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Didactique(s) du (des) plurilinguisme(s) Michel Candelier Véronique Castellotti On pourra sétonner de trouver dans cette encyclopédie un article consacré non pas, comme les autres entrées, à une notion et à son histoire, mais portant plutôt sur les moyens, pour les individus insérés dans des situations de contacts de langues, de favoriser lappropriation de ces « langues en contact ». Le fait même dapprendre des langues introduit entre elles des relations et pose un certain nombre de questions sur les processus dapprentissage et denseignement à partir desquelles la didactique des langues, au cours de son histoire, a tenté de réfléchir. Si lexpression même « didactique du plurilinguisme » est relativement récente, on observe depuis fort longtemps et dans de nombreuses situations que les contacts provoquent les apprentissages et que les apprentissages mobilisent les contacts. Préoccupés avant tout de mettre en lumière la nature même de ce que l’on peut appeler « didactique du plurilinguisme » et ce qui a directement motivé ou favorisé son émergence, nous renoncerons à développer une perspective réellement historique, qui l’aurait replacé dans l’évolution de la didactique. Le lecteur ne manquera pourtant pas de constater que ce qui est exposé ci-dessous en matière de liens à établir entre les apprentissages linguistiques n’est pas sans rappeler un des rôles traditionnellement dévolus en France à l’enseignement du latin, destiné à favoriser la maîtrise de la langue nationale et l’acquisition de langues étrangères. Il sera peut-être également tenté d’établir des liens avec « l’analyse contrastive » développée dans les années soixante, en particulier sous l’impulsion des travaux de Lado (1957), mais dont la conception négative figée des « interférences » et l’approche behavioriste de l’apprentissage (voir Besse et Porquier, 1984, p. 200-206 ; Roulet, 1980, p. 22-26) sont en contradiction profonde avec ce qui est présenté ici (sur l’histoire, par exemple, des relations entre « langue étrangère » et « langue maternelle » en didactique, voir par exemple Castellotti 2001a, p. 12-19). Tout en étant convaincus que toute didactique du plurilinguisme a nécessairement une dimension culturelle, nous ne thématiserons pas particulièrement cet aspect. Car en cela, la didactique du plurilinguisme ne se distingue pas de la didactique des langues en général. Cependant, on verra que les « approches plurielles », qui relèvent de la didactique du plurilinguisme, englobent également l’approche « interculturelle » et les renvois que nous ferons à un référentiel de compétences pour ces approches permettront d’entrevoir en quoi les ressources développées dans ce cadre peuvent être plus particulièrement orientées par les contacts linguistiques et culturels. Cet article proposera donc des éléments de définition dune « didactique du plurilinguisme », en tant quorientation explicite de politiques linguistiques et éducatives principalement conçues dans le cadre de la construction européenne, centrée sur le développement de la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle, que nous commentons largement ci-dessous. Après avoir présenté, dans une deuxième partie, quelques dispositifs opérationnels visant à mettre en œuvre des démarches relevant d’une didactique du plurilinguisme, nous nous interrogerons en conclusion sur quelques réflexions quelle fait naître.

Candelier & Castelotti - Didactique(s) Du (Des) Plurilinguisme(s)

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  • Didactique(s) du (des) plurilinguisme(s)

    Michel Candelier

    Vronique Castellotti

    On pourra stonner de trouver dans cette encyclopdie un article consacr non pas, comme les autres entres, une notion et son histoire, mais portant plutt sur les moyens, pour les individus insrs dans des situations de contacts de langues, de favoriser lappropriation de ces langues en contact . Le fait mme dapprendre des langues introduit entre elles des relations et pose un certain nombre de questions sur les processus dapprentissage et denseignement partir desquelles la didactique des langues, au cours de son histoire, a tent de rflchir. Si lexpression mme didactique du plurilinguisme est relativement rcente, on observe depuis fort longtemps et dans de nombreuses situations que les contacts provoquent les apprentissages et que les apprentissages mobilisent les contacts. Proccups avant tout de mettre en lumire la nature mme de ce que lon peut appeler didactique du plurilinguisme et ce qui a directement motiv ou favoris son mergence, nous renoncerons dvelopper une perspective rellement historique, qui laurait replac dans lvolution de la didactique. Le lecteur ne manquera pourtant pas de constater que ce qui est expos ci-dessous en matire de liens tablir entre les apprentissages linguistiques nest pas sans rappeler un des rles traditionnellement dvolus en France lenseignement du latin, destin favoriser la matrise de la langue nationale et lacquisition de langues trangres. Il sera peut-tre galement tent dtablir des liens avec lanalyse contrastive dveloppe dans les annes soixante, en particulier sous limpulsion des travaux de Lado (1957), mais dont la conception ngative fige des interfrences et lapproche behavioriste de lapprentissage (voir Besse et Porquier, 1984, p. 200-206 ; Roulet, 1980, p. 22-26) sont en contradiction profonde avec ce qui est prsent ici (sur lhistoire, par exemple, des relations entre langue trangre et langue maternelle en didactique, voir par exemple Castellotti 2001a, p. 12-19). Tout en tant convaincus que toute didactique du plurilinguisme a ncessairement une dimension culturelle, nous ne thmatiserons pas particulirement cet aspect. Car en cela, la didactique du plurilinguisme ne se distingue pas de la didactique des langues en gnral. Cependant, on verra que les approches plurielles , qui relvent de la didactique du plurilinguisme, englobent galement lapproche interculturelle et les renvois que nous ferons un rfrentiel de comptences pour ces approches permettront dentrevoir en quoi les ressources dveloppes dans ce cadre peuvent tre plus particulirement orientes par les contacts linguistiques et culturels. Cet article proposera donc des lments de dfinition dune didactique du plurilinguisme , en tant quorientation explicite de politiques linguistiques et ducatives principalement conues dans le cadre de la construction europenne, centre sur le dveloppement de la notion de comptence plurilingue et pluriculturelle, que nous commentons largement ci-dessous. Aprs avoir prsent, dans une deuxime partie, quelques dispositifs oprationnels visant mettre en uvre des dmarches relevant dune didactique du plurilinguisme, nous nous interrogerons en conclusion sur quelques rflexions quelle fait natre.

  • 1. Dfinition(s) et mergence

    1.1. A la recherche de dfinitions

    1.1.1. Pralables

    Puisque notre ambition est ici de dfinir didactique(s) du plurilinguisme , il convient sans doute que nous fournissions dabord quelques repres concernant les deux termes qui composent cette expression : quentendons-nous par didactique et par plurilinguisme ? Nous considrerons ici que la rflexion et la pratique didactiques concernent lensemble des mesures conues et mises en uvre dans le but de favoriser des apprentissages. Cette conception relativement large nous amne y inclure toute une gamme de choix, quils concernent les individus ou les socits, les buts viss ou les moyens mis en uvre. Pour ce qui est des langues, il sagira de dcisions concernant tout aussi bien les finalits ou les organisations curriculaires (domaine qui est aussi celui des politiques linguistiques) que les comptences que lon cherche dvelopper, les processus dapprentissage que lon vise favoriser, les activits et matriaux que lon retient pour tenter dy parvenir. Le tout devant seffectuer, selon nous, en fonction des caractristiques particulires des contextes sociolinguistiques considrs. La distinction que nous venons dtablir entre divers niveaux composant la globalit de la didactique nous sera utile plus loin lorsquil sagira de dfinir la didactique du plurilinguisme. Pour ce qui est du plurilinguisme , nous rejoindrons lacception qui se gnralise aujourdhui dans les crits francophones, sous linfluence des travaux du Conseil de lEurope, et que le Guide pour llaboration des

    politiques linguistiques ducatives en Europe exprime clairement lorsquil appelle distinguer le plurilinguisme comme comptence des locuteurs (capables demployer plus dune langue) du multilinguisme comme prsence des langues sur un territoire donn (Beacco et Byram, 2007, p. 10), en soulignant que, dans la ligne de ces orientations europennes, il ne sagit pas de prendre en compte laddition de capacits dans des langues spares, mais bien une comptence plurielle intgre.

    1.1.2. Une qute difficile

    Pour quiconque part la recherche dune dfinition de didactique(s) du plurilinguisme propose par celles et ceux qui la (ou les) prnent, le chemin nest pas simple (Candelier, 2008). Certes, de nombreux ouvrages peuvent tre considrs comme participant la construction dune didactique du plurilinguisme, souvent en relation avec la comptence plurilingue et pluriculturelle (voir ci-dessous : aux origines : la notion de comptence plurilingue et pluriculturelle ) et parfois mme sans que le terme de didactique du plurilinguisme y soit mentionn. Mais ils se concentrent gnralement plus sur la justification du bien fond dune telle orientation que sur lexplicitation dune ou de plusieurs caractristiques propres la didactique du plurilinguisme qui seraient valable(s) pour tout ce que lon dsire appeler ainsi et rien que pour ce quon dsire appeler ainsi. Cest le cas, entre autres, pour un ouvrage dont le titre mme De la didactique des langues la didactique du plurilinguisme montre assez quil se prsentait comme le tmoin historique dune mutation importante. Il noffre dautre piste de dfinition que quelques remarques qui permettent de concevoir que ce qui y est appel didactique du plurilinguisme est une didactique qui permet de cheminer [] sur la voie du plurilinguisme (voir Billiez d., 1998, Avant propos ; Candelier, 2008, chap. 3.1.). Mme si plurilinguisme peut sembler ici ambigu (il nest pas sr quil renvoie bien au sens que nous avons retenu plus haut), on peut penser quil sagit l dune indication relative au niveau des finalits. Mais il nest pas certain que la didactique du plurilinguisme soit la seule les viser, et surtout, rien nest dit des caractristiques mmes de cette didactique. La convergence des deux extraits suivants, emprunts respectivement L. Gajo et D. Moore, indique que nous touchons l, sinon dj une dfinition formelle, du moins des caractristiques perues comme centrales : Pour Gajo (2006a, p. 63), la didactique du plurilinguisme au sens fort recouvre plutt les mthodologies relevant dapproches comparatives (didactique des langues voisines, didactique intgre, certains aspects

  • de lveil aux langues) et de lenseignement bi-plurilingue. Il ajoute que ce dernier peut se dfinir de la manire suivante : enseignement complet dune ou de plusieurs disciplines non linguistiques (DNL) dans une langue seconde. Lorsque de son ct, D. Moore entreprend dintroduire le chapitre 8 qui, dans son ouvrage, marque le passage la didactique de lintervention, elle annonce que "lon sintressera aussi bien aux travaux qui favorisent la transversalit des enseignements qu ceux qui visent des modes dalternance raisonne des langues" (2006, p. 209). Si lon rapproche les deux premires propositions de ces citations ( approches comparatives et transversalit ) de la rfrence rcurrente quoprent des ouvrages prsentant la didactique du plurilinguisme la comptence plurilingue et pluriculturelle conue comme une comptence unique, mme si elle est complexe et non comme une juxtaposition de comptences distinctes (Beacco et Byram, 2007, p. 10, on y revient plus en dtail plus bas), il semble justifi de considrer que ce qui caractrise comme telle(s) la / les didactique(s) du plurilinguisme, cest la volont de favoriser, par lintervention didactique, des dmarches dapprentissage des langues dans lesquelles lapprenant peut sappuyer sur ses connaissances linguistiques pralables, dans quelque langue que ce soit. Au sein de la didactique telle que dfinie plus haut, on peut considrer que cette dfinition ce situe au niveau du processus dapprentissage que lon cherche dvelopper. La seconde partie des deux citations ( enseignement bi-plurilingue , alternance raisonne des langues ) est galement convergente et attribue la didactique du plurilinguisme une seconde dimension, galement trs frquente dans les crits francophones. Cest bien la mme ralit celle dun enseignement bilingue conu comme lenseignement de disciplines non-linguistiques dans plus dune langue que les deux auteurs ont en tte, quil sagisse (pour L. Gajo) dun enseignement complet dune ou de plusieurs disciplines dans une langue seconde (ibid.) ou pour D. Moore dune rfrence au modle valdtain justifie entre autres par le fait que lon apprend mieux les langues en les sollicitant au travers dactivits disciplinaires, qui permettent de leur donner un vritable statut communicatif (ibid., p. 214). A lvidence, ce nest pas nimporte quel enseignement bilingue qui est ici vis. Lenseignement bilingue ne peut sinscrire dans la didactique du plurilinguisme que sil y a un travail de mise en relation entre les langues, conforme au principe dont nous avons fait plus haut la caractristique dfinitoire recherche. Cest le sens mme de lopposition trace par D. Coste lorsquil indique quun enseignement bi- / plurilingue au sens exact du terme suppose la diffrence de contextes dimmersion totale ou de submersion, des formes et des degrs divers dalternance entre ces langues dans le travail majeur des disciplines (2003, p. 2 ; voir aussi Aymonod, Cavalli et Coste, 2006, p. 33). Autrement dit, et nous pensons quil est indispensable de bien le souligner, il ne suffit pas quil y ait enseignement bilingue pour quil y ait didactique du plurilinguisme , il faut que cet enseignement bilingue prvoie une vritable alternance des langues , cette dernire ntant par ailleurs en aucune manire une composante ncessaire de toute didactique du plurilinguisme . Si cela nest pas clairement prcis, la prgnance de cette seconde dimension, pourtant non-dfinitoire de la didactique du plurilinguisme, dans les crits francophones risque notre sens de brouiller le message (on verra plus loin quil nen va pas du tout de mme dans le domaine germanophone, o dautres risques de confusion sont pourtant luvre). Elle se traduit galement par la frquence leve de composs tels

    que bi-plurilingue (enseignement -, ducation -, formation - ou mme : sujet -) ou bi-plurilinguisme . La distinction nest pas toujours claire entre ces composs, qui peuvent sinterprter comme la marque dune continuit (le bi tant un cas particulier du pluri , on y revient ci-dessous) et dautres tels que bi / plurilingue voire bi- / plurilingue (change -, lve -, environnement -, comptence -) ou bi / plurilinguisme qui peuvent signifier plus simplement bilingue ou plurilingue . Cette prgnance peut sexpliquer de deux manires. Dune part, par la nature mme dune partie des tudes partir desquelles sest dveloppe la didactique du plurilinguisme, tudes qui avaient souvent pour objet le bilinguisme lui-mme (voir nouveau plus bas : Les sources principales et leurs incidences rciproques ) Dautre part, par le rle de laboratoire ou de support de rflexion que certains terrains disposant dj denseignements bilingues (en particulier le Val dAoste) ont pu jouer pour certains auteurs ayant entrepris de promouvoir la didactique du plurilinguisme. Deux aspects mritent encore dtre relevs. Dune part, on laura compris, par del ces remarques sur bi ou pluri , ce qui caractrise la didactique du plurilinguisme nest pas une affaire de nombre de langues traites, mais de la faon dont on les traite : en lien et non isolment les unes des autres. On y

  • reviendra en conclusion. Dautre part, lvocation de mises en relation entre les langues conduit

    spontanment interprter la / les didactiques du plurilinguisme comme une / des dmarche(s) centres sur la prise de conscience / lexplicitation des caractristiques communes ou diffrentes, donc dordre mtalinguistique. Sen tenir cette interprtation serait rducteur, non seulement parce que la prise de conscience est lie lexprience concrte de la langue (ou plutt : des langues), mais aussi parce quil sagit bien puisque la dmarche est oriente notamment, comme il se doit pour toute didactique des langues aujourdhui, vers la communication de viser / daccompagner la mobilisation des liens entre varits linguistiques dans le cadre dactivit communicatives (voir aussi Castellotti, Coste et Duverger coord., 2008).

    1.1.3. Un dtour comparatif : dfinitions de Mehrsprachigkeitsdidaktik

    Mme si les contacts entre didacticiens germanophones et francophones propos de la didactique du plurilinguisme ont t en fait peu nombreux, il ne fait aucun doute que le terme qui correspond cette didactique en allemand est Mehrsprachigkeitsdidaktik . Cest bien Mehrsprachigkeit , par exemple, qui apparat pour plurilinguisme dans la traduction allemande du Cadre europen commun de rfrence pour les langues (CECR, Trim, North, Coste et Sheils, 2001). La recherche dune dfinition pour Mehrsprachigkeitsdidaktik nest gure plus aise que pour son correspondant franais (Candelier, 2008, chap. 3.2.). Ici encore, il ne manque pas de dfinitions par la finalit caractrisant la Mehrsprachigkeitsdidaktik comme la didactique qui doit tre mis en place pour favoriser le plurilinguisme, mais une convergence se dessine nouveau pour mettre en avant, sinon comme dfinition, du moins comme caractristique premire, les notions darticulation entre les apprentissages linguistiques, de synergie : Die Ablsung eines bloen additiven Mehrsprachenlernkonzepts durch ein integrativ vernetzendes und transferbasiertes ist mehrseitig intendiert und auf dem Weg der Umsetzung. 1 (Meissner, 2005, p. 129 ; voir galement Krumm, 2003, p. 47). A nouveau, comme pour la didactique du plurilinguisme francophone, la caractristique centrale se situe au niveau dune interrogation didactique portant sur le processus dapprentissage : il sagit damener les apprenants utiliser leurs pr-acquis, effectuer des transferts. Par-del cette grande similitude, des spcificits apparaissent. Il semble que les auteurs germanophones insistent plus que leurs homologues francophones sur des motivations relevant de la psychologie de lapprentissage en gnral, tous apprentissages confondus. Cest le cas entre autres de Neuner (2003, p. 17) qui souligne : Nach den Befunden der Gedchtnisforschung, der Theorie der Informationsverarbeitung, der Wissenspsychologie und der Psycholinguistik [] geschieht Lernen ganz allgemein in der Weise, da neues Wissen nur dann dauerhaft im Gedchtnis gespeichert wird, wenn es in vorhandene Wissensbestnde integriert und verankert werden kann. 2 On nen est pas tonn lorsque lon sait que la didactique des langues germanophone est plus proche des sciences de lducation que la didactique francophone, et plus loigne de recherches en sciences du langage. Une autre diffrence tient au fait que la Mehrsprachigkeitsdidaktik est moins souvent prsente dans sa gnralit quen liaison avec un type dapproche didactique particulier, qui peut-tre, selon les auteurs, lintercomprhension entre les langues parentes ou la didactique intgre (particulirement : didactique des langues tertiaires , avec une centration sur la question de lallemand comme seconde langue trangre aprs langlais nous dcrivons ici ces approches didactiques ci-dessous : Des dmarches europennes pour une didactique du plurilinguisme pour des exemples de ce qui est affirm ici, voir Candelier, 2008, chapitre 3.2.). Dernire spcificit : ce que nous avons indiqu comme tant une seconde dimension, non dfinitoire, de la didactique du plurilinguisme francophone (la rfrence lalternance des langues dans un cadre denseignement bilingue) est absent des discours sur la Mehrsprachigkeitsdidaktik.

    1 Ce qui est vis et est dores et dj en marche, cest le remplacement dune conception purement additive de

    lapprentissage de plusieurs langues par une conception reposant sur une mise en rseau intgrative et sur le

    transfert. 2 Selon les conclusions de la recherche sur la mmoire, de la thorie du traitement de linformation, de la

    psychologie de la connaissance et de la psycholinguistique [] les nouvelles connaissances ne peuvent

    sinstaller de faon durable dans la mmoire que si elles peuvent sintgrer et sancrer dans des stocks de savoir

    dj prsents.

  • Mais peut-tre sagit-il l en fait dun paralllisme, la dimension bilingue jouant pour la Didactique du plurilinguisme le mme rle que lintercomprhension et la didactique des langues tertiaires pour la Mehrsprachigkeitsdidaktik : la fois point dancrage et lieu potentiel de confusion.

    1.1.4. Une autre expression francophone : les approches plurielles

    Les approches plurielles dont il sera question ici ont eu, elles aussi, un point dancrage qui nen constitue en fait quun sous-ensemble. Il sagit de l veil aux langues (voir la prsentation dtaille plus bas), avec lequel elles ont t, elles aussi, un temps confondues (Candelier 2002 ; Candelier d., 2003, p. 327 pour leur gense dtaille, voir Candelier, 2008, chap. 2.2.) La dfinition de ces approches a t rapidement fixe, que ce soit en termes de dmarche pdagogique dans laquelle lapprenant travaille simultanment sur plusieurs langues (Candelier et al., 2003, p. 19) ou, de faon plus complte et plus prcise, en termes dapproches didactiques qui mettent en uvre des activits impliquant la fois plusieurs varits linguistiques et culturelles (Candelier, 2003, p. 8). Le niveau didactique considr nest plus, comme dans le cas de la didactique du plurilinguisme et de son quivalent germanophone, celui des processus dapprentissage favoriser, mais, plus matriellement (ou du moins, matriellement vrifiable), celui des activits visant lapprentissage. Larticulation entre ces approches plurielles et la notion de comptence plurilingue et pluriculturelle dveloppe dans le Cadre europen commun de rfrence pour les langues (Conseil de lEurope, 2001) et le Guide pour llaboration des politiques linguistiques ducatives en Europe (Beacco et Byram, 2007) a t souligne (Candelier 2003, p. 7-8 ; plus rcemment Candelier, Camilleri-Grima, Castellotti, de Pietro et al., 2007, p. 9-11) : si, comme laffirme le Guide en tant que consquence du caractre global et unifi de la comptence plurilingue et pluriculturelle, il convient d articuler les enseignements de langues les uns aux autres (Beacco et Byram, 2007, p. 40), on nimagine pas quon puisse se passer dapproches didactiques dont la caractristique est, justement, de prendre en considration, dans un mme acte didactique, plus dune varit. Clairement, la mme chose peut tre dite pour les processus dapprentissage que la / les didactique(s) du plurilinguisme visent favoriser : toute intervention didactique destine ce que lapprenant puisse mieux sappuyer sur ses connaissances linguistiques pralables, dans quelque langue que ce soit (voir plus haut) ou procder des transferts (voir la Mehrsprachigkeitsdidaktik) doit aussi prendre en considration plus dune varit la fois. Les caractristiques que nous avons retenues ici comme susceptibles de dfinir la / des didactique(s) du plurilinguisme et des approches plurielles sont si fortement lies que les approches didactiques particulires quelles peuvent recouvrir ne peuvent que correspondre. Cela ne veut cependant pas dire que les deux expressions renvoient ncessairement aux mmes ralits. En tant que didactique(s), la / les didactique(s) du plurilinguisme rfrent lensemble des domaines de rflexion et dintervention numrs en 1.1.1 ci-dessus. Sauf donner approche(s) un sens trs large (comme cela a t le cas, historiquement, pour l approche communicative , voir par exemple Widdowson, 1981, p. 7) ce qui nest en soi pas impossible approche(s) plurielle(s) sera plutt compris comme limit, comme nous lavons dit, au niveau des activits et matriaux visant favoriser les apprentissages. Cest dans le cadre des approches plurielles, qui se sont construites historiquement comme un

    largissement partir de lveil aux langues, que la question du recensement des lments de lensemble, partir des approches didactiques existantes, a t explicitement pose. Sagissant dapproches plurielles des langues et des cultures, quatre approches sont distingues, qui ont dj t rapidement mentionnes plus haut et seront dcrites plus longuement ci-dessous (voir Candelier, 2008, chap. 2.1. ; Candelier, Camilleri-Grima, Castellotti, de Pietro et al. 2007, p. 7-8) : Deux dentre-elles disposent dj dune tradition de quelques dcennies, au moins au niveau des principes. Il sagit dune part de l approche interculturelle (ou : des approches interculturelles , dans leur diversit) (voir Porcher, 1978 ; Conseil de lEurope, 1983 ; Byram, Nichols et Stevens, 2001 ; Cortier, 2007 ; Varro, 2007). Dautre part, la didactique intgre des langues : langue majeure de scolarisation3 langue trangre, langue trangre 1 langue trangre 2, etc. (Roulet, 1980 ; Bourguignon et Dabne,

    3 Pour ces termes, on adopte la terminologie utilise dans Coste, Cavalli, Crisan et Van de Ven, 2007.

  • 1982 ; Bourguignon et Candelier, 1988 ; Castellotti, 2001b ; Hufeisen et Neuner, 2003) qui vise aider lapprenant tablir des liens entre un nombre limit de langues, celles dont on recherche lapprentissage dans un cursus scolaire. Les deux autres approches sont plus rcentes dune dizaine dannes, du moins dans la didactique francophone (la seconde tant apparue plus tt en Grande-Bretagne, voir Hawkins, 1984), et sont beaucoup moins connues des enseignants. Il sagit dune part de lintercomprhension entre les langues parentes (Dabne et Degache, 1996 ; Blanche-Benveniste et Valli d., 1997 ; Meissner Franz-Joseph, Meissner Claude, Klein, et Stegmann. 2004 ; Doy, 2005), qui cherche tirer parti des atouts les plus tangibles de lappartenance une mme famille ceux relatifs la comprhension quon cherche cultiver systmatiquement. Et dautre part de lveil aux langues (Dabne, 1991 ; De Pietro, 1995 ; Perregaux, 1995 ; Candelier d., 2003, 2005), qui propose des activits impliquant potentiellement toute varit linguistique, sans limitation aux langues de scolarisation (cest--dire, faisant partie du curriculum) ni exclusive daucune sorte et peuvent de se fait galement donner une place toute langue qui fait partie du rpertoire des lves. On ne stonnera pas, tant donne la proximit constate entre didactique du plurilinguisme et approches plurielles, de trouver ici un cho la question pose plus haut de la relation entre ce qui est appel globalement et couramment lenseignement bilingue et la / les didactiques du plurilinguisme : La notion dapproches plurielles est reprise dans les premiers travaux du Conseil de lEurope relatifs llaboration dun Document europen de rfrence pour les langues de lducation (Coste, Cavalli, Crisan et Van de Ven, 2007). Ici aussi, elles sont dites plurielles parce quelles concernent plus dune langue (p. 73). Laccent tant mis galement sur le fait quelles ne visent pas [] dans chacune [des langues] les mmes (et toutes) les comptences (voir ci-dessous : Les sources principales et leurs incidences rciproques ) ni les mmes degrs de matrise (ibid.), on y parle d approches plurielles et partielles . Comme il sagit dapproches pour les enseignements des langues , on ny retrouve pas lapproche interculturelle, mais on y trouve en revanche, apparemment en plus des trois approches linguistiques cites ci-dessus (didactique intgre, intercomprhension, veil aux langues) une quatrime approche intitule lintgration entre les langues et les disciplines dans les enseignements bilingues . Clairement, il ne sagit pas dun enseignement bilingue o les langues sont spares. Lintgration a bien lieu entre les langues elles-mmes et entre les langues et les disciplines. On y trouve, comme chez D. Moore (2006, p. 209) des rfrences au fait que le dveloppement des concepts est favoris lorsque celui-ci se fait par le biais de deux langues, qui en facilitent labstraction et la gnralisation . Quel que soit le trs grand intrt de ces orientations, il ne semble pas ncessaire, dun point de vue strictement classificatoire, de distinguer pour leur intgration dans les approches plurielles une catgorie dapproches particulire. Le concept de didactique intgre, tel quil a t prsent plus haut, ne prjuge pas de la manire dont les langues en question sont enseignes : il peut sagir denseignement de la langue ou denseignement dans une langue (qui est alors langue denseignement dautres disciplines, avec toutes les intgrations souhaitables). A lissue de ce tour dhorizon dfinitoire, on peut stonner de labsence quasi-totale de rfrence des travaux anglophones sur la notion aborde, qui peut tre interprte du point de vue des deux termes constitutifs de la notion : - si le terme plurilingualism est bien attest dans la version anglaise du CECR, il nen constitue pas moins une curiosit pour la plupart des anglophones qui nutilisent gnralement que multilingualism pour toutes les dsignation lies la pluralit linguistique ; on pourra sinterroger sur la concidence entre cet usage et la place hypercentrale de langlais (Calvet, 1999) dans le monde contemporain qui pourrait justifier un certain manque dintrt pour la pluralit, compte tenu de la prdominance crasante de langlais ; - pas plus que de plurilinguisme, il nexiste proprement parler de didactique dans le monde anglophone, dans le sens globalisant que nous avons propos au dbut de ce texte. La recherche anglophone sur les processus dappropriation des langues est gnralement runie sous lappellation Applied linguistics, alors que les travaux concernant des aspects plus pdagogiques renvoient le plus souvent des dnominations comme language learning ou language teaching. (Une recherche systmatique dans lEncyclopedia of language and education de Cenoz et Hornberger d., 2008, fait apparatre seulement une dizaine de contributions sur deux cent soixante-trois utilisant le terme plurilingualism, et deux utilisant didactics. Aucune ne semble utiliser lexpression didactics of plurilingualism.) Cela ne signifie pas que les anglophones ne sintressent pas aux phnomnes de contact et de pluralit dans lapprentissage, mais que ceux-ci sont sans doute perus de manire diffrente, davantage du point de

  • vue de leurs caractristiques psycholinguistiques (voir ci-dessous, les dveloppements de la notion ). Les travaux portant sur les liens entre des conceptions soulignant le caractre global de la comptence plurilingue et les orientations didactiques retenir, tels que Jessner, 2008 (avec rfrences au modle de la multicompetence de V. Cook voir Cook, 2003 et du Dynamic Model of Multilingualism de Herdina et Jessner, 2002) restent rares.

    1.2. Aux origines : la notion de comptence plurilingue et pluriculturelle4

    Cest au cours des annes 1990 que le Conseil de lEurope a impuls une srie dtudes prparatoires llaboration dun cadre europen de rfrence pour lenseignement, lapprentissage et lvaluation des langues vivantes , dans le cadre du projet Apprentissage des langues et citoyennet europenne dirig par J.L.M. Trim. Parmi ces tudes, celle qui nous intresse plus particulirement, intitule Comptence plurilingue et pluriculturelle, est dite en 19975 et J.L.M. Trim y indique, dans lintroduction, que le Conseil a lutt contre une solution sduisante mais simpliste au problme de la communication internationale qui serait que tous les Europens apprennent une mme langue de communication et consacrent tous leurs efforts dvelopper leurs comptences dans cette seule langue (Coste, Moore et Zarate 1997, p. 7). Ce principe est lorigine du dveloppement de la rflexion engage sur la notion de comptence plurilingue et pluriculturelle (dsormais CPP), dans la perspective du dveloppement dune politique des langues et de leur apprentissage en Europe conduisant notamment la construction dune didactique du plurilinguisme. Le texte fondateur de 1997 sappuie sur quelques principes, selon lesquels la CPP est dabord la comptence communiquer dun acteur social, dans des contextes de plurilinguisme et de pluriculturalisme qui ne sauraient consister en la simple juxtaposition de communauts distinctes (Ibidem, p. 9). Cette option fondamentale a des consquences de divers ordres :

    elle disqualifie de fait le modle du natif communicateur idal (ncessairement monolingue ou

    parfait bilingue ) ;

    elle renforce les liens entre les dimensions linguistique et culturelle ;

    elle se dmarque, en affirmant une logique pluri , des modles quon pourrait dire binaires

    quant aux modes de contact entre deux langues ou entre deux cultures (Ibidem, p. 11). Ce sont ces orientations initiales qui permettent dlaborer une premire dfinition de la CPP, dont la majeure partie sera reprise lidentique dans le Cadre europen commun de rfrence pour les langues en 2001 :

    On dsignera par comptence plurilingue et pluriculturelle, la comptence communiquer

    langagirement et interagir culturellement possde par un locuteur qui matrise, des degrs divers,

    plusieurs langues et a, des degrs divers, lexprience de plusieurs cultures, tout en tant mme de

    grer lensemble de ce capital langagier et culturel. Loption majeure est de considrer quil ny a pas l

    superposition ou juxtaposition de comptences toujours distinctes, mais bien existence dune comptence

    plurielle, complexe, voire composite et htrogne, qui inclut des comptences singulires, voire

    partielles, mais qui est une en tant que rpertoire disponible pour lacteur social concern (Coste, Moore

    et Zarate, 1997, p. 12 et Conseil de lEurope, 2001, p. 129).

    Cette dfinition inclut un certain nombre de caractristiques qui deviendront des principes organisateurs pour le dveloppement dune didactique du plurilinguisme : Le dsquilibre, gnralement associ la CPP, peut concerner diffrentes composantes de celle-ci (niveau de maitrise selon les langues, profil des capacits langagires, dcalage entre capacits langagires et culturelles, etc.) et doit tre gr dans les situations dusage et dapprentissage, ce qui conduit activer des moments dacquisition (Ibidem, p. 24) et construire des stratgies originales pour compenser ce dsquilibre ;

    4 Une partie de ce sous-chapitre comporte des lments partiellement communs avec un autre texte publi

    paralllement (voir Castellotti et Moore, 2011). 5 Il faut toutefois noter que cette notion apparat dj (probablement pour la premire fois) en 1995, dans un

    article de Daniel Coste (Coste, 1995).

  • Ce dsquilibre conduit concevoir la CPP, dans un mme mouvement, comme plurielle et partielle : elle concerne la fois diffrentes langues / varits, des degrs et selon des modalits diverses, dans la mesure o elle se ralise de manire fonctionnelle et situe. Un sujet qui met en uvre une comptence plurilingue et pluriculturelle peut ainsi se focaliser sur des activits langagires particulires (par exemple de rception, ou dinteraction spcialise, en fonction de ses intrts, de son histoire, de ses objectifs) ou encore dvelopper des comptences gnrales individuelles (par exemple des savoirs autres que langagiers sur les caractristiques et les acteurs de langues et cultures autres) (Ibidem, p. 14). Enfin, ce dsquilibre nest pas stabilis. La CPP est donc fondamentalement dynamique, volutive et mallable, la fois dans le temps et dans lespace. Ainsi, elle senrichit de nouvelles composantes, en complte ou en transforme certaines autres, en laisse encore certaines autres dprir (Ibidem, p. 15). Cette notion de comptence plurilingue et pluriculturelle a t reprise et dveloppe plusieurs reprises au cours de la dcennie qui a succd sa premire dfinition. D. Coste, en particulier, en a propos des relectures permettant daffiner certaines de ses composantes, en explicitant les dplacements oprs pour passer de la comptence de communication (Hymes, 1984) la comptence plurilingue et en insistant sur son caractre fortement individualis, li une histoire et des volutions singulires , qui surligne une dimension identitaire. Ces orientations ont galement t prcises, conjointement, par dautres auteurs (voir notamment Moore et Castellotti d., 2008 ; Castellotti, Cavalli, Coste et Moore, 2009). Si le Conseil de lEurope a t moteur dans le dveloppement de cette orientation, celle-ci sest construite et conceptualise grce un certain nombre de travaux antrieurs qui ont, en quelque sorte, prpar le terrain de son mergence.

    1.2.1. Les sources principales et leurs incidences rciproques

    Il faut remonter quelques dcennies pour retracer les grandes lignes dune volution dans les conceptions sur les usages des langues et leur appropriation, tant dun point de vue socio- que psycholinguistique. Cest autour des annes 1970 que se renforce peu peu, sous leffet conjugu des modles de la nouvelle communication et dune dcentration par rapport aux postulats dominants de la linguistique structurale et gnrative, une prise en compte des contacts de langues et de leurs ralisations communicatives. Les travaux de Hymes et Gumperz, en particulier, en sintressant aux situations de communication ingale et aux vnements socio-discursifs qui contribuent les dfinir, mettent laccent sur les phnomnes de diversit, de collaboration, de mlange, dasymtrie dynamique, participant ainsi une remise en question de manire plus ou moins explicite de nombre de catgorisations construites en fonction des prsupposs dune conception monolingue et homognisante, comme celles de norme, de diglossie ou encore de

    communaut linguistique. Paralllement ces travaux, des recherches sur lacquisition sintressent aussi aux phnomnes de contacts de langues, mais dun point de vue psycholinguistique ; les travaux de J. Cummins, en particulier, centrs sur des enfants de diffrents groupes sociaux et linguistiques, postulent lexistence dune comptence sous-jacente commune (common underlying proficiency) et, dans certaines conditions, dune interdpendance linguistique chez les bilingues (Cummins, 1979 ; Cummins et Swain, 1986). Ces deux courants, socio-et psycholinguistique vont alors concider avec une prise en compte grandissante des positions socio-constructivistes en psychologie de lapprentissage dans la ligne de Vigotsky (voir par exemple Schneuwly et Bronckart 1985), qui raffirment pour leur part limportance de tenir compte de lexistant pour construire, appuyer, dvelopper les nouvelles connaissances. Ces volutions trouvent leur pendant dans la sphre ducative, travers plusieurs initiatives en raction linadquation des orientations, programmes et mthodes dominants dans lenseignement des langues premires, secondes et trangres. En Italie voit ainsi le jour au cours des annes 1970 le concept dEducazione linguistica, centr sur le caractre fondamentalement transversal, diversifi, relationnel, socio-culturellement ancr du domaine linguistique, qui se concrtise par une inscription dans les programmes de lcole en 1979 (voir pour une

    synthse Costanzo, 2003). Cest cette mme priode que se dveloppe avec Eric Hawkins, en Angleterre, la notion trs voisine de Language Awareness (Hawkins, 1984) qui, aprs de premires applications en Grande Bretagne dans des

  • supports pdagogiques, trouvera de nouveaux dveloppements dans le reste de lEurope prs de vingt ans

    plus tard (voir ci-dessous : Dispositifs didactiques : quelques exemples ) A la mme poque, Eddy Roulet propose un certain nombre de principes et dobjectifs gnraux pour une pdagogie intgre des langues en affirmant limportance du rle de la langue premire dans les apprentissages langagiers postrieurs (Roulet, 1980). Cest la conjonction et la convergence entre tous ces travaux, tudes, rflexions qui alimentent, dans les annes 1980 et 90, le renouvellement des conceptions mme du bilinguisme et de lapprentissage des langues. Jusque l, en effet, les reprsentations du bilinguisme taient trs majoritairement domines, sur la base des positions de Bloomfield, par lidal dune matrise parfaite et quilibre de deux systmes linguistiques soigneusement distincts, ce qui prsuppose aussi le maintien dune frontire tanche, et tout rapprochement ventuel entre cet tat , quasi mythique et comme naturel, et les processus dapprentissage des langues, perus au contraire comme lents, besogneux et parsems dembches, ne pouvait apparatre que comme incongru. Cest pourtant un tel rapprochement que travaillent notamment B. Py ou L. Dabne, au dbut des annes 1990, la suite des transformations des conceptions du bilinguisme opres dans les annes 1980 avec les travaux de F. Grosjean (1982), et ceux de G. Ldi et B. Py (1986-2002) Par exemple, en choisissant de se fonder sur des critres dordre principalement fonctionnel, Grosjean se fait le porte parole de ce courant en portant un nouveau regard sur les bilingues, propos desquels il propose une dfinition bien loigne de ses prdcesseurs :

    [sont bilingues] des personnes qui utilisent deux langues ou plus dans leur vie quotidienne. Contrairement

    une croyance rpandue, les bilingues ont rarement une aisance quivalente dans leurs langues ; certains

    parlent une langue mieux quune autre, dautres emploient lune des langues dans des situations

    spcifiques, et dautres peuvent seulement lire ou crire lune des langues quils parlent.6

    Cette orientation sera enrichie dune composante identitaire avec les travaux de Ldi et Py sur les usages contextualiss de migrants en Suisse et invitant, partir dune analyse de leurs pratiques, les interprter comme des indices dune comptence bilingue originale qui ne relve pas de la simple addition des langues en prsence, mais possde un statut dautonomie relative qui tmoigne dune identit linguistique et culturelle particulire (Ldi et Py, 1986-2002). A la suite de ces travaux, cest Bernard Py et Louise Dabne principalement, dans la sphre francophone, quon doit davoir rapproch les recherches en sociolinguistique et/ou en acquisition des interrogations plus didactiques et davoir ainsi contribu, au cours des annes 1990, lvolution de ces domaines et leur confrontation (voir notamment Dabne, 1990 et Py, 1991, 1992, 1997). Paralllement, dans la sphre germanophone, on commence dj utiliser lexpression didactique du plurilinguisme . Ainsi, Meissner rapporte que dans un texte de 1993, il proposait dj lide dune Mehrsprachigkeitsdidaktik reposant sur le transfert : [] la Mehrsprachigkeitsdidaktik tait conue lorigine comme une didactique transversale, reposant sur le transfert linguistique, encyclopdique et didactique, favorisant lapprentissage de plusieurs langues. 7 Ce foisonnement des recherches dans la sphre langagire (sociolinguistique, psycholinguistique, didactique des langues) croise, au tournant des annes 1990, des interrogations gopolitiques sur la construction europenne, son largissement et son avenir, inscrites dans une perspective plus gnrale o la tendance globalisatrice de la mondialisation saccompagne de revendications identitaires, ethniques, communautaires. 6 People who use two or more languages in their everyday life. Contrary to general belief, bilinguals are rarely

    equally fluent in their languages ; some speak one language better than another, others use one of their languages

    in specific situations, and others still can only read or write one of the languages they speak , Grosjean, 1982. 7 [] die MsDid ursprnglich als seine auf lingualem, enzyklopdischem und didaktischem Transfer []

    beruhende, das Mn. lernen frdernde 'Transversaldidaktik' konzipiert worden war . Larticle rfr par Meissner

    est le suivant : Meissner, F.-J. (1993) : "Umrisse der Mehrsprachigkeitsdidaktik". In Bredella, L. (dir.).

    Verstehen und Verstndigung durch Sprachenlernen. Akten des 15. Kongresses fr Fremdsprachendidaktik der

    Deutschen Gesellschaft fr Fremdsprachenforschung. Bochum : Brockmeyer.

  • Ce bref historique tend montrer quune didactique du plurilinguisme vise donc bien construire et mettre en uvre une comptence composite et htrogne, certes, mais dont les composantes sont indissolublement articules et interdpendantes, et non sapproprier, de manire plus ou moins distincte, plusieurs langues et/ou varits. Une telle didactique doit donc sinterroger sur les stratgies permettant de construire et de mettre en uvre une comptence ainsi dfinie.

    1.2.2. Les dveloppements de la notion

    La notion de comptence plurilingue et pluriculturelle a donn lieu, au cours des annes qui ont suivi son mergence, un certain nombre dtudes complmentaires, destines la prciser et lenrichir. Redfinie en 2001 comme la capacit dun individu oprer des degrs variables dans plusieurs langues et grer ce rpertoire htrogne de manire intgre (Coste, 2001a, p. 192), la notion est retravaille en mettant laccent sur le point de vue fondamental de lacteur social qui construit, dveloppe, met en uvre, reconfigure une palette de ressources dont il [lacteur social] peut jouer, de manire plus ou moins volontaire et rflchie (Coste, 2001a, p. 198), en mobilisant diversement les langues qui jouent un rle de pivot, dappui, de rfrence (Coste, 2001a, p. 196). On peut donc observer, travers ces dveloppements, des dplacements et des prcisions qui densifient la notion et la rendent la fois plus complexe et plus heuristique, parmi lesquels :

    une mise en relation avec les diffrentes instances de socialisation et avec les parcours individuels

    des acteurs sociaux ;

    une insistance sur les modalits diverses de lapparition et de lvolution

    des composantes mallables du rpertoire dynamique que la CPP mobilise, modle et

    reconfigure, qui saccompagne dune prise en compte de la complexit des interactions, des

    interrelations entre ces composantes et de la multiplicit des valeurs cognitives, affectives,

    identitaires que ces composantes prennent pour lacteur ;

    une attention aux questions de scurit / inscurit (dans le recours telle ou telle varit ou

    combinaison de varits) de la CPP (Coste, 2001b). Cette reconstruction permanente de la notion de CPP, qui sattache notamment dshomogniser et dnativiser lenseignement des langues (Coste, 2004) est lie, plus particulirement, aux rapprochements entre trois courants de rflexion qui occupent en quelque sorte le terrain des recherches dans la premire moiti des annes 2000 :

    une rflexion renouvele sur la notion de comptence, la croise des sciences du langage, des

    sciences de lducation et des analyses du travail, qui conduit peu peu concevoir la comptence

    non pas comme un rpertoire ou un systme de connaissances, capacits, ressources, etc.

    qui reflterait, de manire plus ou moins directe, un tat des lments disposition, mais

    comme la mise en uvre situe, processuelle, dynamique, dans lagir mme (Bronckart et

    Bulea 2005, p. 217) des possibles contextualiss par des acteurs dans des situations identifies du

    point de vue social, spatial et temporel. (voir notamment Castellotti et Py 2002, Coste, 2004,

    Bronckart, Bulea et Pouliot 2005) ;

    une mergence de la dimension socio-identitaire et des problmes quelle engendre, notamment

    travers les questionnements lis aux mobilits, aux minorisations, aux dynamiques

    transnationales, etc. qui conduit reconsidrer les formes dintgration linguistique et scolaire des

    migrants et de leurs enfants (voir par exemple Bertucci et Corblin, 2007 ; Castellotti, 2008) mais

    aussi les modes dappropriation diversifis dans des environnements varis comme ceux des

    entreprises, des services publics et sociaux, des changes commerciaux ou scientifiques, etc.

    (Heller, 2002) ;

    un dplacement des points de vue sur les processus dacquisition dans le domaine plus strictement

    linguistique, travers la construction dun Dynamic Model of Multilingualism (Herdina et Jessner,

    2002) qui considre le locuteur plurilingue comme un systme psycholinguistique complexe

    comprenant des systmes linguistiques particuliers (SL1, SL2, SL3, etc.) [] (Ibidem : p. 3, n.t.).

    Dans ce modle, le locuteur de plusieurs langues et son systme linguistique ne constituent pas

    simplement le rsultat de laddition de deux systmes linguistiques ou plus, mais un systme

  • complexe dynamique avec ses paramtres propres, qui ne sont pas ceux que lon peut trouver

    chez le locuteur monolingue. 8 (Ibidem, p. 19, n.t.). Dautres travaux dans la mme ligne,

    sattachent approfondir le rle des diffrentes langues (L1, L2, L3, etc.) dans le processus

    dacquisition (voir par exemple Cenoz, Hufeisen et Jessner, 2001 ; Bono, 2008). Ils soulignent

    galement les avantages linguistiques et ducatifs qui rsultent de ponts construits par

    lenseignant entre des disciplines linguistiques qui sinon restent isoles 9 (Herdina et Jessner,

    2002, p. 161). A travers toutes ces influences, cest une autre conception des apprentissages langagiers qui se dessine, intgrs, partiels, mlangs, valorisant la diversit et lhtrognit plutt que la similarit et la rgularit, mobilisant le construit, approximatif, dynamique et flexible plutt que le stable et le dtermin, et sappuyant sur des sujets agissant avec leur histoire, de manire la fois autonome et collaborative. Cette

    action des sujets, non seulement comme personnes mais aussi en tant quacteurs socio-historiques, constitue un trait dunion entre les usages individuels et les choix politiques :

    La notion de comptence plurilingue et pluriculturelle, en conceptualisant un tel projet, est au centre

    dune configuration qui rassemble, imbrique et articule la sphre des pratiques ordinaires et celle des

    politiques linguistiques et ducatives, du point de vue de lanalyse, pour imaginer, du point de vue de

    laction, des usages didactiques qui prennent sens dans des organisations curriculaires gomtrie

    variable. (Moore et Castellotti d., 2008, p. 12).

    Enfin, travers les problmatiques centres sur les phnomnes de mobilits, de migrations, de transnationalisme, cest aussi une didactique des enjeux sociopolitiques de la pluralit / diversit qui sinvente, en confrontant les dimensions plurilingues et interculturelles qui sentrechoquent dans le temps et dans lespace, en provoquant enthousiasmes et rsistances, engagements et assignations, tensions et ngociations (voir notamment Zarate, Lvy et Kramsch, 2008).

    2. Mises en uvre et ralisations dans diffrents environnements

    2.1. Les initiatives europennes

    2.1.1. Le cadre europen commun et le plurilinguisme : un rendez-vous (en partie) manqu ?

    Comme nous lavons rappel ci-dessus, cest le Conseil de lEurope qui a impuls les travaux prparatoires llaboration du CECR, en particulier ltude dfinissant la notion de comptence plurilingue et pluriculturelle, dont le CECR reproduit une partie des rflexions. Il est donc dautant plus paradoxal de constater que la partie oprationnelle du Cadre, notamment le rfrentiel de comptences portant sur lapprentissage des langues, ne prenne pas en compte les capacits plus particulirement dveloppes en lien cette CPP. Le CECR dfinit quatre catgories descriptives 10 susceptibles daider formuler et regrouper les principaux objectifs assigns lapprentissage et lenseignement des langues en Europe. Parmi ces catgories, la mdiation pourrait apparatre, au premier abord, comme une concrtisation de la mise en uvre de la CPP. En effet, les stratgies dveloppes dans la mise en uvre dune CPP relvent bien de formes de mdiation, entre les personnes comme entre les langues. Force est de constater, toutefois, que les tentatives de dclinaison des oprations que regroupe cette catgorie dans le Cadre sont extrmement timides et peu prcises et quelles sont limites aux actions mises en uvre lintention dun tiers. Ainsi,

    8 the multiple language speaker and her / his language system is not merely the result of adding the two or

    more language systems but a complex dynamic system with its own parameters, which are not to be found in the

    monolingual speaker. 9 the linguistic and educational advantages gained from bridges built by the teacher between otherwise isolated

    language subjects. 10

    Pour rappel : la production, la rception, linteraction et la mdiation.

  • les activits cites dans le Cadre comme relevant de la mdiation sont quasiment exclusivement centres sur la traduction, linterprtation, le rsum et la reformulation, et ne regroupent pas les stratgies internes visant mobiliser les passages, correspondances et appuis interlinguistiques, tirer parti des interlectes**, favoriser les infrences translinguistiques, exploiter les dimensions paraverbales. En ce sens, le CECR na pas, proprement parler, jet les bases de ce que nous concevons comme une didactique du plurilinguisme, mme sil en a dfini certaines des finalits ; cela contribue expliquer pourquoi, plus de dix ans aprs sa publication, cest encore trs largement une conception quantitative et additive du plurilinguisme qui prvaut dans les reprsentations de la plupart des acteurs de lenseignement des langues, en Europe et ailleurs (voir Castellotti, 2010). Le Guide pour llaboration des politiques

    linguistiques ducatives en Europe sest davantage attach dvelopper les consquences concrtes, pour les acteurs europens, des dimensions macro dune didactique du plurilinguisme.

    2.1.2. Le Guide pour llaboration des politiques linguistiques ducatives en Europe

    La construction europenne et son renforcement politique entranent des choix et dcisions en matire linguistique et ducative. Il ne sagit plus, comme au temps de la cration des nations, dimposer tous une mme langue : LEurope a besoin de principes linguistiques communs davantage que de langues communes (Beacco et Byram, 2007, p. 32). Le principe retenu par le Guide, en conformit avec les orientations du Conseil de lEurope (ibid., p. 35-37), est celui du plurilinguisme, plac au centre de [l]idologie linguistique pour lEurope et qui constitue une manire dtre aux langues (ibid, p. 32, p. 34 ; voir aussi Beacco, 2005). Ce plurilinguisme est susceptible dinterprtations multiples, qui ne sont pas pour autant contradictoires (Beacco et Byram, 2007, p. 32). Outre celle, voque ici-mme, qui fait de lui un principe (voire une valeur), le Guide recense une conception du plurilinguisme qui le considre comme une comptence non exceptionnelle commune tout locuteur (ibid., p. 40) et qui intgre ce qui a t dvelopp plus haut en termes de comptence plurilingue et pluriculturelle . Il y adjoint une interprtation qui fait du plurilinguisme un principe pour la prservation de la diversit vivante des langues dEurope tout en signalant que cette diversit doit inclure les langues des immigrs et rfugis (p. 39). En fonction des choix effectus pour lEurope, il revient aux politiques linguistiques, en particulier ducatives, de prendre en charge le plurilinguisme au moyen de lducation plurilingue . Par cette dernire on entendra toutes les activits, scolaires ou extra scolaires, quelle quen soit la nature, visant valoriser et dvelopper la comptence linguistique et le rpertoire de langues individuel des locuteurs, ds les premiers apprentissages et tout au long de la vie . A lducation plurilingue vient sajouter lducation pluriculturelle , par laquelle on entendra plus spcifiquement des activits, ralises ou non sous la forme dun enseignement, visant la prise de conscience, lacceptation positive des diffrences culturelles, religieuses et linguistiques et la capacit interagir et crer des relations avec dautres. (p. 18). Le Guide insiste sur les liens troits entre ces deux types dducation, qui dailleurs sinfluencent rciproquement. Lducation pluriculturelle peut certes tre aborde de faon spcifique , mais aussi tre articule avec les enseignements linguistiques , car la proximit avec les enseignements langagiers est [] forte comme le montre lexemple de lorigine la fois linguistique et culturelle des malentendus (p. 76). Autrement dit, lducation plurilingue vise conjointement deux finalits, lacquisition de comptences linguistiques et celle de comptences interculturelles, qui ne se traduisent pas ncessairement par lacquisition de comptences langagires effectives (p. 73). Dans les pages qui ont prcd, notre effort de dfinition de la didactique du plurilinguisme, puis de dtermination de ses sources, nous a amens nous consacrer plus aux aspects cognitifs des apprentissages linguistiques, en centrant notre attention sur la seconde finalit . On a pu voir comment, concrtement, la / les didactique(s) du plurilinguisme rpondent au souhait du Guide que les formations soient conues de telle sorte quon y tienne compte des apprentissages antrieurs, de manire favoriser les transferts de connaissance dune varit linguistique lautre [] (ibid.) Ce faisant, nous avons laiss dans lombre les potentialits de la didactique du plurilinguisme relatives au dveloppement du premier aspect. Comme le rsume le Guide (ibid.) la prise de conscience par un locuteur de son rpertoire plurilingue vise par la / les didactique(s) du plurilinguisme peut impliquer quil soit amen accorder une valeur gale chacune des varits utilises par lui-mme et par les autres locuteurs, mme si celles-ci nont pas les mmes fonctions . Plus gnralement, la didactique du

  • plurilinguisme et les approches plurielles, voir Candelier, Camilleri-Grima, Castellotti, de Pietro et al., 2007, p. 10-11 assurent un contact avec une plus grande diversit de langues et donnent ainsi aux enseignants loccasion de faire reconnatre les potentialits de toutes les varits linguistiques, [de] montrer quelles rponses chacune apporte aux exigences de la communication verbale humaine, [de] chercher contrer les ractions primaires de dfiance ou de rejet dautres sons, accents, dautres comportements discursifs [] (p. 108). Il est vrai que comme le Guide le souligne galement (p. 76) le contact , quil sagisse de la diversit linguistique ou de la diversit culturelle, nimplique pas automatiquement le dveloppement dattitudes positives vis--vis de cette diversit. On peut penser cependant quune dcouverte vritablement active de la diversit, qui permet dentrer dans les langues, dans leur fonctionnement ne prsente pas de ce point de vue les mmes dangers quun contact externe, o lautre reste opaque et tranger. Des initiatives complmentaires ont donc t prises, pour laborer une didactique du plurilinguisme rpondant ces principes.

    2.1.3. Des dmarches europennes pour une didactique du plurilinguisme

    Si le Guide procure bien quelques dtails sur le contenu des savoirs, savoir tre et savoir faire viss par lducation plurilingue et pluriculturelle (voir par exemple Beacco et Byram, 2007, p. 76) labsence dun rfrentiel de comptences spcifique la didactique du plurilinguisme constituait un handicap pour la mise en uvre de cette didactique, que ce soit au niveau de ltablissement de curricula, de la fabrication de matriaux didactiques, de la formation des enseignants ou des choix que chaque enseignant peut et doit effectuer en fonction, en particulier, des caractristiques des apprenants dont il a la charge. De plus, la didactique du plurilinguisme sexerant travers diverses approches plurielles , un tel rfrentiel est ncessaire pour penser larticulation entre ces approches, tout autant que celle de ces approches avec lenseignement de chaque langue. Cest en fonction de ces besoins quun Cadre de rfrences pour les approches plurielles (CARAP) a t labor (Candelier, Camilleri-Grima, Castellotti, de Pietro et al., 2007), selon un processus essentiellement inductif, partir dun corpus de formulations de comptences vises, issues de publications relevant des quatre approches plurielles numres ci-dessus (pour la dmarche utilise, voir Candelier et De Pietro, 2011). Lquipe elle-mme tait forme de spcialistes issus de ces quatre approches. En conformit avec les dveloppements rcents de la notion de comptence signals plus haut, le cadre notionnel retenu distingue les comptences en tant qu units dune certaine complexit, qui font appel diffrentes ressources [et qui] consistent, dans une (classe de) situation(s) donne(s), en la mobilisation de ressources diverses (savoirs, savoir-faire, attitudes) autant que dans ces ressources elles-mmes (Candelier, Camilleri-Grima, Castellotti, de Pietro et al., 2007, p. 17 voir aussi Coste, 2004 et Perrenoud, 1999). Le document obtenu, dune centaine de pages, propose dune part un ensemble de comptences globales, prsent sous la forme dun tableau (organises autour de la Comptence grer la communication linguistique et culturelle en contexte daltrit et de la Comptence de construction et dlargissement dun rpertoire linguistique et culturel pluriel ) et de trois listes comprenant des items tels que Savoir quil existe entre les langues des ressemblances et des diffrences (liste des savoirs), tre prt sopposer / dpasser ses propres prjugs (liste des savoir-tre) ou Savoir exploiter les ressemblances entre les langues comme stratgies de comprhension / de production linguistique (liste des savoir-faire). Au cours du dernier projet moyen terme du CELV (2008-2011), un site visant la diffusion a t mis en place (http://carap.ecml.at/CARAP/tabid/2332/language/fr-FR/Default.aspx). Il comprend, outre le rfrentiel initial (renomm Le CARAP Comptences et ressources , Candelier et al., 2012), une prsentation interactive en ligne des descripteurs, une prsentation des descripteurs en lien avec les niveaux denseignement ( Le CARAP Les ressources au fil des apprentissages ), une banque de matriaux didactiques en ligne disponible dans une base de donnes, un kit dautoformation et de formation des enseignants ainsi quune Introduction lusage .. Ces approches pdagogiques gagnent en efficacit si elles sont articules une oprationnalisation en matire dorganisation curriculaire, favorisant leur mise en uvre et leur intgration cohrente dans une conomie densemble. Pour ce faire, la notion de scnario curriculaire, dj prsente dans le texte fondateur sur la CPP (Coste, Moore, Zarate, 1997, p. 43), est prcieuse pour imaginer des dispositifs multidimensionnels dans le temps et dans lespace qui, partir dune analyse des caractristiques

  • situationnelles, permettent de squencialiser en les articulant les objectifs, contenus et modalits des apprentissages linguistiques, dans la perspective de construction dune CPP. Lintrt est de pouvoir envisager des options et des mises en uvre diffrentes selon les langues considres, en construisant des modes de rpartition / complmentarit en fonction des finalits dducation plurilingue contextualises. Des exemples de scnarios curriculaires ont dj t labors en Valle dAoste, en fonction de diffrents choix possibles mergeant de la situation valdotaine dans laquelle lintgration linguistique et didactique est dj fortement prise en compte. Pour exemple, un de ces scnarios, intitul italien, franais, anglais et enseignement plurilingue des connaissances est ainsi imagin en vue de doter chaque jeune valdtain(e) dun capital plurilingue original la sortie de lcole et de lui donner ainsi de bonnes chances de dbouchs

    professionnels tant lintrieur quen dehors de la Valle. Et ceci bien entendu en prservant et, tout la fois, en faisant voluer les spcificits identitaires rgionales de cet espace singulier mais de plus en plus activement impliqu dans des rseaux interrgionaux, nationaux et internationaux que constitue la Valle (Aymonod, Cavalli et Coste, 2006, p. 54). Cet exemple montre comment llaboration de scnarios permet darticuler politiques linguistiques ducatives et choix didactiques : un tel scnario vont en effet tre associes la rflexion sur les relations entre ce qui est dj acquis tel ou tel niveau et ce qui reste dvelopper, ainsi que la construction de squences, dactivits et de supports (ou la ractualisation de matriaux existants) en cohrence avec la hirarchisation des objectifs et le droulement du processus (pour dautres exemples de curricula intgrs, voir Diari Oficial de la Generalitat de Catalunya, 2007, ainsi que les sites des projets suisses Passepartout et Plan dEtude Romand, galement en bibliographie). Rcemment, le Conseil de lEurope a complt ces dispositifs en crant une plate-forme de ressources et de rfrences pour une ducation plurilingue et interculturelle. Inscrite dans le projet langues dans lducation, langues pour lducation , cette plate-forme

    (http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/langeduc/le_platformintro_fr.asp) a pour objectif dinciter articuler lensemble des dimensions langagires prsentes dans lducation et de proposer un certain

    nombre de documents, outils, matriaux destins favoriser cette articulation. Une attention particulire est accorde, dans ce cadre, lintgration linguistique et ducative des enfants et adolescents issus de limmigration, en proposant notamment un document dorientation (Little, 2010) et une srie dtudes et de ressources qui y sont associes.

    2.1.4. Dispositifs didactiques : quelques exemples

    Lveil aux langues

    Pour les promoteurs du programme europen Evlang, dont il sera question plus loin, Il y a veil aux langues lorsquune part des activits de classe porte sur des langues que lcole na pas lambition denseigner (qui peuvent tre ou non des langues maternelles de certains lves) . Ils prcisent que cela ne signifie pas que seule la partie du travail qui porte sur ces langues mrite le nom dveil aux langues , car il doit sagir normalement dun travail global le plus souvent comparatif, qui porte la fois sur ces langues, sur la langue ou les langues de lcole et sur lventuelle langue trangre (ou autre) apprise (Candelier d., 2003, p. 20). En tant que tel, il peut apparatre comme lapproche plurielle extrme , dont lobjectif nest quindirectement communicationnel, par le biais de la contribution quil apporte au dveloppement daptitudes mtalinguistiques (dobservation et danalyse, en particulier comparative) et dattitudes (dintrt pour les langues et cultures et de confiance en ses propres capacits) favorables lapprentissage des langues (quelles quelles soient, y compris la / les langues principales de lcole). Par del, lveil aux langues se donne pour tche de reconnatre, lgitimer et valoriser les comptences et identits linguistiques et culturelles de chacun et de dvelopper chez les lves des connaissances relatives la prsence des langues dans lenvironnement immdiat, plus lointain et trs lointain, ainsi quaux statuts dont elles bnficient ou ptissent. Ainsi conu, lveil aux langues descend en ligne directe du concept de langage en tant que matire pont ( bridging subject ) travers le curriculum qui avait t prsente en Grande-Bretagne par Hawkins ds 1974. Lapproche sest dveloppe dans ce pays dans les annes quatre-vingt grce au travail thorique et pratique de Eric Hawkins (voir Hawkins, 1984) et dautres chercheurs et enseignants au sein du mouvement Language Awareness . Dans dautres pays dEurope, les ides issues du courant Language Awareness ont donn lieu, dans les annes quatre-vingt dix, plusieurs initiatives ponctuelles, comme celles menes en France Grenoble (Caporale, 1989 ; Dabne, 1995 ; Nagy, 1996). En Allemagne, la mme poque, Ingelore Oomen Welke

  • de la Pdagogische Hochschule de Freiburg travaillait dans la mme ligne, mais essentiellement en direction de classes forte proportion denfants issus de la migration. En Allemagne et en Autriche, deux instituts rgionaux de recherche pdagogique (le Landesinstitut fr Schule und Weiterbildung de Soest (Rhnanie-Westphalie voir Haenisch et Thrmann, 1994) et le Zentrum fr Schulentwicklung de Graz (Huber et Huber-Kriegler, 1994) ont introduit officiellement dans les coles de leur Land une approche sinspirant partiellement du courant Language Awareness (repectivement sous les noms de Begegnung mit Sprachen in der Grundschule et de Sprach- und Kulturerziehung). En Suisse romande, des expriences ont t menes sous le sigle EOLE (Eveil au Langage et Ouverture aux Langues), autour de chercheurs qui ont ensuite contribu constituer lquipe Evlang (Perregaux, 1995 ; De Goumons, 1999). Lveil aux langues a ensuite donn lieu en Europe deux programmes de recherche et dinnovation, soutenus par lUnion europenne et le Conseil de lEurope, les programmes Evlang (1997-2000) et Janua Linguarum (2000-2004). Les activits comprenaient la production de matriaux didactiques, la formation denseignants, la mise en place dune exprimentation et une valuation, qui portait essentiellement, pour Evlang, sur les effets sur les lves et pour Janua Linguarum sur les conditions dimplantation de lapproche dans les systmes ducatifs (pour le bilan de ces programmes, voir Candelier d., 2003 ; Candelier et al., 2003). Depuis, la diffusion de lveil aux langues sest poursuivie grce la production de nombreux matriaux

    didactiques, dans plusieurs pays europens (voir pour la francophonie voir Kervran, 2006 ; Perregaux, De

    Goumons, Jeannot et De Pietro, 2003) et au Canada (voir le site http://www.elodil.com/). Plusieurs recherches en cours portent sur son introduction dans de nouveaux contextes (en particulier, pour laccueil des lves issus de la migration) et sur sa mise en lien avec les autres enseignements linguistiques de lcole. Intgr officiellement dans les curricula de Catalogne, de Suisse romande, puis de Grce, lveil aux langues constitue un des ingrdients des projets / ralisations de curricula intgrs dont il a t question au point prcdent. On notera aussi quun projet rcent du CELV de Graz a conduit la

    fabrication de matriaux intgrant veil aux langues et disciplines dites non linguistiques (voir http://conbat.ecml.at /). On pourra suivre lvolution de cette approche sur le site de lassociation

    EDiLiC (Education et Diversit Linguistique et Culturelle http://www.edilic.org/ ; pour les dveloppements en France : http://plurilangues.e-monsite.com /).

    Lintercomprhension entre les langues parentes

    On peut retenir pour notre propos la dfinition propose demble par Doy dans le fascicule de synthse sur lintercomprhension entre les langues parentes quil a crit pour le Conseil de lEurope (2005, p. 7) :

    Lintercomprhension est une forme de communication dans laquelle chaque personne sexprime dans sa

    propre langue et comprend celle de lautre.

    En tant que telle, elle apparat dabord comme une pratique sociale atteste (ou considre comme possible), dont on peut souligner le caractre la fois banal (ny a-t-il pas toujours intercomprhension entre varits rgionales, sociales dune mme langue ?) mais cependant original pour quiconque vit dans une culture du monolinguisme et dcouvre quelle est parfois pratique spontanment entre locuteurs de diffrentes langues nationales, comme cest le cas en Scandinavie pour les langues nord-germaniques (Brestam-Uhlmann, 1999). Ce qui nous intresse ici, cest lide que lenseignement peut favoriser le dveloppement dune telle

    intercomprhension, y compris entre langues et dans des contextes pour lesquel(le)s cela est jusqualors inusit. Cest dans la premire partie des annes quatre-vingt-dix que llaboration de principes et de pratiques didactiques spcifiques cherchant la mettre en uvre a pris son essor, nouveau paralllement en France et en Allemagne, pour les langues romanes (Blanche-Benveniste, 1991 ; Meissner, 1995). Le dveloppement de cette didactique de lintercomprhension (Meissner Franz-Joseph, Meissner Claude, Klein et Stegman, 2004, p. 16) y compris avec laide, voire sous limpulsion, de lUnion europenne a t rapide et diversifi. Conue lorigine pour des publics dtudiants universitaires ou dadultes (cest le

    cas en particulier pour les projets Eurom4 et Galatea, voir les sites http://www.up.univ-mrs.fr/delic/Eurom4/ et http://w3.u-grenoble3.fr/galatea/classic.htm), elle sest intresse ensuite des publics dadolescents ou denfants dans le cadre scolaire, comme le montrent entre autres les travaux mens dans le cadre du projet EuroComRom (Meissner et al., 2004), les Itinraires romans (Alvarez et Tost, 2008) ou le programme Euro-mania (Escud dir., 2008). Des langues romanes, elle sest tendue aux

  • langues germaniques (Hufeisen et Marx, 2007 ; projet IGLO,

    http://www.hum.uit.no/a/svenonius/lingua/flow/co.html ) et slaves (Zybatov, 2007). Longtemps oriente principalement vers la comprhension crite, elle sintresse de faon croissante la comprhension orale (Bonvino et Caddeo, 2007 ; Jamet, 2007 ). Pour une vue densemble, voir aussi le site du rseau REDINTER (http://redinter.eu/web /). Dans le concert des approches plurielles, lintercomprhension entre les langues parentes peut-tre perue comme se trouvant mi-chemin entre un veil aux langues fortement orient vers le dveloppement daptitudes mtalinguistiques gnrales et une didactique intgre des langues (voir ci-dessous) proccupe principalement par le dveloppement de comptences de communication dans une ou des langues donnes. La prise de conscience par lapprenant de ses stratgies de passage dune langue lautre y joue un grand rle, mais la perspective est dj communicative, mme si conformment une des caractristiques de la comptence plurilingue et pluriculturelle (voir plus haut), cest une comptence partielle qui est vise. Il convient de souligner que les ralisations pdagogiques dans le domaine de lintercomprhension (pour un aperu assez large, voir Escud et Janin, 2010) ont le plus souvent t prpares et accompagnes par des recherches orientation thorique ou empirique cherchant laborer des cadres conceptuels (en particulier, propos de la notion de transfert ou de ltablissement de typologies des points dappui permettant le transfert pour lexemple de EuroCom, voir Meissner, 2004b ; Meissner et al. 2004, 141 et suivantes), dcrire finement les processus mis en uvre par les apprenants (Dabne et Degache d., 1996) ou encore valuer les dispositifs denseignement apprentissage (voir De Lievre et Depover 2007, propos de la plateforme, voir http://www.galanet.be/).

    La didactique intgre des langues et lenseignement bilingue

    Les principes fondateurs de la didactique intgre des langues (dsormais DIL) remontent aux dbuts des questionnements sur lapprentissage et lenseignement des langues, et on peut en relever diverses traces au cours des sicles (voir par exemple Germain, 1993). Dans la priode rcente, cest Eddy Roulet qui a conceptualis cette approche travers le dveloppement dune rflexion et de propositions susceptibles de rendre oprationnelle une pdagogie intgre des langues maternelle et secondes (Roulet, 1980), en sappuyant sur les recommandations issues du Symposium du Conseil de lEurope tenu Turku en 1973 sur les liens entre lenseignement de la langue maternelle et lenseignement dautres langues vivantes (cit par Roulet, 1980, p. 8). Lapproche propose par E. Roulet est fonde sur lhypothse quun lve apprendra dautant mieux un type de structure ou demploi en langue seconde quil en aura pralablement

    compris les principes en langue maternelle et que les instruments heuristiques mis en uvre pour dcouvrir ces principes dans la langue maternelle sont utilisables avec profit dans lapprentissage des langues secondes. (idem, p. 10). Cest sur de telles conceptions que se sont appuyes notamment, en France, Danile Bailly et Christiane Luc, pour proposer une dmarche concrte utilisable en classe qui consiste en une succession de phases (observation dexemples de production en langue premire (L1)- construction dhypothses sur les rgularits inhrentes cette langue vrification des hypothses en production ou au moyen dautres observations), travers un double mouvement de dstructuration (par rapport la langue premire) et de restructuration (en fonction de la langue apprendre). Cette dmarche prend pour cible des faits de langue qui rsistent plus fortement que dautres lapprentissage (pronoms personnels, interrogation, marqueurs de ngation, etc.) et, aprs ltape de conceptualisation, propose une mise en pratique immdiate pour mettre en relation rflexion mtalinguistique et exprience communicative. (Bailly et Luc, 1992 ; Luc, 1992). Paralllement, diffrentes formes denseignement bilingue ont t mises en place dans de nombreux pays, depuis plusieurs dcennies et avec des modalits dorganisation varies. On entend gnralement par enseignement bilingue des modes de scolarisation dans lequel tout ou partie des contenus disciplinaires sont dispenss dans au moins deux langues. Il ne sagit donc pas seulement denseigner plusieurs langues, mais denseigner dans plusieurs langues : cest le cas par exemple des classes bilingues francophones dans un certain nombre de pays, des classes europennes en France, des classes bilingues horaire partag en langues rgionales, de lenseignement interculturel bilingue en Amrique latine, etc. et de ce quon nomme

  • plus gnralement EMILE dans lespace francophone et CLIL dans lespace anglophone.11 Dans ce cas, lintgration didactique se construit de manire situe, en contexte , dans les activits dapprentissage scolaire ordinaire o on vit au quotidien les problmes de traduction, dinterprtation, o on cherche des relations entre les langues, des transparences, des dissemblances, des tymologies [] (Duverger, 2008, p. 26). Cest, dans la ligne de ces orientations, une exprience de DIL plus ambitieuse et plus grande chelle qui se dveloppe depuis les annes 1980 en Valle dAoste, sous la forme dune ducation bilingue gnralise, de lcole maternelle lenseignement secondaire, dans laquelle lalternance des langues est mobilise et lgitime comme ressource pour la construction des connaissances, la fois linguistiques et disciplinaires (voir pour une synthse Cavalli, 2005). La pluralit linguistique y est donc conue non seulement comme une finalit, ou comme une ressource supplmentaire, mais comme un principe cognitif, un socle qui permet dapprendre, de construire dautres concepts et de les construire autrement. Dans les modles denseignement bilingue, voire plurilingue lorsque sajoute dautres langues en avanant dans la scolarit, la question de la littracie se pose gnralement avec une acuit particulire, dans la mesure o lentre dans lcrit et le dveloppement de lcriture constitue un point central dans la rflexion mtalinguistique et, ce titre, est un enjeu important en matire de choix didactique (voir par exemple Hornberger, 2003).

    2.2. Et ailleurs ?

    Des formes de didactique du plurilinguisme ont vu ou voient le jour dans dautres parties du monde, mais souvent de manire moins volontariste et organise que celles dont nous avons pu rendre compte propos de lEurope, ce qui peut sans doute sexpliquer par des enjeux diffrents en matire de politiques linguistiques : le dveloppement dune didactique spcifique est sans doute perue comme moins urgente lorsque, sur place, la pluralit linguistique sexerce de facto. Nous pouvons toutefois donner quelques exemples de choix pdagogiques et didactiques qui pourraient se rapprocher partiellement de ce que nous avons dfini comme une didactique du plurilinguisme. Ces approches mettent en effet en uvre des dmarches organisant de faon conjointe ou articule plusieurs (le plus souvent deux, voire trois) varits linguistiques, en sinspirant le plus souvent, plus ou moins explicitement, voire consciemment, des orientations formules par Eddy Roulet au dbut des annes 1980 propos de ce quil nommait alors la pdagogie intgre (Roulet, 1980). Nous en proposons ci-aprs quelques exemples dans diffrents environnements, sans toutefois pouvoir en donner un aperu suffisamment diversifi, les publications sur ce sujet tant rares et difficiles daccs.12

    2.2.1. Le programme de bivalence au Brsil

    Depuis une quinzaine dannes environ se dveloppe au Brsil un projet de didactique intgre du franais langue trangre et du portugais langue maternelle plus communment appel bivalence , dont les principes ne consistent pas juxtaposer les enseignements des deux langues, mais bien les coordonner soit en les confiant un mme enseignant doublement comptent, soit en organisant la concertation et le dcloisonnement de manire construire une cohrence sur le plan la fois des contenus, des supports, des mthodologies, des terminologies utilises, etc. Le travail commun prvoit la planification des objectifs, squences et activits et dveloppe des prparations et des fiches pdagogiques rpondant ces exigences ; J. Chaves Da Cunha donne ainsi un exemple de fiche qui propose, aprs avoir partag la classe en deux groupes, de prsenter des consignes concernant des tches communicatives, en les formulant en franais pour un groupe et en portugais pour lautre, charge pour chacun de raliser lactivit dans la langue considre. Ce travail dbouche ensuite sur une comparaison des rponses

    11

    Respectivement : Enseignement dune matire par lintgration dune langue trangre et Content and

    Language Integrated Learning. 12

    Budach et Bardtenschlager (2008) notent ainsi par exemple que en Inde, lalphabtisation simultane dans

    plusieurs langues ET plusieurs systmes dcritures est une normalit , mais nous navons pu avoir accs aux

    sources nous permettant de rendre compte en dtail de ces pratiques.

  • donnes dans les deux langues, assorties des raisons pragmatiques des choix langagiers oprs (dans Chiss, 2001). Ce programme conoit lintgration de plusieurs langues dans une vise la fois communicative, mtalinguistique et socioculturelle, ce qui sinscrit dans les caractristiques dune didactique du plurilinguisme.

    2.2.2. de la pdagogie convergente la didactique intgre en contexte africain

    Dans le domaine francophone, cest lAfrique qui a t le sujet du plus grand nombre de travaux concernant une co-existence, voire une intgration de plusieurs langues (franais et langues nationales) dans lducation. Lexemple le plus connu est celui de la pdagogie convergente , exprimente depuis environ 25 ans au Mali (voir pour des dtails Trefault, 1999), dont on croit souvent quelle constitue un modle dducation bilingue mais qui relve davantage, selon Maurer (2004, 2007) et Chaudenson (2006)

    des fondements dune pdagogie active de type Freinet , dans laquelle on fait coexister le franais et une langue nationale selon des principes mthodologiques communs (essentiellement ceux de la mthodologie SGAV mtins dapproche communicative), mais sans penser larticulation, dun point de vue linguistique et didactique, des apprentissages langagiers dans leurs diffrences et leurs complmentarits ; il sagirait plutt dune forme de bilinguisme transitionnel prcoce (Chaudenson, 2006, p. 132) visant favoriser le passage au franais de scolarisation que dune ducation plurilingue au sens o il est entendu ici. Quelques travaux rcents plaident pour un renouvellement de ces expriences africaines, afin quelles voluent dans la voie dune convergence linguistique (Maurer, 2007, p. 48) ou dune didactique linguistique convergente (Chaudenson, 2006, p. 105), dans des formes la fois plus souples, plus ralistes et plus diversifies de didactique intgre (Maurer, 2007).

    2.2.3. Quelques initiatives dans les aires crolophones

    En lien avec les interrogations sur la diffusion du franais en Afrique ainsi que dans lOcan indien et la Carabe, un projet de recherche et dintervention est mis en oeuvre depuis 2006, avec le soutien de lOrganisation internationale de la francophonie, pour rflchir aux caractristiques particulires dune didactique du franais en milieu crolophone qui mobilise les relations particulires que peuvent entretenir le franais et les croles, mais aussi pour intgrer cet enseignement dans les systmes ducatifs en prenant galement en compte, dans certains de ceux-ci (les Seychelles par exemple, voir Perreau, 2007), la prsence de langlais comme langue de scolarisation. Un des objectifs de cette initiative est de construire des matriels pdagogiques contextualiss tirant parti des proximits linguistiques et dautres familiarits ventuelles et de former les enseignants cette didactique plurilingue. Par ailleurs, des initiatives ont galement vu le jour lle de la Runion, pour imaginer des dmarches intgres du franais et du crole runionnais tenant compte du caractre fluctuant des frontires entre les varits linguistiques en prsence et de la frquence des pratiques interlectales. Cette prise en compte apparat comme une condition ncessaire la mise en place dactivits de classe entrant en rsonance avec les pratiques effectives des lves et de ce fait susceptibles de contribuer au dveloppement dune comptence adapter leurs discours la palette des situations quon souhaite quils puissent affronter (voir notamment Wharton, 2009). On peut sinterroger sur les raisons pour lesquelles, paradoxalement en apparence, la didactique du plurilinguisme a pris source et sest dveloppe trs majoritairement en Europe, au tournant du XXe et du XXIe sicle. Comme nous avons pu lvoquer diffrentes reprises, cest essentiellement partir des circonstances historiques et sociopolitiques que lon peut interprter cette mergence. LEurope est, historiquement, le lieu de naissance des nations unifies et, conjointement, de construction des langues nationales (voir Baggioni, 1997 ; Lodge, 1997) appuyes sur une idologie monolingue triomphante, mais linfluence de ces langues (comme celle des nations qui les portent) est actuellement en dclin, face la domination linguistique anglophone et lvolution dautres galaxies linguistiques (Calvet, 1999, 2002). En outre, se pose la question des formes dune citoyennet europenne multirfrentielle, difficilement conciliable avec le choix et limposition dune langue commune. Le dveloppement dune didactique du plurilinguisme en Europe apparat donc aujourdhui cohrente avec cette situation, mais peut-elle saffirmer comme LA didactique du plurilinguisme ? Ne faudrait-il pas plutt envisager la concomitance

  • de didactiqueS DES plurilinguismeS (voir Castellotti et Moore, 2009, en relation la diversit des situations et des modes dappropriation langagire ?

    3. Rflexions et perspectives

    3.1. Des interrogations terminologiques

    Il sagira donc de nous interroger sur le singulier ou le pluriel, tant pour didactique que pour plurilinguisme . Commenons par didactique(s) , pour lequel lusage que nous avons fait du (s) et de la / les dans notre texte a permis de percevoir nos hsitations, qui contrastaient avec le caractre rgulier du choix du pluriel pour approches plurielles . Cela sexplique par lhistoire mme du dveloppement de ces notions (voir ci-dessus). La notion d approches plurielles sest construite en tant que regroupement dapproches prexistantes, qui staient constitues paralllement les unes aux autres, sur des sous-ensembles du terrain didactique en grande partie distincts. Le fait que ces approches se sentaient en correspondance avec la notion de didactique du plurilinguisme qui slaborait par ailleurs, voire que certaines dentre elles aient pu tre prises pour lensemble de cette didactique (voir ci-dessus) ne change rien cette ralit. La didactique du plurilinguisme , quant elle, sest construite partir dune part de rflexions sur lacquisition, en tant quexigence gnrale darticulation entre la comptence en construction et les

    lments de cette comptence dj l chez lapprenant rencontrant, dautre part, des choix de politique ducative lis la construction europenne et la situation linguistique des langues dans cet espace. Dune certaine manire, la dmarche tait top-down , dune certaine conception des phnomnes en jeu la dfinition des caractristiques dune intervention. En tant que telle, elle avait toute les raisons de se sentir comme une . Dans le cadre des approches plurielles, des hsitations ont vu le jour, en particulier au contact de la problmatique curriculaire (voir Candelier, 2005) : dans la mesure o, dans un travail concret dlaboration de principes pour un curriculum dans une situation donne (la situation runionnaise), on pouvait constater que [frquemment,] lapproche qui convenait au cas de figure choisi ou ltape concerne relevait certes de telle approche plurielle, mais aussi un peu de telle autre (ibid., p. 433), la tentation tait trs grande de franchir le pas et de considrer que ces approches plurielles diffrentes ne sont que des concrtions particulires dune mme dmarche fondamentale (lapproche plurielle) . Si aujourdhui, lhsitation peut subsister, on peut penser quil sagit l dune tape sur un chemin qui, dans la perspective de la multiplication probable de curricula intgrs , par principe unificateurs, conduira prendre progressivement une distance par rapport des approches dont la diffrenciation en tant quunits distinctes naurait eu, finalement, que des raisons contingentes, voire des raisons tenant la propension

    historiquement dpasse de la didactique des langues penser de faon sectorielle. Si ce pas est un jour franchi, la question de lutilit de deux appellations distinctes didactique du plurilinguisme / approches plurielles , pourrait, en fonction du sens plus ou moins large quon veut bien accorder approche(s) (voir ci-dessus) se poser avec encore plus dacuit. La cohabitation des deux termes pourra apparatre, son tour, comme un hritage historique devenu sans objet. Mais leur rapprochement actuel implique quon considre prsent la didactique du plurilinguisme comme galement compose dapproches (les mmes a priori que les approches plurielles), ce qui constitue en soi une premire raison pour envisager de parler de didactiques du plurilinguisme au pluriel. Par ailleurs, une des caractristiques constantes des propositions pour lducation plurilingue et lducation pluriculturelle est laffirmation de la ncessit de tenir compte, pour laction didactique, de la diversit des contextes o elle sinsre. Et ceci dautant plus facilement que la didactique des langues a dvelopp y compris en dehors des courants lis la didactique du plurilinguisme de nombreuses modalits dintervention qui permettent des choix, formulables en termes doptions (ou scnarios) curriculaires (voir par exemple Conseil de lEurope, 2001, p. 129-132 ; Beacco et Byram, 2007, chapitre 6, et en particulier p. 88-89 ; Castellotti, Coste et Duverger coord., 2008 p. 23-31). Tout en englobant des considrations plus classiques en didactique relatives aux besoins (quelles que soient les difficults conceptuelles et pratiques lies une telle notion), aux moyens matriels et humains mobilisables, aux cultures didactiques dominantes etc., le contexte prendre en compte dans le cadre

  • dune didactique du plurilinguisme, de par le principe mme qui les dfinit, est fortement dtermin par des considrations sociolinguistiques ayant trait aux usages situs des individus apprenants et des groupes dappartenance, et plus gnralement, en rfrence aux questionnements dvelopps dans le cadre des rflexions sur lducation plurilingue, aux reprsentations quils ont des varits linguistiques et culturelles (pour un exemple concret, voir Randriamarotsimba et Wharton, 2007). On y verra une seconde raison, cette fois fondamentale, et non lie lvolution historique de la didactique comme la premire, de parler de didactiques plutt que de didactique . Et aussi une raison de parler de plurilinguismes au pluriel, puisque les plurilinguismes de dpart (avant lintervention didactique) dune part, et les plurilinguismes viss ( construire / rellement construits par lintervention didactique) dautre part, sont lvidence divers. On veillera pourtant ne pas oublier ce que ces didactiques ont en commun qui fait leur unit malgr leur diversit et qui, justement, permet dinterroger de faon critique toute dmarche didactique actuelle, dans quelque contexte quelle soit : la prise en compte, pour concevoir lintervention, de la nature plurielle de toute comptence linguistique.

    3.2. Plurilinguismes et appropriation : vers une comptence dappropriation plurilingue ?

    La construction et la mise en uvre dune comptence plurilingue et pluriculturelle, en tant quobjectif fondamental de didactique(s) du(des) plurilinguisme(s), conduit revenir sur ce qui, dans les