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Bruno Devos - La face cachée de l'Opus Dei - extrait

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Livre de Bruno Devos, paru aux Presses de la Renaissance.Partant des règlements internes réservés aux seuls responsables, d'écrits inédits du fondateur, de nombreux témoignages internationaux et de son propre parcours au sein de l'Opus Dei, Bruno Devos, membre pendant une quinzaine d'années, démontre combien les pratiques de cette organisation sont à l'opposé des idéaux qu'elle proclame.La spiritualité de l'Oeuvre s'appuie sur "la sanctification de la vie ordinaire", et c'est mû par cet idéal que l'on y entre. Pourtant, de nombreux memebres la quittent en état de choc psychologique, affectif et spirituel. Parmi ceux qui restent, beaucoup présentent des symptômes de dépression et d'épuisement chronique. Pourquoi ?L'auteur en décèle la source dans un phénomène d'absolutisation : l'organisation radicalise à l'extrême les principes traditionnels du christianisme jusqu'à les pervertir. Seule compte l'efficacité. Les jeunes sont embrigadés, l'exercice du pouvoir est dévoyé, l'annonce de l'Evangile se transforme en prosélytisme... Tout ce qui est étranger à l'Opus Dei est suspect, y compris dans l'Eglise.Une vision unique et authentique de la vie au sein de l'une des organisations religieuses les plus mystérieuses au monde.L'auteur:Bruno Devos est né en 1977 à Paris. Après avoir suivi des études de mathématiques, physique et chimie, il est devenu chef de projet informatique. Il a été membre de l'Opus Dei pendant une quinzaine d'années. Il a activement participé à l'expansion du mouvement en Pologne, comme trésorier du centre de Varsovie, assistant du Conseil régional et directeur du club des jeunes.Table des matièresPremière partie : Une vie au sein de l'Opus Dei Une emprise insidieuse - L'aventure polonaise - Au bord du gouffre - Retour à la vie Deuxième Partie : La doctrine secrète de l'Opus Dei L'obsession du secret - De la disponibilité à l'isolement - De la docilité au sacrifice de la raison - Du don de soi à la perte de soi - Du travail à l'activisme - Du paternalisme au contrôle - De la piété spontanée à la pratique obligatoire - Les dérives de l'apostolat Troisième partie : Le fanatisme de l'Opus Dei De la sainteté de l'Eglise à la sainteté de l'Opus Dei - De la vocation à l'enfermement - Du zèle au fanatisme

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Une emprise insidieuse

Troisième enfant de ma famille, je suis né en 1977à Paris. J’ai deux sœurs et un frère. Mes parents sesont séparés lorsque j’avais trois ans, dès lors nous nevîmes mon père qu’aux vacances. Sa maladie l’empê-chait de supporter longtemps notre chahut familial.Elle l’avait amené progressivement à quitter sonmétier d’informaticien pour devenir jardinier, puisgardien de nuit à Toulouse. La reliure traditionnelleoccupait tout son temps libre.

Avec son seul emploi de secrétaire, maman aurait eudes difficultés à nous élever seule, mais elle a pu comp-ter sur le soutien efficace de sa grande famille.

J’ai donc grandi à Versailles, dans la maison demes grands-parents maternels. Cette maison vit aurythme des allées et venues de mes cousins, une cin-quantaine du côté de ma mère, près d’une vingtainedu côté de mon père. La famille de ma mère, plutôtintellectuelle, se compose majoritairement d’avocats.Du côté de mon père, ce sont plutôt des industrielsou des commerçants.

J’ai reçu une éducation catholique traditionnelleþ:catéchisme familial, collège Saint-Jean-de-Béthune,

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scoutisme d’Europe, abonnements à Famille chré-tienne et à Spectacle du monde, musique classique,etc., dans un entourage très masculinþ: établissementspour garçons de la primaire au lycée, scoutisme,rugby… Je n’avais quasiment aucun contact avec lesfilles en dehors de mes cousines, de mes sœurs et deleurs amies. Aucune rudesse ou cruauté cependantdans cet environnement 100þ% viril. Dans ce milieuassez élitiste, sans drogue ni violence, les idéaux pro-mus étaient le partage et le respect de l’autre.

Durant mon temps libre, je lisais, allongé sur monlit, en écoutant de la musique. Peu enclin à l’étude(j’ai redoublé ma quatrième), je préférais le rugbypour lequel j’étais assez bon – mon équipe ayant jouéen ligue A junior. J’ai d’ailleurs été sélectionné dansl’équipe départementale.

J’étais pieux. Comme tous les membres de mafamille j’allais au catéchisme et entretenais avecl’aumônier de ma troupe de scouts des rapports cha-leureux et confiants. C’est précisément au cours dupremier camp de patrouille à l’abbaye de Fontgom-bault que j’ai ressenti, à douze ans, le désir de meconsacrer à Dieu. Je baignais dans la liturgie de lasemaine sainte. Les offices célébrés en latin duraientplus de quatre heures, mais je ne voyais pas le tempspasser. La vie monastique m’attirait. Mon désir nerelevait pas de l’illumination et encore moins d’unedécision définitive. Simplement, je me sentais si biendans ce milieu que l’idée m’est venue naturellement.Dieu était le plus important, je voulais consacrer mavie à approfondir ma relation avec lui, à le faireconnaître autour de moi.

À Versailles, bastion du catholicisme, être jeune etpratiquant n’a rien d’original, tout mon entourage

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allait à la messe. Il me semblait cependant que, d’unemanière générale, les gens manquaient d’enthou-siasme, de conviction. Le catéchisme à l’école n’étaitpas très vivant non plus. On y parlait de Moïse et desaint Paul, assez peu de Jésus ou du sens de la vie.

Le fait d’apparaître comme un peu à part aux yeuxde mes camarades non croyants, loin de me désta-biliser, renforçait ma foi. Mon style de vie différaitdu leur, mais je l’assumais. L’exemple de ma familleprofondément croyante et ce que je vivais au scou-tisme m’incitaient à passer outre les moqueries. Faceau marasme spirituel, il restait des gens qui ne secachaient pas d’être chrétiens, assumant des idéauxélevés qui étaient également les miens.

J’ai connu l’Opus Dei par ma mère. Elle en avaitété membre, d’abord surnuméraire, puis numéraire.Elle l’avait quittée mais, en esprit, elle lui appartenaittoujours. Elle y comptait encore beaucoup d’amiesqui lui apportaient un réel soutien. Quant à monpère, il faisait bénéficier le centre de Toulouse de sestalents de bricoleur et trouvait auprès des résidentsun véritable accompagnement.

Aujourd’hui seulement, maman évoque les raisonsde sa sortie de l’Opus Dei. Elle n’arrivait plus à suivrele rythme imposé. Ce départ l’a longtemps culpabili-sée, elle croyait n’avoir pas été à la hauteur de sonengagement, puisque d’autres avaient pu tenir.

J’ai pris contact avec l’Œuvre pour la première foisà l’occasion d’un camp de ski du club Fennecs deParis, où maman m’avait envoyé. Le programme pro-posé était à la fois complet et attirantþ: aide à l’étude,jeux, cours de formation chrétienne, etc. Il y avaitégalement des conférences sur des sujets culturels,historiques. On s’y amusait bien et l’encadrement

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était sympathique. Après le camp, je n’allai plus auclub parce que c’était trop loin de la maison.

Un jour, un de mes cousins me prêta une trom-pette qu’il n’utilisait pas. Il ne me restait qu’à appren-dre à en jouer. Me souvenant que le club Fennecsproposait des activités musicales proches de la gra-tuité, je me décidai à y aller toutes les semaines.Emmanuel, le professeur de musique, se montraittrès amical. J’avais quatorze ans, le fait qu’un jeunehomme de vingt-trois ans s’intéresse à moi était par-ticulièrement valorisant.

Au bout d’un an environ, Emmanuel proposa dechanger l’heure du cours de musique pour que jepuisse profiter des autres activités du centre, en par-ticulier de la méditation dirigée par l’aumônier. Leshoraires furent spécialement aménagés pour moi etje passais de plus en plus de temps au club, à profiterdes activités religieuses. Le prêtre était passionnant.Il parlait de Jésus non comme d’un personnage his-torique, à la manière dont on évoquait Moïse à lamesse ou Jules César à l’école, mais comme d’unepersonne vivante, avec laquelle on pouvait être enlien à chaque moment de sa vie. Les moniteurs,comme l’aumônier du club, vivaient en cohérenceavec leur foi. Ici, le sens du sacré était palpable.

Le comportement des personnes du centre cor-respondait à ce que j’avais envie de vivre. Je ressen-tais là un engagement de chacun que je n’avaisencore jamais rencontré. Le jeune aumônier scout, àqui j’avais demandé d’être mon directeur spirituel, neprenait jamais l’initiative de nos discussions. Ilrépondait à mes questions mais ne me conseillait pas.Avec l’aumônier, j’ai vu la différenceþ: c’était unintervenant chaleureux, plein d’idées, qui m’encou-rageait dans ma lutte quotidienne, m’incitant au

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développement d’une vie spirituelle que lui-mêmemanifestait au quotidien. Les solutions qu’il propo-sait pour y parvenir étaient plutôt radicales, cela meplaisait. Au club, il n’y avait pas de compromisþ: onétait sérieux, on ne trichait pas, on vivait en accordavec ce que l’on disait.

Le centre offrait un encadrement de qualité. Monprofesseur de musique, Emmanuel, était espagnol.Venu en France quatre ans plus tôt, il jouait de la flûteau conservatoire et avait remporté plusieurs concours.Décontracté, toujours souriant, il était un excellentcompagnon que j’avais toujours plaisir à retrouver.L’abbé était âgé d’une quarantaine d’années. Sa vasteculture m’impressionnait. Plein d’humour, il suscitaitune relation naturellement empreinte de chaleur etd’estime. J’avais la chance d’avoir trouvé un directeurspirituel solide et crédible.

J’approfondissais ma foi sans trop me poser dequestions, cherchant davantage à la développer qu’àm’y confronter. J’essayais surtout de lutter contremes tendances à la paresse et à la masturbation. Lesfilles ne m’intéressaient pas encore, ou plutôt, ellesm’intimidaient.

Je ne m’interrogeais pas davantage sur la vie du cen-tre, je ne me demandais pas d’où venaient les moni-teurs du club, s’ils habitaient sur place, ni ce qu’ilsfaisaient le reste du temps. Cela ne m’intéressait pas.On ne parlait pas trop de l’Opus Dei en tant que telle,en revanche saint Josémaria était cité en permanence.Il était la référence. On me fit lire son livre, Chemin.Concret, conquérant, radical et traditionnel, il m’a plu.

Un matin, Dominique, le directeur du club, m’afait venir dans son bureau. Sans ambages, il m’a dit

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m’avoir observé depuis quelque temps et avoir déceléen moi une vocation de numéraire. J’étais abasourdi,jamais ne m’était venue à l’esprit une telle idée. Déve-loppant la sienne, il me proposa une vie consacrée.Tout en restant un chrétien ordinaire, je devraism’efforcer de rapprocher mon entourage de Dieu.Pour y parvenir, l’Opus Dei m’apporterait son sou-tien sous forme de direction spirituelle, de formationreligieuse, etc.

Je ne voyais pas pourquoi il me proposait cela. Jene me sentais absolument pas mûr pour une telledécision, de plus je n’en voyais pas l’intérêtþ: j’étaisdéjà un chrétien ordinaire au milieu du monde, rece-vant un soutien de la part de l’Opus Dei. En quoidevenir membre ajouterait-il quelque choseþ? Ledirecteur me cita les mots du fondateurþ: «þLes hom-mes sont comme des réverbères. Un homme ordi-naire est un réverbère éteint, un membre de l’OpusDei est un réverbère allumé.þ»

Voyant que je ne comprenais pas cette métaphore,il prononça ces mots qui allaient souvent m’être répé-tés par la suiteþ: «þTu ne comprends pas pour lemoment parce que tu n’es pas assez formé. Tu com-prendras plus tard. Aie confiance.þ» J’avais quinzeans. Je ne sus trop quoi dire et répondis que j’avaisenvisagé, un moment, de devenir bénédictin.Concluant l’entretien, le directeur me demanda deréfléchir à cette vocation de numéraire dont nousreparlerions ensemble.

La semaine suivante, et chaque fois que je venaisau centre, Dominique me faisait appeler et medemandait des nouvelles. Il me réexpliquait ce qu’estun numéraire de l’Opus Dei. Il me disait que l’Égliseavait besoin de beaucoup d’ouvriers pour convertirla société, que trop peu de gens se consacrent à Dieu

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et qu’il fallait être généreux avec Lui, Lui donnertout ce que l’on possède. La générosité revenait tou-jours, comme la marque de notre engagement.

Mes entretiens avec l’aumônier tournaient désor-mais presque exclusivement autour de ma vocation.Bien que cette idée ne dépassât pas pour moi le cadrede ces conversations, tous deux m’invitaient chaquefois à prier pour que Dieu m’éclaire.

Je n’ai pas sollicité d’avis extérieur car ils m’en dis-suadèrent, arguant du fait que les prêtres diocésainsne connaissent pas bien l’Opus Dei, qu’ils ne seraientpas aptes à me conseiller. Ils répétaient aussi que,s’agissant là d’une question toute personnelle, rele-vant de la vie intérieure, personne n’avait à déciderpour moi, et que d’ailleurs rien ne m’obligeait à enparler à mes parents.

Je partis en vacances à Denver avec le club pourles JMJ en 1993. Avant le départ, Dominique m’avaità nouveau incité à réfléchir à ma vocation. Ce sujetm’était complètement sorti de l’esprit et, quand àmon retour il voulut savoir si j’avais un peu avancé,je dus rapidement inventer une réponse afin de nepas le décevoir.

Le sujet revenait en permanence sur le tapis. Aubout de six mois, j’avais vraiment envie que ma voca-tion se révèle une bonne fois pour toutesþ! Lorsd’une retraite de trois jours organisée par l’Opus Dei,soudain, tout s’éclaira. De toute évidence, l’Œuvrereprésentait quelque chose d’important pour moi.Ma piété et mon environnement familial me mon-traient clairement le chemin. Mon désir de mettre mavie au service de Dieu trouvait ici une réponseþ: Dieum’avait créé pour être numéraire.

Emmanuel avait participé spécialement à cetteretraite pour accompagner ma réflexion, me donner

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des textes sur la vocation et répondre à mes ques-tions. Quand je lui fis part de ma découverte, il futaux anges. Il me dit qu’il ne me restait plus qu’àl’annoncer au directeur. Il m’a aussi prévenu queDominique me mettrait à l’épreuve pour vérifier lasolidité de ma vocation. Je devais donc rester fermeet ne pas me décourager. En réalité, Dominique m’aseulement recommandé de prier et m’a invité à reve-nir trois jours plus tard pour rédiger une demanded’admission. J’avais seize ans.

Lorsque j’eus écrit cette lettre, Dominique et tousles moniteurs du centre m’entourèrent pour me féli-citer. Ils me déclarèrent membre de l’Opus Dei etm’informèrent des usages. Il me fallait dorénavantdire «þnotre Pèreþ» au lieu de «þJosémariaþ», «þlePèreþ» en parlant du prélat, saluer les membres del’Opus Dei d’un «þPaxþ» auquel il serait répondu «þInaeternumþ».

Je voulus confier à Emmanuel ma joie d’avoir pro-gressé dans ma prière. Il me répondit qu’il n’était pasmon directeur spirituel et que je ne devais parler dema vie intérieure qu’avec ce dernier. Ce fut pour moicomme une douche glacée. J’avais l’impression quele fait d’être devenu numéraire, plutôt que de nousrapprocher, créait une distance…

Le centre allait devenir ma maison, j’étais invité àm’y sentir comme chez moi. Il me fut précisé que,n’étant pas majeur, je n’étais pas encore pleinementmembre de l’Opus Dei, mais que cela n’avait aucuneimportance puisque ma vocation, n’est-ce pas, étaità vie.

Pour fêter mon admission, Dominique m’invita àboire un chocolat, ma tante, numéraire, m’offrit ungoûter. Dix-huit mois plus tard, une brève cérémoniedans l’oratoire du centre marqua le renouvellement

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de mon engagement, conformément aux statuts del’Œuvre.

Officiellement, l’Œuvre n’accueille pas de mineurs.Dans la pratique, j’en suis la preuve, la demanded’admission peut s’effectuer dès l’âge de quatorzeans et demi, et cette demande est vécue comme unengagement pour la vie. Pour autant, il s’agit seu-lement d’une déclaration d’intention, les membresétant des laïcs.

Mon engagement me procura aussitôt un immensesoulagement. Finis les doutesþ! Et j’étais davantageentouré, les numéraires se montraient chaleureux, lesdirecteurs, attentifs.

Avant mon entrée à l’Œuvre, on m’avait dit quemes activités resteraient compatibles avec ma voca-tion. Je dus cependant renoncer au scoutisme, car ilme prenait du temps et que je devais en passer le pluspossible au club. L’année suivante je dus arrêter aussile rugby.

En 1995, peu avant mon bac de français, Domi-nique me convoqua dans son bureau et m’annonçaque le prélat me proposait de participer au déve-loppement de l’Opus Dei en Pologne. Nous étionsau mois de juin, il me faudrait donc envisager d’effec-tuer la prochaine année scolaire à Varsovie. Je seraislogé dans une résidence habitée par une dizained’étudiants et cinq numéraires. Si je ne m’y plaisaispas, j’aurais toujours la possibilité de revenir. Quelleaventureþ! Il ne m’est même pas venu à l’idée de refu-ser.

De retour à la maison, je me suis jeté sur l’ency-clopédie pour en apprendre un peu plus sur la Polo-gne. Après le dîner, j’ai demandé à maman lapermission de partir. Ce fut un choc. Mais elle m’a

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toujours laissé beaucoup de liberté dans la prise demes responsabilités. En outre, accordant uneconfiance aveugle à l’Opus Dei, elle était fière queson fils ait été choisi pour aller évangéliser un autrepays. Elle accepta donc ce sacrifice d’emblée, bienque vivant à ce moment-là une période douloureuse,un an après la mort de papa, et deux mois après lamort de sa mère.

En revanche, mon départ fut pénible pour monfrère et mes sœurs.

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L’aventure polonaise

Je me rappelle encore ce moment où j’avançaisseul sur la rampe qui menait à l’avion, un aller simpleen poche. Je me sentais comme les acteurs du filmApollo 13, quand les pilotes montent dans la fuséespatiale. J’étais confiant, sachant que je serais accueillidans un centre de l’Œuvre et que je pourrais suivrema terminale au lycée français. En outre, j’étais heu-reux de quitter la maison, fier de prendre mon indé-pendance.

Juste après avoir atterri à Varsovie, je fus harponnépar une dizaine de chauffeurs de taxi. J’attendis,espérant être repéré par mes nouveaux compagnons.Conséquence d’une erreur de traduction, le comitéd’accueil cherchait un grand blond. Je suis petit etbrun… Un quart d’heure plus tard, dans l’aéroportdevenu désert, je finis tout de même par être récu-péré et conduit au centre où Nicolas, le directeurespagnol, Mariusz, le premier numéraire polonais, etYaroslaw, un numéraire américain d’origine polo-naise, m’accueillirent. Il était 23þheures. Naïvement,j’avais imaginé que l’arrivée d’un petit Français seraitun événement, que l’ensemble de la communauté

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serait prévenu et m’attendrait. Mais non. La moitiédes résidents l’ignoraient, et les autres étaient déjàcouchés. Je ne fis leur connaissance que le lendemainau petit déjeuner, au cours duquel on m’interrogeapoliment sur la Révolution française et la Communede Paris…

Les chambres de la résidence étaient prévues pourtrois ou cinq personnes, avec salles de bains com-munes. On m’a montré mon lit, mon armoire et monétagère.

Nous étions dix-huit en tout, numéraires et gar-çons non membres de l’Œuvre. Nous formions unecommunauté chaleureuse et sympathique, mes com-pagnons m’encourageaient et corrigeaient meserreurs de langue.

Lors de notre premier entretien, le directeur mecommuniqua l’emploi du temps, commun à tous lescentres du monde.

Le réveil a lieu à 5þhþ50. Certains se lèvent plus tôtpour faire de la gymnastique ou aller courir. Qua-rante minutes sont prévues pour la toilette à l’issuede laquelle on se rend à l’oratoire pour la prière etla messe. La prière dure trente minutes. Quelqu’unlit à voix haute Méditations, un livre du fondateurréservé aux membres de l’Opus Dei, qui commentel’Évangile.

Après la messe, le directeur surveille le tempsréglementaire de l’action de grâce. Elle doit durer dixminutes. Il est parfois difficile de rester assis à l’ora-toire alors qu’il ne reste que deux minutes pour lepetit déjeuner ou que l’on risque de rater l’autobus.Ces dix minutes sont cependant obligatoires. Onpeut ensuite partir en courant dans sa chambre, jeterveste et cravate, redescendre rapidement à la salle à