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COLLECTION PATRIMOINE
Dans la mme collection :
Le miroir, Hamdan
Khodja
Lettre ai:r. Franais, Emir
Abdelkader
La nuit coloniale, Ferhat Abbas
Les Mmoires de Messali Hadj, Messali Hadj
L avenir
de l Islam
et
autres
crits,
Si
M hamed
Benrahal
Lettre au Prsident Wilson et
autres
crits, Emir Khaled
Villes d Algrie au X X sicle, Assia Djebar
Tadliss N Sahra, Abdelaziz Ferrah
L Etoile Nord-Africaine,
Collectif
uvre potique, Bachir Hadj Ali
El Euldj,
captif
des
Barbaresques, Chukri Khodja
Les
pomes
de
Si Mohand, Mouloud
Feraoun
...,.:. 0,1. 11.
1
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Editions ANEP
ISBN: 9961 768 09 4
Dpt lgal: 1627 2005
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J
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AVERTISSEMENT
Ce livre, comme tout livre, a son histoire. Elle pC. USe la vie
pathtique de Malek Bennabi. Au dbut de 1956, ft1yant
u11e
France o la rpression anti-algrienne s'intensifiait, Ben11abi
emporte dans ses bagages la traduction, ralise par ses soins, de
son ouvrage paru en 1949
Alger aux ditions En-Nahdha sous
le titre
Discours sur le;; conditions
de
la renai,\ .'iance algrie1ine
dont les grandes lignes t'urent bauches la veille de son
arrestation en avril 1947, quelques semaines aprs la pa1ution de
son livre le Phnomne corar1ique. Bennabi devait crire plus
tard:
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u mme auteur
1 - Le phnomne coranique, arabe-franais), Alger, 1947
2 - Lebbeik, franais), Alger, 1948
3 -
Le. .;
conditions
de
la renaissance, arabe-franais), Alger, 1949
4 - Vocation de l Islam, arabe-franais), Paris, 1954
5 -
L Afro-Asiatisme,
arabe-franais),
Le
Caire, 1956
6 - S.O.S Algrie, arabe-franais), Le Caire, 1957
7 -
Le
problme de la culture, arabe), Le Caire, 1959
8 -
Ide d un Commonwealth islamique,
arabe-franais),
Le
Caire, 1960
9 -
La lutte idologique,
arabe-franais), Le Caire, 1960
10 - La nouvelle dification sociale, arabe), Beyrouth, 1960
- Rflexions, arabe), Le Caire, 1961
2
-
Dans le soujjle
de l
bataille,
arabe-franais), Le Caire,
96
3
-
Naissance d une socit,
arabe), Le Caire, 1962
14 - Perspectives algriennes, arabe-franais), Alger, 1964
5
- Mmoires
d un
tmoin du sicle
-
L enfant, arabe-
franais), Alger, 1965
16 - L uvre des orientalistes, arabe-franais), Alger, Q67
7
-
Islam et Dmocratie,
arabe-franais), Alger, 1968
8 - Mmoires
d un
tmoin du sicle- L tudiant, arabe),
Beyrouth, 1970
19 - Le sens de l tape, franais), Alger, 1970
2
-
Le
problme des ides, arabe-franais),
Le
Caire, 1971
2
-
Le musulman dans le monde de l conomie,
arabe-
franais ), Beyrouth, 1974
22 - erle du musulman et son message, arabe) Beyrouth, 1974
23 -
Entre la rectitude et l garement,
arabe-franais),
Beyrouth, 1978
24 - Pour
changer l Algrie,
arabe-franais), Alger, 1989
25 - Colonisabilit, franais), Alger, 2003
26 - Mondialisme, franais), Alger, 2004
27 - La ralit
et
le devenir dernier entretien avec Malek
Bennabi) arabe-franais), Alger, 2004
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Prface
La
rdition du troisime ouvrage de Malek Bennab.i,
Les
conditions de la renaissance
publi pour la premire fois par les
ditions algriennes
En-Nahda
en 1949, rpond une triple
.
preoccupat1on.
Bien sr, la rdition de cet ouvrage s'inscrit dans une
conjoncture
particulire, celle de la commmoration
du
centenaire
de
la naissance de l un des penseurs algriens
contemporains les plus fconds, les plus exigeants, les plus
critiques au sens noble du terme critique, qui signifie indiquer ce
qui fait sens pour les personnes et les socits, sparer le bon
grain de l'ivraie, dmler l'accessoire de l'essentiel pour renouer
avec le
primordial
actionne , Islam social, l Islam
civilisationnel, celui des hommes et des femmes en mouvement
unissant dans une mme tension, faite de foi dans le Crateur et
de confiance dans la cration, de recherche de la vrit dans le
sens de connaissances scientifiques prcises et exactes et
d'efficience technicienne, des curs battants au rythme de la
parole divine, des neurones veills et des mains habiles.
Bien sr, il est important, voire urgent de rditer toute
l
uvre de Malek Bennabi, tout simplement parce qu elle
reprsente une partie de notre patrimoine intellectuel, mais aussi
et surtout parce que rarement une uvre et son auteur n auront
t si copieusement trahis, dnaturs aussi bien
par
ceux qui ont
cru bon de s en dmarquer avec une virulence agressive que
par
ceux qui ont eu l'outrecuidance de tenter de se l'approprier
des
fins que Malek Bennabi dnonce de manire drastique. Ainsi en
5
'
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est-il de la notion de colonisabilit que d aucuns ont voulu
assimiler du dfaitisme alors qu il est un appel, un aiguillon
mettre en uvre le clbre verset coranique Dieu ne change
rien l tat d un peuple que celui-ci n ait auparavant,
transf()rm son me pour justement renatre la libert de sujet
historique sous la forme islamo-nationale et cesser d tre
colonisable . Ainsi en est-il encore du qualificatif d islamiste
dont Malek Bennabi a t affubl au cours des dernires
dcennies dans le but de le vouer aux gmonies pour certains, de
l encenser pour d autres. Si
l on
entend par islamisme la
confusion entre religion et politique, l adhsion un modle
d organisation politique vise thocratique dirig par des
chouyoukh, la posture de Malek Bennabi est mille lieues
d une
telle position. Il
n a
pas de mots assez durs pour fustiger la drive
politicienne des Oulma en 1936 alors
qu il
voue une immense
admiration respectueuse leur principal responsable, le cheikh
Abdelhamid Ben Badis, pour le travail qu il a initi en faveur de
la renaissance culturelle et civilisationnelle de notre socit. Plus
encore, bien avant que des versets sacrs du Coran ne soient
profans au laser et ne viennent obscurcir le ciel d Alger et la
conscience de sa population, Malek Bennabi dnonait dj
l utilisation de
l Islam
des fins de propagande politique
l instar du trop fameux avion vert d un
lz1 .
Les femmes et les hommes qui prendront l initiative de lire ou
de relire ce livre doivent savoir que la principale qualit de la
pense de Malek Bennabi est
d tre
drangeante, menaante
mme pour notre confort intellectuel apparent, fait trop souvent
de syncrtisme entre un vcu islamique, qui oscille entre
ritualisme et fidisme, et un mimtisme malhabile
l gard
des
produits matriels et symboliques de ce qu il est convenu
d appeler de manire trangement statique, la modernit.
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c
a
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La
fcondit de la pense de Malek Bennabi tient dans le fait
qu elle rompt de manire claire, intransigeante et souple la fois
avec ce syncrtisme,
pour
choisir la voie de l inconfort
. optimiste, de la difficult cratrice, celle de la tentative de
synthse thorique et pratique entre l lan de renouveler l;Islam
et ce qui dans la pense et dans la pratique de l Occident peut
fouetter, stimuler cet lan sans rompre en aucune manire avec
ses catgories fondatrices.
L
encore, il faut dissiper un malentendu. Malek Bennabi
n est
pas anti-occidental. Il connat intimement la France
notamment o il a fait, chose exceptionnelle pour un tudiant
algrien des annes trente, des tudes suprieures de sciences
exactes et de technologie. Il est aussi l un des pionniers du
.dialogue islamo-chrtien. Il se revendique volontiers cartsien et
a des affinits partielles avec la pense de Nietzche.
Par contre, il ne se rclame pas de la philosophie des
Lumires du XVIIIe sicle qui est le lieu et le moment de la
civilisation occidentale o s labore la catgorie centrale
. constitutive de ce
qu il
est convenu d appeler la modernit :
l homme dfini en tant qu individu autocentr, doublement
dsaffili. En ce sens, Bennabi n est pas un intellectuel
moderne .
Il
n est
pas non plus un faqih . Il est au sens strict un
intellectuel musulman modernisateur, vecteur d une rationalit
actionnelle.love dans le cur battant de la foi islamique, vcue
non sur le mode du repli et de
la crispation identitaire mais sur
celui de l ot1verture au monde curieuse et no11ne expansive et
axe la fois.
Abdelkader Djeghloul
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Prface la premire dition
Pour prsenter cette tude, j suis particulirement tent par
une biographie la plus tourmente et la plus mouvante que je
connaisse en Algrie.
Mais il me faut y renoncer, l auteur m interdit formellement
d y faire mme allusion.
Je garde cependant le droit de parler de l uvre o cette tude
vient prendre une place importante, en achevant d en dfinir la
marque particulire et la valeur sociale que nous retrouvons
mme dans Lebbeik jug, cependant par certains lecteurs,
comme tranger l orbite tincelante trace par Le phnomne
coranique.
Ce dernier livre a t prsent au public dans une prface o
l honorable professeur Cheikh Draz me parat avoir cd la
personne de l auteur davantage qu l uvre. Ce qui compte
l heure que nous vivons, ce n est n l homme n ses titres, mais les
problmes que solutionne son uvre.
Ce qui nous intresse dans
e
phnomne coranique c est la
foule de problmes que soulve son introduction et la mthode
nouvelle que l auteur applique, pour la premire fois, l exgse
coranique.
Or,
j
ne crois pas que la prface ait dit quelque chose de ces
problmes cruciaux,
n
de la phnomnologie applique l tude
du Coran.
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Nous sommes, d ailleurs, persuads que l minent Cheikh
Draz nous sait gr de le rappeler ici pour les jeunes musulmans.
Quoi qu il en soit,
e phnomne coranique
est une autre
nuance dans l uvre qui vient complter s opportunment cette
tude. Les deux ouvrages constituent les deux tapes d une
meme 1ntent1on.
Dans l un, l auteur s meut un spectacle: celui de la
conscience du jeune musulman saisi par le dbat crucial entre l
science et la religion. C est une conscience qui, pour elle-mme,
a dj clos le terrible dbat et veut en communiquer sa
conclusion rassurante d autres consciences.
Mais la critique serre, l analyse subtile et profonde, la
logique rigoureuse qui conduisent ce rsultat sont presque
secondaires dans une uvre, dont la gense et la destination
relvent davantage du sens dramatique que du simple sens
intellectuel.
En effet, Bennabi n est pas un crivain professionnel, un
travailleur de cabinet pench sur des choses inertes, du papier et
des mots, mais un ho1nme qui a senti dans sa propre vie le sens
de l humain avec sa double signification morale et sociale.
C est ce drame, senti avec toute l intensit et les rigueurs d une
rare exprience personnelle, qui fournit la matire essentielle
l uvre aussi bien dans e phnomne coranique que dans
l tude qu il nous livre aujourd hui comme un chant d allgresse
pour saluer l astre idal qui marque l aurore des civilisations ,
depuis la nuit des temps.
Mais ce chant est aussi une marque de la raison qui cherche
ouvrir des voies pratiques la renaissance musulmane qu il
annonce en nous rvlant sa signification dramatique.
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S il est sensible cet aspect, ce n est pourtant pas qu il soit un
intellectuel pris d abstraction ni un esthte gris par les belles
formes.
Ce qui l attire, ce qui le fascine c est le frisson humain, la
douleur, la faim, les haillons, l ignorance. Est-il davantage le
doctrinaire qui raisonne a priori en face de ce problme?
Il l a d abord vcu totalement. D autres en ont fait leur
tremplin lectoral, exaltant la misre
jusqu
l hbtement
propice toutes les mystifications, toutes les exploitations.
Nous savons, aujourd hui, ce qu un pareil tat peut engendrer
de dsorientation, de strilit, de dsarroi.
Mais pour Bennabi, l exprience personnelle signifie autre
chose: une raison de mditer sur les remdes. C est partir de
cette mditation que le drame devient pour lui un problme
technique. Il nous conduit par une analyse serre et subtile dans
les arcanes de l histoire pour nous rvler cet ternel retour qui
lui inspire le beau chant mis en prologue cette tude.
Mais avant de suggrer la solution, un travail de dblaiement
est absolument ncessaire dans un terrain encombr
par
les
ruines de notre dcadence et la fange de plusieurs annes de
dmagogie lectorale.
Cette uvre est faite magistralement dans les premiers
chapitres qui mettent en lumire cette priode d apathie peine
anime de nos traditions et guerriers laquelle succde la
priode de l ide .
Mais au fond de la conscience populaire faonne
par
des
sicles de maraboutisme demeure u atavisme idoltrique.
Si l hydre maraboutique est terrasse
p r
l islahisme un
no-maraboutisme est encore possible, non plus avec des saints
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et des amulettes mais des idoles politiques et des bulletins de
vote .
C est la lutte entre
1
idole et l ide qui devient l aspect
nouveau du drame algrien.
Bien entendu, l administration ne restera pas indiffrente,
sachant le parti tirer de tout ce qui divise le peuple algrien et
miette ses forces. Et, par surcrot, le problme envisag aussi
bien sur le plan de l Islah que sur le plan politique tait mal pos.
La
colonisation n est pas un simple accident, mais une
consquence inluctable de notre dcadence. Tout le problme est
l et mme l ide serait vaine si elle n inclut pas cette donne
essentielle que souligne vigoureusement Bennabi en
affir ant
que pour cesser d tre colonis, il faut cesser d tre colonisable .
Cette simple phrase est, je crois, le premier
jet
de lumire
humain qui soit venu clairer le dbat. Une lumire suprme
l clairait dj par ce verset cit ici co1rune le fondement de toute
la thse: Dieu ne change rien l tat d un peuple, tant que celui
ci n a pas d abord chang son comportement intrieur.
Cependant, l auteur juge utile de fournir encore la justification
historique, critique, rationnelle de ce fondement surnaturel qui
peut effaroucher l esprit cartsien.
C est cette justification qui l emmne considrer, dans les
pages o se rvle toute la profondeur de sa philosophie, les lois
qui rgissent le processus des civilisations.
s lors, la solution du problme surgit comme une
consquence rigoureuse de cette leon d histoire.
La doctrine nat fragment
par
fragment d une faon
dialectique partir de la synthse fondamentale de toute
civilisation: l homme, le sol, le temps.
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ntroduction
La
parution de la premire dition du livre en langue arabe a
rvl l intrt croissant que suscitent, dans le monde arabe et le
monde musulman en gnral, les problmes relevant de la sociologie.
De plus en plus, la gnration actuelle fait preuve de son dsir
de mieux comprendre les faits sociaux et leurs mcanismes.
Il est normal, ainsi, qu ayant lu la premire dition de cet
ouvrage, certains lecteurs livrent leur opinion sur la manire dont
certains faits ont t traits.
J ai senti lors des dbats engags avec ces lecteurs que
certaines explications que
j ai
exposes ne leur avaient pas offert
l claircissement souhait. Parmi les points obscurs figure le rle
de l ide en tant que facteur social qui influe sur l orientation de
l histoire, malgr ma volont de le prciser.
l se pourrait que lorsque
j ai
abord ce point dans la
prcdente dition, je ne l aie pas explicit dans le dtail. J tais,
en fait, convaincu par la brve explication du rle qu accomplit
l ide
religieuse dans l histoire ainsi que par les opinions de H.
Keyserling sur le sujet et sur lesquelles je me suis fond. Je veux
parler
de
ses conclusions sur le rle de l ide chrtienne dans la
synthse de la civilisation occidentale.
J ai
abord ces points de vue dans le chapitre L ternel
retour . Les points de vue des lecteurs se sont accords sur le
caractre vague et imprcis de ce point particulier et ils ont, en
5
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consquence, propos, pour y remdier, e lui consacrer un
chapitre complet dans le prsent ouvrage afin de clarifier le rle
de l ide religieuse dans l histoire.
Et comme je ne peux que m associer ces observations dont
je
reconnais, au demeurant, la pertinence, j ai souhait mettre
profit cette dition pour lui adjoindre un chapitre qui traite en
particulier de l effet de l ide religieuse dans le cycle de la
civilisation, me fondant cette fois
sur
les considrations
psychosociales aux cts des considrations historiques qui nous
ont convaincus dans la prcdente dition.
En fait, lorsque nous abordons les choses sous cet angle, nous
livrons au lecteur l occasion
pour
apprhender lui-mme
l influence directe de
l ide
religieuse sur les faits
psychosociologiques qui constituent le phnomne de l histoire.
Quand nous
affirr11ons
dans le chapitre De l entassement la
construction , que l ide religieuse intervient
comme
un
catalyseur dans la synthse des lments de l histoire, nous
admettons, par l, une ralit corrobore par l histoire des
civilisations. Nanmoins, cette confirrnation intervient sous la
forrne d un tmoignage sur ce phnomne et non sur la forme
d une
interprtation acceptable de ce mme phnomne.
De ce fait, le lecteur a quelque peu raison de ne pas se montrer
satisfait de ce tmoignage , c est--dire de ne pas se laisser
convaincre par le jugement du seul historien sans davantage de
dveloppements sur l ide religieuse dans son action directe dans
la conformation des mes qui font remuer l histoire.
C est pour cette raison que j ai acquis le sentiment que le
lecteur attend plus qu un simple tmoignage de l histoire, dans
un tel sujet. Il s attend une analyse o il trouve des tudes
objectives sur ce phnomne. Je veux dire des tudes qui
abordent les choses dans leur essence et
non dans leur for1ne.
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J ai essay de rpondre ce souhait pertinent et
j ai
rserv,
ainsi, dans cette dition, un chapitre sur l effet de
l ide
religieuse dans la synthse de la civilisation, en recourant, cette
fois, la mthode de la psychanalyse qui dvoile clairement le
plus grand aspect du phnomne dans ce catalyseur, puisqu il
nous dmontre l influence directe de l ide religieuse sur les
traits psychologiques de l individu.
Je ne puis prtendre, ici, que cette mthode offre au lecteur
une connaissance mathmatique du sujet. C est un sujet o les
mathmatiques n interviennent pas, vu
qu il
se rapporte au
monde des mes.
Un
monde o l esprit abstrait reste incapable
de pntrer totalement
le ~ e c r e t Nous pouvons, toutefois, dire
que cette voie emprunte offre au lecteur une occasion de saisir
comment se produit la catalyse sous l impact de l ide religieuse,
grce une vision directe, diffrente de la vision indirecte de
l histoire.
Ce
qu il faut signaler ici, c est que le chapitre o ce sujet est
voqu, nous l avons rdig dans l tat d esprit du sociologue
qui tente de clarifier le rle de l ide religieuse dans la forrnation
et l volution de la ralit sociale. Sachant que ce rle n est pas
tout, pour l ide religieuse. C est qu avant mme d entourer la
recherche sur son rapport avec le monde du tmoignage, nous
avons admis d abord son rapport avec le monde de la
mtaphysique. En termes plus prcis, l ide religieuse n assume,
notre sens, son rle social que dans la mesure o elle s en tient
ses valeurs mtaphysiques, c est--dire dans la mesure o elle
exprime notre vision de l au-del. Mais cette vision
n est pas
le
st1jet de l expos. Nous lui avons consacr une autre tude*, de
ce fait, notre expos se limitera, ici, l aspect social.
*
Cf. Le phnomne coranique
17
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D autre part, le lecteur, trouvera dans la prsente dition un
chapitre destin clarifier le rapport entre le principe thique et
le got esthtique. Ceci pour mettre en avant sa grande influence
en tant que facteur qui dte11nine l orientation de l 1. civilisation
et sa mission dans l histoire. Je suppose que ce chapitre reste la
premire tude qui aborde le rapport entre le principe thique et
le got esthtique, en tant que l un des principaux critres en
sociologie.
Ainsi, nous aurons rpondu de notre mieux au souhait du
lecteur, dans cette dition. Nous souhaitons rpondre
son
attente avec ce que nous avons joint d indit pour satisfaire
l attente du lecteur, laquelle est le meilleur gage de l effort de
l auteur.
18
M B.
30
octobre
1960
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es conditions de
l
renaissance
Que ton chant retentisse comme celui des prophtes jadis aux
heures propices qui enfantent des civilisations
Que ton chant retentisse plus fort que le chur vocifrant qui
s'est lev l bas
...
Car voil: on installe, maintenant la porte de la cit qui se
rveille, la foire et ses amusements pour distraire et retenir ceux
qui viennent sur tes pas.
n a dress trteaux et tribunes pour bouffons
et
saltimbanques afin que le vacarme couvre les accents de ta voix.
On a allum des lampes mensongres pour masquer le
jour
qui vient et pour obscurcir
ta
silhouette dans la plaine o tu vas.
On a par l'idole pour humilier l'ide.
Mais l'astre idal poursuit son cours, inflexible. Il clairera
bientt le triomphe de l'ide et le dclin des idoles comme jadis ...
la Kaaba.
20
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PREMIERE PARTIE
Le prsent et l Histoire
STADE
EPIQUE GUERRIER ET
TRADITIONS
Les temps des popes, telles l Iliade et l Odysse, ne sont
pas les moments propices o les peuples orientent leurs nergies
sociales vers leurs objectifs ralistes, lointains ou proches,
mais
des moments o ils
dispensent
ces nergies dans les
divertissements
et
dans la satisfaction des idaux ns de leur
imaginaire.
Les
efforts des hros qui assument un rle dans ces
popes ne sont que des efforts dploys pour rpondre une
ambition
ou
acqurir une gloire ou, encore, satisfaire un credo.
Ils ne luttent pas, conscients, que leur victoire est proche
et que
la voie du salut de leur socit est claire et dfinie.
Leur
gloire
est plus proche du mythe que de l histoire.
Si nous interrogeons
l un d eux
sur les motivations
de
son
combat, il ne pourra trouver clairement les raisons lies souvent
aux actes historiques. Il sait que tous ses efforts sont vains
et
que,
seules, ses motivations religieuses et sa dignit humaine, lui ont
dict le chemin.
Face l avance colonialiste, le rle des peuples musulmans,
au cours du XIX sicle
jusqu au
premier quart du xx sicle,
n tait
qu un
rle
simplement
hroque.
Par
dfinition, un tel rle
n est pas le mieux indiqu pour rsoudre ls problmes qui ont
prpar le terrain la pntration du colonialisme.
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es conditions de
l
renaissance
Le drame de chaque peuple est essentiellement celui de sa
civilisation. Le peuple algrien ne pourra ni comprendre ni
encore moins rsoudre son problme tant qu'il n'aura pas lev
sa
conception au
ni
veau
du
drame
humain
l chelle
universelle, tant qu'il n'aura pas pntr le mystre qui enfante
et engloutit les civilisations prsentes, civilisations perdues dans
la nuit du pass, civilisations futures: ligne lumineuse de
l'pope humaine, depuis l'aurore des sicles jusqu leur
consommation
Chane prestigieuse o les gnrations ont soud, bout bout,
leurs efforts et leurs contradictions et le rsultat de tout cela: l
.
progres incessant.
Les peuples se relayent: chacun a le jour de sa mission
marqu l'horloge o sonnent les heures graves de l'histoire.
L'astre se lve pour les peuples qui se rveillent et se couche
pour les peuples qui ont sommeil.
Aurores bnies
des renaissances. Seuils lumineux des
civilisatic:1s qui commencent.
Crpuscules maussades: quand l'astre dcline au couchant
d'une civilisation
En 1830, l'heure du crpuscule avait dj sonn depuis
longtemps en Algrie: ds que cette heure-l sonne, un peuple n'a
plus d'histoire.
Les peuples qui dorn1ent n'ont pas d'histoire, mais des
cauchemars ou des rves ... o passent des figures prestigieuses
de tyrans ou de hros lgendaires:
Quand
le palefroi blanc
d Abdelkader
zbra notre horizon
de sa
cavalcade
fantastique, minuit avait dj sonn depuis
longtemps.
Et
la
silhouette pique
du hros
lgendaire
aussitt s'vanouit ..
comme
un
rve sur
lequel se
referme
le
sommeil .
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stade pique
Puis d autres visions passrent .. Un rve pique se dploya
dans notre sommeil,
e ~ p r u n t n t
sa substance tragique aux
traditions d un peuple qui a toujours aim le baroud et le
cheval.
Il se dploya l surtout o il y avait encore de l espace libre et
des coursiers de sang: chez les tribus.
Le lien tribal demeurait, en effet, dans une socit dissoute, le
seul lien encore solide, pour unir quelques hommes dans un
semblant de mission.
Tout le sens de l histoire est, en effet, dans cette alternative:
mtss1on ou soum1ss1on.
Seuls les guerriers des tribus pouvaient encore marquer de
leurs prouesses ce stade de la rsistance algrienne .
En
Afrique du Nord, Abdelkrim a clos cette re de la tribu
arabo-berbre. Dans cette lutte hroque, le guerrier bdouin
n avait pas son instinct de conservation dans sa peau arabo
herhre, mais dans son me musulmane.
Il ne luttait pas pour vivre, mais pour survivre. Et il a survcu
grce cette me qui l a constamment soutenu au-dessus de
l abme o se sont engouffrs d autres peuples qui n avaient pas
leur destin accroch une pareille force ascensionnelle. Que sont
devenues, en effet, les tribus hroques de
l Amrique
prcolombienne? Aujourd hui, un linceul de lgende recouvre
jamais leur destin rvolu.
Et leur pope malheureuse souligne tragiquement ce que les
peuples musulmans doivent en l occurrence l Islam, leur sauveur.
Mais l Astre idal poursuivait sa ronde fatidique et ce fut
bientt l aurore, l horizon o chante le muezzin, chaque matin,
en appelant au salut.
Son appel retentit sur les monts lointains d Afghanistan et
descendit dans la plaine o gisait endorn1i le monde musulman.
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es conditions de
l
renaissance
La voix du lointain muezzin se rpercuta de part en part aux
horizons de l Islam: O peuples, venez au salut. C tait Djamal
Eddine El-Afghani qui annonait, du haut des montagnes, le our
nouveau de la civilisation.
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STADE
POLITIQUE ET I EE
a parole est divine
Elle cre,
pour
une grande part, le phnomne social, grce
sa puissance irrsistible sur l ho1nme. Elle creuse dans son me
le sillon profond o
lve la moisson de l histoire.
La voix humaine a toujours engendr les temptes qui ont
chang la face du monde.
La
voix de Djamal Eddine avait dpos dans la conscience encore
assoupie des peuples de l Islam une simple ide: celle du rveil.
Elle est vite devenue une ide force, une force transfor1natrice
et cratrice de nouvelles conditions d existence pour les peuples
. musulmans.
Ils se mirent rejeter, l un aprs l autre, les oripeaux du
sommeil, le tarbouch et le narguil; l amulette et la zerda
disparaissaient peu peu de notre folklore
et
de notre mentalit.
Le
rayonnement de cette force parvenait en Algrie, en mme
temps que le monde sortait de la grande tragdie de 1914-1918.
Jusque-l, le dra1ne algrien tait demeur muet co ru e une
scne ptrifie. Il tait le secret de l me chez certains et le
secret d Etat chez d autres. C tait le silence. C est vers 1925
seulement que l ide venue de loin vient animer le problme
algrien
en
lui apportant la parole.
Ceux qui ont leurs vingt ans, vers cette poque, ont pu couter
les premiers bgaiements de leur propre conscience. C est vers cette
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es conditions de la renaissance
poque qu il faut situer la naissance en Algrie du sens collectif
partir duquel co1nmencent l histoire et la mission d un peuple.
Avant cette date, on vivait en Algrie et on y parlait au
singulier. Ce n tait pas de l histoire, mais de la lgende: la
lgende d une tribu ou la lgende d un hros. Ce n tait parfois
qu un soliloque: la voix d une conscience se parlant elle-mme,
sans tirer du sommeil les autres consciences. On entendait ainsi,
a
et l, de pareils soliloques.
Le plus insolite fut celui du Cheikh Salah Mohanna qui faillit
rveiller tout Constantine vers 1898.
Le vnrable vieillard fut le prcurseur de l Islahisme en
.;; attaquant le premier l hydre maraboutiqur. Mais
l administration veillait ne pas laisser troubler la quitude des
gens par les importuns qui parlent haute voix, dans la nuit o
rgne le sommeil.
La
prcieuse et riche bibliothque du Cheikh fut saisie et on
dispersa les animateurs de la premire polmique islahiste: le
Cheikh Abdelkader El-Madjawi, notamment, fut dplac de la
mdersa de Constantine celle d Alger.
Ce n tait
qu une
rixe nocturne et les dor1neurs, troubls un
instant, ronflrent de nouveau. Cependant, l aurore invincible
glissait, entre les toiles de l Orient, son obscure clart et, de
cime
en cime,
venait
dissiper
les tnbres de
l horizon
algrien. .
En 1922, les premires voix marqurent la naissance du jour
nouveau et le retour la vie. C tait un cho lointain, la voix de
Djamal Eddine.
Le
miracle perptuel des renaissances jaillissait
de la parole de Ben Badis.
C tait l heure du rveil et le peuple algrien, encore engourdi;
remue. Il tait beau et touchant ce rveil frmissant d un peuple
qui avait les yeux encore pleins de sommeil.
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st de politique
t
ide
Les soliloques firent place aux discours, aux entretiens, aux
discussions, aux polmiques. Le sens collectif se rveillait: ce
n tait plus,
et
l, un
homme
qui monologuait, mais un peuple
qui parlait.
- Pourquoi avons-nous
i
longtemps dor1ni?
- Sommes-not1s bien rveills?
- Que faut-il faire aujourd hui?
On
posait ces questions co1rune des gens qui se rveillaient un
peu tonns, un peu engourdis du so1runeil qu ils voulaient dissiper.
L administration voulait douter encore de
ce
rveil. Il est
intressant de noter combien tait lente son adaptation: prs de
10
ans aprs, vers
1933,
le prfet d Alger, rdigeant la fameuse
circulaire qui interdisait les mosques aux Oulmas islahistes,
parlait encore du peuple apathique de l Algrie.
Cet engourdissement de l administration algrienne, comme un
vieil organe qui ne peut plus s adapter aisment au milieu, doit tre
not
co1111ne
la cause essentielle du malaise. Cependant, le milieu
tait, lui, dsormais bien vivant, plein de tous les bouillonnements,
de toutes les fer111entations, de toutes les nergies.
Les ides fusaient, se croisaient, s entrechoquaient. Elles
crevaient parfois
comme
des bulles d air la surface d une
bouilloire. D autres fois, elles se sublimaient, changeaient d tat,
devenaient des actions, des choses concrtes: une mdersa, une
mosquee, une uvre.
Le kmalisme,
le wahhabisme, l europanisme,
le
matrialisme se prsentaient comme autant de voies la
conscience algrienne. On arborait ici un kalpak pour s afficher
partisan du programme social kmaliste: mancipation de la
fe11rme, enseignement laque, code civil ...
La
imma islahiste tait un autre programme: dvotion,
retour au salat , puration des murs, transfo11nation de soi-
A
meme avant tout.
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es conditions e la renaissance
Mais d une manire gnrale, toutes les tendances
convergeaient en un point: la volont de bouger, de changer, de
quitter la zaoua pour l cole, le bistrot pour quelque chose de
plus pieux ou de plus utile.
Cependant, plus consquent et plus profond, l islahisme
forrnule clairement le principe doctrinal:
Dieu ne change rien
l tat d un pfupl que celui-ci n ait d abord chang son tat
d me. (Coran).
Il faut se renouveler: ce fut d abord le leitmotiv et la devise de
toute l cole islahiste issue de Badis. Les congrs des Oulmas
indiqueront les bases de ce renouvellement ncessaire la
renaissance.
Il faut reprcher l Islam aux musulmans: il faut abandonner
les innovations pernicieuses, les idoles, il faut s instruire, il faut
agir, il faut
reprendre
la
communaut
musulmane.
Raisonnement juste, qui implique l art d enfanter une
civilisation
comme
un phnomne social
partir de conditions
toujours identiques.
Tout cela tait dit avec conviction, dans une langue lyrique,
avec force citations coraniques et d mouvantes vocations de la
civilisation musulmane
Le peuple religieux est mlomane.
Mais l avenir est un but lointain, il faut des voies nettes et des
vocations puissantes pour y parvenir.
Les mots devaient jalonner ces voies et contenir le ferrnent
bni de ces vocations
Mais les mots, quoique sublimes, de l islahisme algrien ont,
parfois, malheureusement, dvi de leur objectif pour des raisons
antidoctrinales. On tait encore engourdi de sornmeil pour tendre
l attention et l effort invariablement. Il y eut des carts, des
inconsquences.
La
sagesse cda le pas l opportunisme politique.
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st de politique
t
ide
Quoi qu il en soit, malgr certaines carences, malgr un certain
empirisme dans la pense, les Oulmas ont t les infatigables
pionniers de la vritable renaissance musulmane et sa force vive.
Mais en matire sociale, n est-ce pas l la matire essentielle
de l islahisme? L empirisme peut devenir de l opportunisme
dangereux, surtout aux poques cruciales, quand chaque faux pas
peut tre mortel.
Or
pour l empirisn1e il n y a pas de voies
doctrinales traces, mais des sentiers capricieux o l on peut
trbucher chaque pas.
N est-ce pas l la raison pour laquelle les Oulmas ont suivi le
sillage fatal d une caravane politique, en 1936?
Qu taient-ils alls chercher Paris? L me algrienne qui est
la clef du problme tait-elle l-bas?
Et qu en ont-ils rapport?
a
mort du congrs et la scission de leur association.
L lectoralisme qui devait tre dirig tait devenu dirigeant.
Le mouvement algrien se renversa, marcha les pieds en l air et
la tte en bas.
Le sens de l lvation tait, dso11nais, dirig vers le bas.
1939, c est le fate atteint par l islahisme, le fate marqu par
la naissance et la mort du Congrs algrien. C est de ce fate
qu on est descendu, l heure o vers le lointain horizon
s accumulait l orage de 1939.
L orage est pass sur un dclin momentan de la renaissance
algrienne t une clipse de l ide.*
Dans cet expos doctrinal, nous n avons pas jug ncessaire de parler du
noble Emir Khaled, ce chevalier de la lgende algrienne qui, par mgarde,
s tait trouv dans une . Ici, nous
ne faisons que l histoire des ides.
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es conditions de
l
renaissance
L islah tient entre ses mains le sort de la renaissance
algrienne, en mettant son service les ressources de l me
musulmane tire de sa torpeur.
Triomphe de l ide, qui connut son apothose dans le congrs
musulman en 1936. Etait-il dfinitif?
Il et fallu pour cela que les Oulmas n eussent pas un
complexe d infriorit vis--vis de leurs protecteurs, les
intellectomanes politiciens.
Qu ils ne fussent pas disposs accepter le retour de l esprit
de zaoua mme dguis sous l tiquette politique avec des iaoles
pares de noms nouveaux.
Il et fallu que l amulette combattue ne ft pas rhabilite
sous
le nom de bulletin de vote; que le miracle des urnes n abust
pas ceux qu avaient abuss les faux miracles, que la zerda
maraboutique ne ft pas restaure sous
forme
de zerda politique
laquelle l Algrie sacrifie priodiquement, sous le nom
d lection.
Enfin il et fallu, d une manire gnrale, que notre
engouement pour le merveilleux puril qui a fait clore les Mille
et une Nuits ce chef-d uvre de notre dcadence, ne ft pas
entretenu dans notre climat moral et
social-
sous un nom ou sous
un autre. C est--dire qu il et fallu fermer notre me la porte
une nouvelle vasion dans la lgende, la lgende politique
notamment, pour demeurer bien en face des ralits terrestres qui
nous sollicitent chaque instant avec toute notre lucidit et tous
nos moyens matriels.
Pour tout cela, il et fallu que I lslah demeurt au-dessus du
bourbier politique et de la mle lectorale, au-dessus du tournoi
des idoles.
Hlas, les Oulmas ont eu un rflexe malheureux en 1936,
lorsqu ils s en allrent, eux aussi, faire Paris, procession
derrire les ho1runes politiques.
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stade de l idole
Ils ont t gagns par le vertige de la hauteur: ils sont tombs
dans la rue, dans le bourbier ou leur blanche tunique a reu,
depuis, tant d claboussures. Mais l ide est descendue avec eux:
l Islah trana le pied dans le ruisseau o coulait le champagne des
festins lectoraux mls parfois au sang d une victoire de ceux qui
voulaient l clabousser de quelques gouttes de sang pur vers pour
des causes impures. Sans doute, de toutes les fautes corrunises
depuis 1925, celles des Oulmas est-elle la plus dplorable, tout
en tant d ailleurs la plus honorable, car leur souci de bien faire et
leur dsintressement ne sont jamais dmentis.
D ailleurs, c est l treinte administrative qui est la cause de leur pas
funeste vers le miracle politique promis, alors, par le front populaire.
Cependant le miracle n tait-il pas plus haut?
N a-t-il pas sa source l o l indique le Coran: dans l me elle
mme?
n 1936, il y avait dix ans que les Oulmas opraient,
en
effet,
la transformation de l me,
condition
essentielle de toute
transformation sociale. L administration n est pas autre chose
qu un organe social qui s adapte comme tel son milieu .. Si
celui-ci est indigne.
Dans un milieu colonisable, il n est pas possible de voir autre
chose qu une administration colonialiste.
La
colonisation n est pas un caprice politique, quoiqu elle puisse
parai tre, cela c est une fatalit de l histoire. On ne cesse d tre
colonis qu en cessant d tre colonisable, c est une loi immuable.
Et ce grave problme ne peut pas se rsoudre par de simples
aphorismes, n
par des tirades plus ou moins grossires, mais par de
profondes transfo11nations de notre tre: chacun devant tre radapt,
peu peu, ses fonctions sociales et sa dignit spirituelle.
Seulement alors, il ne sera plus l indigne
et
ne sera plus
colonisable,
car
ayant modifi en lui-mme la cellule du milieu
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stade de l idole
t ~ v n t la devise du no-maraboutisme savoir les droits rie se
i ;}Jonnent pas, m is s arrachent .
. -
. On
oublia que le droit n'est ni un cadeau qui se donne ni une
proie qui s'arrache, mais le simple corollaire du devoir; qu'un
peuple cre sa charte, en modifiant son milieu social li au
comportement de son me. ''
Loi sublime: transforme ton me et tu transfo11nes ton
histoire.
La renaissance algrienne avait ce contenu sublime tant que
l'ide de l'Islah visait essentiellement rgn1er l'homme.
En
effet, l'essor splendide de la conscience populaire avant 1936,
avec cette ha11nonie, cette continuit, cet enthousiasme dont le
couronnement fut le congrs musulman, n'est pas autre chose
que l'pope de l'ide islahiste.
Durant tout cet ge d'or qui va de 1925 jusqu la mort du
Congrs, on avait l'impression de ienatre, on renaissait: c'est la
renaissance
Ce mot
tait sur tot1tes les lvres comrne le cri
de
ralliement d'une gn1ation. D une poque qui nous semble
dj lointaine alors que nous-mmes avons \'cu sous son
. signe.
Le peuple algrien recommenait son histoire avec quelques
mots de syntaxe arabe et quelques versets du Coran.
Les
premires mdersas apparurent humbles comme les premires
coles de Charlemagne.
On parlait avec une grande gaucherie, mais aussi un grand
srieux des problmes sociaux, des graves devoirs; l'instructio11,
l'ducation, la rforme des usages, l'avenir
de
la femme,
l'utilisation des capitaux.
Et en tout cela, les dbats n'taient pas striles, car ils
n'avaient rien de dmagogique, rien de spectaculaire, rien de
personnel, rien d'lectoral.
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es conditions de la renaissance
Les plus humbles gestes, le plus modeste mot avaient,
l poque, leur porte pratique comme la brindille de paille que
l oiseau apporte pour la confection de son nid, la naissance du
printemps. Les premiers essais des lettres algriennes, aprs leur
longue clipse, furent d ailleurs pour clbrer, en pomes nafs et
charmants, le printemps de la nahdha, le printemps d une ide.
La seule anthologie algrienne date de cette poque.*
Dans les coles, dans les mosques, mme dans les familles,
l ide suscitait des partisans et des adversaires galement de
bonne foi.
On tait militant de la renaissance d une manire ou d une autre,
mais on tait militant quand mme et non un fonctionnaire politique.
L Algrie faisait des sacrifices, mais pour des mdersas et des
mosques, pour le double essor intellectuel et spirituel qui
marque, dans un pays, les deux ples de la civilisation.
Et on avait l me lgre malgr les difficults quotidiennes,
car les sacrifices portaient
en
eux leur rcompense: la certitude
qu ils SP,rvaient quelque chose de grand. On vivait dans
l enthousiasme propice aux miracles, aux transformations des
murs, des ides, des orientations et des choses.
A Tbessa o une coutume immmoriale fait le lit des
mariages et des enterrements, des manifestations barbares et
burlesques, l islah rendit nos pousailles
et
nos cortges
funraires un peu plus de dignit.
Or pour un peuple, c est l heure du dpart dans l histoire, quand
l
se sent oblig plus de dignit dans chaque dtail de sa vie publique
et prive, mme dans le choix des couleurs de ses oripeaux.
D ailleurs l alcoolisme rgressait, et dj
en
1927, les
1na1chands de poison faisaient une intempestive dmarche pour
aiTter la dsintoxication afin de rcuprer une clientle, de jour
en
jour plus rare.
Anthologie des potes algriens, publie en 1927 par Hadi Senoussi.
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stade de l idole
En revanche, les mosques se peuplaient des ci-devant ivrognes et
des cours du soir taient frquents par le public libr des zaouas.
La transformation tait en marche, un rythme de vie
commenait, inquitant pas mal ceux dont les ressources et les
possibilits dpendaient de notre sommeil. Le peuple algrien,
nanmoins, changeait rellement sa condition
en
considrant la
racine mme, en son me,
le
mal du sommeil dont il tait afflig
depuis de longs sicles.
Ainsi, le miracle s'oprait quand survint l'anne funeste de
1936.
La transformation, la renaissance s'arrtrent net
t
s'vanouirent dans le mirage politique.
On ne parla plus de nos ''devoirs'', mais de nos ''droits'', on ne
pensa plus que le problme n'tait pas essentiellement dans nos
besoins, plus ou moins lgitimes, mais dans nos habitudes, dans
nos
penses, dans l los actes, dans notre optique sociale, dans
notre esthtique, dans notre thique, dans toutes ses dchances
qui
frappent
un
peuple qui dort.
Au lieu de demeurer
le
chantier de nos humbles et efficaces
efforts de redressement, au lieu de demeurer l'espace de nos devoirs
rdempteurs, l'Algrie devint,
partir
de
1936, l forum, la foire
politique
o chaque guridon de caf maure devint
une
tribune .
On but du th, on couta
le
disque gyptien et on rclama ''nos
droits'' plus sduisants, tout
de
mme, que nos devoirs, puisqu'il
ne s'agit plus que de taire quelques discours emphatiques ou
quelques grimoires plus ou moins plagis.
Le peuple devint un auditoire
qui
applaudissait, un troupeau
lectoral qui allait ponctuellement aux urnes, une caravane aveugle
dvie de sa voie et allant au hasard, dans le sillage des lus.
Quelle escroquerie Et qui dure depuis douze ans; car
si
l'idole
est phmre parce qu'elle est inefficace, c'est nanmoins une
chrysalide qui se renouvelle sous toutes fo11nes dans
le
climat
idal o a mri le maraboutisme gnrateur d'idoles.
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es conditions de
l
renaissance
Cela signifie que nous n'tions pas encore guris en 1936,
puisque la zaoua politique a pu tre difie sur les ruines de la
zaoua maraboutique. Cela signifie que notre me n'avait pas
encore rompu le cercle magique qui l'enferme depuis la
dcadence musulmane.
Ainsi, l'idole nous sduisait encore et sduisait mme ceux
qui l'avaient dtruite, dans sa forme maraboutique .
. L'ide est presque exile, depuis
1936
la parole est encore l'idole
dans
le farum algrien o
le
trteau est dress pour amuser
le
peuple
et le
tenir
loin du
chantier de
ses
devoirs,
loin du
sillon
de son
histoire.
Le virus politiqt1e a succd au virus maraboutique, le peuple,
qui voulait des amulettes et des saintes barakas, veut
prsent
des bulletins de vote et des siges.
Il
veut ceci dans le mme
esprit qu'il voulait cela, avec le mme fanatisme, sans le moindre
sens critique, sans le moindre effort de transformation de son
me et de son milieu.
Le peuple, qui a cru l'avion vert d'un lu, croit aujourd'hui
au coup de bton magique qui le transfo11ne en peuple majeur,
avec son ignorance, ses lacunes de toutes sortes, ses
insuffisances et sa suffisance.
Il a quelques mois, dans une manifestation estudiantine, un
. jeune intellectuel algrien s'poumona crier, cependant, que
certains l'applaudissaient:
Nous voulons nos droits mme avec
notre crasse et notre ignorance.
Hlas rien n'est pire que l'ignorance quand elle se farde de
science et prend la parole. L'ignorance tout court, l'ignorance du
peuple est moins dangereuse: comme une plaie franche, on peut
la gurir. Mais l'ignorance savante est intelligente, elle est sourde
et prtentieuse comme chez ce ''jeune penseur'' qui croit aux
droits dans l'ignorance et dans la crasse.
Ds lors, avec une pareille mentalit, c'tait la marche en
arrire, le retour la nuit, la dispersion des efforts et si
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stade de l idole
ncessaire, la zerda de l lite tait, en so1ru11e une inauguration
dont la direction des affaires indignes a tir tout le profit en
tuant le Congrs, en dissociant les Oulmas, en sapant la base
doctrinale du
mouvement
algrien. Celui-ci n avait
plus
dsormais sa tte une ide, l Islah, mais des idoles. Ce qui
importe, ce n est pas telle forme, mais tel fond. Ce n est pas tant
la dvotion pour la kouba, mais la dvotion aveugle quelle
qu elle soit. e n est pas le maraboutisme, mais l esprit
maraboutique avec sa crdulit et sa purilit merveilles; ce
n est pas le
nom
d une idole, mais l emprise de l idoltrie, c est
notre inclination la magie des mots, au miracle des droits dans
la crasse et l ignorance, dans l anarchie morale et la perversion
des murs, avec des enfants sans vocation et sans profession.
C est notre mentalit qui est le fond de la question. ,
Et
aujourd hui, on marche encore les pieds en haut et la tte
en bas.
C est
ce
renversement qui est l aspect nouveau du problme de
la renaissance algrienne.
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DEUXIEME PARTIE
L aveair
POLOGUE
Quand dam
coupable descendit sur terre, il n apportait que
la feuille de vigne qui couvrait sa nudit et le remords qui
rongeait son ame.
Quand
les btes et les lments le virent ainsi apparatre, ils
ricanrent de son dnuement.
dam
ressentit le froid, la faim, la peur. Il alla se rfugier dans
une caverne obscure pour mditer sur sa pauvret et son ,isole-
ment, dans une nature hostile, qu il connaissait peine ..
Il envia le sort de l oiseau dans le ciel et celui du poisson dans l eau.
Le
remords mordit plus fort son me attendrie
sur
son pauvre
sort.
Il pria
humblement et
implora le Ciel.
Et le Ciel lui rpondit:
Je t ai donn ton gnie et ta main, Je t ai donn le sol et le
temps. Vas ... , tu dompteras l espace
comme
l oiseau qui vole
et
tu
vaincras le flot comme le poisson qui nage.
dam sourit ..
Et
l Astre idal claira son obscure caverne et son brillant destin.
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DE L ENTASSEMENT A LA CONSTRUCTION
Le monde musulman est demeur longtemps en marge de
) histoire, voluant sans but ou, l image du malade impuissant,
rsign face la maladie, perdit le sentiment de la douleur,
devenue une partie de lui-mme.
Juste avant l avnement du XXe sicle,
il
entendit quelqu un
lui rappeler sa maladie et un autre lui voquer la sollicitude
divine parvenue jusqu son oreiller. Il n a pas tard se rveiller
de son profond sommeil et sentir l effet de la douleur. Avec ce
rveil apathique, une nouvelle re commena pour le monde
musulman, une re appele
Renaissance
Mais que signifie ce
rvei ? Il est ncessaire de garder l esprit la maladie dans son
acception mdicale pour qu on ait une ide juste sur le cas.
Evoquer une maladie ou l prouver ne veut pas dire, en toute
vidence, remde .
Le point de dpart, ce sont les cinquante dernires annes*.
Elles nous expliquent la situation prsente dans laquelle volue
le Monde musulman, une situation qui peut tre interprte de
deux faons antinomiques.
D une part, le rsultat probant des efforts fournis tout au long
d un demi-sicle au service de la Renaissance.
De l autre, le rsultat dcevant d une volution qui a pris
toute cette poque, alors que les jugements ne se sont gure
accords pour dfinir ses objectifs et ses tendances.
Bennabi parle, ici, de la priode 1900 - 1950 (N.d.T)
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es conditionsde
l
renaissance
Il est possible d examiner les annales de cette tape. Elle est
f
oumie
en documents, tudes, articles
de
presse et congrs sur le
thme de la Renaissance. Ces tudes se penchent sur le
colonialisme et
l analphabtisme
par-ci, la
pauvret
et
le
dnuement
par-l,
l absence de l organisation
et
des
dsquilibres de l conomie et
de
la politique, en
d autres
occasions.
Une
analyse mthodique du cas lui fait, cependant,
dfaut.
Je
parle ici d une tude pathologique de la socit
musulmane et qui ne laisse pas de place au doute sur la maladie
qui la ronge depuis des sicles.
Nous notons dans les documents que chaque rfo11nateur dcrit
la situation suivant une opinion, une humeur ou une profession.
De
l avis de l ho1nme politique, comme celui de Djamal Eddine El
Af
ghani, le problme est d ordre politique et se rgle par des moyens
politiques, alors que, de l avis
d un
religieux comme Cheikh
Mohamed Abduh, le problme ne sera rsolu
qu en
rformant le
dogme et le prche Alors qu en fait, ces deux diagnostics
n abordent pas la maladie, mais attaquent ses symptmes.
Il en rsulte que, depuis cinquante ans, ils ne soignent pas le mal
mais les symptmes.
Le
rsultat tait proche de celui d un mdecin
qui, faisant face au cas d un patient atteint de tuberculose, s attaque
non pas aux agents pathognes chez le patient, mais sa fivre.
Voil cinquante ans que le malade, lui-mme, veut se remettre
de nombreuses douleurs: colonialisme, analphabtisme, apathie ...
Il ne connat pas la nature de sa maladie
et
n essaye pas de la
connatre. Tout ce qu il y a,
c est qu il
sent des douleurs, accourt
chez le pha11nacien,
n importe
quel pharmacien, pour acqurir
des milliers de remdes afin
de
calmer des milliers de douleurs.
En ralit, il n y a que deux voies
pou1
mettre fin
ce
cas
pathologique: mettre fin la maladie
ou
en finir avec le malade.
Il nous revient de nous demander, cet instant, si le malade
qui est entr la pha11nacie connat exactement sa maladie: est-
44
i
\
-
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de l entassement
l
construction
1:
' ' i '
. ~ { : il parti chez le pharmacien par le pur hasard pour en finir avec le
l ''
:tl:l:mal ou avec lui-mme?
''' ,
\_\I .
I ~ ~ C est le cas du monde musulman: il est parti solliciter auprs
),: de
la pharmacie de la civilisation occidentale un rtablissement,
mais de quelle maladie? Et par les vertus de quelle thrapie?
' 1
i
Il est vident, aussi, que nous n avons aucune ide sur la dure
, que va prendre ce remde. Mais un cas qui dure, ainsi, devant nos
\ yeux, depuis un demi-sicle, revt une porte sociale qui doit
susciter rflexion et analyse. Au moment o nous procdons
cette analyse, nous pouvons comprendre la signification relle de
cette poque historique dans laquelle nous vivons et nous pouvons
concevoir l adaptation qu il lui faut .
Nous pouvons dsigner cette tape comme une tape de pr-
civilisation ou, en ter1nes scolastiques, une tape de prodromes
. dans laquelle le monde musulman a orient ses efforts sociaux
pour acqurir une civilisation.
Il
a implicitement dcid, ainsi, que cette direction prsente
exactement le remde pour sa maladie. Nous adhrons
cette
dmarche.
Nanmoins, en procdant ainsi, nous voulons dtermine1
implicitement la maladie. Et
comment
laisser ensuite le soin au
hasard de dcider de la thrapie suivre?
Le Monde musulman
prend
un comprim contre
l analphabtisme par-ci, un cachet contre le colonialisme pa1-l,
un mdicament pour le soulager de la pauvret, l-bas. Il const1uit
une cole ici, revendique son indpendance, l-bas, construit une
usine dans un autre endroit.
A
l examen
attentif de son tat cependant, nous ne relevons
pas le moindre indice de la gurison.
En d autres
termes, nous ne
trouvons pas de civilisation. Il n empche, toutefois, que de
louables efforts sont entrepris dans le monde musulman travers
lesquels, nous en remarquons la modestie, compars ceux du
45
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es conditionsde l renaissance
Japon, il y a cinquante ans ou les de la Chine, dploys depuis
dix ans. Il y a en effet, quelque chose d trange dans le cas que
nous avons auscult. Cela nous incite chercher comprendre sa
dmarche et son mcanisme. Il faut connatre, pour ce faire, le
critre gnral du processus de la civilisation, afin de jeter un
clairage sur la relative passivit et l absence d efficacit dans
les efforts de la socit musulmane. Le critre gnral dans
l opration de la civilisation est que c est la civilisation qui
engendre ses produits .
Il serait forcment aberrant et drisoire d inverser cette rgle
et de prtendre btir une civilisation
partir de ses produits.
A cela s adjoint le fait que la rgle en sociologie
n est
pas -
comparativement la rgle mathmatique - une ligne de
dmarcation stricte entre le droit et l injustice, entre le faux et le
vrai. C est une simple orientation gnrale par laquelle on peut
viter des garements. Il ne peut y avoir de dlimitation nette
entre une civilisation en cours de
fo1n1ation
et une civilisation
qui s est effectivement constitue. Nous vivons, au XXe sicle,
dans un monde o le prolongement de la civilisation occidentale
se manifeste comme une loi historique de notre poque. En face
de moi, l intrieur de la chambre o je rdige maintenant, tout
est occidental,
ho11nis
une infime partie. Il est infructueux ainsi
de mettre un rideau de fer dlimitant la civilisation que le Monde
musulman tente de btir et la civilisation occidentale.
Cette donne met en relief le problme dans son ensemble. Il
n est
pas ncessaire, pour btir une civilisation, d acqurir tous
les produits
d une
autre civilisation. Une telle approche inversera
le problme pos prcdemment. Elle dbouchera, en fin de
compte, sur une opration impossible d un double point de vue
quantitatif et qualitatif.
D un point e vue quantitatif: l impossibilit procde de la
ralit qu aucune civilisation ne peut vendre
d un
seul coup tous
ses produits et les principes qui ont permis leur matrialisation.
46
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'
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1
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de l entassement l construction
En recourant la ter1ninologie biologique, nous aboutissons
au fait que la civilisation est un ensemble de relations entre
le
f
domaine biologique, relatif la naissance de son ossature et son
l affermissement,
d un
ct, et le domaine intellectuel relatif la
naissance de son me et son dveloppement, de l autre.
{ Lorsque nous achetons ses produits, la civilisation nous offre sa
i configuration et son corps, mais jamais son me.
D un point e vue quantitatif: l impossibilit ne sera pas
moindre. Il
n est
pas possible d imaginer ce grand nombre de
choses que nous achetons, ni de trouver les fonds pour les payer.
Si on admet la possibilit d agir ainsi cela conduira
inexorablement une double impossibilit. Nous arriverons ce
que j appelle la civilisation chosiste . Ce qui abouti, enoutre,
l entassement de ces produits de la civilisation. Il est clair
que le monde musulman s affaire depuis un demi-sicle runir
des tas de produits de la civilisation, plus
qu il
n uvre btir
une civilisation; une telle opration aboutira tacitement un
rsultat quelconque, en vertu de ce
qu on
appelle la loi des
grands nombres, c est--dire la loi du hasard. Un no ne tas de
produits toujours en constante croissance peut raliser long
tern e
et involontairement une situation de civilisation . Mais
nous constatons la grande diffrence entre cette situation
civilisationnelle et une exprience planifie comme celle
engage par la Russie depuis quarante ans et la Chine depuis dix
ans. Cette exprience dmontre que la ralit sociale est soumise
une certaine mthode technique qui lui applique les lois de la
47
8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique
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es conditionsde la renaissance
chimie biologique et de la dynamique spciale , aussi bien
dans sa
fo1111ation
que dans son dveloppement.
On sait que l opration de la dsintgration naturelle de
l uranium ne peut tre intgre dans la mesure du temps de
l homme
puisqu une certaine quantit de cette matire,
supposons un gramme, se dsintgre en moiti naturellement au
cours de quatre milliards et quatre cents millions d annes.
L usine de traitement chimique est a1rive effectuer cette
opration technique en quelques secondes.
Par analogie, nous notons que les facteurs d acclration du
mouvement naturel co11rmencent jouer pleinement leur rle
dans les tudes sociales, comme l indique l indlbile exprience
japonaise. Ainsi, de 1868 1905, le Japon est pass
d une
re du
moyen ge - la priode que
j ai
appele la pr-civilisation -
la civilisation moderne.
Le
monde musulman veut franchir la
mme tape. Il veut, en d autres
te11nes
accomplir la mission de
catalyser la civilisation dans une dure dte11nine. Aussi, lui
faut-il puiser chez le chimiste sa mthode. Il dcompose, en
premier lieu, les produits qu il veut soumettre aux analyses. Si
l on emprunte, ici, cette voie, on admet de l que la fo1mule
analytique suivante est applicable
sur
tout produit de la
civilisation: Produit de la civilisation: Homme + Sol + Temps.
Par exemple, dans le cas de l ampoule o l homme est derrire
l opration scientifique et industrielle dont elle est le produit, le sol
s insre dans ses lments co1rune conducteur et neutre et
il
*Nous avons sciemment vit d utiliser, dans cette quation, le terme .
Nous lui avons prfr le vocable de Le but de ce choix est de lever toute
quivoque qui peut natre du mot . Dans son sens thique, il est oppos au
terme . Dans le domaine de la science, le mot s oppose . Pris
dans
sa
porte philosophique, il dsigne
l oppos
d
A l inverse, le terme
n a
connu que peu d extension.
II
a gard, tymologiquement, une simplicit qui
le qualifie pour dsigner avec plus de prcision ce sujet social. Nanmoins, ce terme
inclut, ici, avec cette simplicit, une expression juridique relative la lgislation des
terrains dans n importe quel pays et une fo1me technique lie aux mthodes de son
utilisation. Ces deux expressions expriment le problme du sol.
48
:
.,
:
i
.
::
.,
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de l entassement
l
construction
intervient grce son lment initial dans la naissance organique
de l ho1rune. Le temps apparat dans toutes les oprations
biologiques et technologiques, il produit la lampe avec le concours
:
\
des deux premiers facteurs:
l Homme
et le Sol, en l occurrence.
.
i
La fo11nule est valable pour tout produit de la civilisation. En
examinant ces produits, selon la mthode de l addition utilise
en arithmtique, nous aboutissons ncessairement trois
colonnes relation fonctionnelle:
Civilisation= Homme
Sol
Temps.
Sous cet aspect, la fo11nule indique que le problme de la
civilisation se dcompose en trois problmes prliminaires:
problme
de l hollllne, problme du sol et problme du temps. Ce
n est pas en entassant les produits d une civilisation qu on peut
btir une civilisation, mais en rglant ces trois problmes dans
leur fondement. Il n empche que cette for1nule soulve lors de
son application une opposition d i1nportance:
si
la civilisation,
dans son ensemble, est le produit de
l Homme,
du
Sol
et du
Temps,
pourquoi cette synthse n intervient pas spontanment l
o ces trois facteurs sont disponibles? C est un tonnement que
dissipe notre rapprochement avec l analyse chimique.
L eau, en ralit, est le produit de l hydrogne et de l oxygne
runis. Malgr cela, ces deux constituants ne la crent pas
spontanment. Il est dit que la composition de
l eau
est soumise
une certaine loi qui ncessite l intervention d un catalyseur ,
sans
quoi
l opration de l eau ne peut s effectuer.
Analogiquement, nous pouvons dire: il existe ce qu on peut
appeler le catalyseur de la civilisation , c est--dire
l lment
qui influe sur la combinaison des trois facteurs. Comme
l indique l analyse historique qui sera aborde en dtail, cette
synthse existe effectivement, et que traduit
l ide
religieuse qui
a toujours accompagn la synthse de la civilisation au cours de
l histoire. Si ces considrations sur la raction biochimique et sur
la dynamique de la ralit sociale s avreront justes, il nous est
49
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es conditions de la renaissance
possible de planifier d une certaine faon son volution comme
un enchanement matriel dont nous connaissons la loi.
En
mme temps, il nous
pe1n1et
de mettre fin certaines erreurs
propages par ce
qu il
convient
d appeler
la littrature de
combat dans le monde musulman, laquelle approuve
implicitement la tendance vers l entassement .
De cette littrature qui fait montre parfois d une foi nergique
et d une authenticit sincre, l entassement se dplace du
domaine des simples vnements, ns du hasard, vers le domaine
de l ide oriente. Nous l avons digre en gros et nous l avons
adopte dans notre comportement. Lisons par exemple cette
phrase: ''Le Monde arabe a emprunt la voie de cette civilisation
que les gens appellent ''civilisation occidentale'', mais il s'agit,
en fait, d'une civilisation humaine qui puise ses ressources dans
de nombreuses civilisations humaines dont la civilisation arabo-
islamique. Les Orientaux et les Occidentaux, athes et croyants,
ont particip et participent toujours
son enrichissement. Pour
le
Monde arabe il
n est
point possible
de
rebrousser chemin. *
Nous apprcions srement la beaut du style littraire et la mlodie
de la rime de ce passage, mais ce que
je
crains le plus c est qu il
traduise un optimisme qui tend minimiser la gravit de la question
dans nos esprits.
Ce que je crains le plus dans une euphorie pareille, c est son
soutien aux tendances regrettables vers l entassement dans le
Monde musulman
et
leur multiplication.
*
e monde arabe,
N. Fares et Tewfik Hussein,
p.
214.
50
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69
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es conditions de
l
renaissance
Nous avons prcis prcdemment comment Keyserling a
interprt la civilisation europenne comme tant une synthse
entre l esprit chrtien et les traditions ge11naniques. Nanmoins,
ce philosophe n tait pas le prcurseur dans cette voie. l avait
t prcd, un sicle plus tt,
par
l historien franais Guizot qui
abordait la question travers la mme optique.
Puis vint le tour d un autre philosophe allemand, Spengler, en
l occurrence, pour nous mener vers une autre thorie qui
interprta la civilisation comme le fruit d un gnie particulier qui
caractrise une
poque
donne
d un
sceau
d innovation
fondamentale. A l instar de l algbre pour la civilisation arabe.
On relve, ainsi, l irruption du facteur raciste au sein des
doctrines historiques
travers Spengler. Un facteur dont le rle
historique ralisera sa plnitude mthodique l cole hitlrienne
grce Rosenberg.
Peu aprs, entre les deux guerres, Walter Shubart, un
philosophe d origine ge11nanique et de nationalit balte, se
livrera l adaptation du raisonnement de Spengler - sinon sa
doctrine - sa propre thorie, laquelle interprte la civilisation
mais en la considrant
comme
le produit d une poque donne;
non comme le produit d une race dfinie.
Walter Shubart a montr dans un ouvrage peu notoire sous le
titre
l Europe et l esprit e l Orient
que chaque poque
son
gnie propre ou son Eon propre qui marque cette poque
d une
estampille propre.
Quant au grand historien anglais John Arnold Toynbee, il a
livr une volumineuse interprtation de la civilisation o le
facteur de la gographie joue un rle essentiel. Son compatriote
Sir John Hallford* l a prcd d un demi-sicle dans
l introduction au facteur gographique
d une
faon mthodique
l
s agit de John Hallford Mackinder, un des grands thoriciens de la
gopolitique en Grande-Bretagne.
70
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ide religieuse t civilis tion
dans l explication de la civilisation. Le titre de sa thorie fonde
dans l essentiel, sur des objectifs politiques et militaires, tait: La
base gographique de l histoire.
Toynbee, cependant, insre ce facteur gographique au sein
de sa doctrine labore sur ce qu il dsigne sous le
te ne
dfi .
Il s agit d une doctrine qui explique la civilisation comme une
rponse d un peuple ou d une race face un dfi donn.
C est la nature, en particulier - c est--dire la gographie -
qui impose ce dfi . Selon le degr du dfi et l efficacit de la
rponse que lui opposent les peuples qui y sont exposs, la
civilisation rpond trois ventualits:
- Soit elle effectue un bond en avant,
- soit elle s immobilise;
- soit, enfin,
c est
la dchance qui l enrobe de son voile.
Si, aprs les avoir exposes, nous mettons l examen une de
ces thories pour interprter un fait historique bien dfini,
coIIllne titre d illustration la civilisation islamique, nous
constatons qu elle ne donne pas entire satisfaction.
Dans la fo11nation de cette civilisation, nous n apercevons
pas le facteur gographique ou climatique sous la
fo me
d un
dfi quelconque comme le suggre la thorie de Toynbee, ni le
double facteur conomique que reprsentent le besoin et les
moyens industriels, suivant la thorie de Marx.
Quant la thorie de l Eon, elle ne peut, de son ct, prsenter
une interprtation au phnomne islamique avec les conditions
psycho-temporelles qui
l ont
accompagne, comme je l ai dj
expliqu dans mon ouvrage Le phnomne coranique.
Dans les ides de Keyserling, on peut trouver, sans doute, une
esquisse analytique de l pisode chrtien au sein duquel nous
pouvons insrer l pisode musulman, en raison de la similitude
biohistoriques des donnes et qui se placent dans les deux cas au
sein des volutions similaires.
7
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es conditions de
l
renaissance
Des situations auxquelles toutes les langues dveloppes ont
consacr une terminologie
propre pour
les
dterminer
en
voquant trois tats:
la
gense, l apoge et le dclin.
Aussi, Keyserling et
Oswald
Spengler ne se sont-ils pas
dpartis, dans leurs tudes, de ce
terme populaire sur la ralit
historique dans les langues dveloppes. Il s agit, en fait,
d une
convergence impose
par
la nature des choses et non
par
le fait
du simple hasard.
De notre ct, si
l on
essaye
d exposer l analyse
historique
sous la
fo ne
d un
schma, nous aboutirons -
l instar
de la
prsentation
d un
phnomne physique - une loi sur le
phnomne de la civilisation
. Nous savons, d entre, que toute civilisation se situe entre
deux limites: la gense
et
le dclin. Nous avons en notre
possession, donc, deux points de son cycle, considrs comme
indiscutables. La courbe
co ru ence
ncessairement
du premier
point de
l axe
ascendant
pour
arriver au deuxime point dans
l axe
descendant.
Que
pouvons-nous insrer
comme phase
transitoire
entre
ces
deux axes? Le terme populaire cit
prcde1runent
et
qui s accorde,
co ru e
nous
l avons
vu, avec
l analyse historique nous rpond
en dsignant une
tape
intermdiaire qui est: l apoge.
Entre
les
deux
premires
phases, il y a
ncessairement
un
certain parallle
qui
indique
une
autonomie dans
le
phnomne. La
phase
du
dclin
descendante se
situe
l oppos
de
la phase de la gense montante
et entre les deux
phases. Il y a ncessairement un certain accomplissement qui
est
la
phase
du
dploiement
de
la
civilisation
et
de son
expansion.
Si nous traduisons ces considrations sous
forme
d un
'
graphique, nous aurons:
72
'
'
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_ ~ : : . :
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Cycle d une civilisation
Cil
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38
H
phase 2: la raison
ide religieuse
t
civilis tion
B
temps
c
Nous avons devant nos yeux un moyen qui nous permet,
alors, de suivre
l volution
d une civilisation
d un
faon qui
tmoigne d une certain repli qui perrnet
d tablir
les rapports
dicts entre les diffrents facteurs psycho-temporels qui jouent,
par la force des choses, un rle dans cette volution.
Il est certain que lorsque nous abordons la civilisation islamique,
deux facteurs interviennent ncessairement dans son volution.
L ide islamique, qui est le fondement de cette volution, et
l ho1nme musulman qui est le support concret de cette ide.
C est dans l ordre tabli des choses que nous tudions ainsi
l volution de cette civilisation; nous abordons,
la base, la
relation organique qui lie l ide et son support. Toutes les valeurs
psycho-temporelles qui caractrisent le niveau d une civilisation
donne
ne
sont,
en
fait, que la traduction historique de cette
relation organique entre une ide dtermine, l Islam
par
exemple,
et l individu
qui reprsente son support concret
et
qui
est le musulman, dans ce cas.
73
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Les conditions de
la
renaissance
Il nous revient, depuis lors, de recourir au langage de la
psychanalyse afin de suivre l'volution de la civilisation, une
volution prise co1nme une
fo me
temporelle des actions
et
des
ractions changes et qui naissent depuis le dbut de cette
volution entre individu et ide religieuse. C est de l que
procdent le mouvement et l'activit. Lorsque nous mettons
l individu au point zro dans le graphique prsent
prcdemment, nous constatons
qu il
se trouve dans l tat que
certains historiens musulmans appellent l tape ''inne'', charge
de tous les instincts dont la nature l a dot. L'individu, dans
pareil cas,
n est
dans le fond
qu un
homo-natura
nanmoins
ide religieuse soumet ses instincts un ''conditionnement'' que
la psychologie freudienne appelle le ''refoulement.''
Ce conditionnement n est pas de nature abolir les instincts
mais il assure
leur
organisation au sein d une relation
fonctionnelle avec les dispositions de l ide
religieuse: la biologie
animale reprsente d une faon concrte par les instincts ne
disparat pas, mais devient discipline grce un ordre donn.
Dans ce cas l'individu se libre, partiellement, de la loi
naturelle, instinctive. Dans son ensemble, son existence sera
soumise aux dispositions spirituelles
que
l ide religieuse
imprime dans son me au point qu il volue, dans cette nouvelle
condition, selon la loi de l me.
C est
cette mme loi qui a dtermin l'attitude de Bilai au
moment o il a soulev le doigt sous le fouet du supplice pour
, , ff .
Ah d
'
h d I l
(D. . '
epeter sans a a1ssement:
a . a . ieu unique ....
unique ). Il est clair que cette exclamation n exprime nullement
un appel de l'instinct. La voix de l'instinct s est teinte sans
qu elle ait toutefois disparu par le chtiment. Ce gmissement ne
traduit pas la voix de la raison galement. La douleur ne s'assagit
pas.
C'est un
cri
de l'esprit libr du carcai des instincts aprs leur
domination dfinitive dans le cur de Bilal Ibn Rabah, par la croyance.
74
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ide religieuse et civilis tion
La socit islamique est soumise, galement, ce mme
changement. Elle tait dans la mme situation que celle de Bilai.
Elle ne parle pas le langage de l instinct de la chair et de l os,
d une part. D autre part, la voix de la raison restait encore
silencieuse dans cette socit naissante. Tout le langage durant
cette poque tait la spiritualit de la logique. Elle tait fille de
l esprit avant tout.
C est
le premier cycle d une civilisation donne, le cycle qui
dompte les instincts engags dans une organisation o les excs
sont brids et empchs de se dchaner.
C est l esprit qui tait incarn dans la voix de Bilai, une voix
qui parle et dfie la chair et le sang. Avec son index, le
compagnon du prophte opposait un dfi la nature humaine et
lve grce lui
un
moment donn le destin de la nouvelle
religion.
C est
le mme esprit qui traduit la voix de cette femme
qui, ayant commis le pch de l adultre, est venu voir le
prophte pour lui dclarer son pch et demandait qu elle soit
soumise la punition de la fornication. Tous ces faits dpassent
les critres naturels et montrent que l instinct a t refoul bien
qu il garde sa tendance se librer.
C est
l que se dclare le
conflit entre cette tendance et la domination de l esprit.
Aux mmes moments, la socit, propulse par l ide
religieuse, continue son volution et le rseau de ses liaisons
intrieures s accomplit selon l tendue du rayonnement de cette
ide dans le monde. Les problmes concrets de cette socit
naissante font leur apparition avec son expansion et des
ncessits nouvelles interviennent galement avec son
achvement. Pour que cette civilisation puisse rpondre ces
critres qui surgissent, elle emprunte une voie nouvelle. Cette
voie pourrait tre confo1n1e la reconnaissance , l exemple
du cycle europen, o la prise du pouvoir par les Omeyyades,
l instar du cycle islamique. Dans les deux cas, le tournant reste
un tournant de la raison. Mais cette raison ne dtient pas la
matrise exerce par
l me
sur les instincts. Ces instincts
7
8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique
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es conditionsde
l
renaissance
co1mnencent alors se librer de leurs chanes l instar de
l poque des Omeyyades o l me commenait perdre de son
emprise graduellement sur les instincts et la socit cessait
d exercer sa pression sur l individu.
Il est naturel que les instincts ne se dchanent pas d un seul
coup, mais suivant l apathie de l autorit de l esprit. .
Au moment o l histoire continue son cours, nous relevons
que cette volution continue galement dans le psychisme de
l individu et dans la structure thique de la socit qui cesse, de
son ct, de rformer le comportement des individus. A mesure
que cette tendance se libre de ses chanes dans la socit, la
libert des murs exerce par l individu dans ses actes
personnels, cesse graduellement.
Si on avait eu la possibilit, ce moment, l aide d un moyen
de contrle de prcision de ses conditions psychologiques, de
poursuivre les rsultats de cette gradation,
l instar des moyens
de contrle des laboratoires des sciences naturelles, nous aurions
not la baisse du niveau de la morale de la socit, ou nous
aurions relev - le rsultat tant le mme - une carence dans
l efficacit sociale de l ide religieuse. Cette ide poursuit sa
tendance la baisse depuis que la civilisation est engage dans
la phase de la raison.
L apoge d une civilisation - je veux dire l expansion de ses
sciences et de ses arts - se rencontre
d un
point de vue de
l tiologie stricte avec le dbut
d une
maladie sociale donne,
laquelle
n a
pas suscit encore l intrt des historiens et des
sociologues, car ses consquences concrtes restent loint