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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Classiques et modernes : la réforme de l'enseignement secondaire / Charles-Maurice Couyba,...

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Classiques et modernes : laréforme de l'enseignement

secondaire / Charles-MauriceCouyba,...

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Couÿba, Charles-Maurice (1866-1931). Auteur du texte.Classiques et modernes : la réforme de l'enseignementsecondaire / Charles-Maurice Couyba,.... 1901.

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HARLES-MAURICE GOUYBA*DÉPUTÉ

LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

nPARIS

ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR

26, RUE RACINE, PRES L'ODÉON

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CLAMEES ET MODERNES

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CHARLES-MAURICE COUYBADÉPUTÉ

LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

PARISERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR

26, RUE RACIXE, PRES l/ODÉON

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Aux Éducateurs,

et

Aux Pères de Jamille de France.

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CLASSIQUES ET MODERNES

LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

PLANMtt^YUDES ET PROGRAMMES

INTRODUCTION

La Commission parlementaire de l'enseignement,appelée à discuter la réforme de l'enseignement se-condaire, a entendu surja question capitale des plansd'études et des programmes les maîtres les plus auto-risés de l'Université et les représentants les plusavisés des intérêts intellectuels et économiques denotre pays. Quelle que soit l'opinion que chacun sefasse sur le plan pédagogiquede la réforme, il semble

que personne ne conteste ni sa nécessité ni l'idée gé-nérale qui doit la conduire et la dominer. Cette idéeest avant tout une idée sociale, et, comme l'ont fort

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2 IA R^ORMB

bien dit quelques-uns des déposants (1), toute lagravité du problème de l'enseignement secondairevient de là.

Le premier fait social qui s'impose à l'attentiondu législateur est l'augmentation constante de lapartie de la population qui prétend pour ses fils àl'enseignement secondaire: 200.000 familles envi-

ron en 1900, au lieu de 20.000 en 1850.

Le second fait social c'est la conception môme

que se forme de l'éducation classique l'immensemajorité de ces familles. Elles veulent que cetteéducation soit à la fois libérale et utilitaire, et celadans le moins de temps et avec le moins de frais

possible.Le troisième fait social c'est la poussée démocra-

tique résultant du développement dei'enseignementprimaire et primaire supérieur et tendant « à fairetomber les barrières artificielles qui séparent lesdegrés et les modes des études secondaires, l'ensei-

gnementmoderne de l'enseignement classique, l'en-seignement primaire supérieur de l'enseignementmoderne (2) », de telle sorte que chacun de ces en-seignements soit non plus une impasse, mais uneavenue coupéo de routes nombreuses qui la relientà l'avenue voisine et qui conduisent l'écolier le plus

(1) MM. Buisson, Berthelot, Fouillée, Maueuvrier, Boutmy.(8 M Gréard. -

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 3

rapidement et le mieux possible à ce but de l'édu-cation moderne : une situation sociale pour un boncitoyen.

Ces trois faits sociaux ne peuvent être méconnusni éludés par le législateur, sous peine d'emporteret d'anéantir toute la législation. Ils doivent pres-crire et subordonner les plans de réformes scolaires

que la nation attend avec impatience. C'est le

devoir impérieux et ce sera l'honneur de l'Etat ré-publicain d'utiliser et de diriger dans ce tripledessein toutes les forces intellectuelles de l'Univer-sité enseignante et de la démocratie enseignée.

L'Université enseignante a, chez nous, des qua-lités éminentes et nombreuses, qui, durant tout le

xixe siècle, en ont fait la première Université dumonde. Moralité, dévouement, libéralismo, savoir»

« esprit de finesse, esprit do géométrie », sentimentprofond du bien, du beau et du juste, ce sont lades vertus que nul no conteste aux maîtres do lajeunesse française, et l'histoire enregistre avec or-gueil, parmi les noms des grands hommes qui ontprésidé aux destinées politiques et sclentiQques do

ce siècle, toute une pléiade do noms universitairesfrançais.

Aussi la nation a-t-elle une absolue, confiance enl'Université. Cette confiance, l'Université d'aujour-d'hui et de demain no la méritera pleinement que

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4 LA RÉFORME

si elle se préoccupe de plus en plus des intérêts,des besoins, de la vie sociale de la démocratie.

Sans doute, des esprits distingués, toujours éprisde plus de délicatesse, peuvent regretter le tempsoù « l'honnête homme » savait disserter en latin et

en grec sur les « Caractères » de Théophraste etcharmer les loisirs studieux d'un public d'élite, sous,les ombrages des bosquets de Versailles, non loin

des jardiniers du Roi qui courbaient l'échiné etremuaient la terre « avec une opiniâtreté invin-cible », sans rien voir et sans rien comprendre.

Mais aujourd'hui, le roi n'est plus. Lejardinier s'estinstruit et le jardin lui appartient. Il consent bien àentendre le latin comme ses maîtres, mais il veutavant tout savoir parler français et régler lui-mêmel'ordonnance scientifique de ses plans, la culture in-tensive de ses terres, et la destination utilitaire de

ses fruits. Iljoint à la conception du Beau naturelouartistique qui le récrée celle de l'Utile qui le fait

vivre et le nourrit, lui, ses enfants, ses concitoyens,

et ses voisins d'outre-mer et d'outre-Rhin, avec les-

quels il est entré en concurrence et en relations, surJe Cours-la-Reine; en 1700, Foire du Roi : en 1900,

Poire du Monde. Tant pis pour l'helléniste aristo-crate, qui, enfermé dans sa tour d'ivoire, n'aura

pas voulu favoriser le commerce du jardinier avec

son seigneur, l'Univers.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 5

Ordonnance scientifique des plans, culture inten-sive des esprits, destination utilitaire des élèves :

telle est aussi bien la triple tâche du réformateurscolaire au xx« siècle. Recueillons-la, telle quelle,de la volonté du jardinier et s'il le faut, par instants,

ne craignons pas d'élaguer, d'émonder, d'arracher,dé greffer l De la lumière I De l'espace 1 Des allées 1

Des contre-alléesl Des avenues 1 De la place au soleil I

i.

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I

L'ORDONNANCE SCIENTIFIQUE

La mnèmotechnie et la réflexion.

Qu'on le veuille ou non, le xxe siècle sera le sièclede la Science et do la Démocratie, et nos petitsneveux de « Saint-Louis » ou de «

Louls-le-Grand »verront et feront des miracles, « par raison démons-trative ».

Cherchez la cause do l'affaiblissement des étudeset de la déformation du régime du xixc siècle etvous la trouverez le plus aisémentdu monde. « C'est,dit M. Bertrand, dans son étude sur le lycée dequatre ans [Revue Occidentale, du 1er juillet 1899),c'est l'invasion des sciences dans un système uni-quement conçu pour l'enseignement des languesanciennes, et c'est aussi.l'invasion do la démo-cratie dans une institution qui avait pour but prin-

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8 LA RÉFORME

cipal de former ce qu'on a très bien nommé deshommes de luxe. Rien ne sert de cféplorer cettedouble invasion qui a tout emporté, tout ravagé ;

c'est un fait accompli. Les sciences tiennent désor-mais trop de place dans la vie individuelle et dans lavie sociale pour qu'on songe, je ne dis pas à lesexclure, chose impossible, mais simplement à lesrestreindre. On ne peut songer qu'à les mieux ensei-

gner et à ne plus nous les faire absorber commeautrefois on prenait le quinquina, en mangeantbeaucoup d'écorce et beaucoup de bois, parce qu'on

ne savait pas encore en extraire le principe actif, laquinine. Semblablement on se leurre en parlant deréserver les études secondaires à une aristocratie,ce serait rétablir le régime censitaire et donner uneprime à la situation et à la fortune qui désigneraientcette aristocratie. »

Donc, il faut s'y résigner. Demain, les fils d'ou-vriers, grâce à la diffusion de la science, sortirontdu collège avec ou sans diplôme. Mieux vaudrait

avec, direz-vous. Tout dépend de ce qu'on entend

par diplôme. Baccalauréat? Non, mille fois nonlCertificat d'études secondaires avec matières àoption I Oui, certificat, rien de plus. « Je soussignéeUniversité de France certifie que le jeune X... a faitchez moi des études bonnes sur telle partie, mé-diocres sur telle autre, passables sur le reste. Unpoint c'est tout. »

Ce c rtificat d'études donnerait ainsi une analyse

non p' as quantitative, comme le fait notre baccalau-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 9

réat d'aujourd'hui, mais qualitative des esprits. Ilconstituerait un double profit pour les élèves et pourles maîtres : pour les élèves qui, dou** de telle outelle disposition scientifique ou littéraire sur telle outelle partie du programme, pourraient demander àêtre interrogés sur une matière qu'ils auraient pluslonguement et plus personnellement étudiée ; pourles maîtres qui, se trouvant en face d'esprits origi-naux et, en quelque mesure, autodidactes, pour-raient se rendre plus facilement un compte plusexact de l'effort personnel et de la Valeur intrinsèquedu candidat : critérium idéal de tout examensérieux, critérium impossible à établir avec le sys-tème actuel de notre baccalauréat et de notre en-seignementsecondaire.

Il est impossible de s'occuper du plan d'étudeset des programmes de l'enseignement secondaire,sans être amené à parler du baccalauréat. EnFrance, depuis un demi-siècle, le baccalauréatest non pas le serviteur, mais le maître de l'en-seignement secondaire. Il ressemble à ces huis-siers tout-puissants qui vous font sortir à leurgré de l'antichambre ministérielle pour pénétrerdans le cabinet du ministre, et dont la chaîne d'acierattire, accapare et paralyse ies regards, les gestes,les pensées des solliciteurs. Chaîne magnétiquo etmagique, faite de toutes les superstitions, de tousles préjugés, de toutes les fausses disciplines, de tousles « mémentos » du code de civilité classique ;chaîne qui, même couverte de rouille, parait d'ar-

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10 LA RÉFORME

gent très pur aux prunelles ardentes des quéman-deurs, comme la « belle étoile » do Notil somblo d'oraux yeux rougis par le froid des poètes et des men-diants.

Oui, par le seul fait.que le baccalauréat clôt etconclut la série des études secondaires classiques,il les commande et les subordonne. Par le sfeul faitqu'il s'impose comme point terminus aux esprits deséîôves, il n'est plus un point, mais un monde. Par safaute, il y a de moins en moins d'étudiants et deplus en plus do candidats. C'est le plus détestable etle plus injuste des privilèges. C'est lui qui le pre-mier a pu triompher de cette obligation univer-selle : le service militaire. Il a créé au profit deceux qu'il couronne de sa baie de laurier (quellaurier!), un droit exorbitant, la possibilité d'échap-per pour un temps à la contribution civique, auservice de la patrie.

Je me garderai bien de dire qu'il a tourné contrecette patrie ceux qu'il dispense de la servir; car il

y a parmi eux des philosophes, qui sont de trèsgrands esprits et par suite de très bons citoyens.Mais pour un philosophe qui raisonne, que de ba-cheliers qui déraisonnent! Pour un Jaurès quiobserve le mouvement social de la France, parrapport au système de l'univers, que de sous-licen-ciés qui crient : « vive l'Internationale ! » sans savoir

ce que c'est qu'une nation, ou inversement : « Vivol'armée ! » sans savoir ce que c'est que le service detrois ans. Le baccalauréat seul a pu faire ce double

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ilmiracle d'inconscience, et la Haute-Cour do justice,

au lieu do condamner des bacheliers avortés, au-rait dû logiquement condamner leurs maîtres, ouplutôt l'institution sociale ot sa clef de voûte, lebaccalauréat.

Le Parlement, sans douto, ne voudra pas inaugu*

rer le vingtième siècle en se constituant en courmartiale universitaire. Lo Parlomont, au lieu dodiriger l'opinion, la suit*parfois comme certainesprovinciales suivent la mode, de plusieurs années

en arrière. Le public peut donc être rassuré,notre proposition de loi « haccalauricide |» nosera pas votéo en 1901. Mais, a forco de frapper

sur le baccalauréat, il faudra bion qu'il se trans-forme, s'effrite, s'écache et perde son caractèredangereux et funeste au progrès intellectuel et so-cial des générations françaises. En lui accordant domoins en moins d'importance, en tant que sanctiondéfinitive; en divisant l'enseignement secondaire

en deux cycles d'études, complets par eux-mêmeset sanctionnés par des examens, avec matières àoption ; en mettant avant lui un certificat intermé-diaire, qui vaudra mieux que lui au point de vueintellectuel sans valoir autant au point de vue desprérogatives sociales; en substituant peu à peu à

son mode d'examen invariable, quantitatif et im-personnel, un examen variable, composé de deuxépreuves communes écrites, et d'épreuves orales,,multiples, souples, qualitatives et personnelles,suivant les aptitudes et les carrières, on arrivera à

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12 LA RÉFORMB

l'émielter si bien qu'il finira par perdre son carac-tère, son prestige et jusqu'à son nom.

A l'impersonnalitô rigide et mnémotechnique,substituer la personnalité souple et réfléchie : toutela réforme de l'enseignement secondaire est là ; etM. Boutmy a eu raison de mettre en lumière, danssa remarquable déposition, les deux grands actesdistincts et nécessaires de l'enseignement secon-daire : 1° l'acquisition des connaissances, 2° la ré-flexion appliquée aux connaissances acquises. Lepremier acte consiste à absorber, le second à digé-rer. « Or, sinon tout l'effort, du moins le principaleffort des organisateurs de l'enseignement secon-daire a constamment tendu à diminuer la part dela réflexion, à augmenter celle de l'acquisitionmnémotechnique des connaissances. » Chaque ma-tière du programme a été grossie, enflée, par sesreprésentants au ministère, au conseil supérieur etaux classes des lycées. Chaque pédagogue a voulutirer la couvertureà lui. Conséquences : l'esprit desmaîtres et des élèves se fausse, leur temps se perd,l'âme de l'Université s'alanguit, la concurrence del'enseignement libre se dresse redoutable parcequ'il agit précisément pour la mémoire et qu'il fa-brique à peu de frais, avec des maîtres médiocres,des bacheliers sortables suivantla formule A. M. D. G.

et A. G. D. G., avec garantie du gouvernement,alors qu'il ne pourrait lutter au contraire contrel'enseignement officiel dès qu'il s'agirait d'imiter« l'exercice inimitable de la réflexion. »

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 13

Mais pour cela, il faut réformer la méthode del'enseignement secondaire et l'ordonner par lascience et la raison. C'est là ce que le jardinier deVersailles appelait, dans le style pompeux de LeNôtre, « l'ordonnance scientifique des plans. »

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II

LA CULTURE INTENSIVE

L'enseignement classiqueet Venseignement moderne. Leur correspondance

nécessaire.

Si la Commission de l'Enseignement admet la né-cessité de substituer, autant que possible, la mé-thode de la réflexion à celle de la mnémotcchnic,elle est par là même logiquement et nécessaire-ment amenée à reconnaître qu'aujourd'hui, dansnos lycées et collèges, il y a trop de temps perdu,en dépit ou peut-être à cause de l'abondance desmatières du programme, et que la première ré-forme à faire est celte de la diminution et de lameilleure répartition du temps des études.

Je ne méconnais pas les objections que vont faireles défenseurs intransigeants de l'enseignementclassique. « Réduire, ne fût-ce que d'un an (6 ans

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16 LA RÉFORME

au lieu de 7) la durée des études secondaires, c'estméconnaître et amoindrir leur vertu éducative,dont le propre est d'opérer à la longue, de s'infiltrerlentement mais profondément dans l'esprit desélèves et pour ainsi dire à leur insu. » C'est, ensomme, la théorie de l'influence du milieu directe-ment proportionnelle au temps écoulé. Or, rienn'est moins scientifique que cotte théorie abstraite,et rien n'est moins applicable à des cerveaux, à destempéraments aussi divers que ceux des enfants.Sénèque, il est vrai, nous dit en certain passage,que les hommes qui séjournent dans la boutiqued'un parfumeur emportent, avec eux, l'odeur desparfums. Mais Sénèque ne fixe pas de durée préciseà ce séjour, paulo diutius, et je ne crois pas qu'unbain de 7 heures dans une telle atmosphère donne

un parfum de 1/7° plus intense qu'un bain de6 heures. C'est exactement comme si oh osait pré-tendre.que 70 bougies produisent une lumière10 fois plus intense que 7 bougies. Ce calcul pro-poilionnel est une simple erreur.

Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le séjourd'un élève médiocre durant sept années, au lycée,

ne fortifie pas plus son intelligence qu'un séjour desix années. Il y a de grandes chances, au contraire,pour que son esprit soit un peu plus atrophié, aubout de sept ans qu'au bout de six, étant donné quec'est toujours la même méthode mnémotechnique!le même milieu exclusivement favorable aux « bril-lants écoliers », aux « forts en thème », et parfai-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 17

tement funeste aux « pauvres d'esprit ». Et pour-tant cet « élève médiocre », rhétoricien ou philo-sophe, est un homme. « Ce cancre » rentré aulogis, vous frappera par son bon sens, sa justesseet sa finesse pratique, par sa sûreté d'esprit natu-rel appliqué aux choses d'expérience (1) ». En réa-lité il n'y a pas là un « phénix » et un « cancre » ; il

y a deux esprits qui ne se ressemblent pas, quipeut-être se complètent, et que la société utiliseraparfaitement chacun à sa place, l'un dans l'ensei-gnement classique, l'autre dans l'enseignementmoderne.

« Mettre chacun à sa place », voilà le problème,impossible à résoudre avec le système actuel del'enseignement classique et de l'enseignement mo-derne, qui sont deux impasses, sans aucune cor-respondance, à âge égal, sans aucune communica-tion pratique. D'ailleurs, éclaircissons une bonnefois celte question des deux enseignements ! S'ilssont frères ennemis, à qui la faute? A leur père,l'Etat? Peut-être! A leur mère, l'Université? Oui,certainement, à l'Université qui, préférant l'aîné,l'ancien, le délicat, n'a jamais voulu trouver aussibeau, le cadet, le Moderne. « Il sera toujours bon

pour faire un commerçant. » Donc, sept ans d'étudesau Classique, six ans au Moderne. Et surtout pasde rapports entre eux ! Mieux encore. Quand lecadet dit : « Six ans, c'est trop... et pas assez; pour

(1) M, Buisson. Déposition, tome I, p. 4HS.

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18 LA* RÉFORME

le commerce, j'ai besoin de science pratique, jen'ai pas ma part de science », l'Université lui ré-pond : « Tu veux de la science ! Tiens, voilà de laliltératurol »

La Société qui entend Cô dialogue, prend naturel-lement parti contre l'Université, pour le Moderne ;

et, comme il arrive souvent, prenant parti elle de-vient partiale. Elle réclame pour les six annéesd'études du Moderne les mêmes sanctions, lesmômes avantages que pour lès sept ans du Clas-sique. Elle oublie que savoir quatre langues, commele Classfque (grec, latin, français, allemand), vauttout do môme mieux pour la culture d'un espritgallo-romain que d'en savoir trois comme le Mo-

derne i (français, allemand, anglais). Elle mécon-naît la valeur éducative des langues classiques;elle nie même leur valeur sociale. Pour un peu, elledemanderait la mort du Classique « sous prétexteque le Classique ne sait pas faire une addition».Inde iree l Cris, tempête, fureur de la vieille Uni-versité qui défend, unguibas et rostro, son nour-risson préféré, privilégié, le Classique.

ftHalte-là, plus de privilèges I » C'est l'Etat quiintervient. « A mérite égal, sanctions égales. Vosdeux élèves auront chacun six années d'études, aubout desquelles ils devront savoir chacun troislangues, obligatoirement; le Classique : une languemorte, une langue étrangère, la langue française ;.le Moderne : deux langues étrangères et le français.Cela, c'est le minimum ; mais bien, entendu, si le

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 19

Classique veut être un jour professeur do lettres, jene lui défends pas d'apprendre le grec. Je no luidéfends pas, donc je lui ordonne. Et si le Moderneveut être médecin ou avocat, je ne lui défends pasd'apprendre le latin. Au contraire, jo lui conseilleet facilite cette étude. Vous facilitez. Commentcela? — C'est très simple. Au Hou d'un seul cycled'études de six ans, clos par le baccalauréat, j'encrée deux de Irois ans. Dans > premier cycle,le classique et le moderne apprennent une langueclassiquo ou une langue moderno, plus la languofrançaise. Dans le second cycle, ils apprennentchacun une autre languo (classique ou étrangère),plus toujours la langue française, qu'ils no saurontjamais assez.

Fort bieri, mais si mon petit classique, futur pro-fesseur, veut gagner du temps et apprendre les élé-ments du grec, dès la dernière année de votre pre-mier cycle, allez-vous, Etat, le lui interdire? — Enaucune façon. Je créerai, au contraire, dès la troi-sième année classique, un cours do grec facultatif,de même que je créorai en troisième année mo-derne un cours de deuxième langue vivante facul-tatif; et quand votre petit bonhomme viendra pas-ser l'oral de son premier certificat d'études secon-daires, je lui demanderai s'il veut me lire une fabled'Esope. S'il la lit bien, je lui donnerai une mentionspéciale. Et s'il la lit mal? — S'il la lit mal, s'il necomprend pas un mot, je ne dis pas de grec, mais

au grec, je lui dirai qu'il fait fausse route. Et si,

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20 LA. RÉFORME

par-dessus le marché, il ne comprend rien au latin,'je lui dirai qu'il est un « cancre » au sens classique,mais qu'il peut très bien être un « phénix » ausons moderne et je l'enverrai rejoindre son petitfrère, le commerçant, en troisième et quatrièmeannées modernes.

Mais, alors, mon petit Classique va se trouverdésormais déraciné, dépaysé. —. Dépaysé parcequ'il aura changé de rive I Allons donc! Rive gaucheou rive droite ; le quartier latin ou le faubourgSaint-Antoine : c'est toujours la France. Et puis,

vous oubliez qu'entre ces deux rives il y a desponts, et que sur les deux quais parallèles il y abeaucoup de travaux communs. A part les coursspéciaux (latin, enseignement technique, dessin,travaux manuels pour l'école deChâlons, etc.), tousles cours de première et de deuxième année clas-sique et moderne peuvent être faits sur le même

programme (histoire, littérature, morale, instruc-tion civique, sciences), ce qui présenterait cedouble avantage : 1° économie de temps, d'espaceet d'argent très appréciable, surtout dans les petitscollèges, où le même professeur pourra suffire,dans un même local et dans une leçon d'une heure,aux deux enseignements; 2° réunion fréquente desélèves classiques et des élèves modernes, rupturede la barrière, émulation, pénétration des deuxenseignements,pour mieux dire, facilité quotidiennedu passage de l'un à l'autre.

Sans doute, dira l'Université à l'Etat. Mais ce que

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je vois de plus clair jusqu'à présent dans volro pland'études, c'est que vous favorisez surtout le passagodu classique au moderne; vous dépleuplez l'ensei-gnement classique. — Oui, je le dépeuplo, mais de

ses non-valeurs au sens classique. Donc, je le ren-force. J'en fais de plus en plus l'enseignementd'uneélite intellectuelle. N'est-ce pas ce que l'Universitéet la société désirent! —Assurément, mais... je nevois pas, moi, Université, la facilité de l'absorptioninverse, le passage du moderne au classique, —Université, ce sentiment de prévoyance sociale voushonore. Jo suis enchanté, moi, Etat, de constaterque, bien loin de rejeter, comme autrefois, le mo-derne ou le primaire supérieur de votre giron clas-sique, vous voulez les y attirer. Aussi ai-je sinonprévu, du moins prévenu votre désir. Grâce à moncertificat d'études modernes qui clôt le premiercycle, grâce aux cours spéciaux de mon deuxièmecycle d'études, un bon élève d'enseignement mo-derne ou primaire supérieur de quinze ans pourra,s'il a des aptitudes littéraires ou historiques, ap-prendre en trois ans (deuxième cycle) suffisammentde latin pour obtenir son certificat d'études supé-rieures (ou baccalauréat classique) et entrer soit à laFaculté des lettres, soit à la Faculté de droit, ou,s'il a les aptitudes nécessaires, à la Faculté demédecine.

Alors, c'est l'égalité des sanctions? — Pourquoipas, puisque c'est l'égalité des mérites. — Alors unBéotien, un Primaire supérieur, pourrait prétendre

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22 LA RÉFORME

en trois années, grâce à vos cours spéciaux (latinet grec), arriver au baccalauréat es lettres, puis,doux ans après, à la licence! — Oui, mais à unecondition. — Laquelle?

—•C'est que mon Béotien

soit très intelligent et il y en a beaucoup plus quevous no pensez. Demandez aux professeurs duCollège Chaptal, Arago, Turgot, et autres dela Ville de Paris. Ils vous diront que maint élève,muni de son certificat d'études primaires supé-rieures, fut deux ans après bachelier.

—Alors, c'est

la mort de l'enseignement classique. — Point dutout, c'est sa rénovation et sa conservation.

Sa conservation, vous êtes dur !—•

Je suis pré-Voyant. — Vous me perdez. — Je Vous sauve. —Etat, c'est impossible ! — Université, écoutez-moi !

Tout à l'heure la Société vous accusait de ne songerqu'à vous, et pas à elle. La Société avait raison. Si

vous vous obstinez à exclure l'enseignement mo-derne, môme muni de latin, de nos écoles de méde-cine et de droit, prenez garde qu'il n'y entre deforce, et sans latin, et plus tôt que plus tard. LeParlement a un faible pour l'égalité, un faible...très fort, et qui sera certainement le plus fort. Vou-lez-vous sauver le latin ? Faites le sacrifice du grec !

Sinon, vous les perdrez tous les deux et vous-mêmepar-dessus le marché. Rendez le grec obligatoirepour YOS futurs professeurs, facultatif et « matièreà option » pour tous les autres candidats.

« Mieux vaut savoir très bien le latin, par uneculture intensive, et pas du tout le grec, que très

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 23

mal le grec et très mal le latin, par une culturoextensive et négative. El surtout mieux vaut nosavoir ni latin ni grec et faire un bon commerçant,après uncyclo triennal d'études modernes, completpar lui-môme, que de faire un demi-bachelier derhétorique, incapable d'être reçu à sa secondepartie, et dont les orgueilleuses réminiscencess'arrêtentjusteà l'année 1789. Tout un siècle ignoré,et le sien, le nôtre! Université, prenez garde dodevenir la Belle au Bois-Dormant. Prenez garde !

Le jardinier de Versailles vous a dit qu'il n'y avaitplus de Prince Charmant. »

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III

LA DESTINATION UTILITAIRE

Les deux cycles. —La multifurcation.

La division de l'enseignement secondaire en deuxcycles d'études complets par eux-mêmes et sanc-tionnés par des certificats ou diplômes, telle doitêtre, à notre avis, la partie capitale et la penséedirectrice de la réforme. Il faut que de nos maisons

pas un jeune homme ne sorte sans emporter aveclui sinon un bagage intégral, du moins un bagagecomplet de connaissances.

Pour ne parler que de l'histoire, revenons sur cetexemple typique. N'est-il pas monstrueux qu'undemi-bachelier de rhétorique lancé dans la vie mo-derne, ne sache pas un mot de l'histoire et do lacivilisation contemporaines, pas un mot do la

3

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Révolution de 1789, pas un mot du dix-neuvièmesiècle? C'est pourtant ce qui arrive chaque année àplus de 3.000 jeunes gens refusés à la deuxièmepartie du baccalauréat et ne continuant pas leursétudes. Et ils ont dix-sept, dix-huit ou dix-neufans. Us vont partir au régiment, où ils seront éton-nés, sans doute, de ne pas trouver les étendardsfleurdelysés du Roi. Et ils ne peuvent ni ne veulent,do dégoût, continuer leurs, études avortées, man-quées par la faute du baccalauréat et do l'Etat, sondispensateur.

Oui, disons le mot, la faute n'est pas seulement àl'Université. Elle revient surtout à l'Etat et au gou-vernement, dont les ministres, ayant vu le mal,n'ont pas voulu lo guérir. Or, aujourd'hui, iLfautque ces défaillances cessent. Il faut que le Ministrede l'Instruction pubfique, quel qu'il soit, rappelleénergiquenjent à l'Université qu'il est son grandmaître et qu'ello doit compte à l'Etat des enfantsqu'on lui confie. Sacrifier plus longtemps des intel-ligences, des activités que réclament la science etl'industrie nationales, serait un crime de lèse-familles et de lèse-patrie. La Commission espèreque le Ministre actuel, sorti des rangs du peuple, sosouviendra de ses origines, du noble idéal de sajeunesse de poète, et de la devise inscrite sur sondrapeau: « Défense républicaine I » Les cadets deGascogne n'avaient pas seulement des désirs. Ilsavaient la volonté et l'énergie ; et Cyrano de Ber-gerac, s'il revenait aujourd'huiparmi nous, n'aurait

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pas assez d'épées pour estoqUer tous les préjugéset tous les abus.

Donc, il faut diviser l'enseignement en deuxcycles. L'enseignement moderne dure six ans.L'enseignement classique, si l'on veut arriver àl'équivalence intellectuelle et sociale des deuxenseignements, doit durer le même temps : six an-nées. Pour les élèves bons ou passables, c'estassez; et nous connaissons tous un certain nombredo jeunes gens qui ont fait de bonnes études clas-siques en moins de six ans. Pour les élèves médio-

cres ou nuls, c'est trop ; etils pourront se reprendreet se diriger vers ailleurs dès la fin du premier cycle.De quelle durée sera ce premier cycle? De trois ansou de quatre ans? La question vaut qu'on l'examine,

car l'une et l'autre solution comporte ses avan-tages. Mais l'essentiel est qu'on adopte une solu-tion.

Examinons d'abord et en fait la question au pointdo vue do l'enseignement moderne ; car c'est celui-ci qui est le plus tôt déserté par les jeunes gens, defamilles généralement moins riches. Les élèves duclassique, à moins qu'ils no soient tout à fait nulsou que des circonstances extraordinaires no les for-cent à abandonner leurs études, ne quittent guèrele lycée avant la rhétorique. Au contraire, lesélèves du modorne, d'après le rapport do M. Fcrnot,inspecteur général de l'Université (I. 401), quittent,pour un quart, le lycée au bout de la troisièmeannée, pour un cinquième, au bout do la quatrième

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année d'études, et se dirigent vers les carrièresindustrielles et commerciales.

Que savent-ils, .d'après les programmes actuels,au bout de ces quatre ans ? Ils savent l'histoire del'Europe et de la France jusqu'en 1610 (!!) ; l'his-toire de la littérature française jusqu'aucommence-ment du dix-septième siècle ; ^toule la géographieexcepté la partie la plus importante, celle qui con-cerne la France ; la géométrie jusqu'à la surface dupolygone et du cercle, (rien de la mesure des vo-lumes); l'algèbre jusqu'aux équations du 1er degré(rien des équations du 2' degré, ni des progressions,ni des logarithmes; rien de la trigonométrie, rien dela géométrie descriptive ; rien de la cosmographie) ;ils savent delà physique jusqu'à la pesanteur et lachaleur (pas un mot de l'électricité, ni de l'optique,ni de l'acoustique, et notez qu'ils se destinent à l'in-dustrie 11), ils savent de la chimie tout juste lesmétalloïdes (pas un mot des métaux!I). Et c'esttout. Ou plutôt ce n'est rien. Et ce rien est le résul-tat de quatre ans d'études.

Mais où donc, direz-vous, la science s'est-elloréfugiée dans les programmes de l'enseignementmoderne? La science, elle est toute dans l'avant"dernière et surtout dans la dernière année, cellequ'on appelle la « première moderne, sciences ».Oh 1 là par exemple, c'est le chauffage à blanc. Quen'y trouve-t-on pas ? La philosophie scientifiqueet morale, le droit public, le droit civil, l'économiepolitique, cent années d'histoire contemporaine. —

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Et quoi encore? L'algèbre, la trigonométrie, lescourbes usuelles, la cosmographie, la géométriedescriptive, la mécanique, la physique, la chimiegénérale et organique, l'analyse chimique, toutel'histoire naturelle, l'anatomie et la physiologieanimales et végétales, la paléontologie, l'hygiène,

« l'hygiène qu'un enfant bien élevé connaît depuislongtemps par l'éducation de la famille (I) », l'hy-giène qui, des haulours de la pensée philosophiquede Platon, de Descartes, de Leibnitz, de Spinoza,fait descendre cet étudiant de 17 ans à ceci : (je citetextuellement le programme) : « Viandes dange-reuses (trichinose, ladrerie): la viande du porc, lessaucisses 1 ! »

Oui, tout cela est ridicule, tout cela est mesquin,tout cela est misérable et méprisable. Et comme jecomprends que sur 100 élèves qui débutent dansl'enseignement moderne, il n'en resto plus quo 5

ou G en celte dernière année de surchauffage. Ecou-tez encore cet aveu du sage M. Fernet, inspecteurgénéral des sciences : «Il faut bien dire cependantque, dans cette dernière annéo en particulier, cettediminution du nombre des élèves tient encore à unecause particulière : c'est que le baccalauréat del'enseignementmoderne (toujours le baccalauréat l ! )

est trop difficile. La plupart des élèves, après avoirsuivi les cours do l'enseignement moderne, lesabandonnent avant la dernière année et préparent

(l) M, Gebhart, déposition,8.

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le baccalauréat classique, qui leur semble plusfacile. (Leur semble est joli comme euphémisme I).

C'est là un fait d'expérience courante : dans la plu-part des lycées de moyenne importance, la classede première moderne n*existe plus!!! »

Et voilà l'enseignement moderne, et voilà sa fai-blesse dénoncée par un inspecteur général. Et unautre universitaire éminent nous dit sur le mêmesujet : «Ou il y a dans tout cela beaucoup détrompe-l'oeil, ou ces cours sont impossibles à faire et àécouter en une seule année scolaire — et j'ignores'il existe des élèves capables de se les assimiler. »Qui parle ainsi? Qui confesse, avec cette indifférencenonchalante et celle naïveté tranquille, le trompe-l'oeil et le néant de l'enseignement moderne ? Unmaître d'études? Un professeur do collège? Un

journaliste? Point du tout. Celui qui condamne ences termes l'Université, c'est un ex-Grand Maîtredo l'Université, un ancien Ministre do l'Instructionpublique.

Après cela, que voulez-vous que je dise I Voulez-

vous écouler le Grand Maître, au sujet de la pre-mière Lettres? Oyez! «Si vous avez eu sous les yeux,monsieur le Président, le programme do la premièreLettres, vous avez dû être frappé do la surcharge ! »Ah! je vous crois bien, monsieur le Ministre, quenous en avons été frappés. Mais ce qui nous frappe

encore davantage, nous et toute la nation, c'est quevous ayez été deux ans Ministre et que, rempli de

« bonne volonté » mais manquant do volonté sans

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 31

épithète, paralysé par l'esprit conservateur vousayez constaté et toléré pendant deux ans cette choseaffreuse: le trompe-l'oeil, le néant de la dernièreannée des études modernes, littéraires ou scienti-fiques, de ces études en vue desquelles les paysans,les ouvriers, les bourgeois de France font tant et desi douloureux sacrifices, pour aboutir à quoi? Aperdre leur temps, leur argent, leurs espérances ; àperdre l'intelligence, la jeunesse et l'avenir de leursenfants.

Si, au lieu de cela, un Minisire résolu voulaitimposer à l'Université cette simple règle, qui estune nécessité sociale : faire en trois ou quatre ansdes élèoes modernes qui sachent quelque chose,cette résolution vaudrait mieux qu'une révolution.Pourquoi, par exemple, et pour nous en tenir auprogramme d'histoire, ne donnerait-on pas auxélèves de 12 ans (en lre année, classe 6e) des notionssommaires sur les grands faits et les grands hommesdo l'histoire ancienne, avec lectures ou traductionsdes auteurs appropriés : Hérodote, Plularque,Tite-Live, Tacite, etc. ; en 2° année (5e modcrno)les mêmes notions sur l'histoire do la France jus-qu'en 1789; en 3° année (classe de 4e) l'histoire dela Franco et do l'Europe do 1789 à nos jours. Do

même, en littérature, on pourrait étudier chaqueannée les grands auteurs correspondant à chacunedo ces périodes historiques ; la littérature et l'his-toire de la civilisation s'éclaireraient et s'explique-raient ainsi l'une l'autre, comme elles le font d'ail-

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leurs dans la réalité. De môme encore, en géogra-phie et en langues vivantes, de même en sciences,où l'on suivrait la méthode pratique de Descartes,en allant toujours du « simple au composé. »

J'avoue que, pour ma part, séduit par le pland'études intégrales et positives présenté par.monancien maître de philosophie M. Bertrand, j'eussepréféré un premier cycle de quatre années. Outreque ces quatro années sont nécessaires pour uneétude complète des sciences, la quatrième annéepermettrait alors de jeter un coup d'oeil.d'ensemble

sur le chemin parcouru, de revenir du composé ausimple, de faire la synthèse de ces trois annéesd'analyses. Cette quatrième année moderne, aprèslaquelle la plupart de nos jeunes gens quittent lecollèje, je la voudrais scientifique sans complica-tions inutiles, philosophique et morale sans pédan-terie métaphysique, littéraire sans érudition pré-tentieuse et par dessus tout très modernemênt his-torique. C'est là, non deux ans après qu'il faudraitapprendre aux élèves l'histoire de la civilisation etdes institutions au milieu desquelles ils vont vivre.

(l)Nous estimons de môme, allant du simple au composé,qu'il faudrait abandonner une bonne fois l'anciennedénomi-nation des classes — nombrées à rebours — et dire : l'e année

' classique, au lieu de huitième; 2' classique, au lieu de sep-tième; comme on devrait dire : 1" année moderne, 2* annéemoderne, etc., jusqu'à la 6* année moderne, couronnementdes études. Cette réforme des mots suivra forcément la ré-forme des choses et l'adoption de l'égalité de durée et del'égalité de sanction des études modernes et classiques,

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C'est là quo se feraient véritablement « les huma-nités modernes » en môme temps que l'apprentis-sage de la vie pratique et civique. Mon élève deseize ans pourrait quitter le collège tout àfait.

Avec des classes d'une heure, « extrême limite dol'effort et pour le professeur et pour les auditeurs,séparées par une interruption de dix minutes (làPause des Allemands! pendant laquelle, tout na-turellement, les professeurs restant au lycée cause-raient amicalement avec les élèves (1) » ; avec lemô'ne maître, à la fois professeur et répétiteur,comme je le proposais à la Commission, qui n'a pasvoulu entrer dans cette voie, selon moi, nécessaire ;

car c'est là, ne l'oublions pas, Vidèalde Véducation,et tant qu'il y aura deux hommes chargés l'und'instruire, l'autre do surveiller, l'enfant d'espritéveillé et malin verra toujours dans l'un le supé-rieur, dans l'autre l'inférieur, comme il verra tou-jours dans le troisième personnage do certains col-lèges appelé directeur d'études qui, accompagnantles élôvos en classe, écoute d'un bout à l'autrela leçon du maître, un être hybride qu'il a déjàdisqualifié; avec uno culture [intensive, des coursgradués, confiés au môme professeur et des coursspéciaux (faites-en l'expérience dans un col-lège et vous verrez si j'ai raison : cet élève se-rait, en savoir théorique, l'égal d'un bon bachelier

(l) M. Boutroux, t. I, p. 3;i3.

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actuel, etj en intelligence pratique, il lui serait cer-tainement supérieur (1).

Et si notre diplômé moderne voulait alors conti*

nuer ses études et faire sa rhétorique et sa philoso-phie modernes, ne voyez-vous pas de combien ill'emporterait en maturité d'esprit sur les rhé,lori-ciens actuels? Ne sentez-Vous point que s'il voulaitmême affronter le baccalauréat classique, avec deux

ahs de ces coure spéciaux dé latin que nous insti-tuons dans le deuxième cycle de notre nouveau sys-tème, il apprendrait le latin en le comprenant, etdonc le saurait mieux que nos bacheliers perroquetsd'aujourd'hui. Il saurait, en outre, une chose qu'ilsignorent : la valeur du temps bien employé, et del'effort personnel soutenu. Il aurait fait à la foisl'éducation de son intelligence et de sa volonté. Etcela est sans prix.

Quanta l'élève classique, après co 1" cycle dequatre ans, muni de son Ie' certificat d'études se-condaires (mention lettres latines), se destine-t-ilaux carrières littéraires et aux grandes Ecoles (Nor-male supérieure, Charles, Hautes-Etudes, Facultés

(i) A propos du rôle des répétitcurset do leurs relationsavec les professeurs, le compte rendu général des Dépositions(linqnêle, I, 540; me prête une interruption qui n'est pas toutà fait exacte et dont on a singulièrement exagéré la portée. 11

mofaitdire: « Lorsque J'étais répétiteur, c'est à peine si j'aitrouvé un professeur sur vingt qui voulût me serrer la main »

J'ai dit simplement : « C'est à peine sij'ai trouvé un pro-fesseur qui vint le premier à moi pour me serrer la main, »Ce qui n'est pas tout à fait la môme chose.

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- DE L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 39

des lettres et de droit) ? Il pourra en 5° année (Rhé-torique) apprendro ce que dans le systômo actuel il

a totalement oublié depuis la 5e classique ; l'histoiredes institutions de la Grèce et de Ftome, si nécessaireà la hauto culture gréco-latine. Il apprendra ensuiteen 6e année (Philosophie) l'histoire philosophique,politique, économique et sociale du XIXe siècle, sinécessaire à la culture moderne et à l'intelligencede la vie contemporaine. Vout-il se préparer auxEcoles scientifiques (Polytechnique, Normale, Cen-trale, Institut agronomique, Facultés des scienceset do médecine etc.)? On lui enseignera en 5° annéel'histoire dos sciences (grandes découverteset grandssavants.) S'il vout entrer à Saint-Cyr, il étudieracette môme année l'histoire militaire do la Franceet de l'Europe — étant entendu que pourlo futursaint-cyrien, comme pour lo futur polytechnicien,la6e année comportera l'histoire du XIX0 siôclo, cou-;ronnement nécessaire des éludes scientifiques aussibien que des études littéraires.

Ainsi au bout deOannées d'études, de 12à 18ans,avec ce système de la « multifurcalion » ot des ma-tières à option, ce que nous appolons aujourd'huiun « bachelier » et co que nous appellerons un« certifié d'études secondaires supérieures» pourraità la rigueur, s'il le voulait,se présenterais examonsdo Saint-Cyr, à la Faculté des sciences, ou à la Fa-culté do droit. Au total une économio de douxannées d'études sur le système actuel.

Cette division en deux cycles, l'un de quatre ans,

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36 LA RÉFORME

l'autre dedeux ans, ne nous estd'ailleurs pas absolu-ment personnelle. Elle a été indiquée à la Commis-sion par M. Darboux. « Il suffirait, dit-il, ce qui nebouleverserait pas grand'chose, d'adopter la mesuredont vous a parlé M. Groiset, et d'instituer dansl'enseignement classique, à partir d'une classe àdéterminer, deux sections d'études bien distinc-tes, l'une plus littéraire, l'autre plus scientifique.M. Groiset vous a parlé, je crois, d'effectuer cetteséparation au commencement de la rhétorique. Lesétudes scientifiques y gagneraient beaucoup et lesétudes littéraires n'y perdraient rien. Ce seraitajouter au type d'études classiques et au type mo-derne un type d'études scientifiques latines qui se-rait tout à fait à sa place'dans un pays tel que lenôtre et qui existe d'ailleurs en d'autres pays. »

Donc, les doyens des Facultés des lettres et dessciences, MM. Darboux et Groiset sont partisans enprincipe de la multifurcation avant la rhétorique,c'est-à-dire, dans notre système, immédiatementaprès le 1er cycle quo sanctionne un certificatd'études secondaires, donnant droit d'entrée dansle 26 cycle d'études supérieures.

Ajoutons que pour les élèves quittant le collègeaprès ce 1" cycle, la 4e année d'études serait uneannée de revision féconde et de réflexion pcrson-nelle. Cette 4e annnée dont nous n'avons pas encoreparlé et dont nous voudrions parler plus longuementcomporterait pour les classiques comme pour lesmodernes un enseignement commun : l'histoire

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 37

générale de la civilisation et de l'art, la géographieéconomique et coloniale de la France et du monde,les éléments de la logique qu'ils n'apprennent pasactuellement s'ils quittent le lycée, comme c'estl'habitude, soit au bout de quatre ans d'étudesmodernes, soit au bout de six ans d'éîudes classi-ques une fois demi-bacheliers de rhétorique, ouqu'ils apprennent mal, parce que précipitamment,dans le cours de philosophie.

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IV

La Commission de l'enseignement, pour des rai-sons que nous n'avons pas à discuter ici, a préféré à cesystème la division des six années d'études en deuxcycles de trois ans. Cette division, assurément, a sesmérites, dont le principal est de consacrer l'espritmême et la raison d'être de notre réforme, à savoirla diminution du nombre des années d'études, leprincipe des deux cycles complets par eux-mêmes,et la répartition naturelle des élèves suivant teursaptitudes. Elle comporte en effet ces deux innova-tions capitales : 1° Par l'institution d'un premiercycle « la priorité accordée non au luxe, mais aunécessaire dans l'instruction, de tous les.élèves; labase solide donnée aux études secondaires et leprofil réel substitué au gaspillage de plusieurs

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40 LA RÉFORME

années pour ceux qui no doivent pas faire d'étudesclassiques ; 2° Par l'institution, à la fin de ce premiercycle, d'unexamenstrictement éliminatoire « la bar-Hère » mise à l'entrée de l'enseignementsecondairesupérieur et la sélection des élèves qui le rece-vront; pour les autres une orientation purementpratique, appropriée à leurs aptitudes moindres,utile à eux-mêmes et utile au pays; par suite, ledéblayement des professions libérales et leur relè-vement, la suppression presque totale des déclas-sés (1). »

La Commission n'a pas fait de révolution. Elle acru qu'il valait mieux réparer l'ancien enseigne-ment secondaire que d'en créer un. Elle s'est in-quiétée des traditions universitaires et «elle a vouluménager avec l'ancien étatdechoses des transitions».Malgré les indications que lui donnaient les repré-sentants les plus autorisés de la presse pédagogique,elle n'a pas cru qu'il fallût a jeter bas une bonnefois la vieille bâtisse, soigneusement nettoyer laplace et reconstruire avec des pierres neuves (2). »Au lieu de regarder hardiment l'avenir, elle a préférés'inspirer du présent et dupasse. Elle acraintqu'unerefonte complète du plan d'études ne vînt encoreajouter au trouble que les changements successifsdes programmesontjetédans l'esprit desprofesseurset.des familles. Elle a pensé, suivant les conseils de

(i) M. Jamet, professeur au lycée de Tours.(2) M. André Beauhier. Écho de Paris.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 41

M. Bdutroux, que «tout en ne touchant qu'avecmodération aux formes extérieures, à l'organisationmatérielle, elle pouvait introduire maintes réformestrès réelles et très efficaces ». Ello n'a pas admis lareconstruction d'un édifice idéal où des esprits ti-morés pourraient voir plus de fantaisio individuelle

que de sagesse novatrice.Nous nous inclinerons devant les décisions do la

Commission, persuadés que d'heureuses transfor-mations pédagogiques et sociales sortiront de cettevaste enquête où les maîtres de la pensée moderne :

MM. Lavisse, Berthelot, Gréard, Darboux, Croiset,Boulroux, Fouillée, Boutmy, Buisson, etc., sontvenus apporter le meilleur de leur science, où lesréprésentants des assembléesdépartementales et desChambres de commerco ont mis au service de l'Uni-versité les secrets de leur expérience économique,où les universitaires de tous ordres ont été admis àformuler leurs critiques et leurs espérances, où lesanciens Ministres de l'Instruction publique et leshommes politiques les plus éminents ont exposéleurs idées réformatrices.

L'essentiel est que l'esprit delà réforme soitadmispar tous ceux qui auront la charge de l'appliquer,quelque place qu'ils occupent dans la hiérarchieuniversitaire. Le pays ne comprendrait pas qu'où notînt pas compte de ses réclamations unanimes. Si leMinistre de l'Instruction publique craint d'expéri-menter cette réforme d'un seul coup, et dans toutela France, qu'il en fasse l'expérience dans telle

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42 LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

académie qu'il lui plaira, Mais que cette expériencesoit loyale. Les hommes do bonne volonté sont prêtsà la mener à bonne fin. La Science commando. La

Démocratie attend. La Réforme se fera.

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PLANS D'ÉTUDES ET PROGRAMMES

I. — Les données objectives du problème.— La définition sooiale de l'ensei-gnement secondaire.

II. — Le problème pédagogique — Huma-nisme et réalisme. — Le passé et leprésent.

III. — Les propositions (d'après les docu-ments de la Commission d'enquête).Plans d'études. — Les divers typesd'enseignement. — Programmes etméthodes. — La sélection.

IV. —'Les résolutions adoptées par la Com-mission,

v. '- Conclusion.

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I

LES DONNÉES OBJECTIVES DU PROBLÈME. — LA DÉFINITION

• SOCIALE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE.

Les données objectives du problème.

La Commission appelée à discuter la réforme del'enseignement secondaire a interrogé sur la ques-tion des plans d'études et des programmes des dépo-sants venus de tous les points do l'horizon : Rec-teurs, professeurs du Collège de France, des facultés,des lycées et collèges, proviseurs, inspecteurs géné-

raux, inspecteurs d'Académie, directeurs et profes-seurs d'institutions libres, laïques, prêtres, jésuites,frères de la doctrine chrétienne ; membres do l'Ins-titut, publicistes, économistes, hommes politiques,anciens Ministres de l'Instruction publique ; Conseilsgénéraux, Chambres de commerce, agriculteurs,industriels, pères de famille; tous les déposants ont

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46 LA RÉFORME

été écoutés avec une même attention sympathiqueOn rendra celte justice à la Commission, que jamaisenquête ne fut plus et mieux documentée, ni plusimpartiale,et plus désireuse d'aboutir à la manifes-tation de la vérité.

Mais il était à craindre qu'une enquête si vasten'aboutit à un entassement chaotique de dépositionscontradictoires et que la Commission—avec plus debonne volonté que do profit —n'édifiâtquelque tourde Babel pédagogique. Or, il n'en a rien été ; et sigrande que puisse être la part des divergences etdes contradictions, c'est-à-dire des opinions per-sonnelles, il reste — et cela est capital — que lesdonnées objectives du problème se dégagent nette-ment de l'ensemble des dépositions. Il y a accordunanime sur certains points essentiels, accord qui

ne saurait s'expliquer par la rencontre d'opinionsd'esprits si dissemblables, mais par l'adhésion d'ob-servateurs sincères à l'évidence des faits.

Là où il y a contradiction, cela provient, le plussouvent, non de vues fausses, mais de vues incom-plètes, chacun étant plus frappé, et parfois obsédé,

par un aspect doce problème si vaste et si complexe.Aussi n'est-il pas téméraire d'espérer tirer de cetamas imposant de documents pédagogiques et so-ciaux desconclusions nettes et cohérentes. Si l'éclec-tisme est une méthode fausse et inféconde, la syn-thèse qui concilie les contradictoires n'est-elle pasla loi môme de la vio— et de l'action? C'est celtesynthèse que je voudrais tenter, nullement dési-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 47

reux de fairo triompher une opinion personnello

— ce qui ne saurait ôtre le rôlo d'un rapportourd'une Commission chargée d'intérêts si graves —soucieux, au contraire, do fairo uno oeuvro aussiobjective quo possible.

C'est pourquoi je laisserai souvent — ot parfoislongtemps — la parole aux déposants dont les avisont lo plus frappé la Commission, trop heureux sije puis ainsi pennettro à la vérité do se dégagerd'elle-même des documents cités.

Je suis heureux d'ajouter que ma tâche do rap-porteur a été singulièrement facilitée par la façondont M. le président do la Commission a dirigé l'en-quête. Il eût été difficilede montrer, en celte difficilefonction, plus de méthode, do précision, do nettetéet — pour tout dire, en un mot — d'autorité.

La définition sociale de l'enseignement secondaire.

1° L'organe et la fonotion : double fonotionde l'enseignement secondaire.

• La science nous a appris que le besoin crée l'or-

gane. Le sens commun nous dit que l'organe a pourfonction de satisfaire au besoin.

L'enseignement secondaire, organe social, satis-fait-il aux besoins sociaux? Voilà ce qu'il importe desavoir d'abord et, pour cela, considérons la Francode 1900 à l'aube du vingtième siècle.

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48 LA RÉFORME

Héritière d'un glorieux patrimoine, la Franced'aujourd'hui ne doit rien abandonner de la Franced'hier. Or, le premier titre de gloire de notre pays,c'est sa prééminence intellectuelle et artistique :

notre premier devoir est d'exiger de l'enseignementsecondaire qu'il maintienne, dans l'ordre spéculatif,l'excellence du génie national. La haute culture,qui peut être un luxe pour l'individu, n'est pas unluxe pour la nation. C'est la première et la plusimpérieuse des nécessités. Qui oserait proposer ladéchéance de l'esprit français ?

D'autre part, il faut à la vie spéculative le largesubslratum de la vie économique. Si nous devonsavoir le souci de conserver et d'accroître le trésordes richesses idéales de la France, nous né devonslaisser ni péricliter ni diminuer la production desrichesses matérielles.

Ce dernier souci est d'autant plus pressant, quela lutte est plus ardente, et plus âpre la concur-rence internationale. Or, dans la guerreéconomique,

comme dans toute guerro, la victoire est en fin decompte aux mieux armés. Notre enseignement se-condaire nousarme-t-ilpourcette lutte, dont l'enjeuest l'accroissement ou le déclin de la richesse na-tionale ?

M. Blondel répond à cette question, avec l'auto-rité particulière que lui donne sa connaissance pro-fonde de l'Allemagne contemporaine, qu'il est alléétudier sur place et sur laquelle il a publié de re-marquables travaux :

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 49

« Une nation comme la France, étant donnés sonrôle historique, ses aptitudes si variées, ses tradi-tions et ses légitimes espérances, doit et peutaisément donner une double orientation à sonactivité.

« Elle peut, sans faire preuve d'ambition exa-gérée, prétendre conserver dans le monde une trèshaute influence intellectuelle, littéraire, artistique.

« Elle peut aussi prétendre lutter, avec plus desuccès qu'elle ne le fait aujourd'hui, sur le terrainéconomique, industriel et commercial.

« Or, il est incontestable que notre enseignementsecondaire nous prépare assez bien à la première de

ces deux orientations et fort mal à la seconde. Ondoit reconnaître que notre enseignement acluoln'est pas suffisamment approprié aux besoins denotre époque. Il est, en partie, la cause de l'infé-riorité économique dans laquelle se trouve aujour-d'hui la France, infériorité relative sans doute, maistrès affligeante, quand on compare le développe-ment si lent de notre industrie et de notre com-merce avec les progrès considérables que font lespeuples voisins, les Allemands surtout.

« A ce point de vue, il n'y a pas de distinctionàétablir entre les établissements religieux et les éta-blissements de l'État. L'insuffisance des uns et desautres est manifeste. »

Les Chambres de commerce abondent dans lemême sens :

6

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50 LA RÉFORME

« Les souffrances incontestables du pays au pointde vue économique, la perte do son rang relatifparmi les nations dans lo domaine de la produc-tion et de l'échange, bien qu'elles tiennent à descauses complexes, ne paraissent pas sans rapportavec le manque d'adaptation de l'enseignementpublic actuel aux besoins économiques du mo>ment. » (Chambre de commerce de Bordeaux.)

« L'enseignement secondaire, classique ou mo-derne, ne donne pas de bons résultats au point devue de la préparation générale aux carrières indus-trielles et commerciales, si l'on a en vue l'entréedirecte et immédiato des élèves dans ces carrières àleur sortie des établissements universitaires. »(Chambre de commerce de Marseille.)

« Nous avons à nous occuper principalement del'enseignement, au point de vue des intérêts del'industrie et du commerce, et nous devons com-mencer par reconnaître que, malgré diverses modi-fications apportées, depuis trente ans aux pro-grammes de l'enseignementsecondaire, les résultatssont restés les mêmes, insuffisants pour la prépara-tion générale aux carrières industrielles et commer-ciales, vers lesquelles notre jeunesse n'est pas assezentraînée. Les professions libérales sont de plus enplus encombrées, le fonctionnarisme n'a pas dimi-nué, et l'agriculture, lo commerce et l'industrien'ont pas cessé de réclamer des intelligences et des

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 51

bras. Tels sont les résultats tangiblos do l'étudetrop généralisée du grec et du latin et des diversbaccalauréats. » (Chambre de commerce d'Angou-léme.)

MNotre pays a le devoir de se prémunir contre

un double péril : l'affaiblissement do son inlluencointellectuelle, littéraire et artistique, et l'affaiblisse-ment de sa puissance économique, industrielle etcommerciale. Tout l'enseignement doit être orienté

pour faire face à ces deux dangers et, par consé-quent, il faut, tout ensemble, fortifier les étudeslibérales ol les études plus proprement utilitaires. »(Chambre de commerce de Bourges.)

L'Etat a donc un double devoir à remplir. Gar-dien de l'idéal, il doit demander à l'enseignementsecondaire qu'il sauvegarde les destinées do l'espritfrançais; comptable de l'avenir économique du

pays, il doit exiger que cet enseignement se souciede la vie pratique.

La définition sociale de l'enseignement secondaire

se résumera donc en une formule, dont les deuxtermes apparaissent contradictoires, et qu'il faudrapourtant concilier : il doit êtro à la fois libéral etutilitaire.

11 serait oiseux d'objecter que l'ulilitarismo n'estpas et ne doit pas être le fait de l'enseignementsecondaire, mais bien de l'onseignement primairesupérieur et de l'enseignement professionnel.

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52 LA RÉFORME.

Pédagogiquement, l'objection a sa valeur; sociale-ment, elle ne porte pas. Il suffit de rappeler ce faitqu'aujourd'hui ce n'est plus 20.000 familles, c'est200.000 qui envoient leurs, enfants dans les lycées

ou collèges (universitaires ou congréganistes). Soitvanité, soit désir d'égalité, soit amour du progrès(la cause est indifférente, le fait seul importe) lesparents français préfèrent les établissements d'ensei-gnement secondaire à l'école primaire supérieure.A moins de faire une loi contre cette invasion, ilfaut bien l'accepter et — si possible — la rendrenon seulement inoffensive, mais bienfaisante. Sidonc l'éducation désintéressée et libérale ne sauraitconvenir à l'intégralité de cette population scolaire,il est du devoir du législateur d'instituer au lycée

ou au collège — pour tous ou pour la majorité —le problème reste à étudier — une éducation utili-taire et pratique.

2° Le déchet social de l'enseignementsecondaire avant le baccalauréat.

11 ne suffit pas que l'organe soit apte à sa fonc-tion. Encore faut-il que son activité soit propor-tionnée aux exigences de l'organisme enlier. L'atro*phie et l'hypertrophie sont également nuisibles aucorps vivant, et la santé n'est qu'un harmonieuxéquilibre. Or, dans la vh sociale, l'enseignementsecondaire (classique ou moderne) n'usurpe-t-il pas

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 53

une importance démesurée? C'est ici le lieu d'envi-sager à d'autres points de vue le fait cité plus haut,l'augmentation constante de la population scolairedes établissements d'enseignement secondaire.

1° Tous ces élèves sont-ils aptes à recevoir cetenseignement? Seront-ils capables d'aller jusqu'àla fin de leurs éludes et d'obtenir la sanction finale :

le baccalauréat?2° Ceux qui ont réussi à obtenir le baccalauréat

trouvent-ils une place dans la société?Sur le premier point, nous ne pouvons mieux

faire que de citer la remarquable déposition deM. Buisson, ancien directeur de l'enseignement pri-maire, aujourd'hui professeur de pédagogie à laSorbonne :

o — Me permettez-vous de donner un autreexemple de ces exigences sociales dont nous nepouvons pas nous affranchir?

« No parlons plus des familles qui arrêtent pré-maturément des études classiques qu'elles auraientmieux fait peut-être de ne pas commencer. Parlonsdo celles qui vont jusqu'au bout. Elles ont confiéleur fils à un établissement; elles entendent quol'établissement réponde et se charge do le monerjusqu'au terme, c'est-à-dire au baccalauréat. Ellesont raison, je lo veux bien. D'où vient donc qu'il yait tant do déceptions?

« Que de familles voient avec surprise et douleurle jeune homme qui devait leur fairo honneur

6,

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54 LA RÉFORME

échouer piteusement au baccalauréat I II a pourtant« fait toutes ses classes ». Oui, mais ce que la famillen'a pas voulu comprendre, en dépit des bulletinstrimestriels, des notes, des places et des moyennesannuelles, c'est que le jeune homme depuis long-temps o ne faisait rien. » On l'a laissé se traîner declasse en classe, comme s'il y avait une vertu éduca-tive dans le seul fait matériel de la présence sur lesbancs. Le voilà au terme. Sur quoi cotnpte-t-il?Surla chance du dernier jour. Et alors commence ungrand offort, très peu intéressant, très peu profi-table, effort en vue de l'examen, effort de prépara-tion factice, à coups de mémoire et de bourrage. Cechauffage des derniers mois ne répare rien, il

aggrave le mal, car il substitue à l'étude la chance,au savoir, l'aplomb, au travail le succès immérité.

« Et même à ce prix, au prix d'études manquées

que remplace une « préparation » frelatée, com-bien réussissent, si l'on peut appeler réussite lodiplôme ainsi gagné?

o J'ai essayé do faire approximativement cellestatistique sur les relevés publiés par le Ministère

pour les deux dernières années. Les résultats peu-vent, en nombres ronds, se ramener à ceux-ci :

10.500 jeunes gens se présentent à la premièrepartie du baccalauréat, 4.100 sont reçus au mois dejuillet, 6.400sont refusés. De cosG.400, en novembre,il no s'en représente plus que 0.000, soit déjà 400qui y ont renoncé. Sur ces G.000, 2.400 sont admis.

« Au total, avec les 400,qui ont renoncé, cela fait

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 55

un premier déchet de 4.000 élèves sur 10.500.Voyons-les l'année suivante, à la seconde partie : aulieu de 6.500, nous trouvons 7.000 candidats, 500

viennent donc de différentes provenances, co sont

ceux qui avaient échoué une fois, deux fois, troisfois de suite et qui recommencent. 3.700 sont reçusen juillet, 3 400 sont refusés ; en octobre, 1.600 sont

reçus et 1.800 refusés. Total des deux déchetsréunis, 5.200; total des bacheliers, 5.300.

« M. le Président. — Vous êtes bien sûr quo cesrésultats correspondent à la réalité?

« M. Buisson. — Je no veux pas ennuyer la Com-mission du détail de ces chiffres; il est facile de lesreconstituer par le Bulletin du Ministère, où jo lesprends.

« Pour le baccalauréat moderne, les chiffres cor-respondants seraient encore plus affligeants ; je croisqu'il faut reconnaître que la moitié au moins descandidats restent en roule.

« N'y a-t-il pas là un nombre effrayant de non-valeurs?

« Je dis que co sont des non-valeurs à ce moment,parce que co sont des jeunes gens qui n'ont passongé à autre chose jusqu'à dix-huit, dix-neuf,vingt ans, qu'à conquérir ce mince diplôme, beau-coup avec l'espoir de continuer leurs éludes encorodeux ou trois ans pour obtenir la dispense de deuxannées do servico militaire. Tous ces plans s'écrou-lent s'ils no sont pas même bacheliers. Et voilà lesvéritables déclassés, Les déclassés ne sont pas,

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56 LA RÉFORME '

Comme on l'a peut-être trop dit, les bacheliers; cesont ceux qui ayant prétendu au baccalauréat, ayantpassé toute leur enfance et toute leur jeunesse à s'ypréparer, finalement ne s'y présentent pas ou n'yréussissent pas ; c'est de ceux-là que le nombre esténorme, et inquiétant, c'est ce nombre-là qu'il fautabsolument diminuer. »

3 Le déchet sooial de l'Enseignement secon-daire après le baccalauréat.

Sur le deuxième point, M. Chailley-Bert, secré-taire général de l'Union coloniale, professeur àVÊcole libre des sciences politiques, a fait une dé-position qui restera comme un des documents lesplus précieux sur la société française à- la fin dudix-neuvième siècle.

« Parmi les jeunes gens qui viennent auprès demoi, soit à l'Union coloniale française, soit à mescours de VÊcole des sciences politiques, j'en voisbeaucoup qui, après avoir passé par l'enseignementsecondaire, sont, les uns, ce que j'appellerai des

non classés, c'est-à-dire des personnes qui, aprèsdes études de huit à dix années, n'ont pas su sefaire une place dans la société; les autres, qui sontdes déclassés, c'est-à-dire qui sont sortis du milieuauquel ils appartenaient sans arriver a prendre

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place dans un autre. Et je crois que, pour un trèsgrand nombre d'entre eux, on peut rendre respon-sable de celte situation l'enseignement secondairelui-même.

« L'origino du mal provient de co que l'enseigne-ment secondaire, qui a été destiné d'abord à unosorte d'aristocratie, qui autrefois, il y a très long-temps, sous la règle jésuite et janséniste, était des-tiné à donner 1 instruction et l'éducation à une trèsfaible portion de la jeunesse, soit à de futurs grandsseigneurs, soit à des jeunes gens appartenant sansdoute à des classes plus humbles, mais dans les-quels on avait remarqué un esprit distingué, do fu-turs prébendaires, de futurs bénéficiaires, quelque-fois même de futurs parasites de la société, en unmot, je lo répète, à une très petite partie do la po-pulation, cet enseignement a été, par suite de cir-constances nombreuses, étendu à des classes infini-ment plus larges.

« Les contingents, autrefois peu nombreux, sontdevenus aujourd'hui très importants; nous rencon-trons dans nos lycées, à côté d'une petite élite doprivilégiés de l'intelligence ou de la fortune, un con-tingent énorme de jeunes enfants qui, soit fauted'aptitudes, soit faute surtout do ressources, n'au-raient pas dû suivre cet enseignement secondaire,n'ont pas en fait pu lo suivre sans préoccupations,et qui, une fois sortis du collège ou du lycée, setrouvent dans la nécessité de gagner leurvie, s'aper-çoivent trop lard des résultats médiocres que l'en-

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scignoment secondaire adonnés, en tant qu'il anégligé de les préparer à la vie, au genre df) vie quiles attendait.

« Cette disproportion de l'effort tenté avec le ré-sultat obtenu, ou plutôt cette divergence de laroute suivie avec le but à atteindre, tient à des cir-constances encore récentes, qui sont d'ordre social,devant lesquelles nous sommes obligés de nous in-cliner, mais qu'il importe de mettre en évidence etqui se résument en ceci : l'enseignement secondaireest suivi par une majorité d'élèves à qui il ne con-vient pas, à qui même il est préjudiciable, parcequ'il donne à leur esprit et à leur corps, à leur ca-ractôro, des habitudes que la vie contrariera etqui les gêneront, les retarderont ou même les arrê-teront dans la vie.

« Quand l'enfant est sorti de l'enseignement se-condaire, il a déjà au moins dix-huit ans, s'il estbachelier es lettres des deux parties, dix-neuf anss'il est en outre bachelier es sciences : que va-t-ilpouvoir fairo? Voilà la quoslion qui se pose devantlui et devant la famille et devant la société.

« On lui a dit que le baccalauréat, sanction del'enseignement secondaire, lui ouvrirait toutes lesportes ; il se tourne vers lo monde et il s'aperçoitque le baccalauréat no lui en ouvre aucune oupresque aucune. Cotte constatation faite, de deuxchoses l'une : ou c'est un garçon d'une intelligencesupérieure à la moyenne et immédiatement, fautede trouver autre chose, il continuera ses études,

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il se lancera à la conquête de quelque licence ou doquelque doctorat, ou bien c'est un garçon d'intel-ligence médiocre, qui ne tardera pas à se décou-rager et végéter, en attendant l'heure d'entrer pourtrois années au service militaire.

« Objectera-t-on qu'il y a desécolesde commerceoù il lui est loisible d'entrer.

« Ces écoles de commercereconnuesparl'Etatvoientaffluer dans leurs classes des jeunes gens qui n'ontcertes pas le génie du commerce, qui môme sou-vent n'en ont pas les aptitudes et ne posséderontpeut-être jamais les ressourcesnécessairespour s'é-tablir. Ils entrent dans ces écoles par la voie du con-cours; ils apprennent du commerce tout ce quipeut s'apprendre dans une école, mais ils en igno-reront tout ce qui s'apprend dans la pratique : carils ne serontpas commerçants. Ils l'ont, au concours,en bons élèves qu'ils sont, emporté sur d'autres,moins.bien doués pour subir une épreuve de cogenre, mais peut-être mieux armés pour faire plustard de bons commerçants. Ils les ont écartés. Usles ont privés du bénéfice des études de l'école etde celui do l'exemption de deux années de servicemilitaire ; mais ils no seront pas pour cela commer-çants. Ils invoqueront le plus souvent, ils se con-tenteront d'invoquer le diplôme que l'école decommerce leur a délivré, pour réclamer une place.En sorte que cette loi militaire de 1880 contribueà nous préparer une classe do fonctionnaires jus-qu'ici encore inconnue, un fonctionnarisme nou"

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veau, le fonctionnarisme commercial (1), à l'usagedéjeunes gens qui, entrés au concours dans lesécoles de commerce reconnues par l'Etat, n'avaientpas cependantles qualités nécessaires pour devenirplus tard des intéressés ou des associés dans lesmaisons de commerce. i

a II futun tempsoù un jeune homme, sorti de l'en-seignementaprès avoir fait de bonnes éludes etavoirpris et montré des habitudes de travail, avait plusde chances qu'aujourd'huipour trouver dans lecom-merce et dans l'industrie certains débouchés. C'estle temps, pas encore très loin de nous, où une cer-taine oisiveté élégante n'était pas encore, commeelle l'est devenue aujourd'hui dans notre pays, unecause de déconsidération. Un homme qui avait tra-vaillé ne s'indignait pas alors que son fils ne fîtrien. Et je n'étonnerai pas la Commission — je seraimême soutenu par l'un de ses membres que je vois

en face de moi, par M. Aynard — en disant que,pendant longtemps, le grand commerce et lagrande industrie n'ont pas eu pour habitude régu-lière de se recruter de père en fils. Il a été dressé,notamment à Lyon, une statistique des « raisonscommerciales » qui a démontré que le cas où le 111s

succédait au père a été, pendant très longtemps,infiniment rare; si je ne me trompe, la proportionétait de 3 ou 4 0/0.

(i) Il ne faut pas davantage encourager le fonctionnarismeagricole et le fonctionnarisme colonial.

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« M. Edouard Aynard. — C'est moi qui ai établicette statistique. C'est à Lyon que la proportion estla plus forte, tout en étant très faible ; j'avais pris,comme base, 1,000 maisons commerciales de Lyon.

« M, le Président. — C'est d'ailleurs un fait cer-tain.

« M. Chailley-Bert. — Cette situation, tout à faitregrettable à beaucoup d'égards, avait, par contre,des avantages. Il en résultait, pour les enfants decelte démocratie montante qu'a toujours été laFrance, pour ceux dont les parents n'étaient pasriches, mais qui avaient fait de bonnes éludes, il enrésultait un large débouché. Ces jeunes gens, ayantfait au collège, au lycée, dans les écoles, leurspreuves de travail et d'inteî'igence, pouvaient seprésenter dans les grandes maisons de commerce etd'industrie dont les fils mêmes de patrons déser-taient la direction; ils se présentaient donc dansces maisons, non pas en prétendants immédiats à ladirection; mais, si je puis dire, en pupilles dechoix, en apprentis-palronsde l'avenir, qui seraientformés par le patron, pour devenir plus tard d'a-bord intéressés, puis associés, et arriver ensuite,couronnement de carrière, à la situation de patronseux-mêmes.

a C'est ainsi que nos grandes écoles, l'Ecole poly-technique, l'Ecole centrale et bien d'autres, étaientune pépinière pour le recrutement dos premièresplaces dans le haut commerce et dans la haute in-dustrie.

C

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« Cette situation s'est modifiée sous l'influencede conditions sociales que vous connaissez beau-coup mieux que moi et dont les principales sont,d'abord, la baisse du taux de l'intérêt et ensuite cettesorte de mépris dans lequel, comme je le disais toutà l'heure, la société aujourd'hui commence à tenirles oisifs.

« Celle diminution du nombre des oisifs de plai-sir, — circonstance heureuse pour la nation — aeu une conséquence à première vue préjudiciableà la démocratie. Tous ces beaux fils qui, aupara-vant, refusaient d'entrer dans la carrière paternelledu commerce, de l'industrie ou de la banque, et qui,

par suite, laissaient la porte ouverte aux fils do ladémocratie, élèves de notre enseignement secon-daire ou supérieur, tous ceux-là sont aujourd'hui,et par les circonstances, et par leurs préférencesmômes, inclinés à continuer l'oeuvre paternelle, àsuccéder à leurs pères. Par suite, le commerce,l'industrie, la haute banque se recrutent désormaispour ainsi dire parmi leurs propres membres : ilfaut être le fils, le neveu, lo filleul ou l'ami d'unhomme dans les grandes affaires pour pouvoir y en-trer soi-mômo avec l'espoir d'arriver à s'y faire unesituation; et il est à pou près impossible à un jeunehomme d'un autre milieu, à un fils, par exemple,de professeur, de fonctionn tire — à moins de cir-constances exceptionnelles —do se dire : « Je m'envais entrer dans le commerce par la grande porte,jo vais faire partie du grand état-major commercial

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 63

et, rapidement, j'y conquerrai une situation. » Celan'est plus de ce temps.

« Il en résulte que les jeunes gens se tournentd'un autre côté.

«Faute de pouvoir entrer dans le commerce parla grande porte, de débuter, commeje le disais toutà l'heure, parles postes d'état-major, ils sont obli-gés de débuter par les petits emplois; je ne dis pasdans des emplois répugnants, car rien n'est répu-gnant pour qui fait son devoir, mais dans des placeshumbles, obscures, qui leur feront parcourir unevoie modeste, avec un avancement difficile et desémoluments médiocres. Ils n'auront pas, ils lo sa-vent, la perspective do devenir un jour des chefs,des hommes indépendants ; ils seront toute leur viedes subalternes, honorés, sans doute, et considérés,mais enfin des subalternes. A ce mom.ent-là, toutecette éducation, fruit de cet enseignement secon-dairo qu'ils ont suivi, surtout s'ils ont été bonsélèves, avec tant do plaisir et de joio intérieure,tout cela pèse lourdement sur eux. On no les avaitpas préparés à ce genre d'existence.

« Ainsi, vous lo voyez, voilà que se précise trèsnettement mon premiergriefcontre l'enseignementsocondaire. Je lui reproche, quel qu'il soit, classiqueou moderne, de ne pas acheminer les jeunes gonsaux besognes do la vie, de no pas les incliner dou-cement vers elles, do les éloigner d'elles, do lesélever au-dessus d'elles, de leur laisser croiro qu'ilssont supérieurs à elles.

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ce Et.ce résultat de l'enseignement secondaire estfatal. Il est indépendant du maître, il tient à l'airrespiré ; il tient au milieu, à la fréquentation.Prenez un jeune homme d'humble condition ;mettez-le, plongez-le durant quelques années dansla société riche et élégante; en vain vous lui prê-cherez plus tard les goûts modestes et l'amour de lasimplicité, son âme sera imprégnée de luxe et demondanité. De même, l'écolier de l'enseignementsecondaire. On l'a fait vivre durant sept ou huitannées avec l'élite de l'humanité; on l'a promené

sur les sommets de la pensée humaine; on a dé-formé son âme, ennoblie sans doute, mais, en uncertain sens, amollie; on lui a donné des émotionsinconnues, entr'ouvert des joies mystérieuses, pré-paré pour les jours de tristesse des retraites sûresloin de la vie et de l'activité; on l'a élevé au-dessusde sa condilion d'hier et de celle de demain? on arenversé les plans de l'existence; on a tout mis au-dessous des choses de l'esprit, on l'a ineffaçable-ment marqué pour la contemplation de la vie spécu-lative.

« S'il en est qui échappent à celle règle, c'estqu'ils ont échappé à l'action de l'enseignement se-condaire; le système d'éducation n'a pas eu de prisesur leur esprit ou trop paresseux ou trop pratique.Quant aux autres, d'instinct ils se détournent doscarrières où, pour réussir, il faut engager l'être

.

entier, corps et esprit; ils s'acheminent vers cellesoù l'on ne donne guère qu'une partie de soi-même.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 65

(et c'est à cela qu'il faut attribuer le fonctionna-risme lettré, qui a toujours caractérisé l'adminis-tration française). En un mot, ceux que l'enseigne-ment secondaire a pénétrés ne peuvent être quedes lettrés, des professeurs, des « carrières libé-rales », des fonctionnaires, non pas des produc-teurs de richesses matérielles et d'énergie sociale :industriels, commerçants, colons.

« La vie les pousse cependant vers des rôles quine sont pas à leur convenance. Mais comme je ledisais, dans le commerce et dans l'industrie, ils nopeuvent plus être d'emblée capitaines ou seulementlieutenants ; il leur faut débuter commo soldats. Us

s'y résignent. Mais, en tant que soldats, les patronspréfèrent à ces « résignés » — et voilà mon secondgrief contre l'enseignement secondaire, qui retientles jeunes gens si lard à l'école, loin de la vie — à

ces résignés les patrons préfèrent des jeunes garçonsde quinze ans, fils de l'enseignement primaire,souples, malléables, sans préjugés, dont la moindreplace remplit toute l'ambition, qui feront avec joiela besogne quotidienne et ne seront pas sans cesseà compter les jours qui passent, attendant, avec im-patience et bientôt avec irritation, un avancementqui satisfasse leur vanité et leurs besoins.

« En sorte que ces produits de l'enseignementsecondaire, qui ont cru déchoir en se résignant àces besognes obscures, ne sont même pas aptes àles bien faire : ils sont surchargés d'un poids mortqui les retarde. )ls seront dépassés par une foulo de

6.

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jeunes gens dont l'esprit est moins orné et l'âmemoins sensible. Ils risquent de faire des mécontentset même des ratés.

« Si les élèves de l'enseignement secondairen'étaient qu'un petit nombre, ce ne serait làqu'un faible inconvénient; mais, au contraire, lapopulation scolaire qui suit cet enseignementest très considérable ; et dans cette populationil existe une très forte proportion (60 à 70 0/0, sij'en crois mes souvenirs d'écolier do province) dejeunes gens qui sont dans la condition que j'aiindiquée plus haut, c'est-à-dire qui n'ont ni cetteintelligence de haute envergure qui leur permettrade profiter de tout l'enseignement secondaire etensuite de s'envoler vers l'enseignement supé-rieur, ni une situation de fortune suffisante pourvivre plus tard en indépendants, sans avoir à utili-ser comme gagne-pain des connaissances acquises.Pour reprendre ce que je disais au début, l'en-seignement secondaire reçoit parmi ses écoliers

non pas seulement des enfants à la fois intelligentset riches ou des enfants seulement intelligents, —les deux seules classes auxquelles il peut conve-nir, —

mais des enfants qui ne sont que richos sansêtre intelligents, et d'autres qui ne sont ni riches, nitrès intelligents. Pour les riches inintelligents, si

les éludes de l'enseignement secondaire ne leur pro-fitent pas, il n'y a que demi-mal : leur bôliso plusornée sera plus ridicule, mais la société n'ensouffrira pas ; ils ne seront ni des déclassés, ni des

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non-classés : un homme riche est toujours classédans une société. Au contraire, pour les jeunes gensde condition moyenne et de moyenne intelligence,si, au sortir du lycée et de la faculté, qui souvent enest la suite, ils se voient déçus dans toutes leursespérances, ils ont le droit d'accuser l'enseignementsecondaire de les avoir mal préparés à la vie. Etc'est là tout mon grief contre cet enseignement. »

Mômes doléances dans les rapports des Chambresde commerce et des Conseils généraux.

« La connaissance des langues anciennes no pro-file qu'au très petit nombre qui s'y applique aucours de ses éludes et qui en lire ultérieurementparti soit pour ses occupations professionnelles, soit

pour la culture générale de l'esprit. Le reste auraappris peu de chose, n'en retient presque rien, etplus tard so demande pourquoi il a passé tantd'années à se frotter à des livres dont la matiôro lui

est demeurée presque étrangère. Des résultats aussimédiocres font prononcer souvenl la condamnationde l'enseignement classique. Il est regrettable quedans le grand nombre do ceux que leurs parentsmottent à môme de recueillir un si grand profit in-tellectuel, si peu on aient lo bénéfice. » (Chambrede commerce de Rouen.)

« L'enfant ne sait pas (comment, tout à fait inex-périmenté, s'en rendrait-il compte?) que l'instruc-

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tion des lycées, des collèges, conduit plutôt à desdésillusions et quand il s'en aperçoit, il est trop tard,le mal est fait. » (Chambre de Commerce de Gray.)

Qu'esl-il besoin d'ajouter à ces réquisitoires? Quipourrait nier, après les avoir lus, le méfait social dpl'enseignement secondaire?

Rien que dans l'enseignement classique latin,5,200 non bacheliers contre 5,300 bacheliers. Et surces 5,300 bacheliers, la moitié au moins de mé-diocres, à qui le baccalauréat ne saurait conférer ni

une valeur intellectuelle, ni une utilité sociale.Déchet avant le baccalauréat, déchet, après, dé-classés, non classés, ratés ou déformés, quel cortègede futurs parasites traîne après lui notre enseigne-ment classique I Pour les élèves et pour leurs pa-rents, que de cruelles déceptions, et pour la société,quel gaspillage et quelle déperdition d'énergies I

Jusqu'ici l'Université no s'est guère préoccupée dusort des malheureux qu'elle recrute invita Minerva,et qu'elle prétend initier, en dépit qu'ils en aient,

aux beautés des lettres gréco-latines. Il faut dire à

son honneur qu'elle s'en préoccupe aujourd'hui,ainsi qu'en témoignent les dépositions des pluséminents parmi ses membres. Il n'y a plus, j'aimeà le croire, d'humanistes assez fanatiques pouraccepter d'un coeur léger de tels sacrifices humains,comme si fatalement le sacrifice dés « âmes viles »devait être la rançon de celte aristocratie quis'élève par les lettres antiques, au plus haut

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degré de perfection humaine I (humaniores litières.)Sans doute le premier remède au mal est dans

une réorganisation de l'enseignement secondairemieux adapté à là fois aux besoins sociaux et auxfacultés des élèves. Mais il faudra de plus trouver le

moyen de le désencombrer, de réduire ses contin-gents par une sélection et une élimination telle queceux-là seuls puissent s'y maintenir et persévérerqui auront prouvé leur aptitude à le recevoir avecprofit pour eux-mêmes et pour la société.

Trop de candidats au baccalauréat qui ne serontjamais bacheliers, trop de bacheliers qui ne trou-veront pas à gagner leur vie, voilà une pléthore fu-neste à laquelle il faut remédier. Il y a dispro-portion entre l'offre et la demande, il y a ruptured'équilibre. Il est urgent de rétablir la proportionet l'équilibre pour ramener à la santé l'organe etl'organisme.

40 La solidarité des divers ordres d'ensei-gnement : continuité du primaire et dusecondaire.

Enfin il est naturel et logique que les divers or-ganes d'un même corps loin de se contrarier harmo-nisent leurs efforts et combinent leurs mouve-ments. Dès lors, l'enseignement secondaire ne doitpas s'isoler et s'abstraire orgueilleusement ; il doit,

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70 LA RÉFORME

surtout dans une démocratie qui met son honneurà donner et même à imposer à tous l'instruction,être lo prolongement normal de l'enseignement pri-maire.

« Si ce fait est bien établi, ne va-t-il pas influersur notre conception du lycée? Pouvons-nous en-core nous le représenter comme réservé à un petitgroupe de privilégiés et n'ayant à s'occuper que doceux-là? Mais non. Il faut et il faudra de plus enplus qu'il s'ouvre à tous. Pas plus pour les enfants,encore moins pour les enfants que pour les hommesil ne doit y avoir de distinction de classes dues à lapuissance et à la fortune. Que ce soit ou non leurvéritable intérêt, tous également doivent avoir libreaccès à l'enseignement secondaire sans que nullebarrière artificielle s'interpose. Et voilà de suiteéliminés tous les systèmes qui tendent plus oumoins clairement à cette chimère do constituerd'abord une élite d'élèves à laquelle sera réservé unenseignement d'élite. Ce n'est plus possible cheznous. L'élite, on no sait pas où elle est aujourd'hui,où elle sera demain ; il faut que le lycée, comme lasociété, contribue à la faire, mais la laisse se fairetoute seule (1). »

11 faut donc qu'un bon élève de l'enseignementprimaire puisse accéder sans difficulté à l'enseigne*ment secondaire, soit classique, soit moderne. Sansprendre parti pour ou contre l'une ou l'autre de ces

(i) Buisson.

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deux formes d'enseignement, nous ferons remar-quer tout de suite que celte nécessité de la conti-nuité du primaire et du secondaire s'oppose radica-lement au rétablissement du latin en septième.Il serait antidémocratique au premier chef de créer

par l\ un privilège en faveur des favorisés de lafortune qui peuvent fairo leurs premières études aulycée, et au défriment des élèves de l'école pri-maire qui, non initiés aux rudiments du latin nepourraient entrer de plain pied en sixiômo.

S'il est juste d'imposer à tous le même enseigne-ment primaire, il no faut pas que les classes pri-maires du lycée diffèrent do l'écolo primaire voi-sine. L'enseignement secondaire s'offrira donc àtous, quelles que soient les origines, sans distinc-tion, et par conséquent, sans injustice.

Le même principe de justice et do solidaritéexige que les programmes de l'enseignement se-condaire soient ainsi faits, qu'un élève distingué dol'école primaire supérieure puisse passer au lycéeet parfaire ses études sans solution de continuité.Pourquoi cet élève serait-il considéré commo unintrus, s'il mérite d'êtro adopté et si, par ses apti-tudes littéraires ou scientifiques, il s'est montré ca-pable de faire honneur à l'enseignementsecondaireclassique ou moderne?

M. le Président. « Considérez-vous qu'on puisserapprocher, en faisant de l'un la suite de l'autre,l'enseignement primaire supérieur et les classossupérieures modernes?

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72 LA RÉFORME

M. Buisson. « Cela me paraît être un des plusgrands besoins de la France scolaire en ce ^mo-ment,

« De même que de l'enseignement primaire élé-mentaire on peut passer au primaire supérieur, ilfaudrait que du primaire supérieur on pût passer àl'enseignement moderne. Nous avons trop de com-partiments, trop de cloisons étanches, pas assez decommunications. Evidemment ces passages d'uncadre à l'autre ne seraient pas faciles dans l'orga-nisation actuelle, qui s'attache à les différencier.Pour rendre la chose possible, facile môme, d'aprèsle témoignage de très bons juges, il y aurait desadaptations à faire, des correspondances à établir,tout un travail de programmes assez minutieux, jecrois. Le jour où on le prescrira à l'Université,, ellele fera, et elle le fera bien. Il est très désirablequ'on le lui demande, car actuellement il y a untrop grand nombre d'enfants qui ne peuvent pasbénéficier de leurs études, uniquement parce qu'illeur manque quelques mois de scolarité, ou bien

parce qu'ils n'ont pas prévu qu'ils auraient besoinde telle ou telle matière, d'une langue vivante parexemple, ou parce qu'ils n'ont pas été prévenus àtemps de telle ou telle condition requise pour en-trer dans telle carrière. Il en est qui, faute de pou-voir être admis à quinze ans au collège, en sortantde l'école primaire supérieure, doivent renoncer aubaccalauréat qu'ils auraient facilement obtenu enquelques mois. Cela ne devrait pas être.

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DE L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 73

« C'est un meurtre de laisser ainsi en détresse debraves enfants de la classe moyenne, faute d'avoirmieux aménagé les transitions et ouvert à chacunsa voie. Dans un système d'établissements scolairesbien gradués et bien hiérarchisés, il ne doit plus yavoir d'impasses. ».

Telle est la définition sociale de l'enseignementsecondaire. Ce qui doit déterminer ses formes etses programmes, ce ne sont ni les préférences del'Université, ni les doctrines do tel ministre ou dotel pédagogue : ce sont les conditions do la société,

ce sont les faits sociaux. Bon gré, mal gré, il fautque la pédagogie s'y adapte. Quo l'Université abjure

— et c'est plus qu'à moitié fait — ses préjugés aris-tocratiques sur l'éducation « libérale » ; qu'elleélargisse son idéal et qu'elle consente à.préparer et

• à former — non plus comme naguère une catégoriede l'élite

—mais l'élite tout entière..

« Celte élite (1), comprend non seulement lesfuturs savants, les futurs écrivains, les futurs ar-tistes, les futurs fonctionnaires de divers ordres ;

mais elle renferme aussi les chefs de toutes lesprofessions, sans exception aucune : finances, com-merce, transports, industrie, agriculture, colonisa-tion, tout ceux enfin qui, par leur intelligence, leurfortune, leur notoriété, leurs loisirs, peuvent exer-cer une influence sur leurs compatriotes. »

Voilà ce qu'est l'élite dans la démocratie mo-

(i) Foncin.

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74 LA RÉFORME.

iderne. L'université a trop de science et de cons-cience pour ne pas se convertir à l'évidence desfaits. Nous osons d»re, avec une pleine et entièreconfiance, qu'elle ne'trahira pas les intérêts de laFrance et de. la démocratie.

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il

LE PROBLÈME PEDAGOGIQUE '. HUMANISME ET

« RÉALISME ». LE PASSÉ ET LE PRÉSENT

1° Le Passé. — Né du manque d'adaptation auxconditions sociales, le malaise de l'enseignementsecondaire no date pas d'aujourd'hui : il dalo detrois siècles. Il existe à l'état latent sous l'AncienRégime; à l'état symptomatiquo depuis la Révolu-tion ; à l'état aigu aujourd'hui. Tiraillé outre la di-rection libérale et la direction utilitaire, entre lapréparation à l'enseignement supérieur qui lui pa-raît son office propre et la préparation à la vie pra-tique à quoi il répugne, l'enseignement secondairen'a pas encore trouvé sa formule libératrice et défi-nitive.

Rien n'est plus instructif que l'histoire do cettelutte entre 1' a humanisme » et lo « réalismo », cesdeux tendances antagonistes, aussi légitimes et

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76 LA RÉFORME

aussi invincibles l'une que l'autre, les mêmes danstous les pays civilisés.

Depuis la Renaissance (1), le collège d'enseigne-ment secondaire est conçu et organisé par les jé-suites comme uniquement préparatoire à l'ensei-gnement supérieur. L'enseignement est le mêmepartout : beaucoup de latin, un peu de grec, unpeu de mathématiques, avec une durée de six an-nées, au bout desquelles le jeune homme obtenaitune lettre testimoniale lui permettant de prendredans l'Université ses grades.

On est arrivé ainsi jusqu'en 1789* La Révolutioneut alors uno occasion excellente* de réorganisertout notre enseignement par la suppression desordres religieux qui en avaient le monopole. Mal-heureusement la Révolution ne sut encore conce-voir l'enseignement secondaire que comme unepréparation à l'enseignementsupérieur. Pour Tal-leyrand, l'école moyenne secondaire « est destinéeà ceux qui n'étant appelés ni par goût, ni par be-soin à des professions mécaniques, aspirent àd'autres professions, le ministère ecclésiastique, lamédecine, le barreau, la chirurgie ».

La Révolution en supprimant les ordres religieuxconservait «la pédagogie qui faisait des moines»...,et des fonctionnaires. Si bien que Roger Martin,rapporteur de l'Instruction publique au Directoire,

(i) Je résume ici l'exposé historique si substantiel et silumineux de M. E, Bourgeois, maître de conférences àl'Ecole normale supérieure.

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DE L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 77

pouvait dire à la fin de la Révolution : « Tout lecours de l'Instruction publique, hors celui d'ap-prendre à lire et à écrire, est interdit aux enfantsd'une foule de citoyens aisés sans être riches, pou-vant sacrifier quelque temps et quelques avances àperfectionner leur éducation après l'école pri-maire ».

Ainsi la Révolution, qui a tant fait pour l'ensei-gnement primaire et l'enseignement supérieur, n'arien fait pour l'enseignement secondaire.

L'Empire à créé les Lycées. Ce mot a été depuis1802 la source d'une confusion qui dure encore.Pour Napoléon, le lycée devait être un établisse-mont exclusivement destiné à lui former par unebonne culture classique, des fonctionnaires et desofficiers pourvus des connaissances nécessaires auxétudes supérieures.

Le lycée devait rester une exception et n'étaitpas établi pour donner un enseignement moyensecondaire (36 lycées en province, 5 à Paris). Cetenseignement secondaire moyen, Napoléon ne l'ins-titua pas plus que la Révolution.

Vers 1823, Guizot, Charles Renouard, Saint-MarcGirardin, Cousin se préoccupent de la question.« N'y a-t-il pas dans notre système d'instructionpublique, entre les écoles primaires et les collègesconsacrés aux études classiques, une immense etdéplorable lacune qu'il serait utile do combler?»(Tablettes universelles, 1823). — « En France, entrel'instruction primaire et celle do nos collèges, il

7.

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78 LA RÉFORME

n'y arien. Un cri s'élève d'un bout de la France àl'autre et réclame quelque chose. » (Cousin.)

Mais (en 1833), pour remédier à ce mal et com-bler celte lacune, fut commise une faute capitaledont les effets durent encore.

Guizot créa cet enseignement secondaire moyendestiné à la moyenne de la nation et qui ne fut plusseulement un enseignement d'exception préparantà l'enseignement supérieur. Mais, au lieu de l'ap-peler : enseignement secondaire intermédiaire,comme le proposaient Saint-Marc Girardin et Cou-sin, Guizot, n'osant pas donner le privilège do l'en-seignement secondaire à cet enseignement inter-médiaire, l'appela a primaire supérieur ». On eutbeau écrire primaire en petites lettres et supérieuren très gros caractères, lo nouvel enseignementétait discrédité d'avance. Cousin l'avait prédit : « Ilfaut un nom qui puisse plaire à la vanité des fa-milles. » — Dès lors cet enseignement, — par celamôme qu'il était primaire — restait sans clientèle.Frappé de co fait, Villomaiu, alors ministre (.841)se dit : « Puisque c'est l'aspect primaire élémen-taire et le nom qui détournent les familles du nouvelenseignement, il faut le rattacher au collège clas-sique dans le même local, sous la môme direction,avec les mômes maîtres. » Ce fut la seconde faute,qui aggrava le mal au lieu do le corriger. Cet en-seignement sans sanction, méprisé, que M. de Sat-vandy appelle spécial en le réorganisant (1847),était dans uno situation tout à fait fausse.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 79

En 1864, Duruy tenta encore une fois d'établircet enseignement secondaire destiné aux futurs agri-culteurs, commerçants, industriels. Il eut le tort delui conserver ce nom de spécial, qui est un contre-sens. « L'Université (1) presque tout entière lui fit

une guerre acharnée. Et lo nouvel enseignementmalgré des prodiges d'ingéniosité et de patience,malgré le dévouement et la foi de ses maîtres, etbien que desrésultats considérablesfussentobtenus,ne tarda pas à succomber. »

Il a disparu ; à sa place on a mis l'enseignementmoderne (1886-1891), qui est tout autre chose.C'est un enseignement classique nouveau, en con-currence avec l'enseignement classique traditionnel

— et comme celui-ci il prétend conduire à l'ensei-gnement supérieur et de là à l'obtention de tous lesgrades.

La conclusion de cet exposé historique — qui

nous aide à mieux comprendre la situation présente

— c'est que depuis trois siècles la nation n'a puobtenir ni de l'Etat, ni de l'Université cette éduca*tion moyenne qui est un des besoins les plus pres-sants de l'économie nationale. Depuis trois sièclesl'enseignement secondaire n'a été qu'une prépara-tion à l'enseignement supérieur et jamais une pré-paration à la vio pratique, aux carrières actives.Qu'on s'étonne après cela qu'il y ait toujours eu enFrance trop de candidats aux fonctions libérales ouidéologiques et pas assez aux fonctions productives.

(i) Lavlsse.

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80 LA RÉFORME

Cette réforme do l'enseignement secondaire, quonous n'avons jamais su faire chez nous, a été, il y aplus d'un siècle, réalisée en Prusse par Frédéric leGrand et son ministre Zedlitz, puis bientôt, à l'imi-tation do la Prusse, adoptée p'ar tous les Etals alle-mands (I) « Celte réforme fut une modification desplans d'études dans un sens à la fois plus scienti-fique et plus utilitaire, plus rêal, disent les Alle-mands, plus moderne, disons-nous aujourd'hui. Delà datent la fondation et le développement desécoles réaies d'une part, et, d'autre part, la réorga-nisation des études humanistes pour les gymnases. »

2° Le présent.

Avant de chercher ce que l'enseignement secon-daire doit être demain, voyons ce qu'il est aujour-d'hui.

Officiellement, il y a dans les lycées et collègesdeux enseignements : le classique et le moderne.

Officieusement^ certains établissements ont tenté,avec plus ou moins de succès, d'instituer à côté dumoderne un enseignement plus pratique et pluscourt, etqu'on a nommé enseignement moderne B,

pour le différencier du type officiel qui s'intitulemoderne A. Sous un nouveau nom, c'est, la résur-rection de l'ancien enseignement spécial. Ces ten-tatives ont une signification très nette; elles attes-tent, avec la force du fait, cette vérité, que nous

(i) Pinloche, l'Enseignementsecondaire en Allemagne.

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DE L'ENSFIGNEMENT SECONDAIRE 81

nous sommes efforcés de prouver plus haut parraison démonstrative : la nécessité d'un enseigne-ment utilitaire, nécessité si évidento et si impé-rieuse, que l'Université, pourtant si consorvatricoet si prudente, a pris sur elle-même do la recon-naître et de s'y soumettre.

L'enseignement classique et l'enseignement mo-derne se partagent à peu près également la popula-tion des lycées et collèges. Remarquons toutefoisune différence de proportion : dans les collèges,2/5 pour l'enseignement classique et 3/5 pour l'en-seignement moderne; inversement dans les lycées,2/5 pour l'enseignement moderne et 3/5 pour l'en-seignement classique.

Toute la différence, dans ce dernier cas, tientà Paris, où le moderne s'est constitué très tard,quand la place était déjà prise par Chaptal, J-B. Say,Turgot, Arago et les autres grandes dcofes muni-cipales (1).

(l) Voici d'après la dernière statistiquefîfficielle (5 novembre1900) l'effectif scolaire des deux enseignements, classique eimoderne.

En 1900-1901

. , ( Classiques 19.707 élèves.MCeeS '-[Modernes H.963 -„ ... ( Classiques 9.000 — environ.Coll^es {Modernes M.OJO - -

D3 1S93 à 1900L'enseignement classique descend de 80.597 élèves )

x ,« -«,1 perte. S90à 19.707 — ) l

L'enseignement modernt va de 14.193 — ) '. „„,°. i giin.. 772a 14.968 - ) b

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82.

LA RÉF0I1MK

La vitalité do l'enseignement moderne ne sauraitêtre plus éloquemment affirmée que par cettosimple statistique.

Chacun sait que la différence essentielleentro cesdeux enseignements, c'est que la base de l'un estle latin et que la base de l'autre est le français'etles langues vivantes.

Tous deux d'aillours sont des enseignementsclassiques, c'est-à-dire, préoccupés avant tout deformer l'esprit, de lo préparer à la haute culture.Les méthodes diffèrent, mais le but ost le môme.

Il n'y aurait aucun mal à cette dualité si les douxenseignements étaient également excellents, si la

diversité des méthodes produisait l'équivalence desrésultats: Le corollaire serait l'égalité de sanctions,c'est-à dire le libre accès à l'enseignement supérieursous toutesses formes.

Or c'est précisément là que gît toute la difficulté.Théoriquement, on discute encore sur la valeurréciproque des deux enseignements : c'est l'éter-nelle querelle des anciens et des modernes. Pra-tiquement, l'Etat prend parti en consacrant officiel-lement — par l'inégalité des sanctions — la supério-rité effective d'un enseignement, sur l'autre (1). Etc'est de cette inégalité que naît la crise pédagogiquede l'enseignement secondaire, on tant qu'enseigne-ment préparatoire à l'enseignement supérieur.

(i) On verra plus loin les avantages faits aux élèves clas-siques pour l'entrée à l'Ecole polytechnique.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 83

L'Etat, qui a institué l'enseignement moderno àcôté de l'enseignement classique, a manqué dodécision ou do franchise. Comment ! disent les dé-fenseurs do l'enseignement moderno, vous admettezqu'un bachelier moderne est capable d'entrer àl'Ecole normale supérieure (sciences), à la Facultédes sciences, à toutes les écoles scientifiques et ilserait incapable d'entrer aux facultés do Médecine etde Droit. Il pourra être professeur, officier, ingé-nieur et il ne pourrait ôtro médecin ou avocat. Vous

avez trop donné — ou pas assez : trop si l'enseigne-ment moderno n'est pas un enseignement capablede mener à l'enseignement supérieur; pas assezs'il en est capable. Dès lors le dilemme vous presse :il faut ou donner vie pleine et entière à l'enseigne-ment moderne, ou io supprimer. Il est temps deprendre parti.

Le régime actuel de la dualité et de l'inégalité6st intolérable. C'est le régime du privilège et del'injustice. Et ceux qui en- pâtissent ont d'autantplus raison de se plaindre qu'ils n'ont aucun moyend'y échapper.

Une fois entré dans l'enseignement moderne (ilfaut se décider à douze ans !) l'enfant a pris unedétermination définitive. Il s'est condamné — sansappel — à l'enseignement moderne à perpétuité.Les deux enseignements se donnent bien dans lemême établissement, lycée ou collège, mais ils sontjuxtaposés et parallèles, et à aucun moment deséludes, il n'y a entre eux possibilité de communica-

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84_

LA RÉFORME

tion. Impossible de changer si, chemin faisant, ons'aperçoit qu'on s'est trompé de route. Et pourtant,dit le sage, il est humain d'errer et diabolique depersévérer I

On comprend dès lors que les parents hésitentavant de confier leurs fils à l'enseignomentmoderne.Il est toujours grave de brûler ses vaisseaux, et c'estce que l'Etat demande aujourd'hui à un enfant dedouze ans! Dans ces conditions, le recrutemont nese fait pas d'une façon normale — et loyale.

3° L'exemple de l'Allemagne. '

L'égalité de sanction ou la suppression de l'ensei-gnement moderne considéré comme classique, voilàles alternatives entre lesquelles il faut choisir.L'exemple de l'Allemagne, où le même problèmes'est posé, et où la solution définitive est aujour-d'hui officielle, est à cet égard assez instructif.

Faute de sanction, l'enseignement réal, quoiquerépondant à un besoin social indéniable, avait peineà recruter des élèves, dans les classes supérieures.

« Dès lors commença (1) l'agitalion'pour obtenir enfaveur de l'enseignement réal des sanctions égalesà celles de l'enseignement classique. Sous la pres-sion de l'opinion publique qui se manifestait pardes pétitions de plus en plus pressantes, le ministère

(1) Pinloche, opus citatum.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 85

résolut de consulter les Universités en 1860 sur lesfacilités d'accès qu'elles pourraient accorder auxélèves de l'enseignement réal. Il va sans dire quel'avis des Universités fut négatif.

« Le ministère prit alors sur lui de décider queles élèves pourvus du certificat de maturité desétablissements d'enseignement réal du 1er ordrepourraient prendre leurs inscriptions dans les Uni-versités pour les lettres et les sciences et être admis

aux examens pour le professorat do mathématiques,de sciences naturelles et de langues modernes(7 décembre 1870). »

Restaient les études de droit et de médecine quiétaient inaccessibles. La lutte pour l'égalité com-plète fut rendue plus vive encore par le quasitriomphe des partisans de l'enseignement réal. Pluson est près du but, plus on y tend avec ardeur.Aujourd'hui la lutte touche à sa fin.

« La conférence scolaire de Berlin, de nouveauréunie cette année du 6 au 10 juin, sur la convoca-tion de l'empereur a décidé presque à l'unanimité,que les Universités devaient être ouvertes indistinc-tement aux élèves des gymnases, des réalgymnaseset des écoles réaies, sauf à organiser dans chaquefaculté des cours préparatoires pour compléter leurinstruction spéciale. »

Tout récemment enfin (1) l'empereur est intervenuofficiellementpour que l'égalité de sanction soit un

.

(i) Rescrit impérial, 26 novembre 1900.

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86 LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

fait consacré. L'Allemagne a donc résolu la dif'.\-culté, néo do la coexistence de deux enseignementsdifférents de programmes et de méthode par lareconnaissance pure et simple do l'égalité des sanc-tions.

Chez nous la situation actuelle impose au législa-teur la solution d'un problème complexe dont voiciles données essentielles :

D'une part,

1° Réorganiser l'enseignement secondaire clas-sique et moderne, préparatoire à l'enseignementsupérieur, et organiser l'enseignement secondairemoyen à tendances utilitaires.

D'autre part,

2° Etablir entre les divers types d'enseignementles correspondances nécessaires au mieux des inté-rêts des élèves et des besoins de la société.

Voilà la révolution, ou si le mot effraie, voilà laréforme que leParlement a entrepris de faire enprenant en mains les destinées de l'Université,

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m

LES PROPOSITIONS (D'APRÈS LES DÉPOSITIONS FAITES

DEVANT LA COMMISSION D'ENQUÊTE). PLANS D'ÉTUDES

ET PROGRAMMES.

A. — Considérons d'abord l'Enseignement secon-daire comme préparatoire à l'Enseignement supé-

-rieur (haute culture littéraire et scientifique).

B. — Nous considérerons ensuite l'Enseignementsecondaire comme préparatoire à la vie pratique(destination utilitaire.)

A

Tous les systèmes d'organisation de l'Enseigne-ment secondaire préparatoire à l'Enseignementsupérieur peuvent se ramener à quatre :

1° L'unité;2° La dualité avec égalité de sanctions ;

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8S LA RÉFORME

3° Unité et diversité simultanées;

... ( Unité à la base, 1er cycle;i° La superposition }

_. .... ,. . _, .t Diversité à partir du 2" cycle.

1° L'unité et les partisans de l'Enseignement(

classique traditionnel unique.

L'Enseignement classique et l'Enseignement mo-derne ont leurs partisans et leurs adversaires intran-sigeants et irréductibles. Les uns et les autres sedéclarent une guerre à mortel l'on pourrait inscriresur leur drapeau cette épigraphe : ceci tuera cela.

Essayons de résumer impartialement les argu-ments pour et contre des partisans de l'Unité.

Il n'y a et il ne peut y avoir qu'un enseignementclassique, digne de ce nom, c'est l'Enseignementtraditionnel gréco-latin. La vertu éducative en estprouvée : il a fait des écrivains comme un Bossuotet un Voltaire, des savants «comme un Descartes etun Pascal, sans compter la foule des bons espritsqui forment le public cultivé et qui maintiennentdans sa pureté et dans son intégrité le goût français.Sans lalin et sans grec, pas de connaissance préciseet délicate de noire langue. Apprendre le latin etle grec, c'est apprendre, de la meilleure façon, lefrançais.

Pas d'exercice, qui vaille comme gymnastiqueintellectuelle, pour affiner, fortifier et assouplir

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 89

l'esprit, la version latine : des idées claires, unoforme difficile.

Pas de connaissance véritable de l'antiquité, sansl'étudo directe des textes (i).

Pas de meilleure préparation à l'étude des mathé-matiques.

Un mathématicien illustre, M. Hermile, m'a ditbien des fois combien il estimait lo thème précieuxpour la formation de l'esprit, il ajoutait que lothème latin était, à ses yeux, la meilleure prépara-tion à l'élude des mathématiques. (Déposition deM. Boutroux).

Enfin pas do haute culture intellectuelle, esthé-tique, scientifique, humaine, sans la fréquentationdes modèles de la Hellade et de l'Italie. Horsdes humanités, pas de salut pour les ho:.notes

gens I

Quant à l'enseignementmoderne, qu'est-il, qu'unecontre-façon de l'Enseignement classiquo?...

C'est une mauvai.se copie qui prétend égaler l'ori-ginal.

Le génie français ne doit pas se nourrir des oeuvres

(l) Les partisans de l'enseignement classique qui sacrifientle grec — ou qui le rendent facultatif, ce qui est tout un —ne ruiaent-ils pas eux-mêmes cet argument. Si la languegrecque n'est pas étudiée par les classiques, en quoi diffère-ront-ils, en ce point, des modernes ? Miis alors si les traduc-tions sufiisent pour la connaissance de la littérature grecque-- qui est par excellence la littérature originale, commentne suffiraient-elles pas pour la littérature latine, toute à'imi-tation ?

8.

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90 LA RÉFORME

allemandes ou anglaises, quelle que soit d'ailleursla beauté do ces oeuvres.

11 n'y-a pas affinité et sympathie entre notre génieet celui de ces peuples; il y a dissemblance etmême répugnance.

Livré trop tôt à cette élude, l'esprit delà jeunessefrançaiso, au lieu de se former, so déformera. Res-tons donc dans la tradition gréco-latine, c'est-à-diredans la tradition françaiso : une fois fois adulto etsûr do lui-môme, l'esprit français pourra, sansrisques et sans périls, étudier et admirer les chefs-d'oeuvre étrangers : c'est là un complément d'édu-cation, ça n'en peut être le principe et la substance.

Aussi bien, dit M. Fouillée, « il est nuisible d'éta-blirdeux types d'enseignement humaniste. Prétend-on leur donner une môme inspiration et les mômesdroits ? Ils se nuiront mutuellement et il faudrabien que l'un fasse décliner l'autre, sans qtje le vain-

queur y gagne rien. Lo prétendu « parallélisme »n'existera que sur le papier. Ce sera l'enseignementle plus facile et le plus populaire, c'est-à-dire lemoins élevé, qui finira par l'emporter; seules, lesraisons do tradition ou de mode conserveront auxclassiques une petite clientèle, qui se croira alorsd'une essence supérieure, et qui sera une base desélection insuffisante. Ne divisons pas l'enseigne-ment contre lui-même ; maintenons un type uniqued'humanités, avec des variantes dans les dernièresannées, plus de sciences pour les uns, plus de lettresanciennes ou modernes pour les autres, mais une

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DE L'ENSEIONEMENT SECONDAIRE 91

même éducation franco-latine et philosophiquepour tous. Séparer notre enseignement en deuxcamps ennemis, c'est en assurer la décadence :

« tout corps divisé contre soi périra. » (1)

b) Les partisans de l'enseignement classiquemoderne unique.

Voilà co que disent des lettrés et des savants (2).Mais d'autres lettrés et-d'autres savants, non moinsautorisés, plaident avec une conviction égalementpassionnée la cause de l'enseignement classique mo-derno.

.L'enseignement classique gréco-latin, dit M. Bé-

rard, ancien élève de l'Ecole normale supérieure etde l'Ecole d'Alhônes, maître de conférences à l'Ecoledes hautes études, a c'est un fossile qui n'est plusde ce monde : il date de l'ancien régime et il a cesséde vivre depuis plus de trente ans. »

« II faut laisser mourir ce qui meurt, dit M. Brunot,et l'enseignement gréco-latin tel qu'il existe est fini,j'entends comme type d'enseignement secondaire.C'est là une fatalité historique. La révolution, je di-

(1) Cet apophtegme d'allure prophétique ne laisse pas de re-cevoir des démentis éclatants de l'histoire et de la réalité. ARome n'ya vait-il pas de divisions entre le patriciat et la plèbe ?En France aujourd'hui n'y a-t-il pas de divisions ?

(2) MM. Fouillée, Lachelier, Bernés, etc. Mgr. Mathieu, ar-chevêque de Toulouse, le Père Didon, et tous les déposantsecclésiastiques ou congréganistes (à l'exception des frères dela D. C.)

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92 LA RÉFORME

rais volontiers l'émancipation a commencé auseizième siècle; ollo se poursuit irrésistiblement àtravers toutes sortes d'obstacles et do résistances.Elle aboutira aujourd'hui ou demain, mais elleaboutira... C'est au seuil de l'ère moderne entre1500 et 1530 que la question du latin s'est posée. »

« A ce moment-là on traitait de barbares — commeon traite aujourd'hui les adversaires de l'enseigne-ment gréco-latin — ceux qui prétendaient prier,penser et écrire en français. L'Eglise (1) et l'Univer-sité firent une opposition formidable aux partisansdu français. Cette opposition a néanmoins étévaincue. Dès le dix-septiômo siècle on a « secoué lejoug du latinisme ». La Révolution assura à lalangue nationale la place qui lui était due.

«On n'osa pas aller jusqu'au bout et rompre avecdes pratiques séculaires. Qui eût pu songer àrompre du premier coup avec l'antiquité dont lesgrands souvenirs se mêlaient aux inspirations de laphilosophie moderne pour élever les coeurs ?

« Les classiques s'établirent donc sur une nou-velle position. Ils l'ont gardée un siècle. Soutenantet arrivant à faire croire que celle élude de l'an-tique restait l'instrument indispensable de quicon-que voulait se faire une àme « humaine », ce n'estque petit à petit qu'ils ont été amenés à faire uneplace aux connaissances nécessaires d'histoire mo-

(i) De même aujourd'hui Tous les prêtres sont hostiles àl'enseignement moderne. Voir la déposition du Père Didon.

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DEL'ENSEIGNEMKNT SKC0NDA1RE 93

derno, de sciences, do langues et do littératuresétrangères. Mais bon gré mql gré les choses allaientleur train. Loprodigieuxdéveloppemontdos scienceset des professions qui en exigent l'étude, l'accrois-sement soudain des facilités do communication avecl'étranger, qui mettent Saint-Pétersbourg à la dis-tance où était Nancy, se chargeaientdo leur imposerdes sacrifices. De là des remaniements continuelsdes programme.;, des essais pour y fairo entror tout,sans abandonner rien; puis, une fois la porleouverte, l'instruction pratique, utile, les connais-

sances des choses vraiment vivantes refoulant lereste, et enfin une lutte dernière pour revenir enarrière et reprendre lo terrain perdu, lutte dontl'issue ne peut ôlro douteuse. Aujourd'hui il fautchoisir, tout le monde le sent. Pour moi Je choixn'est pas douteux. Comment en effet so pose laquestion?»

On ne peut plus soutenir, comme au seizièmesiècle, qu'il est impossible de penser ou d'écrire enfrançais, ni qu'il n'y a de bons livres que ceux quisont écrits en latin ou en grec. Qui oserait contes-ter la merveilleuserichesso delà littérature françaisedu seizième siècle au dix-neuvième siècle, — nouspouvons dire aujourd'hui au vingtième siècle?

« On en est donc réduit à deux arguments : onprétend d'abord que le latin assure une connais-sance approfondie du français et ensuite, que lesétudes c.3co-latinos sont une gymnastique excel-lente pour l'esprit.

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94 LA RÉFORME

.« Je ne nie pas la valeur de la seconde raison ;

j'ai fait moi-même et trop longtemps du grec et dulatin, pour penser le contraire ; j'ai cultivé aussiplusieurs langues modernes; parconséquent je puis,dans une certaine mesure, comparer l'exercice dela version anglaise, allemande ou espagnole àl'exercice de la version latine et je reconnais quela version latine est plus difficile, qu'elle exercedavantage l'esprit de l'élève, parce que la langueest plus loin de la nôtre et que l'effort est plusconsidérable.

a Je reconnais aussi, comme le disait M. Foncin,qu'un enseignement fondé sur la seule étude his-torique du français est un exercice difficile pour leprofesseur; mais soyez convaincus, messieurs, qu'iln'est pas du tout impossible, ni surtout infécond.

« J'arrive maintenant à une autre question, je nela traiterai pas à fond, car ce serait là une discus-sion académique que je ne veux évidemment pasinstituer devant vous : l'enseignement essentielle-ment moderne fondé sur lo français, l'anglais etl'allemand, pour certaines régions, reposant, pourd'autres, sur le français, l'italien et l'espagnol, est-il suffisant pour former les esprits ?

« Il me semble qu'être en contact avec les littéra-teurs et les penseurs allemands comme Goelhe ouKant, qu'être en état, d'autre part, de lire cetteadmirable littérature anglaise dont un Anglais a pudire avec un peu de vanité, mais somme toute avecjustesse, « qu'à elle seule, elle remplacerait toutes

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 95

les littératures du monde, si elles étaient perdues »,qui, par sa variété extraordinaire, suffit à satisfairetoutes les curiosités intellectuelles et dont la fécon-dité, loin de se tarir, s'accroît tous les jours, jeprétends, dis-je, qu'un pareil avantage est si évidentqu'on ne saurait sans parti pris en contester l'im-portance, et qu'il donne bien au delà de ce que lesâmes les plus exigeantes peuvent demander de sen-timents et de pensées.

« Une éducation humaine, entendue comme je levoudrais, — je me sers à dessein du mol humaine,pour rappeler les anciennes humanités— qui seraitfondée sur ce qu'il y a d'humain chez IIOIÎJ et chez

nos voisins, sur ce qu'il y a de national et aussid'individuel chez eux et chez nous, serait une cul-ture si précieuse, qu'il n'est point d'élite à qui elle

ne pût suffire L'égalité de sanctions s'impose.

« Mais je crois que vous avez mieux à fairo en-core : c'est de penser dès maintenant à l'avenir etde vous convaincre que vous vous trouvez à untournant historique où se trouvent d'autres nations ;

car il est facile de voir que l'enseignement gréco-latin est en baisse en Allemagne comme en France.11 est de plus en plus déserté. On ne continue à lesuivre que par tradition et ses partisans diminuentd'année en année.

« Il y a là une évolution historique de l'huma-nité. 11 s'agit de savoir si vous voulez la précipi-ter. Je crois en tout cas que vous no l'arrêterezpas ».

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96 LÀ RÉFORME

Qui parle ainsi? C'est M. Brunot, professeur à laSorbonne, le savant historien de la langue françaiseà qui l'Académie françaisevient de décerner un prix.

M. Gaston'Paris dit les mômes choses dans lesmêmes termes:

« Je vous dirai ma pensée avec une grande fran-chise : je suis convaincu que, en tant que formant labase de l'éducation secondaire générale, l'enseigne-ment classique est destiné tôt ou tard à disparaître,à faire place à un enseignement nouveau; je crois

que c'est un fait qui appartient à l'évolution de lacivilisation moderne.

« Il y a là une fatalité que rien n'empêchera de seproduire. »

Il faut dire, pour ne pas trahir M. Paris qui est unfervent admirateur de l'antiquité, qu'il déplore cettefatalité et qu'il voudrait la retarder : clairvoyance dusavant qui prévoit l'avenir et mélancolie de l'huma-niste qui regrette le passé.

Et, ce qui est plus grave, le scepticisme a gagnémaîtres, parents et élèves. Combien ne croient plusà cet enseignement qu'ils donnent ou qu'ils reçoi-vent! Dès lors, que vaut un enseignement qui n'aplus foi en lui-même? (1).

(l) Voir l'enquête de M. André Beaunier, Écho de Paris.Un professeur de cinquième classique dans un lycée de Paris,médisait : «Dans tout mon enseignement ce qui m'intéressele plus, et ce qui intéressé ie plus mes élèves, c'est la géo-graphie.»-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 97

C'est ce que dit excellemment M. Jaurès qui, luiaussi, prévoit l'évolution rapide de l'enseignementsecondaire vers les études modernes.

« J'ai voté pour l'égalité des sanctions.

« Je ne tiens pas à imposer artificiellement auxclasses dirigeantes, si elles n'en veulent plus, la cul-ture grecque et latine; d'autant plus que, quels quesoient ses mérites, elle ne peut être bonne qu'à lacondition d'être adoptée de bon coeur. Tout systèmed'enseignementqui répugnerait à la volonté perma-nente, à l'idée, au désir de la classe à laquelle il estdestiné, serait mauvais; il n'y a pas de bonne cul-ture indépendamment des dispositions d'esprit delàclasse qui doit la recevoir. S'il est donc entendu,pour l'ensemble de la bourgeoisie française, que laculture latine et grecque est devenue une inutilitéou une surcharge, c'est que la culture latine etgrecque est devenue mauvaise.

« Par conséquent, il n'y a pas lieu d'essayer del'imposer par des mesures artificielles, comme leserait la différence de sanction entre les étudesmodernes et les éludes antiques.» (1)

Si doncTenseignementgréco-lalindoitdisparaître,que les destinées s'accomplissent. Cette disparitionn'amènera ni la banqueroute de l'enseignement

i,l) On remarquera que MM. Bérard, Brunot, Gaston Paris,Jaurès, et j'aurais pu en citer bien d'autres, sont dans toutel'acception du terme des humanistes. Quand ils condamnentà mort l'enseignement classique qui les a formés, on peut lesaccuser dïitre des parrieiditj:h\ïi$: $o pas des barbares.

Kn .;.'^ 9

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98 LA RÉFORME

secondaire et conséquemment de l'enseignementsupérieur, ni la banqueroute du génie français. Fortde quatre siècles d'admirable production littéraire,artistiquo et scientifique le génie français est assezconscient et assez maître de lui même, pour s'éman-ciper, sans danger, de la tutelle vénérable de l'an-tiquité. L'antiquité pour nous, c'est notre histoired'avant la Révolution. Nos modèles, et nul ne con-testera ce beau titre à des oeuvres lues par tousles hommes, parce qu'écritespour tous )es hommes,et qui après avoir, aux siècles précédents, appris àl'Europe à penser, peuvent bien, aux siècles futurs,nous enseigner la vérité et la beauté, nos modèlesce sont les chefs-d'oeuvre du seizième, du dix-septième, du dix-huitième, auxquels s'ajoutent tantde chefs-d'oeuvre du dix-neuvième siècle d'ores etdéjà classiques.

Voilà les gardiens de l'esprit français, voilà leséducateurs qui maintiendront la grande et pure tra-dition. Avec de tels guides, nous pouvons sanscrainte tendre les voiles vers l'avenir : nous n'ironspas à la dérive.

2° La dualité avec l'égalité de sanctions.

Une deuxième catégorie dé déposants, effrayés

sans doute par une révolution si radicale, ne songentni à détruire l'enseignement classique traditionnelqui a chez nous dé si profondes racines, ni à sup-primer l'enseignement moderne, à qui on peut tout

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 99

contester, hors le mérite d'être vivant et prospère.Ne rien détruire de ce qui vit, telle semble être la

formule de ce conservatisme intelligent. Ainsi M. La-visse propose de conserver les deux enseignementsrivaux — et de leur attribuer l'égalité de sanctions.« 11 y a là, dit-il, une variété qui enrichira l'espritnational. »

M. Gréard apporte à cette solution l'appui do sahaute autorité pédagogique. MM. Manuel, ErnestDUpuy, inspecteurs généraux pour les lettres, AI. Sa-muel Rocheblave, un des plus distingués professeursde rhétorique de Paris, et combien d'autres lettrésdélicats proclament qu'il faut accorder l'égalité desanctions.

« Mon sentiment très net, dit M. S. Rocheblave,est que l'égalité de sanctions s'impose. L'étude des

programmes de l'enseignement moderne, l'espritqui anime ces programmes suffisent à démontrerque l'enseignementclassique a désormais trouvé sonrival. Et qu'on ne dise point que le moderne n'a pasfait ses preuves. Il n'a j amaispu les fairecomplètes.Cen'est offenser personne, je suppose, de dire que lenouvel enseignement n'a encore ni le personnel, niles élèves qu'il mérite. Son personnel, par la force deschoses,estencoretrophétérogône; etquantaurecru-tement des élèves, il a toujours été i^ralysé, par l'es-prit latent d'hostilité qui lui a toujours suscité desennemis dans nos propres établissements. Ayons lo

courage de fairo notre mea culpa. Malgré cette si-tuation lo moderne a fourni d'assez belles preuves

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100 LA RÉFORME

de vitalité. Comment lui marchander aujourd'hui cequ'il emportera demain, ce qu'il eût été non passeulement politique, mais équitable, mais loyal delui accorder hier?»

Impossible de reconnaître plus galamment sestorts envers un adversaire et de lui rendre justiceavec plus de bonne grâce ! '

J'évite, à dessein, d'emprunter la moindre cita-tion à des professeurs de l'enseignement moderne.Si excellente qu'aurait pu être leur argumentation,

on n'eût pas manqué de l'infirmer en y voyantun pladoyer pro domo

Je ne citerai pas non plus Raoul Frary et JulesLemaître, quoique le livre de l'un, La Questiondu latin, et la conférence de l'autre, Sorbonne,5 juin 1898, aient une importance capitale dansl'histoire de la pédagogie. Toutes proportions gar-dées, le talent de ces deux publicistes a fait, pourla pédagogie, ce que le génie de Pascal a fait pourla théologie ; ils l'ont exhumée de la poussière silen-cieuse des bibliothèques, pour l'exposer au grandjour do la discussion publique. Us ont passionnél'opinion, en signalant la gravité sociale et l'intérêtnational du problème pédagogique.

Néanmoins, de parti pris, je ne leur ai pas em-prunté une seule ligne : le nombre et la qualité desdépositions en faveur de l'enseignement moderneattestent les progrès faits dans tous les milieux

par les idées rénovatrices qu'ils ont si brillammentsoutenues.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 101

Enfin, je ne ferai que mentionner les si remar-quables dépositions de MMl Poincarré et L. Bour-geois, anciens ministres de l'Instruction publique,entièrement favorables à l'enseignement moderne età l'égalité de sanctions. Il vaut mieux laisser plai-der la cause du moderne par les professeurs mêmede l'enseignement rival, ceux-là du moins ne serontpas suspects de partialité.

M. Darboux, parlant au nom de la presqu'una-nimité de ses collègues de l'Académie des sciencesdemande le maintien et l'égalité des deux enseigne-ments.

M. le Président. — Vous ne voudriez pas imposerl'enseignement moderne à ceux qui se préparentaux carrières où les sciencesdominent. Vous voulezgarder l'enseignement moderne, mais vous ne vou-driez pas qu'il absorbât l'enseignement classique?

M. Darboux. — Monsieur le Président, vous avezrendu ma pensée de la manière la plus exacte.J'eslime que les deux enseignements ont un droitégal à vivre. On aurait tort d'amoindrir l'un oul'autre. L'avenir nous fixera sur l'importance relativequ'ils doivent conserver.

M. le Président. — En somme, vous pensez quela coexistence des deux enseignements est favorable,

parce qu'elle permet précisément la comparaison etla lutte?

Af. Darboux. — Parfaitement.

9.

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102 LA RÉFORME

L'Enseignement moderne et Paocès auxFacultés de médecineet de droit.

Pour terminer, je donnerai la parole à deux pro-fesseurs, l'un de l'Académie de Médecine, l'autrede la Faculté de Droit de Paris. Leur argumenta-lion sera d'autant plus topique, que les adversairesde l'Enseignement moderne se sont réfugiés dansces deux Facultés, jusqu'ici obstinément ferméescomme dans une citadelle inexpugnable.

Voici l'argumentation de M. Bouchard, membrede l'Académie de médecine :

L'Enseignement secondaire sans grec et sans latin.L'enseignement moderne.

« Léo langues vivantes, si on les enseigne de ma-nière à ce que les élèves puissent, je ne dis pas seu-lement les parler et les écrire, mais les lire, ce quiest plus difficile, sont un puissant moyen d'éduca-tion; elles ouvrent à l'esprit les trésors de richeslittératures, de l'allemande, de l'anglaise, de l'ita-lienne, de l'espagnole. Les littératures anciennes

ne seraient pas interdites. Quand on ne peut pas lesgoûter à la source, on peut leur trouver encorequelque saveur dans les traductions.

« C'est prononcer une condamnation un peu som-maire que de déclarer la langue française incapable

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- DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 103

d'exprimer les idées et de rendre les beautés deschefs-d'oeuvre de l'antiquité. N'avons-nous pascompris et applaudi la traduction française d'CEdiperoi?

« La science aussi est éducatrice. Je n'ai pas àreprendre la démonstrationque M. Berthelot a faitede celle vérité.

« On comprend donc que, par des moyens divers,l'enseignement secondaire classique et l'enseigne-ment secondaire moderne puissent amener l'en-fant, puis le jeune homme, à un égal degré d'éléva-tion dans la culture intellectuelle et morale.

« Comment un enseignement qui rachète soninfériorité dans la connaissance des littératuresanciennes par une supériorité réelle dans la posses-sion des langues vivantes et dans la culture scien-tifique, n'a-t-il pas conquis plus complètement laconfiance et la faveur des familles?

» J'ai dit l'une des causes de cette hésitation. On

a cru qu'on ne pouvait pas le faire égal à l'enseigne-ment classique et on l'a organisé de telle sorte qu'illui est inférieur. Mais surtout on a réduit son im-portance, on a limité les privilèges qu'il confère. Il

ne donne accès ni à la Faculté de droit ni à laFaculté de médecine, et tel ministère, qui n'a riende littéraire, exige de ses fonctionnaires ou em-ployés de tout ordre le diplôme classique et n'ac-cepte pas le baccalauréat moderne. Le baccalauréatclassique, au contraire, ouvre toutes les portes. 11

est naturel que les parents, au moment où l'enfant

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104 LA RÉFORME

va entrer au lycée, alors que sa vocation no sauraitencore être soupçonnée, ne se risquent pas à choisirun enseignement qui interdit en quelque sortel'accès des carrières les plus importantes et les plusnombreuses, et donnent la préférence, peut-être àcontre-coeur, à l'enseignementqui réserve et assurel'avenir. On a voulu que la concurrence fût impos-sible entre les deux enseignements. En présidant àsa naissance, le Conseil supérieur a déposé commecadeau, sur le berceau de l'enseignement moderne,la liste de ses sanctions, la formule magique quidoit le faire mourir.

« Si-l'on a refusé de considérer le diplôme de l'en-seignement moderne comme capable d'introduire àl'étude du droit et de la médecine, c'est, dit-on,parce que ceux qui cultivent ces deux sciences ontbesoin de comprendre et môme de fairo des cita-tions ou qu'ils doivent pouvoir vérifier et expliquerdes textes en languo latine ; c'est aussi en ce qui

concerne les médecins, parce que leur langue esttrès riche en mots dérivés du grec, parce qu'ils doi-vent pouvoir en découvrir le sens et au besoin enformer, s'il leur arrive de faire une découverte quijustifie un néologisme.

« J'ai, pour mon compte, refusé d'inscrire la mé-decine parmi les sciences à l'étude desquelles l'en-seignement moderne peut conduire. Mais, monvole

a été dicté par d'autres raisons que celles que jeviens d'indiquer; je l'ai motivé en disant que je neveux pas donner comme préparation à une profes-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 105

sion qui exige une haute culture intellectuelle etmorale, un enseignement que, par les défectuositésde son organisation, on a fait manifestement infé-rieur à l'enseignement classique, mais je suis prêtà ouvrir l'élude de la médecine aux élèves sortisde l'enseignement moderne le jour où l'on aura con-senti à lui donner la même dignité qu'à l'enseigne-ment classique. Ce jour-là, je ne serai pas embar-rassé du défaut de latin ou de grec. Ce qu'il en faut,pour l'étude et pour l'exercice de la médecine, onpeut l'apprendre en moins d'un an, à ses momentsperdus, quand on possède quatre langues dont lefrançais et l'anglais, et quand on a des notions degrammaire générale. Ce n'est pas à dire que je con-seillerais plutôt l'enseignement moderne commepréparation à la médecine; mais je n'imposerais

pas les études classiques. Il y a des esprits absolu-ment réfractaires à l'étude des langues mortes quipeuvent être plus tard d'excellents médecins ; j'ai-merais mieux pour ceux-là faire le sacrifice d'étudesclassiques dont ils ne tireraientqu'un médiocrepro-fit, elles voir aborder avec intérêt une éducationplus scientifique. »

La déposition de M. Ducrocq, professeur à la Fa-culté de droit de Paris, est admirable de compé-tence et de bon sens. A mon avis, elle épuise lo

sujet et tranche la question :

» Est-il possible d'atteindre un niveau suffisam-

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106 LA RÉFORME

ment élevé de culture générale sans la connaissancedes langues de l'antiquité, grecque et romaine?

» Est-il équitable, est-il exact et, en mêmetemps, est-il conforme aux intérêts de la société,dedire qu'un étudiant no sera admis à faire des éludesde droit, à devenir licencié ou docteur en droit, àaborder les carrières auxquelles mènent ces di-plômes, qu'autant qu'il justifiera — en admettantmême que les examens en justifient— de la con-naissance des langues grecque et latine?

» Voilà ce que je ne puis pas admettre. J'estimepersonnellement que nos étudiants peuvent aspireravec succès à la licence et au doctorat en droit, in-dépendamment de la connaissance do la langue la-tine. '

« M. le Président. — Vous n'enseignez pas ledroit romain, monsieur Ducrocq?

M. Ducrocq. — Je vais en parler ; du reste, c'est,à mon avis, une illusion, que de penser que les ba-cheliers de l'enseignement classique connaissent,par le fait de leur diplôme, la langue latine.

» C'est une très grave erreur.» Vous dominez, en ce moment, messieurs, une

lutto qui est vieille de plusieurs siècles.

» Dans le courant môme de co dix-neuvièmesiècle, il y a cinquante ou soixante ans, on se ser-vait encore de la langue latine, pour les leçons, lesargumentations dans les concours des chaires desFacultés do droit.

» Je me permettrai, à cet égard, un souvenir. Un

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 1.07

ancien professeur de droit commercial de la Facultéde Paris, M. Bravard-Verrière, pensait que la languelatine n'était pas aussi nécessaire pour les étudesde droit qu'on le prétendait alors, et il était d'avisqu'elle devait disparaître des épreuves des concoursde droit, même pour les professeurs. Alors qu'ilétait juge d'un de ces concours, il s'était amusé àrecueillir tous les solécismes et tous les barba-rismes commis par les candidats et les avait pu-bliés, pendant le concours même, dans une revuequi était, je crois, la Thêmis. Il avait eu soin d'é-crire que « les concurrents qui se reconnaîtraientne devaient pas être inquiets; qu'il en était pourle savoir desquels il avait la plus grande estime ;qu'il avait simplement entendu leur venir en aide etmontrer qu'il était absurde d'exiger de pareillesépreuves » et elles ont en effet disparu.

« Je sais bien qu'on dit que cette connaissance dela langue latine est indispensable au professeur quidoit en justifier. Mais il ne s'agit pas ici des profes-seurs ; il est question des élèves et l'on pense que lebaccalauréat classique les met à même de savoir lolatin. C'est une pure illusion et, en dépit du diplômedu baccalauréat classique, je soutiens que c'est lecontraire qui est vrai.

» Maintenant, il faut envisager la question spécialedu droit romain.

» Je connais les préoccupations de mes très sa-vants collègues, chargés de cet enseignement. Ilsdisent: « Comment ferons-nous, si l'on supprime le

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108 LA RÉFORME

latin, pour expliquer les textes du droit romain de-vant un auditoire qui sera autorisé à ne pas con-naître la langue latine? »

« Voici ma réponse :

« D'abord, il ne s'agit pas de supprimer le bacca-lauréat classique: selon ma manière de vqir, vousaurez toujours des élèves qui auront fait des étudesdo latinité. Par contre, vous en aurez d'autres quin'en auront pas fait. L'explication des textes, pourcettopartie de l'auditoire, pourraêlresuivie,commepour ceux du baccalauréat classique.

« Voyons I l'enseignementdu droit, dans ces der-nières années, a pris un développement considérableet, à ce point de vue, M.le président connaît la ques-tion mieux que personne. Il a été le président d'uneSociété dont j'ai l'honneur de faire partie trèsmodestement, et qui a rendu les plus grands ser-vices à la science du droit; je veux parler de laSociété de législation comparée.

(<Depuis vingt-cinq ans, nous faisons presque

tous, tant dans nos ouvrages que dans nos leçons,la comparaison de la législation française, avec cellesdes autres pays, surtout des principaux Etats.Avons-nous besoin pour celle étude, de la connais-sance des langues étrangères? Non, en dehors dequelques éruditsqui savent certaines langues,beau-coup ne connaissent que le français. Cependant,nous sommes à même de faire cette comparaisond'une façon très complète au point de vue juridique.

« La Société de législation comparée rend l'im-

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DB L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 109

mense servico de publier chaque année un annuairedonnant les traductions des diverses lois étrangères,et, c'est au moyen de ces traductions, qu'écrivainsetprofessours font do la législation comparée. Nosélèves peuvent ainsi profiter de notre enseignementet nous suivre dans cette voie qui a été ouverte, ondéfinitive, par la Société de législation comparée,bien que les élèves et les professeurs eux-mêmes noconnaissent pas e' ne puissent pas connaître toutesces langues étrangères.

» On pourra donc procéder de la même façon pourle droit romain.

» D'ailleurs, le professeur lui-môme n'est-il pasobligé, en expliquant le texte latin, d'en donner latraduction?

» Une peut pas faire autrement, puisqu'il professe

son cours en langue française, ce qui n'avait pas lieujadis. Je veux bien admettre que la connaissancedulatin peut conférer à celui qui la possède une cer-taine supériorité pour suivre un cours de droitromain, mais on ne peut pas dire avec vérité quecette connaissance de la langue latine soit indispen-sable pour suivre les classes de droit romain.

» Ces cours sont d'ailleurs en petit nombre 'dansles Facultés de droit, et il n'est pas possible de dire

que les étudiants non pourvus du baccalauréat clas-sique ne profiteront pas de l'enseignement qui estdonné dans ces cours eux-mêmes.

» Il me semble que le contraire est vrai et qu'il ya exagération de nos romanistes qui voient avec

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110 LA RÉFORME

frayeur l'introduction, dans les Facultés de droit,des diplômes du baccalauréat moderno môme re-manié.

« C'est après un remaniement du programme del'enseignement moderne, avec moins de sciences,plus d'histoire et de philosophie, que je demandel'assimilation des deux types de diplômes, pour per-mettre l'accès à la Faculté de droit.

« J'ajouterai encore ceci :

« Les Facultés de droit ne sont plus ce qu'ellesétaient au temps de majeunesse et même à l'époqueoù mon collègue et ami, M. Sauzet, membre de laCommission, était étudiant.

« La transformation est considérable.

« Ainsi, que voyez-vous sur l'affiche des cours del'année scolaire actuelle 1898-1899 de la Faculté dedroit de Paris? Vous remarquez quarante-quatrecours. 11 y en a d'annuels, il en est aussi de semes-triels; les uns sont obligatoires, d'autres sontfacul-tatifs. Sur ces quarante-quatre cours, pour quelchiffre figurent les cours do droit romain? Car.c'estla question : Le droit romain doit-il faire la loi?Est-il la partie dominante de l'enseignement de nosFacultés?

« Non, messieurs; et en effet, il n'y a que septcours de droit romain sur l'ensemble des quarante-quatre cours de l'année scolaire actuelle. Voilà laproportion : comme vous le voyez, le droit romain

occupe dans nos Facultés, une place relativementrestreinte. »

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DE L'ENSSiGNEMEXT SECONDAIRE 111

' M. le Président. — C'est uno question do majo-rité ou de minorité

»

M. Ducrocq. — Donc les études préalables à l'en-trée dans les facultés de droit ne doivent pas êtresubordonnées à une seule branche, aussi restreinte,de l'enseignement de ces Facultés. Pour moi, de-puis quarante ans que j'enseigne lo droit adminis-tratif, je n'ai jamais eu besoin de recourir au droitromain.

« Nous avons eu en province un ancien collèguequi a écrit deux volumes intéressants sur lo droitadministratif romain ; mais c'est là do l'archéologiodu droit romain, et il est, en définitive, absolumentinutile, et pour l'enseignement et pour l'étude deslois administratives françaises, de connaître lalangue latine.

« Cela n'est pas douteux, et ce qui est vrai pourle droit administratif, est aussi exact pour un grandnombre d'enseignements juridiques.

« Pour la licence, sur vingt cours, il y a quatrecours de droit romain, seize autres cours traitent desujets étrangers à cet enseignement. Encore faut-ilremarquer que, parmi les quatre cours de droit ro-main, deux représentent un cours dédoublé enraison du grand nombre des élèves de premièreannée.

« Pour lo doctorat qui comprend deux types, ledoctorat ès-sciencos politiques et économiques elledoctorat ôs-sciences juridiques, il y a vingt deuxcours. Le premier doctorat ne comprend pas un

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112 LA REFORME

seul cours de droit romain; le second en comportetrois.

« Telle est la situation.« Môme pour suivre les cours de droit civil, nos

étudiants n'ont aucun besoin de connaître la languelatine, et lo droit romain n'y occupe.qu'une placede plus en plus restreinte.

« En voici la preuve :

« L'agrégation des Facultés de droit a été divisée

en quatre branches : l'agrégation de droit privé —là, les agrégés do droit civil sont autorisés à nesubir, pour être professeurs, aucune épreuve de

.droit romain. C'est la preuve annoncée; c'est laquestion acluello résolue en partiel — Ensuite il ya l'agrégation de droit public (droit administratif,droit constitutionnel, droit des gens) ; puis l'agréga-tion des sciences économiques ; enfin l'agrégationd'histoire du droit. C'est dans celte dernière seule-ment que le droit romain trouve sa place. Je suisdonc autorisé à dire : le droit romain n'est plus,d'après les règlements mômes des Facultés de droit,ce qu'il était jadis ; cet enseignement n'est qu'unebranche de l'histoire du droit.

« Comment veut-on alors que tout soit subor-donné, au point de vue de l'entrée dans nos Facul-tés et de l'accès aux carrières à l'étude de la languelatine dans l'enseignement secondaire? G'esï encontradiction avec l'organisation des Facultés dedroit dans leur état actuel.

» Au doctorat ès-sciences politiques et écono-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 113

miques, il n'y a pas une épreuve ni un cours dodroit romain. Co fait n'est-il pas en contradictiondirecte avec la prétention que je combats, et qui,vous le voyez, vient de l'ancionne idée : partout lalangue latine. Elle lutte pour sa dernière applica-tion forcée ; il ne s'agit pas en effet de la faire dis-paraître, il s'agit de mettre les deux baccalauréatssur la môme ligne au point de vue de l'entrée dansles Facultés de droit.

« J'avais un scrupule. Voici une note que jo viensde demander au Ministèrede l'Instruction publique,avec l'autorisation de m'en servir et de vous laremettre.

« M. le Président. — Il s'agit des dispenses?M. Lyon-Caen nous en a entretenus.

« M. Ducrocq. — J'en tire peut-ôlro d'autres ar-guments. J'ai demandé des chiffres ; voici ceux quiviennent de m'ôtre donnés, après un examen trèsrapide, pour 1898 : il y a eu 136 dispenses, 09 pourpour Paris et 67 pour les départements. Vous pour-riez demander lés chiffres pendant une période dé-cennale, et nous raisonnerions alors sur un chiffretotal de 1.300 à ,1.500 étudiants en droit dispensésde la production du diplôme du baccalauréat clas-sique.

« Que sont, ces dispensés? L'argument est trèsprécis. Ce sont des étudiants qui ont été admis àprendre des inscriptions de droit sans avoir fait desétudes de langue latine, ou qui en ont fait très peu,qui ont tout au plus le baccalauréat ès»sciences. En

10.

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114 LA RÉFORME

effet, la règle est bien qu'on ne peut faire d'étudesde droit, prendre sa première inscription qu'en jus-tifiant du baccalauréat classique ès-leltres ; le bac-calauréat ôs-sciences est insuffisant; le baccalau-réat moderne également. Mais le Ministre est auto-risé à accorder des dispenses, c'est-à-dire hi per-mettre à des jeunes gens qui n'ont pas fait lesétudes classiques de latin de prendre inscription.Celte autorisation est accordée sur une échelle assezimportante, puisque 136 autorisations ont été don-nées dans la seule année 1898, qui n'a rien d'ex-ceptionnel.

a Je ne sais pas si l'on vous a dit qu'il y a desFacultés de droit qui sont tellement imbues del'idée que je vous apporte, que systématiquementelles disent toujours : Le pétitionnaire justifie de

son baccalauréat ès-sciences, cela nous suffit; nousdonnons un avis favorable. La Faculté de Toulousen'y manque jamais, et, si je ne me trompe, la Fa-culté de Rennes ou de Caen en fait autant; d'autresencore. Le Comité ne croit pas devoir entrer danscelte voie ; il y a un règlement, nous devons don-

ner un avis, en tenant compte de ce règlement;nous ne nous contenions pas du diplôme, soit del'enseignement moderne, parce que la loi ne le per-met pas, soit du baccalauréat ès-sciences ; nousdemandons quelque chose de plus : toujours l'idéed'une ouverture générale de l'esprit. Est-ce au grec,au latin que nous la demandons? Non, puisque cescandidats n'ont pas le diplôme du baccalauréat

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DE L'KNiEIGNEMENT SECONDAIRE 115

classique; c'est à d'autres signes que nous nousattachons, nécessairement étrangers à la connais-sance des langues grecque et latine.

«Lesétudiants en droit peuvent donc s'en passer.C'est la démonstration qu'en définitive celte ouver-ture de l'esprit peut ôtre faite en dehors de la con-naissance de la langue latine. Toutes les fois qu'ils'agit d'un officier sortant de Saint-Cyr, le Ministrene nous consulte plus, tant notre jurisprudenceest formelle ; nous donnons toujours des avis favo-rables ; dès lors le Ministre accorde la dispense sansnous consulter. Dans d'autres fonctions il en est demôme. Nous sommes assez rigoureux ; l'examen dosurnuméraire subi avec succès ne nous suffit pas ;

nous n'accordons l'avis favorable à l'autorisationqu'aux receveurs. Cette pratique a des inconvénients,puisque, pendant qu'ils font leur stage, ces fonc.lionnaires ont plus de loisirs et moins de responsa-bilité, et pourraient mieux faire leurs études dedroit. Nous sommes obligés à ce système par la lé-gislation actuelle, qui, sur ce point, môme en ma-tière de dispenses, mène à des résultats qui ne sontpas logiques. Nous donnons, à plus forte raison, unavis favorable aux demandes de dispense des jeunesgens'sortis de l'Ecole polytechnique entrés ou nondans les services publics. Nous donnons môme cetavis favorable à des jeunes gens qui no sont pasentrés dans cette école, mais qui ont été admis-sibles, en distinguant entre l'admissibilité du pre->mier et du second degré, parce que nous voyons là

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116 LA RÉFORME

la preuve d'une ouverture plus grande de l'esprit.Est-ce le latin qui la donne? Pas du tout. De mômepour les candidats admissibles à l'Ecole de Saint-Cyr et qui n'y ont pas été admis. Pour les élèves del'Ecole centralo nous ne nous contentons pas del'entrée à l'école, il faut, en général, qu'Usaientsubi l'épreuve de sortie. Il en est beaucoup pour les-quels en effet il est utile d'ôtre licencié en droit, defaire des études de droit. Mais lorsque les élèves del'Ecole centrale ont subi avec succès leurs examensdo sorlie, qui ne comportent aucune épreuve de la-tinité, le Comité donne toujours un avis favorable.

« 11 est môme arrivé que des autorisations ont étéaccordées à des juges de paix et à des titulairesd'emplois administratifs, ne possédant aucun di-plôme. Tous ces dispensés font leur droit bienqu'ayant peu ou point étudié le latin. Donc les ba-cheliers de l'enseignement moderne modifié pour-raient en faire autant. »

J'estime qu'on peut clore, sur ces deux dépo-sitions si concluantes, le débat théorique. Voyonsmaintenant les enseignements des faits eux-mêmes.

Les résultats de l'enseignement moderne.

Les résultats de l'enseignement moderne ne peu-vent être contestés au point de vue scientifique.On peut en croire M. Mercadier, directeurdes études

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 117

à l'Ecole Polytechnique, et M. fiuquet, directeur del'Ecole Centrale.

M. Mercadier. — Nous acceptons le baccalauréatmoderno, ou la première partie du classique, ou laseconde partie Nous donnons quinze points auxcandidats munis de cotte première partie, trentepoints pour le baccalauréat lettres-philosophie etrien pour le moderne. Les conseils de l'école onttoujours tendu, jusqu'à présent, à favoriser l'ensei-gnement classique.

M. le Président. —Il est nécessaire, croyez-vous,de lo protéger par une avance de points? H ne sedéfend pas de lui-môme?

M. Mercadier. — Si, jusqu'à présent. Jusqu'à il ya six ou sept ans, dans les 50 premiers sortants il yavait toujours environ 30 bacheliers es lettres com-plets. Maintenant nous avons à compter avec l'en-seignement moderne. Je dois dire qu'à notre pointde vue il fait des progrès notables. J'ai sous les

yeux quelques statistiques que j'ai relevées dans

ces trois dernières années. Voici ce que j'en aitiré.

Nous.comptons environ un quart d'élèves sortantde l'enseignement moderne : cette année, 45

sur 201.Si l'on prend le rang moyen des élèves à l'entrée

et à la sortie, on reconnaît qu'ils gagnent des rangs.Mais il ne faut pas remonter plus haut que les troisdernières années : ce n'est guère que depuis deux

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118 LA REFORME

ans que les bacheliers modernes ont suivi le cyclecomplet de? études.

Ils gagnent une vingtaine de rangs, ce qui estbeaucoup.

M. le Président. — On a dit, au contraire, qu'audébut ils savaient beaucoup, se plaçaient bien, puisqu'ensuite ils baissaient, faute de bonnes méthodesde travail.

M. Mercadier. — Le fait est brutal : ils gagnentdes rangs.

M. le Président. — Yoyez-yous de3 élèves de l'en-seignementmoderne se mettre tout à fait aux pre-miers rangs? (1).

M. Mercadier. — Il commence à y en avoir : celle

(1) Ainsi les élèves de l'enseignement classique sont avan-tagés de 15 point* s'ils sont bacheliers de rhétorique'et de15 autres points s'ils sont bacheliers de philosophie, soit30 points au total.

On peut soutenir que le privilège des 15 points pour la rhé-torique est légitime, car c'est là une prime pour la connaissancedu latin que les molernes n'ont pas. Mais comment justifierles 15 points attribués à la philosophie. Est-ce qu'un élève deIe" lettres n'a pas suivi le même cours de philosophie que soncamarade classique?Est-cequ'un élève de l"* sciencèj n'a passuivi un cours de philosophie scientifique.

Dès lors, pourquoi les études philosophiques confèrent-ellesun avantage aux uns, et pas aux autres?

Le parti pris éclate ici de favoriser uii enseignementau dértriment d'un autre. Qu'on songe à l'importance de ces 30 pointsacquis d'avance. Tel élève do l'enseignement moderne qui,par ses notes d'examen, eût été reçu premier, sera rejeté enarrière de dix ou quinze rangs pour des considérations exté-rieures à l'examen lui-même.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 119

année, j'en compte deux dont un est allé aux pontset chaussées.

M. le Président. — En somme, monsieur Bnquet,vous constatez une tendance do ceux qui viennentde l'enseignement moderne à dépasser les autres.

M. liuquet. — Oui.

La valeur littéraire des baoheliers modernes estappréciée par MM. Langlois et Espinas, professeursà la Sorbonne, tous^deux chargés do présider le juryde baccalauréat.

« M. -Langlois. — J'ai présidé, en 1897, un desjurys

.de baccalauréat d'enseignement moderne

(1er partie) qui ont fonclionné à Paris. Je me suisappliqué à comparer les candidats qui ont subil'examen devant ce jury avec les candidats au bacca-lauréat de l'enseignement classique, dont j'ai l'ex-périence depuis treize ans.

» Il m'a semblé que les candidats au baccalauréatmoderne, souvent plus frustes que les autres,avaient, en générai, travaillé davantage; qu'ilsavaient moins de désinvolture et plus de fonds. Un

• bachelier « classique » reçu à la limite, n'est cer-tainement pas plus cultivé qu'un bachelier « mo-derne » admis dans les mômes conditions, et j'aieu l'impression que tes meilleurs élèves des deuxenseignements se valent.

» Cette dernière constatation m'a conduit à penserque l'équivalence des deux diplômes (baccalauréat

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120 LA RÉFORME.

classique, baccalauréat moderne) devrait ôlro éta-blie, si les deux enseignements parallèles sont main-tenus. »

« M, Espinas. —•Ceux qui ont fait les étudesindi-

quées par le programme me paraissent déjà atteindre

un niveau suffisant, moyen, et je crois que lorsquel'enseignement moderne aura pénétré dans lesfamilles où l'éducation domestique est plus efficaceet la culture générale plus élevée, alors je croisqu'il vaudra son devancier quoique les résultatssoient très différents. Il ne faut pas lui demander,en effet, ce qu'on demande au classique, pas plusqu'il ne serait juste de demanderà celui-ci les fruitsque porte le moderne.

» L'enseignement moderne ne fournit pas desécrivains, voilà la grande différence. Ces jeunes genssont, comme écrivains, ingénus, dépourvus de ma-lice, de finesse, si l'on veut, et presque de tenue; ils

vous donnent leur pensée comme elle leur vient,avec une simplicité, un défaut d'art qu'il ne fautpas nier. Cela étonne au premier abord, mais si

vous leur demandez non pas des oeuvres littéraires,ce qui est une erreur, mais des choses qu'ils ont puapprendre, sur lesquelles leur réflexion a pus'exercer, des choses enfin saisissables, sur les-quelles leur intelligence ait une prise et non pasdes oeuvres, des exercices qui supposent chez euxun talent d'invention artistique et dé style, vousobtenez des compositions très judicieuses. Ne me

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DE L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 121

dites pas que ce sont là produits mnémoniques,choses viles; pour bien exposor certaines théorieslittéraires, certains points d'histoire, il faut aussi dol'intelligence, celle que témoigne tout élève quireçoit la culture des sciences. Nul n'invente à cetâge en fait de physique ou d'hisloiro ; l'intelligencede la physique et de l'histoire ne va cependant passans quelque mérite. Et ces élèves prouvent qu'ilscomprennent; ils sont dépourvus d'art, mais leurraison, leur jugement, leur sens naturel n'est passans fermeté. »

Il faut citer une dernière déposition, celle deM. Foncin, l'homme le plus autorisé à parler de^l'enseignementmoderne, puisqu'il l'inspecte depuissa fondation.

« M. le Président. — Vous avez une expérienceparticulière, résultant de l'inspection générale, ence qui concerne l'enseignement moderne. Quelsrésultats donne-t-il depuis dix ans?

« M. Foncin. — Pour comprendre les résultatsde l'enseignement moderne, il faut se rappeler dansquelles conditions il a été organisé. Cet enseigne-ment est dépourvu des sanctions accordées auxautres, puisqu'il ne prépare ni au droit, ni à lamédecine, ce qui forcément jette sur lui quelquediscrédit. En second lieu, il n'a pas de professeursparticuliers, ou du moins, s'il en a encore quelques-

uns, c est l'exception, la plupart des cours de l'en-11

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122 LA RÉFORME

seignement moderne sont confiés à des professeursde l'enseignement classique. Ceux-ci ont déjà uneclasse assez lourde à faire. On leur demande enoutre des heures supplémentaires, dans l'enseigne-ment moderne. C'est une surcharge. La plupartd'entre eux apportent cependant du zèle dans cettetâche additionnelle. Mais ceux qui sont fatigués oumoins dévoués ne peuvent naturellement faire aussibien que les professeurs comme je les comprends,qui s'adonneraient uniquement et tout entiers àleur enseignement. Déplus, une vieille tradition quine paraît pas entièrement finie, malheureusement,veut que les élèves qui ne sont pas très intelligents,soient dirigés de préférence vers l'enseignementmoderne.

«11 est clair qu'avec de pareilles difficultés, cetenseignement n'a pu obtenir tous les résultats qu'ilpourrait donner s'il était mieux organisé. Eh bien,malgré ces conditions défavorables, l'enseignementmoderne se développe, s'améliore. J'y vois de plus

en plus arriver des enfants intelligents, appartenantà de bonnes familles.

» De plus, l'esprit est autre. Les petits classiquessont plus sceptiques et de bonne heure. Les petitsmodernes conservent plus longtemps leur foi enleurs professeurs et en l'excellence de leur ensei-gnement. Ils se prennent davantage au sérieux, etce point est très important (1).

(1) M. Mercadier, directeur des études à l'Ecole polytech-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 123

« M. le Président. — Est-ce la nature de l'ensei-gnement ou l'origine des élèves qui explique cettedifférence?

« M Foncin. — C'est plutôt l'origine, et surtoutl'école primaire. Celle-ci est animée d'une foi vivequi nous manque dans l'enseignement secondaire.Comment aurions-nous une foi, tant que nousn'avons pas une idée maîtresse d'enseignement?

« Dans l'enseignement moderne se continue, engrande partie, cet élan qui a été donné dans l'en-seignement primaire. Je vous assure que la partiede cet enseignement que je connais, c'est-à-dire lefrançais, la littérature, l'histoire, la géographie, lamorale, peuvent former un tout intéressant aupremier chef et de nature à passionner les élèves.

a En résumé, mon opinion sur la réforme de l'en-seignement secondaire, c'est que je voudrais lafusion de l'enseignement moderne avec l'enseigne-ment classique. Mais si l'enseignement devait ôlremaintenu séparément, je suis certain que, affranchide toutes les entraves qui l'enserrent, son essorserait assuré. »

Ces dépositions appellentquelques commentaires.

nique et M. Hu<iuet, directeur de l'Ecole centrale, corrobo-rent lu témoignage de M. Foncin.

« M. Duquel. — Ils sont plus sérieux que les autres. Leursupériorité doit venir de là.

st M. le Prètiknl. — Cela lient pcul-tlrc à l'arrivée d'élèveslaborieux, sortant de? couches nouvelles?

«.!/. Duquel. — Je le crois; ils travaillent avec plu» de mé-thode et de régularité. »

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124 LA RÉFORMÉ

S'il est avéré que les élèves de l'enseignement mo-derne ne deviennent pas, en général (1), des « vir-

tuoses de la plume », ce qui d'ailleurs ne seraitguère regrettable, puisque personne ne contestequ'il n'y en ait assez, si ce n'est trop, le fait s'ex-plique, comme le dit M. Foncin, moins peut-êtrepar la nature de l'enseignement lui-môme (pro-

grammes et méthodes), que par l'origine sociale desélèves et les conditions défectueuses de recrute-ment. Ce n'est pas tout. Par la force des choses,étant donné que l'enseignement moderne ne peutconduire, dans le système actuel, ni au professorat(lettres), ni au droit, ni à la médecine, les élèves sepréparent aux carrières scientifiques et, coriséquem-

ment, l'orientation générale ost plus scientifique

que littéraire.Enfin, lorsqu'on compare les résultats des deux

enseignements, on oublie toujours que l'enseigne-ment moderne est plus court que le classique d'uneannée. On oublie qu'un élève de 2e (moderne) (c'estde celui-là que parlent MM. Langlois et Espinas)n'a, à son actif, que cinq années d'études secon-daires, et que son camarade de rhétorique en a six.Or, on devine le prix d'une année, lorsqu'il s'agitde parfaire une éducation littéraire.

En bonne justice, il faudrait comparer, à un

(1) Il y a des exceptions. Voir, dans les Recueils décomposi-tions du concoure général, la copie d'un élève moderne sur cesujet : Lettre de Michelet à Mommsen.

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' DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 125

élève de rhétorique, non pas un élève de 2e (mo-derne), mais un élève de 1" (lettres).

Si donc, au point de vue littéraire, au point de

vue formel devrait-on dire, l'enseignementclassiquesemble conserver sa prééminence, il ne faut pas sehâter de conclure qu'il la conservera toujours. Celaest fort possible et, d'ailleurs, la raison d'être dumoderne n'en serait pas atteinte, mais il fautattendre une expérience plus régulière pour établirune conclusion impartiale et définitive.

Dès aujourd'hui, pour tous les esprits non préve-

nus, une mesure s'impose. L'équivalence des résul-tats appelle l'égalité des sanctions. Comme le ditM. Foncin, c'est une question de justice et delogique :

« M. le Président. — Vous lui (à l'enseignementmoderne) donneriez immédiatement l'égalité desanction?

« M. Foncin. — Sans hésitation.«il/, le Président. — Vous croyez qu'il a fait assez

ses preuves pour que ce ne soit pas une aventure?« M. Foncin. — Oui, je dirai môme que c'est une

affaire de bonne foi. Vous créez un enseignementque, d'une part, vous déclarez l'équivalent du clas-sique, et d'autre part vous lui relirez ce que vous luiaccordez» Vous l'empêchez de conduire jusqu'audroit et à la médecine. Ce n'est pas logique et cen'est pas juste.

il.

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126 LA RÉFORME

L'égalité de sanction serait-elle un dangerpour l'enseignement classique latin.

Il apparaît, dès qu'on a réfléchi sur cette question,de l'égalité do sanction, que tous lés argumentscontre ne sont que des arguments de façade. Der-rière se cache la vraie raison de l'hoslilité'à cettemesure, à savoir la crainte que la dualité — avecl'égalité — n'amène à brève échéance la mort del'enseignementclassique latin.

L'enseignement moderneplus court d'un an, plusfacile, plus utilitaire (langues vivantes), plus acces-sible aux élèves des écoles primaires et primairessupérieures, sera, dit-on, préféré par la grandemajorité des élèves. La mauvaise monnaie, disentles détracteurs de l'enseignement moderne, chas-sera la bonne. Bientôt l'enseignement classiquedélaissé n'aura plus qu'à disparaître au grand pré-judice de l'enseignement Secondaire et du géniefrançais.

Voilà l'objection véritable. On sent à la lecturedes documents do la Commission d'enquête quecette objection liante l'esprit de tous : déposants etcommissaires. M. le Président traduit cette préoc-cupation — non pas une fois — mais en toute occasion, dès que l'égalité de sanction, à laquelle il estd'ailleurs favorable, est en discussion.

» M. le Président — Vous ne craignez pas que

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 127

l'enseignementclassique soit sacrifié à un enseigne-ment d'une durée plus courte ?

« M. Darboux. — Non, surtout en France où l'ona du goût pour les études classiques. »

Beaucoup témoignent du même optimisme queM. Darboux.

Us croient quela connaissance du latin et du grecpar la force de la tradition, et aussi par la supé-riorité réelle que cette connaissance donnera à ceuxqui en seront pourvus, conférera toujours, en dépitde la non-consécration officielle, le privilège d'êtred'une aristocratie intellectuelle sans égale.

D'autres, et parmi eux les meilleurs amis dol'enseignement classique, font valoir que cet ensei-gnement fût-il réduit à une minorité d'élèves béné-voles et capables, il n'y aurait pas là un mal, mais

un bien puisque socialement et pédagogiquement il

ne saurait convenir qu'à ceux-là.Il y a en France dans les divers établissements

d'enseignement secondaire (collèges, lycées, établis-sements congréganhles, séminaires, institutionslaïques) 81.000 élèves qui s'adonnent aux éludesgréco-latines. L'Angleterre en a cinq fois moins ;

l'Autriche et l'Italie en ont la moitié tout au plus.Peut-on sérieusement craindre qu'un jour — môme

avec l'égalité de sanction — la France manque delatinistes?

2° ois. — La dualité avec égalité. Deux enseigne-ments l'un littéraire, Vautre scientifique.

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128 LA RÉFORME%

Les deux conceptions qui viennent d'être exposéessi différentes qu'elles soient, se ressemblent en cepointqu'elles considèrent les deux types d'enseigne-ment secondaire, classique ou moderne, commeétant deux enseignements littéraires. Ne serait-ilpas plus logique et plus fécond de les concevoir l'uncomme type d'enseignement littéraire, et l'autrecomme type d'enseignement scientifique. C'est làl'idée essentielle de la magistrale déposition deM. Berthelot.

« L'enseignement moderne, pour être réellementfructueux à ses élèves et à la France, doit communi-

quer à ses élèves des connaissances susceptibles dedevenir utiles plus lard; c'ect-à-dire de leur per-mettre de concourir, par eux-mêmes et en vertu deleur initiative propre, aux progrès incessants dessociétés modernes, progrès fondés sur les scienceset sur leurs applications.

« Je parle do l'enseignement scientifique en géné-ral et non do l'enseignement professionnel, qui endécoule d'ailleurs, et sur lequel je reviendrai tout,à l'heure.

<t A l'heure actuelle, et dans l'état présent de lacivilisation des races européennes, il faut que l'es-prit de nos enfants s'habitue do bonne heure auxconceptions et aux méthodes scientifiques, en unmol à tout l'ensemble des idéos qui caractérisentla civilisation moderne : ce sont ces conceptions,

ces mélhodes/ces idées qui devraient prédominer

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 129

dans l'enseignement. A ce point de vue, je penseque l'enseignement moderne a été en partie faussé.

a A ses débuts, on lui avait donné une formescientifique assez générale, que l'on a restreinte deplus en plus, jusqu'à un degré tel que l'on en a faitune véritable doublure de l'enseignementclassique :

en s'imaginant qu'il suffisait d'y remplacer les lan-gues anciennes, grec et latin, par les langues mo-dernes : l'allemand et l'anglais et, dans certainesrégions, par l'italien, l'espagnol ou.même l'arabe,tout en conservant le caractère essentiellementlittéraire, du vieil enseignement classique.

« Sans doute, je suis le premier £ reconnaître quel'idée d'enseigner 'ces langues modernes est excel-lente, mais non celle d'en faire un enseignementclassique et littéraire.

« C'est là le vice peut-être le plus grave de cenouvel enseignement. En effet, une telle conception

a eu pour résultat, non-seulement d'y amoindririe rôle des sciences, qui aurait dû être prépondé-rant, mais d'entraver la connaissance des languesvivantes elles-mêmes. A l'heure présente, dansl'enseignement moderne, les élèves n'acquièrentpas une connaissance réelle, effective, ni de l'alle-mand, ni de l'anglais, ni des autres langues mo-dernes. On ne leur apprend ni à les parler ni à lesécrire, de façon à pouvoir en faire un usage pra-tique. Au lieu de cela on enseigne aux élèves àadmirer les beautés littéraires des auteurs allemandset anglais, de la môme façon et par les mômes pro-

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cédés par lesquels on apprend aux élèves de l'ensei-gnement classique ancien à admirer les beautés lit'térairesdesa'auteui3 grecs et latins. On a calqué pource prétendu enseignement moderne le moule duvieil enseignement classique.

« La chose est arrivée par suite d'une conceptioninexacte de sa destination, et surtout parce que l'ona choisi les mômes professeurs, élevés dans lesmômes établissements, c'est-à-dire ayant tous passé

par la même filière de l'agrégation.

« L'esprit de ces professeurs est rompu ainsi à decertaines méthodes, en dehors desquelles ils necomprennent pas leur rôle éducateur. J'ai entendumaintes fois des professeurs d'allemand ou d'anglaisqui se considéreraient comme déshonorés s'ilsapprenaient à leurs élèves à parler et à écrire pourl'usage courant les langues qu'ils enseignent. « C'est

» aux maîtres de langues à faire cette besogne », etils la méprisent.

« L'idée fondamentale de ces professeurs, forthonorables et fort instruits d'ailleurs, c'est qu'ilsdoivent enseigner avant tout les auteurs classiquesallemands ou anglais, c'estqu'ils doivent commenterGoelhc, Shakespeare, Schiller, comme on le faitdans les classes de lettres, pour les grands auteursgrecs ou latins, Homère, Sophocle, Cicéron.

v 11 résulte en outre de cette idée fausse ce graveinconvénient que, dans l'enseignement moderne,les professeurs de langues tendent à fausser notreculture nationale française, en substituant aux an*

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 131

ciens, qui représentent pour nous .des traditionsd'origine, la tradition allemande, ou la traditionanglaise. Or il est évident que nous ne devons pasprendre comme type la culture allemande ou an-glaise. Certes, je ne veux pas dire que nous ne de-vions pas les faire connaître à nos élèves; mais seu-lement à titre secondaire, en les subordonnant, pourla France-du moins, à une culture purement fran-çaise, et seulement comme conclusion finale de laconnaissance pratique de l'allemand et de l'anglais,préalablement acquise. Tandis qu'au contraire lesprocédés d'éducation suivis aujourd'hui ont poureffet de faire regarder une semblable connaissancepratique comme superflue, ou du moins accessoire;ainsi qu'elle l'est devenue pour le grec et le latin.

« Dans l'enseignement moderne, il doit existerassurément une portion littéraire considérable;mais celte portion doit être tirée des auteurs fran-çais.

«<En un mot, si l'enseignement littéraire cesse

d'avoir pour base le grec et le latin, il doit avoirdésormais pour fondement, en France, la languefrançaise. Quant aux langues modernes, commel'allemand ou l'anglais, on doit, je le répète, re-chercher surtout leur utilité pratique, c'est-à-direqu'on doit enseigneravant tout à les parler et à lesécrire.

« Je voyais encore ces jours-ci de gros industrielsbelges, qui se plaignaienten disant : « Nous sommes« obligés, pour nos affaires, de prendre les jeunes

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132 LA RÉFORME

« gens allemands qui nous arrivent, parlant aussi

« et écrivant le français. C'est qu'ils sont capables,

a quoique moins bien que vos nationaux, de rédiger

« nos lettres commerciales et de s'entretenir indif-

« féremmenl soit dans leur propre langue, soit en« anglais, soit en français.

« Au contraire, quand nous prenons un Français,

« il est d'ordinaire incapable d'écrire en allemand« et en anglais une lettre d'affaires, ou de soutenir

« une conversation. »

« Telle est la plainte universelle.

« L'enseignement moderne aurait dû remédier àcet état de choses.

« Voici une autre faute, très grave également,commise dans l'organisation de l'enseignementmoderne. Quand on l'a organisé, et j'ai assisté àcette organisation, on s'est aperçu qu'en lui assurantsa durée légitime, elle comportait deux années demoins que l'enseignement moderne classique. Aussi-tôt, le souci fondamental des directeurs a étéd'ajouter deux ans à l'enseignement moderne, pourqu'il ne pût pas finir plus tôt.

« Or il eût été préférable de toute façon que cetenseignement moderne comportât deux années demoins, afin que les jeunes gens puissent les consa-crer aux éludes professionnelles.

« Aujourd'hui les jeunes gens qui veulent entrerdans les carrières industrielles, ou scientifiques, yentrent trop tard : leur esprit n'a plus la mômesouplesse, ni la même facilité à se prêter aux études

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 133

professionnelles. Avec les deux années que l'ensei-gnement moderne aurait laissées disponibles, laplace nécessaire était toute, trouvée.

« Pour les études agronomiques, il y a aussi uncertain nombre de matières qu'il faut s'assimiler debonne heure.

« Il en est de même pour les éludes industrielles,surtout pour celles qui exigent certaines connais-

sances scientifiques; je citerai ces industries del'électricité, qui prennent partout une extensionénorme et qui réclament, au point de vue pratique,des connaissances scientifiques très approfondies.Des écoles d'électricité se sont fondées pour cesobjets en Suisse et en Belgique. En France, oncommence d'ailleurs à en organiser.

« Or ces matières relèvent de l'enseignement mo-derne. C'est là une des raisons pour lesquelles il yaurait eu tout profit, je le répète, au point de vuesocial, à ce que cet enseignement demeurât pluscourt de plusieurs années que l'enseignement clas-sique, afin do rendre possibles les études profes-sionnelles dès l'adolescence.

« Tout au contraire, on s'est ingénié à allongerl'enseignement moderne, sous l'empire de vues unpeu étroites, et dans la crainte que sa brièveté plusgrande ne nuisît à l'enseignementclassique.

« Telles sont les causes pour lesquelles j'auraisvoulu que l'enseignement moderne ne fût pas donnédans les mômes établissements, ni par les mêmesméthodes, ni par le même personnel que l'ensei-

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134 LA RÉFORME

gnement classique; attendu que l'un de ces ensei-gnements réagit d'une manière nécessaire sur l'au-tre, lorsqu'ils relèvent d'un môme organisme.

« Cet inconvénient ne se serait pas produit si l'onavait institué un enseignement moderne et auto-nome.

« Reste celte question : Le diplôme de l'enseigne-ment moderne peut-il donner accès aux Facultésde droit et de médecine ? Ici, il ne s'agirait plus d'undiplôme, mais d'un certificat d'études. Or, je nevois pas pourquoi ce certificat ne serait pas équiva-lent, dans ce cas, au baccalauréat de l'enseignementclassique.

«En ce qui touche l'Ecole de droit, n'étant paslégiste, je ne suis pas compétent; mais je ne crois

pas que, pour cette faculté, l'équivalence des deuxenseignements présente de grosses difficultés. Je

me suis entretenu, à ce sujet, avec diverses per-sonnes.

« En effet, la Faculté de droit a ses contrôles, sesexamens propres. En cette matière, les jeunes gensdoivent faire preuve de capacité ultérieure; et dumoment qu'ils auront préalablement prouvé qu'ilsont participé, soit à la culture classique, soit à laculture moderne, il serait étrange qu'on ne leurdonnât pas les mêmes facilités.

« Quel inconvénient y a-t-il au point de vue so*cial? Je ne vois pas en vertu de quel principe on al-longerait, arbitrairement, les études de tout lemonde, au profit égoïste des études littéraires. Pour

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 135

le choix entre l'enseignement classique et l'ensei-gnement moderne,en définitive, ce sont les famillesqui sont compétentes. Ce sont elles qui saventquelles dispositions l'enfant peut avoir, quelle car-rière il doit poursuivre. Je n'envisagepas, en ce mo-ment, l'utilité que peut avoir l'un ou l'autre ensei-gnement. Ceux qui auront le goûtdel'enseignementclassique le prendront tel qu'il est, avec sa duréeplus longue. Ceux qui voudront arriver plus vite à

un but pratique, iront à l'enseignement moderne.Cela amènera, peut-être, une diminution considé-rable dans le nombre de jeunes gens qui se des-tinent aux études classiques. Mais enfin nousn'avons pas à envisager une conséquence qui n'in-téresse que certaines classes, mais plutôt l'utilitésociale. Je ne vois pas d'utilité sociale à ce quel'immionse majorité de notre jeunesse soit ainsi for-cée de suivre une carrière qui a fait tant de fruitssecs ou de déclassés. Je vois bien plus d'avantagesà ce qu'ils aient la liberté d'aboutir à une professionutile et fructueuse pour la société. Je ne reculedonc pas'devant celle conséquence (1). »

(l) Certaines Chambres de Commerce préconisent le systèmedo M. Berthelot, celle de Bourges notamment qui cito et com-mente et approuve la déposition du grand savant, ancien mi-nistre de l'Instruction publique.

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136 LA RÉFORME

L'insuffisancedes études scientifiques dansle système aotuel.

M. Berthelot a bien raison de plaider pour lessciences, car elles sont sacrifiées dans le systèmeactuel : la preuve en est dans la disproportion entrele nombre des bacheliers es lettres et des bachelierses sciences. Pléthore pour les lettres, déficit pourles sciences. M. Darboux s'est inquiété de celte ano-malie d'autant plus étrange, que les sciences pro-gressent tous les jours et sollicitent de plus en plusl'activité intellectuelle et pratique.

La statistique des baccalauréatsclassiques et mo-dernes de 1888 et 1896 est éloquente à ce sujet.

13S*-18S9 1S07-1898

Baccalauréats littéraires. .

3.911 5.162Baccalauréats scientifiques

.3.2S0 2.479

Ainsi depuis dix ans, l'écart entre le nombre desbaccalauréats scientifiques a augmenté. « Voilà unrésultat bien inquiétant », s'écrie M. Darboux. A

une époque où les sciences voient leur rôle et leurplace grandir chaque jour le nombre des bacheliersscientifiques(déjà insuffisant en 1888) a diminuéd'un quart. Le remède indiqué par M. Darboux, quiest partisan convaincu de la coexistence des deuxenseignements classique et moderne et qui ne veut

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 137

amoindrir ni l'un ni l'autre, estimant qu'ils ont unégal droit de vivre, c'est, d'une part dans l'enseigne-ment classique la bifurcation, soit après la 3e, soitaprès la 2*, vers deux sections d'études distinctes;l'une plus littéraire, l'autre plus scientifique — etd'autre part, — l'égalité desanctions qui permettraàl'enseignement moderne, c'est-à-direà un enseigne-ment plutôt scientifique, un recrutement normal.

Ces doléances ne sont pas le fait des seuls savants.On en trouve l'écho dans le pays lui-môme, témoin cepassage emprunté au rapport approuvé par le Con-seil général do Tarn-et-Garonne.

.« Tout le monde est d'accord sur la nécessité

de relever les études scientifiques dans notre pays.Le Ministre de l'Instruction publique signalaiten 1896 toute l'étendue du mal en déclarant quenombre de nos industries scientifiques sont forcéesde se recruter à l'étranger. Il faut attirer nos étu-diants dans les facultés des sciences, mais pour celail faut d'abord mettre ces jeunes gens à môme d'ensuivre l'enseignement, et c'est ce que l'organisationactuelle des études ne permet qu'à un trop petitnombre.

« Il y a cinq ans que la classe de. mathématiquespréparatoire est supprimée et on voit nettementmaintenant quel coup funeste sa disparition a portéaux études scientifiques.Le recrutementdes grandesécoles est d'année en année plus mal assuré, lesclasses de mathématiques spéciales notammentsont devenues d'une faiblesse extrême.

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138 LA RÉFORME

« Veut-on quolquos chiffres et des exemples?

« Citons d'abord la diminution du nombre descandidats à l'École polytechnique :

« En 189?. ....... 1.715,

1891 ........ 1.069189ô 1.5971896

.1.300

1897 1.0-19

« Si encore la qualité compensait la quantité, iln'y aurait qu'à se réjouir, mais il s'en faut do beau-coup. L'Ecole polytechnique s'est même vue dans lanécessité, en présence de l'affaiblissement progressifdu niveau des examens, de réduire à partir do 1897

le programme des connaissances mathématiquesdont les candidats ont £«. faire preuve.

« L'Ecole centrale ne voit pas le nombre de sescandidats diminuer, à cause du privilège dont ellejouit de faire faire comme officiers à ses élèves leurunique année de service militaire, mais elle a étéforcée, à partir de 1897, d'abaisser en mathéma-tiques le niveau de son programme d'admission. A

partir de 1897, la môme année, le programme desconnaissances mathématiques exigées à l'admissionde Saint-Cyra subi la mémo amputation jugée né-cessaire par la préparation insuffisante que reçoiventforcémont les candidatsdans lesclasses qui précèdentle cours directement préparatoire à Saint*Cyr. i>

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 139

L'unité et la diversité.

Le système de M. Berlhelol instituerait deux ensei-gnements parallèles : l'un à base littéraire, l'autre àbase scientifique, avec égalité de sanction.

M. A. Bertrand, professeur de philosophie à laFaculté de Lyon, propose une révolution plus radi-cale qui, renversant l'ordre établi — et à ses yeuxsuranné— mettrait à la base de tout l'enseignementsecondaire non les lettres, mais les sciences.

Un enseignement littéraire avec complémentscientifique, voilà le passé; un enseignement scien-tifique, avec complément littéraire, voilà l'avenir!

Cette thèse, très séduisante, vaut qu'on s'yarrête.

L'enseignement classique, dit-il, est en pleinedécadence, et la cause en est facile à reconnaître :

« C'est l'invasion des sciences ; elles so sont préci-pitées toutes ensemble dans un système préparéuniquement pour l'enseignement des lettres et l'ontbrisé. Celte invasion des sciences est-elle un bien,est-elle un mal? question oiseuse, puisque c'estune loi, une nécessité. Ce qui est certain, c'est quenous n'y pouvons rien. Nous ne pouvons ni rétablirles lettres grecques et latines dans leur splendeurpremière, ni supprimer les sciences qui, fortes desbesoins de la vie moderne, ne se laisseraient paséliminer ou seulement diminuer.

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140 LA RÉFORME

« Ce qui a manqué aux grands pédagogues de laRévolution, à Condorcet, par exemple, pour fonder

sur le roc l'enseignement secondaire national — (à

mon avis, l'enseignement secondaire est en déca-dence depuis cette époque) — c'est une classifica-tion des sciences. Qu'on relise le célèbre rapport deCondorcet, on aura le spectacle d'un très puissantesprit dévoyé, presque frappé d'impuissance parcequ'il travaillait sur une classification des sciencesdéfectueuse, celle de Bacon, revue mais non recti-fiée par d'Alembert, classification dans laquelle lessciences s'enchevêtrent et chevauchent les unes surles autres.

« Voilà pourquoi on n'a rien fait de définitif en cequi concerne l'enseignement secondaire pendant laRévolution. Et je désire qu'on ne se méprenne passur mes intentions ; je ne demande pas plus desciences, j'y insiste, je ne demande pas moins delettres, mais si l'on considère les sciences, non leslettres, comme l'ossature intérieure des éludes, le

noyau, le centre, je constate que tout devientintelligible et qu'il n'est plus besoin d'autant d'orbeset d'épicycles pédagogiques. Ce serait le termed'une évolution ou l'achèvement d'une révolutionqui se fait actuellement sans nous, sinon malgré

nous.« Je désire ardemment cette réforme unique,

parce qu'elle peut mettre fin aux réformes de détailqui se détruisent l'une l'autre et qui tuent l'ensei-gnement.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 141

« Depuis trente ans l'histoire de notre enseigne-ment secondaire tient en trois mots que j'emprunteà Voltaire : on réformait, réformait, réformait 1

« Les réformes de détail n'étaient nullement mau-vaises chacune prise à part; ceux qui les ont faitesavaient les meilleures intentions ; elles ont eu, aumoment précis où on les réalisait, leur nécessité^parlant leur utilité; je cherche donc la logique deces réformes, leui» ligne de convergence et je trouvequ'il y a au fond unité de direction, en dépit destâtonnements, des hésitations, même des retoursen arrière.

« Celte orientation des réformes c'est, pour ladéfinir en un mot, l'introduction progressive, mais

peu méthodique, des sciences dans l'enseignementsecondaire : ce fut l'esprit de l'enseignement « mo-derne » de M. L. Bourgeois. Rien de plus légitime;n'espérons pas remonter le courant; ne barronspas le chemin aux sciences ; endiguons-les pourqu'elles ne détruisent plus, mais fécondent et enri-chissent ; hâtons-nous de leur faire leur juste part,de peur qu'elles n'envahissent tout l'entendementet tout l'enseignement.

« Je vais essayer d'adapter à la réforme de l'en-seignement la classification des sciences d'AugusteComte. Non que je prône ou que je prêche le posi-tivisme, mais parce que la classification de Comtedétachée du système me semble éminemmentpropre à' guider la pédagogie de l'enseignementsecondaire. Tout le monde sait qu'elle échelonne et

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hiérarchise les scion.ces de la mathématique à lamorale : l\mathématiques; 2°astronomio; 3° phy-sique; 4° chimie; 5* biologie; 6° sociologio; 7* mo-rale.

» C'est l'ordre du développement historique dossciencos. Avec Comte, je crois que chaquo esprit in-dividuel se développe commo s'est développée l'hu-manité : intervertir l'ordre naturel et lui substituerun plan artificiel d'études, rien n'est plus dange-reux.

» L'ordre historique est aussi le meilleur ordrepédagogique, et celui-ci ne fait qu'abréger lesétapes. Il ne les supprime et ne les intervertit qu'àses dépens.

» Il me reste d'ailleurs à exposer ce que je pensede l'enseignement des lettres, complément néces-saire des sciences. C'est de l'étude des lettres sur-tout que viendra la variété. Les études littérairesconsisteront essentiellement en deux langues —seulement je ne dis pas deux langues vivantes. Jedis : deux langues, outre l'étude approfondie dufrançais, et je laisse une liberté absolue à l'élève derésoudre pour son compte personnel, à ses risqueset périls, ce qu'on a appelé la «question du latin ».L'élève, loin de se borner à son bagage scientifique,doit, outre le français, étudiera fond deux langues:je l'exhorterai, avec une profonde conviction per-sonnelle, à choisir sans hésiter pour une de ceslangues le latin.

» Quant au grec, c'est un sacrifice nécessaire. La

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 143

raison? .Pas d'autre que celle-ci, la capacité céré-brale a des bornes. On ne peut loger dans une tête,môme bien faite, d'adolescent et la science et l'éru-dition : il faut opter. L'art d'enseigner a cela decommun avec l'art d'écrire qu'il consiste à choisir etvit de perpétuels sacrifices. M. Fouillée, le grandinterprète de Socrate, do Platon, qui connaît le

« divin Platon » mieux qu'il ne se connaissait lui-même, semble se résigner à abandonner le grec ; jesuis sûr qu'il ne le fait pas de gaieté do coeur etsans déchirements.

» Le principal avantage de mon plan, et je tiensà le faire ressortir, c'est que notre enseignementsecondaire étant réorganisé sur la base scienti-fique, ce serait l'unité de vie et d'espril, une réellehomogénéité introduite enfin dans nos trois degrésd'enseignement. Plus de solution de continuitéentre le primaire et le secondaire. L'enseignementsecondaire est la pièce essentielle du système, lepivot des deux autres degrés d'enseignement.Je nesaurais trop répéter que je le caractérise par ceseul mot : il est un enseignement théorique et cecaractère l'oppose nettement à l'enseignement pri-maire, qui est empirique et à l'enseignement pro-fessionnel qui est immédiatement utilitaire et pra-tique. Actuellement, un élève de primaire qui veutentrer en secondaire est obligé, théoriquement dumoins, de se remettre pour ainsi parler à la. queue,de recommencer en 6e par les éléments du latin,tandis qu'une bonne organisation, je dis bonne au

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144 LA RÉFORME

point de vue pédagogique et au point de vue démo-cratique, permettrait à un très bon élève de l'en-seignement primaire de devenir d'emblée un bonélève de l'enseignement secondaire. C'est un pointde très grande portée sociale; c'est le recrutementde l'élite sur une base de sélection exactement

icoextensivo au suffrage universel. »

4° La superposition. — Les deux cycles.

11 reste à exposer un système qui concilie lesdeux autres, le système do la superposition : unenseigement unique, commun à tous, obligatoire,formant un tout complet et se suffisant à lui-môme,jusqu'à treize ou quatorze ans environ (4e d'aujour-d'hui), puis une dualité et môme une pluralité d'en-seignements divergents au-dessus —un môme tronc

— duquel s'élanceraient librement vers la lumièrebranches et rameaux : tel apparaîtrait l'arbre péda-gogique.

M. Foncin, appuyé d'ailleurs d'un très grandnombre d'universitaires (1), dont il est l'interprèteautorisé, a exposé avec force ce système. L'ensei-gnement secondaire serait divisé en deux cycles :le premier, de dix à quatorze ans, le deuxième, déquatorze à dix-sept ou dix-huit ans.

« Essayons de préciser le caractère particulier dechacun de ces deux cycles.

(1) MM. Salomé, Jules Gautier, Jamct, etc., etc. " -

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 145

« Dans lepremier, nous avons affairoà des enfantsde dix à quatorze ans. Etant donné cet âge, il faudrasurtout exercer leur mémoire et éveiller leur ima-gination.

« Dans lo second cycle, au contraire, nous sommesen présence d'adolescents de quatorze a dix-septans : il faudra surtout fortifier leur raison et at-teindre leur coeur.

« Les matières enseignées dans les deux cyclespourrontêtre, sinon les mômes, du moins de mêmenature ; mais il faudra les enseigner différemment,en s'occupant surtout des mots et des faits dans lepremier cyclo, dos sentiments ot-des idées dans lecycle supérieur.

« Dans la première période, on s'efforcera dedonner à tous une première et solide formationsans s'occuper des vocations possibles ; dans la se-conde, sans négliger la formation générale de tous,on pourra, je ne dis pas préparer, mais au moinsdécouvrir les vocations possibles de chacun.

«Je vais plus loin; dans les quatre premièresannées, l'enseignement sera le même pour tous, ilformera en quelque sorte le tronc de l'arbre ; dansle cycle supérieur, à côté d'un enseignement prin-cipal obligatoire pour tous, il y aura des cours spé-ciaux dont le choix sera libre et que je compareraiaux rameaux naissant autour de la tige maîtresse;mais l'arbre n'aura toutes ses branches que dansl'enseignement supérieur.

« Quel sera donc le programme de l'enseignement

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146 LA RÉFORME

secondairo? Après tout ce qui vient d'être dit, nouspouvons le prévoir, car cela revient à se demanderquels sont les enseignements nécessaires à toutel'élite d'un grand peuple.

« Nous voulons former des hommes droits etjustes, en môme temps que robustes et endurants,de bons Français, connaissant bien leur patrie etl'aimant d'un amour raisonné, capables de se sacri-fier au besoin pour elle; des hommes éclairés etlucides, au courant des ressources et des avantagesde nos concurrents, quels qu'ils soient, ayant l'es-prit ouvert sur toutes les grandes questions dumondo moderne, bien armés pour la lutte, prêts àl'affronter, capables de se conduire et do conduireautrui.

« Les articles fondamentaux, les premiers articlesde notre programme seront d'abord l'éducation dela volonté, fortifiée à la fois par un enseignementmoral et des exercices physiques sagement gradués ;

« 2° L'enseignement de la langue et de la littéra-ture nationales;

« 3° L'enseignement do l'histoire et de la géogra-phie ;

« 4° L'élude comparée des civilisations ou dumoins des grandes civilisations ;

' « 5° La connaissance des éléments des sciences etde toutes les grandes découvertes qui, depuis unsiècle, ont renouvelé le monde.

,

a Enfin, l'étude d'une langue étrangère, à la foisla plus différente possible de la nôtre et la plus

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 147

nécessaire à connaître. A mon avis, cette languo nesaurait être que l'ullemand.

« Quant au latin et au grec, —je prévois l'objec-tion, — ils ne figureraient pas d?ns lo programmode l'enseignement secondaire proprement dit; jus-qu'à l'âge de quatorze ans, nos enfants n'appren-draient pas le latin. On me demandera pourquoi...Mais pour bien des raisons, dont quelques-unes sansdoute vous ont 3tô dites :

« C'est que la connaissance des langues mortesn'est utile qu'à une faible partie de l'élite françaiseet qu'il serait vraiment abusif de l'imposer à tous ;

c'est que lo nombre et l'étendue des matières del'enseignement urgentes et nécessaires s'est telle-ment accru depuis un siècle, qu'il est difficile au-jourd'hui de maintenir, dans nos programmes,l'enseignement des langues mortes pour lamajoritédes élèves. C'est que l'élude de l'allemand pourraôlre une excellente gymnastique, comparable à lagymnastique gréco-latine.

« C'est que, actuellement,beaucoup de nos bache-liers sont peu capables d'expliquer à livre ouvert untexte latin môme facile ; quanfau grec, la plupartl'ignorent. J'ajouterai que nous espérons enseigner

en français à nos élèves la connaissance des institu-tions, des littératureset des arts de l'antiquité à peuprès aussi bien qu'on l'a fait jusqu'à nos jours enexpliquant des textes latins ou grecs.

« Qu'il ne soit donc plus question, ni d'enseigne-ment classique, ni d'enseignement moderne.

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148 LA RÉFORME

« Cessons d'opposer professeur à professeur, pro-grammes à programmes, enseignement à enseigne-ment, élèves à élèves. Il faut que l'enseignementsecondaire, refondu et approprié à notre temps,redevienne et reste uniquement l'enseignementsecondaire tout court et sans épithète.

,

« Lo centre de cet enseignement, l'âme qui lefera vivre, le feu sacré qui soutiendra le zèle desprofesseurs et des élèves, sera lo culte de la patriefrançaise et de toutes les grandes idées morales,qu'elle incarne. Tous les programmes devront êtregroupés autour de celte pensée dominante et pri-mordiale.

« Dans le cycle de l'enseignement secondairesupérieur au contraire, à côté de l'enseignementprincipal qui serait obligatoire pour tous,les élèvespourraient suivre des cours spéciaux entre lesquelsils auraient le choix, faisant ainsi une première expé-rience de leur vocation. Ces cours correspondraient

aux trois grandes divisions de l'activité nationale.Il y aurait d'abord des cours de latin, (je ne parlepas du grec, qu'il faudrait peut-être abandonner),pour ceux qui se sentiraient la vocation des lettres,de l'érudition, du droit, de l'enseignement.

,

« En second lieu, il existeraitdescours de sciences

pour ceux qui aspireraient aux grandes écoles et àtoutes les carrières scientifiques : Ecole polytech-nique, Ecole centrale, Ecole de Saint-Gyr, etc.

« Il y aurait enfin des cours de notions agricoles,industrielles, commerciales et coloniales, pour ceux

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 149

—- et ils devraient ôlre la majorité, — qui seraienttentés surtout par l'activité économique.

» Ajoutons un cours do langue vivante qui serait,suivant les régions, soit l'anglais, soit l'italien, soitl'espagnol. »

Le système exposé devant la Commission, parM. Foncin, compte de nombreux partisans dans lesChambres de Commerce, notamment à La Rochelle,à Dieppe, à Chartres, à Rouen, à Armenlières :

« Nous né sommes pas les adversaires des lettreset s'il était possible aux négociants et aux indus-triels de posséder toules les connaissancesqu'exigentleurs affaires et d'avoir en même temps l'espritorné de toutes les beautés de la littérature, ce seraitparfait. Mais nous savons que ce résultat ne peutêtre obtenu que par quelques intelligence supé-rieures. Il faut donc choisir et, en présence desdifficultés toujours grandissantes, l'hésitation n'estguère possible; il est indispensable de donner auxfuturs commerçants des connaissances pratiques etsolides qui leur permettent de soutenir avantageuse-ment la lutte. Nous croyons que l'on éviterait lesinconvénients que nous avons signalés si, dans leslycées et collèges, les élèves ne commençaient lesétudes classiques que vers la troisième.

« Jusqu'à la quatrième l'enseignement serait lemême pour tous ; il ne comprendrait que les con-naissances générales elles langues vivantes. Comme

13.

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150 LA RÉFORME

le latin et le grec ne feraient plus partie du pro-gramme, on pourrait relever le niveau de cetenseignement.

« Après cette première période, il ,y aurait bifur-cation; les aptitudes des élèves s'étant mieux révé-lées, ils se dirigeraient soit vers la littérature, soit,

vers les sciences ou enfin vers l'enseignement com-mercial pour se préparer aux écoles supérieures decommerce.» (Chambrede Commerce d'Armeulières.)

« C'est pourquoi nous trouvons que la bifurcationà la sixième est prématurée, il est difficile à cet âgede connaître l'aptitude de l'élève, et les deux ensei-gnements y gagneraient à se confondre jusqu'à laquatrième. Ils conserveraient l'un et l'autre, etcomme cela doit être, l'égalité dans l'opinion. »(Chambre de Commerce de Dieppe.)

« Nous considérons que l'enseignement classiqueou moderne devrait être uniquejusqu'à la quatrièmeinclusivement. A la troisième se ferait la bifurca-tion et, avec cette classe seulement, commence-raient les études de latin et de grec pour les jeunesgens qui désireraient les suivre. » (Chambre deCommerce de Bourges.)

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DE L'ENSEIGNEMENT SECOND VIRE 151

Le système de M. Foncin et l'école réformisteallemande.

Ce système d'un enseignement unique à la base,sans langues mortes, n'existe chez nous qu'à l'étatde projet : il est chez nos voisins une réalité vivante.M. Pinloche, professeur au lycée Charlemagne, undes hommes les mieux renseignés sur les chosesd'Allemagne, donne sur cette question — dans sadéposition devant la Commission, dans son articlede la Revue Pédagogique (avril 1899) et, enfin, dansson ouvrage sur renseignement secondaire enAllemagne — les renseignements les plus complets,les plus récents et les plus authentiques.

« Il ne s'agit plus ici, dit-il, de simples théories

ou d'essais isolés; nous avons sous les yeux unensemble imposant de faits que tout le mondo peutcontrôler. A l'heure actuelle, il n'y a pas moins detrente écoles, dont vingt-deux en Prusse, organisées

ou réorganisées d'après lo type réformiste. Li villede Francfort, que l'on peut considérer comme lecentre le plus important du mouvement, possède àelle seule trois de ces écoles : le gymnase Goethe,l'école Woehler et l'école Klinger qui ont servi, avecle gymnase d'AUona, de modèles à toutes les autres.Partout, sauf en Bavière, l'autorité gouvernemen-tale s'est montrée favorable à la réforme, et les

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152 LA RÉFORME

villes, notamment, ont tout fait pour en assurer lesuccès. *

*

«Enfin, l'empereur lui-même a pris une parttrès active au mouvement et a manifesté lo désir devoir toutes les écoles modifiées dans le sens réfor-miste; qu'on l'approuve ou non, il y a donc là uneévolution dont personne ne saurait nier l'impor-tance et dont il faut préciser le sens et la portée.

« Le caractère fondamental de l'école réformisteest de ne commencer l'élude du latin qu'en troi-sième et de la remplacer par l'étude d'une langueétrangère, qui est généralement le français. Pourrattraper le temps perdu, on donne alors du latin à

« haute dose » 10 heures par semaine. Déjà pré-parés par le français, on nous affirmequ'ils peuvent,dès la fin de l'année, commencer à lire César et,l'année suivante, Horaco et Tacite ; quant au grecils ne l'abordent qu'en seconde, c'est-à-dire qu'ilest presque entièrement sacrifié. Enfin, pour lesautres élèves, les langues mortes sont remplacéespar l'anglais. »

Les objections.

La première objection à ce système si l'on voulaitl'appliquer chez nous, c'est la difficulté de bien en-seigner le français,

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 153

« Il y a, dit M. Croiset, une raison pour com-mencer le latin de bonne heure : c'est qu'il est plusfacile de bien enseigner le latin à de jeunes enfantsque de leur bien enseigner le français.

« Rien n'est plus difficile que de bien enseigner lefrançais et il faudrait, pour que cet enseignementdu français pût réussir au début dans des conditionsoù il est particulièrement difficile, il faudrait êtresûr de n'avoir p|uc des professeurs de premier ordre.Ce n'est pas ce qui se produira. On aura toujours,pour ces débuts, des professeurs dont quelques-unsseront très bons, mais dont beaucoup laisseront àdésirer. C'est la loi fatale, et on risque d'avoir unenseignement français qui no produise pas les fruitsqu'on en attend. Les professeurs^seront tentés de

se jeter dans les étymologies et les curiosités gram-maticales qui laissent très peu de fruit et ne déve-loppent pas l'esprit d'analyse indispensable pourpousser plus loin les études.

a Je suis très frappé pour ma part do voir com-bien, dans un tout petit exercice élémentaire surune phrase grecque ou latine, l'esprit de l'enfanttravaille ; dès que vous placez un enfant de dix ansen face d'une phrase latine qui a un sujet, un verbeet un attribut, il faut qu'il comprenno que ce vête-ment extérieur de la flexion finale manifeste desrapports d'idées qu'il apercevrait sous d'autres ap-parences dans la phrase française, et qu'il modifiela construction des mots.

« II lui faut, pour arriver à traduire sa petite phrase

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154 LA RÉFORME

latine, un notable effort d'analyse et un précieuxexercice de logique. »

Sans doute, il est plus facile d'enseigner le latinque le français, mais c'est là une objection qui vise •

non la constitutiondes programmes pour les élèves,mais la préparation pédagogique des professeurs.C'est une question de réforme de l'agrégation. QueM. Crpîsetsoit chargé de diriger la. préparation desfuturs professeurs de français et l'on peut ôlreassuré qu'ils seront excellents.

Voici une objection plus grave. C'est le retardapporté à l'étude du latin.

« M. le Président. — Mais vous êtes d'avis qu'ilfaut, autant que possible, commencer de bonneheure l'étude de.s langues mortes I On a soutenu àcertaines époques et on soutient aujourd'hui de nou-veau que l'on pourrait, après une culture 'qui neporterait pas sur ces langues mortes, en commencerutilement l'étude vers l'âge de quatorze ans. Vous

ne partagez pas cette manière de voir?

« M. Croiset. — Ce n'est pas mon avis, ot je n'encrois pas un mot pour plusieurs raisons.

« L'apprentissaged'une langue, quelle qu'elle soit,comporte une partie technique, de mémoire, uneacquisition de matériel qui ne se fait pas bien, passé

un certain âge.« Des savants qui font leur spécialité d'une langue

difficile, comme le sanscrit, arrivent après des années

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 155

de travail à savoir très bien celte langue, mais ellene leur est jamais aussi familière qu'une languequ'on a peut-être moins bien sue, mais qu'on a ap-prise étant enfant. Je me rappelle M. Bergaigne medisant un jour : « Il y a vingt ans que je fais du« sanscrit, et cependant, quand je lis un texte sans-« crit — notez qu'il le savait admirablement, son« nom a marqué dans la science française et môme

« dans la science européenne — quand je lis un« texte sanscrit, jene suis jamais aussi tranquille« que quand je lis un texte grec, quoique je sacho

« bien moins le grec ; mais je l'ai appris en classe

« et j'ai commencé le sanscrit à vingt ans. »

« 11 y a d'ailleurs des exercices nécessaires qu'unjeune enfant pratique volontiers, et qu'il repousse*rait plus tard. Un enfant do dix ans s'amuse àapprendre des .mots d'une langue étrangère; unepetite règle de grammaire l'intéresse, à la conditionqu'on ne la lui impose pas sans explications, maisqu'on la lui fasse trouver lui-même.

« A quatorze ou quinze ans, l'enfant est déjà plusdédaigneux de ces pelits exercices qui lui paraissentmédiocres' et il n'y met pas le môme coeur et lemême plaisir, sa mémoire est plus rebelle parcequ'elle contient déjà plus de choses, quelles quesoient les éludes par lesquelles il a commencé; elleest moins souple et moins obéissante, moins fidèlesurtout. En matière de langue, il faut commencerde bonne heure.

« Bien entendu, il y a des exceptions; on peut

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156 LA RÉFORME

citer certains jeunes gens qui ont commencé tard etqui ont réussi. J'en ai connu personnellement untrès distingué qui est arrivé à l'Ecole normale à dix-neuf ans, après avoir fait des études primaires jus-qu'à quatorze ans. Il y a des exceptions partout etles hommes supérieurs se tirent toujours d'affaire.Mais ce n'est pas pour ceux-là évidemment qu'ondoit légiférer. Pour la moyenne des élèves, il esttout à fait nécessaire de placer, au début, des étudesqui à ce moment-là soient adaptées à leur natured'esprit et à leurs goûts. »

L'argumentation de M.' Croiset ne se réfute*t-ellepas d'elle-même, si l'on admet que l'enseignementlatin doit être réservé aune minorité d'élèves trèsdistingués? Qu'importe qu'il soit trop tard pour la

moyenne des élèves, si précisément celte moyennedoit être écartée de l'étude du latin. Pour les élèvesvraiment aptes, M. Croiset admet qu'il suffit de

commencer à quatorze ans.C'est l'avis de M. Gréard, de M. Ernest Dupuy,

inspecteur général pour les lettres, et d'un trèsgrand nombre de professeurs, forts de leur expé-rience et prêts à apporter des faits aussi nombreuxque probants.

Aussi bien si l'on veut constituer un enseigne-ment unique à la base, il faut résolument exclurele latin, Le latin est vorace, il absorbe tout. On nefait pas au latin sa part ; il se fait la part du lion.Comme ces arbres vigoureux qui poussent, hauts et

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 157

larges, et font autour d'eux l'ombre et la mort, lelatin par cela môme qu'il croît et s'étend gêne etanéantit les études voisines. Conformément à la tra-dition classique, le latin sera enseigné par le pro-fesseur principal, celui qui dispose de la plus grandesomme d'heures : il en consacrera la plus grandepartie à l'enseignement du latin. Jamais lessciences, jamais les langues étrangères ne serontprospères dans un enseignement à base latine — eta fortiori gréco-latine.

Du reste, à quoi bon imposer — dans un premiercycle — commun et même obligatoire à tous,l'étude du latin et du grec qui ne sera profitablequ'à quelques-uns? C'est le droit de la majorité, dela moyenne si l'on veut, d'exiger l'enseignement quilui convient.

Sans doute, diront les partisans des anciennesdisciplines, il est possible d'apprendre le latin en necommençant que vers quatorze ou quinze ans. —•Nous l'admettons, mais ne vous hâtez pas do triom-pher.

Qu'adviendra-l-il en effet?De deux choses l'une : ou l'élude du latin ne sera

dans ce deuxième cycle que superficielle et rapide,

— et mieux vaudrait la supprimer tout à fait, — oucette étude sera sérieuse et absorbante — et alorselle sera un contre-sens pédagogiqueI Précisémentà l'âge où l'esprit demande un aliment plus solide,surtout des idées et des faits, on le nourrit presqueexclusivement de formes grammaticales et on

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158 LA.RÉFORME

l'occupe de déclinaisons et de conjugaisons, desyntaxe et de métrique.

« Il se peut quo la nouvelle école constitue unprogrès pour les classes inférieures, ce qui d'ailleursreste à démontrer, mais pour les classes supé-rieures, c'est un recul. »

(M. do Sallwiirk, cité par M. Pinloche.)

Le gymnase réformiste, dit M. de Landmann, mi-nistre de l'Instruction publique (Chambre des Dé-putés de Bavière, 28 mars 1898), m'inspire plusd'appréhensions et d'inquiétudes que l'égalité desanctions (1), car c'est la hache mise dans la racinede nos études humanistes... Une telle organisationdes études me paraît être le commencement de lafin. Je la cqnsidère comme un germe de mort pourla culture humaniste. »

Ces objections — a priori — peuvent paraîtrefortes. Mais à quoi bon discuter des théories, alors

que les faits vont bientôt être soumis à notre juge-ment. Les plus belles raisons démonstratives nevalent pas la plus petite expérience. Or l'expérience

se fait en Allemagne. « Les avantages extérieurs du

nouveau système (l'école réformiste) sont si frap-pants qu'il a été en général bien accueilli par le

(i) On a vu plus haut que l'égalité de sanction» pour leclassique et le moderne (réal) est aujourd'hui un fait accompli

en Allemagne.

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DÉ L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 159

public, notamment dans les centres de commerceet d'industrie. Partout il a surgi des établissements,de Francfort et d'Altona, et tous les jours il s'enouvre de nouveaux, grâce aux encouragements desmunicipalités. »

11 faut donc attendre la fin de celte intéressanteexpérience.

« En 1901, au terme du premier cycle d'étudoson pourra voir comment les élèves des écoles réfor-mistes se comportent à leur premier examen dematurité. Alors seulement on pourra juger les résul-tats acquis et se faire une opinion définitive sur lavaleur de la réforme. C'est ce qu'a pensé lo gouver-nement prussien, en inscrivant au budget, pourune période de cinq années, une somme annuelle de15,000 marks, destinée à envoyer des professeursdans les principales écoles réformistes, à Francfortet ailleurs, pour s'inilier à la nouvelle organisationdes études (l). »

Ainsi l'Allemagne, et cela est tout à l'honneur desmunicipalités allemandes et de l'Etat prussien, nousdevance dans l'expérimentation d'un système qui

(1) On verra plus loin que la Commission a ménagé l'expé-rience de ce système par l'accès de* élèves modernes du pre-mier cycle à des cours gradués de latin qui commencjntavecle deuxième cycle. Nous aurons donc toute une catégoried'élèves qui commenceront le latin vers quatorze ou quinzeans. C'est l'école réformiste au l\cée môme.

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160 LA RÉFORME

— dans un avenir prochain — pourrait bien appa-raître comme la meilleure adaptationde l'enseigne-ment secondaire aux nécessités modernes. Nous de-

vons dire toutefois, à l'honneur de l'Université fran-çaise, que plus d'un professour a chez nous, de sapropre initiative, tenté et mené à bien cette entre-prise de faire en trois, et même en deux années,'unexcellent bachelier de rhétorique. Mais ces succès,

pour nombreux qu'ils soient, ne sauraient être l'ob-jet d'une statistique, étant isolés et n'ayant, pasreçu de consécration officielle.

Sur l'ensemble de celte question, M. Janiet,agrégé des lettres, professeur de troisième ctas-sique au lycée de Tours, présente des observa-tions et des propositions techniques et précises,qui peuvent servir de conclusion à ce chapitre.

« Il ne faut ni refuser à personne le bienfait d'unpremier cycle complet, ni rendre ce bienfait illu-soire par l'introduction d'un élément étranger etaccapareur, le latin.

«Aujourd'hui, l'élève de l'enseignement secon-daire, classique ou moderne, parvenu au milieu de

ses études, à quinze ans, est très inférieur à un éco-lier du môme âge. Il connaît un pou les Assyriens,les Romains, les Carolingiens* les conjugaisons la-tines ou allemandes, il n'a dans l'esprit rien depratique ni de moderne, et n'a pu encore recueillirles fruits de la culture classique. Or, la moitié desélèves ne poussent pas plus loin leurs études. Rien

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 161

de plus déshérité, de plus mal outillé pour la vieintellectuelle ou pratique, que les milliers d'élèvesqui ne sont allés que quelques années « en pen-sion. »

« Cependant, le retardement des études latinesappelle, comme compensation nécessaire, l'emploid'une méthode de culture intensive, à savoir :

1° dans l'étude de la grammaire, la subordinationde l'accessoire à l'essentiel ; 2° et surtout^ l'usagedes trjidjiçjjjçjisjuxtalinéaires,commencé dès le pre-mierjour. """""^

«Au bout de la première semaine, l'élève devraposséder ses cinq déclinaisons régulières; au boutde la première quinzaine, il saura en outre lesquatre conjugaisons actives, chose d'autant plusfacile qu'elles no diffèrent qu'aux présents, auxdeux imparfaits et aux deux futurs personnels. Dèsle premier jour, l'élève aura entre les mains unedouble traduction littérale et française de César,et il devra comprendre et retenir une demi-page dutexte latin; à la fin du trimestre, la dose pourraêtre d'une page et demie; à la fin de l'année, ilsaura à peu près autant de latin qu'un élève actuelà la fin de sa quatrième, d'autant qu'il aura dos ap-titudes particulières attestées par l'examen ou le

concours terminant le premier cycle, et qu'aucunpoids mort ne ralentira la marche de la classe. C'estcette méthode des traductions littérales qu'emploientd'instinct ceux qui préparent le baccalauréat, nonen six ans, mais en deux ans, comme aussi ceux qui

14.

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162 LA RÉFORME

veulent apprendre vite à lire une langue Jvivante.

« 11 ne s'agit pas cependant de sacrifier la « gym-nastique intellectuelle ». On emploiera, en mêmetemps que la méthode des traductions, la méthodeéducative des thèmes et des versions; la premièrefavorisera la seconde et c'est sur des textes plus dif-ficiles et plus fins que ceux d'aujourd'hui quel'élève exercera et fortifiera ses facultés.

« D'autre part, l'enseignement du français psutetdoit, dès le premier cycle et a fortiori dans ledeuxième cycle, concourir à la formation do l'es-prit, sans laquelle il n'y a point do bonne éduca-tion.

« Les professeurs sauront trouver plus d'un bonprocédé : en voici un, entre autres, qui peut êtretout aussi bien employé dans l'enseignement mo-derne que dans l'enseignement classique. Le profes-

seur dicte des phrases empruntées aux meilleursécrivains du dix-neuvième siècle, mais après lesavoir déformées et converties en tournures lourdes,aux expressions impropres, incolores et froides,puis il fait retrouver oralement aux élèves les toursélégants, les mots précis, pittoresques et vifs du vé-ritable texte.

« Enfin, s'il fallait chercher un compromis entrele système du latin commencé en sixième, et celuidu latin commencé au début du second cycle, il yaurait celui du latin commencé la dernière annéedu .premier cycle. On y joindrait môme, commedans les écoles primaires, un peu d'élymologie

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 163

grecque. De la sorte, non seulement on ne pourraitreprocher àcet enseignement d'être précipité, mais:1° aucun Français cultivé n'ignorerait tout à fait lalangue d'où est sortie la sienne ; 2° les textes de l

droit romain et les termes de médecine et de phar- j

macie ne seraient plus aussi rébarbatifs aux élèves j

de l'enseignement moderne; 3°dans l'examen final \

du premier cycle, serait comprise une version latine'<

simple, dont l'interprétation et la mise en françaisfourniraientde précieuses indications sur la finessedes esprits et leur aptitude à faire soit des étudesclassiques ou modernes, soitdes étudesutilitaires.»

B. L'enseignement secondaire préparatoire à lavie pratique (Destination utilitaire).

J'ai tenté d'exposer en toute impartialité les diver-

ses conceptions de l'enseignement secondaire clas-sique ou moderne, un ou multiple, littéraireou scien-tifique, mais toujours considéré comme devantaboutira l'enseignemenl supérieur. Voyons mainte-nant comment se présente la conception utilitairedans les différents plans proposés, soit pour loulelasuite des études secondaires quelles qu'elles soient,soit surtout pour leur première partie? Car il ne fautjamais perdre de vuo qu'une partie seulement —et non pas la plus nombreuse — des élèves qui re-çoivent l'enseignement secondaire, va et doit allerjusqu'au terme ; et que les autres, ceux qui s'arrôtent

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164 LÀ RÉFORME

ou doivent être arrêtés en route ont un droit égal à lasollicitude du réformateur.

Nous nous trouvons en présencede trois systèmes :

1° La juxtaposition et l'inégalité.

iUn enseignement classique latin.Un enseignement utilitaire.

2° La superposition.

1er cycle : MU enseignement commun à tous, à la foisthéorique et pratique.

!soit vers renseignementsupérieur (Facultés,grandes écoles).

.. i soitvers leshautesétudesI commerciales, indus-\ trielles et agricoles.

3° La division tripartite.

1° Enseignementclassique, t Tous deux également pré-2o — moderne. < paratoires à l'enseigno-

( ment supérieur.3° — utilitaire, annexe ou complémentaire.

1° La juxtaposition et l'inégalité.

Les partisans de ce système établissent à côté del'enseignement classique nettement et absolumentthéorique et désintéressé, un enseignement pluscourt, soucieux avant tout de la vie pratique, tout

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 165

à fait différent par son but et par sa méthode del'enseignement classique.

Il n'est pas difficile de reconnaître là l'anciennedualité de l'enseignement classique latin — et del'enseignement spécial. Mais cette fois-ci on pren-drait ses précautions pour que ce nouvel enseigne-ment spécial ne dévie pas de son but. Naguère l'en-seignement spécial au contact de l'enseignementclassique est devenu jaloux et ambitieux et peu à

peu aux quatre années qu'il comportait on ajoutaune cinquième, puis une sixième année, si bien quel'enseignement spécial voulut, lui aussi, être untype d'enseignement secondaire préparatoire à l'en-seignement supérieur et aux grandes écoles. Il

voulut être et crut être un type d'enseignementsecondaire scientifique à côté du type d'enseignement secondaire littéraire.

L'ancien enseignement spécial était excellent,'!disent ses nouveaux défenseurs, s'il fût reslô cequ'il était, c'est-à-dire un enseignement primaire I

supérieur, donné dans les lycées et collèges.Sa résurrection est souhaitée aujourd'hui par

tous les partisans de l'enseignement classique lalin,unique et sans rival. Chose curieuse, ceux-là mêmequi naguère ontle plus méprisé et honni « laBéotic»daignent aujourd'hui lui faire une place à côté deleur « Atlique ». C'est lo cas ou jamais de dire :

Timeo Danaos l Cette conversion n'est pas unmiracle: c'est calcul de légitime défense. La résur-rection de l'enseignement spécial, c'est pourcertains

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166 LA RÉFORME

"* la mort de l'enseignement moderne et, croit-on, lesalut des études latines (MM; Fouillée, Bernés, elc).

* Tous ceux-là sont aussi partisans de cette dualitéI d'un enseignement franchement et exclusivement

classique, et d'un enseignement franchement etexclusivementutilitaire, qui voient dans l'enseigne-ment moderne un enseignement hybride, bâtard',qui n'a pas remplacé l'enseignement spécial et nepeut remplacer l'enseignement classique (MM. PaulLeroy-Beaulieu, Levasseur, etc).

Plusieurs Chambres de commerce et Conseilsgénéraux préconisent celte réforme, de l'enseigne-ment moderne dans un sens nettement utilitaire.

« Quel a été le but de l'orpanisation de l'ensei-gnement moderne ? L'article 3 du décret qui l'ainstitué dit que cet enseignement embrassera l'en-semble des connaissances générales indispensablesà ceux qui veulent suivre des professions commer-ciales, industrielles et agricoles.

« C'est dans cet ordre d'idées que les programmesréservent une part très large aux sciences cl à leursapplications à l'industrie et à l'agriculture.

« Mais un système d'instruction, d'où a été excluel'étude des langues anciennes, ne pourrait-il mieuxrépondre aux besoins des carrières en vue des-quelles il a été établi?

« Sans exiger que l'enseignement moderne four-nisse les connaissances techniques particulièresaux professions commerciales, industrielles et agri-

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coles, connaissances difficiles à obtenir en dehorsdes écoles spéciales ayant pour mission de formerles jeunes gens à l'exercice d'une profession déter-minée, serait-il impossible de lui donner un carac-tère plus utilitaire et plus pratique?

« Quant à l'enseignement secondaire moderne,tel qu'il existe actuellement, il ne nous paraît pasrépondre suffisamment au but désiré.

« Nous pensons donc qu'il y aurait lieu de re-fondre le programme de l'ancien enseignement spé-cial avec celui de l'enseignement moderne actuel,en laissant une plus large part à la géographie éco-nomique et au dessin industriel.

« L'intérêt d'un pays, fût-ce une démocratie estbien moins de voir tous les enfants arriver facile-ment à. telle situation que de voir toutes les situa-tions bien remplies.

« Il semble qu'il y aurait lieu de changer nette-ment de voie.

« Si le commerce et l'industrie ne peuvent avoirla prétention d'influer sur la marche de l'enseigne-ment classique, ils doivent avoir celle d'inspireressentiellement, de concert avec l'agriculture, ladirection de l'enseignement moderne et d'assouplirses programmes ot ses méthodes à leurs besoins,tout en tenant compte d'ailleurs, dans leur élabo-ration, do la situation et du milieu social dans les-quels les enfants auxquels ils seront appliqués sontappelés à vivre.

« Par suite, la durée de l'enseignement moderne

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168 " LA RÉFORME

devra être diminuée de manière à.permettre auxjeunes gens d'entrer plus tôt, soit dans la vie pra-tique, soit dans les écoles spéciales agricoles, com-merciales et industrielles..

« Les programmes devront être remaniés dans le-sens de l'ancien enseignement spécial.

« Le diplôme ne devra plus ouvrir à ceux quil'auront obtenu la généralité des carrières libé-rales. » (Chambre de Commerce de Bordeaux).

« Nous bornerons donc notre réponse à l'ensei-gnement moderne qui, dans l'esprit de ceux quil'ont établi, devait avoir précisément pour objet depréparer aux carrières industrielles et commer-ciales.

« Notis n'hésitons pas à dire que cet enseigne-ment a complètement dévié de son but.

« En surchargeant les programmes, en augmen-tant la durée des études, en faisant en un mot decet enseignement une sorte de contrefaçon de l'en-seignement classique, on n'a obtenu d'autre résul-tat que d'accroître encore le nombre beaucoup tropconsidérable des candidats aux fonctions publi-ques » (Chambre de Commerce de Dunkerque.)

« Votre Commission, messieurs, a été frappée desconclusions unanimes de MM. les principaux de nosétablissements d'enseignement, tendant toutes audéveloppement de l'enseignement pratique, rapide,qui permettra aux enfants d'acquérir, en trois ouquatre années, les éléments d'instruction néces-saires à l'agriculture, au commerce et à l'industrie.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 169

Ils signalent tous ce fait que l'enseignement tenddéplus en plusî à être considéré plutôt comme unélément nécessaire de la prospérité de la vie maté-rielle que comme un développement ou un orne-,ment de l'esprit. Le succès des collèges tient doncaujourd'hui à l'organisation de l'enseignement pra-tique le plus complet et le plus rapide possible.MM. les principaux, tout en déplorant celte ten-dance, pensent qu'il est impossible de ne pas s'ysoumettre; mais ils demandent en même temps,avec fermeté, le maintien intégral du principe del'enseignement classique dans toute sa force. »(Conseil général des Vosges.)

Le Conseil général de la Seine-Inférieure cons-tate les pertes notables du classique et les gains dumoderne, comme effectif dans les lycées et col-lèges.

« Nos populations ont donc une tendance à pré-férer l'enseignement moderne à l'enseignementclassique. Cette inclination vous semblera naturelledans un département où le commerce, la marineet l'industrie tiennent une si grande place, et oùl'agriculteur a plus spécialement qu'ailleurs le de-voir de se tenir au courant des progrès qui s'accom-plissent au dehors, des raisons des variations de

cours des denrées agricoles, et où U doit être quel-quefois industriel el toujours commerçant.

« Ne semble-til pas que pour rendre à noslycées et collèges leur prospérité passée, lo meil-leur moyen serait de favoriser celte tendance par

15

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170 LA RÉFORME

des améliorations dans les méthodes do l'enseigne-ment moderne?

« Nous ne partageons pas l'avis de ceux qui vou-draient que les bacheliers modernes pussent entrerdans presque toutes les carrières ouvertes aux ba-cheliers classiques.

« Pour la plupart, un enseignement plus pratiqueet par conséquent plus rapide s'impose. /

« Dès longtemps, au reste, on en a reconnu lanécessité. L'enseignement spécial,aujourd'hui ensei-gnement moderne, a été créé dans ce but.

« Ce but a-t-il été atteint? Cet enseignementrépond-il aux besoins auxquels il doit satisfaire dansnotre département ? Nous croyons qu'il n'y répondqu'imparfaitement. » •

Ce système de la juxtaposition et de l'inégalitéprovoque deux objections très graves et qui suffisentà le faire rejeter.

1° Ce système peut être excellent pour les élèvesqui ont bien choisi; il sera déplorable pour ceuxqui se seront trompés. Lo choix entre ces deux voiesdivergentes devra être fait, ne l'oublions pas, versla onzième ou douzième année.

Or, nous verrons, comme par lo passé, une mul-titude d'élèves s'engager témérairement — audouble sensdu mot, aveuglément et hardiment

—-dans une voie où ils sont prédestinés aux échecs etaux déceptions.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 171

Les classes latines se verront encore encombrées

par une foule d'élèves qui ne' profiteront pas d'unenseignementauquel la pâture les a faits réfractaires,et qui, faute d'avoir reçu l'enseignement auquel ilsétaient destinés, ne sauront au sortir du lycée trouverune place dans la société.

L'expérience de ce système n'a-t-ello donc pasété suffisante?

Veut-on continuer encore à imposer à l'enseigne-ment secondaire cette triste besogne de traînera sasuite une queue de pauvres jeunes gens qui ne veu-lent pas, et qui, le voudraient-ils, ne peuvent pasaller à Corinlhe

2° Que fera-t-on de l'élite de cet humble enseigne-ment dont on veut borner l'horizon aux limitesétroites de la vie pratique? Dans tout enseignement

une élite surgit. Comment dès lors un excellentélève de l'enseignement spécial, ou de l'enseigne-ment primaire supérieur (peu importo l'origine)passera-t-il dans l'enseignement classique s'il al'ambition légitime de pousser ses études, et d'a-border la préparation à l'enseignement supérieuret aux grandes écoles?

Ainsi ce système sacrifie deux catégories d'élèvestrès différents, mais égalemenl dignes d'intérêt : lesmédiocrités de l'enseignement classique et l'élite del'enseignement utilitaire.

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172 LA RÉFORME

2° La superposition. — Unité à la base, tripartitionau sommet. — Les deux cycles.

Ce système n'offre aucun des graves inconvénientsdu système précédent.

Il impose à tous, car tous en ont besoin, une pre-mière éducation à la] fois théorique et pratique,désintéressée et utilitaire ; il munit tous les espritsdes connaissances nécessaires, français, histoire deFrance et notamment histoire moderne et contem-poraine, géographie, calcul, éléments des sciences,

une langue vivante.L'absence du latin laisse r. tous le temps de s'assi*

miler solidement les notions les plus nécessaires.Ainsi tous les élèves travailleraient utileme}.t.

Aucun ne serait sacrifié : tous ceux que leurs apti-tudes ou leurs goûts portent vers la vie active pour-raient sortir après le premier cycle, jeunes encoreet bien munis d'un bagage capable de leuV servir.S'ils le désiraient, ils trouveraient dans un 2e cycletrès court, do deux années on moyenne, des coursvariés préparatoires aux hautes études commer-ciales, industrielles et agricolos.

Tous ceux d'autre part que leurs goûts et leursaptitudes portent vers les études théoriques, litté-raires ou scientifiques, trouveraient dans le deuxièmecyclo une diversité d'enseignements orientés versles divers modes d'enseignement supérieur. Toutes

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 173

les vocations seraient suscitées et tous les besoinssociaux satisfaits.

Il ne peut être fait qu'une objection à ce systèmeet nous l'avons indiquée déjà. C'est le retard ap-porté à l'étude du latin.

Nous répétonsi ci ce que nous avons dit plus haut ;

les théoriciens discutent, l'expérience apporterabientôt son impérieuse évidence. Mais, à ce mo-ment-là, notre réforme universitaire sera probable-ment accomplie : souhaitons qu'elle se trouve con-corder avec l'enseignement des faits.

3° La division tripartite.

Pour ne sacrifier aucun des' besoins essentiels del'esprit français et de l'économie nationale, d'autresdéposants et des plus autorisés, préfèrent établirune tripartition commençant au début môme desétudes secondaires :

1° L'enseignement classique traditionnel (latin,avec ou sans grec) ;

2° L'enseignement (langues vivantes) ;3° Un enseignement utilitaire, soit annexe, soit

complémentaire ; vivant de sa vie propre à côté desdeux enseignements classiques ou se greffant surl'un et sur l'autre.

Les partisans de celte division tripartite sont,15.

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174 LA RÉFORME

d'une part, des universitaires comme MM. Gréard,Darboux, Lavisse, etc., et, d'autre part, des membresde Chambres de commerce ou d'Unions de syndicatsagricoles.

« M. Gréard. — Dès aujourd'hui on a organisé,dans un certain nombre de collèges, sous le titre desections B, des classes d'enseignement moderneoù, pour les élèves qui ne prétendent pas aux étudescomplètes, à l'une des deux langues vivantes exigées

au baccalauréat moderne sont substituées desnotions de comptabilité, de sciences industrielles,d'agriculture, etc. C'est un retour à l'enseignementspécial dans ce qu'il avait d'essentiellement pra-tique. Il no faut pas seulement tolérer ces petitesévolutions intérieures; il faut les encourager enprovoquant l'avis des assemblées de professeurs,des Conseils municipaux, des bureaux des Associa-lions d'anciens élèves, des Chambres de commerce,d'agriculture ou d'industrie, et du Conseil acadé-mique do la région, de toutes les autorités en unmot, qui peuvent apporter des lumières utiles, etgrouperles bonnes volontés, les dévouements autourdes établissements intéressés. »

« M. Darboux. — En ce qui concerne l'enseigne-ment moderne, je sais que certaines personnesparlent de lui donner une allure plus pratique etd'en réduire la durée. Je crains qu'on ne veuille luifaire perdre son caractère d'enseignement secon*

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 175

daire et le ramener à quelque chose d'analogue àl'enseignement primaire supérieur. Ce serait, selonmoi, une grosse faute. D'abord, dans l'enseigne-ment primaire, on ne peut pas retenir les élèvesjusqu'à seize ans ou dix-sept ans, comme dansl'enseignement moderne, et puis qu'entend-on pardonner à un enseignement une tendance plus pra-tique? S'il s'agit de sciences, de bons esprits sou-tiennent qu'à côté do la théorie il faut toujours l'ap-plication, môme dans l'enseignementclassique.

« Le moderne convient admirablement aux fa-milles qui peuvent faire le sacrifice de maintenirleurs enfants au lycée ou au collège pendant six

ans. 11 y a sans doute d'autres élèves très intéres-sants qui ne peuvent y passer que trois ou quatreans. Pour ceux-là je verrais avec grand plaisir sedévelopper le type d'enseignement moderne B, quiexiste déjà dans plusieurs de nos établissements, etque les principaux ou les proviseurs demeurentlibres d'adapter aux besoins spéciaux de chaquerégion.

« M. le président. — C'est l'enseignement spécialqui s'est reconstitué de lui-môme?

« M. Darboux. — Oui, monsieur le Président, etil ne convient pas, je crois, de décourager celte ten-dance, d'autant plus que les deux types d'enseigne-ment moderne A et B peuvent être facilement juxta-posés.

« En résumé, il faudrait, selon moi, maintenir lotype A, c'est-à-dire celui dont les programmes sont

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176 LA RÉFORME

tout à fait arrêtés, qui conduit aux divers baccalau-réats, modernes, encourager le type B, qui condui-rait à un simple certificat analogue à l'ancien certi-ficat de grammaire, et surtout maintenir à l'ensei-gnement moderne son caractère d'enseignementsecondaire. » '

MM. Duport et Guinand apportent les desideratade l'Union du Sud-Est des syndicats agricoles.

« .1/. Duport. — J'apporte tout simplement uneidée, un désir de nos populations, c'est que, sur-tout du côté de l'enseignement moderne et sansspécialiser au point de vue professionnel, chose eneffet fort difficile, il faudrait donner plus d'ampleuraux études se rattachant par quelque côlé à l'agri-culture, de manière que, sortant du collège, unhomme fût capable de faire quelque chose en agri-culture sans avoir à passer par une école profes-sionnelle.

« Il est incontestable qu'à l'heure actuelle, àprendre la nation tout entière; il y a un mal dontnous souffrons, c'est que notre agriculture françaiseest déprimée; qu'à côté de nous on fait des progrèsimmenses et que nous ne suivons pas le mouvement.Et il est impossible qu'il en soit autrement, parceque l'esprit des jeunes gens est absolument tournéd'un autre côté par l'enseignement secondaire; ilfaut avoir une conviction et une obligation pro-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 177

fondes pour faire de l'agriculture en France; toutdétourne les jeunes gens de l'agriculture.

« M. Guinand. — Je n'ai rien à ajouter, sinonque pour l'enseignement secondaire il me paraîtraitfort intéressant que des Français, qui en définitivesont propriétaires, dans une très large mesure, dusol français, qui seront appelés certainement àdiriger des exploitations, fussent préparés à ce tra-vail. On nous demande d'aller à l'étranger, auxcolonies ; il faut que les enfants puissent trouver uneporte enlre-bâilléeet que quelque part on leur dise :

« Il existe quelque chose qui s'appelle l'agricul-ture. »

« M. le Président. — Cette orientation sera d'au-tant plus facile que les établissements d'enseigne-ment secondaire seront plus près des populationsrurales; les collèges pourront facilement s'y prêteret tout cela se résumerait à donner plus de souplesseà notre programme d'études et à permettre auxlocalités d'adapter l'enseignement aux préoccupa-tions régionales.

« M. Guinand. — Et nos Associations libres semettraient à leur disposition. »

Voici quelques dépositions do Chambres do

commerce et de Conseils généraux,

«Pour nous, qui avons l'orgueil do notre pro-fession do commerçants, nous avons aussi la con-viction que, pour faire un bon commerçant et un

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178 LA RÉFORME

bon industriel, la culturointellectuelle n'est jamaisIrop vaste.

« Sans parler des exceptions, il est incontestablequ'un jeune homme, ayant fait do fortes étudessecondaires, apportera dans lo commerce et Indus-trie, après des éludos spéciales, un esprit'plussouple, plus pénétrant, et sera en un mot supérieurà ceux qui ont fait des études moins générales,plus strictement professionnelles.

« Mais de là il ne faut pas conclureàla supérioritéque donneraient de fortes éludes classiques, maisseulement à la supériorité que donnent do fortesétudes. En un mot, si une haute culture généraleest une cause do supériorité, à condition qu'on yajoute les connaissances spéciales nécessaires, il nes'ensuit pas que celle culture doive de toute néces-sité être latine ou grecque. Un esprit élevé dans laconnaissanceapprofondie des littératures allomandeet anglaise n'est très certainement pas inférieurcomme culture générale à un esprit élevé dans laconnaissance des littératures grecque et latine.

« En fait, au point de vue qui nous occupe, lacomparaison entre les élèves de l'enseignementclassique et ceux de l'enseignement moderne estplutôt favorable à ces derniers. Il nous semble,aussi que ces élèves, outre l'avantage qu'ils ont doconnaître deux langues vivantes (anglais, allemand)doivent avoir du monde moderne, où les élémentsanglo-saxons et germains jouent un rôle si impor-tant, une connaissance plus exacto et so trouver

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DE L'ENSEIGNBMI NT SECONDAIRE 179

plus aptes à entrer en rapports avec des races dontils auront étudié depuis longtemps l'esprit.

« Notre conclusion est donc que l'enseignementsecondaire, et tout particulièrement l'enseignementmoderne, est à l'heure actuelle la préparation laplus indiquée pour coux qui so destinent aux con-cours des écoles supérieures do commerce et engénéral au haut commerce et à la grande indus-trie.

;>{Chambrede commerce de Paris.)

» L'enseignement moderne pourrait ôtre moder-nisé davantage, devenir plus pratique, acquérirplusdesouplésso; son baccalauréat ouvrirait exac-tement les mômes carrières eteonférerait les mômesdroits que le baccalauréat classique, la scolaritédurant cependant une année de moins, comme il enest aujourd'hui du reste, et la gradation des étudesdevenant suffisamment raisonnéo pour permettreen troisième moderne une greffe do l'enseignementprimaire supérieur pour les meilleurs sujets decelui-ci.

» Le bagage de cet enseignement moderne allégécomprendrait l'étude approfondie du français, laconnaissance pratique et réelle d'une langue vi-vante, des éléments suffisants de sciences et, àcôté, des cours facultatifs et professionnels adaptés

aux besoins do l'industrie et du commerce régio-

naux (chimie agricole et viticole, enseignement co-lonial et maritime, comptabilité commerciale parexemple, pour le lycée de Bordeaux), cours au

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180 LA RÉFORME

besoin subventionnés par les municipalités ou lesConseils généraux.

« Cet enseignement devrait s'arrêter là avec undiplôme de fin d'études pour les jeunes gons sansambitions particulières; leur instruction seraitainsi achevée à un âgo où ils pourraient encore se(spécialiser dans uno étude déterminée; pour lesautres s'ouvrirait alors, comme pour leurs cama-rades de l'enseignement classique sortant de rhéto-rique, les mathématiques élémentaires ou la philo-sophie, soudures entre les deux enseignementsclassique et moderne. A la suite viendrait naturel-lement, mais alors seulement, le baccalauréat, con-férant les mêmes avantages pour les deux ordresd'enseignement.

« Cet enseignement moderne mènerait donc àtout, en principe du moins, sinon pratiquement;car il est bien évident que, si les élèves du modernepourraient avoir des avantages pour une fouled'examens (écoles spéciales, médecine), il est cer-tain que les élèves du classique auraient un avan-tage marqué pour l'enseignement, la littérature, etmême, peut-être, le droit. » (Conseil général deBordeaux.) '

« Dans tous les cas, il s'établirait vite un classe-ment naturel que les intéressés seraient les pre-miers à reconnaîtreetàrespecter, puisqu'ils y trou-veraient leur intérêt, mais les pouvoirs publicsn'interviendraient plus par des réglementations

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 181

surannées; l'accès aux fonctions et aux gradesserait ouvert à tous, sauf examens probatoires sé-rieux susceptibles d'éliminer tous les lauréats duclassiqueoudu moderneindislinclemcntqui auraienttrop préjugé do leurs forces, n (Chambre de com-merce de lion(leur.)

»•Nous mettons tout d'abord do côté l'ensei-

gnementsecondairo classique qui n'a pas été crééen vue de la préparation aux carrières industrielleset commerciales et qui n'y répond nullement :l'étude du latin et du grec doit être réservéo auxjeunes gens qui se destinent aux carrières libérales,

aux grandes écoles du Gouvernement et à l'ensei-gnement; nos futurs commerçants ont mieux àfaire en étudiant les langues vivantes dont le rôleest devonu si important dans les échanges.

a L'enseignement secondaire moderne donne, aucontraire, de bons résultats, à la condition toutefois

que l'élève le suive en entier, c'est-à-dire jusqu'aubaccalauréat.

« L'élude de deux langues étrangères, du calculcommercial, de la comptabilité, de l'économie poli-tique, du droit et des sciences physiques et na-turelles jointe à celle de la littérature française, del'histoire générale et de la géographie économiqueest éminemment favorable à la préparation aux car-rières commerciales et industrielles. L'élève ainsipréparé s'assimile facilement la partie pratique de

ces carrières et devient un auxiliaire précieux au16

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182 LA RÉFORME

bout de très peu de temps.» (Chambrede commerced'Arras.)

« En principe, et sous réservo d'observations im-portantes, l'enseignement secondaire classiquo etmodernedonno une préparation générale pour toutesles carrières indistinctement auxjounes gons quil'ont suivi avec fruit.

« Dans un département commo lo nôtre, chargéde tant d'intérêts, et qui sent plus que tout autre lebesoin de l'aclion, l'enseignement moderno doitôtre mis sur un pied égal à celui do l'enseignementgréco-latin ; ce dernier est orienté vers le passé et netourne pas suffisamment l'esprit des jeunes gensvers les nécessités du présent.*

« Il faut compter aussi avec les sentiments debeaucoup de familles qui, incertaines encore sur lesaptitudes et les vocations de leurs enfants, ne lesdirigent pas dans une branche d'enseignement qui,vraisemblablement leur serait plus utile, mais quin'a pas pour couronnement une sanction donnantaccès à toutes les carrières.

« De là, la nécessité d'une sanction égale dans lebaccalauréat moderne à celle du baccalauréat clas-sique, et de l'accès aux écoles de droit et de méde-cine, non pas tant pour que les élèvesdel'enseigné-ment moderne y entrent effectivement, que pourassurera cet enseignement, dès le début des classes,

un recrutement égal.

« La Chambre de commerce du Havre a donné

une idée très inexacte de l'esprit qui inspire en gé-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 183

néral, les Chambres de Commorce. Ellos sont, pourla plupart, bien plus radicales que cela, et elles ontrepoussé l'enseignement classique comme moyen deculture intellectuelle. Elles ont cédé en colaaux sug-gestions très habiles de la société à la tclo de laquelle

se trouvo M. Croiset, qui leur a dit : «A quoi sertl'enseignement du grec et du latin? Ce qu'il faut à

un commerçant, c'est l'enseignement secondairospécial qui avait été institué par Duruy et quin'existe.plus, niais qui est remplacé aujourd'hui parl'enseignementmoderne.» On prenait là les Chambresde commerce par leur côté faible ; plusieurs d'entreelles n'ont pas l'habileté du raisonnement, et elles

se sont prononcées non seulement contre renseigne-ment du grec et du latin, mais môme contre l'en-seignement moderne, pour s'arrêter à un enseigne-ment bien plus réduit. La plupart des industrielsn'hésitent pas à reconnaître qu'elles se sont trom-pées sur la part qui appartient aux études classiquesdans le mouvementcontemporain.

« Il est certain que ce n'eit pas dans un enseigne-ment strictement restreint aux chosesdu commerce,que l'on puisera les idées généreuses qui constituentla culture intellectuelle de l'homme, qui créent au-tour de lui une atmosphère qui le rend apte à rece-voiries notions qui lui sont communiquées.

« L'enseignement classique est certainement

.

excellent, mais s'il fait des hommes instruits, il nefait pas des hommes pratiques. Gela, il faut le de-mander à l'enseignement moderne.

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184 LA RÉFORME

« En somme, les Chambres do commerce, engénéral, celle du Havre exceptée, ont abondé danslo sens que j'ai indiqué; quelques-unes ont mômedépassé le but. Je crois que nous devons nousrallier à l'idée la plus largo et la plus étendue. Il

faut l'ensoignement secondaire spécial aux jeunes,

gens qui sont pressés, qui ont besoin de se créerimmédiatement une situation. Quant à ceux quipourront disposer de deux années de plus, ils seconsacreront très utilement à l'enseignement mo-derne, qui formera leur esprit et leur permettrad'exercer une juste influence dans la société (1).

(Conseil général du Nord.) »Cet enseignement annexe et facultatif devrait

être naturellement très souple et s'adapter à lavariété des besoins régionaux. C'est ce que récla-ment MM. de Lagorsse, Tisserand, Rissler et Gran-deau, représentants de la Société nationale d'encou-ragement à l'agriculture. «Il semble a priori que,dans les lycées et collèges, on pourrait faire, commedans les écoles pratiques, une part à l'enseignementgénéral et une part à l'enseignement scientifiqueappliqué, correspondant aux conditions locales et

aux diverses industries du pays. Ainsi, par exemple,pourquoi jeter dans le môme moule tous les pro-grammes de l'enseignement secondaire? Pourquoifaire faire un seul et unique moule pour préparer

(l) On pourrait encore citer la Chambre de commerce deNancy, les Conseils généraux du Pas-de-Calais, de Tarn-el-Garonne, etc.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 185

les jeunes gens de toutes les régions, quelles qu'ellessoient, d'aptitudes, de race môme très différentes, àtoutes les carrières indistinctement? Il faut voir unpeu quels débouchés présente la contrée, quellessont les professions principales qui y sontpratiquées,quelles sont les études qui peuvent préparer lo mieuxà ces professions, quelles sont enfin, los tendanceset les besoins des populations, et faire concorder les

programmes.avec le résultat do cette observation.De lit le voeu de la Sociéténationale d'encouragementà l'agriculture do voir les éléments locaux intervenirdans l'organisation et le fonctionnement des lycéeset des collèges. (M, Tisserand.)»

« Malheureusement, le côté pratique do ces étudesest négligé; point d'enseignement de la comptabi-lité et des choses qui s'y rattachent, point denotions des arts mécaniques qui pourraient encou-rager dans la voie industrielle les élèves ayant desaptitudes ; on prépare des fonctionnaires et c'esttout.

« Pour remédier à cet état de choses, il faudraitcréer, à côté de l'enseignementpurement théorique,un enseignement largement pratique"qui permet-trait à l'élève ayant atteint sa seizième année dopouvoir s'employer utilement dans le commerce oudans l'industrie.

« En ce qui concerne les langues vivantes, l'en-seignement est trop grammatical et môme troplittéraire, il faudrait multiplier les cours de con-

16.

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186 LA RÉFORME

versation et donner des notions précises, d'usagojournalier sur les formules commerciales, la corres-pondance, etc., otc.

« On s'en tient généralement pour lo dessin àl'exécution d'un bas-relief ou d'uno ronde bosse;c'est, à notro avis, une grave erreur, l'imaginationides élèves manquo de stimulant et ce stimulant noleur sera donné qu'en les exerçant à la compositionartistique; nous no devons pas perdre de vue quecertaines industries telles que les étoffes imprimées,les papiers peints, lacéramique etbeaucoup d'autresencore, n'ont de valeur que par la beauté de con-ception do l'artiste. » (Chambre de commerce deNevers).

« Ne serait-il pas préférable que, sous le contrôledo l'Etat, les lycées et collèges d'uno môme régionpussent Orienter leurs études pratiques dans lu sensdes besoins régionaux, sans altérer les grandeslignes des programmes généraux tracés par le Con-seil supérieur de l'Instruction publique? Les modi-fications reconnues nécessaires pourraient ôtreproposées par les Conseils municipaux et les Con-seils généraux intéressés, et réalisées par les Conseilsacadémiques entièrement reformés et dont les at-tributions seraient étendues dans une large me-sure.

» Dans les lycées d'Aix et d'Arles, où il n'existeni école primaire supérieure, ni école d'appren-tissage ou professionnelle proprement dite, ces mo-difications contribueraient à conjurer la crise qui

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 187

menace ces doux établissements. » (Conseil généraldes Bouches-du-Rhône.)

La Chambre do commerce do Fougères exprimelo désir do voir s'associer à la création do cet ensei-gnement pratique les amis do l'Université quioccupent dans la région une situation industrielle,commerciale, agricole. Leur place ne serait-elle pasdans ces conseils académiques réorganisés dont ilvient d'être question?

a A la suite des programmes généraux appli-cables à toute la France, no pourrait-on laisser aussiune petite place pour les industries plus spéciales àchaquo région, voire à chaque ville? C'est le plussouvent vers une industrie de la contrée qu'il habiteque le jeune homme destiné aux affaires se dirigera;c'est pour exercer cette industrie qu'il faut le pré-parer et l'armer. Les professeurs ne manqueraientpas do trouver des conseils éclairés parmi lesindustriels et les négociants du pays qu'il no seraitpas inutile d'intéresser à la formation de leursfuturs collaborateurs et successeurs. »

Si l'on en croit le Conseil général do Moulins, cetenseignement pratique annexe fonctionne déjà dansles lycées de Moulins et de Montluçon.

« L'enseignement classique et l'enseignementmoderne se partagent les élèves en nombre à peuprès égal ; les familles, suivant leurs préférences etla carrière à laquelle elles destinent leurs enfants,choisissent l'un ou l'autre de ces enseignements.

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188 LA RÉFORME

<( Le lycée do Moulins préparo do préférence lesélèves aux examens do Saint-Cyr et aux écoles su-périeures d'agriculture; le lycée de Monlluçon, auxécoles industrielles, notamment aux écoles d'arts etmétiers. Pour répondre aux besoins do ces établis-sements et favoriser la préparation des candidats1

aux divors examens, des cours spéciaux d'agricul-turo et des conférences d'agriculture ont été orga-nisés au lycée do Moulins; il a été créé au lycée deMontluçon des cours de métallurgie, de serrurerie;des ateliers do travail manuel y ont été installés,afin de donner une extension particulière à l'ensei-gnement industriel. Pour répondre aux besoins dudépartement, il convient non seulement de mainte-nir ces différents cours ajoutés aux programmesofficiels, mais de leur donner lo plus do développe-ment possible. »

Doit-on séparer les divers types d'enseignementclassique et les mettre dans des établissementsdistincts, lycées d'enseignement classique etlycées ou collèges d'enseignement moderne ?

Une dernière question se pose au sujet des diverstypes d'enseignement. Faut-il établir l'autonomiedechacun d'eux en les cantonnant dans des établisse-ments séparés, ou faut-il, au contraire, les réunirdans chaque établissement? L'exemple de l'Aile-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 189

magne avec ses gymnases, ses realgymnases et sesrealschiilen a séduit un grand nombre de déposantsqui insistent sur la nécessité de séparer les ensei-gnements primaire supérieur, moderne et clas-sique. D'après eux, il faudrait restreindro à unetrentaine lo nombre des lycées classiques, et con-vertir en collèges modernes et en écolos primairessupérieures tous les autres lycées ou collèges (l).

J'ai déjà dit que", théoriquement, cette ques-tion pouvait se discuter, mais que, pratiquement,il n'y a guère lieu de le faire. De tous les argu-ments de fait, qui pourraient ôtro cités, jo neretiendrai qu'un seul, parce qu'il suffit, à monavis, à trancher le débat: c'est la question d'argent.

'N'oublions pas que la clientèle des lycées et col-lèges est en majeure partie démocratique. C'est lapopulation paysanne, ouvrière et petite bourgeoisequi confie surtout ses enfants à l'Université. Or,tous ces enfants, en dehors des boursiers, seraientsingulièrement lésés par la réforme dont il s'agit.Les externes de nos petites et de nos moyennes

(l) L'exemple de l'Allemagne avec ses gymnases, ses real-gymnases, ses écoles réaies, établissements séparés et auto-nomes, ne 4°it Pas être cité en l'espèce. On oublie que l'en-seignement secondaire allemand est sousie régime du mono-pole d'Etat. Chez nous, avec le régime de la liberté, on verraitcertainement partout où l'établissement universitaire, collège

ou lycée, ne donnerait pas toutes les formes d'enseignementsecondaire, s'établir et prospérer un établissement libre.

Les Universitairesqui proposent la séparation et la diffé-renciation ont-ils songé à cette impossibilité pratique? Toutindique que no». L'abstraction leur a fait oublier la réalité.

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190 LA RÉFORME

villes, no trouveraient plus sur place, c'est-à-diro àpeu de frais, l'enseignement auquel ils ont droit deprétendre. Elles internes, c'est-dire les élèves dontles parents habitent la campagne seraient astreintsà des déplacements coûteux, et très probablementaussi, la vie étant plus chère dans les grandes(villes que dans les petites, à un supplément de pen-sion onéreux.

-Il n'est dans l'intontion de personne de réserver

l'internat des lycées classiques exclusivement auxfils de famille et aux boursiers de l'État.

Dès lors, il faut laisser subsister le système ac-tuel qui, pédagogiquement, peut avoir ses défauts(défauts auxquels les conclusions de la Commissiontentent d'ailleurs de remédie!-), mais qui sociale-ment offrent l'avantage essentiel d'assurer à nosétablissements d'enseignement secondaire unjustofacile recrutement.

A l'appui de cette conclusion jo citerai quel-ques délibérations de Conseils généraux qui pro-testent véhémentement contre le projet en ques-tion :

« M. l'inspecteur d'académie formule ensuite unvoeu qu'il soumet à l'appréciation du Conseil géné-ral; il propose de ne maintenir dans le ressort del'Académie de Lyon qu'un seul lycée d'enseigne-ment classique, lequel serait placé à Lyon ; dansnotre département, les lycées existants seraientexclusivement affectés à l'enseignement moderne,

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 191

qui, suivant M. l'inspecteur, répond plus particu-lièrement aux besoins de la région du Forez.

« Vôtre Commission ne peut moins faire quo de

marquer le très grand élonnemont, que lui a causécelte proposition, qui ne ne tendrait à rien moinsqu'à supprimer l'enseignement classique dans toutnotre déparlement et particulièrement à Saint-Etienne. Il nous paraît superflu d'insister sur les

graves inconvénients qui résulteraient d'une pa-reillo solution, non seulement pour les villes quiseraient ainsi atteintes, mais pour tout le départe-ment.

« Celle solution ferait courir de sérieux dangersà l'enseignement classique. Il nous paraît au moinssingulier qu'après avoir proclamé la nécessité dudouble enseignement, on propose do réduire l'und'eux à néant dans les établissements universitairesde notre région.

« L'une des conséquences les plus certaines de lacentralisation de l'enseignement classique à Lyon,c'est que les familles seraient amenées à renoncer,d'une manière presque absolue, à cet enseignement,

ou que le Conseil général serait obligé de créer detrès nombreuses bourses en faveur des élèves qui seferaient remarquer par leurs aptitudes et dont lesfamilles ne seraient pas en état de subvenir auxfrais de la pension du lycée de Lyon. Il en résulte-rait un accroissement de charges important pour lebudget départemental.

« Une autre conséquence qui ne saurait vous

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192 LA RÉFORME

échapper, c'est qu'un certain nombre de familles neveulent pas placer leurs enfants sous le régime del'internat, contre lequel il s'élève des critiquessérieuses, et que vous mettrez ainsi ces famillesdans la nécessité d'opter pour l'enseignement libre.

« Réduire le lycée de Saint-Etienne à renseignerment secondaire professionnel, obliger tous ceuxqui voudront recevoir l'enseignement classique uni-versitaire à se rendre à Lyon, ce serait décapiter lelycée de Saint-Etienne et porter une grave atteinteaux intérêts de cette ville et du département toutentier.

« Je ne puis croire que le Conseil général soit decet avis et je lui demande de réclamer le maintiende la dualité des enseignements, telle qu'elle s'estpratiquée jusqu'ici dans nos établissements secon-daires.

«J/. Charpentier.— La troisième Commission s'estprononcée à l'unanimité contre la proposition deM. l'inspecteur d'académie.

«M. le Président. —-Si je ne préjuge pas trop du

vote du Conseil, je crois que c'est également àl'unanimité qu'il repoussera cette proposition. »

(Conseil général de la Loire.)

Le Conseil général de la Seine-Inférieure faitmieux que protester : il indique une solution quimérited'ôlre sérieusement prise en considération.

« La Chambre de Commerce de Rouen préconise

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 193

la séparation absolue des deux enseignements dansdes locaux différents. Elle propose comme exempleles Realschulen de l'Allemagne.

« 11 y aurait certainement un très grand avan-tage à cette séparation, car la direction des lycéesnouveaux serait confiée à des maîtres de l'ensei-gnement moderne qui montreraient un grand zèleà les faire prospérer.

« Mais le dédoublement entraînerait à de telsfrais qu'il faut écarter ce système. Peut-être, à dé-faut, à côté du proviseur qui appartient presquetoujours à l'enseignement classique, pourrait-oncréer dans les lycées importants un directeur del'enseignement moderne chargé tout spécialementde la surveillance de cet enseignement? »

Ainsi l'enseignement moderne, sans être séparéde l'enseignement classique, serait autonome; tousles intérêts seraient sauvegardés par une mesuretrès simple : c'en est assez pour la recommander, àl'attention du législateur.

17

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LES PROGRAMMES ET LES MÉTHODES

Les Programmes.

1° Les moderniser.

Il n'est personne qui conteste aujourd'hui la né-cessité de moderniser les programmes de l'ensei-gnement classique comme de l'enseignement mo-derne.

M. Gréard, dans sa déposition si remarquable, l'adit excellemment avec un mélange élégant d'audacoet de modération.

« Mais, et lo fait capital est 15', l'esprit même des

programmes s'est modifié. Les éludes secondairesRendaient presque exclusivement vers la connais-sance et l'intolligence du passé. C'est vers le pré-sent aujourd'hui qu'elles convergent toutes; c'estau présent qu'elles aboutissent. Je n'en Yeux four-nir que trois témoignages tirés de l'enseignement

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LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 195

classique et pris rapidement dans la littérature na-tionale, l'histoire et les langues vivantes.

«La littératuredu dix-septième siècle et celle dudix-huitième ont toujours été le fond de l'enseigne-ment du lycée, et, grâce à Dieu, jamais elles nocesseront de l'être. Ces grandes oeuvres, d'une sé-rénité si haute et d'une psychologie si pénétrante,ont servi et serventencore à l'éducation de l'huma-nité pensante : elles doivent rester, elles resterontl'élément le plus solide de notre propre éducation.Mais elles ne sont plus l'élément unique. Par la lit-térature du dix-neuvièmo siècle, l'élève est aujour-d'hui initié aux idées, aux sentiments de son tempset introduit dans le milieu intellectuel et moral qui

sera le sien.«Avec l'histoire, il est amené jusqu'au seuil de

la vie où il sera jeté au sortir du lycée. 11 n'y a pasbien longtemps encore, on arrêtait l'histoire doFrance en 1789. Puis on a poussé jusqu'en 1815. On

ne s'arrête plus aujourd'hui qu'au moment où l'onpeut dire que l'histoire n'est pas encore faite. Desesprits scrupuleux ont pu se demander, à l'origine,si les passions ou les préoccupations du jour ne fe-raient pas dévier cet enseignement des voies de lacritiqua impartiale. Grand danger, en effet, si l'onconsidère que nos établissements reçoivent desjeunes gens venus des horizons politiques les plusdivers, parfois les plus opposés. Grâce à l'esprit do

sagesse et do mesure qui les anime, au souci supé-rieur do la vérité dont ils sont pénétrés, nos profcs-

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196 LA RÉFORME

seurs ont pu rendre cesleçons possibleset fécondes.C'était une faute de séparer systématiquement lejeune homme de son temps. Il y a sagesse à munirson intelligence et à asseoir son jugement, pourl'examen des intérêts immédiats de la patrie, avantqu'il soit livré à tous les vents de l'opinion.

i

« A celte modernisation, si je puis ainsi dire, denotre enseignement secondairepar l'étude de ia lit-térature et de l'histoire contemporaines, s'ajoute,dans lo môme esprit, l'action des langues vivantes. »

M. Lavisse, avec sa haute autorité en la matière,insiste sur la façon d'enseigner l'histoire et la géo-graphie. L'histoire, disait Bossuet, est la conseillèredes princes. Elle doit être aujourd'hui la conseillère,ou mieux, l'institutrice des citoyens.

« 11 est essentiel de préparer l'écolier pour lasociété et pour le temps où il vivra.

« Il y a de très vieilles théories sur le désintéres-sement nécessairo des études; elles pouvaient êtresbonnos pour le temps où les Français n'avaient qu'àse laisser vivre dans la commune obéissance au roi ;

mais, n'est-ce pas manquer à un devoirélémentaireenvers le pays que d'élever, sans l'intéresser à lavie qu'il va vivre, un jeune homme qui, sortant dulycée à dix-huit ou dix«neuf ans, sera, si peu do

temps après, un citoyen français ?

« Il y aurait un moyen de racheter le désintéres-sement nécessaire d'une partie des études classiques,

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DÉ L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 197

ce serait do donner une plus forte impulsion auxenseignements qui guident vers la vie moderne,comme l'histoire et la géographie. Sur l'enseigne-

.ment de l'histoire, si j'avais le temps, j'aurais biendes critiques à présenter. C'est une grande erreurde croire que l'on puisse sérieusement enseigner aucollège toute l'histoire. Toutes les périodes histo-riques ne sont pas également enseignables. Il enest dont les documents sont si complexes et si obs-

curs, qu'ils ne peuvent être compris pardes écoliers.Sur ces périodes, il faut passer vile, se contentantde l'essentiel. Actuellement, l'enseignement histo-rique, pendant toute la classe de troisième et unepartie de la classe de seconde, est consacréau moyenâge. C'est beaucoup trop, et pour un résultat trèsmince. Pour la très grande majorité des écoliers, etje crois que je pourrais dire pour tous, l'histoire du

moyen âge, sauf les grands faits que l'on pourraitexposer en moins de temps, est à peu près inintel-ligible. Il serait donc possible de faire do grandeséconomies sur le temps consacré aux Mérovingiens,

aux Carolingiens et aux premiers Capétiens. Aujour-d'hui, dans la dernière classe on philosophie, le pro-fesseur n'a vraiment pas le temps d'enseigner

comme il faudrait l'histoire de 1789 jusqu'à nosjours. Il donne un long temps au début à l'histoiredelà Révolution et des campagnes de l'Empire, et,forcément, il brusque le reste. J'ai été bien souventattrislé par les réponses que je me suis entendufaire, dans l'examen du baccalauréat, à des ques-

17.

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198 LA RÉFORME

tions sur des faits historiques les plus proches denous et aussi les plus douloureux.

« Le programme de la classe de philosophie setermine par de larges questions sur l'histoire de lacivilisation au dix-neuvième siècle ; si l'élève avaitle temps de les étudier, il serait vraiment préparé àcomprendre son siècle ; mais il n'a pas le temps.

« L'enseignement géographique a fait de grandsprogrès. Nous avons maintenant beaucoup demaîlres capables, et cet enseignement est très pro-pre à instruire les enfants sur beaucoup de phéno-mènes, très importants, de la vie moderne. Et nouslui donnons une pauvre heure de cours par se-maine, qui se réduit souvent à trois quarts d'heurepar les va-et-vient d'une classe à l'autre.

« L'enseignement de l'histoire et delà géographiedevrait donc avoir pour mission, au collège, defaire connaître le monde actuel et de préparer lesécoliers à le bien comprendre. Mais cette prépara-tion à la vie, on devrait, pour ainsi dire, la fairesentir aux écoliers par d'autres moyens quo l'ensei-gnement régulier. 11 faudrait, quand une occasion

se présente — un événoment contemporain, qui neprôto pas aux discussions politiques — la saisir,

pour parler aux élèves des choses de leur temps.

« Par exemple, notre histoire coloniale fournitsouvent de ces occasions. Quel beau sujet de confé-

rence, pour les élèves réunis, que la capture et ladéfaite do Samory ! On aurait dû, dans tous lescollèges, réunir les élèves de la division supérieure

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 199

et leur conter cette glorieuse histoire, cette victoirebienfaisante de nos armes et de notre civilisation

sur ce bandit. D'autres fois, un hardi voyage d'ex-ploration, une nouvelle découverte scientifiqueseraient des sujets de conférences. »

2° Les alléger et les mieux adapter.

Il faut alléger les programmes. C'est le cri una-nime de tous les déposants. Sur ce point les adver-saires les plus irréductibles se réconcilient. Littéra-teurs et savants, classiques et modernes, tousdénoncent la surcharge, le trop-plein des pro-grammes.

« Nous avons de moins en moins do temps pourapprendre aux enfants de plus en plus de choses.On a déjà beaucoup élagué. Je voudrais voir élaguerencore beaucoup dans ce qui est de pure éruditionou d'apparence vaine. C'est le fond intellectuel etmoral de la jeunesse qu'il s'agit do constituer avecdes éléments de choix ». (M. Gréard).

« Tous mes collègues, dit M. Darboux, s'accordentà désirer des connaissances moins encyclopédiques,moins étendues, mais beaucoup plus solides. »

Il faut donc alléger les programmes. Encore faut-ilsavoir quel lest il convient do jeter.

D'abord sans hésiter, de l'avis unanime, l'érudi-tion : la philologie savante, la métrique, l'archéo-

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200 LA RÉFORME

logie, les détails d'histoire littéraire. Croirait-onqu'on a inséré dans le programme de, 2e classique

« l'étude des principaux mètres d'Horace »? C'était,

sans doute, pour faire regretter la disparition duvers latin! Croirait-on qu'on demande à un profes-

seur d'expliquer à un enfant de neuf ans — entredeux catéchismes sans doute

—» « la construction dela cathédrale de Chartres, le portail des églisesgothiques ? » M. Huysmans n'est pourtant pour riendans la confection des programmes universitaires.

M. Gebhart a signalé ces abus ridicules avec uneironie incisive.

« Vous n'imaginez pas ce qu'est le programmescientifique absolument complet de la classe dephilosophie; nous avons, pour parler de l'histoirenaturelle, l'anatomie et la physiologie animales,l'anatomie et la physiologie végétales. Nous avonsun chapitre sur l'hygiène. Vraiment, voilà une annéeimportante dans la vie du jeune homme, entre seizeet dix-huit ans, où, avec la première culture litté-raire qu'il a reçue — je prends un élève distingué

ou seulement un bon élève — l'esprit encore toutrempli de belles choses, il est initié par son profes-

seur de philosophie aux préoccupations les plushautes de l'esprit humain, depuis que l'esprit hu-main pense aux choses supérieures, depuis Platon ;

on lui parle de Platon, de Descartes, de Leibniz etde Spinoza et on lui impose alors un programmed'hygiène qu'un enfant bien élevé connaît depuis

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 201

longtemps par l'éducation de la famille. On l'obligeà étudier ce programme scientifiquement.

•« Viandes dangereuses — trichinose, ladrerie,

charbon, viandes putréfiées, intoxication par laviande du porc. Les saucisses.

« Maladies contagieuses ; qu'est-ce qu'une maladiecontagieuse?Indication rapide des principales mala-dies contagieuses. »

« Mais encore une fois, c'est l'éducation de la fa-

mille, c'est le père qui apprend tout cela à son fils.

Pourquoi une leçon sur la teigne, la gale, la variole,la scarlatine et la tuberculose?

« Puisqu'il s'agit de sciences naturelles, voici lesleçons de botanique qui se font en cinquième :

« Les monocotylédones, le dicotylédones, renon-culacées, crucifères, papavéracées, légumineuses,rosacées, ombellifôres, composées, rubiacées, pri-mulacées, solanées, personnées, labiées, amenta-cées, liliacées, iridées, orchidées, palmiers, grami-nées; puis les conifères, puis les cryptogames, àracines et sans racines, fougères, prèles, lycopodcs,

mousses, algues, champignons, lichens.

« Et c'est dans l'esprit d'un enfant de douze ansque vous allez faire entrer ce colossal herbier 1 Et

ce n'était pas assez : on a ajouté récemment lagéologie I »

Les Chambres de commerce signalent lo mômedéfaut avec la môme clairvoyance.

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202 LA RÉFORME

« Avant tout, nous voudrions qu'on simplifiât les

programmes. On nous semble oublier que l'instruc-tion ne consiste pas tant à accumuler les connais-

sances qu'à donner à l'esprit de l'écolier la méthode

pour acquérir, classer, conserver et utiliser ces con-naissances.

o L'érudition a fait un mal énorme dans les classesdepuis vingt à vingt-cinqans. Engénéral, elle a nuià la valeur de tous les genres d'études, modernesaussi bien que classiques.

« Nous demandons qu'on nous fasse des esprits.clairs, des intelligences vives et avisées, et non pasI de petits prodiges se perdant dans les quintessences[d'un pédantisme stérile. Nous réclamons un ensei-gnement vraiment français et non pas des sous-produits d'Universités allemandes. Nous regrettonsque l'Université de France n'ait pas su se défendrede l'imitation de certaines études germaniques. Onparaît aujourd'hui avoir renoncé à l'érudition, à laphilologie, à la grammaire comparée, aux disserta-tions oiseuses sur les poèmes obscurs du moyen âge,mais on ne sait pas renoncer à la surcharge des

programmes. La plupart des jeunes gens, au sortirde leurs études, paraissent plutôt ahuris par l'amasde connaissances mal digérées que munis d'unbagage littéraire et scientifique, clair et précis,pouvant immédiatement et facilement servir à lesmellro en valeur. » (Chambre de commerce deLyon.)

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 203

Le. danger de ces programmes si démesurémentenïlés est aussi grave pour les professeurs que pourles élèves. C'est ce que MM. Boutroux, Darboux etManoeuvrier ont nettement fait remarquer.

« Ces programmes encyclopédiques exposent leprofesseur à donner un enseignement, ou tropchargé, ou vague et superficiel, ou fragmentaire etincomplet. La tentation est grande, surtout pour unprofesseur ardemment adonné aux recherchesscientifiques, de substituer, à un cours suivi et ré-gulier, l'étude de quelques sujets difficiles et con-troversés, telle qu'elle peut être faite dans les fa-cultés. Il suit de là, chez les élèves faibles, l'indiffé-

rence à un enseignement qui les dépasse, et lerenoncement aux études libres, pour la préparationmécanique au baccalauréat.

« On a introduit successivement dans le pland'études les sciences, l'histoire, les langues vi-vantes, la philosophie; et, comme si ce n'était passuffisant, on a fait encore de la philologie et dol'érudilion à propos des langues mortes ou vivantes.11 n'y a pas de cerveau qui puisse résister à une pa-reille accumulation de connaissances ; elle estpropre à dégoûter de toute étude, elle explique unfait qui nous afflige beaucoup, c'est ce manqued'intérêt que les élèves manifestent...

; « M. le Président. — Vous constatez, vous aussi,cedéfautd'intérôtdelapartdesélôves.M. Brouardelnous en a déjà parlé au point de vue de3 études mé-dicales.

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204. LA RÉFORME

« M. Darboux. — Oui, l'initiative des élèves s'estnotablement affaiblie. Nous arrivons quelquefois àconstater des résultats navrants. Je le disais récem-ment à la Société de l'enseignement supérieur, etcela a été confirmé par plusieurs de mes collègues,il y a do malheureux candidats qui ne savent presquerien de la guerre de 1870, qui ignorent que Metz etStrasbourg n'appartiennent plus à la France. Je nevous apporterais pas mon témoignage s'il étaitunique, mais il a été confirmé d'une façon très nettel'autre jour par M. Hauvette et d'autres personnes.Il y a une inertie tout à fait regrettable chez lesjeunes gens. Ils apprennent tout avec beaucoup debonne volonté, mais sans cette ardeur qui est essen-tielle pour de bonnes études.»

La Chambre de commerce de Marseille critiqueplus particulièrement la surcharge des programmesd'enseignement moderne.

« La rédaction do ces programmes atteste unetendance de plus en plus grande à multiplier les ma-tières. Or, comme le temps des études reste et doitrester le même, il est aisé de comprendre que leséludes de plus en plus étendues deviennent de plus

en plus superficielles.«Sans doute, il est avantageux à un homme de

savoir lo droit civil, le droit commercial, le droitmaritime, le droit industriel, la législation.ouvrière,la législation fiscale, la législation douanière ; maisl'on ne peut pas croire sérieusement que les élèves

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 205

de nos écoles acquièrent, en deux années déjà sur-chargées d'autres matières, des connaissances juri-diques que ne possèdent même pas les docteurssortis des facultés de droit. Le seul résultat obtenuest donc de donner aux jeunes gens des écoles de

commerce des notions juridiques tout à fait super-ficielles et d'affaiblir les études vraiment utiles.

>.

Le remède au mal — car une fois élagué l'inutileet l'accessoire, peut être l'essentiel sera-t-il encoretrop lourd— le remède est indiqué par M. Dar-boux.

« Il faudrait peut-être aussi rendre à l'enseigne-ment supérieur une portion des éludes qu'à uneépoque où cet enseignement était sans forces, lui aprise l'enseignement secondaire : les mathéma-tiques supérieures, par exemple, et certainesparties de la philosophie. Les esprits ne sont peut-être pas encore préparés à ces mesures ; mais il se-rait bien désirable à mes yeux que nos jeunes gensvinssent terminer leurs études dans nos Universités.C'est là vraiment que leur esprit achèverait do semûrir et qu'après un trop long internat se ferait lavéritable et décisive préparation à la vie sociale.

« En laissant de côté ces mesures, qui sont entout cas d'uno application très lente et très difficile,j'arrive à celles qui pourraient être mises immédia-tement en vigueur. Pour résumer d'un mot ce queje propose, je crois qu'il faut renoncer au systèmeencyclopédique et appliquer à l'enseignement se-

1S

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condaire le principe de la division du travail. 11 meparaît impossible d'exiger tant de connaissancesdetous les esprits. Cela fait du tort à tout le monde.Ceux qui n'ont pas d'aptitude pour telle ou tellebranche des études perdent leur temps dans les

•classes correspondantes et constituent un véritablepoids mort qui retarde les progrès des élèves biendoués. Puisqu'il semble incompatible avec l'orga-nisation des lycées de laisser à l'élève, même dansles classes supérieures, pleine liberté des études, ilfaudrait du moins, à mon avis, organiser des typesd'études, plus nombreux et plus souples que lestypes actuels, répondant mieux aussi aux besoinsde la société moderne ».

M. Manoeuvrierconfirme ces deux dépositions avecautant de bon sens que de fine ironie.

« Le temps manque, parce qu'il faut parcourir,dans un temps limité, des programmes sans limites.Nous avons la folle ambition de vouloir enseigner àdes jeunes gens, de la treizième à la dix-huitièmeannées, tout ce qui a été accumulé de notions et defaits, dans le trésor des lettres et des sciences

« depuis six mille ans qu'il y a des hommes et quipensent. »

« Comment 1 on voudrait que des enfants de dix-huit ans aient pu se familiariser avec la.langue et lalittérature françaises, avec la langue et la littéra-ture latines, avec la grecque ; avec l'allemand oul'anglais; qu'ils,aient appris l'histoire de tous lespeuples y compris les préhistoriques ; l'histoire de

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 207

tous les temps y compris lo nôtre; toute la géogra-phie, physique, économique et politique; loulo laphilosophie, y compris la môthaphysique et l'esthé-tique ; l'histoire de la philosophie tout cntiôro deThaïes de Milet, jusqu'à M. Izoulet, toutes lessciences naturelles, la cosmographie, la physio-logie, la géologie, la botanique, etc., etc.; toutesles sciences physiques avec leur immense domaine,si démesurément accru depuis cinquante ans ;

toute la chimie organique et inorganique ; toutes lesmathématiques, arithmétique, algèbre élémentaireet supérieure; géométrie plane et dans l'espace,analytique, descriptive, etc., etc. Celte énuméralionsommaire ne démontre-t-elle pas la vanité de notreambition? et n'est-il pas évident que pour parcourircet immense programme nos maîtres sont obligésd'avoir recours à des méthodes expédilives, à desmnémolechniesmécaniques; de tout résumer et defaire apprendre ces résumés par coeur, en un motd'ériger le psittacisme en système pédagogique?

« Comment échapper à cet inconvénient?

« Cesserons-nous d'enseigner un certain nombrede ces sciences? Non, car elles ont toutes le droitde vivre, ayant toutes, à des points de vue divers,une utilité certaine. Nous maintiendrons la liste en-tière dans les cadres généraux de l'enseignement.Mais : 1° dans chacune d'elles, nous élaguerionstout ce qui est accessoire, tout ce qui n'est pas né-cessaire à l'enchaînement méthodique des choses;2° au lieu d'imposer toutes ces connaissances à tout

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208 LA RÉFORME

le monde, nous ne conserverions comme obliga-toires qu'un certain nombre reconnuos strictementnécessaires pour donner à l'esprit un aliment com-plet. Toutes les autres seraient facultatives. Chacunprendrait lo fardeau qu'il est capable de porter. Enrestreignant ce qu'on aurait à apprendre à chacun,on aurait alors le temps d'enseigner la méthode enmême temps que la connaissance ; et à cette condi-tion seule, l'enseignement deviendrait vraimentsubstantiel et éducatif. »

B. — Les méthodes.

Ainsi, l'allégement des programmes et la facultéd'opter entre les diverses matières non obligatoires :

telles sont les deux conditions préalables et néces-saires des bonnes méthodes éducatives.

M. Boutmy s'est attaché à mettre en lumière leprincipe essentiel de toute éducation intellectuelle,vraiment digne de ce nom.

« L'instruction secondaire comprend doux actesdistincts, aussi nécessaires l'un que l'autre : le pre-mier est l'acquisition des connaissances, le secondest la réflexion, appliquée aux connaissancesacquises. Le premier consiste à absorber, le secondà digérer.

« Tout l'effort des organisateurs de l'enseigne-ment secondaire a constamment tendu à diminuer

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 209

la part de la réflexion, à augmenter celle de la puroacquisition des connaissances (1).

« Il s'agit donc do rendre à la réflexion sa placedans l'ensemble de l'éducation. »

Dès lors, les élèves apprendront beaucoup moinsdo choses, mais-ils les apprendront beaucoup mieux,c'est-à-dire à fond et librement.

« Enfin, pour rendre la réforme féconde, il seraitnécessaire, dit M. Manoeuvrier, de changer notre sys-tème actuel des classes, cl do lui substituer, avecles amendements convenables, celui qui a prévaludans l'enseignement supérieur (et aussi dans l'ensei-gnement primaire supérieur), et qui est le systèmedes cours. Il faudrait remplacer un processus aveu-glément chronologique, par un processus logique.

« Au lieu des professeurs de quatrième, troisième,seconde, rhétorique, enseignant à tous à la fois, lefrançais, le latin et le grec, on aurait des pro-fesseurs de français, faisant aux mêmes élèves suc-cessivement un cours élémentaire, un cours moyenet un cours supérieur ; des professeurs de latin, desprofesseursde grec, enseignant dans les mêmes con-ditions. De même pour l'histoire, pour les sciences,etc. Ce serait le principe de la division du travail

(1) Port heureusement pour leurs élèves, les professeurs del'Université résistent le plus qu'ils peuvent à cette oppressiondes programmes. Ils prennent sur eux de ne pas sacrifier l'es-prit aux connaissances.

18.

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210 LA RÉFORME%

appliqué aux études, avec grand profit pour lesmaîtros et pour les élèves.

« Nos enfants ne seraient pas forcés d'étudier tousindistinctement les mômes choses, celles qui leurservent et celles qui no leur servent pas; cellesqu'ils comprennent et celles qu'ils ne comprennentpas, Ils pourraient s'attarder dans un enseignementsans compromettre tout le reste : se trouver, enmôme temps, pour les langues mortes ou vivantes,dans un cours moyen ou supérieur, et, pour lessciences, dans un cours élémentaire, et uice versa.

« Ainsi notre organisme scolaire acquerrait unesouplesse qu'il n'a pas aujourd'hui. Ainsi les parentspourraient choisir la forme spéciale d'enseignementqui conviendrait à eux et à leurs fils. Ainsi onpourrait doser en quelque sorte les études d'aprèsles facultés et les varier suivant les destinations.

«Par là on éviterait celto énormo déperdition deforces qui résulte de la présence dans nos classesd'une majorité d'élèves qui perdent leur temps, augrand dommage de l'Université et du-pays.

«M le Président. — Le système des cours a étéessayé en Angleterre. Vous savez l'objection qu'ilsoulève.

« On a prétendu que l'élève avait besoin de s'at-tacher à un professeur et que la dispersion quirésulte des cours aurait peut-être un certain incon-vénient dans l'enseignement secondaire...

« M. Manoeuvrier. — Je vais essayer de répondreà celte objection, monsieur le Président.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 211

« Si l'on veut que les maîtres et les élèves se lientenlro eux par des relations de sympalhio — ce quiest, en effet, un bien inestimable, car toute vraieéducation est une amitié,— on obtiendra ce résultatbien plus sûrement par le système que je pré-conisé.

«En effet, avec le régime actuel des classes, quese passe-t-il?

« Les élèves faibles ou médiocres, paresseux ouindifférents, obtiennent faiblement, en fait, l'atten-

,lion du professeur. Sauf de très méritoires, maistrès rares exceptions, le maître s'intéresso fort peu à

eux. Dans quelques mois il noies verra plus; il n'en-tendra plus parler d'eux; il passera la main à uncollègue; c'est à peine s'il retiendra les noms do

ces pauvres oiseaux do passage. Aussi, dans lagrande majorité des cas (il y a, jo le répète, de trèshonorables exceptions), aucun lien sérieux n'existeet ne subsiste ni entre les esprits, ni entre les

coeurs : ce sont des connaissances de villes d'eaux,sans lendemains.

« Si, au contraire, le système des cours étaitétabli, les mômes maîtres et les mêmes élèves de-vraient se trouver en présence pendant trois ouquatre ans. Alors le professeur se dirait : Tous cesenfants m'arrivent librement et me seront laisséspendant plusieurs années de suite : j'ai, seul, laresponsabilité de leurs progrès; jo puis organiser

mon enseignement avec ma méthode propre, avecune gradation réfléchie. Je les conduirai seul depuis

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212 LA RÉFORME

les éléments do la science jusqu'aux degrés supé-rieurs...

« No pensez-vous pas quo ces relations prolon-gées seraient, à tous égards, plus satisfaisantes

que les rapports éphémères qui existent aujour-d'hui? No pensez-vous pas que ce rôle d'éducateur,que l'on regrette si souvent et si justement de nepas voir jouera nos professeurs, ils le prendraienttout naturellement, lorsque, par un long usage, ilsconnaîtraient non seulement l'intelligence, maisaussi lo caractôro de leurs élèves? La confiance,l'amitié ne naîtraient-elles pas forcément? »

v

m

Dans tout ce qui précède, on a eu surtout en vuel'enseignemonlsecondaire préparatoiro à l'enseigne-ment supérieur.

Non multa, sed multum; des têtes bien faites,

non des têtes bien pleines, voilà quelle doit être ladevise de tout enseignement théorique.

Programmes et méthodes de l'enseignementutilitaire.

Pour l'enseignement secondaire utilitaire, il fautse préoccuper de deux desiderata. Il s'agit detrouver un programme qui satisfasse à deux con-ditions en apparence inconciliables : donner à l'en-fant une provision suffisante de connaissances appro-priées aux besoins delà vie et en même temps ne

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 213

pas lo retenir trop vieux sur les bancs de l'école.Ce programme, matières àenseigner et méthodes,

M. Chailley-Bert l'a formulé avec toute la nettetédésirable.

« Que faut-il à l'enfant qui suit les cours del'enseignement primaire supérieur ou secondairomoyen?

«Un ensemble d'idées et de connaissances à lafois communes et indispensables à la plupart descarrières où il pourrait espérer d'entrer; je veuxparler de l'agriculture, de l'industrie, du commercoou des carrières coloniales.

« Je distingue entre les idées et les connaissances.Et je dis que cet enseignement devra : 1° déposeret faire pénétrer à jamais dans la mémoire unnombre limité de connaissances indispensables;2° déposer dans son entendement un nombre limitéd'idées fondamentales. Vous devinez qu'ici je faisallusion au double devoir de tout enseignement,au devoir d'éducation et au devoir d'instruction.Pour ce qui est de l'instruction, j'estime que leprogramme devrait être conçu de telle façon que,si l'élève en reste là, il soit muni de l'indispensable,et que, si plus tard il aspire à une culture pluscomplète, il puisse y parvenir facilement en pre-nant comme base, comme point de départ ce quelui aura donné l'enseignement primaire supérieurou secondaire moyen.

a Ce programme ne serait, d'aiileurs, pas chose

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214 LA RÉFORME

nouvelle Use rapprocherait beaucoup de celui del'enseignement qu'autrefois avait organisé un grandministre de l'Instruction publique, M. Victor Duruy,je veux dire l'enseignement spécial, dont l'échec,facilementexplicable, a été un grand malheur pourla démocratie. i

« Il devait, suivant moi, se composer de :

« L'étude do la langue française et de la littéra-ture française ;

« Des sciences mathématiques : arithmétique, al-gèbre, géométrie, mécanique ;

«Dos sciences physiques et naturelles: physique,météorologie, chimie, géologie, botaniquo, physio-logie, hygiène ;

« De l'histoire de France et de la géographie de laFrance, avec un coup d'oeil sur la géographie etl'histoire générales;

« Enfin dés langues étrangères. Comme il s'agitde préparer à l'industrie, au commerce et à la colo-nisation, je mettrais en première ligne l'anglaisobligatoire, avec l'allemand ou l'espagnol faculta-tifs.

« Tel est le programme que j'assignerais à cet en-seignement primaire supérieur.

« Cela, en trois ou quatre années, de façon àrendre l'enfant à la société vers quatorze ou quinzeans.

« Et cela enseigné dans un esprit pratique. Il estévidemment malaisé de combiner l'esprit pratiqueavec l'esprit scientifique. Voici ce que j'entends par

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 215

ces mots « enseigné dans un esprit pratique. » Jeprends un exemple : les mathématiques. L'enfantestàl'écolo pour trois ou quatre ans; on sait àquoi il se destine. Qu'on n'aille pas lui enseigner lesmathématiques comme à l'élève qui plus tard lesétudiera à fond. 11 no s'agit pas de le pénétrerde l'esprit mathématique, do la méthode mathé-matique. L'esprit mathématique se forme, la mé-thode mathématique se révèle par lo long com-merce des mathématiques, par l'initiation au cal-cul intégral, à l'analytique, etc. En dehors de cela,ni esprit mathématique, ni méthode mathématique.Or, dans ce qu'on appelle les « élémentaires », il ya bien des notions qui no sont donnéest que parcequ'elles sont un acheminement aux) raisonnementsmathématiques, une sorte de préparation à la mé-thode mathématique. Ces notions, l'écolier de l'en-seignement primaire supérieur n'en a?que faire. Il

ne sera jamais un mathématicien, ni peut-ôtremême un ingénieur. Mais il peut avoir à (.résoudrequantité de problèmes pratiques : mettez-le en me-sure de les résoudre. Beaucoup sont simples, quel-ques-uns sont compliqués ; outillez-le'de telle fa-

çon qu'il puisse s'en tirer. Il faudra mesurer desdistances, calculer des hauteurs, évaluer même desforces (chutes, courants d'eaux, etc);'enseignez-lui les formules qui permettent de fairej.le calcul,indiquez-lui en gros les4 éléments qui les compo-sent; d'autres lui enseigneront plus tard, s'il con-tinue, la manièred'établir lesformuleselles-mêmes.

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216 LA RÉFORME

«Le reste dans lemôme esprit. S'agil-ildesciencesmorales? envisagez d'avance ce qui intéresseral'homme d'action, le producteur, le contribuable,le citoyen. En histoire ; les guerres passées, l'abais-sementdelaMaisond'Autriche, la question d'Orient?non pas, sauf en passant; mais la vie nationale, 4e

laboureur et lo régime féodal et le régime foncier,le marchand et les douanes intérieures et le sys-tème de Colbert et les corporations et les compa-gnonnages, les rois faux monnayeurs, les famineset la liberté du commerce des grains ; le citoyenfrançais et l'origine et le développement de l'idée depatrie, la naissance du patriotisme, etc., etc., en unmot, ce qui touche surtout le citoyen et le produc-teur, l'homme de raison et l'homme d'argent.

« De même les langues étrangères, moins de Sha-kespeare et de Goethe que de conversation couranteet de lectures de journaux et de rédactions sur lessujets de la vie quotidienne.

« Ne visez pas à faire des savants (ce n'est pasvotre affaire), ni des demi-savants (ce n'est l'affairede personne), mais des hommes armés pour la vie

et armés au moins autant pour la lutte contre leschoses que pour la lutte contre les hommes.»

Les langues vivantes.

Qu'il soit nécessaire d'attribuer dans tout l'ensei-gnement secondaire une grande place aux languesvivantes, personne ne le conteste.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 217

Il y a unanimité sur ce point. Mais dès qu'ils'agitde préciser la méthode et lo but decetenseignementde vives discussions s'élèvent.

L'enseignement doit-il être théorique, doit-il êtrepratique? Le professeur d'allemand ou d'anglaisest-il un éducateur, comme lo professeur de latin, do

grec, de français ou bien ne doit-il être qu'un« maître de langues. » Doit-il s'attacher aux étudesgrammaticales, aux exercices de thèmes ou de ver-sions qui rompent les élèves aux finesses de lalangue étrangère en même temps qu'ils les forcentà étudier lesressources de leur proprojlangue; doit-il par des explications et des lectures initier lesjeunes esprits aux beautés des grands écrivains

comme Goethe ou Shakespeare? Doit-il au con-traire négliger l'étude grammaticale et littéraire etpratiquer la méthode directe, l'enseignçment oral,la conversation usuelle, en un mot réduire l'éludedes langues vivantes à une simple imitation méca-nique et mnémotechnique?

La querelle est vive entre partisans et adversaires,et des mots dédaigneux sont échangés. « Vous ensei-

gnez lés langues vivantes comme les languesmortes», disent les uns.

« L'école publique a mieux à faire qu'à former desgarçons d'hôtel ou des interprètes dans les gares,disent les autres. »

1La vérité ne serait-elle pas, comme, toujours, dans

laconciliation des contraires? Sans doute « le par-loltage « (das Parlieren), comme disent certains, ne

19

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218 LA RÉFORME

saurait suffire à l'enseignement des langues vivantesdans nos lycées cl collèges. Mais encoro ne fau-drait-il pas, comme le constatent avec regret presquetoutes les Chambres de commerce, que les élèvessortissent du lycée capables de traduire - avec undictionnaire — Shakespeare ou Goethe et incapablesde soutenir la plus petite conversation avec unAnglais ou un Allemand.

Toute question d'amour propre mise à part, ilfaut quo le professeur do langues vivantes soitd'abord et avant tout un maîtro de langues. (Il va desoi que nous supposons données les conditionsmatérielles qui rendront possible la pratique directeet orale et en premier lieu la diminution du nombredes élèves). Il est de toute nécessité que les élèvessachent parler et écrire couramment la langueusuelle. Et le savoir d'un garçon d'hôtel pu d'uninterprète n'est pas à dédaigner. Il n'en faut pasplus à un industriel et à un commerçant pour lireles journaux étrangers, voyager, étudier sur placeles possibilités d'exportation, etc. Cette méthodepourrait être pratiquée dans le premier cycle desétudes; ello donnerait à tous ceux qui sortent versquinzeans et qui se destinent au commerce età l'in-dustrie une connaissance précieuse — parce qu'u-tile.

.Quant à ceux qui ont le loisir de faire des études

complètes, classiques ou modernes,qu'ils traduisentet qu'ils admirent les grands écrivains, qu'ils pé-,nètrent plus avant dans l'intelligence de la langue

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 219

et du génie des peuples étrangers, rien de mieux.Mais c'est là un enseignement de luxe, et il fautle réserver à ceux qui ont déjà lo nécessaire. Il doitêtre le couronnement, non la base des études.

Ou peut-êtrevaudrait il mieux pratiquer en mémotemps ces deux méthodes. Dans les classes, lo pro-fesseur donnerait un enseignement général et théo-rique que tous suivraient. Dans les cours, le profes-seur n'ayant qu'un petit nombre d'élèves dix aumaximum, les interrogerait, causerait avec eux,les ferait parler. Pour préciser, soit uno classe detrente élèves. Le professeur fait à tous trois classesd'une heure par semaine. En dehors de ces troisclasses, il prend les élèves par groupe de dix (il n'ya aucun inconvénient et tout avantage à laisser leprofesseur libre de grouper ses élèves comme il l'en-tendrait) et deux ou trois fois par semaine, uneheure chaque fois, leur fait pratiquer la conversa-tion usuelle et la lecture des journaux.

Comme réforme pratique, la premièrequi s'imposeest donc de diminuer le nombre des élèves sinondans les classes, du moins dans les cours. S'il estune vérité pédagogique indéniable, c'est que l'en-seignementoral et pratique est matériellement im-possible avec des élèves nombreux.

Les professeurs ne sont pas seuls à proclamercette vérité : les Chambres de commerce y insistentdans leurs dépositions.

« Que pourrait-on faire pour améliorer le sort deslangues vivantes?

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220 LA RÉFORME

« Nous sommes heureux de constater que l'ensei-gnement des langues vivantes a fait de sérieux pro-grès dans les établissements universitaires. Le corpsdes professeurs est beaucoup plus compétent, mieuxpréparé, et animé d'un zèle très louable.

« Malheureusement, ils ont trop d'élèves à la fois.Pour leur permettre de multiplier les interroga-tions et d'arriver ainsi à faire parler l'élève, il fau-drait réduire de moitié le nombre des présents, enaugmentant celui des heures fournies par chaqueprofesseur. C'est une question d'argent, mais lerésultat à obtenir en vaut la peine. » (Chambre de

commerce de Lyon.)

D'autres innovations sont proposées dont l'effetpourrait être très heureux.

Nous signalerons notamment celle qui a été intro-duite par la direction de l'École supérieure de com-merce de Lyon.

(»Elle consiste, à avoir à côté des professeurs de

langues, Un étranger ne pariant pas français et quivienl de temps en temps dans les classes pour faire

causer les élèves. On pourrait recourir au mômemoyen dans les collèges, au moins dans les classesoù les élèves sont assez âgés et assez sérieux-pourcomprendre toute l'utilité de cette méthode et nepas l'entraver par leur indiscipline. Car, il faut bienen convenir, l'indiscipline a été pendant longtempslu pierre d'achoppement de l'enseignement des lan-gues vivantes. » (Chambre decommerce de Lyon.) '

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 221

« Comme moyen d'émulation et de récompensechez les grands, les voyages à l'étranger devraientêtre recommandés ; il est employé an collège deHonfleur et très apprécié des élèves ». (Chambre decommerce de Honfleur.)

Le Dessin.

Dans tous les types d'enseignement : classiquemoderne ou secondaire moyen, il conviendrait dedonner plus d'importance à l'étude du dessin.Toutes les Chambres de commerce insistent surl'utilité et la nécessité de cet art.

« Nous voudrions aussi qu'on donnât une plusgrande part à l'étude du dessin, non seulement dudessin linéaire, mais du dessin d'ornementationqui s'étend maintenant à un si grand nombre d'in-dustries. » (Chambre de commerce de Roanne.)

« Quant au dessin, son enseignement laisse beau-

coup à désirer. Il est à peu près nul, sauf pour lescandidats à Saint-Cyr, à Polytechnique et à l'Ecolenavale, et cependant peut-on diro qu'un futur in-dustriel ou un futur commerçant, dans un pays oùles produits ont très souvent un caractère artistique,ait moins besoin de savoir le dessin qu'un futurofficier ou un futur ingénieur des services pu-blics?

19.

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222 LA RÉFORME

« Pour donner à cet enseignement quelquechance de succès, il faut non seulement lui accor-der un plus grand nombre d'heures et des profes-seurs mieux choisis, mais il faut obliger les fa-milles et les enfants à le prendre au sérieux,comme il le mérite, en créant une épreuve do des-1

sin pour les examens de sortie comme elle existe

pour les écoles dont nous venons de parler.

« Noire Chambre a, dans le même ordre d'idées,déjà obtenu de l'Ecole supérieure de commerce deLyon, que le dessin fût inscrit au programme deses examens d'admission. Il nous paraîtrait trèsdésirable qu'on en fit autant au moins pour lo bac-calauréat de l'enseignement moderne ou spécial.Tout homme instruit devrait pouvoir faire un cro-quis d'ornement ou de figure. La vogue de la pho-tographie, qui a remplacé sous ce rapport les tradi-tions des générations précédentes, exige qu'on réa-gisse sans retard contre une négligence très préju-diciable aux intérêts du pays. -

,

« Tout est dit depuis longtemps sur les progrèsartistiques des nations industrielles qui nous dispu-tent les marchés du monde. On a beaucoup disserté

sur ce danger, mais on n'a pas fait assez pour lecombattre, on a prodigué les efforts du côté dugrand art, on a môme encouragé un certain artindustriel, on a négligé le principal, qui est d'en-tretenir, dans tous les milieux où l'on travaille, leculte indispensable du goût. On a trop compté surla réputation du goût français. Les qualités natu-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 223

relies finissent par se perdre si on les néglige. Iln'est que temps de nous ressaisir, si nous ne vousIons pas déchoir de la suprématie qu'on nous re-connaissait jadis. Pour cela, il faut absolumentremettre le dessin en honneur dans toutes lesclasses de la société. L'enseignement secondaire nesaurait s'en dispenser.

« Pour les industries de notre région, nous irions

presque jusqu'à dire que l'intérêt de cetto réformeprime celui delà diffusion des langues vivantes.

« Il nous parait nécessaire de rénover les mé-thodes d'enseignement du dessin, de remplacer enpartie par un cours parlé, par des explications don-nées au tableau, la simple, monotone et inintelli-gente copio de la figure antique. On devrait encou-rager les maîtres qui savent donner de la vie à leursleçons et tirer leurs cours de la torpeur qui les ca-ractérise aujourd'hui. La plupart de nos enfantsseraient très capables de s'intéresser à ce qu'on a si

justement appelé la grammaire des arts du dessin,si on voulait se donner la peine de la leur expliquer.Malheureusement on ne fait rien dans ce sens.C'est que l'on n'a jamais pris, pour former desmaîtres de dessin, la peine qu'on s'est très juste-ment donnée pour la formation des autres maîtres.En celte matière, comme en tant d'autres, fairosoi-même ou enseigner sontdeux choses bien diffé-rentes. Tel qui peut admirablement dessiner seratoujours incapable de professer. Demandons doncqu'on s'occupe sérieusement de la préparation des

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.224 LA RÉFORME

maîtres. C'est par ce moyen qu'on est arrivé à réa-liser quelques' progrès dans l'enseignement deslangues vivantes. Il nous paraît nécessaire d'y re-courir aussi d'une certaine manière pour le des-sin. » (Chambre de Commerce de Lyon.

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LA SÉLECTION

Les examens de passage. — L'épreuve éliminatoireà l'entrée du deuxième cycle.

Nous avons dit plus haut que l'enseignementsecondaire devait être accessible et ouvert à tous.L'idéal serait qu'il fût gratuit et seule la questionfinancière s'oppose en fait à la réalisation do cetidéal démocratique. Au moins convient-il de ne paschercher par des moyens artificiels à établir unesélection à l'entrée des lycées et collèges. Mais est-ceà dire qu'il faille attendre pour opérer la sélectionnécessaire la fin des études secondaires, attestéedans le système actuel par le baccalauréat? On saitles déplorables résultats de ce système : la moitié,ou peu s'en faut, des élèves se traînant péniblementjusqu'à.la fin, c'est-à-dire, jusqu'à l'échec final, etl'autre moitié, celle qui triomphe, composée engrande partie d'un lot de médiocrités à qui lachance plus que le mérite conquiert la fameuse

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226 LA RÉFORME

baie de laurier. Au demeurant, deux tiers environde non-bacheliers ou de bacheliers égalementimpropres à l'enseignement supérieur et à l'actionpratique. Comment rendre impossible cette fabrica-tion universitaire ou congréganiste, — peu importeau point de vue social, — de non-valeurs qqiencombrent l'enseignement d'abord, la sociétéensuite?

Le remède a été signalé en môme temps que lemal dans plusieurs dépositions. Il consiste à changerle moment où doit s'opérer la sélection. Ce n'est ni

au commencement, ni à la fin des études secon-daires, c'est au milieu, qu'il faut procéder à celteélimination qui rejettera vers les métiers et profes-sions actives, où l'apprentissage doit commencervers la quinzième année, la masse des jeunes gensque ni leurs aptitudes, ni les besoins sociaux n'ap-pellent à l'enseignement supérieur. S'élonne-t-onqu'un changement de date soit d'importance aussicapitale? Qu'on réfléchisse aux dispositions d'espritdo presque tous les parents français. Que dit le pèrede famille à son fils avant do le mettre au collège?Songe-t-il au métier ou à la profession qu'occuperaplus tard l'enfant devenu homme? Non. Il lui dit,selon lo mol si juste et si spirituel de M. Lavisse :

« Mon fils, sois d'abord bachelier ». Et voilà le fils

parti à la conquête du parchemin qui ost censé

mener à tout, et qui pour tant déjeunes gens nemènera à rien. Si l'enfant est doué — je ne dis pasintelligent, car on peut être intelligent et ne pas

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 227

aimer les études théoriques, on peut avoir parexemple l'intelligence du concret et pas celle del'abstrait— s'il est apte, rien de mieux. Il ira jus-qu'au bout d'un pas allègre, et dût-il trouver sur saroute un obstacle, un examen de passage, il le fran-chira en se jouant. Mais s'il n'est pas apte, que va-t-il devenir après uno expérience de deux ou troisjannées ? Si les parents ont du bon sens, étant avertis,ils le retireront du collège, et rien ne sera perdu.Mais, si les parents ont moins de bon sens que devanité (et la vanité, si l'on croit La Fontaine, estproprement un mal français), s'ils obéissent àl'amour-propre, à la fausse houle (quo de bourgeoisne rêvent pour leur fils que les carrières dites libé-rales !) le malheureux enfant, qui n'en peut mais, estcondamné à « faire toutes ses classés », à courir lachance de cette loterie qu'on estime être le bacca-lauréat : c'est le forçat de la galôro universitaire. Ehbien, il ne faut plus que le père puisse dire à sonfils : « Sois d'abord bachelier. Fais d'abord toutestes classes;» il faut qu'il lui dise : « Mon fils, tuvas entrer au collège, les maîtres vont te mettre àl'épreuve. Si tu témoignes d'aptitudes suffisantes,tu iras jusqu'au bout; sinon, tu seras arrêté enchemin et tu quitteras lo collôgo pour l'apprentis-sage du métier que tu voudras. »

« A partir de la fin de ht quatrième (1) ou, si l'onveut, do la troisième, aussi bien dans les élablissc-

(1) Buisson.

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228 LA RÉFORME

ments publics que dans les établissements libres,un professeur de l'enseignement supérieur, déléguécomme président, avec un droit de veto dont ilaura bien rarement besoin d'user, se rend au col-lège, se rencontre avec le chef de l'établissement etles deux professeurs de la classe d'où sort l'élôve(etde celle où il doit entrer. Ce petit jury, en quelquesminutes, par l'examen du livret de l'élève, au besoinpar un devoir et quelques questions complémen-taires, pourra savoir et dire pertinemment où enest cet élève, s'il est ou non en état de « suivre », sil'on peut l'autoriser à passer dans une classe supé-rieure ou s'il faut en conscience prévenir la famillede son erreur et de l'inutilité de ses sacrifices.

« Voilà l& préface normale d'un bon et vrai bac-calauréat, et voilà l'antidote du mauvais et du fauxbaccalauréat.

« Une fois celte habitude prise, on ne rêvera plusà un diplôme obtenu par surprise; on saura quec'est impossible. Et de deux choses l'une : ou l'ontravaillera pour l'obtenir normalement et loyale-ment, ou l'on y renoncera pour faire, tandis qu'ilen est temps, des études plus humbles, mais plussérieuses et plus pratiques. De la sorte, le vrai carac.tère du baccalauréat sera compris de tout le monde :

parents et élèves sauront qu'on n'y arrive que parune succession d'examens qui en donneront le typeet qui attacheront presque infailliblement le succèsau travail continu, non de deux jours ou de deuxmois, mais d'une ou plusieurs années. Le bacca-

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 229

lauréat sera une sanction véritable, une consécra-tion des études mômes et, par conséquent, il cesserad'exercer une action démoralisante dans les fa-milles, les élèves et les établissements. »

La déposition de M. Foncin corrobore celle deM. Buisson :

« L'enseignement secondaire a surtout pour butde préparer l'élite, les chefs de la pensée et del'action nationales ; il faut donc que l'enseignementsecondaire, en préparant cette élite, opère sanscesse une sélection progressive parmi ses élèves, demanière à ne laisser monter jusqu'en haut que lesplus intelligents et les meilleurs.

« Cette sélection pourra s'exercer naturellementpar des examens assez faciles au début et de plusen plus sévères. Je voudrais mémo qu'il y en eût unplus important que les autres, que je placerais pré-cisément à la coupure que j'ai indiquée entre l'en-seignement secondaire et l'enseignement secondairesupérieur, c'est-à-dire au sortir de la classe actuellede quatrième.

« Entre ces deux cycles d'études cet examenstrictement éliminatoire donnerait droit à un certi-ficat d'études secondaires, et les élèves, munis de

ce certificat, pourraient, ou continuer leurs études,ou quitter la maison. Ils pourraient entrer, avec cecertificat, dans toutes les écoles techniques, sinombreuses et si nécessaires, qui existent autour

20

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230 LA RÉFORME

des lycées et collèges. Co certificat d'études secon-daires ouvrirait donc des carrières qu'on pourraitappeler de second ordre ; il ne formerait pas deschefs; il préparerait plutôt des contremaîtres. »

Cette sélection s'impose donc dans l'intérêt de-s

familles et de la société; elle s'impose égalementdans l'intérêt des études.

Quel merveilleux essor de l'enseignement secon-daire supérieur, si jamais se réalisait cet idéal pé-dagogique : des classes allégées du poids mort desretardataires. Quel entraînement chez les maîtres etles élèves!

L'enseignement classique plus encore que l'ensei-gnement moderne est intéressé à cette réforme. Onpeut même dire qu.o c'est pour lui une question devie ou do mort. M. Gaston Paris, que sa tendressepour l'enseignement qui l'a nourri rie rend pasaveugle, mais clairvoyant, signale cet unique re«mode à la décadence des études gréco-latines.

-«Je ne voudrais donc pas du tout qu'on détruisît

l'enseignement classique, je voudrais au contrairequ'on lo fortifiât; il est très faible, et sa faiblessevient do l'encombrement de ces non-valeurs quitraînent dans toutes nos classes. »

M. Gebhart, autre humaniste pieusement fidèle

au culte des bonnes lettres, fait volontiers sacrificede la quantité pour conserver la qualité.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 231

a Parmi les causes de déclin des études classiques,je découvre d'abord l'encombrement des classes pardes élèves médiocres ; il y a trop d'élèves de cettecatégorie-là; je ne veux pas employer, pour tesqualifier, le mot familier que vous avez tous dans lapensée; mais ce que j'avance est malheureusementla vérité.

« Pourquoi y a-t-il tant d'élèves médiocres? Y ena-t-il plus qu'autrefois? Je l'ignore. Ce qui est cer«tain, c'est que les.classes sont alourdies, retardéespar les mauvais élèves. Ce lest beaucoup trop pe-sant retarde les progrès de la classe. Le mauvaisélève fatigue le professeur et il est de plus unooccasion de distraction et d'élourderie pour lesélèves d'esprit léger; en un mot, il fait perdre dutemps.

« Je crois qu'une branche de salut à laquelle nousdevrions nous accrocher, et sans retard, serait toutsimplement celle-ci : des examens de passage trèsrigoureux devraient écarter, à la fin de chaque classeles élèves franchement mauvais ; mais aprôsla classe,de quatrième, entre les classes de grammaire et lesclasses supérieures, il faudrait qu'un examen de

passage absolument sévère et implacable fît sortirdes lycées de l'Etat des élèves qui évidemment nedonneront jamais aucun résultat.

« Nous garderions donc, dans les classes supé-rieures, je ne dis pas une élite — parce que rienn'est plus loin de ma pensée que do réserver l'édu-cation de l'enseignementsecondaire classique à uno

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232 LA RÉFORME

aristocratie d'esprits très distingués — mais à unbon troupeau, à un petit bataillon de bons élèves,d'élèves intelligents, consciencieux et désirant fairede bonnes études.

« Ce petit bataillon conservé, je crois que lesétudes se relèveraient par plus d'un côté. » ,

Mais, dit-on, cela existe déjà, l'examen de

passage; oui, cela existe, mais sur le papier. Il fautque cela devienne une réalité : il faut que cetexamen de passage ait une valeur décisive et soitstrictement éliminatoire. Mais comment éviter quecette nouvelle institution ne reste, comme l'an-cienne, lettre morte?

11 y aurait un moyen bien simple d'assurer l'effi-cacité de l'examen de passage, ce serait de donner,comme cela se fait en Allemagne, pleins pouvoirsà l'assemblée des professeurs et do déclarer ses dé-cisions irrévocables. Nul doute que l'éliminationdes élèves incapables ne se fasse sans faiblesse,

car les professeurs, toute autre considération miseà part, sont trop intéressés au relèvement des étudespour no pas apporter à ces examens éliminatoiresuno juste sévérité.

Mais il ne suffit pas d'assurer l'efficacité des exa-mens de passage dans les établissements de l'État ;il faut encore, sous peine de favoriser la concur-rence hostile à l'Université, l'imposer aux établis-sements libres. C'est pourquoi il est nécessaired'établir à la fin du \tf cycle d'études un examen

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 233

strictement éliminatoire, que tous les élèves, quelleque puisse être leur origine, seraient tenus depasser, et qui serait présidé par un professeur doFaculté, c'est-à-dire par un personnage officielle-ment autorisé, n'appartenant pas à l'enseignementsecondaire, donc impartial et, ce qui importe beau-coup, tenu pour tel par tous.

Dès lors, plus de crainte de voir les élèves menacerde quitter l'établicsement s'ils ne sont pas admis,en dépit de leur faiblesse ou même do leur nullité,dans la classe supérieure. Cette sorte de chantage,le mot n'est pas trop fort, n'effrayera plus les direc-teurs d'établissements, toujours soucieux de ne pasvoir diminuer l'effectif de leurs élèves, et nousverrons sans doute se créer de nouvelles moeursscolaires. Les administrateurs pourront avoir lamain plus ferme, ôtro moins empressés à retenir,contre leur intérêt, et contre l'intérêt du lycée, desélèves notoirement incapables do suivre l'enseigne-ment secondaire. Les élèves ne seront plus tentésd'imiter le lièvre de la fable et de dire : J'ai bien letemps de partir; j'ai le temps de travailler; je n'ai

pas d'examen avant six ans, je rattraperai plus tardle temps perdu.

Avec l'examen de passago à la fin du I" cycle;c'est l'échéance non plus lointaine, mais prochaine,mais pressante. Les élèves sont trop avisés pour nepas vite comprendre qu'il leur faudra opter sansattendre entre ces deux partis : travailler ou s'enaller,

20.

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234 LA RÉFORME

Cette sélection par voie d'élimination n'est pasune utopie pédagogique ; elle se pratiquo quelquepart, au grand profit des élèves et de la nation.

En Allemagne, l'enseignement secondaire est uneinstitution d'Etat, co qui supprime tout antagonismeentre l'Eglise et l'Etat, toute compétition, toute,sollicitation do la clientèle. « D'où, comme consé-

quence immédiate (1), la sévérité absolue dans lechoix des élèves, l'enseignemont secondaire réservéexclusivement aux meilleurs, pour l'éliminationimpitoyable, d'année en année,do tous les élémentsincapables d'en profiter complètement ». Cettesévérité ne date pas d'aujourd'hui.

« Les jeunes gens, dit le Code prussien de 1794,qui n'ont pas d'aptitudes suffisantes pour les étudessecondaires, doivent en être détournés lo plus tôtpossible; et leurs parents prévenus afin qu'ils puis-sent les diriger en temps utile vers une autre carrièreprofitable. » Mômes instructions presque dans lesmêmes termes dansle plan d'études bavarois de 1891.

La sélection ainsi faite à tous les degrés et surtoute l'étendue du territoire, on conçoit que l'en-seignement secondaire donne des résultats admi-rables.

Et comme conséquence d'un système qui metle but et la récompense suprême des études dans lesuccès constant et régulier, dans la maturité con-quise d'année en année par le travail et l'effort detous les jours ; jjàs d'examens extérieurs aux

(l) Pinloche.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 235

éludes, pas de concours, pas do distributions doprix, en un mot, rien de ce qui peut laisser unepart au hasard, favoriser la paresse intelligente etles succès d'un jour, en faisant de la vanité un desplus puissants stimulants de l'éducation. »

Toute réforme de l'Enseignement secondaire,qui n'édicterait pas ce principe de la sélection, etqui négligerait d'indiquer les moyens efficaces del'appliquer, ne saurait avoir ni valeur pédagogique,ni valeur socuiie.

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IV

LES RÉSOLUTIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION

D'ENQUÊTE

I. — Principes généraux

1° Maintenir l'enseignement classique tradition-nel, et le fortifier. Or la condition sine qua nonde ce maintien et de ce relèvement de l'enseigne-ment classique gréco-latin, c'est de réduire saclientèle aux justes proportions qu'imposent et ladifficulté de ces éludes, et la limite des besoins na-tionaux. Il y a là, pédagogiquement et socialement,

une nécessité absolue..

2° Maintenir l'enseignement moderne, et lui per-mettre de vivre, car il a droit à la vio. Or iln'aura vie pleine et entière, que du jour QÙ il ne^pâtira plus d'une inégalité qui n'est qu'une injus-tice.

-,

Le vieil humanisme est assez fort pour n'être ni ja-

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LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 237

louxj ni exclusif, ni oppressif? Aussi bien n'a-t-ilrien à gagnera cette lutte. Ses meilleurs amis l'af-firment : il est puéril de vouloir arrêter uno évolu-tion qui a produit les littératures modernes et lesnations modernes (l). Vivre, et laisser vivre, telledoit ôtre la devise de tous. L'égalité supprimeraentre les deux enseignements l'animosité et l'hosti-lité. Elle créera, avec une loyale émulation, l'estimeet l'amitié.

Pourquoi les « anciens et les modernes » seraient-ils frères ennemis?

Sont-ils donc si différents et si éloignés les unsdes autres? N'étudient-ils pas les mêmes chefs-d'oeuvre français.

Si les « anciens » peuvent lire les chefs-d'oeuvre

grecs (2) et latins « dans la majesté du texte », les

« modernes » sont-ils tout à fait indignes do lesaimer,pour les avoir lus dans les traductions. Priam

aux pieds d'Achille est-il moins touchant, OEdipemoins douloureux dans la traduction que dansl'original ?

Traduites, ces plaintes et ces lamentations ontsans nul doute moins de beauté formelle, mais enont-elles moins de pathétique? Et si l'argument

(l)Bréal. De l'enseignement des langue* anciennes, p. 61. Citéfar M.R\bol, Introduction générale. L'éminentlinguisteajoute:« Les gouvernements feront sagement de donner satisfactionà ces tendances en multipliant les types d'instruction. »

(2) Ils ne le pourront plus, si le grec est supprimé. Etcombien le peuvent aujourd'hui î

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238 LA RÉFORME

valait contre les « modernes », comme il serait faciledo lo retourner contro les « anciens » a qui nousrefuserions, au môme titro et pour les mômes rai-sons, l'intelligence do Shakespeare ou de Goethe, deDante ou de Cervantes.

Aux « anciens » et aux modernes », la Commis-sion et, nous l'espérons, le Parlement dira : Plus deguerre intestine! Qu'une paix féconde s'établisse!

Plus d'oiseuses discussions ! Suivez le consolideCandide : « Cultivez chacun votre jardin ! Tra-vaillez (!) ! »

3° L'humanisme, ancien ou moderne, n'a plusseul la possession exclusive du lycée ou du collège;*Il lui faut faire place à un compagnon très humble,

(1) Je ne méconnais pas la décision prise à une voix dema\orilé par la Commission et qui maintient que le latin seraexigea l'entrée des Facultés de droit et de médecine. La Com-mission, tout en reconnaissant en principe une valeur égaleaux deux enseignements classique et moderne, n'a pas cru de-voir aller ju:-qu'à accorder l'égalité de sanction. Mais elle cor-rige cette inégalité en instituant —

dans le deuxième cycled'études — des cours gradués de latin pour les élèves de l'en-seignement moderne qui veulent se préparer au droit ou àla médecine; de telle sorte que l'enseignement moderne, avecun changement d'aiguillageà l'entrée du deuxième cycle, con-duira à toutes les carrières, sans exception.

Si, pour ma part, j'ai voté contre l'égalité de sanction, cen'est pas du tout que je fusse hostile en principe à cetteréforme; mais j'estime que conférer les mêmes sanctions àdeux enseignement} d'inégale durée (système actuel ) c'eûtété favoriser l'un au détriment de l'autre. L'égalité de duréeme parait être la condition préalable et nécessaire de l'égalitéde sanction. Cette condition réalisée, j'accorderai sans hésiterà mérite égal, sanctions égales.

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DE L'ENSEIGNEMKNT SECONDAIRE 239

mais très oxigeant, dont lo nom môme est déplai-sant aux oreilles des raffinés : Yutilitarisme, oucommo disent les Allemands, lo « réalisme. »

La concurrence internationale, la a lutto pour lavie » nous rappolle la vérilô du vieil adage où s'ex-prime lésons commun. Primumvivere deinde phi-losophait.

Sans aller jusqu'à souhaiter que celte maximesoit inscrite, en gros caractères, h l'onlrée do tousnos établissements d'enseignement secondaire, onpeut exiger qu'elle soit toujours présente à l'espritde tous ceux qui ont la charge et la direction dol'enseignement.

Le plan d'études sera donc un édifice « tripartite. »

II. — La division triparlite

La Commission d'enquôtes a adopté la divisiontripartite de l'enseignement secondaire

Enseignement classique (avec latin obligatoire etgrec facultatif).

Enseignement moderne (avec langues vivantes).Enseignement pratique complémentaire ou

annexe.Cette diversité des types d'enseignement est né-

cessitée par la diversité des aptitudes et par la diver-sité des besoins sociaux.

Dans chaque type d'enseignement il y aura des

cours obligatoires et des cours facultatifs.

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240 LA RÉFORME

Les cours facultatifs ajouteront au bénéfice de ladiversité les avantage; d'une grande souplesse decombinaisons. C'est un appela l'initiative des intel-ligences et des volontés, c'est dès l'écoleun appren-tissage delà liberté et de la responsabilité.

Vunité, si nécessaire à l'enseignement secon-daire national, sera assurée par l'étude obligatoireet primordiale de notre langue, de notre littératureet de nôtre histoire.

L'âme de l'enseignement secondaire, quelle quesoit la variété des types et des combinaisons, seral'étude du français.

III. — La correspondance et les communicationsdes divers enseignements.

La division en deux cycles.La diversité ne doit pas entraîner la séparation.

Plus de parallélisme sans point de contact, plus decloisons étanches, plus de systèmes fermés, plusd'impasses ; au contraire facilité de communica-tions, correspondances entre les divers types d'en-seignement. \

•'

On accédera du classique au moderne ou du mo-derne au classique, du primaire supérieur au se-cond degré du classique ou du moderne. Celte mul-tifurcation se fera à la fin du premier" cycle, au grédes vocations ou des besoins.

Un élève de classique désire-t-ilquitter les études

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 241

gréco-latines, il entrera do plain-pied dans ledeuxième cycle de l'enseignement moderne. Inver-sement un élève de moderne ou de primairo supé-rieure a-t-il fait preuve de remarquables aptitudeslittéraires et se sent-n appelé vers le professorat,le droit ou la médecine, il entrera de plain-pieddans le deuxième cycle de l'enseignement classiqueoù des cours seront ménagés pour lui apprendre' entrois ans le latin et s'il le faut, le grec (1).

Dès lors plus d'erreurs irréparables, plus de bonsélèves en détresse.

Et dans l'intérieur du lycée ou collège, plus d'hos-tilité de caste, partout au contraire l'harmonie etla solidarité.

L'enseignement utilitaire sera institué de deuxfaçons ?

1° Il pourra avoir son existence propre à côté del'enseignement classique ou moderne; dans tous lescollèges ou lycées où les besoins régionaux serontassez intenses pour lui fournir une clientèle.

La troisième année du premier cycle sera, pourcet enseignement, l'année importante. Il devraitrecueillir tous transfuges du classique ou du mo-derne; les uns décidés d'eux-mêmes à arrêter leursétudes à la fin du premier cycle, les autres, à quiproviseurs et professeurs ont persuadé de quitterl'enseignement théorique où ils couraient à un

(1) Ainsi se fera chez nous l'expérience qui se fait en Alle-magne avec l'école réformiste, et qui a été préconisée devant laCommission d'enquête par M. Foncin.

21

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242 LA RÉFORME

échec (éprouve éliminatoire à l'entrée du deuxièmecycle) pour l'ensoignoment pratique où ils ferontdes études profitables.

2° Cet enseignement pratique peut se greffer —par des cours complémentaires etfacultatifs — à lafois sur lo classique et sur lo moderne.

S'il est donné au lycée des conférences d'agricul-ture, pourquoi tous les élèves qui s'y intéressentn'y assisteraient-ils pas?—Pourquoi un cours decomptabilité ne serait-il pas fréquenté par tous lesélèves qui se destinent au commerce? Le calcul pra-tique — pour prendre un dernier exemple —est-ilmoins nécessaire aux classiques qu'aux modernes?

H va de soi que la prospéritéde cet enseignementpratique .dépend essentiellement de l'initiative eldu zèle des chefs d'établissement. Les dépositionsattestent que certains ont su déjà faire preuve devolonté et d'habileté —et qu'ils ont obtenu de beauxsuccès. (V. Ribot, Introduction générale, p. 1196,in fine.) Leur exemple doit être médité et suivi

par tous les principaux et proviseurs.

IV. — La sélection.

Entre les deux cycles,c'est-à-dire avant l'entréedans le cycle d'enseignement secondaire supérieur,se dresse, comme une barrière, un examen stric-tement éliminatoire. Seuls doivent donc être admis

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 243

à l'enseignement du deuxième degré les élèves qui,à l'épreuve, s'en seront montrés dignes.

Bénéfice pédagogique ; Relèvement des classes,culture plus rapide et plus intensive.

Bénéfice social : Suppression à peu près complètedu déchet de l'enseignement secondaire (ratés, dé-classés).

Y. — Programmes et méthodes.

La modernisation des programmes force l'ensei-gnement secondaire à former des hommes do nolrotemps, des citoyens dans toute l'acceptation de cobeau mot.

L'allégementet l'assouplissement des programmespermet l'emploi des tonnes méthodes qui ne sacri-fient pas l'esprit aux connaissances.

VI. — La durée.

La durée des deux enseignements théoriques

— classique ou moderne — est égale.Elle sera de six années. La sélection opérée entre

les deux cycles permet de diminuer d'un an la du-rée des études secondaires : la qualité et le moinsgrand nombre des élèves permettant dans le se-cond cycle une culture plus intensive et plus ra-pide.

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214 LA RÉFORME

La durée de l'enseignement moyen utilitaire estde trois années.

Une durée trop longue soit des études moyennes,soit des éludes complètes serait préjudiciable auxdeux catégories d'élèves, Il ne semble pas d'autrepart qu'on puisse réduire à moins de trois années

(le premier cyclo et à moins de six années les'deuxcycles.

Je reproduis enfin les propositions de la Com-mission d'enquête — telles qu'elles ont été publiéesdans l'Introduction génèralet par M. Ribot, prési-dent de la Commission.

Plans d'études. — Programmes.

§ <er. — DISPOSITIONS GÉNÉRALES.

1° (23°) (i) Les programmes ne traceront que deslignes générales.

Les proviseurs, après avis des Conseils de profes-

seurs et sous l'autorité des recteurs, régleront lesdétails d'application des plans d'études, en tenantcompte des besoins des élèves et des ressources dechaque établissement.

2° (24°) Il y aura dans les programmes de l'ensei-

(1) Les numéros 23*. s>4» et suivants correspondent auxdi^'visions de l'Introduction générale.

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 245

gnement classique et de l'enseignement modernedes matières obligatoires et des matières à option.

3° (2o°) Le système des cours gradués sera subs-titué, autant que possible, à celui des classes.

4° (20°) Les proviseurs auront la faculté d'organi-ser des cours communs aux élèves de l'enseigne-ment classique et à ceux do l'enseignement mo-derne.

5° (27°) La durée de chaque cours sera, autantque possible, d'une heure seulement.

§ 2. — ENSEIGNEMENT CLASSIQUE

6° (28°) L'enseignement classique sera divisé endeux cycles de trois années chacun.

7° (29°) Le programme du premier cycle com-prendra l'éducation morale et l'instruction civique,la langue française, le latin, une langue vivante,l'histoire, la géographie, le* éléments des mathé-matiques, le dessin et les éléments d'histoire natu-relle. •

8° (30°) Le latin sera enseigné en trois cours gra-dués.

.Un seul professeur suivra, autant que possible,

les élèves pendant ces trois années. r

9° (31°) Les éléments du grec seront enseignésdans la troisième année.

Pour les élèves qui se préparent aux écoles scien-tifiques ou commerciales, l'étude du grec pourra

21.

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246 LA RÉFORME

être remplacée par des conférences do sciences oudes exercices de langues vivantes.

10° (32°) Lo deuxième cyclo comprendra, à titrede matières obligatoires, la littérature française,la littérature latine, la langue et la littératuregrecques, l'hisloiro considéréo dans ses grandes»périodes et, au point de vue du développementdela civilisation, la .géographie, la philosophie cl, àtitre do matières à option, Ips mathématiques, laphysique, la chimie, l'histoire naturelle, les littéra-tures étrangères, etc.

11° (33°) Il sera institué dans un certain nombrede lycées des cours préparatoires de latin et de grecpour permettre aux élèves sortant de l'enseigne-ment moderne ou de l'enseignement primaire supé-rieur d'aborder le cycle supérieur de l'enseignementclassique.

§ 3. — ENSEIGNEMENT MODERNE

12» (34°) L'enseignement moderne sera 'divisé,

comme l'enseignement classique, en deux cycles detrois années.

13° (35°) Le programme du premier cycle com-'prendra obligatoirement l'éducation morale etl'instruction civique, la langue française, unelangue vivante, l'histoire, la géographie, les élé-ments des sciences et le dessin.

Des cours complémentairespourront être annexés

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 247

au programme. Ils seront appropriés aux besoinsdes futurs commerçants, industriels, agriculteurs,suivant les exigences des diverses régions.

14° (36°) Lo deuxième cyclo comprendra lessciences mathématiques, physiques et naturelles, lalittérature française, les langues et les littératuresétrangères, la philosophie, l'histoire considéréedans ses grandes périodes et, au point do vue dudéveloppement do la civilisation, la géographiedans ses rapports avec l'économie politique, lo

dessin, etc.Pour répondre aux divers besoins des élèves, il y

'aura des cours obligatoires et des cours à option.

§ 4. T- ENSEIGNEMENT DES LANGUES VIVANTES ET DU

DESSIN

15° (37°). L'enseignement des langues vivantes

sera, dans le premier cycle, essentiellement pra-tique. On y consacrera le temps nécessaire pour queles élèves soient en état délire, d'écrire et, autantque possible, de parler la langue usuelle.

Les élèves seront répartis en cours, d'après leurforce.

Il sera institué, avec le concours des villes et desChambres de*commerce, des bourses de séjour àl'étranger.

16° (38°) L'enseignement du dessin sera égale-ment donné dans des cours gradués. Il lui sera

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248 LA RÉFORME

attribué un plus grand nombre d'heures et unesanction dans les examens.

§5: — EXAMSNS DE FIN D'ÉTUDES

(17°) Il y aura, à la fin du premier cycle, un exa-

men à la suite duquel sera délivré un certificatd'études secondaires classiques ou modernes(1er degré).

Cet examen sera subi devant un jury composé deprofesseursou anciensprofesseurs de l'enseignementsecondaire et présidé par un professeur de l'ensei-gnement supérieur.

(18°) Les divers baccalauréats seront remplacés

par un diplôme d'études secondaires supérieuresqui sera délivré après le deuxième cycle des étudessecondaires classiques ou modernes.

(19°) L'examen portera sur un ensemble de ma-tières communes à tous les candidats et sur desmatières à option.

(20°) Des règlements détermineront parmi lesmatières à option celles qui sont obligatoires pourl'entrée dans les diverses Facultés.

(21°) Les langues anciennes continueront d'êtreexigées pour l'entrée à la Faculté de droit et à laFaculté de médecine (1).

(22°) Le diplôme mentionnera les matières à

(1) Résolution prise à la majorité d'une voix*

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DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 249

option sur lesquelles le candidat aura répondud'une manière satisfaisante et les Facultés dontl'entrée lui est ouverte.

Les candidats à qui leur diplôme ne donne pasl'accès à telle ou telle Faculté pourront passer unexamen complémentaire.

(23°) Les examens pour l'obtention du diplôme[ d'études secondaires supérieures seront passés de-vant un jury composé de professeurs des Facultésdes lettres et des sciences, auxquels seront adjointsdes professeurs ou anciens professeurs agrégés del'enseignement secondaire, à condition qu'ils neforment pas la majorité et qu'ils n'examinent pasleurs propres élèves.

(24°) Les doyens ou professeurs des Facultés se-ront chargés par le Ministre d'inspecter de temps

en temps les établissements publics et libres, pours'assurer du niveau de l'enseignement et de lavaleurdes livrets scolaires.

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V

CONCLUSION

Nous avons examiné l'oeuvre do la Commissiond'enquête; c'est au Parlement qu'il appartient, etil n'appartient qu'à lui, de donner force de loi

aux solutions qu'elle propose. Jusqu'ici toutes lesréformes entreprises ont avorté. Il importé d'é-viter un nouvel avortement. C'est pourquoi la ré-forme de l'enseignement secondaire doit être votée

— principes et traits essentiels— par lo Parlement,car l'Université est, comme tous les grands corps,incapable de se réformer elle-même (1). » Le pro-blème pédagogique, on ne saurait trop le répéter,est un problème d'ordre social. Il s'agit des grandsintérêts nationaux (intérêts intellectuels et écono-miques). Qui donc en a la charge, sinon les repré-sentants responsables de la nation? Que le Parle-

(1) Foncin.

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LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 231_

ment n'abdique donc pas ses pouvoirs — et sesdevoirs — et qu'il veille à ce que ses décisions soientfidèlement obéies. La réforme une fois votée, quel'expérience soit partielle ou générale, le pointessentiel est qu'elle soit'dirigée "par un personnelconvaincu de son excellence. «Quand on confiel'expérimentation d'un système à des hommes quilui sont hostiles ou ne l'acceptent qu'avec scepti-cisme, on est sûr d'avance du résultat (1). »

S'il en devait être ainsi, mieux vaudrait cent fois

conserver le statu quo. On s'éviterait la peine d'uneagitation stérile, donc nuisible.

L'exemple de l'Allemagne est à méditer. Le ma-gnifique essor scientifique et économique (2) de cepays n'est-il pas dû en grande partio à l'organisa-tion de son enseignement secondaire. Cette organi-sation s'est faite contre les universités jalousementfidèles aux vieilles disciplines humanistes et hostilesà toute culture réale ou moderne. La pression desintérêts nationaux a définitivement vaincu ces résis-tances. On vu quo Guillaume II vient d'achever laréforme commencée par Frédéric II.

Le Parlement français se trouve en face du mémoproblème : il saura indiquer les solutionsnécessaires.Il peut être assuré, d'avance quo l'Université n'op-posera à l'exécution des réformes, une fois décidéesni résistance, ni inertie. 11 sait, par les dépositions

(j) Foncin.(«) Tout le monde a pu s'en rendre compte à l'Exposition

universelle.

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252" LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

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INDEX. ALPHABÉTIQUE.

DES CITATIONS ET DES PRINCIPALES DÉPOSITIONS

DEVANT LA

COMMISSION D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE

A

Aynard, 60, Cl.•

B

Beaunicr (A ), 40, 06.Dérard (V.), 91, 97.Bernés, 91,16t.Bertholot, 3, 41, 103, 12S, 136, 139,Bertrand,*7, 32, 139.Blondel, 48.Bouchard, 102.Bourgeois (E.), 76.Bourgeois (Léon), 101, 141.Houtmy, 2, 12,41, 203.Boutroux,'4bj 41, 89, 203.Brdal, 237. -Brunot, 91,97.Buisson, 2, 17, 41, 89, 203.Biiquet, 119, 123.

aClialllez-Bert, 66, 213.

Chambres do commerce : Paris,Lyon, Bordeaux, Marsollle,Rouen, Bourges, Angoulème,Gray, La Rochelle, Dieppe,Chartres, Armentlères, Dunker-que, Honfleur, Nancy, Nevcrs,Roanne.

Conseils généraux : Vosges, Gi-ronde, Torn-et-Garonno, Nord,Pas-de-Calais, Loire, Bouchcs-du-Hliôno, Allier, Scino-Inrd-rleuro.

Crolset, 3C, 41, 133, 183.

D

Darboux, 36, 41, 101 127, 130, 17),199 203, 205.

Dldon, 91-92.Ducrocq, 105.Duport, 176,Diipuy(K.), 99, 15C.

EEspinas, 119, 124.

22

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254 INDEX

F

Fcrnct, 27, 29.Foncin/73, 94, 121, 144, 151, 229,

250.Fouillée, 2, 41, 90, 145,166.

G

Gautier (J.), 144.Gebhart, 29, 200, 230.Grandeau, 184.Gréard, 2, 41, 99, 156,174, 194.Guillaumo 11, 85,152, 251.

H

Hauvottc, 204.Hermitc, 89.Ûuysmans, 200.

IIzoulet, 207.

JJamet, 40, 144, 160.Jaurès, 10, 97.

Lacheller, 91,Lagorsse, 184.

Landmann,158..

"

Langlois, 119, 124.Làvlsse, 41, 99, 174, 199, 226.Lemaltre (J.). 100.Leroy-Beaulieu (P.), 166.Levasseur, 166.Lyon-Caen, 113.

M

Manoeuvrier, 2, 203, 206, 209 .jManuel, 99.Mathieu (Mgr), 91.Mcrcadier, 117, 122,

PParis (G.), 96, 97, 230.Perreau, 11. "

PinlocheJ 80,84, 151, 234.Poincarré, 101.

R'Ribot, 47, 237, 242, 244.Rocheblave, 99.

SSalomé, 144.Sallwûrk(de),158.Sauiet, 110.

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TABLE DES MATIÈBES

INTRODUCTION

* I

Pages.L'OHDONNANCB scttNTiFiQUE. — La mnémolechnie et la

réflexion .' i

i ' -II

LA CULTURE INTENSIVE. — L'enseignement classique etl'enseignement moderne. — Leur correspondancenécessaire. 15 ,

III

1A DEsiiKATiON UTILITAIRE. — Les deux cycles. — Lamultifurcation . . . 25

Plans d'études. — Programmes.

1 '. .

Les données objectives du problème. — La définitionsociale de l'enseignement secondaire 45

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236 ••• TABLE DBS MATIÈRES

1° L'organe et la fonction 47V Le déchet social de l'enseignementsecondaire.

— Avant le baccalauréat. 52

3° Le déchet social de l'enseignaient secondaireaprès le ba'Viuréat ........ ; . 56

4» La solidarité ues divers'ordres d'enseigne-ment : Continuité du primaire et du secon- --daire 69

•' i' '

II.

Le problème pédagogique. — Humanisme et « réalisme ».— Le passé et le présent.

i» Le passé 75i' Le présent

. • . . 803* L'exemple de l'Allemagne. 81

I"

Les propositions (d'après les dépositions faites devant laCommission d'enquête). —Plans d'études et pro»grammes ' 87

A. — L'enseignement secondaire préparatoire àl'enseignement supérieur

. . . i . . . t>7

B. — L'enseignement secondaire préparatoire àla vie pratique s?

A. — § 1. — L'unité. . 83

a) Les partisans de l'enseignement classique tra-ditionnel unique (gréco-latin). ....... 88

b) Les partisans de l'enseignementclassique mo-dem* unique (langues Vivantes). ...... 91

2. — La dualité avec l'égalité de sanction ... 9sL'enseignement moderne et l'accès aux Facul-

tés de médecine et de droit.. lot

Les résultats de l'enseignement moderne.. . lie

L'égalité de sanction serait-elle un danger pourl'enseignement classique latin i*ô

§ 2 bit. — La dualité avec égalité : Deux enseigne*ment?, l'un littéraire, l'autre scientifique.

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TABLÉ "DBS MATIÈRES " 2&7

L'insuffisance des études scientifiques dans lesystème actuel .->....... 136

§ 3. — L'unité et la diversité simultanées 139Unité (base scientifique).Diversité (complément littéraire : latin bu langue

vivante).

§ 4. "— La superposition.— Les deux cycles. . . , mUnité dans le 1" cycle.Pluralité dans le 2* cycle.L'Étole réformiste allemande 151Les objections 188

B. — L'enseignement secondaire préparatoire à la viepratique. (Destination .utilitaire)

.- 163

§ l«'. — La juxtaposition et l'inégalité 164Un enseignement nettement classique..Un enseignement nettement utilitaire.Les objections.

§ 2. — La superposition. — Les deux cycles ... 172Un'ense'gnement moyen pour tous, à la fois

théorique et pratique (1" cycle).Une pluralité d'enseignements préparatoires soit

à l'enseignement supérieur soit aux hautesétudes commerciales, industrielleset agricoles[Z' cycle)

g 3, — La division tripartite 1731* Enseignement classique latin.s* Enseignement classique moderne.3* Enseignement à tendances pratiques.

Doit-on séparer les divers types d'enseignementsecondaire et les mettre dans des établissementsdistincts? 183

C. — Les programmes et les méthodes (suite.) 194

ci) Les programmes :i* Les moderniser 191v Les alléger et les mieux adapter 199

6) Les méthodes :L'acquisition des connaissances et la réflexion.Les classes et les cours 208

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258 \ TABLE DES MATIÈRES

Les programmes et les méthodes de l'enseigne-ment à tendances pratiques. ......... 212

Les langues vivantes. — Enseignement théo-rique et enseignement pratique. 216

Le dessin> .

221

La sélection.Les examens des passage. — L'épreuveélimina-

toire à l'entrée du 2» cycle 225• i

IV

Les résolutions adoptées par la Commission d'enquête.

I. — Principes généraux 236

IL — La division tripartite. . 239

III. — La correspondance et les communicationsdes divers enseignements. — La divi-sion en deux cycles 240

IV. — La sélection 242V. — Programmeset méthodes 243

VI. — La durée 243

Plans d'études. — Programmes.

§ 1". — Dispositions|généraleî 244

§ 2. — Enseignement classique.. ..... .245

§ 3. — Enseignement moderne . 243

§ 4. — Enseignement des lang-ies vivantes et dudessin 247

§ 5. — Examens de fin d'études 218

V

CONCLUSION.•

250

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