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QUELLE LOI POUR LA SANTÉ MENTALE ? Questions au président du PS Durant la législature précédente, la ministre de la santé (Magda Aelvoet) déposa un projet de loi (étranger à l’accord de gouvernement), répondant à certaines préoccupations corporatistes, au sein du monde de la psychothérapie (principalement au nord du pays). Il s’agissait essentiellement de permettre le remboursement à l’acte d’une part des honoraires des psychologues cliniciens et psychothérapeutes, sur le mode des prestations médicales, ceci au prix de la paramédicalisation des professions non médicales de la santé mentale. Outre une subordination, depuis longtemps obsolète, de la pratique en psychologie clinique à la prescription et au suivi par un médecin, ce projet ruinait la spécificité du modèle d’accompagnement - psycho-médico-social - en matière de santé mentale. Elle la réduisait aux normes – non comparables - de la pratique techno-médicale, comme si l’on pouvait évaluer de la même façon l’opportunité et l’efficacité, d’une série de 25 piqûres et de 25 séances de psychothérapie. Ce projet de paramédicalisation allait aux antipodes du nouvel intitulé de l’A. R. n°78, portant désormais sur les «professions de la santé» et non plus sur «l’art de guérir». Il tablait, en outre, sur le « splitsing » envisagé des financements de la sécurité sociale, en Wallonie et en Flandres. Les professionnels de la santé mentale (de nombreux psychiatres y compris) firent massivement front contre ce projet : d’abord au sud du pays, puis, progressivement, au nord (plusieurs milliers de pétitions adressées au Premier Ministre). Cette approche technocratique et néo-libérale heurtait, en effet, de front la plupart des praticiens de la santé mentale. Leur préoccupation allait plutôt dans le sens d’un accès plus démocratique à leurs prestations, via l’étoffement du cadre des Services de Santé Mentale (SSM). C’est dans ce contexte que divers représentants des travailleurs concernés s’adressèrent, par courrier, au président du PS. Celui-ci les assura aussitôt de son soutien et de la répercussion de leurs soucis au sein des instances politiques compétentes en ces matières — ce qui fut fait. D’une part, avec le soutien du PS, un tir de barrage s’organisa, en Commission de la Santé et des Affaires Sociales, qui bloqua le projet Aelvoet (devenu Tavernier) ; de l’autre, divers représentants des professions de la santé mentale se réunirent autour d’Yvan Mayeur et de quelques collaborateurs. L’expérience de terrain de celui-ci constituait une aide précieuse : les aspects socio-économiques et psychologiques des questions de santé faisaient partie de son lot quotidien. Rapidement, une proposition de loi pris forme qui rencontra – et rencontre - un large assentiment parmi les professionnels. Proposition de «loi cadre», le texte tient compte de la spécificité (plus relationnelle que technique) et de l’interdisciplinarité nécessaire des pratiques en matière de santé mentale ; il rencontre aussi le fait de la pluralité des cheminements individuels qui mènent à l’exercice de ces professions (possibilités de passerelles à partir de diplômes différents) ; il prend acte surtout de la complémentarité du modèle techno-médical et de celui des interventions en santé mentale, sans les réduire, les opposer, ni les subordonner l’un à l’autre — ce qui ruinerait leur spécificité. D’une réflexion pragmatique, avec les acteurs de terrain, est ainsi sorti un texte qui organise les professions de la santé mentale, au sein de l’A. R. n°78, dans un chapitre propre (non plus dans un sous-chapitre paramédical, ou sous forme d’un texte isolé détaché d’un projet cohérent), qui tient compte des formations et des évaluations spécifiques, le tout sous l’égide d’un Conseil National de la Santé Mentale représentatif. La reconnaissance de cette spécificité est capitale, car réduire la souffrance psychique à un dysfonctionnement «technique», et son abord

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Questions au président du PS * L’APPPsy (Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique) est, numériquement, le plus important groupe professionnel de psychologues cliniciens et psychothérapeutes en Belgique francophone. Francis Martens Bruxelles, 28 février2005 président de l’APPPsy *

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QUELLE LOI POUR LA SANTÉ MENTALE ?

Questions au président du PS

Durant la législature précédente, la ministre de la santé (Magda Aelvoet) déposa unprojet de loi (étranger à l’accord de gouvernement), répondant à certainespréoccupations corporatistes, au sein du monde de la psychothérapie(principalement au nord du pays). Il s’agissait essentiellement de permettre leremboursement à l’acte d’une part des honoraires des psychologues cliniciens etpsychothérapeutes, sur le mode des prestations médicales, ceci au prix de laparamédicalisation des professions non médicales de la santé mentale. Outre unesubordination, depuis longtemps obsolète, de la pratique en psychologie clinique à laprescription et au suivi par un médecin, ce projet ruinait la spécificité du modèled’accompagnement - psycho-médico-social - en matière de santé mentale. Elle laréduisait aux normes – non comparables - de la pratique techno-médicale, comme sil’on pouvait évaluer de la même façon l’opportunité et l’efficacité, d’une série de 25piqûres et de 25 séances de psychothérapie. Ce projet de paramédicalisation allaitaux antipodes du nouvel intitulé de l’A. R. n°78, portant désormais sur les«professions de la santé» et non plus sur «l’art de guérir». Il tablait, en outre, sur le«splitsing» envisagé des financements de la sécurité sociale, en Wallonie et enFlandres. Les professionnels de la santé mentale (de nombreux psychiatres ycompris) firent massivement front contre ce projet : d’abord au sud du pays, puis,progressivement, au nord (plusieurs milliers de pétitions adressées au PremierMinistre). Cette approche technocratique et néo-libérale heurtait, en effet, de front laplupart des praticiens de la santé mentale. Leur préoccupation allait plutôt dans lesens d’un accès plus démocratique à leurs prestations, via l’étoffement du cadre desServices de Santé Mentale (SSM). C’est dans ce contexte que divers représentants destravailleurs concernés s’adressèrent, par courrier, au président du PS. Celui-ci lesassura aussitôt de son soutien et de la répercussion de leurs soucis au sein desinstances politiques compétentes en ces matières — ce qui fut fait.

D’une part, avec le soutien du PS, un tir de barrage s’organisa, en Commission de laSanté et des Affaires Sociales, qui bloqua le projet Aelvoet (devenu Tavernier) ; del’autre, divers représentants des professions de la santé mentale se réunirent autourd’Yvan Mayeur et de quelques collaborateurs. L’expérience de terrain de celui-ciconstituait une aide précieuse : les aspects socio-économiques et psychologiques desquestions de santé faisaient partie de son lot quotidien. Rapidement, une propositionde loi pris forme qui rencontra – et rencontre - un large assentiment parmi lesprofessionnels. Proposition de «loi cadre», le texte tient compte de la spécificité (plusrelationnelle que technique) et de l’interdisciplinarité nécessaire des pratiques enmatière de santé mentale ; il rencontre aussi le fait de la pluralité des cheminementsindividuels qui mènent à l’exercice de ces professions (possibilités de passerelles àpartir de diplômes différents) ; il prend acte surtout de la complémentarité dumodèle techno-médical et de celui des interventions en santé mentale, sans lesréduire, les opposer, ni les subordonner l’un à l’autre — ce qui ruinerait leurspécificité. D’une réflexion pragmatique, avec les acteurs de terrain, est ainsi sorti untexte qui organise les professions de la santé mentale, au sein de l’A. R. n°78, dans unchapitre propre (non plus dans un sous-chapitre paramédical, ou sous forme d’un texteisolé détaché d’un projet cohérent), qui tient compte des formations et desévaluations spécifiques, le tout sous l’égide d’un Conseil National de la Santé Mentalereprésentatif. La reconnaissance de cette spécificité est capitale, car réduire lasouffrance psychique à un dysfonctionnement «technique», et son abord

thérapeutique à une «remise en ordre de marche» (comme en matière de fracturesosseuses), c’est faire l’impasse sur ce qui, à travers cette souffrance, se révèle destensions, des oppressions, des stigmatisations et des contradictions, au sein de lasociété tout entière. Par définition, le concept de santé mentale est éminemmentpolitique. Normalisation sociale et santé mentale sont aussi hétérogènes quemaintien de l’ordre et créativité.

Au début de l’actuelle législature, le Ministre de la Santé et des Affaires Sociales eutl’excellente idée de réunir des «Dialogues de la Santé» pour prendre le pouls desacteurs du terrain, mais – significativement – la santé mentale fut oubliée… Il est vraique, face à l’urgence des questions économiques et techniques soulevées par lesautres secteurs, cette problématique semble moins aiguë. Néanmoins, son aspectpréventif, pour n’être pas spectaculaire, n’en reste pas moins décisif, et ceci àmoindres coûts : les troubles psychiques mènent à des dysfonctionnementssomatiques chroniques, à des accidents graves, à des pertes d’emploi, ainsi qu’à desconduites destructrices diverses — le tout s’avérant particulièrement dommageablepour l’ensemble du corps social. À la demande du secteur «oublié», quelquesréunions se tinrent finalement pour réparer l’omission initiale, mais elles nes’inscrivirent dans aucune politique véritable. Elles se résumèrent, en fait, à unrecensement de revendications particulières. En une seconde étape, le ministère mitau travail un groupe d’experts (peu représentatifs) plus sensibles, semble-t-il, àl’aspect administratif des choses qu’à leurs dimensions clinique, psychosociale etscientifique. Il s’ensuivit une première ébauche de projet de loi bâti sur les débris dutexte Aelvoet-Tavernier. Cet hybride (issu des revendications corporatistes depsychologues cliniciens en matière de remboursement) fut bientôt suivi par deuxprojets, hors Arrêté Royal 78, sur la «psychanalyse» et la «psychothérapie»,finalement fondu en un seul. Déjà aventureux au seul plan légistique, ce dernier textene fait qu’embrouiller le paysage. Il s’y inscrit comme un électron libre ne participantd’aucune vision d’ensemble, sans souci de l’écrasante majorité des professionnelsconcernés. En réalité, il ne fait que répondre aux inquiétudes de quelques praticiens,troublés par de récentes péripéties françaises sans rapport avec la situation belge(«amendement Accoyer»). Tout comme l’ancien texte, issu du cabinet Aelvoet, ceprojet (non encore déposé) vient compromettre le remarquable travail de clarificationconcrétisé dans la proposition Mayeur. Les professionnels de la santé mentale, quisavent gré au PS de les avoir préservés d’un projet funeste, sous la précédentelégislature, s’inquiètent de le voir avancer aujourd’hui en ordre dispersé, au risquede défaire d’une main ce qu’il a construit de l’autre — ce qui ne manquerait deconforter les tenants de la «normalisation» à tout prix.

Francis Martens

président de l’APPPsy *

Bruxelles, 28 février2005

* L’APPPsy (Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique) est,numériquement, le plus important groupe professionnel de psychologues cliniciens etpsychothérapeutes en Belgique francophone.