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ESH ECE1 Camille Vernet Nicolas Danglade 2017-2018 1 Chapitre 7 Histoire de la pensée économique 1. La pensée économique pré-classique 1.1 Le mercantilisme : la naissance de l’économie politique Document 1 : De la condamnation antique des activités marchandes à leur réhabilitation à la renaissance La distinction entre économie et chrématisitique chez Aristote est une opposition entre des activités économiques naturelles, car orientées par la recherche de la satisfaction des besoins (oïkonomia, les lois qui règlent le fonctionnement de la maison) et des activités (…) animées par la recherche du profit pour luimême. L’art d’acquérir des richesses, qui est celui du marchand (« kapelos »), est condamnable car non borné : le désir d’accumulation est présenté comme insatiable et donc dangereux pour la communauté. L’économie est au service de la communauté, elle est condamnable si elle s’autonomise et ce faisant perd son sens. Jusqu’à la Renaissance, cette distinction s’impose. Dans la pensée théologique du Moyen Âge, l’économie est d’abord vue comme une chrématistique, une activité immorale que la loi doit contraindre à respecter les principes de justice. Les activités économiques sont contrôlées et encadrées au sein de l’organisation domaniale de l’économie féodale. Les activités financières, comme le prêt à intérêt, sont condamnées moralement par la religion catholique (et musulmane). Depuis le 16 ème siècle en revanche, l’économie se libère de la morale au nom de l’individualisme et de l’efficacité. L’économique va construire une idéologie qui va libérer l’économie des soupçons qui pesaient sur elle jusqu’alors. Le point de départ est la doctrine mercantiliste et le point d’arrivée est la pensée des économistes classiques. Durant cette période, l’économie est passée de l’immoralité à l’amoralité 1 : de la condamnation de l’économie au nom de la morale à la condamnation de la morale au nom de l’économie. L’œuvre des mercantilistes visàvis de la morale est la justification de la chrématistique. Les auteurs mercantilistes se caractérisent a posteriori par leur place dans la transition entre le monde féodal et le monde industriel : ils abandonnent la critique féodale des activités marchandes sur une base morale, mais sont incapables de penser l’économie sur ses bases réelles. Selon les mercantilistes, la puissance d’un Etat dépend de la puissance économique du pays à laquelle est liée sa capacité à lever et entretenir une armée. La puissance économique repose sur la monnaie (ce sont les quantités d’or et d’argent qui circulent dans le royaume) qui peut être amassée dans le cadre du commerce international (un excédent commercial permet l’accumulation de métaux précieux). En conséquence, le commerce, surtout international, doit être soutenu par l’Etat (soutien au développement du commerce au long cours, aux exportations, protectionnisme et limitation des importations). Ainsi se développe une approche pragmatique de l’économie, la timide défense d’une activité vulgaire mais utile au prince. L’économie abandonne la référence aristotélicienne au bien public et devient un art au service du prince. La monnaie, le profit, l’activité marchande sont justifiées non au nom de la morale mais de l’efficacité. 1 Indifférence envers la moralité PierreAndré Corpron et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, Bréal, 2013 Document 2 : Les siècles du mercantilisme Les siècles du mercantilisme sont placés sous le signe des grandes découvertes. Des voyages et des conquêtes, l’Amérique, la route du Cap, le tour du monde, voilà ce qu’ils évoquent tout d’abord. Le véritable père de l’économie politique, ce n’est pas Montchrétien, ce n’est pas Quesnay, ce n’est pas A.Smith, c’est Christophe Colomb. Le continent occidental, cela signifie d’abord l’argent du Mexique, l’or du Pérou. En cent ans, le stock de métaux précieux sur lequel avait vécu le moyen âge se trouve multiplié par huit. Sous la pression d’un tel afflux, les prix entrent dans la danse : c’est « la révolution des prix ». Les sereines et traditionnelles doctrines de modération, les menues réglementations anciennes ne sont que des digues puériles pour contenir le trafic déchaîné. Partout le type du marchand, audacieux, optimiste, aventurier, surgit de terre. Il approche le sceptre, et manie les rênes du gouvernement. Il prend la plume, et l’imprimerie répand la nouvelle conception de la vie qu’il apporte : ardente, optimiste, cruelle. A un idéal de bonheur et de paix succède une mentalité de lutte pour la vie, de soif de succès, de

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Chapitre  7  Histoire  de  la  pensée  économique  

   

1. La pensée économique pré-classique  

1.1 Le mercantilisme : la naissance de l’économie politique  

Document  1  :  De  la  condamnation  antique  des  activités  marchandes  à  leur  réhabilitation  à  la  renaissance  

  La   distinction   entre   économie   et   chrématisitique   chez   Aristote   est   une   opposition   entre   des  activités   économiques   naturelles,   car   orientées   par   la   recherche   de   la   satisfaction   des   besoins  (oïkonomia,   les   lois   qui   règlent   le   fonctionnement   de   la   maison)   et   des   activités   (…)   animées   par   la  recherche   du   profit   pour   lui-­‐même.   L’art   d’acquérir   des   richesses,   qui   est   celui   du   marchand  («  kapelos  »),  est  condamnable  car  non  borné  :  le  désir  d’accumulation  est  présenté  comme  insatiable  et  donc  dangereux  pour  la  communauté.  L’économie  est  au  service  de  la  communauté,  elle  est  condamnable  si  elle  s’autonomise  et  ce  faisant  perd  son  sens.       Jusqu’à   la   Renaissance,   cette   distinction   s’impose.   Dans   la   pensée   théologique   du   Moyen   Âge,  l’économie  est  d’abord  vue  comme  une  chrématistique,  une  activité  immorale  que  la  loi  doit  contraindre  à   respecter   les  principes  de   justice.  Les  activités  économiques   sont   contrôlées  et  encadrées  au   sein  de  l’organisation  domaniale  de   l’économie   féodale.  Les  activités   financières,   comme   le  prêt   à   intérêt,   sont  condamnées  moralement  par  la  religion  catholique  (et  musulmane).       Depuis  le  16ème  siècle  en  revanche,  l’économie  se  libère  de  la  morale  au  nom  de  l’individualisme  et  de   l’efficacité.  L’économique  va   construire  une   idéologie  qui  va   libérer   l’économie  des   soupçons  qui  pesaient  sur  elle   jusqu’alors.  Le  point  de  départ  est   la  doctrine  mercantiliste  et   le  point  d’arrivée  est   la  pensée   des   économistes   classiques.   Durant   cette   période,   l’économie   est   passée   de   l’immoralité   à  l’amoralité1  :  de  la  condamnation  de  l’économie  au  nom  de  la  morale  à  la  condamnation  de  la  morale  au  nom  de  l’économie.       L’œuvre   des   mercantilistes   vis-­‐à-­‐vis   de   la   morale   est   la   justification   de   la   chrématistique.   Les  auteurs   mercantilistes   se   caractérisent   a   posteriori   par   leur   place   dans   la   transition   entre   le   monde  féodal  et  le  monde  industriel  :  ils  abandonnent  la  critique  féodale  des  activités  marchandes  sur  une  base  morale,   mais   sont   incapables   de   penser   l’économie   sur   ses   bases   réelles.   Selon   les   mercantilistes,   la  puissance  d’un  Etat  dépend  de  la  puissance  économique  du  pays  à  laquelle  est  liée  sa  capacité  à  lever  et  entretenir   une   armée.   La   puissance   économique   repose   sur   la  monnaie   (ce   sont   les   quantités   d’or   et  d’argent  qui  circulent  dans  le  royaume)  qui  peut  être  amassée  dans  le  cadre  du  commerce  international  (un   excédent   commercial   permet   l’accumulation   de   métaux   précieux).   En   conséquence,   le   commerce,  surtout   international,   doit   être   soutenu   par   l’Etat   (soutien   au   développement   du   commerce   au   long  cours,   aux   exportations,   protectionnisme   et   limitation   des   importations).   Ainsi   se   développe   une  approche   pragmatique   de   l’économie,   la   timide   défense   d’une   activité   vulgaire   mais   utile   au   prince.  L’économie  abandonne  la  référence  aristotélicienne  au  bien  public  et  devient  un  art  au  service  du  prince.  La  monnaie,  le  profit,  l’activité  marchande  sont  justifiées  non  au  nom  de  la  morale  mais  de  l’efficacité.    1Indifférence  envers  la  moralité  

Pierre-­‐André  Corpron  et  alii,  Economie,  sociologie  et  histoire  du  monde  contemporain,  Bréal,  2013    

 

Document  2  :  Les  siècles  du  mercantilisme  Les   siècles   du   mercantilisme   sont   placés   sous   le   signe   des   grandes   découvertes.   Des   voyages   et   des  conquêtes,   l’Amérique,   la   route   du   Cap,   le   tour   du   monde,   voilà   ce   qu’ils   évoquent   tout   d’abord.   Le  véritable   père   de   l’économie   politique,   ce   n’est   pas   Montchrétien,   ce   n’est   pas   Quesnay,   ce   n’est   pas  A.Smith,  c’est  Christophe  Colomb.  Le  continent  occidental,  cela  signifie  d’abord  l’argent  du  Mexique,  l’or  du  Pérou.  En  cent  ans,  le  stock  de  métaux  précieux  sur  lequel  avait  vécu  le  moyen  âge  se  trouve  multiplié  par  huit.  Sous   la  pression  d’un  tel  afflux,   les  prix  entrent  dans   la  danse  :  c’est  «  la  révolution  des  prix  ».  Les  sereines  et  traditionnelles  doctrines  de  modération,   les  menues  réglementations  anciennes  ne  sont  que   des   digues   puériles   pour   contenir   le   trafic   déchaîné.   Partout   le   type   du   marchand,   audacieux,  optimiste,   aventurier,   surgit   de   terre.   Il   approche   le   sceptre,   et   manie   les   rênes   du   gouvernement.   Il  prend  la  plume,  et  l’imprimerie  répand  la  nouvelle  conception  de  la  vie  qu’il  apporte  :  ardente,  optimiste,  cruelle.  A  un  idéal  de  bonheur  et  de  paix  succède  une  mentalité  de  lutte  pour  la  vie,  de  soif  de  succès,  de  

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richesse,   de   puissance.   A   un   monde   essentiellement   rural   et   artisanal,   un   monde   manufacturier   et  commerçant.  A  une  civilisation  surtout  continentale,  une  civilisation  maritime.  Les  vaisseaux  envahissent  la  mer  et  l’océan  ;  des  flottes  immenses  et  s’entredétruisent  ;  pendant  deux  siècles  l’Espagne,  la  Hollande,  la   France   et   enfin   l’Angleterre  mèneront   pour   la   suprématie  maritime  une   lutte   dont  Trafalgar   dira   le  dernier  mot.   Notre   période   est   encore   celle   de   la   Renaissance,   et   de   la   réforme.   Avec   la   Renaissance  remonte   à   la   surface   la   notion   impériale   romaine   d’un   Etat   fort,   autoritaire,   armé   d’une   puissante  machine   administrative   au   moyen   de   laquelle   il   contrôle   tout   à   l’intérieur   et   d’une   forte   armée   sur  laquelle   il   compte   pour   s’étendre   à   l’extérieur.   (…)   Partout,   dans   l’Europe   chrétienne   disloquée  spirituellement,   et   politiquement,   tandis   que   Machiavel   écrit   Le   Prince,   les   Etats   affirment   leur  indépendance  et  leur  volonté  de  domination.  (…)  La  Renaissance,  c’est  encore  un  renouveau  d’attention  pour   les   aspects   profanes   de   la   vie,   et   –   tandis   que   l’on   quitte   les   champs   pour   les  manufactures,   les  armées  et  les  marines  –  une  sorte  de  retour  à  la  planète  Terre,  après  des  siècles  vécus  les  yeux  au  Ciel.  C’est  une  affirmation  de  l’Homme  contre  Dieu  ;  une  explosion  du  volontarisme.  (…)  Quant  à  la  Réforme,  dirons-­‐nous  (…)  que  Calvin  a  «  inventé  le  capitalisme  »  ?  (…)  En  Angleterre,  l’un  des  résultats  principaux  de  la  Réforme  fut  de  développer  la  lecture  de  l’Ancien  Testament.  Le  juste  s’y  voit  promettre  longue  vie  et   prospérité.   Aux   quakers   et   aux   puritains,   le   succès   économique   apparaîtra   comme   un   signe   de  l’élection   divine.   (…)   Avec   eux,   l’ascétisme   des   affaires,   l’épargne   du   bourgeois,   l’austère   calcul   du  comptable,  la  vie  sans  loisirs  et  le  persévérant  labeur  du  patron  prendront  une  saveur  chrétienne.    

D.Villey  et  C.Nême  «  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques  »,  Litec,  1992      

Document  3  :  Les  thèmes  communs  aux  différents  mercantilismes  nationaux     (Les  différents  mercantilismes  nationaux)  développent  trois  thème  communs  :  la  primauté  de  la  richesse   monétaire,   la   balance   du   commerce   et   la   réglementation   dans   l’industrie   et   du   commerce  extérieur.       Le   chrysédonisme   est   la   croyance   selon   laquelle   la   richesse   consiste   uniquement   en   métaux  précieux.  Quel  que  soit  le  mercantilisme,  il  faut  accumuler  de  la  monnaie  :  pour  se  procurer  davantage  de  biens,   pour   accroître   la   production   et   favoriser   la   circulation   des   biens   et   services   (la   métaphore  organiciste   de   la   circulation   sanguine   est   souvent   utilisée),   et   pour   investir   dans   le   commerce  (Angleterre)  ou  l’industrie  (France).     La  notion  de  balance  du  commerce  émerge  en  1614  chez  Serra  (des  biens  et  des  services),  puis  chez  Thomas  Mun  en  1621  (…).  La  balance  du  commerce  doit  permettre  d’évaluer  l’excédent  commercial  recherché,  notamment  par   le  commerce  de  réexportation  :  selon  Mun,  une  sortie  d’or  pour   importer   le  coton  brut  d’Inde  permet  d’exporter  des  cotonnades  pour  une  valeur  cinq  fois  supérieure.       La   réglementation   dans   le   commerce   et   l’industrie   est   très   présente   parce   que   le   commerce  international  est  envisagé  comme  un  jeu  à  somme  nulle  (…).  Le  libre-­‐échange,  tout  du  moins  au  sens  où  nous   l’entendons   aujourd’hui   –   est   banni.   L’expression   que   l’on   croise   dans   les   écrits   mercantilistes,  signifie  au  contraire   l’obtention  de  monopoles,   c’est-­‐à-­‐dire  de  privilèges,   ceux  des  grandes  compagnies  de   commerce   anglaises   et   françaises   (face   aux   hollandaises)   en   premier   lieu.   La   France   souhaite  développer  des  manufactures  royales  à  l’abri  du  protectionnisme  :  les  droits  de  douane  s’élèvent  de  5  %  vers  1620  à  20  %  vers  1720.    

Pierre-­‐André  Corpron  et  alii,  Economie,  sociologie  et  histoire  du  monde  contemporain,  Bréal,  2013      

Document  4  :  La  diversité  des  mercantilismes  nationaux  en  Europe     Le   bullionisme   espagnol   –   C’est   premièrement   là   ou   l’or   aborde   l’Europe   –   au   Portugal,   En  Espagne  –  que  l’on  a  subi  la  magie  des  métaux,  et  que  l’on  a  fait  de  leur  accumulation  le  but  suprême  de  l’activité   des   individus   comme   de   la   politique   des   princes.   (…)   Tout   le   problème,   pour   l’Espagne,   va  consister   à   conserver   chez   elle   l’or  qu’elle   importe  de   ses   colonies  d’outre-­‐océan,   à   l’empêcher  de   fuir  hors  des  frontières,  et  de  se  répandre  parmi  les  autres  pays  d’Europe.  D’où  la  politique  que  l’on  a  appelé  «  bullioniste  »  (de  l’anglais  bullion  =  lingot)  et  qui  est  une  politique  de  protectionnisme  monétaire  direct  et  défensif  :   interdiction  des  sorties  d’or  ;  obligation  pour   les  exportateurs  espagnols  de  rapatrier   leurs  créances,   et,   pour   les   importateurs   étrangers   de   marchandises   espagnoles,   de   dépenser   les   leurs   en  Espagne  ;  surévaluations  artificielles  des  monnaies  étrangères  pour  les  attirer  en  Espagne.  Ces  diverses  mesures  bullionistes  sont  prônées  par  les  auteurs  (Orthiz)  et  mises  en  œuvre  par  les  gouvernements.  (…)  Dans   les   faits,   la   politique   bullioniste   donne   lieu   à   une   réglementation   minutieuse,   et   extrêmement  désordonnée  ;  car  l’abondance  d’or  engendrait  un  niveau  élevé  des  prix,  et  les  gouvernements,  ignorants  de  la  théorie  quantitative  de  la  monnaie,  ne  saisissaient  pas  le  lien  qui  unissait  les  deux  phénomènes.  Les  

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mesures  prises  pour  empêcher  les  prix  de  monter  se  mêlaient  aux  mesures  prises  pour  retenir  l’or,  avec  une   inextricable   incohérence.  L’Etat   intervenait  à   tort  et  à   travers,  dans  tous   les  sens.  Le  résultat   fut   la  hausse   des   prix,   la   paralysie   du   commerce   extérieur,   la   misère   générale.   L’afflux   excessif   de   l’or  américain,   et   la   politique   bullioniste   qui   l’a   retenu   de   s’écouler   à   l’étranger   sont   à   l’origine   du   déclin  économique  de  l’Espagne.       Le  mercantiliste   industrialiste   et   étatiste   français  –  A  cette  époque,   les  métaux  précieux  du  Nouveau-­‐Monde  proviennent  exclusivement  des  colonies  espagnoles  et  portugaises.  Les  pays  autres  que  l’Espagne  n’exploitent  pas  de  mines  d’or.  Il  ne  s’agit  pas  pour  eux  de  conserver  l’or,  mais  de  l’attirer.  C’est  ce   que   les   mercantilistes   français   tenteront   de   faire   en   encourageant   la   production,   surtout  manufacturière  (…).  On  a  l’habitude  de  dire  industrialiste  et  étatiste  le  mercantilisme  français.  C’est  que  l’on  songe  à  la  politique  menée  par  les  rois  de  France  en  faveur  des  industries.  Cette  politique  porte  un  grand  nom  :  celui  de  Colbert,  qui  accède  au  pouvoir  dès  la  première  année  du  règne  personnel  de  Louis  XIV,  en  1661.  Mais  nos  grands  doctrinaires  mercantilistes  sont  de  beaucoup  antérieurs  à  Colbert  :   Jean  Bodin  (1576),  Antoine  de  Montchrétien  (1615).  (…)  Colbert  a  fait  de  la  France  un  Etat  et  une  usine.  Sous  son   impulsion,   les   manufactures   surgissent   et   s’étendent,   la   marine   marchande   se   construit.   Le   but  premier,  c’est  l’or  à  attirer  dans  le  royaume  ;  et  pour  cela  les  marchés  étrangers  à  conquérir  par  la  qualité  des   produits   français.   Le   moyen,   c’est   la   réglementation  ;   mais   une   réglementation   qui   stimule,  encourage,   vient   en   aide  ;   nullement   étouffante.   (…)  La  nation  ne  doit   importer  que   ce  qu’elle  ne  peut  produire  (…).   Si  notre  pays   est  devenu  au  XVIIème   siècle  une  grande  puissance  économique,  militaire,  naval,  coloniale,  c’est  grâce  à  l’intervention  de  l’Etat,  et  c’est  grâce  aussi  à  une  politique  douanière  d’un  mercantilisme  très  orthodoxe.       Le  mercantilisme  commercial  anglais  –  Avec  le  mercantilisme  anglais,  on  respire  le  vent  salé  du  large,  on  perçoit  le  froissement  des  effets  de  commerce.  Voici  un  mercantilisme  vraiment,  purement  mercantile.  L’idéal  du  colbertisme,  c’était  d’importer  le  moins  possible  –  sauf  des  matières  premières-­‐  et  d’exporter   des   fabricats.   Les  mercantilistes   anglais   veulent   bien   importer,   à   condition   qu’ils   exportent  davantage   encore,   et   transportent   le   plus   possible.   Leur   but,   c’est   d’obtenir   un   excédent   de   actif   de   la  balance  du  commerce,  que  déjà  ils  analysent  en  détail,  et  dans  laquelle  ils  font  une  place  importante  à  ce  que  nous  appelons  aujourd’hui   les  exportations   invisibles,  en  particulier  aux  frêts.  Pour  eux,   l’excédent  de   la  balance  mesure  et   constitue   le   gain  du   commerce  extérieur.   Les   auteurs   sont  nombreux  ;   le  plus  souvent   ce   ne   sont   pas   comme   Bodin   et   Montchrétien   des   intellectuels   et   des   humanistes,   mais   des  hommes  de  la  pratique,  marchands  ou  hommes  d’Etat.  Les  plus  célèbres  sont  Thomas  Mun  (1571-­‐1641),  Josias   Child   (1639-­‐1690),   William   Temple   (1628-­‐1698),   (…)   et   William   Petty   (1623-­‐1687)   (…).   En  Angleterre  –  nations  de  boutiquiers,  comme  on  dira  plus  tard  –  les  auteurs  mercantilistes  s’adressent  aux  marchands   et   non   plus   au  Roi   comme  Monchrétien  :   c’est   de   la   soif   individuelle   du   profit   et   de   l’âpre  ingéniosité   des   marchands   qu’ils   attendent   l’enrichissement   national,   plutôt   que   de   l’impulsion  gouvernementale.  Ce  n’est  point  qu’ils  ne  prônent  l’intervention  de  l’Etat.  Pour  augmenter  la  quantité  de  travail,   il   faudra   diminuer   le   nombre   de   jours   chômés,   aménager   l’assistance   publique   de   manière   à  favoriser   la   natalité,   imposer   au   plus   grand   nombre   le   travail   et   la   vie   frugale.   L’Etat   pratiquera   la  tolérance   religieuse   pour   attirer   les   immigrés   étrangers,   il   facilitera   les   naturalisations.   (…)   Les  mercantilistes  anglais  attendent  encore  de  l’Etat  qu’il  favorise  le  défrichement  des  terres  incultes,  afin  de  limiter   les   importations  de  grains  ;  qu’ils  acquièrent  des  colonies,  afin  que   la  nation  en  puisse  tirer  des  matières   premières,   y   puisse   écouler   ses   fabricats.   Surtout,   l’Etat   pratiquera   une   politique   douanière  orientée  vers  l’obtention  d’un  excédent  de  la  balance  du  commerce.  Car,  pour  les  mercantilistes  anglais,  tout   se   ramène   à   cette   fameuse   comparaison   des   deux   postes   de   la   balance.   L’une   des   conditions  essentielles  à  la  conquête  des  débouchés  extérieurs,  c’est  le  bas  niveau  des  salaires.       Le  mercantilisme  allemand  :   le  caméralisme  –  La  forme  allemande  du  mercantilisme,  c’est  le  caméralisme.   On   le   rapprocherait   plus   facilement   du   colbertisme   que   des   doctrines   mercantilistes  anglaises.  Toutefois  le  caméralisme  n’est  pas  une  politique,  (…)  c’est  (...)  un  enseignement  sur  les  choses  de  l’Etat,   institué  par  l’Etat.   .  Le  mot  Kamera  désignait  alors  le  lieu  où  l’on  rangeait  le  trésor  public.  Les  caméralistes  enseignaient  les  règles  d’une  bonne  gestion  des  finances  du  Prince.  (…)  Le  caméralisme  est  populationniste,   industrialiste,   protectionniste,   interventionniste  :   parce   que   l’Allemagne   est   sous-­‐peuplée,  dépeuplée  par  les  guerres  ;  parce  que  l’Allemagne  a  sur  l’Occident,  du  point  de  vue  industriel,  un  retard   considérable,   et   ne   peut   songer   à   se   créer   une   industrie,   qu’elle   n’en   protège   les   premiers   pas  contre  la  concurrence  des  pays  plus  avancés  ;  parce  que,  tandis  que  la  France,  de  Louis  XVI  à  la  Fête  de  la  fédération1,  est  en  train  de  se  faire,   le  sens  de  l’Etat  n’est  pas  encore  né  en  Allemagne.  Il  s’agit  pour  les  caméralistes  d’en  sortir,  et  d’en  sortir  méthodiquement.  El   le  caméralisme  prône  à  peu  près  les  mêmes  

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mesures   que   Montchrétien,   que   Colbert.   Mais   le   caméralisme   est   allemand.   Le   caméralisme   est   (…)  communautaire.  Il  est  beaucoup  moins  hostile  aux  corporations  que  le  mercantilisme.  Il  ne  compte  point  tant  sur  les  initiatives  d’individus  courant  à  la  recherche  du  profit,  même  stimulées  et  disciplinées  par  le  gouvernement,   que   sur   la   convergence   organique   d’efforts   conçus   en   vue   de   l’intérêt   général,   sur   le  développement  du  sens  national,  sur  un  labeur  commun  concerté  et  méthodiquement  organisé.    1  Fête  qui  fut  célébrée  le  14  juillet  1790  premier  anniversaire  de  la  prise  de  la  Bastille.  Dans  un  climat  d'union  nationale,  on  y  vit  une  grande  foule  réunie  autour  du  roi  et  des  députés.  Louis  XVI  assista  à  cette  fête,  et  y  prêta  serment  à  la  Nation  et  à  la  loi.  

Daniel  Villey,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Editions  M.-­‐Th.  Génin,  4ème  édition,  1958    

                         

Schéma  de  synthèse  :  le  mercantilisme  et  ses  différentes  interprétations  nationales    

   

           

 

La  pensée  mercantiliste  repose  sur  3  grands  

principes  

CHRYSEDONISME  

LA  RECHERCHE  D’EXCEDENTS  COMMERCIAUX  

REGULATION  DE  L’INDUSTRIE  ET  DU  

COMMERCE  EXTERIEUR  

         

Des  systèmes  mercantiles  nationaux  qui  diffèrent  

Retenir  l’or   BULLIONISME  ESPAGNOL  

Attirer  l’or  

MERCANTILISME  ETATISTE  ET  INDUSTRIALISTE  FRANCAIS  

MERCANTILISME  COMMERCIAL  ANGLAIS  

CAMERALISME  ALLEMAND  

Le  mercantilisme  ou  l’économie  comme  art  au  service  du  Prince  et  de  son  enrichissement  

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  1.2  L’école  physiocrate  (1756-­‐1777)  :  une  critique  radicale  du  mercantilisme      

Document  5  :  le  contexte  historique  et  politique  de  l’émergence  de  l’école  physiocratique  Nul   ne   conteste   guère   que   ce   soit   cette   poignée   de   penseurs   français,   précurseurs   immédiats   et  contemporains  de  notre  Grande  Révolution,  qui   ait   fondé   la   science  économique   (…).  Les  physiocrates  forment  une  école  et  un  parti.  A  la  tête  de  l’école,  son  fondateur  et  chef  incontesté  :  F.Quesnay,  médecin  de  la  Pompadour  et  de  Louis  XV.  (…)  Les  œuvres  importantes  de  l’école  physiocrate  s’échelonnent  toute  sur   vingt   années   entre  1756  et   1777.   (…)  Comme   le  mercantilisme  avec  Colbert,   la   physiocratie   a   son  grand   ministre  :   Turgot.   Comme   Quesnay   est   le   chef   d’école,   Turgot   est   le   champion   du   parti  physiocratique.  (…)  Les  physiocrates  s’imaginent  découvrir  les  lois  naturelles  de  la  société,  valables  pour  tous   les   temps  et  pour   tous   les  pays.   (…)  Les  physiocrates   sont  des  adeptes  de   ce  que   l’on  a  appelé   la  «  philosophie   des   Lumières  ».   Quesnay   a   collaboré   à   l’Encyclopédie   de   Diderot.   Mais   la   philosophie  française  du  18ème  siècle  a  plusieurs  visages,  et  les  physiocrates  en  présentent  une  face  particulière,  que  l’on   pourrait   qualifier   de   réactionnaire.   (…)   En   réaction   contre   le   pragmatisme   mercantiliste,   les  physiocrates  affirment  de  grands  principes  :  la  Nature,  le  Droit,  l’Ordre.  (…)  Les  physiocrates  croient  en  la  Raison.  Mais  ils  exaltent  en  l’homme  le  pouvoir  de  connaître,  plutôt  que  celui  d’agir.  Découvrir  la  Loi  naturelle  pour  la  respecter  et  s’y  soumettre,  tel  est  leur  idéal  :  non  point  exalter  le  pouvoir  des  hommes  sur  et   contre   la  nature.  Pour   les  physiocrates   (…)   la  noblesse  de   l’homme  est  de  pouvoir  pénétrer  des  desseins  qui  le  dépassent,  et  de  concourir  à  leur  réalisation  par  un  comportement  obéissant.  (…)  En  1763  se  termine,  par  la  défaite  de  la  France  et  par  la  perte  des  ses  colonies,  une  période  de  guerres  longues  et  onéreuses.   Le   gouvernement   se   trouve   en   butte   à   de   graves   difficultés   financières.   La   crise   sociale   et  politique   commence   à   apparaître,   d’où   sortira   la   Révolution.   Le   retour   à   la   terre,   que   prêchent   les  physiocrates,  est  un  réflexe  classique  des  périodes  de  ce  genre.  Après  tant  d’efforts  réduits  à  néant  pour  étendre  au-­‐dehors  la  puissance  nationale,  il  ne  reste  plus  qu’à  se  remettre  à  cultiver  son  champ.  (…)  Les  prédications   physiocratiques   pour   le   retour   à   la   terre   traduisent   l’angoisse   de   l’Ancien   Régime  chancelant  sous  les  fastes  frelatés  de  la  cour  de  Louis  XV.    

D.Villey  et  C.Nême  «  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques  »,  Litec,  1992    

 

Document  6  :  Agriculture  et  laisser-­‐faire  La   politique   de   Colbert   et   de   ses   successeurs   avait   été   industrialiste,   et   interventionniste.   L’industrie  mercantiliste   avait   engendré   le   déclin   de   l’agriculture   française,   dont   une   série   de  mauvaises   récoltes  était  venue  aggraver  les  fâcheux  effets,  tandis  que  la  population  s’accroissait.  Les  physiocrates  exalteront  l’agriculture  à  l’encontre  de  l’industrie  (…).  D’autre  part,  l’interventionnisme  colbertiste  avait  abouti  à  un  excès  de  réglementation  qui  étouffait   les   initiatives  et  paralysait   la  production  comme  le  commerce.  Ici  encore  les  physiocrates  vont  prendre  le  contre-­‐pied  des  mercantilistes.  Ils  seront  libéraux,  ils  seront  les  premiers   libéraux  de  l’histoire  des  doctrines  économiques.  Et   ils  appuieront   leur   libéralisme  moins  sur  une   analyse   des   mécanismes   de   marché   de   concurrence   que   sur   une   philosophie   naturaliste   et  providentialiste,  sur  une  doctrine  de  l’Ordre  naturel.    Le   fondement  de   l’ordre  économique  naturel  est   l’harmonie  des   intérêts.  Propriété   individuelle,   liberté  des   échanges,   poursuite   par   chacun   de   son   intérêt   personnel,   abstention   de   l’Etat   en   matière  économique,  tels  en  sont  les  éléments  essentiels.  Libre  de  produire  comme  il  l’entend,  de  vendre  à  qui  il  veut   au   prix   le   plus   élevé   qu’il   peut   obtenir,   l’agriculteur   se   décidera   à   faire   à   la   terre   les   avances  généreuses  dont  elle  a  besoin.  Le  produit  net  sera  accru,  et  c’est  sur  le  produit  net  de  la  terre  que  vit  la  classe  stérile  et  que  reposent  les  finances  publiques.  La  liberté  économique  signifie  donc  le  bonheur  pour  tous,  et  la  prospérité  du  souverain.      

D.Villey  et  C.Nême  «  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques  »,  Litec,  1992    

 

Document  7  :  Le  tableau  économique,  la  première  représentation  du  circuit  économique  Le   tableau   économique   de   Quesnay   (…)   décrivait   la   circulation   de   la   richesse   entre   les   classes   des  agriculteurs,  de  celles  des  propriétaires  fonciers  et  de  celles  de  la  classe  urbaine.  C’est  de  l’activité  de  la  classe  productive   (les  agriculteurs  exploitants)  que  vivent   les  deux  autres.  Non  seulement,   cette  classe  pourvoit  à  son  propre  entretien,  mais  elle  fait  encore  des  «  avances  »  à  la  terre,  et  verse  au  propriétaire  du  sol  un  fermage  qui  représente  le  produit  net.  Les  physiocrates  insistent  beaucoup  sur  les  avances  que  les   agriculteurs   font   à   la   terre  :   «  avances   primitives  »   (dépenses   d’entretien,   achat   du   bétail   et   du  matériel  d’exploitation)  et  «  avances  annuelles  »  (semences,  engrais).  (…)  La  classe  que  les  physiocrates  appellent   stérile   comprend   les   artisans,   les   commerçants,   les   fonctionnaires  et   les   gens  de  professions  

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libérales.   Ils   ne   sont   pas   inutiles,  mais   ils   ne   produisent   pas   plus   de   valeur   qu’ils   n’en   dépensent.   (…)  Reste  enfin  la  classe  des  propriétaires  fonciers  que  les  physiocrates  mettent  sur  le  piédestal.  (…)  C’est  le  propriétaire,  à  l’origine,  qui  a  consenti  à  la  terre  les  «  avances  foncières  »,  et  pris  l’initiative  et  supporté  la  charge  du  défrichement  du  sol  et  de  son  aménagement  pour  la  culture.  Or  la  terre,  c’est   la  nature,  et   la  nature,   c’est   Dieu.   Et   le   propriétaire   est   le   symbole   même   de   l’harmonie   providentielle   des   intérêts.  Tandis   qu’il   poursuit   le   sien   propre   –   qui   est   d’accroître   le   produit   net   –   il   assure   du   même   coût   la  prospérité  de  toutes  les  classes  de  la  société.  (…)  Donc  le  produit  net  de  l’agriculture  est  la  seule  source  des  avances  foncières  et  des  revenus  du  souverain.  Il  faut  accroître  le  produit  net.  Comment  cela  ?  (…)  La  solution   c’est   la   liberté   du   commerce   des   grains   à   l’intérieur   et   à   l’extérieur.   Ils   attendent   d’abord  l’unification  et  la  stabilisation  du  prix  du  blé.  Mais  aussi  son  élévation.  La  liberté  du  commerce  permettra  l’avènement  de  ce  qu’ils  appellent   le  «  bon  prix  »  :   le  prix  rémunérateur,  qui  permet  au  propriétaire  de  demander  des  fermages  élevés.  (…)  Le  résultat  des  politiques  mercantilistes  (interdiction  d’exporter  du  blé,  politique  de  bas  salaires  pour  limiter  les  coûts  de  production  des  biens  exportés)  est  qu’à  l’époque  le  prix  du  blé  en  France  était  inférieur  aux  prix  pratiqués  dans  presque  tout  le  reste  de  l’Europe.  Rendre  la  liberté   au   commerce   des   grains,   cela   signifie   donc   essentiellement,   en   ce   temps   là,   rétablir   les  exportations   des   céréales,   et   par   conséquent   permettre   aux   prix   français   du   blé   de   rejoindre   les   prix  européens.    

D.Villey  et  C.Nême  «  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques  »,  Litec,  1992        

   

                       

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2. L’école classique (1776-1871) : l’économie s’impose comme une nouvelle science  

Document  8  :  Adam  Smith  (1723-­‐1790)  «  Ce  n’est  pas  de  la  bienveillance  du  boucher,  du  brasseur  ou  du  boulanger  que  nous  attendons  notre  dîner,  mais  plutôt  du  soin  qu’ils  apportent  à  la  recherche  de  leur  propre  intérêt.  Nous  ne  nous  en  remettons  pas  à  leur  humanité,  mais  à  leur  égoïsme.  (…)  En  cela,  comme  dans  beaucoup  d’autres  cas,  il  est  conduit  par  une  main  invisible  à  remplir  une  fin  

qui  n’entre  nullement  dans  ses  intentions  »    

2.1 Les classiques optimistes  

Document  9  :  Utilitarisme  et  main  invisible  Afin  de  comprendre  la  différence  entre  les  physiocrates  et  les  classiques  on  peut  s’appuyer  sur  Smith  (le  père   fondateur  de   l’école   classique)   et   la   théorie   de   la  main   invisible.   Smith   reprend   la  maxime  de  de  Gournay,   la   plonge   dans   la   philosophie   utilitariste   et   en   sort   la   main   invisible,   c’est-­‐à-­‐dire   une  représentation   de   l’ordre   social   délestée   du   rôle   de   la   religion   et   de   la   Providence.   La   main   de   Dieu  devient   la  main   invisible.  L’harmonie  des  comportements  humains  n’est  plus   liée  à  un  ordre  naturel  et  divin,  à   la  Providence,  mais  elle  est   le  résultat   inattendu,  parce  que  non  recherché,  des  comportements  individuels   libres   et   autonomes,   individus   à   la   recherche   de   leurs   intérêts   individuels.   Peut-­‐on   faire  confiance   à   des   individus   «  égoïstes  »  ?   Est-­‐ce   là   un   fondement   stable   pour   le   fonctionnement   de   la  société  ?  La  philosophie  utilitariste  fournie  la  réponse  suivante  :  «  les  vices  privés  font  la  vertu  publique  »,  dit   autrement   la   somme   des   intérêts   particuliers   est   égale   à   l’intérêt   général.   Comment   cela   est-­‐il  possible  ?  Par  l’action  d’une  main  invisible  qui  remplace  la  main  de  Dieu  (la  Providence).  Alors  que  chez  les   physiocrates   la   richesse   vient   de   l’exploitation   de   la   terre,   chez   les   classiques   (A.   Smith)   c’est   la  division   du   travail   qui   pousse   les   individus   à   échanger,   et   l’échange   a   une   vertu  :   il   permet   une  coordination  spontanée  d’individus  à  la  recherche  de  leurs  intérêts  particuliers.  L’intérêt  général,  ce  n’est  que   la   somme  des   intérêts  particuliers   (alors  que   chez   les  physiocrates   il   vient  de   la  Providence  et  de  l’Ordre   naturel,   tandis   que   chez   les  mercantilistes   il   est   associé   au   Souverain).   Le   fait   qu’il   existe   une  main  invisible  signifie  donc  que  le  marché  est  créateur  de  lien  social.  Au  moment  de  la  réflexion  de  Smith,  nous  sommes  dans  un  contexte  de  basculement  des  sociétés  dans  la  modernité,   la  question  qui  se  pose  est  :  peut-­‐on  vivre  ensemble  en  étant   libres  et  autonomes  ?  Faut-­‐il  un  souverain  (ou  un  Etat)   fort  pour  encadrer  les  désirs  individuels  ?  La  réponse  du  libéralisme  politique  consiste  à  mettre  en  place  un  Etat  de   droit  ;   la   réponse   du   libéralisme   économique   consiste   à   laisser   faire   les   individus   (échanges   libres,  rôle   du  marché,   importance   de   la   concurrence   pour   empêcher   l’existence   de   pouvoirs   de  marché).   Le  libéralisme   s’oppose   donc   à   l’idée   selon   laquelle   il   est   nécessaire   d’avoir   un  Etat   fort   (le   Leviathan  de  Hobbes)  pour  faire  «  tenir  »  la  société.  

D’après  Daniel  Villey,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Editions  Génin,  1958    

 

Document  10  :  A.  Smith  et  la  richesse  des  nations  La   plus   grande   œuvre   de   l’histoire   des   doctrines   économiques   s’ouvre   sur   un   développement   d’une  simple  éloquence  à  jamais  célèbre,  appuyé  sur  un  épisode  vécu,  minuscule  et  fortuit.  Smith  a  visité  une  manufacture  où  l’on  fabriquait  des  épingles.  Dans  la  production  ce  petit  objet  en  apparence  si  simple,  il  a  admiré  la  complexité  de  la  spécialisation  des  tâches.  Et  le  premier  livre  chante  la  division  du  travail.  (…)  D’autre  part,   Smith   célèbre   les  bienfaits  non   seulement  de   la   spécialisation   technique  des   tâches,  mais  surtout   de   la   division   économique   des   entreprises   qu’il   explique   par   une   propension   naturelle   à  l’échange,   caractéristique   selon   lui   de   l’espèce   humaine.   Avec   l’école   classique,   la   science   économique  deviendra  la  science  des  échanges,  ou  comme  on  dit  parfois  «  catallactique  ».  (…)  Les  richesses,  pour  lui,  cela  ne  veut  pas  dire  de   l’argent,  mais  des  biens.  (…)  Le   libéralisme  de  Smith  n’a  rien  de  systématique.  Smith  pose  en  principe  que  l’Etat  doit  intervenir,  et  suppléer  à  la  carence  des  individus,  chaque  fois  que  l’intérêt  personnel  se  révèle  insuffisamment  fort  pour  promouvoir  des  initiatives  utiles  à  la  collectivité.    

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992    

Document  11  :  J.-­‐B.  Say  (1767-­‐1832)  et  la  loi  des  débouchés  Pour   J.-­‐B.   Say  dans  Le  Traité  d’économie  politique   (1803),  «  l’économie  enseigne  comment  se   forment,  se  distribuent   et   se   consomment   les   richesses   qui   satisfont   aux   besoins   des   sociétés  ».   En   d’autres   termes,  l’économie   étudie   la   production,   la   consommation   et   la   répartition   des   richesses.   Il   existe   un   agent  économique  qui  permet  d’augmenter  la  taille  des  marchés,  c’est  l’entrepreneur-­‐producteur.  Il  augmente  l’offre  et  permet  plus  de  croissance.  La  Loi  de  Say  énonce  l’idée  selon  laquelle,  toute  offre  créée  sa  propre  demande.   La   production   nécessite   des   facteurs   de   production   qui   sont   rémunérés   parce   que   la  

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production  est  vendue,  or  pour  vendre  la  production,  il  faut  que  ces  revenus  tirés  de  la  production  soient  consommés  et  (épargnés  puis)  investis.  Dans  le  cadre  de  cette  analyse,  Say  prolonge  l’idée  smithienne  de  la  main   invisible  :  «  le  marché  est  l’institution  la  plus  efficace  pour  chercher  le  bonheur  de  tous  »  et   l’idée  physiocrates   de   flux   à   travers   un   circuit.   Ce   qui   découle   de   la   loi   de   Say,   c’est   l’idée   selon   laquelle  l’allocation  par   le  marché  ne  peut   jamais  connaître  de  crise  (il  ne  peut   jamais  y  avoir  ni  trop  d’offre,  ni  trop  de  demande  –  puisque  l’une  découle  de  l’autre).      

2.2 Les classiques pessimistes  

Document  12  :  Malthus  (1766-­‐1834)  et  la  loi  de  la  population     Depuis   A.Smith,   l’industrie   s’est   développée   en   Angleterre.   Le   prolétariat   a   grandi.   Il   est  misérable,  et  sa  misère  est  aggravée  par  la  série  des  mauvaises  récoltes  qui  se  succèdent  de  1794  à  1800.  En   1795,   le  ministre   Pitt   projette   de   donner   une   extension   nouvelle   à   la   législation   élisabéthaine   des  pauvres.  Le  cadre  de  toutes  les  institutions  d’assistance,  en  Angleterre  à  cette  époque,  c’est   la  paroisse.  (…)   La   controverse   s’engage   alors   à   propos   des   Poor   Laws*.   (…)   Le   schéma   de   la   perspective  malthusienne  est  célèbre.  L’instinct  qui  pousse  les  hommes  à  se  reproduire  est  impérieux.  Si  le  rythme  de  la  reproduction  reste  constant,   la  population  tend  à  s’accroître  selon  une  progression  géométrique.  Or,  les  subsistances  ne  sauraient  croître  aussi  rapidement,  (…)  au  mieux  selon  une  progression  arithmétique.  Il   y   a   donc   une   tendance   constante   de   la   population   à   devancer   les   progrès   des   subsistances.  Malthus  écrit  :   «  un  homme  qui  naît  dans  un  monde  déjà  occupé,   si   sa   famille  ne  peut   le  nourrir,   ou   si   la  société   ne   peut   utiliser   son   travail,   n’a   pas   le   moindre   droit   à   réclamer   une   portion   quelconque   de  nourriture  ;  il  est  réellement  de  trop  sur  la  terre.  Au  grand  banquet  de  la  nature,  il  n’y  a  pas  de  couvert  mis  pour  lui.  La  nature  lui  demande  de  s’en  aller,  et  elle  ne  tarde  pas  à  mettre  elle-­‐même  cet  ordre  à  exécution  ».  (…)  C’est  Malthus  qui  le  premier  a  montré  dans  l’activité  économique  une  lutte  entre  les  hommes  avides  et   la   nature   avare   où   les   théoriciens   les   plus  modernes   voient   encore   le   principe   spécifique   de   notre  discipline.   C’est   par   lui   que   l’économie   classique   a   été   fondée   sur   la   rareté.   Les   bases   essentielles   du  système  ricardien  (loi  de  la  population,  loi  des  rendements  décroissants,  théorie  de  la  rente)  viennent  de  Malthus.  Et  c’est  Malthus  qui  a  conçu  l’idée  et  fourni   le  principe  d’une  dynamique  économique  linéaire,  d’une  théorie  générale  de  l’évolution  économique.    

D.Villey  et  C.Nême  «  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques  »,  Litec,  1992  *Les   lois  sur   les  pauvres,  ou  Poor  Laws,  obligent   les  paroisses  à  aider   les  plus  pauvres.  Le  débat  qui  apparaît  est  alors  de  savoir  si  ces  aides  sont  désincitatives  et  freinent  l’offre  de  travail  alors  que  le  capitalisme  et  l’industrie  se  développent.  Ces  lois  sont  abrogées  en  1834.        

Document  13  :  Ricardo  (1772-­‐1823)  et  l’état  stationnaire  Intégrer   dans   la   théorie   générale   héritée   de   Smith   les   lois   dynamiques   découvertes   par  Malthus   pour  édifier   un   système   complet   et   cohérent  :   telle   est   l’ambition   (…)   de   David   Ricardo.   Ses   Principes   de  l’économie   politique   et   de   l’impôt   paraîtront   en   1817.   (…)   Nous   distinguerons   dans   la   doctrine   des  «  Principles  »   deux   parties.   D’abord   une   analyse   de   l’économie   interne,   qui   est   essentiellement   une  théorie  dynamique  de  la  répartition,  inspirée  surtout  de  Malthus  et  pénétrée  de  pessimisme.  Ensuite,  une  doctrine  du  commerce  extérieur,  radicalement  libre  échangiste,  qui  repose  sur  une  théorie  statique  des  échanges   internationaux,   que   Smith   inspire   et   qui   respire   l’optimisme.   La   théorie   ricardienne   de  l’économie  interne  est  presque  exclusivement  une  théorie  de  la  répartition  des  revenus.  (…)  Si  Ricardo  se  préoccupe  presque  exclusivement  de  la  répartition  des  richesses,  c’est  surtout  pour  en  supputer  l’avenir.  Pour  Ricardo,   la  valeur  d’une  marchandise  a  pour  mesure  aussi  bien  que  pour  cause  le  travail  qu’elle  a  coûté   à   produire   et   qui   se   trouve   incorporé   en   elle.   (…)   Ricardo   distingue   trois   sortes   de   revenus  :   la  rente   foncière,   le   salaire  et   le  profit.  Trois   classes  d’agents  économiques   leur  correspondent  :   celle  des  propriétaires,  celle  des  ouvriers,  celle  des  capitalistes.  Le  salaire  a  pour  norme  le  minimum  nécessaire  à  la  subsistance  ouvrière.  C’est  la  (…)  loi  des  salaires  que  plus  tard  le  socialiste  allemand  Lassalle  baptisera  la   «  loi   d’airain   des   salaires  ».   (…)   Il   est   certain,   d’abord,   que   le   salaire   ne   saurait   rester   longtemps  inférieur  au  minimum  nécessaire  à  la  subsistance  ouvrière  :  car  cette  situation  provoquerait  une  certaine  mortalité  ouvrière  ;  l’offre  de  travail  en  serait  réduite  et  le  salaire  tendrait  à  remonter.  (…)  Mais  pourquoi  le  salaire  ne  pourrait-­‐il  demeurer  au  dessus  du  minimum  nécessaire  à  la  subsistance  ouvrière  ?  Serait-­‐ce  qu’une   augmentation   de   l’offre   de   travail   s’ensuivrait   nécessairement,   provoquant   une   baisse   des  salaires  ?   Oui   pour   Ricardo,   parce   que   Ricardo   accepte   la   doctrine   de   Malthus  ;   parce   qu’il   croit   à   la  

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nécessaire  pression  de   la  population   sur   les   subsistances.   La   loi   ricardienne  des   salaires   repose   sur   le  principe  malthusien  de  la  population.  (…)    Le  profit  est   le  revenu  du  capitaliste.  Le  profit  est  égal  à   la  différence  entre   le  coût  et   le  prix.   (…)  Pour  qu’il  y  ait  profit,  il  faut  donc  qu’il  y  ait  un  excédent  du  prix  sur  le  coût.  (…)  Pour  expliquer  ce  revenu  sans  travail   qu’est   le   profit,   il   faut   recourir   à   la   valeur-­‐travail.  Une   table   qu’il   a   fallu   une   journée  de   travail  pour   construire   vaut,   en   travail,   une   journée.  Mais   le   salaire   d’une   journée   de   travail   ne   vaut   pas   une  journée   de   travail.   Il   vaut   le   nombre   d’heures   de   travail   nécessaire   pour   produire   la   subsistance   d’un  ouvrier   pendant   une   journée.   Entre   ces   deux   quantités   de   travail   totalement   indépendantes   l’une   de  l’autre,  il  y  a  la  place  pour  une  différence  :  le  profit  du  capitaliste.  (…)    La  rente  de  chaque  terre  cultivée  correspond  exactement  à  l’économie  de  travail  qu’entraîne  l’excédent  de   sa   fertilité   sur   celle  de   la   terre  moins   fertile  effectivement  mise  en  culture.  Ainsi,   le   revenu   foncier,  pour  Ricardo,  est  un  revenu  différentiel.  (…)  La  rente  témoigne  de  la  rareté  des  terres  fertiles.  (…)    La  population  augmente  :  il  en  résulte  que  de  nouvelles  terres  –  moins  fertiles  –  devront  être  emblavées.  La   valeur   du   blé   s’élèvera   (…)   et   toutes   les   terres   verront   leur   rente   s’accroître.   (…)   Le   prix   du   blé  s’élevant,   les   salaires,   dont   la   norme   est   une   quantité   fixe   d’aliments   devront   s’élever   eux   aussi.   Ils  s’élèveront  en  valeur  nominale,  sans  que   la  condition  ouvrière  soit  améliorée.  Ce  qui  baisse  se  sont   les  profits.  Le  capitaliste  paie  plus  cher  son  propriétaire,  il  paie  plus  cher  le  blé  qu’il  consomme,  il  paie  plus  cher   ses   ouvriers,   tandis   que   la   valeur   de   ses   produits   n’a   pas   de   raison  de   changer.   (…)   Le  profit   est  progressivement  comprimé  dans  un  étau  qui  se  resserre  sans  cesse.  Ricardo  pose  une  loi  tendancielle  de  la  baisse  continue  des  profits.   (…)  Quand   la  hausse  des  salaires  aura  absorbé  une  part   telle  des  profits  que  ceux-­‐ci  seront  désormais  insuffisants  pour  stimuler  l’esprit  d’entreprise,  l’évolution  devra  s’arrêter.    

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992      

Document  14  :  Ricardo  et  le  libre-­‐échange  Comme  pour  les  physiocrates  celui  des  propriétaires  fonciers,  l’intérêt  des  industriels  s’identifie  dans  la  pensée   de  Ricardo   à   celui   de   la  Nation.   Ce   qui   sauverait   leurs   profits,   permettrait   du  même   coup   à   la  production  nationale  de  continuer  à  se  développer.  (…)  Faciliter  l’importation  des  grains  étrangers,  c’est  soustraire  l’Angleterre  à  la  nécessité  d’emblaver  des  terres    moins  fertiles.  C’est  donc  briser  le  cercle  fatal  qui   entraîne   les   profits   dans   la   baisse.   Avec   la   théorie   du   commerce   international,   nous   faisons   la  connaissance  d’un  Ricardo  confiant,  optimiste.   (…)  La  doctrine  ricardienne  des  échanges  extérieurs  est  toute   smithienne   d’esprit,   elle   illustre   le   principe   de   l’harmonie   naturelle   des   intérêts  ;  mais   sa   forme  hypothétique,  logique,  rigoureuse,  porte  bien  la  marque  de  son  auteur.  Ricardo  entreprend  une  apologie  serrée  du   libre-­‐échange.   Lui   objecte-­‐t-­‐on  que   l’Angleterre  produit   toutes   choses   à  des   coûts   réels  plus  élevés  que  ses  concurrents  ?  Ricardo  répond  par  sa  célèbre  théorie  des  «  coûts  relatifs  »,  et  démontre  que  même  un  pays  handicapé  pour   la   fabrication  de   toutes   les  marchandises  n’en  a  pas  moins   intérêt  à   se  spécialiser   dans   les   productions   où   il   l’est   le   moins,   à   s’approvisionner   à   l’étranger   des   autres  marchandises.   Ainsi   les   intérêts   de   toutes   les   nations   convergent  :   le   commerce   international   est  avantageux   pour   les   unes   comme   pour   les   autres.   Craint-­‐on   que   le   libre   échange   ne   fasse   sortir  d’Angleterre   l’or   qui   s’y   trouve,   jusqu’à   l’épuisement   (c’est   le   vieux   cauchemar   des   mercantilistes)  ?  Ricardo   répond   par   la   théorie   de   l’équilibre   automatique   de   la   balance   des   comptes.   Un   déficit  permanent  de  la  balance  est  inconcevable.  Si  l’Angleterre  commence  par  importer  plus  de  marchandises  qu’elle  n’en  exporte,   l’or   sortira  d’Angleterre,   et   affluera   chez   ses   fournisseurs.  Mais   il   en   résultera,   en  vertu  de  la  théorie  quantitative  de  la  monnaie,  une  baisse  des  prix  et  des  salaires  anglais,  une  hausse  des  prix   et  des   salaires  dans   les  nations  voisines.  Par   là   les   exportations   anglaises   seront   encouragées,   les  importations  découragées.  L’équilibre  tendra  à  se  rétablir  lui  même.  Telles  sont  les  deux  grandes  lois  sur  lesquelles  Ricardo  fonde  sa  revendication  de  l’abolition  des  droits  de  douane.  (…)  Les  lois  du  commerce  international  ne  sont  point  seulement  une  théorie  :  mais  une  arme,  que  Ricardo  brandit  au  Parlement,  et  qu’après   lui   ses   disciples  manieront   contre   le   protectionnisme  ;   elle   emportera   la   victoire   en   1846,   et  fera  de  l’Angleterre  la  patrie  du  libre-­‐échange.    

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992                        

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2.3 Les théories de la valeur chez les classiques  

Document  15  :  La  théorie  de  la  valeur  chez  Smith     Pour  déterminer  comment  se  fixe  la  valeur  d’une  marchandise,  Smith  montre  qu’il  est  nécessaire  de  distinguer   la  valeur  d’usage  et   la  valeur  d’échange.  La  valeur  d’usage  est   liée  à   la  satisfaction  que   la  marchandise  procure  au  consommateur.  Elle  est  donc  subjective,  spécifique  à  chaque  bien.  Il  montre  que  la  valeur  d’usage  ne  peut  servir  de  fondement  robuste  à  la  théorie  de  la  valeur.  Il  s’appuie  pour  cela  sur  le  paradoxe  de  l’eau  et  des  diamants  :  la  valeur  d’usage  de  l’eau  est  importante  mais  comme  elle  demande  très   peu   de   travail   pour   être   obtenue,   sa   valeur   d’échange   est   nulle   alors   que   c’est   l’inverse   pour   le  diamant.   La   valeur   d’échange,   pour   sa   part,   détermine   les   conditions   dans   lesquelles   une   certaine  quantité   d’une   marchandise   peut   être   échangée   contre   une   quantité   déterminée   d’une   autre  marchandise  ;   c’est   une   conception   objectivée   de   la   valeur.   Plus   précisément,   pour   Smith,   la   valeur  d’échange  est  un  pouvoir  d’acquisition  d’autres  marchandises  :  elle  détermine  ainsi   le  prix  relatif  entre  deux  marchandises.  Smith  considère  que  le  fondement  économique  de  la  valeur  d’échange  est  la  quantité  de   «  travail   commandé  »   nécessaire   à   la   production   de   la  marchandise.   Smith   place   ainsi   l’échange   au  centre   de   son   raisonnement  :   la   valeur   d’une   marchandise   dépend   d’une   capacité   d’achat.   Ainsi,   «  la  richesse  est  un  droit  de  commandement  sur  le  travail  d’autrui  ou  sur  le  produit  de  son  travail  »  (Smith).  

A. Beitone et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, collection U, Armand Colin, 2013

 

Document  16  :  La  théorie  de  la  valeur  chez  Ricardo     Ricardo  complète  la  théorie  de  la  valeur  travail.  L’évaluation  du  prix  d’un  bien  est  bien  déterminé  par   le   travail   nécessaire   pour   le   fabriquer.   Mais   il   y   ajoute   également   le   travail   incorporé   qui   est  nécessaire  à  la  fabrication  des  biens  de  production.    

I.  Waquet  et  alii,  ESH,  collection  J’intègre,  Dunod,  2013    

Document  16  :  La  théorie  de  la  valeur  chez  Say     Pour   J.-­‐B.  Say,   le  principe  de   la  valeur  n’est  point   le   travail  mais   l’utilité.  Une  perle   trouvée  par  hasard   sur   la   plage  ne   représente   aucun   travail.   Elle   a   de   la   valeur  parce  qu’elle   est   utile  :   c’est-­‐à-­‐dire  parce   qu’elle   répond   à   un   désir   des   hommes.   (…)  Mieux   pourtant   que   la   thèse   anglaise   de   la   valeur-­‐travail,  la  doctrine  de  la  valeur-­‐utilité  de  Say  désigne  à  la  pensée  économique  les  chemins  de  son  avenir.  

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992    

 2.4 Marx : le dernier classique ?

 

Document  17  :  Karl  Marx  (1818-­‐1883)  «  Les  crises  ne  sont  jamais  que  des  solutions  momentanées  et  violentes  des  contradictions  existantes,  des  

éruptions  violentes  qui  rétablissent  pour  un  moment  l’équilibre  »    

 Document  18  :  Toutes  les  marchandises  sont  à  la  fois  des  valeurs  d’usage  et  des  valeurs  d’échange  La  richesse  des  sociétés  dans   lesquelles  règne  le  mode  de  production  capitaliste  s'annonce  comme  une  ‘‘immense   accumulation   de   marchandises’’.   L'analyse   de   la   marchandise,   forme   élémentaire   de   cette  richesse,  sera  par  conséquent  le  point  de  départ  de  nos  recherches.  «  La  marchandise  est  d'abord  un  objet  extérieur,  une  chose  qui  par  ses  propriétés  satisfait  des  besoins  humains  de  n'importe  quelle  espèce.  […]  L'utilité  d'une  chose  fait  de  cette  chose  une  valeur  d'usage.  Mais  cette  utilité  n'a  rien  de  vague  et  d'indécis.  Déterminée  par  les  propriétés  du  corps  de  la  marchandise,  elle  n'existe   point   sans   lui.   Ce   corps   lui-­‐même,   par   exemple   le   fer,   le   froment,   le   diamant,   etc.,   est  conséquemment   une   valeur   d'usage   […].   Les   valeurs   d'usage   ne   se   réalisent   que   dans   l'usage   ou   la  consommation.  Elles  forment  la  matière  de  la  richesse,  quelle  que  soit  la  forme  sociale  de  cette  richesse.  Dans   la   société   que   nous   avons   à   examiner,   les   valeurs   d’usage   sont   en   même   temps   les   soutiens  matériels  de   la  valeur  d'échange,   [la  forme  sociale  de  la  richesse].  La  valeur  d'échange  apparaît  d'abord  comme  le  rapport  quantitatif,  comme  la  proportion  dans  laquelle  des  valeurs  d'usage  d'espèce  différente  s'échangent   l'une  contre   l’autre.   […  Qu’est-­‐ce  qui   est   aux   communs  aux  marchandises  et   rend  possible  leur  échange  malgré  des  valeurs  d’usage  différentes  ?  ]  La  valeur  d'usage  des  marchandises  une  fois  mise  de   côté,   il   ne   leur   reste  plus  qu'une  qualité,   celle  d'être  des  produits  du   travail.   […]  Nous   connaissons  

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maintenant  la  substance  de  la  valeur.  C’est  le  travail.  Nous  connaissons  la  mesure  de  sa  grandeur.  C’est  le  temps  de  travail  ».  

Karl  Marx,  Le  Capital.  Tome  I,  Première  section,  Chapitre  Premier,  §1,  1867    

Document  19  :  La  valeur  travail  chez  Marx  Comme  Ricardo,  Marx  considère  que  la  valeur  d’un  objet  est  proportionnelle  à  la  quantité  de  travail  qu’il  incorpore.  Une  marchandise  est  donc  une  valeur  travail.  Mais  Marx  est  bien  conscient  qu’on  pourrait  lui  objecter  que,  le  travail  d’un  manœuvre  n’est  pas  comparable  avec  celui  d’un  ouvrier  très  qualifié  ou  d’un  ingénieur,   il   est   impossible   de   quantifier   le   travail   contenu   dans   une   marchandise.   Autrement   dit,   le  travail  n’étant  pas  homogène,  il  ne  pourrait  pas  constituer  un  étalon.  Pour  lever  cette  difficulté  due  aux  différences   qualitatives   du   travail   et   pour   qu’il   soit   un   bon   instrument   de  mesure   de   la   valeur,   Marx  précise   que   la   valeur   d’une   marchandise   doit   être   mesurée   par   le   «  temps   de   travail   socialement  nécessaire  ».   C’est   la   durée   de   travail   que   la   production   nécessite   en   moyenne   compte   tenu   des  conditions   d’habileté   et   du   niveau   de   développement   de   la   société.   Donc,   le   travail   qui   permet   de  mesurer   la   valeur   est   un   «  travail   abstrait  »   différent   du   «  travail   concret  »   qui   a   effectivement   servi   à  produire  le  bien  considéré.  Pour  parfaire  son  analyse  de  la  valeur  travail,  Marx  distingue  aussi  le  «  travail  direct  »   et   le   «  travail   indirect  »   ou   «  travail   mort  ».   Le   premier   est   celui   du   ou   des   ouvriers   qui   ont  participé   à   la   fabrication   de   la   marchandise.   Le   second   est   celui   qui   est   incorporé   dans   tous   les  équipements,   les   machines,   les   articles   consommés   dans   l’acte   de   production   de   la   marchandise.   Le  travail   humain   n’est   pas,   en   effet,   le   seul   facteur   de   production.   Elle   exige   aussi   du   capital   et   des  consommations   intermédiaires.  Or,   ces  moyens   de   production   sont   eux-­‐mêmes   le   résultat   d’un   travail  qui  a  été  réalisé  au  cours  des  phases  antérieures  à  la  production  de  la  marchandise.  La  valeur  d’un  objet  se  compose  donc  du  travail  direct  que  sa  production  a  nécessité  et  du  travail   indirect  qu’a  nécessité   la  fabrication  des  machines,  outils  et  fournitures  utilisées  au  cours  de  sa  production.    

Gilles  Jacoud,  Ertic  Tournier,  Les  grands  auteurs  de  l’économie,  Collection  initial,  Hatier,  1998    

 

Document  20  :  Les  spécificités  de  la  marchandise  «  force  de  travail  »  Le  travail  est  donc  à  la  fois  le  fondement  et  la  mesure  de  la  valeur.  Mais  là  ne  réside  pas  l’originalité  de  l’apport   de   Marx   car,   sur   ce   point,   il   ne   fait   qu’approfondir   la   théorie   ricardienne.   Sa   principale  innovation   réside   dans   l’application   de   la   loi   de   la   valeur   à   une  marchandise   particulière,   la   force   de  travail.  Cette  expression  désigne  «  l’ensemble  des  facultés  physiques  et  intellectuelles  qui  existent  dans  le  corps  d’un  homme,  dans  sa  personnalité  vivante,  et  qu’il  doit  mettre  en  mouvement  pour  produire  des  choses  utiles  »  (Marx,  Le  Capital,  Livre  1).    La   force   de   travail,   comme   toute   marchandise,   est   une   valeur   d’usage   car,   quand   elle   est   mise   à   la  disposition  d’un  capitaliste,  elle  a  une  utilité,  elle  permet  de  créer  des  produits  et  de   la  valeur.  Elle  est  aussi  une  valeur  d’échange  qui  s’exprime  par  le  salaire.  Marx  assimile  ainsi   le  salariat  à  un  achat  par  le  capitaliste,  non  du  travail  du  salarié,  mais  de  sa   force  de   travail  ou  de  sa  capacité  à   travailler.  En  effet,  dans   le   système  du   salariat,   les   travailleurs   sont   contraints   de   vendre   à   des   employeurs   leur   force   de  travail  pour,  en  échange,  percevoir  un  salaire  et  survivre.  Comment  est  fixé  le  niveau  du  salaire  dans  une  économie  ?  Rappelons  que   le   salaire  est  pour  Marx   le  prix  de   la   force  de   travail   et  que  celle-­‐ci  est  une  marchandise.   Donc,   comme   toute   marchandise,   la   force   de   travail   est   payée   à   sa   valeur   d’échange.  Autrement   dit   la   valeur   de   la   force   de   travail   est   la   quantité   de   travail   socialement   nécessaire   pour  produire   cette   force   de   travail,   c’est-­‐à-­‐dire   pour   produire   les   biens   et   services   dont   l’ouvrier   a   besoin  pour  vivre  et  faire  vivre  sa  famille.  Le  salaire  doit  en  effet  permettre  l’entretien  et  le  remplacement  de  la  force  de  travail,  c’est-­‐à-­‐dire  qu’il  doit  être  suffisant  pour  faire  vivre  le  travailleur,  sa  famille  et  ses  enfants.    

Gilles  Jacoud,  Ertic  Tournier,  Les  grands  auteurs  de  l’économie,  Collection  initial,  Hatier,  1998    

 

Document  21  :  Sur-­‐travail  et  plus-­‐value     Le   capitaliste   veut   à   l’issue   du   processus   de   production   posséder   une   valeur   d’échange  supérieure  aux  dépenses  qu’il  a  du  engager  pour  produire.  (…)  Comment,  dans   la  production,   la  valeur  peut-­‐elle   augmenter  ?  Lisons  Marx  :   «  Pour  pouvoir   tirer  une  valeur   échangeable  nouvelle  de   la   valeur  usuelle   d’une   marchandise,   il   faudrait   que   l’homme   aux   écus   eut   l’heureuse   chance   de   découvrir   au  milieu  de  la  circulation,  sur  le  marché  même,  une  marchandise  dont  la  valeur  d’usage  possédât  la  vertu  particulière  d’être  une  source  de  valeur  échangeable,  de  sorte  que  la  consommer  serait  réaliser  un  travail  et   par   conséquent   créer   de   la   valeur.   Et   notre   homme   trouve   effectivement   sur   le   marché   une  marchandise  douée  de  cette  vertu  spécifique  ;  elle  s’appelle  puissance  de  travail  ou  force  de  travail.  »  

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  Marx   explique   ici   qu’au   cours  du  processus  de  production,   l’ouvrier   vend   sa   force  de   travail   et  perçoit   un   salaire.   Il   travaille   et   crée   des   marchandises   dont   la   valeur   est   supérieure   à   celle   de   sa  rémunération.   Supposons,   par   exemple,   que   la   production   des   moyens   de   subsistance   journaliers  nécessite  6  heures  de  travail.  Le  salarié  doit  alors  travailler  6  heures  par  jour  pour  reproduire  la  valeur  qu’il  obtient  en  percevant  son  salaire.  Or,  son  temps  e  travail  effectif  est  supérieur  à  ce  temps  nécessaire  pour  produire  une  valeur  égale  à  ce  qu’il  reçoit  en  salaire.  Marx  dit  que  la  durée  de  travail  effective  est  supérieure   au   temps   de   travail   nécessaire   pour   produire   une   valeur   égale   à   ce   qu’il   reçoit   en   salaire.  Supposons  donc  que   la  durée   journalière  du   travail   soit   de  10  heures,   les  4  heures  qui   excèdent   les  6  premières  heures  sont  un  surtravail  pendant  lequel  l’ouvrier  produit  de  la  valeur  qu’il  ne  percevra  pas  en  salaire  et  qui  sera  la  propriété  du  capitaliste.  Le  capitaliste  utilise  donc  la  force  de  travail  qu’il  achète  à  sa  valeur  et  à  qui  il  fait  faire  un  surtravail  au  delà  du  temps  de  travail  nécessaire  à  la  reproduction  de  celle-­‐ci.  A   cette   condition,   le   travail   produit   une  plus   value  qui   est   appropriée  par   le   capitaliste.   Cette  plus-­‐value   résulte   donc,   à   la   fois   de   l’achat   de   la   force   de   travail   et   de   la   vente   des  marchandises   à   leurs  valeurs  travail  respectives,  et  de  l’excédent  qui  apparaît  entre  la  valeur  travail  de  la  production  réalisée  et  la  valeur  travail  de  la  force  de  travail  utilisée.  Autrement  dit  le  capitalisme  permet  une  production  de  plus-­‐value  parce  que   la   force  de   travail  est  une  marchandise  qui  a   la  propriété  de  créer  plus  de  valeur  qu’elle  n’en  coûte.  C’est  pourquoi  si  un  capital  initial  est  égal  à  A,  il  devient,  par  le  travail  salarié,  égal  à  A’  =  A  +  Δ  A.     L’emploi   de   la   force   de   travail   donne   aux   capitalistes,   la   possibilité   de   s’approprier   une   plus-­‐value.   Les   salariés,   eux,   sont   privés   d’une   partie   des   richesses   qu’ils   ont   créées,   ils   sont   spoliés   et  exploités.  C’est  pourquoi  les  intérêts  de  la  bourgeoisie  et  du  prolétariat  sont  contradictoires.  Les  profits  des  uns  s’obtiennent  par  l’exploitation  des  autres.  (…)     L’usage   de   la   force   de   travail   est,   pour   Marx,   l’unique   source   de   la   plus-­‐value,   même   si   la  production   exige,   outre   le   travail   humain,   des   machines,   des   outils   ou   des   matières   premières.   Il  considère  que  ces  autres   facteurs  de  production  ne  contribuent  pas  de   la  même   façon  à   la   création  de  valeur   lors  du  processus  de  production.  Pour   lui,   seul   l’ouvrier  crée  plus  de  valeur  qu’il  n’en  coûte.  En  revanche,  la  valeur  des  autres  moyens  de  production  est  uniquement  transmise  au  cours  du  processus  de  production   aux   marchandises   nouvellement   créées.   (…)   Si   on   utilise   une   livre   de   coton   qui   coûte   un  shilling,  son  utilisation  ajoute  au  produit  une  valeur  de  1  shilling.  Cette  valeur  de  1  shilling  est  une  simple  reproduction,  non  une  création.  On  peut  appliquer  le  même  raisonnement  à  une  machine  de  1000  livres  qui  s’userait  en  1000  jours.  Son  emploi  quotidien  transmet  une  valeur  d’une  livre.       Marx  distingue  ainsi   le  capital  variable  et   le  capital  constant.   Il  appelle  capital  variable   la  partie  du  capital  des  entreprises  qui  sert  à  rémunérer  la  force  de  travail,  qui  sert  au  paiement  des  salariés.  Cette  partie  du  capital   contribue  en  effet  à   faire  varier,   en   l’occurrence  à   faire  augmenter,   la  valeur   totale.   Il  appelle   capital   constant   la   partie   du   capital   des   entreprises   qui   correspondent   aux   machines,   aux  consommations  intermédiaires,  car  elle  n’est  que  transmettrice  et  non  pas  créatrice  de  la  valeur.  (…)     Marx  peut  alors  exposer  comment  il  est  possible  de  mesurer  la  valeur  d’un  produit.  La  production  exige  une  consommation  de  capital  constant  (c)  et  de  capital  variable  (v).  La  valeur  d’une  marchandise  est  supérieure  au  capital  engagé,  le  supplément  de  valeur  étant  la  plus  value.  Donc  la  valeur  d’un  produit  est  égale  à  la  somme  du  capital  constant  et  du  capital  variable  engagés  et  de  la  plus-­‐value  (pl)  transmise  par  la  force  de  travail.    

Gilles  Jacoud,  Ertic  Tournier,  Les  grands  auteurs  de  l’économie,  Collection  initial,  Hatier,  1998    

 Document  22  

La  réalisation  de  la  valeur  ou  le  circuit  du  capital    

 

       

       

Capital  sous  forme  argent  :    (A  =  c  +  v  )  

Capital  variable  

Capital  constant  

Marchandise  produite  (M)  

Capital  sous  forme  argent  

(A’  =  c  +  v  +  pl  )  

Accumulation  

Production   Vente  

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Document  23  :  Des  lois  du  capitalisme  à  ses  contradictions  internes  1ère   loi   du   capitalisme  :   l’accumulation   du   capital   («  Accumulez,   accumulez  !   C’est   la   loi   et   les  prophètes  »)     L’accumulation  du  capital  est  le  processus  qui  permet  d’augmenter  le  stock  de  capital  initial  par  l’investissement,   c’est-­‐à-­‐dire   par   l’utilisation   productive   d’une   partie   de   la   plus   value   réalisée.   Plus   le  capitaliste  transforme  en  capital  une  partie  importante  de  sa  plus-­‐value,  plus  l’accumulation  sera  forte  et  plus  il  s’enrichira.  Pour  pouvoir  accumuler  du  capital,   il  doit  vendre  ses  marchandises  et  retransformer  en  capital  une  partie  de  l’argent  ainsi  obtenu.  Par  conséquent,  il  ne  doit  pas  consommer  pour  ses  propres  besoins  l’intégralité  de  sa  plus-­‐value.  Il  ne  peut  en  faire  qu’une  consommation  partielle  pour  procéder  à  un  réinvestissement.       Selon   Marx,   l’accumulation   du   capital   se   fait   le   plus   souvent   avec   une   diminution   de   la  composition   organique   du   capital.   Par   exemple,   les   entreprises   se   concentrent   et   se  mécanisent.   Elles  substituent   du   capital   constant   au   capital   variable.   Leur   demande   de   travail   baisse   donc   tandis  qu’augmente   le   chômage.   Il   y   a   alors   un   excès   de   travailleurs   par   rapport   aux   besoins   de   l’économie.  Marx   qualifie   cette   surpopulation   de   relative.   L’adjectif   relatif   s’oppose   à   celui   d’absolu   qu’utilisait  Malthus  pour  caractérisait  la  surpopulation  quand  le  nombre  d’habitants  d’un  pays  excède  les  moyens  de  subsistance   disponibles.   La   surpopulation   relative   s’explique,   elle,   par   l’accumulation   importante   du  capital   qui   ne   permet   plus   d’utiliser   toute   la   population   active.   Elle   contribue   d’ailleurs   à   son   tour   à  l’accumulation  puisqu’elle   a   créé  une  «  armée  de   réserve   industrielle  »  qui   fait   baisser   les   salaires,   qui  donc  fait  augmenter  la  plus-­‐value  et  ainsi  les  possibilités  d’investissement.       Mais  pourquoi  le  capitaliste  a-­‐t-­‐il  toujours  tendance  à  accumuler  du  capital  ?  Pour  Marx,  c’est  la  concurrence  qui  les  contraint  à  rechercher  en  permanence  à  améliorer  la  productivité  du  travail.  S’il  ne  modernise  pas  sans  cesse  ces  installations,  s’il  n’investit  pas,  il  sera  vite  dépassé  par  d’autres  entreprises  plus  compétitives.  L’accumulation  est  donc  une  loi  du  capitalisme.    2ème  loi  du  capitalisme  :  la  baisse  tendancielle  du  taux  de  profit     Le  capitalisme  connaît,  comme  les  classiques  l’avaient  perçu,  une  tendance  à  la  baisse  du  taux  de  profit.   (…)   La   définition   du   taux   de   profit   permet   à   Marx   de   définir   son   évolution   tendancielle.   Nous  savons   que   du   fait   de   la   concurrence,   le   capitaliste   doit   recourir   aux   innovations   techniques   et   les  incorporer   à   son   organisation,   qu’il   est   conduit   à   accroître   la   part   de   son   capital   constant.  Proportionnellement,   il   augmente   ainsi  plus   vite  que   le   capital   variable.  Or,   seul   le   capital   variable   est  créateur   de   valeur.   Donc,   l’accumulation   du   capital   fait   augmenter   la  masse   totale   du   profit,  mais   fait  diminuer   le   taux   de   profit.   En   effet,   si   v   et   si   pl/v   restent   stables,   l’augmentation   de   c   conduit   à   une  décroissance  du  rapport  pl/  (c+v).  Le  taux  de  profit  baisse  donc  au  fur  et  à  mesure  de  la  modification  de  la   composition   organique   du   capital.   Marx   exprime   ainsi   sa   loi  :   «  La   croissance  progressive   du   capital  constant,  par  rapport  au  capital  variable,  doit  avoir  nécessairement  pour  résultat  une  chute  graduelle  du  taux   de   profit   général,   à   supposer   que   les   taux   de   plus   value   ou   d’exploitation   du   travail   par   le   capital  restent   constants.  »   C’est   pour   Marx   une   loi   économique   très   importante   puisqu’elle   lui   permet   de  montrer   que   le   système   capitaliste   devient   à   terme   un   obstacle   au   développement   économique.   Il   est  condamné  à  s’autodétruire  du  fait  même  de  ses  propres  lois  de  fonctionnement.    Les  contradictions  internes  du  capitalisme     Quand   les   capitalistes   se  heurtent  à   la  baisse  de   leur   taux  de  profit,   ils   essaient  de   trouver  des  solutions  à  ce  problème.  Ils  peuvent  d’abord  allonger  la  journée  de  travail  ou  intensifier  les  rythmes  de  travail  pour  créer  du  surtravail.  Cette  solution  est  bien  évidemment  limitée  (il  n’est  pas  possible  de  faire  travailler   les   individus  24  heures  sur  24),  elle  peut  seulement  permettre  de  contenir  provisoirement  la  baisse   du   taux   de   profit.   La   deuxième   solution   qui   s’offre   à   eux   consiste   à   augmenter   leurs  investissements  pour  tenter  de  contrecarrer  la  tendance  à  la  baisse  du  taux  de  profit  en  faisant  des  gains  d’efficacité.   Or,   seul   le   travail   est   productif   et   créateur   de   valeur,   le   capital   constant   ne   faisant   que  transmettre   sa   propre   valeur   sans   l’accroître.   Donc,   plus   leur   capital   constant   devient   important,   plus  diminue  en  proportion  la  valeur  créée  par  rapport  au  stock  de  capital  engagé  pour  l’obtenir,  autrement  dit  plus  diminue  le  taux  de  profit.  L’agrégation  du  comportement  des  capitalistes  conduit  ainsi  à  la  baisse  cumulative   du   taux   de   profit   et,   à   terme,   à   l’impossibilité   de   la   poursuite   de   la   production   capitaliste.  Marx  inverse  ici  l’hypothèse  fondamentale  de  la  main  invisible  de  Smith,  selon  laquelle  chacun  travaillant  dans   son   propre   intérêt   contribue   à   réaliser   l’intérêt   général.   C’est   une   première   contradiction  interne  du  capitalisme.       En  outre,  l’accumulation  du  capital  conduit  à  une  élimination  des  capitalistes  les  plus  fragiles  :  les  entreprises  deviennent  de  moins  en  moins  nombreuses  et  leurs  dimensions  de  plus  en  plus  étendues.  Les  

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classes  moyennes  (artisans  notamment)   tendent  à  disparaître  et  venir  gonfler   les  rangs  du  prolétariat.  C’est  la  troisième  loi  du  capitalisme,  la   loi  de   la  concentration.  L’accumulation  conduit  également  à  la  paupérisation  du  prolétariat,  c’est-­‐à-­‐dire  le  processus  par  lequel  les  prolétaires  deviennent  plus  pauvres.  C’est  la  quatrième  grande  loi  du  capitalisme  :  la   loi  de   la  paupérisation.  En  accumulant  du  capital,   les  capitalistes  substituent  du  capital  au  travail  ce  qui  détruit  des  emplois  et  crée  une  surpopulation  relative.  A   court   terme,   cette   armée   industrielle   de   réserve   est   favorable   aux   capitalistes   car   elle   pèse   sur   le  marché  du   travail,   empêche   les   salaires  de  monter  dans   les  phases  de  prospérité   et   les   fait  baisser   en  situation  de   crise.  Mais   à   long   terme,   cette   paupérisation,   cette   «  accumulation  de  misère  »   parallèle   à  l’accumulation  de   capital   entre  en   contradiction  avec   le   fait  que   le   capitalisme  crée  de  plus  en  plus  de  richesses.  L’économie  capitaliste  entre  ainsi  dans  une  crise  de  surproduction  par  laquelle  une  partie  de  la  valeur  créée  dans  la  production  ne  peut  plus  se  réaliser.  En  effet,  si  la  production  excède  la  demande,  elle  ne  peut  être  écoulée  qu’à  des  prix   réduits,   voire   inférieurs  aux  coûts  de  production.  Les  marchandises  sont   alors   vendues   en   dessous   de   leur   valeur.   La   crise   constitue   un   arrêt   dans   le   processus   de  reproduction.  C’est  une  deuxième  contradiction  interne  du  capitalisme.    Mais  la  crise  comporte  aussi  des  mécanismes  régulateurs.  Nous  avons  vu  qu’elle  est  due  à  une  surproduction  de  capital  constant.  Or,  elle  aboutit  à  une  destruction  de  capital  constant  puisque  des  machines  deviennent  inutilisées,  suite  par  exemple  aux  faillites,  et  ne  sont  alors  plus  du  capital.  De  même,  la  baisse  des  prix  est  une  dépréciation  de  la   valeur   des  marchandises   et   contribue   à   leur   écoulement.   Pour   ces   raisons,   la   crise   est   un   élément  temporaire,  momentané  de  régulation  de  l’économie.  Toutefois,  de  crises  en  crises,  le  système  s’affaiblira  progressivement   et   générera   des   tensions   sociales   de   plus   en   plus   violentes   entre   le   prolétariat  paupérisé   et   la   bourgeoisie   enrichie.   A   terme   donc,   quand   les   contradictions   internes   du   capitalisme  seront  devenues  très  importantes,  la  classe  ouvrière  renversera  le  système  et  ainsi  abolira  l’exploitation  qui   est   la   sienne.   Après   la   bourgeoisie   qui   a   joué   un   rôle   révolutionnaire   en   constituant   le   mode   de  production  capitaliste,   le  prolétariat  deviendra  une  classe  révolutionnaire.  Par  conséquent,  Marx  décrit  deux  moyens  d’autodestruction  du  capitalisme,  un  vecteur  économique  par  la  baisse  du  taux  de  profit  et  un   vecteur   sociologique   par   la   révolte   inévitable   du   prolétariat   qui   renversera   la   bourgeoisie   et  s’appropriera  les  moyens  de  production.    

D’après  Gilles  Jacoud  et  Eric  Tournier,  Les  grands  auteurs  de  l’économie,  collection  Initial,  Hatier,  1998    

Document  24  :  La  dynamique  du  capitalisme  chez  Ricardo  et  chez  Marx  L’hypothèse  fondamentale  de  la  dynamique  ricardienne  était  l’accroissement  continu  de  la  population,  la  mise  en  culture  des  terres  de  moins  en  moins  fertiles,   la  hausse  du  prix  du  blé.  Toute  la  dynamique  de  Marx  repose  sur  le  progrès  continu  de  la  technique  productive  et  l’accumulation  indéfinie  du  capital.  Le  résultat  de  l’un  et  l’autre  est  un  processus  général  de  concentration  :  les  entreprises  deviennent  de  moins  en   moins   nombreuses,   et   leurs   dimensions   de   plus   en   plus   étendues.   Il   y   a   de   moins   en   moins   de  capitalistes,  qui  sont  de  plus  en  plus  riches  ;  et  de  plus  en  plus  de  prolétaires  de  plus  en  plus  pauvres,  et  qui  sont  de  plus  en  plus  exploités.  Car  d’une  part,  les  capitalistes,  pour  accroître  la  plus  value  augmentent  sans  cesse  la  longueur  de  la  journée  de  travail  ;  tandis  que  d’autre  part,   l’accumulation  du  capital  et  les  progrès  techniques  diminuent  la  valeur  en  travail  de  la  subsistance  ouvrière,  et  donc  le  taux  de  salaire.  La  structure  de  la  société  devient  de  plus  en  plus  dichotomique.  Les  classes  moyennes  (artisans)  tendent  à  disparaître,  et  viennent  grossir  les  rangs  du  prolétariat.  Des  masses  de  chômeurs,  ou  comme  dit  Marx  des  «  armées  industrielle  de  réserve  »  que  le  progrès  du  machinisme  et  les  crises  de  surproduction  alimentent  sans  cesse,  exercent  sur  le  marché  du  travail  une  pression  constante  qui  tend  à  avilir  les  salaires.  Le  taux  du   profit   baisse   aussi   bien   pour  Marx   que   pour   Ricardo.  Mais   non   plus   du   tout   pour   la  même   raison.  Selon  Ricardo,  les  profits  diminuent  du  fait  de  la  hausse  de  la  rente,  du  prix  du  blé  et  des  salaires.  Pour  Marx,  ils  baissent  en  dépit  de  l’élévation  constante  du  taux  de  la  plus  value,  parce  que  la  composition  du  capital   se  modifie.  Dans   le  capital   total   la  part  du  capital  constant   (improductif)   s’accroît   relativement.  Bien  que  la  masse  des  revenus  capitalistes  s’élève  continuellement,  le  taux  de  profits  s’abaisse.      

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992      

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3. La révolution marginaliste et ses prolongements : le développement de la microéconomie  

3.1 Le marginalisme  

Document  25  :  La  révolution  marginaliste     L’économie  théorique  a  été  renouvelée  par  la  découverte  en  1871  de  la  notion  d’utilité  marginale.  Cette   découverte   –   chose   curieuse   –   trois   auteurs   l’on   faite   à   peu   près   simultanément,   en   trois   pays  différents,  et   tout  à   fait   indépendamment   les  uns  des  autres  :   l’Anglais  Stanley   Jevons,   le  Français  Léon  Walras  (qui  enseignait  à  Lausanne)  ;  et   le  professeur  viennois  Karl  Menger.  Un  individu  qui  consomme  plusieurs  doses  successives  d’un  même  bien  économique  trouve  à   la  consommation  de  chacune  d’elles  une   satisfaction   décroissante  ;   or,   c’est   la   satisfaction   que   procure   la   dernière   dose   consommée   –   la  moins  utile  –  qui  détermine  la  valeur  du  bien.  Tel  est  le  principe  qui  domine  toute  la  théorie  économique  moderne.   Il   renouvelle   toutes   les   perspectives   de   la   pensée   économique.   Les   controverses   désormais  n’ont   plus   de   raison   d’être,   qui   opposaient   jusqu’alors   les   partisans   de   la   valeur   utilité   (comme   Jean-­‐Baptiste   Say),   les   partisans   de   la   valeur   travail   (Ricardo)   et   les   partisans   de   la   valeur   rareté   (Auguste  Walras).  Il  n’y  a  plus  à  choisir  entre  ces  différents  fondements  de  la  mesure  de  la  valeur,  puisqu’un  seul  concept  les  inclut  tous  les  trois.  L’utilité  marginale,  c’est  en  effet  une  mesure  psychologique  de  la  valeur  ;  mais  qui  dépend  de  la  quantité  de  produits  consommés  ;  laquelle  dépend  elle-­‐même  de  leur  coût  (dont  le  travail).   A   partir   de   la   découverte   marginaliste,   on   peut   considérer   comme   résolu   le   problème   de   la  valeur.   Et   la   théorie   économique   est   dotée   d’un   instrument   nouveau,   aux   destinées   incalculables  :  l’analyse  à  la  marge.    

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992      

Document  26  :  L’analyse  marginaliste     Le  point  de  départ  des  travaux  marginalistes  est  l’étude  du  comportement  du  consommateur.  Ils  considèrent  que   le   consommateur   a  des  préférences   (des   goûts)  ;   qu’en   fonction  de   ses  préférences,   il  cherche   à   obtenir   la   satisfaction   la   plus   grande   possible   compte   tenu   de   ses   contraintes   (contrainte  monétaire,   temps,   etc.)   ;   qu’il   est   capable   de   réaliser   un   calcul   coût-­‐avantage   qui   lui   apporte   la  satisfaction   la   plus   grande   possible.   Ce   calcul   «  des   plaisirs   et   des   peines  »   nécessite   l’utilisation   deux  hypothèses  :  d’une  part,   l’utilité  retirée  de  la  consommation  d’un  bien  est  décroissante  avec  la  quantité  consommée  (loi  de  Gossen),  et,  d’autre  part,   le  consommateur  est  rationnel.  Si   l’utilité  est  décroissante,  cela  signifie  que  plus  l’individu  consomme  une  quantité  importante  d’un  bien,  plus  la  satisfaction  retirée  par  la  dernière  unité  consommée  baisse.  Dit  autrement,  la  valeur  que  le  consommateur  accorde  à  ce  bien  baisse  et  il  sera  prêt  à  payer  un  prix  de  moins  en  moins  élevé  pour  en  consommer  davantage.  En  fonction  des  préférences  du  consommateur  et  des  contraintes  de  budget  (revenu  et  prix)  il  est  donc  possible  de  construire  un  modèle  qui   rende   compte  de   son   comportement.   La   construction  de   ce  modèle   s’appuie  également   sur   l’hypothèse   de   rationalité.   Cette   rationalité   est   à   la   fois   une   rationalité   cognitive  :   le  consommateur   sait   exactement   à   l’avance   les   conséquences   de   tous   ses   choix   possibles   en   termes   de  satisfaction,   et   une   rationalité   instrumentale  :   le   consommateur   utilise   au   mieux   ses   moyens.   En  combinant  ces  deux  rationalités,   l’agent  économique  fait   les  meilleurs  choix  possibles,  c’est-­‐à-­‐dire  ceux  qui   permet   d’éviter   tout   gaspillage   compte   tenu   1)   de   l’objectif   recherché  ;   2)   des   ressources  (contraintes)   à   sa   disposition.   Les   marginalistes   se   servent   de   la   figure   de,   ce   que   l’économiste  néoclassique   Pareto   va   appeler   plus   tard   «  l’homo   oeconomicus  ».   L’homo   oeconomicus   est   celui   qui  grâce  à  un  calcul  rationnel  sait  le  mieux  utiliser  ses  moyens  pour  atteindre  ses  fins.       On   remarque  que  dans   cette  démarche   les   économistes  ne   cherchent  pas   à   rendre   compte  des  goûts   (des   préférences)   qu’ils   considèrent   comme   donnés   et   exogènes   au   modèle   (et   éventuellement  dont   l’étude   relève   d’autres   sciences   sociales)   mais   à   rendre   compte   du   processus   de   décision.   La  question  sur  laquelle   ils  se  penchent  n’est  pas  «  pourquoi  mangent-­‐ils  des  pommes  ?  »  mais  «  comment  prennent-­‐ils  la  décision  d’en  manger  plus  ou  moins  (compte  tenu  du  prix  des  pommes  et  de  l’existence  d’autres  biens  substituables  comme  les  poires)  ?  ».     Comme   nous   l’avons   déjà   souligné,   pour   rendre   compte   du   comportement   des   agents  économiques,   les   marginalistes   utilisent   des   modèles   mathématiques   simplifiés   qui   expriment   les  préférences   des   individus   et   intègrent   la   contrainte   budgétaire   (revenu   et   prix   des   biens),   à   partir  desquels  ils  mettent  en  place  des  calculs  d’optimisation  (maximisation  de  la  satisfaction  compte  tenu  de  la  contrainte  budgétaire  ou  bien  minimisation  de  la  dépense  compte  tenu  d’une  contrainte  de  satisfaction  attendue).  Les  marginalistes  s’intéressent  alors  aux  modifications  de  comportements  qui  proviennent  de  variations  d’un  des  éléments  de  la  contrainte  budgétaire  :  le  prix  d’un  des  biens  ou  le  revenu.    

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  Ces  premiers  modèles  économiques  sont  des  modèles  microéconomiques.  Ils  ont  pour  objectif  de  rendre  compte  des  décisions  individuelles  des  entités  économiques.       Pour  Stanley  Jevons  :  «  l’économique,  à  parler  scientifiquement,  est  une  science  très  restreinte.  C’est  une   sorte  de  mathématique,  qui   calcule   l’effet   et   la   cause  de   l’industrie  humaine  et   indique   comment  elle  peut  être  mieux  appliquée  ».  Ce  que  l’économie  néoclassique  Lionel  Robbins  reformulera  plus  tard  sous  la  forme   suivante   (1947)  :  «     l’économie   est   la   science   qui   étudie   le   comportement   humain   en   tant   que  relations  entre  des  fins  et  des  moyens  rares  à  usages  alternatifs  ».    Dès  lors,  l’économie  (comme  science)  se  définie  moins  par  son  objet  d’étude  (la  production,  consommation  et  répartition  des  richesses)  que  par  la  manière  dont  elle  étudie  les  activités  humaines  (est  «  économique  »  toute  activité  qui  peut  être  étudié  à  partir  du  postulat  des  décisions  rationnelles  optimisatrices  dans  l’utilisation  de  ressources  rares  à  usage  alternatif).      

3.2 L’école néoclassique  

3.2.1 Equilibre partiel et équilibre général en CPP  

Document  27  :  Equilibre  partiel  et  équilibre  général     L’objectif  de  Walras  est  de  déterminer   le  système  de  prix  relatifs  et  de  quantités  échangées  des  biens  lorsqu’une  économie  de  concurrence  pure  et  parfaite  est  à  l’équilibre  général.  Cette  caractérisation  de  l’économie  recouvre  trois  aspects  :       Le  premier  est   la  concurrence  (pure  et)  parfaite.   (…)  La   légitimité  de   cette  hypothèse  n’a   rien  à  voir  avec  son  réalisme.  Il  s’agit  simplement  de  décrire  l’économie  d’une  façon  qui  traduise  par  excellence  la   liberté  des  agents  et   leur  égalité  de   statut  dans   leur   capacité  à   contracter.  La   concurrence   (pure  et)  parfaite   se   définit   moins   par   ses   conditions   (grand   nombre   d’agents,   libre   entrée   et   sortie   sur   les  marchés,   homogénéité   du   bien,   information   parfaite   etc.)   que   par   leur   conséquence  :   aucun   agent  individuel   n’est   supposé   avoir   d’influence   sur   les   prix.   Cela   ne   signifie   pas   qu’il   soit   inactif  :   il   dispose  d’une  variable  de  contrôle,   la  quantité  qu’il  offre  ou  demande  de  chaque  bien.  Cela  ne  signifie  pas  non  plus  que,   pris   ensemble,   les  offreurs   et  demandeurs  des  biens  n’ont  pas  d’influence   sur   leurs  prix  :   au  contraire,  c’est   leur  rencontre  qui  les  détermine.  Mais  aucun  agent  individuel  n’a  le  pouvoir  de  fixer  ou  d’influencer  le  prix.  Ce  régime  de  concurrence  se  distingue  de  la  concurrence  imparfaite  au  sens  le  plus  général,  où,  pour  quelque  raison  que  ce  soit,  un  agent  ou  un  groupe  particulier  d’agents  peut,  comme  on  dit  dans  la  littérature  moderne,  «  faire  le  prix  ».     Le  deuxième  aspect   est   l’équilibre  de  marché.   Celui-­‐ci   est   réalisé  pour  un  bien   lorsqu’il   n’existe  aucune   force  endogène  susceptible  de  modifier   le  prix,  qui  est  ainsi   le  prix  d’équilibre.  Puisque  c’est   le  rapport  entre   l’offre  et   la  demande  du  bien  qui   fait  varier  son  prix,   l’équilibre  de  marché  se  définit  par  l’absence  d’une  offre  ou  d’une  demande  excédentaire.  Comme  l’offre  et   la  demande  sur   le  marché  d’un  bien   résultent   de   l’agrégation   des   offres   et   des   demandes   individuelles   respectives,   cette   condition  signifie  que  chaque  agent  est  lui-­‐même  en  équilibre,  puisqu’il  écoule  exactement  la  quantité  qu’il  offre  au  prix  d’équilibre  ou  obtient  exactement  la  quantité  qu’il  demande  à  ce  prix.  (…)     Le   troisième   aspect   est   l’équilibre   général.   Il   désigne   l’état   d’une   économie   dans   lequel,   non  seulement   tous   les   marchés   sont   en   équilibre,   mais   encore   leur   interdépendance   est   explicitement  analysée.   Cette   méthode   diffère   ainsi   de   l’analyse   en   équilibre   partiel.   En   équilibre   partiel,   chaque  marché   est   étudié   ceteris  paribus,   sous   l’hypothèse   que   tous   les   autres  marchés   sont   et   demeurent   en  équilibre,  quoiqu’il  arrive  sur  le  marché  considéré.  La  rationalité  de  l’agent  individuel  étant  un  choix  sous  contrainte,   il   va   de   soi   qu’une   offre   ou   une   demande   adressée   à   un  marché   a   un   effet   sur   les   autres  marchés.  Mais  l’on  suppose  qu’il  est  possible  d’une  part  de  séparer  cet  effet  (et  donc  aussi  les  effets  que  ce  marché  subit  en  provenance  des  autres),  et  d’autre  part  les  phénomènes  propres  au  marché  considéré.  Il  en  va  tout  autrement  en  équilibre  général  :   les  offres  et   les  demandes  dépendent  de  tous   les  prix  (et  revenus,   qui   sont   eux-­‐mêmes  des  prix)  déterminés  dans   l’économie.   Les   équilibres  de  marché  ne   sont  plus  juxtaposés  mais  interdépendants.    

Ghislain  Deleplace,  Histoire  de  la  pensée  économique,  Dunod,  2007  (2ème  édition)      

Document  28  :  Le  tâtonnement  walrassien     Le   processus   d’ajustement   des   prix   relatifs   des   marchandises   a   chez   Walras   plusieurs  caractéristiques  qui  ne  sont  ni  arbitraires  ni  réalistes  mais  requises  par  le  résultat  attendu  :  la  formation  de  l’équilibre  général.  

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  La  première  caractéristique  est  l’existence  d’un  numéraire.  (C’est)  le  bien  dont  l’unité  de  quantité  est   en   même   temps   l’unité   de   mesure   des   prix   réels   de   tous   les   autres   biens.   (…)   En   changeant   la  définition   du   prix   relatif,   l’introduction   du   numéraire   modifie   la   représentation   du   marché.   On   ne  cherche  plus  à  échanger  un  bien  contre  un  autre,  comme  dans  le  troc  bilatéral  ;  sur  le  marché  d’un  bien,  tous  ceux  qui  l’offrent  (et  qui  demandent  les  autres  biens  sur  les  autres  marchés)  sont  confrontés  à  tous  ceux  qui  le  demandent  (et  qui  offrent  les  autres  biens  sur  les  autres  marchés).  La  formation  de  ces  prix  d’équilibre   sur   ces   marchés   interdépendants   requiert   alors   une   procédure   de   coordination,   qui   doit  préserver  l’hypothèse  de  concurrence  (pure  et)  parfaite,  c’est-­‐à-­‐dire  la  caractère  paramétrique  des  prix  pour  tous  les  agents.  Walras  suppose  que  les  prix  en  numéraire  sont  «  criés  »  sur  tous  les  marchés,  ce  qui  permet  aux  agents  de  déclarer  les  quantités  qu’ils  sont  prêts  à  offrir  ou  à  demander  à  ces  prix.       La   deuxième   caractéristique   du   processus   d’ajustement   est   donc   l’existence   d’un   crieur,  institution  non  marchande  de  coordination  des  marchés.  Pas  plus  que  les  agents,  le  «  crieur  »  ne  connaît  les   fonctions  de   comportements   des   offreurs   et   demandeurs   individuels,   et   il   ne   peut   donc   calculer   le  système  de  prix  d’équilibre  assurant   l’égalité  des  offres  et  des  demandes  agrégées  de  marchandises  ;   il  crie  donc  les  prix  «  au  hasard  ».  Mais  il  peut  enregistrer  les  quantités  déclarées  par  les  agents  à  ces  prix  de  déséquilibre,  et  en  déduire  si  c’est  la  demande  ou  l’offre  qui  est  excédentaire  qui  est  excédentaire  sur  chaque  marché.       Une   troisième  caractéristique  est  alors  une  règle  d’ajustement  des  prix,   appliquée  par   le   crieur  pour  échapper  au  hasard  initial.  Cette  règle  conduit  à  modifier  le  prix  d’un  bien  dans  le  sens  donné  par  le  signe  de  la  différence  entre  la  demande  agrégée  et  l’offre  agrégée  de  ce  bien  (sa  demande  excédentaire  agrégée).  En  effet,  l’offre  étant  une  fonction  croissante  du  prix  et  la  demande  une  fonction  décroissante,  une  demande  excédentaire  agrégée  positive  signifie  que  le  prix  crié  initialement  a  été  trop  bas  (puisqu’il  a   suscité   une   offre   insuffisante   pour   satisfaire   la   demande   à   ce   prix)  ;   il   faut   donc   l’augmenter.  Symétriquement,   il   faut   diminuer   le   prix   d’un   bien   pour   lequel   le   signe   de   la   demande   excédentaire  agrégée  est  négatif.       Le  processus  d’ajustement  est  censé  ainsi  faire  converger  les  prix  vers  leurs  valeurs  d’équilibre,  ce  qu’illustre  l’image  du  «  tâtonnement  ».  En  accord  avec  l’hypothèse  d’absence  d’échanges  tant  que  les  prix  d’équilibre  n’ont  pas  été  atteints,  les  quantités  offertes  et  demandées  tout  au  long  du  processus  ne  sont   que   virtuelles  :   elles   ne   donnent   lieu   à   aucune   production   ou   consommation.   Dans   les   termes   de  Walras,   il   n’y   a   que   des   «  échanges   sur   bons  »  :   les   agents   se   contentent   d’inscrire   sur   des   bons   les  quantités   qu’ils   sont   prêts   à   offrir   et   demander   aux   prix   criés.   C’est   la   quatrième   caractéristique   du  tâtonnement  :  l’absence  d’échange  en  dehors  de  l’équilibre.    

Ghislain  Deleplace,  Histoire  de  la  pensée  économique,  Dunod,  2007  (2ème  édition)    

 

Document  29  :  L’équilibre  de  marché  est  un  optimum  de  Pareto     L’équilibre  de  concurrence  parfaite,  après  que  les  offres  et  les  demandes  aient  été  satisfaites,  se  traduit   par   une   répartition  des   ressources   entre   les   agents   économiques.  D’où   la   question,   inévitable  :  cette   répartition   est-­‐elle   «  bonne  »,   d’une   façon   ou   d’une   autre  ?   La   réponse   est  :   oui,   du  moins   si   on  compare  les  états  de  l’économie  selon  un  critère  précis,  le  critère  de  Pareto.  A  quelques  réserves  près,  on  peut  même  dire  que  les  équilibres  de  concurrence  parfaite  sont  des  «  optimums  »  selon  ce  critère  (on  dit  alors   qu’ils   sont   des   Optimums   de   Pareto).   Ils   représentent   par   conséquent   des   affectations   des  ressources  souhaitables,  une  norme  vers  laquelle  il  faut  tendre.       L’importance   donnée   à   la   concurrence   parfaite   –   plus   précisément,   à   ses   équilibres   –   est   alors  justifiée  par  son  rôle  de  norme  :  le  modèle  désigne  ce  qui  doit  être,  et  pas  forcément  ce  qui  est.       Les  équilibres  de  concurrence  parfaite  ne  sont  toutefois  des  optimums  de  Pareto  que  si  certaines  hypothèses  sont  vérifiées  –  essentiellement  l’existence  d’un  système  complet  de  marchés.  Ainsi,  ils  ne  le  sont  plus  s’il  existe  des  effets  externes  (ou  des  externalités).  Dans  une  perspective  normative,  le  théoricien  s’intéresse   alors   aux   politiques   à   mettre   en   œuvre   pour   pallier   les   inconvénients   qui   résultent   de   la  présence   d’externalités   négatives   –   ou   pour   favoriser   les   externalités   positives.   Ce   chapitre   traite   de  toutes  ces  questions,  dont  les  théoriciens  néoclassiques  disent  qu’elles  relèvent  de  l’  «  économie  du  bien-­‐être  »  (welfare  economics),  le  bien-­‐être  concernant  ici  la  société  dans  son  ensemble.  (…)     Un   état   réalisable   d’une   économie   est   une   répartition   des   ressources   disponibles   entre   les  individus  qui  composent  cette  économie.  (…)  Le  critère  de  Pareto  est  un  critère  unanimiste  –  il  exige  que  tout  le  monde  soit  d’accord  pour  passer  (d’un  état  réalisable  à  un  autre).  L’unanimité  étant  loin  d’être  le  cas   le   plus   courant,   ce   critère   ne   s’applique   pas   à   toutes   les   répartitions   possibles   des   ressources  ;  autrement   dit,   il   ne   permet   pas   d’effectuer   un   classement   total,   ou   complet,   des   états   réalisables   de  

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l’économie.   En   fait,   si   un   état   réalisable   X   est   préféré   à   un   autre   état   réalisable   Y   selon   le   critère   de  Pareto,  c’est  parce  qu’il  existe  des  échanges  mutuellement  avantageux  qui  permettent  de  passer  de  Y  à  X.     Quand  un  état  réalisable  est  tel  qu’il  n’y  subsiste  plus  d’échange  mutuellement  avantageux,  quels  que  soient  les  agents  considérés,  alors  on  dit  qu’il  est  un  optimum  de  Pareto.  Il  existe  généralement  une  infinité   d’optimums   de   Pareto   qui   peuvent   correspondre   à   des   répartitions   très   différentes   des  ressources   entre   les   individus.   Ainsi,   l’état   dans   lequel   un   agent   détient   toutes   les   ressources   de  l’économie   est   un   optimum   de   Pareto.   Tel   n’est   pas   le   cas,   en   revanche,   de   l’état   où   les   ressources  disponibles  sont  réparties  de  façon  égale  entre  des  agents  ayant  des  goûts  différents  (car  ils  ont  alors  des  taux  marginaux  de   substitution  différents   au  panier   de   biens   –   le  même  pour   tous   –   qu’ils   détiennent  dans  cet  état).  (…)     Parmi  toutes  ses  affectations  possibles  des  ressources  de  l’économie  (ses  états  réalisables),  il  y  a  celles  qui  correspondent  à  des  équilibres  de  concurrence  parfaite,  c’est-­‐à-­‐dire  celles  ou  chaque  individu  obtient   ce   qu’il   demande   au   prix   affiché   par   le   commissaire   priseur   –   qui   a,   au   préalable,   recueilli   les  offres  faites  à  ces  prix  par  les  uns  et  par  les  autres.  Un  système  de  prix  est  donc  affecté  à  ces  affectations  de  ressources.  Celles-­‐ci  ont  une  propriété,  qui  conduit  à  les  privilégier,  d’un  point  de  vue  normatif  :  c’est  le  premier  théorème  de  l’économie  du  bien-­‐être  qui  s’énonce  de  la  façon  suivante  :       Premier   théorème  :   s’il   existe  un  système  complet  de  marchés  et   si   les  préférences  des  agents   sont  monotones,   alors   l’affectation   des   ressources   d’un   équilibre   de   concurrence   parfaite   est   un   optimum   de  Pareto.     Deuxième  théorème  de  l’économie  du  bien-­‐être  :  si  les  hypothèses  du  premier  théorème  sont  vérifiées  et   si,   en  outre,   les  préférences  des  ménages   et   les   ensembles  de  production  des   entreprises   sont   convexes,  alors   à   tout   optimum   de   Pareto   on   peut   associer   un   ensemble   de   prix   pour   lequel   cet   optimum   est   un  équilibre  de  concurrence  parfaite.    Emmanuelle  Bénicourt,  Bernard  Guerrien,  La  théorie  économique  néoclassique,  coll.  Grands  Repères,  La  Découverte,  

2008      

3.2.2 Les défaillances de marché : des cas exceptionnels dans le fonctionnement du marché  

Document  30  :  Les  défaillances  de  marché     On   dit   qu’on   est   en   présence   d’effet   externe   ou   d’externalité,   lorsque   les   activité   d’un   (ou  plusieurs)   individu(s)   on   un   effet   sur   le   bien-­‐être   (ou   le   profit)   de   certains   autres,   sans   qu’il   y   ait   de  transactions  délibérées,  ou  marchandes,  entre  eux.       La  présence  d’effets  externes   implique  une  affectation  des  ressources  sous-­‐optimale  au  sens  de  Pareto.   L’exemple   de   l’entreprise   polluante   permet   d’en   donner   une   illustration.   Supposons   que   les  personnes  affectées  par  des  émissions  nocives  se  cotisent  pour  y  mettre   fin  –  ou  pour   les   limiter  –,  en  finançant   la  mise   en   place   de   filtres   ou   d’autres   dispositifs   appropriés.   Si   le   gain   en   bien-­‐être   qui   en  résulte   pour   elles   l’emporte   sur   la   perte   due   au   paiement   de   la   cotisation,   alors   la   situation   des  populations  s’améliore,  sans  que  celle  de  l’entreprise  se  détériore  (puisque  l’opération  ne  lui  coûte  rien).  On  parvient  ainsi  à  une  affectation  des  ressources  supérieures,  selon  le  critère  de  Pareto,  y  compris  si  la  situation   de   départ   est   un   équilibre   de   concurrence   parfaite.   Celui-­‐ci   n’est   donc   pas   un   optimum   de  Pareto.     Dans   les   présentations   usuelles   de   la   théorie   néoclassique,   les   effets   externes   sont   présentés  comme  une  «  défaillance  des  marchés  »,  puisqu’ils  empêchent  que  l’équilibre  de  concurrence  parfaite  –  assimilé  au  «  marché  parfait  »  -­‐  soit  un  optimum  de  Pareto.  Dans  une  perspective  clairement  normative,  l’attention  porte  alors  sur  les  politiques  à  mettre  en  œuvre  pour  «  rétablir  l’optimalité  ».  (…)     Une  façon  de  résoudre  le  problème  des  effets  externes  consisterait  donc  à  «  créer  des  marchés  »  là  où  il  n’y  en  a  pas,  en  attribuant  un  prix  aux  biens  (nuisances)  à  l’origine  de  ces  effets  et  en  le  faisant  varier   en   fonction  des  offres   et  des  demandes   (de   concurrence  parfaite)  qu’il   suscite.   Si   ces  biens  ont,  cependant,  d’un  traitement  particulier,  y  compris  sur  le  plan  théorique,  c’est  forcément  parce  qu’ils  sont  d’une  nature  différente  de  celle  des  autres.  Cette  différence  tient  généralement  au  fait  que  de  tels  biens  sont   collectifs,   car   ils   peuvent   être   utilisés   (ou   subis)   simultanément   par   plusieurs   individus  (contrairement   aux   biens   privatifs,   qui   sont   consommés   par   une   seule   personne).   L’air   pur   de   notre  exemple  est  un  bien  collectif,  puisqu’un  ciel  pollué  profite  à  tout  le  monde.       L’existence   de   ces   biens   collectifs   empêche   que   l’on   puisse   parvenir   à   un   optimum   de   Pareto  en  «  créant   les  marchés  manquants  »   et   fait   donc   perde   une   bonne   partie   de   son   intérêt   –   sur   le   plan  normatif  –  à  l’équilibre  de  concurrence  parfaite,  même  aménagé.  En  effet,  si  un  individu  est,  par  exemple,  disposé   à   payé   pour   vivre   dans   un   environnement   non   pollué,   il   ne   l’obtiendra   que   si   les   autres   –   ou    

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d’autres  -­‐    sont  prêts  à  en  faire  autant.  Car  acheter  des  droits  à  l’air  pur  ne  lui  permet  pas  de  se  promener  dans  une  sorte  de  bulle  d’air,   limitée  à  sa  propre  consommation  !  Dans  le  cas  de  l’usine  polluante  où  le  ménages  se  cotisent  pour  financer  la  mise  en  place  de  filtres,  chacun  doit  contribue  pour  que  le  résultat  soit  atteint.  Mais  pourquoi  le  faire  ?  Un  individu  rationnel  se  dira  :  «  Pourquoi  vais-­‐je  cotiser  ?  Il  suffit  que  tous   les   autres   le   fassent  pour  que   je  bénéficie  du   résultat   attendu   sans  qu’il   ne  m’en   coûte   rien.  »   S’il  s’abstient  de  contribuer,  on  dit  qu’il  se  comporte  en  passager  clandestin  (…).       Si  tout  le  monde  tient  le  même  raisonnement,  le  bien  collectif  ne  sera  évidemment  pas  «  produit  »  -­‐  dans  notre  exemple,  la  pollution  sera  maximum.  Même  s’il  y  a  création  d’un  marché,  le  résultat  ne  sera  pas  un  optimum  de  Pareto.       Lorsqu’il  existe  des  biens  collectifs  –  et  ceux-­‐ci  sont  très  nombreux,  puisqu’ils  vont  de  la  pollution  à   l’éducation,   en   passant   par   tout   ce   qui   touche   à   la   beauté   et   à   la   qualité   de   l’environnement   –,  l’affectation  des  ressources  obtenues  par  le  biais  d’un  système  de  prix,  même  s’il  est  mis  en  place  par  un  commissaire-­‐priseur   (ndlr  :   le   crieur  chez  Walras),  ne   résout  donc  pas   le  problème  posé  –   sur  un  plan  normatif  –  par  les  biens  collectifs.  Pour  parvenir  à  une  situation  préférable,  selon  le  critère  de  Pareto,  il  faut   envisager   d’autres  modes   d’affectation   des   ressources,   plus   directs   (par   exemples   des   cotisations  obligatoires  –  sous  formes  d’impôts  –  qui  sont  utilisés  pour  la  production  de  biens  collectifs).    

E.  Bénicourt,  B.  Guerrien,  La  théorie  économique  néoclassique,  coll.  Grands  Repères,  La  Découverte,  2008  (3ème  édition)  

   

3.3 L’école autrichienne  

Document  31  :  Points  communs  et  différences  entre  les  approches  néoclassiques  et  autrichiennes  Les  autrichiens  partagent  avec  les  néoclassiques  leur  origine,  ces  deux  courants  théoriques  sont  issus  de  l’école   marginaliste,   et   l’idée   centrale   selon   laquelle   le   marché   concurrentiel   permet   la   meilleure  allocation  possible  des  ressources.    Mais   les   différences   entre   les   deux   courants   sont   très   nombreuses.   Dans   le   modèle   néoclassique,   la  concurrence   est   associée   à   un   équilibre   statique  :   compte   tenu   des   différentes   contraintes   des   agents  économiques  et  de  leurs  objectifs,  le  marché  consiste  à  rendre  compatible  les  décisions  en  cherchant  le  prix  et   la  quantité  d’équilibre,  qui  vont  correspondre  à  une  situation  d’optimum.  Une   fois  cet  optimum  atteint  l’échange  à  lieu.  Plus  rien  ne  bouge.    Chez   les   autrichiens,   l’idée   d’équilibre   statique   n’a   pas   de   sens  :   ce   qui   caractérise   le  marché,   c’est   au  contraire  le  changement  permanent,  c’est  la  dynamique  plutôt  que  l’équilibre.    Les  autrichiens,  à  la  différence  des  néoclassiques,  s’appuient  sur  l’hypothèse  que  l’information  qui  circule  sur   le  marché  n’est  pas  parfaite.  Les   individus  évoluent  dans  un  monde   incertain.  Pourtant,   ils  doivent  prendre   des   décisions.   Comment   s’y   prennent-­‐ils  ?   Le  marché   par   l’intermédiaire   des   prix   permet   de  faire   circuler   de   l’information   sur   les   opportunités   qui   apparaissent   dans   certains   secteurs   (mais  également  sur  les  secteurs  en  crise).  Les  agents  économiques  doivent  alors  utiliser  ces  informations  pour  ajuster   en   permanence   leurs   comportements   afin   d’améliorer   leurs   situations.   Le   système   des   prix  permet  donc   à   l’allocation  marchande  de   réaliser   la  meilleure   coordination  possible   des  décisions  des  agents   économiques.   Ce   qui   confère   au   marché   concurrentiel   sa   supériorité   dans   l’allocation   des  ressources   ce   n’est   pas   qu’il   permette   d’atteindre   l’équilibre,   mais   qu’il   assure   la   circulation   de  l’information   par   le   signal   des   prix,   dans   un   univers   qui   est   sans   arrêt   en   déséquilibre.   Par   exemple,  quand  sur  un  marché  apparaît  un  monopole,  cela  va  se  traduire  sur  les  prix  (hausse)  mais  cette  hausse  des   prix   va   indiquer   aux   autres   producteurs   que   le   marché   est   rentable   et   qu’il   faut   y   investir.   Le  monopole   n’est   donc   pas   une   situation   de   marché   «  sous   optimale  »   mais   l’indicateur   d’un   marché  porteur,  dynamique  dans  lequel  il  faut  investir.  Les  prix  fonctionnent  comme  des  signaux  d’opportunité  pour   les   entrepreneurs.   Le   marché   concurrentiel   permet   alors   de   coordonner   les   comportements  individuels  vers  un  ordre  spontané.  Comme  chez  Smith,  le  marché  est  donc  au  fondement  du  lien  social.  Mais,   si   la   puissance   publique   cherche   à   intervenir   dans   l’économie,   et   à   remplacer   le  marché,   elle   se  heurte  aussi  à  l’incertitude  et  à  l’information  imparfaite,  et  elle  ne  peut  pas  être  capable  de  «  battre  »  le  marché  dans  sa  capacité  à  allouer   les  ressources  de  la  meilleure  façon  possible.  Comme  l’Etat  n’est  pas  omniscient,   ses   interventions   perturbent   les   mécanismes   des   prix   et   ses   vertus  :   l’allocation   des  ressources.  L’intervention  publique  empêche  l’ordre  spontané  du  marché  d’émerger.  Cela  signifie  qu’il  ne  peut  pas  modifier  la  répartition  des  revenus  au  nom  d’un  critère  de  justice  sociale  qui  consiste  à  affirmer  qu’il   aurait   été   possible   d’obtenir   un   autre   résultat,     différent   et   plus   juste.   C’est   en   ce   sens   qu’Hayek  affirme  que   le  vocable  de   justice  sociale  est  vide  de  sens.  Pour  qu’une  situation  soit  considérée  comme  injuste   il   faut   être   capable   de   montrer   qu’il   aurait   pu   se   passer   autre   chose,   être   capable   de   définir  

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«  avant  que   le  marché  ne   fonctionne  »  ce  que  serait  une  situation  «  juste  »  et  pourquoi   il   faudrait  alors  corriger  un  résultat.    Les   autrichiens   prolongent   les   travaux   des   classiques   sur   la   main   invisible,   mais   ils   s’éloignent   des  néoclassiques   car   ils   font   de   la   concurrence   un   processus   dynamique   en   déséquilibre   permanent.   Ils  affirment   la   supériorité  de   la   coordination  marchande   en  univers  d’incertitude   sur  d’autres   formes  de  coordination  (comme  l’Etat).    

Document  32  :  Le  marché  comme  processus  de  diffusion  des  connaissances  L’équilibre   économique   résulte   de   la   coordination   de   connaissances   spécifiques   et   tacites   dispersées  entre   les  acteurs,  que  seul   le  processus  de  marché  peut  mettre  au   jour  et  diffuser.   (…)  La  coordination  marchande  est  à  l’origine  de  la  découverte  de  nouvelles  connaissances  qui  vont  modifier  les  évaluations  des  agents  et  amener  à  une  solution  différente  de  celle  des  planificateurs.  Il  est  impossible  de  substituer  une  autorité  centrale  au  processus  de  marché  (…)  pour  la  simple  raison  qu’on  ne  peut  savoir  à  l’avance  ce  que  le  processus  en  question  va  permettre  de  découvrir.  Les  néoclassiques  sont  à  ce  niveau  victimes  de   l’illusion   scientiste   qui   les   rend   trop   confiants   envers   la   capacité   de   l’entendement   à   maîtriser   et  reproduire   les   phénomènes   complexes,   comme   le   processus   concurrentiel.   L’essence   de   la   position  hayékienne  se  résume  en  fin  de  compte  à  la  définition  de  la  concurrence  comme  processus  équilibrant  de  découverte  et  de  diffusion  des  connaissances.  (…)  L’introduction  du  problème  de  la  connaissance  amène  Hayek  à  définir   la  concurrence  comme  un  processus   tendant  vers  une  référence  mouvante  d’équilibre,  référence   constamment   redécouverte   au   fur   et   à   mesure   que   de   nouvelles   connaissances   sont  découvertes  par  les  agents  économiques.  L’équilibre  n’est  plus  défini  au  sens  walrassien,  mais  comme  la  coordination   entre   les   plans   individuels   élaborés   sur   la   base   des   connaissances   changeantes   des  individus.  Dans  les  années  1970,  la  position  autrichienne  s’éloigne  toujours  plus  de  la  vision  déterministe  néoclassique   et   se   radicalise   à   travers   l’adoption  par  Hayek  du   concept   d’ordre   spontané.   (…)  Dans   le  domaine   de   l’économie,   le   marché   est   l’ordre   spontané   qui   permet   de   résoudre   le   problème   de   la  diffusion   des   connaissances  ;   il   est   en   effet,   selon   Hayek,   «  le   seul   moyen   par   lequel   de   si   nombreuses  activités,   fondées   sur   des   connaissances   dispersées,   puissent   se   trouver   intégrées   effectivement   dans   un  ordre  unique  ».    

Sandye  Gloria-­‐Palermo,  L’école  économique  autrichienne,  La  Découverte,  2013    

Document  33  :  L’importance  du  marché  comme  processus  de  coordination  décentralisé  quand  l’information  est  imparfaite  

Dès   1936,   dans   une   adresse   présentée   au   London   Economic   Club,   Hayek   montre   comment   c'est   par  rapport   aux   problèmes   d'information   qu'il   faut   rechercher   les   véritables   attributs   d'une   économie   de  marché.  On  croit  généralement  que  la  raison  d'être  de  l'économie  de  marché  de  type  capitaliste  est  liée  aux   propriétés   du   modèle   de   la   concurrence   pure   et   parfaite.   Hérésie   intellectuelle   totale,   réplique  Hayek.  (…)  Ce  qui  justifie  socialement  l'économie  de  marché,  c'est  précisément  que  nous  appartenons  à  un  monde   où,   par   définition,   l'information   est   toujours   imparfaite,   incomplète   et   coûteuse   à   acquérir.  Contrairement  à  tout  ce  qui  s'écrit,  c'est  la  prise  en  compte  de  l'imperfection  de  l'information  qui  sert  de  base   à   la   compréhension   des   raisons   d'être   d'une   économie   de   marché   décentralisée.   Le   marché,  explique  Hayek,   n'est   pas   seulement   un   lieu   anonyme   où   s'échangent   des   biens   et   des   services,   ni   un  mécanisme  statique  de  répartition  des  pénuries;  mais  aussi,  simultanément  et  de  façon  inséparable,  un  instrument  dynamique  de  mobilisation,  de  production  et  de  diffusion  des  informations  et  connaissances  nécessaires  à  la  régulation  des  sociétés  complexes.  Ce  qui   justifie   le  marché,  c'est  d'abord  et  avant  tout  qu'il  s'agit  d'un  mécanisme  créateur  de  messages  qui  jouent  un  rôle  clef  dans  la  chaîne  des  décisions  et  processus   d'apprentissage   qui   mènent   progressivement   à   la   coordination   des   projets   individuels;  coordination  sans  laquelle  il  ne  peut  y  avoir  de  vie  sociale  équilibrée.  »  

Henri  Lepage,  Demain  le  libéralisme,  Livre  de  poche,  1980    

Document  34  :  Ordre  spontané  et  bien-­‐être  collectif     C’est  parce  qu’il   considère  que   les   individus  ne   se   caractérisent  pas  par  une  omniscience,  mais  plus   vraisemblablement  par  une   connaissance   limitée,   qu’il   critique   ce  qu’il   appelle   le   constructivisme  des  intellectuels  et  le  planisme  des  marxistes  selon  lesquels  les  institutions  de  l’économie  et  de  la  société  peuvent  être  bâties  consciemment  par  des  hommes  prométhéens  pour  organiser  leurs  activités  et  leurs  relations.  Pour  qu’il  puisse  en  être  ainsi,   il   faudrait  (…)  que  ces  hommes  connaissent  parfaitement  tous  les   faits,   tous   les   comportements,   toutes   les   actions,   tous   les   besoins   et   désirs   de   l’ensemble   de   leurs  semblables.   Or,   nous   savons   qu’Hayek   juge   impossible   que   les   hommes   aient   une   connaissance   aussi  parfaite   de   ce   qui   existe   à   un  moment   donné.   (…)   En   outre,   ajoute   Hayek,   que  même   si   les   individus  

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parvenaient  à  réunir  suffisamment  d’informations  pour  planifier  leurs  activités,  pour  que  ces  dernières  soient  efficaces  et  conduisent  à  une  allocation  optimale  des  ressources,  il  faudrait  qu’il  existe  entre  tous  les  membres  de   la  société  un  accord  parfait   sur   les  valeurs,   les  besoins,   les  préférences  des  uns  et  des  autres.  (…)       En   conséquence,   la   seule   forme   sociale   durable   et   susceptible   de   conduire   au   bien-­‐être   est   la  société  capitaliste  (confondue  ici  avec  l’économie  de  marché)  car  elle  est  un  ordre  spontané.  C’est  pour  cette  raison  qu’Hayek  utilise  le  mot  catallaxie  qui  lui  paraît  plus  approprié  que  celui  d’économie.  En  effet,  économie  signifie  étymologiquement  gestion  d’une  maison.  Ce  mot  sous-­‐entend  donc  une  organisation  consciente   de   la   part   d’un   ou   de   plusieurs   individus.   En   revanche,   le   mot   catallaxie   désigne   l’ordre  inconscient   et   donc   spontané   engendré   par   l’ajustement   du   comportement   des   différents   individus  composant  une  société  ou  un  groupe  social.    

  Gilles  Jacoud,  Ertic  Tournier,  Les  grands  auteurs  de  l’économie,  Collection  initial,  Hatier,  1998        

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4. La révolution keynésienne : l’essor de la macroéconomie  

Document  35  :  John  Maynard  Keynes  (1883-­‐1946)  «  Le  vrai  remède  au  cycle  économique  ne  consiste  pas  à  supprimer  les  booms  et  à  maintenir  en  permanence  une  semi-­‐dépression,  mais  à  supprimer  les  dépressions  et  à  maintenir  en  permanence  une  situation  voisine  

du  boom  »    

4.1 Le raisonnement macroéconomique  

Document  36  :  Keynes  et  la  macroéconomie  C’est  seulement  la  crise  de  1930  qui  a  donné  le  branle  à  cette  révolution  scientifique  que  nous  qualifions  macroscopiste,  et  que  la  seconde  guerre  mondiale  devrait  précipiter  et  consommer.  (…)  Alors  que  toutes  les   théories   économiques   antérieures   étaient,   surtout   depuis   Walras,   axée   sur   l’idée   d’équilibre,   la  «  grande   dépression  »   impose   à   l’attention   son   contraire  :   le   déséquilibre.   (…)   Le   déséquilibre,   dont   la  grande   dépression   offre   à   l’économiste   le   spectacle,   est   un   déséquilibre   global.   Ce   qui   frappe  l’observateur   c’est   le   défaut   d’ajustement   d’un   petit   nombre   de   grandes   masses,   telles   que   le   revenu  distribué  et   la  demande  effective,   la  main  d’œuvre  disponible  et   l’emploi,   l’épargne  et   l’investissement,  etc…   Le   déséquilibre   conjoncturel   se   présente   comme   un   phénomène   de   masse.   L’économiste   lui  cherchera  une  explication  de   type  globaliste.   (…)  Et   l’on  assiste  alors  à  un  complet  retournement  de   la  direction  même  de  l’effort  théorique.  Depuis  les  classiques  (…)  l’économiste  s’était  efforcé  de  forger  des  loupes   de   plus   en   plus   grossissantes,   afin   de   pouvoir   saisir   des   phénomènes   de   plus   en   plus   petits.   Il  entendait   isoler   l’atome   de   sa   matière   d’étude.   Des   classes   d’agents   économiques   sur   lesquelles  raisonnait   Ricardo   à   l’individu,   seul   centre   de   ses   choix,   héros   des   fameuses   «  robinsonnades  »  marginalistes.  (…)  Or,  voici  que  maintenant  les  perspectives  se  retournent  de  bout  en  bout.  L’attention  de  l’économiste  se  transporte  d’un  seul  coup  de  l’atome  au  cosmos.  (…)  La  réflexion  du  théoricien  n’est  plus  située  au  plan  de  l’élément  premier,  mais  au  plan  du  tout.  D’où  la  rentrée  en  scène  au  premier  plan,  d’un  certain  nombre  de  facteurs  dont   les  théories  des  époques  antérieures  s’étaient  surtout  exercées  à  faire  abstraction  :  le  temps,  la  monnaie,  la  nation,  l’intervention  active  de  la  puissance  publique.    

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992    

 

Document  37  :  Keynes  et  le  sophisme  de  composition  La   théorie   keynésienne   a   paru   révolutionnaire   par   rapport   à   la   pensée   économique   classique   et  néoclassique.   Elle   est   d’abord   la   première   à   avoir   marqué   un   hiatus   entre   une   conception   micro-­‐économique   et   une   conception   macro-­‐économique.   Certes   les   économistes   du   XIXième   siècle  raisonnaient   sur   l’économie   entière   et   non   sur   des   unités   microéconomiques   comme   «  l’homo  oeconomicus  »   ou   l’entreprise   représentative.   Mais   pour   eux,   les   lois   économiques   qui   régissaient  l’économie  globale  n’étaient  que  la  totalisation  de  celles  valables  pour  chaque  unité  économique.  Keynes  au   contraire   a   montré   le   premier   que   les   lois   valables   pour   l’économie   entière   étaient   d’une   nature  différente   de   celles   qui   gouvernent   le   comportement   d’un   sujet   économique.   La   réduction   des  prétentions  salariales  d’un  chômeur  isolé,  par  exemple,  peut  conduire  à  son  embauche,  mais  une  baisse  générale   des   salaires   ne   rétablit   pas   le   plein   emploi,   car   les   entreprises,   n’anticipant   qu’une   demande  réduite,  ne   sont  pas   incitées  à   accroître   leur  demande  de  main  d’œuvre.  Keynes  est  donc   le  premier  à  avoir  posé  dans  toute  sa  netteté  le  problème  de  l’agrégation,  c’est-­‐à-­‐dire  du  passage  des  comportements  micro-­‐économiques   aux   lois  macro-­‐macroéconomiques.   La  même   attitude   le   conduit   à   considérer   (…)  l’épargne,   vertu   privée,   comme   un   vice   au   niveau   collectif,   car   l’excès   d’épargne   réduit   la   demande  effective  et  provoque  le  chômage.  (…)  Keynes  s’inspire  de  Malthus  (…).  Pour  l’un  comme  pour  l’autre,  la  dépression  vient  de  ce  que  l’insuffisance  de  la  consommation  et  l’excès  d’épargne  empêchent  la  demande  globale   d’absorber   toute   l’offre.   Mais   ils   divergent   sur   les   remèdes  :   Malthus   propose   d’augmenter   la  consommation   improductive,   tandis   que   Keynes   recommande   d’accroître   l’investissement,   ce   qui  augmente  le  revenu  et  par  contre  coup  la  consommation.  Marx  lui  aussi  explique  les  crises  économiques  par   la   sous-­‐consommation   (…)   qui   est   la   conséquence   logique   du   système   capitaliste   qu’il   condamne,  alors   que   Keynes   veut   le   sauvegarder.   Il   le   dit   clairement  :   «  l’Etat   n’a   pas   intérêt   à   se   charger   de   la  propriété  des  moyens  de  production  ».  

D.Villey  et  C.Nême,  Petite  histoire  des  grandes  doctrines  économiques,  Litec,  1992    

     

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Document  38  :  La  consommation,  une  variable  macroéconomique       Pour  Keynes,   la  consommation  dépend  du  revenu  courant  versé  lors  d’une  période  sachant  que  ce  revenu  est  versé  en  contrepartie  de  la  production  et  sachant  que  le  revenu  est  strictement  équivalent  à   la   production.   L’épargne   est   donc   chez   Keynes   un   résidu  :   le   montant   qu’il   reste   une   fois   que   les  dépenses  de  consommation  du  ménage  ont  été  engagées.  L’évolution  de  la  consommation  selon  Keynes  suit  ce  qu’il  appelle  «  la  loi  psychologique  fondamentale  »  :  «  En  moyenne  la  plupart  du  temps,  les  hommes  tendent  à  accroître  leur  consommation  à  mesure  que  le  revenu  croît  mais  non  d’une  quantité  aussi  grande  que   l’accroissement   du   revenu  ».   Cette   loi   peut   être   interprétée   de   différentes   manières   mais,   pour  comprendre   cette   dernière,   il   faut   bien   distinguer   la   propension   moyenne   à   consommer   (PMC)   et   la  propension  marginale  à  consommer  (PmC).  La  première  est  la  part  consacrée  en  moyenne  aux  dépenses  de   consommation   dans   le   revenu,   la   seconde   est   la   part   d’un   revenu   supplémentaire   consacré   aux  dépenses  de  consommation.      

 4.2 Décisions des agents, incertitude et anticipations

 

Document  39  :  Le  rôle  de  l’incertitude  et  des  anticipations     Le  point  de  départ  de  Keynes  consiste  à  expliquer  la  crise  des  années  1930  et  le  développement  du   chômage   de  masse  ;   le   «  quotidien  »   de   l’économie   est  marqué   par   des   déséquilibres   (chômage   de  masse).  Cela  l’amène  à  critiquer  la  loi  de  Say  et  le  modèle  d’équilibre  des  néoclassiques  :  si  les  marchés  conduisent   à   terme   à   l’équilibre,   en   quoi   cela   est-­‐il   intéressant   pour   étudier   les   situations   de  déséquilibres,  qui  elles  caractérisent  le  court  terme  ?  Keynes  écrit  :  «  Dans  le  long  terme  nous  serons  tous  morts.  Les  économistes  se  donnent  une  tâche  par  trop  facile  et  inutile  si  dans  une  période  tempétueuse,  ils  peuvent  seulement  nous  dire  que  quand  la  tempête  sera  passée  l’océan  sera  à  nouveau  calme  »  (Traité  sur  la  monnaie,  1930)     Keynes   s’appuie   sur   la   notion   d’anticipation   des   agents   économiques.   Les   agents   économiques  vivent  dans  un  univers  incertain  (incertitude  radicale)  ce  qui  nécessite  de  réaliser  des  anticipations  sur  l’avenir.   Ces   anticipations   peuvent   conduire   les   producteurs   à   être   pessimistes  :   ils   fixent   alors   leur  demande   anticipée   (ou   effective)   à   un   niveau   qui   est   inférieur   à   ce   qu’il   pourrait   être   avec   des  anticipations  optimistes.  Les  objectifs  de  production  sont  donc  donnés  et  en  découle  la  quantité  de  main  d’œuvre   nécessaire.   Cette   quantité   de   main   d’œuvre   peut   être   différente   de   la   quantité   d’actifs  disponibles  :   il   existe   alors   un   chômage   (qualifié   d’involontaire).   C’est   la   situation   d’équilibre   de   sous  emploi.        

4.3 Le taux d’intérêt dans une économie monétaire de production chez Keynes    

Document  40  :  Efficacité  marginale  du  capital  et  décision  d’investissement     La   décision   d’investissement   est   une   décision   patrimoniale   (…).   Elle   ne   concerne   que   les   seuls  entrepreneurs,   qui   doivent   résoudre   le   problème   de   savoir   s’il   est   ou   non   intéressant   d’ajouter   de  nouveaux  biens  capitaux  au  capital  existant,  et  d’étendre  ainsi  la  capacité  de  production.  Keynes  nomme  ce   comportement   particulier   «  incitation   à   investir  ».   L’essentiel   du   raisonnement   repose   sur   la  comparaison  de  deux  taux  stratégiques  :  l’efficacité  marginale  du  capital  et  le  taux  de  l’intérêt.       Considérons   un   projet   d’équipement   quelconque,   supposé   être   en   activité   pendant   T   périodes,  comptées  à  partir  du  moment  où  est  effectué  le  calcul.       L’entrepreneur  prévoit,  pour  toute  cette  durée,  des  coûts  et  des  recettes  périodiques  notées  D(t)  et  R(t)  et  telles  que  R(t)  –  D(t)  =  b(t).     La  valeur  actualisée1  d’un  tel  équipement  est  :  P  =   !(!)

(!!!)!!  !  !!  !  !  (avec  a  =  le  taux  d’actualisation).  

C’est  le  prix  que  l’on  est  prêt  à  payer  pour  cet  équipement  (prix  de  demande).       Pour  celui  qui  le  fabrique  et  qui  le  vend,  la  valeur  est  I  :  c’est  le  prix  d’offre  (prix  à  partir  duquel  il  est  possible  de  produire  ce  bien,  car  il  couvre  les  coûts  et  paie  un  profit  «  normal  »).     L’égalité   des   deux   valeurs   n’est   alors   satisfaite   que   pour   une   valeur   particulière   du   taux  d’actualisation,  e,  qu’on  appelle  efficacité  marginale  du  capital,  soit  :    

I  =   !(!)(!!!)!!  

  L’efficacité  marginale  du  capital  (e)  est  donc  le  taux  de  rendement  escompté  d’un  nouveau  bien  capital.  C’est  une  grandeur  anticipée,  qui  se  rapporte  à  des  grandeurs  monétaires.  (…)  Ce  qui  est  en  jeu,  comme  dans   le   principe  de   la   demande   effective,   n’est   pas   la   seule   productivité   attendue  d’un   capital,  

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mais   les  anticipations  de   recettes,  qui  mettent  en   jeu   les  anticipations  de  débouchés  pour   les  produits  nouveaux  que  la  mise  en  œuvre  du  bien  capital  autorise  à  produire.       L’efficacité   marginale   du   capital   dépend   du   niveau   d’investissement   lui-­‐même  :   lorsque   les  investissements  se  multiplient,  la  concurrence  attendue  pour  le  futur  sur  le  marché  des  biens  réduit  les  anticipations   de   recettes   futures   (et   donc   le   prix   de   demande)  ;   par   ailleurs,   la   concurrence   sur   les  marchés  d’inputs  pour  la  production  des  biens  capitaux  renchérit   leur  coût  de  production  et  élève  leur  prix  d’offre.  Ces  deux  facteurs  se  conjuguent  pour  abaisser  l’efficacité  marginale  du  capital,  qui  sera  donc  une  fonction  décroissante  du  niveau  d’investissement.  D’autre  part,   la  position  de   la  courbe  d’efficacité  marginale   dans   le   plan   (montant   de   l’investissement/rendement   escompté   de   l’investissement)  dépendra   de   tout   ce   qui   peut   affecter   l’état   des   prévisions   à   long   terme.   Lorsque   les   entrepreneurs  deviennent   pessimistes,   les   rendements   attendus   chutent   pour   chaque   montant   d’investissement,   et  l’efficacité   marginale   du   capital   fait   de   même.   Ces   prévisions   de   long   terme   étant   par   définition   très  volatiles,  la  décision  d’investissement  sera  elle-­‐même  en  proie  à  des  retournements  brusques.     On   comprend   à   présent   que   si   l’efficacité   marginale   du   capitale   (e)   est   supérieure  (respectivement   inférieure)   au   taux   de   l’intérêt   courant   (i),   alors   le   prix   d’offre   est   inférieur   (resp.  supérieur)  au  prix  de  demande,  et  l’investissement  est  mis  en  œuvre  (resp.  n’est  pas  mis  en  œuvre).  Cela  peut  se  comprendre  différemment  :  si  une  entreprise  doit  financer  un  projet  d’investissement,  elle  ne  le  fera  que  si  le  taux  de  rendement  attendu  de  la  mise  en  œuvre  de  ce  projet  compense  le  taux  d’intérêt  (qui  est  un  coût,  que  ce  «  coût  »  soit  effectif  –  taux  auquel  elle  se  finance  –  ou  d’opportunité  dans  le  cas  d’un  financement   sur   fonds   propres).   Puisque   l’efficacité   marginale   du   capital   est   décroissante   avec   le  montant  d’investissement,  on  comprend  que  «  l’investissement  tend  à  grossir  jusqu’à  ce  que  (…)  l’efficacité  marginale  du  capital  tombe  au  niveau  du  taux  d’intérêt  du  marché  »  (TG  chapitre  11)       Au   total,   et   puisque   le   niveau   de   l’emploi   peut   s’avérer   insuffisant   en   raison   d’un   défaut  d’investissement,  on   comprend  que   le   remède  doit  porter   soit   sur  une  hausse  de   l’efficacité  marginale  escomptée   des   capitaux   nouveaux   (mais,   ce   «  paramètre  »,   qui   découle   des   anticipations   des  entrepreneurs,   est   difficilement   influençable),   soit,   sur   une   baisse   du   niveau   des   taux   d’intérêt.   En  particulier,   lorsque   l’état   de   la   prévision   à   long   terme   se   détériore,   entraînant   un   effondrement   de  l’efficacité  marginale   du   capital,   le  maintien   du   niveau   de   l’emploi   ne   peut   que   provenir   d’une   baisse  rapide   des   taux   d’intérêt   qui   permette   de   compenser   la   détérioration   du   climat   de   confiance   des  entreprises.    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003  1Actualiser   c’est   transformer   une   valeur   future   en   valeur   actuelle   en   tenant   compte   du   fait   que   plus   la   durée  séparant   le   futur   du   présent   est   longue   plus   la   valeur   actuelle   se   réduit.   Posséder   1000  €   aujourd’hui   n’est   pas  équivalent  à  posséder  1000  €  dans  un  an.  S’il  existe  une  forte  incertitude  sur  ce  qui  peut  se  passer  dans  l’année,  la  valeur  correspondant  dans  un  an  à  1000  €  d’aujourd’hui  est  plus  élevée  que  si   l’année  s’annonce  sans  souci  avec  une   forte   probabilité.   Le   risque   réduit   la   valeur   future   parce   qu’il   la   rend   improbable.    Pour   mesurer   cet  dépréciation   liée   au   risque   on   raisonne   comme   pour   un   placement  :   en   fait   si   les   1000   €   étaient   placés   ils  vaudraient   en   fin   d’année   1000   €   augmentés   des   intérêts   servis   sur   le   placement.    La   méthode   utilisée   pour  actualiser   une   valeur   monétaire   se   déduit   de   ce   qui   précède  :    si   "VA"   est   la   valeur   actuelle   et   "VF"   la   valeur  correspondante  n  années  plus  tard  et  si  le  taux  d’actualisation  est  ra  :  VA  =   !"

(!!!")!  

 Document  41  :  thésaurisation  et  utilisation  de  l’épargne  des  ménages    

  Chez  Keynes,   il   existe  deux  décisions   individuelles   vis-­‐à-­‐vis  du   temps.  Tout  d’abord   la  décision  d’épargner  en  elle-­‐même,  qui  conduit  à  déterminer   le  montant  d’épargne  et  ne  dépend  pas  du   taux  de  l’intérêt,   mais   de   la   propension   à   consommer   (…).   Cependant,   une   deuxième   décision   concerne   la  manière  d’effectuer  ce  transfert  de  pouvoir  d’achat  qui  détermine  la  forme  de  l’épargne  et  fait  intervenir  le  taux  d’intérêt.  (…)  Il  existe  de  ce  point  de  vue  deux  possibilités  nettement  opposées  :    

- transférer son épargne sous forme monétaire (conserver un droit de liquidité, autrement dit thésauriser) ;

- transférer son épargne sous forme d’actif financier : le transfert est alors conditionné par le prix auquel peuvent être cédés ces actifs financiers.

  Dans   l’esprit   de  Keynes,   la   détention   de  monnaie   (pour   elle-­‐même)   a   donc   un   sens,   et   est   une  alternative  radicale  à   la  détention  d’actifs   financiers.  Cela   tient  à  ce  que   la  monnaie  est   la   liquidité  par  excellence.       On  comprend  que  le  taux  de  l’intérêt  ne  sera  plus,  chez  Keynes,  la  rémunération  de  l’épargne  (le  prix   du   renoncement   à   la   consommation),   comme   dans   la   théorie   classique,  mais   la   rémunération   de  l’épargne  financière  (le  prix  du  renoncement  à  la  liquidité).  (…)  

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  En   déplaçant   le   taux   de   l’intérêt   de   la   première   décision   vis-­‐à-­‐vis   du   temps   vers   la   deuxième  décision,   Keynes   fait   du   taux   de   l’intérêt   un   phénomène  purement  monétaire.   Précisément,   le   taux   de  l’intérêt  n’est  le  prix  de  la  renonciation  à  la  liquidité  que  parce  que  les  agents  expriment  une  préférence  pour  la  liquidité,  et  il  n’a  une  valeur  positive  qu’à  due  proportion  de  l’importance  de  cette  préférence.  On  comprend   que  mettre   en   avant   cette   explication   revient   à   considérer   la  monnaie   non   plus   seulement  comme  un  moyen  de   transaction     (ce   qu’elle   était   chez   les   classiques),  mais   comme   une   réserve   de  valeur,   et   a   priori   comme   une   meilleure   réserve   de   valeur   que   les   titres   financiers,   pouvant  justifier  que  les  individus  préfèrent  la  liquidité  et  exigent  d’être  rémunérés  pour  s’en  détacher.       L’analyse   de   la   préférence   pour   la   liquidité   exige   en   l’occurrence,   pour   être   justifiée,   de   faire  intervenir  une  relation  ignorée  par  les  classiques,  celle  entre  monnaie  et  incertitude  :  c’est  parce  que  la  détention   de   monnaie   constitue   une   sécurité,   qui   compense   l’aléa   et   l’incertitude   de   nos  comportements   et   de   nos   spéculations   concernant   le   futur,   qu’elle   est   préférée   à   la   détention  d’actifs   financiers  :   la  monnaie  a   en  effet   cet   avantage  par   rapport   aux   titres   financiers,  qui   la  définit  comme  la  liquidité,  c’est  qu’étant  l’unité  de  compte,  sa  valeur  nominale  future  est  connue  avec  certitude,  ce  qui  n’est  pas   le  cas  de  celle  des  titres.  En  outre,   la  détention  de  monnaie  permet  de  faire   face  à  tout  moment  à  n’importe  quel  engagement,  d’honorer  n’importe  quelle  dette,  dans  une  économie  où  tous  les  contrats  sont  libellés  en  unité  de  compte.     La  «  théorie  générale  de  l’emploi  »,  qui  nous  était  apparue  devant  être  logiquement  «  une  théorie  générale  de   l’emploi   et  de   l’intérêt  »,   nous  apparaît  désormais  ne  pas  pouvoir   être   autre   chose  qu’une  «  Théorie  générale  de  l’emploi,  de  l’intérêt  et  de  la  monnaie  ».    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003    

Document  42  :  Pour  conclure,  La  Théorie  Générale  comme  pièce  de  théâtre     Dans  l’économie  monétaire  que  dépeint  Keynes,  on  trouve  ainsi  deux  catégories  très  différentes  d’acteurs.   D’un   côté,   les   travailleurs   qui   consomment   tranquillement   à   peu   près   tout   ce   qu’on   leur  octroie  ;  de   l’autre,  des  capitalistes  devraient   investir  et  non   thésauriser  –  c’est   leur  rôle  dans   la  pièce,  mais   pour   cela   il   faut   qu’ils   aient   l’esprit   d’entreprise   –   mais   le   plus   souvent,   leur   «  propension   à  thésauriser  »  est  plus  puissante  que  «  l’incitation  à  investir  »  qui  les  motive.  La  raison  de  ce  comportement  «  anti-­‐social  »   provient   de   la   nature   de   la   décision   d’investissement  :   comme   le   futur   est   parfaitement  inconnu   pour   tous   les   agents,   l’investissement   ne   peut   être   entrepris   que   s’il   existe   une   «  convention  sociale  »  selon  laquelle  les  faits  actuels  seraient  des  prédicateurs  précis  des  évènements  futurs.  Mais  si  la  convention  change,  si  «  le  pessimisme  »  triomphe  de  «  l’espoir  »,  si  la  morosité,  la  déprime  s’installe,  les  capitalistes  choisissent  de  ne  pas  intervenir  et  ils  placent  leur  argent  de  manière  à  rester  «  liquide  ».  Dans  l’économie  monétaire  dit  Keynes,   la  monnaie  n’est  pas  simplement  un  moyen  d’échange  ;  elle  est  avant  tout  une  réserve  de  valeur  qui  représente  à  tout  moment  une  alternative  attractive  à  la  consommation  et  à   l’investissement   (c’est-­‐à-­‐dire   à   la   dépense).   Le   mécanisme   psychologique   de   la   «  préférence   pour   la  liquidité  »   détermine   ainsi   le   résultat   final   de   l’épargne   et   de   l’investissement.   C’est   le   «  paradoxe   de  l’épargne  »,  puisque  la  société  s’appauvrit  alors  qu’elle  consomme  moins,  car  dans  cette  économie  c’est  la  dépense  qui  crée  son  propre  revenu  :  le  revenu  correspond  en  fait  à  l’anticipation  qui  conduit  les  acteurs  à   faire   ce   qu’il   font.   En   d’autres   termes,   dans   cette   histoire,   ne   pas   dîner   aujourd’hui   diminue   la  possibilité  de  pouvoir  dîner  demain.  Heureusement,   le  gouvernement,  qui  ressemble  à  s’y  méprendre  à  celui   de   la   cité   idéale   de   Platon,   est   là,   et   il   peut   agir   sur   le   taux   d’intérêt   (…)   et   peut   «  socialiser  l’investissement  »,  «  enfiler  les  chaussures  des  entrepreneurs  qui  sont  trop  frileux  des  pieds  ».    

Gérard-­‐Marie  Henry,  Histoire  de  la  pensée  économique,  A.Colin,  2009    

 

4.4 Keynes et l’intervention conjoncturelle de l’Etat  

Document  43  :  Le  libéralisme  de  Keynes     Keynes  avait  une  approche  globale  de  l’économie,  dans  laquelle  il  prenait  pleinement  en  compte  les   institutions.   Ainsi,   il   jugeait   nécessaire   de   limiter   le   pouvoir   de   la   bourse   qu’il   avait   assimilé   à   un  «  casino  ».   Keynes   souhaitait   également   organiser   le   commerce   et   les   échanges   monétaires  internationaux,  ainsi  qu’il  avait  tenté  de  le  faire,  sans  succès,  lors  de  la  conférence  de  Bretton  Woods  en  1944,   où   il   dirigeait   la   délégation   britannique.   Enfin,   (…)   Keynes   estimait   nécessaire   en   temps   de  chômage,  d’accroître  le  pouvoir  des  «  organes  centraux  ».       Cependant  sur  le  plan  philosophique  et  politique,  Keynes  est  resté  un  libéral.  Pour  lui,  l’économie  de  marché  possède   la   capacité   singulière,   grâce  à   la  division  du   travail,   d’affecter   chaque   individu  à   la  tâche  pour   laquelle   il   est   le  mieux  qualifié.  De  plus,  Keynes   louait   la   capacité  du  marché   à   encourager  

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l’individualisme,  synonyme  de  liberté  et  de  variété  de  l’existence.  Pour  Keynes,  il  ne  faut  pas  supprimer  le   libre  marché,  mais   le   compléter   par   des   institutions   et   des   politiques   permettant   d’assurer   le   plein  emploi.  C’est  un  point  qui  le  distingue  radicalement  de  la  tradition  marxiste.    

Gilles  Raveaud,  La  dispute  des  économistes,  collection  3ème  culture,  éditions  Le  Bord  de  l’eau,  2013    

Document  44  :  Interventions  de  l’Etat  et  effet  multiplicateur     L’économie   libérale   n’est   pas   conçue   comme   dotée   de   processus   spontanés   d’ajustement   des  décisions   individuelles.   La   coordination   se   fait   par   le   moyen   de   la   circulation   monétaire,   et   le   mode  constitution   «  normal  »   de   la   société   est   la   crise,   plutôt   que   l’équilibre.   Il   en   résulte   la   nécessité  d’améliorer  son  fonctionnement.  Puisque  le  problème  vient  du  caractère  excessivement  décentralisé  du  fonctionnement  économique,  la  solution  est  donc  à  chercher  dans  une  «  re-­‐centralisation  »,  sous  la  forme  des   interventions   de   politique   économique   de   l’Etat,   qui   devront   faire   en   sorte   d’élever   la   demande  effective,  et  par  là  le  niveau  d’emploi.  Trois  types  de  politique  peuvent  être  envisagées  :  

- une politique monétaire dont l’objectif devra être de baisser suffisamment le taux de l’intérêt pour, à efficacité marginale du capital donnée, augmenter l’investissement et donc, via le multiplicateur, le revenu et l’emploi. Le principal obstacle à cette politique sera l’existence de conventions, quant à la valeur future du taux d’intérêt, qui pourront mettre en échec la volonté des autorités. Cela est d’autant plus vrai dans les périodes de crise où la confiance se dégrade (et donc la préférence pour la liquidité devient grande tandis que l’efficacité marginale du capital s’effondre) ;

- une politique budgétaire, qui agit directement sur la demande globale en augmentant l’investissement (public) ;

- une politique des revenus qui vise à accroître la propension à consommer de la communauté en opérant des transferts de revenus des catégories sociales dont le revenu est élevé (et la propension à consommer faible) vers celles dont le revenu est plus faible (et la propension à consommer élevée).

  Mais,  mise   à   part   ces  modalités   d’intervention  macroéconomiques   visant   à   accroître   le   niveau  d’activité   et   d’emploi,   aucune   intervention   publique   sur   la   répartition   et   l’allocation   de   ce   niveau  d’activité  et  de  ce  volume  d’emploi  n’est  nécessaire,  car  cela,  précisément,   le  système  de   l’économie  de  marché   s’en   acquitte   parfaitement.   Ce   n’est   donc   pas   une   socialisation   de   l’activité   économique   que  Keynes   appelle   de   ses   vœux,   mais   bien   une   intervention   de   l’Etat   qui   viennent   compléter   l’action   du  marché   là   où   il   est   défaillant   (dans   la   détermination  d’un  haut  niveau  d’activité   et   d’emploi),   conjurer  ainsi  la  crise,  et  au-­‐delà  garantir  la  pérennité  des  institutions  de  l’économie  de  marché.    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003    

             

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5. Les développements de la microéconomie après 1945 5.1 L’impérialisme de l’économie néoclassique

 Document  45  :  Théodore  Schultz  (1902-­‐1998)  

«  Ce  que  les  économistes  n’ont  pas  relevé,  c’est  une  simple  vérité  :  les  gens  investissent  en  eux-­‐mêmes  et  ces  investissements  sont  très  importants  »  

 Document  46  :  l’impérialisme  de  l’économie  néoclassique  

Depuis  la  fin  des  années  cinquante,  un  renouvellement  et  une  généralisation  de  l’approche  néoclassique  ont   accompagné   la   résurgence   du   libéralisme,   sous   l’impulsion   notamment   d’économistes   rattachés   à  l’école   de   Chicago.   Alors   que   la   théorie   néoclassique   a   été   critiquée,   depuis   très   longtemps,   pour   son  réductionnisme   (…)   certains   théoriciens   néoclassiques   ont   réagi,   paradoxalement,   en   poussant   à  l’extrême   cette   réduction,   et   en   en   faisant   la   clé   qui   ouvre   à   la   connaissance   de   tous   les   phénomènes  sociaux,  au  point  que  les  autres  sciences  sociales,  telles  que  la  sociologie,  la  science  politique  l’histoire  ou  la  psychologie   semblent  désormais   inutiles.   Selon  cette  perspective,   la   société  est  une  somme  d’agents  indépendants  ;  chacun  est  doté  d’un  libre  arbitre  et  l’interaction  des  décisions  individuelles  est  à  l’origine  de  la  vie  économique,  sociale  et  politique  ;  chaque  agent  est  soumis  à  des  contraintes,  cognitives  autant  que  matérielles  ;   les  ressources  dont   il  dispose,  biens  et  services,  ressources  productives,   informations,  sont  limitées  ;  son  comportement  peut  être  prédit  à  partir  de  l’hypothèse  de  la  rationalité.  Cette  dernière  hypothèse  constitue  le  noyau  central  de  la  problématique  néoclassique.  (…)  Becker  et  Mincer  appliquent  cette   approche   fondée   sur   le   postulat   de   la   rationalité   de   l’agent   à   l’ensemble   des   comportements  humains.   Cela   permet   d’expliquer   tout   acte   humain,   y   compris   par   exemple   les   activités   criminelles.  Celles-­‐ci   sont   considérées,   à   l’instar   de   toutes   les   autres,   comme   le   fruit   d’un   calcul   rationnel,   dans   le  cadre  duquel   les   bénéfices,   sans  doute   élevés   à   court   terme,   sont   comparés   à   des   coûts,   en   termes  de  danger  de  se  faire  prendre  et  condamner.  Cette  approche  Becker  (…)  l’a  généralisé  à  des  activités  telles  que  celles  de  se  marier,  d’avoir  des  enfants,  de  mettre   fion  au  mariage  ….  Dans  tous   les  cas,   il  s’agit  de  comparer,  rationnellement,  des  coûts  et  des  bénéfices.  (…)  Ainsi  conçue,  l’économie  peut  s’appliquer  par  exemple  à   la  politique.   (…)   telle  est   la  voie  dans   laquelle  s’est  engagée   la   théorie  du  Public  Choice.   (…)  C’est  A.Downs  qui  a  pour  la  première  fois  proposé  d’utiliser  les  outils  microéconomiques  pour  analyser  les   comportements   des   électeurs   et   des   élus,   avant   de   les   appliquer   à   l’étude   de   la   bureaucratie.   (…)  Comme   sur   celui   des   biens,   des   agents   se   rencontrent   sur   un   marché   politique,   chacun   cherchant   à  maximiser   ses   intérêts   privés,   ici   par   des   moyens   gouvernementaux.   (…)   L’application   de   la   théorie  microéconomique  à  l’analyse  des  effets  des  lois  et  du  droit  est  un  des  éléments  constituant  de  la  nouvelle  branche   de   spécialisation   connue   sous   le   nom   de   «  Laws   &   economics  »   (connue   en   France   sous  l’appellation  économie  du  droit).  (…)  Les  travaux  de  R.Coase  constituent  une  source  d’inspiration  de  ce  courant  de  pensée.    (…)  L’économie  ainsi  conçue  devient  en  quelque  sorte  la  théorie  générale  du  comportement  humain  :  «  Il  n’y  a  qu’une  seule  science  sociale.  Ce  qui  donne  à  la  science  économique  son  pouvoir  d’invasion  impérialiste  est   le   fait   que   nos   catégories   analytiques   –   rareté,   coût,   préférence,   opportunité   –   sont   véritablement  d’applicabilité  universelle.  (…)  Ainsi  la  science  économique  constitue  la  grammaire  universelle  de  la  science  sociale  »  J.Hirshleifer  (1985).  

Source  :  M.Beaud  et  Gilles  Dostaler  «  La  pensée  économique  depuis  Keynes  »,  Seuil,  1996,  p.185-­‐187        

5.2 La nouvelle microéconomie : les décisions des agents et l’information imparfaite  

5.2.1 L’économie de l’information : avancée majeure de la science économique contemporaine

 Document  47  

Ce  livre  part  du  constat  suivant  :  que  nous  soyons  homme  politique,  chefs  d’entreprise,  salarié,  chômeur,  travailleur   indépendant,   haut   fonctionnaire,   agriculteur,   chercheur,   quelle   que   soit   notre  place  dans   la  société,   nous   réagissons   tous   aux   incitations   auxquelles   nous   sommes   confrontés.   Ces   incitations   –  matérielles  ou  sociales  –  et  nos  préférences  combinées  définissent  le  comportement  que  nous  adoptons,  un   comportement   qui   peut   aller   à   l’encontre   de   l’intérêt   collectif.   C’est   pourquoi   la   recherche   du   bien  

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commun  passe  en  grande  partie  par   la  construction  d’institutions  visant  à  concilier  autant  que   faire  se  peut   l’intérêt   individuel  et   l’intérêt  général.  Dans  cette  perspective,   l’économie  de  marché  n’est  en  rien  une  finalité.  Elle  n’est  tout  au  plus  qu’un  instrument  ;  et  encore,  un  instrument  bien  imparfait  si  l’on  tient  compte  de  la  divergence  possible  entre  l’intérêt  privé  des  individus,  des  groupes  sociaux  et  des  nations,  et  l’intérêt  général.  (…)    La  théorie  de  l’information  (avancée  majeure  de  l’économie  durant  ces  40  dernières  années)  se  fonde  sur  une   évidence  :   les   décisions   des   acteurs   économiques   (les   ménages,   les   entreprises,   l’Etat)   sont  contraintes   par   l’information   limitée   dont   ils   disposent.   Les   conséquences   de   ces   limites  informationnelles   se   retrouvent   partout  :   dans   la   difficulté   des   administrations   à   comprendre   et   à  évaluer   les   politiques   poursuivies   par   leurs   gouvernants  ;   dans   celle   de   l’Etat   à   réguler   banques   ou  entreprises  dominantes,  à  protéger  l’environnement  ou  à  gérer  l’innovation  ;  dans  celle  des  investisseurs  à  contrôler   l’utilisation  qui  est   faite  de   leur  argent  par   les  entreprises  qu’ils   financent  ;  dans   les  modes  d’organisation   interne   de   nos   entreprises  ;   dans   nos   relations   interpersonnelles  ;   et  même   dans   notre  relation   à   nous-­‐même,   comme   quand   nous   nous   construisons   une   identité   ou   croyons   ce   que   nous  voulons  croire.  (…)  La  nécessaire  compatibilité  des  politiques  publiques  avec  l’information  disponible  a  des   implications   cruciales   pour   la   conception   des   politiques   de   l’emploi,   de   la   protection   de  l’environnement,  de  la  politique  industrielle  ou  de  la  régulation  sectorielle  et  bancaire.    

Source  :  Jean  Tirole  Economie  du  bien  commun,  2016    

5.2.2 La   théorie   des   jeux  :   étudier   les   comportements   stratégiques   des   acteurs   en  situation  d’information  imparfaite    

 Document  48  :  comportements  stratégiques  et  coordination  sous  optimale  

Les   marchés   ne   sont   pas   toujours   atomistiques.   Lorsque   le   nombre   d’intervenants   est   réduit   (par  exemple  dans  le  cas  d’un  marché  en  duopole  ou  en  oligopole)  les  individus  et/ou  les  entreprises  nouent  des  relations  d’interdépendance  :  les  agents  économiques  adoptent  des  comportements  stratégiques.  La  théorie  des  jeux  étudie  la  prise  de  décision  et  les  effets  de  ces  comportements  stratégiques.  Cette  théorie  est  assez  ancienne  car  elle  a  été  introduite  par  John  Von  Neumann  et  Oskar  Morgenstern  en  1944.  Mais  c’est   surtout   à   partir   des   années   1980   qu’elle   a   connu   les   développements   les   plus   importants.  L’hypothèse  de  départ  est  que  l’information  n’est  pas  parfaite,  mais  cette  imperfection  de  l’information  est   symétrique.  Nous  ne  sommes  pas  dans   la   situation  où  un  des  agents  économiques  peut   tirer  profit  d’une   information   que   les   autres   agents   n’ont   pas.   La   théorie   des   jeux   montre   alors   comment   des  individus   rationnels   maximisent   leurs   satisfactions   dans   le   cadre   des   stratégies,   et   pourquoi   cette  maximisation  individuelle  ne  conduit  pas  toujours  à  l’optimum  collectif.  L’exemple  le  plus  célèbre  (…)  est  celui   du   «  dilemme   du   prisonnier  ».   Deux   individus   suspectés   d’avoir   commis   un   vol   sont   arrêtés   et  interrogés  séparément.  Les  peines  encourues  par  chaque  prisonnier  dépendent  à  la  fois  de  leur  réponse  et  de  celle  des  autres.  Si  par  exemple,  les  deux  prisonniers  se  taisent  et  ne  se  dénoncent  pas,  ils  ne  seront  pas  condamnés  faute  de  preuve.  Pourtant,  chaque  prisonnier  a  peur  de  se  faire  dénoncer  par  l’autre  et  de  porter  «  seul   le  chapeau  ».  Son  calcul  de  maximisation  le  pousse  alors  à  dénoncer   l’autre  ;  conséquence  du  comportement  d’optimisation  individuel,  les  deux  prisonniers  se  dénoncent  mutuellement  et  ils  sont  condamnés   à   une   lourde   peine.   Si   les   prisonniers   pouvaient   se   concerter   leurs   peines   seraient   plus  faibles,  mais  comme  ils  ne  le  peuvent  pas,  ne  sachant  pas  ce  que  va  faire  l’autre,  ils  préfèrent  se  dénoncer  mutuellement.  Le  résultat  en   terme  de  bien  être  collectif  est  donc   inférieur   lorsque   les   individus  ne  se  concertent  pas,  c’est-­‐à-­‐dire  agissent  de  manière  autonomes  et  indépendantes  comme  le  prévoit  la  théorie  néoclassique,  plutôt  que   lorsqu’ils  peuvent  se  mettre  d’accord  au  préalable.  La  coordination  spontanée  n’est  donc  pas  plus  efficiente  qu’une  coordination  concertée.    En   résumé,   chaque   AE   sait   que   l’autre   AE   va   prendre   aussi   une   décision,   mais   qu’en   fonction   des  décisions  prises  mutuellement,  le  résultat  ne  sera  pas  le  même.  la  théorie  des  jeux  est  un  outil  très  utilisé  dans   les   situations   de   concurrence   imparfaite   qui   sont   caractérisées   par   la   capacité   à   influencer   les  variables  du  marché.  Dans  le  cas  du  duopole,  un  agent  économique  peut  considérer  que  déclencher  une  guerre  des  prix  n’aura  pas  la  même  conséquence  si  son  concurrent  ne  fait  rien  ou  bien  s’il  décide  lui  aussi  de  l’attaquer.    La  conclusion  des  travaux  de  théorie  des  jeux  conduit  à  remettre  en  cause  l’idée  selon  laquelle  l’absence  de  coordination  des  AE  conduit  à   l’optimum  économique.  Au  contraire,   l’absence  de  coordination  peut  conduire  à  un  équilibre   (ie  une  situation  dont  personne  ne  veut   changer)   sous  optimal   (il   est  possible  d’améliorer  la  situation  de  tous).  

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 5.2.3 La   théorie   des   coûts   de   transaction  :   pourquoi   préférer   d’autres   modalités  

d’allocation  des  ressources  que  le  marché  ?      

Document  49  :  Ronald  Coase  (1910  –  2013)  «  La  principale  raison  qui  rend  avantageuse  la  création  d’une  entreprise  paraît  être  qu’il  existe  un  coût  

d’utilisation  du  mécanisme  des  prix  »    

Document  50  :  coûts  de  transaction  et  allocation  alternative  au  marché  En   1937   dans   un   article   fondateur   «  The   nature   of   the   firm  »,   Ronald   Coase   s’interroge   sur   le   sens   à  donner   à   l’existence   d’entreprises.   Alors   que   la   théorie   économique   postule   que   l’allocation   des  ressources  par  le  marché  est  la  modalité  d’allocation  des  ressources  la  plus  efficiente,  pourquoi  certaines  organisations   apparaissent-­‐elles   –   les   entreprises   –   au   sein   desquelles   les   relations   entre   acteurs  économiques  ne  sont  pas  des  relations  de  marché.  La  réponse  de  Coase  est  qu’il  faut  tenir  compte  de  coût  de  transaction  sur  le  marché.  En  situation  d’information  imparfaite  ces  coûts  sont  nombreux  :  recherche  de  l’information  pour  connaître  les  prix,  coût  de  négociation,  etc…  en  conséquence,  l’entreprise  existe  car  elle  peut  réduire  les  coûts  de  transaction  par  exemple  en  stabilisant  les  relations  entre  l’employeur  et  ses  employés  :   les  contrats  de  travail  ne  sont  pas  signés  quotidiennement  ce  qui  augmenterait   les  coûts  de  transaction   mais   rattachent   les   salariés   à   l’entreprise   pour   une   durée   donnée.   Mais   de   son   côté,   la  modalité  d’allocation  des  ressources  qu’est  l’organisation  a  également  des  coûts  qui  lui  sont  propres.  En  résumé,   les  agents  économiques  passent  par   le  marché   lorsque   les  coûts  de  transaction  sont   inférieurs  aux  coûts  d’organisation,  sinon  les  agents  économiques  passent  par  une  modalité  alternative  au  marché,  l’entreprise.      Oliver  Williamson  (Prix  Nobel  2009)  a  enrichi  l’approche  de  Coase  en  insistant  sur  les  conséquences  des  asymétries  d’information   et   des   risques  de   comportements   opportunistes   qui   en  découlent.   Lorsqu’un  agent   économique   passe   par   le   marché   pour   acquérir   un   bien,   il   existe   des   coûts   de   transaction,  notamment  parce  que   l’information  qui  circule  sur   le  marché  est   imparfaite  et  qu’il  y  a  des  asymétries  d’information.   Pour   éviter   le   risque   de   se   faire   berner   (victime   d’un   comportement   opportuniste)   les  entreprises  peuvent  choisir  de  «  sortir  »  du  marché.  Dans  ce  cas,  l’allocation  des  ressources  se  fait  dans  le  cadre  de  l’organisation  elle  même  :  plutôt  que  de  faire  appel  à  un  cabinet  d’avocat  dont  l’entreprise  a  du  mal   à   mesurer   la   qualité   du   travail   effectué,   l’entreprise   met   en   place   un   service   juridique  ;   les  entreprises   ont   donc   le   choix   entre   «  faire  ou   faire   faire  »  :   la   théorie   des   coûts   de   transaction   permet  alors   d’expliquer   pourquoi   certaines   entreprises   externalisent   certaines   taches   en   faisant   appel   à  d’autres   entreprises  :  ménage,   restauration,   graphisme  …   car   elles   ne   craignent   pas   d’être   abusées   (et  inversement).   Conclusion  :   les   agents   économiques   qui   réalisent   un   calcul   coût-­‐avantage   en   situation  d’information  imparfaite  peuvent  être  conduit  à  ne  pas  choisir  le  marché  comme  mode  d’allocation  des  ressources.        

5.2.4 L’information   imparfaite   rend   les   marchés   défaillants  :   aléa   moral   et   anti-­‐sélection    

 Document  51  :  Joseph  Stiglitz  (1943  -­‐  )  

«  Mes  travaux  (…)  sur  les  conséquences  de  l’information  imparfaite  et  asymétrique  ont  montré,  au  cours  du  dernier  quart  de  siècle,  que  l’une  des  raisons  pour  lesquelles  la  main  est  invisible,    

c’est  peut-­‐être  qu’elle  n’existe  pas  »    

Document  52  :  asymétrie  d’information,  aléa  moral  et  anti-­‐sélection  Qu’arrive-­‐t-­‐il,   contrairement  à   ce  qui   se  passe  dans   le  modèle  de   concurrence  parfaite,   et   comme  c’est  généralement  le  cas  dans  la  réalité,  les  agents  ne  connaissent  pas  toutes  les  caractéristiques  des  biens,  ou  plus  précisément,   lorsqu’ils  ne  disposent  pas   tous  de   la  même   information   (on  parle  alors  d’asymétrie  d’information)  ?  C’est  à  ce  type  de  questions  que  tente  de  répondre  l’économie  de  l’information.  L’anti-­‐sélection   et   le   risque  moral   désignent   les   deux   principales   conséquences   de   l’asymétrie   d’information  modélisées  par  les  microéconomistes.    

Source  :  Nathalie  Berta,  «  La  microéconomie  »  in  Les  Cahiers  Français  n°345  Découverte  de  l’économie  I,  2008  

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Document  53  :  l’aléa  moral  Dans   le  premier  cas,   tout  en  connaissant   l’existence  de  biens  de  qualités  différentes,   les  acheteurs  sont  incapables   de   discerner   un   bien   de   bonne   qualité   d’un   bien   de   mauvaise   qualité,   de   sorte   que   les  vendeurs   tentent   de   les   escroquer,   en   leur   faisant   passer   le   second   pour   le   premier.   Sachant   cela,   les  acheteurs  refusent  de  dépenser  une  somme  trop  importante  pour  le  bien  qu’ils  convoitent,  ce  qui  incite  les   vendeurs   à   retirer   de   la   vente   les   biens   de   valeur.   Dans   ce  modèle,   la  mauvaise   qualité   chasse   la  bonne,   d’où   l’expression   «  d’anti-­‐sélection  ».   (…)   L’asymétrie   d’information   a   donc   ici   pour   résultat   de  réduire   la   qualité   ou   la   quantité   de   biens   échangés,   et   donc   en   conséquence,   certains   échanges  mutuellement  avantageux.    

Source  :  Nathalie  Berta,  «  La  microéconomie  »  in  Les  Cahiers  Français  n°345  Découverte  de  l’économie  I,  2008  

 Document  54  :  la  sélection  adverse  

Le   risque   moral,   quant   à   lui,   généralement   mis   en   évidence   dans   des   modèles   mandant-­‐mandataire  (principal-­‐agent   en   anglais)   apparaît   lorsqu’un   agent   le   mandant   (qui   peut   être   un   assureur,   un  employeur,   ….)   doit   rémunérer   un   autre,   le   mandataire   (un   assuré,   un   salarié   …)   pour   un   action   sur  laquelle   ce   dernier   dispose   d’informations.   Le   risque   est   alors   que   le  mandataire   ne   respecte   pas   son  engagement  :  que  l’assuré  prenne  des  risques  inutiles,  que  le  salarié  tire  au  flanc  …  Cela  peut  conduire,  une   fois   de   plus,   à   une   situation   inefficace   au   sens   de   Pareto,   par   exemple,   lorsque   la   méfiance   du  mandant  empêche  les  échanges  d’avoir  lieu.    Après   avoir   modélisé   ce   type   de   phénomènes,   les   microéconomistes   ont   cherché,   dans   un   but  essentiellement   normatif   (puisqu’il   s’agit   de   parvenir   à   une   situation   optimale   au   sens   de   Pareto),   les  différentes  procédures  incitant  celui  qui  détient  l’information  à  la  révéler,  dans  le  cas  de  l’anti-­‐sélection,  ou  à  agir  de  façon  à  maximiser  le  profit  de  celui  qui  ne  l’a  pas,  dans  le  cas  du  risque  moral.    

Source  :  Nathalie  Berta,  «  La  microéconomie  »  in  Les  Cahiers  Français  n°345  Découverte  de  l’économie  I,  2008  

 Document  55  :  théorie  de  l’agence  et  relation  actionnaires/dirigeants  

Que  faire  pour  s’assurer  que  les  dirigeants  ne  se  comportent  pas  de  manière  égoiste,  mais  qu’ils  usent  de  leur  pouvoir  dans  l’intérêt  de  leurs  mandataires  ?  De  très  nombreux  chercheurs  se  sont  penchés  sur  les  relations  dites  «  d’agence  »  qui  caractérisent   le   lien  par   lequel  un  acteur  (le  principal)  engage  un  autre  individu  (l’agent)  pour  réaliser  une  tâche.    Une   telle   relation   est   propice   aux   comportements   opportunistes   du   fait   des   asymétries   d’information.  Comment   contrôler   un   dirigeant   quand   on   ne   peut   ni   programmer   à   l’avance   les   tâches   qu’il   doit  effectuer,  ni  même  évaluer  a  posteriori  l’effort  qu’il  a  effectivement  fourni  ?  pour  résoudre  ce  problème,  la  théorie  de  l’agence  formule  deux  séries  de  préconisations  :    

- la première consiste à créer des mécanismes de surveillance ou d’information. (…) Il faut faire en sorte que les dirigeants rendent plus systématiquement des comptes aux administrateurs et devant l’assemblée générale des actionnaires. (…) La surveillance peut enfin être complétée par d’autres moyens, par exemple, avec des professionnels de l’audit, dont l’indépendance est avérée.

- La seconde série de préconisations pour discipliner les dirigeants porte sur des mesures incitatives. Les rémunérations variables en fonction de la performance doivent permettre d’aligner les intérêts des managers sur ceux des actionnaires et donc de limiter les divergences d’intérêt. Les stock-options (…) sont des titres distribués au sein d’une entreprise, qui donnent le droit d’acquérir une action pour un prix fixé d’avance (…). Elles permettent aux start-up de recruter les experts des grandes entreprises, malgré leur difficulté à verser des salaires au début et malgré les risques encourus.

Source : Blanche Segrestin et Armand Hatchuel Refonder l’entreprise, la République des idées, 2012, p.58  

5.2.5 L’économie comportementale  

Document  56  :  l’importance  des  biais  cognitifs  dans  les  décisions  des  agents    Voici   comment   Jean   Tirole   (Prix   Nobel   d’Economie   2014)   dans   Economie   du   Bien   commun   (2016)  présente  l’économie  comportementale  :  «  L’enseignement  de  l’économie  repose  souvent  sur  la  théorie  du  choix  rationnel.  Pour  décrire   le  comportement  d’un  agent  économique,   il  part  d’une  description  de  son  objectif.  Que  l’individu  soit  égoïste  ou  altruiste,  avide  de  gain  ou  de  reconnaissance  sociale,  ou  qu’il  soit  porté   par   quelque   autre   ambition,   dans   tous   les   cas,   il   est   supposé   agir   au  mieux   de   son   intérêt.   Une  

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hypothèse   parfois   trop   forte,   et   pas   seulement   parce   que   l’individu   ne   dispose   pas   toujours   de  l’information  pour  faire  le  bon  choix.  Victime  de  biais  cognitifs,  il  est  susceptible  de  se  tromper  quand  il  évalue   la  manière  de   réaliser   son  objectif.   Ces  biais   de   raisonnement   ou  de  perception   sont   légion.   Ils  n’invalident   pas   la   théorie   du   choix   rationnel   comme  définissant   des   choix   normatifs   (c’est-­‐à-­‐dire   des  choix   que   l’individu   devrait   faire   au   mieux   pour   son   intérêt),   mais   expliquent   pourquoi   nous   ne  procédons  pas  nécessairement  à  ces  choix.  Nous  utilisons  des  «  heuristiques  »,  c’est-­‐à-­‐dire  des  formes  de  raisonnement   raccourci  qui   fournissent  une  ébauche  de   réponse  à  nos  questions.   (…)  L’apport  majeur  des  travaux  Kahneman  et  Tversky  (psychologues  ayant  reçu  le  prix  Nobel  d’Economie  en  2002)  est  que  ces  heuristiques  nous  induisent  souvent  en  erreur.  »    Ces   travaux   en   économie   sur   les   biais   cognitifs   font   échos   à   ceux   entrepris   en   sociologie   par   Gérald  Bronner   (L’Empire   de   l’erreur.   Eléments   de   sociologie   cognitive,   2007),   ancien   élève   de   Raymond  Boudon.    

Source  :  manuel  ESH  Studyrama            

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6. La macroéconomie après 1945  

6.1 Le keynésianisme de la synthèse et le modèle IS-LM  

Document  57  :  L’école  de  la  synthèse  Le  fort  impact  des  thèses  développées  par  Keynes  a  crée  une  situation  tout  à  fait  nouvelle  dans  le  monde  de   la   théorie   économique.   (…)   Keynes   prétendait   avoir   élaboré   la   théorie   générale   d’une   économie  monétaire  de  production,  dont  la  théorie  classique  (néoclassique)  serait  un  cas  particulier  d’équilibre  et  de   plein   emploi.   Or,   un   certain   nombre   d’ambiguïtés   contenues   dans   le   texte   de   Keynes,   laissaient  entrevoir   la   possibilité   de   construire   une   théorie   macroéconomique   dans   laquelle   pourraient   être  intégrées   dans   le   corpus   néoclassiques   certaines   innovations   keynésiennes.   La   période   étant   riche   de  développements   en   matière   d’économétrie,   de   formalisations   comptables   et   mathématiques,   on   a   pu  assister  à   la  construction  de  modèles  qui  ont   formé  la  macroéconomie  usuelle  que   l’on  trouve  dans   les  manuels   aujourd’hui.   Ces  modèles   se   présentent   comme   des   synthèses   qui   visent   à   intégrer   certaines  propositions   de   Keynes   dans   le   cadre   de   la   logique   néoclassique.   (…)   Aussi   lorsque   l’on   parle   de  déconfiture  du  keynésianisme  c’est  à   l’insuffisance  de  ces   représentations  à  expliquer   les  phénomènes  économiques,   et   donc   à   préconiser   des   solutions   efficaces   que   l’on   fait   le   plus   souvent   allusion.   Pour  désigner   les   différents  modèles  qui   sont  nés  de   cette  démarche   synthétique,   il   est   d’usage  d’utiliser   le  vocable   de   synthèse   classico-­‐keynésienne.   L’économie   est   en   effet   représentée   comme   un   circuit  keynésien  dans  lequel  s’enchaînent  les  dépenses  et  les  revenus,  et  dont  l’équilibre  est  réalisé  suivant  un  processus  néoclassique  d’interaction  entre  les  différents  marchés.    

M.  Montoussé  et  alii,  Histoire  de  la  pensée  économique,  coll.  Amphi  Economie,  Bréal,  2008    

 

Document  58  :  Le  modèle  IS-­‐LM  Dès  la  fin  des  années  1930,  les  thèse  défendues  par  Keynes  dans  la  Théorie  Générale  ont  donné  lieu  à  de  nombreuses  interprétations  (…).  Beaucoup  d’entre  elles  visaient  à  donner  une  représentation  simplifiée  du   système   économique.   Il   s’agissait   d’associer   dans   un   schéma   unique   et   pédagogique,   les   grands  principes  de   la   théorie  néoclassique  et  un  certain  nombre  de  concepts  keynésiens  qui  n’étaient  pas  en  contradiction  à  cette  théorie.  (…)  La  synthèse  néoclassique  est  caractérisée  par  une  démarche  consistant  à  associer  dans  une  même  représentation,   les  marchés  en  interaction  et  le  circuit  du  revenu.    (…)  Dans  son   article   «  Mr.   Keynes   and   the   classics  :   a   suggested   interpretation  »   (1937),   J.R.Hicks   se   propose   de  confronter  la  théorie  de  Keynes  à  la  théorie  néoclassique.  (…)  Il  construit  deux  courbes.    La   première   appelée   la   courbe   IS   regroupe   l’ensemble   des   valeurs   du   revenu   national   (Y)   et   du   taux  d’intérêt   (r)   (ie   des   couples   (Y,i))   qui   permettent   l’égalité   de   l’épargne   et   de   l’investissement   sur   le  marché  des  biens   et   services.   Pourquoi  ?   Ce  marché   est   à   l’équilibre   si   la   demande   globale   est   égale   à  l’offre  globale.  Or,  la  demande  globale  est  égale  à  D=  C+I,  et  l’offre  globale  est  égale  au  revenu  tiré  de  la  production,   Y=   C+S.   Donc   à   l’égalité   de   l’offre   et   de   la   demande   globales   sur   le   marché   des   biens   et  services,  S=I.  De  quelles  variables  dépendent  S  et  I  ?  S  dépend  du  revenu,  Y,  et  I  dépend  du  taux  d’intérêt,  i.  Il  existe  donc  un  ensemble  de  couples,  associant  un  taux  d’intérêt  et  un  niveau  de  revenu,  qui  permet  l’équilibre   sur   le   marché   des   biens   et   services.   Cette   courbe   IS   est   de   pente   négative  :   quand   le   taux  d’intérêt   baisse,   l’investissement   est   stimulé,   les   flux   d’investissement   augmente   entraînant   un   effet  multiplicateur   qui   fait   augmenter   le   revenu   (de   manière   plus   que   proportionnelle),   puis   la  consommation  et  l’épargne.    La  seconde  courbe  appelée  LL  par  Hicks  représente  l’ensemble  des  couples,  revenu  et  taux  d’intérêt,  qui  assurent  l’équilibre  sur  le  marché  de  la  monnaie,  c’est-­‐à-­‐dire  pour  lesquels  l’offre  de  monnaie  est  égale  à  la   demande   de   monnaie.   L’offre   de   monnaie   est   donnée   (exogène),   elle   dépend   des   décisions   de   la  banque  centrale.  La  demande  de  monnaie  est  le  fait  des  agents  économiques.  Cette  demande  dépend  du  revenu  lorsque  la  monnaie  est  demandée  pour  motif  de  transaction  et  de  précaution,  et  dépend  du  taux  d’intérêt   lorsque   la  monnaie  est  demandée  pour  motif  de  spéculation  (les  agents  économiques  doivent  choisir   entre   détenir   leur   épargne   sous   forme   liquide   ou   acheter   des   titres.   Plus   le   taux   d’intérêt   est  élevé,   plus   ils   auront   tendance   à   détenir   de   l’épargne   sous   forme  de   titres   et   la   demande  de  monnaie  pour  motif  de  spéculation  baissera).  En  simplifiant  de  manière  extrême  (c’est-­‐à-­‐dire  en  excluant  la  partie  horizontale   et   la   partie   verticale   de   LL),   la   pente   de   la   courbe   LL   est   positive  :   un   accroissement   du  revenu   provoque   une   augmentation   de   la   demande   de   monnaie   (pour   motif   de   transaction   et  spéculation)  ce  qui   fait  augmenter   le  taux  d’intérêt.  (…)  Grâce  à  ces  deux  courbes,  Hicks  montre  que   le  revenu  et  le  taux  d’intérêt  d’équilibre  sont  déterminés  ensemble  et  simultanément  à  l’intersection  entre  IS  et  LL.  A  partir  de  ce  schéma,  on  peut  analyser  à  la  fois  l’évolution  du  revenu  et  celle  du  taux  d’intérêt.  

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(…)  Pour  présenter  la  pensée  de  Keynes,  (…)  Hansen  reprend  le  modèle  de  Hicks  et  apportera  quelques  aménagements  et  précisions  qui  aboutiront  à  la  forme  qui  est  reprise  de  nos  jours  sous  la  dénomination  de  modèle  IS-­‐LM.    

D’après  M.  Montoussé  et  alii,  Histoire  de  la  pensée  économique,  coll.  Amphi  Economie,  Bréal,  2008    

Document  59  :  Les  comportements  vis-­‐à-­‐vis  de  la  monnaie  et  la  détermination  du  taux  de  l’intérêt     La  demande  de  monnaie  dépend  donc  du  désir  de   conserver   la  monnaie   comme   intermédiaire  des   échanges,   mais   aussi   comme   moyen   de   transférer   du   pouvoir   d’achat.   Il   y   a   en   fait   trois   motifs  distincts.   Le   motif   de   transaction   répond   à   la   nécessité   de   conserver   de   la   monnaie   pour   combler  l’intervalle  de  temps  qui  sépare  les  opérations  d’encaissement  et  de  décaissement  des  revenus.  Au  total,  à   court   terme,   le   motif   de   transaction   dépend   essentiellement   du   revenu.   Le   motif   de   précaution  procède,  lui,  du  souci  d’assurer  une  dépense  soudaine  ou  imprévue,  de  l’espoir  de  profiter  d’une  aubaine,  et   d’assumer   une   obligation   future   stipulée   en   monnaie.   (…)   Pour   l’essentiel,   on   peut   supposer   que  l’encaisse  de  précaution  est  (…)  aussi  dépendante  du  revenu.  Enfin,  le  motif  de  spéculation  exprime  à  proprement  parler   la  préférence  pour   la   liquidité  (…)  et  résulte  de   l’incertitude  sur   la  valeur   future  du  taux  d’intérêt  :  les  agents  qui  anticiperont  une  baisse  des  taux  (et  donc  une  hausse  de  la  valeur  des  titres  déjà  émis  à  des  taux  plus  élevés)  préfèreront  détenir  leur  richesse  sous  forme  de  titres  ;  à   l’inverse,   les  «  baissiers  »   (qui  anticiperont  une  baisse  de   la  valeur  des   titres  car   ils  anticipent  une  hausse  des   taux)  choisiront   de   conserver   leur   épargne   sous   forme   de  monnaie.   Plus   le   taux   courant   sera   élevé,   plus   le  marché   aura   la   chance   d’être   haussier   et   choisira   prioritairement   l’épargne   financière  ;   plus   les   taux  seront  bas,  plus  le  marché  sera  «  baissier  »,  et  plus  la  demande  de  monnaie  à  des  fins  de  spéculation  sera  élevée.  La  courbe  de  «  préférence  pour  la  liquidité  »  va  alors  être  décroissante  dans  le  plan  (quantité  de  monnaie/taux  d’intérêt).  Dans  un  état  donné  de  la  confiance,  la  demande  de  monnaie  est  donc  d’autant  plus   faible  que   le   taux  d’intérêt   sur   les   titres   est   élevé,   et   inversement.   Le   taux  d’intérêt   apparaît  bien  comme   la   récompense  de   la   renonciation   à   la   liquidité  :   plus   il   s’élève,   plus  une  part   grandissante  des  agents   est   effectivement   incitée   à   renoncer   à   la   liquidité   et   à   privilégier   l’épargne   financière.   On  comprend   aussi   que   si   la   confiance   se   dégrade,   et   qu’en   conséquence   la   préférence   pour   la   liquidité  s’accroît,  les  taux  d’intérêt  devront  monter  pour  compenser  cette  défiance  et  maintenir  le  même  niveau  d’épargne  financière.       Au   total   la   demande   de   monnaie   peut   s’écrire  :   M   =   L1(Y)   +   L2   (i)   où   L1(Y)   est   la   demande  d’encaisses   «  actives  »   répondant   aux  motifs   de   transaction   et   de   précaution,   et   L2   (i)   est   la   demande  d’encaisses   «  oisives  »   répondant   au  motif   de   spéculation   (préférence   pour   la   liquidité)   et   fonction   du  taux  d’intérêt  monétaire  (i).  (…)     Les  deux  demandes  de  monnaie  ne  sont  pas  confrontées  à  la  même  offre  de  monnaie.  La  demande  d’encaisses  actives  est  satisfaite  (en  particulier  le  motif  d’  «  entreprise  »)  par  une  monnaie  de  crédit,  qui  est  essentiellement  accommodante,  et  donc  endogène  (à  un  taux  qui,   lui,  est  exogène)  :  on  ne  peut  pas  alors   parler   de  marché   de   la  monnaie   parce   que   offre   et   demande   sont   liées.   La   demande   d’encaisses  oisives   peut,   elle,   être   satisfaite   (…)   par   la   politique   d’open  market   de   la   banque   centrale,   qui   donne  naissance  à  une  offre  de  monnaie  qu’il  est  effectivement  possible  de  considérer  comme  «  exogène  ».       On   a   donc   bien   là   une   offre   et   une  demande   qui   peuvent   être   appréhendées  séparément   et   dont   la   confrontation   va   être  gouvernée  par   le   taux  de   l’intérêt.  C’est  en  ce  sens  que  l’on  peut  dire  que  le  taux  de  l’intérêt,  prix   de   la   renonciation   à   la   liquidité,   est  déterminé  pour  Keynes  sur  un  «  marché  de  la  monnaie  »,  et  non  sur  le  marché  du  capital  de  prêt,  qui  n’existe  pas.  Le  marché  de  la  monnaie  confronte   une   offre   de   monnaie   exogène  (banque   centrale)   et   la   demande   nette  d’encaisses   oisives,   et   le   taux   d’intérêt  équilibre   la   préférence   collective   pour   la  liquidité   et   la   liquidité   disponible   (figure   ci-­‐contre)  :  On  a  M  exogène  =  L2  (i)  

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003    

 

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Document  60  «  Si  le  taux  d’intérêt  augmente,  le  cours  des  obligations  émises  antérieurement  (____________)  parce  qu’elles  

rapportent  un  intérêt  moins  important  que  celui  permis  par  les  obligations  actuellement  émises.  »    «  A  contrario,  si  le  taux  d’intérêt  baisse,  le  cours  des  obligations  émises  antérieurement  (____________)  parce  qu’elles  rapportent  un  intérêt  plus  important  que  celui  permis  par  les  obligations  actuellement  émises.  »  

   

Document  61  :  Epargne  et  investissement  chez  Keynes     L’épargne   et   l’investissement   constituent   une   même   réalité,   observée   de   deux   points   de   vue  différents  :  l’une  et  l’autre  sont  la  différence  entre  le  revenu  et  la  production  d’un  côté  (S  =  Y  –  C),  et  d’un  autre  côté,  le  niveau  de  la  consommation  (I  =  Y  –  C).  Puisqu’il  en  est  ainsi,  leur  égalité  comptable  existe  toujours.  Donc   ce  que   les  hommes  d’affaires   investissent   effectivement   sera   toujours   égal   à   ce  que   les  familles  épargnent  effectivement.       Mais  ce  que  les  hommes  d’affaires  désirent   investir,  et  ce  que  les  familles  désirent  épargner  est  une   toute   autre   affaire.   Ces   deux   quantités   peuvent   être   loin   de   l’égalité,   auquel   cas,   il   y   aura   une  différence  entre  ce  que  les  gens  veulent  faire  et  ce  qu’ils  réussissent  à  faire  (I  >  S  ou  I  <  S).     Si  on  se  trouve,  au  point  de  départ,  dans  une  situation  où  l’investissement  et  l’épargne  désirés  ne  s’équilibrent  pas,  alors,  selon  Keynes,  le  revenu  national  se  modifiera,  et  continuera  à  se  modifier  jusqu’à  ce  que  cet  équilibre  soit  atteint.  Le  processus  d’égalisation  de  l’épargne  et  de  l’investissement  est  assuré  par  le  mécanisme  du  multiplicateur  d’investissement.       Imaginons   un   supplément   d’investissement   ΔI   sans   épargne   préalable   et   donc   financée   par  création  monétaire,   il   s’ensuit   un  processus   en   chaîne  de   création  du   revenu  dont   le   terme  est   atteint  quand  le  montant  d’épargne  qu’il  engendre  finit  par  correspondre  à  ΔI.    D’après  Michael  Stewart,  Keynes,  coll  pojnts,  Seuil,  1969  et  Pascal  Combemale,  Introduction  à  Keynes,  coll  Repères,  

La  Découverte,  1999    

Document  62  :  IS-­‐LM  et  l’interdépendance  du  marché  des  biens  et  services  et  du  marché  de  la  monnaie  

 

 

           

Document  63  :  IS-­‐LM  et  les  politiques  de  «  fine  tuning  »  L’équilibre  du  modèle  IS-­‐LM  est  obtenu  à  partir  de  la  réalisation  simultanée  de  l’équilibre  sur  le  marché  des   biens   et   sur   le   marché   de   la   monnaie.   Les   valeurs   d’équilibre   Y*   et   i*   sont   ainsi   obtenues   à  l’intersection  des  courbes  IS  et  LM.  Ces  valeurs  d’équilibre  (…)  dépendent  aussi  des  dépenses  publiques  et  de   l’offre  de  monnaie.   Ces  deux  dernières   variables  peuvent  donc   être  utilisées  par   les   autorités   en  tant  qu’instruments  pour  la  politique  économique.  En  ce  sens,  le  modèle  IS-­‐LM  sert  de  cadre  de  référence  

Sur  le  marché  des  biens  et  services  :  Egalité  entre  Offre  et  Dde  de  B&S  

La  somme  dépensée  est  égale  à  la  somme  des  …………………  générés  par  la  production  :  c’est  

l’équilibre  emplois-­‐ressources  

Sur  le  marché  de  la  monnaie  :    

Egalité  entre  Offre  et  Demande  de  monnaie  

L’offre  de  monnaie  est  …………  (fixée  par  la  BC)  La  demande  de  monnaie  dépend  du  revenu  (motifs  de  ………………  et  de  

………………………)  mais  aussi  du  taux  d’intérêt  (motif  de  ……………………………..)  

Demande  de  B&S  (emplois)  =  C(…….)  +  I(……..)    

Offre  de  bien  et  services  =  C(……)  +  S(………)  

Pour  un  niveau  de  revenu  donné,  on    peut  déterminer  un  niveau  de  taux  d’intérêt  

Pour  un  niveau  de  taux  d’intérêt  donné,  on    peut  déterminer  un  niveau  de  revenu  

Obtenir  un  Y  pour  un  taux  d’intérêt  donné  Obtenir  un  taux  d’intérêt  pour  un  Y  donné  Les  deux  marchés  sont  simultanément  à  

…………………..  

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pour   l’étude   des   effets   des   politiques   économiques,   monétaires   (déplacement   de   LM)   ou   budgétaires  (déplacement  de  IS).    

Valérie  Mignon,  La  macroéconomie  après  Keynes,  collection  Repères,  La  Découverte,  2010    

Document  64  :  La  courbe  de  Phillips  :  l’intégration  du  marché  du  travail  Le  modèle  IS-­‐LM  fournit  une  compréhension  de  l’interdépendance  entre  le  marché  des  biens  et  services  et   le   marché   de   la   monnaie.   La   courbe   de   Phillips   rajoute   au   raisonnement   le   marché   du   travail.   A  l’origine,  on  trouve  les  travaux  de  Phillips  (1958)  qui  mettent  en  relation  l’évolution  empirique  du  taux  de   salaire   au   Royaume-­‐Uni   et   le   taux   de   chômage.   En   1959,   P.Samuelson   et   R.Solow   présentent   une  nouvelle  formulation  de  la  courbe  de  Phillips  qui  deviendra  la  relation  de  Phillips.  Partant  de  l’idée  qu’il  existe  une  liaison  directe  entre  l’évolution  du  taux  de  salaire  et  les  prix  (si  les  salaires  augmentent  plus  vite  que  la  productivité  du  travail  alors  l’inflation  apparaît),  ces  deux  auteurs  vont  modifier  les  termes  de  la   courbe.   Ils   remplacent   la   variation   du   taux   de   salaire   par   le   taux   d’inflation   et   font   apparaître   une  relation   négative   entre   le   taux   de   chômage   et   l’inflation.   Cette   présentation   conduit   à   considérer   qu’il  existe  une   alternative   «  chômage-­‐inflation  »  :   pour  obtenir  moins  de   chômage,   il   faut   le  payer  par  plus  d’inflation  ;   tandis  que  pour  obtenir  moins  d’inflation,   il   faut   le  payer  par  plus  de  chômage.  On  appelle  cela  le  «  dilemme  inflation-­‐chômage  ».        

Document  65  :  Les  politiques  de  «  stop  and  go  »  Le  modèle  IS-­‐LM  est  surtout  ses  extensions  ont  constitué  les  outils  incontournables  de  l’analyse  et  de  la  détermination  des  politiques  économiques  conjoncturelles,  et  ce,  tout  au  long  des  années  1950  et  1960.  Les  politiques  de  stop  and  go  sont  mises  en  oeuvre  (…).  Le  modèle  (…)  permet  à  l’autorité  politique  de  régler   finement   l’activité   économique  par  une   séquence  adaptée  de  décisions  de  politique  budgétaire  :  lorsque   le   plein-­‐emploi   est   atteint   et   que   les   tensions   inflationnistes   paraissent   fortes,   on   décide   du  «  stop  »,  avec  une  réduction  des  déficits  publics  ;   lorsqu’elle  s’éloignent,  on  relance  (go)  pour  recréer  à  nouveau   des   emplois,   cette   fois   en   creusant   les   déficits.   L’intégration   de   la   flexibilité   des   prix   dans   le  modèle  IS-­‐LM  avait  l’immense  avantage  de  reproduire  parfaitement  la  courbe  de  Phillips  que  l’on  pouvait  observer   statistiquement  :   c’est   l’époque   du   dilemme   «  inflation-­‐chômage  »  :   la   réduction   du   chômage  s’associe  nécessairement  à  de  l’inflation,  car  c’est  en  jouant  sur  l’illusion  monétaire  des  agents  (les  agents  interprètent   mal   les   signaux   des   prix   et   ne   «  voient  »   pas   l’inflation   quand   leurs   salaires   nominaux  augmentent)  qu’on  obtient  une  relance  de  l’activité.    

Bruno  Ventelou,  «  Nouveaux  keynésiens,  nouveaux  classiques  :  vers  une  nouvelle  synthèse  ?  »  in  Cahiers  français  n°363,  2011  

 Document  66  :  La  trappe  à  liquidité  dans  le  modèle  IS-­‐LM  

  Keynes   insiste   (…)   sur   la   nature   psychologique   et   conventionnelle   du   taux   de   l’intérêt.   Tout  d’abord   la   demande   de   monnaie,   si   elle   était   une   demande   «  traditionnelle  »   de   marché,   devrait   être  l’expression  d’un   comportement   (mécanique,   passif)   associant  une   certaine  quantité   à  un   certain  prix.  Or,  à  partir  du  moment  où  l’accent  est  mis  sur  le  rôle  joué,  dans  la  demande  d’encaisses  oisives,  et  donc  dans  la  détermination  du  niveau  de  l’intérêt,  sur  le  motif  de  spéculation,  on  comprend  que  la  procédure  de  détermination  de  l’encaisse  désirée  ne  va  pas  répondre  typiquement  à  un  comportement  mécanique  de  marché  (réaction  passive  à  un  prix  annoncé),  mais  (…)  apparaîtra  bien  davantage  comme  le  résultat  d’une   procédure   hors   marché,   qui   fait   intervenir   l’environnement   psychologique,   les   traditions,   les  routines.  Le  mécanisme  de  marché  (confrontation  d’une  offre  et  d’une  demande)  n’intervient  qu’en  aval,  et  le  taux  de  l’intérêt  est  pour  l’essentiel  un  phénomène  «  hautement  »  psychologique,  davantage  qu’une  variable  d’ajustement  marchand.       D’autre   part,   alors   que   jusqu’ici   nous   avons   supposé   une   certaine   indépendance   des   opinions  individuelles   sur   les   taux   de   références,   il   est   possible   d’imaginer   au   contraire,   suivant   Keynes,   qu’il  existera,   principalement   en   raison   de   l’incertitude   radicale   qui   caractérise   l’activité   financière   et   de  spéculation,   une   corrélation,   pouvant   être   forte,   entre   ces   représentations  :   une   «  convention  »   se  formera   alors   sur   un   taux   d’intérêt   de   référence,   considéré   alors   comme   «  normal  ».   Dans   ce   cas,   la  politique   monétaire   aura   toutes   les   difficultés   à   faire   baisser   les   taux   d’intérêt,   venant   buter   sur   la  convention.  C’est  pourquoi  Keynes  accorde  une  grande  importance  à  la  structure  de  l’opinion  :  il  oppose  les   opinions  peu  diversifiées   (courbe  de  préférence  pour   la   liquidité  plate,   comme  aux  Etats-­‐Unis)  qui  font  obstacle  à  ce  que  la  banque  centrale  puisse  agir  efficacement  sur  le  taux  d’intérêt,  aux  opinions  très  diversifiées  (courbe  pentue  comme  au  Royaume-­‐Uni),  où  cette  politique  est  possible  :    

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    A  la  limite,  si  la  convention  est  unanime  sur  le  niveau  que  doit  atteindre  le  taux  de  l’intérêt,  alors  la  politique  monétaire  est  totalement  inefficace  :    

    Le  taux  considéré  comme  normal  par  l’opinion  finit  toujours  par  s’imposer,  reflétant  une  prophétie  auto-­‐réalisatrice  :    «  Peut-­‐être,  au  lieu  de  dire  que  le  taux  de  l’intérêt  est  au  plus  haut  degré  un  phénomène  psychologique,  

serait-­‐il  plus  exact  de  dire  qu’il  est  au  plus  haut  degré  un  phénomène  conventionnel,  car  sa  valeur  effective  dépend  dans  une  large  mesure  de  sa  valeur  future  telle  que  l’opinion  dominante  estime  qu’on  la  prévoit.  Un  

taux  d’intérêt  quelconque  que  l’on  accepte  avec  une  foi  suffisante  en  ses  chances  de  durer  durera  effectivement.  (Keynes,  TG,  1936)  

  Pour  notre  propos,  cela  revient,  d’une  autre  manière,  à  remettre  en  cause  le  caractère  marchand  du  taux  de  l’intérêt,  cette  fois  en  raison  du  fait  que  c’est  la  demande  qui  est  endogène  à  l’offre.  Le  mécanisme  est  en  effet   le  suivant  :   la  banque  centrale  augmente   la  masse  monétaire  pour  baisser   le   taux  d’intérêt.  Celui-­‐ci  se  retrouve  dans  une  position  telle  qu’il  est  inférieur  au  taux  conventionnellement  jugé  comme  «  normal  ».  Une  grande  partie  de  l’opinion  (la  totalité  ?)  anticipe  donc  une  remontée  prochaine  des  taux,  et  donc  une  baisse  de  la  valeur  des  titres.  Par  conséquent,  tous  les  agents  augmenteront  leur  demande  de  monnaie   et   voudront   liquider   leurs   titres  :   l’augmentation   de   l’offre   de   monnaie   aura   conduit   à   une  hausse   équivalente   de   la   demande   de   monnaie.   C’est   évidemment   là   un   exemple   de   «  trappes   à  liquidités  »,   à   la   différence   près,  mais   essentielle,   que   dans   l’esprit   de  Keynes,   une   telle   situation   peut  intervenir,  pourvu  que  les  opinions  aient  tendance  à  se  partager,  quel  que  soit  le  niveau  initial  du  taux  de  l’intérêt  (pas  uniquement  donc  dans  des  situations  de  dépression  où  le  taux  ne  peut  objectivement  plus  baisser).       Finalement,  on  comprend  que  les  mécanismes  «  marchands  »  sont  un  aspect  tout  à   fait   inessentiel  dans   la   formation   du   taux   de   l’intérêt,   qui   se   fixe   essentiellement   en   raison   de   comportements   non  marchands  et  en  référence  à  des  variables  psychologiques,  qui   jouent   le  rôle  de  paramètre  du  modèle.  Pour   ces   raisons,   il   existe   des   difficultés   rédhibitoires   à   baisser   les   taux   d’intérêt1,   et   en   particulier   à  accompagner,  dans  des  situations  de  dépression,  un  éventuel  effondrement  de   l’efficacité  marginale  du  capital.  Le  plein-­‐emploi  par  le  soutien  à  l’investissement  devra  être  recherché,  dans  ce  cas,  par  d’autres  moyens  (socialisation  de  l’investissement  sous  la  forme  de  politiques  budgétaires  expansionnistes).    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003  1Keynes  suggère  de  procéder  par  une  série  de  baisses  successives  du  taux  de  l’intérêt  pour  accoutumer  l’opinion  à  la  possibilité  d’une  telle  baisse.  Mais  il  reste  très  circonspect  sur  les  chances  de  réussite.        

6.2 La théorie du déséquilibre  

Document  67  :    Une  comparaison  de  la  théorie  du  déséquilibre  et  de  la  théorie  de  l’équilibre  général  

  La   théorie   du   déséquilibre   est   apparue   fin   des   années   1960-­‐début   des   années   1970   avec   les  travaux  de  Clower,  Leijonhufvud  puis  Benassy  et  Malinvaud.       Le   modèle   néoclassique   d’équilibre   général   walrassien   décrit   une   économie   centralisée  :   les  échanges   se  déroulent  dans  une  économie  où   les  agents  ne   communiquent  pas  directement  entre  eux,  mais  par  l’intermédiaire  d’un  commissaire-­‐priseur  qui  centralise  l’information.  L’information,  nécessaire  

Môl------*

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à   la   production   et   à   l’échange,   est   parfaite   et   est   transmise   à   tous   les   agents   par   l’intermédiaire   du  système  de  prix.  Afin  de  décrire   le  mécanisme  qui  conduit  à   l’équilibre  sur   l’ensemble  des  marchés,   les  néoclassiques,  et  en  premier  lieu  Walras,  ont  introduit  le  processus  de  tâtonnement.  Le  tâtonnement  est  en  quelque  sorte  une  représentation  idéalisée  de  la  loi  de  l’offre  et  de  la  demande  selon  laquelle  le  prix  d’un  bien  augmente  lorsque  la  quantité  demandée  est  supérieure  à  la  quantité  offerte  et  diminue  dans  le  cas   contraire.   (…)   Aucune   transaction   n’a   lieu   avant   que   les   prix   d’équilibre   ne   soient   établis,   le  commissaire   priseur   n’autorisant   les   échanges   qu’à   l’équilibre.   Dans   ce   système,   les   prix   sont  parfaitement  flexibles.  Le  processus  de  tâtonnement  a  une  durée  très  courte  car  les  prix  réagissent  très  vite  aux  situations  de  déséquilibre.  L’équilibre  que  l’on  obtient  est  un  équilibre  général  de  l’ensemble  des  marchés.       La  théorie  du  déséquilibre  abandonne  l’hypothèse  d’information  parfaite  et  de  parfaite  flexibilité  des  prix.  Elle  suppose  que  les  prix  sont  rigides  au  moins  à  court  terme.  Par  conséquent,  le  processus  de  tâtonnement  conduisant  à   l’équilibre  ne  peut  plus  s’effectuer  sur  les  prix,  mais  plutôt  sur  les  quantités.  Décrivons  le  mécanisme.  Sur  la  base  d’un  vecteur  prix  donné,  les  agents  maximisent  leur  fonction  objectif  (sous  contrainte  budgétaire  ou   technologique).  Si   les  offres  et   les  demandes  ne  s’équilibrent  pas,   il   est  impossible  de  procéder  à  un  ajustement  par  les  prix,  ceux-­‐ci  étant  supposés  rigides.  Vont  en  conséquence  apparaître  des  déséquilibres.  Ainsi,  sur  certains  marchés,  les  agents  pourront  ne  pas  acheter  ou  vendre  tout   ce   qu’ils   désirent  :   ils   sont   rationnés.   Ces   rationnements   prennent   la   forme   de   contraintes   de  quantités.  Une  fois  ces  contraintes  perçues  par  les  agents,  ces  derniers  procèdent  à  de  nouveaux  calculs  d’optimisation  :  ils  maximisent  leur  fonction  objectif,  non  seulement  sous  les  contraintes  budgétaires  et  technologiques  usuelles,  mais  en  intégrant  également  ces  contraintes  quantitatives  dans  leur  programme  d’optimisation.   Si   les   offres   et   les   demandes   qui   en   résultent   ne   s’équilibrent   pas,   de   nouvelles  contraintes  quantitatives  vont  s’imposer  aux  agents.  Le  processus  s’arrête  lorsque  la  nouvelle  contrainte  quantitative   est   identique   à   la   contrainte   de   l’itération   précédente.   Le   processus   de   tâtonnement   ne  s’effectue   donc   plus   sur   les   prix   mais   sur   les   quantités.   Bien   entendu,   ce   processus   ne   conduit   pas  nécessairement   à   un   équilibre   sur   tous   les   marchés,   il   existe   des   situations   de   déséquilibres  :   une  différence   fondamentale  avec   le  modèle  walrassien  est  qu’il   se  produit  des  échanges  à  des  prix  qui  ne  sont  pas  des  prix  d’équilibre  concurrentiel.     Il   existe   des   interactions   entre   les   différents   marchés  :   les   contraintes,   les   rationnements  auxquels  un  agent  est  soumis  sur  un  marché  modifie  son  comportement  sur  les  autres  marchés.  Tel  est  par  exemple  le  cas  d’un  agent  qui  reporte  la  consommation  qu’il  n’a  pas  pu  satisfaire  sur  le  marché  d’un  produit  substituable,  aggravant  ainsi  le  déséquilibre  sur  ce  marché.  Un  autre  exemple  est  celui  d’un  agent  qui   ne   veut   pas   vendre   (au   prix   affiché)   tout   ce   qu’il   désire   d’un   bien.   Il   va   alors  limiter   ses   achats  d’autres   biens   et   imposer   des   contraintes   à   ceux   qui   vendent   ces   biens.   Ceux-­‐ci   vont   à   leur   tour  restreindre  leurs  achats  et  ainsi  de  suite.  Il  existe  donc  des  effets  de  report  des  rationnements  subis  par  les   agents   sur   leurs  offres  et  demandes.  Les  déséquilibres   se  propagent  et   se   reportent  d’un  marché  à  l’autre,  ils  sont  interdépendants.    

D’après  Valérie  Mignon,  La  macroéconomie  après  Keynes,  coll.  Repères,  La  Découverte,  2010    

Document  68  :  Une  typologie  des  déséquilibres     Considérons  une  économie  à  deux  marchés,  le  marché  des  biens  et  le  marché  du  travail,  et  deux  catégories  d’agents,  les  consommateurs  et  les  producteurs.  Dans  ce  contexte,  la  théorie  des  déséquilibres  met   en   évidence   quatre   configurations   possibles   de   déséquilibre   selon   les   contraintes   subies   par   les  agents  sur  les  deux  marchés.    Chômage  keynésien     Cette  situation  apparaît  lorsqu’il  y  a  un  excès  d’offre  sur  le  marché  des  biens  et  sur  le  marché  du  travail.  Le  producteur  ne  peut  pas  vendre  tout  ce  qu’il  souhaite,  il  est  rationné  sur  le  marché  des  biens.  Le  consommateur  est  rationné  sur  le  marché  du  travail  (il  y  a  du  chômage).  Cette  configuration  correspond  à  une  insuffisance  de   la  demande  de  biens,   insuffisance  que   les  entreprises  reportent  sur   le  marché  du  travail.   C’est   en   raison   de   l’insuffisance   de   la   demande   effective   que   cette   situation   porte   le   non   de  chômage  keynésien.  Chômage  classique     Cette  configuration  se  caractérise  par  un  excès  de  demande  sur  le  marché  des  biens  et  un  excès  d’offre  sur   le  marché  du  travail.  Le  consommateur  est  rationné  sur   les  deux  marchés,   le  producteur  ne  subit  aucune  contrainte.  L’équipement  des  entreprises  est  doublement   insuffisant  :   il  ne  permet  pas  de  satisfaire   la   demande   sur   le   marché   des   biens   et   il   est   trop   restreint   pour   employer   l’ensemble   des  

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travailleurs.  Le  chômage  est  dû  à  un  salaire  réel  trop  élevé  qui  dissuade  les  entreprises  d’embaucher,  ce  qui  explique  la  dénomination  de  chômage  classique.    Inflation  contenue  ou  réprimée     Il  y  a  un  excès  de  demande  sur  le  marché  des  biens  et  sur  le  marché  du  travail  :  le  producteur  est  rationné   sur   le   marché   du   travail   et   le   consommateur   sur   le   marché   des   biens.   C’est   une   situation  caractérisée   par   une   pénurie   de   travailleurs   et   une   insuffisance   des   capacités   de   production.   (…)   Les  économies   à   planification   centralisée   ont   connu   ce   type   de   situation.   Un   excès   de   demande   étant  traditionnellement  associé  à  une  situation  potentiellement   inflationniste  et  sachant  qu’une  telle  hausse  ne  peut  se  produire  du  fait  de  l’absence  de  flexibilité  des  prix,  on  comprend  pourquoi  on  parle  d’inflation  contenue  ou  réprimée.    Surcapitalisation  ou  sous-­‐consommation     Ce  dernier  cas  est  tel  qu’il  y  a  excès  d’offre  sur   le  marché  des  biens  et  excès  de  demande  sur   le  marché  du  travail.  Le  producteur  est  rationné  sur   les  deux  marchés,   le  consommateur  ne  subit  aucune  contrainte.  Cette  configuration  est  en  général  ignorée  car  elle  est  fortement  improbable.  Elle  renvoie  en  effet  à  une  surproduction  entraînant  une  baisse  de  l’investissement  et  des  débouchés  sur  le  marché  des  biens,  alors  même  que  l’économie  connaîtrait  une  pénurie  de  travailleurs.      

Valérie  Mignon,  La  macroéconomie  après  Keynes,  coll.  Repères,  La  Découverte,  2010    

 

6.3 Le monétarisme  

Document  69  :  M.  Friedman,  Inflation  et  systèmes  monétaires,  1969  «  L’inflation  est  comme  l’alcoolisme.  Lorsqu’un  homme  se  livre  à  une  beuverie,  le  soir-­‐même  cela  lui  fait  du  

bien.  Ce  n’est  que  le  lendemain  qu’il  se  sent  mal  »      

Document  70  :  La  stagflation  et  la  fin  du  dilemme  inflation-­‐chômage     Graduellement,   à   partir   des   années   soixante-­‐dix,   le   keynésianisme   de   la   synthèse   est   remis   en  question.  La  coexistence  de  taux  d’inflation  et  de  taux  de  chômage  de  plus  en  plus  élevés  remet  en  cause  les  certitudes  associées  à  la  courbe  de  Phillips  et  symbolise  l’échec  des  politiques  keynésiennes.  A  défaut  d’explication,  on  crée  un  mot,  stagflation.  Et  certains  commencent  à  expliquer   les  difficultés  de  plus  en  plus  graves  des  années  soixante-­‐dix  par  les  effets  secondaires  de  la  dangereuse  médecine  keynésienne,  source  d’inflation.    

M.  Beaud,  G.  Dostaler,  La  pensée  économique  depuis  Keynes      

Document  71  :  Création  monétaire  et  inflation     Pour  M.  Friedman,  toute  croissance  de  la  quantité  de  monnaie  supérieure  à  celle  de  la  production  est  à  moyen  ou  long  terme  source  d’inflation.  Or,  l’inflation  est  le  dérèglement  économique  le  plus  grave  puisqu’elle  remet  en  cause  les  fondements  même  de  l’économie  de  marché  :  elle  crée  une  situation  où  la  valeur   des   avoirs   devient   instable,   où   le   libre   marché   ne   peut   plus   fonctionner   efficacement   et   où  l’économie  manque  de  signaux  crédibles.  L’inflation  fait  obstacles  à  la  flexibilité  des  prix  et  donc  entrave  le  processus  de  régulation.  Les  agents  économiques,  anticipant  l’évolution  de  l’inflation  ou  de  la  déflation,  vont  modifier  leurs  comportements  de  dépenses  et  vont  ainsi  influer  sur  les  prix  et  sur  les  revenus  réels.  Plus   fondamentalement,   l’inflation,   quand   elle   acquiert   une   dynamique   cumulative   sous   la   forme   de  l’hyperinflation   dévalorise   la   monnaie,   compromettant   ainsi   sa   fonction   essentielle   de   permettre  l’échange  sans  passer  par  le  troc.  L’inflation  résulte  d’une  augmentation  trop  forte  de  l’offre  de  monnaie  ;  c’est  le  gouvernement  qui,  en  augmentant  la  quantité  de  monnaie  plus  rapidement  que  ne  le  requiert  la  hausse   de   la   production,   provoque   l’inflation.   L’augmentation   de   la   quantité   de  monnaie   peut   créer   à  court  terme  les  conditions  d’une  expansion  économique  et  diminuer   le  chômage,  mais  elle  est  toujours  source  de  dysfonctionnement  à  moyen  et  long  terme  lorsqu’elle  dépasse  l’augmentation  de  la  production.  Keynes  affirmait  que  les  salariés  sont  durablement  victimes  de  l’illusion  monétaire  ;  Friedman  pense  que  cette  illusion  monétaire  n’est  que  temporaire.  Une  augmentation  de  la  quantité  de  monnaie  induira  une  hausse  des  encaisses  monétaires  des  individus  ;  si  l’inflation  n’est  pas  anticipée,  les  individus  se  sentiront  plus   riches   et   augmenteront   leurs  dépenses   (d’une   façon  assez   limitée   car   leur   consommation  dépend  essentiellement   de   leur   revenu   permanent   et   non   pas   de   leur   revenu   courant).   Les   entreprises  augmenteront  les  salaires  nominaux  de  façon  à  pouvoir  embaucher  davantage  et  produire  davantage  de  façon   à   être   en   mesure   de   répondre   à   la   hausse   de   la   demande.   Les   salariés,   victimes   d’une   illusion  monétaire  temporaire,  acceptent  de  travailler  davantage.  La  production  et  l’emploi  ont  donc  augmenté  ;  l’augmentation  de  la  masse  monétaire  a  eu  des  effets  réels  sur  l’économie.  Mais  rapidement  les  individus  

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se   rendent   comptent  que   les  prix  ont  augmenté  et  donc  que  ni   leurs  encaisses   réelles  ni   leurs   salaires  réels  ne  se  sont  accrus.  A  ce  moment,  ils  adaptent  leurs  comportements  au  nouveau  système  de  prix  :  les  dépenses  et  l’offre  de  travail  reviennent  à  leur  niveau  initial.  L’hypothèse  de  Friedman  est  que  l’inflation  anticipée  ne  s’adapte  que  graduellement  à  l’inflation  réelle  ;  il  utilise  le  terme  d’anticipations  adaptatives.  Friedman  affirme  :  «    je  ne  pense  pas  qu’il  y  ait  à  choisir  entre  l’inflation  et  le  chômage.  Le  problème  se  pose  entre   l’aggravation  de   l’inflation   et   le   chômage,   ce   qui   signifie   que   le   véritable   enjeu   est   de   savoir   si   l’on  préfère  le  chômage  tout  de  suite  ou  plus  tard  ».  La  monnaie  étant  nocive,  il  faut  la  neutraliser.  La  politique  monétaire  ne  doit  pas  être  un  instrument  de  lutte  contre  le  chômage,  mais  elle  doit  être  un  instrument  de  neutralisation  de  la  monnaie.  Il  faut  donc  contrôler  strictement  la  croissance  de  la  masse  monétaire  afin  qu’elle   soit   égale  à   l’augmentation  de   la  production.   Si   la   stabilité  des  prix  est   assurée  par   la  politique  monétaire,   l’efficacité   des   marchés   est   restaurée   et   indirectement   les   performances   économiques  s’améliorent.  

Marc  Montoussé,  Les  nouvelles  théories  économiques,  coll.  Thèmes  et  débats,  Bréal,  2002    

 

Document  72  :  Le  chômage  naturel     La  somme  des  chômages  frictionnel,  structurel  et  classique  constitue  le  chômage  naturel  au  sens  de   Friedman.   Ce   chômage   naturel   exprime   bien   un   déséquilibre   entre   l’offre   et   la   demande   de   travail  mais,  si  rien  n’est  fait  du  côté  de  la  politique  économique,  le  taux  de  chômage  effectif  tend  vers  le  taux  de  chômage   naturel.   On   retrouve   ici   une   conception   de   l’équilibre   en   tant   qu’état   de   repos   d’un  marché.  Dans  cette  perspective,  le  taux  de  chômage  naturel  devient  un  taux  de  chômage  d’équilibre.     Ce   taux  de  chômage  d’équilibre  est  variable  d’une  société  à   l’autre,  mais,  partout  en  occident,  à  partir   de   la   fin   des   années   1960,   il   progresse.   Ce   taux   est   variable   compte   tenu   des   différences   d’une  société   à   l’autre   dans   l’information   disponible   sur   les   emplois,   compte   tenu   des   différences   dans   la  mobilité  du  facteur  travail  mais  aussi  compte  tenu  des  différences  dans  les  rigidités  institutionnelles  du  marché  du  travail,  rigidités  qui  entravent  la  baisse  des  salaires  et  l’autorégulation  des  marchés.       Ce  taux  s’accroît  depuis  la  fin  des  années  1960  pour  deux  raisons  :    

- l’augmentation du niveau de vie et des allocations chômage contribuent à accroître le temps de recherche d’un emploi ;

- les rigidités institutionnelles du marché du travail empêchent dans les années 1970 une baisse des salaires dans une période où les gains de productivité du travail ralentissent considérablement.

  Pour   réduire   ce   taux   de   chômage   d’équilibre,   la   politique   économique   doit   être   de   type  structurelle.   Il   s’agit  de   réduire   toutes   les   formes  de   rigidités   institutionnelles  du  marché  du   travail   et  cette   action   doit   être   menée   systématiquement   sur   la   base   d’une   stratégie   à   moyen   terme.   Toutes  politiques   conjoncturelles   de   relance  de   la   demande  ne  peut   sous   certaines   hypothèses,   en  particulier  celle  de   l’illusion  monétaire,  que  faire  passer  provisoirement   le  taux  de  chômage  effectif  en  dessous  de  son  niveau  d’équilibre.  Si  c’est  le  cas,  on  constate  alors  une  accélération  de  la  croissance  des  salaires  et  de  l’inflation.  La  courbe  de  Phillips  est,  à  long  terme,  verticale  :  une  politique  monétaire  destinée  à  stimuler  la   demande   effective   ne   peut   donc   avoir   d’effet   réel   sur   l’économie   qu’à   court   terme,   au   prix   d’une  augmentation   de   l’inflation.   A   long   terme,   les   agents   s’adaptent   et   l’économie   se   retrouve   au   taux   de  chômage  naturel.  

D’après  Jean-­‐François  Renaud,  Cours  de  Master  –  Théories  macroéconomiques  et  politiques  économiques,  2004    

Document  73  :  De  la  distinction  «  politiques  conjoncturelle/structurelle  »  à  la  distinction  «  politiques  discrétionnaires/de  règle  »  

La  définition  de   la  politique   conjoncturelle  n’est  pas   consensuelle.  On  peut   considérer  que   la  politique  conjoncturelle   est  une  politique  menée   sur   le   court   terme  ou  bien   considérer  qu’elle   est  une  politique  agissant   sur   des   variables   économiques   (contrairement   à   la   politique   structurelle   qui   agit   sur   des  données  économiques,  comme  par  exemple  les  réglementations  ou  les  infrastructures).  Durant  les  trente  glorieuses   et   jusqu’à   la   fin   des   années   1970,   le   problème  de   définition   ne   se   posait   pas   car   toutes   les  politiques  agissant  sur  des  variables  économiques  (croissance  de  la  production,  niveau  des  prix,  niveau  de  l’emploi)  n’étaient  menées  que  sur  le  court  terme.  Depuis  le  début  des  années  1980,  sous  l’impulsion  des   monétaristes,   des   politiques   monétaires   restrictives   ont   été   mises   en   œuvre   (la   politique   de  désinflation  compétitive  en  France  par  exemple).  Ces  politiques  agissent  sur  des  variables  de  l’économie,  mais  sont  menées  de  façon  durable.  Sont-­‐ce  des  politiques  conjoncturelles  ou  structurelles  ?  De  plus  en  plus,  on  utilise  une  autre  distinction  :   les  politiques  discrétionnaires   sont  des  politiques  menées   sur   le  court  terme  et   les  politiques  de  règle  sont  des  politiques  durables  qui  assurent  une  certaine  cohérence  temporelle  et  donc  une  crédibilité.  Les  monétaristes  (et  les  nouveaux  économistes  classiques)  s’opposent  

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à   la   mise   en   œuvre   de   politiques   discrétionnaires   et   n’acceptent   que   des   politiques   de   règle.   Selon  Friedman,   l’inflation   est   toujours   due   à   une   augmentation   trop   forte   de   la   quantité   de   monnaie   par  rapport  à  la  production.  La  tâche  de  l’Etat  est  de  lutter  contre  l’inflation.  La  lutte  contre  l’inflation  passe  forcément    par  une  réduction  de  la  création  monétaire  qui  est  coûteuse  en  termes  d’emploi  et  de  croissance.  Friedman  compare  l’inflation  à  l’alcoolisme.  Elle  dope  la  croissance  à  court    terme,  mais  elle  nécessite  par  la  suite   une   cure   de   désintoxication   ou   d’assainissement   qui   est   difficile   et   coûteuse,   mais   nécessaire   pour  repartir  sur  de  bonnes  bases.  (…)  Le  délai  entre  les  variations  de  la  masse  monétaire  et  celles  de  l’inflation  est  assez  long.  Toute  politique  discrétionnaire  de  court  terme  est  donc  déstabilisante.  Friedman  affirme  que  les  autorités  monétaires  doivent  mener  avec  détermination  une  politique  de  règle  fixant  un  taux  fixe  de  croissance  de  la  quantité  de  monnaie  en  accord  avec  le  taux  de  croissance  à  long  terme  de  l’économie.  (…)  Il  faut  adopter  des  politiques  de  règle,  c’est-­‐à-­‐dire  des  politiques  stables  sur  le  long  terme.  

Marc  Montoussé,  Les  nouvelles  théories  économiques,  coll.  Thèmes  et  débats,  Bréal,  2002    

 6.4 La nouvelle économie classique

 

Document  74  :  John  Muth  (1930-­‐2005)  «  Je  suggérerais  que  les  anticipations,  puisqu’elles  sont  des  prévisions  informées  des  événements  futurs,  sont  

essentiellement  identiques  aux  prévisions  de  la  théorie  économique  pertinente  »    

Document  75  :  l’hypothèse  d’anticipations  rationnelles     L’hypothèse   d’anticipations   rationnelles   est   une   conséquence   extrême   de   l’hypothèse   de  rationalité  qui  définit,  chez  les  néoclassiques,   l’agent  économique.  Celui-­‐ci  est  en  effet  décrit  comme  un  centre  de  décision  qui  adapte  les  moyens  dont  il  dispose  aux  objectifs  qu’il  poursuit  (maximisation  sous  contrainte)  ;   pour   cela,   il   tient   compte  des   effet   prévisibles  de   ses   actions,  modulés  par  des   influences  extérieures.     Pour  déterminer  son  comportement,  l’agent  doit,  en  particulier,  anticiper  les  états  futurs  de  son  environnement  et   l’évolution  des  déterminants  de  ses  choix  :  contraintes,  représentations,  préférences.  Pour   ce   faire,   il   s’appuie   sur  une   représentation  plus   ou  moins   élaborée  du   système  dans   lequel   il   est  inséré.       En  l’occurrence,  il  y  a,  grossièrement,  deux  hypothèses  majeures  concernant  les  anticipations  :    

- les anticipations peuvent être considérées comme autorégressives : la représentation de la détermination d’une variable est dans ce cas très simple, puisqu’elle repose sur les seules valeurs passées de cette variable ;

- les anticipations peuvent être rationnelles : la représentation de la variable à anticiper est alors déduite d’une spécification correcte du fonctionnement de l’ensemble du système économique dans lequel elle s’insère incluant l’effet de l’anticipation elle-même.

  La  théorie  des  anticipation  rationnelles  trouve  son  origine  dans  un  article  de  J.  Muth  (1961)  (…).  Elle  doit  au  départ  être   interprétée  comme  une  réaction  de  rejet  vis-­‐à-­‐vis  des  modèles  purement  auto-­‐régressifs   (ndlr  :   anticipations   extrapolatives   et   adaptatives).   Ces   modèles   conduisent   en   effet,   sous  certaines   conditions,   à   des   biais   systématiques   difficiles   à   admettre.   Par   exemple,   le  modèle   adaptatif  simple   appliqué   à   une   économie   où   le   taux   d’inflation   croît   continument   conduit   à   des   anticipations  inflationnistes  systématiquement  biaisées,  qui  sous-­‐évaluent  l’inflation  effective.       L’hypothèse  d’anticipations  rationnelles  comprend  deux  aspects  :    

- Les agents exploitent l’information de façon rationnelle, c’est-à-dire qu’ils forment leurs anticipations à partir de l’information disponible et avantageuse. Il est avantageux d’utiliser une information si son rendement marginal est supérieur ou égal au coût marginal de son acquisition. Sous cet angle, la théorie des anticipations rationnelles étend à l’information l’application du principe d’économicité de la microéconomie traditionnelle.

- L’information disponible et avantageuse pour l’anticipation de la grandeur (X) n’a pas de raison de se limiter aux valeurs courantes et passées de (X). Le projet n’est pas formé uniquement à partir de la mémoire. En fait, souligne J. Muth, l’individu recourt à la « théorie économique pertinente » pour fonder ses anticipations. L’expression précédente est ambiguë, puisqu’elle laisse supposer que, à un moment donné, une théorie économique puisse être, relativement aux autres théories, qualifiée de « pertinente » et qu’elle est parfaitement connue par l’ensemble des individus. (…)

  L’hypothèse   d’anticipations   rationnelles   (…)   consiste   donc   finalement   à   supposer   que   l’agent  adopte  comme  représentation  du  système,  dont  il  anticipe  le  fonctionnement,  celle  du  modélisateur.  Une  incertitude   peut   certes   être   introduite   dans   l’analyse   (ce   qui   distingue   en   fait   les   anticipations  

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rationnelles   des   anticipations   parfaites),   mais   cette   incertitude   est   probabilisable  ;   surtout   ces  probabilités  imaginées  par  les  agents  sont  celles  auxquelles  obéissent  effectivement  les  phénomènes.  Les  anticipations  rationnelles  ne  sont  donc  réalisées  qu’en  moyenne  (statistique)  et  non  parfaitement,  mais  la  dynamique  du  système  est  prévisible,  à  des  aléas  exogènes  près  (au  bout  du  compte,  les  anticipations  rationnelles   sont  parfaites,   à  un  aléa   imprévisible  près.   Il   y   a   ainsi  une   liaison  entre   les   croyances  des  agents   économiques   et   le   véritable   comportement   stochastique   du   système  :   c’est   là   l’essence   de   la  démarche  des  anticipations  rationnelles.    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003    

Document  76  :  La  critique  de  Lucas     Selon   Lucas   (1976),   la   majorité   des   relations   figurant   dans   les   grands   modèles  macroéconométriques   d’inspiration   keynésienne   n’ont   aucun   fondement   microéconomique   comme   la  courbe  de  Phillips.  Ainsi,  de  tels  modèles  ne  prennent  pas  en  compte,  ou  alors  de  manière  très  imparfaite  la  manière  dont  les  agents  économiques  forment  leurs  anticipations.  Or  les  décisions  qui  déterminent  la  plupart   des   variables   macroéconomiques,   tels   la   consommation,   l’investissement   ou   la   production,  dépendent   de   manière   décisive   des   anticipations   sur   l’évolution   future   de   l’économie.   En   outre,   la  plupart  des   interventions  de  politique  économique  modifient   la   façon  dont   les   individus   forment   leurs  anticipations.  Mais   les  grands  modèles  macroéconométriques  n’intègrent  pas  ces  modifications  dans   la  formation  des  anticipations.  Sous  l’hypothèse  d’anticipations  rationnelles,  Lucas  montre  au  contraire  que  ces  individus  tiennent  compte  dans  leurs  prévisions  des  mesures  annoncées  de  politique  économique  et  se   comportent   de   telle   sorte   que   les   effets   attendus   ne   se   réalisent   pas.   Il   en   résulte   que   les   grands  modèles   macroéconométriques,   dont   les   paramètres   sont   estimés   à   partir   d’observations   passées,   ne  peuvent  pas  servir  à  prévoir  les  conséquences  des  mesures  de  politiques  économique.       La   critique   de   Lucas   comporte   ainsi   deux   grandes   parties  :   1)   elle   suggère   qu’une   politique  monétaire  active  est  inefficace  au  sens  où  elle  n’a  pas  d’effet  réel  positif,  et  2)  elle  donne  une  explication  possible,   fondée   sur   la   rationalité   des   anticipations   des   agents,   de   la  mauvaise   qualité   des   prévisions  issues   des   grands   modèles   macroéconométriques.   Concernant   ce   second   point,   quelques   précisions  méritent   d’être   mentionnées.   En   formulant   cette   critique,   Lucas   s’attaque   en   réalité   à   la   pratique  économétrique  qui  prévaut  à   l’époque.  La  manière  communément  employée  pour  prévoir  une  variable  consiste  à  estimer  une  équation  décrivant  l’évolution  de  cette  variable  sur  le  passé  et  à  utiliser  une  telle  relation  pour  effectuer  les  prévisions.  Une  telle  pratique  repose  évidemment  sur  une  hypothèse  implicite  de  stabilité  de  la  relation  estimée.  Selon  Lucas,  cette  hypothèse  ne  peut  être  retenue  dans  la  mesure  où,  l’environnement   économique   évoluant,   le   comportement   des   agents   se   modifie   également.   En  conséquence,  les  équations  de  comportement  figurant  dans  les  grands  modèles  macroéconométriques  ne  peuvent  être  considérées  comme  stables,  ce  qui  expliquerait  le  faible  pouvoir  prédictif  de  tels  modèles  :  «  Etant  donné  que  la  structure  d’un  modèle  économétrique  se  compose  des  règles  de  décisions  optimales  des  agents   économiques   et   que   les   règles   de   décision   varient   systématiquement   lorsque   se  modifie   le   type   de  séries   pertinent   pour   le   décideur,   il   s’en   suit   que   toute   modification   de   la   politique   altérera  systématiquement  la  structure  des  modèles  économétriques  (…)  ».    

Valérie  Mignon,  La  macroéconomie  après  Keynes,  coll.  Repères,  La  Découverte,  2010      

Document  77  :  Anticipations  rationnelles  et  impact  des  politiques  budgétaires      En  1974,  Robert  Barro  a  entrepris  de  réhabiliter  le  principe  d’équivalence  (ou  encore  «  principe  de  neutralité  de  la  dette  publique  »),  dont  la  «  découverte  »  est  attribuée  généralement  à  David  Ricardo.       Selon   ce   principe,   une   réduction   d’impôt   financée   par   émission   d’emprunts   publics   nouveaux  (une   politique   fiscale   expansionniste)   n’affecte   pas   la   demande   de   consommation   des   agents,   et   ce  malgré   l’accroissement   du   revenu   disponible   qui   en   résulte.   Les   impôts   et   la   dette   publique   sont  équivalents.   La   raison   tient   au   caractère   rationnel   des   anticipations   individuelles.   Les   dettes  d’aujourd’hui   (…)   sont   les   impôts   de   demain   (toutes   choses   égales   par   ailleurs,   et   afin   de   satisfaire   la  contrainte  budgétaire  intertemporelle  de  l’Etat).  La  valeur  actualisée  de  ces  impôts  futurs  égale  la  valeur  présente   des   impôts   évités,   ce   qui   laisse   invariant   le   revenu   permanent   et   la   contrainte   budgétaire  intertemporelle   des   agents   privés.   Ces   agents   n’ont   donc   aucune   raison   de   modifier   leur   profil  intertemporel   de   consommation.   Ce   qui   importe   vraiment,   c’est   le   montant   de   dépenses   publiques,  charges   que   l’économie   doit   assumer   de   toute   manière,   sous   une   forme   ou   sous   une   autre.   Sauf   à  supposer  une  forme  «  d’illusion  budgétaire  »  des  agents,  la  politique  fiscale  n’aura  aucun  impact.  Seule  la  réduction  des  dépenses  publiques  est  susceptible  de  relancer  la  consommation  (ce  qui  revient  à  réduire  

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l’effet  d’éviction).  Il  faut  donc  porter  davantage  attention  aux  dépenses  publiques  et  à  l’éviction  qu’elles  produisent  que  de  débattre  des  modalités  de  leur  financement.     Ainsi,  si  le  principe  d’équivalence  a  surtout  été  présenté  pour  étudier  l’effet  d’une  substitution  de  la  dette  à  l’impôt,  à  dépenses  publiques  constantes,  il  peut  évidemment  être  utilisé  pour  étudier  l’impact  d’une  augmentation  des  dépenses  financées  par  l’emprunt.  Au  titre  de  la  théorie  du  revenu  permanent,  on  comprend  (…)  que  si  la  hausse  des  dépenses  publiques  est  considérée  comme  permanente,  les  agents,  puisque  les  dépenses  se  traduiront  par  un  flux  ininterrompu  de  nouveaux  prélèvements,  vont  réviser  à  la  baisse  leur  revenu  net  permanent  d’un  même  montant,  quel  que  soit  le  moment  de  l’imposition  dans  le  cycle  de  vie  ;  ils  réduiront  en  conséquence  leur  consommation  d’un  même  montant  en  valeur  actualisée  :  cette  baisse  de  la  consommation  privée  compensera  exactement  la  hausse  des  dépenses  publiques,  et  la  politique  budgétaire  aura  été  totalement  inefficace  sur  le  niveau  du  produit  global.    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003    

Document  78  :  L’importance  de  la  crédibilité  dans  le  cadre  de  la  NEC     Dans   l’optique   des   nouveaux   classiques,   puisque   les  agents   sont   réputés  munis   d’anticipations   rationnelles,   le   coût  réel  de   la  désinflation  devrait  être  nul,  puisque   toute  politique  monétaire  systématique  (et  une  politique  de  désinflation  en  est  une)   est   anticipée   parfaitement  :   seuls   les   chocs   aléatoires   ne  peuvent   être   anticipés.   L’économie   devrait   donc   directement  passer   d’un   équilibre   de   long   terme   C   à   un   équilibre   de   long  terme   O,   sans   qu’aucun   coût   ne   soit   subi,   puisqu’aucun  arbitrage   inflation/chômage   n’existe   jamais,   y   compris   à   court  terme   (contrairement   à   l’optique   monétariste).   Pourtant,   les  faits   stylisés,   si   chers   aux   nouveaux   classiques,   démontrent  l’inverse  :  les  politiques  de  désinflation  s’accompagnent  d’une  élévation  du  chômage.       L’explication   possible   de   ce   phénomène,   tout   en   demeurant   dans   le   cadre   du   modèle   de   la  nouvelle  école  classique,  consiste  à  passer  d’un  jeu  statique  à  un  jeu  dynamique  de  politique  économique.  Le  «  jeu  »  démarre  par  une  annonce  de  politique  économique  (par  exemple  une  annonce  d’engagement  désinflationniste)  ;   puis   les   agents   privés   «  jouent  »   en   adaptant   ou  non   leurs   anticipations   de   prix  :   si  l’annonce  est  jugée  «  crédible  »  ;  ils  ajustent  en  conséquence  leurs  anticipations  de  prix,  rendant  possible  une  baisse  de  l’inflation  sans  coût.  S’ils  se  défient  de  l’annonce,  ils  ne  modifient  pas  leurs  anticipations,  et  la  désinflation  est  mise  en  échec,  à  moins  de  tolérer  un  coût  réel  en  termes  de  chômage.  Le  coût  réel  de  la  désinflation  est  lié  à  un  défaut  de  crédibilité.  A  son  tour  ce  défaut  tient  à  ce  que  ce  sont  les  autorités  qui  «  jouent  »   le  dernier  coup  :  une   fois   les  anticipations  ajustées   (ou  non),   les  autorités  mettent  en  œuvre  leur  politique  annoncée,  ou  ne   le   font  pas  !  C’est   le   fait  qu’elles  puissent  «  tricher  »  et  ne  pas  respecter  leur   engagement   qui   crée   la   défiance   des   agents   privés   et   retarde   l’ajustement   des   anticipations,  induisant   un   éventuel   coût   à   la   mise   en   œuvre   effective   de   la   désinflation.   Bref,   le   coût   réel   de   la  désinflation  existe  lorsque  des  autorités,  pourtant  sincères,  ne  sont  pas  crédibles  :  elles  doivent  accepter  un  coût  à  court  terme  pour  témoigner  de  leur  bonne  foi  et  gagner  en  crédibilité.       La   mise   en   œuvre   formelle   de   cette   idée   a   été   opérée   à   partir   du   traitement   par   Kydland   et  Prescott  des  problèmes  «  d’incohérence  temporelle  »  («  Rules  Rather  than  Discretion,  The  Inconsistency  of   Optimal   Plans  »,   1977)   (…)  :   une   politique   optimale   en   (t)   est   temporellement   incohérente   si   une  réoptimisation  en  (t  +  n)  implique  une  politique  optimale  différente.    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  2ème  cycle  universitaire,  Bréal,  2003    

 6.5 Les économistes de l’offre : une critique radicale de l’intervention économique de l’Etat

 

Document  79  :  Les  économistes  de  l’offre     Ce  que  l’on  appelle  «  économie  de  l’offre  »  est  un  mouvement  de  pensée  plus  circonscrit  (que  les  monétaristes)  associé  aux  changements  de  politique  économique  américaine  sous  la  présidence  Reagan.  Avant   d’être   élu   président   des   Etats-­‐Unis,   Reagan   a   été   gouverneur   de   Californie.   Un   mouvement  populaire   de   révolte   contre   l’impôt   soutenu   par   des   économistes   (…)   a   abouti   à   une   réduction  importante  des  taxes  sur  la  propriété.  Cette  fronde  des  payeurs  de  taxes  s’est  étendue  aux  Etats-­‐Unis.  (…)  La  courbe  de  Laffer  cherche  à  illustrer  le  fait  que  le  rendement  de  l’impôt  augmente  puis  diminue  au  fur  et   à   mesure   que   la   pression   fiscale   augmente.   Des   impôts   sur   le   revenu   et   sur   le   profit   trop   élevés  

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découragent   l’initiative,   l’épargne,   l’investissement   et   l’effort   productif.   Une   fiscalité   trop   oppressante  provoque   l’émergence   et   l’extension   d’une   économie   souterraine,   comme   la   prolifération   d’emplois  exclusivement  liés  à  la  tentative  d’échapper  à  l’impôt.  Les  économistes  de  l’offre  proposent  une  réduction  importante  de  l’impôt  direct  et  une  atténuation  sensible  de  son  caractère  progressif,  puisque  ce  sont  les  riches   qui   épargnent   le   plus   et   donc   investissent   le   plus.   Pour   appuyer   leur   argumentation,   les  économistes  de   l’offre   se   réclament  de   la   loi  des  débouchés  énoncée  en  1803  par   J.B.   Say,   en  vertu  de  laquelle  l’offre  globale  crée  sa  demande,  de  sorte  que  tout  déséquilibre  macroéconomique,  en  particulier  l’existence   de   chômage,   ne   peut   naître   que   de   chocs   exogènes   ou   du   mauvais   fonctionnement   des  marchés.  Les  solutions  keynésiennes  de  stimulation  de  la  demande  sont  non  seulement  inefficaces,  mais  elles  peuvent  même  avoir  des  effets  inverses  de  celui  recherché.  (…)  Le  problème  fondamental  n’est  pas  pour  eux  l’inflation,  mais  une  stagnation  de  la  production  causée  en  grande  partie  par  un  système  fiscal  qui  détruit   l’initiative   et  provoque  des  distorsions  dans   les  prix   relatifs,   et  donc  dans   les  décisions,   au  niveau   de   la   production,   dans   l’offre   des   facteurs   de   production   et   plus   généralement   des   ressources  d’une  communauté.  La  réduction  de  la  fiscalité  doit  être  accompagnée  d’une  diminution  des  dépenses  de  l’Etat.  Comme  tous  les  courants  d’opposition  au  keynésianisme  fondé  sur  la  foi  dans  la  stabilité  inhérente  des  économies  de  marché,   l’économie  de   l’offre  croit  à   l’existence  de   l’effet  d’éviction  que  Keynes  avait  combattue   au   tournant   des   années   trente,   en   vertu   de   laquelle   les   dépenses   gouvernementales  détournent   des   fonds   autrement   disponibles   pour   le   secteur   privé.   Il   faut   dégager   des   ressources  nécessaires  à  la  relance  de  la  production  en  les  détournant  d’un  Etat-­‐providence  omniprésent.  Cela  rend  nécessaire  la  réduction  de  toutes  les  dépenses  sociales  de  l’Etat.  (…)  Gilder  écrit  que  l’aide  aux  chômeurs,  aux  divorcés,   aux  déviants,   aux  prodigues  ne  peut  que   les   inciter  à   se  multiplier  et   constitue  ainsi  une  menace   d’éclatement   de   la   société  :   «  la   sécurité   sociale   érode   maintenant   le   travail   et   la   famille   et  maintient  ainsi  les  pauvres  dans  la  pauvreté  ».    

Michel  Beaud  et  Gilles  Dostaler,  La  pensée  économique  depuis  Keynes,  Seuil,  1996    

6.6 L’école du public choice : une critique radicale de l’Etat bienveillant  

Document  78  :  L’école  du  Public  Choice     La   théorie  des   choix  publics   essentiellement  présentée  par  G.  Tullock   et   J.  Buchanan   considère  qu’il  faut  appliquer  les  règles  d’étude  de  la  sphère  économique  marchande  à  la  sphère  économique  non  marchande.   Les   individus   rationnels   et   optimisateurs   lorsqu’il   s’agit   de   la   production   et   de   la  consommation   de   biens   marchands   ne   deviennent   pas   inintéressés   et   irrationnels   dès   qu’il   s’agit   de  sphère  non  marchande.  Ainsi,  sur  le  marché  politique  se  rencontrent  des  offreurs  et  des  demandeurs.  Les  offreurs   sont   les   hommes  politiques   et   les   bureaucrates.   Ils   cherchent,   comme   tout   agent   économique  rationnel,  à  maximiser  leur  utilité.  Les  hommes  politiques,  pour  se  faire  élire  ou  réélire,  auront  tendance  à   satisfaire   leur   électorat   ou   du   moins   les   groupes   de   pression   les   plus   puissants.   Cela   conduira  inévitablement  à  une  augmentation  des  dépenses.  Les  bureaucrates  fonctionnaires  qui  maximisent  aussi  leurs  préférences  voudront  essayer  d’empêcher   toute  diminution  de  budget  ;   ils  ont  un  poids  électoral  considérable  qu’ils  utilisent  dans  le  sens  d’une  augmentation  des  dépenses  de  l’Etat.    

Marc  Montoussé,  Nouvelles  théories  économiques,  collection  Thèmes  et  débats,  Bréal,  2002    

 

6.7 La nouvelle économie keynésienne (NEK)  

Document  80  :  La  nouvelle  économie  keynésienne       La   nouvelle   économie   keynésienne   est   née   dans   les   années   1980   en   réaction   à   la   nouvelle  économie  classique.  Pour   les  nouveaux  économistes  keynésiens,   les   individus  sont  rationnels,  mais  des  déséquilibres  existent  et  se  propagent  car  les  marchés  ne  peuvent  s’autoréguler,  essentiellement  du  fait  de  la  viscosité  (rigidité)  des  prix  et  des  salaires.  La  nouvelle  économie  keynésienne  n’est  pas  un  courant  unifié,  mais  ses  principaux  animateurs  (Akerlof,  Mankiw,  Yellen,  Phelps,  …)  s’accordent  sur  deux  points  fondamentaux  :  la  monnaie  n’est  pas  neutre  et  les  imperfections  des  marchés  expliquent  les  fluctuations.  La  parenté  avec  Keynes  est   souvent   lointaine,   car  ces  économistes  s’opposent  à  des   interventions   trop  rigoureuses  (et  systématique)  de  l’Etat,  parce  qu’ils  ne  considèrent  pas  que  les  salariés  sont  victimes  de  l’illusion  monétaire  et  parce  qu’ils  ne  fondent  pas  leur  théorie  sur  le  principe  de  la  demande  effective.  En  revanche,  ils  considèrent  comme  Keynes,  que  le  chômage  involontaire  existe  et  que  les  forces  du  marché  n’assurent  ni  l’équilibre,  ni  l’optimum.  (…)  La  nouvelle  macroéconomie  keynésienne  est  (…)  par  certains  

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aspects   plus   proche   de   la   nouvelle   économie   classique   et   par   certains   autres   plus   proche   de   la  macroéconomie  keynésienne  traditionnelle  :    

- comme Keynes et contrairement aux nouveaux classiques, elle considère que la monnaie n’est pas neutre ;

- contrairement à Keynes et comme la nouvelle macroéconomie classique, elle considère que les agents économiques sont rationnels ;

- contrairement à Keynes et comme la nouvelle macroéconomie classique, elle considère que le niveau de production est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande sur les marchés (des biens et des services) ;

- contrairement à Keynes et comme la nouvelle macroéconomie classique, elle considère que le niveau de l’emploi est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande sur le marché du travail ;

- comme Keynes et contrairement aux nouveaux classiques, elle considère que le chômage involontaire est possible ;

- elle s’oppose moins systématiquement aux politiques conjoncturelles que la nouvelle macroéconomie néoclassique mais ne les préconise pas autant que la macroéconomie keynésienne traditionnelle.

Marc  Montoussé,  Nouvelles  théories  économiques,  collection  Thèmes  et  débats,  Bréal,  2002    Document  81  :  La  rigidité  des  prix  à  l’origine  de  situations  de  déséquilibres  et  de  la  non  neutralité  

de  la  monnaie     De   nombreux   modèles   de   la   nouvelle   économie   keynésienne   présentent   la   rigidité   des   prix    comme  l’explication  de  la  non-­‐neutralité  de  la  monnaie  et  du  non  ajustement  continu  des  marchés.       Pour  les  nouveaux  économistes  keynésiens,  tous  les  marchés  ne  sont  pas  des  marchés  à  des  prix  flexibles  ;   la   plupart   des   marchés   fonctionnent   imparfaitement.   Les   entreprises   évoluent   dans   un  contexte  de  concurrence  imparfaite  ;  elles  sont  donc  plus  souvent  des  «  price  makers  »  que  des  «  prices  takers  ».   De   plus,   elles   ne   réagissent   pas   spontanément,   par   une   variation   de   leurs   prix,   à   des  modifications  de  la  demande  ou  de  la  fonction  d’offre.       Dans  un  marché  en  concurrence  pure  et  parfaite,  chaque  entreprise  est  sûre  de  pouvoir  vendre  la  totalité  de  sa  production  au  prix  du  marché.  Si  elle  opte  pour  un  prix  plus  élevé,  elle  ne  vend  rien,  et   il  serait   illogique  de  vendre  à  un  prix  plus  bas  que  celui  du  marché  puisque  à  ce  prix  elle  peut  écouler   la  totalité   de   sa   production.   Dans   ce   cadre,   les   entreprises   sont   des   «  price   takers  »   qui   vendent   leurs  produits  au  prix  du  marché.       Au   contraire   dans   une   situation   de   concurrence   imparfaite,   lorsque   la   demande   diminue,   le  maintien  du  prix  antérieur  n’entraîne  pas  la  chute  complète  des  ventes  et  donc  du  profit.  La  réduction  du  profit  n’est  que  de  second  ordre  ;  s’il  existe  des  coûts  de  changement  de  prix,  appelés  généralement  coûts  d’étiquette  (impression  de  nouveaux  catalogues,  renégociation  des  contrats…),  l’entreprise  peut  préférer  maintenir  les  prix  antérieurs.  Cette  rigidité  des  prix  joue  aussi  bien  à  la  hausse  qu’à  la  baisse.  L’entreprise  en  situation  de  concurrence  imparfaite  ne  sera  donc  amenée  à  modifier  ses  prix  que  lorsque  le  manque  à  gagner  sera  supérieur  au  coût  de  modification  du  prix.  Modéré  au  niveau  microéconomique,  l’impact  de  cette  viscosité  des  prix  peut  être   important  au  niveau  macroéconomique  et   contribuer  à  déséquilibrer  des  marchés.       Certains   nouveaux   économistes   keynésiens   rappellent   que   chaque   entreprise   de   taille  appréciable   est   liée   à   des   centaines   d’autres   entreprises   (clients   et   fournisseurs),   dont   certaines   sont  situées  à  l’étranger,  avec  lesquelles  elles  effectuent  des  transactions  concernant  des  centaines  de  produit  (les   biens   intermédiaires,   par   exemple).   Dans   ce   cadre,   les   coûts   de   transaction   sont   considérables   et  contribuent   à   la   rigidité   des   prix.   D’autre   part,   en   raison   de   leur   interdépendance,   les   entreprises   ont  tendance  à  attendre  les  réactions  de  leurs  partenaires  avant  de  modifier  leurs  prix.  Ainsi,  une  baisse  de  prix  pour  répondre  à  un  choc  de  demande  peut  se  révéler  très  dangereuse  si  les  entreprises  fournisseurs  ne  baissent  pas  elles-­‐mêmes  leurs  prix.  Par  manque  de  coordination,  chaque  entreprise  a  donc  tendance  à   attendre   le   dernier   moment   pour   modifier   son   prix  ;   l’agrégation   de   ces   différents   comportements  microéconomiques  provoquent  des  rigidités  macroéconomiques  importantes.       (…)  Certains  marchés  sont  des  marchés  de  clientèle.   Il  s’agit  de  marchés  sur   lesquels   les  achats  sont   répétitifs  ;   c’est   par   exemple   le   cas   des   achats   de   biens   alimentaires.   Les   offreurs   sont   en  concurrence,   mais   les   consommateurs   sont   habitués   à   leur   fournisseur.   Toute   augmentation   de   prix  incite  les  clients  à  comparer  avec  les  concurrents,  et  toute  diminution  des  prix  n’attire  que  lentement  les  clients   fidèles  à  d’autres   fournisseurs.  On  comprend  donc  que  sur  ces  marchés  de  clientèle,   les  prix  ne  s’ajustent  que  très  lentement.  

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  Pour   touts   ces   raisons,   les   prix   ne   s’ajustent   pas   parfaitement   et   les   marchés   peuvent   être  durablement  en  déséquilibre.  La  monnaie  n’est  pas  neutre.  En  effet,  en  raison  de  leurs  rigidités,  les  prix  n’absorbent  pas  immédiatement  les  variations  de  la  quantité  de  monnaie.  Lorsque  les  prix  sont  rigides,  une  augmentation  de   la  quantité  de  monnaie  permet  d’augmenter   la  demande  et  une  diminution  de   la  quantité  de  monnaie  contribue  à  la  récession.    

Marc  Montoussé,  Nouvelles  théories  économiques,  collection  Thèmes  et  Débats,  Bréal,  2002    

Document  82  :  Risque,  incertitude  et  viscosité/rigidité  des  prix     Le   risque  et   l’information   imparfaite  peuvent  expliquer   la   lenteur  des  ajustements  de  prix   (…).  Sur  des  marchés  de   concurrence  parfaite,   les   entreprises   considèrent   les  prix   comme  des  données.  En  concurrence   imparfaite,   au   contraire,   elles   exercent   un   certain   contrôle   sur   les   prix   des   biens   qu’elles  produisent.  En  revanche,  elles  ignorent  en  grande  partie  les  conséquences  des  variations  de  prix.  Quand  une  entreprise  baisse  son  prix,  ses  ventes  peuvent  aussi  bien  augmenter  que  diminuer  selon  la  réaction  des  autres  entreprises  et  clients.  Si  les  concurrents  réagissent  en  abaissant  leurs  prix,  l’entreprise  risque  de  ne  pas  obtenir  certaines  parts  de  marché.  La  baisse  des  prix  conduira  alors  à  un  effondrement  de  ses  bénéfices.   Si   les   concurrents   ne   réagissent   pas,   l’entreprise   a   des   chances   d’obtenir   un   avantage  concurrentiel.  Mais  les  clients  ont  aussi  un  comportement  qui  peut  être  imprévisible.  Ils  peuvent  estimer  que  cette  baisse  des  prix  en  préfigure  d’autres  et  décider  de  reporter  leurs  achats  en  attendant  que  les  prix  diminuent  encore  plus.  Ainsi  une  baisse  des  prix  peut  provoquer  une  diminution  des  ventes.       L’incertitude   liée  aux  changements  de  prix  est   souvent  beaucoup  plus   importante  que  celle  qui  concerne   les   variations   de   la   production   et   de   l’emploi.   Quand   une   entreprise   ralentit   son   rythme   de  production,   sous   réserve   qu’elle   ne   le   fasse   pas   de   façon   trop   radicale,   son   seul   risque   est   de   voir   ses  stocks  devenir  anormalement  bas  si  ses  ventes  se  révèlent  supérieures  à  ses  prévisions.  Dans  ce  cas,  il  lui  suffira  d’augmenter  à  nouveau  sa  production.  Aussi   longtemps  que  les  coûts  de  production  varient  peu  dans  le  temps,  le  risque  pris  par  cette  entreprise  est  donc  faible.       Comme  les  entreprises  n’ont  pas  de  goût  particulier  pour  le  risque,  elles  évitent  de  trop  modifier  leurs   prix   (…).   Elles   acceptent   plus   volontiers   des   changements   relativement   importants   dans   les  quantités  –  en  matière  de  production  et  d’emploi.  Il  en  résulte  une  certaine  rigidité  dans  les  prix.    

Joseph  Stiglitz,  Principes  d’économie  moderne,  Coll  Ouvertures  économiques,  De  Boeck,  2007  (3ème  édition)  p.611    

 Document  83  :  le  chômage  involontaire  

  Les   nouveaux   économistes   keynésiens   considèrent   comme   les   économistes   classiques,   que   le  niveau   de   l’emploi   est   déterminé   sur   le   marché   du   travail,   mais   en   revanche   ils   affirment   que   cela  n’exclut  pas  le  chômage  involontaire  car  des  rigidités  salariales  nuisent  à  l’ajustement  du  marché  (…).     Les  salaires  ne  sont  pas  négociés  au  jour  le  jour  en  fonction  du  marché,  mais  ils  le  sont  pour  une  période   déterminée.   Ainsi   des   contrats   de   travail   signés   pour   un   certain   laps   de   temps   créent   des  rigidités   importantes.   Ce   point   met   en   cause   la   théorie   de   Lucas   qui   considère   que   tous   les   prix,   y  compris   celui   du   travail,   peuvent   être   instantanément   modifiés.   Même   si   les   anticipations   sont  rationnelles   et   que   les   individus,   en   cas   de   hausse   des   prix,   souhaitent   des   augmentations   de   salaires  nominaux,   ils   n’ont   souvent   pas   la   possibilité   de   les   exiger.   De  même,   un   excédent   de   la   demande   de  travail   par   rapport   à   l’offre   de   travail   n’induit   pas   automatiquement   une   hausse   du   salaire   réel.  L’existence  de  contrat  de  travail  nuit  donc  à  l’ajustement  de  marché.        (…)  Le  marché  du  travail  peut  être  en  déséquilibre  et  donc  (…)  le  chômage  peut  être  involontaire.  La   nouvelle   macroéconomie   keynésienne   s’accorde   avec   la   nouvelle   macroéconomie   classique   pour  affirmer   que   le   niveau   de   l’emploi   est   déterminé   par   le   marché   du   travail   et   avec   la   macroéconomie  keynésienne  traditionnelle  pour  reconnaître  la  possibilité  du  chômage  involontaire.    

Marc  Montoussé,  Nouvelles  théories  économiques,  collection  Thèmes  et  débats,  Bréal,  2002  p.59-­‐60      

Document  84:  le  chômage  involontaire     Les  modèles   de   salaire   d’efficience   s’intéressent   à   la   production   de   rigidités   réelles   du   salaire  dans  le  cadre  de  la  politique  rationnelle  de  gestion  des  ressources  humaines  des  firmes  oeuvrant  dans  un  contexte  d’information  imparfaite.  Ils  expliquent  qu’il  peut  être  dans  l’intérêt  des  firmes  de  maintenir  des  salaires  réels  élevés,  et  de  ne  pas  les  baisser  en  période  de  chômage,  en  raison  de  ce  que  la  productivité  des   salariés  n’est  pas   indépendante  de   leur   rémunération  :  des   salaires  élevés   rendraient  efficients   les  salariés,  et  il  serait  donc  rationnel  pour  les  firmes  de  les  maintenir.  (…)  

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  Pour   quelles   raisons   l’effort   serait-­‐il   relié   positivement   au   salaire   réel  ?   Quatre   explications  principales  ont  été  proposées.  Selon  Salop  (1979),  une  élévation  du  salaire  réel  réduit  le  turnover  de  la  main   d’oeuvre   et   augmente   par   conséquent   la   performance   collective   de   la   firme   (…).   Pour   Akerlof  (1982),   la  meilleure  performance  des  salariés  bien  rémunérés  serait   liée  à  une  logique  du  «  don  contre  don  »  :  une  bonne  rémunération  serait  interprétée  par  le  salarié  comme  le  fait  que  son  employeur  a  pour  lui  de  la  considération,  et  serait  interprété  comme  un  acte  de  justice  ;  en  contrepartie,  le  salarié  «  jouerait  le  jeu  »  en  fournissant  un  effort  maximal  pour  exprimer  à  son  tour  sa  gratitude.  Une  baisse  des  salaires  pourrait   au   contraire   avoir   des   effets   inverses  :   il   est   donc   rationnel   pour   la   firme   de   maintenir   des  salaires   réels   élevés,   même   en   présence   de   chômage   qui   pourrait   lui   permettre   de   les   réduire.   Pour  Weiss   (1980),   dans   le   cadre   d’un  modèle   de   sélection   adverse,   une   baisse   des   salaires,   toutes   choses  égales  par  ailleurs,  conduit  progressivement  la  firme  à  ne  plus  attirer  que  les  salariés  les  moins  efficients  et  à  voir  les  «  meilleurs  »  rechercher  ailleurs  des  rémunérations  plus  en  accord  avec  leurs  performances.  L’hypothèse  implicite  est  ici  que  le  niveau  de  productivité  des  salariés  n’est  pas  directement  observable  par  la  firme,  et  n’est  connu  que  par  le  salarié  lui-­‐même  (asymétrie  d’informations).  Cette  hypothèse  est  également  au  cœur  des  modèles  dits  du  «  tire  au  flanc  »  (Shapiro  et  Stiglitz  –  1984)  qui  formalisent,  dans  ce   contexte   d’asymétries   d’informations,   une   relation   du   type   principal   (la   firme)   –   agent   (le   salarié).  L’idée   est   que   le   salarié   est   porté   à   réduire   autant   que   possible   son   effort   au   travail,   de   manière   à  maximiser  son  utilité  instantanée  (il  est  porté  à  «  tirer  au  flanc  »).  Il  ne  sert  à  rien  pour  la  firme  d’engager  des   actions   systématiques   de   surveillance,   puisqu’elles   sont   coûteuses   et   qu’en   tout   état   de   cause   la  probabilité  de  prendre   le  «  tire  au   flanc  »  sur   le   fait  est   (faible).   Il  est  donc  préférable  pour   la   firme  de  rechercher   et   de   payer   le   salaire   d’efficience,   c’est-­‐à-­‐dire   le   salaire   qui   incitera   le   travailleur   à   ne   pas  tricher.       Celui-­‐ci,  en  effet,  soucieux  de  son  utilité  instantanée,  n’en  est  pas  moins  engagé  dans  la  résolution  d’un  programme  d’optimisation  intertemporelle.  Il  va  alors  comparer  l’intérêt  de  deux  stratégies  :  i)  soit  ne  pas  tricher  et  fournir  l’effort  requis  (ce  qui  est  coûteux),  et  avoir  alors  la  garantie  de  rester  embauché  dans   le   futur  ;   ii)   soit   tricher  (et  ne  pas  acquitter  aujourd’hui   le  coût  de   l’effort  au   travail),  mais  courir  alors  le  risque  de  se  faire  prendre  et  d’être  licencié.       Le  problème  de  la  firme  est  donc  de  déterminer  le  salaire  qui  incitera  le  travailleur-­‐type  à  fournir  l’effort   attendu.   Pour   cela,   elle   le   rémunèrera   au   dessus   du   salaire   de   marché.   Le   «  tire   au   flanc  »  bénéficiera  d’une  rente  qui  l’incitera  à  travailler,  mais  qui  aura  comme  contrepartie  un  salaire  réel  trop  élevé,  et  donc  l’apparition  de  chômage  involontaire.    

Christophe  Lavialle,  Macroéconomie  approfondie,  coll.  Amphi  Economie,  Bréal,  2003  p.211-­‐213    

 

Document  85  :  le  rationnement  du  crédit     Le   prix   est   un   signal   de   la   qualité.   Lorsqu’il   ne   peut   plus   jouer   ce   signal,   l’information   devient  biaisée.  On  utilise  le  terme  de  sélection  adverse  ou  d’anti-­‐sélection  pour  montrer  que  l’agent  victime  de  manques  d’information  risque  de  sélectionner  uniquement  les  mauvais  produits.  (…)     Stiglitz  et  Weiss  décrivent  en  1981  les  effets  de  l’asymétrie  d’information  sur  le  marché  du  crédit.  Le   banquier,   prêteur   sur   le  marché   du   crédit,   ne   connaît   qu’imparfaitement   les   risques   afférents   aux  prêts  qu’il  accorde.  En  revanche,  les  emprunteurs  connaissent  parfaitement  la  probabilité  de  réussite  de  leur  projet.  Il  y  a  donc  une  asymétrie  d’information  qui  va  provoquer  une  anti-­‐sélection.       Les   banques   fixent   un   taux   d’intérêt   assez   élevé   pour   leur   permettre   de   se   couvrir   de   la  probabilité   de   tomber   sur   de   «  mauvais   emprunteurs  »,  mais   ces   taux   risquent   de   faire   fuir   les   «  bons  emprunteurs  »  qui  mériteraient  des  taux  d’intérêt  plus  faibles.  Comme  les  emprunteurs  risqués  ont  une  demande   de   crédit   moins   élastique   au   taux   d’intérêt,   la   banque   sélectionne   involontairement   les  emprunteurs  risqués  et  se  voit  dans  l’obligation  d’augmenter  encore  ses  taux.  Il  existe  un  seuil  au-­‐dessus  duquel  l’augmentation  du  risque  est  plus  forte  que  l’augmentation  du  taux.  Les  intermédiaires  renoncent  à   augmenter   leur   taux   d’intérêt   au-­‐delà.   Non   seulement,   les   emprunteurs   à   faible   risque   n’ont   pas   pu  trouver  le  moyen  de  financer  leurs  projets,  mais  tous  les  emprunteurs  à  haut  risque  n’ont  pas  réussi  à  se  faire  financer  car  le  crédit  a  été  rationné  :   le  marché  s’est  clos  sans  être  soldé  (égalité  entre  l’offre  et  la  demande).    

Marc  Montoussé,  Nouvelles  théories  économiques,  collection  Thèmes  et  débats,  Bréal,  2002  p.35-­‐36    

       

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Document  86  :  La  politique  économique  préconisée  par  les  néokeynésiens     De   façon   générale,   dans   les   modèles   de   la   nouvelle   économie   keynésienne   reposant   sur  l’hypothèse  d’ajustement  lent  des  prix  et/ou  des  salaires,  l’hypothèse  de  neutralité  de  la  monnaie  tombe  et  la  politique  monétaire  retrouve  alors  son  efficacité.       Même   si   les   économistes   de   la   nouvelle   économie   keynésienne  prônent   l’intervention   de   l’Etat  pour  pallier  les  défaillances  du  marché,  notamment  dans  les  périodes  de  récession,  ils  ne  préconisent  pas  un   type   de   politique   particulier,   valable   quelles   que   soient   les   circonstances.   Ainsi   que   le   résume   très  clairement   Stiglitz   (1993),   «  des   circonstances   économiques   changeantes   requièrent   une   politique  économique  souple,  et   il   est   impossible  de  dire  d’avance  quelles  seront   les  politiques  appropriées.   (…)  Les  nouveaux  économistes  keynésiens  pensent  également  qu’il  est  impossible  de  concevoir  des  normes  fixes  dans  une  économie  en  évolution  rapide.  »  En  résumé,  selon  la  nouvelle  économie  keynésienne,  du  fait   des   inerties   empêchant   un   fonctionnement   optimal   des   marchés,   les   interventions   de   politique  économique,  même  si  elles  ne  peuvent  pas  être  clairement  définies,  sont  nécessaires.    

Valérie  Mignon,  La  macroéconomie  après  Keynes,  coll.  Repères,  La  Découverte,  2010  p.100-­‐101    

 6.8 Les post-keynésiens : renouer avec l’esprit du chapitre 12 de La Théorie Générale

 Document  87  

Les  post-­‐keynésiens  reprennent  les  éléments  de  John  Maynard  Keynes  qui  ont  disparu  dans  l’école  de  la  synthèse  et  qui  en  faisaient  une  critique  radicale  des  néoclassiques.    Tout  d’abord,  l’univers  dans  lequel  les  agents  prennent  leurs  décisions  est  marqué  par  l’incertitude.  Cela  nécessite  de   reprendre   la  question  de   la  préférence  pour   la   liquidité   et  donc  de   souligner   le   caractère  monétaire  de  toute  économie  capitaliste.  Pour  Hyman  Minsky,  Can  it  happen  again  ?  (1982),  l’incertitude  agit  sur  la  confiance  que  les  agents  ont  dans  l’avenir  et  elle  permet  de  comprendre  que  le  financement  de  l’économie   est   intrinsèquement   instable.   En   phase   de   croissance,   l’incertitude   recule   (période  d’euphorie),  les  agents  pratiquent  un  financement  à  la  Ponzi  :   les  engagements  (principal  +  intérêts)  ne  sont  pas  remboursés  par  les  profits,  mais  par  de  nouveaux  emprunts  car  les  prêteurs  considèrent  que  le  risque  de  remboursement  ultérieur  est  faible  et  les  emprunteurs  anticipent  un  effet  de  levier  futur.  Dès  que   les   perspectives   de   croissance   sont   remises   en   cause,   le   retournement   s’opère,   les   agents  manifestent  une  préférence  pour  la  liquidité  accrue  qui  bloque  l’investissement  malgré  la  baisse  des  taux  d’intérêt   (l’économie   tombe   dans   la   trappe   à   la   liquidité),   le   recul   de   l’activité   réduit   les   revenus   des  agents  alors  que  leurs  dettes  ne  baissent  pas.  Leur  ratio  d’endettement  augmente  et  ils  cherchent  alors  à  se  désendetter,  ce  qui  accentue  la  chute  des  prix  et  les  faillites.    

6.9 Une macroéconomie comparative et historique 6.9.1 Institutions, incitations et croissance

 Document  88  :  La  définition  des  institutions  par  Douglass  North  (Prix  Nobel  1993)  

Les  institutions  sont  les  contraintes  humaines  qui  structurent  les  interactions  politiques,  économiques  et  sociales.  Elles  consistent  à  la  fois  en  des  contraintes  informelles  (sanctions,  tabous,  coutumes,  traditions  et  codes  de  conduite),  et  de  règles  formelles  (constitutions,  lois,  droits  de  propriété).  A  travers  l’Histoire,  les   institutions  ont  été  conçues  par   les  être  humains  pour  réduire   l’incertitude  dans  les  échanges.  Avec  les  contraintes  habituelles  de  l’économie,  elles  définissent  l’ensemble  des  choix  possibles,  et,  ainsi,  elles  déterminent   les   coûts   de   transaction   et   de   production,   donc   la   profitabilité   et   la   faisabilité   de   l’entrée  dans  l’activité  économique.  Elles  évoluent  par  incrémentation,  reliant  le  passé  avec  le  présent  et  le  futur.  En   conséquence,   l’Histoire   est   largement   une   histoire   de   l’évolution   institutionnelle   dans   laquelle   les  performances  économiques  des  économies  ne  peuvent  être  comprises  que  comme  partie  d’une  histoire  séquentielle.  Les  institutions  fournissent  la  structure  des  incitations  d’une  économie.  Au  fur  et  à  mesure  que  cette  structure  évolue,  elle  détermine  l’orientation  du  changement  économique  :  vers  la  croissance,  la  stagnation  ou  le  déclin.  

Douglas  North,  «  Institutions  »  in  Journal  of  Economic  Perspectives,  volume  5,  1991    

Document  89  :  quelles  sont  les  «    bonnes  »  institutions  ?    Certaines  sociétés  sont  dotées  de  bonnes  institutions  qui  encouragent  l’investissement  dans  l’équipement,  le  capital  humain  et  les  technologies  performantes  et,  en  conséquence,  ces  sociétés  prospèrent  d’un  point  de  vue  économique.    

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De  bonnes  institutions  présentent  trois  caractéristiques  :    - en  garantissant  le  respect  des  droits  de  propriété  à  une  grande  partie  de  la  population,  elles  

incitent  une  large  palette  d’individus  à  investir  et  participer  à  la  vie  économique;    - en  limitant  l’action  des  élites,  des  politiciens  et  autres  groupes  puissants,  elles  les  empêchent  

de  s’approprier  les  revenus  ou  investissements  d’autrui  ou  de  fausser  les  règles  du  jeu  ;    - et  en  promouvant   l’égalité  des  chances  pour  de  vastes  pans  de   la  société,  elles  encouragent  

l’investissement,   notamment   dans   le   capital   humain,   et   la   participation   à   la   production  économique.    

Le  passé  et  le  présent  montrent  que,  dans  de  nombreux  pays,  ces  conditions  ne  sont  pas  réunies  :  l’Etat  de   droit   ne   règne   que   de   manière   sélective;   les   droits   de   propriété   sont   inexistants   pour   la   grande  majorité   des   citoyens;   les   élites   jouissent   d’un   pouvoir   politique   et   économique   illimité,   et   seule   une  petite  fraction  de  la  population  accède  à  l’éducation,  au  crédit  et  aux  activités  productives.    

Daron  Acemoglu,  «  Causes  profondes  de  la  pauvreté  »  in  FMI,  Finances  et  développement,  Juin  2003    Document  90  :  Institutions  inclusives  versus  institutions  extractives  (Daron  Acemoglu  et  James  

Robinson)  Dans  les  pays  dotés  d’institutions  inclusives,  l’Etat  de  droit  est  assuré  et  l’exercice  du  pouvoir  est  encadré  par   la   loi.   Un   Etat   fort   assure   l’ordre   et   garantit   la   sécurité   juridique   et   les   médias   sont   libres   de  s’exprimer.  Les  droits  de  la  propriété  sont  garantis  et  les  membres  de  toutes  les  classes  sociales  peuvent  exploiter   les   opportunités   économiques.   Ainsi,   les   institutions   économiques   inclusives   permettent   aux  individus   de   choisir   les   activités   qui   correspondent   le   mieux   à   leurs   talents   et   à   leurs   goûts.   Les  institutions   inclusives   sont   indispensables   pour   permettre   la   croissance   économique   et   le  développement,  mais,  inversement,  le  développement  ne  conduit  pas  nécessairement  à  la  mise  en  place  d’institutions  inclusives.    Les  institutions  extractives  sont  des  institutions  qui  permettent  à  une  minorité  de  capter  à  son  profit  une  partie  des  revenus  et  de  la  richesse  produit  par  une  autre  partie  de  la  société.  Dans  ce  type  de  société,  la  faiblesse   des   incitations   économiques   et   la   résistance   des   élites   au   changement   freine   le   progrès  économique.   La   croissance   économique   peut   néanmoins   exister   dans   le   cas   où   les   élites   allouent   des  ressources  directement  à  des  activités  productives  qu’elles  contrôlent,  comme  en  témoigne  l’exemple  de  l’Union   soviétique.   Mais   la   croissance   économique   ne   peut   être   durable   en   raison   de   l’inexistence   de  progrès  technologiques  et  des  rivalités  existant  entre   les  différents  groupes  qui  cherchent  à  prendre   le  contrôle   de   l’Etat   et   à   capter   la   rente.   Les   tensions   et   l’instabilité   politique   caractérisent   l’histoire   des  pays   dotés   de   ce   type   d’institutions.   Les   auteurs   reconnaissent   que   dans   un   pays   des   institutions  politiques   extractives   peuvent   coexister   avec   des   institutions   économiques   complètement   ou  partiellement   inclusives,   comme   c’est   le   cas   en   Chine   aujourd’hui.   Mais   ce   type   de   système   se   révèle  instable  et  incapable  de  connaître  une  croissance  économique  à  long  terme.    Dans   le   cadre   de   cette   analyse,   le   principal   obstacle   à   l’adoption   de   politiques   visant   à   améliorer   le  fonctionnement   de   l’économie   et   à   encourager   la   croissance   économique   réside   dans   le   système  d’incitations  et  de  contraintes  dans   lequel  évoluent   les  hommes  politiques.  Ainsi,   l’échec  des  politiques  de  développement  économique  menées  dans  les  PED  s’explique  par  l’absence  de  réflexion  sur  les  causes  de  l’existence  d’institution  très  anciennes  et  défavorables  à  la  croissance  économique.    Les   auteurs   estiment   que   la   mise   en   place   d’institutions   politiques   et   économiques   inclusives   est   la  condition   préalable   indispensable   à   la   réussite   des   politiques   économiques   de   développement   et  d’assainissement  économiques.  Si  ces  institutions  inclusives  n’existent  pas,  les  politiques  recommandées  par   le   FMI   et   la   Banque  mondiale   notamment,   de   libéralisation   de   l’économie,   de   privatisation   ou   de  rigueur  budgétaires  sont  vouées  à  l’échec.    Charles  du  Granrut,  «  Institutions  et  progrès  des  nations  »  in  Problèmes  économiques  n°3116,  septembre  

2015  p.30-­‐31      

6.9.2 Variété des capitalismes  

Document    91  L’école   de   la   régulation   (Robert   Boyer,   Michel   Aglietta)   propose   d’étudier   les   différents   régimes   du  capitalisme  à  travers  des  formes  institutionnelles  et  des  modes  de  régulation  autour  de  la  problématique  du  partage  des  revenus  (influence  des  post-­‐keynésiens)  et  de  la  relation  capital-­‐travail  (influence  Marx).  

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Les   institutions   sont   également   perçues   comme   le   résultat   de   conflits   politiques   institutionnalisés.  L’accumulation  s’inscrit  dans  un  «  régime  d’accumulation  »  qui  dépend  de  deux  rapports  fondamentaux  :  

- le  rapport  marchand  entre  producteurs  ;  - le  rapport  salarial  entre  capitalistes  et  salariés.  

De  ces  rapports  découlent  des  formes  institutionnelles  (historiquement  construites  et  interdépendantes  –  qui  sont  des  compromis  institutionnalisés)  représentant  cinq  domaines  (les  formes  de  la  concurrence,  de  la  monnaie,  de  l’Etat,  du  rapport  salarial  et  de  l’insertion  dans  l’économie  mondiale),  qui  produisent  des   «  modes   de   régulation  ».   Dans   une   perspective   historique   de   long   terme   on   distingue   ainsi   deux  grandes  modes  de  régulation,  le  mode  de  régulation  concurrentiel  (1850-­‐1913)  et  le  mode  de  régulation  monopoliste  (période  des  trente  glorieuses).    Par   exemple,   le   régime   d’accumulation   fordiste   repose   sur   les   formes   institutionnelles   suivantes  :  économie  fermée,  régime  monétaire  fondé  sur  le  crédit,  organisation  du  travail  tayloro-­‐fordiste,  partage  des   gains   de   productivité,   extension   de   la   consommation   de   masse,   développement   de   l’Etat   social,  marchés  en  concurrence  oligopolistique.      

Document  92  :  Les  différents  types  de  crise  dans  la  théorie  de  la  régulation  Dans  Économie  politique  des  capitalismes    (2015),  Robert  Boyer  pose  la  question  suivante  :    «  Pourquoi  les  crises  du  capitalisme  se  succèdent-­‐elles  et  ne  sont  pourtant  pas  la  répétition  des  mêmes  enchaînements  ?  »    Sa  réponse  est  que  «  toute  société  a  les  crises  qui  correspondent  à  sa  structure  […].  Les  crises  se  suivent  mais  ne  se  ressemblent  pas.  »  Le  capitalisme  évolue  donc  au  cours  du  temps  mais  il  peut  également  être  différent  dans  l’espace.  Le  capitalisme  en  Chine  aujourd’hui  n’est  pas  le  même  qu’aux  États-­‐Unis.  On  distingue   la  notion  de  mode  de   régulation   et   celle  de   régime  de   régulation.   Le  mode  de   régulation  peut   se   définir   comme   le   cadre   institutionnel   dans   lequel   les   agents   coordonnent   leurs   décisions.   La  notion  de  régime  de  régulation  est  plus  dynamique,  elle  renvoie  à   la  capacité  du  mode  de  régulation  à  fonctionner  sur  le  long  terme  et  à  produire  de  l’accumulation  et  de  la  croissance  économique.  On  observe  alors  différents  types  de  crises  :    

• celles qui ne touchent ni le mode de régulation, ni le régime d’accumulation. Par exemple, une crise peut tout d’abord provenir d’un choc exogène (un conflit international, un événement climatique) qui affecte temporairement le fonctionnement de l’économie ce que Robert Boyer nomme des crises « de premier type ». La crise peut être aussi la conséquence d’une activité économique cyclique mais ce cycle peut être une caractéristique du mode de régulation ; dans ce cas, le retournement du cycle produit bien une crise, mais pour autant, cette crise ne remet pas en cause la viabilité du mode de production. Il s’agit d’« une crise dans la régulation, c’est-à-dire surmontable sans altération des formes institutionnelles ni intervention politique exceptionnelle ». C’est par exemple le cas des cycles des affaires du 19ème siècle ou des cycles de stop-and-go durant les années 1950-1960 ;

• celles qui touchent le mode de régulation. C’est le cas lorsque le mode de régulation est « incapable d’engendrer un retournement de la récession vers la reprise ». Le fonctionnement « normal » du mode de régulation ne lui permet pas de trouver une réponse aux problèmes posés par ces crises. Par exemple durant les années 1920, le fonctionnement du mode de régulation concurrentiel s’appuie sur une formation des salaires qui ne permet pas de faire émerger une consommation de masse, tandis que les conditions de l’accumulation du capital orientent la production vers la production de masse. Il en ressort un hiatus entre la production (trop importante) et la consommation (trop faible), que le mode de production concurrentiel ne peut résoudre. À partir du milieu des années 1990, l’économie japonaise n’arrive plus à sortir d’une longue période de stagnation, et parfois même de recul de l’activité. Les modalités de fixation des salaires poussent les entreprises à les compresser pour restaurer leurs marges dans un contexte de déflation, mais cette compression des salaires se traduit par la faiblesse du pouvoir d’achat des salariés qui alimente la spirale déflationniste ;

• celles qui touchent le régime d’accumulation. Lorsque le mode de régulation est attaqué par des crises qui prennent naissance dans ses propres contradictions, le régime d’accumulation n’est plus en mesure d’assurer la croissance sur le long terme et entre en crise : incapable de créer une consommation de masse, le régime de régulation concurrentiel disparaît avec la crise des années 1920-1930. Incapable de gérer la question de l’inflation, le régime fordiste disparaît avec la stagflation des années 1970 ;

• celles qui ont une portée encore plus générale et remettent en cause le mode de production. Une crise peut en effet être celle du mode de production. Par exemple, l’effondrement des économies soviétiques vient des échecs des réformes menées par le président Gorbatchev qui ont conduit à la remise en cause

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de deux fondements du régime soviétique : tout d’abord, la propriété collective des moyens de production et la gestion de l’économie par le Gosplan, ensuite l’exclusivité de la représentation politique par le parti communiste.

Manuel  ESH  ECE1,  Studyrama,  2017    

Document  93  :  Michel  Albert,  Capitalisme  contre  capitalisme  (1991)     L’idée   des   variétés   nationales   du   capitalisme   fut   lancée   par  Michel   Albert   dans   son   best-­‐seller  Capitalisme  contre  capitalisme  (Seuil,  1991).  Selon  Michel  Albert,  il  existe  deux  variantes  fondamentales  :  le   modèle   germano-­‐japonais   et   le   modèle   anglo-­‐américain.   A   l’époque,   les   entreprises   allemandes   et  japonaises   semblaient   mieux   réussir   que   celles   des   Etats-­‐Unis,   et   le   livre   proposait   plusieurs  explications  :   la   vision   à   long   terme   des   chefs   d’entreprise   et   des   investisseurs   allemands   et   japonais,  contrairement   aux   investissements   britanniques   et   américains   qui   se   concentrent   sur   les   résultats  trimestriels  et   les  bénéfices  à  court  terme  ;   l’existence  dans  ces  pays  d’une  main  d’oeuvre  volontaire  et  très  qualifiée  et  d’une  coopération  entre   travailleurs  et  détenteurs  du  capital  ;   leur  capacité  à  produire  des  biens  diversifiés  et  de  grande  qualité,  à  l’inverse  de  la  standardisation  et  de  la  production  de  masse  américaines.  Le  ciment  qui  fait  tenir  un  système  économique  de  type  germano-­‐japonais,  c’est  la  solidarité  sociale  qui  permet  des  relations  de  confiance  et  à  long  terme.  Les  licenciements  sont  rares,  du  fait  de  la  force  des  syndicats  allemands  et  de  l’embauche  à  vie  dans  les  grandes  entreprises  japonaises.  Dans  ces  pays,   les   employés   passent   toute   leur   carrière   dans   la  même   entreprise,   ce   qui   crée   un   vif   sentiment  d’appartenance  et  de  loyauté  envers  la  firme.       Aux   Etats-­‐Unis   et   en   Grande-­‐Bretagne,   Michel   Albert   perçoit   au   contraire   les   marchés   et   les  relations  contractuelles  comme  les  institutions  centrales  de  l’économie.  Dans  ce  modèle  anglo-­‐américain,  les  investisseurs  et  les  chefs  d’entreprise  ont  une  vision  à  court  terme  ;  le  marché  du  travail  est  flexible,  on  change  souvent  d’emploi  ;   le  système  éducatif  est  mal  relié  au  monde  de  l’entreprise  ;   le  système  de  production,  assez  rigide,  fonctionne  mieux  pour  les  séries  longues  que  pour  une  production  de  niche  ;  le  marché  des  actions  ordinaires  et   le  capital-­‐risque  orientent   les  ressources  vers   les  activités  nouvelles  ;  les  inégalités  sociales  sont  fortes.  Ce  sont  des  pays  qui  excellent  dans  l’innovation  et  qui  excellent  dans  l’innovation  et  où  les  ruptures  sont  bien  acceptées  par  le  public.       Entre   les   pays,   il   existe   bien   sûr   d’innombrables   différences   liées   à   la   culture,   aux   traditions  historiques,  au  système  juridique  et  aux  choix  politiques.  Nombre  de  ces  différences  on  sans  doute  une  influence   sur   les   activités   économiques.   Mais   comme   celle   de   Michel   Albert,   la   plupart   des   théories  fondées   sur   les   variétés   nationales   du   capitalisme   débouchent   sur   un   nombre   réduit   de   catégories  fondamentales.   Il   existe   une   quantité   limitée   de   problèmes   de   coordination   liés   à   la   gestion   d’une  économie  capitaliste  et  une  quantité  plus   limitée  encore  de  solutions   institutionnelles  efficaces.  Toutes  les   économies   avancées   ont   besoin   de   répartir   les   ressources   entre   ouvriers,   patrons   et   investisseurs,  d’organiser   la   production,   la   R&D,   de   former   la  main   d’oeuvre,   d’encourager   l’innovation,   de   financer  l’investissement.    

Suzanne  Berger,  Made  in  Monde  Les  nouvelles  frontières  de  l’économie  mondiale,  édition  Points,  2013  (2005)  p.58-­‐60  

 Document  94  :    Peter  Hall  et  David  Soskice,  Varieties  of  capitalism  (2001)  

  Dans  la  même  veine  que  Michel  Albert,  les  professeurs  d’économie  politique  Peter  Hall  (Harvard)  et   David   Soskice   (Duke)   décrivent   deux   approches   fondamentales  :   les   économies   de   marché   libéral,  comme   la  Grande-­‐Bretagne   et   les   Etats-­‐Unis,   où   l’attribution   et   la   coordination  des   ressources   se   font  surtout  par   les  marchés,  et   les  économies  de  marché  coordonné,  où   la  négociation,   les  relations  à   long  terme  et  d’autres  mécanismes  non  liés  au  marché  permettent  de  résoudre  les  principaux  problèmes.  Hall  et  Soskice  montrent  que,  dans  ces  économies,  les  entreprises  sont  dotées  de  forces  et  de  faiblesses  très  différentes.   Les   firmes   allemandes   comme   Siemens   ou   BMW   sont   nées   dans   un   environnement  déterminé  :   des   institutions   qui   donnent   à   la   main   d’oeuvre   un   rôle   important   dans   la   gestion   des  entreprises  ;  de  bonnes  relations  entre  travailleurs  et  détenteurs  du  capital  qui  sont  considérées  comme  essentielles  pour  les  stratégies  et  les  opérations  de  la  firme  ;  des  institutions  financières  qui  fournissent  des  fonds  par  l’intermédiaire  des  banques  plutôt  que  par  l’intermédiaire  de  la  Bourse  et  sont  donc  moins  soucieuses  de  retours  rapides  sur  investissement  ;  une  formation  professionnelle  solide  qui  unit  écoles  et  entreprises  pour  créer  une  main  d’oeuvre  très  qualifiée.       Les  entreprises  américaines  voient   le   jour  dans  un  monde  où   le   capital   vient  du  capital-­‐risque,  puis   de   la   Bourse  ;   où   les   ouvriers   sont   formés   par   l’école   et   non   par   l’entreprise  ;   où   les   nouvelles  

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compétences   viennent   du   recrutement   de   nouveaux   employés   et   non   de   la   reconversion   des   anciens  employés  ;   où   les   relations   entre   le   personnel   et   la   direction   sont   souvent   tendues.   Parce   que   des  institutions   différentes   induisent   des   comportements   différents,   une   firme   allemande   et   une   firme  américaine  ont  de  grandes  chances  de  s’organiser  différemment,  même  lorsqu’elles  opèrent  au  sein  du  même  secteur,  avec  les  mêmes  technologies  pour  fabriquer  les  mêmes  produits.       Hall   et   Soskice   prévoient   que   les   entreprises   ne   réagiront   pas   de   la   même   façon   à   la  mondialisation   selon   qu’elles   appartiennent   à   une   économie   de   marché   libéral   ou   une   économie   de  marché   coordonné.   Les   institutions  de   chaque  pays   suscitent   des   comportements   différents   au  niveau  microéconomique  de   la   firme,  parce  que   les   ressources  et   le  degré  de   compétitivité  diffèrent.   Selon  ce  modèle,   quand   les   entreprises   de   plusieurs   pays   entrent   en   concurrence   au   sein   d’une   économie  internationale  ouverte,  elles  tentent  d’exploiter  leurs  forces  spécifiques.  Si  elles  ont  besoin  d’acquérir  des  compétences  qu’elles  ne  peuvent  créer  à   l’intérieur  de   leur  propre  système,  elles  peuvent   les  acheter  à  l’étranger,   par   la   sous-­‐traitance   ou   l’investissement   direct.   Par   exemple,   si   les   entreprises  pharmaceutiques  allemandes  excellent  en  matière  d’innovations  dans  les  processus  de  fabrication,  mais  pas   dans   la   recherche   fondamentale,   ou   si   la   législation   allemande   limite   la   recherche   biotech   sur   les  modifications   génétiques,   les   Allemands   installeront   leurs   laboratoires   aux   Etats-­‐Unis   et   auront   ainsi  accès   aux   ressources   qu’ils   peuvent   créer   dans   leur   pays.   Selon   le   modèle   des   variétés   nationales,   la  mondialisation   provoque   une   concurrence   dont   les   différences   nationales   sortent   préservées,   voire  renforcées.  Loin  de  forcer  l’entreprise  allemande  à  évoluer  selon  la  même  trajectoire  que  son  homologue  américaine,  comme  le  voudraient  les  tenants  de  la  convergence,  le  modèle  des  variétés  nationales  prévoit  que   la  mondialisation   incitera   les   entreprises   allemandes   à   se   spécialiser   dans   les   technologies   et   les  activités   de   production   où   elles   se   distinguent.   La   mondialisation   devrait   donc   maintenir   et   même  accroître  la  divergence,  chaque  société  voulant  tirer  profit  de  ses  forces  propres.       Originaires  de  nations  dotées  d’un  capitalisme  de  marché  coordonné,  les  entreprises  allemandes  et   japonaises   tirent   la   plupart   de   leurs   ressources   de   leurs   relations   avec   la   main   d’oeuvre,   le  gouvernement   et   les   banques   de   leur   pays.   La   formation,   la   R&D,   la   négociation   sociale   avec   les  travailleurs  et   le   financement  par   les  banques  sont  autant  de  fruits  de   leur   implantation  géographique.  Puisque   ces   ressources   nationales   ne   se   trouvent   pas   à   l’étranger,   ces   entreprises   sont   réticentes   à  délocaliser.   Quand   elles   le   font,   elles   se   substituent   parfois   aux   institutions   manquantes   en   créant   à  l’étranger   une   organisation   tout   à   fait   différente.   Au   Japon,   Toyota   à   l’habitude   de   n’accorder   de  promotions  qu’aux  cadres  qui  ont  gravi   toute   la  hiérarchie,  mais  aux  Etats-­‐Unis,   l’entreprise  a  appris  à  recruter   des   responsables   recrutés   sur   le   marché   du   travail.   Par   contraste,   les   firmes   américaines   et  britanniques  sont  depuis  toujours  habituées  à  acheter  leurs  ressources  sur  le  marché  :  elles  engagent  du  personnel  doté  de  nouvelles  compétences  plutôt  que  de  former  leurs  anciens  employés  ;  elles  cherchent  de  nouveaux  financements  sur  le  marché  plutôt  que  par  l’intermédiaire  de  relations  anciennes  avec  les  banques  ;   elles   ont   recours   au   marché   du   capital-­‐risque   pour   soutenir   l’innovation   dans   les   start-­‐up  plutôt   que   de   développer   en   leur   propre   sein   de   nouveaux   produits   et   de   nouveaux   processus.  Moins  dépendantes   de   leurs   relations   avec   les   institutions   nationales   pour   leurs   actifs   vitaux,   plus   assurées  dans   leur   utilisation   du   marché   pour   se   procurer   les   ressources   nécessaires,   les   entreprises   des  économies  de  marché  libéral  sont  parées  pour  le  monde  de  la  fragmentation  et  de  la  sous-­‐traitance.    

Suzanne  Berger,  Made  in  Monde  Les  nouvelles  frontières  de  l’économie  mondiale,  édition  Points,  2013  (2005)  p.60-­‐63  

 

Document  95  :  Bruno  Amable,  Les  cinq  capitalismes,  2005     On  peut  distinguer  cinq  types  idéaux  de  capitalisme  différant  par  les  institutions  présentes  dans  les  domaines  de  la  concurrence  sur  le  marché  de  produits,  du  marché  du  travail  et  la  relation  d’emploi,  de  la  protection  sociale,  du  système  éducatif  et  du  système  financier  (…).       La  concurrence  joue  un  rôle  central  dans  le  modèle  néolibéral.  Sur  les  marchés  de  produits,  elle  rend  les  firmes  plus  sensibles  aux  chocs  macroéconomiques,  qui  ne  peuvent  être  entièrement  absorbés  par   des   ajustements   de   prix   et   impliquent   donc   des   ajustements   en   quantité.   Ce   type   d’ajustement   va  concerner   notamment   l’emploi.   Le   maintien   de   la   profitabilité   implique   donc   de   pouvoir   licencier  facilement   une   main   d’oeuvre   devenue   excédentaire.   La   flexibilité   de   l’emploi   permet   des   réactions  rapides  aux   conditions   changeantes  du  marché.  Le  développement  des  marchés   financiers,   c’est-­‐à-­‐dire  un  mode  de  financement  plus  «  liquide  »  que  la  finance  intermédiée  (les  banques),  contribue  aussi  à  cette  exigence  des  firmes  de  s’adapter  à  un  environnement  compétitif  changeant.       On   retrouve  des   complémentarités  d’un   autre   ordre  dans   le(s)  modèle(s)   européen(s).  Dans   le  modèle   social   démocrate,   les   exigences   de   flexibilité   sont   satisfaites   à   l’aide   de  mécanismes   qui   ne  

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reposent   pas,   ou   pas   entièrement,   sur   la   régulation  marchande.   Une   forte   pression   de   la   concurrence  extérieure   exige   une   certaine   flexibilité   de   la   main   d’oeuvre,   mais   celle-­‐ci   n’est   pas   obtenue   par   des  licenciements.   La   protection   des   salariés   est   assurée   par   un  mélange   de   protection   légale   de   l’emploi,  modérée  mais  réelle,  et  par  un  haut  niveau  de  protection  sociale.  Cette  protection  des   travailleurs  agit  comme   une   incitation   à   investir   dans   la   formation   et   plus   généralement   dans   tous   les   éléments   qui  valorisent   la   relation   d’emploi.   La   compétitivité   des   firmes   repose   alors   en   partie   sur   cette   relation  stable.   Par   ailleurs,   un   système   de   négociations   salariales   coordonnées   conduit   à   un   faible   écart   de  salaires  et  donc  de  faibles  inégalités  de  revenu,  ce  qui  baisse  le  coût  relatif  du  travail  qualifié  et  favorise  l’innovation  et  la  recherche  de  la  productivité.       Le   modèle   européen   continental   est   par   certains   points   proches   de   ce   modèle,   mais   se  caractérise   par   une   protection   de   l’emploi   plus   forte   et   une   protection   sociale   moins   développée.   Un  système   financier   centralisé   facilite   l’élaboration   des   stratégies   à   long   terme   pour   les   entreprises.   Les  négociations   salariales   sont   coordonnées   et   une   politique   de   salaire   fondée   sur   la   solidarité   est  développée,  mais  à  un  degré  moindre  que  dans  les  pays  nordiques.       Le  modèle  méditerranéen  est,  pour  sa  part,  caractérisé  par  une  protection  sociale  sensiblement  plus   faible  mais  un  plus  haut  niveau  de  réglementation  des  marchés  du  travail  et  des  biens  et  services  produits.       Enfin,   le   modèle   asiatique   repose   sur   une   complémentarité   entre   des   marchés   relativement  réglementés,  une  faible  protection  sociale  et  un  système  financier  orienté  vers  les  relations  de  long  terme  entre   banques   et   entreprises.   Ce   modèle   donne   un   rôle   central   à   la   grande   firme,   à   la   fois   pour   la  formation  de  la  main  d’oeuvre  et  pour  la  progression  dans  leur  carrière  des  individus.    

Bruno  Amable,  «  Les  spécificités  nationales  du  capitalisme  »  in  Cahiers  Français  n°349  Mars  Avril  2009  p.58-­‐59       Capitalisme fondé

sur le marché Capitalisme

social-démocrate Capitalisme

asiatique Capitalisme

européen continental

Capitalisme méditerranéen

Concurrence sur les

marchés des produits

Importance de la concurrence par les prix ; Etat neutre ;

ouverture internationale à la

concurrence

Importance de la concurrence par la

qualité ; engagement fort de l’Etat ; ouverture internationale à la

concurrence

Importance de la concurrence par les prix et la qualité ;

engagement fort de l’Etat ; forte

protection par rapport à la concurrence

internationale ; importances des

grandes entreprises

Concurrence plus sur la qualité que les prix ;

engagement des autorités publiques ; protection faible par

rapport à la concurrence internationale

Concurrence plus sur les prix que la

qualité ; engagement de

l’Etat ; protection modérée par rapport à la concurrence

internationale ; importance des

petites entreprises

Rapport salarial

Protection de l’emploi faible ;

flexibilité externe ; négociation salariale

décentralisée

Protection de l’emploi modérée ;

négociation salariale centralisée

ou coordonnée

Forte protection de l’emploi dans la

grande firme flexibilité externe

limitée ; négociation

salariale décentralisée

Forte protection de l’emploi ; flexibilité

externe limitée, négociation salariale

coordonnée

Haute protection de l’emploi (grandes

firmes) ; une frange flexible d’emploi ;

négociation salariale centralisée

Secteur financier

Forte protection des actionnaires

minoritaires ; faible concentration de la

propriété ; importance des investisseurs

institutionnels ; marchés financiers

très développés

Forte concentration de la propriété ; importance des banques ; faible

développement des marchés financiers

Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte

concentration de la propriété ;

concentration des banques ; très faible développement des marchés financiers

Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte concentration de la propriété ; importance des banques ; faible développement des marchés financiers

Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte

concentration de la propriété ; forte

concentration des banques ; très

faibles développement des marchés financiers

Protection sociale

Protection sociale faible ; participation

faible de l’Etat ; dépenses dirigées

vers le soulagement de la pauvreté ;

retraite par capitalisation

Haut niveau de protection sociale ; forte participation de l’Etat ; grande importance de la protection sociale

pour la société

Faible niveau de protection sociale ; dépenses dirigées

vers le soulagement de la pauvreté

Haut niveau de protection sociale

fondée sur l’emploi ; engagement de l’Etat ; système de retraites par

répartition

Niveau modéré de protection sociale ; dépenses dirigées

vers le soulagement de la pauvreté et vers les

retraites ; fort engagement de

l’Etat

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Education

Dépenses publiques faibles ; système d’enseignement supérieur très compétitif ;

enseignement secondaire

hétérogène ; accent sur les compétences

générales

Haut niveau de dépenses

publiques ; accent sur la qualité de

l’enseignement pré-universitaire ;

importance de la formation

professionnelle ; accent sur les compétences spécifiques

Faible niveau de dépenses

publiques ; accent sur la qualité de l’enseignement

secondaire ; formation interne à la firme ; accent sur

les compétences spécifiques

Haut niveau de dépenses publiques,

enseignement secondaire homogène ;

importance de la formation

professionnelle ; accent sur les compétences

spécifiques

Dépenses publiques faibles ;

faiblesse de l’enseignement universitaire ;

formation professionnelle

faible ; accent sur les compétences

générales

Exemples de pays

Australie, Canada, Royaume-Uni, Etats-

Unis

Danemark, Finlande, Suède Japon, Corée du Sud

Suisse, Pays-Bas, Irlande, Belgique, Norvège, Allemagne, France,

Autriche

Portugal, Italie, Grèce, Espagne

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