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1 Francis Minet Compétence : de la définition à l’utilisation 1 Dans les entreprises, l’élévation du niveau d’exigence concernant les performances, les capacités d’adaptation, la polyvalence, la réactivité a favorisé l’innovation en matière de gestion des ressources humaines. Parallèlement l’augmentation du nombre de chômeurs, les difficultés d’accès à l’emploi pour les jeunes, l’éviction du marché du travail de beaucoup de salariés âgés ont obligé les pouvoirs publics à rechercher des méthodes d’accès ou de retour à l’emploi plus efficaces, notamment pour les personnes éloignées des exigences des entreprises. Que ce soit à l’initiative des entreprises ou à celle des pouvoirs publics, cette volonté d’agir plus finement sur les situations des individus favorise l’émergence de la notion de compétence. D’autres raisons viennent s’ajouter à celles-ci et expliquent aussi le vif intérêt qu’elle rencontre : la dématérialisation croissante du travail remet en cause les conceptions « comportementa- listes » qui prévalaient dans la description de poste ou dans les référentiels de qualifications. Dans la mesure où le résultat du travail est moins dépendant de l’activité perceptible mise en œuvre par un opérateur mais de plus en plus en rapport avec l’investissement cognitif qu’il y consacre, il était nécessaire de trouver d’autres moyens de description que le comportement observable. Le niveau d’étude des salariés tend à s’élever grâce à la scolarisation plus longue, d’une part, et à la demande des entreprises au moment de l’embauche, d’autre part. Il est donc plus aisé de mobiliser les salariés pour des tâches complexes et ceux-ci sont plus enclins à utiliser leurs capacités, particulièrement sur des contenus formalisés qu’ils ont appris à manipuler à l'école. L’organisation du travail est un autre facteur favorisant l’utilisation de la notion de compétence. La nécessité de gagner de la productivité face à la concurrence, de renforcer la qualité pour satisfaire les exigences des clients imposent de rationaliser les procès de travail. D’un côté, on cherche à réduire la longueur de la chaîne hiérarchique et à diminuer 1 ©Article de Francis Minet, dans Élaborer des référentiels de compétences, coordonné par Jouvenot (C.) et Parlier (M.), Éditions ANACT, 2005

Compétence : de la définition à l’utilisation1 · employée, il n’en reste pas moins qu’elle est difficile à cerner. En tout état de cause, c’est encore (et probablement

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Francis Minet

Compétence : de la définition à l’utilisation1

Dans les entreprises, l’élévation du niveau d’exigence concernant les performances, les capacités d’adaptation, la polyvalence, la réactivité a favorisé l’innovation en matière de gestion des ressources humaines. Parallèlement l’augmentation du nombre de chômeurs, les difficultés d’accès à l’emploi pour les jeunes, l’éviction du marché du travail de beaucoup de salariés âgés ont obligé les pouvoirs publics à rechercher des méthodes d’accès ou de retour à l’emploi plus efficaces, notamment pour les personnes éloignées des exigences des entreprises.

Que ce soit à l’initiative des entreprises ou à celle des pouvoirs publics, cette volonté d’agir plus finement sur les situations des individus favorise l’émergence de la notion de compétence. D’autres raisons viennent s’ajouter à celles-ci et expliquent aussi le vif intérêt qu’elle rencontre :

la dématérialisation croissante du travail remet en cause les conceptions « comportementa-listes » qui prévalaient dans la description de poste ou dans les référentiels de qualifications. Dans la mesure où le résultat du travail est moins dépendant de l’activité perceptible mise en œuvre par un opérateur mais de plus en plus en rapport avec l’investissement cognitif qu’il y consacre, il était nécessaire de trouver d’autres moyens de description que le comportement observable.

Le niveau d’étude des salariés tend à s’élever grâce à la scolarisation plus longue, d’une part, et à la demande des entreprises au moment de l’embauche, d’autre part. Il est donc plus aisé de mobiliser les salariés pour des tâches complexes et ceux-ci sont plus enclins à utiliser leurs capacités, particulièrement sur des contenus formalisés qu’ils ont appris à manipuler à l'école.

L’organisation du travail est un autre facteur favorisant l’utilisation de la notion de compétence. La nécessité de gagner de la productivité face à la concurrence, de renforcer la qualité pour satisfaire les exigences des clients imposent de rationaliser les procès de travail. D’un côté, on cherche à réduire la longueur de la chaîne hiérarchique et à diminuer

1 ©Article de Francis Minet, dans Élaborer des référentiels de compétences, coordonné par Jouvenot (C.) et Parlier (M.), Éditions ANACT, 2005

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le nombre d’intervenants afin de préserver ou d’augmenter la valeur ajoutée. On charge donc l’opérateur de la première maintenance tout en supprimant la maîtrise. De l’autre, on « procéduralise » fortement le travail, en faisant appel à l’arsenal normatif disponible tout en demandant aux opérateurs de fortes capacités de réaction et d’adaptation pour répondre le plus vite possible aux souhaits de la clientèle. Dans tous ces cas, les qualifications et les descriptions de postes s’avèrent obsolètes comme moyens de gérer ces nouvelles dimensions du travail.

Désigner les compétences : un enjeu social et managérial

Même si plusieurs facteurs expliquent pourquoi la notion de compétence est de plus en plus employée, il n’en reste pas moins qu’elle est difficile à cerner. En tout état de cause, c’est encore (et probablement pour longtemps) « une vue de l’esprit », comme nous pouvions conclure une étude menée sur ce thème2, il y a quelques années. Nul n’a jamais pu l’observer en tant que telle. Elle ne se donne à voir qu’à travers ses manifestations, c’est-à-dire l’activité qu’elle permet de réaliser. Tous les théoriciens ne sont d’ailleurs pas d’accord sur la manière de la définir et d’en décrire les contenus et la science est n’est pas encore en capacité de pouvoir trancher parmi les différentes écoles qui s’affrontent sur la question.

Mais la définition de la compétence, donc sa dénomination, est aussi soumise à des jeux d’acteurs puissants à l’intérieur de l’entreprise. En effet, en fonction de la manière dont la compétence sera dénommée dans l’entreprise, elle va plus ou moins valoriser tel groupe social ou tel autre. Ainsi, dans une entreprise de service, des assistantes de direction procèdent à des opérations de recrutement. La première version du référentiel d’activités et de compétences fait apparaître explicitement cette activité, avec les éléments de compétence correspondants. Mais la direction de l’entreprise procède à un arbitrage, à la demande des supérieurs hiérarchiques directs des assistantes et elle reformule l’activité pour ne souligner que la participation au processus et non sa mise en œuvre en toute autonomie. Les encadrants ne veulent pas que les assistantes se rapprochent d’eux en termes de responsabilités reconnues dans l’organisation…

Dans une autre situation, dans des chambres d’agriculture, la construction des référentiels d’activités et de compétences des conseillers et des formateurs des chambres soulignent de grandes disparités d’un département à l’autre. Certains positionnements d’acteurs se trouvent fragilisés, d’autres renforcés. Tout cela conduit à mettre en place de nouvelles modalités d’accès à la fonction.

Ailleurs, l’identification des compétences actuellement mises en œuvre et des compétences projetées compte tenu des évolutions envisagées, pour les principaux métiers de l’entreprise, permet d’impulser le changement dans les différentes implantations régionales de l’entreprise. Cependant, la démarche de gestion prévisionnelle se heurte à l’hostilité d’une partie des directions régionales, déstabilisée par les attentes suscitées dans le personnel concerné.

2 Minet (F.), Parlier (M.), de Witte (S.), La compétence, mythe, construction ou réalité, Éditions l’Harmattan,

collection Pour l’Emploi, 1994.

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Quel que soit le point d’entrée constaté (mise en place d’une gestion prévisionnelle des compétences, construction de référentiels de compétences pour la formation, traitement de problèmes de compétences spécifiques, orientation professionnelle, etc.), les approches compétences suscitent des réactions d’autant plus fortes qu’elles perturbent les certitudes habituelles. Il est fréquent de constater que la hiérarchie des compétences et la hiérarchie des qualifications ne se superposent pas, que les mieux payés dans l’entreprise ne sont pas forcément les plus compétents, que l’expertise et l’ancienneté ne coïncident pas nécessairement…

La gestion des compétences, au cœur des préoccupations de l’entreprise

La gestion des ressources humaines, anciennement gestion du personnel, a pendant longtemps été considérée comme un ensemble de pratiques plutôt disparates, faisant appel à des spécialités bien distinctes (droit social, paie, relations sociales, formation…). Il était fréquent de constater que l’essentiel des ressources des directions de personnel, puis directions des ressources humaines, était consacré au processus de gestion quantitative (recrutement, paie , adéquation au poste, etc.) et, dans les grandes entreprises, au processus de dialogue social.

Progressivement, la gestion quantitative a fait une place croissante à des modes de gestion faisant appel à des approches plus qualitatives, orientées vers les compétences. Cette sensibilité s’est accrue dans les entreprises, à tel point que les services de ressources humaines commencent à éprouver des difficultés à s’imposer, face aux prétentions des managers de proximité de pouvoir piloter eux-mêmes leurs ressources dans ce domaine. Cependant, la notion de compétence et l’ensemble des applications qu’elle permet de faire fonctionner utilement ne sont pas encore prêts d’échapper à un regard et une autorité suffisamment avertis techniquement, ce qui n’existe pratiquement pas, pour l’instant, dans les ateliers ou les bureaux.

La compétence agit maintenant comme le lien qui manquait jusqu’alors dans les différents domaines d’action de la gestion des ressources humaines. En effet, pour articuler les différentes composantes du système de gestion des compétences de l’entreprise, il est indispensable de disposer d’un langage commun et d’une compréhension partagée du vocabulaire afin d’assurer une réelle efficacité des actions sur les métiers ou les emplois.

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Il peut être intéressant de passer en revue succinctement chacun de ces domaines d’utilisation de la notion de compétence.

L’évaluation des compétences n’est pas encore une réalité dans beaucoup d’entreprises. La plupart du temps, il y a une confusion dommageable entre l’évaluation des performances et l’évaluation des compétences. Si la performance dépend de la compétence de l’individu qui la réalise, elle dépend aussi d’autres facteurs, ce qui interdit toute équivalence entre les deux notions. Par exemple, la motivation, la hauteur des objectifs fixés, etc. conditionnent la performance et peuvent la faire varier considérablement, à compétences égales… Il reste donc à équiper les managers de proximité de l’outillage méthodologique leur permettant de choisir les leviers d’action pertinents le moment venu. Les approches compétences en sont une composante essentielle.

Dans le recrutement, par exemple, sauf à organiser des simulations coûteuses de l’action, les performances du candidat ne peuvent pas être évaluées, ou alors très indirectement par la lecture de son CV et notamment de l’expérience professionnelle qui y apparaît, avec plus ou moins de précision et de fidélité... En revanche, la mesure des compétences des candidats, comparées au référentiel cible (en principe constitué des compétences habituellement mobilisées dans l’emploi à pourvoir) constitue un des facteurs clés de décision.

La gestion de carrière, qui était auparavant réservée aux niveaux les plus élevés dans la hiérarchie des salariés, concerne un nombre croissant de salariés. Pour alimenter les réflexions dans ce domaine, il est nécessaire de bien analyser les compétences acquises, mais aussi, parmi elles, celles qui sont persistantes ou, au contraire, déclinantes, et de pouvoir établir des projections crédibles d’utilisation de compétences actuelles ou d’acquisition de compétences nouvelles dans des situations professionnelles, voire des métiers, cibles. Le gestionnaire de carrière doit pouvoir établir des bilans de compétences mais aussi mesurer le potentiel d’acquisition de compétences nouvelles ou d’évolution des compétences actuelles

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dans des contextes nouveaux pour une personne candidate à une évolution professionnelle. De plus il doit pouvoir identifier de manière assez précise les compétences qui sont nécessaires dans les cibles d’emplois visées. Une méthode d’analyse des compétences est ici aussi indispensable.

Dans le domaine de la formation, il paraît risqué (même si c’est encore souvent le cas !) de décider des contenus à acquérir sans avoir préalablement mesuré l’écart entre les compétences souhaitées et les compétences possédées par les personnes à former. Il convient aussi de prendre en considération les types de contenus de compétences concernés dans l’écart relevé : des savoirs formalisés ne s’acquièrent pas de la même manière que des savoirs de l’action, sans aller jusqu’à évoquer la prise en compte des profils d’apprentissage, qui représenterait un progrès supplémentaire dans l’ingénierie des compétences.

L’organisation des activités ne peut plus se concevoir indépendamment des compétences mobilisables par les individus qui composent le collectif de travail. La division du travail permettait de s’affranchir en grande partie de cette contrainte, ce qui n’est plus souvent le cas aujourd’hui. Décider de la répartition des tâches, d’une dotation en matériel, en machines, de délais et de standards de qualité impose au manager de bien mesurer les compétences de son équipe et donc des modalités lui apportant ces informations.

La mobilité trouve une nouvelle justification grâce aux modèles de gestion des compétences. Si intuitivement les organisations s’étaient bien rendu compte que la mobilité, c'est-à-dire la rencontre de situations de travail nouvelles, obligeait à une adaptation, voire un développement des compétences, pendant longtemps celle-ci est restée cantonnée aux plus hauts niveaux de la hiérarchie. Au contraire maintenant, la mobilité, au moins dans certaines entreprises, est devenu soit une règle de gestion des emplois ou des groupes d’emplois, soit un moyen d’agir sur les compétences des salariés, au même titre que la formation, en complément ou à la place de celle-ci.

La gestion prévisionnelle des compétences, c’est-à-dire la projection à un terme fixé de l’utilisation des ressources en compétences actuelles et à venir, est un exercice difficile. Les variations de conjoncture, les incertitudes économiques, la complexité croissante des marchés, etc. rendent les prévisions aléatoires et « obèrent » donc toute opération de gestion prévisionnelle. Néanmoins, le poids des incertitudes rend d’autant plus nécessaire la prévision dans le pilotage de l’organisation qu’il faut pouvoir au moins mesurer les écarts entre ce qui était prévu et ce qu’il est possible de réaliser.

La rémunération ainsi d’ailleurs que les classifications et les qualifications occupent des places particulières parmi les domaines d’action des systèmes de gestion de compétences. Si on peut considérer que les classifications permettent d’organiser et de répartir les qualifications présentes dans l’entreprise les unes par rapport aux autres, elles n’ont en fait qu’un rapport indirect, voire assez lointain, avec les compétences réellement détenues par les titulaires des emplois ou des postes. Les qualifications ont le mérite de faire accepter la hiérarchie sociale dans l’entreprise, dans la mesure où elles sont négociées entre les partenaires sociaux. Elles reflètent la valeur accordée à certains rôles, donc à certaines compétences, par les acteurs de l’entreprise. Cependant, elles sont peu significatives de ce qui pourrait constituer une échelle de « valeur » des compétences. La plupart des entreprises se

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gardent bien d’ailleurs de vouloir rémunérer les compétences en tant que telles (si tant est que cela soit possible !). Elles rémunèrent, la plupart du temps, les produits de leur mise en œuvre, c’est-à-dire les performances réalisées, ou le positionnement reconnu dans la hiérarchie de l’entreprise, voire une combinaison de ces facteurs, la « valeur » accordée par les acteurs sociaux de l’entreprise à telles ou telles compétences pouvant servir d’argument dans les négociations.

La gestion des savoirs est une préoccupation plus récente des entreprises. En fonction des modalités de descriptions des compétences, « l’interfaçage » avec le « knowledge management » est plus ou moins aisé. Si la description des compétences ne dépasse pas le stade de la reformulation plus ou moins fine d’activités, il sera difficile d’établir des correspondances entre les savoirs détenus par les personnes (qui ne seront jamais réellement nommés dans ce cas) et les savoirs présents dans les composantes de l’organisation (les machines, les processus, les configurations organisationnelles…). En revanche, si les compétences sont analysées en termes de savoirs et non en termes de résultats obtenus par leur mobilisation, le système de gestion des savoirs pourra plus facilement s’alimenter des travaux sur les compétences. Néanmoins, il reste encore d’importantes difficultés à formaliser les savoirs de l’action pour en faire des « objets » qui puissent être manipulés indépendamment de leur mise en œuvre et donc « gérables » en tant que tels.

L’ensemble de ces considérations montrent, si besoin était, qu’un système de gestion de compétences doit s’appuyer sur une analyse du travail et une conceptualisation des compétences rigoureuses, afin de fournir aux intervenants dans le champ des compétences des bases aussi solides et sûres que possible.

De l’analyse du travail à la description des compétences

Définir la notion de compétence

En considérant, comme postulat, que les compétences sont constituées des représentations mobilisées par une personne pour réaliser une activité, l’analyse des compétences va donc consister à repérer et décrire ces représentations, en ayant soin, auparavant, de recenser les activités qui les fondent et justifient leur utilisation.

L’analyse et la description des compétences s’appuient donc résolument sur les sciences cognitives, c'est-à-dire les sciences du traitement de l’information, pour décliner les différentes catégories de représentations qui permettent d’en rendre compte. Il peut être nécessaire, à ce stade, de décliner les quelques définitions sur lesquelles s’appuie le modèle de description des compétences présenté ici :

une activité peut se définir comme une transformation intentionnelle d’objet ;

un objet est une partie du réel qui est soumis à une transformation. Ce peut être un objet simple et concret, comme un bloc de métal, par exemple, ou un objet fortement « construit », voire abstrait, constitué d’éléments réunis sous une même dénomination comme un projet, un problème à résoudre, etc.

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une représentation est une image mentale d’une partie du réel. Les représentations peuvent être plus ou moins complexes, plus ou moins proches des objets à partir desquels elles s’élaborent. Pour reprendre la catégorisation de Gérard Malglaive, il distingue :

- des représentations « pragmatiques », faites de gestes, d’automatismes, qui permettent la manipulation concrète des éléments de la situation dans laquelle la personne agit ;

- des représentations « conceptuelles », autrement dit les images mentales du but, de l’intention, des raisons qui justifient l’action. C’est en quelque sorte la représentation de l’objet une fois transformé par l’action ;

- des représentations « schématiques », ce sont les représentations qui structurent et ordonnancent les différentes étapes de l’action. Sans elles, on ne saurait pas par quels gestes ou actes (représentations pragmatiques) commencer la transformation de l’objet ;

- des représentations « pratiques », qui viennent combler les « interstices » laissés par les représentations schématiques, qui ne peuvent tout prévoir ou organiser. Dans l’action concrète, les choses sont toujours un peu différentes de ce qui avait été envisagé. Ces représentations pratiques apparaissent au moment de l’action et ne sont pas formalisées par celui qui les met en œuvre. C’est de l’ordre de l’intuition, par exemple, du « savoir ouvrier », du « coup de main », Ce sont ces représentations qui font la différence entre une personne « expérimentée » et une personne débutante.

Les représentations, qui sont disponibles au moment opportun, sont aussi appelées des « savoirs ». Ce terme s’explique si on considère que les représentations conservées sont des éléments déjà connus de la personne qui met en œuvre l’activité, au moment où elle en a besoin pour agir.

En reprenant les différentes représentations identifiées, on obtient les savoirs suivants, inspirés des catégories définies par Gérard Malglaive :

Les connaissances (savoir théorique), c'est-à-dire les représentations conceptuelles. Elles supposent pour se constituer un éloignement de l'action. Elles manipulent des objets abstraits, sous forme symbolique et obéissent à leur logique propre et non pas à la logique de l'action. Ce sont principalement les savoirs disciplinaires. Les connaissances sont nécessaires pour la description ou la compréhension de l'action et pour créer de nouvelles procédures face à des situations à traiter. Cependant, elles ne gouvernent pas directement l'action et ne peuvent pas s'y investir autrement qu'en passant par l'intermédiaire des procédures et techniques qu’elles auront permis de construire ou de sélectionner.

Les procédures et techniques (savoir procédural). Ce sont les représentations schématiques. Elles sont en interrelation avec les connaissances. C'est par elles que les connaissances peuvent s'investir dans l'action, en ordonnant la suite des actes selon la finalité poursuivie. C'est un mode opératoire permettant à la théorie d'agir sur le réel en fonction d'une intention donnée. Elles peuvent se construire grâce aux connaissances acquises ou par « essai-erreur » directement dans l’action.

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L’expérience (savoir pratique), autrement dit les représentations pratiques. Elles sont la mise en œuvre d'un « raisonnement » personnel, non formalisé, construit entièrement dans et aux fins de l'action. Elle comble en quelque sorte les « interstices » laissés par les connaissances et les techniques dans la conduite de l'action. L’expérience ne se transmet pas en tant que telle. Son analyse, difficile, produit de la connaissance sur l’action, qui, elle, peut être transmise et conservée.

Le savoir-faire, ou représentations pragmatiques. C'est le répertoire d'actes, d’automatismes, dont dispose une personne pour faire une action donnée. Il n'y a pas de découpage optimal des savoir-faire, comme le découpage en pas-de-procédure d'un robot, par exemple. Le découpage des savoir-faire dans l'analyse du travail est empirique et varie suivant le domaine d'application.

Ainsi, pour donner une définition plus simple de la compétence, mais néanmoins cohérente avec l’approche fine de Gérard Malglaive, il est possible de la décrire comme la mobilisation pour l’action :

des connaissances nécessaires à la compréhension de son contexte, et à l’élaboration des procédures, des techniques à investir dans l’action,

des procédures, des techniques et des méthodes adaptées au résultat visé,

des automatismes et des gestes nécessaires à la mise en œuvre de l’action,

de l’expérience acquise nécessaire à leur régulation. »

Pour compléter ces définitions de la compétence, on peut la considérer selon différentes dimensions. Une compétence n’existe que par rapport à une activité. Elle est forcément orientée pour agir. Si l’action n’est pas intentionnelle, il n’y a pas de compétence. Il faut un objectif pour structurer les différents savoirs qui constituent la compétence.

Les compétences s’apprennent. Il n’y a pas de compétence spontanée. Tout ce qu’une personne peut faire, elle l’a appris, parfois très tôt dans son existence (la marche, la parole, etc.). Ce qui est très variable d’une personne à l’autre, c’est la vitesse et l’amplitude de l’apprentissage. Certains apprennent plus vite et mieux que d’autres. Cela ne remet pas en cause le fait que les compétences sont bien le fruit d’un apprentissage.

La compétence n’est pas un objet en tant que tel mais plutôt une hypothèse de travail, comme le dit Jacques Leplat. En fait, ce qu’on nomme, c’est soit l’activité qu’elle permet de réaliser, soit les contenus qui la constituent, soit les deux. La compétence ne se désigne pas, sauf indirectement avec des formules comme « être capable de… » ou « savoir… ».

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Même si, dans une approche épistémologique, les compétences ne sont que des hypothèses, et non pas des objets, on peut néanmoins en tenter une représentation, ainsi que le fait Gérard Malglaive.

Dans ce schéma, les différentes composantes, les savoirs, apparaissent en relation. Les savoir-faire sont les savoirs directement en contact avec l’objet transformé. Ils se confondent avec les gestes physiques ou mentaux de la réalisation de l’activité. Les procédures, techniques, méthodes conduisent l’ordonnancement, l’organisation des savoir-faire. Les procédures sont elles-mêmes construites ou sélectionnées par les connaissances, permettant de se représenter les buts, les finalités et les raisons de l’action. L’expérience, non formalisée, vient réguler, « fluidifier » les procédures en introduisant des raccourcis, des hiérarchisations ou des temporalités différentes en fonction de la perception pratique des conditions de l’action.

Les compétences sont donc bien une articulation de savoirs : « savoirs agis » d’un côté, composés des savoir-faire, des procédures, méthodes, techniques et de l’expérience ; « Savoirs formalisés » de l’autre côté, comprenant les savoirs qui se donnent à voir indépendamment de leur mise en œuvre, c’est-à-dire les procédures, encore, véritables pivots de la compétence, et les connaissances.

Construire les référentiels de compétences

Les compétences se construisent dans l'action, c'est-à-dire dans la réalité des situations de travail vécues par les salariés. Il est donc nécessaire de s'intéresser à l'ensemble des données qui les constitue et par là même influence et détermine le fonctionnement de la structure des capacités. C'est la combinaison d'un ensemble d'informations complémentaires qui permettront de cerner plus précisément les compétences en jeu dans une situation donnée et autoriseront des hypothèses d'actions. La dimension prise par chacune des sources d'information ainsi que l'attention qu'on leur porte pourra varier en fonction des moyens dont

Activité

Savoir-faireautomatismes

habiletés

Procédurestechniquesméthodes

ExpérienceConnaissances

Savoirs formalisés

Savoirs agisMise en œuvre

Formalisation

Activité

Savoir-faireautomatismes

habiletés

Procédurestechniquesméthodes

ExpérienceConnaissances

Savoirs formalisés

Savoirs agisMise en œuvre

Formalisation

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dispose l’observateur, ces moyens étant le plus souvent directement dépendants de l'importance du dispositif d’actions sur les compétences dans le contexte.

En tout état de cause, toute tentative de construction de référentiel de compétences commencera donc par l’identification des activités réalisées dans l’emploi analysé. Pour cela, il faut recueillir préalablement des informations sur la situation à traiter, puis de rencontrer les acteurs concernés, c'est-à-dire les titulaires des emplois analysés et les hiérarchiques directs et d’obtenir, par la conduite d’entretien, des éléments suffisamment précis pour formaliser les activités et inférer les éléments de compétences (les différents savoirs) mobilisés pour les réaliser.

Recueil d'informations

Le relevé des informations préalable à l'observation de l'activité permet à l'observateur de se construire une représentation du contexte de la situation à analyser. Il ne s'agit pas d'effectuer un relevé exhaustif du plus grand nombre possible de paramètres mais de se constituer une représentation adéquate du problème posé.

Les procédures ne manquent pas pour effectuer ces relevés d'information. Elles varient suivant les problématiques en cause, mais présentent en général des caractéristiques communes. On peut distinguer quatre axes principaux qui orientent le recueil d’information : un axe technique, un axe relationnel, un axe stratégique, un axe démographique.

L'axe technique se préoccupe des procédés, des machines, de l'organisation du travail. Il recense les outils utilisés et différents paramètres intervenants dans l'activité de travail : le temps (moment de la journée, de la semaine, le rythme particulier, s'il y a lieu...), la durée de l'activité, mais aussi des différentes séquences qui la composent (on ne construit pas de la même façon les contenus d’action sur les compétences selon que l'activité est plus ou moins répétitive ou qu'elle s'étale sur plusieurs jours).

L'axe relationnel concerne l'identification des relations des différents acteurs agissant dans la situation étudiée. Les relations internes à l'entreprise (avec les pairs, la hiérarchie, les services fonctionnels, etc.) et externes (les clients, les fournisseurs, etc.) doivent être considérées en fonction de leur objet mais aussi des moyens qui sont utilisés (notes, lettres, téléphone, etc.).

L'axe stratégique renseigne sur l'importance de l'activité par rapport au reste de l'entreprise. Selon que le problème à résoudre se situe au cœur du métier de l'entreprise ou, au contraire, pourrait être facilement abandonné ou sous-traité, la dimension stratégique ne sera pas du tout la même. Cet axe recueille également les éléments de prospective disponibles, si une réflexion existe dans ce domaine et est communicable.

L'axe démographique est centré sur les caractéristiques de la population concernée : âge, ancienneté, qualification, etc.. Il permettra de prendre en considération les éléments de gestion prévisionnelle des emplois, quand ils existent.

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S'il n'est pas très difficile de recueillir assez d'information pour nourrir ces quatre axes quand les activités ou les emplois en cause existent, il n'en va pas de même pour des activités ou des emplois projetés. Dans ce cas, « il faudra bien s'engager dans l'inconnu » et, en fait, « construire » la tâche »3 en utilisant soit des situations proches de la tâche future, si elle est définie avec assez de précision, soit en s'entourant d'avis d'experts afin de la délimiter le plus possible. La projection dans l'avenir peut d'ailleurs représenter un enjeu majeur pour évaluer la mobilité potentielle d'un emploi actuel vers un emploi futur projeté. S’il n’existe pas de situations professionnelles de référence, proches ou analogues, il sera très difficile d’élaborer un référentiel précis.

Quand l’activité ou un ensemble d’activités constituant un emploi existent, il faut recueillir les informations à la source, c'est-à-dire auprès des titulaires. Des entretiens individuels sont préférables aux réunions. En effet, celles-ci conduisent rapidement à des négociations implicites entre les participants pour décider de retenir ou non une activité, pour accepter une formulation au détriment d’une autre. Ce qui est « gagné » apparemment en participation est largement perdu en précision et en pertinence. En fait, une activité ne se négocie pas, elle existe ou elle n’existe pas. De même, les contenus de compétence ne sont pas des objets de négociations, ils s’imposent en fonction des caractéristiques de l’action à mener…

En revanche, les réunions pourront servir pour faire valider les référentiels établis à partir des entretiens et pour modifier les formulations de façon à ce qu’elles soient compréhensibles et utilisables par tous. Il est important de ne pas perdre de vue qu’un référentiel de compétences n’est que la représentation de celui qui l’a établi. Il a pu mal comprendre certaines activités, mal interpréter certains contenus… La validation est donc une garantie en même temps qu’un temps d’appropriation par les personnes concernées de la description de leurs activités et de leurs compétences.

3Malglaive (G), Enseigner à des adultes, Éditions Presses Universitaires de France, 1990

Relationnel Technique

Démographique Stratégique

EXTERNE

MOYENS

FONCTIONNELS

HIÉRARCHIQUESPAIRS

INTERNEPROCESSUS

ENVIRONNEMENTPHYSIQUE

MACHINES

LOCAUX

CONDITIONS DETRAVAIL

DOMAINEDE

RÉFÉRENCE

PROSPECTIVE

CONTRIBUTIONÉCONOMIQUE

OBJECTIFSPRESCRITS

VALEURAJOUTÉE

RENTABILITÉ

EFFECTIFSANCIENNETÉ

ÂGE

PARCOURSD'ACCÈS

QUALIFICATIONS

CLASSIFICATIONS

SEXE

CLIENTS

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Conduite des entretiens

Trois niveaux d'entretiens sont nécessaires pour effectuer les enquêtes :

un premier niveau d'entretien avec les commanditaires, les responsables de l'unité de travail et les responsables de l'entreprise dont l'influence est connue sur la situation à examiner ;

un deuxième niveau d'entretien avec les hiérarchiques directs des populations concernées ;

un troisième niveau avec des titulaires de l’emploi que l'on veut analyser.

Pour ces deux derniers niveaux d'entretiens, un échantillonnage peut être nécessaire en fonction de l'effectif de la population et de l'ampleur du dispositif prévu.

Le type d'entretien qui est utilisé, quel que soit le niveau, est classiquement un entretien « guidé » ou « centré ». Dans le premier niveau d’entretien, les quatre axes de recherche d’information seront largement utilisés. Dans l’entretien avec le titulaire de l’emploi ou des activités que l'on souhaite analyser, la technique d'entretien utilisée vise à « centrer » l'interlocuteur sur quelques thèmes d'interrogation et à susciter un discours spontané sur ceux-ci. Il s’agit de faire décrire les activités de manière concrète en demandant à la personne ce qu’elle fait et comment elle le fait. Tout au long de l’entretien, on s’efforce de maintenir son interlocuteur dans un « domaine de verbalisation descriptive », pour reprendre la catégorisation établie par Pierre Vermersch4. Il convient donc d’éviter les questions appelant des justifications, des prises de position, qui risquent d’éloigner le répondant du niveau concret et de l’amener à des généralisations, peu exploitables dans ce cadre.

Un des intérêts majeurs des entretiens est de pouvoir repérer les situations seuils et les situations critiques des situations de travail étudiées, d'abord auprès de la hiérarchie directe des intéressés, qui en a parfois beaucoup à dire sur les erreurs et les manques de compétences de certains de ses collaborateurs et ensuite avec les intéressés eux-mêmes, de façon à appréhender ce qu'ils perçoivent comme difficile ou sortant de leur champ d’action.

La différence qui peut être faite entre les situations seuils et les situations critiques est liée à la dimension prise en référence, l'emploi pour les situations seuils, l’action pour les situations critiques :

les situations seuils sont les situations qui se situent à la limite des activités de l'emploi. Parfois codifiées à l'extrême, parfois entourées d'un flou artistique prudent, elles reflètent bien l'élasticité de l’emploi.

Les situations critiques correspondent quant à elles aux erreurs, au défaut de compétence, aux incidents, aux accidents... Ces situations sont d'autant plus intéressantes que sans elles, on ne comprendrait pas aussi bien l’activité, notamment quand elle est fortement automatisée ou dématérialisée. L'analyse des erreurs fait partie depuis longtemps de la panoplie de l'ergonome et elle intéresse directement l’analyste ainsi que le souligne

4 Vermersch (P.)., L’entretien d’explicitation, Editions ESF, Paris, 1994

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Gérard Malglaive : « C'est en effet dans les situations critiques que l'observateur étranger peut repérer les pratiques les plus significatives et ainsi appréhender de façon préférentielle les compétences dans leur manifestation la plus visible. À leur occasion, se rompt momentanément le cours routinier des événements qui masque, parfois aux yeux mêmes des intéressés, les compétences mises en oeuvre dans la tâche habituelle. »5.

Observation de l’activité

L’observation du poste de travail viendra en complément éventuel des entretiens. Elle permettra de préciser certaines informations et éventuellement de corriger ou de préciser les représentations construites à partir des entretiens. Cependant, l’observation n’est pas toujours productive d’informations pertinentes, notamment quand les activités sont fortement dématérialisées.

Avant toute observation, il est nécessaire que la hiérarchie soit informée ainsi que l’encadrement de proximité qui peut éventuellement introduire l’observateur auprès du personnel en activité sur les postes de travail étudiés. On utilisera une démarche de focalisation progressive, un effet de « zoom » favorisant un recueil d’informations et une représentation de plus en plus pertinente de l’activité et de ses composantes. Il est préférable de s’aider d’une grille préalablement élaborée à partir des points relevés lors des entretiens.

Plusieurs observations sont possibles, pour voir ce qui est fait et saisir l’enchaînement des événements de l’activité. Ce sont ces événements qui sont la source de nos informations, notamment les moments d’hésitation ou les situations d’échec pour lesquels il y a une mobilisation importante des savoirs. Une verbalisation, un échange d’informations avec les personnes en activité complètent ce travail d’observations, éventuellement a posteriori en reprenant le scénario des événements.

Comme pour l’entretien, trois étapes sont à distinguer et font l’objet d’une attention particulière : le projet, l’activité spontanée, la compréhension de l’activité :

le projet : la préparation de l’action, centrée sur tout ce qui est pris en compte pour anticiper la réalisation d’une activité ;

l’activité spontanée : L’exécution de la tâche en s’attachant à relever les traces de l’activité, les faits et les gestes ;

la compréhension de l’activité : L’évaluation, moment où l’on va demander des explications sur le déroulement de la phase précédente en utilisant éventuellement des contre-propositions prélevées au cours d’entretiens ou d’observations d’autres postes.

Construction des référentiels d’activités

La construction des référentiels d’activités se fait en dressant la liste des activités qui se dégagent des entretiens avec les titulaires de l’emploi, complétés par les apports des entretiens

5Dugué (E.) et Malglaive (M.), document ronéoté, CNAM, Paris, 1990.

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avec la hiérarchie directe et l’analyse documentaire. La détermination de la liste des activités est purement empirique. Il n’existe pas de règles précises permettant d’établir le niveau de généralité ou de détail auquel il faut s’arrêter pour définir une activité. Il est toujours possible d’être plus précis, ou plus général, selon les objectifs du référentiel à construire. Par exemple, l’activité d’un encadrant « fixer des objectifs de travail à son collaborateur » pourrait être considérée comme satisfaisante dans un contexte donné. Cependant, certains y verraient plutôt une généralisation hâtive, en considérant que c’est un ensemble d’activités agglomérées abusivement et qu’il serait plus judicieux de préciser « formaliser les objectifs de travail », « répartir les objectifs de travail parmi les membres de l’équipe », « convoquer chaque collaborateur à un entretien… ». D’un autre côté, « fixer des objectifs… » pourrait aussi être vu comme une péripétie incluse dans l’activité « mettre en œuvre la stratégie du service » et qu’il convient de ne pas se perdre dans les détails.

La formalisation même de chaque activité n’est pas évidente. Les règles utilisées ici sont assez « classiques » : une activité, c’est d’abord une unité d’action, caractérisée par un verbe d’action, exprimant une transformation (donc pas de verbes d’état, ni de verbes trop vagues ou polysémiques comme connaître, faire, gérer, etc.), portant sur un objet transformé, avec d’éventuelles informations supplémentaires sur le contexte de l’action.

Le nombre d’activités étant déterminé empiriquement, l’expérience « indique » qu’un référentiel d’activités comprend en règle générale entre dix et vingt activités. En dessous de dix, soit l’emploi est très pauvre (ce qui est le cas dans un découpage des emplois basé sur la division du travail), soit les activités retenues sont trop globales et il convient de les scinder. Au-delà de vingt activités, il y a un risque de redondance ou de finesse excessive, sans apport d’informations nouvelles pertinentes.

Des activités aux compétences

Une fois que le référentiel d’activités a été établi, et éventuellement validé par les intéressés (titulaires des activités, hiérarchie directe…), il convient de décrire les contenus de compétence qu’il est nécessaire de mobiliser pour les réaliser. Il s’agit d’un travail d’inférence de l’analyste du travail, à partir des informations recueillies, particulièrement celles provenant des gens de terrain. Celui qui réalise l’activité est mal placé pour décrire les savoirs mobilisés pour agir. En effet, c’est une chose de mobiliser des savoirs pour agir, c’en est une autre d’avoir un regard réflexif sur son action pour percevoir les représentations utilisées dans l’action.

la détermination des savoirs mobilisés dans une activité donnée se fait en identifiant les contenus de représentations nécessaires pour agir. Compte tenu des informations recueillies, comment l’analyste répond à la question « que faut-il savoir pour réaliser l’activité en cause ? ». Les réponses apportées sont réparties selon les catégories de représentations –de savoirs– retenues dans le modèle de description.

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Par exemple, dans une société de services informatiques, les savoirs mobilisés dans une activité du « testeur-intégrateur de réseaux » se présentaient ainsi :

Un référentiel de compétences comportera autant de tableau de ce type qu’il y a d’activités retenues dans le référentiel d’activités. Les modes de présentation pourront varier en fonction des objectifs retenus par l’entreprise.

Exemples d’application

Au-delà des considérations formelles sur la construction et l’utilisation de référentiels de compétence, les deux exemples présentés ici montrent des applications concrètes possibles. Les besoins des organisations concernées justifient de bien décrire des contenus et non des actes. C’est à cette condition –dépasser la simple reformulation de l’action– que les contenus des référentiels apportent des informations complémentaires que les managers ou les titulaires des activités sont peu en capacité de formaliser.

Le premier exemple porte sur un dispositif de reconversion, rendu nécessaire par la mise en œuvre de décisions stratégiques dans l’entreprise. Le second exemple décrit l’implantation d’un système d’évaluation des compétences et de gestion des évolutions professionnelles.

Analyser les compétences pour reconvertir

L’école technique EDF de Gurcy-Le-Châtel avait décidé de se recentrer sur ses métiers techniques pour éviter d’avoir à gérer des métiers qu’elle ne maîtrisait pas bien et pour lesquels elle ne pouvait offrir de véritables débouchés. La décision de sous-traiter la restauration a amené la direction à monter un plan de reclassement des personnels du restaurant du site. Il a été envisagé de reclasser sur place les personnels concernés en leur permettant d’accéder aux emplois actuellement ou prochainement vacants. C’était dans ce cadre qu’un dispositif de reconversion a été mis en place.

Concevoir des outils de tests

Savoir-faire

Manipulation des instruments Recherche de l’informationSélection de l’informationFormalisation des modes opératoires

Procédures, méthodes

Techniques de retro-engineeringProcessus de validation d'équipementsLangages d'écriture des testsTechniques de spécification et de validationModèles de bilans formalisésListe d’indicateursStandards de fonctionnement

Expérience

Utilisation d'équipements similairesRelations avec les fournisseursEstimation de la fiabilité des matérielsEstimation de la maniabilité des outils

Connaissances

Architecture logiciels/matérielsExpérimentation de servicesTechniques et protocoles des réseaux mobilesLangages de programmationDéveloppement de logiciels

Concevoir des outils de tests

Savoir-faire

Manipulation des instruments Recherche de l’informationSélection de l’informationFormalisation des modes opératoires

Procédures, méthodes

Techniques de retro-engineeringProcessus de validation d'équipementsLangages d'écriture des testsTechniques de spécification et de validationModèles de bilans formalisésListe d’indicateursStandards de fonctionnement

Expérience

Utilisation d'équipements similairesRelations avec les fournisseursEstimation de la fiabilité des matérielsEstimation de la maniabilité des outils

Connaissances

Architecture logiciels/matérielsExpérimentation de servicesTechniques et protocoles des réseaux mobilesLangages de programmationDéveloppement de logiciels

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Le dispositif de reconversion à destination des agents du restaurant d’entreprise comprenait plusieurs étapes. Avant de déterminer les caractéristiques de la formation à mettre en oeuvre ainsi que des mesures d’accompagnement nécessaires, pour les personnes candidates qui seraient retenues sur les emplois vacants, il a été nécessaire de mesurer l’écart à combler entre les compétences existantes des agents à reconvertir et les compétences nécessaires pour qu’ils puissent occuper valablement les emplois qu’ils visaient.

La mesure des compétences actuelles des agents a été réalisée par un test de positionnement, portant notamment sur les contenus généraux de savoirs. Le test palliait l’absence d’analyse des compétences détenues par les agents dans leur ancien poste de travail. Pour ce qui concernait les compétences futures, correspondant aux emplois visés, des entretiens ou une étude documentaire, selon les cas, ont permis d’en approcher les contours et de sélectionner les éléments les plus caractéristiques, qui ont servi de référence pour la mesure d’écart avec l’existant.

Le dispositif mis en place avait donc la configuration suivante :

élaboration des référentiels d’activités et de compétences des emplois cibles, en utilisant les informations existantes sur le site (les fiches d’emploi existantes ne permettaient pas de réaliser des mesures d’écart de compétence car elles ne décrivaient que des activités) et en interrogeant des titulaires des emplois cibles et leur hiérarchie directe ;

hiérarchisation des activités, en isolant le noyau d’activités, composé des activités caractéristiques de l’emploi (cf. schéma des activités) et évaluation des degrés de maîtrise des savoirs mobilisés dans ces activités centrales ;

mesure des écarts de compétences pour tous les candidats à un emploi donné ;

sélection du candidat le plus proche de la cible en termes de savoirs possédés ;

détermination d’un parcours de formation et de préparation à l’accès à l’emploi visé, compte tenu des écarts identifiés.

À titre d’illustration, on peut prendre le référentiel de magasinier, qui était un des emplois cibles offerts aux agents du restaurant. La liste des activités se présentait de la façon suivante :

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Liste des activités du magasiner (extraits de quelques activités)

Verbe Objet Contexte Autres informations

Prépare Les commandes Pour les clients du magasin

Et pour les sites extérieurs

Comptabilise Les entrées et sorties de stock

Du magasin A l’aide de la micro-informatique

Vérifie La conformité des bons de sortie

Pour la délivrance des fournitures

Et les signatures

Reçoit Les demandeurs Au guichet du magasin

Pour les retraits et les commandes

Livre Les fournitures Dans les services

Réalise Des emballages D’objets de valeurs Pour expédition

Pour chaque activité, un tableau décrivant les différents savoirs mobilisés a été réalisé. Par exemple, pour l’activité « Reçoit les demandeurs au guichet du magasin pour les retraits et les commandes », le tableau était le suivant.

Afin d’établir une mesure d’écart suffisamment précise, la hiérarchie directe des emplois visés était chargé de « coter » le degré de maîtrise de chaque savoir mobilisé. Pour cela, des échelles de cotation simples étaient proposées pour chaque catégorie de savoir. Ensuite, en mesurant le degré de maîtrise des savoirs possédés par les candidats, il était possible d’établir un classement, de choisir le candidat le moins éloigné de la cible et de construire le parcours d’acquisition ou de renforcement de compétence nécessaire pour accéder à l’emploi.

Connaissances

- connaissance de l’entreprise- principes de gestion des stocks- principes d’ergonomie- caractéristiques des produits stockés- prévention sécurité

Expérience

- relations clientèle- fréquentation des interlocuteurs

Procédures techniques

- liste des interlocuteurs habilités- procédure de délivrance des fournitures- liste des fournitures- plan de classement des fournitures- consignes de manipulation selon les produits

Savoir-faire

- écouter, reformuler- questionner- rechercher l’information- reconnaître les signatures- conduire un chariot élévateur- manipuler les fournitures

1 = notions, 2 = bon niveau, 3 = maîtrise 1 = déjà vu faire, 2 = , 2 = pratique régulière, 3 = pratique constante

1 = application, 2 = modification, 3 = création 1 = imitation/reproduction, 2 = exécution assistée, 3 = exécution automatique

Connaissances

- connaissance de l’entreprise- principes de gestion des stocks- principes d’ergonomie- caractéristiques des produits stockés- prévention sécurité

Expérience

- relations clientèle- fréquentation des interlocuteurs

Procédures techniques

- liste des interlocuteurs habilités- procédure de délivrance des fournitures- liste des fournitures- plan de classement des fournitures- consignes de manipulation selon les produits

Savoir-faire

- écouter, reformuler- questionner- rechercher l’information- reconnaître les signatures- conduire un chariot élévateur- manipuler les fournitures

1 = notions, 2 = bon niveau, 3 = maîtrise 1 = déjà vu faire, 2 = , 2 = pratique régulière, 3 = pratique constante

1 = application, 2 = modification, 3 = création 1 = imitation/reproduction, 2 = exécution assistée, 3 = exécution automatique

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Mettre en place un système d’autoévaluation et de suivi des évolutions de compétences

L’entreprise est une filiale d’un groupe agroalimentaire. Elle comprend 1800 salariés, soixante-dix sites répartis en sept régions et vingt-cinq centres de profits. Les clients sont principalement des petits commerces et des moyennes surfaces. La distribution auprès des grandes et moyennes surfaces est faite directement par le groupe. L’entreprise rénove actuellement son système de gestion des emplois et des compétences. Dans ce cadre, l’entreprise souhaite se doter d’un outil fiable de suivi des compétences, permettant d’utiliser l’expérience acquise par les managers pour dessiner les parcours d’évolution des collaborateurs.

À travers un aspect du système de gestion des compétences, notamment la construction d’un dispositif d’autoévaluation et de suivi des évolutions de compétences, il est possible de voir l’intérêt d’une approche rigoureuse des compétences et la nécessité d’en décrire précisément les contenus. En effet, parfois, les méthodes d’auto positionnement proposées en entreprise sont dérivées de référentiels d’emploi, abusivement baptisés référentiels de « compétences ». Ils consistent simplement à demander aux intéressés s’ils ont bien réalisé telle ou telle activité et à quel niveau de maîtrise ils estiment leur réalisation.

Cette méthode, la plus largement utilisée, a le mérite d’être très simple à mettre en œuvre. Il n’y a pas besoin d’analyser vraiment les compétences puisque le libellé des activités suffit. Elle ne demande pas beaucoup d’effort de réflexion pour celui qui s’auto évalue. On lui demande simplement son sentiment sur son activité. Ces caractéristiques pourraient être des atouts en faveur d’une telle méthode d’auto positionnement. Malheureusement, plus la méthode est simple et facile dans ce domaine et plus on peut la soupçonner d’être inefficace.

Distinguer performance et compétence

L’évaluation de sa propre activité, de sa propre performance dans l’action, si elle consiste à se prononcer sur une estimation de résultat atteint, repose en réalité sur plusieurs facteurs, dont la plupart ne rendent pas compte du niveau de compétence nécessaire pour réussir. Il suffit de considérer la petite équation suivante. Elle n’a rien de mathématique, mais elle permet tout de même de remettre quelques idées en place sur le rapport entre compétence et performance :

Comme on peut le voir, la performance est un ensemble complexe. Elle est composée de la compétence mais également d’autres éléments : des objectifs, des moyens, de la motivation ; le tout dans un environnement qui influence grandement le résultat obtenu (l’environnement peut être plus ou moins favorable à l’activité).

P = CxOxMxMxE

Objectif

Performance

Compétence MoyensOrganisation

Motivation

Environnement

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Mesurer sa propre performance est donc un problème difficile à résoudre comme d’ailleurs mesurer la performance d’un collaborateur. En effet, si la mesure est faite à partir de l’énoncé d’une activité, la personne qui évalue est placée dans la situation d’avoir à estimer le résultat produit dans l’activité pour pouvoir se prononcer. Ce faisant, en admettant qu’elle dispose des données objectives lui permettant de mesurer le niveau de réalisation de l’action, elle mesure effectivement la compétence, mais elle inclut également dans la mesure les autres composantes de la performance :

le niveau d’objectif qui était attribué (ou qu’elle s’était auto attribué) ;

la pertinence des moyens mobilisés, qui pourrait rendre compte de la compétence, à condition que la personne ait pu disposer des moyens qu’elle souhaitait et non seulement de ceux qui avaient été mis à sa disposition ;

la motivation qui était celle correspondant au moment de la performance, ce qui fait entrer la motivation dans la mesure de la compétence…, à supposer que la motivation ne dépende que de la personne et non de son entourage et qu’elle soit mesurable…

enfin, elle mesure aussi la qualité du contexte, plus ou moins propice à l’atteinte du résultat, et là encore, si l’environnement est favorable, le résultat est meilleur, donc la compétence, si on mesure l’une par l’autre…

On vient de voir que le niveau de l’activité ou la performance n’est pas un point d’entrée complètement valide pour mesurer les compétences. Il convient donc de trouver d’autres dimensions moins aléatoires. En fait, plutôt que mesurer de l’extérieur le produit des compétences, il est plus judicieux de s’interroger sur les contenus qui fondent celles-ci. C’est donc en regardant les savoirs constitutifs des compétences qu’on pourra obtenir une mesure plus pertinente.

Pour gagner du temps et rendre plus facile l’appréciation des contenus de compétence, un regroupement par domaine, par proximité de contenus pourra se faire, à condition de ne pas trop diminuer la précision du regard qui sera porté sur le degré de maîtrise de l’ensemble ainsi constitué.

Moment du positionnement (auto évaluation et évaluation par la hiérarchie)

Le moment se situe à l'intérieur des étapes du cycle de gestion de la ressource humaine (recrutement, évaluation, formation, mobilité, redistribution du travail et de l'activité, réorientation de l'activité, réorganisation de l'équipe de travail) mais aussi tout au long de la réalisation de l'activité.

Par exemple, l’évaluation et l’auto positionnement permettent, dans le cas d’une évolution professionnelle envisagée, de situer le candidat à un nouveau métier ou à un nouveau poste de travail, sans que ses performances actuelles n’influencent trop fortement sur le jugement, même s’il est difficile de s’en détacher totalement. Les éléments présentés ici montrent un attaché commercial souhaitant évoluer vers l’emploi de chef des ventes.

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L’attaché commercial (extraits d’activités)

préparer ses visites et rendez-vous avec des clients ou des prospects visiter son secteur et suivre sa clientèle en tenant compte des objectifs et des accords

nationaux de vente identifier et analyser le besoin du client ou du prospect et proposer une solution adéquate informer le client sur les produits et les services conseiller le client dans ses choix de produits transmettre des informations à sa structure sur le client, les concurrents, ses activités

Le chef des ventes (extraits de quelques activités)

élaborer et mettre en œuvre la politique commerciale de son secteur piloter l’organisation des actions de promotions de sa structure suivre l’activité des commerciaux apporter un conseil, une aide aux opérationnels de terrain évaluer les résultats rendre compte

L’auto positionnement et l’évaluation portent alors non sur les activités actuelles d’attaché commercial et les éléments de compétences qui leur sont liés, mais sur les activités futures, celles que devra exercer la personne si elle est nommée chef des ventes. Dans l’exemple donné, on mesurera donc, entre autres activités, si la personne est capable d’« élaborer et mettre en œuvre la politique commerciale de son secteur ».

S’il s’agit d’activités pour lesquelles elle n’a pas d’expérience, il conviendra de mesurer quels éléments de compétence elle possède déjà qui lui permettraient de les exercer.

Le principe est de mesurer l’adéquation au profil cible. Le fait que le candidat soit un bon commercial ou non n’a qu’une influence limitée sur la capacité à être un « bon » chef des ventes. En l’occurrence, avec l’exemple choisi, un bon commercial atteint les objectifs qui lui sont donnés compte tenu de la politique commerciale décidée, cela ne signifie pas qu’il serait capable de les élaborer et de les attribuer à son équipe.

Enfin, si le candidat n’a pas les compétences requises, il est néanmoins intéressant de mesurer sa capacité à les acquérir, c’est-à-dire son potentiel. Dans ce cas, ce ne sont plus les compétences de l’emploi cible qui sont prises en référence pour mesurer mais bien la maîtrise des éléments de compétence permettant d’acquérir des compétences, autrement dit des métacompétences.

L’évaluation de potentiel n’entre pas dans le cadre de cet article6. Néanmoins, elle ne se traite pas très différemment, dans le principe, de l’évaluation de compétence. Il suffit d’évaluer la maîtrise des savoirs mobilisés dans le cadre du potentiel recherché pour se faire une idée assez précise des possibilités d’une personne.

6 voir par exemple : Minet (F.), Vermorel (J.-M.), La gestion des Cadres à potentiel : le cas de l’ANPE, Revue

Personnel, n° 412, août-septembre 2000.

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Fiche d’évaluation

Pas d’expérience nouvelle montrant une évolution du niveau

Apport de contenu dans ce domaine limité à son expérience, àl’occasion d’accompagnement de nouveaux

Faits et arguments(exemples)

N1

N2

N3

N4

N1 : les notions de gestion commerciale sont empiriques et limitées à sa pratique

N2 : organise en fonction de son expérience, sans autres références

N3 : capables d’adapter des modèles de gestion dans sa pratique

N4 : formalise ses propres modèles de gestion et en expose les principes

Expérience professionnelle antérieure d’encadrement d’une équipe de deux commerciaux

Gestion commerciale

Niveau estiméNiveaux de maîtriseModalités

d’acquisitionDomaine de compétence

Fiche d’évaluation

Pas d’expérience nouvelle montrant une évolution du niveau

Apport de contenu dans ce domaine limité à son expérience, àl’occasion d’accompagnement de nouveaux

Faits et arguments(exemples)

N1

N2

N3

N4

N1 : les notions de gestion commerciale sont empiriques et limitées à sa pratique

N2 : organise en fonction de son expérience, sans autres références

N3 : capables d’adapter des modèles de gestion dans sa pratique

N4 : formalise ses propres modèles de gestion et en expose les principes

Expérience professionnelle antérieure d’encadrement d’une équipe de deux commerciaux

Gestion commerciale

Niveau estiméNiveaux de maîtriseModalités

d’acquisitionDomaine de compétence

les outils utilisés

Pour se situer par rapport aux compétences cibles, le candidat a à sa disposition un outil d’autoévaluation lui permettant de mesurer les écarts entre les savoirs qu’il possède actuellement et ceux qui sont considérés comme nécessaires à l’exercice de l’emploi visé. De son côté, le manager dispose d’un outil équivalent pour positionner son collaborateur. Les outils se présentent sous la forme de fiches à renseigner. Elles ont été réalisées à partir de l’analyse des compétences de l’emploi cible. Elles sont toutes constituées sur le même modèle. Il s’agit, grâce à ces fiches, de « donner une cotation » à chaque domaine de compétence nécessaire à l’activité de l’emploi visé. Pour attester de son niveau, pour le candidat ou pour son manager, il convient de décrire des faits, des exemples de réalisation…

Chaque fiche est consacrée à un

domaine de compétence. Il s’agit soit

d’une compétence à dominante

technique ou comportementale.

Cet élément est mobilisé lors de la

réalisation d’une activité cible.

Il s’agit d’indiquer

comment la personne est

susceptible d’avoir acquis

le contenu à mesurer. Cela

peut être par la formation,

la pratique, des expériences

professionnelles

L’évaluateur coche le niveau qui

est estimé compte tenu des

indications pour chacun des

éléments de compétence.

Une échelle d’appréciation est

proposée en quatre niveaux de

maîtrise du domaine.

Des éléments tirés de la pratique

professionnelle actuelle ou passée apportent

des preuves ou des indices montrant le degré

de maîtrise du contenu à mesurer.

Dans l’exemple présenté, il faut

évaluer la maîtrise du domaine de

compétence « gestion

commerciale ». Il s’agit d’un

contenu mobilisé, entre autres, dans

l’activité « élaborer et mettre en

œuvre la politique commerciale de

son secteur ».

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La synthèse des fiches d’évaluation dessine le profil du candidat à l’emploi cible. Il synthétise les scores obtenus, contenu de compétence par contenu de compétence. Le profil du candidat est comparé au profil cible. Il est alors possible de prendre sur décision compte tenu des écarts constatés.

Le partage des résultats peut se faire à partir d’un graphique synthétisant les résultats en regard des activités les plus importantes de l’emploi visé. Il situe la personne évaluée et permet de faire un pronostic sur sa capacité à occuper l’emploi visé.

Ce graphique est commenté et analysé par le manager. Il constitue la base des propositions du plan d’action individualisé.

Profil de compétences

x

x

x

x

Niveaux

x

Etc.

Animation d’équipe

Droit commercial

Réglementation

Gestion commerciale

Domaines de compétence

Profil de compétences

x

x

x

x

Niveaux

x

Etc.

Animation d’équipe

Droit commercial

Réglementation

Gestion commerciale

Domaines de compétence

Le premier tableau présente

un récapitulatif de l’ensemble

des scores obtenus dans

chaque domaine de

compétence.

La courbe en rouge trace le

« profil » de compétence.

Les zones colorées figurent les résultats normalement

attendus pour un titulaire de l’emploi visé. Cela constitue

la référence à laquelle il est possible de comparer les

résultats obtenus par le candidat. Des décisions peuvent

donc être prise pour agir sur les écarts constatés.

Chef des Ventes

...Politique commerciale

Piloter l'organisation…

Suivre l'activité descommerciaux

Apporter un conseil…

Evaluer les résultats

Rendre compte

Cible

Candidat

Chef des Ventes

...Politique commerciale

Piloter l'organisation…

Suivre l'activité descommerciaux

Apporter un conseil…

Evaluer les résultats

Rendre compte

Cible

Candidat

Désignation de

l’emploi cible

Chacune des activités

de l’emploi cible

constitue un axe de

comparaison entre les

activités cibles et

l’é l ti é li é

La somme des résultats obtenus pour

chaque élément de compétence est

consolidée par activité afin de donner

une évaluation de sa maîtrise possible.

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Conclusion provisoire

À travers les quelques éléments exposés ici, il n’est pas possible de rendre compte de la diversité de toutes les applications susceptibles d’être mises en œuvre à partir d’une connaissance fine des compétences mobilisées dans une organisation. Les bénéfices potentiels sont nombreux.

Pour l’encadrement, la gestion des compétences doit fournir un instrument d’aide à la décision d’autant plus pertinent qu’il est aussi un instrument de dialogue avec les collaborateurs par l’intermédiaire des outils d’évaluation et de positionnement qui peuvent être dérivés des référentiels. La possibilité d’apprécier les compétences de chacun donne les clés nécessaires pour renforcer la complémentarité et la polyvalence des personnes. La gestion de l’équipe de travail se trouve ainsi équilibrée, entre les impératifs de service et les capacités disponibles. De plus, il dispose là d’un moyen de reconnaître les personnes dans leur travail, de penser les développements humains possibles au sein de l’entreprise et de permettre à chacun de tenir la place dans laquelle il pourra exploiter au mieux ses compétences.

Plus globalement, la mise en place de système de gestion des compétences, ou gestion par les compétences comme il est souvent dit maintenant doit être considéré comme une source de progrès humain, pour que chaque salarié n’apparaisse plus comme un nombre additionnel de l’effectif dans un corps de métier donné, mais, par la prise en compte de ses activités et de ses compétences, devienne acteur de son développement et possesseur d’un capital de savoirs et d’expériences professionnelles nécessaires au développement de l’organisation.