Chapitre 4. Les mutations économiques et sociales

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    Partie II La croissance conomique auXIXe sicle

    Les socits prindustrielles connaissent une croissance faible, de lordrede 0,5% par an et des crises profondes qui remettent souvent en cause latotalit des acquis antrieurs. Mais partir de 1720, la croissance sacclredans la plupart des pays dEurope occidentale, pour atteindre un rythmede 2% par an au cours du XIXe sicle. Ce rythme est, certes, modeste parrapport ceux du XXe sicle, mais il marque le passage un type nouveaude croissance continu et plus soutenu. Cette mutation conomique etsociale est due un phnomne que lon a pris lhabitude dappeler laRvolution industrielle . En ralit, il sagit dun phnomne complexe,et qui a rcemment fait lobjet dune complte rvaluationhistoriographique. Nous parlerons donc, de manire plus gnrale, des mutations conomiques et sociales du XIXe sicle .Le XIXe sicle est aussi marqu par un renouvellement total de la penseconomique, qui sexplique pour une part par les importantes mutationsque connat alors lconomie. La pense librale qui merge alors sedmarque en effet nettement de la pense conomique du Moyen Age. Ilconvient dinventer de nouveaux outils conceptuels pour penser et

    organiser le monde conomique nouveau qui merge la faveur desmutations du XIXe sicle.

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    Partie II Chapitre 4 : Les mutationsconomiques et sociales au XIXe sicle

    Introduction : Les mots pour le dire (une mise au point pralable sur lesconcepts)On a longtemps parl de rvolution industrielle pour dsigner leprocessus luvre en Europe occidentale, et dabord au Royaume Uni, partir des annes 1760-1770. Aujourdhui ce concept fait problme. Pourquelles raisons ?Le terme de rvolution est transpos du vocabulaire politique. Il exprimelide dune rupture majeure, dcisive, dun changement brusque etrapide. ce titre, lusage du terme de rvolution parat donc improprepour dsigner les phnomnes qui se droulent partir du milieu du XVIIIe

    sicle. En effet, ce que lon appelle traditionnellement la rvolutionindustrielle relve plutt dun processus continu dans le temps, unprocessus de changement en chane, avec des phases dacclration, puisde ralentissement.Dans les annes 1970-1980, on prfrait donc parler de croissanceindustrielle , pour marquer le caractre durable (et surtout pas soudainet fugace) du phnomne. En effet, le mouvement industriel, une foislanc, na pas cess depuis le milieu du XVIIIe sicle, mme sil nest, biensr, pas homogne (certains secteurs, certaines branches, progressentplus vite que dautres, et des ingalits apparaissent donc).Aujourdhui, on prfre utiliser une expression encore plus nuance et

    lon parle donc de mutations conomiques et sociales . Quest-ceque cela change ?

    1. On souligne ainsi que les volutions conomiques nont pasconcern que la seule industrie (et pour cause, les diffrentssecteurs interagissant, puisque lconomie peut tre conue commeun systme). Il parat vident que les innovations technologiquesnont pas concern que le secteur secondaire : la mcanisationtouche galement lagriculture et les campagnes, la hausse de laproduction concerne lextraction de la houille comme la culture dubl.

    2. On insiste sur les liens troits qui existent entre lconomie et lasocit. Dans la mesure o il ny a, videmment, pas dconomiesans agents conomiques, cest--dire sans hommes, les volutionsde lconomie vont avoir des consquences sur lorganisation mmedes socits. Par exemple, lindustrialisation gnrant un besoinconsidrable de main-duvre, les populations rurales vont treamenes sinstaller en ville. Le phnomne dindustrialisationsaccompagne donc, systmatiquement, dun phnomnedurbanisation. Ce mouvement de population a, videmment, enterme de destruction des liens sociaux traditionnels (dclin trs netde la puissance des propritaires fonciers). Il en gnre galement

    de nouveaux. On assiste lmergence de groupes sociaux onprfre cette expression celle de classe sociale :

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    - la bourgeoisie dentreprise, compose des responsables et desgestionnaires de lappareil de production renouvel, saffirme etdomine

    - le proltariat se dveloppe et sorganise- les couches moyennes de la population sont traverses par des

    courants contraires : ruine de lartisanat ancien, mais ascensiondes professions librales, mergence de la figure de lemploy(les gratte-papier qui peuplent les nouvelles de Maupassant).

    De la mme faon, lchelle plus micro de la famille, lentre dansle salariat de la population active fminine va avoir desconsquences sur les relations intrafamiliales.

    Il nous arrivera demployer indiffremment chacune de ces 3 expressions,par facilit, pour viter les rptitions. On insiste toutefois sur les nuancesimportantes qui existent entre ces diffrentes dnominations, quirenvoient chacune une apprhension diffrente du phnomne (leschangements conomiques et sociaux) et de la priode (le XIXe sicle), et une cole historiographique diffrente.

    Que se passe-t-il ? Quest-ce que la rvolution industrielle ? En quoiconsiste-t-elle ? O a-t-elle lieu ? Quand ? En quoi est ce une rvolution ? Quelles sont les causes et les consquences de laRvolution industrielle tant au niveau conomique, technologique quesocial ? Quelles sont les tapes de lindustrialisation ? Quelles en sont lesconsquences ?

    La Rvolution industrielleest un vnement majeur qui a boulevers lesquilibres conomiques et sociaux du XIXe sicle. Le point de dpart peuten tre dat avec une relative prcision dans les annes 1760-1770 auRoyaume-Uni.En 1760, lAngleterre est encore une socit pr-industrielle dont la basede lconomie reste agricole et rurale. Elle devient, grce la rvolutionindustrielle, incontestablement la plus grande puissance du XIXe sicle .Les contemporains ont dailleurs eu conscience de vivre une re demutations dune importance sans prcdent.En dpit de lanciennet du phnomne, cette rvolution a toujoursdes consquences dans notre monde contemporain : pays

    industrialiss (riches, dvelopps, les Nords) et pays en retard, pluttpauvres.

    I. Le sens de la mutation conomique

    A. Rvolution industrielle, croissance, processusdindustrialisation

    La rvolution industrielle prsente des aspects globaux qui sont

    gnralement bien connus : progrs de la technique, par phases(pousses de croissance technique), augmentation des chiffres de

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    production et de commerce, augmentation gnrale du niveau de vie dansles pays concerns.

    1. Les origines de la mutation

    La Rvolution industrielle nest pas la naissance de lindustrieni de la classe laborieuse. En Occident, un secteur industriel autonome,distinct de lagriculture existe depuis le Moyen-ge : il se diffuse au coursde la renaissance urbaine aux XIe XIIIe sicles, en Flandre et en Italie duNord, puis dans la quasi-totalit de lEurope occidentale aux XIIIe XIVe

    sicles.

    Lartisanat urbain des mtiers : premire forme dindustrialisation delOccident

    Les activits de transformations spares de lagriculture se localisentdans les villes (sparation gographique trs nette entre villes etcampagnes).Le travail se divise en branches ou sous-branches en fonction des matires transformer (Ex : mtiers du bois, du textile, du mtal) ou des besoins satisfaire (alimentation, habillement, btiment). chaque sous-branche ou stade de travail correspond un mtier bien dlimit avec sesproducteurs spcialiss (Ex : dans lindustrie du bois, il y a le bcheron, lescieur de long qui dbite les troncs en planche, puis le menuisier).La production se fait en atelier concidant avec le domicile de lartisan etne regroupant quun personnel et un outillage limits (loutillage se

    perfectionne toutefois avec la spcialisation des mtiers).La majorit des producteurs sont propritaires de leurs moyens deproduction.Ces producteurs sont donc des artisans urbains indpendants quitravaillent pour la vente sur un march de consommation urbain et sur le plat pays , la campagne environnante. Au niveau dune ville et dunmtier, les ateliers autonomes se regroupent dans le cadre duneinstitution professionnelle statut semi-public appele mtier, guilde, jurande ou corporation. Cette institution contrle et rgule la petiteproduction dans une triple logique :

    - dfense du mtier contre toute concurrence externe ou interne

    - rsistance la concentration conomique et la main mise decapitalistes (dfense de son indpendance)

    - reproduction dun systme de petits producteurs indpendants(formation des jeunes apprentis, le plus souvent dans le cadrefamilial, de pre en fils)

    Ce systme se maintient jusqu la fin du XVIIIe sicle. Lartisanat peutaussi tre rural.

    La proto-industrie

    partir des XVIe

    XVIIe

    sicles, la production industrielle commence merger en Occident dans une branche fondamentale : le textile. Cette

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    production se dveloppe dabord dans le cadre dun systme distinct delartisanat classique : le systme de la fabrique ou de la manufacture :cest ce quon appelle la proto-industrie (terme de lhistorien amricainFranklin Mendels, 1972).Dune part les travailleurs, sils sont toujours en majorit des artisans

    domicile, sont dsormais des artisans dpendants : ils ne sont plus matresni de leurs matires premires, ni du produit de leur travail quils nepeuvent pas vendre sur le march. Dsormais, ils transforment unematire premire quon leur donne travailler en change dun prix defaon qui est en fait un quasi-salaire.Dautre part, les artisans dpendent dune personne centrale (le matredrapier par exemple ou le marchand-fabricant ou le fabricant) qui estlentrepreneur, acheteur, possesseur de la matire premire + distributeurdu travail + contrleur de lensemble du processus de transformation etenfin vendeur du produit fini sur le march pour son seul compte avecrecherche de profit. (Ex : Lyon les soyeux sont des fabricants et fonttravailler des tisseurs, les canuts) Ce marchand-fabriquant qui domine laproduction est donc dj un entrepreneur capitaliste car il est le dtenteurdes capitaux.La proto-industrie se dveloppe le plus souvent en dehors des villes pourcontourner lobstacle de lartisanat corporatif. Le travail industriel sediffuse donc dans les campagnes o la main duvre est surabondante,docile et bon march (immense rservoir humain rural). Ce mouvement deruralisation du travail manufacturier devient une tendance gnrale auXVIIIe sicle dans toute lEurope. (Ex : la fabrique de toile de lin dePicardie fait travailler, vers 1780, 60 000 fileuses, 6000 tisserands sous la

    domination de 15 20 marchands-fabricants urbains, le tout dans unrayon de 10 lieues autour de Saint-Quentin).Le dveloppement de la proto-industrie a des implications sociales. Il faitsurgir ct de la vieille bourgeoisie ngociante ou bancaire, unebourgeoisie manufacturire, nouvelle classe dentrepreneurs, encoremarchands mais dj organisateurs de la production, employeurs decentaines ou de milliers dhommes.Une part de plus en plus importante de la population active travaille dansce secteur : 25% de la population active des Pays-Bas autrichiens (laBelgique actuelle) vers 1760-1780. Il sagit dun pr-proltariat disposantdune certaine qualification (plus ou moins importante), et assez dispers

    (donc peu organis pour sa dfense).

    2. La croissance conomique

    Walt Whitman Rostow (1916-2003) et le take-offLa croissance est laugmentation rapide, soutenue et de longue dure dela production relle par tte et les transformations correspondantes dansles caractristiques technologiques, dmographiques et conomiques

    dune socit. En 1960, lconomiste amricain WW Rostow a propos unmodle explicatif du passage lre de la croissance. Il a identifi

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    plusieurs phases dans lvolution des conomies modernes :- la socit traditionnelle incapable de croissance soutenue,- suivie du take-offou dcollage : phase dcisive, trs courte (2 ou

    3 dcennies) o joue limpulsion de quelques secteurs pionniers( leading sectors ) qui connaissent une mutation technologique

    rapide et permettent un bond en avant de lconomie- enfin, la croissance rapide auto-soutenue self sustainedgrowth )

    Rostow donne ainsi limage dune mutation conomique, pense commeune rupture brutale, dfinie avant tout en termes quantitatifs. Dautresconomistes comme Jan Marczewski en 1963 nient lexistence dunepriode de rupture brutale dans la croissance (par exemple dans le casfranais).

    Une croissance soutenueCroissance du PNB :

    1,5% par an en moyenne pour lensemble de lEurope entre 1800et 1890 (mais 2,3% pour le Royaume-Uni seul)4% par an pour les tats-Unis de 1840 1910

    Croissance de la production industrielle :2,6% par an pour le Royaume Uni de 1813 19143,2% pour la Belgique3,6% pour lAllemagne.

    Le produit total de lEurope est multipli par 4,5 de 1800 1900.Mais, attention, la croissance nest pas une nouveaut du XIXe sicle : ellea dj t trs importante auparavant. La croissance en soi ne suffit

    donc pas caractriser loriginalit conomique du XIXe sicle (mme sicen est une composante essentielle). Cest lacclration de la croissance,et notamment de la croissance industrielle, qui constitue un fait nouveau.Ce changement de rythme est surtout sensible au Royaume Uni ds1780-1800 et aux tats-Unis vers 1800-1840. Lhypothse du take-offpeutdonc tre en partie vrifie mais il ne faut pas en exagrer la brutalit.

    3. Une rupture du systme de production

    Rupture qualitative

    la base de cette acclration de la croissance, il y a un changementradical de la manire de produire dans lindustrie : loutil mani parlhomme avec son savoir-faire et son nergie musculaire se substitue peu peu au cours du XIXe sicle, la machine-outil, mcanisme articulpermettant la transformation de la matire premire et dont lemouvement est amorc par une force motrice (moulin eau puis machine vapeur) qui utilise une nergie inanime (nergie hydraulique, charbon). la fin du XIXe sicle, llectricit se rpand lentement comme nergie. Cepassage au machinisme (cest--dire la production mcanise) constitueune rvolution technique sans prcdent qui dfinit la spcificitfondamentale de la rvolution industrielle.

    Lusine moderne (appele fabrique au dbut du XIXe sicle ou factoryou mill en anglais) constitue aussi un nouveau type dunit de production.

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    Elle se caractrise par la concentration en un mme lieu dun nombreimportant de moyens de production (machines-outils et au moins unemachine motrice centrale) ainsi que des travailleurs ncessaires leurmise en uvre. Cest le passage de la production disperse en ateliersdomestiques la production techniquement concentre (passage du

    domestic system au factory system). Il faut nanmoins relativiser le degrde cette concentration technique au XIXe sicle.

    De nouveaux rapports sociauxLa production se caractrise par la sparation dsormais radicale entre lecapital et le travail. Autour de cette production se nouent de nouveauxrapports sociaux : Lusine, les moyens de production, les matires premires sont laproprit exclusive du ou des capitalistes qui ont fourni les fondsncessaires linvestissement, de mme que le produit du travail et leprofit dgag par la vente sur le march. Les travailleurs nont plus dsormais aucun droit ou contrle sur lesmoyens de production non plus que sur le produit de leur travail : ils sontsimplement vendeurs de leur force de travail aux possesseurs du capital,contre un salaire qui est le prix du travail sur le march. lartisanpossesseur de ses moyens de production succde donc le couplecapital/travail salari, cest--dire des rapports de production capitalistes.La Rvolution industrielle en tant que priode dapparition de la grandeindustrie est donc bien plus quune simple rvolution technique (due lacroissance du machinisme) ou conomique (apparition de la grandeentreprise, de la production techniquement concentre). Elle marque en

    fait une tape dcisive dans la formation et la mise en place du mode deproduction capitaliste par le dveloppement de lentreprise capitalistedans lindustrie.

    Une rvolution ingale et de longue haleineLa Rvolution industrielle doit tre perue comme un processusdindustrialisation qui implique la dure (plusieurs dcennies) et quicomporte des ingalits de rythme, des dcalages dans les diffusionsentre les rgions, les branchesCe processus comporte aussi une phase de coexistence souvent durableentre les formes nouvelles de la grande industrie et les formes proto-industrielles du travail dispers (y compris au sein dune mme branche).Le mot rvolution ne dsigne donc pas un vnement quon peut dateravec prcision mais une priode historique correspondant ce processusrelativement long. Certains auteurs prfrent parler d re industrielle ou d ge industriel .

    B. Lapparition dun nouveau systme de production

    Cest en Grande-Bretagne que le processus dindustrialisation a

    commenc dans le dernier tiers du XVIIIe sicle.

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    1. La rvolution cotonnireLa rupture a commenc dans le textile (prcisment dans le travail ducoton). La rvolution cotonnire constitue la premire phase de laRvolution industrielle entre 1770 et 1830.

    Pourquoi le coton ?Ds la 1e moiti du 18e sicle, le secteur cotonnier se prsente commeun secteur dynamique croissance rapide, entrain par une demandepressante et multiforme due la fois aux qualits spcifiques de la fibrede coton (faible cot de la matire premire, robustesse, lgret) et unphnomne de mode incontestable : cest la folie des indiennes :une vogue pour les toffes de coton imprimes aux coloris clatants,dabord importes des Indes par les grandes compagnies coloniales puisproduites en Angleterre. Cet appel du march est un facteur de lacroissance rapide de la jeune industrie.

    Rapidement des goulots dtranglement (notamment en matire demain duvre) apparaissent : seule laugmentation de la productivitpermet de rpondre la demande. En 1733, une premire innovationimportante se produit : un artisan bricoleur, John Kay, invente la navette volante (fly shuttle) qui amliore sensiblement le rendementdu mtier tisser traditionnel : pices plus larges, vitesse dexcution plusrapide). Le tissage des cotonnades va prendre une croissance rapide aprs1740.

    La perce technologique : mcanisation de la filature etnaissance du factory system

    A partir de 1750-1760, lexpansion de lindustrie cotonnire est menacecar la productivit insuffisante de la filature narrive plus alimenter letissage : il faut au moins 5 fileuses au rouet pour un mtier tisser. Lesfabricants se plaignent de la raret et du cot croissant du fil, et des dlaisde livraison qui dsorganisent la production. Pour rompre ce dsquilibreune seule issue est possible : linnovation technologique quipermettrait daugmenter la productivit.En 1765, un artisan la fois tisserand et charpentier, Hargreaves inventeune machine filer : la spinning-jenny permettant un seul ouvrierdactionner simultanment plusieurs broches et de produire plusieurs filsen mme temps. En 1768-1769, Richard Arkwright, un barbier, dposeun brevet pour un second type de machine filer : le water-frame .Enfin, en 1779, un autre artisan tisserand Samuel Crompton met aupoint un 3e modle, la mule-jenny qui ralise la synthse des deuxprcdents et permet de produire un fil la fois fin et rsistant. Sanscesse perfectionne, la mule-jenny sera la machine filer type du XIXe

    sicle.Cette rupture qualitative dcisive se manifeste de manire clatante : laproductivit par travailleur fait un bond en avant spectaculaire : laspinning-jenny multiplie par 10 la productivit par rapport un rouettraditionnel, la mule-jennypar 100. Corrlativement le prix de la livre de

    coton fil seffondre dans une proportion de 1 5 en 20 ans. La machinedArkwright, plus lourde et plus complexe exige une force motrice

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    suprieure la force humaine pour la mettre en mouvement : besoin de laforce hydraulique (do le nom water-frame pour la machine et de mill =moulin pour lusine).Le recours de telles machines motrices, relativement coteuses, na desens en termes de rentabilit que si on en utilise non pas une mais un

    grand nombre. Lapparition de la machine-outil fait surgir lexigence duneconcentration des moyens de production. De grands btiments enbriques sont construits au fil de leau ( proximit des moulins eau) pouraccueillir les machines et la main duvre : cest le factory system qui sedveloppe.

    La raction en chaneLa perce technologique voque sest produite dabord un stade duprocessus de transformation mais vu linterdpendance des diversesoprations, la rupture survenue au niveau de la filature va exercerrapidement des effets dentrainement en amont et en aval de latransformation du coton. Ainsi, ds la fin du 18e sicle, la mcanisation estgnralise. Aprs le filage, cest le tissage qui est lobjet dinnovation : en1785, Edmund Cartwright, un pasteur inventif, met au point un mtier tisser mcanique m par la vapeur : le power-loom . La productivit dutissage est galement multiplie par 5.Ainsi dans les annes 1820, mme si le travail manuel na pascompltement disparu, lindustrie cotonnire anglaise est devenue uneindustrie mcanise dun bout lautre du processus de production.Celle-ci se concentre dans des fabriques : la grande industrie capitalisteest ne. Lindustrie cotonnire se dveloppe alors des rythmes sans

    prcdents : multiplie par 30 entre 1781 et 1831. Le taux de croissancese situe 5% par an dans cette priode avec un maximum de 6,5%. Avecde tels taux de croissance, lindustrie cotonnire britannique monte enpuissance dans lconomie du pays : le secteur passe de 0,5 % du revenunational en 1770 8% en 1812. Malgr limportance des gains deproductivit, les effectifs employs par cette industrie sont multipli par 4en 50 ans (les ouvriers travaillant dans les fabriques tant de plus en plusnombreux alors que lemploi domicile seffondre).Oriente ds le dpart vers les marchs extrieurs, lindustrie cotonnireest marque par une forte croissance des exportations X 10 entre 1780et 1800 (encore plus rapide que celle de la production multiplie par 3). Le

    taux dexportation (rapport exportation sur production totale) dpasse les50 % au dbut du sicle et atteint les 80 % la fin. Lindustrie cotonniredevient un secteur dcisif du commerce extrieur britannique enfournissant en 1830 la moiti des exportations du pays (1/3 vers 1870 cause du dveloppement des autres secteurs industriels). La Rvolutioncotonnire lance donc lconomie britannique vers la croissanceacclre.

    2. La filire lourde : sidrurgie, machine vapeur,chemin de fer

    Simultanment, la Rvolution industrielle spanouit partir dune 2nde

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    filire de transformation technologique, une filire lourde : lasidrurgie et les machines qui lui sont lies.

    Une rvolution du charbon ?Le point de dpart de ce second processus se situe dans le charbon, c'est-

    -dire les possibilits offertes (mais aussi les problmes) par cette sourcednergie nouvelle. Ds la fin du XVIIe sicle au moins, lAngleterre doitfaire face une crise de lnergie sous la forme dune pnurie relative debois ( cause des besoins croissants de la mtallurgie traditionnelle et desconstructions navales). Le bois est utilis comme nergie sous forme decharbon de bois. La rponse cette crise a rsid dans lutilisationsystmatique une nergie de substitution : le charbon de terre autrement dit la houille (ou charbon) abondante sur le territoirebritannique : Galles, Midlands, Lancashire, EcosseA partir du milieu du XVIIIe sicle, le progrs de cette rvolutionnergtique enclenche un ensemble de dveloppements technico-conomiques, soit directement par introduction du charbon commematire premire dans le processus de fusion des mtaux, soitindirectement par les progrs techniques pour lextraction du charbondans les mines.

    Des innovations lies au charbonEn 1709, un matre de forge anglais Abraham Darby a lide desubstituer le charbon de terre pralablement grill et transform en coke un charbon de bois de plus en plus onreux afin de raliser la fusion duminerai de fer dans un haut fourneau. Progressivement, le procd de

    fabrication de la fonte du coke simpose de 1750 1790 : 90% de la fontedu coke est produite selon cette technique cette date. Un nouveauproblme se pose : comment convertir en mtal plus rsistant cette massede fonte croissante ? En 1784, Henry Cort apporte une rponse ceproblme en mettant au point le procd du puddlage , c'est--direlaffinage de la fonte sur feu de coke dans un four. Le fer en fusion ainsiobtenu est ensuite travaill au laminoir entre des cylindres.En 1769, lcossais James Watt, dot dun gnie inventif reposant surune solide culture scientifique, invente la machine vapeur grce auprincipe du condenseur. Celle-ci utilise la pression de la vapeur commeforce motrice, ralisant ainsi des gains spectaculaires de puissance etdconomie de combustible. La premire machine vapeur de Watt estinstalle lanne daprs dans une mine cossaise comme pompe pourvacuer leau qui scoule dans les galeries. En 1781, J Watt dpose unnouveau brevet, celui de la machine double effet, capable de produireun mouvement circulaire. Ce perfectionnement est dcisif car dsormaisla machine vapeur peut devenir une machine motrice universelle : elleest capable dentrainer ou de mettre en mouvement toute sorte demcanismes ou de machines et donc de se substituer au moulin eau.Ds 1785, un filateur du Lancashire installe une machine de Watt pouractionner des mule-jennies. Lavnement de la machine vapeur

    couronne ainsi tout le processus de mcanisation dj amorc : il fournitdsormais toutes les activits une force motrice artificielle,

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    indpendante du site naturel de limplantation industrielle, sans limitationde puissance car utilisant un combustible abondant et transportable : lecharbon.Le chemin de fer est n dans la mine de charbon pour rsoudre lesproblmes dvacuation de grande quantit de ce produit. Ds le 18e

    sicle, des rails en bois sont utiliss pour la circulation de wagonnets dansles galeries des mines. Vers 1760, on remplace les rails en bois par desrails en fer mais la traction est toujours animale. La mise au point de lamachine vapeur mouvement circulaire vient au bon moment pourfournir au transport sur rail la machine motrice dont elle avait besoin.Dabord utilise comme machine fixe faisant fonction de treuil, elle va treadapte sur un chariot mobile circulant sur les rails : cest linvention de lalocomotive (due lingnieur anglais Stephenson vers 1810-1815). Lapremire ligne de chemin de fer est construite en France entre Saint-Etienne et Andrzieux en 1823 : il sagit dun tronon de quelqueskilomtres servant lvacuation du charbon de la mine vers la villevoisine. Mais ce nouveau moyen de transport se dveloppe vite :linvention de la chaudire tubulaire par le franais Marc Seguin vers1826-1827 permet daccrotre considrablement les performances de lalocomotive (en puissance, vitesse et consommation). En 1829, la Rocket de Stephenson atteint la vitesse de 45km/h avec une charge de20 tonnes. Lanne daprs est ouverte la ligne Manchester-Liverpool quimarque lvnement du chemin de fer comme moyen de transportuniversel, caractristique de la nouvelle re technique et de la civilisationmcanique qui se profile. Paralllement lamricain Fulton adapte lamachine vapeur pour le transport sur leau : cest le steamboat.

    Ces diverses inventions doivent tre vues comme interdpendantes carelles sont ncessaires les unes aux autres et constituent donc unesphre technique (expression de lhistorien Louis Bergeron, 1978.) Lesprogrs techniques dans la sidrurgie et la mtallurgie sont lis auxavances de la machine vapeur : par exemple, cest elle qui permet lasoufflerie de lair ncessaire la combustion dans les hauts fourneaux.Cest aussi elle qui permet la mcanisation du travail du mtal aprs safusion en mettant en mouvement les laminoirs et le marteau pilon inventen 1839. De la mme manire, seule la machine vapeur rend possible ledveloppement grande chelle de lextraction charbonnire enpermettant le pompage de leau grande profondeur et surtout pour la

    remonte mcanique de milliers de mineurs et de centaines de milliers detonnes de charbon.

    Lmergence de lindustrie lourde moderneLa gnralisation des procds de fusion de fonte au coke et lintroductiondu procd de puddlage permettent aux matres de forges de rpondreenfin la demande qui slargit : dbut de la mcanisation de lindustrietextile, agriculture en transformation, commandes darmement (artillerienavale et terrestre) encourages par les guerres napoloniennes jusquen1815. Ainsi, la croissance de la production sacclre : elle est

    multiplie par 4 entre 1788 et 1806. Cet essor de la mtallurgiesaccompagne ds cette poque de la cration dune industrie moderne de

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    constructions mcaniques : mtiers filer, tisser, machines vapeurLa Grande-Bretagne semble entrer dans un nouvel ge du fer . Mais audbut du XIXe sicle, la sidrurgie garde un poids modeste dans le PNB : 6% en 1805, 3,6 % en 1831. Ce nest pas encore un secteur moteur delconomie contrairement au textile car la demande reste insuffisante.

    Cest seulement aprs 1830 que commence une deuxime phasedpanouissement de lindustrie lourde. Le dclic, dordre conomique,se situe du ct de la demande : lindustrie lourde trouve enfin undbouch de masse qui lui manquait : le chemin de fer. Avec le dbut de lre ferroviaire , lindustrie lourde va connatre un fortdveloppement : on parle de boom ferroviaire ou de railway mania .10 000 km de voies sont construites entre 1830 et 1850. Uninvestissement massif de 200 M de provoque un flux de commandes : ona alors besoin de milliers de km de rails, de milliers de tonnes de mtalpour les ponts, les gares, les aiguillages, de centaines de locomotives, demilliers de wagons Au paroxysme du boom ferroviaire vers 1845-1847,40% du fer nationale est destine la consommation ferroviaire. Dans ladcennie suivante, la Grande-Bretagne se lance dans lquipementferroviaire du monde : 370 000 km de voies installes en 1880. Laconstruction de rseaux ferrs stimule donc la demande en produitsmtallurgiques.Lapprofondissement de la mutation technique de la sidrurgie seffectueentre 1830 et 1875 : les procds Bessemer en 1856 par fusion partir dela fonte, Siemens-Martin en 1865, permettent de fabriquer en masse unmtal plus rsistant : lacier ; des prix comptitifs, en faisant des gains

    spectaculaires de productivit et des conomies de combustibles. Au RU,lextraction minire est multiplie par 6 entre 1830 et 1880, la productionde fonte est multiplie par 5 entre 1830 et 1875 et enfin, lascension laplus fulgurante est pour lacier : multipli par 10 entre 1860 et 1879. Lesecteur dactivit passe de 3,6% 11,5% du PNB entre 1830 et 1871 : elledevient alors une industrie motrice de lconomie.

    De nouveaux types de lieux productifs mergent : La mine avec ses paysages de chevalets pour remonter les cages,

    de terrils de dblais et dissimuls ses kilomtres de galeriessouterraines. Des milliers de gueules noires y travaillent : les

    hommes lextraction, les femmes et les enfants qui poussent leswagonnets. Ils vivent dans des corons, cits minires, concentrsautour des puits. La Grande-Bretagne compte 200 000 mineurs en1850, 500 000 vers 1880 et 1 M en 1900.

    Lusine sidrurgique alignant ses batteries de hauts fourneaux(15 20 mtres de haut), ses immenses ateliers rougeoyants (fours,laminoirs, marteaux-pilons) o les ouvriers, les mtallos saffairent dans une chaleur intense et des conditions de scurittrs prcaires. Certains sont peu qualifis (chargement,manipulations diverses), dautres sont trs qualifis (oprations de

    puddlage, laminage). Ils sont unis par la duret des conditions detravail.

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    Latelier de construction mcanique avec ses machines-outils,engins de levage, poulies, courroies de transmissiono les ouvrierstravaillent dans le bruit et le plus grand dsordre apparent. Cesouvriers apparaissent comme les mieux lotis, un peu les aristocrates des ouvriers en regard de leur qualification et de

    leur niveau de salaire.Une nouvelle gographie industrielle se met en place : les pays noirs concentrent les gisements houillers et proximit des mines, les hautsfourneaux, les forges, les laminoirs et les ateliers de constructionmcanique. Paysages de chemines en briques, de rseaux de canaux etde voies ferres. Autour se situent les interminables cits ouvrires.

    Un systme industriel cohrentTrois piliers fondamentaux :- une source dnergie hgmonique : le charbon qui joue un rlemajeur au cours du 19e sicle comme source dnergie puis commematire premire pour la sidrurgie (coke) et lindustrie chimique(goudron de houille va devenir la base de la chimie organique partir de1850 : fabrication de colorants artificiels).- Unmatriau de base : le fer (sous diffrentes formes : fonte puis acieraprs 1860). Cest le produit indispensable la nouvelle industrie : sans luipas de machine vapeur, de machine-outil ou de possibilit dedvelopper le chemin de fer.- Un moteur universel : la machine vapeur : convertissant lecharbon en nergie mcanique, elle permet le mouvement des moyens deproduction : machines pour lindustrie textile, machines-outils des

    constructions mcaniques, des souffleries et des nouveaux modes detransport.Lextraction charbonnire, la sidrurgie et les constructions mcaniquesforment la triade de base de la nouvelle industrie en fournissant lnergie,les matriaux, les machines (les biens dquipements) ncessaires toutes les autres branches. Leur panouissement dans le second tiers duXIXe sicle marquera la maturit de la Rvolution industrielle commenceun sicle plus tt dans lindustrie cotonnire.

    3. La formation de la classe ouvrireParalllement la naissance puis lessor de la Rvolution industrielle,une catgorie sociale nouvelle se forme dans les mines et les usines : laclasse ouvrire. Celle-ci se dveloppe au rythme de la mutationconomique qui en est le moteur.

    Le recrutement de la classe ouvrireDans le long terme on assiste un transfert de main duvre du secteurindustriel ancien vers le secteur moderne. Mais en fait, ce transfert a ttrs limit surtout pendant les premires dcennies de la Rvolutionindustrielle. Ainsi, les premires gnrations douvriers des fabriques sontcomposes dhommes nouveaux, venus dhorizons divers, mais qui

    globalement nappartenaient pas au monde de lartisanat ou de la proto-industrie.

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    Une partie importante de la main duvre est dorigine rurale (mme sion ne peut pas parler de foules de ruraux qui se prcipitent dans les zonesindustrielles). Lexode rural est favoris par lextension des rapportscapitalistes dans les campagnes : la suppression des terres communalesentraine en effet des difficults pour les paysans les plus pauvres. Dautre

    part, lassouplissement des lgislations rurales modifie le systmedassistance des indigents (ex : laccueil des pauvres sans travail par lesparoisses nest plus une obligation). En mme temps, la baisse des prixagricoles partir de 1815 augmente les difficults conomiques des petitspaysans propritaires. Lextension du machinisme dans les nouvellesfabriques entraine un dclin progressif des industries rurales domicile(notamment dans le secteur du textile). Enfin, la pression dmographiqueentraine une surcharge humaine dans certaines rgions. Tout celacontribue lappauvrissement de la petite paysannerie salarie oupropritaire partir des annes 1820 en Grande-Bretagne, ce quiencourage lexode rural. Tous ceux qui quittent la campagne ne rejoignentpas les usines car les villes attirent aussi pour les emplois tertiairesquelles offrent. Le phnomne est similaire en France, quoiquen retardpas rapport la Grande-Bretagne.La grande industrie naissante fait aussi appel limmigrationtrangre : une main duvre issue de rgions rurales appauvriesdEurope. Par exemple, les Irlandais partent travailler en Angleterre car lapopulation de lle a beaucoup augment entre 1820 et 1840 (6,8 M 8,5M dhab.) grce lintroduction de la pomme de terre qui loigne lespectre de la famine. De plus, les propritaires anglais des terresirlandaises tendent leur domaine : ce qui provoque une tension sur la

    demande de terres. Ainsi, vers 1844, lIrlande compte plus de 2 Mdindigents, soit prs du quart de la population. La grande famine de 1846-1847 due la maladie de la pomme de terre provoque une forteimmigration dIrlandais vers les zones industrielles de lEcosse,lAngleterre, et du Pays de Galles.

    Lessor dmographique de la priode 1780-1880 explique aussi lacroissance de la main duvre. Les hommes sont plus nombreux lacampagne mais galement la ville par croissance dmographique. LaFrance passe de 29 M dhabitants en 1800 36 M en 1850 (+24 %).LAngleterre et le Pays de Galles voient leur population augmenter de +90

    % entre 1800 et 1850. Cest surtout le recul de la mortalit en Europe quiexplique cette croissance spectaculaire. Ainsi lindustrie a trouv unrservoir naturel de main duvre.Le travail des enfants et des femmes est frquent : cest un travailfamilial qui ne constitue pas une nouveaut (cest le domestic system qui existait dj). Il assure une certaine lasticit dans la production etlamlioration du revenu des mnages. Mais ce travail prend de lampleurentre 1780 et 1830 dans de nombreux secteurs industriels (et notammentdans lindustrie textile : les femmes et les jeunes filles reprsentent prsde 70 % de la main duvre dans les filatures de lin). Dans les mines lesfemmes sont peu nombreuses au fond mais trs prsentes en surface pourle triage du charbon : 5 % du personnel des mines du Nord-Pas-de-Calaisen 1891. Il en est de mme pour les enfants, la diffrence que beaucoup

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    dentre eux, parfois trs jeunes sont utiliss au fond : en 1867, 15 % deseffectifs des mines du Nord-Pas-de-Calais sont des enfants. En effet, ilspeuvent se faufiler plus facilement dans les veines de charbon peu larges.La situation est identique en Belgique. La prsence des femmes et desenfants dans le travail industriel est une des images classiques de la

    lgende noire du 19e sicle. Elle rsulte du besoin pressant de mainduvre des entreprises, de la volont des employeurs de peser sur lessalaires (par la concurrence faite aux hommes), de la volont de dissuaderles grves (femmes et enfants sont moins organiss syndicalement) etenfin du besoin damortir les fluctuations conjoncturelles en disposantdune main duvre facile licencier.

    La proltarisation des ouvriersLe travail industriel d la mutation conomique prsente descaractres nouveaux par rapport au travail artisanal ou la proto-industrie : Travail en usine, c'est--dire en grande unit de production Sparation domicile- lieu de travail Promiscuit et tensions issues de la concentration dune grande

    masse dhommes en un mme endroit. Cadre de travail difficile supporter (enfermement, bruit, odeurs,

    humidit, chaleur)Le travail industriel est ensuite un travail dpendant de la machine quiest au centre de la production. Dans une mine, le travail dpend de rglesstrictes impliquant une division des tches : piqueurs, boiseurs Il ny adonc plus gure besoin de qualification professionnelle puisquon ne

    demande plus aucune initiative, aucune crativit, aucune indpendancedans le travail. Do un processus de dqualification de la force de travail(sauf pour les ouvriers qualifis de la sidrurgie ou de lindustriemcanique : mcaniciens, puddleurs) Ce type de labeur exige de suivrele rythme de la machine ou les normes dextraction : il faut travailler avecrgularit et continuit pendant des heures. Cest enfin un travail soumisaux exigences du profit car lentrepreneur cherche avant tout la rentabilitdes capitaux. Celle-ci implique laugmentation constante de laproductivit. De l, rsulte la double tendance :

    de lallongement de la dure de travail (suppression de ftes

    traditionnelles chaumes, lutte contre le Saint-Lundi jour de lasemaine marqu par un fort absentisme) lintensification du travail, c'est--dire laugmentation de la

    quantit de travail fournie par louvrier dans une unit de temps(suppression des temps morts, intensification du rythme de travail,des cadences)

    Ceux qui avaient travaill auparavant dans les campagnes commeouvriers agricoles sont habitus au rythme naturel du jour, la priodedes semailles et celle des rcoltes (travail intensif) avec entre temps desmoments dinactivit. Ils se trouvent souvent inadapts au travailindustriel moins de les former. Il sagit avant tout dun dressage de

    quelques jours pour habituer la main duvre aux nouvelles conditions :on apprend lassiduit, la rgularit, lobissance Pour arriver ses

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    objectifs, on peut amener le travailleur faire volontairement ce que lonattend de lui donnant une stimulation : primes dassiduit, de bonneconduite, promesse de promotion, salaire la pice (stimulantsmatriels). Le salaire dpend alors de la quantit et de la qualit dutravail. On peut aussi limposer par la contrainte et la discipline. La

    contrainte a une base juridique : cest lautorit du patron, lie laproprit prive qui lui confre un pouvoir de commandement incluantdroit de sanction et droit de licencier. Les personnels dencadrement sontles instruments de la contrainte. Ouvriers sortis du rang, attachs par desavantages matriels, ils sont chargs de faire respecter auprs des autrestravailleurs, lautorit du patron. Ils peuvent infliger des amendesdestines rprimer les retards, livresse, les abandons de posteCest souvent sur le terrain des conditions de travail (discipline, dure,rythme) qua commenc la rsistance ouvrire. Le mouvement social decontestation a dabord t un refus de la proltarisation et des normesquelle impliquait. La volont des ouvriers de ne pas dpendre uniquementde leur travail lusine ou la mine, de garder des revenus dappointgarant dune certaine libert financire et physique les a conduit essayerde conserver le plus longtemps possible une deuxime activit : cela les aconduits lutter contre lallongement du temps de travail. Cest le cas parexemple, des mineurs de Carmaux tudis par Rolande tremp. Cespaysans-mineurs se sont battus contre les modifications du temps detravail pour conserver la possibilit de cultiver leur lopin de terre. Cestainsi que de 1854 1870, la majorit des conflits sociaux Carmaux portesur la discipline, la dure et le rythme du travail (car les ouvriers veulentgarder de la force pour cultiver leur champ). Les 4 grves (victorieuses) de

    Carmaux de 1857 1869 ont eu pour but de lutter contre la volont de lacompagnie dallonger la dure du travail au fond.

    Le cot social de lindustrialisationLes conditions de travail des premires gnrations ouvrires sontcaractrises par laspect rpulsif du cadre de travail : image classique de lusine-bagne au 19e sicle o tout lenvironnement accentue lapnibilit du travail et la prcarit de la vie ouvrire. Ce sont surtout lesfemmes et les enfants qui ptissent de la vie dans lusine ou la mine.Lhumidit multiplie les cas de maladie pulmonaire ; les positions dans letravail entrainent des dformations du bassin et de la colonne vertbrale

    (ce qui rend les accouchements difficiles). Le mauvais allaitement etlabsence de soins postnatals accroissent la mortalit en bas ge. Lerythme de travail, les stations debout prolonges, le manque de sommeilou dair pur entrainent de nombreux troubles physiques chez les enfants :blocage de leur croissance, scolioses, cyphoses, dformations desjambesCes problmes sont accentus par laugmentation de la dure du travailimpose par les entrepreneurs dans la premire phase de la Rvolutionindustrielle. Les journes atteignent 13 14 heures de travail. Lesinnovations, telles que lclairage au gaz, permettent dchapper aux

    contraintes de la lumire du jour. Il en rsulte une dtrioration de ltatde la classe ouvrire sous les efforts physiques et nerveux (temps de

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    repos et de sommeil infrieur au minimum physiologique requis). Il ne fautpas ngliger non plus les difficults culturelles lies ces conditions devie : le temps pour les loisirs est rduit au strict minimum, ce qui empchetoute ouverture sur un autre horizon que celui du travail quotidien. Letravail des enfants rend la scolarisation impossible.

    Une lgislation se met en place progressivement pour rduire les abus.Une loi de 1833 interdit en Angleterre lemploi des enfants de moins de 9ans et fixe 8 heures la dure du travail pour les enfants de 9 13 ans et 12 heures pour ceux de 14 18 ans. Une loi en 1842 prohibe lemploi aufond de la mine des enfants de moins de 10 ans. Celle de 1847 fixe 10heures la journe de travail maximum pour les femmes et les moins de 18ans. En France, le dcret du 2 mars 1848 fixe 10 heures paris et 11heures en province, la dure journalire de travail. Mais larglementation sapplique avec beaucoup dlasticit, notamment enFrance : le dcret du 2 mars est abrog ds aot 1848. Il faudra attendrela fin du XIXe sicle pour voir se gnraliser la journe de 10 heures. LouisBergeron dans Lindustrialisation de la France au XIXe sicle, souligne lecaractre implacable du travail industriel qui a pour loi suprme lacontinuit de la production et la production du profit et que le travailleur[dans cet optique] na plus saligner sur les rythmes cosmiques oucorporels .La socit est donc profondment ingalitaire et notamment devant lavie. La mort frappe les enfants en grand nombre cause de la mauvaisesant de leur mre et des conditions dhygine et la nourritureinsuffisante. La mortalit infantile atteint 300 pour mille. Lesprance devie de la classe ouvrire est nettement infrieure celle des autres

    catgories sociales et milieux professionnels. Pierre Lon dans Histoireconomique et sociale du monde, donne comme esprance de vie Manchester au milieu du 19e sicle : 40 ans en moyenne et 24 ans pour lesmineurs (beaucoup denfants meurent jeunes et font baisser lesprancede vie moyenne). Lautre flau qui touche la classe ouvrire est celui desmaladies professionnelles : la tuberculose fait des ravages chez lesfemmes et les enfants des usines textiles, des maladies des yeux touchentles mineurs, des affections parasitaires provoquent des hmorragies.Laccident du travail est prsent quotidiennement et nourrit un sentimentdinscurit, dincertitude du lendemain. Les accidents mortels sontfrquents surtout dans les mines : Carmaux, il y a chaque anne entre

    1856 et 1912 entre 1 et 6 accidents mortels par an lexception de 4annes sans accidents mortels.Mais globalement, la situation des ouvriers samliore sensiblement partir de 1845 en Grande-Bretagne et partir de 1855 en France. Lemoteur de cette amlioration est la hausse peu prs continue du salairenominal qui aboutit un doublement du salaire rel sur un demi-sicle(notamment cause de la hausse deux fois plus faible du cot de la vie).Mais les crises cycliques (1817-1832, 1838-1841) ont entrain unchmage important qui a pu atteindre 25-30% de la population activedans certains centres industriels : ainsi les salaires moyens ont-ils alorsbaiss. Lhistorien Jacques Rougerie montre la stagnation ou la baisse dessalaires nominaux du proltariat ouvrier parisien entre 1820 et 1850 (avecun recul de la consommation alimentaire de viande et de vin, une pousse

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    du chmage en 1847 et 1848 et une forte mortalit due au cholra en1832 et 1849). Ainsi, cest louvrier qui a eu un travail continu qui a sansdoute vu son niveau de vie samliorer mais les diffrences entrebranches sont importantes.Lapproche sociologique de la classe ouvrire montre une vritable crise

    didentit du proltariat en formation au cours du 19e sicle. Crise dontles romanciers de lpoque comme Emile Zola dans Germinal, La btehumaine, Le ventre de Paris ou Victor Hugo dans Les misrables, Lestravailleurs de la mer ont rvl lexistence. Ils montrent la misrehumaine et la violence auxquels sont soumis les proltaires : alcoolisme,prostitution, criminalit, abandon denfants Louis Chevalier dans sathse : Classes laborieuses, classes dangereuses Paris dans la premiremoiti du XIXe sicle, montre le lien entre lalcoolisme et les conditions detravail ou lhabitat. Le cabaret est dans les quartiers ouvriers un lieu dedfoulement mais aussi le seul lieu collectif et attrayant, loin de lusine etdu logement insalubre et surpeupl. Cette dmoralisation des classeslaborieuses est lie la crise urbaine due lindustrialisation. Enfin, il y aaussi une crise de la cellule familiale dans les milieux ouvriers cause dela dissociation domicile lieu de travail, du salariat des femmes et desenfants et des horaires longs de travail (et parfois dcals entre lesmembres de la famille).

    C. Les causes de la mutation conomique

    1. Les limites des facteurs favorables

    La rvolution agricoleLongtemps la rvolution agricole a t considre comme essentiellevoire ncessaire la Rvolution industrielle. Lexemple anglais a servilinterprtation de K Marx. Il a vu dans le mouvement des enclosures lepoint de dpart dun exode rural massif. Ce mouvement touche despaysans, plus ou moins pauvres, propritaires ou non de leurs terres quimigrent vers les villes et qui constituent larme de rserve dont abesoin lindustrie naissante. De plus laugmentation de la productivitagricole et de la production, libre les capitaux ncessaires linvestissement industriel. La production assure aussi videmment, les

    besoins en nourriture des nouvelles populations urbaines. W. Rostow, dansLes tapes de la croissance conomique, 1970, soutient aussi lide selonlaquelle la rvolution agricole a t la condition sine qua non de lacroissance industrielle. Pour lui, lagriculture non seulement rend possibleet mme favorise la rvolution dmographique mais aussi elle engendreles nouvelles industries textiles et mtallurgiques en leur fournissant unegrande partie de leur capital et des entrepreneurs qui vont se lancer dansles nouveaux secteurs cls de lconomie moderne.Cette thse est aujourdhui largement conteste, ainsi que la notionmme de rvolution agricole. Dabord, les mutations agricoles ne

    surviennent que tardivement : 1830 en Grande-Bretagne et 1840-1850 enFrance (donc aprs le dcollage industriel ). En outre, les enclosures ne

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    sont pas vritablement lorigine de cette arme de rserve dontparlais K Marx, car elles nont pas vritablement engendres un vaste etrapide transfert de main duvre vers lindustrie. Les progrs delagriculture ont plutt accompagn la Rvolution industrielle. Ils nont past une condition pralable ni ncessaire la croissance conomique. En

    revanche, la mutation industrielle a sensiblement acclr lamodernisation et lefficacit de lexploitation du sol.

    La rvolution dmographiqueLa rvolution dmographique est galement apparue certains comme unlment dterminant pour expliquer la Rvolution industrielle. Cest un faitquil y ait une forte croissance dmographique la fin du 18e sicle et audbut du 19e sicle : dbut de la transition dmographique. Ainsi,producteurs et consommateurs, plus nombreux, auraient stimul lamutation conomique : la population double en Grande-Bretagne entre1750 et 1800, ce qui correspond la priode de forte croissanceconomique. La mme concidence se retrouve en Allemagne et aux EUdans les annes 1840-1850, en Russie dans la priode 1850-1900 pendantlaquelle la population double Les analystes marxistes voient dans lessordmographique, un lment de surpopulation des campagnes qui vafournir une main duvre abondante et donc bon march lindustrienaissante.Mais le lien direct entre rvolution dmographique et Rvolutionindustrielle nest pas si vident que les statistiques semblent le dire. Ainsi,la Grande-Bretagne na pas t le pays le plus dynamiquedmographiquement alors que son processus dindustrialisation a t le

    plus rapide et important dEurope. En plus les chronologies ne sont pastoujours concordantes et on peut estimer que les deux phnomnes ontinteragi lun sur lautre.

    Le rle des capitauxLaccumulation du capital (que Karl Marx appelle laccumulationprimitive du capital ) aurait aussi jou un rle non ngligeable enassurant des disponibilits financires ncessaires linvestissementindustriel. Lapplication pratique une grande chelle des innovationstechnologiques, la mise en uvre dans les usines de machines vapeur,la mcanisation de lindustrie ncessitent effectivement des financementsimportants. Ainsi, certains conomistes ont vu dans laccumulation ducapital une condition sine qua non de linvestissement et donc de laRvolution industrielle. Do viennent ces capitaux ? Le capitalismecommercial qui a prcd le capitalisme industriel a permis un transfertdes profits raliss dans le commerce et notamment dans le commercecolonial : Liverpool et son arrire-pays a bnfici de la traite desesclaves. K Marx dans Le Capital affirme ce fut la traite des ngres qui jeta les fondements de la grandeur de Liverpool : pour cette villeorthodoxe, le trafic de chair humaine constitua la mthode daccumulationprimitive de capital. Celui-ci arriva suant le sang et la boue par tous les

    pores . Dautre part, la rente foncire a donn naissance un appareilindustriel : par exemple, en France, les grands matres de forges sont

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    gnralement issus des grandes familles nobles de lAncien Rgime.Pourtant, il faut ramener de justes proportions les profits tirs ducommerce et de la traite ngrire. Le taux de profit de ce commerce estestim seulement 7 15 %. On estime que la place tenue par les profitsde la traite dans linvestissement consacr la rvolution industrielle

    slve 0,11 % par an. En outre, lorsquelle a exist, cette accumulationdu capital agricole et commercial na gure pu contribuer linvestissement industriel pour deux raisons : Linexistence ou linefficacit de lappareil bancaire dont les

    structures ne permettent pas dorganiser ce transfert financier endirection de lindustrie naissante.

    Lattrait considrable quexercent dautres placements assurant unescurit incomparable : achats doffices, fonds publics, acquisitionde terres

    Ainsi, en France, il y a un vritable dsintrt du capital commercial pourlinvestissement industriel.Enfin, on peut conclure la faiblesse des liens directs et troits entreaccumulation primitive et Rvolution industrielle en rappelant que lesinvestissements ncessaires au dmarrage conomique ont t trsrduits. Pour lindustrie textile, qui est la premire qui se dveloppe,lapport financier initial ncessaire la cration dune entreprise est faible.Dabord parce que ces entreprises sont au dbut de taille trs rduite etque les machines lpoque ne cotent pas trs cher. Les besoins encapital fixe sont rduits du fait de linstallation frquente des usines dansdes locaux dj existants (maisons particulires, fermes, hangars) Enoutre, de nombreux entrepreneurs ont plusieurs activits, ce qui leur

    procure des revenus suffisants pour investir leurs fonds propres. De lamme faon, au dbut de la Rvolution industrielle, les profits sont trshauts : 20 30% (grce aux faibles cots des techniques et de la modicitdu capital fixe). Or, ces profits sont systmatiquement rinvestis, dans lecadre dun autofinancement trs frquent. Lindustrie nourrit donc sonpropre dveloppement. Lindustrie anglaise, par exemple, a financ elle-mme lessentiel de sa mutation. Il faut attendre lre des chemins de feret de lindustrie lourde pour que les capitaux extrieurs soientncessaires. Le systme bancaire doit alors sadapter pour rpondre cesnouveaux besoins en termes dinvestissement. Cela se passera plusieursdcennies aprs le dcollage industriel.

    Le rle du contexte politique et socio-conomique- Max Weber dans LEthique protestante et lesprit du capitalisme, tablitun lien entre religion protestante et esprit dentreprise, entre niveaudinstruction et dveloppement conomique. Diffrents facteursexpliquent la mutation fondamentale des valeurs et des mentalits delindividu en Grande-Bretagne ds le dbut du 18e sicle : une monarchieconstitutionnelle stable et assez dmocratique, une politiquegouvernementale qui reconnait le profit individuel et le dveloppementconomique comme un objectif suprme... Ainsi, E.-J. Hobsbawn dans

    Lre des Rvolutions, pense que la Rvolution industrielle est le fruitultime des rvolutions bourgeoises qui ont juridiquement libr lindividu

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    en Angleterre. Aux tats-Unis, une thique puritaine et un darwinismesocial incarns par lvangile de la richesse constitue un lment quipeut passer pour essentiel de lindustrialisation amricaine. Profit etreligion sont donc lis : pour Rockfeller : gagner de largent est un donde Dieu comme linstinct artistique, musical ou littraire. Dj,

    auparavant, les physiocrates franais (Quesnay) ou les librauxbritanniques avec Adam Smith, les philosophes allemands avec Kant ontglorifi lindividualisme, le libralisme, linitiative et la circulation descapitaux ; tout cela aurait prpar lclosion du capitalisme industriel.Si ces facteurs politiques, idologiques ou culturels ont sans doute jou unrle non ngligeable, il ne faut pas pour autant les considrer commesuffisants. En fait, la croissance industrielle ne rsulte pas dune srie demodernisations sectorielles comme une succession de phases de progrs(agriculture, dmographie, commerce extrieur, capital accumul,technique industrielle, volution de la pense) mais comme unecroissance densemble qui lie tous les progrs de faon irrversible etinter relie (Fernand Braudel : Le Temps du monde, 1979.) Il existe doncun faisceau convergent dlments favorables la Rvolution industrielle.

    2. March, innovation, profit : les sources de la Rvolutionindustrielle

    Uneconomie de marchLe capitalisme suppose dabord, comme la montr North dans son tudesur La Croissance conomique des USA, 1790-1860, une conomie demarch. Daprs lui, le march est le moteur essentiel du changement

    conomique. A lorigine de la Rvolution industrielle, il y a lappel dumarch, c'est--dire la croissance acclre de la demande partir de1750. Cette extension du march seffectue dabord lintrieur des pays(importance de la croissance dmographique). Mais plus qu la taille dumarch, il faut sintresser sa structure. LAngleterre la fin du 18e

    sicle offre lexemple dun march de type nouveau : le plus grandmarch homogne du monde avec 2 caractristiques fondamentales :

    Une circulation aise car lAngleterre des annes 1760 1800 neconnait dj plus les douanes intrieures qui ralentissent lacirculation dans les autres pays europens et en augmentent lecot (comme par exemple dans la France dAncien Rgime). Elledispose galement dun bon rseau de voies de communication(3200 km de canaux et 1800 km de routes). Les zones ruralessintgrent rapidement lconomie de march grce la qualitdes voies de communication.

    Une consommation de masse dont lorigine se trouve dans la hausseconstante des revenus de larges factions de la population. Lessalaires, surtout pour la main duvre non qualifie, ont progressen valeur nominale de 20% Londres et de 50% dans certainesrgions comme le Lancashire. La Grande-Bretagne a le revenumoyen le plus lev dEurope au dbut du 19e sicle : les Anglais et

    les Gallois sont les mieux aliment dEurope (pain blanc, viande,produits laitiers). Le pouvoir dachat en hausse se greffe sur une

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    structure sociale plus galitaire quailleurs, ce qui favoriselaugmentation de la demande globale et un dbut destandardisation des biens de consommation. Avec la hausse desrevenus disponibles, la demande de biens de consommationaugmente (chaussures en cuir, habits en laine puis en coton,

    meubles).Jean-Pierre Rioux, historien, crit que au march ancien o les produitsde luxe sont absorbs par une minorit de privilgis se substitue lemarch moderne de masse, gographiquement et socialement tendu => il existe un modle britannique de consommation.Mais lappel du march vient aussi de la demande extrieure, cest--dire de la conqute par lAngleterre des vastes marchs coloniaux maisaussi des marchs europens. Elle dispose dune flotte de voiliers trsperfectionns, de ports bien amnags (Londres, Liverpool), decompagnies commerciales efficaces. LEtat encourage cet essorcommercial par la suppression des droits lexportation. LAngleterresassure la maitrise des dbouchs commerciaux en Europe dabord etsurtout ensuite en Amrique, en Afrique, en Orient et en Extrme-Orient.Le march chinois et surtout le march indien ouvrent aux produitsbritanniques des perspectives sans prcdent => vritable explosion de lademande (et notamment des cotonnades).

    Innovations et profitsLes entrepreneurs, marchands-fabricants, ont ragi en augmentant laproduction dans le cadre des structures traditionnelles (par le domesticsystem). Mais rapidement, cela na pas suffi assez : le goulot

    dtranglement de la fin du 18e

    sicle va susciter une vaguedinnovations technologiques destine la fois conomiser la mainduvre, rduire les cots et satisfaire la demande par laugmentationde la production.Laiguillon du profit (qui atteint parfois des niveaux remarquables), lapression de la demande font que les entrepreneurs ont accept le risquede linnovation, de laventure technologique do sortira lindustriecotonnire modernise et mcanise. Lexprimentation et lesinnovations sont dsormais appliques une grande chelle etprovoquent leur tour des perces technologiques en chaine, gnralisantla mcanisation.Conclusion : se constitue ainsi une dynamique de la croissance base surtrois piliers : lconomie de march, linnovation technique et la recherchedu profit. La socit entire est attire par lenrichissement. Plus que lescapitaux ou les prix, cest le march, intrieur et extrieur, avec sesprofits, ses appels, ses pressions qui devient llment moteur. Jean PaulRioux : Pour coordonner, pour accroitre la productivit et la rentabilitde la main duvre et des capitaux, pour maitriser les mcanismesconomiques nouveaux, un pari est ncessaire, un saut dans linconnu.Laccumulation des forces productives nouvelles est telle que des goulotsdtranglement se forment. Seules les rvolutions des techniques et des

    transports permettront lenvol vers le profit accru du capitalismeindustriel .

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    II. Un capitalisme ou des capitalismes ?

    A. Les voies nationales de lindustrialisation

    1. Le modle anglais : ralit historique et illusionthorique

    La Grande-Bretagne : point de rfrenceLa Grande-Bretagne, premire nation industrielle est un point de rfrenceoblig cause de lantriorit et de lavance de son dveloppementindustriel. Elle conserve cette avance jusque dans les annes 1860. Elleest le lieu dmergence de 90% des innovations techniques fondamentalesdes 18e et 19e sicles. Sa russite clatante fait de la Grande-Bretagne enmoins dun sicle, une conomie dominante lchelle mondiale (commele manifeste lExposition universelle de 1851). Avec 22 % de la populationmondiale, le Royaume-Uni consomme, vers 1860 : 27 % de lnergiemondiale, utilise 49 % du coton brut travaill dans le monde, produit 53 %du fer mondial => le RU apparait comme un modle jalous, redout etadmir.Ds la seconde moiti du 18e sicle, on constate une volontdimitationdu modle industriel anglais de la part de chefs dentreprises et deresponsables politiques. Ce processus dimitation vise au transfert detechnologie. De multiples voyages, enqutes, stages dingnieurs ont lieudans les rgions industrielles et les entreprises britanniques : les

    sidrurgistes franais, De Wendel, Eugne Schneider, Georges Dufaud fontle voyage en Angleterre au dbut du 19e sicle. Mais cest aussilespionnage industriel systmatique qui va permettre dimporter pardes moyens illgaux des brevets, techniques et plans de machinesmalgr linterdiction par la loi anglaise de lexportation de machines.Enfin, on assiste des dbauchages prix dor dingnieurs, inventeurs,spcialistes, ouvriers qualifis, mcaniciens britanniques. Nombres deces spcialistes dynamiques stablissent dailleurs leur compte etfondent des entreprises pionnires sur le continent. Ils contribuent ainsi la diffusion en profondeur des innovations en Europe. Par exemple, JamesJackson introduit la fabrication de lacier dans la rgion de Saint-Etienne

    en 1815, John Cockerill dbute la sidrurgie moderne dans le Bassin deLige en Belgique.Mais analyser lindustrialisation de tel ou tel pays en comparaison dumodle anglais et trouver des bons et des mauvais lves nestpas une dmarche trs pertinente. Car les processusdindustrialisation ne peuvent pas tre identiques sous prtexte quonutilise les mmes procds techniques. Les conditions internes des pays(facteurs de production, ressources naturelles, prsence de capital, detravail, configurations des marchs) entrent aussi en ligne de compte. Lesentrepreneurs locaux doivent sadapter aux conditions internes des agents

    conomiques du dveloppement. La chronologie, le rythme, les secteursdactivits, larticulation entre ancien et nouveau systme sont forcement

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    diffrents du modle de base. Ainsi, le dveloppement du capitalismeindustriel au 19e sicle, prend, malgr linfluence incontestable de laGrande-Bretagne, des voies nationales relativement originales vers lacivilisation industrielle. En plus, ce phnomne ne touche que deuxrgions du monde : lEurope du Nord-Ouest (Grande-Bretagne, Belgique,

    France, Suisse, Allemagne, Ouest de lEmpire autrichien) et le Nord-Estdes EU (triangle Boston-Chicago-Washington).

    Le processus dindustrialisation britanniqueLoriginalit du processus dindustrialisation britannique se manifeste

    par :- Son rythme : dabord explosif au dmarrage (1780-1800) :

    schma du take-off.- Son caractre radical cest die la substitution rapide et complte

    des techniques et structures nouvelles (factory system) auxanciennes : au moins dans les secteurs cls. Exemple : extinctiondu dernier haut fourneau bois en 1809.

    - Sa chronologie interne : deux phases : 1) le textile o lindustriecotonnire joue le rle de moteur de lconomie (1770-1830) ; 2)industrie lourde : sidrurgie et constructions mcaniques sontstimules par la demande massive au niveau ferroviaire.

    - Ses agents : rle dcisif dune multitude dentrepreneurs individuelsvenant de lartisanat ou du commerce (sans rle majeur de lEtat oudes banques).

    - Le rle fondamental des marchs extrieurs avec lorientationprcoce vers lexportation massive aussi bien de lindustrie textile

    (cotonnades) que mtallurgique ou mcanique (machines, matrielferroviaire, construction navale)=> Le RU est eu 19e sicle theworkshop of the world (lusine du monde). Son conomie est djprofondment insr dans lconomie mondiale : en 1870 : lesexportations reprsentent 22% du revenu national.

    2. Le bon lve belge

    Un dmarrage prcoceLa Belgique connait un processus dindustrialisation trs voisin du modleanglais. Il commence vers 1800-1810. La proto-industrie tait djprsente : textile en Flandres, extraction de charbon et mtal en Wallonie.Lindustrialisation est rapide puisque lessentiel de la transformation de lastructure se ralise entre 1800 et 1850. Daprs les indices pondrs (parsa population), la Belgique apparait ds le milieu du 19e sicle un niveaude dveloppement proche de celui du RU.Elle connait une industrialisation en deux temps : une premire phaseentre 1800 et 1830 voit le dveloppement de lindustrie cotonnire enFlandres autour de Gand (la mcanisation de la filature commence souslEmpire en 1805-1810) linitiative de pionnier comme Livin Bauwens.

    La mcanisation du tissage commence vers 1825 au prix de gravesconsquences sociales. La gnralisation de la machine vapeur date de

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    1835. La deuxime phase est celle de lapprofondissement delindustrialisation avec lessor de lindustrie lourde accompagne delextraction charbonnire en Wallonie (1e rgion productrice de charbondEurope entre 1840 et 1850). La construction de machines, la sidrurgiese dveloppent (1er haut fourneau coke en 1823 Seraing prs de Lige

    grce linstallation du britannique John Cockerill). Cette pousse concideavec la construction rapide du rseau ferroviaire qui est un stimulantessentiel (500 km de voies ferres construites dans les annes 1830).Le march extrieur joue un rle trs important. Le rle du marchextrieur est dautant plus important que la Belgique est un petit pays aumarch intrieur ncessairement limit. Lessentiel du commerce se faitvers la France et lAllemagne : exportation de charbon sur le marchfranais, dacier sur le march allemand.

    Les nuancesDe simples nuances : resserrement de la chronologie, tlescopage plusprononc des deux phases dindustrialisation, rle moteur plus importantde lindustrie lourde par rapport au textile.De vritables diffrences : lEtat joue un rle important dans la priode1800-1830 par sa politique protectionniste mais aussi par sesinterventions plus directes (subventions, investissements). Surtout, un rleessentiel revient partir de 1825-1830, des institutions capitalistes dunnouveau genre : les banques forme de socit anonymes (SocitGnrale en 1822, Banque de Belgique en 1835). Elles interviennentdirectement et puissamment dans lindustrialisation en investissant, enlanant et en finanant un grand nombre dentreprises minires,

    mtallurgiques, ferroviaires. Cette intervention directe du capital danslindustrialisation (exceptionnelle dans cette premire moiti du 19e sicle)est en fait une innovation.

    3. Le cas franais : semi-chec ou voie originale ?

    Le dcollage franaisAu premier abord, la France prsente bien, dans les deux premiers tiers du19e sicle, tous les signes dune Rvolution industrielle. On assiste unelarge diffusion des techniques nouvelles : apparition ds la fin du 18e

    sicle de la spinning-jenny, la 1e machine vapeur de J Watt estinstalle en 1779 Chaillot, le 1er haut fourneau au coke au Creusot en1785 Il ny a jamais eu de vritable foss technologique entre la Franceet le RU et ce dautant plus que nombreuses innovations sont doriginefranaise (mtier tisser Jacquard, chaudire tubulaire de Sguin, gazdclairage de Lebon La production est rapidement mcanise etconcentre (factory system comme en Angleterre).La mutation commence dans le textile. Sous lEmpire (1800-1810),samorce la mcanisation de la filature de coton : Paris (52 filatures,5000 ouvriers), Rouen et en Haute-Normandie, dans la rgion lilloise eten Alsace. Cette pousse dindustrialisation langlaise gagne ensuite

    lindustrie de base productrice de biens dquipement partir desannes 1820-1830, puis sacclre dans la priode 1845-1865 en liaison

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    directe avec lquipement ferroviaire intensif qui met en place le rseaufranais. Cette pousse industrielle saccompagne par lessor delextraction charbonnire sur le pourtour du Massif Central (Blanzy,Decazeville, Carmaux, les Cvennes et surtout le bassin de la Loire autourde Saint-Etienne : la production est multiplie par 5 entre 1815 et 1847,

    cest alors le 1er lieu de production en France). Vers 1850, cest le Nord quidevient la principale rgion productrice de charbon : 6 M de tonnes en1874.La sidrurgie se dveloppe partir de 1820 avec des forgesanglaises : affinant le fer la houille selon la technique du puddlage etle travaillant au laminoir). Les industries se localisent dans les viellesrgions de travail des mtaux du centre et de lest de la France (Chatillon-sur-Seine, Lorraine) et sur les bassins charbonniers du Massif Central et duNord (Le Creusot, Als, Decazeville, Denain) Le Creusot est pionnierdans la production de fonte par hauts fourneaux coke mais leur nombreva se multiplier principalement dans le Nord et en Lorraine (Hayange,Longwy) Leur nombre passe de 41 en 1849 206 en 1856. Lessor de laconstruction mcanique est d la demande ferroviaire pour la fabricationde locomotives et de wagons. De vastes ateliers de construction de cematriel sont construits Paris (atelier des Batignolles), Lyon (ateliersdOullins), au Creusot (Schneider), Mulhouse, Strasbourg, Lille. Cesateliers emploient chacun plus de 1000 ouvriers. Ils utilisent un matrielde pointe (machines-outils, presses) et apparaissent comme les symbolesde lge industriel nouveau. Des paysages industriels nouveaux commeles pays noirs du Massif Central et du Nord donnent voir terrils, hautsfourneaux rougeoyants, grandes usines, ateliers de mcanique, corons

    ouvriersAinsi, ds le milieu du 19e sicle, la France accde au rang de puissanceindustrielle majeure, autonome et commercialement comptitive (laseconde technologiquement derrire le RU). Lessor est le plus rapide dansles annes 1840 (malgr leffondrement brutal de la production desannes 1848-1851). Les exportations dcollent surtout aprs 1856 (untiers de la production exporte alors).

    Les limites de la rvolution industrielle franaiseLes rythmes de la croissance industrielle sont plus faibles que ceux duRU : 2 3% par an (nettement en dessous du rythme anglais de 3,5% par

    an de 1780 1850). De plus, il ny a pas de phase courte dacclrationbrutale marquant une rupture (pas vraiment de take-offcomme propospar Rostow).Malgr lmergence de grandes entreprises (Dollfuss-Mieg Mulhouse,Motte-Bossut Roubaix pour le textile, Wendel et Schneider pour lasidrurgie, Cail ou Koechlin pour la mtallurgie), latelier artisanal resteprdominant : en 1866 sur 4,7 M de personnes travaillant dans lindustrie :il y a 1,6 M de patrons et 3,1 M douvriers. De plus, malgr sa mutation,lindustrie ne parvient pas imposer nettement sa prminence au coursdu sicle. Ainsi dans la priode 1850-1880, le secteur industriel ne

    reprsente encore que 34% du PNB contre 54% pour lagriculture. Demme, le secteur industriel nemploie que 31% de la population active

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    contre 45% pour le secteur primaire : en Angleterre, le secteur industrielemploie 44% des actifs et le secteur primaire seulement 10%. Enfin,lurbanisation reste faible : 34% de la population en 1880 (contre 70% enAngleterre).Ces limites de lindustrialisation en France au 19e sicle, ont t longtemps

    interprtes comme des signes dun semi-chec ou comme le symptmedun retard dans le dveloppement industriel. Le rle excessif de lEtatcentralisateur, le protectionnisme touffant, lincompatibilit des valeurscatholiques traditionnelles et de lesprit capitaliste, la prudence despatrons qui cherchent plutt grer un patrimoine qu devenir desconqurants, ont t les explications avances pour expliquer ce retard.

    Un autre processus dindustrialisationMais on peut y voir aussi un style dindustrialisation la franaise .La croissance industrielle quoique modre suffit sur la longue dure faire de la France une grande puissance industrielle la fin du sicle.Autre particularit : les secteurs industriels moteurs sont plus diversifisquen Angleterre : la laine, la soie, les industries agro-alimentaires, le luxe,les industries lgres de biens de consommation jouent aussi un rleessentiel dans le schma franais. Enfin, le systme franais est dualiste :lindustrialisation seffectue en combinant le dveloppement destechniques nouvelles de production mcanise et concentre et lemaintien des techniques traditionnelles et du cadre de production proto-industrielle. Cette dernire apparaissant comme complmentaire delusine mcanise. Lusine mcanise et latelier relativement rural secombinent dans un systme original. Par exemple, dans le cas du secteur

    cotonnier, les indienneurs mulhousiens dveloppent dune part lafilature mcanise partir de 1802 et dautre part, le tissage rural ducoton dans la plaine et les valles vosgiennes. Cest la mme chose enHaute-Normandie et dans la rgion lyonnaise o lindustrie de la soie (1e

    branche exportatrice franaise au 19e sicle). La filature se mcaniseassez tt dans des entreprises moyennes, en revanche, le tissageseffectue dans le cadre de structures traditionnelles, la fabrique , c'est--dire de type proto-industrielle avec une masse de dartisansdpendants, les canuts, travaillant faon pour les puissants soyeuxlyonnais (maitres des capitaux et du produit fini). En 1877, il y a 60 000mtiers tisser Lyon et nombre similaire dans lespace rural de la rgion

    lyonnaise.Ce mode original dindustrialisation apparait comme une rponse adapteaux conditions conomiques et sociales auxquelles taient confronts lesentrepreneurs franais. Ceux-ci recherchent le profit et donclabaissement des cots. Face au problme des capitaux dabord, et linsuffisance et larchasme du systme de crdit jusque dans lesannes 1850, le choix du dveloppement dualiste permet de limiter lesinvestissements lourds aux seuls secteurs o la mcanisation estindispensable (la filature par exemple) et de reporter une partie des fraissur les artisans ruraux. Face au problme des ressources naturelles,

    dautre part, c'est--dire avant tout lnergie, le choix du maintienprolong dn vaste secteur textile manuel ou dun secteur de sidrurgie au

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    charbon de bois tient compte des ressources nationales disponibles :assez peu de charbon et du bois et de lnergie hydraulique bon march.Le refus du tout charbon sexplique aussi par une volont dindpendancepar rapport ltranger. Enfin, face au problme de main duvre, laFrance dont la population crot vite dispose de vastes rserves de main

    duvre sous-employes, principalement rurales. Ainsi sexplique le choixlogique de la dispersion la campagne dune partie du travail industriel.Les entrepreneurs y trouvent des avantages : cot plus bas dune mainduvre semi-paysanne cherchant souvent un revenu complmentaire,docilit plus grande dune main duvre isole, inorganise, souventfminine, souple dutilisation face aux alas de la conjoncture (lelicenciement nest pas ncessaire, il suffit dinterrompre la fourniture detravail faon). En plus la petite paysannerie franaise est trs attache la proprit de la terre depuis la Rvolution franaise de 1789. Alors quenAngleterre le processus des enclosures a expropri des paysans djproltariss et peu attachs la terre.Pour finir, on peut voir dans ce systme dualiste, une volont politique defreiner la concentration ouvrire dans les villes afin dviter les menacesdexplosions sociales qui hantent les dirigeants des annes 1815 1870 (Restauration puis second Empire (soulvements de 1830, 1848 Paris qui renversent Charles X, puis Louis Philippe Ier, rvolte des Canutslyonnais en 1831 et 1834). Le modle dindustrialisation dualiste prsentepour certains hommes politiques lavantage de maintenir les barbares potentiels largement disperss la campagne, isols et soumis aucontrle social traditionnel. Cest dailleurs aprs linsurrection de 1831-34 Lyon que sacclre lclatement de la fabrique de la soie dans la

    campagne environnante : simple concidence ? Choix conomique ouchoix politique ?

    4. La russite allemande : protectionnisme et transferts detechnologie

    Bien que plus tardive, la Rvolution industrielle en Allemagne se produitdans les annes 1840-1860 grce la ralisation dun certain nombre deconditions qui freinaient jusqu alors le dveloppement industriel. Il existedes rgions industrielles en Allemagne depuis la fin du 17e sicle :

    Rhnanie-Westphalie autour dAix-la-Chapelle (textile, houille, sidrurgie),Saxe (charbon), Silsie charbon et fer). La machine vapeur fait uneapparition timide dans les annes 1820.

    Les facteurs de lindustrialisationQuatre lments vont dclencher lessor industriel : la diffusion du progrstechnique, laccroissement de la demande, laugmentation des capitauxdisponibles, le protectionnisme.- La diffusion du progrs technique sest faite essentiellement grce auxtransferts de technologie et de techniciens venus principalement de

    Grande-Bretagne et dans une moindre mesure de France. Bien quinterditejusquen 1825, lmigration dartisans puis de techniciens britanniques, a

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    t un phnomne massif en Allemagne. Ainsi, des machines vapeur etdes machines-outils sont importes dAngleterre, puis des modles demachines partir de 1842 (suppression de linterdiction dexportation).Ces transferts sont amplifis dans leur effet pratique sur le tissu industrielpar la cration en 1820 des instituts techniques de Berlin et dans le reste

    de la Prusse. Le rle de lEtat est cet gard primordial car il cre cetteinfrastructure ducative dans le but dintroduire les techniques nouvelleset de les diffuser.- Laccroissement de la demande rsulte dabord de la ralisation delUnion douanire (Zollverein) en 1834 sous lgide de la Prusse. Cetteentente regroupe 25 Etats comptant 26 M dhabitants. Lunion douanireabolit les tarifs intrieurs et unifie ce territoire vis--vis de lextrieur enen faisant un vaste march commun. Celui-ci continue de sagrandir paradhsions successives jusquen 1866. La suppression des barriresdouanires donne un incontestable coup de fouet la consommation etdonc lindustrie. Cette unit se trouve conforte par le dblocage desmarchs conscutifs lessor des communications et notamment deschemins de fer.- Avant le Zollverein, le morcellement politique tait un obstacle certain la rapidit et au faible cot des transports (taxes et droits payer chaque frontire intrieure. En Allemagne, les obstacles naturels (massifs,valles) morcellent le territoire et entravent la circulation est-ouest. Lesdeux principaux axes fluviaux (Rhin et Danube) sont divergents ce quicompartimente encore plus le pays. Mais la voie deau reste le seul moyende grande communication. Avec la ralisation du Zollverein, la volont dedvelopper le chemin de fer anime un vaste mouvement dopinion

    autour des libraux dont lconomiste Frdric List. Favorable aulibralisme lintrieur dans le cadre de lunion douanire, maisprotectionniste vis--vis de lextrieur afin de protger lindustrieallemande naissante, F List pense que le chemin de fer est essentiel lamise en valeur des territoires intgrs allemands. A partir de 1844, leslignes rayonnent partir des grands centres urbains et lunificationsamorce sous linfluence de la Prusse : lAssociation des chemins de ferprussiens unit toutes les compagnies rgionales sous lgide duGouvernement. Ds lors, toutes les voies ont le mme cartement, lestarifs sont unifis de mme que les transits avec ltranger. Le rseaupasse de 300 km de voies ferres en 1841 2000 km en 1847, 14 000 en

    1865. Ainsi la voie ferre apparait comme llment de base de laconcrtisation des objectifs conomiques et commerciaux du Zollverein.Elle modifie compltement laspect de lAllemagne. Dautre part, lesprogrs agricoles sont perceptibles ds 1830. Lessor rapide de lconomietrouve dans laccroissement dmographique une source de gonflement dela demande. Malgr une forte migration et une mortalit leve,lAllemagne passe de 25 35 M dhabitants entre 1815 et 1845 (+38%) et 40 M en 1870, grce un taux de natalit trs lev.- La construction des chemins de fer donne un coup denvoi dunepolitique de drainage des capitaux au profit du dveloppementindustriel. Cela se traduit par lessor des socits par actions et du crditbancaire. Une fois passe, la crise politique et conomique de 1848 quisecoue lAllemagne, le mouvement repart vers 1853. Les grands secteurs

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    industriels (mines, mtallurgie) et les banques voient affluer les capitauxaccumuls depuis de longues annes et striliss par les difficultspolitiques et les incertitudes conomiques. Lessor du systme bancaireassure un drainage efficace de lpargne vers les emplois industriels. Lacration de le Banque pour le commerce et lindustrie en 1853

    Darmstadt, lance un vaste mouvement de cration de banques daffaires.Ces banques allemandes mlangent les tches de banque de dpt, debanque daffaires apporte un concours trs efficace au dveloppementindustriel. Enfin, lafflux de capitaux trangers (belges, franais, anglais)vient gonfler linvestissement industriel, partir de 1840 dans lescharbonnages.- En rservant lindustrie allemande le march du Zollverein audtriment de la concurrence trangre (et notamment anglaise), leprotectionnisme constitue un facteur essentiel de lessor industriel. Trsmodr, le tarif prussien de 1821 est adapt par le Zollverein sa crationet il reste en vigueur jusque dans les annes 1840. Le mouvementprotectionniste se dessine partir de l pour parer la menace anglaisedans la sidrurgie et le textile. Les rcriminations contre la concurrencetrangre deviennent alors de plus en plus nombreuses. Il en rsulte demultiples manipulations du tarif douanier qui cre de nouveaux droitsdentre des produits trangers.

    Lampleur de lessor industriel allemandLe bassin charbonnier de la Ruhr connait un essor rapide. La loiprussienne de 1851 qui permet loctroi de concessions tendues et rduitla fiscalit encourage cet essor. 3 grands bassins en pleine expansion

    fournissent lessentiel de la production (19 M de tonnes en 1865 ; RU : 85M de tonnes ; EU : 21 M de tonnes ; France : 9,4 M de tonnes ; Belgique :8,5 M de tonnes). A cette poque, les besoins allemands sont couverts entotalit par la production nationale et 10% de la production est exporte.La mcanisation progresse elle aussi trs rapidement dans divers secteursindustriels (mines, mtallurgie, constructions mcaniques, textile, scieries,navigation, chemin de fer...) Les locomotives, machines-outils, machines tisser ou filer, les machines agricoles sont produites en grand quantit partir de 1860. La Prusse et la Saxe concentrent 90% des machines vapeur du Zollverein. Dans le textile, le dmarrage est cependant plus lentcar les premiers mtiers tisser mcaniques napparaissent quen 1844

    pour lutter contre la concurrence britannique. Dans la mtallurgie, lademande par la consommation intrieure devient de plus en plusimportante cause des besoins en fonte et en acier. Dautant plus qupartir de 1840, la hausse des droits de douane sur la fonte permet de faireface linvasion du fer anglais en protgeant la production nationale.Par rapport au RU, la France et la Belgique, lindustrialisationallemande prsente des caractristiques annonciatrices dune deuximevague de mutations conomiques qui touchera dautres payseuropens (Russie, Scandinavie, Italie) et le Japon : Essor trs rapide de la production industrielle et nergtique dans

    tous les secteurs de base (charbon, mtallurgie, constructionsmcaniques)

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    Emprunts massifs la technologie aux techniciens et aux capitauxtrangers

    Rle primordial de lEtat dans lorganisation de la croissance Protectionnisme douanier Systme bancaire reposant sur de grands tablissements runissant

    les caractristiques des banques de dpts et des banquesdaffaires

    Lien troit entre la recherche et lapplication industrielle Tendance la concentration Une certaine idologie nationaliste (stimulus de la croissance.

    5. Les premiers pas du gant amricain

    Le dcollage

    Les conditions ncessaires au dcollage conomique ont t runies dsles annes 1820-1840 mais elles ninterviennent vraiment que vers 1840-1850 exacerbant les antagonismes entre le Nord et le Sud,antagonismes conomiques dont rsultera pour partie la Guerre deScession. Les travaux de R North (Economic growth of the USA) montrentque bien avant la machine vapeur et le chemin de fer, une conomiedynamique sinstaure aux EU. Elle est fonde sur les changes intensifsentre les trois grands ensembles conomiques du pays : le Sud, royaumedu coton (King cotton) utilisant la main duvre servile et qui alimente enmatire premire la rvolution cotonnire anglaise via Liverpool. Le riz deCaroline du Sud et le tabac de Virginie, la canne sucre de Louisianefournissent dautres denres destines lexportation. LOuest fournit auSud, les