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Thierry Sylvain LEKOUA (2017) Contrôle social informel et démocratisation des NTIC dans les paysanneries Peule et Kirdi du Zone de Dibi-Adamaoua. Mémoire pour l’obtention d’un Master en sociologie rurale, Université de Ngaoundere, au Cameroun sous la direction du Dr Henri Brice AFANE LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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Thierry Sylvain LEKOUA

(2017)

Contrôle social informelet démocratisation des NTIC

dans les paysanneries Peule et Kirdidu Zone de Dibi-Adamaoua.

Mémoire pour l’obtention d’un Masteren sociologie rurale, Université de Ngaoundere, au Cameroun

sous la direction du Dr Henri Brice AFANE

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

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Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numériqueen libre accès développée en partenariat avec l’Université du Québecà Chicoutimi (UQÀC) depuis 2000.

http://bibliotheque.uqac.ca/

En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anni-versaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.

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Politique d'utilisationde la bibliothèque des Classiques

Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite,même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for-melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales,Jean-Marie Tremblay, sociologue.

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Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le siteLes Classiques des sciences sociales sont la propriété des Clas-siques des sciences sociales, un organisme à but non lucratifcomposé exclusivement de bénévoles.

Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et person-nelle et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation à des finscommerciales des fichiers sur ce site est strictement interdite ettoute rediffusion est également strictement interdite.

L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisa-teurs. C'est notre mission.

Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,professeur associé, Université du Québec à ChicoutimiCourriel: [email protected] web pédagogique : http://jmt-sociologue.uqac.ca/à partir du texte de :

Thierry Sylvain LEKOUA

Contrôle social informel et démocratisation des nouvelles tech-nologies de l’information et de la communication dans les paysan-neries Peule et Kirdi de la zone de Dibi-Adamaoua.

Mémoire de Master en sociologie rurale, département de sociolo-gie-anthropologie, Université de Ngaoundere, au Cameroun, sous ladirection du Dr. Henri Brice AFANE, 2017, 193 pp.

[Autorisation formelle accordée par l’auteur le 16 mai 2018 de diffuser cemémoire, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Courriels : Thierry Sylvain LEKOUA : [email protected] Brice AFANE : [email protected]

Police de caractères utilisés :Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 9 janvier 2019 à Chicoutimi, Québec.

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Ce mémoire est diffusé dans la collection “Études camerou-naises” dirigée par le sociologue camerounais, Henri BriceAFANE, chercheur à l’Université de Ngaoundéré au Camerounavec la collaboration du responsable desjeunes chercheurs bénévoles des Clas-siques des sciences sociales au Came-roun, Yves Yanick MINLA ETOUA, cher-cheur indépendant en éducation et en so-ciologie du développement.

“Études camerounaises”.

Henri Brice AFANE : mailto:[email protected] Yanick MINLA ETOUA : [email protected]

Jean-Marie Tremblay, C.Q.,Sociologue, professeur associé, UQACfondateur et p.-d.g, Les Classiques des sciences sociales5 janvier 2019.

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Thierry Sylvain LEKOUA

Contrôle social informel et démocratisation des nouvelles technolo-gies de l’information et de la communication dans les paysanneriesPeule et Kirdi de la zone de Dibi-Adamaoua.

Mémoire de Master en sociologie rurale, département de sociolo-gie-anthropologie, Université de Ngaoundere, au Cameroun, sous ladirection du Dr. Henri Brice AFANE, 2017, 193 pp.

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DÉDICACE

À

mes parents,

ma compagne

mes frères, sœurs et enfants

la famille Woumbuwou

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REMERCIEMENTS

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Au terme de cette production intellectuelle, nous tenons sincère-ment à remercier toutes les personnes qui de près ou de loin ont con-tribué à l’heureux aboutissement de ce travail. Une mention spécialede profonde gratitude et de reconnaissance à notre encadreur, Dr.Henri Brice Afane qui, en dépit de ses occupations, a tenu à diriger demanière constante ce travail. Ses orientations méthodologiques, sesconseils et sa rigueur ont été hautement bénéfiques pourl’aboutissement de ce parcours réflexif.

Nous tenons également à remercier notre chef de département, Pr.Motaze Akam pour la qualité de la formation qui nous a été adminis-trée ainsi qu’à tous ses collaborateurs enseignants du Département deSociologie/Anthropologie qui, sans relâche, nous ont accompagnésdepuis cinq ans. Il s’agit notamment des feus Pr. Joseph Domo et Go-defroy Ngima, du Pr. Henris Moussima, des docteurs Taubic Falna,Joël Mbring, Ignace Bertrand Ndzana, Charles Tchouata, MarcellineMbetoumou et monsieur Didier Bissa Ndemba.

Nous remercions du fond du cœur les populations du canton deDibi, spécialement aux Djaouros des deux sous-communautés Peul etKirdi pour leur coopération dans le cadre de ce travail. Nos remercie-ments vont à l’endroit des responsables du CMA de Dibi, Mme WaffoHermine et M. Hamidou pour leur parfaite collaboration. Nous pen-sons également à messieurs Bengai et Moussa et la communautéGbaya. Nous exprimons aussi nos remerciements à Mme Edith Yotha,Mme Adeline Temba, Maxime Andegue, François Kolwé, FadimatouSamirah, Bebbé Aminatou pour leur inestimable contribution à la col-lecte des données.

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Enfin, nous exprimons une reconnaissance particulière à tous cesanonymes qui, de près ou de loin ont contribué d’une quelconque ma-nière et dont les noms n’ont pas trouvé place ici.

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SOMMAIRE

Dédicace

Remerciements

Sommaire

Résumé / Abstract

Sigles et acronymes

Table des illustrations

Introduction générale

Première partieDescription de la zone d’étude, Contrôle social informel

dans le canton de Dibi et processus d’androïdisation du village

Chapitre I. Présentation de la zone d’étude

Chapitre II. État des lieux de la socialisation et du contrôle social informel dansle canton de Dibi

Chapitre III. Processus d’androïdisation du canton de Dibi

Deuxième PartieDynamiques socio-culturelles et réactions populaires

Chapitre IV. Sociologie des dynamiques socio-culturelles

Chapitre V. Réactions populaires face aux dynamiques socio-culturelles in-duites par l’usage des NTIC

Conclusion générale

Bibliographie indicative

Annexes

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RÉSUMÉ

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Poser un regard sur les usages des Nouvelles Technologies del’Information et de la Communication (NTIC)et leur incidence sur lecontrôle social informel dans des groupes réduits en Afrique ruraletraditionnelle de manière générale et dans les paysanneries peule etkirdi en particulier, c’est se joindre à la sociologie des usages afind’identifier, observer, comprendre et analyser les dynamiques socio-culturelles qui émergent au sein desdites localités dans des rapportsentre les différents agents. Dans le canton de Dibi, zone dans laquelleles communautés se distinguent encore par un mode de vie traditiona-liste, l’inscription de celles-ci à l’ère numérique est effective et nousassistons alors à une sorte de conflits entre les socialisations primaireset la socialisation médiatique. Çà et là, les outils NTIC ainsi que leurscontenus au travers des flux d’images, de sons, de textes etd’interactions diverses conduisent à une émergence de comportementsnouveaux qui court-circuitent la régulation des individus et fragilisentle contrôle social.

En abordant cette étude, nous avions émis une piste de recherchequi nous conduit à se rendre compte que les NTIC constituent un fac-teur structurant au sein des transformations sociales et conduisent àune redéfinition des rapports de force entre les cadets sociaux et leursainés, à une reconfiguration des liens sociaux de toute nature et à unremodelage des canons traditionnels de l’activité sociale. Pour aboutirà ces observations, nous avons convoqué des techniques de collectequi laissent la latitude aux enquêtés de s’exprimer librement. Auterme de ces entretiens, il en ressort que des réactions populaires semettent en place pour tenter de reprendre la main sur la gestion desmembres desdites communautés.

Mots clés : contrôle social, socialisation, NTIC, communauté, Di-bi, usages,

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ABSTRACT

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To take a look at the use of the NTIC and their impact on informalsocial control in the small groups of traditional rural Africa in generaland in the Peul and Kirdi peasantries in particular, is to join the soci-ology of uses in order to identify, observe, understand and analyze thesocio-cultural dynamics that within these localities in relations be-tween the different agents. In the canton of Dibi, an area in whichcommunities are still distinguished by a traditional way of life, theinscription of these in digital age is effective and we then witnesssome kind of conflict between the primary socializations and the me-dia socialization. Here and there, ICT tools and their content throughthe flow of images, sounds, texts and various interactions lead to theemergence of new behaviors that by pass the regulation of individualsand weaken social control.

In approaching this study, we have emitted a research track thatleads us to realize that NITCs are a structuring factor within societaltransformations and lead to a redefinition of the balance of power be-tween social cadets and their elders, at a remodeling of the traditionalcanons of social activity. To arrive at these observations, we haveconvened collecting techniques which leave the respondents the free-dom to express themselves freely. At the end of these interviews, itappears that popular reactions are set up to try the again control overthe management of members of said communities.

Keywords : social control, socialization, NITC, community, Dibi,uses.

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LISTE DES SIGLES

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BIT Bureau International du Travail

CD Compact Disk

CE1 Cours Elémentaire 1e année

CE2 Cours Elémentaire 2e année

CFA Communauté financière d’Afrique

CMA Centre Médical d’Arrondissement

CRTV Cameroon Radio and Television

DEA Diplôme d’Etudes Approfondies

EEFC Eglise Evangélique Fraternelle du Cameroun

IST Infection Sexuellement Transmissible

IVG Interruption Volontaire de Grossesse

NTIC Nouvelles Technologies de l’Information et de la Com-munication

OQLF Office Québécois de Langue Française

PNDP Programme National pour le Développement Participatif

SMS Short Message Service

TIC Technologie de l’Information et de la Communication

UIT Union Internationale du Travail

VIH Virus de l’Immuno-déficience Humaine

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LISTE DES ACRONYMES

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ANTIC Agence Nationale des Technologies del’Information et de la Communication

APPESS Association Pour la Promotion de l’Elevage au Sa-hel et Savane

ENSAI Ecole Nationale Supérieure des Sciences Agro-Industrielles

GIC Groupe d’Initiative Commune

IRAD Institut pour la Recherche Agronomique et le Déve-loppement

MINADER Ministère de l’Agriculture et du Développement Ru-ral

MINCOM Ministère de la Communication

MINEPIA Ministère de l’Elevage des Pêches et des IndustriesAnimales

MINJEC Ministère de la Jeunesse et de l’Education Physique

MINTOURL Ministère du Tourisme et des Loisirs

MOJESDI Mouvement des Jeunes Solaires de Dibi

SIDA Syndrome de l’Immuno-déficience Humaine

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Table des illustrations

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Liste des tableaux

Tableau 1. État des lieux de la socialisation familiale selon le pulaa-ku

Tableau 2. État des lieux de la sociabilité familiale selon la labinité

Tableau 3. Récapitulatif de la dispersion des outils NTIC dans lecanton

Tableau 4. Temps quotidien d’utilisation du téléphone

Tableau 5. Durée quotidienne d’utilisation de consommation de latélévision

Liste des photos

Photo 1. Lac de Ngaoundaba

Photo 2. Vue panoramique du paysage et de l’espace habité de Dibi

Photo 3. Entrée du ranch de Ngaoundaba

Photo 4. Micro-entreprenariat, comptoir Kilichi, Dibi

Photo 5. Symbole de l’effectivité du e-commerce

Photo 6. Usage des antennes paraboliques à Dibi

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Liste des graphiques

Graphique 1. Consommation du téléphone / jour / communauté

Graphique 2. Consommation du téléphone / jour / genre

Graphique 3. Consommation de la télévision / jour / communauté

Graphique 4. Consommation de la télévision /jour / genre

Graphique 5. Consommation d’Internet par / jour / communauté

Graphique 6. Consommation d’Internet / jour / genre

Graphique 7. Vente des préservatifs au CMA de Dibi

Graphique 8. Evolution de la séroprévalence et des IST

Graphique 9. Interventions post IVG recensées

Liste des cartes

Carte 1. Localisation de la zone d’étude

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

I. PROBLÈME

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Le XXIe siècle naissant voit se déployer et conquérir toute la pla-nète ce que l’économiste et scientifique américain Rifkin,J. popularise dans ses travaux comme étant « la troisième révolutionindustrielle » 1. Phénomène observé à travers un bouleversement pro-fond des sociétés, et survenu globalement dans les nations industriali-sées, puis provoqué par l'essor des techniques numériques et principa-lement l'informatique et l'Internet, se traduit par une mise en réseauplanétaire des individus, de nouvelles formes de communication, unegrande internationalisation des éléments culturels et des pratiques, etune décentralisation dans la circulation des idées.

Ces innovations permettent aux échanges de s'opérer sous uneforme électronique ; les barrières géographiques et culturelles cessentd'être aussi contraignantes que par le passé, introduisant tout en rédui-sant ainsi le monde dans un « village global » 2, comme l’avait présa-gé plutôt Marshall Mc Luhan, et pour d’autres encore un village pla-nétaire. Cette nouvelle donne, à l’instar de l’après catastrophe natu-relle à grande échelle, bouscule plus radicalement la façon dont lesindividus perçoivent le monde, appréhendent les modes de vie d'ail-leurs, se comportent avec autrui et se considèrent eux-mêmes.

1 Rifkin, J., The Third Industrial Revolution. How Lateral Power is Trans-forming Energy, the Economy and the World, 2012, 270 pages.

2 Mc Luhan, M. and Fiore, Q., The Medium is the Message. An Inventory ofEffects, Bantam Books, 1967

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Dès lors, les nouvelles technologies de l'information et de la com-munication (NTIC) se démocratisent, se popularisent, se diversifientet intègrent les politiques gouvernementales. C'est à ce titre que lanouvelle orientation de la politique nationale de la jeunesse au Came-roun produite par le MINJEC dans le document intitulé : Référentielnational d’éducation civique et d’intégration nationale, prescritque « L’intégration nationale vise à former des citoyens enracinésdans leur culture, respectueux de l’intérêt général, du bien commun,de l’éthique et des valeurs démocratiques, soucieux d’un vivre en-semble harmonieux et ouverts au monde » 3. Cette ouverture aumonde se fait et de plus en plus grâce aux outils des NTIC. Outilsdont l'appropriation et l'utilisation sont devenues un phénomène demode.

Des populations de toutes les couches sociales tant urbaines querurales se ruent et sont captivées par l'attrait de ces gadgets technolo-giques. C'est ainsi qu'en zone rurale, s'observent çà et là, des toituresparsemées d'antennes paraboliques, des démembrements de l'entre-prise vidéoludique, des vidéo clubs et de plus en plus, des téléphonesde grandes marques, des tablettes et autres ordinateurs connectés surinternet qui témoignent et indiquent à quiconque pouvait encore s'endouter, de l'effectivité de la consommation des outils et bienfaits de larévolution technologique par les ruraux.

Cette démocratisation du flux numérique en continue est loind’être neutre car, véhicule et diffuse des idées, des textes, des mes-sages, des images, des informations, des modes et modèles de vie. Cesvisions du monde, manières de faire, d'être, de penser et d'agir venuesd'un ailleurs si proche et si éloigné à la fois ne correspondent toujourspas avec les sociabilités locales, les cosmogonies ancestrales, lesnormes et valeurs traditionnelles en vigueur dans la communauté etqui maintiennent la cohésion du groupe et permettent une certaine ré-gulation sociale. Cette intrusion mieux cette colonisation technolo-gique de l'espace rural par l’internationalisation des médias et les ou-tils NTIC se traduit par des attitudes qui entrent en contradiction, enconcurrence, en opposition avec le vécu villageois, remettant en causesa structure fondationnelle et organisationnelle. Monde homogène

3 MINJEC, « Référentiel national d’éducation civique et d’intégration natio-nale », 2015, p 4.

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dans lequel la cohésion sociale régulée par un contrôle social bien hui-lé, exercé par des pairs, la famille et même toute la communauté, sévitdans cet écosystème rural hautement traditionnel.

II. PROBLÉMATIQUE

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L'un des maux dont on met sur le compte de la mondialisation danslaquelle sont embarqués les différents peuples du monde implique uneuniformisation des comportements, une homogénéisation culturellefavorisée par les nouveaux moyens de communication. Cette intensi-fication de la mondialisation provient de la diffusion à l'échelle plané-taire des biens, des produits culturels et des services conduisant à un« processus d'acculturation », mécanisme qui met en contact et enconfrontation des modèles différents. Pascale Combemale, àl’introduction de l’ouvrage : Les enjeux de la mondialisation cultu-relle. Les grandes questions économiques et sociales III, écrit en ré-sumant Jean Pierre Warnier que « les défenseurs des traditions et descultures locales ou nationales s’alarment devant le déferlement demodes de vie (…) et de produits culturels (…) orchestré par des mul-tinationales occidentales » 4. Les NTIC, outils aux pouvoirs étendus, àtravers des flux en continue, constituent l'agent central de cette ten-dance à l'uniformisation.

Les ressources culturelles, diffusées en termes d'idées, de connais-sances, d’informations se déploient de manière transnationale au tra-vers des ondes et des câbles. La distribution et la consommation deces flux se montrent asymétriques, la plus-value revenant aux modèlesdominants.

Une littérature abondante relaie comment à travers les produitsmédiatiques culturels états-uniens et de plus en plus avec les télénove-las mexicaines et brésiliennes sont véhiculés, de véritables ingrédientsde cette culture mieux de cette vision du monde à l'occidentale. Mo-

4 Chavagneux, C., Milewski, F., al, Les enjeux de la mondialisation culturelle.Les grandes questions économiques et sociales III, Editions La Découverte,Paris, 2007, p. 4.

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dèles dont l'accaparement par les sociétés traditionnelles se traduit parl'importation des modes vestimentaires et culinaires, puis de plus enplus à la marchandisation du rapport à l'autre et enfin l'émergence decertains comportements autrefois insoupçonnées et inimaginables.C'est à penser qu'il existerait une zone de libre échange culturel à sensunique au sein de nos sociétés africaines en général et celles dites ru-rales en particulier.

À l'époque pré-moderne, « les individus vivaient dans des environ-nements sociaux plutôt fermés » 5, souligne Anthony Giddens, oùl'existence était ordonnée autour d'un certain nombre d'identités prédé-finies et isolées, à l'ère des NTIC, par la large ouverture qu'elles of-frent vers l'extérieur, vers un ailleurs, les individus sont soumis à unevariété de choix de plus en plus complexes.

Les ruraux, recrutés aussi au sein du grand mélange culturel global,ne sont pas toujours mieux aguerris dans la perception et la compré-hension d'un certain nombre d'enjeux, apparaissent de ce fait commeun réceptacle de ces modèles d'ailleurs. Une diversité plus accrue demodèles, de choix, d'informations se présentent devant eux au quoti-dien. Il serait difficile de faire face à ce type de matraquage informa-tionnel et communicationnel sans mue. C'est dans cet environnementvarié et riche en nouveautés que des identités individuelles, puis col-lectives par agrégation, peuvent se définir et se redéfinir, se modeleret se remodeler. Anthony Giddens argue plus bas que « bien que cha-cun vive une vie locale, les modèles phénoménaux sont pour la plu-part véritablement globaux » 6.

À y scruter de près, la consommation avec frénésie d'un tel arsenalculturel et informationnel venu d'ailleurs génère, sans doute, des ré-percussions, des modifications sur le mode de vie paysan. Ce nouveaumode de socialisation libre, parallèle voire additionnel à travers lesmédias et autres mécanismes de transmission et de réception des res-sources culturelles et idéologiques crée à coup sûr une multitude deschèmes d'action ou d'habitudes. Si cet important stock s'organise enune sorte de répertoire au sein de la carte-mère individuelle, voirecommunautaire, il y a lieu de penser qu'il s'affichera des comporte-

5 Giddens, A., Modernity and Self-Identity. Self and society in the late mod-ern Age, Stanford University, Press, 1991, p. 32

6 Ibid.,

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ments nouveaux, étrangers et étranges au sein desdites communautésrentrant en collision avec les valeurs et normes, les us et coutumesadmis localement.« Dans un village global, les particularitéss’effritent, les individualités s’effacent pour laisser la place, toute laplace, au dire et au faire médiatique, à la déviance, au divertissementdans le sens pascalien du terme, c’est-à-dire, au superfétatoire » 7,indique le MINJEC dans son document de didactique. Tout ce cock-tail de flux informationnels divers consommé surtout par des popula-tions rurales moins prédisposées à ces usages, moins outillées intellec-tuellement afin de tamiser les contenus consommés, moins protégéespar les structures de défense des droits des consommateurs et des or-ganismes étatiques en la matière est à même de mettre en difficulté, defragiliser le contrôle des individus devenus pluriels au terme d'unesocialisation additionnelle.

Décider de mener des investigations au sein de ces présumés in-dices de mutations sociales, de cette consommation mieux de cettecolonisation technologique 8 des ruraux, c'est aller observer les dyna-miques sociales en effervescence dans l'un des derniers bastions de laculture traditionnelle africaine en général et camerounaise en particu-lier.

Le phénomène étant nouveau et même d'actualité, il nous a paruintéressant d'y poser un regard attentif et concentré afin de prendre lamesure des transformations y relatives en termes de tensions, d'inter-férences, de juxtaposition d'éléments culturels, d’organisation sociale,d'effets pervers pouvant résulter de l’appropriation, de l’ancrage deces produits devenus de grande consommation. C'est ainsi que nousformulons un projet d'étude en ces termes : Contrôle social informelet démocratisation des Nouvelles Technologies de l’Information etde la Communication dans les paysanneries peule et kirdi de lazone de Dibi- Région de l’Adamaoua).

7 MINJEC (2015), op.cit., p. 58 Terme employé ici en comparaison à l’invasion suivie de l’occupation des

territoires africains par les européens au XIXe siècle.

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III. QUESTIONS DE RECHERCHE

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Nous formulons dans le cadre ce parcours réflexif deux types dequestions de recherche notamment une question principale et troisquestions spécifiques.

III-1- Question principale

Nous formulons une question de recherche de manière suivante :

Quelles sont les dynamiques induites de la démocratisation desnouvelles technologies de l'information et de la communication sur lesmodes de vie des paysanneries peule et Kirdi de la zone de Dibi parrapport avec le contrôle social local ?

III-2- Questions spécifiques

De la question principale, nous nous obtenons trois questions sub-sidiaires qui s’énoncent comme suit :

En quoi la consommation des NTIC donnant lieu à une socialisa-tion plurielle entre-t-elle en contradiction avec le mode de vie paysanpouvant conduire à une hybridation culturelle ?

En quoi les zones d’incertitude générées par les différents usagesdes NTIC boostent-elles l’émancipation des catégories sociales mar-ginales ou minorées ?

En quoi les flux informationnels et les interactions communica-tionnelles conduisent-elles à des comportements déviants au regarddes convenances sociales locales ?

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IV. HYPOTHÈSES DE RECHERCHE

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Nous distinguons dans le cadre de ce travail deux typesd’hypothèses notamment une principale et trois dites spécifiques.

IV-1- Hypothèse principale

Notre hypothèse de base s’articule de manière suivante :

La massification de l’usage des outils technologiques et de la con-sommation des produits culturels y relatifs créeraient des dynamiquesau sein des modèles et modes de vie paysans pouvant mettre à rudeépreuve le contrôle social par des pairs, la famille et la communautétoute entière.

IV-2- Hypothèses spécifiques de recherche

De notre hypothèse principale découlent les trois hypothèses spéci-fiques suivantes :

La consommation des NTIC ayant donné lieu à une socialisationplurielle qui entre en contradiction avec le mode de vie paysan et con-duit à une hybridation culturelle ;

Les différentes zones d’incertitude générées par les usages desNTIC boostent l’émancipation des catégories sociales marginales ouminorées ;

Les flux informationnels et les interactions communicationnellesconduisent à des comportements déviants au regard des convenanceslocales ;

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V. OBJECTIFS DE RECHERCHE

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Nous avons également dans le cadre de cette recherche formulerdeux types d’objectifs : l’un principal et trois autres spécifiques.

V-1- Objectif principal

L’objectif primordial de ce travail se veut une étude des dyna-miques socio-culturelles liées à la massification quant à l'appropria-tion et la consommation des NTIC par les communautés rurales de lalocalité de Dibi.

V-2- Objectifs spécifiques

Nous visons ici trois objectifs spécifiques. Il s’agit notamment d’ :

- observer les attitudes et comportements émergents et ceux enperte de vitesse ou en déclin ;

- mesurer les niveaux d'émancipation des acteurs individuels etcollectifs face au contrôle social informel du faîte des NTIC ;

- analyser les stratégies et mécanismes mis en évidence pour sesoustraire du contrôle par des pairs, la famille voire de la com-munauté toute entière d’une part ainsi que les tentatives de ri-postes des tenants des leviers du pouvoir local.

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VI. PARTIE MÉTHODOLOGIQUE

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Élaborer un cadre méthodologique est une exigence scientifiquedans le domaine de la recherche. La méthodologie se veut un en-semble de procédés et de techniques mis en valeur dans le cadre de larecherche afin d’obtenir des résultats irréfutables. Oumar Aktouf sou-tient que la méthodologie n’est rien d’autre que « l’étude du bonusage des méthodes et des techniques » 9. Elle se traduit, poursuit-il,sur le terrain, par des procédures concrètes dans la préparation,l’organisation et la conduite d’une recherche.

La présente démarche méthodologique nous permettra d’une partd’atteindre l’objectif fixé et vérifier l’hypothèse formulée. Cette parties’articule sur deux points : la partie théorique pour éclairer le thèmegrâce aux programmes de recherche élaborés par nos devanciers pourappréhender et analyser l’activité sociale et la partie pratique pourmettre en évidence les techniques d’investigation qui permettront derendre crédible notre étude.

VI-1- Cadre théorique

En cherchant à comprendre la société, expliquer l’action sociale,saisir et analyser les processus sociaux, cerner le fonctionnement desstructures sociales, les adeptes de la sociologie manipulent et em-ploient des théories sociologiques. Autant le géographe utilise un cer-tain nombre d’outils et de mesures pour construire une carte, qui luipermettent d’offrir une représentation de l’espace, autant le socio-logue utilise les instruments de sa discipline pour appréhender un en-semble de faits observés et organiser ces faits.

9 Oumar Aktouf, Méthodologie des sciences sociales et approches quantita-tives des organisations, Canada, Presses de l’Université du Québec, 1987, p27.

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De manière ramassée, la théorie se veut l’ensemble des outils quipermettent à chacun de se repérer et de construire une vue d’ensemblede la vie sociale. Il faut y voir deux particularités notamment le choixd’un point d’observation et les critères de validation qu’elle offre.

Pour notre travail, nous convoquons deux théories à même de nouspermettre de cerner la présente problématique et observer les tensions,interférences mieux les dynamiques induites par le phénomène demassification dans la consommation des outils et produits NTIC enrapport avec la gestion locale des populations rurales.

VI-1-1- La théorie des pratiques

D'origine anglo-saxonne, née et formalisée au tournant des années2000, la théorie des pratiques, en tant que programme d'analyse issudes Cultural Studies 10 s'inscrit en faux contre des approches qui ob-servent les pratiques de consommation sous l'angle symbolique d’unepart et sous l’angle d'un individu rationnel d'autre part. Autrement dit,la théorie des pratiques se veut un paradigme de recherche alternatifpar rapport à ceux existants notamment des modèles de l’homo euco-nomicus qui fonde l’action sociale sur l’intérêt et celui de l’homo so-ciologicus qui se réfère à une norme sociale. Les adeptes de la théoriedes pratiques, à l'instar de Théodore Schatzki, Anthony Giddens, AlanWarde postulent que le regard doit partir des pratiques et non des in-dividus, de considérer celles-ci comme des blocs d'activités, des signi-fications, des compétences et d'objets et d'étudier comment elles setransforment et se diffusent en « recrutant des individus » qui ensuiteles mettent en œuvre de façon routinière.

Ils soutiennent de déplacer le regard depuis l'observation des ac-teurs vers celui des pratiques, un déplacement de l'entrée empirique :une entrée par les pratiques et non par les individus. Ils refusent uneentrée par les normes, les structures, les individus ou l'agence. Une

10 Cultural Studies, c’est un courant de recherche transdisciplinaire (anthropo-logie, sociologie, histoire, art, philosophie, etc.) fondé au Royaume Uni parRichard Hoggart vers 1960. Les études culturelles se sont toujours intéres-sées aux relations entre cultures et pouvoir notamment les cultures minori-taires, populaires voire contestataires.

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« pratique » s’identifie au prisme de ces trois propriétés que sont : unsens, exigences sur la façon de faire et enfin un but téléoaffectif quifait référence aux objectifs, projets, visées, émotions jugés acceptablespar les acteurs.

Théodore Schatzki énumère deux types de pratiques : « les pra-tiques dispersées et les pratiques intégratrices » 11. Pour lui, ces der-nières sont composées de plusieurs « pratiques dispersées » orientéesvers un « but téléoaffectif commun » 12.

Dans le cadre de notre exercice, la double consommation des outilsNTIC par les ruraux : consommation des outils, du matériel numé-rique ainsi que celle du flux informationnel sous-jacent, subséquent,constituent des pratiques sociales théorisables par le présent courantde recherche. Elle se situe ici en termes de loisirs, de réduction de ladistance interpersonnelle, de moyens d'entretien d'un certain nombrede sociabilités, de liens, d'accès à l'autre tant localement qu'à l'exté-rieur, d'affirmation de soi, d'ascension sociale, d'appartenance à lacommunauté, bref d'exister en tant qu’individu dans ce nouvel écosys-tème numérisé.

Les téléphones portables sont devenus des compagnons, des parte-naires, des berceuses et même des consolateurs avec et autour des-quels se nouent des liens solides d'un type nouveau. Leur place de-vient visible, palpable, primordiale dans les activités quotidiennes. Ilsrevendiquent et obtiennent de plus en plus de temps, bousculent leshabitudes, grignotent de plus en plus de temps ordinairement allouéaux activités locales quotidiennes.

L'acquisition d'un matériel informatique et son usage émane de lavolonté individuelle déclenchée par l'attrait que cet objet exerce sur lepaysan. Ce recrutement du paysan dans le monde des NTIC déclenchel’usage d’un nouveau code langagier, réveille en lui des objectifs àatteindre qui peuvent être patents (défi social, affirmation de soi) ouencore latents (s’ouvrir au monde, raconter ses découvertes, expéri-menter de nouveaux modèles etc.).

11 Schatzki, T.-R., Social practices – a wittgensteinian approach to human ac-tivity and social, Cambridge, Cambridge University Press, 1996

12 Ibid.

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Ce recrutement des individus se lit également dans la fascination àla nouveauté, aux achats des appareils de plus en plus high-tech, à lapose d’un certain nombre d’actes nouveaux, à la condition de vie dé-solante presque malheureuse d’un individu sans téléphone, dans larêverie des jeunes et leurs cadets se projetant dans un avenir qui seconjugue avec des outils technologiques vus dans la vidéographie té-lévisuelle ou cinématographique. Par ailleurs, le fait de se connecter àinternet, de s'abonner à une série télénovela 13 apparaissent commedes « pratiques intégratrices » alors que l'achat d'un outil peut releverd'une « pratique dispersée ».

La théorie des pratiques nous permet de comprendre les dyna-miques d'appropriation et de consommation du matériel lié aux tech-nologies informatives par les ruraux du canton de Dibi et d'affirmerque l'engagement des individus dans des pratiques produit des sédi-mentations et des irréversibilités qui stabilisent des pratiques d'un in-dividu ou d'un groupe d'individus tout en générant des dynamiquessociales et culturelles au sein de la communauté.

VI-1-2- L'individualisme méthodologiquede Raymond Boudon

En opposition au paradigme déterministe incarné principalementpar le culturalisme, le fonctionnalisme et le structuralisme, théoriesqui surestiment les contraintes sociales, l'influence de la société sur lescomportements des individus, à la suite de ses devanciers, RaymondBoudon assigne à l'individualisme méthodologique trois principes àsavoir :

l'individu comme unité de référence première de l'analyse sociologue ;

l'individu comme acteur rationnel dont les actions sont orientées versun intérêt, une valeur ou même la tradition car, il « a de bonnes raisonsd'agir » ;

13 Télénovélas ou novélas est un terme qui désigne des feuilletons télévisésdiffusés de manière quotidienne d’origine hispanophone et lusophone met-tant en exergue tous les aspects de la vie familiale voire sociale dans leurglobalité.

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les actions individuelles par sommation dévoilent un phénomène socialpouvant produire, à une certaine échelle de temps, des « effets émer-gents », ou encore des « effets pervers ».

En convoquant cette théorie sociologique pour illuminer notre tra-vail, nous nous rendons compte que la consommation numérique del'offre informatique a pour point de base l'individu paysan qui prendconscience de l'existence des outils numériques à même de lui rendreun certain nombre de services dans sa vie. Il s'en approprie en posantlà un acte orienté, c'est-à-dire intéressé. Le consommateur ici se com-porte en un individu rationnel qui « a de bonnes raisons d'agir », deconsommer un outil, de bénéficier des avantages liés à cet usage, des’abreuver en informations, de s'abonner à une série télénovela, de sepayer un cinéma ou une partie de jeux vidéo.

Le phénomène qui se propage dans l'ensemble de la population vil-lageoise prend la forme d'un « effet d'agrégation » qui donne lieu aufait social observé ici. Observer de telles actions individuelles relèvedu ressort de la théorie boudonienne. L'amplification de la connectivi-té de la ruralité camerounaise en général et particulièrement celle ducanton de Dibi aux NTIC devient un phénomène social induit de l'ac-cumulation de multiples actions individuelles et collectives en termesd'emprise réelle et évidente sur le mode de vie, la relation à l'autre etles différents changements qui naissent dans et pendant les différentsusages de ces modes de consommation numérique.

Les possibles modifications liées à cet usage se traduisant soit parla corrosion du lien social ou sa consolidation voire la naissance denouveaux rapports, soit par l'émergence de comportements nouveauxqui somme toute correspondent aux « effets pervers » évoqués par R.Boudon dans son paradigme de recherche et qui sont générateurs dechangement social. Le monde rural, s'inscrivant dans le « jamais sansmon gadget » 14 arbore alors un nouveau visage, et voit naitre un nou-veau système d'interactions interpersonnelles.

14 Expression utilisée pour marquer le phénomène d’addiction aux outils NTICqui sévit dans cette zone. Etre loin de son appareil est très difficile à suppor-ter.

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VI-2- Cadre pratique :les outils et méthodes de collecte des données

Si pour les sciences dures des expériences en laboratoire attestentde la scientificité d’un phénomène, pour les sciences molles, le terrainde recherche représente le champ de déploiement de l’idée, tient laplace et le rôle de laboratoire. Les recherches de terrain permettent deconstater et d’observer voire de vivre le fait social.

La récolte, la collecte des données nécessite la manipulation d’uncertain nombre d’outils et de techniques que Henri Mendras assimile à« un moyen d’arriver à une sorte de dédoublement de la personnalitépour s’abstraire soi-même et de son propre milieu » 15.

VI-2-1- Outils de collecte des données

Cette partie de notre travail consiste à détailler l'ensemble d'outilsnous ayant permis d'investiguer sur le terrain et d'en récolter des don-nées tant primaires que secondaires. Pour R. Quinvy et L. Campen-houdt, la collecte des données « constitue la mise en œuvre del’instrument d’observation [qui] consiste à recueillir ou rassemblerconcrètement les informations prescrites auprès des personnes ou uni-tés d’observation retenues dans l’échantillon » 16. Nous avons faitrecours aux techniques d'investigation suivantes : la recherche docu-mentaire, l'observation directe, les entretiens semi-directifs et enfinaux focus groupes.

15 Mendras, H., Eléments de Sociologie, Paris, PUF, 8e Ed, 1975, p. 15.16 Quivy, R., et Van Campenhoudt, L., Manuel de recherche en Sciences So-

ciales, Paris, Dunod,1995, 2eme Ed, p. 135

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VI-2-1-1- La recherche documentaire

C'est un outil qui se situe au début de toute recherche scientifique.C'est un préalable, un alpha qui permet au chercheur de recenser lemaximum d'ouvrages, de documents à même de lui fournir le plus dedonnées secondaires possibles sur son sujet. « La technique documen-taire consiste en une fouille systématique de tout ce qui est écrit ayantune liaison avec le domaine de recherche » 17, écrivait M. Grawitz.

Concernant notre étude, nous nous sommes constitué une biblio-graphie adéquate grâce aux recherches effectuées dans des structuresuniversitaires de Ngaoundéré (à la bibliothèque centrale de l'EcoleNationale Supérieure des Sciences Agro-industrielles (ENSAI) ; et deYaoundé 1. Arrivé proche de la « chaleur du fait social », nous avonsinvestigué dans les structures comme la Commune Rurale deNyambaka, la sous-préfecture de Nyambaka, la Commune Urbaine deNgaoundéré, les services déconcentrés du MINEPIA, du MINADER,dans les services de l’Agence Nationale des Technologies del’Information et de la Communication (ANTIC) et évidemment surinternet.

VI-2-1-2- L'observation directe

Observer directement un fait consiste à en être un témoin oculaireet auriculaire dudit phénomène. C'est aussi être présent pendant sondéroulement, sa manifestation, son exécution, sa pratique. C'est à justetitre que Jean Olivier de Sardan annonce que « le chercheur est nonseulement un enquêteur, mais aussi un observateur » 18. Et MadeleineGrawitz d'en ajouter, « l'observation des faits est la seule base solidedes connaissances humaines [...] envisageant toujours les faits so-ciaux non comme des sujets d'admiration ou de critique, mais comme

17 Grawitz, M., Méthodes des Sciences Sociales, Paris, Dalloz, 11e Ed, p. 57118 Sardan, J. O., « Le « je » méthodologique. Implication et explication dans

l’enquête de terrain », Revue française de sociologie, 2000, pp. 417-445.

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des sujets d'observation, elle (la science sociale) s'occupe uniquementd'établir leurs relations mutuelles » 19.

Nous avons observé notre population cible dans leur mode de con-sommation numérique, participé à des séances de visionnage dans descinéclubs, visionné des épisodes des séries de télénovelas avec desfamilles et pris connaissance des signes non verbaux, moment trèsintenses ayant permis d'enregistrer l'accommodation de certains con-sommateurs à des scènes, soit violentes, soit amorales d'une part etl'autre à la fascination que dégagent et des modes vestimentaires etdes personnages au caractère bien trempé à l'instar des femmes quis'opposent au dictat des hommes.

VI-2-1-3- L'entretien semi-directif

Classé parmi les techniques de recherche qualitatives, l'entretiensemi-directif encore appelé « entretien centré » 20 J – C. Combessieest un procédé de collecte des données secondaires mettant face à facel'enquêteur et l'enquêté. Nos entretiens se sont déroulés selon plu-sieurs axes à savoir : l'histoire du village, sa composition socio-anthropologique, son organisation politique et enfin sur le vif du sujetqu'est la massification des outils NTIC dans le village ainsi que sonprobable impact sur des pairs, la famille et toute la communauté villa-geoise.

S'agissant des échanges nous nous sommes organisés de manièresuivante :

des focus groups avec les jeunes (filles/garçons)

des entretiens centrés avec les personnes ressources du village (provi-seur du lycée, infirmière du CMA, enseignant de l'école primaire, pré-sident de l'association des parents d'élèves, la notabilité locale, etc.

des entretiens centrés avec des familles choisies dans les deux grandescommunautés du canton que sont les peuls et les kirdis.

19 Grawitz, M., op. cit., p. 79.20 Combessie, J.-C., La méthode en sociologie, Paris, La Découverte, 1999, p.

25.

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VI-2-1-4- Les focus group

Encore appelés réunions de groupes, les focus groups sont unetechnique utilisée dans les enquêtes qualitatives. Ici l'interviewer réu-nit dans une salle un certain nombre d'individus pour diriger cet entre-tien grâce à un guide d'animation qui comporte des items qui sontsoumis aux participants. Nous avons opté pour des réunions degroupes parce qu'elles favorisent l'émergence de nouvelles idées, desopinions démultipliées, donnent lieu à des interactions entre partici-pants.

Dans notre étude, nous avons effectué 4 épisodes de réunion re-groupant 8 participants par réunion de 120 min. Le sujet relevant par-fois du domaine de la vie privée, il nous a paru plus aisé de nous enréférer aux petits groupes qui confèrent une certaine intimité, plus deconcentration tout en instaurant un climat de confidence. Celle-ci nousa paru idoine en ce sens qu'elle permet également de répondre à unegrande variété de questions. L'approche groupe homogène a été solli-citée à cause des réalités culturelles de notre zone d'étude. Deux réu-nions ont été faites avec des groupes des jeunes garçons scolarisés etpuis les non scolarisés. Le scénario identique s'est fait avec les filles.

VI-2-2- Méthode de collecte des données

Selon Madeleine Grawitz, « la population est l'ensemble fini ou in-fini d'éléments à l'avance sur lesquels portent les observations » 21.Au regard de toutes les caractéristiques, nous avons décidé que l'en-semble des individus sur lesquels porte cette étude sera notre popula-tion à étudier étant donné que la population cible et la population ac-cessible réunissent les mêmes caractéristiques.

Chaque élément connaît une expérience particulière avec lesNTIC. Ici, notre population à étudier est égal à la base de sondage.Tous les individus, malgré leurs caractéristiques sociales différentes

21 Grawitz, M., op.cit., p. 79.

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évoluent dans le même champ communicationnel et partagent au quo-tidien les différents flux recueillis. Qu'il soit actif ou passif, chaqueélément peut fournir des données exploitables.

VI-2-2-1- Sélection d’une technique d’échantillonnageet taille de l’échantillon

La sélection d'une technique d'échantillonnage implique plusieursdécisions. Ici, nous employons l'approche traditionnelle dans laquellela totalité de l'échantillon est sélectionnée avant de commencer la col-lecte des données. L'échantillonnage avec tirage sans remise a été pri-vilégié, chaque individu interviewé ne sera plus sélectionné, ni remisdans la base de sondage afin de suivre le plus d'avis et d'expériencespossibles. Étant donné que nous faisons une enquête exploratoire, unetaille moins élevée de la population cible fera partie de l'échantillon.

Nous privilégions les grands leaders locaux d'opinion pour la com-préhension sommaire du fait social et des petits groupes pour la saisiedu phénomène dans les différents groupes sociaux de l'organisationsociale. Notre échantillon est composé de 102 individus donc 32 pour4 réunions de groupe avec les jeunes ; 30 femmes au foyer donc 20peuls et 10 kirdis ; 30 hommes chef de familles donc 20 du groupePeul et 10 du groupe kirdi ; enfin 10 personnes ressources du cantonDibi.

VI-2-2-2- Technique d’échantillonnage

Le choix de la méthode d'échantillonnage est déterminé par l'inci-dence que celle-ci doit avoir sur la représentativité des résultats, lafiabilité de l'information résultant de l'étude et sur la validité des con-clusions. Ici, notre choix s'est posé sur l'échantillonnage par quotascar, il tient compte du nombre de variables à intégrer dans la présenteétude ainsi que des contraintes budgétaires.

Échantillonnage par quotas

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Il peut être considéré comme un échantillonnage par jugement par-ticulier. En fait, le chercheur identifie des caractéristiques descriptivesde la population à étudier. Puis, il élabore un échantillon représentantces mêmes caractéristiques. « La méthode des quotas consiste à obte-nir une représentativité suffisante en cherchant à reproduire, dansl’échantillon, les distributions de certaines variables importantes,telles que ces distributions existent dans la population à étudier » 22,clament R. Ghiglione, et B. Matalon.

Nous avons identifié pour ce travail, des caractéristiques descrip-tives de notre population cible à savoir : les groupes ethniques peul etkirdi, la catégorie sociale, l'âge et le genre. A partir de ces caractéris-tiques. Les différents éléments à inclure ont été sélectionnés par ju-gement dit particulier et de manière consciente tout en privilégiant lespersonnes ressources de la zone. Ainsi, on peut évoquer les quotasinfra-énumérés : les enseignants, la notabilité locale, les leaders dejeune, les infirmiers, et quelques aînés sociaux. Tous ces élémentsnous permettent de couvrir toutes les variables intégrées dans l'étude.

VI-3- L'analyse de contenu

C’est une technique de recherche, un instrument de traitement desdonnées par recensement et classification des traits d’un corpus. Ellepermet de manipuler, repérer, analyser, interpréter, d’extraire les in-formations et les significations contenues dans des entretiens retrans-crits, des textes obtenus. Pour Mucchielli, « analyser le contenu,c’est, par des méthodes sures, rechercher les informations qui s’ytrouvent, dégager le sens ou les sens de ce qui est présenté, formuléet classé, tout ce que contient ce document »23.

Dans le cadre de notre travail, nous optons pour l’analyse de con-tenu descriptive systématique. Ce type plébiscité ici, nous permet dedéterminer les éléments et les catégories de notre corpus en opérant

22 Ghiglione, R., Matalon, B., Les enquêtes sociologiques. Théories et pra-tique, Paris, Armand Colin, 1991, P.38.

23 Mucchielli, R., L’analyse de contenu des Documents et des Communica-tions, 5ème Ed. ESF, 1984, p. 17.

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une classification des thèmes abordés dans ledit corpus puis en effec-tuant le décompte fréquentiel pour aboutir à une analyse statistique.

Somme toute, cette technique de recherche, développée de manièrehorizontale car ne sortant pas du corpus, nous a permis au travers desgrilles et de la distance prise à cet effet d’aboutir à une vérification denotre hypothèse de manière objective, méthodique, exhaustive, etquantitative.

VII. REVUE DE LA LITTÉRATURE

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C'est une étape qui permet de parcourir un certain nombre de pro-ductions intellectuelles ayant au paravent examiné d'une manière oud'une autre le présent sujet. Il s'agit ici de prendre appui sur ses de-vanciers afin de fixer son propre regard sur le phénomène observé.C'est ainsi que D. Boisvert déclare :

« La recherche, par son essence même, vise à faire avancer une disci-

pline en ébauchant de nouvelles théories ou de nouvelles pratiques. Pour

ce faire, il est essentiel que le chercheur prenne connaissance de ce qui,

avant lui, a fait l'objet d'une attention particulière et a amené à des conclu-

sions bien établies. C'est pourquoi une des étapes primordiales de l'explo-

ration d'un sujet implique une recension de ce qui a été écrit précédem-

ment » 24.

S'enrichissant tout en s'étoffant de jour en jour, la production lit-téraire sur les impacts socio-culturels des NTIC sur les communau-tés est présente. Elle comporte de nombreux travaux parus sousforme d'ouvrages, d'articles etc.

Ulf Hannerz, en rupture avec les positions de l'économie politiquecritique, observait que les mutations liées à l'internationalisation des

24 Boisvert, D., « La recherche documentaire » in B. Gautier (dir), Recherchesociale. De la problématique à la collecte des données, Québec, PUQ, 1987,p. 8.

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médias ne contribuent aucunement à une « homogénéisation culturelleglobale » 25. L'anthropologue suédois y oppose une option plus opti-miste et confiante. Il soutient que les cultures locales ont une capacitéd'absorption intégratrice des apports extérieurs, malgré les caractèresasymétriques des échanges. L'intégration des apports culturels exo-gènes entraîne un processus de « créolisation » 26 qui fait des culturesdes réalités de moins en moins pures et homogènes. Position qu'il il-lustre avec les sitcoms réalisés au Nigéria et qui sont nés de la ren-contre entre un genre transnational et une culture locale.

Saisissant la perche par le même bout, l'anthropologue indien, Ar-jun Appadurai propose le concept d’« indigénisation » pour mettre enévidence la façon dont les sociétés dites de la « périphérie », ingèrent,intègrent, s'approprient les flux culturels « provenance des différentesmétropoles » 27.

Dans Modernity and Self-identity, Anthony Giddens soutient quesous l'effet des logiques de « délocalisation » de la modernité, l'indi-vidu devient de plus en plus, un individu « réflexif », capable de com-poser sa propre identité à partir de l'horizon expérientiel auquel il adorénavant accès. Il écrit que « dans l'univers social poste tradition-nel, [...] dans lequel le réagencement du temps et de l'espace réalignele local avec le global, le moi connaît des changements majeurs. [...]L'une des composantes de l'activité quotidienne du moi est simplementcelle du choix » 28. Il continue qu'autrefois, « les individus vivaientdans des environnements sociaux plutôt fermés » 29 avec des modesde vie orientés autour « d'un nombre prédéfini de voies », la mondiali-

25 Hannerz, U., « Notes on the Global Ecumene”, Public Culture, vol 1. n 2,1989, p. 70-71

26 Hannerz, U., “Scenarios for peripheral cultures”, in KING, A. D. (dir), Cul-ture, Globalization and the world-system. Contemporary Conditions for theRepresentation of identity, Minneapolis, University of Minesota Press, 1997(1ere édition, 1991), p. 107-128

27 Appadurai, A., « Disjuncture and difference in the global cultural econo-my », in FEATHERSTONE, M.(dir), Global Culture. Nationalism, Globali-zation and Modernity, Londres, Sage, 1990, p. 295-310.

28 Antonny Giddens, op.cit., pp. 32.29 Ibid.,

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sation, par l'ouverture qu'elle offre sue l'ailleurs, soumet les individusà une « diversité multiple de choix » 30.

L'auteur de la théorie de la structuration souligne que les médiassont des agents de cette pluralité de choix qui s'offre au consommateuren termes de modèles, d'options dans des situations plus ou moinscomplexes de la vie. Il écrit : « la mondialisation des médias permet,en priorité, à tous ceux qui sont désireux de glaner des informationsappropriées, d'avoir accès à un nombre très varié d'environne-ments »31. Il ajoute « bien que chacun vive une vie locale, les mondesphénoménaux sont pour la plupart véritablement globaux » 32.

Au vrai, l'adepte des Cultural Studies considère que l'élargissementde l'horizon expérientiel de l'individu est largement le produit de lacirculation démultipliée de biens de consommation et des médias. La« pluralité de choix » alimente amplement la diversité des expressionsidentitaires.

Inscrivant ses positions dans les thèses d’A. Giddens, John To-mlinson dans son ouvrage Globalization and Culture observe la façondont « les médias globaux et les technologies de la communica-tion » 33 nourrissent tout en enrichissant « l'expérience culturelle » deleurs consommateurs. Pour ce sociologique britannique, l'ubiquité desmédias constitue une véritable « ressource culturelle » pour les indi-vidus et étend par-dessus leur univers expérientiel tout en implémen-tant « une conscience culturelle [...] globale » 34.

Pour Stuart Hall, la culture de masse globale est porteuse « d'ho-mogénéisation culturelle » 35 dominée par les technologies, les agentset l'imaginaire des sociétés occidentales. L'économiste ajoute que lesprocessus de la mondialisation offrent ainsi un contexte favorable

30 Ibid., p. 80.31 Ibid., p. 84.32 Ibid., p. 187.33 Tomlinson, J., Globalization and Culture, Polity Press, Cambridge, 1999, P.

2.34 Ibid., p. 30.35 Hall, S., “Old and new identities, old and new ethnicities”, in KING. A. D.,

(dir.), Culture, Globalization and the word-system. Contemporary Condi-tions for the Representation of Identity, Minneapolis, University of Minne-sota Press, 1997 (1er éd., 1991), pp. 29.

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pour rompre avec les « vielles logiques de l'identité culturelle ». Il estdorénavant nécessaire, presse-t-il, de penser les identités culturellescomme « n’étant pas définies une fois pour toutes, [...] comme étanttoujours en formation [...], en construction » 36, car celles-ci subissantdes influences exogènes se redéfinissant en permanence.

Par ailleurs, Serge Proulx, dans un article intitulé : Penser lesusages des TIC aujourd’hui : enjeux - modèles - tendances, relevantles sept ordres de changement dans les sociétés contemporaines impu-tables aux NTIC, mentionne dans le quatrième, titré « identité – sub-jectivité » que celui-ci produira une « émergence et [un] déplacementde nouveaux modes de construction de soi, et de production de nou-velles représentations de la société et du monde » 37.

Plus loin, résumant son regard dans cinq niveaux d'analyse, il sou-tient que les usages des TIC peuvent être positionnés dans un contextespécifique de pratiques sociales à l'instar du travail, les loisirs, la fa-mille. Dans ce contexte donné de vie quotidienne, l'usager investitl'objet technique de significations subjectives. De même que lesusages s'inscrivent dans un système de rapports sociaux qui peuventêtre : de domination économique, de sexe ou ceux dits intergénéra-tionnels. Ces usages s'incrustent dans un mode de vie qui agit sur lesusages autant qu'il est agi par eux.

Au fur et à mesure du développement d'usages collectifs des NTICet en particulier d'Internet, Howard Rheingold soutient qu’on assiste àla formation des « communautés d'usagers » ou en encore d’unecommunauté en ligne se structurant autour d'usages ou de significa-tions partagés. Ces « communautés virtuelles » au travers des courrielset d’internet et en particulier des fora, battissent un ensemble de rela-tions simples puis complexes qui resocialisent des individus. Dans unecommunauté virtuelle, on assiste parfois à un processus évolutif desinitiés qui gravissent des échelons pour se hisser au plus haut rang dela chaine. Rheingold soutient l’hypothèse selon laquelle il existeraitun type de « contrat social » au sein de ces communautés en ligne re-quérant du membre qu’il donne avant de recevoir en retour. Lesmembres au sein d’une communauté jouent plusieurs rôles aux for-

36 Ibid., p. 42-44 et 4737 Vieira, L., Pinède, N., Enjeux et usages des TIC : aspects sociaux et cultu-

rels, Tome 1, Presses universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 2005, p. 7-20.

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tunes diverses qui in fine font d’eux des consommateurs passifs ouactifs en termes de participation ou de promotion du groupe.

Enfin, dans un article Zacharie Hatolong Boho se propose d'étu-dier l'impact que les séries télévisées latino-américaines encore appe-lées télénovelas exercent sur la vie socio-culturelle au Cameroun. Plusprécisément dit, c'est une unité de mesure de l’« impact dans l'envi-ronnement scriptural [...], des pratiques onomastiques qui traduisentplutôt les imaginaires des individus et permettent de poser le diagnos-tic psychosocial lié à la consommation des télénovelas, ainsi que lesnouveaux modes de socialisation au sein des familles et de la sociététoute entière » 38. L'élève professeur révèle que le raffolement descamerounais pour ces séries laisse des marques dans leur vie indivi-duelle que sociale, une sorte de reconfiguration des réalités socio-culturelles dont la motivation réside dans l'assimilation et l'appropria-tion de l'altérité.

Le jeune chercheur camerounais constate la forte prégnance des sé-ries télénovelesques sur la vie familiale camerounaise qui ont été dif-fusées et rediffusées en une décennie à des heures de regroupementfamilial. En sommant ses tableaux, on se rend compte qu'en dix ans,de 2004 à 2014, 4078 épisodes de 26 séries télénovelesques ont étéconsommées par des camerounais. Ce flux a induit des conséquencesqui se traduisent dans les imaginaires, le vécu social quotidien et di-verses pratiques socio-culturelles. Il souligne que « le pouvoir des sé-ries télévisées tient au fait que beaucoup de téléspectateurs viventdans un état immersif qui façonne aussi bien les imaginaires que leurspratiques : l'appropriation des noms des acteurs dans la pratiqueonomastique et la protagonisation sociale en est une démonstra-tion » 39.

38 Hatolong Boho, Z., « Les séries télévisées latino-américaines et leur impactsocio-culturel au Cameroun », en ligne ,2015, p. 1.www.revistaelectronicalenguaje.com consulté le 25/06/2017.

39 Ibid., p. 14.

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VIII. INTÉRÊTS DE L’ÉTUDE

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Notre étude comporte un double intérêt à savoir, un intérêt scienti-fique et un intérêt pratique.

Sur le plan scientifique, l'étude offre une approche sociologiqueobservant les dynamiques sociales dans ses aspects émergents et dé-cadents (en termes d'éléments socio-culturels en émergence ou en dé-cadence) dues à la massification de l'offre numérique au sein dumonde rural. Phénomène nouveau qui étend ses tentacules au seind'une communauté ne disposant pas réellement les clés de lecture desdifférents enjeux qui se nouent autour dudit phénomène et qui, redis-tribue les cartes du lien social, du rapport à l'autre au sein cette com-munauté d’étude.

Sur le plan pratique, l'étude peut servir de base de données, degrille de lecture, de support d'orientation aux décisions politiques, so-ciales et religieuses tant privées que publiques qui, le plus souvent,interviennent dans le cadre de la protection, de la sensibilisation, dansl'éducation et l'encadrement des masses et plus précisément des con-sommateurs, ou dans la compréhension des changements comporte-mentaux et culturels au sein de nos communautés à mi-chemin entreles attraits du monde moderne et les amarres du traditionalisme. Enexaminant le rapport entre la question de l'influence des technologiesinformatives et communicatives dans la cohésion des groupes en zonerurale, notre présent regard s'arrête sur un phénomène nouveau, sour-nois et subtil : la seconde colonisation de manière technologique dessociétés traditionnelles africaines.

IX. DIFFICULTÉS RENCONTRÉES

Bien difficile d'achever une œuvre tant physique, manuelle encoreplus intellectuelle sans écueils qui viendraient nous rappeler qu'on en-fante toujours dans la douleur. La grande difficulté aura résidé sur lessoupçons d'intelligence avec les autorités gouvernementales (MIN-

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COM, police judiciaire) pour ficher les individus actifs sur internet.Ce soupçon, plus accentué chez certains, ne leur a pas permis de selibérer lors des interviews. La seconde a concerné le refus de se livrerà certaines confidences personnelles dans leur trajectoire de consom-mation, d'usages des outils technologiques pour éviter d'être étiqueterdans sa communauté. En plus, celle liée à l'insuffisance des moyenstechniques, humains et financiers pour l'accomplissement d'une re-cherche digne des canons de la sociologie. Au-delà des problèmesd’ordre technique et logistique et financier, nous avons fait face à laloi de l’omerta dont sont régis les secrets familiaux dans ces espaces.Le principe du pulaaku, semteende a été l’entrave majeure qui nousperturbé lors des travaux. En fin, nous avons eu un problèmed’interdisciplinarité étant donné que cette question concerne autant lasociologie que la psychologie en passant par la psychologie sociale.Surfer à la lisière de ces disciplines sœurs a constitué pour nous unecontrariété supplémentaire.

X. APPROCHE CONCEPTUELLE

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Définir les concepts constituant notre sujet est une exigence mé-thodologique prescrite par les pères fondateurs de l'acte sociologique.Émile Durkheim ordonnait déjà que « la première démarche d'un so-ciologue doit consister à définir les choses dont il traite afin que l'onsache et qu'il sache bien de quoi il est question. C'est la première et laplus indispensable condition de toute preuve et de toute vérification :une théorie en effet, ne peut être contrôlée que si l'on sait reconnaîtreles faits dont elle doit rendre compte » 40.

Dans la présente étude, les concepts de contrôle social, contrôlesocial informel, de démocratisation, de NTIC, de paysannerie, de peulet de kirdi sont définis.

40 Durkheim, E., Les règles de la méthode sociologique 1987, p. 42

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1 - Contrôle social

Le terme de contrôle social vise à assurer le respect des règles quirégissent la vie en société et à lutter contre les comportements dé-viants. Au sens large du terme, il consiste à édicter des normes so-ciales et juridiques fondées sur un ensemble de valeurs et à les fairerespecter. De manière plus restrictive, il regroupe des mesures desti-nées à faire respecter la règle et à sanctionner la déviance. Il se réduitalors à l'ensemble des sanctions encourues par les auteurs de conduitesdéviantes. Le contrôle social formel peut prendre deux formes : lecontrôle social formel et le contrôle social informel. Le premier est duregistre des institutions spécialisés alors que le second qui nous con-cerne ici a un caractère non institutionnel, il est groupal, il est social.

C'est l'ensemble des moyens dont dispose une société ou ungroupe pour amener ses membres à adopter une conduite conformeaux règles prescrites au modèle établi.

2- Contrôle social informel

Le contrôle social dit informel est facilité par l'interconnaissancequ'on retrouve dans les villages ou dans les groupes réduits. C'est undispositif qui facilite la surveillance avec pour but de préserver l'hon-neur du groupe et met la pression sur les membres. Le contrôle socialinformel est exercé de près par les pairs, famille et voisinage. Il esttrès rapproché car le regard de tous scrute les comportements des unset des autres.

C'est un suivi rapproché de tous les instants autour des membres envue de maîtriser les actes qu'ils posent, de les en dissuader d'en poserceux qualifiés de répréhensibles. L'informel désigne ce qui échappe àla normativité et à la reconnaissance sociale. C'est muni de tous ceséléments que Raymond Boudon et François Barricaud, dans Diction-naire critique de la sociologie pensent que le contrôle social informelest « l'ensemble des ressources matérielles et symboliques dont dis-pose une société pour assurer la conformité du comportement de ses

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membres à un ensemble de règles et de principes prescrits et sanc-tionnés » 41.

3- Démocratisation

C'est le processus de massification, de popularisation d'un outil, unobjet, une technique. Elle souligne une action de mettre à la portée detous ou le résultat de cette action.

4- Paysannerie

Le terme paysannerie n'est pas un simple terme générique, c'est enréalité un « concept d'analyse fondamental », l'objet d'étude pour lasociologie rurale. Le définir n'a jamais fait l'unanimité. Pourl’appréhender, deux approches théoriques s’affrontent :

~ La première y trouve un espace habité par des individus, despaysans. Si « c’est la société qui fait le citoyen », alors la société fa-bricant l'individu, donc le fait d'appartenir à une société paysanne quifait le paysan.

~ Pour les autres, il s'agit d'observer l'individu mieux les groupesd'individus à travers le type de rapports sociaux qui structurent la so-ciété, symbole d'un ensemble de valeurs morales essentielles, univer-selles.

Si le regard des uns est sur le milieu et celui des autres sur lesliens, il y a lieu de souligner le fait que dans la paysannerie, habitentdes individus. Des acteurs sociaux qui s'activent généralement dansdes domaines ayant un lien plus ou moins avec la terre. Il peut s'agirdes activités agricoles, pastorales, sylvicoles, artisanales, piscicolesetc. C'est justement ce qui amène H. Mendras (1976) à conclure que

41 Boudon, R., Barricaud, F., Dictionnaire critique de la sociologie, Quadrigedicos poche, PUF, 2011.

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« les paysans à travers le monde donnent le sentiment d'avoir tousquelque chose en commun » 42.

H. Mendras, sur les traces de Tchayanov et de Redfield, élabore lescinq traits qui définissent la société paysanne :

L’autonomie relative de la collectivité à l'égard de la société globale

L’importance de la famille et du groupe domestique dans la vie éco-nomique et sociale de la collectivité ;

Un système économique semi-autarcique ;

Une collectivité fondée sur des rapports d'inter connaissance ;

La présence des notables.

5- NTIC(Nouvelles Technologies de l'Informationet de la Communication)

Cette expression peut être considérée comme la version actualiséede TIC (Technologies de l'Information et de la Communication), vo-cable principalement utilisé au départ dans les milieux universitairespour désigner le domaine de la télématique, c'est à dire les techniquesinformatiques, de l'audiovisuel, des multimédias, d'Internet et de télé-communications qui permettent aux utilisateurs de communiquer,d'accéder aux sources d'information, de stocker, de manipuler, de pro-duire et de transmettre l'information sous toutes les formes : texte,musique, son ,image, vidéo...

Par ailleurs, les NTIC conservent ce passif lié à leur origine ets'ouvrent à de nouvelles problématiques résultant de l'intégration deces techniques au sein des systèmes institutionnels recouvrant notam-ment les produits, les pratiques et les procédés potentiellement géné-rés par cette intégration.

Le Grand dictionnaire terminologique de l'OQLF, définit égale-ment les TIC comme étant un « ensemble des technologies issues de

42 Mendras, H., 1976. « Sociétés paysannes, éléments pour une théorie de lapaysannerie », Revue Tiers-Monde, tome 19, n°75, 1978.

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la convergence de l'informatique et des techniques évoluées du multi-média et des télécommunications qui ont permis l'émergence moyensde communication plus efficaces, en améliorant le traitement, la miseen mémoire, la diffusion et l'échange de l'information » 43.

Quant aux NTIC, terme toujours ambiguë jusqu’à nos jours car,son périmètre n'a pas encore été circonscrit à la vue de l'évolution ra-pide des technologies et des marchés et sa définition moins officielleet peu consensuelle, il faut de même relever qu'il désigne de manièreglobale, l'intégration des technologies de communication de l'informa-tion et des médias.

6- Peul

Historiquement, écrit François Soudan 44, leur origine faisant en-core débat, les ancêtres peuls seraient venus de la Basse-Mésopotamie, voire d'Asie centrale ou encore de l'Égypte ancienne etpeut-être même de des tribus berbères syro-libyennes et qui, parvagues successives, ont migré dans le sahel africain. Les peuls sont unpeuple d'Afrique occidentale, très métissé, aux traits fins et à la peaucuivrée ou noire qui vit sur un territoire allant du Sénégal jusqu'à l'Estdu Lac Tchad.

Au cours des siècles, les rameaux issus de ce tronc commun y ontfait différents empires et royaumes comme ceux du Macina, Fouto-Toro ou du Sokoto et des personnages emblématiques comme Ous-mane Dan Fodio, Sékou Amadou, Modibo Adama etc. C'est justementce dernier qui, ayant lancé une campagne guerrière dans le septentrioncamerounais, a permis l'occupation de cet espace par les Peuls.

Les Peuls ont développé depuis leur origine ce que Motaze Akam-nomme dans ses travaux « civilisation de la vache ». Il s’agit d’unmodèle sociétal dans lequel les activités et les pratiques sociales tour-nent autour de la vache, ressource alimentaire, économique et de pres-

43 Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la languefrançaise, 2001.

44 Soudan, F., « A la découverte de la planète peule », in Jeune Afrique,18/03/2013.

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tige de base pour cette communauté. Les cosmogonies peules veulentque Guéno, le dieu peul ait créé le monde à partir d’une goutte de lait.Base de l’alimentation de tradition pastorale. C’est ainsi qu’on consi-dère que le précieux kossam, breuvage obtenu à partir du lait, relèvequasiment du sacré.

C'est un peuple originairement nomade qui s'est sédentarisé au fildes temps en se déployant dans des activités pastorales, économiques,artisanales et de plus en plus agricoles.

Les peuls du monde entier, malgré la bonne dizaine d'appellationsdifférentes se réclament de la « pulanité » 45 concept qui nourrit lestravaux d’Amadou Hampâté Bâ. Autrement dit, la pulaaku 46, « êtrePeul », est un « ensemble de règles très subtiles » notamment moraleset sociales, un « code de comportements jugés spécifiquement Peul »voire « l’idéal projeté dans la manière d’être Peul ». Le pulaaku oupulaagu pour certains, se retrouve chez tous les groupes peuls, danstoutes les régions, sous toutes les latitudes.

Il y a lieu de parler ici de la fulanité ou de la pulanité en tant queconscience d’une identité durable, d’une conscience unissant lesPeuls.

7- Kirdi

Groupe d'ethnies du Nord-Cameroun ainsi appelés péjorativementpar les populations islamisées puis par les colons occidentaux. C'estun nom issu de la déformation locale du nom kaado qui désigne lespaïens : « les gens qui ne prient pas » 47 déclare Oussoumanou Nana,habitant du canton de Dibi, par opposition aux fidèles de l'islam.

Pour Bana Barka, dans son mémoire de DEA nous offre une ap-proche définitionnelle plus complète de ce terme. Pour lui, « la défini-tion claire du mot Kirdi est une source toujours vivante et polémique.Les kotokos, après les Baguirmiens, désignent par ce vocable l'en-

45 La pulanité, terme francisé de pulaaku qui désigne l’identité peule ou lemode de vie peul.

46 Pulaaku, ou pulanité.47 Entretien de terrain réalisé le 17/07/2017, par Lekoua Thierry.

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semble des populations non musulmanes, sans limite géographiqueparticulière » 48.

Les militaires français du Tchad apportent ce terme au Cameroun,où les Peuls disposent déjà d'une variante : Haabe (sing. Kaado). Lechamp de ce vocable recouvre cette fois les populations non peules,comme les vingt et six tribus ethnies que Jean-Baptiste Baskouda, lechantre de la kirditude, reconnaît comme telles. Ce dernier pense enplus que cette dénomination peut même s'appliquer aux musulmanstels que les Haoussas qui ne partagent pas la culture que les Peuls.

XI. PLAN DU TRAVAIL

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Cinq articulations ou chapitres constituent l'ossature de notre pré-sent essai. Le premier chapitre, consacré à la présentation générale dela zone d'étude comporte six axes : morphologie physique, morpholo-gie humaine, organisation administrative, organisation sociale activi-tés économiques et loisirs, les infrastructures, l'animation locale. Ledeuxième chapitre rend compte des pratiques de socialisation au seindes groupes et du fonctionnement du contrôle social au sein de notrecommunauté cible. Dans le troisième chapitre, on retrouve la genèseet les usages des technologies numériques ainsi que leurs interférencessur le mode de vie. Quant au quatrième, il met en évidence les dyna-miques socio-culturelles observables. Et enfin, le dernier regroupe lesréactions populaires face aux comportements nouveaux.

48 Bana Barka, « Le Grand-Nord dans le miroir de ses poètes et écrivains :Essai d’imagologie littéraire, Mémoire de DEA, université de Ngaoundéré,2002. www.camerfeeling.fr.fo

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Première partie

Description de la zone d’étude,socialisation et contrôle social

informel et processusd’androïdisation du canton de Dibi.

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Cette première partie est constituée de trois chapitres. Le premierchapitre porte sur la présentation géographique, humaine et physiquede notre espace de recherche. Ce chapitre, précisément met en avant laconfiguration totale de l’environnement dans lequel notre populationcible se déploie ainsi que son organisation sociale. Eléments qui,somme toute, influence leur activité sociale. Le deuxième chapitrebalaie l’état des lieux des différentes formes de socialisation et ducontrôle social informel. En dernier lieu, le dernier chapitre de la sérierevisite le processus d’appropriation des outils NTIC dans cet espacede vie.

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PREMIÈRE PARTIE

Chapitre I

PRÉSENTATION GÉNÉRALEDE LA ZONE D’ÉTUDE

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La connaissance sociologique est le fruit d’investigations mises enévidence sur un terrain de recherche. Les enquêtes sociologiquesconstituent la caution qui confère la scientificité du savoir produit. Leterrain, lieu d’expression, d’observation du fait social, permet de véri-fier les idées les concepts, les théories.

Le terrain de recherche en ce qui concerne sa présentation, permetau chercheur de rendre compte de la monographie de l’écosystèmeétudie et d’orienter son travail. Le présent travail s’élabore au contactdes populations du canton Dibi dans l’arrondissement de Nyambaka,département de la Vina

Cerner l’histoire du village, se saisir de la réalité sociale, invento-rier les pratiques sociales, qui participent de la formation, del’organisation de la structuration même de la vie économique, poli-tique et sociale du groupe cible. Au-delà de l’humain, il s’agit derendre compte aussi du milieu physique qui canalise à sa manièrel’activité humaine. Il a toujours été noté que l'environnement in-fluence d'une certaine manière l'activité sociale.

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Ce chapitre se veut un compte rendu de la vie cantonale de Dibidans toute son originalité et sa pluralité, dans les inter-agissements, lesinteractions, les interrelations de ses acteurs au sein même de leur bio-tope.

Parmi les trois sections qui structurent ce chapitre, nous débutonspar le cadre physique.

I-1. CADRE PHYSIQUE DE L’ÉTUDE

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Il s'agit ici de s'intéresser aux diverses et multiples potentialitésd'ordre physique que regorge notre zone d'étude.

Le milieu physique d'un territoire est l'ensemble constitué du re-lief, des sols, du réseau hydrographique ainsi que du climat qu'on yretrouve.

Nos investigations de terrain nous permettent d’afficher les cartesdu site, de relayer et de détailler ces aspects. Le relief et la pédologieapparaissent au premier chef.

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Carte 1 : Localisation de la zone d’étude.

Dibi est un village de l’arrondissement de Nyambaka dans le dé-partement de la Vina. Son immensité géographique n’a pas encore étéactée. La réalité des faits le place sur le linéaire routier Ngaoundéré-Meiganga. Sa population était de 1059 habitants en 1967 essentielle-ment composés de Peuls. Ses coordonnées géographiques indiquent :Méridien 13° 43’ et Parallèle 7° O8’. 49 Aujourd’hui, les responsablesdu CMA nous informent que la population de tout le canton de Dibiavoisinerait le chiffre de 5000 habitants, composée d’une mosaïque detribus donc les Peuls constituent le groupe majoritaire.

Le village de Dibi est situé à presque 40 kilomètres de la ville deNgaoundéré et à une centaine de Nyambaka, arrondissement dans le-

49 Dictionnaire des villages de l’Adamaoua, Division des études géogra-phiques, ONAREST, p. 16.

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quel il est rattaché. On y accède au moyen d’une route bitumée, laroute nationale N° 1.

I-1-1- Relief et sols

Dans cette partie, nous nous proposons d’élaborer un bref aperçudes aspects biologiques du sol puis de capturer la morphologie dupaysage de notre zone cible qui est précisément le canton Dibi.

I-1-1-1-Relief

Le relief s’entend globalement comme l’ensemble des inégalités dusol. Il concerne des hautes comme des basses terres.

Le relief de notre terrain épouse celui des hauts plateaux qui, engénéral, alterne cols, vallons et faux plats, laissant derrière entrevoirun paysage rugueux. Le plateau de l’Adamaoua regorge des formescalmes aux ondulations douces qui sont conditionnées par des épan-chements de laves basaltiques. Le basalte du château d’eau camerou-nais est un excellent producteur de terre rouge. Pour le chercheur al-lemand, il est probable que la pauvreté de la couche végétale soit enrapport direct avec cette qualité du basalte parce que la couche po-reuse de terre rouge est ici d’une épaisseur exceptionnelle pourl’Adamaoua. Situé sur l’une des pentes du col dit Laoubadi qui cul-mine à plus de 1-600 m 50 d’altitude, sommet qui héberge les antennesde relais de plusieurs entreprises de téléphonie mobile, le village Dibis’étale sur l’un de ces faux plats que regorge le corridor volcaniqueWakwa-Dibi.

Le regard de l’observateur parcourt tour à tour les petites montéeset les fonds plats qui facilitent le drainage des eaux ainsi que leur pé-nétration dans le sol. A chaque averse, les eaux de ruissellement lais-sent des sillons sur ce sol ferrugineux qui se décape au gré des intem-

50 Altitude fournie par l’équipe technique de la société Andrade-Zagope char-gée des travaux de la construction du tronçon routier Mbéré-Ngaoundéré.Entretien réalisé le 17/07/2017

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péries. Des torrents boueux qui se forment sur ces sols très souventdénudés entrainent toutes les particules vers les bas-fonds tout en lesfertilisant.

I-1-1-2- Sols

Les sols qui se sont développés ici s’intègrent dans les types ditsferralitiques et ferrugineux. Ce sont des sols très fragiles qui s’érodentfacilement aussitôt son couvert herbeux ou forestier dégarni. De mul-tiples lessivages qu’ils subissent provoquent et conduisent à des cui-rasses par suite de latérisation. Les sols lessives à concrétionss’observent généralement en position haute, sur le versant, sur lespentes et les plateaux et ont une valeur agricole moyenne avec unefaible capacité de rétention en eau, dessèchement rapide, fertilité chi-mique faible en moyenne une faible teneur en matières organiques etsusceptibilités à l’érosion.

Les sols développés sur des volcanites sont très fertiles, favorisantune intense activité agropastorale. Si ces sols se révèlent peu sensiblesà l’activité humaine, il n’en va pas de même de leur couverture végé-tale qui, suite aux feux de nettoyage des pâturages sont profondémentet durablement appauvris. Les pratiques culturales qui laissent peu deplace à la jachère ne sont pas là pour améliorer les choses. Seuls lesfonds plats et les rivages de marigots restent encore des aires cultu-rales privilégiées.

I-1-2- Climat et hydrographie

Présenter une zone est un exercice qui ne pourrait se soustraire desaspects climatiques et hydrographiques dudit milieu.

I-1-2-1- Climat

S'agissant de la météorologie, Le canton de Dibi est situé en zonesoudanaise et bénéficie d'un climat soudano-guinéen d'altitude, car

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s'élevant à 1300 m 51 au-dessus de la mer. La conjugaison des diffé-rents éléments climatiques en présence crée ici une originalité clima-tique.

Le régime climatique est marqué par deux saisons très contrastéesallant de la pluvieuse qui dure entre 7 et 8 mois : mars - octobre etl'autre sèche de 4 à 5 mois entre Novembre - mars. Altitudes élevéesadditionnées à une végétation clairsemée se traduisent par une rudessedu climat. Les périodes de froid sec appelé ici « jaangol »52 et celuihumide « peewol » 53 sont très redoutés des populations. Des vaguesde vent et de brouillards en saison d’hivernage balaient cette zone touten l’enveloppant d’épais manteaux avec une visibilité quasi nulle. Ensaison sèche, le vent souffle de façon presque continue.

Dans cette zone, les précipitations sont très abondantes car il pleuten moyenne 1400 mm 54 de pluies par an. Le mois d'août regorge sou-vent le maxima de précipitations. En général, on y rencontre despluies dites orographiques constituées d'averses et d'orages dispersésdans le temps et dans l'espace.

Le plateau de l'Adamaoua subit une température modérée. Lamoyenne annuelle enregistrée est de 25%. S'attardant uniquement surdes aspects méthodologiques serait insuffisant pour l'examen physiquede ce site, raison pour laquelle nous jetons également notre regard surl'hydrographie du Canton.

I-1-2-2- Hydrographie

Branche de la géographie physique, l'hydrographie se veut l'étudedes cours et points d'eau d’une région. Celle de notre site se composede cours d’eau et de lacs.

51 Ibid.52 Appellation locale du froid qui sévit en saison sèche, l’harmatan.53 Vent frais de la période d’hivernage54 Boutrais, J., Peuples et cultures de l’Adamaoua (Cameroun), Co-édition,

ORSTROM/ « Ngaoundéré-Anthropos », Paris, 1993. P. 39.

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I-1-2-2-1- Cours d’eau

Comme la plupart des territoires sur élevés, la zone de Dibi est unespace pauvre en cours d'eau. Autrefois, un lac avait généreusementdoté le village en eau et en humidité mais aujourd'hui est envahi parune verdure luxuriante au grand bonheur du bétail. Certains anciensdu village se rappelle encore qu’autrefois des activités halieutiques yétaient menées par leurs parents.

À part quelques petits ruisseaux qui serpentent cette contrée, lespopulations du village trouvent leur salut auprès des multiples forageset puits aménagés çà et là. Néanmoins, on retrouve deux rivières quiservent de frontières naturelles respectivement à l’est et à l’ouest ducanton. Il s’agit de la Vina et de la Marboui. Des espaces qui accueil-lent des paysans désireux de se livrer aux activités de pêche.

On distingue par ailleurs la présence très remarquable de deux lacsde cratère.

I-1-2-2-2- Lacs de cratère

Ces deux sites trahissent à suffisance le passé mouvementé qu'aconnu cette zone en matière d'activité volcanique. Notre site est enréalité un sommet de volcan.

Le lac Ngaoundaba, le plus aménagé s'étendrait sensiblement surun espace d'au moins un kilomètre de diamètre avec une profondeurestimée à 80 m.

Le lac Marboui, un plus au sud de Ngaoundaba, est relativementplus grand que le premier cité et descendrait à plus de 100 m.

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Photo 1 : Lac de Ngaoundaba ; réalisée par Lekoua Thierry le 17/07/207

Ces deux forces de la nature ne sont pas encore domptées par lapopulation locale. Leurs rapports, très souvent douloureux, tapis dansla mémoire collective du village dissuadent même le plus témérairedes aventuriers. Il s'agit notamment de nombreux jeunes gens du vil-lage engloutis de temps à autre par ces eaux noires. Il leur a été inter-dit d’y aller à nouveau.

Des sources du ministère camerounais du tourisme les classent aumême rang de dangerosité que le Lac Nyos en termes de rétention oude production du dioxyde de carbone. Les lacs de cratère, ayant engénéral une forme conique, ne favorisent pas la circulation de ses eauxpour les oxygéner. Ceci entraîne alors le processus de gazéification 55.

Bien que disposant des eaux circonscrites, ces gisements hydrolo-giques laissent naître et prospérer une faune et une flore sans cessecroissantes.

55 Les lacs de cratère se situant dans des endroits clos qui ne permettent pasune oxygénéisation et une circulation des eaux. C’est également le cas dulac Nyos.

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I-1-3- Faune et flore

La faune et la flore constituent des éléments de premier ordre ausein d'un écosystème. C'est la population qui se meut dans un espace.La faune étant considérée comme l'ensemble des animaux d'un sites'oppose à la flore qui se veut la totalité végétative. C'est cet ensembleque la science biologique réunit dans le concept biocénose.

I-1-3-1- Faune locale

Nous distinguons dans notre espace de travail, une faune terrestre,scindée en deux sous-groupes : sauvage et domestique puis celle diteaquatique.

I-1-3-2- Faune terrestre et aviaire

Avec la poussée démographique, la faune dite sauvage de notrezone d'étude se raréfie. Le gibier, autrefois très abondant notammenten sangliers, porcs épics et autres singes n'existent que beaucoup plusdans le souvenir des habitants. Néanmoins, en période pré récolte demaïs, les dégâts causés par quelques bandes de quadrumanes se racon-tent lors des causeries et des salutations. Avec la montée du grandbanditisme 56 dans la zone, il a été interdit de chasser au sein et dansles alentours du village.

Quelques oiseaux granivores comme la perdrix et le tisserandprospèrent également aux abords des espaces cultivés. En saisonsèche, par exemple, des nuées de pique-bœufs, oiseaux migrateurs, y

56 Depuis quelques années, notre zone d’étude ainsi que d’autres localités de larégion de l’Adamaoua connaissent la montée du grand banditisme qui setraduit par des actes de braquage et agressions à domicile, des enlèvementsavec demande de rançons. La démocratisation des outils NTIC en est un desfacteurs aggravant de ce phénomène.

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séjournent afin d'imposer au cheptel bovin une vaste campagne de dé-parasitage.

Par ailleurs, la faune domestique est très abondante, Dibi possèdeun considérable cheptel bovin. Des chiffres de l'agent vétérinaire enposte dans le village l'estimerait à 30 000 têtes 57 environ. Les chiffressont approximatifs car le peul est par essence avare en informationssur ses avoirs.

I-1-3-3- Faune aquatique

La faune aquatique observée dans cet espace de recherche aurait puêtre abondante au regard de l'important gisement hydrologique de larégion. Les populations n'ayant pas accès aisément à ces sites, les ac-teurs du domaine piscicole se contentent des maigres prises obtenusdans des marigots du coin spécialement dans les rivières Vina et Mar-boui 58. Pour y accéder, de vastes espaces boisés sont traversés par lespopulations.

Le grand lac situé au cœur même du village colonisé par desherbes sert aussi pour des activités piscicoles d’un autre genre. Lesruraux y ont creusé des puits qui servent d’étangs. Ils se remplissenten saison des pluies, puis en saison sèche, les récoltes se font tranquil-lement avec la baisse du niveau des eaux.

I-1-3-4- Flore cantonale

La flore, dans son ensemble, subit des transformations par rapportà l'activité humaine et animale. Il peut s'agir des situations d'aména-gement ou de prélèvement.

57 Données d’enquêtes produites par l’agent vétérinaire en poste à Dibi.58 Noms des deux rivières qui bornent l’espace occupé par la communauté

cantonale de Dibi.

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I-1-3-4-1- Végétation

À l'échelle d'une vie humaine, de nombreux changements s'obser-vent dans le paysage de Dibi. De nombreuses activités impliquant laflore locale à l'instar des feux de brousse de nettoyage des pâturages etdes espaces à cultiver, le déboisement abusif à valeur domestique, cul-tural, protectrice ou économique, l'utilisation des herbicides de plus enplus à la mode, vont en s'augmentant proportionnellement à l'accrois-sement de la population agricole. C'est ainsi que de nombreuses es-pèces se font rares. Le samataadje 59, espèce très prisée à haute valeurdomestique se raréfie. Seules les bas-fonds, et quelques sommets decôte demeurent nettement boisés.

Par ailleurs, on note l'émergence l'augmentation des espaces her-beux au grand bonheur des bergers qui y conduisent leurs bêtes enpériode d'hivernage. De même, s'observe l'émergence de nouvellesplantes notamment l’« Eupatorium odoratum » 60, reclassé récemmentcomme étant le chromolaena odorata, plante vivace, herbacée, au portbuissonneux à croissance rapide d'origine est-asiatique et australienne.

59 Arbuste très utilisé comme bois de chauffe. Bois de très bonne qualité.60 Plante vivace, herbacée à ligneuse, d’origine d’Amérique du Sud, au port

buissonnant, à croissance rapide, formant des fourrés dense pouvant at-teindre jusqu’à 2m.

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Photo 2 : Vue panoramique du village Dibi, réalisée par Lekoua Thierry, 17/07/2017.

I-1-3-4-2- Boisement

Les activités liées au boisement sont au stade des prémisses. Lespionniers, staff administratif du lycée, s'essaient dans un projet pilotede reboisement dans et autour de l'établissement scolaire. La divaga-tion bovine et caprine entrave le développement des plants.L’expérience initiée par une ONG n’avait pas été concluante.

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I-2. CADRE HUMAIN

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La présentation humaine dans une étude a pour but de faire ressor-tir les différentes composantes ethniques voire tribales en présence etqui construisent la réalité sociale du milieu. Ces groupes en mouve-ments peuvent s'observer sur le plan politique, culturel et même so-cial. C'est également scruter l'homme d'aujourd'hui et même celuid'hier c'est à dire, le passé et le présent de la population cible qui avoi-sinerait cinq mille âmes 61.

I-2-1- Occupation du site

Se situant au terminus du corridor montagneux qui part de Wak-wa 62 jusqu'à Dibi, notre zone d'étude a autrefois servi de zones depâturage pour le cheptel lamidal. Ledit bétail y était conduit par lesesclaves de la cour de tribu Mboum 63. Cet endroit avait reçu le nomde « Imbi i Imbi » qui désigne un territoire se situant à la confluencedes deux marigots qui longeaient le village autrefois et qui se déver-saient dans le lac aujourd’hui asséché puis colonisé par une verdureluxuriante. Vers la fin du XIXe siècle, après l’affranchissement desanciens esclaves Mboum du joug lamidal, ce territoire fut laissé videde toute activité humaine puis occupé par les peuls.

Une autre version qui s’appuie sur une publication de Jean Bou-trais et des informations recoupées également sur le terrain datentl’occupation du site par les Peuls au début du siècle plus précisémenten 1825 64. Lors des vagues migratoires, les peuls transhumants

61 Chiffres du Centre Médical d’Arrondissement de Dibi effectués lors descampagnes de vaccination.

62 Village se situant entre Ngaoundéré et Dibi dans lequel se trouvent les ser-vices régionaux de l’IRAD.

63 Peuple ayant occupé notre site avant les Peuls.64 Entretien avec le chef de village réalisé par Thierry Lekoua, le 05/10/2017.

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Mayo-Iné 65 se sédentarisèrent sur les grands plateaux de Dibi,Nyambaka et Tourningal. Ces propos de Jean Boutrais concordentavec les récits de terrain qui renseignent sur le fait que les famillesrégnantes de Dibi et Nyambaka sont parentes. Cette réalité de terrainconforte la thèse énoncée plus haut.

In fine, quelle que soit la version validée, elle conforte la primautéde l’occupation peule sur cet espace et l’antériorité des Mboum pouravoir attribué les premiers noms aux éléments du site.

I-2-1-1- Occupation peule

Les nouveaux occupants commencèrent pas y cultiver du mil. Ce-lui-ci a été abandonné à cause de nombreux oiseaux granivores quisévissaient dans cette zone d'une part et de la souffrance due à l'âpretédu travail qu'implique la culture de cette céréale d'autres part. Cesconditions de mise au travail ne correspondant pas à la vie noble,voire seigneuriale peule conduisent à l'abandon du mil et à l'adoptiondu maïs. C'est ce maïs qui continue aujourd'hui de nourrir le peuple ducanton Dibi.

I-2-1-2- Arrivée des populations allogènes

L'activité agricole peule et les petits métiers qu'elle génère ont atti-ré les populations non musulmanes, les Kirdis, communautés très tra-vailleuses manuellement. Les conditions de vie étant devenues favo-rables, ces derniers s'y installèrent définitivement jusqu'à aujourd'hui.Et au fil des temps et des opportunités, puis des événements de plus enplus d'allogènes arrivent dans le canton et s'y établissent.

Ces multiples arrivées se mélangeant aux autochtones 66 font deDibi aujourd'hui un village cosmopolite. C'est l'expression même duseptentrion camerounais. En y ajoutant la migration professionnelle en

65 Boutrais, J., op.cit.,66 Nous les appelons ainsi parce qu’ils sont les premiers occupants de l’ère

datée du site qu’ils occupent jusqu’à ce jour.

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provenance du sud du pays, le canton affiche alors à ce jour, « un Ca-meroun en miniature ».

I-2-2- Culture et organisation socio-politique du canton

Ailleurs comme ici, toutes les communautés humaines s'organisentpour une vie en société. Cette organisation implique une structurationde l'espace habité en termes de gestion des ressources humaines etnaturelles afin de mener en son sein de multiples activités et pratiquesà même de garantir la survie du groupe.

I-2-2-1- Caractéristiques ethnoculturelles du canton

Les habitants de Dibi affichent des caractéristiques diversifiées tantdans leurs origines que dans leurs modes de vie.

I-2-2-2- Configuration ethnique

Évoquer la configuration ethnique c’est détailler les différentescomposantes groupales qui occupent l’espace cantonal de manièresocio-anthropologique.

I-2-2-2-1- Les Peuls

C'est le groupe ethnique majoritaire et autochtones, les Peuls furentles premiers à occuper le village de manière pérenne et appliqué lamaxime populaire qui s'applique en pareil cas : « premier à arriver,premier servi ». Cette antériorité jouxtée à une supériorité numériquepermettent à ceux-ci de marquer de leur empreinte tous les pans de lavie cantonale.

Peuple pastoral par essence, ils ont développé depuis des généra-tions ce que plusieurs penseurs sociaux du monde sahélien ont appelé

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« la civilisation de la vache » 67. C'est ce qui justifie ici la présenced'un grand marché à bétail qui leur donne rendez-vous tous les ven-dredis. En règle générale, les ouvriers pastoraux signent un contratverbal d'avec un berger et celui-ci s’engage à octroyer en tant que ré-munération une pension alimentaire en farine de maïs et un taurillonaprès quelques mois de service.

Ailleurs comme à Dibi, les peuls sont aussi des agriculteurs mieuxdes céréaliculteurs. Ils font pousser au fil des hivernages de vastes sur-faces de maïs. Céréale qui est vendu sur pied, ensachée, ou en produitfini sous forme de farine et ceci après avoir retiré la quantité néces-saire à la consommation annuelle de la famille.

Le commerce est aussi leur domaine de prédilection. Ils détiennentla quasi-totalité des boutiques du village. Les meilleurs emplacements,les abords de route sont occupés par eux. Ils œuvrent également dansle commerce informel, surtout les " cadets sociaux "68, femmes etmoins jeunes.

I-2-2-2-2- Les Gbaya

Deuxième groupe ethnique par le nombre, ce groupe ethnique estarrivé à Dibi par vagues successives. Leur implantation dans ce lieuest à la troisième génération. Ils y ont été attirés par le potentiel agri-cole de la zone. Nombreux d’entre eux ont été des migrants agricolesavant de s’y installer à leur propre compte en acquérant des espacescultivables. Les Gbaya sont essentiellement des agriculteurs. On pour-rait parler ici de la « civilisation du manioc » 69 en ce sens que ce tu-bercule joue le même rôle que le mil chez les Toupouri par exemple.

67 Concept développé pour indiquer un mode de vie sociale construit autour del’activité pastorale au centre duquel trône la vache.

68 Concept développé pour désigner les catégories sociales dominées et margi-nalisées que sont les jeunes et les femmes par rapport aux ainés sociaux dontl’autorité repose sur l’âge, la position dans la lignée que sur la possessiondes ressources matérielles et symboliques.

69 Terme employé ici parallèlement aux civilisations de la vache et du mil pourmettre l’emphase sur la position centrale occupée par le manioc dans la viesociale de l’homme Gbaya.

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Ils cultivent, dans des parcelles qui leur ont été octroyées par leDjaouro, du manioc, du maïs, des ignames et des légumes. On re-marque également qu'ils jouent aussi le rôle d'ouvriers agricoles au-près des Peuls.

Le petit commerce informel intra-communautaire est aussi prati-qué. Ils détiennent de petits comptoirs dans leurs cases où ils vendentles produits de première nécessité, des trophées de chasse ou de lapêche, le fruit de quelques rapines, et du bois de chauffe, du miel ainsique des légumes. Vivant dans la précarité, et en rupture avec totaleavec les dominants, du moins en ce qui concerne l'habitat, les Gbayadéveloppent des stratégies de survie en devenant très actifs dans denombreux domaines.

La période faste chez eux est la saison sèche. Avec la rareté despâturages et des points d'eau, de nombreux bœufs trépassent sous lecoup des aléas de saison. Ceux qui n'ont pas été égorgés à temps pourrecevoir le rite de purification adéquat sont mis à la disposition despopulations non-musulmanes. C'est ainsi que des carcasses entièressont dépiécées, vendues immédiatement où séchées pour l'usage de lamaisonnée et parfois écoulées chez des revendeurs pour la ville.

Il faut souligner que cette activité adoucit le joug islamo-peul surces derniers. Le même phénomène se déroule lors des accidents con-cernant le bétail ou lorsque le troupeau est frappé par la foudre. Il fautrelever que les Gbaya sont des gros consommateurs de viande 70. Au-trefois, elle provenait des activités de pêche et de chasse, aujourd’hui,avec la rareté du gibier et les interdictions de chasse dues au récentphénomène des enlèvements ciblés, la chasse a été interdite. L’un desbénéfices de la cohabitation Gbaya-Peul repose en général, malgré ladomination s’appuyant sur le lamidalisme, 71 sur l’appropriation etl’acquisition des charognes bovines.

La gestion de la vie au niveau du territoire non-musulman est dili-gentée par les Gbaya. Ils sous-traitent alors le pouvoir central peul

70 À l’observation, les Gbaya s’approprient des carcasses de bœufs morts dé-laissées par les Peuls comme impures. Celles-ci sont boucanées et consom-mées quotidiennement.

71 Concept développé par Motazé Akam dans ses travaux sur le Nord-Cameroun pour désigner la structuration de la vie sociale par et dans les en-tités que constituent les lamidats.

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dans cet espace de vie qui est de plus en plus occupé par des popula-tions venues d'autres horizons.

I-2-2-2-3- Autres groupes ethniques

De micro autres composantes ethniques sont présents dans cet es-pace de vie. On distingue alors des Laka, d'origine centrafricaine outchadienne, des « extrémistes », ressortissants de la région del'Extrême-Nord du pays, des réfugiés centrafricains. La migration pro-fessionnelle a fait venir également des citoyens du sud du pays dansce canton.

Toutes ces populations ici réunies se côtoient au quotidien, non pasdans une harmonie parfaite mais en bonne intelligence. Chacun occu-pant sa position dans ce vaste champ où chacun cherche les ingré-dients nécessaires à son épanouissement. C'est l'expression même duvivre ensemble à la camerounaise.

I-2-2-3- Cohabitation et le vivre ensemble

La problématique de la cohabitation ethnique et du vivre ensembleconstitue aujourd'hui une grande préoccupation tant dans le mondescientifique que politique dans notre pays. C’est à juste titre que l’onlit dans le document du MINJEC (2015) sur la politique de la jeunesseque « L’éducation et la promotion du vivre ensemble sont au centredes préoccupations gouvernementales » 72, p. 11. Elle charrie un cer-tain nombre d'enjeux. La difficulté à mettre en musique des individusa été illustrée par de nombreux travaux scientifiques. C'est dans cesens que la gestion harmonieuse du parc multi-ethnique de Dibi estdigne d'intérêt.

La communauté peule autochtone, agro-pastorale, détenant lescommerces et les logements du canton pratique une hospitalité à va-leur économique. L'étranger ici est pris comme une ressource exploi-table. Il va s'agir d'un client, un locataire, un ouvrier agro-pastoral etc.

72 MINJEC, op.cit., p. 11.

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Le pacte du vivre ensemble ici réside dans la résolution d'y demeurersans chercher noise à autrui. Le respect mutuel est la règle d'or. Toutallogène doit se montrer serviable et respectueux prouvant sa volontéde s'intégrer au sein de la communauté à travers sa participation à lavie collective. Andegue Andegue, enseignant à l’école primaire deDibi affirme « Les gens d’ici ne sont pas compliqués. Le seul effort àfaire est de vivre en y menant son activité sans t’occuper des chosesdu village. Les problèmes commencent souvent lorsque l’étrangerveut s’immiscer dans les manières de faire des villageois » 73 Le vi-sage du vivre ensemble affiche alors deux caractéristiques à savoir lerespect et la serviabilité.

Le rayonnement de ce village, son « émergence » 74 comme ils ledisent ici, vient du flux financier capté ou produit dans les rapportsavec les étrangers en transit, la main d'œuvre allogène productrice derichesse ainsi que la migration professionnelle.

La gestion des antagonismes ici est simple, l'individu ou la famillene distinguant par des comportements asociaux est expulsé du villagesouvent dans un délai très court sans possibilité de retour.

I-2-2-4- Démographie et habitat

Il a toujours été observé que la valeur démographique d’une socié-té conditionnait aussi sur le type et le mode d’habitat.

I-2-2-4-1- Démographie

La croissance démographique à Dibi est en hausse commel’indiquent les statistiques au niveau national. Le Cameroun connaitun taux d’accroissement naturel de l’ordre de …. Les chiffres prisdans les effectifs des classes de SIL à l’école primaire ainsi ceux du

73 Entretien réalisé le 13/07/2017 par Lekoua Thierry.74 Bénéficiant d’une position géographique stratégique, ce village capte des

flux financiers divers qui assurent une amélioration de la qualité de vie. Ilsse targuent ici d’être un « village émergent ».

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CMA en termes de couverture vaccinale indiquent une augmentationgénérale mieux une régénération de la population de manière pyrami-dale.

Par ailleurs, il existe des migrations économiques dues à des acti-vités agricoles et tout récemment à l’implantation de la Société An-drade Zagope pour les travaux routiers sur la nationale n 1 ainsi qu’àla crise centrafricaine. Ces évènements ont entrainé un boom démo-graphique qui a eu une incidence sur la qualité et la quantité del’habitat dans le canton.

Le phénomène d’exode rural ne se fait pas beaucoup ressentir carle village dispose d’un établissement secondaire qui maintient lesjeunes scolarises sur place. Ceux victimes d’un décrochage scolairetrouvent des occupations précaires sur place car le village regorged’emplois saisonniers et des opportunités d’affaires. Beaucoup dejeunes développent des activités génératrices de revenus.

I-2-2-4-2- Habitat

L’habitat de cette contrée est majoritairement de type moderne.Les populations peules sont les mieux loties. Ils disposent de loge-ments, des concessions (Sa’arés) construits en matériaux définitifs.C’est dans cette partie du village que logent également les agents del’État en service au village. L’implantation de la société Andrade-Zagope a permis une reconfiguration de la carte de l’habitat de ma-nière considérable grâce aux fonds qu’aura générés.

Les recettes générées par ce phénomène structurant ont permis auvillage de se moderniser. La cohabitation entre le village et son hôtede marque a constitué un point d’accélération du processus de moder-nisation, de capitalisation et même d’androïdisation 75 du canton. Au-trement dit, les ruraux ont appris à négocier, à provoquer la pénurie,l’inflation, bref à tirer le maximum de bénéfices possibles. Ces fondsont été alloués en grande partie dans le secteur l’aménagement deslogements et les achats des gadgets et outils technologiques.

75 Concept employé pour marquer le processus d’acquisition des ressourcestechnologiques et cognitives y relatives dans l’usage des NTIC.

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Par ailleurs, on rencontre un habitat de type traditionnel : mur enbriques de terre, sol en terre battue avec un toit en paille, en zone kir-di. Ce type d’habitations ici révèle les conditions de vie précaires danslesquels vivent certains. Ce cliché est observé dans la partie kirdi duvillage. De nombreux migrants agricoles y vivent. La case d’unepiècepeut se négocier pour un bail mensuel de 2000 francs.

I-2-2-5- Manifestations culturelles et pratiques religieuses

Cette partie met en évidence les pratiques sociales liées aux activi-tés que mènent les communautés de ce canton en termes de culture etde religion.

I-2-2-5-1- Manifestations culturelles

Le volet ouvert à l’activité culturelle est réservé à la langue. Le ful-fulde est la langue de communication en vue au sein du village. Samaitrise ou du moins s’y exercer, est un indice d’intégration et unemarque d’affection envers les ruraux. Le parler lors des transactionsrenforce les liens au sein du tissu social.

La vie culturelle s'observe dans des rites et manifestations liés auxentrées en unions.

Les festivités qui, autrefois, marquaient le retour des circoncis auvillage après 41 jours d’initiation en brousse ont pris fin avecl’avènement de la vie moderne.

I-2-2-5-2- Pratiques religieuses

Les populations de cette p1-artie du pays sont très croyantes. Troiscommunautés religieuses partagent cet espace et se côtoient harmo-nieusement. Des sites d'implantation des chapelles ont été attribués àchaque communauté. Les cultes, les prières et les activités religieusessont pratiqués au quotidien. On distingue ici en grand nombre, la

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communauté musulmane ainsi que deux missions chrétiennes notam-ment les évangéliques et les catholiques.

La communauté musulmane

Les symboles islamiques sont très visibles. La grande mosquée deDibi trône au centre du village. Tenue par l'imam..., elle accueille lesprières quotidiennes et surtout la grande prière du vendredi. Événe-ment qui draine les populations des contrées adjacentes vers ce lieuaussi marchand en ce jour.

Çà et là, comme pour rapprocher les fidèles des lieux d'adorationd’Allah, de multiples petites mosquées ont été essaimées dans lesquartiers du village.

Au-delà des mosquées, les écoles coraniques existent un peu par-tout pour initier, encadrer et accompagner les tout petits et les femmesvers les chemins de la foi.

L'église évangélique

L'Eglise Évangélique Fraternelle du Cameroun (EEFC), est le do-maine religieux des populations kirdi, dominées par les Gbaya. C'estune communauté dynamique de plus d'une centaine de membres. Ilsont érigé une chapelle dans la partie du village leur appartenant. Auquotidien l'on peut observer leur déploiement sur le terrain en termesd’accompagnement et d’encadrement des fidèles.

L'association religieuse « femmes pour Christ » est le mouvementphare de cette communauté. Elle se met en branle lors des situationsnécessitant la marque de la fraternité, d'entraide et de solidarité dansdes moments difficiles que peuvent vivre certains des leurs.

L'église catholique

Les catholiques constituent ici le parent pauvre en termes demembres. C'est une petite communauté d'une trentaine de fidèles. Ellea bâti une chapelle à l'entrée nord du village. Elle mène ses activitéssous l'accompagnement de la paroisse de Nyambaka dont elle dépend.

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I-2-3- Organisation sociale et politique

Il s’agit de souligner la structuration et le fonctionnement de la viesociale et politique.

I-2-3-1- Organisation sociale

La vie sociale cantonale dans son fonctionnement en tant quegroupe est une communauté dans son ensemble, mais scindée en deuxsous-groupes : la communauté islamo-peule et les kirdis. La structurefamiliale met ensemble les individus issus d’un même ancêtre.

I-2-3-1-1- De la formation des familles

En matière d’entrée en union, les peuls manipulent l’endogamieaussi bien que l’exogamie. Les Peuls se marient au sein d’un mêmeclan, de la même caste et de la même lignée. Les alliances marialespeuvent se nouer entre deux cousins. Il arrive que les ascendants de la3è génération entrent en union. Ce phénomène prend corps surtoutlorsque les enjeux économiques sont privilégiés.

En zone kirdi, l’exogamie est de rigueur. Il est à noter que les ma-riages arrangés sont les plus observés. Par ailleurs, et de plus en plus,les jeunes entrent en union sans obéir aux canons ancestraux en la ma-tière. Les parents, surpris par une consommation précoce des attributsdu mariage et parfois jusqu’à la grossesse sont obligés de scellerl’union.

Au sein du village, les mariages engageant les membres des deuxsous-communautés sont rares. Seuls les hommes peuls peuvent pio-cher femme dans l’autre camp et la situation inverse ne s’est jamaisproduite dans le canton jusqu’à ce jour.

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I-2-3-1-2- Le mouvement associatif

La dynamique associative est traduite dans cette zone par la pré-sence, l'effervescence d'un mouvement associatif bien structuré.Toutes les forces sociales se déploient en vue de la mise en commun,en synergie des volontés individuelles et collectives dans le soucid'accroître leurs potentialités, leurs ressources.

On distingue des associations ou Groupements d'initiative Collec-tive (GIC) par catégorie d'âge. MOJESDI, KD2, ou encore CASDIsont des créations des catégories juvéniles. Ces mouvements d'unejeunesse avide de mieux-être s'investissent dans le secteur agro-pastoral, l’éducation et la formation. Ces organisations sont inclu-sives, c'est-à-dire ouvertes à tout jeune sans distinction de son origineni de son obédience religieuse. Tout jeune habitant de Dibi peut endevenir membre à la seule condition d'être résident du village à pleintemps. En fin d'exercice, les bénéfices sont proportionnellement répar-tis aux membres et le capital réinvesti pour prospérer à nouveau.

APAD, s’occupe de la personne handicapée en termes de dons,d’accompagnement, de captage des fonds extérieurs.

Les mouvements pour adultes fonctionnent aussi bien que ceux desjeunes. Les seniors d'ici ont créé de véritables entreprises.

APPESS s'investit dans la collecte et la distribution de lait ainsique dans la fabrication et la vente des produits laitiers. Il leur arrive defabriquer des fromages en cas de commande, car ils fonctionnent demanière contractuelle avec leurs clients basés dans des grandes villes.

SAPAC est un groupement d'initiative commune qui œuvre dans lacollecte et l'abattage des zébus de plus de 400 kg. Un abattoir mo-derne a été construit dans le ranch de Ngaoundaba 76. Leurs produitssont acheminés dans des marchés sud camerounais voire sous régio-naux.

La dynamique associative se conjugue aussi au féminin. De nom-breuses tontines essaiment dans le village. Celles-ci fonctionnent en

76 Nom du site dans lequel se trouve l’un des lacs de cratère du canton. Littéra-lement, en langue Mboum, cet appellation signifie : la montagne des ju-meaux. Les origines de cette appellation ne nous ont pas été révélées.

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général comme des « banques » 77. Ces méthodes de mutualisation del'effort collectif local permettent aux dames de résoudre des pro-blèmes particuliers à l'instar des préparatifs des entrées en union deleurs filles ou encore de la réalisation des champs ou des projetsd'équipements ménagers.

I-2-3-1-3- Appuis extérieurs

Dans le souci d'encadrer, d'accompagner l'effort paysan et de boos-ter l'effort paysan, le PNDP, programme national pour le développe-ment participatif, a fait naître un certain nombre de projets notammentla construction des forages, la mise sur pied d'un parc de vaccinationanimale dans l'intention de promouvoir et de garantir une activité pas-torale épanouie. De même, un champ fourrager a été implanté et four-nit à saison et à contre saison de la pâture au cheptel bovin et ovin dela localité. Tous ces projets ont été mis en œuvre dans la partie isla-mo-peule du village et ils en sont les seuls bénéficiaires. Les autrescomposantes ethniques du canton en sont exclues. Nombreux en igno-rent même jusqu’à l'existence.

Tous ces efforts permettent actuellement de voir se traduire en vic-toire, la volonté d'une paysannerie à s'occuper d'elle même mieux àœuvrer pour son progrès, son émergence.

I-2-3-2- Organisation politique

Comme dans tous les villages du pays, Dibi est sous l’autorité d’unchef traditionnel. C’est une organisation dynastique qui dirige le can-ton depuis la création du village. Le pouvoir locale a toujours ététransmis de père en fils. Le Djaouro de Dibi revêt les attributions d’unchef de troisième degré qui lui permettent de réguler, rendre justice etde régner dans le village. Il juge et tranche les litiges qui opposent leshabitants de son village puis inflige des sanctions aux coupables. Ici,

77 Système de gestion des épargnes, des crédits et d’entraide au sein d’uneorganisation de type traditionnel.

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la sanction la plus extrême est l’exclusion définitive du village. Celle-ci peut intervenir après deux remises à l’ordre.

La particularité de sa politique repose sur le respect du vivre en-semble et de la cohésion sociale. C’est ainsi que les individus ne pou-vant pas intégrer les principes y relatifs sont priés de quitter le village.

Il est secondé dans l’exercice de ses fonctions par le collège desnotables qui siège lors de la prise des grandes décisions qui engagenttout le village d’une part et par le chef de quartier kirdi de l’autre. Cedernier s’occupe des affaires, litiges et préoccupations qui concernentsa sous-communauté. Il rend compte au chef du village auprès duquelil réfère tout différend qu’il n’a pas pu solutionner. Le mode de réso-lution des conflits repose sur les arrangements à l’amiable. Ce modede résolution des litiges a pour avantage ici de maintenir le lien socialet de renforcer la cohésion sociale après un différend entre les indivi-dus. Le conflit étant inhérent à l’existence humaine, la résolution decelui-ci tend vers la préservation de la cohésion et l’harmonie so-ciales.

I-3. ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES

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Économiquement, le village Dibi est en branle. Le dynamisme despopulations se lit dans la multitude des activités génératrices de reve-nus développés dans cet espace. On peut y observer une économieformelle et une autre informelle qui s’intègre dans des activités pasto-rales, agricoles, touristiques, commerciales et artisanales. Activitéssomme toute, permettent d'introduire et de faire circuler un importantflux financier dans le canton.

I-3-1- Agriculture

L'activité agricole occupe la totalité des habitants du village. Quelsque soient le groupe ethnique, le statut social, l'origine, l'activité debase, l'habitant de Dibi est un agriculteur. Les périmètres cultivés vontde l'agriculture d'usage domestique à l'agro-business.

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Qu'il s'agisse des cultures de céréales, de tubercules ou de légumes,l'essentiel de la production est réservé à l'autoconsommation. Chaquecultivateur fait ses stocks annuels surtout en ce qui concerne le maïs etles légumes. Tout ceci dépend alors de la capacité de chacun à pro-duire abondamment. Les paysans ne pouvant pas produire assez secontentent de se nourrir instantanément, puis à la fin des récoltes etbien plus en période de soudure vivent au fil des jours des momentsdifficiles.

Par ailleurs, et de plus en plus, on voit naître çà et là des compor-tements à risque en matière de gestion des récoltes. Certains produc-teurs vendent leurs produits bord champ. Des champs entiers de maïssont vendus par épis aux revendeuses en provenance de la ville deNgaoundéré où encore sur place. Cette situation amoindrit et fragiliseles rations alimentaires familiales pis encore si les fonds obtenus sontdilapidés ou alloués à d'autres activités non génératrices de revenus.Et ceci contredit la position de O. Y. Djibrillah qui soutient que « se-lon les us et coutumes dans certaines ethnies, il est interdit à un bonpère de famille de vendre des céréales cultivées pour les besoins de lafamille, sauf en cas de force majeure » 78.

Les populations peules, ayant obtenues de vastes surfaces culti-vables sont également ceux-là même qui étalent de vastes champs demaïs. À cette culture de maïs est annexée celle du vaïgoré, melon enlangue peule. C’est un légume très prisé par les populations d’ici et dela ville. Il se vend très bien et sa présence sur les différents buffets estsignificative. Ses usages sont nombreux notamment dans l’expressiondu sens du partage et à des fins économiques de plus en plus. Il a unehaute valeur marchande car les plus gros peuvent se vendre à plus de500 francs.

Par contre, les populations kirdi, faute de jachère, remuent à lon-gueur d'années les mêmes espaces qui rentabilisent à peine le semis.La réappropriation de nouveaux périmètres culturaux est possible dansle cadre d’une négociation entre l’agriculteur et l’éleveur qui disposeet exploite ledit espace comme champ fourrager. Nous constatons icique la dénomination de champ fourrager est attribuée à tout espacelibre, clôturé ou non dans lequel les troupeaux sont conduits. Ces

78 Djibrillah, O. Y., Tchad. Les dessous du monde rural, Yaoundé, Ifrikiya,2014, p. 76.

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vastes territoires sont en réalité des propriétés privées appartenant àl’élite pastorale locale ou citadine. Samuel Bengai, agriculteur del’ethnie Gbaya déclare que :

Pour étendre mon champ et lorsque j’ai décidé d’en créer un nouveau,

il m’a été demandé de négocier avec le propriétaire Peul qui utilise

l’endroit pour paitre ses animaux. Ce dernier m’a demandé de faire une

bonne clôture car il ne veut pas entendre des plaintes relatives aux dégâts

que les bœufs pourront d’aventure causer sur mes cultures. C’est ainsi que

j’ai eu ma nouvelle parcelle. D’ailleurs, c’est la procédure à suivre ici par

tous les agriculteurs 79.

La culture du manioc, aliment de base chez les Gbaya par exempleest de plus en plus abandonnée au profit du maïs qui se consommeimmédiatement sans possibilité de faire des réserves. Les raisons évo-quées sont variées notamment l'appauvrissement des sols, la longuedurée d'attente des récoltes (2 ans), les maigres récoltes obtenues, lemanque de nouveaux périmètres cultivables, la roublardise des ber-gers qui introduisent nuitamment le bétail dans les champs. Il a étéconstaté que les populations kirdi ne cultivent pas de vastes champsde maïs à même de leur permettre d’avoir d’importantes récoltes. Laraison évoquée par certains est le manque de moyens financiers quenécessite une telle entreprise. Pour d’autres, c’est la disponibilité d’unespace propice et surtout le laborieux effort à déployer pour construireune clôture qui est redouté surtout dans la mesure où l’on n’est pas sûrde faire long feu dans le village

La culture de l'igname est devenue une alternative au manioc. Sacourte période de maturation et sa haute valeur marchande, sa sobriétéen soins et en intrants permettent à ce tubercule d'occuper de plus enplus d'espace dans les champs de toute la communauté paysanne can-tonale. Elle s'intègre en même temps dans le processus de rotation descultures.

Les légumes sont la chasse gardée des femmes. Elles cultivent lesdifférents légumes à consommer dans de petites surfaces. On dis-

79 Entretien avec Bengai Samuel, cultivateur gbaya à Dibi, réalisé le10 /09/2017.

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tingue alors plusieurs genres comme les haako laalo, bolo, koumbi,souaka 80, ... La préférence ici est sur les légumes gluants qui accom-pagnent aisément le couscous.

I-3-2- Elevage

L'élevage est considéré comme la deuxième activité du villageaprès l'agriculture non pas en termes d'apport à l'économie locale maisplutôt d'acteurs qui l'exercent. L'élevage bovin est le plus pratiquéavec pour valeur l'une économique et l'autre sentimentale ou de pres-tige. Être peul, c'est élever des bœufs peut-on être tenté de dire ici. Lacirculation des bœufs à l'intérieur d'une famille se fait de manière des-cendante. Généralement, à la naissance, une vache peut être attribuéeà un enfant ce qui constitue dès l'instant son patrimoine.

La vente du bétail est en général une occasion d'en acheter d'autrestêtes. C'est aussi, et en situation d'urgence, pour satisfaire à descharges liées à la dot, monter une affaire, s'offrir quelques biensd'usage, etc. En somme, avoir du bétail garantit à son propriétaire desressources financières considérables. Celles-ci proviennent de la loca-tion des zébus attelés, de la vente des produits laitiers à la vente desbêtes sur pied.

L'apport des produits de l'élevage dans l'agriculture est indéniable.La traction animale permet et facilite le labour sur de vastes étendues.De même, ces pairs de bœufs attelés sont mis en location lors des la-bours au service des potentiels acquéreurs. Le labour et le semis d'unhectare se négocient aux alentours de 1O mille francs. C'est le moyenle plus usité ici, même comme de plus en plus, les grands cultivateursutilisent les tracteurs.

La fertilisation des espaces cultivables est faite en majeur partiepar les bœufs lors de leur passage pour s'occuper de veines pâtura Ensomme, avoir du bétail garantit à son propriétaire des ressources fi-nancières considérables. Celles-ci proviennent de la location des zé-bus attelés, de la vente des produits laitiers à la vente des bêtes surpied.

80 Noms en Fufuldé de quelques légumes consommés localement au quotidien.

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En somme, avoir du bétail garantit à son propriétaire des res-sources financières considérables. Celles-ci proviennent de la locationdes zébus attelés, de la vente des produits laitiers à la vente des bêtessur pied.

Le ciel de l'activité n'est pas sans nuages ici. Avec la montée dugrand banditisme dans le canton au travers des enlèvements des ber-gers, des bouviers et du bétail suivis des demandes de fortes rançons,l'activité fait grise mine. Certains bergers ont vendu leur bétail pours'engager dans le commerce ou le transport.

La forte mortalité du bétail en saison sèche amoindrit le cheptel ducanton. Selon l'agent vétérinaire en place, ce phénomène est dû à unecouverture vaccinale insuffisante car de nombreux bergers rechignentà faire vacciner l'entièreté du troupeau par souci d'un refus d'étique-tage, d'affichage 81 de son nombre de têtes et d'autre part à la sévéritéde la saison sèche.

I-3-3- Commerce

Les populations de ce canton flirtent dans leur totalité avec lecommerce. Ici, comme dans l’activité agricole, chacun est vendeur dequelque chose. Il peut s'agir d'un produit ou d'un service. La circula-tion de l'argent est très intense. Les principales activités sociales tour-nent autour de l'argent. C'est le nerf de la relation sociale.

On distingue à Dibi les deux types de commerce : le commerceformel et celui dit informel.

I-3-3-1- Commerce formel

Il réside dans la commercialisation des denrées alimentaires, pro-duits industriels comme du ciment, des intrants agricoles et l'économienumérique. Il se déroule dans des échoppes installées le long de la

81 L’homme Peul est cachotier par culture. L’étendue de l’avoir constitue unsecret familial. Exhiber son avoir attire le regard et fait payer considérable-ment la taxe lamidale.

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route principale ou sur les étals de la boucherie du village. Tous cescommerces sont tenus par la communauté islamo-peule.

I-3-3-2- Commerce informel

L'économie souterraine est très développée dans notre zoned'étude. Il existe sous plusieurs formes. Des stratégies de se faire in-cognito de l'argent ne manquent pas.

Le bureau international du travail (BIT) définit le commerce in-formel comme étant « l’ensemble de petites activités génératrices derevenus qui ne sont pas enregistrées selon la loi, ne respectent pas lesnormes légales de qualité et qui souvent ne paie pas d'impôts » 82.

La vente peut se faire dans des foyers. L'information se diffuse àtravers le bouche à oreille, mode de communication très usité et for-tement implanté en zone rurale. On y vend des produits de premièrenécessité notamment des mesures de farine de maïs ou de manioc, desarachides en graines ou en pâte, des mesures d'huile de cuisine, deslégumes frais ou secs, des arômes et autres ingrédients. Ces commer-çants à la petite semaine disposent en général d'un chiffre d'affairesplus ou moins égal à 10 000 francs CFA.

Une autre stratégie commerciale est le porte à porte. Des jeunes en-fants sillonnent des concessions ou sa’arés en proposant leur produitqui peut être de poisson frais ou sec, des légumes ou de la viande etc.

La dernière stratégie consiste à s'installer à la place publique duvillage avec son plateau ou sa natte à marchandises pour écouler sacargaison.

Le commerce informel apparaît ici comme une stratégie de surviedans ce village fortement monétarisé.

82 Kimbala Makiadi, A., « Le secteur informel comme stratégie de survie descongolais », Mémoire de maitrise, Université Kongo, 2008, p. 5.www.memoireonline.com

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I-3-3-2-1-Marchés hebdomadaires

Tous les vendredis, les populations du canton ainsi que celles descontrées voisines comme Balewa 1, Horé Ngor, Wouro Sangué, con-vergent vers ce haut lieu d'échange. On distingue en le marché à bé-tail, et en aval le marché à l’étalage.

I-3-3-2-1-1- Marché à l’étalage

Les acteurs locaux auxquels s'adjoignent des commerçants à lasauvette en provenance de Ngaoundéré ne manquent également pas àce rendez-vous hebdomadaire. On y vend un peu de tout. Les produitslocaux issus de l'agro-pastoral, du piscicole ou encore de l'apiculturerivalisent d'attrait d'avec ceux dits manufacturés au rang desquels sedistinguent la quincaillerie, l'habillement, et les gadgets technolo-giques.

N'étant pas aménagé, cet espace commercial n'offre pas des com-modités adéquates, ce qui contraint les commerçants à user du sol oudes bâches en guise d’étals pour présenter leurs marchandises.

En observant l'énergie que dégage tout ce beau monde chaquevendredi, il y a lieu de soutenir que cet espace est pour tous, un lieud'échange, de partage où le social à travers les liens qui se tissent setrouve renforcé.

I-3-3-2-1-2- Marché à bétail

Cet espace constitue la plaque tournante du village. Pour un néo-phyte, c'est juste une foire bovine. De multiples petits groupes se for-ment et se défont inlassablement, symbole de grands marchandages.Seules les poignées de mains indiquent quelques arrangements ou desaccords conclus.

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Comme à l'arrivée, les ouvriers pastoraux s'échangent de cargaisonau gré des accords conclus.

Le marché bovin de Dibi compte parmi les mieux côtés de l'Ada-maoua. C'est le fleuron même de l'économie locale, l'un des pointsd'entrée des devises en circulation au sein de la communauté.

I-3-4- Ecotourisme

Photo 3 : Entrée du Ranch de Ngaoundaba ; réalisée par Thierry Lekoua le 10 / 07 /2017

Au-delà de nombreux ranchs développés dans ce territoire, les tou-ristes peuvent être conduits à profiter des émotions fortes que déga-gent les deux imposants lacs de cratère qui s'y trouvent.

Bien que propriété privée, le Ranch de Ngaoundaba dans lequel setrouve le lac, propose à ses visiteurs des services de qualité dans cetenvironnement naturellement singulier. Le lac de Ngaoundaba est unemerveille de la nature classée par le MINTOUR, au rang des sites tou-

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ristiques nationaux 83. Il possède une envergure de plus d'un kilomètrede diamètre et une profondeur minimale supputée à 80 m.

Un peu plus bas, le lac de Baledjam, officiellement connu sous lenom de Lac de Marboui, se laisse également admirer par les visiteurs.Plus grand que son cousin Ngaoundaba, il s'étend également sur plusd'un kilomètre de diamètre mais avec une profondeur de plus de 100m.

Ces deux forces de la nature qui servent de vestiges de l’activitégéologique qu’a connu la zone sont très prisés en tant que destinationde villégiatures localement voire nationalement parlant. De n om-breuses personnalités y ont déjà séjourné, disait S. Bengai 84.

I-3-5- Apiculture

Ce type d'élevage relève encore du traditionnel. Les adeptes pla-cent des ruches artisanales sur des arbres, celles-ci sont plus ou moinscolonisées puis reviennent de temps à autre à saison ou à contre saisonrécolter du miel. Chaque exploitant peut avoir quelques unités deruches.

Le produit récolté est consommé sur place où vendu localement.Activité de plus en plus lucrative avec la pression démographique, lesprix ont doublé.

Cette activité s'inscrit également dans les stratégies de gestion desincertitudes, de diversification des sources d'entrée des devises.

I-3-6- Micro entreprise locale

Le dynamisme des populations du canton de Dibi se lit aussi dansle fonctionnement des quelques micro-entreprises qui existent ici. Onobserve çà et là, des établissements d'hébergement : les auberges, des

83 MINTOUR, Prospectus, liste des sites touristiques de l’Adamaoua,www.mintour.gov.cm, consulté le 23/05/2017.

84 Entretien de terrain, op.cit.,

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établissements alimentaires : Kilichi (produit à base de viande séchée,marinée à la poudre d’arachide et d’épices puis grillée), la restaura-tion, la collecte et vente des produits laitiers, la récolte et la vente desproduits ligneux et non ligneux.

Cette dynamique entrepreneuriale emploie et réussit à capter uncertain nombre de devises auprès des routiers, des populations entransit. Des emplois saisonniers, bien que précaires permettent unecirculation des fonds.

Photo 5 : Micro-entreprenariat, comptoir Kilichi, Dibi.Réalisée par Yolande Ambomo, 20/01/2018.

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I-3-7- Activité commerciale numérique

Avec la vulgarisation et l'ancrage des NTIC dans le quotidien et leshabitudes de ces ruraux, de nombreux comptoirs de call-box se créentet prospèrent dans le village, soit de manière informelle c'est-à-diresans emplacement fixe, soit formelle dans un kiosque ou dans uneboutique.

Photo 6 : Micro-entreprenariat dans l’e-commerce.Réalisée par Yolande Ambomo, 20/01/2018.

La vidéographie occupe une bonne place qui, depuis bientôt unevingtaine d'années précisément en 2003, distille des films des quatrecoins du monde, des matches de ligue des champions à ses clients.L'entrée se négocie à 100 francs CFA. Cette activité est très mal vuedans le village en ce sens que de nombreux parents se plaignent dufait que leurs enfants s’y enferment à longueur de journée au granddam de leur activité scolaire. Toutes les tentatives de fermer cet es-

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pace récréatif ainsi que les salles de jeux vidéo récemment créées de-meurent vaines jusqu’à présent.

Aussi, des cabines d'envoi, de réception et d'épargne d'argent s'im-posent par leurs larges et bien visibles écriteaux. Boutiques de plus enplus visitées à l'aune des exactions des coupeurs de route et des enlè-vements qui entravent la libre circulation des personnes et des biens.Au regard de cette nouvelle dynamique liée à l'économie digitale, leciel de l'intégration de cette communauté rurale dans des activités nu-mériques apparaît de plus en plus clair. C'est dire que le processusd'androïdisation de la ruralité est enclenché.

Au terme de ce chapitre, nous avons eu à mettre en évidence lesatours et l’activité sociale de notre zone d’étude. Notre regard s’estbaladé tour à tour sur l’aspect physique du Canton de Dibi en tantqu’espace situé sur un haut plateau. La dimension humaine a égale-ment été observée et notée en ce qui concerne l’organisation de la viepolitique, l’organisation de la société dans toutes ses structures. Ledynamisme des populations a été relevé dans leurs multiples activitésà visée alimentaire, économique, artistique et touristique. Le milieuhumain est très diversifié et composé de populations issues d’horizonsdivers qui somme toute construit la réalité sociale observée ici.

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PREMIÈRE PARTIE

Chapitre II

ÉTAT DES LIEUX DE LASOCIALISATION ET DU

CONTRÔLE SOCIAL INFORMELDANS LE CANTON DE DIBI

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La socialisation se veut un processus interactif d’inculcation, detransmission des normes, des dispositions et des valeurs en vigueurdans une société aux jeunes générations. Toutes les sociétés humainesont de tout temps procédé pour la reproduction de leur capital culturel.C’est en réalité un double mouvement par lequel une société se doted’acteurs capables d’assumer son intégration par l’acquisition etl’intériorisation des normes et des valeurs dominantes par des indivi-dus qui la composent et d’individus capables de produire une actionautonome. Pour Peter Berger et Thomas Luckmann 85, la socialisationprimaire se caractérise par sa force et son exclusivité : l’enfant ab-sorbe le monde social dans lequel il vit « non pas comme un universpossible parmi d’autres mais comme le monde, le seul monde existantet convenable, le monde tout court ».

85 Berger, P., Lukmann, P., La construction sociale de la réalité, Armand Col-lins, 2006, p. 307.

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C’est le moment où l’on acquiert un « savoir de base » matérialisépar le langage qui assure à la fois « la possession subjective du monded’un moi et d’un monde » et la consolidation des rôles sociaux quipermet le repérage et la classification des situations qui donnent sensau monde vécu. C’est un premier processus de construction del’identité au travers des relations multiples entre le monde social de lafamille ou des pairs et le monde institutionnel l’école ou des associa-tions.

Dans cette partie de notre recherche, nous évoquons les types desocialisation observés au sein de cet environnement social qui permet-tent la reproduction des modes de vie transmis depuis plusieurs géné-rations. Il s’agit notamment de la socialisation primaire, celle dite se-condaire et enfin la socialisation anticipatrice. Notre regard s’orienterapar la suite sur les normes et valeurs admises et partagées à l’instar dupulaaku ou la pulanité chez les Peuls ainsi que les relents du « rite la-bi » que nous désignerons ici par le concept de labinité chez lesGbaya. Enfin, nous avons fait le point sur la mise en pratique du con-trôle social informel dans le canton Dibi.

II-1. SOCIALISATION PRIMAIREET CONSTRUCTION DES IDENTITÉS

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La socialisation primaire concerne l’éducation des puinées ainsique leur accompagnement vers une insertion dans la société. Ce pro-cessus de transmission, d’initiation et d’imprégnation aux normes etvaleurs s’effectue au sein de la famille, à l’école et des groupes despairs mais aussi et de plus en plus par l’action des médias.

II-1-1- Enfant, une table rase

La force de la socialisation primaire s’explique que l’enfant estconsidéré comme un être particulièrement influençable sur lequel lespremières expériences ont une forte prise. Bien que se distinguant de

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l’éducation certains, certains éducationnistes soutiennent égalementque l’enfant est une table rase sur laquelle on peut tout imprimer.

Le processus de socialisation va au-delà des pratiques éducativesc’est un processus à caractère global, un ensemble de savoirs etd’actions à inculquer par tous les agents dans le but d’élever leurs en-fants d’une certaine manière. Emile Durkheim soutient que « L’enfantest naturellement dans un état de passivité tout à fait comparable àcelui ou l’hypnotisé se trouve artificiellement placé : sa conscience necontient encore qu’un petit nombre de représentations capables delutter contre celles qui lui sont suggérés » 86.

II-1-2- Socialisation :Transmission de l’habitus de classe

Au cours du processus de socialisation primaire, les structures so-ciales sont retraduites dans la famille et instruites par la vie quoti-dienne, dans les corps et les têtes enfantins. Les premières expériencess’inscrivent directement sur et dans le corps de l’enfant. L’hommenait sans connaissance et sans idée, il apprend à raisonner dansl’expérience acquise dans ses rapports avec son écosystème.

Ceci s’observe dans la socialisation scindée des garçons et desfilles. La fille peule apprend à gérer la maison, le foyer, à s’occuperdes enfants et apprendre la coquetterie, à servir l’homme, le mari. Ceszestes d’initiation à la séduction ont été observés auprès des écoliersde Dibi. Des petites filles en classe de CE2 ont été vues avec bien ma-quillées à l’école. Ambomo déclare « De temps en temps, je découvredu matériel de maquillage dans leur sac. Il peut s’agir du lait de toi-lette, ou de brillant à lèvres et autres » 87.Cette pratique s’accentuechez celles du cours moyen 2.

Par ailleurs, le garçon apprend de son coté à commander, à donnerdes ordres, à vouloir dominer ou se faire obéir, à gérer, à travaillerpour s’impliquer dans la subvention des besoins de la famille.

86 Durkheim, E., Education et sociologie, Librairie Félix Alcan, Paris, 1922.87 Entretien réalisé par Thierry Lekoua, 29/09/2017.

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L’habitus est constitué par l’incorporation des conditions socialesdes expériences passées notamment enfantines. Ces acquis de la socia-lisation primaire se désintègrent difficilement lors des contacts avecles autres types de socialisation. Ceux-ci sont fortement ancrés dansl’individu. Un fils de cultivateur kirdi apprend tous les savoirs faire dela pratique champêtre notamment le choix des terrains, le labour et lessemailles, ensemble d’attitudes qui constituent l’essence même de savie d’ouvrier agricole ou de futur cultivateur. De même, l’ensembledes normes et valeurs appartenant à chaque groupe d’appartenancesont inculquées et intégrées.

II-1-3- Une socialisation primaire plurielle

Les habitants de Dibi surtout ceux bénéficiant d’une socialisationprimaire beignent dans plusieurs moules socialisants. Au-delà de lafamille, et les groupes de pairs, on distingue l’école et les médias.Compte tenu de la singularité personnelle, ces processus sont mis enaction ou en veille selon les contextes et les inclinations. La socialisa-tion plurielle crée alors des « individus pluriels ». Bernard Lahireécrit « tout corps plongé dans une pluralité de mondes sociaux estsoumis à des principes de socialisation hétérogènes et parfois mêmecontradictoires qu’il incorpore » 88.C’est dire que la socialisationn’est pas seulement réservée aux parents. À Dibi, les enfants sont so-cialisés alternativement entre la famille, groupe d’appartenance, et lemilieu scolaire puis médiatique qui parfois proposent des modèles op-posés entre autres. « La personnalité et les attitudes d’un individudonné résultent de ce qu’il a appris à l’école, dans sa famille, son mé-tier, ses loisirs, ses voyages, sa vie associative, religieuse, sentimen-tale » 89 déclare Bernard Lahire.

88 Lahire, B., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998.89 Lahire, B., L’invention de l’« illettrisme ». Rhétorique publique, éthique et

stigmates, coll. 1999, p. 202.

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II-1-3-1- Rôle des groupes de pairs

Encore appelée socialisation horizontale, la transmission du patri-moine culturel et cultuel par les pairs, personnes disposant des mêmescaractéristiques et partageant le même statut, est mise en évidence au-près de ces populations. Les causeries des jeunes par petits groupes lesoir dans les couloirs, abords de route, et devantures des boutiques etsans oublier l’aire de jeu, participent et influencent de manière signifi-cative et considérable les conduites des membres du groupe.L’homogénéité des groupes observée ici concourt aisément à la circu-lation des idées et à mouler de manière harmonieuse les membres dugroupe.

L’adhésion à ces groupes et son maintien ne sont pas fortuits. Ilfaut y montrer qu’on mérite y être, développer et faire montre de cer-taines attitudes comme la discrétion. Les individus étiquetés commefacikaré, mouchards ou colporteurs de nouvelles en sont punis et ex-clus.

Par ailleurs, les travaux de Howard Becker 90 sur la socialisation ausein des groupes sont très édifiants à juste titre. Il démontre dans uneanalyse faite sur les fumeurs de marijuana que le groupe principalprocède à des apprentissages qui développent des techniques de fu-mer, la perception des effets de la marijuana. On a observé ce phéno-mène auprès des populations kirdi chez les ouvriers agricoles. Les ta-rimen, individus spécialistes dans la confection des billons dans leschamps, accueillent et initient les jeunes recrues à l’art de construiredes billons de qualité. C’est ainsi que se développe aussi la perceptionque le jeune peut se faire du métier d’ouvrier agricole. A partir de cetapprentissage, l’individu monte en grade et devient un tariman quali-fié.

90 Becker, H., Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris, Métailié,1985.

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II-1-3-2- Rôle du père dans la socialisation chez les Peuls

Le géniteur assure prioritairement l’éducation de ses enfants car decette réussite, il en tire davantage de fierté et de dignité. Il peut êtresecondé à cette responsabilité par les gens de sa lignée.L’appartenance à une lignée ou à un réseau de solidarité ne sauraitdélivrer un père de ses fonctions. Plus il exerce son rôle d’initiation etd’éducation avec honneur plus la communauté lui apporte son soutienet son appui sans le déresponsabiliser. Ce soutien peut être comparé àdes mesures d’encouragement de ses pairs. En cas de force majeure, lacommunauté apporte son concours en relayant les fonctions du géni-teur.

Selon les fonctions, les pères, prioritairement et les oncles trans-mettent à l’enfant si c’est un garçon, certains savoirs hérités des an-cêtres. Il s’agit notamment de capaciter le puiné sur les techniquesd’identification des fonctions de chaque bétail dans le troupeau fami-lial, de la reconnaissance de la qualité des sols et des cultures qui ycorrespondent, bref un ensemble de savoirs locaux à même d’aider lejeune à s’ancrer aisément dans les pratiques et les manières de faire etd’être de sa communauté.

Les pères transmettent aussi la mémoire, c’est à dire le patrimoineculturel, les récits et les épopées, les cosmogonies ancestrales transmisprogressivement à l’enfant justifient la prééminence durable des vec-teurs du modèle peul.

À l’égard de tous ses enfants, le père a un devoir d’éducation reli-gieuse, des sacrements notamment le baptême et le mariage. Il exerceun rôle primordial dans la vie de ses enfants filles comme garçons. Ils’occupe de la distribution des prénoms.

Auprès de l’ainé, il adopte une attitude particulière. Il lui transmeten priorité les savoirs et les secrets familiaux, et l’ainé lui-même jouele même rôle à l’égard de ses cadets. De même le père est très souventabsent de la maison du fait de ses occupations entretient des relationsdistantes avec ses enfants. Abdourahman, jeune homme scolarisé, dé-clare « il arrive des moments où je peux faire deux semaines sans voir

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mon père alors qu’il est ici au village. Nous ne partageons pas lamême case et ma mère me sert mon repas dans ma case » 91.

La socialisation de l’enfant se fait notamment par les contes taalotaalo ; parfois des récits de vie ou de fictions. Ils ont une fonction detransmettre l’origine d’une règle de conduite ou les aventures vécuespar les hommes au sens de A. H. Ba.

II-1-3-3- Rôle de la mèredans le processus de socialisation des enfants

La femme joue un rôle majeur dans la socialisation des enfants etplus spécialement de celle de la jeune fille. D’ailleurs la société peulelui accorde une place importante et privilégiée ainsi qu’à toute la li-gnée maternelle. Elle est chargée de transmettre à ses filles ce qu’onappelle ici « son éducation de femme ». En plus de cette éducationaux tâches physiques, la mère, dadda sa’aré assure l’éducation mo-rale, sociale et spirituelle en enseignant à sa fille le pulaaku que doitassumer tout peul. C’est le pulaaku qui fait de l’individu un Peul, lanaissance ne faisant que le prédisposer à l’être.

L a fille peule, dès le plus jeune âge, se réveille tôt, tout commesa mère avant les autres membres de la famille, partageant ainsi lestâches ménagères. Il s’agit d’abord de balayer la cour et de préparerle déjeuner. Ensuite elle suit sa mère et ses aînés au pâturage pourtraire les animaux et ramener le lait à la maison. A ce niveau, cetteactivité est maintenant faite par les ouvriers pastoraux qui emmènentla production laitière à domicile. Les époux interdisent à leurs damesdes sorties non indispensables. De retour du pâturage, elle entre-prend la transformation du lait dans ses divers stades. Puis c’est lacorvée de l’eau, qu’elle doit aller chercher et porter sur sa tête, heu-reusement pour elle, plusieurs pompes à motricité humaine ont étéinstallées. Il faut relever ici que certains parents recrutent des em-ployés de maison pour s’occuper des tâches externes.

91 Focus group réalisé avec les jeunes scolarisés par Thierry Lekoua, FrançoisKolwé, Fadimatou Samirah, 16/07/2017.

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Toujours à côté de sa mère, elle participe ensuite partiellement àla préparation du repas de la mi-journée. Quelques travaux subsi-diaires lui sont confiés dans ce cadre (tamiser la farine, faire la vais-selle…). Mentionnons encore la lessive, au même titre que les autrestravaux ménagers est une tâche qui revient aux femmes, et donc à lajeune fille peule. L’apprentissage de la lessive se fait très tôt. Lajeune fille peule fait cet apprentissage en lavant les habits de sonpère et de son frère en plus des siens. Lorsqu’il y a un bébé dans lafamille, c’est encore la jeune fille qui le garde, le porte et veille surlui pendant que les mères s’occupent des travaux culinaires. Elle estsoumise à ce régime quotidien jusqu’à l’âge de son mariage au grédu chef de la famille, noces pouvant être célébrées à n’importe quelmoment après la puberté.

II-2. NORMES ET VALEURS VÉHICULÉES :LA PULANITÉ ET DE LA LABINITÉ

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Dans une société, les comportements humains doivent respecter unensemble de règles qui déclenchent et favorisent le vivre ensemble.Les comportements dits sociaux n’étant pas naturels sont induitsd’une norme de conduite personnelle ou sociale issue de plusieurschamps notamment moral, politique, spirituel etc. On parle alors devaleurs sociales. Les valeurs se veulent un ensemble de grands prin-cipes moraux servant de repères aux individus dans la conduite de leurvie sociale. C’est aussi un ensemble d’idées que l’on se fait de ce quiest valable, de ce qui vaut la peine d’être recherché par une commu-nauté en tant qu’entité particulière afin de marquer son identité. Lesvaleurs sont interdépendantes et constituées en système. Elles se ratta-chent à un ensemble de règles de comportement social appeléesnormes et dont la transgression est sanctionnée.

Les normes résultent d’un principe de base, un référentiel autourduquel la communauté s’appuie implicitement ou explicitement pourémettre des jugements de valeur. Les normes sont reconnues par tousles membres et accolées à un dispositif de sanctions qui s’enclenchelorsqu’un individu se positionne hors de la norme. Elles déterminent

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alors les rôles et les attentes qui conditionnent les interactions entreles individus tout en régissant le style de vie à l’intérieur d’une socié-té. Il existe des normes à l’intérieur d’un groupe donné qui indiquentaux membres de celui-ci la manière dont ils doivent s’habiller, se sa-luer, se parler, construire leurs habitations etc. cela ne relève pas d’unchoix individuel purement libre mais dépend de normes qui prescri-vent des usages de manière plus ou moins marquée.

Notre communauté cible est conservatrice car elle fonctionne selondes modèles traditionnels ancestraux qui traversent des générations. Ils’agit du pulaaku et du rite labi.

II-2-1- Le pulaaku chez les Peuls

Le pulaaku est un art de vivre, une manière d’être Peul tissée decodes très subtils que l’on retrouve sous toutes les latitudes. Il con-siste en cinq obligations que doit apprendre et appliquer tout Peul,donc la jeune fille aussi. L’éloge le plus flatteur qu’on puisse adres-ser à un(e) peul(e), c’est de dire qu’il/elle « possède le pulaaku ».

II-2-1-1- Les principes de base du pulaaku

Le pulaaku se démarque par un ensemble de valeurs identifiant etdistinguant les Peuls des autres communautés. En s’appuyant surHindou Oumarou Ibrahim 92, il s’agit notamment de :

- « Semteende » signifie la « réserve ». Le mot se confond aussiavec « honte ». Pour une fille peule, le « semteende » impose parexemple d’avoir honte de se présenter devant les hommes, elle doitse couvrir le corps et la tête… La pire des injures que l’on puissefaire à un peul, et surtout à une fille peule, c’est de dire qu’il (ouelle) ne possède pas le « semteende ». Le « semteende » comprendégalement le « de’itaare », qui invite au calme et à la sérénité chezson père aussi bien que plus tard, pour les filles, dans son foyer.

92 Hindou Oumarou Ibrahim, « La fille autochtone du Tchad », article en ligne,https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub. Consulté le 28/08/2017.

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Dans son expression vocale, dans ses postures corporelles (dé-marche par exemple), et dans tout autre acte, la femme peule doitfaire preuve de calme et de majesté. La réserve ne concerne pasque le genre féminin, cette valeur interdit à tout individu de révélerles secrets familiaux par exemple aux inconnus. Lors de nos tra-vaux, nous en avons été victimes. Certains enquêtés trouvaient nosquestions osées et inquisitrices.

- « Nedhingo » signifie le « respect ». Cette valeur invite le pe-tit peul à respecter tout le monde, particulièrement les aînés. En-core appelé le « Dhowtago », principe qui signifie la « soumis-sion », impose à la fille peule autochtone la soumission à toutepersonne plus âgée, telle que son mari, son père, sa belle famille,ses grandes sœurs et frères et toute autre personne plus âgéequ’elle. Cette soumission s’observe surtout dans des relations in-tergénérationnelles au quotidien notamment dans la prise de pa-role, les réponses aux questions, les salutations, les services, ….

- « Hakkiilo » signifie « intelligence ». Le « hakkiilo » impliquenon seulement le discernement, mais aussi la ruse « Yoïre ». Un(e)vrai(e) peul(e) qui se fait rouler par exemple dans une transactionne l’avouera jamais, car ce serait non seulement un aveu demanque de ruse, ce qui est déjà grave, mais pire, un manqued’intelligence « hakkiilo ». La jeune fille peule, le jeune garçon,doit donc particulièrement être formé à ce principe de « hakkiilo »pour mieux vivre avec les autres et se sortir des situations diffi-ciles. La vie étant une compétition où de nombreuses intelligencess’affrontent pour le captage et l’accumulation des ressources, cetensemble de valeurs permet à celui qui en fait preuve de se sortird’affaire. En posséder s’avère d’une importance qui est même lié àune question de survie. Manquer d’hakkiilo conduit à la misère etun signe d’inadaptation sociale et une porte ouverte vers une vieindigne redoutée par l’homme Peul.

- « mugnal » signifie conjointement « patience » et « endu-rance », dans leurs sens physique et moral. La réponse classiquepour une fille ou une femme peule chaque fois qu’elle a un pro-blème, est : « fais preuve de patience », « wadhu mugnal ». Sonpère veut-il la marier à un inconnu pour lequel elle n’a aucun sen-timent et dont elle ne veut pas ? La seule consolation que lui offreson entourage c’est « wadhu mugnal ». Pour toute contrariété, elle

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doit faire preuve de « mugnal ». Ainsi, elle sera très appréciéecomme étant une fille (ou femme) qui « possède le mugnal ». Demême, adulte, lorsque les activités connaissent des périodes demarées basses, l’entourage, dans leurs mots de consolation, invitele concerné à faire preuve de mugnal. Cette patience et cette endu-rance sont les identités remarquables de ceux qui ont réussi dans lavie. Dans leurs récits de vie, les jeunes sont briefés sur les béné-fices que procurent ces valeurs car la réussite vient au terme denombreux échecs et déboires que seul le mugnal permet de venir àbout.

- « bernde » se comprend comme le sens de l’honneur, la fiertéet le refus de tout acte ou attitude de mépris ou de manque de res-pect envers soi. La socialisation à ce principe de « bernde » réussittellement que dans certains cas extrêmes il arrive par exemplequ’une femme peule à qui on raconte que son mari a été éconduitpar une autre femme à qui il a fait des avances, s’en aille provo-quer cette dernière en duel car le fait d’éconduire son mari signi-fierait qu’elle s’estime supérieure à la femme légitime, ce que cettedernière ne peut accepter. Le sens de l’honneur se lie dans la posedes actes qui honore l’individu, sa famille ainsi que sa communau-té. Une attitude, un comportement n’engage pas seulement un in-dividu mais sa communauté toute entière. Nous avons observé unfait illustratif à suffisance. Un jeune, ayant récemment perdu sonpère qui gérait les activités champêtres familiales s’est retrouvéconfronté à des difficultés financières pour engager les travauxdans leur plantation. Il lui avait été conseillé de se mettre àl’ouvrage en attendant d’obtenir le financement nécessaire avantd’embaucher les ouvriers agricoles. Ce dernier a trouvé très insul-tante cette proposition envers sa dignité, son rang social de noble.C’est dire que le berde revêt un sens et une portée que certainsPeuls ne peuvent y prêter le flanc.

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Contrôle social et démocratisation des NTIC dans les paysanneries Peule et Kirdi... (2017) 98

Tableau 1 : État des lieux de la socialisation familialeselon les principes du pulaaku

Modalités Effectif Pourcentage

Parfaite 19 32,75

Partielle 39 67,25

Pas du tout 00 00

Total 58 100

Sources : Enquête de terrain

Il ressort de l’analyse de ce tableau que les familles islamo-peuless’attèlent à socialiser leurs enfants en suivant les exigences des prin-cipes de leur mode de vie, de leur identité. Aucune famille ne se sous-trait de son devoir d’inculquer les normes et valeurs du grouped’appartenance. Il y a lieu de souligner que nous observons ici ungroupe ancré dans son mode de vie.

II-2-I-2- La labinité chez les Gbaya

Les rites d’initiation et de socialisation chez les Gbaya se sont dé-roulé dans un passé très récent sous le nom de « Labi » et continuentencore d’être pratiqués dans certaines contrées qui restent encore an-crés dans le respect des traditions ancestrales. Bien que certains as-pects de ces cérémonies initiatiques aient été abolis dans leur chrono-gramme et le processus initial de base, il est à noter que les parentscontinuent de transmettre l’esprit, la graine spirituelle qui constitue lesubstrat de cette pratique au travers des récits de vie, des contes et deslégendes. Dans le cadre de cette étude, nous élaguons le processus decertains de ces éléments pour nous attarder sur celui qui est mis enrelief dans cet espace. L’étape 4 du processus selon la description du

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Contrôle social et démocratisation des NTIC dans les paysanneries Peule et Kirdi... (2017) 99

chercheur Ninga Songo 93, est toujours enseignée aujourd’hui, dumoins sous une bannière plus symbolique.

Le « Tua-gbang » 94 c’est-à-dire apprentissage d’un nouveau sa-voir, apparait comme le condensé de cette école de vie dans la civili-sation gbaya. Dans cette partie, comme autrefois, il s’agit d’outillerses enfants du code de conduite composé de maximes qui bien énon-cées permettait au novice d’être un « Labi ». C’est aussi l’occasiond’un vaste apprentissage qui va de la connaissance des cosmogonies,de l’histoire du peuple, de la nature, des plantes médicinales, desplantes toxiques, les noms des arbres, de la connaissance de l’espaceet de la région, des danses, des chants et des récits. En un mot, toute lalittérature orale gbaya leur est comptée, enseignée et transmise.

En outre, un autre aspect de ces interactions initiatiques concernel’éthique gbaya, la manière de faire, d’agir, de penser et de se compor-ter de manière individuelle comme en groupe voire en société. Desvaleurs comme le sang-froid, la maitrise de soi et des normes commel’interdiction des serments, des malédictions et des pratiques de sor-cellerie sont également enseignées et transmises. Durant notre séjourdans la communauté gbaya, nous avons participé à une partie dechasse dans laquelle, Béloko, jeune garçon de dix-sept ans à peine aterrassé un imposant porc-épic au terme d’un combat épique.L’animal, après des courses folles et des combats épisodiques avec lameute de chien avait trouvé refuge dans son terrier. C’est dans cettedemeure, dévastée à coups de pioches et de pelle que l’animal a ététranspercé par plusieurs coups de sagaie. De mémoire, la hardiesse etla témérité de ce jeune chasseur n’ont pas de pareil.

Ce rite de transmission de l’âme, de l’identité gbaya se résumedans ces formules liturgiques réunies dans onze règles d’or qui sontrécitées individuellement. Une manière pour tout jeune Gbayad’entrer dans la vie adulte en prêtant serment pour une vie sociale quicorresponde aux attentes de sa famille, de ses pairs et de sa société.

93 Ninga Songo, « Le rite d’initiation « Labi » chez les Gbaya », article enligne, https://www.cameroonweb.com, consulté le 8/08/2017.

94 Terme de langue gbaya désignant l’apprentissage, l’initiation sociale desjeunes adolescents.

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II-2-1-2-1- Principes de la labinité

L’examen d’entrer dans la communauté a pour épreuve la récita-tion des principes de la labinité. Il s’agit de :

Ce n’est qu’en tuant labi qu’on a la possibilité d’expliquer tous les se-crets de labi ;

Il faut s’entraider pour vaincre les difficultés ;

Les connaissances de labi aident à distinguer le mal du bien ;

Le labi doit haïr la sorcellerie ;

Il ne faut pas chercher à se battre mais plutôt s’esquiver ;

Il ne faut jamais dévoiler les secrets de quelqu’un t’a révélé sa vie ;

Provoquer une querelle, c’est chercher la mort ;

Celui qui commence un travail sait aussi l’achever ;

Qu’est ce qui sauve du mal ? C’est le bien ;

Si tu as fait du mal à quelqu’un, tu ne seras jamais récompensé ;

La haine qui t’a poussé à tuer ton frère doit aussi mourir.

Ayant été abolie dans son processus initiatique puis remplacée parl’enseignement moderne et le christianisme, la labinité systématiqueest réduite à ce jour à l’essentiel notamment sa dimension morale. Ilreste que chaque parent, par rapport à son niveau d’ancrage àl’ancestralité, transmette à sa manière l’esprit de ce rite.

Considérant l’étroitesse dans laquelle cette communauté se trouveici car vivant sous l’aisselle peule et aussi une communauté multi cla-nique, il n’existe pas une certaine harmonisation des contenuséthiques ou moraux à transmettre. Néanmoins, muni des restes de cetitinéraire initiatique tout jeune et homme Gbaya de la nouvelle géné-ration, mieux de la « génération androïde », trouve là un ensemble devaleurs et de normes, des règles globales de comportement et de mo-rale sur lesquelles s’appuyer avant de se projeter dans le monde. Desolides prérequis qui lui permettent de s’outiller et de s’ancrer dans satradition afin d’aller affronter les défis et les challenges de la vie mo-derne.

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Contrôle social et démocratisation des NTIC dans les paysanneries Peule et Kirdi... (2017) 101

Tableau 2 : État des lieux de la socialisation familialeselon les principes de la labinité

Modalités Effectif Pourcentage

Parfaite 08 33,33

Partielle 13 54,17

Pas du tout 03 12,5

Total 24 100

Sources : Enquête de terrain

Ce tableau nous permet de faire le constat selon lequel la socialisa-tion primaire est relativement effective selon les canons traditionnels.Il faut noter la montée en puissance d’une certaine flexibilité desstructures socialisatrices traditionnelles qui est due à coup sûr à desinfluences environnementales, exogènes ou d’une migration progres-sive du mode de vie. Nous relevons également l’existence d’une caté-gorie d’agents socialisateurs qui se distancent complètement du mo-dèle de vie de leur groupe d’appartenance.

II-3. SOCIALISATION SECONDAIREOU RECONSTITUTIVE

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La socialisation secondaire se veut la poursuite du processus de so-cialisation à l’âge adulte. Elle s’effectue au contact des instances plusspécialisées, inscrites de manière directe ou indirecte dans la divisiondu travail. Il s’agit plus précisément de l’ensemble des processus desocialisation ultérieurs qui permettent à l’individu de s’intégrer à dessous-ensembles particuliers de la société. Elle permet de faire évolueret transformer une identité. La socialisation reconstitutive n’effacejamais totalement l’identité générale construite au terme de la sociali-sation primaire.

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Dans cet élément, nous évoquons quelques types de socialisationsecondaire à l’instar de celles dites conjugale, professionnelle, reli-gieuse.

II-3-1- La socialisation par frottement

Vivre en couple, c’est-à-dire avec autrui issu d’un moule socialisa-teur différent, entraine des modifications de l’identité de l’individu.La socialisation conjugale est un processus qui continue de construiredes individus adultes. C’est ainsi que chaque conjoint va alors ajustersa façon de faire et de penser pour s’adapter à l’autre. « Le mariageest un acte fort dans lequel deux personnes étrangères l’une à l’autrese rencontrent et se redéfinissent. Cette socialisation conjugale fondede nouveaux rôles tout en reprenant les définitions données lors de lasocialisation primaire comme les spécialisations du genre » 95, sou-ligne le magazine en ligne Eduscol.

Il faut considérer le mariage en tant qu’institution mais surtout leseffets individuels de la vie de couple qui en découle comme une phasedécisive de la socialisation. La vie en couple et notamment le proces-sus de négociation auquel elle donne lieu, se traduit pour les deuxconjoints, selon P. Berger et H. Kellner 96, par l'intériorisation d'unnomos commun, c'est-à-dire d'un univers partagé de référence et d'ac-tion. Nous sommes très peu conscients de l'existence même de cettesocialisation conjugale alors qu'un enfant se sent et se sait formé parses parents. Les conjoints ont certes l'impression que la vie communeleur a permis de se mettre en évidence et de se rendre compte de « cequ’ils aimaient vraiment », mais ce qu'ils perçoivent sous l'angle de ladécouverte de soi (de nouveaux goûts, de nouvelles pratiques, de nou-veaux amis) est en fait une « invention », celle de leur construction parla vie commune : ils ne se sont pas découverts mais bien transformésl'un l'autre.

95 Eduscol, Fiche 1.2 : De la socialisation de l’enfant à la socialisation del’adulte : continuité ou ruptures ? consulté en ligne le 23/10/2017.www.cache.media.eduscol.education.fr.

96 Berger, P., Kellner, H., “Marriage and the Construction of reality : An Exer-cise in the Microsociology of knowledge”, Diogenes 12(48), 1964, pp. 1-24.

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Dans notre zone d’étude, la vie conjugale dans l’espace social peulconsacre encore le pouvoir de l’époux sur sa conjointe. Celle-ci vitjuste pour servir son époux à qui elle doit un respect religieux etobéissance. Elle n’a pas droit à des sorties et attend tout à la maison.Les contacts limités avec les membres de la famille lui permettent dechanger un peu d’air. Ceux-ci passent au filtre du mari. Pour ses be-soins personnels de service, une de ses petites sœurs l’accompagne. Ilfaut noter que cette tendance tend à reculer du fait que de plus en plusdes mariées arrivent seules sans accompagnatrice. La famille du marise charge alors de lui trouver une petite fille pour l’aider dans sestaches ou l’accompagner.

Pendant ces moments socialisation conjugale, un cloisonnementpresque total dans la concession. Elle reste invisible dans les artèresdu village. Ses sorties sont limitées. Il ne reste que celles dites néces-saires et urgentes.

C’est au fil des négociations, des tractations, de l’usure du temps etdes routines conjugales que l’étau de l’époux se desserre petit à petitet l’épouse sort peu à peu de la zone de contrôle pour exercer cer-taines activités de manière individuelle dans le village ou ailleurs. Ilpeut s’agir notamment des sorties pour se rendre à des séances de ren-contre de l’amicale des femmes du village, à l’école pour des cérémo-nies qui y sont organisées ou encore des célébrations de mariage.

Avec la vulgarisation des NTIC, la femme rurale de Dibi et peuleen particulier, malgré sa mise sous tutelle de l’époux ? se met de plusen plus en contact avec le monde extérieur grâce à la magie des ondes.« A son absence, je peux recevoir ou passer des appels … à d’autrespersonnes… » 97 confesse Bebbé Soumayata, une jeune mariée. Laréserve peule n’a pas permis qu’elle aille un peu plus loin. Au regardde cette donne numérique, il y a lieu de constater que les zonesd’incertitude que P. Bourdieu développe dans son ouvrage L’acteur etle système apparaissent et sont exploitées par les dames.

D’autres enquêtés affirment néanmoins que des conflits conjugauxnaissent à partir des appels émis ou reçus par leurs épouses. Incognitoou à découvert, certains époux avouent vérifier l’activité téléphonique

97 Entretien avec Bebbé Soumayata, jeune femme au foyer, 13/09/2017 à Dibiréalisé par Hermine Maffo.

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de leurs épouses. « Moi je contrôle tout, lorsqu’elle dort, je prendsson téléphone pour relever les numéros qui l’ont appelée où les mes-sages qu’elle a reçus » 98, déclare Hassan.

En somme, la socialisation conjugale tourne autour de la soumis-sion au mari en termes de service, de respect, du maintien de son hon-neur et de sa dignité car « c’est du comportement sans des membresde sa famille que quelqu’un peut parler fort ici au village » 99 sou-ligne Mohamadou Sani, président du syndicat des transporteurs interurbains. Le principe du pulaaku, Nedhingo aidant, jouxté au fait quetoutes les femmes arrivent au foyer ayant connaissance des activités àmener, des comportements à adopter du fait des apprentissages pré-nuptiaux, la femme peule de Dibi se résout de manière générale àsuivre les orientations de la vie conjugale instruites par le mari.

Si dans la sous communauté islamo-peule, la socialisation par frot-tement est moins démocratique, que se passe-t-il du côté kirdi ?

La zone kirdi connait des rapports conjugaux moins rigides. Lecloisonnement n’existe pas ici car la femme est très active dans la viedu ménage. Elle a de nombreuses activités à mener dans le foyer ouhors du foyer. La femme ici est une collaboratrice, une partenaire dansplusieurs domaines notamment champêtre, commercial et relationnel.Elle peut se mouvoir au sein de la concession et même dans le villagesans être suivie ou flanquée d’un accompagnateur.

Etant donné le rythmé de vie dans cette partie du village, les épouxsont plus préoccupés par la gestion des incertitudes ou le déploiementdes stratégies gagnantes contre la précarité. C’est dans le souci de laréussite desdites activités qu’ils mutualisent leurs énergies. En réalité,la socialisation par frottement passe par l’esprit de complémentarité,la recherche commune des moyens de survie pour la bonne marche dufoyer d’où la collaboration participative dans la vie conjugale. LesNTIC contribuent de manière personnelle et communautaire à gérer lavie sociale. La femme ici a plus de liberté dans sa mise en activitéqu’elle soit agricole ou commerciale. Cette même liberté s’observedans la vie intime du couple.

98 Entretien avec Hassan, boutiquier, 13/09/2017 à Dibi par Hamidou.99 Entretien avec Mohamadou Sani, boutiquier peul et président du bureau

syndical local des transporteurs par cars et autobus, 30/09/2017 à Dibi.

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II-3-2- Socialisation par des associations

La paysannerie de Dibi révèle sa diversité associative dans la-quelle les membres engagés suivent des apprentissages dans un con-texte de socialisation de type professionnel. Il s’agit de doter chaquemembre de compétences et aptitudes à même de lui permettre dejouer son rôle au sein de l’association. De même, aménager un cadredans lequel ses qualités managériales comme le sens de l’initiative etd’organisation vont s’exprimer.

Etant donné que les associations du canton fonctionnent avec desmembres ayant les mêmes caractéristiques comme l’âge et le genre, lagestion des hommes mieux du groupe ne pose pas problèmes notables.En somme, les principes du pulaaku qui régissent les comportementsde la vie sociale sont mis en exergue ici. L’accès au monde profes-sionnel constitue une autre phase d'acquisition de normes et de valeursparticulières au cours de laquelle l’individu apprend l’ensemble descodes et des pratiques qui constituent l'image sociale d'une profession.Pour intégrer un emploi particulier, par exemple, l'individu n’aura passeulement besoin de diplômes et de connaissances, mais aussi de toutun ensemble de savoir-être et de savoir-faire spécifiques. Selon laformulation de Robert K. Merton, les individus sont ainsi conduits àse projeter dans leur futur métier en adoptant « les valeurs, les atti-tudes, les intérêts, les habiletés et savoirs qui sont ceux des groupesdont ils souhaitent devenir membres » 100. Ils s’engagent alors dans unprocessus de socialisation anticipatrice qui peut entrer en tension plusou moins forte avec les valeurs portées parleur groupe d’appartenance.De son côté, le courant interactionniste a montré que la socialisationprofessionnelle ne consistait pas tant à se projeter dans un nouvel uni-vers social qu’à partager des expériences communes avec le groupedes pairs. Les étudiants en médecine, par exemple, ne deviennent pasmédecins en s’identifiant au groupe des médecins. Ils sont d’abord desétudiants en médecine avec un mode de fonctionnement propre à cegroupe de pairs. À la différence de l’analyse fonctionnaliste qui lie

100 Eduscol, op.cit.,

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l’existence au devenir, l’analyse interactionniste la relie àl’expérience : on apprend à travers ce que l’on vit.

II-3-3- La socialisation religieuse

Dans notre zone d’étude, l’organisation religieuse structure la viesociale. Les trois mouvements religieux en effervescence ici mènentdes activités qui intègrent toutes les catégories du cycle de la vie. Ondistingue tour à tour des écoles coraniques et des écoles du dimanchepour les plus petits, les regroupements « Hommes pour Christ etFemmes pour Christ » ainsi les leaders religieux assurent au quotidienun encadrement spirituel et moral des adorateurs de Dieu. C’est ainsiqu’au village, les indices de pieuté s’observent dans la faveur quant àla participation des fidèles aux activités religieuse. La pire offensequ’on puisse faire à quelqu’un ici est de le taxer de mécréant,d’incroyant. En réalité, toute la communauté est encadrée et socialiséeau sein de ces organisations. Les valeurs de pieuté, de respect, de tolé-rance et surtout de solidarité sont distillées et partagées puis mises enpratique lors des interactions sociales quotidiennes.

Ici, les absences aux prières et autres manifestations religieusessont mal vues et leurs auteurs considérés comme des actes de piétécaractérisés. Des interrogations sur ce comportement répréhensiblemeublent les conversations. Le conformisme religieux devient alors larègle d’or, un gage de bonne croyance et d’étiquetage qui confère del’honorabilité et des approbations de la part de ses pairs.

II-3-4- Socialisation par les médias

Dans la construction des enfants, des jeunes et la catégoried’adultes membres de la « génération Android » dans leur processusde socialisation et de resocialisation, les médias jouent un rôle impor-tant au sein des instances socialisatrices que sont la famille, l’écoleainsi que les organisations. Le temps imparti aux activités journalièresse réduit au quotidien comme neige au soleil avec la montée en forcede l’usage des outils technologiques. Le sommeil et le temps de travail

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voire le temps social sont concurrencés par le temps médiatique. Lesmédias possèdent un rôle sans cesse croissant en tant que modèle so-cialisateur par excellence auprès des jeunes particulièrement. Ces mé-dias se caractérisent sous plusieurs formats : téléphone, téléviseur, ra-dio, ordinateur et surtout internet. Ceux-ci permettent aux individusd’acquérir un ensemble de connaissances, de savoirs-faire, de normeset de valeurs de leur société et même des modèles sociétaux étrangers.

Les médias disposent alors de plusieurs atouts qui intéressent etcaptivent les consommateurs notamment en tant qu’espace de détenteet de loisirs, de partage, d’approche et de conquête de l’autre, d’accèsà la culture, à la découverte, la compréhension et l’intelligibilité dumonde, à la science, à la connaissance. La consommation médiatiquea un effet positif d’ouverture au monde et d’apports de connaissances.C’est un véritable miroir des activités et modèles culturels. D. Woltonécrit « la mondialisation de l’information rend le monde tout petit,mais dangereux. Chacun voit tout, sait tout, mais réalise aussi ce quile sépare des autres, sans avoir forcément envie de s’en rapprocher.L’autre, hier, était éloigné. Aujourd’hui, il est tout aussi différent,mais omniprésent… » 101.

En Afrique, certainement plus qu’ailleurs 102 et précisément dansle monde paysan, la socialisation par les médias pose un certainnombre de problématiques notamment celle dite culturelle. L’héritageculturel, fondé sur un modèle traditionnel qui traverse des âges avecdes contenus éducationnels qui ancrent l’individu dans les coutumessocialement admises, se heurtent aux modèles distillés et véhiculés parces médias dits de masse. « L’idéologie moderniste qui nous abreuved’ouverture, de nomadisme, cosmopolitisme, de métissage, au mieuxrefuse de voir le problème, au pis le disqualifie, en parlant de « com-portement conservateur » 103.

Les médias tout comme les voyages métissent les cadres de réfé-rences culturels. Ils ont surtout réussi à instituer une culture populairefortement métissé qui rentre en collision avec les habitudes culturellesexistantes aboutissant ainsi à un conflit générationnel. C’est ce que J.

101 Wolton, D., L’autre mondialisation, Paris Flammarion, 2004, p.9.102 Bazyomo, E. P., Education aux médias au Burkina Faso : entre luxe et né-

cessité, Laboratoire CIM, Ouagadougou, 2009, P.122-123.103 Ibid.,

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F. Bayart appelle l’extraversion culturelle 104. Les consommateurs desmédias voyagent virtuellement et deviennent par là des citoyens dumonde qui louent les vertus du métissage qui leur permet de se façon-ner une nouvelle identité culturelle hybride. J. F. Bayart pense alorsque la culture est aussi production, invention et innovation 105.

Si la culture s’entend comme l’héritage que l’on reçoit des époquesantérieures et dont la génération actuelle est chargée de manière impé-rative d’inculquer aux générations futures, avec la dilution des prin-cipes de la pulanité et de la labinité induite par la consommation desmédias de masse, que recevront en héritage les générations futures àl’aune de cette créolisation 106 culturelle ? Internet et la télévision ap-portent dans des milieux d’accueil des informations qui favorisent descomparaisons, des remises en cause voire des tentatives de rejet desmanières de faire et de penser de son groupe d’appartenance. Demême, ces sources d’informations produisent et envoient des contenussans distinction de public. Comment consommer la bonne informationquand on sait que tout le monde ne dispose pas des mêmes moyenscritiques ?

II-4. ÉTAT DES LIEUXDU CONTRÔLE SOCIAL INFORMEL

À DIBI

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La socialisation se fixe un but, celui de réaliser une intégration dechacun des membres de la communauté au sein du tissu social.L’intégration desdits membres conduit à une sorte de cohésion so-ciale. Etant entendu que la socialisation seule ne peut pas garantir unemeilleure cohésion sociale et considérant la multiplicité des instancessocialisatrices aux objectifs et visées parfois contradictoires, la moda-

104 Bayart, J.-F., « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », inCritique Internationale, Mémoire, Justice et réconciliation, Presses deSciences Po, 1999, pp. 97-120.

105 Ibid.,106 Glissant, E., La Cohée du Lamentin, Editions Gallimard, Paris, 2005.

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lité contrôle social apporte alors une plus-value dans la quête d’unecohésion sociale souhaitée et voulue par la communauté. C’est direque pour que le groupe reste soudé et logique dans sa trajectoire iden-titaire, il faut un alliage socialisation et contrôle social qui se veutcomplémentaire afin d’inviter voire contraindre les membres à adopterdes comportements en congruence avec le modèle sociétal, les attentesde ses pairs.

Igor Martinache, dans un article intitulé, « Comment s’exerce lecontrôle social ? » affirme que « Tout groupe social est lié par un en-semble de valeurs et de règles de comportements auxquelles sesmembres doivent se conformer. Mais cette adhésion est loin d’aller desoi : elle se nourrit en amont par un lent travail de socialisation etd’intériorisation des valeurs et des normes dominantes » 107.

Le contrôle social informel recouvre plus largement l’ensemble desmoyens qui peuvent être matériels ou symboliques mis en œuvre parune société pour s’assurer de la conformité de ses membres auxnormes en place. Ce contrôle s’exerce dans ce cadre précisément pardes formes de contraintes intériorisées au cours de la socialisationconstructive et reconstructive.

Dans les sociétés traditionnelles qui précèdent les sociétés ur-baines, le lien social est fondé sur l’interconnaissance, sur la relationdirecte de personne à personne, ce qui n’est possible que dans lesgroupes limités ou groupe primaire. Ici, les relations sont basées surles interactions sociales et la similitude entre les individus. Tout celava produire une très forte cohésion.

II-4-1- Formes de contrôle social informel

Le contrôle social informel s’exerce au cours des interactions so-ciales de la vie quotidienne dans un cadre non institutionnel. Nousévoquerons tour à tour le contrôle interne, adossé à une obligationauto consentie et le contrôle externe relatif aux sanctions de la trans-gression des normes négatives ou positives.

107 Igor Martinache, « Comment s’exerce le contrôle social ? » in Alternativeséconomiques, février 2011.

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II-4-1-1- Contrôle social externe

Le contrôle social passe par des formes externes à l’individu. Cesont les plus visibles. Il s’appuie sur un certain nombre de sanctionssocialement organisées et qui sont censées dissuader les membres dela communauté à enfreindre les normes établies. Les membress’éloignent des comportements interdits à partir du sentiment de peurqui nait à partir des différentes sanctions affichées. La récompensequ’entraine les sanctions positives conduit les individus à souscrire àrester dans ce sillage pour accroitre son capital social pour rester dansla conformité. De même que les sanctions négatives dissuadent lesindividus à poser des actes repréhensibles. E. Durkheim, note que :

« Quand je m’acquitte de ma tâche de frère, de père, d’époux, de ci-

toyen, quand j’exécute les engagements que j’ai contractés, je remplis des

devoirs qui sont définis en dehors de moi et de mes actes , dans le droit et

les mœurs (…) Non seulement ces types de conduite ou de pensée sont ex-

térieurs à l’individu, mais ils sont doués d’une puissance impérative et

coercitive en vertu de laquelle ils s’imposent à lui, qu’il veuille ou non

(…) Si je ne me soumets pas aux conventions du monde, si en m’habillant,

je ne tiens aucun compte des usages suivis dans mon pays ou dans ma

classe, le rire que je provoque, l’éloignement ou l’on me tient produisent,

quoique de manière plus atténuée, les mêmes effets qu’une peine propre-

ment dite » 108.

Le contrôle social externe dans notre zone d’étude prend appui surles valeurs, normes et croyances transmises lors du processus de so-cialisation mais aussi sur les principes de la pulanité et de la labinité.

Étant donné que le village est divisé en zones et en quartiers, c’est-à-dire segmenté, tous les habitants se connaissent, chacun surveille,épie son voisin pour se rendre compte de ses activités. Toutes ces in-formations sont diffusées à l’aide du commérage qui apparait ici

108 Durkheim, E., Le suicide, étude sociologique, (éd. orig.1895), Paris, PUF,1960.

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comme une activité de grande valeur, celle-là qui permet àl’information de circuler de se diffuser, ainsi que la propagation desregards approbatifs ou non. Tôt le matin, en journée ou le soir, les ha-bitants se retrouvent dans les reposoirs aménagés çà et là ou encore lesdevantures des boutiques, des hangars pour se partager les informa-tions glanées.

Le contrôle social externe réside alors dans les gestes et les parolesde désapprobation envers les individus ayant posé des actes répréhen-sibles. Il peut s’agir d’un chef de ménage dont la fille reçoit des appelstéléphoniques incongrus, un fils qui passe tout le temps à vadrouillerou à pianoter sur son téléphone et même des invectives dans lesgroupes de pairs, des jeunes gens qui se retrouvent en concurrenceauprès d’une jeune fille. Au sein d’une famille, les différents membresse contrôle. Un cas exemplatif est le fait de flanquer une grande fillede sa petite sœur lors de ses déplacements dans le village. Celle-ci estdébriefée de temps à autre par la maman afin de se rendre compte dela vie de sa fille hors de la concession.

La fille, en réalité soustraite ici le contrôle social implémenté parl’instance local. La communauté ayant fixé un certain nombre derègles de conduites convenables relaie la surveillance rapprochée à lafamille pour s’assurer de la conformité des comportements par rapportà la volonté commune. C’est encore la famille qui est la première àsanctionner le membre égaré avec le répertoire de sanctions possibles.

II-4-1-2- Contrôle social interne

Le contrôle social interne est le reflet d’une intériorisation parl’individu de normes qu’il n’a plus l’idée de remettre en cause.L’application des valeurs acquises devient alors un modèle de vie.C’est une forme subtile du contrôle social en ce sens qu’elle est àl’avant-garde des comportements conformes à la morale sociale.

C’est le plus sollicité ici en ce sens qu’il constitue le résultat d’unesocialisation réussie. L’homme peul a horreur de ce qui procure honte,discrédit et déshonneur. C’est pourquoi, qu’il se doit de poser desactes à même d’engranger un capital de sympathie toujours plus con-sidérable auprès de ses pairs. De même, il veille à ce que les siens,

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membres de sa famille, s’autocontrôle dans leurs comportements pourque la dignité familiale soit préservée. Celle-ci ne se négocie pas et lechef de famille y tient scrupuleusement.

A Dibi, les gens tiennent à leur image sociale. Ils veulent être enconformité avec le tissu social, être pris en exemple lors des prises deparole, être érigés en modèle social, de référence, d’étalon social. Enrègle générale, c’est la pratique du principe du « teaching bydoing » 109, c’est à dire, enseigné par l’exemple. Celui qui prend laparole en public pour donner des conseils, émettre un avis public surtel type de comportement doit lui-même être irréprochable. Abouba-kar, rapporte lors d’un entretien qu’il est souvent avancé de face ousous cape à x ou y des termes désapprobateurs suivants « tu viens par-ler ici, alors que ta fille (ta femme, ton fils) t’a dépassé à la mai-son » 110. De telles ripostes langagières sont très souvent redoutéesdans la communauté. C’est pour cela que le contrôle social interne seveut la règle d’or à appliquer pour se conformer et servir de référenceau sein des siens.

Dans la vie sociale quotidienne, les acteurs ruraux du canton deDibi affichent des comportements qui s’intègrent dans le couloir de lacohésion sociale et du vivre ensemble. Selon la théorie del’association différentielle 111 (inversée), il est possible de rendrecompte de l’adhésion des individus à intégrer les normes et valeurs dela communauté et d’en faire siennes. Si ce modèle considère que lecomportement licite, réglementaire est appris, socialisé en s’associantavec des membres respectueux des règles. Cet apprentissage social sefait alors par la transmission et l’imitation de techniques et d’attitudesnormales dans un processus de communication et d’interaction avecles membres d’un groupe constitué en sous-culture.

Un individu adopte un comportement normal lorsque son exposi-tion aux définitions favorables à l’acceptation du modèle de conduitel’emporte sur les définitions défavorables à de tels actes : des mises engarde, des conseils du parent ainsi que son modèle de vie exemplairequi se communique par osmose aux socialisés. Les croyances et va-

109 L’art d’enseigner par l’exemple, en ayant un comportement exemplaire.110 Entretien de terrain réalisé par Thierry Lekoua le 15/09/2017.111 Théorie élaborée par E. H. Sutherland & D. R. Cressey, Principes de crimi-

nologie, Paris, Lujas, 1966.

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leurs adoptées par l’individu sont donc considérées comme une causeprincipale d’évolution vers la conformité, la normalité.

L’appartenance à une famille soucieuse de ladite normalité par lebiais d’un processus de socialisation va permettre l’acquisition detechniques et d’attitudes conformes véhiculées par la sous-culture degroupe. Une fois les apprentissages réalisés, l’individu est à même dese conformer, de s’auto-contrôler à son tour.

La théorie de l’association différentielle inversée envisage donc unlien de causalité entre l’interaction des partisans de la normalité et lapose des actes qui adhèrent au modèle ambiant. De plus, les méca-nismes d’apprentissage de la normalité sont conçus comme sem-blables à ceux qui mènent à la déviance.

De même la théorie du contrôle social qui remonte aux travauxd’E. Durkheim sur le suicide soutient que la fréquence de cet acteautodestructif est inversement proportionnelle au degré d’intégrationsociale 112.

En effet, lorsque l’intégration est forte, les contraintes et les pres-sions sociales sont importantes, ce qui rend effective la fonction derégulation sociale du groupe, et dont limite la transgression desnormes. Par contre, lorsque le groupe se caractérise par une faible co-hésion sociale, il s’en suivra une baisse du contrôle social et donc uneaugmentation des phénomènes de déviance. En prévenant la déviance,le contrôle social contribue à l’intégration des individus et partant à lacohésion sociale du groupe.

La conformité n’étant pas l’unique attitude possible de l’individuface au contrôle social, la communauté de Dibi mise surl’intériorisation des valeurs, l’exemplarité dans le comportement afinde faire tache d’huile puis effet boule de neige auprès de la populationsocialisée de manière à leur permettre voire contraindre d’avoir,d’adopter les comportements conformes au moule socialisateur et parconséquent 0limiter les comportements déviants.

112 E. Durkheim, op.cit.,

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II-4-2- Agents du contrôle social

Nous entendons ici par agents du contrôle social, les entités quiœuvrent pour le respect des normes et valeurs dans cet espace. Autantelles procèdent à l’implémentation de ces codes sociaux, autant ellesen assurent et veillent au conformisme et à la cohésion sociale. Nousévoquons decrescendo de la communauté toute entière au groupe reli-gieux en passant par la famille.

II-4-2-1- Contrôle socialau sein de la communauté cantonale

Comme dans tous les groupes primaires où règne la solidarité mé-canique, la reproduction sociale se fait grâce au processus de sociali-sation qui permet au groupe social de se reproduire. Le village de Dibiexerce un contrôle social basé sur le respect des règles universellesainsi que les principes enseignés et admises localement. Les méca-nismes de gestion des individus en ce qui concerne le maintien duconformisme-- social, se déroule de manière proactive dans le soucide prévenir la déviance. Norbert Elias en analysant le processus decivilisation soutien que celui-ci a consisté à contrôler les émotions etles pulsions de la vie privée. De même les manuels de civilité la bour-geoisie et l’aristocratie, autant notre population cible possède un en-semble de codes de bonnes conduites qu’on infuse aux enfants. Ici, oninculque ces bonnes manières en exerçant des contraintes sur les so-cialisés. C’est ainsi que l’habillement des dames et des filles protègedu regard masculin. La pudeur intériorisée à travers le principe sem-teende du pulaaku agit de manière proactive et conduit à un compor-tement vestimentaire qui cache tout le corps. C’est ainsi que de nom-breuses élèves filles rechignent à se remettre en tenue de sport, à seprésenter publiquement en petite tenue nous explique Andegue Ande-gue.

Dans le même fil d’idée, J. C. Kaufmann, en s’intéressant à la viequotidienne rend compte dans ce qu’il appelle la « Sociologie des

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seins nus » 113 des comportements des individus sur la plage. Cettepratique qui obéit à des codes stricts comme :

les femmes doivent rester immobiles

les hommes ne doivent pas montrer leur désir

les femmes doivent maitriser leurs mouvements

les hommes doivent maitriser leurs regards

Les mêmes codes sont en application ici en ce sens qu’il est diffi-cile de rencontrer des filles en divagation dans le village. Dans cer-tains cas, il est pratiquement impossible d’apercevoir certaines fillesen dehors de la concession familiale. Quand bien même il est possibled’en croiser une, sa tenue qui couvre tout le corps ne laissant entrevoirque la silhouette, ne produit pas des regards concupiscents générateursde désir, à même de rompre l’équilibre.

II-4-2-2- Contrôle social en famille

La famille qui apparait comme le premier agent socialisateur dé-tient également le premier rôle dans le respect de la conformité so-ciale. Dans sa fonction régulatrice, la famille met les bases d’un ap-prentissage générateur de comportements acceptables. Certes il estvrai que les enfants testent leurs parents, se jouent des codes, des in-terdits, les éprouvent afin de se rendre compte des limites du permis,mais le contrôle parental ici s’attèle à recadrer cet apprenant etl’accompagner vers l’intégration des attitudes licites.

Si la famille éduque, c’est-à-dire fait connaitre les bonnes ma-nières, les usages et les pratiques sociales acceptables à l’instar desprincipes de la pulanité et de la labinité dans le cas présent, c’est aussison rôle mieux son devoir de veiller au respect de ces bonnes ma-nières. Dominique Bernèche pense que « la famille est le premier mo-dèle de la vie en société, c’est donc son rôle du parent d’imposer des

113 J. C. Kaufmann, Corps de femmes, regards d’hommes : Sociologie des seinsnus. Pocket, 2001, 294 pages.

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règles afin que l’enfant apprenne à connaitre ses limites » 114. En ap-pliquant et en insistant au quotidien sur le respect desdits principes etce que Dominique Bernèche nomme les cinq règles « univer-selles » 115 de la famille, qu’ailleurs comme ici, servent de nourrituresociale et morale aux enfants du monde entier, la famille du canton deDibi outille les enfants de cette substance universelle qui cimentel’intégration au sein de leurs groupes d’appartenance.

Les cinq règles « universelles » que l’on retrouve également surnotre site et donc les parents enseignent et ne s’embarrassent d’infuseraux socialisés. Il s’agit notamment de :

Dire la vérité ;

Traiter les autres avec respect ;

Obéir à ses parents ;

Respecter les biens des autres ;

Être gentil et aider les autres en cas de besoin ;

Somme toute, ces règles permettent le développement de certainescompétences qui s’intègrent, s’insèrent dans le développement globalde l’enfant afin de structurer son identité, interagir de façon harmo-nieuse avec les autres et de vivre en congruence avec son environne-ment.

II-4-2-3- Contrôle socialau sein des communautés religieuses

Toutes les religiosités, dans leurs enseignements, ont toujours prô-né des modèles de vie basés sur la transmission et le respect des va-leurs morales. Si spiritualité rime avec obéissance, conformité et dis-cipline, la doctrine religieuse professe un mode de vie exemplaire quise distancie de la déviance ou tout comportement amoral. S’inscrivant

114 Bernèche, D., « Les Belles Combines », en ligne, consulté le 23/08/2017.https://lesbellescombines.com.

115 Ibid.

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dans ces canons de l’église mieux encore de la morale universelle, lesgroupes religieux qui sont à Dibi se distinguent par leur capacité à ré-unir le corps social dans son entièreté et à promouvoir ces mêmesidéaux. A partir de ce pouvoir de mobilisation, de conscientisation, leschefs religieux détiennent un pouvoir certain qui participe du maintiende la cohésion sociale, de l’adhésion des membres dans le respect dela normalité et dans l’adoption des attitudes répondant aux aspirationsreligieuses.

Autant ces communautés s’attèlent à transmettre des codes de con-duites, autant elles en contrôlent la mise en pratique par les fidèles.Des fois après la prière du soir, certains cas sont référés à l’attentionde l’Imam ainsi qu’à la communauté pour appréciation. Des écarts deconduite sont traités et des sentences prononcées pour amendement.

II-5. MÉCANISMES D’EXPRESSIONDU CONTRÔLE SOCIAL

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La communauté qui vit à Dibi a depuis son implantation dans cetespace développé des mécanismes de contrôle social afin d’assurer sarégénération, le transfert de ses us et coutumes, la perpétuation de saculture, bref la sauvegarde de son identité.

II-5-1- La stigmatisation intercommunautaire

Le phénomène de stigmatisation se veut un ensemble de procédéset énoncés visant à disqualifier un individu ou une catégoried’individus ou encore c’est une appellation chargée de connotationsdégradantes et dévalorisantes. Ce phénomène se manifeste dans notrezone d’étude par l’attribution des termes péjoratifs dans les deux sous-communautés. Chacun dans son processus de socialisation développeun vocabulaire qui dénigre et sous-estime l’autre groupe. Les termesutilisés sont : kaadoo, (athée, incroyant), talakadjo (pauvre), nyaamoosalengou (mangeur de viandes impures) pour désigner les kirdi etgbee zére (race d’oreilles rouges), dayii dôme (éleveur de bœuf),

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nyong gmbolo (propriétaire de bœuf mais, consommateur de légumesgluants) ; un vaste champ lexical dévalorisant et dégradant qui cons-truit dans l’imagerie collective de chaque sous-groupe un sentiment desupériorité réel ou symbolique.

Le processus de stigmatisation crée ici des représentations, desimages mentales que chaque groupe intériorise. Dans les rapports deforce au quotidien, le groupe islamo-peul présente un avantage certaincar, le langage d’échange est le fufulbé. Les chamailleries observéesdans la cour de récréation opposant les enfants des deux sous-groupespermettent de se rendre compte de la profondeur et l’ancrage des sté-réotypes qui existent dans le processus de socialisation. Edith Yo-tha 116 restitue les termes utilisés constamment par les élèves en situa-tion de conflit avec son camarade de l’autre sous-culture. A lamoindre altercation opposant les membres de ces deux sous-communautés, ces termes sont les premiers à être employés pour ex-primer la supériorité, le mépris et même la petite haine que l’onéprouve envers l’autre. Même comme le vivre ensemble reprend sensici après ces joutes verbales, il faut noter que ces expressions laissentdes marques dans l’inconscient collectif des groupes. Nous pouvonsvoir en elles des signes symboliques de la fracture sociale qui existentmalgré le partage d’un espace de vie sociale collectif. Il y a égalementde voir en ces expressions une marque d’affirmation de l’identité dechaque groupe qui ne saurait se diluer dans la vivre ou le faire-ensemble collectif.

II-5-2- Les regards

Dans les études faites en psychologie et même en psychologie so-ciale, le regard se veut un moyen ; un outil permettant d’apposer unjugement de valeur aux actes de ses concitoyens. Il peut s’agir de laréprobation ou de l’approbation. Les individus redoutent le regardd’autrui ainsi que le jugement qui en découle. Il peut être une remiseen question d’une attitude, d’une parole, d’un fait. La peur du regardd’autrui nait du fait qu’il peut nous renvoyer une image dévalorisante

116 Edith Yota, directrice de l’école publique de Dibi ¸ entretien réalisé parThierry Lekoua le 02/10/2017.

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de nous-même, image à même de nous mettre en déphasage avec ceque les autres attendent de nous. Cette peur fait référence à des com-portements repréhensibles qu’on aurait posés et qui créent une fragili-té de l’estime de soi. Par contre, en situation d’approbation, il nousragaillardit et nous conforte dans notre position créant ainsi une cer-taine satisfaction, une émulation, une motion de soutien à l’œuvre ac-complie.

À Dibi, les individus ont besoin des autres pour exister, pour seprouver qu’ils appartiennent effectivement à leur communauté. Toutle monde étant épié, la vie, les actes des uns et des autres passent auxcribles du regard de tous. Ce regard, s’il est positif, approbateur,donne lieu à une fierté intérieure, à l’estime de soi qui érigent en mo-dèle. Il peut s’agir ici d’une récolte bien fournie, d’une preuve de hak-kiilo dans une affaire, d’un acte de bravoure etc. Par contre, s’il estdésapprobateur comme dans un larcin, une escroquerie, une dette nonpayée à temps, un acte de mépris, …, le regard empoisonne la vie. Laprise de parole en public, et l’écoute qui s’en suit sont tributaires dubénéfice qu’a généré son immersion dans le respect des normes et va-leurs sociales locales.

Les libertés de mouvement, d’action et de pensée sont mises enmal par ce moyen de contrôle social. Les conversations, les gestes etmême le regard de soi-même perdent en intensité face à ce mécanismepsychologique naturel et universel. Il a plus d’impact ici grâce au ca-ractère particulier de cet espace social dont l’originalité est la volontéaffichée d’intégrer en son sein que des individus montrent patteblanche. Les exigences de la pulanité et de la labinité participent decet accroissement de la peur du jugement social. Chacun veut être à lahauteur des espérances placées en lui. Chacun veut se montrer digne,d’avoir une bonne éducation, d’honorer ses parents, sa famille par uncomportement loin de toute incongruité. En règle générale, la cohé-rence du regard de l’autre me contraint inconsciemment à respecter lescodes culturels et moraux de la communauté ou de la société, pense lepsychiatre Christophe André 117.

117 André, C., La psychologie de la peur. Craintes angoisses et phobies. OdileJacob, 2004.

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II-4-3- Le commérage

Encore appelé ragots, le commérage se positionne comme étantpour des propos mal intentionnés et sans risques qui jugent des per-sonnes qui ne sont pas présentes. C’est l’un des moyens les plus ré-pandus pour véhiculer ou transmettre une information ayant un carac-tère social au sein des communautés humaines. Il s’agit ici del’échange d’opinions sur les actes, les faits et les gestes des autresmembres. Cet échange joue un rôle non négligeable au sein des com-munautés et des organisations et participe tout en contribuant à la ré-gulation de la vie sociale, à la cohésion du groupe à travers son inci-dence sur l’honorabilité, la personnalité et la réputation des individus.Les ragots s’échangent partout et avec tous, c’est-à-dire en famille,avec les connaissances, entre collègues, partenaires d’affaire, …

Matthew Feinberg y voit une « activité pro-sociale » 118, celle-làqui favorise la coopération et décourage la transgression des normes etvaleurs en vigueur. Beaucoup croient ici qu’en partageant une infor-mation concernant une tierce personne a un effet dissuasif sur les con-duites potentiellement déviantes, avec pour but la protection dugroupe contre l’invasion de ces actes par effet boule de neige. Lecommérage permet alors de réguler le corps social en ce sens qu’ilpermet d’exercer de manière douce un contrôle social fort sur lesmembres.

Marine Durand pense que « les ragots jouent un rôle importantdans la gestion de nos dynamiques sociales. Ils peuvent relier les in-dividus d’un même groupe et permettent les comparaisons parexemple pour améliorer son statut » 119. Autrement dit, les ragots sontbénéfiques pour la vie sociale car, certains les utilisent pours’amender, s’améliorer, se mettre en avant, voire se protéger. En écou-tant les ragots sur tel ou tel individu, les gens se positionne par rapportaux autres. La plupart des ragots contraignent les personnes à se com-

118 Sirigu, A., « Les vertus du commérage », in journal Le Monde Science etTechno, 30/08/2012.

119 Marine Durand, Mais pourquoi aimons-nous tellement les commérages ?article paru dans la revue scientifique PLOs One, 16/08/2014.

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parer aux autres et donc à la fois à s’améliorer et à prendre conscienceen elles, à voire qui est-ce qui on a dépassé dans l’observance desbonnes mœurs et même devant qui l’on peut se vanter d’être pluspieux par exemple. Les paroles souvent véhiculées ici telles que « Tun’es pas un bon fidèle, tu ne pries pas » prennent tout leur sens.

Martin Nowak 120 arrive à la conclusion que certaines personnes, àtravers les ragots peuvent décider de coopérer avec ou non avec telindividu en fonction de son comportement passé envers nous, maisaussi en fonction de son comportement envers les autres membres dugroupe. La réputation est en quelque sorte le capital social d’un indi-vidu et le commérage une monnaie d’échange. Il arrive ici que les his-toires suivies nous servent de garde-fous pour les autres et se préser-ver de devenir aussi l’objet de ces attaques. Ceux-ci évitent d’en poserpour ne pas en être aussi victimes. De ce fait, la majorité entre en con-formité sociale. Elena Martinescu 121 pense de son côté que les ragotspositifs, flatteurs provoquent des comparaisons sociales et mettent desprotagonistes en compétition pour la notoriété et la réputation. Parcontre, d’autres y trouvent un moyen de s’interroger sur leurs proprescomportements.

En somme, le commérage apparait ici comme une unité de mesurede comparaison des trajectoires sociales en termes de positionnement,d’ancrage dans le respect des normes et des valeurs, et mêmed’accumulation des capitaux symboliques. Les membres de la com-munauté aux attitudes asociales, déviantes perdent ici leur capital ded’apathie, celui-ci amenuisé par la virulence déflagratrice du commé-rage.

Le commérage, les ragots et les rumeurs, dans leur élan de propa-gation, bénéficient de l’appui des outils NTIC. Ceux-ci constituent unvéritable véhicule des propos véhiculés çà et là. C’est ainsi qu’auterme de la présente partie, nous embrayons sur le chapitre consacré lavulgarisation et à la massification du matériel informatique dans notrezone d’étude.

120 Sirigu, A., op.cit.,121 Ibid.,

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En définitive, ce chapitre nous a permis de faire le tour sur la ma-nière dont les populations du canton de Dibi sont socialisées, de noterles normes et les valeurs et les valeurs qui sont mises en avant. Cesmodèles de socialisation s’appuient sur la pulanité et la labinité quiconstituent et construisent l’identité peule et gbaya, les plus grandsgroupes ethniques de la localité. La dernière partie du chapitre nous apermis de relever les formes, les mécanismes et les différents agentsdu contrôle social informel, ensemble qui régule la vie sociale ets’assure de la conformité des comportements par rapport à l’idéal col-lectif.

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PREMIÈRE PARTIE

Chapitre III

PROCESSUS D’ANDROÏDISATIONDU CANTON

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Depuis 1970, année pendant laquelle, Alhadji Oussoumanou ache-ta le premier poste de radio du village de Dibi jusqu’à aujourd’hui oùle petit Bouba, élève enclasse de CE1, dispose d’un téléphone An-droid, la trajectoire cantonale en termes d’acquisition du matérieltechnologique de cette communauté s’est étoffée. La consommationdes outils et produits technologiques en s’accroissant de manière ex-ponentielle a mis nos ruraux en contact avec l’ailleurs ; un ensemblede modèles de vie, de pratiques, de manières de faire, de penser etd’agir. Comme dans un effet boule de neige, les habitants de toutescatégories sociales se laissent séduire voire « recruter » par l’attrait deces nouveaux compagnons de vie. L’utilisation, la manipulation,l’usage de ces gadgets devenus si commodes et si indispensablesqu’ils s’intègrent comme activités quotidiennes et partant s’incrustentdans le mode de vie locale. C’est à ce titre qu’il y a eu dans le cantonde Dibi une certaine démocratisation en quantité comme en qualitédes NTIC. Le nombre sans cesse croissant des habitats disposant d’aumoins d’un outil en est hautement révélateur. Une projection d’aprèsles chiffres obtenus sur le terrain nous approche à plus de deux milleappareils. Au fait, comment en est-on arrivé là ? Qu’est ce qui peutjustifier cette orientation, cette adhésion collective de toutes les géné-rations conscientes à l’outil technologique ?

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Cette partie de notre parcours réflexif porte sur la genèse du recru-tement dans l’univers numérique, de l’usage de ces outils dans leursmultiples fonctionnalités et des indices de démocratisation dans cetespace de recherche.

III-1. PROCESSUS DE DIFFUSION DES NTICDANS LE CANTON DE DIBI

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Dans cette partie, nous ressortons l’historique de l’accueil et del’implémentation des outils NTIC dans cet espace rural. Nous retra-çons alors tout le processus qui a permis à cette communauté des’arrimer peu à peu à l’évolution technologique du monde, de marquerson adhésion, son inscription dans « l’ère du numérique ».

III-1-1- La radio

Ici comme ailleurs dans notre pays, parmi les outils modernes detélécommunication qui existent dans cette contrée, la radio en estl’ancêtre. La traçabilité de son degré d’acquisition ainsi que de sonusage sont très mal connus. Néanmoins, selon ALhadji Nouhou l’undes patriarches du village

« il est difficile d’en parler avec précision car de mémoire d’hommes,

je me rappelle de ce que qu’après la sédentarisation de nos pères, certaines

personnes de retour de la Mecque avaient ramené dans leurs bagages des

radios cassettes. Celles-ci permettaient d’écouter des messages audios des

prêches et des versets coraniques. Nous étions alors dans les années » 122.

Ces moments que cette bibliothèque vivante se remémore avecbeaucoup d’attention, de concentration et surtout de nostalgie sem-blent avoir été une période forte dans la trajectoire du canton. Avoir

122 Entretien op.cit.,

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des prêches à suivre à volonté en dehors des temps de prière et desurcroit celles des lieux saints étaient de l’inédit. Tout le monde enraffolait. De temps en temps, les visiteurs d’un propriétaire de radiocassette étaient honorés par une invitation à écouter mieux às’abreuver à la source des paroles en provenance des lieux saints.C’étaient des moments privilégiés à l’époque souligne le vieillard.Cette entrée timide mais très réussie tout de même dans la consom-mation des NTIC a fait tache d’huile pour s’ouvrir à toutes lescouches sociales.

Un peu après, plusieurs personnes se sont appropriés l’outil quis’est quelque peu banalisé puis battu en brèche par l’arrivée du murd’image et de son qu’est la télévision.

III-I-2- La télévision

Tout comme la radio, l’entrée en scène de la télévision dans lesfoyers du canton de Dibi a été timide. C’est en réalité en 1990 que lepremier poste de télévision est arrivé au village. A cette époque, lesignal de la CRTV télé n’atteignait pas ce haut plateau du septentrioncamerounais. Cette absence de signal a amené les utilisateurs à se do-ter de magnétoscopes les lecteurs de CD pour regarder les films, de lamusique et surtout des prêches des dignitaires religieux. Les privilé-giés détenant les télévisions à l’époque voyaient leurs maisons seremplir par des enfants en quête d’images dont l’appétence pour cettenouveauté se montrait exponentielle.

Avec l’arrivée du signal télévisuel, le téléviseur cesse d’être uni-fonctionnel pour devenir aussi une source d’acquisition des informa-tions tant nationales qu’internationales. Bien que les populations nedisposent pas suffisamment des acquis langagiers en langues offi-cielles, à travers lesquelles sont diffusées lesdites informations, ellesessaient de déchiffrer, d’imaginer les contenus langagiers grâce audécodage de l’image. Ce handicap n’a pas constitué un obstacle dansla consommation du flux télévisuel. Il s’est plutôt constitué en chal-lenge pour apprendre quelques bribes de français pour certains. Bouba

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Ibrahim 123 se rappelle que c’est suivant des films qu’il a acquis puisprononcé ses premières phrases en langue française.

Un nouveau cap a été franchi par nos pèlerins du numérique avecla mise sur le marché des antennes satellitaires. La montée en amourde l’utilisation ces antennes au sein de cette communauté traduit lesouci et le besoin sans cesse croissant à consommer davantaged’images télévisuelles en termes de contenus diversifiés. Dans cetteoffre aux programmes très variés, la quête et la consommation desséries télévisées dites télénovelas occupent une bonne place dans lerépertoire des catégories qui s’abreuvent le plus à la boite à imagesque sont les femmes et les enfants. Sur la base des informations deterrain, la plupart du temps consacré à la télévision est réservée à laconsommation des télénovelas. Que ce soit en diffusion directe ou lorsdes rediffusions, certaines « recrues » arriment leurs activités domes-tiques au rythme de passage de leurs séries télévisées. Etant donné queles heures de diffusion des séries coïncident avec les temps de ras-semblement de la famille à la maison, le taux d’audience est très éle-vé. Mères et enfants et parfois les pères sont au rendez-vous, se délec-tant d’images donc la violence n’émeut plus personne.

Les images télévisuelles captivent les masses, vont rêver et font dutéléspectateur, un touriste immobile. Au lieu de mouvoir vers les sites,les paysages et autres mondes à visiter, la télévision amène ce qui estloin, proche du consommateur. Porcher parle alors à cet effet d’« uneabolition de la distance » 124.

La télévision, média de masse par excellence, est restée pendantlongtemps l’outil informatique le plus couru. Malgré la concurrenceféroce des nouveaux médias interactifs, elle reste jusqu’à ce jour celuiqui réunit la famille, les cinéphiles, les amis autour d’une séquenced’images, indices et moments de sociabilités et convivialité partagés.

123 Focus group avec jeunes non scolarisés, réalisé par Thierry Lekoua, Fadi-matou Samirah, Francois Kolwé le 16/07/2017.

124 Porcher, L., Télévision, culture, éducation, Armand Collins, Paris, 1994, p.25.

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Photo 6 : Usage des antennes paraboliques à Dibi,réalisée par Thierry Lekoua le 10 / 07 / 2017 à Dibi.

III-I-3- La Vidéographie

Ayant flairé l’engouement de toutes les catégories sociales pourl’image animée, comme tout bon Peul faisant montre du principe de lapulanité hakkiilo, le Jeune Abba ouvre une salle de diffusion payantede films à Dibi. Nous étions alors en 2003. Cet événement marque lepoint de départ de la consommation de masse des outils technolo-giques. Malgré le prix élevé de la séance, 200 francs CFA, des indivi-dus de tout bord se ruent alors vers cet établissement pour consommerles films diffusés. Les plus prisés par les nouvelles recrues étaient lesfilms de guerre, d’actions, d’aventure et surtout les films chinois. Ases débuts, le propriétaire déclare qu’il faisait salle comble tous lessoirs. Ses clients étaient constitués d’adultes, de jeunes et d’enfants.Seules les catégories féminines manquaient à l’appel à cause de la sé-paration des genres en vigueur ici.

Le bouche à oreille aidant, la bonne nouvelle s’étant éparpilléedans des contrées adjacentes, les vendredis, jour de marché, toutes lesprogrammations faisaient salle pleine. Ce phénomène témoignait déjàl’engouement de cette ruralité pour les outils et produits de la techno-

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logie. C’est ainsi que depuis 2003, et de manière ininterrompue cettesalle de projection des films nourrit l’appétit toujours croissant deshabitants du Canton. Avec une diffusion d’au moins de deux films parjour, en 18 ans de fonctionnement, nous remarquons que les adeptesde la vidéographie ont consommé, au bas mot, 13 140 films jusqu’àaujourd’hui. Un nombre considérable de films qui à n’en point douteragit tout en impactant sur la conception et la vision du monde de cespopulations qui, rappelons-le sont de jeunes gens.

Dans le même sillage, il a été mis aussi en fonctionnement, il y aune dizaine d’années, des salles de jeux vidéo qui également permet-tent aux jeunes du canton de consommer cet autre format des produitsde la technologie. Ici, on trouve plus genres de jeux vidéo et l’offre laplus intéressante pour les clients s’avère est les jeux d’aventure et decombats, talonnée par les jeux liés au sport et notamment le football.C’est dire qu’à ce jour, les jeunes de Dibi peuvent se targuer d’unelongue et profitable expérience dans leur trajectoire de consomma-teurs des produits de la vidéographie.

III-I-4- La téléphonie mobile

L’arrivée de la communication téléphonique est très récente. Sidans certaines contrées du pays, le téléphone filaire a précédé celuisans fil qui est à la mode aujourd’hui notamment les zones urbaines,la périphérie en était sevrée. Ceci certainement à cause du cout logis-tique considérable et le nombre insignifiant des potentiels abonnés.Les zones rurales ont dû attendre l’arrivée des téléphones portablespour se doter en instruments de communication portables. A Dibicomme dans la ruralité africaine en général, l’inscription dans la télé-phonie mobile fut lente dans ses débuts eu égard à la cherté del’instrument et du cout des communications. Autant le radiocassette etla télévision ont été introduits par la bourgeoisie locale, autant le télé-phone a suivi le même canevas d’entrée. L’élite locale bourgeoisepastorale a été la première à se procurer les téléphones. Hassan, fils dufeu Galdima (Premier ministre) du Lamido de Ngaoundéré se rappelledu temps où son père avait acheté son premier téléphone portable à lafin des années 90. Il était, selon le jeune homme, parmi les trois pre-mières personnes du village à s’offrir cet outil de grand luxe. A cette

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époque, il fallait débourser une centaine de mille pour un appareil or-dinaire.

Depuis lors, une vingtaine d’années plus tard, avec la chute dras-tique d’une part du prix de l’appareil mais aussi le coût de la commu-nication, le village s’est garni, outillé. Le marché cellulaire africainsemble être celui qui a connu la plus rapide augmentation par rapportaux autres régions du monde selon les indications de l’UIT 125. Lemême rapport nous renseigne que le nombre d’abonnés mobiles enAfrique a augmenté de plus de 1000% entre 1998 et 2003 pour at-teindre les 51,8 millions. Les projections à cette époque toujoursl’UIT, émettaient dans les scénarii de croissance que le taux de péné-tration du mobile en Afrique devrait être en 2010 entre 10 et peut être20% contre 6% en 2003.

La forte intrusion du téléphone cellulaire s’explique par le fait quece nouvel instrument s’intègre aisément dans le contexte du tissu so-cial africain qui s’adosse sur ce que José Do-Nascimento nomme« l’hyper relationnel » et aussi sur le caractère de valeur d’usage hau-tement attribué audit outil. Partout en Afrique, chaque individus’insère dans un réseau relationnel très dense ce qui lui permet d’êtreenclin à toujours plus de conversation, de prise de parole ainsi que desnouvelles à prendre auprès de ses connaissances. L’arrivée du télé-phone mobile vient donc comme une bouée de sauvetage qui soulagel’homme africain et le paysan en particulier des longues marches au-trefois effectuées pour aller rendre visite aux siens, transmettre les sa-lutations, annoncer un deuil, aller à la rencontre de sa dulcinée, … Lesnavettes et les dépenses y relatives s’allègent puis sont transféréesvers la communication mobile qui elle-même s’avère de plus en plusbudgétivore.

Avec le temps, l’arrivée de nombreux fournisseurs et les travauxdes structures de régulation ont porté leurs fruits. Le téléphone ne sevoit plus comme un signe extérieur de richesse mais comme un objetnormal et banal. Son caractère élitiste a laissé place à une massifica-tion de plus en plus croissante. La surprise viendrait maintenant dufait que quelqu’un avoue ne pas en posséder. Par contagion sociale letéléphone portable s’est propagé à presque toute la population. Raressont des individus ne disposant pas d’une connexion, un numéro télé-

125 Rapport UIT, Indicateurs des Télécommunications Africaines, mai 2004.

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phonique. Seuls quelques individus habitant de l’inter land et de lapériphérie du canton qui ne trouvent pas encore en le téléphone por-table un outil indispensable.

Avec la grande circulation de l’argent dans le canton, et la ventedes téléphones neufs et de secondes mains sur place, chaque famillevisitée lors de ce parcours réflexif dispose d’au moins un cellulaire.L’arrimage cantonal à la téléphonie mobile est presque total dans cettezone de transition à cheval entre le mode de vie de la campagne et dela vie citadine.

III-I-5- Internet

L’Internet s’appréhende comme un réseau d’échanged’informations. Cette multi-connexion de nombreux acteurs tend deplus en plus vers le relationnel et l’interactivité. Depuis 1997 date àlaquelle les camerounais ont eu accès à la connexion Internet, les po-pulations de toute catégorie sociale se sont intéressées à ce qu’onpuisse scientifiquement appréhender comme un phénomène social.Une vingtaine d’années plus tard la phase « d’enthousiasme » estpresque passée bien que les fractures numériques n’aient pas permisqu’une certaine égalité et une équité dans la dispersion del’appropriation et l’utilisation de l’internet puissent se percevoir net-tement. Si dans les zones urbaines les effets des fractures numériquescontinuent de se manifester jusqu’à aujourd’hui, il y a lieu de souli-gner que celles-ci s’accentuent davantage dans les campagnes. A.Ebonda, citant Baba Wamé, les situe « entre homme/femme, analpha-bète/scolarisé, riche/pauvre, jeune/adulte, habitant de la capitale/ ha-bitant des provinces, … » 126.

Néanmoins, cette étude nous permet de se rendre compte du rétré-cissement desdites fractures et qu’il existe un engouement fort consi-dérable des populations des campagnes quant à la consommation del’internet. Accéder à internet nécessite un terminal qui peut être untéléphone Android ou un ordinateur. A part ces outils technologiques,il faut avoir une connexion et un forfait auprès d’un opérateur télé-

126 Ebonda, A., « Les Camerounais ont une utilisation basique d’Internet »,Journal Le Messager, 04/01/2006.

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phonique de la place. Ailleurs comme ici, internet séduit et recrute auquotidien. Les ruraux de Dibi, malgré la cherté des forfaits donnantaccès à internet essaient tant bien que mal à se connecter. C’est ainsique selon nos enquêtes de terrain, le taux de « recrutement » avoisine-rait les 75% au sein de la population active androïdement parlant.

Il existe dans cet espace plusieurs individus qui, au quotidien, seconnectent à internet et tirent avantage des bienfaits informationnelsde cette dense bibliothèque des temps modernes. L’identité numériquese construit graduellement en dépit d’énormes sacrificesqu’impliquent les recharges quotidiennes ou hebdomadaires aux dé-pens des autres charges obligatoires.

III-1-6- Les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sur Internet apparaissent comme un ensembled’applications dont l’objectif principal est de relier des amis, des con-naissances ou des associés. Ils présentent des orientations plus oumoins personnelles ou professionnelles, c’est-à-dire que l’objectif desutilisateurs constitués d’acteurs individuels ou collectifs peut être deretrouver des amis et de partager des outils avec eux notamment desphotos, des messages, des commentaires, des applications ludiques,des expériences de vie, … ou de tisser des liens collaboratifs. Ces in-teractions sociales peuvent donner naissance à des liens sentimentauxforts et solides ou des liens faibles à l’instar des relations d’affaire oude travail. Le réseau social Facebook par exemple et l’applicationWhatsApp sont les plus connus dans notre pays et c’est le même caspour notre espace de recherche.

La presque totalité du temps alloué à Internet ici est consacrée àces deux applications. Quelques jeunes et surtout les scolarisésavouent lors du focus group consacrer aussi du temps à des recherchesd’ordre général et plus précisément académique. Ici donc comme ail-leurs, les réseaux sociaux bénéficient d’un accueil phénoménal. Avoirun compte sur un réseau social est un indice de modernité, c’est mani-fester son état d’individu à la mode, de vivre son temps et d’en êtreacteur.

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III-1-7- Centre de formationà l’utilisation des outils des NTIC

Dans le but de doter les habitants du canton de Dibi d’une forma-tion dans la manipulation des outils technologiques, de capaciter sesapprenants en compétences informatiques, un investisseur privé, denationalité brésilienne, avait ouvert un centre de formation dans cetespace. Diego-França, né en 2011, le temps de son existence a ouvertune brèche dans l’acquisition des notions et des compétences en in-formatiques. L’engouement pour y apprendre des savoirs-faire techno-logiques était total raison pour laquelle de nombreux jeunes avaientété recrutés pour ladite formation.

Ce moment d’étude a été un coup d’accélération de l’intégration duvillage dans le monde numérique. Les moniteurs recrutés à cet effetont, le temps qu’a duré le projet, jusqu’au décès du promoteur, œuvréà satisfaire les appétits numériques des apprenants. La formation étantgratuite, et logeant dans un environnement où les populations étaientmajoritairement analphabètes en termes de scolarité officielle et encompétences informatiques, l’intérêt des populations peut être observéaujourd’hui comme un acte de visionnaires vers leur destinéed’individus androïds.

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Tableau 3 : Récapitulatif de la dispersion des outils NTIC dans le canton

Tableau dedétention etd’utilisationdes outilsNTIC parfamille

Nombre de personnes entretenues Pourcentages obtenus

Sexe Groupe ethnique Sexe Groupe ethnique

M F Islamo-Peul

Kirdi M F Islamo-Peul

Kirdi

0 0 0 0 0 00 00 00 00

1 8 8 10 6 15,39 16 16,4 14,63

2 8 11 8 11 15,39 22 13,11 26,83

3 13 17 20 10 25 34 32,79 24,39

4 20 13 20 13 38,46 26 32,79 31,71

5 3 1 3 1 05,76 2 4,92 2,44

Total 52 50 61 41 100 100 100 100

Source : Enquêtes de terrain

Au terme de cette partie qui met en exergue l’appropriation des ou-tils NTIC dans le canton de Dibi, le tableau qui le résume nous rensei-gnent que tous les individus ayant accepté de se soumettre aux entre-tiens possèdent chez eux au moins un appareil de technologie numé-rique. Il existe une certaine gradualité dans l’échelle d’acquisition dumatériel informatique. Les chiffres sans cesse croissant soulèvent unengouement, une volupté informatique des ruraux. Observé de près,cet élément statistique dévoile que la majorité des participants dispo-sent entre 3 et 4 appareils autant chez les femmes que les hommes,idem chez les individus des deux sous-communautés. Nous obtenonsdes scores moyens cumulés de la catégorie hommes/femmes de :61,73 % et dans le groupe social Islamo-Peul/Kirdi dans son en-semble : 60,84. Ce tableau nous permet de constater l’effectivité duphénomène de démocratisation des outils NTIC dans le canton de Di-bi.

L’étude comparative des deux sous-groupes permet de noter unerelative supériorité des Islamo-peuls dans l’achat du matériel informa-tique. Cet état de chose s’expliquerait par leur position sur le champ

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social et économique de la localité d’une part et certainement par leurdésir de combler la fracture éducationnelle qui sévit au sein de lacommunauté. Il est à relever que la communauté kirdi a plus de pré-requis langagiers dans les langues officielles que sa voisine.

III-2. USAGES DES OUTILS NTIC

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En étudiant les usages des technologies informatives et communi-catives, les chercheurs empruntent deux couloirs à la base dichoto-miques à savoir : « ce que les médias font aux gens », impacts sur letissu social en termes d’effets sur les comportements enfantins, juvé-niles et même séniles d’une part et « ce que les gens font avec les mé-dias » dans leurs contextes sociaux d’usagers d’autre part. Ces deuxorientations de base servent de point d’ancrage aux différents pro-grammes de recherche qui ont prospéré dans le domaine.

III-2-1- Approches théoriques des usages

Dans cet espace, il s’agira de mettre un point d’honneur sur les po-sitions théoriques qui se proposent d’observer, de comprendre etd’expliquer les usages.

III-2-1-1- La sociologie des usages

Dans la sociologie des usages, nous allons évoquer l’approche dif-fusionniste qui se saisit de l’analyse de l’adoption d’une nouveautétechnologique au moment de sa diffusion. Il s’agit notamment de sa-voir comment se diffusent les innovations et qui en sont les adoptantsen élaborant des modèles comportementaux et par ailleurs mesurerl’impact de leur adoption à travers les changements opérés dans lespratiques.

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L’approche diffusionniste de Rogers 127 émet l’hypothèse d’uneadoption par processus dont la première est l’exposition de l’usager aunouveau matériel jusqu’à la confirmation ou son rejet. Par ailleurs,cinq attributs du taux d’adoption d’une innovation sont établis no-tamment l’avantage relatif, la compatibilité avec les valeurs du grouped’appartenance, sa complexité, la possibilité de la tester ainsi que saviabilité. Rogers élabore un classement des usagers allant du groupedes innovateurs en passant par celui des premiers utilisateurs, la pre-mière majorité, la seconde majorité et les retardataires.

Cette approche s’appuie sur un ensemble de typologies dans le butde suivre l’évolution du taux d’adoption. Celle-ci va se lire et se tra-duire dans la manipulation des variables socio-démographiques clas-siques. Pour les diffusionnistes comme Chambat, « les corrélationsentre les taux d’équipement et la fréquence d’usage, ainsi que les pra-tiques de sociabilité, de loisirs, de déplacement, etc., permettentd’obtenir des données sur les éventuels changements dans les pra-tiques » 128.

En somme, l’intérêt majeur du modèle diffusionniste est « d’avoirpermis de décrire tout le réseau social de circulation d’une innovationau sein d’une société » 129. Ici, le réseau d’influence est au cœur de lathéorie diffusionniste de Rogers.

III-2-1-2- La sociologie de l’innovation

L’approche sociologique de l’innovation a pour objet d’étude desprocessus d’innovation technique notamment la conception des inno-vations mettant en évidence la prise de décision et les choix d’ordretechnique, social, économique et politique. Cet objet d’étude est deve-nu omniprésent dans le quotidien des individus. Toutes les pratiques

127 Rogers, E. M., Diffusion of innovations, New York : Free Press, 1983.128 Chambat, P., « NTIC et représentation des usagers », dans Médias et nou-

velles technologies et société. Pour une socio-politique des usages, sous ladirection de A. Vitalis, Rennes : Editions Apogée, 1994, pp. 45-59.

129 Flichy, P., L’innovation technique. Récents développements en sciencessociales vers une nouvelle théorie de l’innovation, Paris : La découverte,1995, p. 30.

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sociales de l’heure en usent. Les NTIC se trouvent bien loties dans lescentres d’intérêt des chercheurs. Ces derniers essaient de rendrecompte des logiques se situant en amont du processus de création etde diffusion, celles qui déterminent ces innovations et encore plus lesphénomènes, situés en aval, qui rendent compte des effets qu’ellesproduisent sur la société. Gérarld Gaglio, en prenant appui dans sestravaux du « téléphone portable » 130 et d’Internet en est un des pion-niers. Il note la dimension collective des processus d’innovations quirésultent des actions convergente d’une multitude d’acteurs.

La sociologie de l’acteur réseau de Bruno Latour met au centre dela production de la réalité scientifique, le couplé gagnanthomme/outils techniques, agents « non-humains » auquel on peut ad-joindre les discours. L’apport des machines, des « acteurs », mieuxdes « actants » 131 permet en situation de laboratoire de construire desfaits scientifiques. Pour les adeptes de cette approche, le monde doitêtre pensé comme un « réseau » et non de groupes sociaux. Le socialest alors une « association », un « collectif », l’ensemble des relationset des médiations qui mettent en mouvement tout cet ensemble 132. Ceque les ruraux font avec les NTIC permet de produire et de reproduiredes faits sociaux analysable à la lumière de la sociologie del’innovation.

III-2-2- Utilisation et usages sociauxdes outils NTIC dans le canton de Dibi

S’il est une certitude dans l’activité humaine des temps présents,c’est que le monde est entré dans ce que Castells 133 appelle « l’âge del’information », autrement dit l’ère des technologies de l’information

130 Gaglio, G., Sociologie de l’innovation, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2012,126p.

131 Terme employé par Greimas, A. J., (1917-1992) dans son modèle actantiel,qui est un dispositif permettant d’analyser toute action réelle ou thématisée.

132 Latour, B., Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La Décou-verte, 2006.

133 Castels, M., The Information Age : Economy, Society and Culture Vol. I(second edition) : The Rise of the Network Society. Cambridge MA. OxfordUK, Blackwell.

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et de la communication. C’est ainsi que depuis quelques dizainesd’années la vie sociale s’organise autour de ce « nœud central » queconstituent les NTIC. Ailleurs comme ici, dans les cités comme dansles campagnes, la civilisation numérique se déploie à une vitesse su-personique tout en affectant au passage toutes les sociétés humainesdans ce système nommé globalisation. Considérant que chaque indi-vidu peut déjà revendiquer sa citoyenneté numérique, celle-ci, ens’incrustant dans les modes de vie les impacte considérablement.

L’usage renvoie à une pratique qui bénéficie d’une certaine stabili-té et d’une généralité suffisante dans son environnement. Ainsi,l’usage social d’un instrument tend à englober les interactions entreles utilisateurs entre eux et aussi avec les objets voire l’histoire socialede chaque individu. Pour Pierre Chambat 134 la notion d’usage peutêtre vue comme une combinaison de pratiques de communication etde représentations qui leur sont associées. Il note que la notion est uti-lisée pour « repérer, décrire, et analyser des comportements et desreprésentions relatifs à un ensemble flou ».

Les outils NTIC dans leur usage au quotidien, remplissent un cer-tain nombre de fonctions qui somme toute concourt vers un change-ment en profondeur des structures sociales dans leur vision, dans leurfondation. Steibig, J. et Deverin, Y. pensent que « l’ère del’information et de la communication permet …de s’identifier à unespace élargi, qui dépasse les frontières physiques. Il est aujourd’huidans un contexte d’hyper mobilité, qui est à la fois matériel, imagé, etvirtuel 135. » La littérature foisonnante relative à la problématique desusages des NTIC nourrit la recherche en sciences sociales depuis plu-sieurs années et se proposent d’observer la mise en œuvre sociale destechnologies communicatives.

Parler des usages sociaux des NTIC ici, c’est amener se rencontrecompte de la capacité de destruction ou de création du lien social dansnos sociétés traditionnelles africaines solidement ancrées dans

134 Chambat, P., « Usages des technologies de l’information et de la communi-cation : évolution des communications », in Technologies de l’informationet Société, vol.6, n°3, 1994, pp. 244-271.

135 Steibig, J., Deverin, Y., « L’appropriation des TIC par les diasporas : Ana-lyse des répercussions potentielles dans les pays d’origine », NEETCOM,vol. 22, n° 1-2, et NEDSUDS, vol. 3, 2008, p. 128.

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l’oralité. Observer des NTIC dans ces espaces particuliers revient à sepencher, s’appesantir sur les capacités productrices d’usages, de pra-tiques, de relations, de représentations, de comportements et de conte-nus sociaux. Le téléphone cellulaire par exemple se voit comme uninstrument qui s’agrège dans le circuit de l’oralité qui autrefois danscertaines communautés, surtout forestières, avaient pour porte éten-dard le tam-tam. Cet outil moderne s’inscrit alors sur les plates-bandesde son illustre ainé et prédécesseur. L’Afrique noire pouvait-elle fonc-tionner sans tam-tam ? S’il est difficile d’envisager l’affirmative, il endemeure autant aujourd’hui de penser la vie moderne sans cet outilcatalyseur des sociabilités du monde moderne.

Aussi, pour Lacroix,

« Les usages sociaux sont des modes d’utilisation se manifestant avec

suffisamment de récurrence et sous la forme d’habitudes suffisamment in-

tégrées dans la quotidienneté pour s’insérer et s’imposer dans l’éventail

des pratiques culturelles préexistantes, se reproduire et éventuellement ré-

sister en tant que pratiques spécifiques à d’autres pratiques concurrentes

ou connexes » 136.

En somme, nous retenons avec Florence Millerand que

« L’usage renvoie à l’utilisation d’un média ou d’une technologie, re-

pérable et analysable à travers des pratiques et des représentations spéci-

fiques ; l’usage devient « social » dès qu’il est possible d’en saisir parce

qu’il est stabilisé les conditions sociales d’émergence et, en retour

d’établir les modalités selon lesquelles il participe de la définition des

identités sociales des sujets » 137.

136 Lacroix, J. -G., « Entrez dans l’Univers merveilleux de Vidéoway ». In La-croix J. -G., et Tremblay. G., (Dir.). De la télématique aux autoroutes élec-troniques. Le grand projet reconduit. (pp. 137-162). Sainte-Foy : Presses del’Université du Québec, Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.

137 Millerand, F., « Usages des NTIC : les approches de la diffusion, del’innovation et de l’appropriation », Les Editions électroniques Commpo-site.org, 1998.

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Dans cette partie de notre travail réflexif, nous évoquerons ce queles individus font avec les médias. Il s’agit de s’appesantir sur ce quise produit dans la vie sociale par rapport à leur usage des NTIC.

III-2-2-1- NTIC comme outilsd’information et d’accès au monde

Si la fonction principale d’un outil médiatique est de transmettrel’information, les usagers ne lésinent pas sur les moyens pour en pro-fiter. Dans certains cas, comme au Sénégal, les radios rurales et lestéléphones portables servent d’outils puissants pour l’éducationsexuelle, de levier pour un mouvement de plaidoyer pour l’égalité dessexes, la lutte contre les violences domestiques qui sont ainsi plus fa-cilement reportées et stigmatisées.

Si déjà en 2014, Zacharie Hatolong Boho nous renseignait de ceque les ménages camerounais ont consommé plus de 4250 épisodes detélénovelas répartis dans plus d’une vingtaine de séries télénove-lesques, arrivés en 2017, ce chiffre a été coefficié n fois. Toutes cesstatistiques pour souligner que les populations camerounaises, dansleur généralité, au travers des NTIC, ont été socialisées à partir desséries télénovelesques sur un ensemble de faits sur la vie dans lecouple notamment les rapports conjugaux sous plusieurs coutures,coutures et facettes, aussi des exemples de gestion de la maison demanière démocratique ou dictatoriale et enfin sur la gestion des con-flits familiaux. Tous ces modèles ont été accueillis, enregistrés et par-fois mis en pratique et même adoptés au sein des foyers camerounais.Etant donné que le gros contingent de consommateurs est constitué defemmes, maillon fort de la socialisation au sein des familles, il appa-rait envisageable de prospecter des modifications dans leur regard,leur vision des choses sur la vie familiale.

Les adeptes des produits vidéographiques du canton consommentd’énormes quantités d’images issues des films d’action américains,japonais et chinois. Dans ceux-ci, des informations violentes sont vé-hiculées mettant en exergue la manière de souffrir autrui, les prises decombat, des mises à mort. Ces gestes sont souvent mis en pratiquedans les cours de récréation des écoles de la contrée et de plus en plus

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avec acuité. Edith Yota 138 nous a renseignés que son école connaitune montée du taux des bagarres et autres agressions entre les élèvesdans son établissement. Aussi, Ditchong 139, surveillant général auLycée de Dibi appuie cette position en évoquant les cas d’indisciplinecaractérisée dont il fait face au quotidien notamment l’insolence, lemépris, l’indécence, bagarres, …

La mise en pratique des leçons du grand banditisme apprises parles habitants du canton s’observe de temps en temps. Des actesd’enlèvements des personnes avec demande de rançon, des agressionsdes marchands de retour du marché à bétail, des assassinats, les actesdes coupeurs de route nourrissent les conversations tout en créantl’effroi, l’angoisse et la psychose au sein de ces populations. Cesactes, après les enquêtes policières et la rumeur véhiculée localementimpliquent des individus habitant le village, anciens adeptes des filmssus-cités. Certains habitants du village ont été enlevés ou tués lors desderniers épisodes de ce phénomène de grand banditisme alors mêmeque les soupçons pèsent sur leurs parentés. Au vrai, au travers de cescas empiriquement observés, l’usage des outils NTIC produit un cer-tain nombre de mutations sociales au sein de cet écosystème.

Les NTIC ne sont pas seulement productrices et commerçantesd’images agressives, les consommateurs de Dibi, à travers internets’informent sur les stars de la télévision, de la musique, du football.Les informations sur les histoires de vie des grands hommes del’heure et du passé. Ces images, animées ou fixes ²se partagent au seindes membres du réseau. De même, la population scolarisée trouve autravers des recherches des informations additionnelles et complémen-taires de leurs cours ou de leurs exposés. Les NTIC sont pour des po-pulations villageoises le point d’accès aux informations officielles,scientifiques et généralistes. Avec l’absence totale de livres, exceptéceux des religions pratiquées ici, la seule source à laquelle s’abreuverreste donc l’Internet. Le média des médias peut être considéré dans cetespace comme un service de salut collectif avec ses multiples fonc-tions. Dans un paysage social fermé où certaines préoccupations desjeunes avides de réponses ne savent pas à qui s’adresser pour se sortir

138 Entretien, op.cit.,139 Entretien de terrain avec personnes ressources réalisée par Thierry Lekoua,

5/10/2017.

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d’affaire, étant entendu que la socialisation par les pairs est la plususitée, les réseaux l’Internet, avec leur large ouverture et des expé-riences plurielles et son interactivité, se retrouve être le conseiller,l’agent de socialisation et l’ainé social qui manque souvent.

Certaines recherches sur les usages de la télévision dans les do-maines des sciences de l’éducation permettent de souligner avec em-phase son apport dans la production et l’acquisition du langage. Pré-sente dans plusieurs foyers de notre espace de recherche, ce média demasse anime et agrémente les journées de ses consommateurs parmilesquels les tout petits se positionnent aux premières places. N’étantplus à exclure et devenant incontournable, la télévision a été et devientencore plus avec l’accompagnement des antennes paraboliques unpuissant vecteur de connaissances. Françoise Soury-Ligier 140 dé-montre dans son ouvrage que la télévision peut être source de produc-tion de langage chez les élèves dès la maternelle. N’ayant pas appuyécette thèse par une expérience empirique, nous pensons qu’à l’échellelocale elle peut être accréditée. Nous nous appuyons ici sur la presta-tion remarquable des apprenants de l’école maternelle de Dibi lors dela cérémonie de départ en vacances en mai 2017 dernier. L’une d’elle,nous a avoué qu’elle regarde constamment les contenus télévisuels.

III-2-2-2- NTIC comme outilsde communication et de création des liens sociaux

Observer les usages de l’Internet par exemple souligne Serge Sou-doplatoff : « c’est s’interroger sur la place qu’occupe l’Internet, surson influence et sur la manière dont il reconfigure nécessairement lavie sociale, via les appropriations que nous leur inventons » 141. Ils’agit d’un ensemble d’aménagements que les acteurs du numérique àpartir des utilisations quotidiennes parviennent à construire et recons-truire, modeler et remodeler le rapport à soi, à l’autre et au groupe.

140 Soury-Ligier, F., Le rôle de la télévision dans le langage des jeunes à l’écolematernelle, L’Harmattan Paris, 2002.

141 Soudoplatoff, S., Avec Internet, où allons-nous ?, Le Pommier, Paris, Oc-tobre 2004.

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Tout de go, les NTIC peuvent considérer aussi comme des outilsde libération de la parole. Les individus incapables de parler en situa-tion de face à face se libèrent au téléphone. La communication en dif-féré donne du courage, un certain entrain et courage que l’on ne sau-rait avoir en direct. De nombreux jeunes gens lors du focus group té-moignent user des téléphones pour entre en contact et communiqueravec des filles. Ils trouvent ce moyen plus pratique et efficace car ilspeuvent dire des mots sans avoir peur du feedback de l’interlocuteur.Il serait donc plus aisé de nouer des relations fille/garçon à travers desoutils technologiques.

L’usage du téléphone mobile, de l’Internet et surtout des réseauxsociaux constituent une opportunité pour le social de type relationnelafricain et pour la communauté de Dibi en particulier. L’entretien desréseaux familial et amical est de plus en plus développé, nourri etélargi grâce à ces nouveaux instruments d’accès à l’autre. Le frère,l’ami, la connaissance, le partenaire ne sont plus loin. La contractionde l’espace-temps se vit. L’intensité de la relation reste intacte etmême s’accentue malgré la distance. Laurence Le Douarin, à ce ni-veau, pense que « les interactions médiatisées accentuent la fragmen-tation des temps sociaux, en permettant de communiquer à tout mo-ment et en tout lieu » 142, alors que Metton pense à la « solidificationdes relations » 143 au travers des NTIC. Ces deux auteurs nous amè-nent à penser à une communication perpétuelle, de tous les instantsdans le temps et dans l’espace avec le réseau communicationnelproche ou éloigné, affinitaire ou professionnel, moments qui sommetoute conduisent à un affermissement du tissu social.

Le téléphone portable et autres outils technologiques interactifs ontpermis dans leur usage une certaine reconnexion de la famille élargieen Afrique et dans la ruralité en particulier. On assiste à nouveau àune large palette d’échange entre les membres. Dans cette optique, cesoutils brise l’isolement social des personnes reculées ou même despersonnes seules. Le berger en brousse ayant un téléphone portablen’est plus un homme isolé en brousse, mais un ouvrier dans un groupe

142 Le Douarin, L., « Usages des nouvelles technologies en famille », Informa-tions sociales, n° 181, 2014/1, pp. 62-72.

143 Metton, C., Les adolescents, leur téléphone et Internet : tu viens sur MSN ?,Paris, L’Harmattan, 2007.

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au travers de son téléphone. Laurence Le Douarin démontre dans lemême sillage que « les outils de communication offrent des compensa-tions : ils sont un moyen de surmonter l’éloignement géographique,ou encore de faire face à une rupture biographique notamment le di-vorce, la recomposition, le deuil » 144.

Avec la démocratisation des prix et la mise à disposition auprèsdes usagers de nombreux forfaits téléphoniques, la conversation autéléphonique est devenue le mode par excellence de communicationinterpersonnelle. Autrefois, on « bippait » pour saluer, on envoyait unmessager pour donner l’information, actuellement, les interlocuteursprofitent et usent des temps d’appels. Du coup, le téléphone etl’Internet sont usités pour raffermir le réseau relationnel. Au quoti-dien, chacun noue, étend et cimente ses relations. Cette nouaisond’anciens et de nouveaux rapports rallonge le répertoire de connais-sances et créent des liens nouveaux au sein des communautés.

Grace aux NTIC, on assiste également à la gestion pleine de la viesociale, à un certain remblai des heures creuses des emplois de temps.Il s’agit ici du fait de s’occuper à tout temps car lorsqu’on n’a rien àfaire, on s’occupe en pianotant son téléphone. Ce phénomènes’observe également dans la vie conjugale ou familiale avec le télé-phone qui s’invite dans le lit conjugal ou sur la table à manger. Cetteaddiction communicationnelle s’accentue avec les jeux vidéo et Inter-net pour produire ce que Serge Pouts-Lajus dénonce dans le fait queles jeunes ont « investi des machines à communiquer avec un tel en-gouement que cela modifie leur être social et aussi leur psycholo-gie » 145. En effet, Internet exerce de plus en plus une fascination irré-sistible doublée d’une influence déterminante sur les « recrues » quireconfigurent la personnalité de base des individus.

Les innovations technologiques qui abreuvent les citoyens du nu-mérique en Afrique se caractérisent par des usages inédits à caractèreutilitariste dans un contexte particulier d’un environnement politiqueet économique marqué par la « pénurie ». La recherche des palliatifs

144 Le Douarin, L., « TIC, relations intergénérationnelles et transmission »,www.jeunes.gouv.fr, document en ligne consulté le 15/01/2018.

145 Pouts-Lajus, S., Riché-Magnier, M., L’école à l’heure de l’Internet. Lesenjeux du multimédia dans l’éducation. Repères pédagogiques, Nathan,1998.

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aux carences de l’environnement politique et économique ainsi que laquête permanente d’opportunités au sein d’un espace social de déve-loppement inégal. Dans un tel contexte, l’appropriation des NTIC ré-pond à un besoin spécifique réel. Celui d’accéder à des ressources quiamplifient la marge de manœuvre des acteurs sociaux en prise avec lapénurie ambiante notamment les infrastructures, des prestations deservice d’intérêt général, des libertés politiques, des emplois, des soinset même des aliments. José Do-Nascimento soutient que « le télé-phone portable en Afrique comme tous les outils NTIC en général,apporte une réponse moderne, c’est-à-dire efficiente, à une probléma-tique d’origine et d’expression locale » 146. C’est dans cette optiqueque les instruments technologiques modernes apparaissent commevecteur de la communication, présente en Afrique une utilité socialequi lui affecte une valeur d’usage sans commune mesure. Cette valeurd’usage l’élève à la qualité de bien d’intérêt public.

Jean-Aimée Dibakana 147 voit en l’usager un « acteur ». Emettreou recevoir un appel place l’individu sur une scène avec généralementdes spectateurs. Il joue un rôle, improvise, prend des airs soit graves,soit réservés ou supérieurs. Il attire l’attention sur lui avec pour volon-té avérée ou sournoise de capitaliser le regard sur lui. Le simple appeltéléphonique devient un spectacle qui cherche un public, lequel doitalors vivre cette scène et l’apprécier alors que l’acteur s’attend à desregards admiratifs.

Par ailleurs, en prenant l’exemple des femmes dont la vie socialeest marquée par un cloisonnement certain, il est difficile pour elles engénéral de parler à voix haute en public et surtout des affaires privées.

III-2-2-3- NTIC, outils de loisirs, de divertissement

Les nouvelles technologies innovantes communicationnelles seveulent des outils de loisirs. Elles permettent aux usagers de se mou-

146 Do-Nascimento, J., « Panorama représentatif des usages des NTIC enAfrique », in Société numérique et développement en Afrique. Usages et po-litiques publiques sous la direction de Jean Jacques Gabas, Karthala, 2005

147 Dibakana, J.-A., « Usages sociaux du téléphone portable et sociabilités auCongo », in Politique africaine, n° 85, mars 2002.

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voir dans plusieurs types d’opérations notamment les jeux vidéo, lesfilms, la télévision et même Internet. L’exploitation au quotidien de cematériel nécessite beaucoup de temps qu’il faudrait aller retrancherauprès des heures de repos ou de travail. Les NTIC interactives fonc-tionnent comme des sites de rencontre, espace ou se nouent des lienspouvant aboutir à des relations sincères, durables pouvant donner lieuà des mariages. Le mariage sensationnel négocié grâce aux outilscommunicationnels, entre une jeune femme de Wakwa et un richehomme d’affaire nigérian, a marqué les esprits. Lors du focus group,les jeunes en parlaient comme un trophée remporté par la communau-té numérique. Certains en parlaient comme si ce destin féerique atten-dait tout usager du numérique.

Ces activités s’avèrent se colorer en loisirs. L’usage des appareilsinformatifs et communicatifs semblent s’orienter vers le divertisse-ment. Tiembore 148 dans sa thèse de doctorat soutient dans ses travauxque les NTIC sont utilisées par les Africains d’abord pour se divertiret rarement pour se cultiver. Et ceci grâce à l’accès qu’elles permet-tent à une très grande quantité de fichiers vidéo et audio sur Internet,des jeux et aussi, par l’utilisation des moyens de communication (e-mail, chat, fora, réseaux sociaux, …).

Dans des situations de divertissement, les individus sont commepris dans une spirale qui procure du bien-être, du plaisir, de la gaité,de la joie. La télévision met sous nos yeux la réalité physique et vir-tuelle mondiale. C’est dans cette lignée que le téléspectateur peut seconsidérer comme un privilégié. Porcher défend la posture selon la-quelle qu’en se nourrissant d’images télévisuelles, « le spectateur estcoincé dans une double sensation, celle d’être partout, c’est-à-dire unvoyageur instantané, et celle que tout vient à lui, c’est-à-dire la sensa-tion d’être un destinataire privilégié vers lequel tous les chemins con-vergents » 149.

148 Tiembore, W. Z., « Les technologies de l’information et de la communica-tion dans l’éducation en Afrique subsaharienne : du mythe à la réalité, Lecas des écoles de formation des enseignants au Burkina Faso ». Thèse dedoctorat non publiée, Université Rennes II – Haute Bretagne, France, 2006.

149 Porcher, L., Télévision, culture, éducation, Armand Collins, Paris, 1994, p.25.

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Pour se divertir, les « recrues » procèdent au visionnage des conte-nus téléchargés sur Internet ou partagés. Le téléchargement est unmode d’accès à des contenus audiovisuels très spécifiques et faitd’ailleurs actuellement couler beaucoup d’encre et de salives dans desmilieux du show business, de la presse et judiciaires. Les consomma-teurs de Dibi téléchargent les musiques, les images, les vidéos et lesfilms. A l’observation, les mêmes contenus se retrouvent dans lapresque totalité des outils. C’est dans cette optique qu’on peut soute-nir l’existence d’une communauté des adeptes numériques qui colla-borent, animent et se partagent dans une synergie des contenus audio-visuels. Ce mode de divertissement dans un espace pas très vivant entermes d’activités culturelles constitue la ressource la plus exploitée.Rondeau note à regret et pour le déplorer que « les jeunes (soient)plongés plusieurs heures par jour dans un univers d’images souventtrès violentes, et rarement éducatives …qui les transforment graduel-lement en consommateurs passifs de sensations, d’images et desons » 150. C’est pour dire que cette consommation numérique qui re-flète une activité récréative impacte d’une manière certaine les « pas-sifs » usagers.

III-2-2-4- NTIC, outils de pouvoir symbolique,économique et social

Dans les différents usages que les utilisateurs assignent aux outilsinformatifs et communicatifs, on peut y déceler certains des enjeux depouvoir et des rapports de force qui se mettent en exergue dansl’espace public ou dans le cadre des relations interpersonnelles. Déjà,ces outils font partie intégrante dans la pensée collective comme dessignes extérieurs de richesse. Exhibés çà et là dans l’espace public, lestéléphones portables et tablettes sont portés et manipulés pour quel’entourage témoignent que le propriétaire a de la classe, il a acquis ungrade, il compte parmi les gens importants. Cette démarche peut êtrevue comme un signe d’ascension sociale. La mobilité sociale parl’achat et l’exhibition d’un outil numérique. Une sorte de concurrence

150 Rondeau, J. C., « L’impact des NTIC sur la famille, l’école et les églises »sur le site http ://agora.qc.ca.1997.

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des capitaux au sein du champ social les uns sont possèdent des bienséconomiques, symboliques ou intellectuels, les autres disposent parcontre des biens numériques.

C’est ainsi qu’on verra des individus qui se saignent pour s’offrirdes outils de luxe malgré leur dénuement. Ils préfèrent alimenter letéléphone que d’entretenir les siens. Parfois, un outil qui ne fonctionnepas est mis en évidence juste pour marquer les esprits et maintenir sonimage numérique, d’être visible.

Les rapports de pouvoir dans ces espaces peuvent encores’observer auprès des catégories sociales défavorisées dans la prise deparole dans des espaces publics. Une femme qui répond au téléphonepubliquement et parfois à voix haute exprime et brave le cloisonne-ment et les modes d’actions de prise de parole traditionnellement ad-mis dans la communauté. Dans le même ordre d’idées, la volonté et ledésir affirmés d’une jeune fille de se faire offrir un téléphone partici-pent de cette lutte pour l’expression libre. Le téléphone est ici le seulmoyen de se sortir du contrôle parental et par là s’exprimer et se dé-ployer dans l’espace social. Les informations de terrain révèlent alorsque les outils des technologies communicatives sont des canaux parlesquels les acteurs sociaux investissent pour déployer leurs stratégiesgagnantes. Ils créent au sein du champ social de multiples zonesd’incertitude. Les stratégies de l’acteur rationnel prennent alors toutleur sens.

III-3. INDICES DE DÉMOCRATISATIONDES NTIC AU SEIN DU CANTON

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Pour mesurer le développement des technologies informatives etcommunicatives, la communauté des adeptes des NTIC s’appuie surles indices publiés par l’UIT, « Mesurer la société de l’information,2012 ». L’indice de développement des TIC caractérise le développe-ment dans chaque pays. C’est un indice composite qui se calcule àpartir de trois sous-indices décomposés en indicateurs. Il s’agit dessous-indices : accès, utilisation, et compétences en TIC.

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Dans le cadre de ce parcours réflexif qui se situe à l’échelle micro-social, faute de ressources de plusieurs natures, nous allons nous ap-puyer sur certains indicateurs inhérents des sous-indices à savoir : ladensité de la téléphonie mobile, pourcentage des individus ayant unaccès plus ou moins constant à Internet, le degré d’alphabétisation desadultes etc. Nous procédons ici à l’analyse d’un certain nombre detableaux issus des données obtenues sur notre terrain de recherche,interprétations auxquelles seront adjointes des explications des indica-teurs n’ayant pas fait l’objet d’un tableau.

Tableau 4 : Temps quotidien d’utilisation du téléphone

Duréed’utilisation dutéléphone parjour

Nombre de personnes entretenus Pourcentages

Sexe Groupe ethnique Sexe Groupe ethnique

M F Islamo-Peul

KIRDI M F Islamo-peul

Kirdi

0h 0 0 0 0 00 00 00 00

-1h 3 7 5 5 05,77 14 8,20 12,20

1h 11 16 10 17 21,15 32 16,39 41,46

2h 20 17 26 11 38,46 34 42,62 26,83

3h et plus 18 10 20 8 34,62 20 32,79 19,51

TOTAL 52 50 61 41 100 100 100 100

Sources : Enquêtes de terrain

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Graphique 1 :

Graphique 2 :

Le présent outil statistique nous révèle que tous les individus ayantété soumis à nos entretiens déclarent disposer d’un téléphone portable.A cet effet, il s’avère fonder que cette contrée manifeste une inscrip-tion avérée dans l’usage du téléphone cellulaire. Ce score ne signifiepas que tous les habitants de Dibi ont souscrit à un abonnement télé-

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phonique. Il existe encore, selon certaines déclarations, des individusen marge de la « société informatique ».

Nous observons que les hommes caracolent en tête en ce qui con-cerne la durée d’utilisation. Disposant du pouvoir économique, ils sepositionnent aussi comme avant-gardistes dans le domaine numérique.Les dames ont un temps relativement bas du téléphone, il s’agit ici del’absence d’une manipulation divertissante du matériel. Plusieursfemmes avouent en utiliser juste pour l’émission et surtout la récep-tion des appels.

Au niveau des sous-communautés, les Islamo-Peuls ont un taux deprésence plus élevé au téléphone que les Kirdis. L’explication est plusdue à l’abondante activité journalière et non à un désamour des se-condes citées. Il est à noter que les kirdis mènent des activités cham-pêtres et des taches d’ouvriers agricoles qui leur maintiennent loin desportables. Les autochtones par contre œuvrent plus dans le commerce,et disposent du temps creux pour s’adonner à autre chose. La moitiédes utilisateurs kirdi soit 53,66% utilisent le téléphone relativementpendant une heure de temps par jour.

Tableau 5 : Durée quotidienne d’utilisation et de consommation de la télévision

Durée de con-sommation detélévision parjour

Nombre de personnes entretenues Pourcentages obtenus

Sexe Groupe ethnique Sexe Groupe eth-nique

M F Islamo-peul

Kirdi M F Islamo-peul

Kirdi

0h 07 00 03 04 13,46 00 04,92 09,76

-1h 16 03 08 11 30,77 06 13,11 26,83

1h 24 10 21 13 46,15 20 34,43 31,71

2h 05 17 12 10 9,62 34 19,67 24,39

3h et plus 00 20 17 03 00 40 27,87 7,32

TOTAL 52 50 61 41 100 100 100 100

Sources : Enquêtes de terrain.

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Graphique 3 :

Graphique 4 :

Ce tableau nous renseigne que les femmes sont les abonnés pré-sents de la télévision. 74% d’elles se positionnent plus de 2 heures detemps devant un poste de télévision par jour contre sensiblement 10%d’hommes. Comment expliquer cette tendance ? Les hommes tradi-tionnellement ne restent pas trop dans des situations de convivialitéavec le reste de la famille. La rencontre autour du téléviseur peut-êtrealors bref. Chez les Islamo-Peuls, certains hommes avouent regarder

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juste le journal. Par contre, les hommes kirdi occupent de leur chaisepour un moment de partage en famille et une consommation télévi-suelle collective. Aussi, dans certaines familles kirdi ne disposant pasd’antennes parabolique, une séance de visionnage d’un film clôture lajournée.

Chez les dames, quelques particularités se dévoilent. Les femmesde la sous-communauté peule regardent un peu plus la télévision queleurs sœurs kirdi car elles restent plus à la maison. L’appellationdadda sa’aré, femme au foyer, mère de la concession, prend ici toutson sens. Les femmes kirdi, trop souvent au feu de l’action, dans laquête de la pitance journalière, s’accordent quelques instants de re-laxation dans la soirée devant l’écran. Avec la fatigue du jour, peurésistent au flash lumineux et s’assoupissent après quelques temps.

Tableau 6 : Consommation quotidienne d’Internet par habitant

Durée de consom-mation d’internet parjour de connexion

Nombre de personnes entrete-nues

Pourcentages obtenus

Sexe Groupe ethnique Sexe Groupe ethnique

M F Islamo-peul

Kirdi M F Islamo-peul

Kirdi

0h 04 09 07 06 7,69 18 11,48 14,63

-1h 05 02 02 05 9,62 4 3,28 12,20

1h 06 13 12 07 11,54 26 19,67 17,07

2h 19 18 20 17 36,54 36 32,79 41,46

3h et plus 18 08 20 06 34,62 16 32,79 14,63

TOTAL 52 50 61 41 100 100 100 100

Sources : Enquêtes de terrain.

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Graphique 5 :

Graphique 6 :

Contrairement à leur faible taux de consommation des images télé-visuelles, le « sexe fort » apparait ici comme les plus grands consom-mateurs d‘Internet. Ceux qui cumulent plus de 2 heures par s’élèvent àplus de 71%. Le score réalisé par ceux qui passent des journées sansInternet est élevé18% chez les femmes et presque 8% chez leshommes est un indice des diverses fractures numériques qu’on peut

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observer ici notamment Hommes/Femmes ou encore Peuls/Kirdi. Lescatégories jeunes/adultes ou Riches/Pauvres n’ayant pas été mesuréesne nous permettent pas de d’approfondir les analyses.

Malgré tout, au regard du taux de pénétration d’Internet, du télé-phone portable et de la télévision dans notre site, le sous-indice : accèss’avère concluant. Au nombre de personnes connecté, s’ajoute la miseen disposition au village de tous les opérateurs téléphoniques du pays.Le « toit du village » héberge des antennes de relais qui procurent àces « pratiquants » un réseau de qualité.

Le sous-indice compétences avec pour indicateur majeurl’alphabétisation des adultes n’est pas satisfaisant. Néanmoins, grâce àla volonté affirmée des uns et des autres d’acquérir le capital numé-rique et se mouvoir aisément dans ce champ, beaucoup d’enquêtésavouent avoir déjà une certaine marge de manœuvre, un certain ni-veau d’aptitudes leur permettant de naviguer. La socialisation secon-daire et même la « retro-socialisation » dans lesquelles sont inscritesles personnes adultes dans la communauté numérique élaborée ici leurpermettent d’entreprendre et de progresser au sein de la « société in-formatique ».

En somme, de la radio cassette à la navigation sur Internet, les po-pulations de Dibi ont à ce jour réalisé un parcours notable dansl’usage des outils NTIC. Dans des situations de vie des peuples forte-ment ancrés dans leurs traditions, une telle importation des outils etproduits culturels d’autres civilisations nous a semblé digne d’intérêt.D’un côté, les outils NTIC s’incrustent aisément dans des communau-tés où le relationnel est l’essence même de la vie sociale, d’autre part,les usages alloués à ces outils ainsi que les produits consommés con-duisent à des comportements déviants. L’amplitude d’acquisition desoutils et les formes de compétition y relatives permettent de confirmerla thèse d’un engouement avéré de ces populations aux outils NTIC etde noter leur inscription à « l’ère numérique ».

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Deuxième partie

Dynamiques socio-culturelleset réaction populaires

aux impacte des usages des NTIC

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Notre deuxième partie réunit deux chapitres. Le premier s’intéresseaux dynamiques socio-culturelles induites par les différents usages desoutils et contenus des NTIC de manières collective et individuelle. Ledeuxième chapitre, en réaction à son devancier, est consacré aux ré-ponses populaires, précisément celles du groupe, des familles et desindividus, face à des impacts des usages des NTIC sur le modèle so-cial local dans son ensemble.

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DEUXIÈME PARTIE

Chapitre IV

SOCIOLOGIEDES DYNAMIQUES

SOCIO-CULTURELLES

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Sociologiser les dynamiques socio-culturelles dans notre espace derecherche renvoie à un dénombrement et une explication des faits, despratiques, des manières de faire, d’agir et de penser qui émergent ouqui perdent en vitesse au sein de cet écosystème social. Si le pouvoirlocal régule la vie sociale au travers du contrôle social informel qui estsous-traité par les familles, les groupes des pairs et les autres organisa-tions sociales, il se trouve que depuis que les populations rurales con-somment les produits technologiques, des modifications comporte-mentales, organisationnelles et autres modes de fonctionnement desindividus par rapport à eux-mêmes, autrui, et toute la communauté ontsubi certaines métamorphoses. Au cours de notre séjour sur le terrain,les dynamiques sociales liées aux NTIC ont été observées dans lespratiques en termes de comportements individuels ou collectifs paragrégation qui somme toute construisent tout en modifiant le tissu so-cial au sein du canton de Dibi.

Lors de son prêche solennel à l’occasion de la fête de fin de jeunedu Ramadan, l’Imam de la grande mosquée du Lamidat de Ngaoundé-ré sonnait l’alarme en mettant en garde la communauté des mahomé-

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tans dans leur usage des NTIC. A cet effet, il développait là le thèmeallouer à cette célébration à savoir : « Respect des droits des per-sonnes vulnérables et gestion morale des réseaux sociaux pour unesociété stable et digne ». Des constats ayant été fait sur les déviancesmorales qu’affichent les adeptes de ces outils interactifs de la techno-logie moderne.

Cette étape de notre parcours réflexif nous permet de mettre enlumière les éléments observés, obtenus et identifiés sur le terrain lorsde nos entretiens et observations. Le chapitre comporte deux grandesparties notamment les dynamiques individuelles et celles dites collec-tives.

IV-1. DYNAMIQUES INDIVIDUELLES

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L’accès à ces technologies constitue à n’en pas douter un facteurde bouleversement du social dans toutes les communautés consomma-trices. Ailleurs comme à Dibi, les changements notables sont relevés.Diverses méthodologies ont été convoquées pour rendre compte deces mutations. Nous aussi, ayant usé de certains procédés comme nosdevanciers sur d’autres terrains de recherche, aboutissons à bonnombre de constats.

L’inscription dans « l’ère numérique » créent des dynamiques so-ciales que nous avions relevées et catégorisées en deux axes : cellesdites ascendantes et d’autres décadentes.

IV-1-1- Mutations ascendantes

De nouveaux comportements et manières de faire et de penser ontémergé au fil des rapports des paysans de Dibi avec les outils NTIC.Certains de ces indices de mutations sociales qui s’observent dans cetespace se sont révélées à nous lors de notre séjour dans le canton.

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IV-1-1-1- La montée de l’individualisme

Sociologiquement, l’individualisme renvoie à une sorte de libéra-tion de l’individu par rapport aux contraintes sociales. Cette libérationne traduit pas par une rupture d’avec le corps social mais plutôt desaspirations à établir sa différence, ses droits et devoirs envers sagroupe. Un adepte de l’individualisme est donc celui-là qui s’est af-franchi des tutelles sociales, familiales et religieuses. Identifierl’individualisme comme faisant partie des dynamiques sociales inhé-rentes de la popularisation des NTIC au sein du tissu social paysan deDibi, c’est rendre observable et manipulable des indices en termes decomportements des individus qui, grâce aux usages des instruments decommunication et d’information, permettent aux usagers des’individualiser.

Le premier élément à évoquer ici s’avère être la diminution desactes d’entraide pour les transformer en actes intéressés. Autrement, leservice cesse d’être un coup de main fraternel pour devenir un servicemonnayé. Avec l’arrivée de la vidéographie donc l’accès nécessite ledéboursement d’une certaine d’argent, à ce titre, chaque cinéphile doitdonc réunir ces frais au cours de ses activités journalières. De fil à ai-guille, des petites activités génératrices de revenus sont nées notam-ment puiser de l’eau à un tiers, faire la plonge, la lessive, vendre dubois, etc.

Plus loin mais dans le même ordre d’idée, les indices du penserpour soi s’observent chez les plus grands dans la recherche d’argentpour se procurer des outils NTIC. On assiste non plus à la solidaritétraditionnelle africaine dans laquelle l’enfant appartient à tous et peutrendre service à tous pour devenir un client, un employé.

À l’observation des comportements qu’affichent certains individusallant dans l’expression d’une autonomisation, d’une mise en prioritéde leurs envies, au détriment de la pensée collective. Si la communau-té implique l’existence des points et objectifs communs notammentdes idées, valeurs et symboles partagés qui constituent l’identité dugroupe, qu’est-ce qui peut justifier qu’une frange de la population sedésolidarisent pour manœuvrer à la marge de ladite communauté en

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empruntant des voies particulières mettant en évidence l’intérêt per-sonnel ?

Lorsque Ferdinand Tönnies 151 établissait la distinction entre Ge-meinschaft, communauté et Gesellschaft, société et plus tard EmileDurkheim 152 entre solidarité mécanique et celle dite organique, c’étaitpour relever la distribution des liens sociaux entre les individus ausein des organisations. Autrement dit d’établir des rapports entre lesmodèles communautariste et individualiste. Si dans l’une, l’individuœuvre pour le collectif, dans l’autre dimension, il œuvre pour lui-même, au regard des comportements qu’affichent les agents en mou-vement ici, il y a lieu de convoquer une approche d’analyse quis’appuierait sur « l’homo economicus » de Raymond Boudon, des ac-teurs agissant chacun par rapport à son intérêt personnel. Etant donnéque les usages liés aux NTIC se rapportent au sens qu’ils attribuent àces objets, la propension pour un usage utilitaire devient considérableet surtout dans des environnements sociétaux où le poids des tradi-tions est très marqué.

En somme, le paysan, multi-socialisé, affilié à un nouveau groupede référence, développe une conscience individuelle qui s’émancipede la conscience collective et commence à s’exprimer de manière libredans un processus d’individualisation et d’autonomisation.

IV-1-1-2- Montée d’un climat d’insécurité

« À force de côtoyer des gens de mauvaise vie, on finit par devenirun », disent toujours par expérience, tout en conseillant, les ainés auxascendants. À l’ère du numérique le même conseil prémonitoire pourquiconque n’y prêterait pas attention, peut être transformé en « Aforce de regarder les films de bandits, on finit par devenir un ». Voilàce qui en découle de la consommation des films d’action depuispresque deux décennies au sein du canton de Dibi. Depuis un certainnombre d’années, les jeunes gens ont développé des organisations degrand banditisme qui terrorisent encore leurs parents. Il n’est plus rare

151 Tönnies, F., Communauté et société. Catégories fondamentales de la socio-logie pure. Paris, Les classiques des sciences humaines,1977, 285 pages.

152 Durkheim, E., De la division du travail social, Paris, PUF, 2007.

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d’entendre que tel individu a été agressé, violenté ou détroussé de sesbiens. Le fait semble devenu plus inquiétant car, certains jeunes genss’attaquent à leur géniteur.

La rapidité avec laquelle les informations circulent sur les dépla-cements des cibles potentiels laissent penser que l’outil NTIC est aucentre de cette activité. L’intelligence et l’ingéniosité dont ils fontpreuve rappellent à suffisance les rapts des séries télévisées. Nous ob-servons là, une importation et une théâtralisation des comportementsacquis à travers la socialisation par les médias qui viennent ainsi re-mettre en question les habitus primaires. Ce phénomène est déplorédans des contrées adjacentes et même plus loin encore. Ces faits desociété nourrissent les journaux radio-télévisés et de la presse écrite detemps en temps lorsque les faits parviennent à être ébruités. Signalonsaussi que certains faits sont gérés localement sans alerter les autorités.

En observant des migrations des populations des zones de pâtu-rages éloignées vers celles plus habitées notamment les abords deroute, démontrent l’ampleur de la situation et traduit la psychose danslaquelle les paysans vivent. Les notions de respect du bien d’autrui, dedignité dans l’acquisition des biens matériels, l’honnêteté, le courageet l’ardeur au travail tombent et fondent comme du beurre dans unecasserole à ébullition face à l’attrait de cette vie flamboyante que dé-voilent les médias. Au regard de tout ceci, il s’avère que le modèlesocial hérité des ancêtres, des parents, des ainés se séduit de moins enmoins, l’adhésion à celui-ci semble ne plus guider, prévaloir dans laréflexion qui précède la mise en acte. Les règles de la morale univer-selle s’affaiblissent pour laisser place à une sorte de jungles au pointoù certains parents semblent ne plus se reconnaitre dans ce que sontdevenus leurs enfants.

IV-1-1-3- Emancipation au féminin

L’usage des NTIC au sein de cette communauté rurale permet auxfemmes de trouver des stratégies, des mécanismes pour se sortir decertaines situations, du modèle de vie dans lequel elles se trouvent.Tout d’abord, plusieurs femmes se complaisent dans leur zone de con-fort, la vie tranquille de femme au foyer faisant preuve de mugnal de

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semteende lorsque le couple bas de l’aile et d’autres, de plus en plusnombreuses prennent des décisions pour se prendre en main et ramperparfois à contre-courant de l’autorité du mari ou tout au moins y ap-porter un contre poids. Les NTIC sont alors un catalyseur, une sou-pape d’évasion. Certaines dames de Dibi se servent des téléphonesportables, des réseaux sociaux pour mener une vie parallèle inconnuedu mari.

En matière de planning familial par exemple, plusieurs femmes, encollaboration avec le service y relatif du CMA de Dibi sont suivies viale réseau téléphonique pour toute solution anti contraceptive et ceci àl’insu du mari. De nombreuses méthodes de limitation des naissancessont administrées ainsi sans que cela ne s’ébruite.

« J’ai mis ce système en place parce que les femmes se plaignaient du

fait que les maris ne voulaient pas que les femmes cessent de procréer.

Des cas de décès qui survenaient parfois nous ont conduits à imaginer

cette approche. Maintenant, il suffit qu’une dame appelle pour qu’on en-

clenche le mécanisme d’accompagnement. C’est très efficace et mainte-

nant les femmes accouchent quand elles sont prêtes ».

Une autre forme d’émancipation s’observe dans les ménages poly-gamiques. Il s’agit d’une montée de l’insatisfaction de certainesfemmes qui exigeraient une vie sexuelle épanouie et plus de marqued’attention. Il n’est plus à nier que les séries télénovelesques influen-cent les comportements des consommateurs comme le relevait Sani,chef d’une famille polygame souligne non sans le déplorer que l’unede ses femmes lui avait avoué d’être déjà dans l’étroit dans leur rela-tion. « Attendre sagement ton tour me pose déjà problème au regardde toutes les sollicitations donc je fais face » 153 avait-elle courageu-sement déclaré à son mari. Le principe du pulaaku, mugnal qui de-mande à la femme de faire preuve de patience et de retenue est éprou-vé par les attraits du mode de vie du groupe de référence dont les ma-nières de faire et d’agir captivent les esprits et mettent en déroute lesfondations des socialisations primaires et d’accompagnement.

153 Entretien op.cit.,

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Les lignes semblent bouger dans les rapports de genre avec lamontée en puissance du taux de connectivité dans cet espace. Lesfemmes sortent peu à peu de leur ancien statut qui leur reconnaissaitplus de devoirs que de droit. Leur avis qui est sollicité au travers desnégociations qu’exige la conversation par les médias ouvre une nou-velle perspective pour décider, faire des choix personnels. La posses-sion d’un terminal téléphonique donne accès à la parole ce qui permetau genre féminin de négocier, de décider, d’accepter ou de refuser uneoffre. Dans la plupart des mariages de l’heure, les futurs époux entre-tiennent de contacts prénuptiaux d’une manière ou d’une autre. Sou-mayata, jeune mariée peule, nous réconforte dans cette position lors-qu’elle avoue avoir choisi elle-même son mari parmi tous les préten-dants possibles. « C’est moi-même qui lui avait dit de venir voir mesparents et de faire comme si on ne se connaissait pas encore » 154.

IV-1-1-4- Affaiblissement du contrôle parental

Les parents constituent le maillon essentiel dans la socialisation etle contrôle social de ses membres. Comme nous l’avons noté plushaut, ils sont les garants de la transmission des codes, des comporte-ments et attitudes qui concourent à la cohésion sociale, anticipent touten étouffant dans l’œuf les comportements déviants. Avec le vent etles sirènes de la modernisation, l’autorité parentale telle que connuetraditionnellement en Afrique noire tend à se diluer. Le phénomènes’accentue encore ces derniers temps avec l’arrivée et la démocratisa-tion des NTIC.

De nombreux jeunes et maintenant certains parents pensent que lestemps ont changé et que les choses ne devraient plus se passer commeavant. Il est temps de penser moderne même dans le couple pa-rent/enfant. Le chef de Dibi parle tout en le regrettant que c’est lanouvelle « civilisation » 155. La nouvelle génération dite « androïd »,au travers de la socialisation par les médias bouscule les codes ances-traux ainsi que les positions de ses détenteurs pour redessiner, recon-figurer de nouveaux types de rapports intergénérationnels. La montée

154 Entretien op.cit.,155 Entretien op.cit.,

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en puissance de la désobéissance juvénile abasourdit les parents etleur fait lâcher du lest pour éviter de nombreux clashs que provoquentles jeunes. Les parents Kirdi comme ceux des Islamo-Peuls sont dansle désarroi. Tous se plaignent de certains comportements insolents etparfois méprisants à l’endroit des parents et même des déterminantssociaux de la communauté. Difficile pour un parent de vivre dans unemême concession avec sa fille-mère. Insoutenable pour une mère aufoyer qui ayant tout le temps conseiller sa fille sur la trajectoire à par-courir par une fille bien socialisée traditionnellement, celle-làqu’avaient prise et son arrière-grand-mère, et sa grand-mère, et avantelle sa mère, de se retrouver avec un petit dont on ignore le vrai géni-teur.

Les images, discours et langages obscènes des médias classiques etinteractifs de l’heure ne blesse plus la sensibilité mieux le semteendede la socialisation primaire mais, sont devenues attrayants, « nor-maux », au point de les retrouver comme SMS dans les téléphonesportables de plusieurs jeunes. Loukmana nous révèlent que, « commetoutes les « recrues » du village sont interconnectées, il peut arriverqu’une même vidéo, SMS, image se retrouve dans tous nos téléphonesquitte à chacun de les garder ou de les effacer » 156.

« Ma fille cause au téléphone pendant de longues minutes, parfoisplusieurs fois, la nuit avec des « inconnus ». J’en ai parlé avec elle, jele lui ai interdit, jusque-là, ça continue. Je suis dépassé » 157, mur-mure Balkissou, mère au foyer. Des attitudes nouvelles imposées auxparents qui finissent par subir un dictat de la part de leurs enfants.

Que dire des tâches non faites, ces oublis devenus réguliers et leflot d’excuses qui les accompagnent, notamment aller prier, nettoyerun espace, aller au moulin, faire une lessive, qui indiquent le degréd’addiction dans lequel sombrent les enfants. La paresse qui s’installeet gagne du terrain témoigne le fait que les injonctions parentales per-dent de leur répercussion et la promptitude à obéir perd du terrain. Ils’agit là d’une bataille psychologique entre les priorités internes etexternes, qui peut se lire comme une certaine tendance d’affirmationde soi de la part des puinés.

156 Focus group op.cit.,157 Entretien réalisé par Waffo Hermine et Hamidou, op.cit.,

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IV-1-1-5- Amélioration de la vie en couple

Parler de la vie des couples surtout à un inconnu lors d’un entre-tien, pour une femme, n’est pas facile. Mama Martha, propriétaire deplusieurs outils NTIC dont une antenne numérique, en relevantl’apport des NTIC, pense que la vie de couple s’améliore grâce auxNTIC, plus précisément la télévision et ses outils connectés. Les tech-niques de gestion du mari apprises par ce canal lui ont permis de re-prendre la main dans son ménage qui battait de l’aile. Une telle infor-mation s’avère cruciale et capitale dans le sens où les femmes parta-gent constamment leurs expériences lorsqu’elles se retrouvent entre-elles. C’est ainsi que nous projetons ce témoignage en dynamique àvocation collective. C’est dire que l’appropriation de l’expériencesexuelle des autres permet d’améliorer les attentions réservées à sonpartenaire.

IV-1-1-6- Montée du phénomène des filles-mères

De plus en plus, de jeunes enfants acquièrent tôt des téléphonesportables. Cette acquisition précoce des instruments de communica-tion les met contact avec le monde extérieur à l’insu des parents. Lespetites et jeunes filles se retrouvent alors intégrées dans des réseauxcommunicationnels avec des grands garçons. Ces contacts donnentnaissance à des amours tout aussi précoces. Elles sont courtisées sur-tout grâce à un système de SMS collectif de déclaration et d’entretiend’amour qui essaiment la plupart des téléphones portables des jeunesdu village. En général, les téléphones sont offerts par les courtisanspour avoir un meilleur accès à la causerie d’avec la fille à conquérir.De nombreux conflits sont en instances dans les familles du fait desappels nocturnes dont les filles connaissent. Faisant parfois casecommune avec leur mère, ces dernières subissent ces désagrémentsvoire ces violations de domicile d’un genre nouveau.

C’est dans le cadre de ces aventures amoureuses précoces que plusd’une douzaine de jeunes filles de l’école primaire sont tombées en-ceinte en entre 2016 et 2017. Ce phénomène de grossesse hors ma-

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riage a mis en émoi toute la communauté. Andégue souligne que« l’effectif des classes du niveau 3 baisse en nombre de filles chaqueannée à cause des grossesses ou des mariages précoces » 158.

IV-1-1-7- Indices de libéralisation du marché sexuel

Bien que les indices du vivre ensemble soient observables dans cemicro espace du territoire camerounais, il serait aller vite en besogneque de le déclarer vide de tensions. L’endogamie pratiquée ici tend àpeser sur les relations interpersonnelles et à nourrir un certain nombrede tensions dès lors que la compétition dans le marché sexuel se libé-ralise avec la massification des NTIC. Tout en rappelant que la popu-larisation des instruments de communication a rendu accessible toutepersonne disposant d’un terminal téléphonique, la contacter à toutmoment devient tâche aisée. C’est ainsi que de nombreuses rivalitésnaissent et sapent les relations interpersonnelles voire entre des fa-milles. Bessoula, jeune fille scolarisée souligne que les tensionsqu’ont provoquées les appels des autres hommes qu’elle recevait dansle téléphone acheté par son petit ami. Ce dernier a bravé en duels tousces aspirants qui entraient en contact avec sa dulcinée. De nombreuxcas de tensions au sein des couples ont également été soulignés lorsdes différentes prises de parole indiquant des maris qui, soupçonnantdes écarts de conduite de leurs épouses avec d’autres hommes via letéléphone portable, s’en plaignant ouvertement. De mémoire, les en-quêtés soulignent la recrudescence des problèmes conjugaux dans levillage. Younoussa, jeune homme peul divorcé, déclare :

« Je me suis séparé de ma femme à cause du téléphone portable. En

fouillant dans la maison un jour, j’ai découvert qu’elle avait un deuxième

téléphone dont j’ignorais l’existence. Celui-ci ne contenait que des appels

d’un seul correspondant. Et lorsque j’ai appelé à ce numéro, c’est un

homme qui a répondu. Ce monsieur travaillait dans la société qui construi-

sait la route. Voilà comment et pourquoi nous nous sommes séparés » 159.

158 Entretien op.cit.,159 Entretien de terrain op.cit.,

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Ces tensions dévoilent leur visage dans les documents du CMA deDibi. C’est la face perceptible d’un marché sexuel dont toute la portéen’est pas nettement observable. Néanmoins, les données statistiquesrecoupées sur la vente des préservatifs, le taux de prévalence duVIH/SIDA, des maladies sexuellement transmissibles et infectionsassimilées, des interventions post interruption volontaire de grossesserenseignent sur son importance. Les informations contenues dans lestableaux sous-tracées nous en révèlent la portée.

Graphique 7 :

En période de forte vente, nous constatons un nombre très élevé deventes des préservatifs qui oscillent autour de 900 unités/mois. Dansun environnement où la consommation sexuelle est réservée aux ma-riés, cette statistique trahit en réalité une certaine sexualité extra-conjugale et pourquoi pas pré-conjugale. Autrement dit, il y a lieu depenser que des mutations socio-culturelles dans l’accès à la femmesont en œuvre au sein de ces communautés.

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Graphique 8 :

Pour une population rurale, qui évolue dans un contexte où lesnormes sociales apparaissent si rigides, nous observons ici une ampli-tude de séroprévalence également élevé. L’implantation d’une entre-prise de travaux publiques a certainement influencé les

Graphique 9 :

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L’existence en sourdine des IVG, provoquées ou pas est une réali-té. L’hypothèse est intéressante dans la mesure où une grossesse horsmariage est un véritable scandale, un deshonneur pour toute la famille.Prendre la décision de s’en débarrasser est une manière de préserver ladignité familiale et de conserver les chances de la jeune fille dans lemarché matrimonial.

De la consommation sexuelle virtuelle à celle dite réelle, il y ajuste un pas. De nombreux enfants mineurs sont surpris en pleineséance de visionnage des images pornographiques dans les téléphonesportables. Bengai déclare avoir surpris à plusieurs reprises des enfantsoccupés à consommer des vidéos obscènes. Quelques cas d’incestequi ont été signalés ont à coup sûr un lien étroit avec ce phénomèneapportant par la même occasion des arguments aux thèses du condi-tionnement en psychologie.

Si dans la tradition islamo-peule, les notions de pudeur et honte,semteende, d’honneur, de péché et l’interdit de la virginité contrai-gnent drastiquement le corps de manière ascétique et monacal, com-ment se fait-il que de telles statistiques soient réalisées dans un tel es-pace ? Nous pensons ici que pour qu’un tel changement puisse se pro-duire en profondeur dans ce modèle sociétal qui revendique encoreson ancrage dans ses traditions d’origine, et corroder ses fondations etbousculer ce qu’ils ont de sacré, il faut aller observer vers un élémentstructurant à même de créer le trouble dans les consciences indivi-duelles. Les images télévisuelles et virtuelles parlent de l’éducationsexuelle en termes d’échange, de plaisir, de jouissance, de désir per-sonnel challengent la socialisation de l’éveil sexuel traditionnel géréepar les mères et basée sur la méfiance envers l’homme, le péché, les« cuisses cadenassées », la peur de la sexualité tout ceci aboutissant àune dissonance cognitive dont les deux alternatives départagent nosruraux.

IV-1-2- Mutations décadentes

Lorsque l’adoption d’une innovation est effective dans un espace,elle crée des dynamiques qui se traduisent par un certain nombre depratiques nouvelles. Celles-ci bousculent le mode de vie en investis-

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sant le quotidien des usagers qui dans cet élan délaissent certaines pra-tiques. On assiste alors à une mise en réserve, une décadence de cer-tains volets des us et coutumes autrefois en mouvance dans ce milieu.Dans cette étude, nous avons noté des pans de la vie sociale cantonalequi ont été plombés par les processus d’appropriation des NTIC.

IV-1-2-1- Mécanisme traditionnel de mise en union

Dans les coutumes traditionnelles de nos deux communautés, lesmariages arrangés entre les parents ont toujours été la règle. L’un desparents du jeune se rendant auprès de ceux de la jeune fille sollicitersa main. En cas d’accord, les cérémonies de fiançailles puis du ma-riage étaient organisées. Et parfois, les jeunes mariés se découvraientlors des cérémonies.

Avec l’arrivée des TIC et surtout du téléphone portable, outil decommunication à distance par excellence, les données changent peu àpeu dans les entrées en union amoureuse. Plusieurs cas se présententmaintenant soit l’on est renseigné de l’existence d’une fille dans uneconcession, soit on la découvre par hasard, soit c’est une camaraded’école, etc. Puis, vient l’étape de se renseigner sur sa possession ounon d’un téléphone portable ainsi que son numéro. Des contacts sontnoués à l’insu même des géniteurs. Des rendez-vous s’en suivent etparfois des consommations sexuelles qui aboutissent à des grossessessus-mentionnées.

Ce changement de paradigme désarme les autorités traditionnelles,religieuses et familiales qui perdent de temps en temps la main sur larégulation du marché matrimonial. Moussa, chef de famille d’origineGbaya évoque cette nouvelle entrée en union en ces termes, « lesjeunes de maintenant ne respectent plus rien. Les parents sont seule-ment surpris par une consommation effective des attributs du mariageou une grossesse à la maison que la fille nous amène. C’est alors à ceniveau que les négociations du mariage commencent. C’est enquelque sorte une inversion du processus du mariage. Nous, on estdépassés ».

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IV-1-2-2- Cohésion intergénérationnelle

Si la socialisation primaire a pour rôle de reproduire les élémentsculturels d’une communauté pour une vie harmonieuse, il peut arriverque les individus socialisés ne reflètent pas le comportement attendu.Ces obstacles au conformisme social sont dans notre cas ici influencéspar la montée en puissance de la socialisation additionnelle induite parles médias devenus plus interactifs. Les jeunes gens qui la subissentplus que les ainés sociaux créent à partir de cela une certaine fractureentre générations.

Autrefois, les anciens étaient au centre de la vie sociale. C’étaitdes dépositaires du savoir, ils servaient de trait d’union entre le passéet le futur. Toute décision dépendait d’eux, leur avis comptait sur toutet rien ne pouvait se passant leur accord, leur quitus. Avecl’inscription du monde rural à la grande bibliothèque universelle, lesjeunes y trouvent toutes les informations dont ils ont besoin. En plus,les centres d’intérêt se sont déplacés, de la vie du village vers la vie dumonde, du cercle communautaire restreint vers un ensemble plus largealliant le réel et le virtuel.

IV-1-2-3- Fragilisation des principesde la pulanité et de la labinité

Le pulaaku et la portée du rite labi guident les destins des fils etfilles peuls et gbaya depuis des âges, ces modes de vie traversent lesgénérations en mettant en évidence les identités de ces communautéstrès ancrées jusqu’à ce jour dans des modèles qui s’appuient sur leurstraditions. La fierté d’être peul par exemple provient du fait que lesmembres de cette communauté possèdent ce fameux pulaaku. La « ci-vilisation » ambiante apportée ici par les différents usages des NTICmet à rude épreuve les principes de la pulanité et du rite labi. Si lesorganisations peules et gbaya sonnent l’alerte, c’est justement pouressayer de stopper la saignée.

Le principe Semteende qui indique la honte surtout de la jeune filleà poser certains actes comme s’exprimer en public, parler à haute voixen public, dévoiler sa tête, s’habiller légèrement est secoué de toute

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part. A Dibi, plusieurs filles ne se soumettent plus à cette valeur. Ellestéléphonent en public, portent de moins en moins des tenues tradition-nelles qui ne laissent aucune place où l’œil ne passe et repasse. Lorsdes fêtes religieuses par exemple, les tenues en vogue dessinent net-tement les silhouettes et parfois une grande entaille au niveau de lapoitrine. A l’heure où le corps tend à devenir une marchandise, expo-ser les ondulations de son corps devient la mode. Chose que les fillesde la paysannerie cantonale.

Le mugnal, endurance, patience, retenue, réserve, valeurs degrande importance dans la vie des peuls se raréfient lorsqu’on observeles nouvelles « recrues » à l’œuvre. Les jeunes gens qui engrossent lesfillettes de l’’école primaire, ceux qui intègrent les gangs, consom-ment les stupéfiants et alcool ont noyé dans les effluves de l’eau devie la patience qui doit les guider au quotidien.

Le bernde, fierté, dignité, qui autrefois maintenait l’homme peul aurang de noble, d’aristocrate faiblit çà et là. Il est difficile de lire desindices de fierté et de dignité dans le comportement d’une fillette en-ceintée à la sauvette par le premier venu, encore moins dans des inter-ruptions volontaires de grossesse qui s’en suivent, dans l’attitude dugarçon qui lui fait la cour au mépris des méthodes classiques en la ma-tière, dans le regard de la mère qui voit son enfant emprunté des voiesde débauche. De telles attitudes loin d’être considérées généralisées etadoptées par les populations apparaissent comme une réalité montanteau regard des cas qui, en peu de temps, essaiment au sein de ce can-ton. Si l’ampleur du phénomène inquiète les uns, les gardiens dutemple, du modèle islamo-peul et même gbaya, par ailleurs, il séduitles adeptes du numérique qui trouvent là un terrain fertile, des « zonesd’incertitude » dans le système de local du contrôle social. Braver lesinterdits en se mouvant de manière incognito, assouvissant ses désirspersonnels dans en usant des NTIC qui ouvrent des voies sournoisesvers les déviances devient alors le sport préféré de plusieurs consom-mateurs.

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IV-1-2-4- Solidarité et entraide

Les espaces ruraux sont reconnus de tous pour leur modèle de so-lidarité et d’entraide qui constituent une véritable stratégie de survie.Ces valeurs se manifestent dans tous les aspects de la vie rurale car, lasocialisation primaire y met un accent particulier. Il s’agit pour le pay-san d’intégrer la vertu qui conduit les personnes à sauvegarder et àpromouvoir le bien commun qui prend sens ici en termes de solidarité.Il ne s’agit pas d’un sentiment de « compassion vague oud’attendrissement superficiel » 160 pour des malheurs des autres maisd’« une détermination ferme et persévérante de travailler pour le biencommun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce quenous sommes vraiment responsables de tous » 161.

Avec la rareté des ressources et la compétition qui en résulte, avecl’inscription de la ruralité africaine au système-monde, c’est-à-dire àla logique capitaliste, et très récemment avec l’inscription de cettemême ruralité à l’ère numérique, les données liées au capital de soli-darité et d’entraide au sein des espaces ruraux tendent vers le rouge.Les rapports aux autres se monnaient, deviennent très intéressés.L’homme rural jadis solidaire est devenu un « homo economicus »,individu rationnel agissant selon ses intérêts.

Cette réduction des liens de solidarité, d’entraide et de partages’observe dans la gestion des melons, légume cultivé de manièremixte dans les champs de maïs. Il y a quelques temps, ce légume fai-sait partie des biens à valeur d’usages en circulation dans le canton.On le distribuait aux amis, aux proches, aux visiteurs, puis on le con-sommait. Il était au centre de la solidarité entre les individus. Il ne sevendait pas. Depuis deux ou trois ans, un lucratif commerce du melonest né et des comptoirs à melons jonchent le linéaire routier du cantonet au-delà.

L’explication allouée à ce phénomène, à notre sens, réside dans laconsommation du téléphone mobile. Avec la démocratisation desNTIC, les « recrues » capitalisent toutes les ressources pour les con-

160 Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, 31/12/1087. n°. 38.161 Ibid.,

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vertir en crédit téléphonique ou Internet. Cette nouvelle activité numé-rique gourmande en ressources financières urge les ruraux à rendremarchand tout produit à portée de main.

IV-1-2-5- Le test de virginité

Preuve irréfutable de bonne moralité, de pureté et de chasteté pourla jeune mariée, objet de d’honneur, de dignité et de fierté pour lesgéniteurs, l’obtention du certificat de virginité par la jeune mariée atoujours été un moment très attendu et redouté en situation de nocesdans ces communautés. Dans ces sociétés patriarcales traditionnelles,la jeune fille est un emblème d’honneur pour ses parents, sa famille etmême sa communauté, la préservation de son corps, mieux de sa vir-ginité avant sa mise en union relève du sacré. La famille et précisé-ment la mère ont à charge de surprotéger ce corps qui doit demeurervierge et pure car, l’homme souhaite toujours avoir une épouse vierge.C’est ainsi que la virginité est « une hantise pour les jeunes filles etpour les mères qui mettent en œuvre toutes sortes de stratégies pourpréserver leur fille de tout contact sexuel avant le mariage et ainsisauver l’honneur de la famille » 162, souligne Barkahoum Ferhati.

Depuis quelques années, l’amplitude des cérémonies d’exhibitiondu certificat de virginité est en baisse. Approchés lors des entretienssur la question, les jeunes avouent que certains mariés ne se soumet-tent plus à ce rite. Relevant de l’intimité, une telle réponse traduit lamise en minorité de cette pratique au sein de l’espace cantonal. En yjouxtant les statistiques du CMA sur la consommation des préservatifset des interventions post IVG, la baisse de la présentation des résultatsdu test de virginité pourrait trouver des explications à travers ces faitsqui témoignent de la montée en force de la sexualité précoce et horsmariage.

Considérant que la « virginité constitue la principale valeurd’échange qui permet à la famille, au moment des transactions ma-trimoniales, d’espérer du futur époux un capital économique consé-

162 Ferhati, B., « Les clôtures symboliques des Algériennes : la virginité oul’honneur social en question », in Clôtures, Clio, Histoires, Femmes et So-ciétés, Presses universitaires du Mirail, n° 26, 2007, p. 174.

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quent » 163, et que toutes les filles en prennent conscience lors de lasocialisation sur l’éveil sexuel, doit-on donner raison à soumayaNaamane Guessous qui déclare que « toute fille pubère devient uneséductrice, représentant un danger pour les hommes et pour leur pié-té » 164 et leur attribuer une subite propension auzina 165 ?

IV-1-3- Rejet du modèle paysan

Vivre au village n’a jamais été une vie tranquille. Se départagerentre une multitude d’activités pour faire bouillir la marmite le soir,pour gérer les « incertitudes » dans des conditions où tout dépend par-fois de la nature, du hasard, de la solidarité, de la chance marque lesesprits. Il est difficile de trouver chez nous en Afrique des grandesfamilles de tradition rurale qui ont fait fortune comme les grands fer-miers américains ou européens. La vie paysanne s’est inscrite dans lapensée collective comme un bagne par opposition à celle de la villeque l’on pense joyeuse et agréable. Ceci explique l’envie que les ru-raux nourrissent à l’endroit des citadins et des indices de souffranceque ces derniers collent aux villageois. C’est pour cela que, l’exoderural est devenu un fléau civilisationnel qui interpelle les politiques etalimente les recherches en sciences sociales. Çà et là, l’on déplore desvillages qui se vident aux cotés des villes et leurs banlieues qui explo-sent et étouffent.

Si la ville africaine séduit tant le villageois, qu’en sera-t-il alors dela ville occidentale approchée au travers des médias par les africains ?

Lors de la construction de ce jet intellectuel, il a été constaté que lajeunesse rurale de Dibi éprouve la même envie, le sentiment que la vieest mieux ailleurs. Les modèles vus à la télé, rencontrés dans les ré-

163 Charpentier, I., « Virginité des filles et rapports sociaux de sexe dansquelques récits d’écrivaines marocaines contemporaines, » in Genre, Sexua-lité & Société, 2010. En ligne http ://journals.openedition.org/gss/1413

164 Naamane Guessous, S., Grossesse de la honte –Enquête raisonnée sur lesfilles-mères et les enfants abandonnés au Maroc, Casablanca, Le fennec,2005, p. 47.

165 Zina, mot arabe désignant les autres formes de réalisation du désir sexuel endehors du rite matrimonial, synonyme de désordre et de fornication.

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seaux sociaux, observés et téléchargés sur Internet qui témoignent dela richesse, de la réussite sociale captivent et hypnotisent les jeunesruraux.

Sur le plan social, les jeunes d’ici, scolarisés ou non, penchent verscette vie de grande liberté indiquée par les images télévisuelles etd’Internet. Ils ont le sentiment de vivre dans un environnement remplid’interdits qui ne leur permet pas de se mouvoir, de vivre pleinement.Ce sentiment de gène et d’envie est relayé dans cette déclarationde Ouba qui condense le sentiment profond de la majorité de la jeu-nesse rurale « Je ne pense pas rester encore longtemps ici au village.Hum, … je ne suis pas à l’aise. Non seulement c’est difficile mais aus-si dès que tu bouges, les yeux des gens sont sur toi. Alors qu’on voitles gens à la télé, vivre leur vie. J’ai envie de vivre comme cesblancs » 166.

Le modèle paysan, généré et reproduit par les socialisations lo-cales ainsi que le contexte dans lequel émerge cette jeunesse se dilue,dans ses rapports de force avec la socialisation par les médias, dans lacognition des ruraux. Le groupe de référence que ces ruraux ont inté-gré à travers les informations audio-visuelles et virtuelles recueillies,agit et répand ses normes et valeurs qui entrent en compétition aveccelles du groupe d’appartenance. Etant au village, c’est ainsi qu’Oubase voit « vivre comme un blanc » tout en demeurant dans son Dibinatal. Certains jeunes, comme imbibés dans une socialisation anticipa-trice importent et adoptent les comportements de leurs mentors vir-tuels.

La vie rurale charrie de nombreuses insatisfactions dont les jeuneset même certains adultes essuient au quotidien. Ces déboires créent enchacun ce que Alexis de Tocqueville a forgé comme étant de la « frus-tration relative ». Notion développée abondamment en sciences so-ciales notamment en sociologie des mouvements sociaux et en cellede l’action collective, traduit le décalage entre l’attente d’un individuou d’un groupe et la réalité. Autrement dit, c’est aussi la tension psy-chologique générée par le rapport entre les aspirations et les res-sources disponibles. Les membres d’une communauté s’attendent à ceque l’environnement dans lequel ils vivent, le système social, la struc-ture organisationnelle leur permettent d’avoir un ensemble de com-

166 Focus group, op.cit.

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modités qui octroient et accordent la vie souhaitée ou rêvée.L’absence en continue d’un tel confort déclenche une somme de frus-trations individuelles qui sont à l’origine du rejet de la vie rurale etexplique également le phénomène d’exode rural et dans la civilisationtechnologique, un exode virtuel 167.

Au-delà de ce que nous avons relevé comme dynamiques indivi-duelles, éparses qui oscillent entre l’individuel et le collectif sans tou-tefois que des liens solides ou des inter influences soient véritable-ment confirmées, mais qui néanmoins concernent plusieurs individusisolés, il y a lieu aussi de noter aussi que des dynamiques collectivesagissantes se dévoilent dans des pratiques et usages des NTIC par lespopulations du canton de Dibi.

IV-2. DYNAMIQUES COLLECTIVES

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Mettre en lumière les dynamiques collectives, pour nous, renvoie àsouligner comment la population observée s’est organisée collective-ment autour des NTIC pour déconstruire et reconfigurer la topogra-phie sociale de leur espace de vie. Il s’agit précisément d’évoquer latrajectoire de ce mouvement qui part de l’acquisition d’un outil inte-ractif à la mise en place d’un nouveau modèle social en passant parl’inscription dans le réseau des socialisés des médias multifonction-nels.

IV-2-1- Naissance d’une communauté d’usagers

Avec l’arrivée des outils informationnels et communicatifs et plustard interactifs dans des communautés rurales africaines, l’adaptationà ces nouveaux instruments a révélé un problème. Celui de la disposi-tion des pré-requis indispensables à la manipulation desdits objets. La

167 Nous entendons par ce terme, le refuge de certaines personnes dans lemonde virtuel des NTIC tout en se déconnectant peu à peu de la réalité so-ciale de son environnement à une échelle donnée.

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paysannerie africaine et plus près de nous celle du canton de Dibi estcomposée d’adultes en majorité analphabètes dans l’usage des languesofficielles de notre pays le Cameroun et surtout très mal à l’aise dansla manipulation de ces instruments et des jeunes scolarisés et sociali-sés à l’usage des NTIC. Le besoin des ainés, pour être résolu locale-ment a tout aussi besoin d’une solution locale. C’est dans ce sens quela collaboration jeunes-adultes va être indispensable pour une inscrip-tion collective dans le monde numérique.

Plusieurs recherches aboutissent à des conclusions qu’un fossés’est creusé entre des personnes ayant fait l’école occidentale, l’écolemoderne au sens de C. H. Kane, individus plus à l’aise dans le déco-dage de la communication informatique, c’est-à-dire ayant accès àInternet, et les autres, les marginalisés, les laissés pour compte, lesabandonnés du numérique. Si Gado Alzouma écrivait que

« la barrière linguistique et éducationnelle est à l’origine de deux types de

communautés nées de l’usage différentiel des TIC : ceux qui sont capables

de lire sont en mesure de s’intégrer à des réseaux virtuels, de devenir

membres de cybercommunautés tandis que cette possibilité est exclue

pour les analphabètes chez qui l’usage de la téléphonie mobile tend à re-

créer ou renforcer les réseaux de sociabilité et les liens communautaires

traditionnels, déjà existants : familles, groupes d’amis, groupe profession-

nels,…. » 168

A Dibi précisément, le phénomène est remarquable à plus d’untitre. Une communauté de passionnés des NTIC a vu le jour. Sa struc-ture et son organisation ne sont pas matérialisables néanmoins, nouspouvons la saisir dans son objet d’union qu’est la consommation desoutils numériques ainsi que la volonté de ses membres d’y construireune carrière dans le domaine ainsi que son fonctionnement et ses im-pacts réels dans la vie sociale cantonale. Elle se compose de jeunes,aptes et outillés technologiquement parlant, tout au moins à petiteéchelle, et leurs parents et ainés affichant de sérieuses lacunes dans ledomaine, mais dont le désir d’apprendre est manifeste. Cette création

168 Gado Alzouma, « Téléphone mobile, Internet et développement : l’Afriquedans la société de l’information ? » tic&société, vol 2, n° 2, 2008.

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d’une académie informelle constitue en réalité un véritable laboratoiredans et autour duquel des dynamiques socio-culturelles en émergenceau sein du canton prennent naissance.

IV-2-2- Le virtuel et le réel :une communauté agissante

Une communauté est un ensemble de personnes ayant au moins unpoint commun considéré comme pertinent entre eux. Latham et Sas-sen pense qu’une communauté consiste en « a common identityaround shared goals and reciprocal relations among participants,and that such identity, goals, and reciprocity are an important andsubstantive aspect of each of participant’s life, professional or per-sonnel » 169. Notre communauté sera saisie définitivement si on luialloue sa deuxième dimension qui se veut virtuelle en convoquant leconcept de « communauté virtuelle » 170 si cher à Howard Rheingold.Il y voit une plate-forme en ligne dont les membres nourrissent desliens au travers des outils NTIC. Ces rapports peuvent également sevivre hors ligne.

Nous l’avions dit plus haut que c’est grâce à l’appétit des popula-tions adultes pour s’arrimer aux NTIC qu’est née cette communauté.Pendant ces apprentissages, de nouveaux liens tant directs et phy-siques que virtuels se sont tissés entre les maitres et les apprenants.Lors de cette double socialisation ascendante et aux médias, des liensde complicité, d’amabilité et de réciprocité à coloration symétriqueont mis ensemble deux générations. Il est à souligner que dans nosdeux communautés, les relations intergénérationnelles se limitent auxcivilités quotidiennes, aux commissions ou aux renseignements di-vers. Les avoir autour d’un objet se parlant presque d’égal à égal, bla-guant se côtoyant relève de l’inédit. Même lors des activités regrou-pant des catégories d’âge diverses comme le marché, les travaux agri-coles ou pastoraux, les relations sont plates.

169 Latham, R., Sassen, S., Digital Formations : IT and New Architectures inthe Global Realm, Princeton, Princeton University Press, 2005, p. 12.

170 Rheingold, H., The virtual Community : Homesteading on the ElectronicFrontier, New York, Harper Perennial, 1993.

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IV-2-2-1- La socialisation en retour

Habitués à la « socialisation descendante », c’est-à-dire des parentset ainés vers les enfants, les chercheurs en sciences sociales commen-cent à s’appesantir sur la situation inverse, celle dans laquelle les pui-nés s’érigent en agents socialisateurs. Le phénomène est récent avecl’entrée de l’humanité dans l’ère numérique comme nous indiquent lestravaux de Vincent Caradec 171 sur les usages des TIC par les retraités.Les enfants plus aptes à la manipulation des instruments communica-tifs et informatifs se chargent à leur tour d’initier leurs parents. C’estce que certains chercheurs appellent les « habiletés techniques » quel’on attribue à la génération montante, un certain « savoir-faire juvé-nile ». De nombreuses notions que nous employons ici ont émergépour rendre compte de ce changement de sens dans la retransmissiondes compétences en NTIC, un certain « renversement intergénéra-tionnel » 172 selon Laurence Le Douarin.

En prêtant le flanc à cette « socialisation inversée » pour certains et« socialisation en retour » pour d’autres, les ainés sociaux se dépouil-lent le temps d’un apprentissage leurs attributs, tels des gamins en si-tuation d’apprentissage, se laisser aiguillonner par leurs moniteurs.Ces interactions ne sont pas sans incidence dans leur comportementsocial. Imbibés de ces nouveaux acquis, enrôlés dans des réseaux, re-cevant et téléchargeant des contenus, les ainés sociaux se rafraichis-sent aux couleurs jeunes, aux idées novatrices, à la vision du mondeversion jeune, version médias. Cet état de chose oriente le regard versla compréhension des actes des jeunes.

171 Caradec, V., « ‘‘Personnes âgées’’ et ‘‘objets techniques’’ : une perspectiveen termes de logiques d’usage », Revue française de sociologie, vol. XLI-1,2001, pp. 117-148.

172 Le Douarin, L., op.cit.,

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IV-2-2-2- Relations intergénérationnelles et NTIC

Elles constituent le type de liens qui unissent des personnes issuesde plusieurs générations en termes d’âge en rapport avec les usagesdes NTIC. Ces relations peuvent avoir deux issues : soit l’on assiste àl’aggravation d’une fracture ou à renforcement du choc générationnel,soit elles contribuent à servir de trait d’union entre elles. Celles quinous intéressent ici sont des liens de convergence au sein desquels desinteractions peuvent se produire afin de conforter notre position. Ens’appropriant des compétences en NTIC, les échanges technologiquesentre générations prennent un caractère équilibré car, outillés les an-ciens intègrent la communauté dans des partages multilatéraux.

Malgré les marques de respect qui demeurent au sein de la macrocommunauté, on note une intensification des sociabilités entre lesmembres de la nouvelle communauté technologique. Les ainés et leursdescendants, autour des NTIC, jouent dans la même cour conduisant àdes relations personnalisées. Les occasions de rencontre se densifientainsi que des sujets de discussion. Loukmanna témoigne que « depuisque nous utilisons les téléphones, je cause déjà un peu plus avec mespapas du village, on parle des choses du téléphone et on se partagemême les contenus sur WhatsApp » 173.

De même, certains parents qui avaient perdu la main sur leurs en-fants dans la relation parentale regagnent du terrain au travers des ou-tils informatifs et communicatifs. Certainement mal à l’aise dans laconversation directe, celle dite électronique sert à certains de se re-construire une certaine relation qui rapproche et resoude le lien fami-lial.

173 Focus group avec les jeunes non scolarisés, op.cit.,

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IV-2-2-3- NTIC et relations inter-genres

Depuis que l’usage, l’appropriation et la maitrise des outils NTICnourrissent le quotidien des différents acteurs sociaux, les liens entreles catégories sociales se modifient. Ici, on évoque les fractures, fos-sés séparant les unes des autres, là-bas, on observe des rapproche-ments catégoriels et les resserrements de liens sociaux. Les femmes etles jeunes filles, qu’elles soient des milieux cultes ou incultes, cita-dines ou campagnardes se sont saisies de l’outil technologique aussibien que leurs homologues masculins. Si au début, on a signalé degrandes disparités, petit à petit, elles s’amenuisent tout en confirmantles femmes comme utilisatrices des NTIC.

Dans cette zone rurale, la plupart des femmes et filles sont desanalphabètes numériques et des langues officielles. Pour leur maitrisedes outils NTIC, elles doivent s’appuyer aux personnes ressourcesconstituées des filles scolarisées ainsi des membres de la famille lorsdes séjours en ville. Elles s’outillent aussi auprès des membres de lacommunauté et s’inscrivent également dans le réseau local et partici-pent de ce fait à la production du sens et de la réalité sociale.

Ces nouveaux liens qui les rapprochent et même les unissent à leurhomologue masculin. Ces rapports nouveaux permettent des ren-contres directes et virtuelles de tous les instants. Considérantl’endogamie qui régit le système matrimonial de la communauté Isla-mo-peul, la naissance des amours passagers ou profonds, connus ouinconnus, validés ou non se développent brisant ainsi les canons tradi-tionnels d’accès à la femme. Ces nouvelles sociabilités viennentrompre tout en inscrivant le canton dans un nouveau modèle d’entréeen union libre ou officielle. L’épouse de Sani qui lui avoue ne plussupporter ces nuits froides en attendant son jour dans ce mariage po-lygamique a trouvé à coup sur quelqu’un d’autre dans ce vaste etmixte réseau.

Par ailleurs, dans ces territoires patriarcaux, les femmes sont con-sidérées comme des biens. Elles sont littéralement enfermées dans lesconcessions familiales. À l’ère des NTIC, elles trouvent là des oppor-tunités de transformation sociale et de promotion de l’égalité homme-

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femme voire de l’autonomisation de celles-ci. De même que les utili-ser de manière à bousculer les stéréotypes et les rôles auxquels sontconfinés les femmes.

IV-2-3- Fragilisation du contrôle social informel

Comme toute socialisation, celle dite en retour implique aussi unecertaine reproduction sociale. Le socialisé doit alors refléter le modèleculturel reçu et contribue à son essor.

Les ainés socialisés sont en même temps des agents du contrôlesocial. A cette double posture, ils deviennent alternativement joueurset arbitre, reproducteur d’un ordre nouveau et censeur-gardien del’ordre socio-culturel établi. Les constats observés sur le terrain dévoi-lent les difficultés de ces derniers à assurer leur ancien rôle avec lemême entrain qu’avant. Nombreux ont perdu de leur vigueur et ri-gueur, sont devenus moins intransigeants, moins sévères.

Ayant développé de nouveaux types de sociabilités avec ceux dontils sont chargés de surveiller, les ainés sociaux de Dibi sont devenuscompréhensifs face aux écarts de conduite. La sanction répressive envigueur dans des terroirs ruraux est devenu psychagogique, celle-làqui cherche une solution miracle. Lors de l’entretien avec le collègedes notables, ils laissent entendre que « les choses ont changé, lesjeunes de maintenant ne font qu’à leur tête » 174. Ils se remémorent lestemps où Dibi était un village redoutable. Pour traverser le village, ilfallait se déchausser, les femmes étaient interdites d’apparaitre en pu-blic. Un ensemble d’interdits qui ont fondu comme sucre dans labouche. Un seul coupable est indexé, « la civilisation », terme valisepour l’autorité suprême du canton. Il désigne cumulativement l’écoleoccidentale et surtout ces outils de la technologie communicative, in-formative et interactive. Cette « civilisation » a modifié les manièresde penser, d’agir et faire et qui conduit ce peuple vers des reconfigura-tions, des bricolages identitaires et même à une certaine « créolisa-tion » du modèle villageois.

174 Entretien réalisé par Thierry Lekoua, op.cit.,

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IV-2-4- Emergence d’un mouvement social

Un mouvement social se définit en sociologie comme tout mou-vement développé par un ensemble de réseaux formels ou informelsd’organisations ou d’acteurs isolés, construits sur des valeurs parta-gées et qui se mobilise au sujet d’enjeux plus ou moins conflictuels,en ayant recours à différentes formes de protestation. De même,l’action qui résulte de sa mise en mouvement vise à changer les com-portements déjà ancrés en un sens favorable au groupe actif.

Par action sociale, nous entendons le résultat d’une coordinationconcertée ou non par les agents avec des buts individuels ou collectifs.Les agents n’ont pas forcément d’engagements les uns à l’égard desautres. L’action collective a une dimension plurielle et procède unsens, celui d’être large ; car, elle relève d’une coordination de plu-sieurs individus. Chacun œuvre à sa manière, à son rythme, selon sesintérêts mais qui somme toute tendent vers un objectif commun nonconcerté. Dans cet espace de recherche, l’objectif de l’action collec-tive est de profiter des bienfaits qu’offrent les outils technologiques enmatière de communication et de l’information. C’est cette agrégationdes actions individuelles et collectives qui se traduit en mouvementqui impacte sur la régulation des individus dans cet espace.

Nous pouvons parler dans ce cas d’une action collective infor-melle. Si Daniel Cefaï 175, pense à une action collective comme étant« une action concertée » qui « implique une intention consciente »ordonnée en forme organisationnelle , dans notre travail, nous aperce-vons une action collective non concertée qui implique des intentionsplus ou moins conscientes qui à termes produisent des effets souhaitésindividuellement en termes d’épanouissement personnel, et, collecti-vement, non souhaités au départ, en termes d’affaiblissement du con-trôle social, de déviance ou de mollesse des sanctions à la déviance.

L’action collective ici se saisit par son résultat avec les indices demutations notables dans la structure socio-culturelles de cet espace.Ces comportements et attitudes qui deviennent récurrents nous encou-

175 Cefaï, D., Trom, D., Les formes de l’action collective, Mobilisation dans lesarènes publiques, Paris, Editions de l’EHESS (Raisons Pratiques), 322 p.

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ragent à remonter le cours du processus pour comprendre ce phéno-mène. Ce raisonnement en sens inverse nous conduit à ce phénomènestructurant qu’est la consommation technologique.

Nous arrivons à constater nettement qu’un mouvement social esten mouvement en ce sens que les conditions indispensables à sa réali-sation sont identifiées dans cet espace de recherche. Pour parler d’unmouvement social, il faudrait que les agents partagent un système devaleurs notamment la liberté, l’émancipation, la gestion libre de savie, et en se sentant libre par de la sensualité. Ce champ social vit destensions entre le mode de vie local ancestral et le modèle global im-porté par les outils technologiques consommés. La croyance générali-sée que les NTIC constitue une porte ouverte vers la modernité qui estsynonyme de mieux être pour chacun, d’épanouissement personnel,d’allègement des conditions d’existence, bref une panacée collective.Quant aux facteurs participants, il existe une passion affirmée et con-firmée de l’inscription de la communauté au monde numérique quis’observe à travers la course vers l’acquisition des compétences et lesdurées d’utilisation et de contact avec les instruments, au niveaumême de la compétition du meilleur outil high-tech détenu. La mobi-lisation pour l’action est portée par le leadership jeune qui devenuspersonnes ressources dans la retro-socialisation aiguillonne un mou-vement qui reconfigure les rapports au sein de cette communauté. Cecomportement collectif sournois, agissant dans la clandestinitééchappe au contrôle social. Il relève du domaine de l’inaccessible, ilopère dans la sphère privée. C’est aussi un mouvement souterrain,évanescent.

Au vrai, la réalité collective cantonale enregistre un certaine decomportements déviants induits par l’usage, l’appropriation et la mai-trise des instruments technologiques de communication et del’information qui nous encourage à postuler l’existence des mutationssocio-culturelles qui leur sont imputées. Qu’elles soient individuelles,relevant d’une attitude individuelle ou interpersonnelle ou qu’ellessoient collectives, inhérentes d’un comportement organisationnel,l’effectivité des indices de transformations sociales bousculent les po-sitions traditionnelles en matière de liens sociaux et du rapport àl’autre pour réécrire et reconfigurer la topographie sociale cantonale.Sommes-nous face à un changement social ? La présence ici d’un fac-teur d’accélération du changement social que sont les NTIC et

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l’intérêt considérable que les agents sociaux lui accorde nous excite àtendre vers l’affirmative.

Etant entendu que les agents même du contrôle social dans leurmajorité font partie intégrante de la communauté des « recrues » dunumérique et dans cette double posture, l’efficacité, la rigueur,l’intransigeance et la droiture avec lesquelles le contrôle social infor-mel doit être régulé, lu, interprété et rendu ont été corrompues et véro-lées par les virus des NTIC. Ceci étant dit, le seuil de l’anomien’ayant pas été franchie malgré ce qui apparait comme un regardcomplice, de compassion, de compréhension, il nous parait judicieuxde noter les différentes stratégies de ripostes que les agents sociauxdéploient pour faire face à ce phénomène.

Parvenu au terme du diagnostic des dynamiques socio-culturelleset de leur analyse, il en ressort que le corps social de Dibi est secouéde toute part par des impacts, les effets pervers de leur propre con-sommation des technologies informatives et communicatives qui met-tent en difficulté la gestion et la régulation de la communauté ainsique la préservation du patrimoine culturel ancestral. Au travers desmutations observées, nous notons que la socialisation médiatique et laretro-socialisation bousculent tout en influençant significativement lesacquis implémentés par les premières formes de socialisation notam-ment primaire et religieuse. C’est dans cette optique que nous consta-tons une prolifération des attitudes dissonantes créatrices de transfor-mations sociétales.

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DEUXIÈME PARTIE

Chapitre V

RÉACTIONS POPULAIRESFACE AUX DYNAMIQUES

SOCIO-CULTURELLESINDUITES PAR DES USAGES

DES NTIC

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Parler de réactions paysannes, mieux des agents du contrôle socialinformel face aux différents usages des NTIC conduisant à des com-portements déviants et à une dynamique collective d’émancipation etde reconfiguration des rapports sociaux et culturels, c’est identifier lesmécanismes et stratégies en mouvement pour tenter d’enrayer, de ca-naliser, de reprendre la main sur la gestion et le contrôle des hommes.Ces réactions apparaissent comme des essais de réponse à la crise mo-rale et sociale que traverse ce village. Comme nous l’avions noté pré-cédemment, un certain nombre de faits, toujours plus croissant, sontenregistrés çà et là et qui mettent en émoi et des individus isolés, etdes familles puis, pourquoi pas le corps social dans son ensemble.

Nous entendons par réactions populaires, un ensemble de compor-tements et d’attitudes qui réagissent à échelle variable pour contrer lesactes qu’ils trouvent hors normes, incommodes pour les valeurs lo-cales en employant un certain nombre d’actions. Nous distinguons ici

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des réactions de plaidoyers, de violences plus ou moins exagérées, dessanctions molles et des appels à la rescousse.

V-1. RÉPONSES COLLECTIVES

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En convoquant les propos de Paul Biya, lors de son adresse aucorps diplomatique à l’occasion de la cérémonie de présentation desvœux de nouvel an, qui déclarait à l’endroit du terrorisme mondial,« A menace globale, riposte globale » 176, nous pensons que le phé-nomène social total que constitue la colonisation numérique des ter-roirs africains nécessite une approche solutionnelle globale pour yfaire face. Nous évoquons les réactions collectives pour désigner cesmécanismes de contrôle social élaborés et managés par plusieurs per-sonnes. Nous avons le contrôle social mixte et l’aspect lié à la sensibi-lisation des dignitaires religieux.

V-1-1- Du contrôle social informelà une approche mixte

Ayant pris conscience du fait que les choses vont mal, en réactionau phénomène d’insécurité et de grand banditisme, le contrôle socialformel a été convoqué pour venir en appui à celui dit informel dont lapuissance répressive ne dissuade plus certains habitants qui se sontaffranchis de la tutelle du pouvoir local.

Le phénomène de grand banditisme qui s’est développé à Dibi im-pliquant certains membres de la communauté, au regard des diffé-rentes interpellations qui ont été faites nous encourage à soutenir quede près ou de loin et d’une certaine manière, les habitants de Dibi ysont impliqués et que les dynamiques technologiques y contribuentgrandement. Les différents modes de socialisation administrés aux

176 Biya, P., Discours prononcé face à la représentation diplomatique, Yaoundé,8/01/2015.

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membres se font remplacer par des logiques individuelles, du momentoù ces dernières se désolidarisent de l’idéal collectif.

Si Emile Durkheim dans ses travaux sur le suicide177 démontraitdéjà que la fréquence de cet acte autodestructif qu’est le suicide étaitinversement proportionnel au degré d’intégration social au grouped’appartenance, il s’avère s’appliquer ici que si la délinquance a pros-péré, c’est du fait de la baisse de la cohésion sociale qui conduit à labaisse du contrôle social informel. Les contraintes et les pressions so-ciales n’ont plus d’impact sur les individus.

La désorganisation sociale émise dans les travaux des sociologuesde l’école de Chicago sur la délinquance dans les grandes villes amé-ricaines178, est liée à l’urbanisation non planifiée. A Dibi, elle est dû àla consommation technologique non maitrisée. Dans les deux cas, denouvelles formes de sociabilités se sont développées par des gangsailleurs et une organisation virtuelo-réelle se positionnant en antithèseavec les coutumes et les traditions qui, pour eux, ne représentent plusun modèle à suivre.

Pour faire face à cet état de chose une escouade de BIR a été instal-lée dans le canton. Chargée de dissuader les comportements déviantsen matière de sécurité et de mettre main sur ceux qui s’adonnent à despratiques repréhensibles. Il faut noter qu’à part ces permanents, unebarrière mixte composée de la gendarmerie et de la douane fait desapparitions sporadiques. Au vrai, leur présente a permis un net retourdu calme et des activités agro-pastorales dans des vaines pâtures a re-pris. Le recul également des actes d’enlèvement est à mettre à l’actifde la mixité des différents types de contrôle social.

Cette approche en termes de réactions populaires collectives, à dé-faut de modifier les tous les usages pernicieux, a permis que l’activiténuisible qui prenait déjà corps soit plombée ici. Son éradication n’apeut-être pas encore eu lieu, néanmoins, les populations ont retrouvéle rythme de vie normal et paisible des localités rurales.

177 Durkheim, E., Le suicide, étude sociologique, (éd. 1895), Paris, PUF, 1960.178 Thrasher, M., The gang, Chicago, University of Chicago Press, 1927 ;

Shaw, C., et al, Delinquency areas, Chicago, University of Chicago Press,1929.

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La riposte sécuritaire n’est pas la seule mise en pratique par cespopulations, nous avons aussi identifier l’appui du monde religieuxqui contribue à sa manière de recadrer les fidèles.

V-1-2- La sensibilisation des dignitaires religieux

Les religions monothéistes que pratiquent les habitants du cantonde Dibi, depuis que leurs leaders se sont rendus compte de certainesdérives comportementales, ont déclenché une croisade de remédiationpour recadrer les fidèles recrutées par les outils technologiques. A lamosquée comme à la chapelle en passant par l’église, toutes lesprêches tendent à rappeler le vrai chemin, le but de l’existence hu-maine, la trajectoire à parcourir.

V-1-2-1- Sensibilisation du fidèle musulman

Sur le plan individuel, la morale religieuse islamique, au-delà descinq piliers de l’islam qui somme toute permettent au fidèle de domi-ner progressivement ses passions, à organiser sa vie de manière har-monieuse avec son environnement, cherche à construire des êtres hu-mains plus calmes et déterminés. Comme thérapie ici, les dignitairesexhortent les fidèles à fréquenter assidument les lieux de prière afin des’éloigner des vices, de l’addiction technologique qui rongent l’âme.Les individus au comportement peu orthodoxes sont spécialement prisen charge pour une thérapie adaptée. Loin de procéder à des sevragestélévisuel, téléphonique et cybernétique, il s’agit d’encadrer ces fi-dèles qui, comme des toxicomanes et des alcooliques, nécessitent unaccompagnement thérapeutique.

Sur le plan familial, l’enseignement religieux restitue dans l’oreilledes recrues numériques en mal de conformisme social et religieux desuivre le chemin idéal de la construction d’une société selon le modèleislamique, décourage de suivre bêtement les images véhiculées par lesmédias occidentaux. S’adonner au zina, c’est créer une dysharmoniefamiliale et même sociale. C’est manquer de respect à toute sa com-munauté et couper le lien qui unit le fidèle à son créateur. La sensibili-

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sation familiale s’attarde aussi à réexpliquer les rôles des uns et desautres. Le couple est chargé d’élever leurs enfants à la doctrine mu-sulmane faute de quoi, devenus adolescents et adultes, ils leur cause-ront de sérieux soucis comme ceux que nous vivons là.

Aussi clair qu’était le thème de la dernière journée commémorativede la fête du mouton 2017 « Respect des droits des personnes vulné-rables et gestion morale des réseaux sociaux pour une société stable etdigne », l’approche doctrinale de l’islam rappelle ses fidèles sur lesobjectifs sociaux de ce courant religieux à savoir « transcender lesrelations sociales en les liant directement à Allah » 179. Les compor-tements qui militent pour une solidarité humaine, la maitrise des pul-sions et de sa colère, la propagation des actes de charité, le respect desvoies tracées par Allah pour sa gloire doivent être valorisés et mis au-devant de tout.

V-1-2-2- Sensibilisation du fidèle chrétien

Issus d’un même environnement, les fidèles des deux communau-tés sont victimes du même fléau social. C’est pour cela que l’organequi réunit hebdomadairement les masses, et au sein des groupes reli-gieux au quotidien, se doit de prendre ses responsabilités pour contri-buer à sa façon à construire l’usage d’un Internet aux dimensions reli-gieuses. Le choix que fait l’église d’entrer en combat pour un meilleurusage des NTIC est celui « d’apporter deux contributions majeures :son engagement en faveur de la dignité de la personne humaine et salongue tradition de sagesse morale » 180.

Avant de proposer des thérapies remédiatives, que l’église doitadministrer à ses fidèles, Sessions Sœurs Divine 181 énumère un en-semble de maux dont le fidèle qui se laisse aller peut-être victime. Ils’agit de :

179 Abdallah, T., « L’islam, un facteur de socialisation », Oumma, 29/4/2003.180 Conseil pontifical pour les communications sociales, Ethiques dans les

communications sociales, Vatican, n° 5, 04/06/2000.181 Sessions Sœurs Divines, « Regard d’un religieux africain sur usage NTIC en

vue de l’évangélisation », jbmusumbi, omi, Yaoundé, 28-29/12/2013.

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Oubli de soi et des autres.

Egoïsme et individualisme.

La perte de l’identité avec les risques de sombrer dans la perversité desmœurs, l’esclavage, le manque de liberté.

Déséquilibre affectif.

Le mensonge et le vol.

La perte d’identité dans la vie religieuse.

L’absence morale de la communauté.

Course au matérialisme.

La coupure avec la vie communautaire.

Perturbation pendant la prière.

Pour ramener les recrues vers des usages des outils technologiquesplus propres, chacun doit « placer l’homme au centre de l’acte decommuniquer ». L’église propose l’implémentation d’une sorte decommunication sociale comme méthode de récupération des individusvictimes de l’addiction numérique et des comportements déviants.Pour amener quelqu’un à changer de comportement, il faut qu’il soitconscient de la situation et être accompagné.

L’église qui est à Dibi a pris conscience du problème et déploie desstratégies de communications sociales aux principes chrétiens appro-priés pour aider les membres à capitaliser l’usage des NTIC au servicede la vocation humaine. Les leaders associatifs en parlent lors des ren-contres des mouvements de « Femmes pour Christ » et de « Hommespour Christ ». Cette vaste sensibilisation auprès des parents vise unresserrement dans l’application des valeurs chrétiennes au sein desfamilles. Pour le bien de leurs enfants, ainsi que pour leur propre bienles sont invités à acquérir et à jouer le rôle de modèles d’utilisationdes médias dans les maisons. Bien que les enfants et les jeunes de lagénération Android soient le plus souvent les plus familiarisés avecces outils que les parents, ces derniers doivent s’efforcer de guider etde contrôler leurs enfants en ce qui concerne leur utilisation.

Les enfants, comme il est dit partout, représentent l’avenir de lasociété et ici, de l’église. « Une correcte utilisation des NTIC contri-bue à les préparer à leurs responsabilités dans l’église et dans la socié-

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té toute entière. Ils doivent alors être sensibilisés le fait que les NTICne sont pas que des outils de divertissement et de gratification, c’esten réalité un outil pour accomplir un travail utile à soi-même et à sacommunauté. Ceux qui s’égarent dans le flux d’images et de sons,introduisant par-là dans l’espace local des modèles d’ailleurs, leurprêcher avec audace et joie, au moyen des instruments de la commu-nication sociale, que l’homme, tout l’homme doit être toujours mis aucentre des usages des NTIC. L’acquisition de ce « principe éthiquefondamental est le suivant : la personne humaine et la communautéhumaine sont la fin et la mesure de l’utilisation des moyens de com-munication sociale ; la communication devrait se faire par des per-sonnes en vue du développement intégral d’autres personnes » 182.

V-2. RÉPONSES FAMILIALES

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Cette partie de notre travail relève un ensemble de réactions recen-sées dans les familles pour face aux dérives induites par les différentsusages des NTIC. La famille, cellule de base de toute communauté,est le premier maillon qui subit les affres des comportements déviantsde ses membres. Elle est également le premier rideau défensif pourcontrôler la conformité des attitudes aux normes et valeurs du grouped’appartenance. Dans cet espace habité, face à la colonisation numé-rique, à la déviance de ses membres, les familles qui sont à Dibi réa-gissent de diverses manières. Nous y rencontrons des sanctions molleset d’autres violentes, des réponses complaisantes aux plus engagées.

V-2-1- Résignation et réadaptation

Lorsque les européens furent arrivés au Cameroun vers la fin desannées 1800 pour coloniser les pays africains, la permission de le fairen’a été demandée à personne. L’occupation fut méthodique et presque

182 Jean-Paul II, Message pour la XXXIVe Journée mondiale des communica-tions sociales, n°3, 27 mai 2000.

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totale malgré des résistances plus ou moins avérées. À la fin, lecompte était bon. Résignés, les africains ont accepté puis validé lanouvelle donne et vivre sous cette domination. De même, l’invasionnumérique des terroirs africains par des contenus télévisuels d’outre-mer, l’entrée des innovations technologiques de communication et del’information interviennent dans un contexte où l’Africain dans lasuite des autres terriens se retrouve une fois de plus pris de cours parun phénomène qui rappelle à s’y méprendre la colonisation.

Comme autrefois, les familles de Dibi sont résignées face àl’ampleur des mutations sociales de la colonisation numérique. Plu-sieurs familles, précisément dans la zone kirdi, ont baissé les bras,laissant faire, laissant se déployer et prospérer les nouveaux compor-tements nés de la socialisation numérique. Lorsque Moussa, tout abat-tu, dit qu’« on va faire alors comment » 183, il reconnait par-là que lesdés sont jetés et que l’on arrête pas le progrès. Ceci dit, il faut vivreavec l’ère numérique et s’y adapter. La prise en compte de la nouvelleréalité se veut alors une sorte de suivisme de cette modernité qui em-porte avec elle ce sur quoi les communautés ont fondé leur existence.C’est ainsi que le pape Jean-Paul II, en soulignant la face hideuse dela mondialisation véhiculée par la puissance médiatique internationaleenvers les peuples dans leur diversité comme « un flot destructeur quimenace les normes sociales qui ont protégé ces populations et lespoints de référence culturels qui leur ont donné une orientation dansla vie » 184.

V-2-2- Interruption volontairede grossesse et infanticide

Dans les traditions musulmanes et chrétiennes, le mariage estl’unique cadre dans lequel la consommation sexuelle est autorisée. Dece fait, toute jeune fille doit conserver sa virginité jusqu’au jour de lanoce. Dans cette zone rurale, la virginité est La seule valeurd’échange, un capital rentable que l’on peut convertir en une dot éle-

183 Entretien op.cit.,184 Jean-Paul II, Discours à l’Académie pontificale des sciences sociales, n° 3,

27/04/2001.

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vée. La virginité d’une jeune fille est synonyme de bonne éducation,indice d’honorabilité d’une famille, fierté d’une communité. Lors desdifférentes phases de la socialisation primaire, les filles sont invitées àpréserver son intégrité hyménale, véritable capital social.

Depuis un certain temps, de nombreuses jeunes filles perdent cethymen sacré lors des relations hors mariage au terme desquelles desgrossesses sont enregistrées. Cet acte d’humiliation, de honte,d’impiété de manque de semteende est intolérable dans certaines fa-milles. D’une part, elle traduit l’échec d’une mère, d’une famille dansl’éducation des enfants et constitue une perte significative en termesde compensations matrimoniales. Les interventions post IVG indi-quées par les agents de santé du CMA trahissent des pratiquesd’avortements clandestins soit sur injonctions de la famille ou sur ini-tiative personnelle de la jeune fille. Par ailleurs, et plus grave encore,Touba, tâcheron kirdi, de temps à autre employé dans certaines con-cessions déclare « des gens cachent des petites tombes dans leurssa’arés. J’en ai vu, moi-même de mes propres yeux. Les jeunes fillesqui accouchent à la maison se débarrassent souvent des bébés » 185,mort-nés ou tués à la naissance, ces précisions ne nous ont pas étédonnées. Le crédit accordé à cette donnée primaire réside dans la mul-tiplicité des sollicitations des soins infirmiers à domicile au lieu de serendre au centre. Un tel comportement dissimulerait-elle des pratiquesqui consisteraient à ne pas ébruiter les nouvelles d’une virginité per-due à cause des pratiques du zina et par-là rompre certainement desnégociations matrimoniales en cours ? Des enquêtes plus pointues etciblées pourraient répondre à ces interrogations.

Au regard de la valeur capitale de l’hymen dans la notoriété etl’honorabilité des familles et de sa valeur marchande, certains parentssont prêts à tout pour préserver la dignité familiale en essayant de re-construire une certaine virginité à leurs filles.

185 Entretien op.cit.,

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V-2-3- Confiscation des outils et privation

Dans l’intention de réduire la consommation des NTIC par lesjeunes et les enfants, certains parents de Dibi ont simplement décidéde confisquer complètement les outils qui étaient à leur disposition.Ayant constaté que les enfants passaient plus de temps à la manipula-tion, au visionnage des films et autres télénovelas, certains parents ontdécidé de bloquer, d’interdire à leurs descendants l’accès aux NTIC.Ces décisions qui peuvent être applicables à la maison à partir des ou-tils du foyer mais, il est moins sûr que le parent peut contrôler son en-fant dans ses déplacements journaliers.

Ce raisonnement tient de l’idée selon laquelle couper l’enfant decette socialisation par les médias l’éloignerait des déviances y rela-tives. Bengaï, grand consommateur d’outils technologiques, est l’unde ces parents qui militent en faveur de cette approche. Il déclareavoir confisqué les téléphones de ses fils ainés pour la durée desclasses dans le but de leur éviter les distractions y relatives. Toujoursdans sa même logique, il avoue aussi qu’il contrôle les contenus deleurs téléphones s’ils respectent le pacte de bonne utilisation signéavec eux. Cette réaction parentale ne peut être efficace que si les géni-teurs conduisent les enfants dans un processus de dialogue,d’accompagnement et de pédagogie qui mettent les enfants au centrede leurs usages de communication en termes de responsabilité,d’utilisation propre et éthique.

V-2-4- Vidéo surveillance et exclusion familiale

Tous les moyens sont bons pourvu qu’ils soient efficaces, pensaitle littéraire. Il s’agit ici de se rendre compte que la gestion d’une crisequi vous prend de cours n’est pas chose aisée. Des différentes ma-nières éparses et dispersées pour juguler les dynamiques liées à laconsommation médiatique montre l’embarras dans lequel les diffé-rents agents du contrôle social empêtrés.

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C’est dans cette gestion des incertitudes qu’un certain nombre deparents ont doté leurs femmes de téléphones multifonctionnels afin decontrôler à tout moment la vie au foyer à travers des appels vidéo.Ainsi, le chef de famille est alors certain que les membres de sa fa-mille vivent selon ses directives. Cette stratégie innovante du contrôleparental et conjugal s’appuie sur les outils qui ont fait un peu désordreici.

De même, certaines filles s’étant émancipées et menant une vie« de débauche » sont exclues ou tout carrément reniées, bannies parleurs parents. Sakinatou, jeune femme célibataire émancipée avoueavoir été chassée du toit maternel et vit actuellement chez sa coépousede sa mère. Des cas de ce genre deviennent de plus en plus fréquent.Certaines filles sont obligées de migrer vers d’autres localités pourfuir et la pression familiale et le regard de la communauté.

V-3. RÉPONSES INDIVIDUELLES

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Étant donné qu’une coordination générale en termes d’organisationde luttes contre les dérives des usages des NTIC, des initiatives per-sonnelles émergent aussi, chacun à sa manière, avec ses moyens etson génie pour manifester à sa manière, son refus des comportementsdéviants. Lors de nos investigations, nous avons noté des réactionsallant dans le sens de la réclusion de soi pour un usage au strict mini-mum des NTIC, pour d’autres, un renforcement de la foi seraitl’idoine solution.

V-3-1- Rejet et réclusion de soi face aux NTIC

Un adage fort de tous renseigne à suffire que celui qui ne veut pasfaire de cauchemars doit éviter de s’endormir. C’est dans la logique decette sagesse populaire que certains individus appliquent pour mar-quer leur refuser d’être colonisé par les flux médiatiques. Mieux vautne pas savoir ce qui s’y passe pour n’en être pas exposé à cette « cor-ruption ». Fadi matou, mère au foyer souligne ne pas aimer ces

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« choses-là » et déclare :« moi j’utilise le téléphone pour uniquementpour recevoir et passer des appels, pour le reste, je suis plus là »186.Ousmanou, jeune homme habitant la périphérie, l’œil avisé, nous dit« quand je vois comment certains frères se comporter mal ici, avecces choses-là, moi j’ai décidé ne pas m’en approcher »187. Des ten-dances à cette réclusion qui nous renseignent sur une certaine inquié-tude et méfiance des paysans face au coupable déclaré qui provoquedes changements dans leurs pratiques traditionnelles.

La rumeur joue un mode de transmission très rapide des informa-tions émises par un individu et auxquelles certaines personnes accor-dent du crédit. Pour se soustraire et certainement tenter de découragerles multiples usagers des téléphones multifonctionnels certainesfemmes, Fadimatou, Soumayata et Néné pensent que « les téléphonesà écran tactile fonctionnent avec le sang des utilisateurs et que celui-ci est utilisé par le fabricants pour des pratiques » 188. « Les usagersde ce type d’outils courraient alors un danger certain car, l’hommeblanc est très malin », ajoute Néné.

V-3-2- Usage religieux des NTICet renforcement de la foi

L’homme a toujours eu recours à la divinité lorsqu’il se retrouveface à des situations complexes, à des problèmes de vie. Face à ce quele Djaouro a considéré un jour comme une « malédiction » lors d’unerencontre pour comprendre le phénomène de grossesse précoce, larecherche de la miséricorde divine apparait comme l’ultime solutionau problème. « C’est Allah seulement qui résoudre ce problème, nousle lui confions » 189, se résout Moussa. La prière pour un retour auxcomportements qui respectent la morale religieuse devient l’issue se-cours pour éloigner l’individu des usages nocifs des NTIC. La prièreégalement pour rompre dans les cœurs des gens les liens de servitudeet d’obéissance à ce nouveau maitre qu’est la technologie numérique.

186 Entretien réalisé par Hamidou op.cit.,187 Entretien réalisé par Waffo Hermine op.cit.,188 Ibid.,189 Entretien op.cit.,

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En somme, face aux dynamiques des forces du changement à tra-vers les usages des outils NTIC, un certain nombre d’actions sont me-nées en vue de s’y opposer. Il nous a été permis de noter des actionsde sensibilisation des forces religieuses pour un réinvestissement de ladoctrine et de la prière dans le but de recadrer les déviants. Les effortsconjoints des deux modes de contrôle social relevés permettent de ju-guler la dérive insécuritaire. Au sein des familles, la ripostes’appuyant sur des sanctions violentes ou molles se met en place.Même des individus isolés se positionnent pour remettre la balle aucentre du village. La prise de conscience des menaces de certainsusages des NTIC sur le mode de vie des paysanneries de Dibi est ef-fective mais les stratégies des acteurs leur permettent-elles un retour àdes usages plus « propres » ? Des résultats obtenus leur sont-ils satis-faisants ? nous ne pouvons pas y répondre car, les données recueilliesne nous le permettent pas.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

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En définitive, il a été question pour nous dans ce parcourt réflexifqui se veut une approche scientifique qui saisit la problématique desusages des nouvelles technologies communicatives et informatives enliaison avec le contrôle social dans le monde rural. Comme il est detradition à cet effet, nous nous sommes appuyé sur un sujet intitulé :« Contrôle Social informel et Démocratisation des Nouvelles Tech-nologies de l’Information et de la Communication dans les Paysan-neries peule et Kirdi du Canton de Dibi-Adamaoua » qui s’intègredans la sociologie rurale tout en analysant les dynamiques socio-culturelles induites de la consommation des outils et produits numé-riques par des populations rurales issues des groupes ethniques encoreancrés dans leurs traditions ancestrales. Depuis précisément les années80 avec les images animées télévisuelles, les années 2000 avec lesantennes paraboliques et les téléphones portables puis tout récemmentdes téléphones multifonctions, les ordinateurs et surtout Internet, lemédium des médias envahissent toutes les contrées tant urbaines querurales créant ainsi des communautés d’utilisateurs et de consomma-teurs. Tout cela a suscité en nous un certain nombre d’interrogationsqui ont excité notre curiosité intellectuelle, objet de cette recherche.

En effet, nous avons exprimé notre question de recherche de lamanière suivante : quelles sont les dynamiques socio-culturelles in-duites par la démocratisation des NTIC sur les modes de vie des pay-sanneries peule et Kirdi de la zone de Dibi par rapport au contrôle so-cial informel ? L’hypothèse que nous avions émise, inhérente à notrequestion de recherche s’articule comme suit : La massification del’usage des outils technologiques et de la consommation des produits

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culturels y relatifs créeraient des dynamiques au sein des modèles etmodes de vie paysans pouvant mettre à rude épreuve le contrôle socialpar les pairs, la famille et la communauté toute entière. Ce parcourtréflexif s’est assigné des missions en termes d’objectif, celuid’observer des attitudes émergentes et ou décadentes, mesurer les ni-veaux d’émancipation des cadets sociaux, et enfin rendre compte desréponses populaires face aux usages malveillants des NTIC au sein deleur communauté.

Pour booster scientifiquement notre recherche et inscrire celle-cidans les canons de la méthodologie sociologique et assurer par-làla vérification de nos hypothèses, nous prenons appui sur deux pro-grammes de recherche à savoir la théorie des pratiques de ThéodoreSchatzki et surtout l’individualisme méthodologique de RaymondBoudon. La convocation de ces théories nous a permis de mettre enévidence l’appropriation des outils NTIC, la consommation des con-tenus et des différents usages que l’on en fait au sein de cette grandecommunauté rurale scindée en deux sous-groupes Peul et Kirdicomme un espace de confrontation de plusieurs types de socialisation.L’enquête de terrain s’est appuyée sur la recherche documentaire, lesfocus group, les entretiens et l’observation directe, quatre outils decollecte des données ayant contribué à l’émergence des résultats selonlesquels la socialisation additionnelle, instruite par le groupe de réfé-rence, véhiculée par les médias multifonctionnels et interactifs créedes dynamiques socio-culturelles qui mettent en mal le contrôle socialinformel des individus au sein de leur espace de vie. L’agrégation deces comportements déviants tend à reconfigurer littéralement le mo-dèle de vie traditionnel en y introduisant une nouvelle donne qui im-porte et installe les modèles des groupes de référence. Par ailleurs, cetravail nous a permis de comprendre certains aspects des mutationssociales en présence d’une innovation d’une part ainsi quel’émergence des clivages entre les adeptes de l’innovation ou réfor-mistes et ceux qui en sont contre, les traditionalistes. Les différentesréactions populaires apparaissent comme des essais de reprise en mainde la situation qui à défaut de l’éradiquer peuvent permettre de la ca-naliser.

Au demeurant, cette production intellectuelle nous a permis decerner l’imbrication de plusieurs modes de socialisation dans une ap-proche conflictuelle car, professant et distillant des valeurs et normes

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diamétralement opposées, et de même observer le déploiement de lamondialisation au sein des communautés locales et les différentes in-fluences et paradoxes qu’elle draine. Le modèle patriarcal en vigueurici voit en cette vague déferlante de valeurs nouvelles une pousséeémancipatrice de ses cadets sociaux. Ces derniers trouvant en ces ou-tils ses alliés leur permettant de se déployer de manière sous-marineau sein du tissu social et par-là exploiter des zones d’incertitude quis’offrent à eux. Curieux phénomène à la fois renversant et opportunqu’est la démocratisation des NTIC, qui rend en un temps très réduitet sans conflit intergénérationnel, des cadets sociaux en personnes res-sources dans un nouveau schéma socialisant que nous appelons ici, àla suite de nos devanciers, la socialisation ascendante. De l’autre côté,la femme, autrefois confinée dans des sa’arés et sous un accoutrementqui décourage tout œil indiscret, à se rendre compte du pouvoir de sé-duction d’un corps de femme mi- exposé, des attraits d’une voix suaveadressée à un correspondant lors d’un échange téléphonique dans unlieu public. Des détails, même à petite échelle, qui renseignent à suf-fire qu’une dynamique est en branle avec pour facteur structurant etrestructurant, l’avènement des NTIC.

Socialisés primairement aux valeurs de la pulanité et à celles de lalabinité, les membres de la communauté de Dibi s’attendent par là àune reproduction de leur mode de vie, de leur identité. D’ailleurs, il ena été ainsi depuis plusieurs générations. Ces valeurs, normes et cou-tumes qui en leur temps ont entretenu une certaine cohésion socialefaisant un peu une singularité en termes d’identité. Aujourd’h²ui, sé-duits et recrutés par les outils de la modernité technologique, ils im-portent par-là des manières de faire de penser et de sentir des autres,civilisations aux mœurs et coutumes qui conduisent à un mélange me-naçant d’y installer une culture hybride.

L’analyse des dynamiques socio-culturelles à partir de l’adoptiond’une innovation adoptée par une population nous a permis de com-prendre certaines phases des changements sociétaux dont les peuplesafricains ont traversé et font encore face aujourd’hui. Le processus dedissonance cognitive que de telles importations déclenchent permet-tent de revisiter les comportements des africains dans leurs rapportsavec les forces endogènes depuis le commerce transsaharien desarabes jusqu’à nos jours en passant par la colonisation. Ces tensionsinduites entre ce qu’est l’Africain dans son essence et ce qu’il voit

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faire ailleurs reconfigurent le tissu social au fil des temps. LorsqueGeorges Balandier évoquait en son temps les rapports entre les « dy-namiques du dedans » et « du dehors », comme conséquence de lamise en mouvement des sociétés humaines, difficile devait être laprise d’un engagement de nature à soutenir que les mêmes ingrédientsproduiront une nouvelle soupe aujourd’hui.

Ce travail nous a permis aussi de se rendre à l’évidence des conflitsde génération qui jonchent l’histoire des peuples. N’hésitant toujourspas de réécrire l’histoire à leur propre compte, à travers les nouvellesplumes de leur époque, les jeunes générations déplacent et reposition-nent toujours les bornes du vécu social confirmant ainsi le caractèrefluctuant des sociétés humaines. Face à des outils technologiques dontils manœuvrent de plus en plus aisément, la nouvelle génération de-vient plus compétente dans un domaine crucial de la vie moderne quele groupe socialisateur. Ce dernier est alors obligé de s’arrimer ens’inscrivant à l’école de ces nouvelles personnes ressources, devenussocialisés/socialisateurs. Que devient alors la paysannerie patriarcalelorsqu’elle se retrouve constituée de deux pôles de savoirs notammentl’ancestralité des gardiens des traditions, des ainés d’âge retro-socialisés et la modernité des cadets sociaux ? Comment concilier ausein de la ruralité traditionnelle africaine une certaine cohésion socialeentre les envies de rupture et les desseins de modernité en termes desatisfaction des désirs individuels et la vie communautaire, la surviedu groupe souche dans sa logique de conserver ce modèle qui leur apermis de construire ce qu’ils sont aujourd’hui ?

Les dynamiques socio-culturelles qui émergent ici ne constituent, àun certain niveau de compréhension, qu’une résurrection du passé. Al’instar des autres innovations exogènes d’antan comme l’école ouencore la monnaie, les paysanneries traditionnelles ont toujours ététraversées par des vents nouveaux. Ainsi, loin de jeter l’éponge et des’avouer vaincus, les peuples africains de tout temps ont toujours réa-gi. Des réactions qui, somme toute, conduisent à des orientations plusou moins maitrisées. Qu’elles soient violentes ou molles, voire modé-rées, à échelle individuelle ou collective, celles-ci agissent comme untampon, un garrot s’évertuant à stopper la saignée. Mais alors, où pla-cer le garrot en cas d’hémorragie cérébrale ? Malgré les difficultés dereprise en main du devenir de ses membres, de la conservation du pa-trimoine immatériel, la résilience sociale redouble d’ingéniosité pour

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conserver au moins un minimum d’eux-mêmes dans ce conflit entre lelocal et le global, l’individuel et le collectif, le traditionnel et le mo-derne.

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- MILLERAND, F., « Usages des NTIC : les approches de la diffusion, del’innovation et de l’appropriation », Les Editions électroniques Commposite.org,1998.

- RONDEAU, J. C., « L’impact des NTIC sur la famille, l’école et leséglises » sur le site http ://agora.qc.ca.1997.

- SOURY-LIGIER, F., « Parle petit, la télé t’écoute ! ». Le rôle de la télévisiondans le langage des jeunes à l’école maternelle, L’Harmattan Paris, 2002.

- STEIBIG, J., DEVERIN, Y., « L’appropriation des TIC par les diasporas :Analyse des répercussions potentielles dans les pays d’origine », NEETCOM, vol.22, n° 1-2, et NEDSUDS, vol. 3, 2008, p. 128.

- SIRIGU, A., « Les vertus du commérage », in journal Le Monde Science etTechno, 30/08/2012.

- SOUDAN, F., « A la découverte de la planète peule », in Jeune Afrique,18/03/2013.

5- Mémoires et thèses

- BANA BARKA, « Le Grand-Nord dans le miroir de ses poètes et écrivains :Essai d’imagologie littéraire », Mémoire de DEA, Université de Ngaoundéré,2002. www.camerfeeling.fr.fo

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- HATOLONG BOHO, Z., « Les séries télévisées latino-américaines et leurimpact socio-culturel au Cameroun », mémoire présenté 2015, p.1.www.revistaelectronicalenguaje.comconsulté le 25/06/2017.

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6- Rapports d’activités et documents d’archives

- BIYA, P., Discours prononcé face à la représentation diplomatique, Yaoun-dé, 8/01/2015.

Conseil pontifical pour les communications sociales, Ethiques dans les communi-cations sociales, Vatican, n° 5, 04/06/2000.

- JEAN-PAUL II, Discours à l’Académie pontificale des sciences sociales, n° 3.27/04/2001.

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- MINJEC, « Référentiel national d’éducation civique et d’intégration natio-nale »,2015, p 4.

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- Dictionnaire des villages de l’Adamaoua, Division des études géogra-phiques, ONAREST, 1974, p. 16.

7- Webographie

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- Hindou Oumarou Ibrahim, « La fille autochtone du Tchad », article en ligne,consulté le 28/08/2017.https ://scienceetbiencommun.pressbooks.pub

- Ninga Songo, « Le rite d’initiation « Labi » chez les Gbaya », article en ligne,https ://www.cameroonweb.com, consulté le 8/08/2017.

- Eduscol, Fiche 1.2 : De la socialisation de l’enfant à la socialisation de l’adulte :continuité ou ruptures ? consulté en ligne le 23/10/2017.www.cache.media.eduscol.education.fr.

- Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue fran-çaise, 2001.

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ANNEXES

TABLE DES MATIÈRES

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DédicaceRemerciementsSommaireRésumé / abstractSigles et acronymesTable des illustrations

Introduction générale

I. ProblèmeII. ProblématiqueIII. Question de rechercheIV. ObjectifsV. Hypothèses de rechercheVI. Méthodologie

1. Cadre théoriquea) La théorie des pratiquesb) L’individualisme méthodologique de Raymond Boudon

2. Cadre pratique : les outils et les méthodes de collecte de donnéesa) Outils de collecte des données

- La recherche documentaire- L’observation directe- L’entretien semi-direct- Les focus group

b) Méthode de collecte des données- Sélection d’une technique d’échantillonnage et taille de

l’échantillon- Technique d’échantillonnage

3. L’analyse de contenu

VII. Revue de la littérature

VIII. Intérêts de l’étude

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IX. Difficultés rencontrées

X. Approche conceptuelle

1. Contrôle social2. Contrôle social informel3. Démocratisation4. Paysannerie5. NTIC6. Peul7. Kirdi

XI. Plan du travail

PREMIÈRE PARTIE.

Description de la zone d’étude, socialisation et contrôle social informelet processus d’androïdisation du canton de Dibi

Chapitre I. Présentation de la zone d’étude

1. Cadre physique de l’étude1-1. Relief et sols

1-1-1. Relief1-1-2. Sols

1-2. Climat et hydrographie1-2-1. Climat1-2-2. Hydrographie

1-2-2-1. Les cours d’eau1-2-2-2. Les lacs de cratère

1-3. Faune et flore1-3-1. Faune locale1-3-2. Faune terrestre et aviaire1-3-3. Faune aquatique1-3-4. Flore cantonale1-3-5. Végétation1-3-6. Boisement

2. Cadre humain2-1. Occupation du site

2-1-1. Occupation peule2-1-2. Arrivée des populations allogènes

2-2. Culture et organisation socio-politique du canton2-2-1. Caractéristiques ethnoculturelles du canton2-2-2. Configuration ethnique

2-2-2-1. Les Peuls

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2-2-2-2. Les Gbaya2-2-2-3. Autres groupes ethniques

2-2-3. Cohabitation et le vivre ensemble2-2-4. Démographie et habitat

2-2-4-1. Démographie2-2-4-2. Habitat

2-2-5. Manifestations culturelles et pratiques religieuses2-2-5-1. Manifestations culturelles2-2-5-2. Pratiques religieuses

2-3. Organisation sociale politique2-3-1. Organisation sociale

2-3-1-1. De la formation des familles2-3-1-2. Mouvement associatif2-3-1-3. Appuis extérieurs

2-3-2. Organisation politique

3. Les activités économiques3-1. Agriculture3-2. Élevage3-3. Commerce

3-3-1. Commerce formel3-3-2. Commerce informel

3-3-2-1. Marchés hebdomadaires- Marché à l’étalage- Marché à bétail

3-4. Ecotourisme3-5. Apiculture3-6. Micro entreprise locale3-7. Activité commerciale numérique

Chapitre II. État des lieux de la socialisation et du contrôle social informel dans lecanton de Dibi

1. Socialisation primaire et construction des identités1-1. Enfant, une table rase1-2. Socialisation : transmission de l’habitus de classe1-3. Une socialisation primaire plurielle

1-3-1. Rôle des groupes de pairs1-3-2. Rôle du père dans la socialisation chez les Peuls1-3-3. Rôle de la mère dans le processus de socialisation des enfants

2. Normes et valeurs véhiculées : la pulanité et la labinité2-1. Le pulaaku chez les Peuls

2-1-1. Les principes de base du pulaaku2-2. La labinité chez Gbaya

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2-2-1. Les principes de la labinité

3. Socialisation secondaire3-1. La socialisation par frottement3-2. La socialisation par des associations3-3. La socialisation par les médias

4. État des lieux du contrôle social informel à Dibi4-1. Formes de contrôle social informel

4-1-1. Contrôle social externe4-1-2. Contrôle social interne

4-2. Agents du contrôle social informel4-2-1. Contrôle social informel au sein de la communauté cantonale4-2-2. Contrôle social informel en famille4-2-3. Contrôle social informel au sein des communautés religieuses

5. Mécanismes d’expression du contrôle social informel5-1. Le phénomène de la stigmatisation réflexive5-2. Les regards5-3. Le commérage

Chapitre III. Processus d’androïdisation du canton

1. Processus de diffusion des NTIC dans le canton de DIBI1-1. La radio1-2. La télévision1-3. La vidéographie1-4. La téléphonie mobile1-5. Internet1-6. Les réseaux sociaux1-7. Le centre de formation à l’usage des outils NTIC

2. Usages des outils NTIC2-1. Approches théoriques des usages

2-1-1. La sociologie des usages2-1-2. La sociologie de l’innovation

2-2. Utilisation et usages sociaux des outils NTIC dans le canton de Dibi2-2-1. NTIC comme outils d’information et d’accès au monde2-2-2. NTIC, comme outils de communication et de création des

liens sociaux2-2-3. NTIC, comme outils de loisirs, de divertissement2-2-4. NTIC, comme outils de pouvoir symbolique, économique et

social3. Indices de démocratisation des NTIC au sein du canton de DIBI

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DEUXIÈME PARTIE.

Dynamiques socio-culturelles et réactions populairesaux impacts des usages des NTIC

CHAPITRE IV. Sociologie des dynamiques socio-culturelles

1. Dynamiques individuelles1-1. Mutations ascendantes

1-1-1. Montée de l’individualisme1-1-2. Montée d’un climat d’insécurité1-1-3. Emancipation au féminin1-1-4. Affaiblissement du contrôle parental1-1-5. Amélioration de la vie du couple1-1-6. Montée du phénomène filles-mères1-1-7. Indices de libéralisation du marché sexuel

1-2. Mutations décadentes1-2-1. Mécanisme traditionnel de mise en union1-2-2. Cohésion intergénérationnelle1-2-3. Fragilisation des principes du pulaaku et de la labinité1-2-4. Solidarité et entraide1-2-5. Test de virginité

1-3. Rejet du modèle paysan

2. Dynamiques collectives2-1. Naissance d’une communauté d’usagers2-2. Le virtuel et le réel : une communauté agissante

2-2-1. La socialisation en retour2-2-2. NTIC et relations intergénérationnelles2-2-3. NTIC et relations inter-genre

2-3. Fragilisation du contrôle social informel2-2-4. Emergence d’un mouvement social

Chapitre V. Réactions populaires face aux dynamiques socio-culturelles induitespar les usages des NTIC

1. Réponses collectives1-1. Du contrôle social informel à une approche mixte1-2. Sensibilisation des dignitaires1-3. Sensibilisation des fidèles musulmans1-4. Sensibilisation des fidèles chrétiens

2. Réponses familiales2-1. Résignation et réadaptation

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2-2. Interruption volontaire de grossesse et infanticide2-3. Confiscation des outils et privation2-4. Vidéo surveillance et exclusion familiale

3. Réponses individuelles3-1. Rejet et réclusion de soi face aux dangers des NTIC3-2. Usages religieux des NTIC et renforcement de la foi

ConclusionBibliographie indicativeAnnexes

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ANNEXE 2

GUIDE D’ENTRETIEN

Nous avons privilégié l’approche par les Items. Elle nous donne lalatitude de rebondir à tout moment face aux déclarations del’interviewé et nous évite un canevas qui entraverait la libre expres-sion des personnes ressources.

Ce guide a été administré à tous les enquêtés quel que soit le statut.

MODULE 1 : IDENTIFICATION DE L’INFORMATION

Nom et Prénom :…………………………………

Sexe : M ……… F ……..

Age ……

Situation matrimoniale :

Célibataire… Marié(e)... Divorcé ... Veuf(ve)…

Nombre d’enfants ………

Religion……………….

Activité ………………………………………...

MODULE II : DE L’ORIGINE DU VILLAGE DE DIBI

1- Que signifie Dibi ?

2- Depuis quand ce village existe-t-il ?

3- Comment l’avez-vous occupé ?

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4- Qui étaient les premiers habitants ?

5- Parlez-nous de la vie des premiers habitants.

MODULE III : DE LA GESTION DU VILLAGE

- Chefferie

- Collège des notables

- Statut des allogènes, leurs origines, leur intégration

- Gestion des tensions et des conflits

MODULE IV : ORGANISATION SOCIALE DU VILLAGE

- Vie associative

- Evénements culturels

- Différents groupe ethnique du village

- Evocation du vivre-ensemble

- Formation des familles

- Pratiques religieuses, culte, associations, vie religieuse, etc.

MODULE V : ORGANISATION POLITIQUE

- Gestion des hommes

- Type de chefferie

- Répartition du pouvoir local

MODULE VI : SOCIALISATION

- Education des enfants

- Modèle islamo-peul, rôle de chacun,

- Modèle kirdi (Gbaya), rôle de chacun

- Normes et valeurs de chaque communauté

- Formation et éducation des membres (autres modes de socialisation)

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MODULE VII : CONTROLE SOCIAL INFORMEL

- Agents du contrôle social,

- Moyens de contrôle des membres

- Mécanismes de mise en conformité

MODULE VIII : NTIC

- Historique des outils NTIC

- Types d’outils utilisés (quantité et nombre)

- Durée d’utilisation

- Ancienneté dans l’utilisation

- Raisons, utilité, intérêt, avantages de l’usage

- Mode de financement des outils NTIC et d’achat des forfaits

- Engouement au sein des communautés (enfants, jeunes, femmes,adultes)

- Regard des communautés

- Types de contenus, modes de drainage des contenus et des canauxusités

MODULE IX : DYNAMIQUES SOCIALES

- Comportements et attitudes observés (nouveaux et anciens)

- Nouveaux rapports avec les parents, les pairs, la communauté

- Problèmes créés dans l’usage des NTIC

MODULE X : REACTIONS FACE AUX USAGES

- Réponses de la communauté face aux comportements nouveaux

- Réponses des familles, des pairs et des individus.

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