoire, comme ici, identifiante comme précédemment et totalisante peu après.

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non-contact). Enfin, nous aurions des formes d’étagement comme dans en haut et en bas (alors que haut et bas, là-haut et là-bas expriment à la fois une direction et une localisation). Ainsi, alors que l’inclusion/exclusion conduit à des formes d’emboitement, nous ajouterons que celles d’une situation conduisent à celles d’une localisation par niveaux (ou d'un feuilletage), distincte de l’emboitement et du simple voisinage.

Nous avons déjà évoqué le terme mixte entre une association et une connexion sous les espèces de la brisure, d’un arrachement comme destruction d’un lien ou d’un liant. Inversement, nous aurions le phénomène de fusion comme formation d’un corps homogène: souder/désouder, coller/décoller, relèvent ainsi de cette opération de continuité. Par contre, entre une connexion et une inclusion, nous avons des rapports d'enveloppement et de développement en ce que, de la première, nous pouvons dériver des formes de continuité (cf. envelopper au sens de lier au moyen de bandelettes, de feuilles; ou au contraire, de déplier), et de la seconde, des formes d'enfermement dans quelque chose.

Nous avons là un complexe de propriétés entre les notions de situation, d’orientation, de substance, de lieu (passer à travers, se frayer un chemin, franchir le seuil35) que seule une analyse catégorielle permet de désintriquer. V.5.2. EXEMPLE PARTICULIER: LE RAPPORT

DESSUS-DESSOUS

Prenons, comme cas particulier, celui des positions situables par rapport à un plan de référence dont le point de départ, dans le templum (xv-xv') supra, est situé au poste XY entre les formes de l'emboîtement (dans, à l'intérieur) et les formes de voisinage (juxtaposition, sérialité). Ce positionnement se caractérise ainsi par une dimension perpendiculaire au plan de référence, et plus généralement, dans une dimension verticale implicite.

C'est un problème qui a retenu l'attention de nombreux linguistes travaillant sur les prépositions et/ou locutions spatiales, principalement dans le cadre des grammaires cognitives depuis les travaux de Langacker, Vandeloise,

35 Que nous ne pouvons que mentionner en renvoyant à nos travaux sur la notion de lieu; ces

propriétés sont associées à une inclusion-exclusion, et impliquent une notion d'accessibilité.

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Talmy, etc., dont le but est la description d'« analyse de scène »36. Pour nous, c'est aussi l'occasion de montrer les rapprochements que l'on peut faire entre une analyse linguistique et une sémiotique des lieux à travers cette épistémologie fondamentale intitulée une aspectualité spatio-temporelle (qui dégage finalement un socle commun de nature cognitive). Le dispositif que nous proposons peut ainsi convenir, tant à l'analyse d'une sémantique langagière qu'à celle d'une sémantique architectonique; ce qui est en jeu, ce sont ainsi des opérations intellectuelles de repérage et d'effectuation servant à décrire, tant l'organisation des énoncés que celle des formes bâties.

La définition d'un positionnement est ainsi opérée au moyen d'un plan de référence médian par rapport auquel les objets dont on parle sont situés en contact ou non: situer sur, situer sous (nous avons une inversion positionnelle par rapport à ce plan); situer dessus, situer dessous, comme, situer au-dessus, situer en-dessous,... Les prépositions (comme les préverbes) marquent ainsi un contact ou non, une distance de voisinage plus ou moins grande.

Mais au-delà de ce simple positionnement spatiale, ces rapports introduisent implicitement des figures de mise en relation qui vont être qualifiés de la façon qui suit: au départ, les trois termes de base expriment des relations de « couvrement » (comme simple adjonction), de « soutènement » (présupposant une causalité, un sens dans la relation: on a, Le livre est sur la table et non, La table est sous le livre) et de « franchissement » (de discontinuité surmontée),... Les termes mixtes qui en dérivent vont permettre d'établir les solutions de continuité entre ces opérations de base: entre un couvrement et un soutènement, nous avons la notion d'« empilement » (ou d'étagement, comme nous l'avons exprimé auparavant); d'un côté la solution est libre (on peut toujours ajouter un nouveau terme au couvrement), mais de l'autre, il peut y avoir un degré miximum de résistance (cf. une pile de livres peut s'écrouler). Entre ce soutènement (appui comme soutien, support comme assise) et le franchissement, on peut introduire la notion d'un creusement comme fondement ou comme approfondissement; ainsi, d'un côté, une pile peut être une simple élévation en hauteur, ou au contraire, une fondation dont la profondeur est variable suivant la nature du terrain (piles d'un pont, pieux d'un immeuble). S'élever, comme, creuser sont ainsi dans ce rapport causal à un plan de référence implicite (cf. le sol) dont on dérive les formes 36 Bien qu'il ne se réclame pas de ce courant désigné par analyses de scène, un cas récent est

offert par l'ouvrage de P. Cadiot et Y.-M. Visetti,, Paris, 2001.

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dessus (un étage) et les formes dessous (un sous-sol). Enfin, entre ce franchissement et un couvrement, nous introduisons la forme d'une « suspension » (dans les airs): La lampe est suspendue au-dessus de la table (elle couvre celle-ci de lumière), comme elle est, suspendue au plafond (grâce au fil); de son côté, Un pont peut être fondé au moyen de piles comme il peut être suspendu au moyen de câbles. Cette dualité ambivalente entre un dessus et un dessous montre bien également qu'il ne s'agit pas seulement de deux corps séparés, repérés l'un par rapport à l'autre, mais aussi d'un même corps connexe mais partagé symboliquement en deux moitiés supérieure et inférieure37.

Dans tous ces cas, deux dimensions en tant que métatermes sont implicites: celle d'une verticalité (qu'elle soit élévation ou profondeur) et celle d'une étendue planaire (une aire, comme le plan de référence).

(xvii) schématisation du templum:

MT+,-: élévation # aire

couvrement

franchissement soutènementappui

support

creusement

suspension empilement

Ce dispositif est remarquable dans la mesure où il symbolise par dualités inversives—mouvement comparable à celui d'une bascule— les différentes positions entre dessus et dessous par rapport au plan de référence, avec ou sans contact comme dans le cas suivant:

37 Cette propriété de dissociation dans une même entité permet de comprendre le sens d'un

énoncé tel que, Cette histoire se situe en-dessous de la ceinture.

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(xvii') En utilisant les symboles du templum (xv') supra, Le chat est sur la table (contact+ jonction) Le chat est sous la table (contact- disjonction) et, dans les termes du présent, La route passe au-dessus de la rivière (franchissement sur) La rivière coule au-dessous du pont (franchissement sous)

Donnons maintenant une série d'exemples permettant d'illustrer les différentes situations décrites par ce dispositif (xvii),

(xvii") Exemples: La lampe est sur la table (élévation + suspension, cf. « la lampe est suspendue ») ou bien, La lampe est sur la table (aire + soutènement = support, cf. « la lampe est posée »)

Le tableau est sur le mur (couvrement + suspension) le tableau est suspendu au mur

La cerise est sur le gâteau (couvrement + empilement)

Le livre rouge est sur le livre bleu (soit: soutènement + empilement, soit: couvrement + empilement); on peut écrire également, Le livre bleu est sous le livre rouge (relation réversible) Les livres sont les uns sur les autres (aire + empilement)

Les rochers surplombent la mer (élévation+ + empilement) Les cailloux sont sous l'eau (aire + creusement; l'eau est considérée comme un milieu séparé entre une surface et une profondeur) L'abîme s'enfonce sous nos pas (élévation- + creusement)

La porte donne sur la cour (aire + franchissement) Le balcon donne sur la cour (élévation + suspension) « Sous les pavés, la plage » (aire + creusement)

Le pont est sur l'Oise (élévation + franchissement) d'où l'expression, Auvers sur Oise (aire + franchissement, puisque c'est devenu une cité)

L'avion arrive sur la piste (élévation + suspension)

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L'avion roule sur la piste (aire + soutènement)

Il fait moins vingt degrés sous abri (aire + couvrement)

Jean dort sur le dos (soutènement = support) Jean s'appuie sur le mur (soutènement = appui)

Jean a bâti sa fortune sur cette invention (soutènement = support) Jean travaille maintenant sur Paris (aire + couvrement)

Jean sur-estime ses capacités (soutènement = appui+) Jean sous-estime ses capacités (soutènement = appui-)

Plusieurs des exemples que nous donnons ne réfèrent pas uniquement à une disposition spatiale (comme l'ont souligné plusieurs auteurs38); c'est ici que nous devons rappeler le fait que ces différentes formes de l'aspectualité prennent place dans le mini réseau de templa (i) où elles peuvent s'entrecroiser à travers le fait que nous utilisons à la base la notion d'intervalles topologiques définis en tant qu'état, procès ou événement. Ainsi, dans:

(xvii"') Jean a bâti sa fortune sur cette invention ce n'est pas tant le fait que cette fortune a une assise qu'elle a une cause originelle (un Passé) qui nous renvoie au processus (xiv-xiv') supra. De même, dans:

Les chars de Leclerc sont montés sur Paris l'exemple précise davantage une orientation (un but dans une progression) que le fait de franchir une distance avec obstacle. Enfin, dans les expressions,

Sous le règne de Louis XIV,... Sur le coup de minuit,... nous avons essentiellement, soit une périodisation (une phase historique) et non un couvrement dans le premier cas, soit un événement comme moment remarquable, détaché de sa série temporelle, dans le deuxième.

38 Notamment P. Cadiot dans l'ouvrage mentionné (note 36) supra, p. 23 sq.

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V.5.3. AGRÉGATION, DÉSAGRÉGATION

Considérons maintenant des propriétés, non plus positionnelles mais de formation d'ensemble, c’est-à-dire, de compositions indépendamment de la nature des éléments qui entrent en jeu. Bien sûr, il y a une corrélation étroite entre ces deux aspects mais disons que ces modes de la composition doivent être analysés en tant que tels afin d’établir un classement de leur régime en relation avec la nature des éléments qu’ils composent. Ce niveau global est semblable à celui qu’avait posé la Gestalttheorie avec la notion même de Gestalt (rapport qui ne se réduit pas à un assemblage d’éléments), ou encore Husserl à propos de la notion de compositions d’ensemble (Bordron, 1991). D’ailleurs, nous allons être amenés à reprendre les principales thématiques de cette théorie des formes pures avec, en particulier, celui d’un processus de formation en tant que genèse issue des rapports figure/fond39.

Nous allons avoir ainsi un champ sémantique de la totalité où, d’un côté, nous avons une typologie des ensembles (notion de tout, de somme, de milieu), et de l’autre, d’un mode d’émergence comme processus de croissance et de décroissance (création, destruction, conservation) que nous aborderons après à propos de la définition des notions de vie et de mort, d’une circularité constitutive de leurs différentes phases et la reconduction indéfinie de ce processus organique. Nos propositions ne sont pas sans rappeler celles d'Aristote et sa physique naïve, notamment dans son opuscule De la génération et de la corruption.

Nous avons enfin le phénomène d’une spéciation comme détermination d’une diversité des ensembles se comportant comme autant d’espèces particulières formant un milieu organique. Il s’agira d’établir ainsi un rapport d’homogénéité-hétérogénéité entre ensembles selon les critères d’un croisement intraspécifique (substituabilité de deux éléments), d’une altération (déformation) ou d'un changement comme évolution potentielle, soit la base d’une stabilité structurelle en termes de processus (bien distinct par ailleurs du simple mouvement-déplacement que nous avons considéré auparavant). L’espèce comme ensemble, se comporte ainsi comme des « lieux » ayant une intériorité et une extériorité, un bord séparateur qui les isole des autres. 39 Cf. Notre compte rendu de recherche (Boudon, 1997, p. 362 sq) à propos de l’ouvrage (1993)

de Varela, Thompson, Rosch .

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Revenons à la typologie de ces types d’ensemble; comme nous l’avons souligné, il s’agit de mettre en place une notion de totalisation. Pour cela, nous devons introduire des principes dont l’un sera d'agrégation pour former des entités, avec son mode de rassemblement et de clôture virtuelle; à l'opposé, nous avons une désagrégation comme éclatement de ces entités constituées, celle-ci pouvant résulter d'une tension interne ou d'une action externe. Ce basculement exprime une désorganisation, soit la destruction d'une régulation qu'opère implicitement la forme sur elle-même lorsqu'elle acquiert des qualités de totalisation (c'est ce principe de feed-back que nous avons dans toutes les formes organiques et qui est à l'origine de ce qu’on a nommé, dans les années cinquante, la cybernétique). Agrégation et désagrégation représentent ainsi la polarité de base entre les métatermes, avec pour conséquence, le passage sans réelle transition d'une émergence à une destruction.

Nous obtenons ainsi la suite des opérations: agrégation totalisation génération, comme reproduction de la totalité en elle-même (c'est ainsi le rôle de la graine ou semence, par rapport à l'organisme entier, plante ou animal).

À partir de ces principes, nous pouvons définir les termes du templum: d’un côté, nous avons une composition intégrative, celle qui permet de définir la notion de « corps » comme entité autonome, formée d’une pluralité de parties hiérarchisées (Cf. les membres, les organes); de l’autre, nous avons une composition sérielle caractérisant, par exemple, une somme d’éléments juxtaposés à partir d’une règle d’ordonnancement minimal comme l'itération numérique. D’un côté, nous avons donc des entités complexes, totalisatrices, en ce qu’elles constituent des formes où tous les membres participent de l’activité générale qu’on appelle un corps (naturel, construit); nous avons un assemblage hiérarchique de ces membres. De l’autre, nous avons une multiplicité ouverte, constituant une série indéfinie d’éléments indivisibles (unités, individus), comme par exemple, la suite des entiers naturels qui est à la base de l’arithmétique. L’intégration et la série ne sont pas propres à une spatialisation; elle caractérise aussi bien le résultat des processus temporels (progression, régression) que les moyens d'un repérage en termes d’états et/ou procès d’un côté, de suite d’événements constituant le fréquentatif de l'autre (Guentcheva 1990, p. 199 sq). Ainsi, la répétition est constitutive d'un cycle d'événements (fêtes calendaires, rites de passage).

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Cette opposition de base entre une composition intégrative, où les parties forment un tout unitaire, et une composition additive où les unités élémentaires sont rassemblés sous le chef d’une raison, n’est pas sans faire penser à celle que Brøndal établissait entre les expressions totus et omnis, aux résonances à la fois organiques et sociales. Offrons le résumé qu’en donne P. A. Brandt (1986 [1943], p. 5-6):

Cette intuition localiste va guider le linguiste danois dans son analyse des quantificateurs latins. Trois séries sont dégagées, chacune constituant pour l’auteur l’indice d’un type de mentalité caractéristique. La série intégrale (unus - solus - totus) exprime l’idée— à partir de totus— d'un bloc, d'une masse, d'une totalité absorbant les individus et les transformant en parties indiscernables, dominées, ou au contraire les expulsant, les niant comme unités indépendantes (unus); le terme intermédiaire solus est simplement l'expression d'un sens complexe (cf. le danois alene, c'est-à-dire al-ene “tout un”, “seul”— comme un bloc nié par un autre bloc, resté “seul” après une séparation). Le situs— la référence à Leibniz est explicite— est donc ici le lieu d'un bloc, ou encore, d'un corps, dit Brøndal, contrôlant ses éléments par l'absorption ou l'expulsion, imposant à ces éléments soit le renoncement à toute liberté (dépendance, dominance), soit la liberté dans la solitude (indépendance). ... La deuxième série, numérique (nemo - quis - alius - omnis), représente un style quantitatif plus raffiné (“témoigne d'une pensée plus nuancée”). Omnis exprime pour Brøndal la réunion d'individus dans une communauté qui reconnaît la réalité indépendante de ses parties composantes, tout en en formant un ensemble. Il s’agit ici du prototype des noms de nombres et, en principe, des nombres eux-mêmes. Le rapport de cettre série numérique au situs est un peu plus difficile à saisir. La série semble établir une suite d’ensembles positifs, partant de zéro et allant vers l’ensemble infiniment riche comprenant tous les nombres (le “plus que omnis” serait le transfini). Mais l'analyse brøndalienne introduit deux moments structuraux non triviaux; d'une part, l'idée d'un passage allant de la série ouverte vers le cercle fermé (omnis est un tel cercle, sous sa forme réalisée, et nemo en est le projet, non réalisé, possible, potentiel); d'autre part, l'idée d'un passage ou d'un glissement entre le possible comme tel et le réel correspondant, manifesté de manière binaire et pure par la troisième série (ullus - quidam), étroitement liée à la deuxième.

Nous comprenons mieux désormais les rapports d’imbrication existant

entre la quantification discursive et l’aspectualisation spatio-temporelle; rapports auxquels on pourrait associer l’actantialité en tant que formée par les notions d'actant individuel et d'actant collectif40. 40 Cf. Réseau du sens II, Troisième partie, Chapitre I.

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Comme troisième terme des corrélats de base, nous avons un terme qui représente génériquement, ni la notion de corps comme complexe de parties (fermé), ni la somme comme multiplicité sérielle (ouverte), mais la notion encore floue de milieu. Nous dirons qu’elle exprime un ensemble substantiel indélimité (le monde organique de la forêt, d’une étendue d’eau comme un étang), un agrégat sans forme particulière où la diversité est celle d’une hétérogénéité des espèces en interaction (alors que dans une composition additive la série de termes requiert l’homogénéité; comme il est dit plaisamment, on ne peut additionner deux pommes et trois poires). Ce milieu peut être dense ou diffus, externe ou interne; c’est, soit l’extériorité d’un milieu ambiant, soit l’intériorité d’un corps qui rassemble une multiplicité de fonctions dont la médiation avec l'extérieur passe par des dispositifs formant les organes de la régulation entre ce corps et son milieu41.

Corps, somme et milieu, constituent ainsi les formes de base de cette aspectualité totalisatrice dont les principes sont ceux d’une agrégation, mais aussi, d'une désagrégation toujours possible :

(xviii) Templum d’une composition (types d’ensemble)

Métatermes: MT+: principe d'agrégation MT-: principe de désagrégation

Corrélats initiaux: X : notion de milieu comme agrégat indifférencié (absence

de frontière, hétérogénéité des éléments); milieu extérieur (ambiance, immersion) ou milieu interieur

Y : composition intégrative; complexité de parties (les 41 Comme descriptions de cette aspectualité spatiale, écologique et organique, Appendice II.6.,

supra. Ainsi, pour la notion de corps vivant intégrant un ensemble de membres, nous pouvons nous référer à .II.6. (iii.a) supra, auquel ferait suite une description des différentes « fonctions » organiques.

Toutefois aupréalable, ces corps vivants participent d'un ordre supérieur, soit les trois types de « milieux » référés à .II.6. (i) en tant que règnes animal, végétal et minéral. Pour les deux premiers, nous pourrions les croiser avec les milieux écologiques que sont le monde aérien, le monde terrestre et le monde aquatique (cf. .II.6. (v.a) supra). Enfin, à travers les « capacités motrices » de ces corps, nous pouvons les rattacher à .II.6. (iv.a) auquel peut faire suite celui de leur association en bande (collectif) ou au contraire isolé (définissant des types de vol, membres d'un ensemble ou individus isolés). C'est la somme de ces facteurs qui nous permet de construire une composition hétérarchique de cet univers organique.

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membres, les organes corporels) dans un tout délimitable; la totalité peut être définie comme hiérarchie ou comme dualité (notion de couplage)

Z : composition additive comme somme ou série d’unités indivisibles, dans un certain ordre mais sans limite assignable

Corrélats dérivés: XY: notion de rétroaction (au sens du contrôle cybernétique)

associant un tout (organisme) et un milieu, soit comme endo-régulation (définissant une économie interne), soit comme exo-régulation (cf. contrôle de l'extérieur)

YZ: notion de partie comme telle; d’un côté, membres de relevant d'un corps, de l’autre, individus (unité indivisible) relevant d'une collection

XZ: notion de stochasticité (cf. éléments en grec) en tant que forme aléatoire, de mélange du côté de la notion de milieu, de parcours aléatoire du côté de la notion de série

(xviii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: agrégat # désagrégat

milieu

totalité somme

partie

rétroaction stochasticité

duplication

hiérarchie

endorégulation

exorégulation

membres individus

moment énumératif

moment intégratif

mélange

parcours aléatoire

Ce dispositif met en place la notion de « monde » en un sens quasi phénoménologique; formule déjà proposée auparavant à travers un

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échelonnement de ceux-ci en microcosme et macrocosme (introduisant une échelle de grandeurs et que nous associerons étroitement.

Q'entendons-nous par cette expression dont le sens est très général? C'est ainsi que nous pouvons parler du « monde de la lumière » qui est un milieu irradiant en ce qu'on ne peut assigner de frontière précise. On peut parler du « monde des livres » ou du « monde des objets quotidiens » sans également faire appel à cette forme délimitative; par contre, c'est l'autonomisation de chacun de ces éléments à travers la série qu'ils forment qui devient pertinente. Le monde des objets constitue ainsi une somme (indéfinie). Enfin, si nous parlons du « monde de la maison » nous avons vraiment le sentiment d'avoir une totalité définie qui a un intérieur, un extérieur et un bord. La maison, c'est à la fois un corps bâti, un site, un mobilier, une collectivité d'individus, une histoire, une atmosphère particulière, ... que l'on peut assimiler à un être organique.

La totalisation constitue ainsi la forme la plus complexe de ce mode de rassemblement en mondes. Elle implique une délimitation (finitude, fermeture) et une hiérarchie des parties (qui n'est pas nécessairement fixe), constitutives d'un domaine compact. C'est cette plénitude que Brøndal a retenue en premier; celle-ci n'est pas une « masse », ce qui nous ramènerait aux conditions du milieu, mais une organisation.

Par cette expression, nous introduisons des formes d'échange (une économie du sens, une dynamique du processus), non seulement entre la totalité et son milieu ambiant mais également entre les parties ells-mêmes. Nous avons donc un phénomène de duplication (comme principe de couplage) de la totalité sur elle-même, à la fois, comme partage et comme réciprocité: les parties de l'ensemble s'échangent entre elles (des substances, de l'information) et avec lui en tant que tout (sous la forme d'un contrôle, par exemple); nous avons des échanges internes parallèlement à des échanges externes, particularisant les parties en organes distincts qui sont les filtres de ces échanges. Nous dirons donc que cette duplication introduit un « double », intérieur et extérieur; ce double peut être une doublure (en termes de bord dédoublé), une gémellité (en termes d'ensembles similaires extérieurs l'un à l'autre) et une altérité en tant que figure de la

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complémentarité (où nous retrouvons le principe même de l'opposition42); et même, un doublage en termes de traductibilité d'une série dans une autre.

Cette duplication est également une reproduction, à la fois, comme auto-enchâssement (cela peut aller jusqu'à une « mise en abîme » de la partie formant un tout) et comme régénération de l'ensemble puisque la totalité est finitude dans le temps (cf. elle a donc besoin de se « reproduire » génétiquement). La totalité est ainsi un processus, tel que nous l'avons défini auparavant, en tant que phases et orientation43 ; on parlera ainsi d'émergence de la forme en tant que naissance et vieillissement (comparable à la notion précédente d'amortissement), le bouclage de ce processus étant défini comme rapport {vie, mort} (perpétuellement reconduit).

Considérons les termes mixtes attenants à cette notion centrale de la totalité et qui vont jouer un rôle articulatoire important. Dans la notion de partie comme sous-ensemble (en YZ), nous avons deux possibilités: dans un cas, les individus ne sont que les pièces d'une collection; ainsi dans, Les livres de la bibliothèque, on considère la somme de ces objets dont on peut constituer des séries (cf. livres d'histoire, livres d'art, romans,...). Par contre, dans les parties comme membres d'un corps complet, celles-ci ne sont pas autonomisables, hormis dans le cas d'une dissection (mais, justement, le corps disséqué n'est plus vivant puisqu'il est désagrégé)44. Nous voyons donc la séparation qui existe au sein de ce terme mixte dissocié en individus et membres de.

En tant que lien entre la totalité et la somme, ce terme mixte est toutefois ambivalent. Considérons, par exemple, la propriété de duplication de cette totalité; celle-ci, en tant qu'unité globale, peut-être ainsi re-dupliquée (cf. réïtérée) indéfiniment, et de ce fait, se comporter comme une série d'entités assimilables à la somme. L'opération reduplicative serait du type: totalité collection, où celle-ci forme une énumération d'entités complexes; en ce sens, le terme mixte est l'élément médiateur de cette opération d'extension qui formera un réseau.

42 En particulier, cette complémentarité peut être celle de l'agrégation et de la désagrégation qui

constituent les métatermes de ce dispositif. 43 À propos du principe d'une complétude/incomplétude et du suivant. 44 C’est également le thème des disjecta membra comme destruction du corps, comme

éparpillement de celui-ci en plusieurs morceaux.

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Passons à l'autre terme mixte (en XY) qui révèle également cette complexité de la notion de totalité; en effet, la rétroaction (cybernétique) met en valeur cette propriété duplicative faisant de l'ensemble des parties un tout couplé avec son environnement et faisant de chacune de celles-ci une partenaire couplée autres. Les interactions sont donc, entre la totalité et son milieu (interactions externes) et, au sein même de cette totalité, entre les parties (interactions internes); ce partage est entre ce que nous appelons ici une exo-régulation et une endo-régulation, la totalité se comportant dès lors comme un « milieu interieur » ayant son propre mode de fonctionnement (cf. notion d'organisme) dissociable d'un « milieu exterieur » qui lui apporte substances et informations45.

Enfin, en termes d'équilibre de cette totalité par rapport à son environnement, nous pouvons ajouter que la rétroaction comporte deux signes: négativement, celui-ci symbolise une régularité dans laquelle la fonction de contrôle permet d'annihiler les forces intempestives; positivement par contre, nous avons un déséquilibre qui peut aller jusqu'à la rupture des forces en présence; nous avons alors une sorte d'« emballement » du système. Cette dualité de signe est semblable à la complémentarité qui organise l'ensemble du templum, les notion d'agrégation et de désagrégation (en tant que dispersion).

Il nous reste un dernier terme mixte à analyser (en XZ): celui d'une stochasticité, sachant que cette expression signifie «éléments » en grec.

Comme nous le voyons, ce terme est diamétralement opposé à la notion de totalité organisée à travers une série de couplages (internes et externes) qui définissent son équilibre. Il est donc synonyme d'aléa, de désordre (à la façon d'un patchwork); d'un côté, nous dirons que cet aléa est issu de la notion de milieu en tant que mélange, en tant qu'hétérogénéité de substances rassemblées (c'est le cas d'un milieu végétal comme la forêt, d'un milieu aquatique comme un étang où minéraux, végétaux et animaux prolifèrent d'une façon anarchique); de l'autre, cet aléa est une forme non-régulière issue de la série dont le jeu, la probabilité d'apparition d'un nombre ou d'une carte est l'illustration (cf. la forme même de l'événement comme tel, associé au hasard). Nous pouvons ainsi parler d'un

45 La situation qu'occupe ici la notion de régulation comme interface entre l'organisme et son

environnement est assimilable topologiquement à la notion de bord entre une région interne et une région externe.

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parcours en ce que la distribution sérielle exprime une véritable temporalité déambulatoire46.

Comme le laisse entendre cette analyse, tous les termes de base participent d'une même forme constitutive puisqu'à travers leurs termes mixtes nous pouvons opérer des transferts de propriétés sous le signe de l'intégration et/ou de la différenciation. Ainsi, une totalité peut proliférer sous la forme d'une somme d'entités en réseau; de même, en tant qu'élaboration complexe comportant topologiquement un intérieur et un extérieur, elle devient un milieu intérieur; or, réciproquement, on peut dire de celui-ci qu'il constitue une forme d'intégration « en suspens » où les processus inter-agissent aléatoirement en tant que mélange de substances. Bref, catégoriellement, nous avons des types spécifiables mais en termes de processus nous obtenons des phénomènes qui les réunissent. N'est-ce pas le sens même de la monade en tant qu'unité plurielle (multiplicité), principe et diversité de ses modes de l'apparaître? Ainsi, l'élément déterminant de ce templum est la notion de totalisation en ce qu'elle représente un maximum de complexité.

Si, épistémologiquement, on peut parler à son sujet d'« organisme » —faisant de ce principe un être en devenir— , de la notion de somme en tant que composition sérielle (opposée diamétralement à celle de rétroaction) on peut parler de « mécanisme » en ce que les éléments sont isolables les uns des autres; on pense, par exemple, à l'atomisme démocritéen où les éléments sont autant de briques juxtaposées pour former des ensembles; enfin, à propos de milieu, on peut parler d'« énergétisme » en tant que mode de structuration par flux; ce sont, par exemple, les formes primaires d'un échange entre les éléments de la matière, gazeux, solides, liquides. V.6. CONCLUSION: DE L’OBJET À SA CAUSE

Abordons finalement de façon plus précise la référence à une genèse des êtres; nous pourrions dire que ce n’est qu’à ce niveau que nous retrouvons le sens phénoménologique de ce qu’est la < plante >, de ce qu'est l'< animal >, que nous pourrions par la suite diversifier en espèces. En deça du processus même de composition nous avons ses causes, ce qui le fait apparaître et, en ce sens, nous

46 Dans la théorie des fractales, on parle ainsi de trajectoire brownienne afin de signifier ce mode

déambulatoire, Cf. B. Sapoval , Paris, 1997, p. 81.

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avons déjà fait référence à l'ouvrage d'Aristote (1971) qui représentait une première forme d'explication de ce qu'est la « vie »47.

Comme on le voit, avec ces différentes facettes d’une aspectualité spatio-temporelle, nous venons de dégager un complexe cognitif qui joue un rôle considérable dans la constitution sémantique du discours comme représentation implicite des connaissances. Rappelons que nous avons trois grandes directions de cette aspectualité: une première, associée à une localisation et/ou orientation (par exemple, la distinction entre régions interne et externe, centrale et périphérique); la seconde associée aux processus en tant que mouvement et/ou déplacement cinématiques et la troisième associée aux processus de totalisation dont genèse et spéciation sont les composants. Prenons un exemple:

(xix) De la semence naîtra un autre corps

semence = partie (cf. (xviii-xviii') supra) en tant que microcosme [(vii-vii') supra] dont est issu le corps [(xviii-xviii') supra] naîtra = croisement présupposé de deux êtres distincts (mâle et femelle) [(xx-xx') infra], à moins qu'il y ait clonage autre corps = il s'agit d'un nouveau corps, totalité organique [(xviii-xviii') supra] de nature identique à ceux qui l'ont procrée, mais distinct (cf. les « airs de famille »). Nous avons donc le processus même de passage d'une totalité à une série puisque deux êtres accouplés peuvent engendrer une multiplicité d'autres. Ainsi, ce que des propriétés strictement linguistiques ne peuvent mentionner, c'est le sens anthropologique global de ce processus: corps semence embryon autre corps La procréation [(xx-xx') infra] n'est pas seulement un mécanisme d'inclusion-exclusion d'un corps issu d'un autre [(xv-xv') supra]; entre les deux, l'ancien et le nouveau, il y a une opération de transformation par la semence dont l'aspect,

47 À propos de la recherche des origines de la vie, il faut bien sûr se référer à ce que nous avons

dit à propos d'un processus progressif et régressif.

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la matière, etc., est sans commune mesure avec celui de ses résultats. Nous avons affaire à une conjonction-disjonction produisant un changement d’état lequel peut être assimilé à une métamorphose dans les représentations traditionnelles plus qu'à une opération strictement de croisement (cf. (xxiii-xxiii') infra); on sait à quelles spéculations intellectuelles a pu tenir ce phénomène de la procréation jusqu'à la fin du XVIIIe siècle (cf. animalcules, théorie de la préformation ou de l'épigenèse, etc.)48; il s'agissait d'un « mystère » de la génération humaine puisqu'on ne savait pas de quoi la semence était faite (pensons également à tout ce qui avait trait parallèlement à la transsubstantiation divine, soit l'assomption des substances, pain et vin, en un troisième terme théologique, le corps christique). Il s'agit donc, dans tous ces cas, de l'énigme de l'incarnation. Par ailleurs, les métamorphoses animales observées sont du genre,

De la chenille naîtra le papillon où sous l'hétérogénéité des formes apparentes [(xxiii-xxiii') infra] nous avons un processus de changement homogène (au sens strict, cf. participant de la même espèce), comparé à la monstruosité, par exemple qui exprime une déviation. Bref, ces processus vitaux relèvent à la fois d'un processus causal et d'une typicité puisqu'on peut départager des productions qui sont régulières (typiques) de celles qui ne le sont pas (atypiques). Nous avons donc un phénomène qui associe étroitement des formes naturelles et des valeurs culturelles.

Reprenons la notion de corps comme structure d’intégration des composants (les membres, les organes) et de leurs fonctions qui s’étendent, comme on le sait, à une « extériorité » de ce corps puisque l’< animal > ne peut être pensé sans son milieu de vie (territoire) dont il acquiert les ressources alimentaires et qu'il aménage pour sa survie. Nous venons de prendre comme 48 Cf. G. Canguilhem et alii, Paris, 1962. Cette pro-duction, croisement ou métamorphose, peut

être également rapprochée du principe métaphorique, ce qui nous amène à un mode d'assimilation possible de ces deux principes, faisant de la métaphore poétique une « organicité » et de l'organisme nouvellemet crée une métaphore « vitale ».

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exemple le mode d'émergence (de fabrication) du corps à partir de la semence issue d’ascendants (animaux ou végétaux). Ce sont des modes qui différencient radicalement le monde animé du monde inanimé (les minéraux). De la naissance comme apparition de l’être, nous avons au-delà une croissance par stades successifs (enfance, adolescence, maturité), d’une stabilisation puis d’une décrépitude (vieillesse). Nous avons ainsi un cycle entre naissance et mort qui gouverne le monde animé; bref, il s’agit de cycles vitaux (dont la temporalité est plus ou moins longue) couplés à des cycles saisonniers et cosmiques et que nous pouvons généraliser à toutes les formes d'organisme et/ou d'éco-système vivants (même la terre, d'origine minérale, peut être mélangée au monde organique dans les notion d'humus, de terreau). Notre vocabulaire abonde en termes relevant de ce mécanisme cyclique:

(xx) Exemples naître, éclore (animal ou végétal); mourir, crever; tuer, se tuer; tomber malade, guérir, blesser, soigner, rendre à la vie; décliner, changer (au sens d’une dégradation et non d’une direction); vieillir, se faner; maintenir en vie, se maintenir en forme, etc., etc., (toutes ces expressions relèvent d'un processus cyclique mais qui n'est pas du type (xii-xii') supra)

Dans ces différentes expressions prédicatives et/ou lexicales (qui se

prêtent à de nombreuses métaphores entre les différents registres), il faut voir la conjonction de renvois à d’autres templa (Cf. les rapports entre la nature et la culture, l'individu et le collectif, la notion de sujet et d'objet, etc,.) qui se joignent pour former une acception complexe comme celle de < genre > humain. Nous avons ainsi des processus qui portent sur le sujet (faire un enfant, enfanter) ou sur un artefact (produire, fabriquer, construire), qui portent sur le sujet lui-même (se tuer, se suicider) ou sur d’autres (tuer, assassiner), qui portent sur un individu ou sur un collectif (anéantir, massacrer, s’anéantir). Etc.

Le cycle de vie et de mort reprend un repérage aspectuel antérieur entre état, procès et événement; ainsi, tuer ou se tuer —accidentellement ou non— renvoie à un événement (rupture) qui ne relève pas d’un processus mais d'une

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intention); il rassemble donc une multiplicité de valeurs que l’on peut échelonner suivant une évolution entre différentes phases, de l’apparition d’un être à sa disparition (grandir, décliner); ces nombreuses expressions propres à la vie, rencontrées dans toutes les langues, pouvant se distribuer sur les différentes portions du templum que proposé.

Celui-ci est défini par deux grands axes qui se recoupent: celui qui va de l'apparition du phénomène (au poste Y) à sa disparition (au poste Z); phénomène de bornage d’un cycle par ses extrema que nous avons déjà introduit à propos de l’aspectualité par phases (rapport entre inchoativité et terminativité), placé sous le signe de la « mortalité ». Deuxièmement, celui qui va d’une dégradation (elle est le signe d’une durée organique qui s’épuise) à une conservation comme maintien en vie d’un état stable. La philosophie implicite de ce processus évolutif est ainsi un perpétuel combat entre ce qui va vers une fin inéluctable et ce qui perdure « contre vents et marées »; en deça donc de ce terme final (dans la notion de conservation, de réparation) ou au-delà de ce terme (dans la notion de « vestiges » ou de « reliques » comme témoignages historiques, archéologiques, au-delà de la mort physique). Car là est le sens profond de ce templum qui dépasse le simple accomplissement de la naissance à la mort (cf. une certaine notion de l'immortalité); en effet, nous intégrons un au-delà de la disparition qui donne un sens symbolique à la vie humaine comme témoignage du passé, des ancêtres qui précédèrent les vivants actuels; ce qui fait que notre templum n'imite pas la continuité {vie, mort} dans sa forme physique mais la structure selon deux forces en opposition: ce qui est mortel (ce qui périt) et ce qui est immortel (comme la nature inorganique mais aussi comme les dieux) . Nous obtenons un dispositif de la forme suivante:

(xxi) Templum d’un processus vital

Métatermes: MT+: mortalité (assujetti à la vie et à la mort) MT-: immortalité (non assujetti)

Corrélats initiaux: X : conservation (maintien d’un état stable; entretien, réparation) Y : naissance (création, engendrement) Z : mort (cessation, anéantissement)

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Corrélats dérivés: XY: genèse par stades successifs (enfance, adolescence,

maturité) YZ: dégradation, perte, vieillissement (ce que les physiciens

nomment l’entropie) XZ: vestiges, restes, reliques (ce qui perdure au-delà de la mort

physique; ainsi le cadavre par rapport au corps, la momie par rapport au cadavre)

(xxi') La schématisation sera de la forme:

conservation

genèse

naissance mort

dégradation (perte, vieillissement)

vestiges

MT+,-: mortalité # immortalité

Ainsi, de même que dans le templum précédent d'une aspectualité cyclophorique nous avions une phase excédentaire qui spécifiait une annonce et une récapitulation « en plus », ici nous avons également une phase excédentaire représentée par la notion de vestiges (cf. ce qui dépasse le cadre d'une apparition et d'une disparition). C'est cette présence symbolique qu'exprime le templum.

Nos deux templa de la totalisation, comme typologie des compositions, et d’une genèse comme réïtération infinie d’un même processus d’émergence se combinent pour donner une aspectualité diachronique. C’est de cette façon que le langage rend compte de nombreux processus organiques (corps et éco-systèmes); c’est également la base d’une métaphorisation pour d’autres phénomènes rapportés à ces processus de vie et de mort (Schlanger, 1971). L’aspectualité n’est plus seulement une description en surface des phénomènes mais un processus interne (Cf. l’exemple (xix) supra) à propos de la notion de procréation. On peut

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également généraliser ce mode de raisonnement à des ensembles plus larges qui ne concernent plus uniquement des formes organiques mais des individus et des milieux géographiques ou sociaux.

(xxii) Voici un petit scénario que l'on peut donner en exemple des

relations entre les templa précédents (xv-xv'), (xviii-xviii'), (xxi-xxi') et le suivant (xxiii-xxiii'); les parcours peuvent être resitués sur le mini réseau de templa (i) de cette Cinquième partie auquel il faudrait ajouter une aspectualité domaniale (interne, externe; centre, périphérie; ici, là-bas, ailleurs; etc.).

L'ouverture de la route a transformé le visage de la vallée

métaphore du corps = microcosme site

géographiquechangementaccès = jonction (connexion)

Les gens sont moins isolés qu'avant

Passé/Présentdisjonction -> jonction

Il y a plus de nuisances aussi (plus de voitures, plus de bruit)

présent altération

cause: voiture = bruit = extérieur)

Les animaux sauvages ont fui vers les hauteurs

milieu naturel régulation

jonction -> disjonction

site géographique (ailleurs)

Des gens de la ville ont acheté des maisons dans le village

exclusion hétérogène

commerce altération

individualisation métissage

Les habitants ont quand même gardé leurs habitudes

conservation du passé = vestiges?

collectif inclusion homogène

collectif

Nous constituons ainsi un petit scénario (dans lequel on pourrait ajouter d'autres énoncés du genre, Les jeunes sont tentés par la

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ville,..); ce scénario exprime globalement un rapport de cause à conséquences entre des formes de milieu qui s'associent (alors qu,ils étaient coupés), se modifient, changent d'orientation dans leur mode de vie (ainsi, d'une orientation tournée vers la nature on passe à une orientation tournée vers la culture, cf. la notion de grande ville, par exemple); tout ceci, à travers la spécification des valeurs sous-jacentes qui gouvernent chaque énoncé; nous obtenons ainsi un Texte, fait de multiples sous-scénarios (présupposés par l'interprétation), dans le sens que nous avons donné à ce terme .

Terminons cette analyse en retrouvant ce que nous avons appelé, au départ

de cette Cinquième partie, les rapports entre une homogénéité et une hétérogénéité homologues à ceux entre une grandeur intensive et extensive.

Ces rapports gouvernent tant une sérialité qu'une totalisation puisque dans ces notions le fait que les éléments soient de même nature (ou non) est capital. Toute opération, extensive, quantitative, présuppose une telle « identité » (ou uniformité). Qu'expriment ces notions: identité, uniformité? Là encore, nous sommes ramenés à des analyses introduites auparavant, en particulier, à celles intitulées un principe d'idonéité qui est à la base de la notion de classification49. Nous en avons parlé en termes logiques puisque notre référence était la méréologie de Lesniewski; nous en parlerons maintenant en termes de groupements d'individus sous la forme d'espèces et de lignées puisque les relations évoquées portent, à la fois, sur une différentiation spatiale et sur un processus temporel (pour faire suite à (xxi-xxi') précédent). C'est le sens même d'une relation causale qui n'est pas ici argumentative mais processuelle.

Malgré la différence de points de vue, la problématique est semblable entre la typicité (normative) et la spéciation (génétique): ainsi, à propos de la notion d'identité par substitution, A = B, nous pouvons introduire une variabilité semblable aux « airs de famille » et permettant d'analyser les rapports entre espèces et sous-espèces; l'homogénéité n'est pas une uniformité mais un ensemble de variations par petites différences. La distinction générique est par contre spécifiable en termes de différences exclusives; ainsi, biologiquement (s'agissant

49 Ce chapitre est associé aux analyses sur la prototypicité; association que nous avons également

à propos de l'exemple sur un mode d'engendrement.

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de corps organiques), c’est le principe de croisement qui permet de différencier deux espèces: un < chien > et un < chat > ne peuvent être croisés —et ils relèvent alors de deux classes distinctes de mammifères— alors que des < chats > de races différentes peuvent l’être, lesquels engendrent un produit métissé puisque ne relevant plus directement de l’une ou de l’autre (c’est la catégorie du mélange qui prédomine alors sur celle de la pureté).

La notion d'hétérogénéité joue ainsi à deux niveaux différents: au niveau des métatermes, nous avons une disparité entre classes genériques (incompatibles) alors qu'au niveau des termes nous avons une altérité entre classes d'individus lorsque le croisement est compatible.

Le croisement est donc la pierre de touche pour définir deux espèces distinctes; c’est un critère « naturel » alors que la pureté d'une race est un critère « culturel » où l'on rejette d'emblée toute forme de mélange avec autrui, et cela, afin de conserver une identité lignagière (c’est l’un des fondements d’une aristocratie « du sang »; ou encore, d'une sélection drastique pour obtenir des plantes, des animaux de race). Dans ce cas, le critère de croisement et/ou non-croisement conditionne l’ensemble des termes de base du templum puisque tout ce qui est prohibé est, soit une altération, soit un changement non recherché (l'évolution est dans ce cas prohibé au nom d'une identité de la race référée à un passé mythique). En anthropologie, on parlerait ainsi d'endogamie comme restriction du groupe à ses membres consanguins et d'exogamie comme échange avec d'autres groupes affins (Lévi-Strauss en a fait une règle fondamentale pour les lois de parenté).

Avant de passer à l’analyse des différents termes de ce dernier templum, proposons-le dans son ensemble:

(xxiii) Templum d’un processus de spéciation

Métatermes: MT+: homogénéité (similitude générique; notion d'origine

commune) MT-: hétérogénéité (disparité entre genres)

Corrélats initiaux: X : altération (notion de déficience, de tare, dûe par

exemple à un milieu ambiant nocif)

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Y : génération (principe de fécondité permettant la repro-duction)

Z : changement (signe d'une diachronie inéluctable; dès qu'il y a vie, il y a évolution des êtres et des milieux résultant des divers croisements)

Corrélats dérivés: XY: dégénérescence (produit négatif d'une altération et d'un

croisement) YZ: croisement (création d'un tiers terme à partir de deux

êtres parents, contrairement au clone issu d'une seule souche; l'hétérogénéité n'est plus celle d'une disparité mais d'une altérité

XZ: métamorphose propre à certaines espèces (chenille-papillon), soit résultant d'un changement (mutation), soit d'une altération (monstres)

(xxiii') La schématisation sera de la forme:

MT+,-: homogène # hétérogène

génération changement

croisement (production d'un tiers)

mixité (homme-femme)

métissage (groupe A, groupe B)

altération

dégénérescence métamorphose

Nous avons implicitement la réunion de trois groupes de valeurs qui se superposent:

a) le mode présent d'une production-génération rapporté au couple {naissance, mort},

b) le mode normatif de la typicité,

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c) le mode des rapports entre un domaine de la Nature et un domaine de la Culture50

Considérons les trois termes de base: génération, changement, altération. Si la notion de génération évoque immédiatement celle d'un engendrement biologique (en tant qu'exprimant une fécondité naturelle), elle ne s'y réduit pas cependant; en effet, en se rapportant à la distinction entre Nature et Culture, nous pouvons parler plus généralement d'un mode de production qui, dans le cas des espèces naturelles, est celui de leur reproduction; en fait, cette catégorie de la générativité peut exprimer, naturellement ou culturellement, celle d'une fécondité opposée à la stérilité, celle de la puissance opposée à l'impuissance (en termes axiologiques). Génération peut être synonyme de production, de création aussi bien que de perpétuation et c'est en ce sens que ce terme représente un principe, appliqué aux êtres (animal ou humain), aux milieux (l'agriculture, l'élevage), aux artefacts (oeuvres d'art). Dans ce principe, il y a celui d'une continuité entre les générations (qu'elle soit le fait d'une reproduction biologique ou d'une tradition), celle par exemple d'un lignage en tant qu'unité globale, contrairement au croisement qui exprime, à chaque fois, une discontinuité dans la dualité (une bifurcation).

Passons à la notion de changement; comme nous l'avons dit, celui-ci est inéluctable en tant que manifestation d'une temporalité traduite en termes de conservation et de dégradation. C'est, par exemple, cette instabilité que la théorie de la « race » cherche à neutraliser (dans la ségrégation des groupes sociaux ou

50 Que nous avons développé dans (Boudon, 2002), Deuxième partie. À propos des « airs de

famille » qui constituent une part importante dans la description d'une variation identitaire, ressembler à, nous pouvons ainsi distinguer un mode de l'engendrement de celui d'une imitation,

croisement

identité spécifique

identité mimétique

(Nature) (Culture)

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lorsqu'une aristocratie cherche à conserver une identité d'origine mythique —soit une homogénéité absolue). La notion de changement a deux versants: l'un négatif (dans la ségrégation), l'autre positif dans la notion de « sélection » puisque dans ce cas on profite d'une évolution permanente (entre générations) pour la « canaliser » vers la recherche de produits de plus en plus raffinés (c'est le cas de la domestication des plantes et des animaux où l'on cherche à atteindre la plus grande pureté). Les deux processus considérés correspondent exactement à une régression vers une origine (mythique) et une progression vers un but. Dans ce cas, la sélection n'est pas à proprement parler une rupture mais une inflexion que l'homme fait subir aux données naturelles (cette opération est une manipulation, depuis les premiers plants sauvages de graminées, il y a quelques milliers d'années, jusqu'aux plus récentes manipulations génétiques dans les laboratoires).

Mais dans la notion de changement, il y a aussi bien sûr celle de rupture (possible) et nous dirons qu'elle est partagée entre une perpétuation de ce qui est (dans une variation et une sélection) et une rupture que nous situons dans le principe d'une métamorphose en XZ (cf. mutation conduisant à un changement radical). De ce fait, la reproduction oscille toujours entre une identité évolutive et une altérité innovatrice, en tant qu'instauration d'un nouvel état de choses51.

Avant d'aborder l'analyse du troisième terme de base (l'altération), considérons la question du croisement qui constitue peut-être la pierre d'angle de ce templum en ce qu'il représente l'enjeu des rapports entre une homogénéité et une hétérogénéité.

En effet, c'est à travers cette notion du croisement, comme mise en relation de deux origines (ou souches), comme appariement de deux êtres (présupposant la dualité sexuelle), que nous situons le sens de cette reproduction de l'ensemble du dispositif en tant que formant une nouvelle génération et changement diachonique inévitable; d'un côté, le croisement exprime une mixité sexuelle, celle de l'homme et de la femme qui s'accouplent pour engendrer un tiers terme qui ne sera ni l'un ni l'autre; de l'autre, c'est le métissage comme mise en relation de deux groupes sociaux distincts (dont l'échange des femmes représente traditionnellement le vecteur). Dans ces deux versions de la même dualité associative nous situons

51 Nous retrouvons le sens de l'opposition diamétrale entre la notion d'état et de changement

d'état,.

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ainsi le problème de l'altérité: le rapport à l'autre (dont dépend le statut de l'étranger), en tant que genre (dans le rapport homme-femme, par exemple), en tant que lien (l'événement que constitue cet accouplement), en tant que perpétuation (à qui va appartenir le produit de cet accouplement?). Le croisement est ainsi le lieu de couplages dont identité et altérité sont l'enjeu: celui des sexes, celui des générations, celui d'une appartenance à un groupe.

Le croisement est ainsi une pierre de touche en ce qu'il constitue, d'une part, une connexion qui peut toujours être rompue, et d'autre part, une possibilité d'association avec d'autres groupes dont le spectre des choix peut être plus ou moins large. C'est par rapport à ce terme mixte positif en ce qu'il rassemble une complexité de rapports, que nous situons le troisième terme de base, l'altération.

Nous serons assez bref en disant qu'elle représente une fonction négative, soit par rapport au croisement (qui combine des êtres pour en donner d'autres), soit par rapport au changement (par évolution ou mutation); l'altération est la marque d'un retranchement, d'une déficience, par rapport à une nature sous-jacente qui en est le terme positif (nous retrouvons là le sens que lui donnait Aristote (1971, p. 99); par elle s'exprime, en creux, l'action d'un milieu néfaste (influences nocives; transmission de tares), ou bien une divergence conduisant à une dégénérescence (terme en XY) exprimant la fin d'une lignée, un épuisement. L'altération représente ainsi une anomalie, relative quand elle peut être assimilée à une plus ou moins grande variation (qu'une sélection a le pouvoir d'éradiquer); ou, si elle n'est pas intégrable à ce facteur de variation, elle s'isole dans une déviance (anormalité) qui la sépare du reste de la population au titre d'être dégénéré (elle devient alors un monstre hors classe52).

Nos trois termes de base: génération, changement, altération, constituent bien les bornes fondatrices de celle d'espèce en tant que communauté d'êtres semblables, qu'elle soit le fait d'une évolution naturelle ou d'une sélection humaine (où celle-ci est assimilée à une manipulation intentionnelle, d'où son redoutable pouvoir de changement des êtres et des milieux).

Il nous reste à parler de la métamorphose; c'est le signe par excellence du surgissement d'une altérité qui s'oppose à l'opération commune de reproduction 52 Là encore, nous avons un certain parallélisme dans la démarche entre une prototypicité et une

spéciation; ici, par exemple à propos de la figure du monstre jugé soit comme un hors-classe, soit comme une déviance extrême.

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(où l'on présuppose une identité de nature reportée du producteur au produit). La métamorphose, lorsqu'elle est le fait d'une opération intraspécifique (le passage de la chenille au papillon, du têtard à la grenouille, etc.,) représente toujours une opération magique, une énigme à propos de la continuité des formes naturelles qui expriment à la fois identité et altérité. Lorsqu'elle est interspécifique, elle est le signe d'une mutation, de l'engendrement d'une autre espèce (inédite) qui « ouvre » ainsi le cycle perpétuel de la reproduction. Nous avons affaire à une nouveauté où le croisement est signe de création53.

Le critère de la métamorphose est bien sûr sa viabilité: l'avénement peut être une nouvelle espèce qui prend rang auprès des autres ou bien une monstruosité sans descendance. C'est pourquoi on dira que la métamorphose est, soit le résultat d'un changement discontinu (par mutation), soit le résultat d'une altération (voire, d'une aliénation au sens strict). Elle sera donc rejetée comme hétérogénéité absolue.

(xxiv) modes du croisement

croisementchangement-

changement+ métamorphose (innovation)

perpétuation

l'innovation est l'apparition d'une forme inédite (apparentée à une métamorphose); le scénario (xxii) supra nous montre, sur un plan culturel, que cette situation inédite entraîne une foule de conséquences que l'on peut traduire en termes d'énoncés particuliers reflétant ces changements (altération, dégérescence d'anciennes formes et création de nouvelles plus ou moins acceptées). Dans cette formule de transition où deux solutions s'offrent, le changement inéluctable (xxiii-poste Z) s'oppose à la

53 Cette création n'est plus une transmission perpétuelle mais l'instauration d'un nouvel ordre; ce

clivage peut être assimilé au rapport entre un domaine de la Nature et un domaine de la Culture où la création est synonyme d'oeuvres d'art.

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conservation (xxi-poste X), laquelle peut dériver vers une vestigialité; c'est là qu'on peut réintroduire, à travers la notion de changement positif et de changement négatif la référence à une aspectualité processuelle (xiv-xiv') où le premier terme est associé à une progression (vers un but) et le second à une régression (vers une origine).

Ces développements ont pour but la définition du soubassement cognitif

des descriptions aspectuelles que l'on peut établir à plusieurs niveaux: celui de la constitution des lexies (repérables lexicologiquement et/ou grammaticalement), celui des énoncés qui caractérisent des formes d'action, des processus temporels, et celui des textes en termes de scénario restituant un ensemble de considérations axiologiques où nous pouvons parler de stratégies d'énonciation textuelle dans la mesure où chacun des constituants de ces scénarios font appel à plusieurs templa, voire même plusieurs instances. C'est dans le montage en réseau de ces différents dispositifs que l'on peut ainsi repérer des « modes interprétatifs » correspondant à la lecture qui peut être faite de ces ensembles, où des points de vue sont assignables à la manière dont on aborde une problématique; ainsi, une description peut être abordée sous l'angle « aspectuel », mais comme on l'a suggéré également, sous l'angle normatif d'une « protypicité »; ou encore d'une « actantialité », notamment en ce qui concerne cette notion de causalité qui peut relever, tant de la nature des objets que des modalités intentionnelles portées sur eux.

Comme nous le percevons après coup, nous avons en fait une véritable intrication entre les propriétés instauratrices du langage comme cadres discursifs et leurs contenus à titre de représentation des connaissances (qu’une signification étymologique, par exemple, enregistre de son côté à titre de dépôt historique); c’est ce double étagement (en référence au dédoublement du treillis {Langage-Texte}) que nous venons de parcourir dans cette dernière partie depuis la définition liminaire des objets de discours comme entité purement fictive (et c’est le sens qu’il faut lui donner dans le templum sur les grandeurs intensives-extensives où, après coup, nous retrouvons le sens fort d’une relation analogique comme mises en rapport). Rétrospectivement, nous voyons que nous avons accompli un parcours aspectuel, procédant d’un point de vue externe (par

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observation) à un point de vue interne (en tant que processus d’émergence) qui traverse le discours pour en définir les différentes strates d’investissement: lexies permettant de repérer des modes de classification, énoncés descriptifs porteurs de valeurs normatives, fragments de texte comme description en tant qu’objets de connaissance référés à des mondes qu’ils évoquent narrativement. Les dernières considérations portant sur une totalisation, une genèse et un processus de spéciation, ne sont pas sans rappeler la démarche épistémologique de G. Holton (1981), avec ses themata, situés à la base de notre représentation du monde à titre de thèmes gnoséologiques (naïfs ou spéculatifs). L’aspectualité débouche ainsi sur la constitution de « modèles de pensée du monde », récurrents tout au long de l’histoire occidentale. Cette modélisation inconsciente façonne notre regard savant indépendamment d’un investissement narratif (récit, mythe, épopée) où l’on retrouve les stratégies énonciatives de la fiction (ainsi du Timée de Platon qui nous fait participer à l’émergence d'un cosmos organique).

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INDEX DES NOMS ET DES NOTIONS A abduction ..................................................129, 225 acceptabilité......................................................126 acception.....................24, 106, 133, 144, 153, 250 accompli .............65, 181, 209, 219, 223, 225, 262 accomplissement 67, 182, 198, 200, 201, 207,

214, 216, 219, 220, 222, 223, 224, 226, 227, 228, 230, 251

accumulation ....................................................155 actantialité ................................125, 127, 241, 261 acte de croyance .................................................36 acte de langage .................................................142 action 8, 44, 45, 67, 145, 181, 198, 200, 208,

209, 210, 211, 212, 213, 214, 217, 224, 230, 231, 239, 259, 261

admission..........................................47, 48, 49, 51 adresse13, 15, 21, 22, 25, 26, 28, 29, 38, 40, 138,

196 affirmation 9, 15, 36, 45, 46, 47, 48, 49, 51, 103,

140, 145, 151 agrégat ..............................................228, 241, 242 agrégation 2, 121, 182, 183, 207, 239, 240, 242,

244, 246 airs de famille 112, 116, 133, 134, 160, 183, 248,

254, 257 aléa ...................................................................246 allégorie..........................................8, 15, 136, 150 altération 9, 119, 239, 255, 256, 257, 258, 259,

260, 261 amortissement...217, 219, 220, 221, 222, 223, 245 amplification 43, 155, 156, 157, 158, 159, 161,

169, 175 analogie 8, 75, 84, 86, 152, 153, 154, 187, 189,

190, 191, 192, 193 anaphorisation ..............................................24, 99 annonce ....138, 198, 219, 220, 222, 223, 225, 252 antéprédicatif ......................................................28 anthropologie............................................110, 255 antithèse 138, 139, 140, 141, 143, 149, 151, 153,

154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 169, 171

aperception .............. 63, 64, 65, 67, 112, 121, 126 Apollinaire....................................................... 160 appariement ............................................. 133, 258 appartenance...... 98, 115, 131, 133, 134, 160, 259 approximation.................................. 197, 198, 223 arbre de Porphyre ............................................ 134 argumentaire ................................................ 35, 36 argumentation 7, 39, 41, 49, 129, 139, 141, 152,

157, 225, 3, 7, 10 Aristote 80, 116, 151, 152, 180, 191, 193, 200,

218, 239, 247, 259 armature idéale ................................................ 128 articulation 1, 42, 55, 65, 151, 179, 180, 182,

228, 229 aspect 37, 157, 165, 175, 190, 227, 232, 248, 3,

7, 11 aspectualisation.................................. 28, 178, 241 aspectualité 5, 56, 59, 66, 68, 121, 129, 130, 136,

156, 178, 179, 181, 183, 199, 206, 207, 220, 223, 228, 234, 237, 242, 248, 251, 252, 253, 261, 262

aspectuel .......... 154, 206, 210, 220, 250, 261, 262 assertion 15, 30, 45, 46, 47, 49, 50, 56, 144, 145,

152 associer 2, 16, 59, 74, 76, 88, 129, 142, 167, 182,

191, 196, 229, 232, 241 atomistique .......................................................... 4 Atran.................................. 57, 110, 111, 116, 117 auto-organisation ............................. 55, 72, 179, 6 auto-référence............................................ 43, 110 auto-télique.................................................. 33, 45 B basculement . 82, 86, 140, 148, 157, 161, 169, 239 Bateson ............................................................ 167 beaucoup 14, 17, 18, 23, 27, 30, 34, 37, 78, 93,

103, 105, 115, 148, 161, 184, 199, 201, 215, 228

Beauzée ........................................................... 136 Belaval............................................................. 198

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Benveniste 10, 21, 22, 24, 25, 27, 43, 54, 136, 139, 180, 196

Berlin........................................................110, 121 Berrendonner 30, 102, 137, 139, 140, 141, 145,

188 Bertrand............................................................136 bifurcation ....................33, 42, 138, 216, 217, 258 binaire.......................................132, 154, 187, 241 binarité..............................................141, 152, 162 Black ........................................................152, 190 blâme ................................143, 161, 162, 163, 164 Blanché.......................................................12, 195 Bordron ............................................131, 191, 238 borne 119, 128, 194, 196, 198, 200, 203, 204,

210 Boudon .........2, 12, 38, 72, 79, 136, 202, 239, 257 Bouveresse .........................................................49 Brandt ...............................................................240 Braque ..............................................................178 Breton...............................................................155 Brøndal .............................................240, 241, 244 but 1, 11, 12, 65, 72, 121, 130, 165, 208, 224,

225, 226, 227, 228, 234, 238, 258, 261 C Cadiot .......................................................234, 237 cadrage .........................................32, 44, 188, 208 cadre mental .......................................................75 Calvin ...................................................................5 cataphorisation ...................................................99 catégorie 10, 18, 21, 23, 24, 112, 116, 121, 255,

257 catégoriel ..............................................31, 61, 122 catégorisation 1, 3, 8, 25, 40, 55, 58, 59, 60, 70,

72, 80, 111, 112, 113, 115, 118, 120, 122, 125, 127, 128, 134, 151

causal................................................129, 235, 249 causalité......................62, 121, 129, 211, 235, 261 cause.......9, 45, 139, 158, 159, 214, 215, 238, 254 centrage ..............................................44, 118, 133 champ sémantique 1, 11, 12, 58, 59, 67, 71, 72,

76, 110, 112, 116, 121, 126, 128, 239

changement d'état 105, 207, 212, 215, 216, 217, 227, 258

chiasme.................................... 141, 147, 157, 159 Chomsky.................................. 11, 12, 55, 93, 130 classématique................................................... 110 classification 17, 18, 28, 57, 70, 77, 93, 112, 114,

118, 119, 123, 132, 133, 134, 232, 254, 262 cognitif 12, 28, 52, 55, 70, 111, 122, 193, 248,

261 cognition, ....................................................... 8, 11 cognitivisme .................................................... 124 collectif 61, 68, 96, 100, 101, 119, 134, 172, 174,

175, 241, 242, 250 colocalisation..................................................... 12 commensurable........................................ 203, 205 commentaire .................... 30, 35, 36, 44, 46, 54, 7 communication privée ..................... 172, 173, 175 communication publique ......... 171, 173, 174, 175 comparaison 7, 30, 33, 59, 85, 146, 153, 156,

160, 187, 189, 190, 193, 194 complétude .............. 181, 207, 220, 223, 228, 245 Comrie ............................................................. 206 concept............. 12, 47, 60, 93, 116, 122, 134, 195 conception 12, 17, 31, 112, 116, 121, 123, 129,

133, 136, 138, 144, 151, 152, 153, 156, 178, 191, 199, 205

condensation.................................................... 159 congruence....................................................... 160 connecter ................................................. 229, 232 connexion ........................ 230, 231, 232, 233, 259 conséquence........................... 9, 49, 116, 139, 240 conservation............................. 239, 251, 258, 261 constitution 1, 5, 7, 29, 30, 34, 37, 55, 69, 72,

121, 126, 129, 130, 132, 154, 170, 187, 190, 192, 195, 201, 227, 248, 261, 262

contact ............. 107, 182, 228, 229, 233, 234, 236 continuité 42, 48, 148, 161, 224, 232, 233, 235,

251, 257, 260 contradiction........................ 12, 49, 139, 140, 198 contraire 17, 59, 81, 91, 104, 136, 138, 140, 141,

146, 161, 173, 211, 214, 223, 227, 233, 235, 240, 242

contrat fiduciaire...................................... 172, 173 contrôle.............................. 75, 216, 243, 244, 246 conversion ......... 48, 190, 195, 203, 204, 205, 213

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Corblin................................................................97 corporel ..................................................64, 75, 76 corps 56, 57, 61, 63, 64, 74, 75, 76, 77, 80, 81,

82, 107, 179, 183, 184, 186, 188, 189, 202, 205, 218, 228, 233, 235, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 248, 249, 252, 255

cosmos ..................................................202, 262, 4 cotexte .. iii, 37, 39, 41, 43, 54, 138, 141, 144, 160 couplage .............................................70, 242, 244 Courtès .....................................................172, 211 couvrement .......................110, 235, 236, 237, 238 crise ..........................................105, 167, 191, 217 croisement 54, 132, 179, 201, 239, 248, 249, 255,

256, 258, 259, 260 Culioli2, 7, 11, 12, 13, 17, 47, 60, 98, 104, 106,

131 cycle ...................74, 155, 218, 240, 250, 251, 260 cyclophorie .......................................................218 D datation .....................................................200, 212 déconnecter...............................................229, 232 déduction ....................................................64, 129 déficience ...........................96, 102, 123, 256, 259 définition 1, 11, 12, 13, 18, 22, 28, 31, 32, 35, 36,

43, 45, 49, 50, 52, 56, 57, 63, 67, 70, 79, 82, 88, 97, 100, 109, 114, 123, 126, 128, 131, 132, 134, 143, 156, 166, 174, 176, 181, 182, 183, 185, 190, 191, 200, 206, 213, 216, 228, 230, 234, 239, 261, 262

définitude/indéfinitude ...............................96, 100 dégénérescence.........................................256, 259 dégradation ...................................9, 250, 251, 258 degrés de reproche............................................164 degrés d'encouragement ...................................164 déictique ...........................................9, 16, 96, 100 démonstratif....................................................99, 4 Denis ..........................................................110, 10 dénombrable ...................10, 16, 95, 103, 104, 105 dénombrement ............................97, 103, 179, 185 dénomination 28, 96, 98, 101, 117, 124, 178,

193, 232 dénotation .............................................93, 94, 123

dérivation................................. 4, 31, 76, 129, 152 Derrida............................................................. 180 désagrégation... 121, 182, 183, 239, 242, 244, 246 Descartes ............................................... 31, 198, 2 Desclés 11, 12, 17, 30, 110, 115, 131, 174, 178,

199, 207, 208, 215 description catégorielle.................................... 127 description empirique .......................... 52, 61, 127 désignation 28, 32, 45, 54, 57, 71, 93, 94, 96, 97,

141, 148, 178, 196 détente ............................................................. 218 développer 5, 25, 51, 76, 79, 152, 185, 199, 202,

218, 229, 233 dialogue 9, 23, 24, 25, 26, 36, 38, 41, 44, 137,

171, 175 dictionnaire .................................................. 60, 67 dire/non-dire ........................................................ 2 discoursi, 2, 3, 4, 7, 11, 13, 18, 21, 27, 29, 32, 37,

39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 49, 54, 55, 68, 80, 93, 94, 99, 123, 126, 129, 130, 136, 137, 138, 139, 142, 144, 147, 151, 154, 156, 166, 169, 172, 173, 178, 179, 182, 198, 248, 262

discrétivité ............................................... 187, 232 disjonction ....... 119, 120, 183, 229, 233, 236, 248 dispositif 11, 12, 14, 21, 23, 27, 31, 32, 34, 52,

55, 65, 66, 69, 70, 73, 76, 87, 97, 99, 108, 113, 120, 122, 124, 126, 130, 131, 132, 142, 143, 151, 152, 156, 160, 162, 163, 169, 171, 173, 182, 184, 193, 194, 197, 205, 207, 208, 218, 220, 227, 229, 234, 236, 243, 244, 251, 259

dispositif catégoriel ................................... 31, 122 dissocier......... 16, 77, 98, 109, 224, 228, 229, 232 domaine notionnel ......................... 12, 61, 70, 131 double 2, 7, 8, 14, 15, 16, 39, 56, 86, 90, 99, 106,

123, 128, 129, 138, 143, 149, 150, 151, 154, 157, 160, 165, 167, 168, 171, 179, 180, 200, 211, 221, 223, 224, 225, 226, 232, 244, 262

double sens 8, 15, 99, 138, 143, 149, 150, 151, 160, 165, 168, 171, 223, 224, 225, 226

doute2, 48, 49, 51, 95, 100, 101, 111, 114, 138, 145, 160, 167, 210, 214, 215

doxa ............................................................. 18, 30 Dubois ............................................. 110, 116, 122 Ducrot 7, 15, 40, 43, 46, 49, 51, 93, 108, 129,

137, 140, 145, 147, 188, 198 duction ..................................... 128, 129, 249, 256

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Dumarsais.........................................................136 duplication................................................244, 245 Dupont-Roc ..................................................218, 2 E échange 15, 30, 54, 60, 86, 89, 90, 171, 172, 173,

174, 175, 176, 244, 247, 255, 259 échelle argumentative.......................................140 Eco....................................................................152 économie du sens .................15, 22, 144, 160, 244 Edelman............................................................120 égalité .......................185, 187, 193, 194, 195, 197 éloge .........................................161, 162, 163, 164 émergence...........18, 239, 240, 245, 249, 252, 262 énigme ......................................139, 161, 249, 260 énoncé 8, 9, 10, 11, 12, 15, 27, 29, 31, 33, 34, 35,

36, 37, 38, 39, 40, 42, 44, 45, 46, 49, 50, 56, 95, 98, 99, 105, 107, 132, 137, 138, 139, 143, 144, 145, 147, 149, 150, 160, 163, 165, 167, 170, 179, 180, 186, 188, 202, 210, 213, 214, 215, 222, 224, 235, 254

énonciataire ..16, 48, 140, 144, 167, 168, 172, 175 énonciateur 10, 16, 22, 29, 38, 41, 43, 44, 138,

139, 144, 167, 172, 174, 175 énonciation 5, 7, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 21, 27,

28, 29, 30, 31, 33, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 43, 44, 45, 47, 50, 54, 93, 109, 125, 126, 137, 138, 141, 142, 144, 146, 147, 151, 161, 172, 173, 179, 208, 209, 210, 211, 212, 224, 261

énoncif................................................38, 146, 151 ensemble 1, 4, 6, 7, 11, 13, 14, 16, 23, 37, 41, 42,

45, 52, 55, 56, 57, 60, 62, 68, 74, 75, 76, 78, 89, 94, 99, 115, 116, 120, 123, 125, 130, 134, 156, 157, 158, 166, 171, 180, 181, 182, 194, 198, 209, 210, 211, 212, 219, 220, 223, 225, 230, 232, 238, 239, 241, 242, 244, 245, 246, 255, 258, 261

envelopper ................................................229, 233 épochè ..............................................................122 équipollence .....................154, 187, 188, 190, 194 espace cinématique 207, 209, 210, 211, 213, 214,

219, 221 espèce naturelle ..................................................70 état 8, 10, 65, 68, 74, 84, 86, 87, 102, 105, 116,

120, 125, 130, 167, 178, 180, 181, 189, 199,

206, 207, 209, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 226, 227, 238, 248, 250, 251, 258

étymologie ......................................................... 35 évaluation 8, 142, 143, 153, 156, 161, 162, 163,

169, 178, 184 événement 68, 178, 181, 198, 199, 206, 207, 212,

214, 215, 216, 217, 218, 238, 246, 250, 259 exception ........................... 80, 117, 119, 123, 214 exclamation...................... 7, 8, 9, 31, 47, 143, 166 exclure ............................................................. 229 exempla.................................................... 114, 117 existentialité....................................... 93, 103, 104 expression idiomatique.................................... 147 expression syntaxique...................................... 147 extensité................................... 182, 183, 184, 217 extérieur 76, 119, 173, 174, 228, 242, 243, 244,

247 extraction ................................................... 98, 129 extrema ............ 196, 198, 199, 200, 203, 208, 251 extrêmes................... 104, 107, 162, 190, 194, 218 F faculté de langage ............................ 129, 136, 180 famille d'énoncés ............................................... 35 Fauconnier ....................................................... 201 faux ...................... 28, 36, 39, 44, 55, 95, 139, 145 fermé.......................... 13, 194, 199, 207, 208, 241 fermeture ............. 30, 42, 199, 210, 229, 231, 244 figure de mots .................................................. 146 figure de pensée....................... 136, 146, 149, 160 Fodor ................................................................... 3 fonction judicative ................... 143, 161, 162, 174 fonction normative........................................... 127 Fontanille............................................. 136, 183, 7 formant 5, 37, 42, 58, 70, 102, 119, 125, 126,

133, 143, 155, 166, 183, 195, 207, 228, 239, 241, 242, 245, 259

Foucault ....................................................... 18, 59 franchissement......................... 160, 235, 236, 237 Frege.................... 28, 30, 46, 47, 51, 93, 131, 145 fréquentatif ...... 200, 212, 213, 214, 216, 224, 240 frontière ........................... 12, 60, 83, 97, 242, 244 Fuchs ................................................... 35, 50, 161

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267

futur ....................16, 39, 41, 46, 54, 210, 224, 228 G Geach..................................................................93 généralité ....80, 93, 94, 96, 97, 100, 101, 123, 127 génération .....2, 239, 240, 249, 256, 257, 259, 260 généricité 112, 113, 117, 118, 119, 123, 128,

130, 183 générique-spécième..................................118, 134 genèse.......178, 228, 239, 247, 248, 251, 252, 262 Genette .....................................................152, 165 Gestalt...............................................................238 Gestalttheorie ...................................104, 120, 238 Gide ..................................................................139 glose .....16, 30, 33, 34, 56, 80, 128, 130, 139, 225 Goethe ......................................................165, 166 Gonseth ......................................32, 126, 130, 178 gradience ..................................109, 187, 188, 194 gradient.........4, 108, 117, 118, 131, 132, 189, 217 grammaire cognitive...........................................10 grammaire générative .........................................93 grandeur cardinale ............................................197 grandeur extensive....................182, 184, 187, 219 grandeur intensive ............182, 185, 187, 228, 254 grandeur ordinale..............................................197 Granger.......................................................124, 10 Greimas ............12, 18, 45, 56, 165, 167, 172, 211 Grice.................................................138, 147, 172 Grize.......................................1, 3, 4, 38, 131, 152 Groupe µ ..........................................137, 152, 158 Guentcheva.......206, 207, 208, 211, 219, 225, 240 Guillaume .........................................182, 183, 206 Guitry ...............................................136, 144, 149 H Hamon ..........................................................2, 155 héritage sémantique..........................................131 Hesse ........................................................152, 190 hétérarchie ..........................................................55 hétérogène ..................................................94, 183

hic et nunc ................................. 16, 33, 37, 38, 41 hiérarchie 55, 117, 118, 131, 134, 189, 193, 242,

244 Hjelmslev........................................................... 71 holistique ............................................................. 4 Holton...................................................... 190, 262 homogène ........................ 183, 206, 216, 233, 249 homologie de rapports ............... 70, 153, 173, 189 Hugo ................................................................ 154 humour..................................... 143, 167, 168, 170 Husserl..................... 112, 122, 124, 126, 154, 238 hyperbole ................................. 141, 156, 157, 159 hypotypose....................................................... 160 I idéal-type ................................................... 12, 111 identification 17, 60, 70, 111, 114, 131, 133, 160,

214 identitaire................................................. 214, 257 identité 32, 131, 133, 183, 191, 192, 213, 254,

255, 258, 259, 260 idoénité ............................ 112, 126, 128, 132, 232 Imbert .......................................................... 12, 61 implicature....................................................... 150 inaccompli ............................... 181, 210, 219, 223 inaccomplissement........................................... 102 incarnation ................... 61, 62, 114, 115, 194, 249 inchoatif................................... 215, 216, 220, 221 incidence............................................................ 50 inclure...................................................... 229, 233 inclusion 112, 115, 131, 133, 134, 160, 231, 232,

233, 248 incommensurable............................................. 205 incomplétude ........... 107, 181, 207, 220, 223, 245 individu21, 70, 98, 102, 115, 119, 172, 175, 196,

250 individuation 62, 71, 99, 100, 110, 114, 115,

117, 119, 120, 123 induction.......................................................... 129 inégalité ................................................... 195, 197 inférence .................................................... 29, 139 information 5, 8, 47, 121, 146, 169, 174, 175,

209, 244

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268

ingrédience .......................................133, 134, 158 insinuation ....................................9, 10, 47, 48, 51 instance judicative ............................142, 171, 174 instanciation 7, 10, 11, 13, 21, 27, 28, 29, 30, 31,

33, 39, 43, 44, 45, 46, 52, 56, 63, 67, 71, 123, 125, 126, 129, 130, 138, 142, 145, 160, 172, 179

intensité ........66, 67, 156, 182, 183, 189, 217, 219 intérieur 61, 65, 201, 211, 228, 230, 231, 234,

244, 247 interpolation .....................................159, 160, 169 interprétation9, 32, 38, 94, 106, 126, 129, 130,

133, 144, 180, 254 interrogation 9, 15, 36, 41, 45, 46, 47, 48, 49, 51,

94, 145, 151, 166, 167, 209 interro-négatif...............................................48, 51 interspécifique ..................................................260 intervalle fermé.........................................199, 208 intervalle ouvert................199, 200, 209, 212, 214 intervalle semi-ouvert...............199, 200, 209, 212 intervalle unitaire......................196, 203, 204, 205 intonation..................139, 143, 165, 166, 168, 169 intraspécifique ..........................................239, 260 ironie 13, 15, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142,

143, 149, 150, 151, 156, 157, 160, 161, 163, 165, 167, 168, 170, 171, 176

isotopie .............................................................211 J Jakobson...............................30, 45, 152, 153, 157 Johnson.............................................................154 Joly .....................................................................22 jonction.....................................120, 183, 229, 236 judicatif ..............................................10, 139, 161 justesse .................................................16, 24, 108 justification.............5, 7, 30, 33, 35, 36, 42, 44, 54 K Kant ..............................................................64, 67 Kay ...........................................................110, 121 Kerbrat-Orrechioni ...........................................137 Kleiber............17, 67, 94, 100, 102, 107, 110, 173

Koyré ............................................................... 202 Kripke................................................................ 32 L Lakoff ........................................ 11, 111, 114, 154 Lallot ............................................................... 218 Langacker .................................. 11, 188, 210, 234 lapsus....................................................... 8, 33, 42 légitimation.................... 7, 33, 35, 43, 44, 54, 175 Leibniz............................................... 15, 198, 241 lekton ................................................................. 61 Lesniewski............................... 120, 124, 132, 254 lexicographie ..................................................... 60 lieu 12, 16, 17, 28, 29, 31, 33, 36, 54, 70, 84,

106, 109, 123, 125, 134, 139, 145, 146, 148, 154, 155, 157, 172, 175, 179, 180, 182, 189, 194, 203, 205, 210, 215, 223, 225, 232, 233, 241, 259

ligne mélodique ................................................. 66 litote................................................. 140, 149, 150 locution figée..................................................... 10 loi de discours............................................ 42, 198 Lorenz.................................................................. 4 ludisme .................................................... 139, 171 M macrocosme......... 83, 86, 195, 203, 204, 205, 243 Mallarmé.................................................. 155, 179 marqueurs .......................................................... 32 Martin 32, 38, 39, 41, 63, 64, 67, 108, 121, 145,

148 massif............................................... 103, 105, 187 matrice ............................... 55, 122, 124, 170, 171 médiatif.................................................... 174, 175 médiété ............................................ 199, 200, 210 membre ........................................................ 10, 76 mention..... 29, 30, 31, 33, 37, 43, 123, 138, 171 méréologie ....................................................... 254 mesure 5, 6, 16, 41, 59, 61, 81, 119, 123, 140,

143, 160, 165, 170, 173, 179, 185, 187, 188, 196, 199, 200, 203, 206, 210, 225, 236, 248, 261

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269

méta-énonciation ................................................54 métalangage................................ iii, 7, 30, 35, 137 métalangagier .............................33, 123, 129, 137 métamorphose ..................248, 249, 256, 258, 260 métanomination ..........7, 29, 33, 34, 35, 36, 37, 44 métaphore 5, 33, 52, 136, 137, 141, 146, 147,

148, 152, 153, 156, 158, 159, 160, 193, 249 métaterme 23, 24, 25, 31, 45, 46, 50, 99, 119,

151, 155, 156, 157, 194 métissage ..........................................................259 métonymie 52, 137, 152, 153, 157, 158, 159,

193 Michaux..............................................................28 microcosme ..83, 86, 195, 203, 204, 205, 243, 248 micro-univers .........................................21, 25, 46 milieu59, 68, 83, 85, 106, 182, 183, 186, 231,

237, 239, 241, 242, 243, 244, 246, 247, 249, 254, 256, 259

Milner .................................................................12 mini réseau de templa 14, 72, 93, 137, 142, 169,

181, 207, 220, 228, 238, 253 mise en correspondance110, 153, 155, 156, 158,

192 mise en discours ...................................5, 8, 94, 99 mise en scène......................................15, 173, 202 mixité................................................................259 modalité de dicto ....................................33, 38, 39 modalité de re .........................................33, 38, 39 modalité discursive.....................48, 147, 149, 163 modalité praxéologique ......................................65 mode 5, 9, 10, 12, 16, 17, 21, 38, 40, 42, 47, 50,

51, 58, 59, 61, 73, 74, 86, 87, 89, 97, 114, 120, 131, 140, 141, 147, 158, 161, 172, 174, 175, 200, 227, 228, 239, 244, 246, 247, 249, 252, 254, 257

modèle ....3, 98, 117, 130, 138, 165, 191, 200, 202 modélisation .....................................................262 modularité.............................................................6 Moignet ..............................................................22 Molino ......................................................152, 190 moment 10, 11, 27, 33, 37, 39, 40, 46, 68, 87, 90,

108, 140, 148, 161, 179, 200, 205, 208, 209, 210, 211, 214, 216, 217, 218, 224, 225, 238

monade .........................................................1, 247 monadologie .........................................................1

monde imaginaire .. 28, 44, 52, 121, 123, 146, 151 monde réel ................................. 28, 121, 146, 151 mondes possibles ........................... 32, 39, 54, 124 monologue ................................................... 9, 171 monstration .................................... 32, 96, 98, 100 monstruosité .............................. 17, 206, 249, 260 Montague........................................................... 55 moquerie .................................. 137, 143, 167, 168 mort 49, 149, 154, 215, 239, 245, 250, 251, 252,

257 mortalité........................................................... 251 Mourelatos....................................................... 206 moyen 1, 2, 3, 5, 16, 17, 25, 28, 29, 30, 52, 56,

57, 58, 105, 126, 140, 145, 162, 163, 167, 168, 174, 182, 185, 187, 199, 211, 217, 233, 234, 235

mutation................... 119, 212, 256, 258, 259, 260 mythologie................................................... 22, 69 N naissance.................. 200, 215, 245, 249, 251, 257 narration....................................... 7, 122, 208, 225 négation 9, 15, 24, 45, 46, 48, 49, 50, 51, 140,

145, 151, 157 neutralisation ................... 162, 163, 166, 214, 218 neutre ................... 23, 25, 107, 145, 147, 203, 230 niveau de base ................................................. 112 niveau de subordination................................... 112 niveau de superordination................................ 112 noématique .................................................. 63, 64 nom propre .......................................... 32, 93, 115 nombre 24, 41, 47, 58, 60, 65, 85, 86, 104, 119,

123, 126, 139, 152, 165, 183, 185, 190, 194, 203, 206, 207, 246

nominale .......................................... 28, 34, 35, 69 noologie ............................................................. 11 normal.............................. 8, 17, 42, 146, 166, 167 norme 17, 18, 103, 105, 123, 127, 146, 166, 192,

200, 206, 222 O objet de discours.............................. 142, 178, 179

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270

objet quelconque ........................................32, 178 occurrence ................................................111, 133 oiseau 11, 58, 59, 62, 63, 72, 74, 77, 78, 79, 80,

81, 82, 85, 111, 112, 113, 115, 186, 191 omnis ........................................................240, 241 onomasiologie ............................................56, 128 opacité ........................................................44, 189 opposition 13, 22, 23, 27, 28, 49, 76, 79, 80, 81,

94, 97, 104, 105, 116, 119, 136, 147, 154, 156, 159, 160, 165, 166, 183, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 206, 221, 224, 240, 244, 251, 258

ordonnancement ...............179, 194, 196, 197, 240 orientation 182, 195, 200, 207, 211, 220, 223,

224, 225, 226, 227, 233, 238, 245, 248, 254 origine 7, 9, 12, 15, 25, 32, 35, 43, 117, 186, 199,

200, 208, 209, 215, 224, 226, 227, 228, 239, 250, 255, 258, 261

ouvert 3, 13, 61, 85, 194, 199, 200, 207, 209, 212, 214

ouverture ..............31, 42, 43, 85, 107, 132, 199, 9 oxymore............................................141, 157, 158 P Pacherie ....................................................116, 119 palindromie.......................................................157 paradigmatique .............12, 13, 22, 27, 69, 99, 180 paradigme .................................2, 32, 52, 127, 157 paradoxe .....................................33, 114, 139, 140 paraphrase ........................................7, 11, 35, 6, 8 parcours 2, 52, 94, 98, 99, 181, 187, 200, 210,

212, 219, 221, 223, 226, 227, 243, 246, 253, 262

parenté ....................................1, 11, 116, 128, 255 particularisation..............95, 97, 98, 102, 107, 123 partie du corps ............................................63, 202 partitif ...........................16, 95, 103, 104, 105, 107 partonomie..................................................57, 160 Pascal................................................................203 passé 15, 16, 39, 41, 46, 99, 101, 180, 196, 219,

228, 251, 255 pause.........................................................166, 168 Peirce..........................................64, 133, 194, 225 Perelman...........................................................157

performatif....................................................... 137 perplexité ................................... 9, 48, 49, 51, 151 Perrin ....................... 136, 137, 138, 148, 156, 161 Petitot......................................................... 12, 124 peu 2, 9, 10, 36, 39, 84, 87, 103, 104, 105, 108,

109, 112, 126, 163, 178, 180, 184, 198, 199, 214, 227, 232, 241

phénoménologie ............................ 27, 124, 178, 7 phorie............................................... 158, 193, 217 phrase......................................................... 21, 148 phrastique .......................................................... 57 Piaget ....................................................... 1, 2, 231 Picoche .............................................................. 54 Platon............................................................... 262 pluralité 10, 54, 72, 82, 95, 98, 103, 104, 105,

141, 204, 227, 229, 240 poétique 15, 33, 44, 45, 56, 120, 146, 148, 152,

153, 154, 173, 179, 249 point de vue 1, 4, 7, 27, 54, 70, 78, 84, 138, 152,

153, 154, 161, 173, 178, 179, 182, 201, 206, 220, 221, 223, 262

polysémie lexicale ............................................. 56 posé 15, 23, 51, 63, 145, 146, 151, 167, 168, 209,

238 Pottier .................................. 35, 54, 108, 178, 206 pouvoir 30, 34, 39, 44, 45, 59, 61, 65, 72, 78, 79,

89, 113, 126, 190, 208, 259, 260 pragmatique30, 45, 136, 138, 140, 156, 161, 2, 10 prédicat .......... 27, 47, 50, 148, 150, 151, 213, 230 prédicative ..... 35, 50, 70, 125, 129, 147, 188, 206 préposition ....................................................... 230 présent 9, 27, 33, 37, 39, 41, 46, 54, 169, 211,

215, 216, 220, 236, 257 présent vivant .............................................. 27, 37 présupposé................... 15, 51, 145, 147, 227, 248 preuve .................................. 5, 156, 174, 175, 193 Prévert ..................................................... 148, 155 procès 23, 116, 156, 178, 181, 189, 198, 199,

201, 206, 207, 209, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 219, 220, 223, 224, 225, 226, 227, 238, 240, 250

processus 5, 7, 9, 11, 14, 16, 24, 30, 66, 67, 72, 99, 110, 111, 123, 126, 143, 144, 169, 171, 178, 179, 181, 182, 187, 200, 201, 207, 208, 209, 210, 212, 215, 216, 217, 218, 219, 220,

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271

222, 223, 224, 225, 226, 228, 238, 239, 240, 244, 245, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 254, 255, 258, 261, 262

processus cognitif .....................................111, 225 production 11, 27, 36, 37, 41, 56, 66, 86, 87, 121,

127, 129, 130, 131, 173, 183, 257 proportionnalité ........................152, 189, 190, 201 prospectif..........................208, 210, 221, 223, 225 protolangage.........................................................5 prototypicité 13, 72, 93, 110, 111, 116, 117, 119,

120, 121, 123, 126, 127, 133, 134, 178, 192, 254, 259

prototypie 12, 114, 115, 117, 119, 123, 154, 178 Q qualification24, 37, 50, 59, 65, 96, 102, 154, 179,

182, 185 quelque 10, 18, 27, 32, 65, 67, 81, 94, 103, 104,

105, 106, 108, 112, 136, 146, 157, 163, 178, 193, 226, 231, 233

quelques............78, 94, 103, 105, 109, 214, 258, 9 R Rabelais ............................................................155 radical .......................................................230, 258 Rastier.........................................................61, 111 Récanati ..................................................30, 31, 44 récapitulation....208, 210, 220, 221, 222, 225, 252 récit...............................................38, 40, 217, 262 référence 8, 16, 28, 30, 33, 35, 43, 44, 45, 47, 54,

56, 57, 60, 61, 63, 64, 68, 69, 93, 96, 98, 109, 110, 111, 121, 123, 139, 151, 155, 156, 158, 179, 182, 203, 210, 223, 225, 229, 233, 234, 235, 236, 241, 247, 254, 261, 262

référenciation 7, 27, 28, 29, 30, 31, 33, 34, 37, 38, 40, 41, 43, 44, 54, 93, 109, 123, 124, 125, 134, 138, 141, 144, 146, 147, 154

réflexivité .................11, 31, 33, 34, 40, 43, 44, 45 régression 198, 208, 223, 224, 226, 227, 240,

258, 261 régulation..................................239, 242, 243, 246 renversement 82, 140, 141, 143, 157, 161, 162,

186

repérage 52, 55, 56, 58, 72, 112, 131, 179, 184, 188, 207, 209, 211, 212, 219, 233, 234, 240, 250

répétition 141, 155, 157, 158, 159, 160, 161, 169, 171, 212, 240

représentation 1, 5, 12, 31, 45, 54, 56, 57, 58, 59, 60, 67, 68, 83, 109, 114, 128, 145, 195, 201, 202, 203, 205, 248, 261

reprise 9, 36, 40, 41, 49, 51, 84, 121, 133, 138, 154, 155, 157, 159, 208, 212, 220, 224, 226, 227, 232

Resche-Rigon .......................................... 110, 122 réseau du sens II .............................................. 1, 3 rétroaction................................ 243, 245, 246, 247 rétrospectif....................... 208, 219, 221, 223, 225 rhétorique 8, 15, 42, 136, 137, 138, 141, 143,

144, 146, 151, 152, 155, 161, 169 Ricoeur ........................................................ 148, 7 rien 10, 30, 39, 68, 101, 103, 104, 105, 107, 108,

148, 155, 187, 203 Riffaterre ......................................................... 154 Robin ............................................................... 193 Rosch 12, 17, 35, 110, 112, 116, 117, 120, 121,

122, 133, 239 rumeur ............................................. 173, 174, 175 ruption ............................................................. 131 rupture 42, 88, 157, 158, 159, 160, 173, 182, 198,

207, 212, 214, 215, 232, 233, 246, 250, 258 Ruwet............................................................... 101 rythme...................................................... 200, 214 S Sabah ............................................................... 110 Sapir................................................................. 189 Sapoval ............................................................ 246 Saussure........................................................... 214 saussurien ........................................................ 151 savoir 9, 11, 15, 30, 31, 44, 45, 47, 48, 57, 59,

110, 111, 114, 124, 125, 146, 150, 151, 182, 183, 189, 195

scénario.................................... 253, 254, 260, 261 Schaeffer............................................................ 18 schéma corporel..................................... 64, 75, 76

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272

schématisation 3, 26, 33, 51, 72, 96, 103, 118, 130, 131, 150, 159, 164, 169, 176, 188, 197, 204, 213, 220, 226, 230, 236, 243, 252, 256

schème......................................................127, 191 Schlanger..........................................................252 Searle..................................................30, 137, 138 segmentation.....................................120, 229, 232 Seiler ................................................................206 sémiotique 1, 11, 12, 25, 45, 54, 127, 165, 167,

183, 185, 234 sens euphémistique...........................140, 149, 150 sens figuré 15, 17, 52, 56, 143, 144, 146, 147,

148, 149, 150, 151, 160, 169 sens idiomatique ...................40, 57, 147, 148, 150 sens littéral 15, 17, 51, 56, 57, 144, 145, 146,

147, 148, 149, 150, 151 sens sous-entendu 15, 52, 143, 144, 146, 147,

149, 150, 151 sérialité .............................183, 190, 201, 234, 254 série 10, 14, 29, 74, 93, 94, 97, 98, 112, 113, 116,

119, 131, 133, 153, 190, 194, 205, 215, 216, 236, 238, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 248

Shakespeare......................................................161 silence.....................15, 37, 50, 150, 151, 166, 168 simulacre objectal.............................................111 simultanéité2, 6, 15, 66, 143, 165, 181, 203, 208,

210, 212 singularité 2, 67, 93, 95, 96, 98, 99, 101, 102,

104, 212, 215 site ....................................................................244 situation 11, 16, 27, 28, 29, 33, 38, 40, 45, 56,

102, 108, 122, 138, 140, 141, 144, 145, 148, 209, 210, 211, 212, 217, 221, 226, 231, 233, 246, 261

situé 9, 27, 31, 37, 43, 83, 106, 113, 114, 130, 142, 145, 149, 163, 172, 179, 234

somme 32, 95, 97, 103, 138, 228, 239, 240, 241, 242, 244, 245, 247

soutènement..............................110, 235, 236, 237 spéciation..........228, 239, 248, 254, 255, 259, 262 spécification 13, 16, 28, 67, 72, 93, 97, 98, 101,

102, 107, 110, 112, 113, 123, 125, 128, 179, 254

spécimen.............................................96, 100, 123 Sperber .............................114, 137, 138, 156, 165

Stein................................................................. 155 stéréotype......................................................... 114 stochasticité ............................................. 243, 246 stratification................................. 30, 37, 113, 127 Strawson ............................................................ 93 structuralisme .................................................... 10 subdivision....................... 200, 201, 203, 204, 205 subjonctif ............................................... 38, 39, 46 substance ................................. 180, 186, 231, 233 substrat................. 18, 83, 182, 183, 184, 208, 231 successivité .............................. 181, 208, 212, 215 sui-référence .................................. 33, 43, 44, 139 suivi discursif .................... 7, 37, 40, 43, 138, 160 suspense........................................................... 217 suspension ....... 220, 225, 226, 227, 235, 236, 237 symbole ....................................................... 42, 43 symbolique 12, 15, 21, 45, 71, 120, 124, 136,

144, 161, 192, 205, 215, 251, 252 syncatégorématique ......................................... 150 synecdoque ...................................... 147, 158, 159 syntagmatique...................................... 12, 22, 169 syntagme.......................................................... 148 système 4, 5, 14, 58, 60, 70, 128, 179, 188, 201,

205, 211, 212, 220, 223, 228, 246, 250 T taxinomie ................... 57, 110, 132, 134, 192, 232 télique .................. 33, 45, 200, 207, 208, 220, 223 témoignage ........................ 68, 173, 174, 175, 251 témoin.................. 16, 19, 144, 171, 173, 176, 210 templa 2, 5, 6, 7, 13, 14, 16, 47, 61, 62, 66, 68,

72, 76, 78, 93, 95, 125, 126, 130, 137, 142, 144, 153, 154, 160, 161, 169, 170, 172, 181, 182, 193, 194, 207, 220, 228, 229, 238, 250, 252, 253, 261

templum 1, 2, 3, 4, 7, 12, 17, 21, 31, 32, 38, 44, 46, 50, 52, 58, 65, 66, 70, 72, 75, 76, 78, 81, 82, 83, 86, 94, 95, 110, 112, 117, 122, 124, 125, 127, 128, 131, 132, 153, 163, 165, 166, 170, 171, 173, 175, 187, 189, 195, 196, 203, 208, 211, 218, 219, 220, 223, 224, 225, 226, 234, 236, 240, 246, 247, 251, 252, 255, 258, 262

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273

temporalité 2, 7, 39, 40, 41, 142, 145, 206, 211, 213, 228, 246, 250, 258

temps 16, 17, 27, 31, 38, 39, 40, 46, 56, 105, 108, 114, 130, 140, 142, 143, 153, 172, 178, 179, 191, 193, 194, 198, 200, 201, 207, 208, 210, 212, 214, 216, 219, 221, 223, 225, 229, 245

tensivité ....................................136, 138, 156, 217 termes de base 4, 46, 47, 50, 76, 80, 85, 90, 97,

100, 132, 184, 203, 231, 235, 247, 255, 257, 260

termes mixtes 4, 24, 32, 47, 50, 66, 73, 83, 85, 87, 100, 105, 147, 167, 186, 197, 223, 227, 233, 235, 245, 247

terminatif ..........................215, 216, 220, 221, 222 ternaire..............................................................187 texte ......................1, 8, 33, 99, 129, 173, 196, 262 texture animale ...................................................77 themata .............................................................262 thématisation ............................149, 153, 158, 208 tiers terme...........................25, 171, 175, 256, 259 Timée ........................................................203, 262 ton ludique........................................166, 167, 168 ton polémique...................................166, 167, 168 ton sérieux ........................................166, 167, 168 topicalisation ........................................................9 topologie.............................................12, 131, 179 totalisation 2, 70, 132, 160, 178, 179, 182, 228,

229, 232, 239, 240, 244, 247, 248, 252, 254, 262

totalité 2, 4, 5, 21, 43, 75, 82, 94, 180, 182, 183, 220, 239, 240, 242, 244, 245, 246, 247, 248

totus ..............................................................240, 4 tout 4, 5, 8, 9, 17, 25, 28, 31, 32, 44, 47, 49, 54,

56, 60, 70, 75, 81, 93, 94, 95, 101, 102, 103, 104, 105, 107, 109, 115, 116, 120, 123, 124, 132, 134, 137, 139, 140, 142, 143, 145, 153, 154, 158, 159, 161, 162, 165, 169, 172, 178, 189, 198, 199, 205, 210, 213, 218, 228, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 249, 254, 255, 262

traductibilité .................................................7, 244 Traité ..........................................................136, 10 traits distinctifs ...................................................61

trame................................................................ 211 transitivité .................... 11, 31, 33, 43, 44, 45, 133 transparence......................................... 44, 145, 10 treillis......................... 71, 125, 126, 127, 128, 262 triadicité..................................................... 13, 141 types de mouvement .............................. 59, 79, 82 typicité lexicale...................................... 13, 16, 18 U un peu 9, 10, 36, 104, 105, 108, 109, 110, 178,

227, 241 univers de discours ............ 11, 32, 39, 40, 54, 154 universalité ...................................... 2, 93, 97, 112 usage.. 15, 17, 21, 23, 25, 37, 41, 56, 93, 116, 206 V Vandeloise ................................................. 11, 234 Varela ............................................ 55, 120, 239, 3 variation eidétique ................................... 122, 124 véridiction.......................................... 13, 139, 171 vestiges .................................................... 251, 252 visée télique ............................................. 207, 208 Visetti .............................................................. 234 voisinage................ 5, 90, 131, 133, 183, 233, 234 vrai 28, 30, 36, 39, 44, 55, 100, 107, 145, 171,

185 Vuillemin......................................................... 180 W Wilson ..................................... 137, 138, 156, 165 Wittgenstein............................... 30, 112, 116, 133 Z

Zilberberg ................................................ 136, 183

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