Condtions de la Renaissance Islamique

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    COLLECTION PATRIMOINE

    Dans la mme collection :

    Le miroir, Hamdan

    Khodja

    Lettre ai:r. Franais, Emir

    Abdelkader

    La nuit coloniale, Ferhat Abbas

    Les Mmoires de Messali Hadj, Messali Hadj

    L avenir

    de l Islam

    et

    autres

    crits,

    Si

    M hamed

    Benrahal

    Lettre au Prsident Wilson et

    autres

    crits, Emir Khaled

    Villes d Algrie au X X sicle, Assia Djebar

    Tadliss N Sahra, Abdelaziz Ferrah

    L Etoile Nord-Africaine,

    Collectif

    uvre potique, Bachir Hadj Ali

    El Euldj,

    captif

    des

    Barbaresques, Chukri Khodja

    Les

    pomes

    de

    Si Mohand, Mouloud

    Feraoun

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    Editions ANEP

    ISBN: 9961 768 09 4

    Dpt lgal: 1627 2005

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    AVERTISSEMENT

    Ce livre, comme tout livre, a son histoire. Elle pC. USe la vie

    pathtique de Malek Bennabi. Au dbut de 1956, ft1yant

    u11e

    France o la rpression anti-algrienne s'intensifiait, Ben11abi

    emporte dans ses bagages la traduction, ralise par ses soins, de

    son ouvrage paru en 1949

    Alger aux ditions En-Nahdha sous

    le titre

    Discours sur le;; conditions

    de

    la renai,\ .'iance algrie1ine

    dont les grandes lignes t'urent bauches la veille de son

    arrestation en avril 1947, quelques semaines aprs la pa1ution de

    son livre le Phnomne corar1ique. Bennabi devait crire plus

    tard:

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    u mme auteur

    1 - Le phnomne coranique, arabe-franais), Alger, 1947

    2 - Lebbeik, franais), Alger, 1948

    3 -

    Le. .;

    conditions

    de

    la renaissance, arabe-franais), Alger, 1949

    4 - Vocation de l Islam, arabe-franais), Paris, 1954

    5 -

    L Afro-Asiatisme,

    arabe-franais),

    Le

    Caire, 1956

    6 - S.O.S Algrie, arabe-franais), Le Caire, 1957

    7 -

    Le

    problme de la culture, arabe), Le Caire, 1959

    8 -

    Ide d un Commonwealth islamique,

    arabe-franais),

    Le

    Caire, 1960

    9 -

    La lutte idologique,

    arabe-franais), Le Caire, 1960

    10 - La nouvelle dification sociale, arabe), Beyrouth, 1960

    - Rflexions, arabe), Le Caire, 1961

    2

    -

    Dans le soujjle

    de l

    bataille,

    arabe-franais), Le Caire,

    96

    3

    -

    Naissance d une socit,

    arabe), Le Caire, 1962

    14 - Perspectives algriennes, arabe-franais), Alger, 1964

    5

    - Mmoires

    d un

    tmoin du sicle

    -

    L enfant, arabe-

    franais), Alger, 1965

    16 - L uvre des orientalistes, arabe-franais), Alger, Q67

    7

    -

    Islam et Dmocratie,

    arabe-franais), Alger, 1968

    8 - Mmoires

    d un

    tmoin du sicle- L tudiant, arabe),

    Beyrouth, 1970

    19 - Le sens de l tape, franais), Alger, 1970

    2

    -

    Le

    problme des ides, arabe-franais),

    Le

    Caire, 1971

    2

    -

    Le musulman dans le monde de l conomie,

    arabe-

    franais ), Beyrouth, 1974

    22 - erle du musulman et son message, arabe) Beyrouth, 1974

    23 -

    Entre la rectitude et l garement,

    arabe-franais),

    Beyrouth, 1978

    24 - Pour

    changer l Algrie,

    arabe-franais), Alger, 1989

    25 - Colonisabilit, franais), Alger, 2003

    26 - Mondialisme, franais), Alger, 2004

    27 - La ralit

    et

    le devenir dernier entretien avec Malek

    Bennabi) arabe-franais), Alger, 2004

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    Prface

    La

    rdition du troisime ouvrage de Malek Bennab.i,

    Les

    conditions de la renaissance

    publi pour la premire fois par les

    ditions algriennes

    En-Nahda

    en 1949, rpond une triple

    .

    preoccupat1on.

    Bien sr, la rdition de cet ouvrage s'inscrit dans une

    conjoncture

    particulire, celle de la commmoration

    du

    centenaire

    de

    la naissance de l un des penseurs algriens

    contemporains les plus fconds, les plus exigeants, les plus

    critiques au sens noble du terme critique, qui signifie indiquer ce

    qui fait sens pour les personnes et les socits, sparer le bon

    grain de l'ivraie, dmler l'accessoire de l'essentiel pour renouer

    avec le

    primordial

    actionne , Islam social, l Islam

    civilisationnel, celui des hommes et des femmes en mouvement

    unissant dans une mme tension, faite de foi dans le Crateur et

    de confiance dans la cration, de recherche de la vrit dans le

    sens de connaissances scientifiques prcises et exactes et

    d'efficience technicienne, des curs battants au rythme de la

    parole divine, des neurones veills et des mains habiles.

    Bien sr, il est important, voire urgent de rditer toute

    l

    uvre de Malek Bennabi, tout simplement parce qu elle

    reprsente une partie de notre patrimoine intellectuel, mais aussi

    et surtout parce que rarement une uvre et son auteur n auront

    t si copieusement trahis, dnaturs aussi bien

    par

    ceux qui ont

    cru bon de s en dmarquer avec une virulence agressive que

    par

    ceux qui ont eu l'outrecuidance de tenter de se l'approprier

    des

    fins que Malek Bennabi dnonce de manire drastique. Ainsi en

    5

    '

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    est-il de la notion de colonisabilit que d aucuns ont voulu

    assimiler du dfaitisme alors qu il est un appel, un aiguillon

    mettre en uvre le clbre verset coranique Dieu ne change

    rien l tat d un peuple que celui-ci n ait auparavant,

    transf()rm son me pour justement renatre la libert de sujet

    historique sous la forme islamo-nationale et cesser d tre

    colonisable . Ainsi en est-il encore du qualificatif d islamiste

    dont Malek Bennabi a t affubl au cours des dernires

    dcennies dans le but de le vouer aux gmonies pour certains, de

    l encenser pour d autres. Si

    l on

    entend par islamisme la

    confusion entre religion et politique, l adhsion un modle

    d organisation politique vise thocratique dirig par des

    chouyoukh, la posture de Malek Bennabi est mille lieues

    d une

    telle position. Il

    n a

    pas de mots assez durs pour fustiger la drive

    politicienne des Oulma en 1936 alors

    qu il

    voue une immense

    admiration respectueuse leur principal responsable, le cheikh

    Abdelhamid Ben Badis, pour le travail qu il a initi en faveur de

    la renaissance culturelle et civilisationnelle de notre socit. Plus

    encore, bien avant que des versets sacrs du Coran ne soient

    profans au laser et ne viennent obscurcir le ciel d Alger et la

    conscience de sa population, Malek Bennabi dnonait dj

    l utilisation de

    l Islam

    des fins de propagande politique

    l instar du trop fameux avion vert d un

    lz1 .

    Les femmes et les hommes qui prendront l initiative de lire ou

    de relire ce livre doivent savoir que la principale qualit de la

    pense de Malek Bennabi est

    d tre

    drangeante, menaante

    mme pour notre confort intellectuel apparent, fait trop souvent

    de syncrtisme entre un vcu islamique, qui oscille entre

    ritualisme et fidisme, et un mimtisme malhabile

    l gard

    des

    produits matriels et symboliques de ce qu il est convenu

    d appeler de manire trangement statique, la modernit.

    6

    1

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    La

    fcondit de la pense de Malek Bennabi tient dans le fait

    qu elle rompt de manire claire, intransigeante et souple la fois

    avec ce syncrtisme,

    pour

    choisir la voie de l inconfort

    . optimiste, de la difficult cratrice, celle de la tentative de

    synthse thorique et pratique entre l lan de renouveler l;Islam

    et ce qui dans la pense et dans la pratique de l Occident peut

    fouetter, stimuler cet lan sans rompre en aucune manire avec

    ses catgories fondatrices.

    L

    encore, il faut dissiper un malentendu. Malek Bennabi

    n est

    pas anti-occidental. Il connat intimement la France

    notamment o il a fait, chose exceptionnelle pour un tudiant

    algrien des annes trente, des tudes suprieures de sciences

    exactes et de technologie. Il est aussi l un des pionniers du

    .dialogue islamo-chrtien. Il se revendique volontiers cartsien et

    a des affinits partielles avec la pense de Nietzche.

    Par contre, il ne se rclame pas de la philosophie des

    Lumires du XVIIIe sicle qui est le lieu et le moment de la

    civilisation occidentale o s labore la catgorie centrale

    . constitutive de ce

    qu il

    est convenu d appeler la modernit :

    l homme dfini en tant qu individu autocentr, doublement

    dsaffili. En ce sens, Bennabi n est pas un intellectuel

    moderne .

    Il

    n est

    pas non plus un faqih . Il est au sens strict un

    intellectuel musulman modernisateur, vecteur d une rationalit

    actionnelle.love dans le cur battant de la foi islamique, vcue

    non sur le mode du repli et de

    la crispation identitaire mais sur

    celui de l ot1verture au monde curieuse et no11ne expansive et

    axe la fois.

    Abdelkader Djeghloul

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    Prface la premire dition

    Pour prsenter cette tude, j suis particulirement tent par

    une biographie la plus tourmente et la plus mouvante que je

    connaisse en Algrie.

    Mais il me faut y renoncer, l auteur m interdit formellement

    d y faire mme allusion.

    Je garde cependant le droit de parler de l uvre o cette tude

    vient prendre une place importante, en achevant d en dfinir la

    marque particulire et la valeur sociale que nous retrouvons

    mme dans Lebbeik jug, cependant par certains lecteurs,

    comme tranger l orbite tincelante trace par Le phnomne

    coranique.

    Ce dernier livre a t prsent au public dans une prface o

    l honorable professeur Cheikh Draz me parat avoir cd la

    personne de l auteur davantage qu l uvre. Ce qui compte

    l heure que nous vivons, ce n est n l homme n ses titres, mais les

    problmes que solutionne son uvre.

    Ce qui nous intresse dans

    e

    phnomne coranique c est la

    foule de problmes que soulve son introduction et la mthode

    nouvelle que l auteur applique, pour la premire fois, l exgse

    coranique.

    Or,

    j

    ne crois pas que la prface ait dit quelque chose de ces

    problmes cruciaux,

    n

    de la phnomnologie applique l tude

    du Coran.

    9

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    Nous sommes, d ailleurs, persuads que l minent Cheikh

    Draz nous sait gr de le rappeler ici pour les jeunes musulmans.

    Quoi qu il en soit,

    e phnomne coranique

    est une autre

    nuance dans l uvre qui vient complter s opportunment cette

    tude. Les deux ouvrages constituent les deux tapes d une

    meme 1ntent1on.

    Dans l un, l auteur s meut un spectacle: celui de la

    conscience du jeune musulman saisi par le dbat crucial entre l

    science et la religion. C est une conscience qui, pour elle-mme,

    a dj clos le terrible dbat et veut en communiquer sa

    conclusion rassurante d autres consciences.

    Mais la critique serre, l analyse subtile et profonde, la

    logique rigoureuse qui conduisent ce rsultat sont presque

    secondaires dans une uvre, dont la gense et la destination

    relvent davantage du sens dramatique que du simple sens

    intellectuel.

    En effet, Bennabi n est pas un crivain professionnel, un

    travailleur de cabinet pench sur des choses inertes, du papier et

    des mots, mais un ho1nme qui a senti dans sa propre vie le sens

    de l humain avec sa double signification morale et sociale.

    C est ce drame, senti avec toute l intensit et les rigueurs d une

    rare exprience personnelle, qui fournit la matire essentielle

    l uvre aussi bien dans e phnomne coranique que dans

    l tude qu il nous livre aujourd hui comme un chant d allgresse

    pour saluer l astre idal qui marque l aurore des civilisations ,

    depuis la nuit des temps.

    Mais ce chant est aussi une marque de la raison qui cherche

    ouvrir des voies pratiques la renaissance musulmane qu il

    annonce en nous rvlant sa signification dramatique.

    1

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    S il est sensible cet aspect, ce n est pourtant pas qu il soit un

    intellectuel pris d abstraction ni un esthte gris par les belles

    formes.

    Ce qui l attire, ce qui le fascine c est le frisson humain, la

    douleur, la faim, les haillons, l ignorance. Est-il davantage le

    doctrinaire qui raisonne a priori en face de ce problme?

    Il l a d abord vcu totalement. D autres en ont fait leur

    tremplin lectoral, exaltant la misre

    jusqu

    l hbtement

    propice toutes les mystifications, toutes les exploitations.

    Nous savons, aujourd hui, ce qu un pareil tat peut engendrer

    de dsorientation, de strilit, de dsarroi.

    Mais pour Bennabi, l exprience personnelle signifie autre

    chose: une raison de mditer sur les remdes. C est partir de

    cette mditation que le drame devient pour lui un problme

    technique. Il nous conduit par une analyse serre et subtile dans

    les arcanes de l histoire pour nous rvler cet ternel retour qui

    lui inspire le beau chant mis en prologue cette tude.

    Mais avant de suggrer la solution, un travail de dblaiement

    est absolument ncessaire dans un terrain encombr

    par

    les

    ruines de notre dcadence et la fange de plusieurs annes de

    dmagogie lectorale.

    Cette uvre est faite magistralement dans les premiers

    chapitres qui mettent en lumire cette priode d apathie peine

    anime de nos traditions et guerriers laquelle succde la

    priode de l ide .

    Mais au fond de la conscience populaire faonne

    par

    des

    sicles de maraboutisme demeure u atavisme idoltrique.

    Si l hydre maraboutique est terrasse

    p r

    l islahisme un

    no-maraboutisme est encore possible, non plus avec des saints

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    et des amulettes mais des idoles politiques et des bulletins de

    vote .

    C est la lutte entre

    1

    idole et l ide qui devient l aspect

    nouveau du drame algrien.

    Bien entendu, l administration ne restera pas indiffrente,

    sachant le parti tirer de tout ce qui divise le peuple algrien et

    miette ses forces. Et, par surcrot, le problme envisag aussi

    bien sur le plan de l Islah que sur le plan politique tait mal pos.

    La

    colonisation n est pas un simple accident, mais une

    consquence inluctable de notre dcadence. Tout le problme est

    l et mme l ide serait vaine si elle n inclut pas cette donne

    essentielle que souligne vigoureusement Bennabi en

    affir ant

    que pour cesser d tre colonis, il faut cesser d tre colonisable .

    Cette simple phrase est, je crois, le premier

    jet

    de lumire

    humain qui soit venu clairer le dbat. Une lumire suprme

    l clairait dj par ce verset cit ici co1rune le fondement de toute

    la thse: Dieu ne change rien l tat d un peuple, tant que celui

    ci n a pas d abord chang son comportement intrieur.

    Cependant, l auteur juge utile de fournir encore la justification

    historique, critique, rationnelle de ce fondement surnaturel qui

    peut effaroucher l esprit cartsien.

    C est cette justification qui l emmne considrer, dans les

    pages o se rvle toute la profondeur de sa philosophie, les lois

    qui rgissent le processus des civilisations.

    s lors, la solution du problme surgit comme une

    consquence rigoureuse de cette leon d histoire.

    La doctrine nat fragment

    par

    fragment d une faon

    dialectique partir de la synthse fondamentale de toute

    civilisation: l homme, le sol, le temps.

    12

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    ntroduction

    La

    parution de la premire dition du livre en langue arabe a

    rvl l intrt croissant que suscitent, dans le monde arabe et le

    monde musulman en gnral, les problmes relevant de la sociologie.

    De plus en plus, la gnration actuelle fait preuve de son dsir

    de mieux comprendre les faits sociaux et leurs mcanismes.

    Il est normal, ainsi, qu ayant lu la premire dition de cet

    ouvrage, certains lecteurs livrent leur opinion sur la manire dont

    certains faits ont t traits.

    J ai senti lors des dbats engags avec ces lecteurs que

    certaines explications que

    j ai

    exposes ne leur avaient pas offert

    l claircissement souhait. Parmi les points obscurs figure le rle

    de l ide en tant que facteur social qui influe sur l orientation de

    l histoire, malgr ma volont de le prciser.

    l se pourrait que lorsque

    j ai

    abord ce point dans la

    prcdente dition, je ne l aie pas explicit dans le dtail. J tais,

    en fait, convaincu par la brve explication du rle qu accomplit

    l ide

    religieuse dans l histoire ainsi que par les opinions de H.

    Keyserling sur le sujet et sur lesquelles je me suis fond. Je veux

    parler

    de

    ses conclusions sur le rle de l ide chrtienne dans la

    synthse de la civilisation occidentale.

    J ai

    abord ces points de vue dans le chapitre L ternel

    retour . Les points de vue des lecteurs se sont accords sur le

    caractre vague et imprcis de ce point particulier et ils ont, en

    5

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    consquence, propos, pour y remdier, e lui consacrer un

    chapitre complet dans le prsent ouvrage afin de clarifier le rle

    de l ide religieuse dans l histoire.

    Et comme je ne peux que m associer ces observations dont

    je

    reconnais, au demeurant, la pertinence, j ai souhait mettre

    profit cette dition pour lui adjoindre un chapitre qui traite en

    particulier de l effet de l ide religieuse dans le cycle de la

    civilisation, me fondant cette fois

    sur

    les considrations

    psychosociales aux cts des considrations historiques qui nous

    ont convaincus dans la prcdente dition.

    En fait, lorsque nous abordons les choses sous cet angle, nous

    livrons au lecteur l occasion

    pour

    apprhender lui-mme

    l influence directe de

    l ide

    religieuse sur les faits

    psychosociologiques qui constituent le phnomne de l histoire.

    Quand nous

    affirr11ons

    dans le chapitre De l entassement la

    construction , que l ide religieuse intervient

    comme

    un

    catalyseur dans la synthse des lments de l histoire, nous

    admettons, par l, une ralit corrobore par l histoire des

    civilisations. Nanmoins, cette confirrnation intervient sous la

    forrne d un tmoignage sur ce phnomne et non sur la forme

    d une

    interprtation acceptable de ce mme phnomne.

    De ce fait, le lecteur a quelque peu raison de ne pas se montrer

    satisfait de ce tmoignage , c est--dire de ne pas se laisser

    convaincre par le jugement du seul historien sans davantage de

    dveloppements sur l ide religieuse dans son action directe dans

    la conformation des mes qui font remuer l histoire.

    C est pour cette raison que j ai acquis le sentiment que le

    lecteur attend plus qu un simple tmoignage de l histoire, dans

    un tel sujet. Il s attend une analyse o il trouve des tudes

    objectives sur ce phnomne. Je veux dire des tudes qui

    abordent les choses dans leur essence et

    non dans leur for1ne.

    16

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    J ai essay de rpondre ce souhait pertinent et

    j ai

    rserv,

    ainsi, dans cette dition, un chapitre sur l effet de

    l ide

    religieuse dans la synthse de la civilisation, en recourant, cette

    fois, la mthode de la psychanalyse qui dvoile clairement le

    plus grand aspect du phnomne dans ce catalyseur, puisqu il

    nous dmontre l influence directe de l ide religieuse sur les

    traits psychologiques de l individu.

    Je ne puis prtendre, ici, que cette mthode offre au lecteur

    une connaissance mathmatique du sujet. C est un sujet o les

    mathmatiques n interviennent pas, vu

    qu il

    se rapporte au

    monde des mes.

    Un

    monde o l esprit abstrait reste incapable

    de pntrer totalement

    le ~ e c r e t Nous pouvons, toutefois, dire

    que cette voie emprunte offre au lecteur une occasion de saisir

    comment se produit la catalyse sous l impact de l ide religieuse,

    grce une vision directe, diffrente de la vision indirecte de

    l histoire.

    Ce

    qu il faut signaler ici, c est que le chapitre o ce sujet est

    voqu, nous l avons rdig dans l tat d esprit du sociologue

    qui tente de clarifier le rle de l ide religieuse dans la forrnation

    et l volution de la ralit sociale. Sachant que ce rle n est pas

    tout, pour l ide religieuse. C est qu avant mme d entourer la

    recherche sur son rapport avec le monde du tmoignage, nous

    avons admis d abord son rapport avec le monde de la

    mtaphysique. En termes plus prcis, l ide religieuse n assume,

    notre sens, son rle social que dans la mesure o elle s en tient

    ses valeurs mtaphysiques, c est--dire dans la mesure o elle

    exprime notre vision de l au-del. Mais cette vision

    n est pas

    le

    st1jet de l expos. Nous lui avons consacr une autre tude*, de

    ce fait, notre expos se limitera, ici, l aspect social.

    *

    Cf. Le phnomne coranique

    17

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    19/178

    D autre part, le lecteur, trouvera dans la prsente dition un

    chapitre destin clarifier le rapport entre le principe thique et

    le got esthtique. Ceci pour mettre en avant sa grande influence

    en tant que facteur qui dte11nine l orientation de l 1. civilisation

    et sa mission dans l histoire. Je suppose que ce chapitre reste la

    premire tude qui aborde le rapport entre le principe thique et

    le got esthtique, en tant que l un des principaux critres en

    sociologie.

    Ainsi, nous aurons rpondu de notre mieux au souhait du

    lecteur, dans cette dition. Nous souhaitons rpondre

    son

    attente avec ce que nous avons joint d indit pour satisfaire

    l attente du lecteur, laquelle est le meilleur gage de l effort de

    l auteur.

    18

    M B.

    30

    octobre

    1960

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    es conditions de

    l

    renaissance

    Que ton chant retentisse comme celui des prophtes jadis aux

    heures propices qui enfantent des civilisations

    Que ton chant retentisse plus fort que le chur vocifrant qui

    s'est lev l bas

    ...

    Car voil: on installe, maintenant la porte de la cit qui se

    rveille, la foire et ses amusements pour distraire et retenir ceux

    qui viennent sur tes pas.

    n a dress trteaux et tribunes pour bouffons

    et

    saltimbanques afin que le vacarme couvre les accents de ta voix.

    On a allum des lampes mensongres pour masquer le

    jour

    qui vient et pour obscurcir

    ta

    silhouette dans la plaine o tu vas.

    On a par l'idole pour humilier l'ide.

    Mais l'astre idal poursuit son cours, inflexible. Il clairera

    bientt le triomphe de l'ide et le dclin des idoles comme jadis ...

    la Kaaba.

    20

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    PREMIERE PARTIE

    Le prsent et l Histoire

    STADE

    EPIQUE GUERRIER ET

    TRADITIONS

    Les temps des popes, telles l Iliade et l Odysse, ne sont

    pas les moments propices o les peuples orientent leurs nergies

    sociales vers leurs objectifs ralistes, lointains ou proches,

    mais

    des moments o ils

    dispensent

    ces nergies dans les

    divertissements

    et

    dans la satisfaction des idaux ns de leur

    imaginaire.

    Les

    efforts des hros qui assument un rle dans ces

    popes ne sont que des efforts dploys pour rpondre une

    ambition

    ou

    acqurir une gloire ou, encore, satisfaire un credo.

    Ils ne luttent pas, conscients, que leur victoire est proche

    et que

    la voie du salut de leur socit est claire et dfinie.

    Leur

    gloire

    est plus proche du mythe que de l histoire.

    Si nous interrogeons

    l un d eux

    sur les motivations

    de

    son

    combat, il ne pourra trouver clairement les raisons lies souvent

    aux actes historiques. Il sait que tous ses efforts sont vains

    et

    que,

    seules, ses motivations religieuses et sa dignit humaine, lui ont

    dict le chemin.

    Face l avance colonialiste, le rle des peuples musulmans,

    au cours du XIX sicle

    jusqu au

    premier quart du xx sicle,

    n tait

    qu un

    rle

    simplement

    hroque.

    Par

    dfinition, un tel rle

    n est pas le mieux indiqu pour rsoudre ls problmes qui ont

    prpar le terrain la pntration du colonialisme.

    21

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    es conditions de

    l

    renaissance

    Le drame de chaque peuple est essentiellement celui de sa

    civilisation. Le peuple algrien ne pourra ni comprendre ni

    encore moins rsoudre son problme tant qu'il n'aura pas lev

    sa

    conception au

    ni

    veau

    du

    drame

    humain

    l chelle

    universelle, tant qu'il n'aura pas pntr le mystre qui enfante

    et engloutit les civilisations prsentes, civilisations perdues dans

    la nuit du pass, civilisations futures: ligne lumineuse de

    l'pope humaine, depuis l'aurore des sicles jusqu leur

    consommation

    Chane prestigieuse o les gnrations ont soud, bout bout,

    leurs efforts et leurs contradictions et le rsultat de tout cela: l

    .

    progres incessant.

    Les peuples se relayent: chacun a le jour de sa mission

    marqu l'horloge o sonnent les heures graves de l'histoire.

    L'astre se lve pour les peuples qui se rveillent et se couche

    pour les peuples qui ont sommeil.

    Aurores bnies

    des renaissances. Seuils lumineux des

    civilisatic:1s qui commencent.

    Crpuscules maussades: quand l'astre dcline au couchant

    d'une civilisation

    En 1830, l'heure du crpuscule avait dj sonn depuis

    longtemps en Algrie: ds que cette heure-l sonne, un peuple n'a

    plus d'histoire.

    Les peuples qui dorn1ent n'ont pas d'histoire, mais des

    cauchemars ou des rves ... o passent des figures prestigieuses

    de tyrans ou de hros lgendaires:

    Quand

    le palefroi blanc

    d Abdelkader

    zbra notre horizon

    de sa

    cavalcade

    fantastique, minuit avait dj sonn depuis

    longtemps.

    Et

    la

    silhouette pique

    du hros

    lgendaire

    aussitt s'vanouit ..

    comme

    un

    rve sur

    lequel se

    referme

    le

    sommeil .

    22

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    stade pique

    Puis d autres visions passrent .. Un rve pique se dploya

    dans notre sommeil,

    e ~ p r u n t n t

    sa substance tragique aux

    traditions d un peuple qui a toujours aim le baroud et le

    cheval.

    Il se dploya l surtout o il y avait encore de l espace libre et

    des coursiers de sang: chez les tribus.

    Le lien tribal demeurait, en effet, dans une socit dissoute, le

    seul lien encore solide, pour unir quelques hommes dans un

    semblant de mission.

    Tout le sens de l histoire est, en effet, dans cette alternative:

    mtss1on ou soum1ss1on.

    Seuls les guerriers des tribus pouvaient encore marquer de

    leurs prouesses ce stade de la rsistance algrienne .

    En

    Afrique du Nord, Abdelkrim a clos cette re de la tribu

    arabo-berbre. Dans cette lutte hroque, le guerrier bdouin

    n avait pas son instinct de conservation dans sa peau arabo

    herhre, mais dans son me musulmane.

    Il ne luttait pas pour vivre, mais pour survivre. Et il a survcu

    grce cette me qui l a constamment soutenu au-dessus de

    l abme o se sont engouffrs d autres peuples qui n avaient pas

    leur destin accroch une pareille force ascensionnelle. Que sont

    devenues, en effet, les tribus hroques de

    l Amrique

    prcolombienne? Aujourd hui, un linceul de lgende recouvre

    jamais leur destin rvolu.

    Et leur pope malheureuse souligne tragiquement ce que les

    peuples musulmans doivent en l occurrence l Islam, leur sauveur.

    Mais l Astre idal poursuivait sa ronde fatidique et ce fut

    bientt l aurore, l horizon o chante le muezzin, chaque matin,

    en appelant au salut.

    Son appel retentit sur les monts lointains d Afghanistan et

    descendit dans la plaine o gisait endorn1i le monde musulman.

    3

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    es conditions de

    l

    renaissance

    La voix du lointain muezzin se rpercuta de part en part aux

    horizons de l Islam: O peuples, venez au salut. C tait Djamal

    Eddine El-Afghani qui annonait, du haut des montagnes, le our

    nouveau de la civilisation.

    24

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    STADE

    POLITIQUE ET I EE

    a parole est divine

    Elle cre,

    pour

    une grande part, le phnomne social, grce

    sa puissance irrsistible sur l ho1nme. Elle creuse dans son me

    le sillon profond o

    lve la moisson de l histoire.

    La voix humaine a toujours engendr les temptes qui ont

    chang la face du monde.

    La

    voix de Djamal Eddine avait dpos dans la conscience encore

    assoupie des peuples de l Islam une simple ide: celle du rveil.

    Elle est vite devenue une ide force, une force transfor1natrice

    et cratrice de nouvelles conditions d existence pour les peuples

    . musulmans.

    Ils se mirent rejeter, l un aprs l autre, les oripeaux du

    sommeil, le tarbouch et le narguil; l amulette et la zerda

    disparaissaient peu peu de notre folklore

    et

    de notre mentalit.

    Le

    rayonnement de cette force parvenait en Algrie, en mme

    temps que le monde sortait de la grande tragdie de 1914-1918.

    Jusque-l, le dra1ne algrien tait demeur muet co ru e une

    scne ptrifie. Il tait le secret de l me chez certains et le

    secret d Etat chez d autres. C tait le silence. C est vers 1925

    seulement que l ide venue de loin vient animer le problme

    algrien

    en

    lui apportant la parole.

    Ceux qui ont leurs vingt ans, vers cette poque, ont pu couter

    les premiers bgaiements de leur propre conscience. C est vers cette

    25

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    es conditions de la renaissance

    poque qu il faut situer la naissance en Algrie du sens collectif

    partir duquel co1nmencent l histoire et la mission d un peuple.

    Avant cette date, on vivait en Algrie et on y parlait au

    singulier. Ce n tait pas de l histoire, mais de la lgende: la

    lgende d une tribu ou la lgende d un hros. Ce n tait parfois

    qu un soliloque: la voix d une conscience se parlant elle-mme,

    sans tirer du sommeil les autres consciences. On entendait ainsi,

    a

    et l, de pareils soliloques.

    Le plus insolite fut celui du Cheikh Salah Mohanna qui faillit

    rveiller tout Constantine vers 1898.

    Le vnrable vieillard fut le prcurseur de l Islahisme en

    .;; attaquant le premier l hydre maraboutiqur. Mais

    l administration veillait ne pas laisser troubler la quitude des

    gens par les importuns qui parlent haute voix, dans la nuit o

    rgne le sommeil.

    La

    prcieuse et riche bibliothque du Cheikh fut saisie et on

    dispersa les animateurs de la premire polmique islahiste: le

    Cheikh Abdelkader El-Madjawi, notamment, fut dplac de la

    mdersa de Constantine celle d Alger.

    Ce n tait

    qu une

    rixe nocturne et les dor1neurs, troubls un

    instant, ronflrent de nouveau. Cependant, l aurore invincible

    glissait, entre les toiles de l Orient, son obscure clart et, de

    cime

    en cime,

    venait

    dissiper

    les tnbres de

    l horizon

    algrien. .

    En 1922, les premires voix marqurent la naissance du jour

    nouveau et le retour la vie. C tait un cho lointain, la voix de

    Djamal Eddine.

    Le

    miracle perptuel des renaissances jaillissait

    de la parole de Ben Badis.

    C tait l heure du rveil et le peuple algrien, encore engourdi;

    remue. Il tait beau et touchant ce rveil frmissant d un peuple

    qui avait les yeux encore pleins de sommeil.

    26

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    st de politique

    t

    ide

    Les soliloques firent place aux discours, aux entretiens, aux

    discussions, aux polmiques. Le sens collectif se rveillait: ce

    n tait plus,

    et

    l, un

    homme

    qui monologuait, mais un peuple

    qui parlait.

    - Pourquoi avons-nous

    i

    longtemps dor1ni?

    - Sommes-not1s bien rveills?

    - Que faut-il faire aujourd hui?

    On

    posait ces questions co1rune des gens qui se rveillaient un

    peu tonns, un peu engourdis du so1runeil qu ils voulaient dissiper.

    L administration voulait douter encore de

    ce

    rveil. Il est

    intressant de noter combien tait lente son adaptation: prs de

    10

    ans aprs, vers

    1933,

    le prfet d Alger, rdigeant la fameuse

    circulaire qui interdisait les mosques aux Oulmas islahistes,

    parlait encore du peuple apathique de l Algrie.

    Cet engourdissement de l administration algrienne, comme un

    vieil organe qui ne peut plus s adapter aisment au milieu, doit tre

    not

    co1111ne

    la cause essentielle du malaise. Cependant, le milieu

    tait, lui, dsormais bien vivant, plein de tous les bouillonnements,

    de toutes les fer111entations, de toutes les nergies.

    Les ides fusaient, se croisaient, s entrechoquaient. Elles

    crevaient parfois

    comme

    des bulles d air la surface d une

    bouilloire. D autres fois, elles se sublimaient, changeaient d tat,

    devenaient des actions, des choses concrtes: une mdersa, une

    mosquee, une uvre.

    Le kmalisme,

    le wahhabisme, l europanisme,

    le

    matrialisme se prsentaient comme autant de voies la

    conscience algrienne. On arborait ici un kalpak pour s afficher

    partisan du programme social kmaliste: mancipation de la

    fe11rme, enseignement laque, code civil ...

    La

    imma islahiste tait un autre programme: dvotion,

    retour au salat , puration des murs, transfo11nation de soi-

    A

    meme avant tout.

    27

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    es conditions e la renaissance

    Mais d une manire gnrale, toutes les tendances

    convergeaient en un point: la volont de bouger, de changer, de

    quitter la zaoua pour l cole, le bistrot pour quelque chose de

    plus pieux ou de plus utile.

    Cependant, plus consquent et plus profond, l islahisme

    forrnule clairement le principe doctrinal:

    Dieu ne change rien

    l tat d un pfupl que celui-ci n ait d abord chang son tat

    d me. (Coran).

    Il faut se renouveler: ce fut d abord le leitmotiv et la devise de

    toute l cole islahiste issue de Badis. Les congrs des Oulmas

    indiqueront les bases de ce renouvellement ncessaire la

    renaissance.

    Il faut reprcher l Islam aux musulmans: il faut abandonner

    les innovations pernicieuses, les idoles, il faut s instruire, il faut

    agir, il faut

    reprendre

    la

    communaut

    musulmane.

    Raisonnement juste, qui implique l art d enfanter une

    civilisation

    comme

    un phnomne social

    partir de conditions

    toujours identiques.

    Tout cela tait dit avec conviction, dans une langue lyrique,

    avec force citations coraniques et d mouvantes vocations de la

    civilisation musulmane

    Le peuple religieux est mlomane.

    Mais l avenir est un but lointain, il faut des voies nettes et des

    vocations puissantes pour y parvenir.

    Les mots devaient jalonner ces voies et contenir le ferrnent

    bni de ces vocations

    Mais les mots, quoique sublimes, de l islahisme algrien ont,

    parfois, malheureusement, dvi de leur objectif pour des raisons

    antidoctrinales. On tait encore engourdi de sornmeil pour tendre

    l attention et l effort invariablement. Il y eut des carts, des

    inconsquences.

    La

    sagesse cda le pas l opportunisme politique.

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    st de politique

    t

    ide

    Quoi qu il en soit, malgr certaines carences, malgr un certain

    empirisme dans la pense, les Oulmas ont t les infatigables

    pionniers de la vritable renaissance musulmane et sa force vive.

    Mais en matire sociale, n est-ce pas l la matire essentielle

    de l islahisme? L empirisme peut devenir de l opportunisme

    dangereux, surtout aux poques cruciales, quand chaque faux pas

    peut tre mortel.

    Or

    pour l empirisn1e il n y a pas de voies

    doctrinales traces, mais des sentiers capricieux o l on peut

    trbucher chaque pas.

    N est-ce pas l la raison pour laquelle les Oulmas ont suivi le

    sillage fatal d une caravane politique, en 1936?

    Qu taient-ils alls chercher Paris? L me algrienne qui est

    la clef du problme tait-elle l-bas?

    Et qu en ont-ils rapport?

    a

    mort du congrs et la scission de leur association.

    L lectoralisme qui devait tre dirig tait devenu dirigeant.

    Le mouvement algrien se renversa, marcha les pieds en l air et

    la tte en bas.

    Le sens de l lvation tait, dso11nais, dirig vers le bas.

    1939, c est le fate atteint par l islahisme, le fate marqu par

    la naissance et la mort du Congrs algrien. C est de ce fate

    qu on est descendu, l heure o vers le lointain horizon

    s accumulait l orage de 1939.

    L orage est pass sur un dclin momentan de la renaissance

    algrienne t une clipse de l ide.*

    Dans cet expos doctrinal, nous n avons pas jug ncessaire de parler du

    noble Emir Khaled, ce chevalier de la lgende algrienne qui, par mgarde,

    s tait trouv dans une . Ici, nous

    ne faisons que l histoire des ides.

    29

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    es conditions de

    l

    renaissance

    L islah tient entre ses mains le sort de la renaissance

    algrienne, en mettant son service les ressources de l me

    musulmane tire de sa torpeur.

    Triomphe de l ide, qui connut son apothose dans le congrs

    musulman en 1936. Etait-il dfinitif?

    Il et fallu pour cela que les Oulmas n eussent pas un

    complexe d infriorit vis--vis de leurs protecteurs, les

    intellectomanes politiciens.

    Qu ils ne fussent pas disposs accepter le retour de l esprit

    de zaoua mme dguis sous l tiquette politique avec des iaoles

    pares de noms nouveaux.

    Il et fallu que l amulette combattue ne ft pas rhabilite

    sous

    le nom de bulletin de vote; que le miracle des urnes n abust

    pas ceux qu avaient abuss les faux miracles, que la zerda

    maraboutique ne ft pas restaure sous

    forme

    de zerda politique

    laquelle l Algrie sacrifie priodiquement, sous le nom

    d lection.

    Enfin il et fallu, d une manire gnrale, que notre

    engouement pour le merveilleux puril qui a fait clore les Mille

    et une Nuits ce chef-d uvre de notre dcadence, ne ft pas

    entretenu dans notre climat moral et

    social-

    sous un nom ou sous

    un autre. C est--dire qu il et fallu fermer notre me la porte

    une nouvelle vasion dans la lgende, la lgende politique

    notamment, pour demeurer bien en face des ralits terrestres qui

    nous sollicitent chaque instant avec toute notre lucidit et tous

    nos moyens matriels.

    Pour tout cela, il et fallu que I lslah demeurt au-dessus du

    bourbier politique et de la mle lectorale, au-dessus du tournoi

    des idoles.

    Hlas, les Oulmas ont eu un rflexe malheureux en 1936,

    lorsqu ils s en allrent, eux aussi, faire Paris, procession

    derrire les ho1runes politiques.

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    stade de l idole

    Ils ont t gagns par le vertige de la hauteur: ils sont tombs

    dans la rue, dans le bourbier ou leur blanche tunique a reu,

    depuis, tant d claboussures. Mais l ide est descendue avec eux:

    l Islah trana le pied dans le ruisseau o coulait le champagne des

    festins lectoraux mls parfois au sang d une victoire de ceux qui

    voulaient l clabousser de quelques gouttes de sang pur vers pour

    des causes impures. Sans doute, de toutes les fautes corrunises

    depuis 1925, celles des Oulmas est-elle la plus dplorable, tout

    en tant d ailleurs la plus honorable, car leur souci de bien faire et

    leur dsintressement ne sont jamais dmentis.

    D ailleurs, c est l treinte administrative qui est la cause de leur pas

    funeste vers le miracle politique promis, alors, par le front populaire.

    Cependant le miracle n tait-il pas plus haut?

    N a-t-il pas sa source l o l indique le Coran: dans l me elle

    mme?

    n 1936, il y avait dix ans que les Oulmas opraient,

    en

    effet,

    la transformation de l me,

    condition

    essentielle de toute

    transformation sociale. L administration n est pas autre chose

    qu un organe social qui s adapte comme tel son milieu .. Si

    celui-ci est indigne.

    Dans un milieu colonisable, il n est pas possible de voir autre

    chose qu une administration colonialiste.

    La

    colonisation n est pas un caprice politique, quoiqu elle puisse

    parai tre, cela c est une fatalit de l histoire. On ne cesse d tre

    colonis qu en cessant d tre colonisable, c est une loi immuable.

    Et ce grave problme ne peut pas se rsoudre par de simples

    aphorismes, n

    par des tirades plus ou moins grossires, mais par de

    profondes transfo11nations de notre tre: chacun devant tre radapt,

    peu peu, ses fonctions sociales et sa dignit spirituelle.

    Seulement alors, il ne sera plus l indigne

    et

    ne sera plus

    colonisable,

    car

    ayant modifi en lui-mme la cellule du milieu

    33

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    stade de l idole

    t ~ v n t la devise du no-maraboutisme savoir les droits rie se

    i ;}Jonnent pas, m is s arrachent .

    . -

    . On

    oublia que le droit n'est ni un cadeau qui se donne ni une

    proie qui s'arrache, mais le simple corollaire du devoir; qu'un

    peuple cre sa charte, en modifiant son milieu social li au

    comportement de son me. ''

    Loi sublime: transforme ton me et tu transfo11nes ton

    histoire.

    La renaissance algrienne avait ce contenu sublime tant que

    l'ide de l'Islah visait essentiellement rgn1er l'homme.

    En

    effet, l'essor splendide de la conscience populaire avant 1936,

    avec cette ha11nonie, cette continuit, cet enthousiasme dont le

    couronnement fut le congrs musulman, n'est pas autre chose

    que l'pope de l'ide islahiste.

    Durant tout cet ge d'or qui va de 1925 jusqu la mort du

    Congrs, on avait l'impression de ienatre, on renaissait: c'est la

    renaissance

    Ce mot

    tait sur tot1tes les lvres comrne le cri

    de

    ralliement d'une gn1ation. D une poque qui nous semble

    dj lointaine alors que nous-mmes avons \'cu sous son

    . signe.

    Le peuple algrien recommenait son histoire avec quelques

    mots de syntaxe arabe et quelques versets du Coran.

    Les

    premires mdersas apparurent humbles comme les premires

    coles de Charlemagne.

    On parlait avec une grande gaucherie, mais aussi un grand

    srieux des problmes sociaux, des graves devoirs; l'instructio11,

    l'ducation, la rforme des usages, l'avenir

    de

    la femme,

    l'utilisation des capitaux.

    Et en tout cela, les dbats n'taient pas striles, car ils

    n'avaient rien de dmagogique, rien de spectaculaire, rien de

    personnel, rien d'lectoral.

    35

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    37/178

    es conditions de la renaissance

    Les plus humbles gestes, le plus modeste mot avaient,

    l poque, leur porte pratique comme la brindille de paille que

    l oiseau apporte pour la confection de son nid, la naissance du

    printemps. Les premiers essais des lettres algriennes, aprs leur

    longue clipse, furent d ailleurs pour clbrer, en pomes nafs et

    charmants, le printemps de la nahdha, le printemps d une ide.

    La seule anthologie algrienne date de cette poque.*

    Dans les coles, dans les mosques, mme dans les familles,

    l ide suscitait des partisans et des adversaires galement de

    bonne foi.

    On tait militant de la renaissance d une manire ou d une autre,

    mais on tait militant quand mme et non un fonctionnaire politique.

    L Algrie faisait des sacrifices, mais pour des mdersas et des

    mosques, pour le double essor intellectuel et spirituel qui

    marque, dans un pays, les deux ples de la civilisation.

    Et on avait l me lgre malgr les difficults quotidiennes,

    car les sacrifices portaient

    en

    eux leur rcompense: la certitude

    qu ils SP,rvaient quelque chose de grand. On vivait dans

    l enthousiasme propice aux miracles, aux transformations des

    murs, des ides, des orientations et des choses.

    A Tbessa o une coutume immmoriale fait le lit des

    mariages et des enterrements, des manifestations barbares et

    burlesques, l islah rendit nos pousailles

    et

    nos cortges

    funraires un peu plus de dignit.

    Or pour un peuple, c est l heure du dpart dans l histoire, quand

    l

    se sent oblig plus de dignit dans chaque dtail de sa vie publique

    et prive, mme dans le choix des couleurs de ses oripeaux.

    D ailleurs l alcoolisme rgressait, et dj

    en

    1927, les

    1na1chands de poison faisaient une intempestive dmarche pour

    aiTter la dsintoxication afin de rcuprer une clientle, de jour

    en

    jour plus rare.

    Anthologie des potes algriens, publie en 1927 par Hadi Senoussi.

    36

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    38/178

    stade de l idole

    En revanche, les mosques se peuplaient des ci-devant ivrognes et

    des cours du soir taient frquents par le public libr des zaouas.

    La transformation tait en marche, un rythme de vie

    commenait, inquitant pas mal ceux dont les ressources et les

    possibilits dpendaient de notre sommeil. Le peuple algrien,

    nanmoins, changeait rellement sa condition

    en

    considrant la

    racine mme, en son me,

    le

    mal du sommeil dont il tait afflig

    depuis de longs sicles.

    Ainsi, le miracle s'oprait quand survint l'anne funeste de

    1936.

    La transformation, la renaissance s'arrtrent net

    t

    s'vanouirent dans le mirage politique.

    On ne parla plus de nos ''devoirs'', mais de nos ''droits'', on ne

    pensa plus que le problme n'tait pas essentiellement dans nos

    besoins, plus ou moins lgitimes, mais dans nos habitudes, dans

    nos

    penses, dans l los actes, dans notre optique sociale, dans

    notre esthtique, dans notre thique, dans toutes ses dchances

    qui

    frappent

    un

    peuple qui dort.

    Au lieu de demeurer

    le

    chantier de nos humbles et efficaces

    efforts de redressement, au lieu de demeurer l'espace de nos devoirs

    rdempteurs, l'Algrie devint,

    partir

    de

    1936, l forum, la foire

    politique

    o chaque guridon de caf maure devint

    une

    tribune .

    On but du th, on couta

    le

    disque gyptien et on rclama ''nos

    droits'' plus sduisants, tout

    de

    mme, que nos devoirs, puisqu'il

    ne s'agit plus que de taire quelques discours emphatiques ou

    quelques grimoires plus ou moins plagis.

    Le peuple devint un auditoire

    qui

    applaudissait, un troupeau

    lectoral qui allait ponctuellement aux urnes, une caravane aveugle

    dvie de sa voie et allant au hasard, dans le sillage des lus.

    Quelle escroquerie Et qui dure depuis douze ans; car

    si

    l'idole

    est phmre parce qu'elle est inefficace, c'est nanmoins une

    chrysalide qui se renouvelle sous toutes fo11nes dans

    le

    climat

    idal o a mri le maraboutisme gnrateur d'idoles.

    7

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    39/178

    /

    es conditions de

    l

    renaissance

    Cela signifie que nous n'tions pas encore guris en 1936,

    puisque la zaoua politique a pu tre difie sur les ruines de la

    zaoua maraboutique. Cela signifie que notre me n'avait pas

    encore rompu le cercle magique qui l'enferme depuis la

    dcadence musulmane.

    Ainsi, l'idole nous sduisait encore et sduisait mme ceux

    qui l'avaient dtruite, dans sa forme maraboutique .

    . L'ide est presque exile, depuis

    1936

    la parole est encore l'idole

    dans

    le farum algrien o

    le

    trteau est dress pour amuser

    le

    peuple

    et le

    tenir

    loin du

    chantier de

    ses

    devoirs,

    loin du

    sillon

    de son

    histoire.

    Le virus politiqt1e a succd au virus maraboutique, le peuple,

    qui voulait des amulettes et des saintes barakas, veut

    prsent

    des bulletins de vote et des siges.

    Il

    veut ceci dans le mme

    esprit qu'il voulait cela, avec le mme fanatisme, sans le moindre

    sens critique, sans le moindre effort de transformation de son

    me et de son milieu.

    Le peuple, qui a cru l'avion vert d'un lu, croit aujourd'hui

    au coup de bton magique qui le transfo11ne en peuple majeur,

    avec son ignorance, ses lacunes de toutes sortes, ses

    insuffisances et sa suffisance.

    Il a quelques mois, dans une manifestation estudiantine, un

    . jeune intellectuel algrien s'poumona crier, cependant, que

    certains l'applaudissaient:

    Nous voulons nos droits mme avec

    notre crasse et notre ignorance.

    Hlas rien n'est pire que l'ignorance quand elle se farde de

    science et prend la parole. L'ignorance tout court, l'ignorance du

    peuple est moins dangereuse: comme une plaie franche, on peut

    la gurir. Mais l'ignorance savante est intelligente, elle est sourde

    et prtentieuse comme chez ce ''jeune penseur'' qui croit aux

    droits dans l'ignorance et dans la crasse.

    Ds lors, avec une pareille mentalit, c'tait la marche en

    arrire, le retour la nuit, la dispersion des efforts et si

    8

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    stade de l idole

    ncessaire, la zerda de l lite tait, en so1ru11e une inauguration

    dont la direction des affaires indignes a tir tout le profit en

    tuant le Congrs, en dissociant les Oulmas, en sapant la base

    doctrinale du

    mouvement

    algrien. Celui-ci n avait

    plus

    dsormais sa tte une ide, l Islah, mais des idoles. Ce qui

    importe, ce n est pas telle forme, mais tel fond. Ce n est pas tant

    la dvotion pour la kouba, mais la dvotion aveugle quelle

    qu elle soit. e n est pas le maraboutisme, mais l esprit

    maraboutique avec sa crdulit et sa purilit merveilles; ce

    n est pas le

    nom

    d une idole, mais l emprise de l idoltrie, c est

    notre inclination la magie des mots, au miracle des droits dans

    la crasse et l ignorance, dans l anarchie morale et la perversion

    des murs, avec des enfants sans vocation et sans profession.

    C est notre mentalit qui est le fond de la question. ,

    Et

    aujourd hui, on marche encore les pieds en haut et la tte

    en bas.

    C est

    ce

    renversement qui est l aspect nouveau du problme de

    la renaissance algrienne.

    39

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    DEUXIEME PARTIE

    L aveair

    POLOGUE

    Quand dam

    coupable descendit sur terre, il n apportait que

    la feuille de vigne qui couvrait sa nudit et le remords qui

    rongeait son ame.

    Quand

    les btes et les lments le virent ainsi apparatre, ils

    ricanrent de son dnuement.

    dam

    ressentit le froid, la faim, la peur. Il alla se rfugier dans

    une caverne obscure pour mditer sur sa pauvret et son ,isole-

    ment, dans une nature hostile, qu il connaissait peine ..

    Il envia le sort de l oiseau dans le ciel et celui du poisson dans l eau.

    Le

    remords mordit plus fort son me attendrie

    sur

    son pauvre

    sort.

    Il pria

    humblement et

    implora le Ciel.

    Et le Ciel lui rpondit:

    Je t ai donn ton gnie et ta main, Je t ai donn le sol et le

    temps. Vas ... , tu dompteras l espace

    comme

    l oiseau qui vole

    et

    tu

    vaincras le flot comme le poisson qui nage.

    dam sourit ..

    Et

    l Astre idal claira son obscure caverne et son brillant destin.

    4

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    DE L ENTASSEMENT A LA CONSTRUCTION

    Le monde musulman est demeur longtemps en marge de

    ) histoire, voluant sans but ou, l image du malade impuissant,

    rsign face la maladie, perdit le sentiment de la douleur,

    devenue une partie de lui-mme.

    Juste avant l avnement du XXe sicle,

    il

    entendit quelqu un

    lui rappeler sa maladie et un autre lui voquer la sollicitude

    divine parvenue jusqu son oreiller. Il n a pas tard se rveiller

    de son profond sommeil et sentir l effet de la douleur. Avec ce

    rveil apathique, une nouvelle re commena pour le monde

    musulman, une re appele

    Renaissance

    Mais que signifie ce

    rvei ? Il est ncessaire de garder l esprit la maladie dans son

    acception mdicale pour qu on ait une ide juste sur le cas.

    Evoquer une maladie ou l prouver ne veut pas dire, en toute

    vidence, remde .

    Le point de dpart, ce sont les cinquante dernires annes*.

    Elles nous expliquent la situation prsente dans laquelle volue

    le Monde musulman, une situation qui peut tre interprte de

    deux faons antinomiques.

    D une part, le rsultat probant des efforts fournis tout au long

    d un demi-sicle au service de la Renaissance.

    De l autre, le rsultat dcevant d une volution qui a pris

    toute cette poque, alors que les jugements ne se sont gure

    accords pour dfinir ses objectifs et ses tendances.

    Bennabi parle, ici, de la priode 1900 - 1950 (N.d.T)

    43

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    es conditionsde

    l

    renaissance

    Il est possible d examiner les annales de cette tape. Elle est

    f

    oumie

    en documents, tudes, articles

    de

    presse et congrs sur le

    thme de la Renaissance. Ces tudes se penchent sur le

    colonialisme et

    l analphabtisme

    par-ci, la

    pauvret

    et

    le

    dnuement

    par-l,

    l absence de l organisation

    et

    des

    dsquilibres de l conomie et

    de

    la politique, en

    d autres

    occasions.

    Une

    analyse mthodique du cas lui fait, cependant,

    dfaut.

    Je

    parle ici d une tude pathologique de la socit

    musulmane et qui ne laisse pas de place au doute sur la maladie

    qui la ronge depuis des sicles.

    Nous notons dans les documents que chaque rfo11nateur dcrit

    la situation suivant une opinion, une humeur ou une profession.

    De

    l avis de l ho1nme politique, comme celui de Djamal Eddine El

    Af

    ghani, le problme est d ordre politique et se rgle par des moyens

    politiques, alors que, de l avis

    d un

    religieux comme Cheikh

    Mohamed Abduh, le problme ne sera rsolu

    qu en

    rformant le

    dogme et le prche Alors qu en fait, ces deux diagnostics

    n abordent pas la maladie, mais attaquent ses symptmes.

    Il en rsulte que, depuis cinquante ans, ils ne soignent pas le mal

    mais les symptmes.

    Le

    rsultat tait proche de celui d un mdecin

    qui, faisant face au cas d un patient atteint de tuberculose, s attaque

    non pas aux agents pathognes chez le patient, mais sa fivre.

    Voil cinquante ans que le malade, lui-mme, veut se remettre

    de nombreuses douleurs: colonialisme, analphabtisme, apathie ...

    Il ne connat pas la nature de sa maladie

    et

    n essaye pas de la

    connatre. Tout ce qu il y a,

    c est qu il

    sent des douleurs, accourt

    chez le pha11nacien,

    n importe

    quel pharmacien, pour acqurir

    des milliers de remdes afin

    de

    calmer des milliers de douleurs.

    En ralit, il n y a que deux voies

    pou1

    mettre fin

    ce

    cas

    pathologique: mettre fin la maladie

    ou

    en finir avec le malade.

    Il nous revient de nous demander, cet instant, si le malade

    qui est entr la pha11nacie connat exactement sa maladie: est-

    44

    i

    \

    -

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    46/178

    de l entassement

    l

    construction

    1:

    ' ' i '

    . ~ { : il parti chez le pharmacien par le pur hasard pour en finir avec le

    l ''

    :tl:l:mal ou avec lui-mme?

    ''' ,

    \_\I .

    I ~ ~ C est le cas du monde musulman: il est parti solliciter auprs

    ),: de

    la pharmacie de la civilisation occidentale un rtablissement,

    mais de quelle maladie? Et par les vertus de quelle thrapie?

    ' 1

    i

    Il est vident, aussi, que nous n avons aucune ide sur la dure

    , que va prendre ce remde. Mais un cas qui dure, ainsi, devant nos

    \ yeux, depuis un demi-sicle, revt une porte sociale qui doit

    susciter rflexion et analyse. Au moment o nous procdons

    cette analyse, nous pouvons comprendre la signification relle de

    cette poque historique dans laquelle nous vivons et nous pouvons

    concevoir l adaptation qu il lui faut .

    Nous pouvons dsigner cette tape comme une tape de pr-

    civilisation ou, en ter1nes scolastiques, une tape de prodromes

    . dans laquelle le monde musulman a orient ses efforts sociaux

    pour acqurir une civilisation.

    Il

    a implicitement dcid, ainsi, que cette direction prsente

    exactement le remde pour sa maladie. Nous adhrons

    cette

    dmarche.

    Nanmoins, en procdant ainsi, nous voulons dtermine1

    implicitement la maladie. Et

    comment

    laisser ensuite le soin au

    hasard de dcider de la thrapie suivre?

    Le Monde musulman

    prend

    un comprim contre

    l analphabtisme par-ci, un cachet contre le colonialisme pa1-l,

    un mdicament pour le soulager de la pauvret, l-bas. Il const1uit

    une cole ici, revendique son indpendance, l-bas, construit une

    usine dans un autre endroit.

    A

    l examen

    attentif de son tat cependant, nous ne relevons

    pas le moindre indice de la gurison.

    En d autres

    termes, nous ne

    trouvons pas de civilisation. Il n empche, toutefois, que de

    louables efforts sont entrepris dans le monde musulman travers

    lesquels, nous en remarquons la modestie, compars ceux du

    45

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    47/178

    es conditionsde l renaissance

    Japon, il y a cinquante ans ou les de la Chine, dploys depuis

    dix ans. Il y a en effet, quelque chose d trange dans le cas que

    nous avons auscult. Cela nous incite chercher comprendre sa

    dmarche et son mcanisme. Il faut connatre, pour ce faire, le

    critre gnral du processus de la civilisation, afin de jeter un

    clairage sur la relative passivit et l absence d efficacit dans

    les efforts de la socit musulmane. Le critre gnral dans

    l opration de la civilisation est que c est la civilisation qui

    engendre ses produits .

    Il serait forcment aberrant et drisoire d inverser cette rgle

    et de prtendre btir une civilisation

    partir de ses produits.

    A cela s adjoint le fait que la rgle en sociologie

    n est

    pas -

    comparativement la rgle mathmatique - une ligne de

    dmarcation stricte entre le droit et l injustice, entre le faux et le

    vrai. C est une simple orientation gnrale par laquelle on peut

    viter des garements. Il ne peut y avoir de dlimitation nette

    entre une civilisation en cours de

    fo1n1ation

    et une civilisation

    qui s est effectivement constitue. Nous vivons, au XXe sicle,

    dans un monde o le prolongement de la civilisation occidentale

    se manifeste comme une loi historique de notre poque. En face

    de moi, l intrieur de la chambre o je rdige maintenant, tout

    est occidental,

    ho11nis

    une infime partie. Il est infructueux ainsi

    de mettre un rideau de fer dlimitant la civilisation que le Monde

    musulman tente de btir et la civilisation occidentale.

    Cette donne met en relief le problme dans son ensemble. Il

    n est

    pas ncessaire, pour btir une civilisation, d acqurir tous

    les produits

    d une

    autre civilisation. Une telle approche inversera

    le problme pos prcdemment. Elle dbouchera, en fin de

    compte, sur une opration impossible d un double point de vue

    quantitatif et qualitatif.

    D un point e vue quantitatif: l impossibilit procde de la

    ralit qu aucune civilisation ne peut vendre

    d un

    seul coup tous

    ses produits et les principes qui ont permis leur matrialisation.

    46

    .,, ,

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    48/178

    de l entassement l construction

    En recourant la ter1ninologie biologique, nous aboutissons

    au fait que la civilisation est un ensemble de relations entre

    le

    f

    domaine biologique, relatif la naissance de son ossature et son

    l affermissement,

    d un

    ct, et le domaine intellectuel relatif la

    naissance de son me et son dveloppement, de l autre.

    { Lorsque nous achetons ses produits, la civilisation nous offre sa

    i configuration et son corps, mais jamais son me.

    D un point e vue quantitatif: l impossibilit ne sera pas

    moindre. Il

    n est

    pas possible d imaginer ce grand nombre de

    choses que nous achetons, ni de trouver les fonds pour les payer.

    Si on admet la possibilit d agir ainsi cela conduira

    inexorablement une double impossibilit. Nous arriverons ce

    que j appelle la civilisation chosiste . Ce qui abouti, enoutre,

    l entassement de ces produits de la civilisation. Il est clair

    que le monde musulman s affaire depuis un demi-sicle runir

    des tas de produits de la civilisation, plus

    qu il

    n uvre btir

    une civilisation; une telle opration aboutira tacitement un

    rsultat quelconque, en vertu de ce

    qu on

    appelle la loi des

    grands nombres, c est--dire la loi du hasard. Un no ne tas de

    produits toujours en constante croissance peut raliser long

    tern e

    et involontairement une situation de civilisation . Mais

    nous constatons la grande diffrence entre cette situation

    civilisationnelle et une exprience planifie comme celle

    engage par la Russie depuis quarante ans et la Chine depuis dix

    ans. Cette exprience dmontre que la ralit sociale est soumise

    une certaine mthode technique qui lui applique les lois de la

    47

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    49/178

    es conditionsde la renaissance

    chimie biologique et de la dynamique spciale , aussi bien

    dans sa

    fo1111ation

    que dans son dveloppement.

    On sait que l opration de la dsintgration naturelle de

    l uranium ne peut tre intgre dans la mesure du temps de

    l homme

    puisqu une certaine quantit de cette matire,

    supposons un gramme, se dsintgre en moiti naturellement au

    cours de quatre milliards et quatre cents millions d annes.

    L usine de traitement chimique est a1rive effectuer cette

    opration technique en quelques secondes.

    Par analogie, nous notons que les facteurs d acclration du

    mouvement naturel co11rmencent jouer pleinement leur rle

    dans les tudes sociales, comme l indique l indlbile exprience

    japonaise. Ainsi, de 1868 1905, le Japon est pass

    d une

    re du

    moyen ge - la priode que

    j ai

    appele la pr-civilisation -

    la civilisation moderne.

    Le

    monde musulman veut franchir la

    mme tape. Il veut, en d autres

    te11nes

    accomplir la mission de

    catalyser la civilisation dans une dure dte11nine. Aussi, lui

    faut-il puiser chez le chimiste sa mthode. Il dcompose, en

    premier lieu, les produits qu il veut soumettre aux analyses. Si

    l on emprunte, ici, cette voie, on admet de l que la fo1mule

    analytique suivante est applicable

    sur

    tout produit de la

    civilisation: Produit de la civilisation: Homme + Sol + Temps.

    Par exemple, dans le cas de l ampoule o l homme est derrire

    l opration scientifique et industrielle dont elle est le produit, le sol

    s insre dans ses lments co1rune conducteur et neutre et

    il

    *Nous avons sciemment vit d utiliser, dans cette quation, le terme .

    Nous lui avons prfr le vocable de Le but de ce choix est de lever toute

    quivoque qui peut natre du mot . Dans son sens thique, il est oppos au

    terme . Dans le domaine de la science, le mot s oppose . Pris

    dans

    sa

    porte philosophique, il dsigne

    l oppos

    d

    A l inverse, le terme

    n a

    connu que peu d extension.

    II

    a gard, tymologiquement, une simplicit qui

    le qualifie pour dsigner avec plus de prcision ce sujet social. Nanmoins, ce terme

    inclut, ici, avec cette simplicit, une expression juridique relative la lgislation des

    terrains dans n importe quel pays et une fo1me technique lie aux mthodes de son

    utilisation. Ces deux expressions expriment le problme du sol.

    48

    :

    .,

    :

    i

    .

    ::

    .,

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    50/178

    de l entassement

    l

    construction

    intervient grce son lment initial dans la naissance organique

    de l ho1rune. Le temps apparat dans toutes les oprations

    biologiques et technologiques, il produit la lampe avec le concours

    :

    \

    des deux premiers facteurs:

    l Homme

    et le Sol, en l occurrence.

    .

    i

    La fo11nule est valable pour tout produit de la civilisation. En

    examinant ces produits, selon la mthode de l addition utilise

    en arithmtique, nous aboutissons ncessairement trois

    colonnes relation fonctionnelle:

    Civilisation= Homme

    Sol

    Temps.

    Sous cet aspect, la fo11nule indique que le problme de la

    civilisation se dcompose en trois problmes prliminaires:

    problme

    de l hollllne, problme du sol et problme du temps. Ce

    n est pas en entassant les produits d une civilisation qu on peut

    btir une civilisation, mais en rglant ces trois problmes dans

    leur fondement. Il n empche que cette for1nule soulve lors de

    son application une opposition d i1nportance:

    si

    la civilisation,

    dans son ensemble, est le produit de

    l Homme,

    du

    Sol

    et du

    Temps,

    pourquoi cette synthse n intervient pas spontanment l

    o ces trois facteurs sont disponibles? C est un tonnement que

    dissipe notre rapprochement avec l analyse chimique.

    L eau, en ralit, est le produit de l hydrogne et de l oxygne

    runis. Malgr cela, ces deux constituants ne la crent pas

    spontanment. Il est dit que la composition de

    l eau

    est soumise

    une certaine loi qui ncessite l intervention d un catalyseur ,

    sans

    quoi

    l opration de l eau ne peut s effectuer.

    Analogiquement, nous pouvons dire: il existe ce qu on peut

    appeler le catalyseur de la civilisation , c est--dire

    l lment

    qui influe sur la combinaison des trois facteurs. Comme

    l indique l analyse historique qui sera aborde en dtail, cette

    synthse existe effectivement, et que traduit

    l ide

    religieuse qui

    a toujours accompagn la synthse de la civilisation au cours de

    l histoire. Si ces considrations sur la raction biochimique et sur

    la dynamique de la ralit sociale s avreront justes, il nous est

    49

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    51/178

    es conditions de la renaissance

    possible de planifier d une certaine faon son volution comme

    un enchanement matriel dont nous connaissons la loi.

    En

    mme temps, il nous

    pe1n1et

    de mettre fin certaines erreurs

    propages par ce

    qu il

    convient

    d appeler

    la littrature de

    combat dans le monde musulman, laquelle approuve

    implicitement la tendance vers l entassement .

    De cette littrature qui fait montre parfois d une foi nergique

    et d une authenticit sincre, l entassement se dplace du

    domaine des simples vnements, ns du hasard, vers le domaine

    de l ide oriente. Nous l avons digre en gros et nous l avons

    adopte dans notre comportement. Lisons par exemple cette

    phrase: ''Le Monde arabe a emprunt la voie de cette civilisation

    que les gens appellent ''civilisation occidentale'', mais il s'agit,

    en fait, d'une civilisation humaine qui puise ses ressources dans

    de nombreuses civilisations humaines dont la civilisation arabo-

    islamique. Les Orientaux et les Occidentaux, athes et croyants,

    ont particip et participent toujours

    son enrichissement. Pour

    le

    Monde arabe il

    n est

    point possible

    de

    rebrousser chemin. *

    Nous apprcions srement la beaut du style littraire et la mlodie

    de la rime de ce passage, mais ce que

    je

    crains le plus c est qu il

    traduise un optimisme qui tend minimiser la gravit de la question

    dans nos esprits.

    Ce que je crains le plus dans une euphorie pareille, c est son

    soutien aux tendances regrettables vers l entassement dans le

    Monde musulman

    et

    leur multiplication.

    *

    e monde arabe,

    N. Fares et Tewfik Hussein,

    p.

    214.

    50

    F

    f

    ji;

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  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    52/178

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    69

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    71/178

    es conditions de

    l

    renaissance

    Nous avons prcis prcdemment comment Keyserling a

    interprt la civilisation europenne comme tant une synthse

    entre l esprit chrtien et les traditions ge11naniques. Nanmoins,

    ce philosophe n tait pas le prcurseur dans cette voie. l avait

    t prcd, un sicle plus tt,

    par

    l historien franais Guizot qui

    abordait la question travers la mme optique.

    Puis vint le tour d un autre philosophe allemand, Spengler, en

    l occurrence, pour nous mener vers une autre thorie qui

    interprta la civilisation comme le fruit d un gnie particulier qui

    caractrise une

    poque

    donne

    d un

    sceau

    d innovation

    fondamentale. A l instar de l algbre pour la civilisation arabe.

    On relve, ainsi, l irruption du facteur raciste au sein des

    doctrines historiques

    travers Spengler. Un facteur dont le rle

    historique ralisera sa plnitude mthodique l cole hitlrienne

    grce Rosenberg.

    Peu aprs, entre les deux guerres, Walter Shubart, un

    philosophe d origine ge11nanique et de nationalit balte, se

    livrera l adaptation du raisonnement de Spengler - sinon sa

    doctrine - sa propre thorie, laquelle interprte la civilisation

    mais en la considrant

    comme

    le produit d une poque donne;

    non comme le produit d une race dfinie.

    Walter Shubart a montr dans un ouvrage peu notoire sous le

    titre

    l Europe et l esprit e l Orient

    que chaque poque

    son

    gnie propre ou son Eon propre qui marque cette poque

    d une

    estampille propre.

    Quant au grand historien anglais John Arnold Toynbee, il a

    livr une volumineuse interprtation de la civilisation o le

    facteur de la gographie joue un rle essentiel. Son compatriote

    Sir John Hallford* l a prcd d un demi-sicle dans

    l introduction au facteur gographique

    d une

    faon mthodique

    l

    s agit de John Hallford Mackinder, un des grands thoriciens de la

    gopolitique en Grande-Bretagne.

    70

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    72/178

    ide religieuse t civilis tion

    dans l explication de la civilisation. Le titre de sa thorie fonde

    dans l essentiel, sur des objectifs politiques et militaires, tait: La

    base gographique de l histoire.

    Toynbee, cependant, insre ce facteur gographique au sein

    de sa doctrine labore sur ce qu il dsigne sous le

    te ne

    dfi .

    Il s agit d une doctrine qui explique la civilisation comme une

    rponse d un peuple ou d une race face un dfi donn.

    C est la nature, en particulier - c est--dire la gographie -

    qui impose ce dfi . Selon le degr du dfi et l efficacit de la

    rponse que lui opposent les peuples qui y sont exposs, la

    civilisation rpond trois ventualits:

    - Soit elle effectue un bond en avant,

    - soit elle s immobilise;

    - soit, enfin,

    c est

    la dchance qui l enrobe de son voile.

    Si, aprs les avoir exposes, nous mettons l examen une de

    ces thories pour interprter un fait historique bien dfini,

    coIIllne titre d illustration la civilisation islamique, nous

    constatons qu elle ne donne pas entire satisfaction.

    Dans la fo11nation de cette civilisation, nous n apercevons

    pas le facteur gographique ou climatique sous la

    fo me

    d un

    dfi quelconque comme le suggre la thorie de Toynbee, ni le

    double facteur conomique que reprsentent le besoin et les

    moyens industriels, suivant la thorie de Marx.

    Quant la thorie de l Eon, elle ne peut, de son ct, prsenter

    une interprtation au phnomne islamique avec les conditions

    psycho-temporelles qui

    l ont

    accompagne, comme je l ai dj

    expliqu dans mon ouvrage Le phnomne coranique.

    Dans les ides de Keyserling, on peut trouver, sans doute, une

    esquisse analytique de l pisode chrtien au sein duquel nous

    pouvons insrer l pisode musulman, en raison de la similitude

    biohistoriques des donnes et qui se placent dans les deux cas au

    sein des volutions similaires.

    7

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    73/178

    es conditions de

    l

    renaissance

    Des situations auxquelles toutes les langues dveloppes ont

    consacr une terminologie

    propre pour

    les

    dterminer

    en

    voquant trois tats:

    la

    gense, l apoge et le dclin.

    Aussi, Keyserling et

    Oswald

    Spengler ne se sont-ils pas

    dpartis, dans leurs tudes, de ce

    terme populaire sur la ralit

    historique dans les langues dveloppes. Il s agit, en fait,

    d une

    convergence impose

    par

    la nature des choses et non

    par

    le fait

    du simple hasard.

    De notre ct, si

    l on

    essaye

    d exposer l analyse

    historique

    sous la

    fo ne

    d un

    schma, nous aboutirons -

    l instar

    de la

    prsentation

    d un

    phnomne physique - une loi sur le

    phnomne de la civilisation

    . Nous savons, d entre, que toute civilisation se situe entre

    deux limites: la gense

    et

    le dclin. Nous avons en notre

    possession, donc, deux points de son cycle, considrs comme

    indiscutables. La courbe

    co ru ence

    ncessairement

    du premier

    point de

    l axe

    ascendant

    pour

    arriver au deuxime point dans

    l axe

    descendant.

    Que

    pouvons-nous insrer

    comme phase

    transitoire

    entre

    ces

    deux axes? Le terme populaire cit

    prcde1runent

    et

    qui s accorde,

    co ru e

    nous

    l avons

    vu, avec

    l analyse historique nous rpond

    en dsignant une

    tape

    intermdiaire qui est: l apoge.

    Entre

    les

    deux

    premires

    phases, il y a

    ncessairement

    un

    certain parallle

    qui

    indique

    une

    autonomie dans

    le

    phnomne. La

    phase

    du

    dclin

    descendante se

    situe

    l oppos

    de

    la phase de la gense montante

    et entre les deux

    phases. Il y a ncessairement un certain accomplissement qui

    est

    la

    phase

    du

    dploiement

    de

    la

    civilisation

    et

    de son

    expansion.

    Si nous traduisons ces considrations sous

    forme

    d un

    '

    graphique, nous aurons:

    72

    '

    '

    '

    '

    '

    _ ~ : : . :

    .i ii'.

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    74/178

    Cycle d une civilisation

    Cil

    11

    -

    Q

    0

    a.

    E

    Q

    0

    {

    a.

    :::J

    Q

    -

    0

    ,

    A

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    1

    38

    H

    phase 2: la raison

    ide religieuse

    t

    civilis tion

    B

    temps

    c

    Nous avons devant nos yeux un moyen qui nous permet,

    alors, de suivre

    l volution

    d une civilisation

    d un

    faon qui

    tmoigne d une certain repli qui perrnet

    d tablir

    les rapports

    dicts entre les diffrents facteurs psycho-temporels qui jouent,

    par la force des choses, un rle dans cette volution.

    Il est certain que lorsque nous abordons la civilisation islamique,

    deux facteurs interviennent ncessairement dans son volution.

    L ide islamique, qui est le fondement de cette volution, et

    l ho1nme musulman qui est le support concret de cette ide.

    C est dans l ordre tabli des choses que nous tudions ainsi

    l volution de cette civilisation; nous abordons,

    la base, la

    relation organique qui lie l ide et son support. Toutes les valeurs

    psycho-temporelles qui caractrisent le niveau d une civilisation

    donne

    ne

    sont,

    en

    fait, que la traduction historique de cette

    relation organique entre une ide dtermine, l Islam

    par

    exemple,

    et l individu

    qui reprsente son support concret

    et

    qui

    est le musulman, dans ce cas.

    73

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    75/178

    Les conditions de

    la

    renaissance

    Il nous revient, depuis lors, de recourir au langage de la

    psychanalyse afin de suivre l'volution de la civilisation, une

    volution prise co1nme une

    fo me

    temporelle des actions

    et

    des

    ractions changes et qui naissent depuis le dbut de cette

    volution entre individu et ide religieuse. C est de l que

    procdent le mouvement et l'activit. Lorsque nous mettons

    l individu au point zro dans le graphique prsent

    prcdemment, nous constatons

    qu il

    se trouve dans l tat que

    certains historiens musulmans appellent l tape ''inne'', charge

    de tous les instincts dont la nature l a dot. L'individu, dans

    pareil cas,

    n est

    dans le fond

    qu un

    homo-natura

    nanmoins

    ide religieuse soumet ses instincts un ''conditionnement'' que

    la psychologie freudienne appelle le ''refoulement.''

    Ce conditionnement n est pas de nature abolir les instincts

    mais il assure

    leur

    organisation au sein d une relation

    fonctionnelle avec les dispositions de l ide

    religieuse: la biologie

    animale reprsente d une faon concrte par les instincts ne

    disparat pas, mais devient discipline grce un ordre donn.

    Dans ce cas l'individu se libre, partiellement, de la loi

    naturelle, instinctive. Dans son ensemble, son existence sera

    soumise aux dispositions spirituelles

    que

    l ide religieuse

    imprime dans son me au point qu il volue, dans cette nouvelle

    condition, selon la loi de l me.

    C est

    cette mme loi qui a dtermin l'attitude de Bilai au

    moment o il a soulev le doigt sous le fouet du supplice pour

    , , ff .

    Ah d

    '

    h d I l

    (D. . '

    epeter sans a a1ssement:

    a . a . ieu unique ....

    unique ). Il est clair que cette exclamation n exprime nullement

    un appel de l'instinct. La voix de l'instinct s est teinte sans

    qu elle ait toutefois disparu par le chtiment. Ce gmissement ne

    traduit pas la voix de la raison galement. La douleur ne s'assagit

    pas.

    C'est un

    cri

    de l'esprit libr du carcai des instincts aprs leur

    domination dfinitive dans le cur de Bilal Ibn Rabah, par la croyance.

    74

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    76/178

    ide religieuse et civilis tion

    La socit islamique est soumise, galement, ce mme

    changement. Elle tait dans la mme situation que celle de Bilai.

    Elle ne parle pas le langage de l instinct de la chair et de l os,

    d une part. D autre part, la voix de la raison restait encore

    silencieuse dans cette socit naissante. Tout le langage durant

    cette poque tait la spiritualit de la logique. Elle tait fille de

    l esprit avant tout.

    C est

    le premier cycle d une civilisation donne, le cycle qui

    dompte les instincts engags dans une organisation o les excs

    sont brids et empchs de se dchaner.

    C est l esprit qui tait incarn dans la voix de Bilai, une voix

    qui parle et dfie la chair et le sang. Avec son index, le

    compagnon du prophte opposait un dfi la nature humaine et

    lve grce lui

    un

    moment donn le destin de la nouvelle

    religion.

    C est

    le mme esprit qui traduit la voix de cette femme

    qui, ayant commis le pch de l adultre, est venu voir le

    prophte pour lui dclarer son pch et demandait qu elle soit

    soumise la punition de la fornication. Tous ces faits dpassent

    les critres naturels et montrent que l instinct a t refoul bien

    qu il garde sa tendance se librer.

    C est

    l que se dclare le

    conflit entre cette tendance et la domination de l esprit.

    Aux mmes moments, la socit, propulse par l ide

    religieuse, continue son volution et le rseau de ses liaisons

    intrieures s accomplit selon l tendue du rayonnement de cette

    ide dans le monde. Les problmes concrets de cette socit

    naissante font leur apparition avec son expansion et des

    ncessits nouvelles interviennent galement avec son

    achvement. Pour que cette civilisation puisse rpondre ces

    critres qui surgissent, elle emprunte une voie nouvelle. Cette

    voie pourrait tre confo1n1e la reconnaissance , l exemple

    du cycle europen, o la prise du pouvoir par les Omeyyades,

    l instar du cycle islamique. Dans les deux cas, le tournant reste

    un tournant de la raison. Mais cette raison ne dtient pas la

    matrise exerce par

    l me

    sur les instincts. Ces instincts

    7

  • 8/10/2019 Condtions de la Renaissance Islamique

    77/178

    es conditionsde

    l

    renaissance

    co1mnencent alors se librer de leurs chanes l instar de

    l poque des Omeyyades o l me commenait perdre de son

    emprise graduellement sur les instincts et la socit cessait

    d exercer sa pression sur l individu.

    Il est naturel que les instincts ne se dchanent pas d un seul

    coup, mais suivant l apathie de l autorit de l esprit. .

    Au moment o l histoire continue son cours, nous relevons

    que cette volution continue galement dans le psychisme de

    l individu et dans la structure thique de la socit qui cesse, de

    son ct, de rformer le comportement des individus. A mesure

    que cette tendance se libre de ses chanes dans la socit, la

    libert des murs exerce par l individu dans ses actes

    personnels, cesse graduellement.

    Si on avait eu la possibilit, ce moment, l aide d un moyen

    de contrle de prcision de ses conditions psychologiques, de

    poursuivre les rsultats de cette gradation,

    l instar des moyens

    de contrle des laboratoires des sciences naturelles, nous aurions

    not la baisse du niveau de la morale de la socit, ou nous

    aurions relev - le rsultat tant le mme - une carence dans

    l efficacit sociale de l ide religieuse. Cette ide poursuit sa

    tendance la baisse depuis que la civilisation est engage dans

    la phase de la raison.

    L apoge d une civilisation - je veux dire l expansion de ses

    sciences et de ses arts - se rencontre

    d un

    point de vue de

    l tiologie stricte avec le dbut

    d une

    maladie sociale donne,

    laquelle

    n a

    pas suscit encore l intrt des historiens et des

    sociologues, car ses consquences concrtes restent loint