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/ Corée du Nord : entre violence politique et stratégies militaires, application de la théorie du « Regime Survival » à un Etat totalitaire « Dans quelle mesure l’attitude et le programme nucléaire du régime nord-coréen sont-ils influencés par l’imbrication de dynamiques internes et de pressions externes au régime ? » Mémoire réalisé par Lauren Tatard LSPRI2900B Mémoire Promoteur : Elena Atanassova-Cornélis 2015-2016 Master en Relations Internationales à finalité diplomatie et résolution des conflits Références portfolio : n° 1 Adresse html : http://tinyurl.com/z97h6ax (voir point 2.3. du vade mecum portfolio) Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD)

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Corée du Nord : entre violence politique et stratégies militaires, application de la

théorie du « Regime Survival » à un Etat totalitaire

« Dans quelle mesure l’attitude et le programme nucléaire du régime nord-coréen sont-ils influencés par

l’imbrication de dynamiques internes et de pressions externes au régime ? »

Mémoire réalisé par

Lauren Tatard

LSPRI2900B – Mémoire

Promoteur : Elena Atanassova-Cornélis

2015-2016

Master en Relations Internationales à finalité diplomatie et résolution des conflits

Références portfolio : n° 1 Adresse html : http://tinyurl.com/z97h6ax (voir point 2.3. du vade mecum portfolio)

Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO)

Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD)

« Je déclare sur l’honneur que ce mémoire a été écrit de ma plume, sans avoir

sollicité d’aide extérieure illicite, qu’il n’est pas la reprise d’un travail présenté dans

une autre institution pour évaluation, et qu’il n’a jamais été publié, en tout ou en

partie. Toutes les informations (idées, phrases, graphes, cartes, tableaux, ...)

empruntées ou faisant référence à des sources primaires ou secondaires sont

référencées adéquatement selon la méthode universitaire en vigueur.

Je déclare avoir pris connaissance et adhérer au Code de déontologie pour les

étudiants en matière d'emprunts, de citations et d'exploitation de sources

diverses et savoir que le plagiat constitue une faute grave. »

Je tiens premièrement à remercier ma promotrice, Elena Atanassova-Cornélis, pour

la patience et le suivi dont elle a fait preuve à mon égard pendant ces deux années de

travail.

Je remercie également sincèrement ma famille ainsi que Mélanie, pour leur soutien

inconditionnel.

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 1

CHAPITRE I – « REGIME SURVIVAL » ET MOBILISATION DE TACTIQUES TERRORISTES :

STRATEGIES MULTIPLES D’UN REGIME DICTATORIAL TOTALITAIRE 5

A) « REGIME SURVIVAL » ET THEORIES MOBILISEES : CADRE THEORIQUE 6

QU’EST-CE QUE LE « REGIME SURVIVAL » OU STRATEGIE DE SURVIE POUR UN ETAT ? 6

« REGIME SURVIVAL »: STRATÉGIE DES ETATS EN DÉLIQUESCENCE? 8

THÉORIES MOBILISÉES : COMPLEXE RÉGIONAL DE SÉCURITÉ, ETAT TAMPON, DILEMME DE SÉCURITÉ,

SANCTUARISATION AGRESSIVE ET « REGIME SECURITY STRATEGY » 10

B) THEORIE DU « REGIME SURVIVAL » ET MOBILISATION DE PRATIQUES TERRORISTES PAR UN

ETAT : COMPLEMENTARITE DE CONCEPTS VECTEURS DE STABILITE POLITIQUE 12

LE TERRORISME COMME REPERTOIRE D’ACTION : MOBILISATION DE STRATEGIES TERRORISTES PAR UN

ETAT 12

C) UNE DICTATURE A DOMINANTE TOTALITAIRE : VIOLENCE POLITIQUE ET ROLE COERCITIF DE

L’ARMEE 15

DICTATURE TOTALITAIRE : CARACTERISTIQUES 16

STALINISME ET ROLE PREPONDERANT DE LA FORCE MILITAIRE ARMEE 16

CHAPITRE II – MANIFESTATIONS DES TACTIQUES DU « REGIME SURVIVAL » EN COREE DU

NORD : ENTRE SURVIE, STABILITE ET RESISTANCE 19

A) IDEOLOGIE DU JUCHE : INCARNATION NATIONALE DU « REGIME SURVIVAL » : ENTRE

TACTIQUES DEFENSIVES ET OFFENSIVES 20

L’IDEOLOGIE DU JUCHE 20

LES MOUVANCES DU REGIME : COMMUNISME ET CONFUCIANISME 22

« MILITARY-FIRST »: « THE PHILOSOPHY OF FIREARMS » 23

B) SYSTEME POLITICO-ADMINISTRATIF ET DECISIONNEL : ORGANISATION ET PERPETUATION

D’UNE HIERARCHIE 25

SURYONG: « « THE DIVIDE-AND-RULE » STRATEGY » 25

LE PROCESSUS DE TRANSITION HIERARCHIQUE 26

LE PIVOT CONSTITUTIONNEL 28

DISTRIBUTION DES COMPETENCES ET BUREAUCRATIE 28

C) ASPECTS PSYCHOLOGIQUES : DE LA MANIPULATION A LA PROPAGANDE, INSTAURATION ET

MAINTIEN D’UN CLIMAT DE TERREUR 33

PROPAGANDE : LA SOUMISSION POPULAIRE AUX DOGMES POLITIQUES 34

VIOLENCE PHYSIQUE ET RESTRICTION DES LIBERTES : « VIOLENT TOP-DOWN DOMINATION OF SOCIETY »

35

CHAPITRE III - RELATIONS EXTERIEURES : ENTRE CONFRONTATION, COMPETITION ET

CONCERTATION 41

A) CHINE : L’INSTABILITE RELATIONNELLE, ENTRE CONCERTATION ET DIVERGENCE 43

UNE RELATION CLIENTELISTE : LA CRAINTE CHINOISE D’UNE DESTABILISATION DU REGIME NORD-

COREEN 44

MILITARISATION ET ORIENTATION DE LA CHINE VERS UN MODELE ECONOMIQUE LIBERAL :

APPLICATION DU DILEMME DE SECURITE 46

B) ETATS-UNIS : LA CRAINTE DE L’INGERENCE AMERICAINE (DE GEORGE W. BUSH A BARACK

OBAMA) 49

LA RHETORIQUE NEO-CONSERVATRICE SOUS GEORGE W. BUSH ET SON IMPACT SUR LES RELATIONS

ENTRE LES DEUX PAYS 50

BARACK OBAMA : ENTRE PATIENCE ET SANCTIONS 53

C) COREE DU SUD : LES FRACTURES TERRITORIALES ET IDEOLOGIQUES 55

DIFFERENDS TERRITORIAUX ET IDEOLOGIQUES : UN OBSTACLE A L’ENTENTE 56

LES IMPACTS DE LA « SUNSHINE POLICY » SOUS KIM DAE-JUNG ET DE LA TRUSTPOLITK DE PARK

GEUN-HYE 58

LES RELATIONS ECONOMIQUES INTERCOREENNES 60

WASHINGTON, SEOUL ET TOKYO : INFLUENCE D’UNE TRIADE 61

CHAPITRE IV – ETUDES DE CAS PERIODIQUES : LA QUESTION NUCLEAIRE 67

A) NEGOCIER AVEC LE REGIME NORD-COREEN : DISSUASION NUCLEAIRE, « SANCTUARISATION

AGRESSIVE » ET THEORIE DE LA « REGIME SECURITY STRATEGY » 68

DISSUASION NUCLEAIRE ET « REGIME SECURITY STRATEGY » : INSCRIPTION DANS LA LOGIQUE DU

« REGIME SURVIVAL » 68

LES TACTIQUES DE NEGOCIATION NORD-COREENNES : « TALK TO ME, I MAY GO NUCLEAR » 69

LES MESURES ADOPTEES CONTRE PYONGYANG : L’IMPACT DES SANCTIONS 70

B) LE RETRAIT DE LA COREE DU NORD DU TRAITE SUR LA NON-PROLIFERATION DES ARMES

NUCLEAIRES EN 2003 ET LE DEVELOPPEMENT D’UN PROGRAMME NUCLEAIRE CLANDESTIN 72

1994 : SIGNATURE D’UN ACCORD-CADRE SOUS BILL CLINTON 72

LE RETRAIT NORD-COREEN DU TRAITE SUR LA NON-PROLIFERATION DES ARMES NUCLEAIRES 73

LE LANCEMENT DES POURPARLERS A SIX (SIX-PARTY TALKS) EN 2003 74

C) LES ESSAIS ATOMIQUES DE 2006 ET 2009 75

2006 : INTRODUCTION D’UNE DIMENSION INTERCONTINENTALE AVEC LE MISSILE TAEPODONG-2 75

LES ACCORDS DE PEKIN DE 2007 76

LE SECOND ESSAI NUCLEAIRE EN 2009 77

2016 : QUATRIEME ESSAI NUCLEAIRE ET NOUVELLES SANCTIONS 78

CONCLUSION 81

LES PROBABILITES D’UN « REGIME CHANGE » 82

BIBLIOGRAPHIE 85

INDEX DES ANNEXES 95

LISTE DES ACRONYMES 107

1

Introduction

La Corée du Nord suscite de nombreuses interrogations. A l’heure où le Traité sur la

Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) fait preuve d’un essoufflement

singulier, les régimes qui se dotent de l’arme nucléaire tout en participant à sa

prolifération, tendent à remettre profondément en question la législation

internationale sur le sujet. Par ailleurs, les enjeux liés au terrorisme et au

renforcement de certaines organisations comme l’Etat islamique, incitent à

s’interroger sur les liens entre la mobilisation de la terreur par des groupes armés non

étatique et la monopolisation de stratégies psychologiques par un Etat. Le régime

nord-coréen a suscité de nombreuses recherches et publications concernant les

enjeux du maintien d’un système totalitaire au sein d’une région en plein essor

économique, dont les mutations démocratiques sont d’ores et déjà observables en

Corée du Sud. Au cœur des dilemmes et enjeux d’Asie-Pacifique, la Corée du Nord

est au centre de nombreuses théories concernant un éventuel effondrement ou

changement de régime, questionnant notamment le rôle des aides financières et

humanitaires dans le maintien d’un système dictatorial totalitaire.

Considéré bien souvent comme un Etat ermite aux politiques mystérieuses, la partie

Nord de la péninsule coréenne est particulièrement concernée par les enjeux

concernant la contre-prolifération nucléaire. Mobilisant des tactiques agressives liées

aux pratiques de chantage, le régime adopte une véritable posture de survie sur la

scène internationale, en tentant de préserver une situation domestique sujette à

l’instabilité tout en minimisant les influences extérieures sur son territoire. Ainsi, de

la violence politique à ses stratégies militaires, les dynamiques de survie structurent

les politiques nord-coréennes. Ces dernières se traduisent au sein de la société ainsi

qu’au niveau des relations extérieures entretenues par le régime. Afin de saisir

l’ampleur de ces stratégies, il est fondamental d’en comprendre les causes. L’analyse

est ainsi destinée à observer l’impact des dynamiques internes et externes sur les

stratégies de survie de l’Etat nord-coréen, non pas en traitant ces deux dimensions

isolément, mais en les associant, dans une optique de complémentarité.

2

Le choix du sujet a été effectué en fonction d’un intérêt personnel conséquent pour

l’Asie-Pacifique et les dynamiques régionales y afférent. Par ailleurs, la région

constitue une véritable mise en application de certaines théories liées aux relations

internationales, comme le dilemme de sécurité ou le complexe régional de sécurité.

L’Asie-Pacifique permet ainsi d’illustrer ces concepts. En termes de réalisation, ce

travail n’a rencontré aucun obstacle majeur, si ce n’est le peu de documents

gouvernementaux nord-coréens disponibles, étant donné les difficultés à se procurer

de telles sources. Ainsi, l’analyse s’est majoritairement appuyée sur des sources

secondaires. Les articles et publications scientifiques ont constitué le socle majeur du

travail, étant donné l’abondance de ces derniers sur le régime nord-coréen et sur la

problématique de la nucléarisation en Asie-Pacifique. Par ailleurs, la théorie du

« regime survival » ayant fait l’objet d’une multitude de publications, les ressources

scientifiques ont donc constitué la source majeure d’informations, tout comme les

ouvrages et monographies. Enfin, le travail est également basé sur des revues

scientifiques ainsi que sur des articles de presse.

Par ailleurs, cette analyse sera agrémentée d’études de cas sur la question nucléaire

nord-coréenne. Le choix de cette méthodologie est à mettre en lien avec le sujet ainsi

que la problématique du travail. En effet, une telle méthodologie permettra

d’exemplifier l’intersection de dynamiques internes et externes au régime. Cette

dernière est en effet constitutive des stratégies nord-coréennes. L’analyse sera donc

illustrée par deux études de cas principales. La première sera articulée autour du

retrait nord-coréen du TNP et la seconde, autour des essais nucléaires de 2006 et

2009.

La période étudiée s’étend quant à elle de 1990 à 2016. Au départ, cette dernière était

plus étendue, néanmoins, afin de poursuivre un impératif de pertinence et de

précision, il est apparu plus judicieux de concentrer l’étude sur une période plus

restreinte qui permettra notamment d’étudier la problématique nucléaire.

3

« Homo homini lupus »1

« L’homme est un loup pour l’homme » : ainsi est décrite la nature humaine chez

Thomas Hobbes. Dans l’optique du philosophe, l’homme ne peut vivre en paix avec

ses semblables, étant donné la nécessité permanente de la survie individuelle. En

effet, pour Thomas Hobbes, l’existence d’un individu est tout ce qu’il possède. Ainsi,

il fera tout pour assurer sa survie. Cette perspective de la nature humaine mène à une

situation de guerre permanente, au sein de laquelle chacun lutte pour sa propre survie.

Cette théorie, par la suite appliquée aux Etats et aux relations internationales, réfère à

la citation latine « Bellum omnium contra omnes », à savoir « la guerre de tous contre

tous ». Ainsi, les Etats seraient voués à évoluer au sein d’une lutte perpétuelle, afin

d’assurer leur propre survie. Cette perspective relativement pessimiste, qui s’inscrit

dans un cadre d’analyse relativement réaliste des relations internationales, est à

mettre en lien avec la théorie principale du travail. En effet, le premier chapitre de

l’analyse sera articulé autour des dynamiques liées à la théorie du « regime survival ».

Considéré comme un petit Etat sur la scène internationale et ne disposant pas d’un

pouvoir économique et politique significatif, la Corée du Nord adopte une attitude de

survie politique, qui est au cœur des objectifs de tout Etat. En revanche, pour la

Corée du Nord, la survie revêt un aspect singulier, de par sa combinaison avec un

régime politique totalitaire et des tactiques empruntées aux mouvances terroristes.

Les stratégies de survie, influencées et causées par des dynamiques variées, seront au

cœur de l’analyse et mises en lien avec d’autres théories classiques des relations

internationales, comme le dilemme de sécurité et le complexe régional de sécurité.

Dans un second temps, la réflexion sera dirigée vers l’application des stratégies de

survie au régime nord-coréen, et donc à la manifestation de ces tactiques au sein de

l’Etat. Pour cela, le chapitre sera articulé autour de plusieurs aspects fondamentaux,

comme l’idéologie du Juche, le système politico-administratif nord-coréen et les

aspects liés à la violence physique et psychologique exercée sur les citoyens. Dans

un troisième temps, le travail se focalisera autour des relations extérieures de la

Corée du Nord.

1 « L’homme est un loup pour l’homme », Titus Maccius Plautus.

4

Cela permettra d’illustrer la manifestation des tactiques liées aux stratégies de survie

d’un Etat, au niveau des relations que ce dernier entretient avec son environnement

extérieur. A cet égard, le troisième chapitre étudiera les relations de la Corée du Nord

avec la Chine, les Etats-Unis et la Corée du Sud. Bien que les relations de

Pyongyang avec Moscou et Tokyo ne doivent pas être négligées, l’analyse se

focalisera sur les relations majeures que l’Etat nord-coréen entretient sur la scène

internationale, permettant ainsi d’articuler des dynamiques régionales avec les

influences extérieures à la région.

Dans un quatrième et dernier temps, les études de cas viendront appuyer la réflexion,

en illustrant l’articulation des causes internes et externes au régime, comme étant

constitutive de son attitude sur la scène internationale. A cet effet, la problématique

du nucléaire nord-coréen constituera une véritable démonstration pratique des

arguments précédemment énoncés. L’analyse sera également focalisée autour des

stratégies de négociation nord-coréennes, qui permettront de questionner la

pertinence des sanctions face à des régimes totalitaires. L’imbrication de ces quatre

aspects permettra de répondre à la problématique principale du travail, en mettant en

lumière le rôle des dynamiques internes et externes au régime sur l’attitude de la

Corée du Nord.

5

Chapitre I – « Regime survival » et mobilisation de tactiques terroristes :

stratégies multiples d’un régime dictatorial totalitaire

Afin d’analyser et de comprendre les origines des stratégies politiques mobilisées par

le régime nord-coréen ainsi que le rôle joué par les dynamiques internes et externes

sur l’attitude du régime, il est essentiel de s’interroger sur le concept de survie d’un

Etat, plus connu sous le nom de « regime survival theory ». Sur la scène

internationale et ce quel que soit l’optique que l’on adopte, qu’elle soit réaliste,

libérale ou encore constructiviste, les Etats jouent un rôle conséquent en tant

qu’entités du système mondial. Passant d’un système bipolaire pendant la Guerre

froide à un système multipolaire qui prédomine de nos jours, les Etats ont dû

s’adapter aux reconfigurations des lignes de force structurant l’espace international.

En s’adaptant à ces changements qui reconfigurent les alliances, les Etats prennent

nécessairement en compte les enjeux liés à leur survie. Quel que soit le régime

politique caractérisant une entité étatique, les dynamiques de survie viennent

toujours s’introduire au sein des stratégies politiques mobilisées par les

gouvernements. Dans le cas nord-coréen, ces tactiques revêtent une certaine

singularité, car elles sont associées à un système dictatorial à dominante totalitaire.

Dans un premier temps, l’analyse se focalisera sur le concept de « regime survival »,

qui constitue l’aspect majeur de la réflexion. Par ailleurs, la réflexion reviendra sur la

notion de régime politique. Dans un second temps, le concept de « regime survival »

sera articulé avec les stratégies issues de mouvances et organisations terroristes. Cet

aspect permettra notamment de mettre en relief la nécessité d’analyser les stratégies

de survie d’un régime et certaines logiques d’actions terroristes comme étant des

outils complémentaires. Enfin, dans un troisième et dernier temps, la réflexion

s’intéressera à la nature politique du régime nord-coréen.

6

a) « Regime survival » et théories mobilisées : cadre théorique

Au sein de cette analyse, la notion de régime politique est à distancier des définitions

habituelles, ayant tendance à se focaliser sur des aspects relativement négatifs et

radicaux. La réflexion considère la notion de régime politique comme servant « à

rendre compte de la manière dont sont organisés les pouvoirs publics, c’est-à-dire

leur mode de désignation, leurs compétences respectives et les règles juridiques et

politiques qui gouvernent leurs rapports. » 2 Ainsi, le régime politique renvoie

majoritairement à l’organisation du pouvoir au sein d’une entité étatique et permet de

rendre compte des pratiques d’un Etat ainsi que de son organisation hiérarchique. Par

ailleurs, l’analyse associera le concept de régime politique à celui de système

politique, qui « inclut non seulement l’organisation constitutionnelle des gouvernants

mais aussi (...) le régime des partis, les libertés publiques et les médias. »3 Ce

concept plus global permettra, au-delà de l’aspect organisationnel, de focaliser

l’analyse sur des aspects plus particuliers du régime nord-coréen, comme les droits

de l’homme, la liberté de presse et les libertés individuelles. C’est dans cette optique

que la notion de « regime survival » s’inscrira. En effet, cette théorie viendra

compléter la notion de régime politique, en insistant sur une certaine organisation du

pouvoir en fonction de stratégies de survie. L’organisation hiérarchique en Corée du

Nord répond à certaines nécessités de stabilisation domestique, dans une optique de

survie du pouvoir et par extension, de l’Etat. Ainsi, en Corée du Nord, l’organisation

constitutionnelle et la distribution des compétences sont à mettre en lien avec la

mobilisation de stratégies de survie politique.

Qu’est-ce que le « regime survival » ou stratégie de survie pour un Etat ?

Le « regime survival » est un concept se basant majoritairement sur l’instinct d’auto-

préservation des Etats. Cette stratégie pousse un Etat dans ses retranchements,

lorsqu’il sent son existence menacée par des pressions domestiques ou extérieures

voire par une combinaison des deux.

2 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Dictionnaire de la

science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2010, 7me édition, p. 259. 3 Ibid.

7

La stratégie de survie d’un Etat se base sur une variété de tactiques, qui dépendent

directement de la nature politique du régime, mais également des menaces qu’il

perçoit comme étant dirigées contre son existence-même. Selon Jeffrey Pickering et

Emizet F. Kisangani, les rivalités stratégiques combinées aux crises du système

domestique ainsi qu’un environnement extérieur considéré comme hostile, sont les

causes majeures des stratégies de « regime survival » chez un Etat. 4 Ainsi, les

régimes mobilisant cette approche de survie construisent généralement leurs

tactiques au regard des évolutions internes et externes au territoire, estimant que

l’ouverture aux influences extérieures peut constituer un risque majeur de

vulnérabilité. « North Korea suffers from what may be called the « Trojan horse »

paranoia that keeps it from joining the world by opening its doors to the outside. »5

Au niveau externe, les stratégies de survie cherchent toujours à prouver que les

arguments soutenant qu’un régime est au bord de l’effondrement sont irréalistes. En

Corée du Nord, cette optique de survie a été renforcée depuis le début des années

1990, période symbolisant une crise alimentaire sans précédent dans l’histoire du

régime. « Since the 1990’s, the food crisis, the nuclear issue, and the resulting social

disintegration have threatened the regime’s political legitimacy, have partially

destroyed its social control and surveillance systems, and have weakened social

moral regulations. »6

Pour le régime, cette décennie sera le symbole de la survie, à travers ce qui sera

nommé « Konanui Haenggun » ou « Arduous March ». Cette période sera marquée

par les famines mais également par les échecs économiques et les tensions

diplomatiques avec les pays voisins, d’où la nécessité accrue de renforcer l’image

d’une nation forte. Cette stratégie de survie s’est donc fortement renforcée à la sortie

de la Guerre froide, qui a constitué pour la Corée du Nord, l’affaiblissement de son

allié idéologique et économique majeur, à savoir l’U.R.S.S.

4 PICKERING Jeffrey, KISANGANI Emizet F., « Diversionary despots? Comparing autocracies’

propensities to use and to benefit from military force », American Journal of Political Science, Vol.

54, No. 2, April 2010, Midwest Political Science Association, ISSN 0092-5853, p. 484. 5 KIHL Young Whan, « Staying in Power of the Socialist « Hermit Kingdom » », in KIHL Young

Whan, KIM Hong Nack, North Korea. The Politics of Regime Survival, New-York, East Gate Book,

2006, p. 20 6 KANG Jin Woong, « North Korea’s Militant Nationalism and People’s Everyday Lives: Past and

Present », Journal of Historical Sociology, Vol. 25, No. 1, March 2012 DOI: 10.1111/j.1467-

6443.2011.01408.x, p.25.

8

Ainsi que le souligne Raymond Tanter dans son ouvrage intitulé Rogue regimes,

Terrorism and proliferation, à propos de Cuba et de la Corée du Nord : « because

their rulers feel insecure without the Cold War safety net, the danger of political

implosion or military explosion has increased. »7 Cette attitude de survie politique

est par ailleurs perpétuellement renforcée par les perceptions d’infériorité chez un

Etat ainsi que par les dynamiques politiques et stratégiques liées à son

environnement extérieur. De telles attitudes ont par exemple été mobilisées par

l’Afrique du Sud, étant donné l’isolation du pays par la communauté internationale à

cause de l’Apartheid, introduit dès les années 1940 au sein du pays.

Dans le cas nord-coréen, il est donc nécessaire de prendre en compte les évolutions

de la péninsule coréenne et plus globalement, de l’Asie-Pacifique, afin de saisir

pleinement les causes des stratégies du régime. La présence militaire des Etats-Unis

dans la région, ainsi que le point de pression constitué par la zone démilitarisée entre

les deux Corées, sont des éléments qui contribuent également à renforcer les

perceptions coréennes d’un environnement extérieur dangereux. En revanche, cela

n’implique pas qu’un Etat faisant preuve d’une attitude de survie agisse de manière

irrationnelle. Bien au contraire, les dirigeants de ces entités étatiques effectuent des

calculs décisionnels qui sont majoritairement influencés par le sentiment qu’il faut

tout entreprendre pour se prémunir des menaces internes et externes. « When rogue

actors behave in order to avoid losses in either domestic or international affairs, it is

as if they were trapped in a basement of fear. To escape (...) leaders are willing to

take enormous risks. »8

« Regime survival »: stratégie des Etats en déliquescence?

En 2002, l’administration néoconservatrice de George W. Bush a placé la Corée du

Nord sur la liste des pays considérés comme faisant partie de l’« axe du mal »,

catégorisant le régime parmi les « Etats-voyous », dits « rogue States ». « Un « Etat

voyou » « se place hors du droit et de la morale « internationale », évoquant ainsi le

concept d’« Etat-brigand ». »9

7 TANTER Raymond, Rogue regimes, Terrorism and proliferation, New-York, St Martin’s Press,

1998, p. 14. 8 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 36. 9 HERMET Guy, BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, Op. Cit., p. 115.

9

Cette catégorie d’Etats est souvent associée à ce que l’on désigne comme « Etats

faillis » ou encore, en déliquescence. « Selon Anthony Lake, « les « États voyous »

ont des caractéristiques communes : ils sont contrôlés par des clans qui se

maintiennent au pouvoir par la force (...), ils violent les droits de l’homme, et se font

le siège de la promotion d’idéologies radicales (...) Ensuite, la « géopolitique de la

forteresse assiégée » ou le « complexe de Massada » qu’ils entretiennent, les conduit

à développer des programmes militaires ambitieux, reposant sur l’acquisition

d’armes de destruction massive. »10

Généralement, ces Etats considérés comme étant en déliquescence ont une tendance

plus accrue que les autres Etats à développer des armes nucléaires. Ainsi Matthew

Beasley note: « their lack of investment in the international system means that they

pay lower isolation costs for obtaining nuclear weapons. »11 Dans ce cas, les Etats

acceptent plus facilement les risques relatifs à leur survie face aux influences

extérieures mais également face aux pressions internes qui pourraient être

déstabilisatrices. Pour survivre, la Corée du Nord va donc ériger une dictature

nationaliste, mobilisant l’argument atomique comme levier d’action sur la scène

internationale. Cet aspect sera étudié plus précisément au sein du quatrième chapitre.

Néanmoins, la notion d’« Etat voyou » ou encore l’expression d’ « axe du mal » sont

à mobiliser avec grande prudence. En effet, elles ne font pas l’unanimité, souvent

dénoncées comme étant occidentalo-centrées. C’est le cas notamment dans l’ouvrage

de Noam Chomsky, intitulé L’occident terroriste : d’Hiroshima à la guerre des

drones.12 C’est une notion subjective qu’il faut donc nuancer afin d’éviter toute

tautologie.

10 GLUME Galia, « Etat voyou », Réseaux de recherche sur les opérations de paix, 2011,

http://www.operationspaix.net/52-resources/details-lexique/etat-voyou.html

11 BEASLEY Matthew, « Regime security theory: why do states with no clear strategic security

concerns obtain nuclear weapons? », Thesis of Department of Political Science, under the direction of

Lars Skalnes, Graduate school of the University of Oregon, September 2009, 159 p., p. 39. 12 CHOMSKY Noam, VITCHEK André, L’occident terroriste : d’Hiroshima à la guerre des drones,

Montréal, Ecosociété, 2015.

10

Théories mobilisées : complexe régional de sécurité, Etat tampon, dilemme de

sécurité, sanctuarisation agressive et « Regime Security Strategy »

Au-delà du concept de « regime survival », l’analyse mobilisera plusieurs approches

majeures, propres aux relations internationales. Ces approches permettront

d’analyser les relations de la Corée du Nord avec son environnement extérieur, tout

en permettant d’expliquer le rôle joué par le développement de l’arme nucléaire par

Pyongyang. La réflexion mobilisera notamment la notion de complexe régional de

sécurité ou « Regional Security Complex Theory », développée par Barry Buzan et

Ole Weaver. Ces derniers définissent le concept comme « un ensemble d’unités dont

les processus majeurs de sécurisation, de désécurisation ou des deux sont si

étroitement liés que les problèmes de sécurité ne peuvent être analysés

raisonnablement ou résolus sans tenir compte des autres unités. »13

Ainsi, au sein d’un complexe régional de sécurité, un pays ne peut résoudre ses

enjeux sécuritaires régionaux sans prendre en compte les interactions en présence au

sein de la zone géographique en question. Les puissances régionales ne peuvent alors

envisager leur sécurité ainsi que les enjeux auxquels elles font face, sans prendre en

considération leurs différents voisins et leurs préférences géopolitiques. Ainsi que

l’étudiera le troisième chapitre de l’analyse, ce concept est particulièrement pertinent

afin de décrire les dynamiques sécuritaires en Asie-Pacifique ainsi que les relations

entre les entités étatiques présentes. Par ailleurs, l’Etat nord-coréen constitue au sein

de la région, un Etat tampon. Ce concept, énoncé par Michael Greenfield Partem14,

fait référence à un petit Etat situé entre deux puissances plus influentes, mais surtout

potentiellement rivales. Au vu de sa frontière commune avec la Chine mais

également avec la Corée du Sud, Pyongyang s’inscrit donc dans cette logique, en

permettant à la Chine de se protéger contre l’influence américaine, étant donné les

troupes militaires américaines basées en Corée du Sud. Or, bien loin d’agir en tant

que puissance neutre, la Corée du Nord constitue également un vecteur

potentiellement déstabilisateur pour les puissances régionales. A cet égard, les deux

concepts précédents sont à relier à celui du dilemme de sécurité, qui sera également

fondamental afin d’étudier les relations extérieures de Pyongyang. C’est John H.

13 BUZAN Barry, WAEVER Ole, Regions and Powers. The structure of International Security,

Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 41. 14 GREENFIELD PARTEM Michael, « The Buffer System in International Relations », The Journal

of Conflict Resolution, Vol. 27, No. 1, Mars 1983, pp. 3-26.

11

Herz qui développe le premier le concept de dilemme de sécurité au sein de son

article intitulé « Idealist Internationalism and the Security Dilemma ». A propos de

ce concept, John H. Herz énonce: « Groups or individuals living in such a

constellation (security dilemma) must be, and usually are, concerned about their

security from being attacked, subjected, dominated, or annihilated by other groups

and individuals. Striving to attain security from such attack, they are driven to

acquire more and more power in order to escape the impact of the power of others. »

15 Ce qu’induit le concept, c’est majoritairement une compétition effrénée pour le

pouvoir et la sécurité, à la fois au niveau économique et au niveau stratégique, qui

mène généralement au phénomène de course à l’armement. « Faced with this

growing interdependence but also with the security dilemma, their attempted way-

out is to expand their individual power, economically (...) and strategically. »16 Le

dilemme de sécurité est à relier avec une autre théorie, celle de la « regime security

strategy. » Cette théorie tente de mettre en lumière les causes qui incitent les Etats

n’ayant pas de raison de craindre une attaque particulière à se doter de l’arme

nucléaire. Dans l’optique de cette théorie, les armes nucléaires servent à accroître les

chances de survie pour un régime.

« The logic of the regime security theory is that a domestic regime (…) may use

nuclear weapons not to deter attack (...) but to change the preferences of the great

powers such that it is in the interest of those powers that the regime survives. »17

Ainsi, cette théorie rejoint le concept de survie politique pour un Etat, en permettant

à une entité étatique de se doter d’une arme favorisant son poids sur la scène

internationale, sans pour autant que l’acquisition d’un tel levier de négociation puisse

être justifiée d’un point de vue sécuritaire. L’obtention de l’arme nucléaire comporte

par ailleurs le potentiel de développer des dynamiques de sanctuarisation agressive.

Ce concept renvoie notamment au « risque de voir des puissances régionales

déstabiliser leur voisinage à l’ombre de leur arsenal nucléaire. »18 La sanctuarisation

agressive en Asie-Pacifique implique la possibilité pour la Corée du Nord de gagner

en puissance, tout en affaiblissant les autres Etats de la région. Cette stratégie est

15 HERZ John H., HERZ John H., « Idealist Internationalism and the Security Dilemma », World

Politics, Vol. 2, No. 2, January 1950, p. 157. 16 Ibid., p. 173. 17 BEASLEY Matthew, Op.Cit., p. 18. 18 « Géopolitique du nucléaire », Diplomatie, Affaires stratégiques et relations internationales,

Octobre-Novembre 2013, No. 17, p. 12.

12

bien souvent mobilisée par les « Etats voyous », dans une optique de chantage

nucléaire et participe ainsi à une véritable déstabilisation régionale. Ce dernier

concept sera plus largement étudié et surtout appliqué au régime nord-coréen au sein

du quatrième chapitre de l’analyse, en prenant notamment appui sur des études de

cas.

b) Théorie du « regime survival » et mobilisation de pratiques terroristes

par un Etat : complémentarité de concepts vecteurs de stabilité politique

Le terrorisme comme répertoire d’action : mobilisation de stratégies terroristes par

un Etat

Dans un premier temps, il est important de souligner un aspect fondamental pour

l’analyse : il ne sera pas question de défendre une thèse selon laquelle la Corée du

Nord serait un Etat terroriste. L’argumentaire sera plus nuancé. En effet, cette

analyse soutiendra que le régime mobilise des tactiques propres aux mouvements et

organisations terroristes, afin de complémenter son répertoire d’action. Ainsi, dans

cette optique, les stratégies du « regime survival » peuvent parfois s’appuyer sur des

logiques similaires aux organisations et mouvements terroristes.

C’est Charles Tilly qui élabore en 1986 la notion de « répertoire d’action collective »,

appliquée dans un premier temps aux mouvements sociaux. Ce dernier entend en

effet par cette expression, « l’existence de formes d’institutionnalisation propres aux

mouvements sociaux (...) »19 Même si la présente analyse ne considère pas la Corée

du Nord comme une entité terroriste, la mobilisation de stratégies propres aux

mouvances terroristes par le régime, suppose qu’un bilan concis sur la question de la

définition des stratégies terroristes soit établi. En effet, ce terme reste hautement

polémique et personne ne s’accorde réellement sur une définition unanime. « Qu’est-

ce que le terrorisme ? A cette question élémentaire, on est tentés de donner la même

réponse que Saint Augustin apportait à son interrogation sur le temps : « Si personne

ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer,

19 NEVEU Erik, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2011, 5me édition, pp. 19-

20.

13

je ne le sais plus. » »20

Si personne ne s’accorde sur la question, c’est notamment en raison de la difficulté à

définir à la fois les acteurs et les actions qui peuvent être qualifiés de terroristes. Une

des définitions les plus courantes du terme est la suivante : « Usage de la violence à

des fins politiques (…) le terrorisme participe ainsi au processus de dissémination de

la violence politique. »21 Ainsi, le terrorisme vise à créer un climat de peur au sein de

la population, tout en atteignant l’opinion internationale par le biais des médias. Une

des manifestations les plus évidentes de la corrélation des tactiques nord-coréennes

avec l’utilisation de pratiques terroristes est notamment la prise d’otages ou encore,

les assassinats politiques. Pour Isabelle Sommier, « l’assassinat politique entendu

comme le « meurtre d’une personnalité publique pour un mobile politique en dehors

de tout processus légal », entretient avec le « terrorisme » une relation évidente (...)

par la méthode d’élimination de l’ennemi généralement considérée comme l’une des

marques de la logique terroriste. » 22 Dans cette optique, les actions terroristes

peuvent être mobilisées par des entités non terroristes, se trouvant dans une situation

d’infériorité.

En effet, ce concept peut « aussi bien décrire un adversaire ou un procédé. »23 Ainsi

qu’il le sera étudié en détails au sein du prochain chapitre, le régime mobilise

également des instruments psychologiques et coercitifs à l’égard de sa propre

population, ayant pour but de susciter la crainte et de prévenir les éventuelles

dissidences.

20 RAPIN Ami-Jacques, Pour en finir avec le terrorisme. L’équivoque de la terreur, de la Révolution

Française aux attentats djihadistes, Berne, Editions Peter Lang, 2014, p.1. 21 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 297. 22 SOMMIER Isabelle, Le terrorisme, Paris, Flammarion, 2000, p. 104. 23 GAYRAUD Jean-François, SENAT David, Le terrorisme, Paris, Presses Universitaires de France,

2006, p. 13.

14

« Si le terrorisme est un mode particulier de violence qui repose sur la menace et la

peur, c’est au prix de trois conditions – son caractère systématique, le recours à des

actes ou des menaces d’une exceptionnelle violence qui ont non seulement des effets

sur leurs victimes immédiates, mais aussi sur l’opinion nationale et

internationale. »24

Par ailleurs, les stratégies terroristes s’incarnent également dans de nouveaux

moyens d’action, comme le cyber-terrorisme. « Pour Pollitt, « le cyber terrorisme est

une attaque préméditée, politiquement motivée, contre l’information, les systèmes

informatiques, les programmes informatiques, et les données (...) par des groupes

subnationaux ou des agents clandestins »25 Depuis quelques années, la Corée du

Nord mobilise justement cet instrument. Ainsi, même si l’utilisation de la violence à

des fins politiques est la première caractéristique que l’on associe généralement aux

actions de type terroriste, on remarque que « bien d’autres organisations s’en

prévalent sans pour autant connaître le stigmate qu’implique le qualificatif

« terroriste ». »26 Les arguments liés au terrorisme sont néanmoins à mobiliser avec

prudence. Certaines théories préfèrent mobiliser le terme de « terreur », qui peut

constituer une forme de gouvernance. « La terreur diffère du terrorisme en ce qu’elle

est l’acte officiel d’un organisme gouvernemental, la terreur est par définition

politique, la terreur est une arme. »27

Par ailleurs, dans le cas de la Corée du Nord, les tactiques mobilisées à l’encontre de

la communauté internationale appartiennent plus volontiers au domaine de la

diplomatie coercitive qu’au domaine du terrorisme : « Ainsi pour un Etat qui exerce

son pouvoir hégémonique de grande puissance, la menace de faire usage de la force

est définie comme de la diplomatie coercitive et non pas comme du terrorisme

d’Etat. »28 Cette diplomatie coercitive qui est fondée sur des mécanismes de menaces

au niveau extérieur (comme la menace nucléaire), va de pair avec les menaces

d’ordre psychologique à l’échelle domestique.

24 SOMMIER Isabelle, Op. Cit., p. 78. 25 Ibid., p. 123. 26 Ibid., p. 70. 27 RAPIN Ami-Jacques, Op. Cit., p. 114. 28 Ibid., p. 21.

15

En effet, au sein des régimes totalitaires, même le peuple devient une menace pour le

pouvoir, ce qui sera discuté plus en détails au sein du second chapitre. La violence

psychologique est donc directement liée aux stratégies terroristes qui visent dans un

premier temps, non pas à causer un nombre conséquent de victimes mais plutôt à

susciter l’attention. Ce que souhaitent réellement les organisations et les groupes qui

mobilisent ces tactiques, c’est s’assurer que leurs actions récolteront une visibilité

conséquente. Pour attirer l’attention, la terreur et ses instruments s’imposent comme

les moyens de garantir une certaine visibilité sur la scène internationale. « Il est un

critère qui fait l’objet d’un consensus : l’action terroriste, parce qu’elle est hautement

théâtralisée et vise à susciter la peur, bien au-delà de celle de ses victimes directes,

requiert une caisse de résonance que lui assurent sans peine les médias »29 Les

stratégies terroristes viennent donc renforcer les caractéristiques préexistantes du

régime totalitaire. Cette affirmation doit néanmoins être nuancée étant donné l’écueil

définitionnel entourant le terrorisme, qui conduit bien souvent à éviter l’emploi d’un

tel terme controversé mais également « passionnel et polémique. »30

c) Une dictature à dominante totalitaire : violence politique et rôle coercitif

de l’armée

« Un régime totalitaire est un régime où tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire »,

Curzio Malaparte

La Corée du Nord s’inscrit dans une optique visant à combiner violence et terreur

politique afin de garantir la soumission de sa population à l’idéologie dominante. Ce

régime est une dictature communiste à dominante totalitaire qui se base sur une

tradition confucéenne et dont le fonctionnement est propre au centralisme stalinien.

29 SOMMIER Isabelle, Op. Cit., p. 20. 30 GAYRAUD Jean-François, SENAT David, Op. Cit., p. 25.

16

Dictature totalitaire : caractéristiques

« Les gouvernements totalitaires (...) veulent remodeler les esprits, par la terreur et

par une propagande intense. Leur caractéristique essentielle est (...) le contrôle

centralisé de tous les instruments de pouvoir, impliquant monopole idéologique,

culte paroxystique du chef et mise en place d’un système concentrationnaire (...)

destiné à l’élimination des catégories de populations qu’il rejette. »31 Au-delà de sa

nature totalitaire, le régime adopte également les aspects d’une dictature, étant

définie comme une « sorte de commandement qui (...) est indépendant du

consentement ou de la compréhension du destinataire et n’attend pas son

approbation. »32 Le pouvoir est alors majoritairement concentré entre les mains d’une

personne ou d’un groupe de personnes, dont le respect des lois et de la Constitution

n’est généralement pas la préoccupation majeure. Sur ce point, Gustav Lidén

distingue trois types de dictatures : « personalist, military, and single-party. »33 La

Corée du Nord a pour particularité de combiner ces trois formes. En effet, le pouvoir

se concentre majoritairement entre les mains d’un individu central qui est le pivot du

régime, basé sur un parti unique, tout en allouant une influence considérable à

l’armée.

Stalinisme et rôle prépondérant de la force militaire armée

L’identité du régime est majoritairement basée sur le stalinisme comme forme de

civilisation. Au-delà du mode de gouvernance, c’est tout un système de valeurs qui

caractérise la nature de l’Etat. Selon les termes de Jin Woong Kang, le stalinisme

nord-coréen s’envisage comme « a set of values, a social identity, and a way of

life. » »34 Le centralisme stalinien nord-coréen implique que le régime associe les

idées staliniennes classiques aux valeurs traditionnelles du Confucianisme nord-

coréen, comme la notion de loyauté envers le dirigeant.

31 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 260. 32 LIDEN Gustav, « Theories of dictatorships: reviewing the literature », Department of Social

Sciences, Mid Sweden University, s.d., p. 91. 33 Ibid., p.3. 34 KANG Jin Woong, Op. Cit., p.5.

17

Malgré la dominante totalitaire de la Corée du Nord, une analyse complète de ses

tactiques de gouvernance ne pourrait faire l’abstraction des caractéristiques

empruntées à d’autres formes de régimes. Par ailleurs, soulignons que, suivant une

tendance générale, « les systèmes communistes sur leur déclin ont quitté la catégorie

du totalitarisme pour se rapprocher de celle des régimes autoritaires. »35

Il devient alors plus pertinent de se focaliser sur les structures de pouvoir, plutôt que

sur les anciennes distinctions entre les différents régimes politiques, particulièrement

entre régimes autoritaires et totalitaires, étant donné l’affaiblissement progressif des

barrières entre ces deux formes de gouvernance. De plus, il ne faut pas négliger le

développement progressif de caractéristiques néo-autoritaires en Corée du Nord,

décrites par Yun-Jo Cho comme suit : « a neopatrimonial variant of

authoritarianism. »36 Enfin, les transformations politiques de ce système despotique

ont « permis au régime de s’adapter à tous les aléas qu’il a dû affronter. Communiste

et planificatrice à outrance au temps de la guerre froide, prochinoise (...) à la chute de

l’URSS, nucléaire et étatiste aujourd’hui, la Corée du Nord a enchaîné les

revirements. »37 Il faut souligner que ces transformations ont été un vecteur de

maintien et de survie et non le signe d’une éventuelle décadence voire d’une

instabilité politique.

Ce chapitre a permis de se focaliser sur la nature du régime nord-coréen en insistant

sur sa dimension totalitaire. Cet aspect permettra de rendre compte dans la suite de

l’analyse, de l’articulation des pratiques liées à la théorie du « regime survival » avec

les caractéristiques d’un régime politique. Par ailleurs, l’argumentaire a souligné que

les pratiques visant à assurer la survie d’un Etat pouvaient être associées à des

logiques empruntées aux mouvances et organisations terroristes, dans une optique de

préservation et de renforcement du régime.

35 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 268. 36 CHO Yun-Jo, « The sources of regime stability in North Korea: insights from democratization

theory », Stanford Journal of East Asian affairs, Vol.5, No.1, Winter 2005, p. 92. 37 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Diplomatie, Affaires stratégiques et

relations internationales, Novembre-Décembre 2014, No. 71, p.44.

18

Il apparaît donc comme étant plus judicieux de ne pas considérer les modalités

d’actions terroristes et la simple terreur politique comme étant des éléments

opposés : les premières peuvent renforcer la seconde, et ainsi la compléter. Le

prochain chapitre analysera les manifestations des stratégies du « regime survival »

en Corée du Nord. A cet effet, le fonctionnement administratif du pays sera mis en

lumière mais également l’importance de son idéologie principale, à savoir le Juche.

Cela permettra d’analyser l’impact réel des stratégies de survie politique du régime

sur sa propre société ainsi que l’influence des enjeux domestiques sur ces mêmes

stratégies de préservation.

19

Chapitre II – Manifestations des tactiques du « regime survival » en Corée du

Nord : entre survie, stabilité et résistance

Au sein de son ouvrage intitulé La nature du totalitarisme, Hannah Arendt explicite

cinq caractéristiques majeures qu’un régime doit rencontrer afin d’être qualifié de

totalitaire, à savoir « l’atomisation de la société, un parti unique, une idéologie qui

s’étend à tous les aspects de la vie individuelle et collective, la propagande et la

terreur. »38 Ainsi que l’analyse le soulignera, dans le cas nord-coréen, les tactiques

du « regime survival » s’incarnent non seulement vis-à-vis de la scène internationale

mais également au niveau interne du régime. La réflexion reviendra sur ces

caractéristiques majeures en les exemplifiant. L’atomisation de la société sera

évoquée, avec l’instauration de catégories de citoyens, qui sont présentes dans tous

les secteurs de la société nord-coréenne. Par ailleurs, l’analyse se focalisera

également sur l’idéologie principale, à savoir le Juche qui constitue l’incarnation

idéologique des tactiques de survie politique du régime nord-coréen. En ce qui

concerne la vie politique, cette dernière est organisée autour d’un parti unique qui

constitue une des forces majeures de l’Etat, à savoir le Parti des travailleurs de Corée.

Enfin, la réflexion abordera également les notions de propagande et de terreur.

Dans un premier temps, l’analyse soulignera le rôle de l’idéologie au sein des

régimes totalitaires et permettra également d’étudier les influences du communisme

et du Confucianisme au sein du régime, ainsi que le rôle de l’armée et de la politique

du « military-first ». Dans un second temps, ce chapitre s’attardera sur le système

politico-administratif et décisionnel du régime. Cet aspect permettra de souligner les

dynamiques décisionnelles de l’Etat, tout en s’intéressant aux différentes structures

de pouvoir, au rôle de la Constitution et à la distribution des compétences. Enfin, la

réflexion mettra en lumière les impacts du processus de transition de pouvoir ainsi

que des divisions sociétales sur le régime. Dans un troisième et dernier temps,

l’analyse s’attachera à souligner les manifestations psychologiques de la terreur au

sein de la société, en insistant sur le rôle joué par la propagande et la violence

physique.

38 ARENDT Hannah, La nature du totalitarisme, Paris, Payot, 1990, p.21.

20

a) Idéologie du Juche : incarnation nationale du « regime survival » : entre

tactiques défensives et offensives

L’idéologie du Juche

Le totalitarisme est un système figé, statique, qui impose une idéologie de force

visant à détruire une identité dans l’optique d’imposer une vision dominante par le

biais de l’endoctrinement. « Totalitarian governments’ efforts to control the thoughts

and expressions of their people have an ancient and terrible history. Aristotle

observed that this policy has two components – first, to let the people know nothing

of what the government did, but second, to let the government know everything that

the people did. »39 Au-delà de l’endoctrinement, c’est la négation et la suppression

des libertés individuelles et humaines que le totalitarisme institue au cœur d’une

société. Au niveau de la Corée du Nord, l’idéologie dominante est le Juche dont

l’émergence a lieu officiellement en 1912. Cette idéologie vient progressivement

remplacer les références au Marxisme-Léninisme.

La première utilisation du terme Juche se fait en 1955 au sein du discours nord-

coréen intitulé « On the Need to Repel Dogmatism and Formalism and to Establish

Juche in Carrying Out Ideological Programs ». L’idéologie s’est imposée comme un

vecteur de maintien de l’unité populaire mais également de cohésion par le biais de

discours à la fois xénophobes, fascistes et nationalistes. « Nationalism has been a

crucial ideological weapon of communism. »40 La montée du nationalisme en Corée

du Nord a principalement résulté des évolutions du système international mais

également des changements s’opérant au niveau domestique dès les années 1950. En

effet, l’émergence de l’idéologie est également un moyen pour Kim Il-sung de se

démarquer de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.) et de la

Chine, dans une optique d’indépendance malgré les ressemblances idéologiques des

régimes. « North Korea prides itself in defending itself against all outside

influences. »41

39 DOWNS Chuck, « Understanding North Korea’s Human Rights Abuses », in BECHTOL Bruce E.,

Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps University Press, 2011, p.

158. 40 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 5. 41 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 238.

21

La théorie du Juche touche tous les domaines de la société et s’appuie notamment sur

trois principes fondamentaux à savoir l’indépendance politique, l’auto-défense et

l’autosuffisance économique. Par ailleurs, l’idéologie prône la nécessité de suivre la

volonté d’un dirigeant, qui revêt le caractère de guide suprême de la nation. Le Juche

permet également de légitimer les pratiques d’un régime ou encore, la présence d’un

certain dirigeant à la tête d’un pays : c’est donc un vecteur de puissance qui dans le

cas du régime nord-coréen, a contribué à assurer la survie politique de ce dernier.

Cette idée est reprise par Max Weber, pour qui l’idéologie permet plusieurs choses

pour un dirigeant: « leaders can legitimize their priorities, rationalize their mistakes,

and convince people that they should be followed simply because it is the right thing

to do. »42 L’idéologie s’impose ainsi comme un moyen de domination du dirigeant

sur sa population en permettant de contrôler l’émergence d’éventuels mouvements de

protestation ou de dissidence, tout en affichant l’image d’une pensée politique visant

à assurer le bien-être général et la préservation du régime face aux influences

extérieures.

Cette dernière vise donc un conditionnement de la population, que la seule répression

ne peut garantir. Ainsi que l’exprime Noam Chomsky, « pour dominer, la violence

ne suffit pas, il faut une justification d’une autre nature. Ainsi, lorsqu’une personne

exerce son pouvoir sur une autre (...) elle a besoin d’une idéologie justificatrice,

toujours la même : cette domination est faite « pour le bien » du dominé. En d’autres

termes, le pouvoir se présente toujours comme altruiste, désintéressé, généreux. »43

Par ailleurs, il faut souligner que la naissance de la doctrine du Juche est à relier aux

périodes de colonisation qui ont marqué la Corée du Nord. L’histoire du pays a en

effet été fortement marquée par des périodes d’invasion et de domination, ce qui a

contribué à forger une conscience nationaliste xénophobe, notamment à l’égard du

Japon. En effet, de ces expériences, l’occupation japonaise a été vécue comme la

plus marquante et la plus douloureuse pour la Corée du Nord.

42 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, « Pyongyang Survival Strategy. Tools of Authoritarian control in

North Korea », International Security, Vol. 35, No. 1, Summer 2010, p. 47. 43 « Le lavage de cerveaux en liberté », Le Monde Diplomatique, Août 2007, http://www.monde-

diplomatique.fr/2007/08/CHOMSKY/14992

22

Ces périodes d’occupation ont donc laissé des sentiments amers aux nord-coréens,

aspect qui constitue le socle du Juche. « The very origin of the Juche idea is the anti-

foreign doctrine in which Japan occupies a central position. »44 L’idéologie s’est au

final presque érigée en tant que religion, suscitant un fort sentiment patriotique tout

en permettant au dirigeant de consolider sa légitimité politique. Cette dernière a

également permis au régime de se démarquer en soulignant ses spécificités. En effet,

les caractéristiques du Juche insistent également sur les différences entre la Corée du

Nord et la Corée du Sud. « This ideology has also been instrumental in claiming that

the state of the DPRK is consistent with nationalism and thus more legitimate than

the South’s regime. In this way, the ideology of Juche has been employed as a means

of attaining national security. »45 L’idéologie du Juche base ses principes sur des

valeurs communistes et confucéennes, qui sont néanmoins à distinguer des valeurs

traditionnelles chinoises. Le communisme et le Confucianisme en Corée du Nord

sont des variantes bien spécifiques au régime qui sont à distinguer des valeurs

chinoises basées sur la noblesse et la spiritualité. Pour le régime nord-coréen, le

Confucianisme repose sur la loyauté et l’obéissance au chef suprême. « En Corée du

Nord, la loyauté constituait l’essence de la vie, la désobéissance menait à la mort »46

Les mouvances du régime : communisme et Confucianisme

Idéologiquement proche de l’U.R.S.S. et de la Chine jusqu’à la fin de la Guerre

froide, la Corée du Nord s’apparente aujourd’hui au dernier bastion communiste au

sein duquel subsiste une idéologie forte, associée à des valeurs confucéennes.

« Confucianism in North Korea facilitated the development of charismatic leadership

and paternalist socialism: indeed, without the Confucian cultural influences inherent

in its historical heritage, the system itself would not have been made in the way it has

been. »47

44 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, North Korea policy, Japan and the great powers,

European institute of Japanese studies, East Asian economics and business series, New-York,

Routledge, 2006, p. 46. 45 PARK Han. S., « The rationales behind North Korean foreign policy », in HAGSTRÖM Linus,

SÖDEBERG Marie, North Korea policy, Japan and the great powers, European institute of Japanese

studies, East Asian economics and business series, New-York, Routledge, 2006, p. 4. 46 JIN-SUNG Jang, Cher Leader, s.l., Ixelles Editions, 2014, p. 353. 47 PARK Han. S. Op. Cit., p. 15.

23

Par ailleurs, un des outils principaux permettant le maintien des principes

idéologiques au sein du régime est l’armée nord-coréenne. Cette dernière joue un

rôle prépondérant au sein du régime : c’est une structure de pouvoir à part entière.

Avec le temps, non seulement l’armée est devenue la principale institution du pays

mais elle a pénétré tous les secteurs de la société. « All the people are militarily and

mentally prepared to deal with war. »48

« Military-first »: « the philosophy of firearms »49

La politique de l’« armée d’abord » dite « military-first » ou encore Songun, émerge

dans les années 1990 et se base sur l’Armée Populaire de Corée, fondée

officiellement en 1932 par Kim Il-sung. Cette politique se construit comme une

réponse à la déstabilisation sociale et politique du pays causant une crise économique

majeure mais est également une conséquence du processus de transition hiérarchique

houleux qui débute en 1994. « It was timed to coincide with Kim Jong-Il’s official

succession to power. »50 La politique a en effet contribué à renforcer l’autorité du

dirigeant. « From 1994 to 2004 the new leadership of Kim Jong-Il has successfully

transformed North Korea from a party-state system to a military-first political

system. »51 Avec le temps, l’importance grandissante du secteur militaire en Corée

du Nord a contribué à la marginalisation progressive du rôle du Parti du Travail de

Corée. « The military is the guardian of the brain, which must be protected and never

be made vulnerable. »52

Assurément, l’armée a donc fortement contribué à la survie du régime tout en étant

associée à un instrument révolutionnaire. En effet, ces dernières années, le régime

nord-coréen a fait preuve d’une agressivité sans précédent, multipliant les

provocations et les démonstrations de sa capacité militaire. « Military strong States

are less subject to the influence of other States than military weak ones. »53

48 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 18. 49 Ibid., p. 20. 50 KIHL Young Whan, Op. Cit., p. 9. 51 KIM Ilpyong J., « Kim Jong Il’s Military-First Politics », in KIHL Young Whan, KIM Hong Nack,

North Korea. The Politics of Regime Survival, New-York, East Gate Book, 2006, p. 59. 52 PARK Han. S. Op. Cit., p. 29. 53 ART Robert J., « The Fungibility of Force », in ART Robert J., JERVIS Robert, International

Politics. Enduring Concepts and Contemporary Issues, Boston, Pearson, 2009, p. 183.

24

Les différentes provocations et exercices militaires permettent de renforcer la loyauté

du corps armé, tout en démontrant au reste du monde que le régime a la capacité de

se défendre. Tout cela a un coût conséquent : le budget alloué à l’armée a augmenté

avec le temps. Cependant, dans l’optique du régime nord-coréen, l’armée génère plus

de ressources qu’elle n’en nécessite. 54

L’armée est donc au centre du processus décisionnel et constitue un véritable

instrument coercitif. Cette dernière impacte fortement l’exécution des politiques et

par conséquent, la mise en place de réformes passe nécessairement par l’armée qui

initie et influence les prises de décisions, s’opposant généralement aux changements

radicaux. « En Corée du Nord, les militaires représentent le groupe le plus opposé à

l’effondrement du régime, et ils possèdent une influence politique suffisante pour

résister à la réunification des deux Corées sous le drapeau sud-coréen. » 55 La

présence du corps armé est particulièrement visible au niveau de la zone de

démilitarisation (DMZ) entre les deux Corées, où les effectifs ont augmenté ces

dernières années. 56 En revanche, les capacités de l’armée tendent à décliner étant

donné les famines successives, le personnel militaire étant victime de sous-nutrition

malgré la priorité budgétaire accordée à ce secteur. Malgré son rôle prédominant,

l’armée n’est néanmoins pas la seule composante du régime. Afin de comprendre le

processus décisionnel au sein de l’Etat ainsi que le rôle de l’élite dirigeante et de la

bureaucratie, il est essentiel de décrire le fonctionnement du système politico-

administratif nord-coréen.

54 Annexe 1, p. 97. 55 CHEONG Seong-Chang, « La succession du pouvoir en Corée du Nord et ses implications sur la

politique extérieure du pays », Hérodote, 2011/2, No. 141, p. 64-74 DOI 10.3917/her.141.0064, p. 72. 56 Annexe 2, p. 98.

25

b) Système politico-administratif et décisionnel : organisation et

perpétuation d’une hiérarchie

Suryong: « « the divide-and-rule » strategy »57

En Corée du Nord, le dirigeant de l’Etat est une figure emblématique du pouvoir. Ce

dernier contrôle l’armée mais également le Parti du Travail de Corée ainsi que la

population. « Where independent civil society is nonexistent, the system revolves

entirely around the regime’s leader. »58 Il ne se contente pas de diriger, il incarne le

système à lui tout seul par le biais du développement d’un culte de la personnalité

qui permet d’accroître son caractère légitime. «When charisma is accepted, the

charismatic leader can break all rules and norms. » 59 Le développement d’un

charisme fort, facilité par le Confucianisme, a permis aux dirigeants successifs de se

constituer non seulement en tant que les représentants ultimes de la nation, mais

également d’incarner la nation dans son entièreté. « Les Kim ont réussi à imposer

l’équation : ils ne se contentent pas de diriger la Corée du Nord, ils la symbolisent,

ils l’incarnent. »60

La survie politique du régime passe majoritairement par la figure de celui qui

l’incarne et avant tout, par la profonde loyauté dont la population est incitée à faire

preuve à l’égard de ce dernier. « La conscience morale ne tourna plus qu’autour

d’une obéissance loyale au culte des Kim. Toute personne mettant en doute cette

conscience morale pouvait être envoyée dans un goulag avec trois générations de sa

famille, afin d’annihiler celle-ci. »61 Au premier abord, la Corée du Nord apparaît

souvent comme un régime dénué de la moindre rationalité. Il semblerait même que

les engrenages du régime soient confiés au hasard, revêtant le caractère aléatoire de

l’apparente folie de son dirigeant. Cet argument est quelque peu réducteur. Comme

tout Etat, la Corée du Nord possède ses mécanismes, son organisation et surtout, ses

hiérarchies propres.

57 CHO Yun-Jo, Op. Cit., p. 97. 58 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, Op. Cit., p. 48. 59 WEBER Max, Economy and Society, in BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, « Pyongyang Survival

Strategy. Tools of Authoritarian control in North Korea », International Security, Vol. 35, No. 1,

Summer 2010, p. 50. 60 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 44. 61 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 168.

26

Certes, « le double langage et l’opacité du régime nord-coréen sont deux piliers du

pouvoir »62 , mais tous les instruments mobilisés par le régime depuis plusieurs

générations laissent à penser que loin d’être irrationnels, les dirigeants successifs de

la Corée du Nord mobilisent des outils stratégiques afin de maintenir la stabilité et la

survie de l’Etat. Cela se vérifie également au sein des tactiques décisionnelles.

Combinant dialogue et pressions, le régime nord-coréen se montre relativement

habile dans la mobilisation de stratégies associant diplomatie et coercition.

Néanmoins, cela n’empêche pas les conflits décisionnels dans l’exécution des

directives. « L’exécution de ses politiques (Ndlr. Kim Jong-un) par l’armée et la

bureaucratie civile représente un domaine empreint d’imprévus et d’erreurs dans

l’exécution des politiques. »63 Ces conflits au sein du cercle décisionnel du pays sont

particulièrement significatifs lors des périodes de succession entre dirigeants.

Le processus de transition hiérarchique

La perpétuation d’une élite dirigeante est un élément crucial permettant la stabilité du

régime. « Le Chef est irremplaçable parce que (...) sans lui, tout serait

irrémédiablement perdu. »64 Dans le cadre de la transition de pouvoir entre Kim Il-

sung et Kim Jong-il en 1994, un des scénarios les plus probables était un

effondrement du régime. Les observateurs craignaient l’émergence de luttes de

pouvoir pour l’influence au sein du Parti du Travail de Corée, voire la création d’un

vide de pouvoir. En 2011, les mêmes craintes surgissent à nouveau avec la

succession au pouvoir de Kim Jong-un. Au départ, il semblait impossible qu’il puisse

succéder à son père : en effet, c’est alors un jeune homme manquant d’influence,

d’expérience et de charisme, devant encore faire ses preuves.

62 Ibid., p. 14. 63 JORDAN Sara R. et ERIC C., « Démystifier le royaume ermite : la Constitution et l'administration

publique en Corée du Nord », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2013/3, Vol. 79, p.

585-603 DOI : 10.3917/risa.793.0585, p. 587. 64 ARENDT Hannah, Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, Paris, Editions du Seuil,

1972, p. 102.

27

« The successor’s legitimacy is weak and susceptible to contest (...) For North Korea,

political legitimacy is even more problematic, since succession is hereditary and

reminiscent of anachronistic feudalism. »65 Ce qui a majoritairement permis à Kim

Jong-un de s’affirmer au pouvoir, c’est notamment le soutien des élites du Parti ainsi

que celui de l’armée. Lors du processus de transition entre Kim Il-sung et son fils

Kim Jong-il, ce dernier avait également mobilisé l’armée afin de préserver l’ordre et

la stabilité du régime. En contrepartie, il a fait de cette dernière « le « fer de lance »

de sa révolution, c’est à dire l’institution dirigeante. »66 L’instabilité s’est également

traduite au niveau économique. En effet, les années 1990 ont symbolisé pour les

nord-coréens plusieurs crises économiques successives, impliquant famines et

restrictions drastiques. Un déficit des performances économiques n’est pas sans

conséquence au sein de la population, mais également au niveau de l’élite dirigeante.

Les restrictions budgétaires avaient le potentiel d’affecter la loyauté des membres de

l’élite nord-coréenne au pouvoir en réduisant la capacité du gouvernement à fournir

des ressources matérielles et financières suffisantes.

Afin de contrer les potentiels soulèvements populaires ou encore les éventuelles

dissensions au sein du cercle décisionnel restreint, Kim Il-sung et par la suite, Kim

Jong-il, ont eu recours à une arme en particulier : le développement d’un programme

nucléaire. Ce dernier avait pour but de réaffirmer la loyauté des membres du régime

et particulièrement, celle des militaires. Les attaques militaires s’inscrivaient dans un

objectif similaire: « those who opposed the attacks were more likely to be

disloyal. »67 A ce sujet, un article du journal The New York Times datant du 12 Mars

2016 revenait sur l’exécution de Jang Song-thaek, l’oncle de Kim Jong-un. « With

this execution, North Korea lost virtually the only person there who could have

helped the country introduce reform and openness. »68

65 DONG Sun Lee, « Causes of North Korean belligerence », Australian Journal Of International

Affairs, Vol. 66, No. 2, pp. 103-120, April 2012, http://dx.doi.org/10.1080/10357718.2012.658614, p.

106. 66 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 42. 67 DONG Sun Lee, Op. Cit., p. 107. 68 « In Hail of Bullets and Fire, North Korea Killed Official Who Wanted Reform », The New York

Times, March 12, 2016, http://www.nytimes.com/2016/03/13/world/asia/north-korea-executions-jang-

song-thaek.html?smid=fb-nytimes&smtyp=cur&_r=0

28

Les assassinats politiques ont un véritable but d’intimidation : on cherche à donner

une leçon, dans une optique de « rééducation révolutionnaire. » 69 En réponse à

l’instabilité, le régime nord-coréen « fait donc monter les tensions militaires dans la

péninsule afin de montrer qu’il n’est pas aussi fragile que les autorités de Séoul ne le

pensent. »70 Cet aspect sera plus longuement étudié au sein du quatrième chapitre de

l’analyse. Au-delà de l’aspect militaire, le régime s’appuie également sur la

Constitution, qui permet de déterminer l’identité politique du régime.

Le pivot constitutionnel

Au sein d’un pays, la Constitution symbolise un « ensemble d’institutions et de

pratiques » qui déterminent l’identité d’un régime (...) Les liens identitaires indirects

avec la Constitution comprennent la résurrection des mythes fondateurs dans la quête

de légitimation d’une position stratégique contemporaine. »71 En Corée du Nord, la

Constitution représente comme ailleurs, un ensemble de valeurs et de règles morales

et législatives sur lesquelles s’appuie la légitimité du régime et contrairement à ce

qu’il serait tentant de conclure, « comme dans les Etats communistes et totalitaires,

les Constitutions ne sont pas nécessairement dépourvues de sens. »72 Néanmoins, en

Corée du Nord, la singularité de cette dernière est d’être « collectiviste, et ce de

manière coercitive. »73 En effet, de par sa nature politique totalitaire, la Constitution

nord-coréenne « ressemble souvent plus à un manifeste politique qu’à des règles de

gouvernement. »74 La distribution des compétences au sein du régime relève ainsi

plus de traditions que de règles constitutionnelles précises.

Distribution des compétences et bureaucratie

En Corée du Nord, le Parti du Travail de Corée ainsi que l’armée sont les deux

institutions fondamentales qui permettent d’assurer une certaine stabilité au sein du

régime, reposant majoritairement sur un système hiérarchique pyramidal. La lutte

généralement évoquée entre l’Etat et le parti politique dominant comme étant

constitutive du fonctionnement totalitaire, n’est pas présente en Corée du Nord.

69 JIN-SUNG Jang, Op.Cit., p. 174. 70 CHEONG Seong-Chang, Op. Cit., p. 65. 71 JORDAN Sara R. et ERIC C., Op. Cit., p. 588. 72 Ibid. p. 589. 73 Ibid. p. 592. 74 Ibid., p. 591.

29

L’Etat central, composé majoritairement du dirigeant principal et d’un corps d’élites,

au lieu de lutter contre le Parti du Travail de Corée et l’armée, se fonde sur ces deux

forces. Ils sont donc intrinsèquement liés, les deux derniers étant les instruments du

premier. « Le but des systèmes à parti unique n’est pas seulement de s’emparer de

l’appareil gouvernemental : il est aussi, par la nomination à tous les postes de

membres de parti, d’achever l’assimilation complète de l’Etat et du parti. »75 Le parti,

fondé par Kim Il-sung en 1946, monopolise la coercition et la violence au nom de

l’Etat et s’appuie sur des élites technocrates dont la nomination s’effectue sur une

base de cooptation. « Le Parti du travail de Corée est le seul parti légal au pouvoir

(...) l’ensemble de la population doit faire preuve d’une loyauté absolue à l’égard du

parti et de son leader. »76 Cela permet au dirigeant de s’assurer un environnement

politique stable et de se prémunir contre un éventuel coup d’Etat. Ces élites sont

nommées au niveau de l’armée, du parti mais également de la bureaucratie. « The

health of the overall economy is less important than the regime’s ability to bribe elite

supporters. »77

A la tête du régime se trouve le dirigeant principal, qui est à la fois à la tête de la

Commission de Défense Nationale (National Defense Commission) ainsi que le

Secrétaire Général du Parti du Travail de Corée (Korean Workers’ Party). Il est

également le commandant suprême du corps militaire nord-coréen, à savoir l’Armée

Populaire de Corée (Korean Popular Army). En termes de pouvoir décisionnel, la

Commission de Défense Nationale est l’organe possédant le plus haut pouvoir de

décision. « It is, in reality, the pinnacle of power within the DPRK. » 78 Avec le

Département Général du Personnel (General Staff Department), la Commission

participe à la coordination de l’armée nord-coréenne. Le contrôle de chaque branche

de l’armée appartient ensuite aux différents secteurs comme la Marine Populaire de

Corée (Korean People’s Navy Command) et la Force Aérienne Populaire de Corée

(Korean People’s Air and Air Defense Command) ainsi que d’autres structures

comme les bureaux et les unités opérationnelles de commandement.

75 ARENDT Hannah, Op. Cit., Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, p. 150. 76 Ibid., p. 596. 77 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, Op. Cit., p. 60. 78 BECHTOL Bruce E., Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps

University Press, 2011, p. 103.

30

L’autorité administrative s’exerçant sur l’armée nord-coréenne émane

majoritairement du ministère des forces armées nord-coréennes. Le contrôle

politique de l’Armée Populaire de Corée s’effectue par le biais du parti mais

également, avec l’appui du Bureau Politique Général de l’Armée Populaire de Corée,

lui-même soumis à l’autorité de la Commission de Défense Nationale. Le Chef du

Département Général du Personnel commande quant à lui les forces armées terrestres

ainsi que les forces navales et aériennes. Le pouvoir principal est partagé, sur base de

la Constitution, entre trois instances majeures à savoir le Cabinet, l’Assemblée

Populaire Suprême et le Comité de la Défense Nationale. « Selon le chapitre 6, la

hiérarchie de l’Etat est la suivante : l’Assemblée populaire suprême est l’organe

suprême du pouvoir législatif et du pouvoir de l’Etat, le Président du Comité de la

Défense Nationale est le commandant suprême des forces armées, le Comité de la

Défense Nationale est l’organe suprême de l’armée et du pouvoir défensif, le Cabinet

est le pouvoir administratif suprême et l’Assemblée populaire locale est la branche

des affaires régionales. »79

Outre ces instances fondamentales qui se partagent le pouvoir, il existe également

d’autres structures. Les principales sont le Bureau Général de Reconnaissance

(Reconnaissance General Bureau) - plus généralement connu sous le nom de

« Bureau 121 » - et les unités de forces spéciales, à savoir en Corée du Nord le

« Light Infantry Training Guidance Bureau ». Enfin, le secteur dédié à la maîtrise des

technologies - « Information Warfare » - joue un rôle clé dans une optique à la fois

défensive et offensive de l’Etat. Le Bureau Général de Reconnaissance s’occupe

principalement de la gestion des opérations spéciales extérieures, des activités liées

au secteur de l’intelligence militaire ainsi que de la récolte d’informations relatives

aux tactiques stratégiques et de défense de la politique étrangère. De son côté, les

unités de forces spéciales - « Light Infantry Training Guidance Bureau » - sont

chargées des opérations de guerre en cas de conflits et du contrôle administratif des

unités telles que la Marine Populaire de Corée et la Force Aérienne Populaire de

Corée en temps de paix. Enfin, l’unité « Information Warfare » s’occupe

principalement de la maîtrise des nouvelles technologies, dans une optique militaire.

79 Ibid., p 594.

31

Concrètement, il s’agit pour le régime de maîtriser les techniques de ce que l’on

nomme aujourd’hui le « Cyber-Terrorisme ». « During the 1990s, the KPA identified

« electronic intelligence warfare » (EIW) as a new type of warfare, the essence of

which is the disruption or destruction of the opponent’s computer networks thus

paralyzing the enemy’s military command and control system. »80 Le régime se

présentant sous une forme très compartimentée, on constate également l’existence de

départements. C’est le cas notamment du Département de la Propagande et de

l’Agitation du Parti (DPA) ou encore du Département de l’Organisation et du

Conseil (DOC). Ce dernier possède le droit exclusif d’attribuer des postes au niveau

de la direction départementale et des institutions centrales, mais détient également le

pouvoir de nomination des généraux de l’armée. Ce département possède aussi un

droit absolu d’intervention concernant les tâches administratives de tout niveau.

Enfin, il est également en charge de la protection mais aussi de l’approvisionnement

du dirigeant. Il est également essentiel de souligner le rôle joué par la bureaucratie

nord-coréenne qui est considérée comme une institution politique à part entière voire

une extension du parti.

« Le Parti, l’armée et les bureaucrates se partagent les responsabilités en ce qui

concerne l’interprétation, la transmission et l’exécution des directives stratégiques

émanant de la direction, à l’instar d’autres nations ayant une tradition basée sur la

séparation des pouvoirs. » 81 Ces trois acteurs sont donc au cœur du processus

décisionnel. Par ailleurs, les divisions au sein des instances de pouvoir se traduisent

également au sein de la société, par le biais de catégories de citoyens. Ces dernières

structurent la vie et l’existence de la population jusque dans la sphère privée, en

instituant des fractures sociétales entre les citoyens. Le régime perpétue donc les

inégalités de statut en distinguant les citoyens en catégories spécifiques, sur base

d’un modèle héréditaire de castes, le Songbun, qui émerge dans les années 1950.

L’atomisation sociétale a donc bien lieu, non pas par le biais de la création d’une

masse populaire, mais sur base d’un système de catégorisation.

80 DOWNS Chuck, Op. Cit., p. 182. 81 JORDAN Sara R. et ERIC C. Op. Cit., pp. 597.

32

Ce système distingue cinq catégories majeures de citoyens qui s’appliquent à toute la

population : « All North Korean society is divided to five groups, from the best to the

worst : « special », « nucleus », « basic », « complex » and « hostile ». Previous

works usually mentioned three strata, because the existence of a « special » class was

largely unknown and the « complex » one was only introduced in the 2000s. »82 Le

Songbun contribue donc à la perpétuation des distinctions et des inégalités entre les

citoyens.

Ce que l’on cherche à construire, c’est une société atomisée par le biais de processus

de différenciation. « Les files d’attentes sont toutes organisées de façon identique en

Corée du Nord. Il existe trois sortes de panneaux indiquant quelle file prendre pour

les cadres, les militaires ou les simples citoyens. »83 La distribution des denrées

alimentaires qui, jusqu’en 1994 était majoritairement assurée par l’Etat par le biais

du Système de Distribution Publique, souligne l’impact de la catégorisation. En effet,

à l’époque, la taille de la ration reçue est une marque de classe sociale. Cette

catégorisation des citoyens influence la population de deux façons majeures. Dans un

premier temps, la perpétuation de différences entre les individus permet de minimiser

les risques de la formation d’une éventuelle coalition contre le pouvoir en place.

Dans un second temps, cette catégorisation exerce une influence psychologique

majeure sur la population, qui, associée aux techniques d’endoctrinement et de

propagande, permet d’assurer la loyauté citoyenne envers le régime. La capacité du

régime à pénétrer la société civile et la sphère privée indique sa dominante totalitaire.

« Totalitarian rule had an elective affinity with nationalism, and this state power

depended upon the ability to penetrate citizens’ daily activities and change them

from below. »84

82 « Songbun and the five castes of North Korea », NKNEWS, February 26th, 2015,

https://www.nknews.org/2015/02/songbun-and-the-five-castes-of-north-korea/ 83 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 73. 84 KANG Jin Woong, Op. Cit., p.2.

33

c) Aspects psychologiques : de la manipulation à la propagande,

instauration et maintien d’un climat de terreur

Les violences psychologiques et physiques peuvent être le vecteur de l’imposition

d’une autorité respectée et légitimée. Cette partie visera à souligner que la

mobilisation par un régime d’instruments psychologiques, peut constituer une

tactique propre au « regime survival ». En effet, les outils psychologiques permettent

de contrebalancer le poids militaire et idéologique supérieur d’un éventuel rival. De

plus, l’aspect psychologique s’inscrit dans la mobilisation de pratiques terroristes par

un Etat. A propos de la mobilisation de la terreur par les régimes totalitaires, Hannah

Arendt souligne la chose suivante : « les régimes totalitaires continuent à l’utiliser

même lorsque sont atteints ses objectifs psychologiques : sa véritable horreur est

qu’elle règne sur une population complètement soumise (...) La propagande n’est

qu’un des instruments (...) dont se sert le totalitarisme contre le monde non

totalitaire ; au contraire, la terreur est l’essence même de sa force de régime. »85

Par le biais de ces tactiques, le régime vise également à renforcer le mythe d’un Etat

fort et autonome. Ce que l’on vise par extension, ce sont les perceptions extérieures

du régime, par le biais des médias, afin également d’influencer les autres chefs d’Etat.

Renforcer l’image d’un Etat répressif vise à susciter la crainte à la table des

négociations, en influençant les perceptions des autres dirigeants. Ainsi que l’analyse

l’avait souligné au sein du premier chapitre, ce que les acteurs terroristes cherchent à

susciter dans un premier temps, c’est un impact psychologique et non à causer le plus

de victimes possibles. Afin d’étudier la question psychologique, l’analyse se

focalisera dans un premier temps sur la nature et le rôle de la propagande puis, dans

un second temps, elle s’attardera sur les manifestations de la violence physique.

85 ARENDT Hannah, Op. Cit., Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, p. 69.

34

Propagande : la soumission populaire aux dogmes politiques

« Je n’avais connu jusque-là que loyauté envers le Leader suprême, croyant que

c’était la plus sublime émotion qu’un être humain puisse ressentir. »86

La propagande est un puissant instrument des régimes totalitaires. Cette dernière

permet un endoctrinement de la population, dans une optique de véritable guerre

psychologique. On cherche à couper la population de la véritable réalité en instaurant

une vérité construite, servant les principes du régime. Dans cette optique, la

propagande vise à mettre en place une véritable éducation idéologique populaire.

Dans le cas nord-coréen, la propagande a permis le développement au sein de la

population d’un sens de la loyauté poussé à l’extrême qui induit la notion de sacrifice

personnel ainsi de la dévotion envers le dirigeant et par extension, envers le régime.

« La caractéristique la plus importante de la société nord-coréenne est la pénétration

très profonde des mécanismes de contrôle étatique dans la vie la plus quotidienne des

gens ordinaires. »87 La propagande prône un culte de la personnalité massif autour du

dirigeant du régime. Au sein de son ouvrage autobiographique intitulé Cher Leader,

Jang Jin-Sung revient sur sa première rencontre avec Kim Jong-il.

Son récit démontre l’ampleur des discours de propagande, qui dressent un portrait

surhumain du dirigeant nord-coréen. « Je suis un peu déçu en voyant de près le Cher

Leader car j’ai plutôt affaire à un vieux monsieur qui ne ressemble en rien à l’image

si familière du leader du Peuple. »88 Après la mort de Kim Il-Sung, la poésie épique

devient le vecteur principal de la propagande du régime. A l’aide de slogans

politiques et de valeurs confucéennes, « propagandists have tried to create a

Weberian image of a charismatic leader. »89 Au-delà de la poésie, la propagande

passe également par les médias nord-coréens, ces derniers étant contrôlés par l’Etat.

86 JIN-SUNG Jang, Op. Cit.., p. 64. 87 HEO Man-Ho, « Contrôle social et changement politique dans les sociétés communistes

subsistantes : une application des cas Chinois et Est-Allemand à la Corée du Nord », Revue

internationale de politique comparée, 2002/3, Vol. 9, p. 451-475 DOI : 10.3917/ripc.093.0451, p. 472. 88 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 23. 89 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 18.

35

Elle revêt généralement la forme de slogans officiels ou de messages visant à

renforcer la confiance populaire dans la capacité du régime à s’auto-préserver. Mais

la propagande n’est pas uniquement concentrée autour du développement d’une

image charismatique du dirigeant car elle se destine également aux autres puissances.

En effet, elle tente notamment de renforcer les sentiments anti-américains au sein de

la population nord-coréenne, en s’appuyant massivement sur les souvenirs laissés par

la guerre de Corée. « Une telle propagande s’adresse toujours, à l’extérieur, qu’il

s’agisse de couches de la population nationale ou de pays étrangers. » 90 La

propagande implique qu’il est interdit de mentionner des informations sur le

dirigeant qui ne font pas partie des discours officiels. Par ailleurs, l’accès à internet

est formellement restreint à certaines élites, ce dernier étant considéré comme un

outil de propagande occidentale. Cette restriction s’applique également aux

téléphones et aux ordinateurs.

Il est également interdit de mentionner le mot « réforme » sous peine de répression,

ainsi que de se procurer l’accès aux médias occidentaux. C’est une véritable « media

blitzkrieg »91. Le régime tente en effet de minimiser l’influence des informations

extérieures, ces dernières constituant un risque de déstabilisation de la structure du

pays, ainsi qu’une diminution de la loyauté populaire à l’égard du régime. Au-delà

de la propagande, l’Etat nord-coréen a instauré un système répressif, passant

majoritairement par la violence physique. La propagande combinée à la violence

politique participe au maintien d’un climat de terreur, visant à assurer la survie de

l’Etat au niveau domestique.

Violence physique et restriction des libertés : « violent top-down domination of

society »92

La Corée du Nord s’inscrit dans une logique de régime totalitaire classique :

« totalitarian regimes punish disloyalty through torture, orchestrated disapperances,

exile to gulags, or execution »93: l’approche totalitaire classique met l’accent sur les

aspects les plus violents des régimes totalitaires, par le biais desquels s’exerce tout

l’arbitraire du pouvoir.

90 ARENDT Hannah, Op. Cit., Le système totalitaire. Les origines du totalitarisme, p. 68. 91 DOWNS Chuck, Op. Cit., p. 176. 92 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 27. 93 BYMAN Daniel, LIND Jennyfer, Op. Cit., p. 56.

36

Ainsi, le régime mobilise le totalitarisme comme une technique gouvernementale,

induisant notamment la violence politique et le monopole de l’usage de la force. Les

tactiques s’étendent des exécutions sommaires et des assassinats politiques à la

torture ainsi qu’à la présence en Corée du Nord de camps de travail. Tout cela

s’inscrit dans un cadre oppressif semblant rendre impossible l’émergence de

stratégies insurrectionnelles. De ce fait, la mobilisation de pratiques barbares

constitue une caractéristique majeure des régimes totalitaires. En Corée du Nord, la

singularité de la répression politique est qu’elle revêt un caractère systématique.

Cette dernière se traduit sous plusieurs formes : des assassinats politiques aux camps

de travail, en passant par les humiliations et les exécutions publiques, qui ont pour

vocation d’éduquer la population, tout en évitant les éventuelles dissidences. « La

« rééducation révolutionnaire » englobe tous les avertissements et toutes les

punitions apparentées aux séances idéologiques, au travail forcé, à l’expulsion du

Parti, à la perte de son poste ou au bannissement. »94

La violence physique a donc un double rôle : celui de dissuader mais également,

celui de réprimer. « Les autorités nord-coréennes contrôlent toujours les éléments

dissidents par la coercition physique. »95 Ce que l’on vise dans un premier temps, ce

sont donc bien les esprits et la volonté des individus. Les exécutions publiques en

Corée du Nord ne sont pas réellement envisagées comme de simples punitions mais

plutôt comme « une méthode d’éducation morale, et aussi comme un outil de

propagande publique dans les luttes de pouvoir. »96 Ces exécutions publiques ont

donc pour but de réunir le plus de personnes possibles et s’inscrivent dans un schéma

psychologique similaire aux exécutions de l’Etat islamique. De son côté, la

répression de la dissidence est assurée par le Département de la sécurité d’Etat, fondé

en 1973. Ce dernier se base notamment sur les polices secrètes ainsi que des agents

de renseignements dont le but est d’assurer une surveillance accrue de la population.

La violence politique quant à elle, s’incarne au sein des slogans de propagande qui

sont omniprésents au sein de la société nord-coréenne.

94 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 174. 95 HEO Man-Ho, Op. Cit., p. 467. 96 JIN-SUNG Jang, Op. Cit., p. 87.

37

En décembre 2015, le pays diffusait plus de trois-cents nouveaux slogans de

propagande, qui viennent soutenir la puissance militaire du régime ainsi que la force

économique du pays, tout en insistant sur la promotion des valeurs nord-coréennes.

Parmi ces slogans figurait le suivant : « que nos ennemis osent envahir notre pays et

ils seront anéantis jusqu’au dernier d’entre eux ! ». La publication de ces slogans

permet au régime de s’assurer une certaine stabilité face aux influences extérieures

tout en renforçant la loyauté populaire. En 2015, lors d’une visite au musée de

Sinchon, Kim Jong-un a souligné la nécessité de renforcer l’éducation idéologique

pour ne jamais oublier « le fondement de la révolution nord-coréenne : l’anti-

impérialisme américain. »97 Enfin, au paroxysme de la violence politique se trouvent

les camps de travail, les « Nodong danryundae » ou « Kotbak », qui garantissent une

répression efficace mais qui causent également d’importants flux de réfugiés. Le plus

connu de ces camps est celui de Yodok, plusieurs fois dénoncé par Amnesty

International, en raison des conditions de détention. 98 Ces camps s’inspirent

notamment de mesures esclavagistes tout en soumettant les prisonniers à des

pratiques de torture, perpétrées par les gardes nord-coréens.

Ces camps, qui sont actifs depuis les années 1950 environ, sont également le lieu

d’exécutions publiques récurrentes. « Les assassinats (...) d’individus jugés hostiles

cherchent quant à eux à intimider selon la formule de Staline : « En frapper un pour

en éduquer cent. »99 Selon un témoignage d’un ancien prisonnier du camp Yodok,

« voir des gens mourir arrivait fréquemment (...) Je me chargeais d’enterrer les morts

(...) Après avoir reçu une ration supplémentaire pour ce travail, j’étais plutôt content

que triste. »100 De manière générale, le régime nord-coréen restreint les libertés

individuelles au maximum et bafoue les droits de l’homme. A ce sujet, il est

pratiquement impossible de connaître l’ampleur des abus tant le régime fait preuve

d’oppression et de mystère. Il est par ailleurs également défendu aux nord-coréens de

communiquer avec le monde extérieur.

97 « En visite au musée de Sinchon, Kim Jong Un plaide pour un renforcement de l’endoctrinement »,

Daily NK, 8 Avril 2015, http://www.dailynk.com/english/read.php?cataId=nk04003&num=13385 98 Annexe 3, p. 99. 99 SOMMIER Isabelle, Op. Cit., p. 28. 100 « Corée du Nord : des images satellite révèlent l’étendue de camps pour prisonniers politiques »,

Amnesty International, 3 Mai 2011, http://www.amnesty.fr/Informez-vous/Les-actus/Coree-du-Nord-

images-satellite-camps-prisonniers-politiques-2539

38

La violence physique mais également psychologique mobilisée par le régime nord-

coréen à l’encontre de sa population s’inscrit dans la logique de « regime survival »

mobilisée par le régime. « The ability to isolate its people and to monopolize the

information available to them is key to regime survival. »101 La violence politique

combinée à la terreur d’Etat, tente de briser toute tentative de résistance et ce par le

biais de plusieurs instruments comme la torture, l’élimination physique, l’humiliation

ou l’usage de camps. Selon Hannah Arendt, la terreur d’Etat revêt justement un

caractère particulier au sein des régimes totalitaires, puisqu’elle « consiste à semer

l’effroi dans l’ensemble de la population pour garantir par avance sa passivité. »102

Ainsi que l’analyse l’a souligné, plusieurs éléments domestiques contribuent à la

stabilité et à la survie du régime.

Dans un premier temps, l’idéologie constitue un point d’appui sur lequel se base

l’Etat afin d’assurer une certaine stabilité domestique. Dans un second temps,

l’isolationnisme dont fait preuve le pays ainsi que la transmission des prérogatives du

pouvoir de père en fils sont des éléments contribuant à renforcer la survie de l’Etat.

Par ailleurs, la manipulation des idées par le biais de l’endoctrinement, de la

propagande ainsi que de la terreur politique, permet d’accroître le caractère légitime

du régime, tout en mobilisant la violence physique afin de dissuader une éventuelle

résistance de se former, en réprimant les attitudes déviantes. A cet égard, la force

armée joue un rôle prépondérant, se constituant comme l’instrument ultime du

régime et visant à assurer répression et terreur au sein de la population. « La

répression et la coercition, conjuguées à l’endoctrinement démesuré d’une société

largement ignorante des réalités extérieures, ont forgé un véritable Etat-secte, dont la

survie est garantie par l’outrance de l’appareil militaire. » 103 Néanmoins, les

informations concernant les conditions de vie en Corée du Nord sont à considérer

avec prudence. En effet, une grande partie de ces informations émanant de

témoignages de réfugiés ayant fui le pays, leurs propos sont régulièrement remis en

cause.

101 « Why North Korea will stick around for a while », The Diplomat, August 25, 2014,

http://thediplomat.com/2014/08/why-north-korea-will-stick-around-for-a-while/ 102 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Op. Cit., p. 296. 103 KLEN Michel, « Le jeu trouble de la Corée du Nord », Études, 2004/3, Tome 400, p. 312.

39

« Defectors have a clear interest in portraying the worst possible picture of the state

from which they defected. »104 Mais le pays ne peut cependant pas faire abstraction

des réalités internationales et des évolutions extérieures au régime. De plus, la

situation géopolitique du pays induit qu’il est au centre des tensions en Asie-

Pacifique, en ce qui concerne notamment les questions maritimes et territoriales.

Ainsi que l’étudiera le prochain chapitre, l’influence conséquente des Etats-Unis au

sein de la région et le poids considérable de la triade politique constituée par les

Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud, sont des éléments qui contribuent à

influencer les tactiques de survie du régime, perçu comme « l’ultime fossile de l’ère

stalinienne. »105

104 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 122. 105 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 41.

40

41

Chapitre III - Relations extérieures : entre confrontation, compétition et

concertation

De par sa situation géographique avantageuse, la Corée du Nord possède une

certaine influence en Asie-Pacifique, notamment au niveau des questions maritimes

régionales. « La Corée est située au carrefour de puissances majeures (...) Depuis

toujours, sa survie dépend de sa capacité à s’insérer dans les bonnes grâces de ses

puissants voisins (...) pour se ménager une place spécifique qui permette de préserver

son autonomie politique et sa spécificité culturelle. »106 Malgré les faibles moyens

dont dispose le régime nord-coréen afin d’asseoir son influence sur la scène

internationale, ce dernier met en place des stratégies de négociation avec ses voisins,

essayant de tirer parti de ses alliances, tout en tirant avantage des éventuelles

disputes régionales. Les interactions en Asie-Pacifique s’inscrivent au sein d’un

complexe régional de sécurité, induisant pour les puissances régionales une certaine

tyrannie de la proximité, entretenue par la Corée du Nord.

A cet égard, le régime nord-coréen reste un enjeu régional majeur pour des

puissances comme la Chine, la Corée du Sud, le Japon et la Russie mais il constitue

aussi un enjeu qui dépasse le cadre régional, impliquant d’autres puissances comme

les Etats-Unis, avec lesquels Pyongyang entretient une relation basée sur la méfiance.

Ainsi que le soulignera l’analyse, les stratégies de la politique étrangère nord-

coréenne s’inscrivent dans une optique de survie du régime. « Depuis toujours, la

Corée n’a qu’un but : survivre à l’appétit de ses puissants voisins. »107 Après la

défaite du Japon en 1945, la Corée du Nord est libérée de son colonisateur japonais.

Mais rapidement, la présence soviétique en Corée du Nord et américaine au Sud

vient à nouveau bouleverser le territoire, en instaurant une véritable fracture

territoriale et idéologique. « La Corée du Nord, victime de sa position géographique

de tête de pont entre des espaces stratégiques, n’a jamais réussi à maîtriser son destin

historique. »108

106 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 41. 107 Ibid. 108 KLEN Michel, Op. Cit., p. 311.

42

Victime d’une longue occupation, suivie d’une guerre intercoréenne qui restera

gravée dans la mémoire des coréens – tant au Sud qu’au Nord -, la Corée du Nord a

connu une période de stabilisation, pouvant compter sur le soutien de son voisin

communiste, l’U.R.S.S. Mais cette période de répit politique sera bouleversée dans

les années 1990. A la sortie de la Guerre froide, l’Union Soviétique implose,

exposant la Corée du Nord aux influences extérieures. « The implosion of the USSR

and its satellites, German reunification, victory by the US-led forces in the Gulf War

compelled the Pyongyang regime to rely even more on autarky. » 109 Ces

transformations du système international ont conduit Pyongyang à adopter des

stratégies d’isolement international dans une optique de préservation, afin d’éviter un

phénomène de contagion, qui émanant de l’ancien Bloc soviétique, risquait de

bouleverser la stabilité du régime nord-coréen. A cet effet, le pays s’est

majoritairement basé sur sa force militaire comme levier diplomatique coercitif, tout

en adoptant certaines tactiques afin d’obtenir des concessions des puissances

extérieures. A travers l’étude des relations principales du pays, l’analyse mettra en

lumière les influences extérieures sur le régime nord-coréen ainsi que les enjeux que

ce dernier constitue au sein de l’Asie-Pacifique.

Dans un premier temps, l’analyse étudiera les relations unissant la Corée du Nord à

la Chine, dont les contacts oscillent entre concertation et divergence. Pour cela, la

réflexion se focalisera autour de certains aspects majeurs comme la relation

clientéliste entre les deux Etats, ainsi que l’impact de l’expansion économique et

militaire chinoise sur l’attitude nord-coréenne. Dans un second temps, la réflexion

sera axée autour des relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Pour cela,

l’analyse étudiera une période allant de la présidence de George W. Bush à celle de

Barack Obama. Dans un troisième temps, cette étude s’attardera sur les relations

intercoréennes. Afin d’étudier les principales caractéristiques de ces dernières, les

différends territoriaux et idéologiques seront mis en lumière ainsi que les impacts des

politiques des gouvernements successifs à l’égard de la Corée du Nord.

109 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, « China’s Evolving Policy towards the Democratic People’s

Republic of Korea under Xi Jinping », Asian Studies Review, 2015, Vol. 39, No. 3, pp. 483–502,

http://dx.doi.org/10.1080/10357823.2015.1052778, p. 487.

43

Ce chapitre ne s’attachera pas à détailler les relations unissant Pyongyang avec

Moscou et Tokyo, préférant se focaliser sur les acteurs majeurs en présence, à savoir

la Chine, les Etats-Unis et la Corée du Sud.

a) Chine : l’instabilité relationnelle, entre concertation et divergence

Suite à la Guerre de Corée, la Chine a développé une relation de coopération avec la

Corée du Nord, ayant bien conscience que cette dernière constituait une barrière

contre l’influence américaine. Un effondrement du régime ou son occupation par les

Etats-Unis constituent deux scénarios hautement menaçants pour la Chine, qui

compte bien préserver son influence régionale, si ce n’est l’accroître. Dès 1958, la

Chine et la Corée du Nord signent un accord prévoyant l’établissement de rencontres

et de sommets entre les deux puissances. C’est un premier pas vers la mise en place

d’une relation privilégiant la coopération, sur fond de fermeté. Avec la chute de

l’U.R.S.S, la Corée du Nord renforce son engagement envers la Chine, sur laquelle le

régime compte depuis la Guerre de Corée. La Chine devient alors le premier

partenaire économique nord-coréen. Avec la chute du bloc soviétique, la Chine

dispose d’une influence conséquente sur la Corée du Nord. Quel que soit la période

historique, Pékin a toujours eu conscience de l’importance de la frontière commune

l’unissant au voisin nord-coréen. Cette frontière revêt un caractère dual, constituant à

la fois un atout défensif, mais également une menace. En effet, la Chine doit sans

cesse faire face à l’enjeu des réfugiés qui fuyant le territoire nord-coréen, viennent

s’établir en Chine.

Cette dernière doit également prendre en compte la progressive nucléarisation de la

Corée du Nord et inclure ces variables dans sa politique étrangère à l’égard de son

voisin instable. « Regional instability, influx of refugees, and the possible nuclear

repercussions that could be caused by the collapse of the Kim regime changed the

defining interest of China in North Korea to regime stability. »110 Avec le temps, la

Chine a donc développé des partenariats avec le régime nord-coréen, ce qui implique

une forte présence chinoise en Corée du Nord, en vertu notamment d’accords

commerciaux.

110 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 130.

44

Mais la politique chinoise envers le régime reste ambigüe, la Chine oscillant entre

conciliation et fermeté. « Chinese policy toward the DPRK (...) triangulates between

two strategic lodestars: setting DPRK policy such that PRC relations to the major

global powers are maintained and ensuring the stability of Pyongyang regime such

that the DPRK remains a sovereign state and buffer on the margins of China’s sphere

of influence. »111 A cet égard, la Chine doit souvent faire face au reproche que lui

adressent d’autres puissances, regardant le fait qu’elle ne se montre pas toujours

suffisamment sévère avec la Corée du Nord. Mais Pékin redoute qu’une position plus

stricte à l’encontre du régime nord-coréen ne contribue à la chute de ce dernier. Cette

crainte est constitutive des relations entre les deux Etats.

Une relation clientéliste : la crainte chinoise d’une déstabilisation du régime nord-

coréen

La priorité chinoise, c’est de protéger son territoire. En effet, la Chine craint de voir

son influence régionale diminuer, au détriment de sa propre sécurité nationale.

Aujourd’hui, les enjeux territoriaux fondamentaux pour cette dernière sont situés

majoritairement au niveau du Tibet et du Xinjiang, qui sont des territoires considérés

comme des zones tampons, constituant des enjeux majeurs face à des puissances

comme la Russie et l’Inde. Si la Chine parvient à contrôler ces zones stratégiques

ainsi que les évolutions du régime nord-coréen, elle se sentira plus en sécurité,

pouvant ainsi rester la puissance incontournable de la région. Une éventuelle

déstabilisation du régime constitue donc une menace majeure pour Pékin qui œuvre

afin de préserver une certaine stabilité de son voisin nord-coréen, tout en essayant

d’endiguer les progrès de son programme nucléaire. A cet égard, les sanctions

imposées par les Etats-Unis à la Corée du Nord en raison du développement d’un

programme nucléaire ont induit une dépendance économique accrue du régime à la

Chine, inscrivant cette relation dans un cadre clientéliste. D’où la conclusion d’un

accord économique et technique en 1996 entre les deux pays, concernant notamment

les denrées alimentaires, le pétrole et le charbon. Cette oscillation de la politique

chinoise envers la Corée du Nord est symbolisée par la politique du Président Hu

Jintao, dès 2002.

111 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, Op. Cit., p. 485.

45

« China’s leadership under Hu Jintao had established a DPRK strategy that

attempted to balance economic engagement to ensure regime stability with political

manoeuvring to manage regime behavior from within. » 112 La possibilité d’une

éventuelle réunification intercoréenne n’est pas sans risque pour la puissance

chinoise. En effet, un tel scénario comporte des risques majeurs pour la région. La

Chine, de par sa frontière commune avec le régime nord-coréen, a conscience qu’une

réunification du territoire coréen sous l’égide d’une entité politique unifiée,

constituerait une menace à la stabilité du régime chinois. « China’s top decision-

makers fear that serious overt pressure would risk starting a process of

destabilization leading to deteriorated conditions on the Korean Peninsula and

damage China’s security environment. »113

Ayant comme objectifs principaux de garantir le maintien de leurs intérêts en Asie-

Pacifique, les dirigeants chinois ne se montrent pas enclins à encourager un tel

processus politique et territorial. « First, it might precipitate a flood of North Korean

refugees into the country. Second, it would create turmoil at a moment when the

Chinese economy was growing rapidly. Thirdly, North Korea would probably be

absorbed by South Korea, with a real prospect that the unified Korea would be pro-

USA and host US troops. »114 « La Chine considère la Corée du Nord comme un

Etat-tampon qui disparaîtrait en cas de réunification, rendant éventuellement possible

l’avancée des troupes américaines stationnées au Sud de la péninsule vers les

frontières chinoises. »115 Ces multiples raisons expliquent le soutien dont fait preuve

le gouvernement chinois à l’égard du régime totalitaire. En revanche, cela n’a pas

empêché certaines périodes de tension entre les deux régimes. Par conséquent, à

maintes reprises, la Chine a décidé de suspendre les aides octroyées à la Corée du

Nord, en réponse à l’attitude du régime, notamment lors des négociations concernant

la question nucléaire. En effet, la nucléarisation nord-coréenne symbolise pour la

Chine une menace majeure, qui renvoie à sa crainte d’assister à la prolifération

nucléaire en Asie-Pacifique.

112 Ibid., p. 488. 113 Ibid., p. 484. 114 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 38. 115 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 49.

46

A cet égard, Pékin a tenté, et ce notamment depuis le début des années 2000, d’initier

un dialogue entre la Corée du Nord, les pays d’Asie-Pacifique et les Etats-Unis, en

vue d’une dénucléarisation mais surtout, afin d’empêcher une prolifération nucléaire

accrue. A cet effet, la Chine a constitué un moteur des négociations, en initiant les

fameux Pourparlers à six. En effet, la puissance chinoise a su amener la Corée du

Nord à la table des négociations. « La position de la Chine a toujours été explicite

quant à la dénucléarisation de la péninsule. Moteur des Pourparlers à six, la Chine a

accueilli à Pékin les six phases de négociations entre 2003 et 2009 (...) Fermeté et

négociations ont été les deux axes de la diplomatie chinoise vis-à-vis de la péninsule

coréenne. »116 Néanmoins, en 2010, l’incident lié à la navette Cheonan va susciter la

montée de tensions dans la péninsule coréenne.

Pendant cette crise, Pékin décide de soutenir explicitement la Corée du Nord, en

adoptant une position modérée à l’encontre de cette dernière. Néanmoins, cela

n’empêche pas à la Chine de réagir avec sévérité à certaines attitudes du régime

nord-coréen, notamment en 2013 suite au lancement d’un satellite par le régime. La

Chine a également adopté les résolutions 2087 et 2094 du Conseil de Sécurité des

Nations Unies qui ont condamné et sanctionné la Corée du Nord pour ses essais

nucléaires de 2012 et 2013. De son côté, l’actuel Président chinois Xi Jinping s’est

opposé au programme nucléaire nord-coréen. La Chine de Xi Jinping a eu tendance à

durcir ses positions vis-à-vis de la Corée du Nord, impliquant que Pékin n’allait pas

tolérer la nucléarisation de la péninsule coréenne. Cette approche s’est confirmée en

janvier 2016, suite au dernier essai nucléaire nord-coréen, face auquel la Chine a fait

preuve de son mécontentement.

Militarisation et orientation de la Chine vers un modèle économique libéral :

application du dilemme de sécurité

L’expansion économique et militaire de la Chine constitue un obstacle dans les

relations sino-nord-coréennes. En effet, alors qu’à la sortie de la Guerre froide, la

Chine constituait un allié idéologique majeur pour le régime nord-coréen, sa

conversion au capitalisme et son ouverture aux influences économiques libérales

extérieures, ont rapidement modifié les relations l’unissant à la Corée du Nord.

116 Ibid., p. 51.

47

« La Corée du Nord a rapidement compris que le temps de la Guerre froide était

révolu et qu’avec la conversion de Pékin au capitalisme, celui-ci avait remplacé

l’idéologie. »117 Avec le temps, l’influence chinoise s’est donc constituée comme une

menace à la survie du régime nord-coréen. La militarisation croissante de la Chine

vient également renforcer les préoccupations de la Corée du Nord, qui fait face à ce

que l’on nomme le dilemme de sécurité, entendu comme suit : « the situation that

states face when they arm themselves and in the process, threaten other states. »118

En développant son arsenal nucléaire tout en se dotant de capacités militaires accrues,

la Chine contribue à renforcer la méfiance de ses voisins, de la Russie au Japon, en

passant par la péninsule coréenne. Ce fameux dilemme de sécurité implique que se

sentant menacée par une entité disposant d’une puissance bien supérieure à la sienne,

la Corée du Nord applique des stratégies de diplomatie coercitive, associées à des

tactiques de contrainte. Dans cette optique, le régime compte obtenir certaines

concessions militaires, politiques et économiques.

Mais les stratégies nord-coréennes sont également mises à mal par les

rapprochements entre la Chine et deux puissances principales, à savoir les Etats-Unis

et la Corée du Sud. En effet, avec le temps, la Chine s’est rapprochée de la Corée du

Sud et ce notamment afin de constituer un contrepoids à l’influence japonaise dans la

région. A cet égard, les deux puissances ont conclu un accord en 1961, à savoir le

Traité d’amitié, d’assistance et de coopération mutuelle. Ces rapprochements entre

les deux puissances ne sont pas du goût de la Corée du Nord, qui voit dans ces

relations diplomatiques une menace au soutien que lui apporte la Chine. « South

Korean Chinese relations dwarf North Korea’s relations with its closest « ally ». »119

En 1991, lorsque la Chine ne s’oppose pas à l’entrée de la Corée du Sud aux Nations

Unies, c’est une trahison pour la Corée du Nord. En effet, cela implique la

reconnaissance de la Corée du Sud par la Chine, et de facto, de deux Corées

distinctes et légitimes.

117 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 43. 118 NAU Henry H., Perspectives On International Relations. Power, Institutions, Ideas, Third Edition,

Washington, CQ Press, 2012, p. 554. 119 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 131.

48

Dès 1992, l’établissement de liens diplomatiques officiels entre Pékin et Séoul

confirmera les rapprochements entre les deux puissances, sous le regard défavorable

du régime nord-coréen. Mais les rapprochements diplomatiques de la Chine n’ont

pas seulement concerné la Corée du Sud. En effet, la puissance asiatique a également

entrepris de renforcer ses liens diplomatiques avec les Etats-Unis dès les années 1970.

Les échanges entre la puissance américaine et Pékin ont fortement impacté les

relations sino-nord-coréennes, en favorisant un rapprochement entre la Russie et la

Corée du Nord. « This rapprochement further drives the DPRK toward its military

and economic patrons in Moscow. »120 En effet, lors des périodes de tension avec la

Chine, c’est vers la Russie que se tourne le régime nord-coréen et inversement, lors

des périodes de tensions avec la Russie. Néanmoins, les attitudes américaines et

japonaises visant à endiguer la montée de l’influence chinoise en Asie-Pacifique,

rendent la Chine méfiante à l’égard de ces puissances. A cet égard, « the Xi

leadership will not likely join them in their efforts to actively thwart DPRK nuclear

ambitions. »121

La relation entre la Corée du Nord et la Chine reste donc relativement ambivalente.

En effet, d’un côté la Corée du Nord a besoin de la Chine et de sa protection

diplomatique afin d’assurer sa survie et de l’autre côté, le régime a constaté qu’il est

devenu un instrument permettant aux dirigeants chinois d’accroître leur influence et

leur présence au sein de la région. « Loin de considérations idéologiques ou

historiques, la relation entre la Chine et la Corée du Nord est marquée par le

pragmatisme, tandis que chacun semble être l’otage de l’autre. »122 Au final, la Chine

risque d’être confrontée à un dilemme : soit elle devra choisir de renforcer ses liens

avec la Corée du Nord, soit elle devra envisager un affaiblissement des relations avec

cette dernière, afin d’accroître les liens diplomatiques avec les Etats-Unis. Ces

dernières années, les relations entre les deux pays ont surtout revêtu un caractère

économique et commercial plutôt qu’idéologique et militaire. « Pékin n’influence

pas directement Pyongyang, mais façonne un cadre d’évolution. »123 Pyongyang et

Pékin ne perçoivent pas les transformations de l’ordre mondial de la même façon.

120 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, Op. Cit., p. 486. 121 Ibid., p. 497. 122 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 50. 123 GODEMENT François, « Situation géopolitique de la péninsule coréenne », Hérodote 2011/2, No.

141, pp. 7-16 DOI 10.3917/her.141.0007, p. 13.

49

Alors que pour la Chine, ce dernier constitue un ensemble d’opportunités pour son

expansion, pour la Corée du Nord, « le nouvel ordre mondial est (...) une menace

potentielle fondamentale, touchant à son existence même. »124 Bien que les éléments

étant perçus comme des menaces à la survie du régime soient de natures diverses, la

menace principale à la survie du régime reste, dans l’optique des nord-coréens,

l’influence américaine en Asie-Pacifique.

b) Etats-Unis : la crainte de l’ingérence américaine (de George W. Bush à

Barack Obama)

Ainsi que l’analyse le soulignera, les relations unissant les Etats-Unis à la Corée du

Nord s’établissent dans un cadre de méfiance réciproque, au sein duquel le blocage

n’émane pas toujours de la Corée du Nord. Dans ses relations avec les Etats-Unis, la

Corée du Nord mobilise principalement des tactiques de marchandage, visant à

obtenir des concessions de la part de Washington : « The foreign policy of North

Korea towards the USA can be interpreted in terms of bargaining between a weak

power, North Korea, and a superpower, the USA. »125 Marquée par les souvenirs liés

à la Guerre de Corée, la relation entre les deux puissances connaît bien souvent des

heurts et des périodes de tension conséquentes. Etant donné l’importance des

mémoires liées à la guerre, les dirigeants nord-coréens cultivent à l’égard de la

puissance américaine, un sentiment de répulsion qu’ils insufflent à la population, par

le biais d’un puissant vecteur : l’idéologie.

Les tactiques de survie du régime nord-coréen impliquent une résistance face à ce

qui est perçu comme une influence impérialiste nocive. « Let’s Hack American

Imperialism into Pieces. »126 En effet, la Guerre de Corée et ses mémoires ont

contribué à ériger un sentiment nationaliste anti-américain et ce notamment à cause

de la mobilisation d’armes bactériologiques et chimiques par les Etats-Unis contre la

Corée du Nord pendant le conflit. « The collective memory of incidents has shaped

people’s aggressive and militant views of the American enemy. »127

124 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 44. 125 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 2. 126 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 12. 127 Ibid., p. 10.

50

Les Etats-Unis sont depuis lors perçus comme un ennemi mortel pour la nation et

sont l’objet d’une haine extrême. « Americans were always regarded as Satan while

North Koreans were seen as innocent young lambs. » 128 Les traumatismes

psychologiques liés à la Guerre de Corée ont donc contribué à l’émergence de

stratégies politiques visant à assurer la survie du régime face aux menaces

extérieures. Du côté américain, la politique envers la Corée du Nord a connu

quelques évolutions.

La rhétorique néo-conservatrice sous George W. Bush et son impact sur les

relations entre les deux pays

Avec l’arrivée de George W. Bush au pouvoir, une rupture avec la politique menée

par Bill Clinton va s’instaurer, dans une optique de changement, malgré la continuité

initiale entre les deux administrations à l’égard de Pyongyang. Les tentatives de

normalisation entreprises par l’administration Clinton ont eu tendance à s’essouffler.

Sous Bill Clinton, l’approche privilégiée était basée sur la négociation, plutôt que sur

la coercition. A cet effet, le 17 octobre 1994, les Etats-Unis et la Corée du Nord

concluent l’accord cadre de Genève, concernant la question nucléaire. Ce dernier

prévoyait notamment la mise en place de la Korean Peninsula Energy Development

Organization (KEDO), et l’installation de réacteurs à eau légère en Corée du Nord.

Cet accord constitue une victoire pour le régime nord-coréen puisqu’il implique sa

reconnaissance en tant qu’Etat indépendant et souverain par les Etats-Unis, ce qui

induit une légitimité accrue de ses revendications. Mais cet accord montrera

rapidement certaines limites, l’optique de normalisation s’amenuisant. « It was

President Clinton who erroneously accepted North Korea’s proclaimed rhetoric that

the pending threat of the United States and the armistice agreements are responsible

for the North Korean nuclear problem. »129 C’est dans une optique de fermeté que va

s’inscrire la politique de l’administration suivante sous George W. Bush, en réponse

à une période de concessions initiée par Bill Clinton.

128 Ibid., p. 14. 129 SEONGWHUM Cheon, « The ROK – U.S. Military Alliance: Transformation and Change », in

BECHTOL Bruce E., Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps

University Press, 2011, p. 68.

51

Dès 1988, la Corée du Nord avait été ajoutée à la liste des Etats « sponsors » du

terrorisme par les Etats-Unis, suite au bombardement de la Corée du Sud en 1987.

Depuis les années 1980, les Etats-Unis mobilisent une certaine politique de pression

à l’encontre du régime. « Fear of U.S intervention within North Korean borders

replaced fear of an actual military strike. »130 Cela n’empêche pas la mise en place de

la « Modest Initiative » en 1988, qui prévoyait un allègement du blocus commercial

mis en place sous Bill Clinton, facilitant ainsi les transferts d’aides humanitaires. Au-

delà de l’image de « l’Etat failli », la Corée du Nord a été inscrite en 2002 sur la liste

des puissances considérées comme des « Etats Voyous » par le Président Georges W.

Bush, suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à l’implication du pays dans

plusieurs incidents en Asie-Pacifique. Les attentats marquent une rupture avec la

modération initiale de l’administration Bush à l’égard de la Corée du Nord.

L’administration construit alors un discours anti-terrorisme basé notamment sur le

fameux « axe du mal », qui regroupe d’autres pays comme l’Iran et l’Irak de Saddam

Hussein, au sein du discours sur l’état de l’Union de 2002.

Ces puissances sont alors catégorisées car soupçonnées de soutenir des mouvements

terroristes, de posséder des armes de destruction massive et d’élaborer des armes

nucléaires en bafouant l’éthique des Traités internationaux liés à la politique de non-

prolifération. « Pyongyang believes that the US government in general and the Bush

administration in particular, are not trustworthy. When President Bush labelled the

NK a « rogue state » and included it in the « axis of evil » (...) Pyongyang expressed

deep resentment and disbelief (...) Pyongyang interpreted its inclusion in the « axis of

evil » as the expression of Bush’s will to force the North Korean leadership into

disintegration and eventually to force a regime change. »131 Par la suite, en 2005, la

Corée du Nord est à nouveau pointée du doigt au sein du discours de Condoleezza

Rice, alors Conseillère à la sécurité nationale des Etats-Unis. Dans son discours,

cette dernière se focalise sur ce qu’elle nomme « l’avant-poste de la tyrannie ». Cette

rhétorique vise plusieurs pays mis en cause de par leur régime politique, jugé

incompatible avec les valeurs occidentales.

130 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 126. 131 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, Op. Cit., p. 44.

52

En revanche, cette fois, les accusations ne concernent ni les armes nucléaires et de

destruction massive, ni les suspicions de la communauté internationale concernant

d’éventuels soutiens à des mouvements terroristes. C’est le régime politique interne

des pays mentionnés qui est désapprouvé. Cette rhétorique a fortement contribué à

renforcer le sentiment nationaliste anti-américain en Corée du Nord, sur fond de crise

alimentaire et économique. « L’opacité nord-coréenne s’est renforcée après le

discours sur « l’axe du mal ». »132 L’agressivité des décideurs américains sous cette

administration a participé au retranchement du régime nord-coréen, se sentant pris au

piège dans un environnement de plus en plus hostile. Les discours américains ont

donc à cette époque « conduit le régime à s’enfermer et à rester en état d’alerte totale

contre le monde extérieur. »133

Enfin, il faudra noter que pour le régime nord-coréen, cette rhétorique a contribué à

exposer la Corée du Nord à des attaques préemptives, conduisant le régime à

demander une assurance américaine qui prendrait la forme d’un traité de non-

agression. En 2008, les Etats-Unis annoncent officiellement le retrait de la Corée du

Nord de la liste des pays considérés comme faisant partie de « l’axe du mal ».

Pourtant, deux jours auparavant, les inspecteurs de l’Agence Internationale de

l’Energie Atomique (AIEA) s’étaient heurtés au refus nord-coréen, concernant la

poursuite des inspections en Corée du Nord. Bien loin de poursuivre le

démantèlement de Yongbyon, Pyongyang avait relancé les installations nucléaires. A

l’époque, Georges W. Bush est alors en fin de mandat et l’on constate un

assouplissement de sa politique vis-à-vis du régime nord-coréen, sans pour autant

occulter la méfiance à l’égard de ce dernier. Il faut toutefois noter que ce retrait

officiel n’est pas sans compter sur un compromis entre les deux Etats.

132 COURMONT Barthélémy, « La stratégie du flou de Pyongyang », Revue internationale et

stratégique, 2005/4, No. 60, p. 9-18 DOI : 10.3917/ris.060.0009, p. 11. 133 CHUN Kwang-Ho, « Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du

Nord et de la sécurité en Asie du Nord-Est », Revue internationale de politique comparée, 2012/3,

Vol. 19, p. 169-191 DOI : 10.3917/ripc.193.0169, p. 185.

53

« La secrétaire d’Etat américaine a annulé la mention de la Corée du Nord en tant

qu’Etat encourageant le terrorisme (...) Cette décision a été prise parce qu’un accord

sur des procédures de vérification du programme nucléaire nord-coréen a été trouvé

entre les six pays impliqués dans les pourparlers (Etats-Unis, Chine, Japon, Russie,

Corée du Sud et du Nord). » 134 Par ailleurs, les guerres menées en Irak et en

Afghanistan par les Etats-Unis n’ont pas laissé le régime nord-coréen indifférent.

« The invasions of Afghanistan and Iraq and the subsequent removal of their

respective leaders sent shudders down the spine of other authoritarian leaders. »135

La crainte majeure du régime nord-coréen était que les Etats-Unis cherchent à

imposer une certaine dynamique de changement en Corée du Nord, dans une

perspective similaire à ce qui avait été appliqué en Irak et en Afghanistan. Suite à ces

conflits, Pyongyang a radicalisé sa position face aux Etats-Unis, rendant les

négociations entre les deux puissances plus ardues. « The situation in Iraq affected

the leverage of the USA to negotiate with Iran, Libya and North Korea. »136 Les

convictions des dirigeants nord-coréens à poursuivre un programme nucléaire ont

donc été renforcées par l’interventionnisme américain au Moyen-Orient.

Barack Obama : entre patience et sanctions

Sous Barack Obama, la doctrine américaine à l’égard de la Corée du Nord va

connaître certaines évolutions. Ce dernier va adopter la politique dite de la « strategic

patience »137 Pendant sa campagne présidentielle, ce dernier a mis en avant une

rhétorique plus conciliante que son prédécesseur, ce qui a poussé la Corée du Nord à

espérer plus de flexibilité de la part des Etats-Unis, notamment sur la question du

développement d’un programme nucléaire. Rapidement, les espoirs nord-coréens

seront déçus: « Instead of initiating direct talks with Pyongyang, the Obama team

spent the first few months in office reviewing the Bush administration’s

approach. »138

134 « La Corée du Nord quitte l’« axe du mal », Le Figaro en ligne, 11 octobre 2008,

http://www.lefigaro.fr/international/2008/10/11/01003-20081011ARTFIG00540-la-coree-du-nord-

quitte-l-axe-du-mal-.php 135 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 134-135. 136 Ibid., p. 54. 137 DAEWON Ohn, RICHEY Mason, Op. Cit., p. 495. 138 LEE Seung-Keun, « La crise nucléaire nord-coréenne : le bilan et la résolution », Hérodote 2011/2,

No. 141, p. 34-46 DOI 10.3917/her.141.0034, p. 110.

54

Le ton conciliant de l’administration d’Obama a rapidement évolué vers une

rhétorique plus sévère, notamment basée sur les sanctions et ce à cause de l’envoi par

la Corée du Nord d’un satellite de communication, peu avant la déclaration de

Prague de Barack Obama en 2009. Ce dernier réagit fermement en affirmant sa

désapprobation à l’encontre du régime et en insistant sur la nécessité de condamner

fermement cette action. L’écart entre les attentes du régime nord-coréen et la réalité a

contribué à renforcer le sentiment de frustration du régime, tout comme l’attitude de

Washington, perçue comme agressive par Pyongyang. Actuellement, un des

principaux obstacles à la normalisation des relations entre les deux pays reste l’enjeu

du nucléaire nord-coréen. Cet enjeu est inscrit au sein d’un cercle vicieux, qui

semble jusqu’ici rester sans issue. « Les Etats-Unis refusent de donner des garanties

de sécurité à la Corée du Nord jusqu’à ce que cette dernière ait prouvé que son

programme d’armement a bien été démantelé. La Corée du Nord refuse de désarmer

sans que les Etats-Unis ne lui aient accordé de garanties de sécurité. »139

Ce dont la Corée du Nord a besoin aujourd’hui vis-à-vis des Etats-Unis, c’est une

garantie de sécurité, un traité établissant que la puissance s’engage à ne pas agresser

Pyongyang. Mais les Etats-Unis ne l’entendent pas de cette oreille, étant donné les

intérêts stratégiques présents au cœur de la région. Pour la puissance américaine,

l’enjeu est de continuer à asseoir son influence au sein de la région, en s’appropriant

notamment les lignes de communication maritime. Cette quête pour la puissance

renforce les perceptions nord-coréennes d’une influence capitaliste et impérialiste, ce

qui n’aide pas à améliorer les relations entre les deux entités. Les Etats-Unis peuvent

néanmoins compter sur la Chine afin d’assurer la stabilité du régime nord-coréen,

étant donné leur intérêt commun à éviter un effondrement de ce dernier, ainsi que la

prolifération nucléaire à d’autres pays comme le Japon ou la Corée du Sud. Force est

de constater que malgré certaines différences entre les administrations, les lignes de

force de la diplomatie américaine envers la Corée du Nord sont restées similaires, se

basant notamment sur les incitations à abroger le programme nucléaire nord-coréen.

139 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste » Op. Cit., p. 48.

55

« Washington’s solution has remained fundamentally unaltered since 1992, except

for tactical differences between the Clinton and Bush administrations. »140 Dans

l’esprit des dirigeants nord-coréens, les Etats-Unis restent donc le symbole d’un

système capitaliste et consumériste corrompu. Dans une optique similaire,

l’ouverture de la Corée du Sud au commerce mondial ainsi que son développement

économique ces dernières décennies, sont des éléments impliquant que Pyongyang

développe une méfiance croissante à l’égard de son voisin du Sud. Dans une

perspective de survie, le régime nord-coréen tente de se préserver de l’influence

américaine. A cet égard, la Corée du Sud est bien souvent associée aux stratégies

d’hégémonie américaine dans l’esprit des nord-coréens. Les citoyens sud-coréens

sont considérés par leurs voisins du Nord comme citoyens de seconde zone et la

politique nord-coréenne à l’égard de la Corée du Sud est basée sur un dénigrement

permanent : « South Korea was always America’s puppet. »141

c) Corée du Sud : les fractures territoriales et idéologiques

Les relations entre les deux Corées sont particulièrement marquées par la Guerre de

Corée. Etant donné que l’Armistice conclu en 1953 n’a pas été suivi par un Traité de

paix, les deux pays sont aujourd’hui officiellement encore en guerre. Instaurée le 27

juillet 1953, la « Joint Security Area », à savoir la zone coréenne démilitarisée,

constitue le seul point de rencontre sur la frontière entre les deux Etats et reflète les

périodes de tension et d’accalmie entre les deux territoires. En 2015, lorsqu’une

explosion blesse deux soldats sud-coréens dans cette zone, la Corée du Sud avait

réagi en diffusant des messages sonores de propagande à la frontière. Depuis la

Guerre de Corée, la Corée du Nord n’a eu de cesse de se montrer agressive à

l’encontre de son voisin du Sud, en mobilisant des tactiques militaires variées.

Néanmoins, en 1972, les deux Corées font un pas l’une vers l’autre et signent une

déclaration commune qui œuvre dans l’optique d’une réunification future.

140 QUINONES Kenneth C., « Reconciling Nuclear Standoff and Economic Shortfalls: Pyongyang’s

Perspective », in KIHL Young Whan, KIM Hong Nack, North Korea. The Politics of Regime Survival,

New-York, East Gate Book, 2006, p. 76. 141 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 14.

56

Cette déclaration cherchait à promouvoir les principes d’indépendance mais

également de paix et d’union nationale, dans un véritable but de détente militaire

entre les deux pays. Par ailleurs, cette déclaration a instauré un Comité de

coordination Nord-Sud. En 1991, les deux Corées signent un accord de réconciliation,

de non-agression, d’échange et de coopération dit « Accord de base intercoréen »,

qui réaffirme les lignes de l’accord de 1972 en créant notamment une Commission

militaire conjointe. Mais ces accords vont rapidement s’essouffler, étant donné que

« le Nord ne voulait pas se sentir lié par un accord instaurant une coexistence

pacifique entre les deux Corées. »142 Aujourd’hui, les attitudes du régime nord-

coréen à l’égard de son voisin du Sud trouvent notamment leur origine dans la

crainte du régime à être absorbé par la Corée du Sud. Le climat est caractérisé par

une méfiance généralisée, qui induit que les relations intercoréennes sont

entrecoupées par des périodes de crise et de stabilité et ce malgré un certain désir

d’unité nationale au niveau sud-coréen. Aujourd’hui, ce qui pousse la Corée du Nord

à chercher la coopération avec le Sud, ce sont surtout les nécessités économiques.

Mais les dynamiques sont susceptibles d’être modifiées, étant donné la faiblesse

militaire relative de la Corée du Sud, qui compte majoritairement sur l’appui

américain pour assurer sa propre défense.

Différends territoriaux et idéologiques : un obstacle à l’entente

La Corée du Sud doit régulièrement faire face aux stratégies de provocation de son

voisin, dont elle subit la tyrannie de la proximité. Malgré un socle identitaire

commun, les différences sociales et culturelles se sont creusées avec le temps, étant

donné les influences différentes auxquelles les deux territoires ont été soumis, mais

également à cause de l’évolution très différente entre les deux régimes et ce malgré

la persistance de similarités dans certains domaines. Ce qui sépare les deux territoires

est donc une véritable « clôture idéologique. »143

142 PERON-DOISE Marianne, « Enjeux de sécurité et mise en place de mesures de confiance autour

de la péninsule Coréenne », Revue internationale et stratégique, 2001/4, No. 44, pp. 127-136 DOI :

10.3917/ris.044.0127, p. 128. 143 KLEN Michel, Op. Cit., p. 311.

57

« The zero-sum game in government to government meetings remains a central

characteristic in inter-Korean relations (...) Fearing the superior diplomatic economic

advances of the ROK, North Korea has chosen to develop a coercive diplomacy to

counter considerable ROK strengths. »144 La Corée du Nord a par ailleurs pendant

longtemps pratiqué une stratégie dite de l’encerclement qui se basait sur la

normalisation des relations avec les Etats-Unis et le Japon et l’établissement de liens

amicaux avec la Russie et la Chine, dans une optique d’isolement de la Corée du Sud.

De par son positionnement géographique stratégique, qui repose notamment sur son

accès à l’espace maritime, la Corée du Nord est au cœur des rivalités territoriales en

Asie-Pacifique et notamment en Mer Jaune et en Mer du Japon. Chaque Corée

s’estimant comme « la Corée légitime de la péninsule »145, les différends touchant à

des questions de souveraineté maritime s’ajoutent aux divergences du même ordre

impliquant le Japon, la Chine ainsi que d’autres puissances comme le Vietnam.

« The ROK islands and surrounding seas targeted by the North lie just off the North

Korean coast but are relatively distant from the South Korean mainland. »146

144 COLLINS Robert M., « North Korea’s Strategy of Compellence, Provocations and the Northern

Limit Line », in BECHTOL Bruce E., Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico,

Marine Corps University Press, 2011, p. 14. 145 GELEZEAU Valérie, Espoirs et désillusions de la décennie du « rayon de soleil », Critique

internationale, 2010/4, No. 49, pp. 9-20. DOI 10.3917/crii.049.0009, p. 11. 146 LEE Seung-Keun, Op. Cit., p. 112.

58

Ainsi, la Corée du Nord réclame certains territoires comme les îles de Baengnyeong

et Daecheong, qui sont officiellement sous contrôle sud-coréen. L’archipel de

Yeonpyong est également au cœur des contestations. Situé en Mer Jaune, il est sous

contrôle sud-coréen, mais la Corée du Nord ne l’entend pas de cette façon. 147

Plusieurs tentatives ont été mises en place par la Corée du Sud, afin de pallier aux

différends territoriaux multiples entre les deux Corées. C’est notamment le cas de la

« Sunshine Policy », lancée par Kim Dae-Jung en 1998.

Les impacts de la « Sunshine Policy » sous Kim Dae-Jung et de la Trustpolitk de

Park Geun-hye

La « Sunshine Policy » ou politique du rayon de soleil dite de la « main tendue », se

basait notamment sur l’allocation conséquente d’aides alimentaires et énergétiques à

destination de la Corée du Nord. C’était une véritable politique de réunification du

territoire. Cette dernière prévoyait une aide presque inconditionnelle de la Corée du

Sud à son voisin du Nord. En 2000, Kim Dae-Jung effectue une visite à Pyongyang

dans le cadre du premier sommet intercoréen. Ce dernier va donner lieu à la

signature de la « déclaration conjointe pour la coexistence pacifique » au sein de

laquelle « les deux dirigeants s’engagèrent à travailler pour réaliser la réunification

de la péninsule de façon pacifique et réitérèrent leur volonté de poursuivre le

dialogue. » 148 Cette déclaration proposait notamment d’établir un modèle de

gouvernance commune, combinant confédération et fédération. A l’époque, Kim

Dae-Jung estimait que « si Séoul offrait des bénéfices économiques et agissait de

façon à éviter toute confrontation, la Corée du Nord accepterait d’apporter des

changements politiques, le régime ne se sentant plus menacé. »149 Cette politique va

donner lieu à plusieurs projets de coopération, sur base d’une véritable volonté de

construire une paix durable tout en songeant à l’éventualité d’une réunification sous

une identité politique unique.

147 Annexe 4, p. 100. 148 HARDY-CHARTRAND Benoît, « Rétablir la confiance sur la péninsule coréenne : le défi de Park

Geun- Hye », Monde chinois, 2013/2, No. 34, pp. 79-85 DOI 10.3917/mochi.034.0079, p. 80. 149 Ibid.

59

Mais ce dernier espoir sera finalement déçu, notamment à cause de la volonté nord-

coréenne d’achever une réunification selon ses propres conditions et sans

l’interférence des puissances étrangères, à savoir la réunification révolutionnaire,

politique formulée en 1964. Ce que souhaitait – et continue à espérer – le régime

nord-coréen, c’était un retrait des troupes américaines de Corée du Sud. En 2003,

Roh Moo-Hyun arrive au pouvoir et poursuit la politique entreprise sous son

prédécesseur en introduisant une variable, à savoir la politique de paix et de

prospérité. Le commerce va continuer à croître entre les deux pays et ce malgré

l’essai nucléaire de la Corée du Nord en 2006. 150 En 2007, le second sommet

intercoréen va se tenir à Pyongyang. Il donnera lieu à une deuxième déclaration

conjointe, permettant la mise en place de certains projets de coopération économique.

Les dirigeants des deux Etats se sont alors engagés à « promouvoir la paix et la

prospérité économique dans la péninsule. »151

La politique du rayon de soleil a néanmoins contribué à affaiblir la Corée du Sud en

réduisant ses capacités de réaction militaire face au régime nord-coréen. En 2008,

elle prend fin avec l’arrivée au pouvoir de Lee Myung-bak, issu du courant

conservateur sud-coréen, le Grand Parti National. Une nouvelle ligne politique plus

ferme émerge, basée sur le principe de réciprocité mutuelle. Toute volonté de

rapprochement va alors disparaître. L’impact économique sera considérable puisque

l’aide économique allouée par la Corée du Sud à la Corée du Nord passe de « 370

millions de dollars en 2007 à 45 millions en 2008, puis 1,9 million en 2009. »152 Lee

Myung-bak avait pour objectif de mettre fin au régime d’aide presque

inconditionnelle accordée jusqu’ici à la Corée du Nord par le Sud. Cette nouvelle

politique contribue à accroître les différends entre les deux Etats. Le paroxysme des

tensions est atteint en 2010 avec le torpillage de la navette sud-coréenne, le Cheonan

et le bombardement de l’île de Daeyeonpyeong par la Corée du Nord. La nouvelle

politique conservatrice initiée en 2008 par le courant conservateur contribue donc à

renforcer la position radicale du régime nord-coréen.

150 Annexe 5, p. 101. 151 DUCRUET César et al., « Les connexions maritimes de la Corée du Nord. Recompositions

territoriales dans la péninsule Coréenne et dynamiques régionales en Asie du Nord-Est », L’Espace

géographique, 2008/3, Tome 37, pp. 208-224, p. 209. 152 HARDY-CHARTRAND Benoît, Op. Cit., p. 80.

60

En 2012, avec l’arrivée de Park Geun-hye au pouvoir, la politique sud-coréenne à

l’égard de son voisin s’assouplit. La Présidente souhaite tenir compte des échecs de

la « Sunshine Policy » ainsi que de la politique conservatrice de son prédécesseur.

Elle propose une nouvelle ligne politique, à savoir la « Trustpolitik ». Son objectif

est premièrement de rétablir la confiance entre les deux pays, en combinant

coopération et fermeté. C’est une politique de dissuasion. Mais cette dernière sera

mise à mal par l’essai nucléaire nord-coréen de 2013. Elue en 2012 à la tête du

régime sud-coréen, Park Geun-hye souhaite réinstaurer des dynamiques de confiance

entre les deux pays. En succédant à Lee Myung-bak, elle hérite des conséquences

d’une politique conservatrice, ayant contribué à radicaliser la position nord-coréenne.

La politique de la Présidente va ainsi allier « pragmatisme, flexibilité et ouverture,

tout en conservant la fermeté qui avait caractérisé son prédécesseur. »153 A la suite

du troisième essai nucléaire nord-coréen, cette politique est mise à mal. Cependant,

depuis 2013, la Corée du Nord a eu tendance à se montrer plus conciliante, ce qui a

notamment mené à la réouverture du complexe industriel nord-coréen de Kaesong.

Les relations économiques intercoréennes

Malgré les tensions politiques récurrentes entre les deux pays, ces derniers ne

rencontrent pas de frein majeur au développement des échanges économiques entre

eux. La Corée du Sud se démocratise rapidement dès les années 1980, ce qui mène à

une industrialisation croissante du pays. Dans les années 1990, la Corée du Sud

entreprend des rapprochements avec son voisin du Nord. Mais le développement

économique du Sud, qualifié de « miracle coréen », a contribué à accroître un fossé

entre les deux parties de la péninsule, rendant les relations encore plus complexes.

L’entrée progressive de la Corée du Sud au sein d’une économie ouverte et

capitaliste a orienté le pays vers un modèle basé sur la démocratie parlementaire,

alors que la Corée du Nord s’obstinait à conserver un système économique planifié,

tout en résistant aux influences capitalistes extérieures.

153 Ibid., p. 79.

61

Face à ce que la Corée du Nord percevait finalement comme une influence

américaine sur la Corée du Sud, la menace de la nucléarisation a constitué un

instrument majeur pour le régime nord-coréen, symbolisant un levier coercitif dans

ses pourparlers avec la Corée du Sud. Ce programme, comme il le sera étudié en

détails au sein du quatrième chapitre de l’analyse, est un vecteur permettant à la

Corée du Nord d’obtenir des concessions des autres puissances.

Malgré ces divergences, la Corée du Sud est aujourd’hui un partenaire économique

majeur pour la Corée du Nord. 154 En effet, alors que dans les années 1990, la part de

la Corée du Sud dans le commerce nord-coréen restait négligeable, elle était en 2009

d’environ 30% du commerce nord-coréen dans sa globalité. 155 De plus, la création

de Zones Economiques Spéciales ou « ZES » dès le début des années 1990 au niveau

de la frontière entre les deux Corées, a permis un développement économique majeur

pour la Corée du Nord. Par ailleurs, la Corée du Sud reste un soutien majeur en

termes d’aides alimentaires et économiques pour son voisin du nord.

Washington, Séoul et Tokyo : influence d’une triade

Les liens économiques et politiques entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon

sont conséquents. Ces derniers coopèrent sur une base triangulaire afin d’assurer une

certaine stabilité de la péninsule coréenne et par extension de l’Asie-Pacifique. En

1951, les Etats-Unis et le Japon signent un traité mutuel de sécurité et de défense.

Les Etats-Unis deviennent alors le garant de la sécurité du Japon face à la menace

nord-coréenne perçue par le Japon comme étant croissante. En 1960, les deux pays

signent le « US-Japan Treaty of Mutual Cooperation and Security » qui prévoit la

mise en place d’une collaboration approfondie au niveau sécuritaire et militaire entre

les deux pays, ayant des objectifs stratégiques communs comme la sécurisation des

voies de communication maritime ou l’adoption d’une certaine méfiance envers la

Chine, considérée par les deux pays comme une potentielle menace stratégique en

Asie-Pacifique. Du point de vue américain, les relations avec le Japon sont plus

stables qu’avec la Corée du Sud.

154 Annexe 6, p. 102. 155 GELEZEAU Valérie, Op. Cit., p. 12.

62

Néanmoins, cela n’empêche pas aux deux puissances de collaborer dans le domaine

sécuritaire et défensif. Un des principaux obstacles à la réconciliation entre la Corée

du Nord et la Corée du Sud reste la présence militaire des Etats-Unis en Asie-

Pacifique et plus particulièrement sur le territoire sud-coréen, qui a principalement

servi à empêcher une attaque du Nord sur le Sud. En 2008, les Etats-Unis et la Corée

du Sud mettent en place le « plan d’opération 5029 » qui prévoit un désarmement de

l’armée nord-coréenne en cas d’effondrement du régime. Les relations existantes

entre les deux pays sont perçues par le régime nord-coréen comme une menace à sa

survie politique. « Sur le plan militaire, malgré la fin de la Guerre froide, le régime

nord-coréen ressent toujours la présence des troupes américaines stationnées au Sud

de la DMZ et le parapluie nucléaire offert par les Etats-Unis à la Corée du Sud,

comme des menaces à sa sécurité. »156

Ce sentiment a été exacerbé par la mise en place d’exercices militaires conjoints dits

« Foal Eagle », revendiqués comme étant défensifs par la Corée du Sud et les Etats-

Unis, mais perçus comme offensifs par la Corée du Nord. En 1954, les deux alliés

ont signé un traité de défense mutuelle permettant un rapprochement des deux

nations. Il implique qu’en cas de guerre entre les deux Corées, les forces armées sud-

coréennes seraient sous commandement américain. Par ailleurs, en 2014, les Etats-

Unis et la Corée du Sud ont mené une opération militaire conjointe nommée « Ssang

Yong ». Cette dernière était un exercice militaire qui a contribué à renforcer la

perception de menaces extérieures par la Corée du Nord. « La menace nord-coréenne

permet aux autorités sud-coréennes de continuer à justifier une présence américaine

et le soutien diplomatique de Washington. »157 Néanmoins, la présence américaine

en Corée du Sud est ambivalente. Pour certains, elle contribue à freiner une

éventuelle réunification des deux Corées ainsi que l’amélioration des liens

diplomatiques entre les deux territoires alors que pour d’autres, cette présence est

essentielle contre les agressions nord-coréennes.158

156 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 47. 157 COURMONT Barthélémy, Op. Cit., p. 16. 158 Annexe 7, p. 103.

63

Du point de vu nord-coréen, ces exercices conjoints sont un véritable obstacle à un

rapprochement intercoréen. Aujourd’hui, Séoul reste fortement dépendante de

Washington. En effet, le parapluie nucléaire américain reste un atout sécuritaire

fondamental pour le régime sud-coréen. « L’alliance militaire avec Washington reste

donc au centre de la politique de défense du Séoul. »159 Néanmoins, au niveau

économique, la Corée du Sud tend à se rapprocher de la Chine. Du côté nord-coréen,

depuis l’arrivée de Kim Jong-un au pouvoir, il y a des rapprochements avec la Russie

et le Japon, couplés à des tentatives de négociation avec les Etats-Unis.

« Contrairement à Séoul, qui s’est cramponné à l’alliance américaine, tant

économique que politique, le Nord s’est adapté au rééquilibrage des puissances. »160

Malgré les bénéfices mutuels qu’apporte cette collaboration triangulaire, il faut

toutefois noter que les relations négatives entre la Corée du Sud et le Japon restent un

obstacle majeur à une éventuelle collaboration étendue entre les trois puissances. Le

véritable obstacle à la réconciliation intercoréenne restant la méfiance mutuelle. De

son côté, le régime nord-coréen perçoit les propositions de son voisin du Sud comme

« des stratégies trompeuses et empreintes de mauvaise foi, mais également comme

une source de danger pour le pays. » 161 Au niveau sud-coréen, les avancées

nucléaires de la Corée du Nord restent un frein majeur à une collaboration stable et

étendue. « La mentalité d’assiégé qui afflige Pyongyang constitue un obstacle de

taille à la normalisation des relations intercoréennes, puisqu’elle a pour effet de

mettre le régime sur un pied d’alerte, et place dès lors tout dialogue sur un terrain

instable. » 162 Les stratégies nord-coréennes contre la Corée du Sud sont

majoritairement basées sur du « bluff ». En effet, la Corée du Nord ne semble pas

avoir de véritable intention de provoquer un conflit armé avec la Corée du Sud, étant

donné qu’elle n’en a tout simplement pas les moyens sur la durée. De plus, un risque

majeur en cas de conflit intercoréen serait l’ingérence américaine qui viendrait

supporter le régime sud-coréen.

159 PERON-DOISE Marianne, Op. Cit., p. 132. 160 « Corée du Nord. Anatomie d’une monarchie communiste », Op. Cit., p. 43. 161 Ibid., p. 56 162 Ibid.

64

Or, les dynamiques liées à la Guerre froide ne sont plus d’actualité, et la Corée du

Nord ne peut s’assurer avec certitude d’un éventuel soutien chinois en cas de conflit

avec la Corée du Sud. Ainsi, le réel but des stratégies de Pyongyang contre le régime

sud-coréen est la déstabilisation de ce dernier. « Cette attitude est secrètement

soutenue par Pékin qui verrait dans la réussite de cette politique un moyen de faire

reculer l’influence de l’Amérique et de son allié sud-coréen dans la zone. »163 Dans

cette optique, une éventuelle réunification pacifique reste peu probable. De plus, un

processus de rapprochement trop rapide des deux entités pourrait avoir un impact

négatif pour la Corée du Sud, qui devrait faire face à une crise économique majeure

ainsi qu’à un flux de réfugiés conséquent.

En Asie-Pacifique, le but des différentes puissances étudiées est basé sur un socle

commun : chacun souhaite maintenir la stabilité du régime nord-coréen, afin de

préserver la stabilité régionale dans son ensemble. Une déstabilisation régionale

impliquerait des bouleversements régionaux en termes d’influence politique,

économique et militaire. Or, chacun souhaite préserver son positionnement en Asie-

Pacifique. A cet égard, des puissances comme les Etats-Unis, la Corée du Sud et le

Japon se montrent généreuses en allouant des aides alimentaires et économiques au

régime nord-coréen, craignant une éventuelle déstabilisation de ce dernier, qui

pourrait mener, in fine, à son implosion. L’aide est donc en quelque sorte un moindre

mal, en comparaison à ce que pourrait engendrer une dislocation du régime. De son

côté, la Corée du Sud tente de promouvoir une certaine stabilité relationnelle avec

son voisin du nord, malgré les attitudes menaçantes de ce dernier. A ce jour, un

éventuel rapprochement en vue d’une réunification des deux Corées est un scénario

peu plausible à court terme. En effet, la Corée du Sud est effrayée à l’idée d’hériter

d’un territoire en retard au niveau économique, qui constituerait un fardeau trop

conséquent pour cette économie en expansion. Aujourd’hui, la Corée du Nord

comprend progressivement que sa survie ne peut plus dépendre de son attitude

autarcique sur la scène internationale.

163 KLEN Michel, Op. Cit., p. 316.

65

Le régime prend conscience qu’il devient essentiel d’établir des relations avec les

puissances extérieures, tout en envisageant la possibilité de faire des concessions :

cela devient une nécessité, étant donné que l’isolement dont le régime a fait preuve

jusqu’ici tend à se retourner contre les intérêts de ce dernier. Au sein de son ouvrage

intitulé Terrorism and collective responsibility164, Burleigh Wilkins estime qu’il peut

être légitime de viser des civils lorsque tous les recours légaux ont été épuisés. Ayant

conscience de ses moyens limités et de sa dépendance à l’égard de la communauté

internationale en ce qui concerne sa survie, le régime nord-coréen a probablement

conscience que les moyens légaux ne suffisent pas afin d’imposer ses

caractéristiques et son idéologie : la violence dirigée contre sa propre population

mais également ses tactiques de diplomatie coercitive apparaissent comme les

éléments du « dernier recours » qui visent à le crédibiliser sur la scène internationale.

Ainsi que l’analyse l’a démontré, la politique étrangère du régime nord-coréen se

base principalement sur la mobilisation de tactiques asymétriques, entendues comme

des moyens de lutte face à un adversaire jugé supérieur au niveau militaire,

technologique ou encore économique. « Utilisant des moyens techniquement simples,

l’asymétrie peut être assimilée à « l’arme du pauvre », dans la mesure où elle permet

à de multiples acteurs ne disposant que de moyens très limités d’avoir une capacité

de nuisance totalement disproportionnée. » 165 L’incarnation de ces tactiques

asymétriques se trouve dans le développement d’un programme nucléaire, qui est à

l’origine des tensions entre les puissances dont l’analyse a discuté et le régime nord-

coréen. Ainsi que l’étudiera le prochain chapitre, l’arme nucléaire constitue un levier

diplomatique conséquent qui s’inscrit en tant que stratégie asymétrique.

164 WILKINS Burleigh, Terrorism and collective responsibility, Routledge, 1992. 165 DAVID Charles-Philippes, GAGNON Benoît, Repenser le terrorisme : concepts, acteurs et

réponses, Laval, Presses de l’Université de Laval, 2007, p. 70.

66

67

Chapitre IV – Etudes de cas périodiques : la question nucléaire

Ce chapitre permettra d’articuler deux dimensions. En effet, le développement d’un

programme nucléaire par la Corée du Nord, qui constitue l’outil majeur de ses

stratégies de survie, trouve ses causes dans des dynamiques à la fois internes et

externes au régime. Afin d’illustrer ces propos, la réflexion sera axée dans un

premier temps autour des négociations avec la Corée du Nord. Ce chapitre permettra

de s’intéresser à la question de la dissuasion nucléaire, en s’appuyant sur la théorie

de la « regime security strategy ». Dans un second temps, l’analyse sera focalisée sur

le retrait de la Corée du Nord du TNP et le lancement des Pourparlers à six. Dans un

troisième temps, la réflexion s’articulera autour des crises nucléaires de 2006 et 2009.

Enfin, les récentes tensions de 2016 seront abordées en guise d’ouverture.

Le programme nucléaire nord-coréen débute réellement dans les années 1950 avec

l’aide de la Chine et de l’U.R.S.S. En 1964, un centre de recherche nucléaire est mis

en place à Yongbyon, ce qui n’empêche pas la Corée du Nord de ratifier le TNP en

1985. Mais la fin de la Guerre froide, symbolisant pour le pays la nécessité de

développer certaines défenses afin de compenser la perte de ses soutiens majeurs, a

signifié pour la communauté internationale la nécessité de faire face à une première

crise concernant le programme nucléaire nord-coréen. « The end of the Cold War did

not stabilize the Korean Peninsula. Quite the contrary: « the loss of economic

assistance and a restraining hand from Moscow » led North Korea (…) to develop

nuclear weapons. » 166 En 1991, le régime effectue le lancement d’un missile

Taepodong-1 en Mer du Japon, ce qui engendre la tenue des Pourparlers à quatre

entre les Etats-Unis, la Chine, et les deux Corées. Ces deux dernières signeront la

« Joint Denuclearization Declaration ». Néanmoins, la Corée du Nord souhaitant le

retrait des troupes américaines de la Corée du Sud comme compensation à l’arrêt de

son programme nucléaire, de nouvelles tensions émergent rapidement dans la

péninsule.

166 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, Op. Cit., p. 76.

68

En 1993, le régime nord-coréen menace de quitter le TNP suite à la visite

d’inspecteurs de l’AIEA, mettant à jour des activités nucléaires suspectes, contraires

aux engagements liés au TNP. Les Nations Unies émettent alors la résolution 825 à

l’encontre du régime. A ce jour, le régime nord-coréen suscite les inquiétudes et

incite à envisager des tactiques de négociation alternatives.

a) Négocier avec le régime nord-coréen : dissuasion nucléaire,

« sanctuarisation agressive » et théorie de la « regime security strategy »

Ainsi que l’expliquait le précédent chapitre, la Corée du Nord est située au sein d’un

complexe régional de sécurité, impliquant que les pays d’Asie-Pacifique ne peuvent

résoudre les questions sécuritaires indépendamment les uns des autres. Cette

composition géopolitique permet au régime nord-coréen de mobiliser des stratégies

de « sanctuarisation agressive ». En mobilisant des procédés de ce type qui induisent

majoritairement des logiques propres au chantage nucléaire sur les autres puissances

régionales dans une optique officielle d’auto-défense et de survie, la Corée du Nord

renforce son inscription au sein de la théorie du « regime survival ».

Dissuasion nucléaire et « regime security strategy » : inscription dans la logique

du « regime survival »

Selon Matthew Beasley, afin que la théorie de la « regime security strategy »

s’applique, plusieurs critères doivent être constatés. En effet, le régime en question

doit être capable de posséder des armes nucléaires et doit se sentir isolé des autres

Etats. Enfin, il doit avoir peur pour sa survie, tant au niveau domestique

qu’international. 167 La question de la survie est donc au cœur du programme

nucléaire nord-coréen. Par ailleurs, Pyongyang mobilise la rhétorique de la défense

face aux influences et menaces extérieures afin de légitimer le développement d’un

tel programme aux yeux de sa population. Dans l’optique nord-coréenne, l’arme

nucléaire combinée aux forces militaires conventionnelles, est donc à la fois un outil

de défense et de dissuasion, permettant ainsi de prévenir une attaque avant qu’elle ne

soit mise à exécution. « Defense dissuades by presenting an unvanquishable military

force. Deterrence dissuades by presenting the certainty of retaliatory devastation. »168

167 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 22. 168 ART Robert J., « The Four Functions of Force », in ART Robert J., JERVIS Robert, International

Politics. Enduring Concepts and Contemporary Issues, Boston, Pearson, 2009, p. 133.

69

A la fameuse logique du « expand to survive » vient alors se substituer celle que l’on

pourrait nommer « nuclearise to survive ». « In the context of deterrence, offensive

weapons are those that provide defense. »169 Par ailleurs, l’arme nucléaire constitue

un levier diplomatique au sein des processus de négociation. « Pyongyang has used

its nuclear weapons programme effectively as a source of leverage (...) to impose its

own terms on the negotiations. »170 Face à des Etats plus puissants, le développement

d’un programme nucléaire constitue donc une tactique de guerre asymétrique,

entendue comme « the exploitation of technology and psychology to target the

peripheral vulnerabilities of a larger foe. »171 Néanmoins, la théorie de la « regime

security strategy » doit être mobilisée avec prudence. « Regime security strategy

theory does not explain the early decision to embark on a nuclear development

program. »172 A elle seule, la théorie ne permet pas donc pas d’expliquer la mise en

place d’un programme nucléaire. En revanche, elle permet d’expliquer partiellement

la maintenance et la progression de ce dernier.

Les tactiques de négociation nord-coréennes : « Talk to me, I may go nuclear »173

Le Confucianisme, tel qu’il est présent en Chine, prône un évitement de la

confrontation directe et privilégie traditionnellement la voie du dialogue. En

revanche, la variante nord-coréenne implique un style de négociation particulier,

basé majoritairement sur la demande de concessions unilatérales de la part des autres

parties à la discussion. La Corée du Nord, de son côté, n’est pas opposée à une

éventuelle dénucléarisation de son territoire, à condition que cette dernière s’inscrive

dans un processus de dénucléarisation à l’échelle de la péninsule coréenne dans sa

totalité. Par ailleurs, Pyongyang insiste sur la nécessité de mettre fin aux exercices

militaires conjoints entre les Etats-Unis et la Corée du Sud.

169 JERVIS Robert, « Offense, Defense, and the Security Dilemma », in ART Robert J., JERVIS

Robert, International Politics. Enduring Concepts and Contemporary Issues, Boston, Pearson, 2009,

p. 166. 170 HAGSTRÖM Linus, SÖDERBERG Marie, Op. Cit., p. 8. 171 NAU Henry H., Op. Cit., p. 543. 172 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 136. 173 TANTER Raymond, Op. Cit., p. 218

70

Afin d’obtenir ce qu’il souhaite, le régime mobilise différentes tactiques de

négociation, comme la stratégie diplomatique de la « corde raide » ou

« brinkmanship strategy », lui permettant « d’aller aux limites du possible pour

prendre la position la plus favorable aux négociations. »174 En blâmant les autres

Etats prenant part aux discussions, la Corée du Nord va d’abord initier les

pourparlers, afin de prouver ses bonnes intentions. Par la suite, le régime insistera sur

la nécessité pour les autres parties de faire des concessions et terminera la discussion,

une fois qu’il aura obtenu le plus d’avantages possibles.175 Au final, ce que cherche

surtout le régime, ce sont des concessions, et non pas forcément atteindre un

quelconque accord. En effectuant ce qu’elle qualifie d’exercices de routine, la Corée

du Nord fait ainsi preuve « d’opportunisme tactique. »176 Face aux stratégies de

Pyongyang, la communauté internationale oscille entre l’adoption de mesures

coercitives et des outils plus pacifiques.

Les mesures adoptées contre Pyongyang : l’impact des sanctions

Depuis les premières périodes de tension suscitées par la Corée du Nord, de

multiples sanctions ont été adoptées à l’encontre du régime, qu’elles soient

unilatérales, multilatérales ou encore universelles. En 1993, la Chine s’oppose aux

sanctions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), estimant à l’époque que de

telles mesurent ne feraient que compliquer la situation et renforcer le régime dans

son attitude isolationniste. « Since 1994 China has said that it views coercive

strategies as counterproductive in gaining North Korea cooperation, fearing that such

strategies could prompt the regime to take desperate actions. »177 De son côté, Pékin

privilégie donc le dialogue et les négociations multilatérales avec Pyongyang. Cette

optique est notamment partagée par le Japon. En revanche, les Etats-Unis, et ce plus

particulièrement sous George W. Bush, favorisent une approche traditionnelle basée

sur la diplomatie coercitive, usant des sanctions. Or, cette stratégie a montré son

manque d’efficacité à l’encontre du régime.

174 LEE Seung-Keun, Op. Cit., p. 38. 175 DOWNS Chuck, Op. Cit., p. 766. 176 GODEMENT François, Op. Cit., p. 10. 177 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 131.

71

« Regime security theory suggests that coercive diplomacy, trade sanctions, limited

military actions and threats will be ineffective measures in preventing

proliferation. » 178 Les raisons majeures du manque d’efficacité des sanctions à

l’encontre du régime sont notamment liées au fait que ces dernières ont relativement

peu d’impacts sur les Etats dont les dirigeants sont prêts à accepter des risques

conséquents dans une optique de survie. « This approach is not effective against a

risk-acceptant adversary such as North Korea. »179 Par ailleurs, étant donné la nature

du régime et les attitudes dont ce dernier a fait preuve, il semble que les sanctions et

autres mesures coercitives adoptées à son encontre soient insuffisantes pour freiner

les ambitions du régime. « To paraphrase Clausewitz, the North Korean nuclear

program is the continuation of diplomatic negotiations by other means. »180

L’approche coercitive a surtout eu des conséquences humanitaires, tout en renforçant

l’agressivité de l’Etat. A cet égard, les tactiques mobilisées par Pyongyang sont une

réponse à la fois à des pressions domestiques et extérieures et garantissent une

certaine isolation, que les sanctions n’ont fait que pousser à l’extrême. « Isolation is a

necessity for regime survival and sanctions have proven to be nonlethal to the regime

for the past 60 years. In essence, the international « punishment » of « isolating

sanctions » is in fact what the regime seeks. »181 L’approche suivie par les Etats-Unis

semble donc avoir contribué à renforcer les attitudes de Pyongyang, sans permettre

une éventuelle progression sur la question nucléaire. De son côté, ce que souhaite la

Corée du Nord est relativement immuable. Au-delà de la dénucléarisation totale de la

péninsule et de l’arrêt des exercices militaires conjoints menés par Washington et

Séoul, le régime insiste sur la nécessité de conclure un pacte de non-agression

permettant le respect de sa souveraineté par les Etats-Unis. C’est donc une assurance

mutuelle basée sur la confiance et l’établissement d’un traité mettant officiellement

fin à la Guerre de Corée que réclame la Corée du Nord.182

178 Ibid., p. 145. 179 DONG Sun Lee, Op. Cit., p. 118. 180 JOO Hyung-min, « Deciphering What Pyongyang Wants », Problems of Post-Communism, Vol. 61,

No. 4, July-August 2014, pp. 23–35 DOI: 10.2753/PPC1075-8216610402, p. 27. 181 « Why North Korea Will Stick Around For a While », The Diplomat, August 25, 2014,

http://thediplomat.com/2014/08/why-north-korea-will-stick-around-for-a-while/ 182 Annexe 8, p. 104.

72

« Pyongyang advanced the idea that denuclearization should be contingent upon the

normalization of relations with the USA. »183 Mais de leur côté, les Etats-Unis

n’entendent pas accéder aux demandes nord-coréennes aussi facilement et insistent

auprès des autres puissances de la région, afin qu’elles prennent part aux actions

coercitives dirigées contre Pyongyang. A cet égard, Pékin a adopté une posture plus

sévère à l’encontre du régime nord-coréen, suite au quatrième essai nucléaire ayant

eu lieu en janvier 2016. Ainsi que l’analyse le soulignera, l’adoption de sanctions à

l’égard de Pyongyang n’a donc pas empêché le régime de poursuivre son programme

d’enrichissement d’uranium, ni de travailler à l’amélioration de ses armes nucléaires.

Les sanctions, « en poussant les régimes visés à se durcir idéologiquement et

économiquement (…) finissent souvent par leur permettre de se renforcer. »184

b) Le retrait de la Corée du Nord du Traité sur la Non-Prolifération des

armes Nucléaires en 2003 et le développement d’un programme

nucléaire clandestin

En 1989, des images satellites révèlent l’existence de la centrale nucléaire de

Yongbyon. Suite à cela, la Corée du Nord est soumise aux inspections de l’AIEA,

étant donné qu’elle fait partie des Etats signataires du TNP. Très rapidement, le

régime va refuser que les experts visitent certaines zones. Face aux exigences de la

communauté internationale, Pyongyang va menacer de se retirer du TNP.

1994 : signature d’un accord-cadre sous Bill Clinton

Afin de pallier aux tensions, l’administration américaine sous Bill Clinton va initier

des pourparlers qui aboutiront à l’accord-cadre signé à Genève en 1994. Ce dernier

prévoit notamment le démantèlement du programme nucléaire nord-coréen, en

échange de la fourniture à Pyongyang de centrales à eau légère, destinées

uniquement au nucléaire civil.

183 PARDO Ramon Pacheco, Op. Cit., p. 31. 184 NINCIC Miroslav, Renegade Regimes: Confronting Deviant Behavior in World Politics, New

York, Columbia University Press, 2005, in BLEIKER Roland, « Négocier avec la Corée du Nord? »

Question nucléaire et relations intercoréennes, Critique internationale, 2010/4, No. 49, pp. 21-36

DOI : 10.3917/crii.049.002, p. 25.

73

Cette solution met temporairement fin aux tensions, en mettant également en place

l’Organisation de Développement Energétique Coréenne ou « Korean Peninsula

Energy Development Organization » (KEDO), qui sera effective dès 1995.

Néanmoins, la poursuite par Pyongyang de son programme nucléaire et l’arrivée de

George W. Bush au pouvoir aux Etats-Unis, sont des facteurs ayant contribué à

modifier la politique américaine à l’égard du régime nord-coréen. Peu à peu,

Washington abandonne les engagements liés à l’accord-cadre de 1994. Pour la Corée

du Nord, c’est une véritable trahison de la part des Etats-Unis. Ainsi, malgré ses

promesses de geler son programme nucléaire, la Corée du Nord procède au

lancement d’un missile Taepodong-1 dans l’espace aérien japonais en 1998. Un

moratoire nord-coréen sur les essais de missiles en 1999 permettra cependant

l’allègement des sanctions mises en place par les Etats-Unis contre Pyongyang, sans

pour autant résoudre la situation.

Le retrait nord-coréen du Traité sur la Non-Prolifération des armes Nucléaires

Lorsque George W. Bush arrive à la présidence des Etats-Unis en janvier 2001, la

rhétorique adoptée à l’égard de la Corée du Nord est en relative continuité avec celle

menée par son prédécesseur Bill Clinton. En revanche, les attentats du 11 septembre

2001 marqueront une véritable rupture, avec l’avènement de la rhétorique de « l’axe

du mal », visant une liste de pays comprenant la Corée du Nord. Cette dernière

estime alors que sa survie est menacée. « North Korea’s strong response, as a

reaction to the Bush administration’s hard-line policy, thus caused the second North

Korean nuclear crisis. »185 En 2002, la tension entre la Corée du Nord et Washington

est à son comble lorsque les transferts de carburant assurés par la KEDO sont

suspendus, à la suite de la réouverture de Yongbyon. Les Etats-Unis répliqueront de

leur côté en déclarant l’accord-cadre de 1994 comme étant officiellement caduque.

De son côté, Pyongyang perçoit le TNP et l’AIEA comme les instruments de

Washington.

185 AHN Mun Suk, « What Is the Root Cause of the North Korean Nuclear Program? », Asian Affairs:

An American Review, 38 :175–187, 2011 DOI : 10.1080/00927678.2011.604287, p. 180.

74

Par conséquent, en 2003, le régime annonce son retrait du TNP, qu’il considère

comme une atteinte à sa souveraineté : « Withdrawal was a legitimate and self-

defensive measure. » 186 Les causes réelles de cette crise résident dans des

considérations à la fois d’ordre externe, reposant sur la détérioration des relations

avec le gouvernement américain, et des aspects d’ordre interne, liés à la situation

domestique dégradée à laquelle doit faire face la Corée du Nord dans les années 1990.

« The government tried to divert the people’s attention away from the difficult

economic situation to its strong global stance toward the United States and

IAEA. »187

Le lancement des Pourparlers à Six (Six-Party Talks) en 2003

Dès août 2003, les Pourparlers à Six prévoient une succession de rencontres, dont

certaines resteront dans l’impasse. Au départ, Pékin se positionne en véritable

médiateur. En effet, de par sa relation privilégiée avec Pyongyang, la Chine aura une

certaine influence sur le régime nord-coréen et amènera ce dernier à la table des

négociations. Rapidement, le Japon, la Russie et la Corée du Sud rejoindront la

Chine, les Etats-Unis et la Corée du Nord à la table des négociations, étant donné

leur influence au sein du complexe régional de sécurité en Asie-Pacifique.188 En

2005, malgré la mise en place d’un accord conjoint, les tensions surgissent à nouveau

suite à l’affaire de blanchiment d’argent associant la Corée du Nord à la Banco Delta

Asia de Macao. Les Etats-Unis prennent donc une série de sanctions à l’encontre de

Pyongyang dont les provocations ne tardent pas à apparaître.

Cette fois, Pékin prend position en estimant que l’attitude nord-coréenne à l’égard

des autres puissances pourrait entacher les relations sino-nord-coréennes. Pourtant,

plus tôt dans l’année, Pékin avait conclu un accord avec la Corée du Nord, prévoyant

une assistance économique en échange de la dénucléarisation de l’Etat. Les guerres

d’Afghanistan et d’Irak en 2001 et 2003 contribuèrent également à renforcer

l’agressivité de Pyongyang, qui craignait que les Etats-Unis cherchent à provoquer

également un changement de régime en Corée du Nord. Les premières réunions

s’inscrivant dans le cadre des Pourparlers à Six rencontreront certaines difficultés,

liées à plusieurs causes.

186 KIHL Young Whan, KIM Hong Nack, Op. Cit., p. 20. 187 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 179. 188 Annexe 9, p. 105.

75

Dans un premier temps, alors que Washington souhaitait majoritairement des

discussions multilatérales, Pyongyang s’obstinait à demander des rencontres

bilatérales avec les Etats-Unis, qui de leur côté, ont eu tendance à avoir recours à une

pression excessive à l’encontre du régime. L’optique principale des réunions

multilatérales était de trouver une sortie de crise pacifique vers une dénucléarisation

totale de la péninsule. Mais les divergences entre les différentes parties à la

négociation ainsi que la méfiance mutuelle n’ont pas joué en la faveur du processus.

« The six parties have had difficulty in reaching a consensus (…) due to their

different priorities and preferences. »189 Ainsi, le refus nord-coréen de laisser les

inspecteurs de l’AIEA accéder à ses infrastructures nucléaires, ainsi que son habileté

à exploiter les dissensions entre les différents Etats, sont des facteurs ayant contribué

à entraver les négociations. Par ailleurs, les relations intercoréennes ainsi que les

liens diplomatiques entre Washington et Séoul n’ont pas facilité les échanges avec

Pyongyang : « North Korea also accused the United States of applying a double

standard (…) tolerating nuclear experiments by the South, while demanding an end

to nuclear program in the North. »190

c) Les essais atomiques de 2006 et 2009

2006: introduction d’une dimension intercontinentale avec le missile Taepodong-2

Le premier essai du missile Taeopodong-2 a lieu le 4 juillet 2006. Ce type de missile,

en introduisant une dimension intercontinentale dans le programme nucléaire nord-

coréen, suscite alors les inquiétudes de la communauté internationale. Les Etats-Unis

prennent conscience qu’avec ce type de missile à longue portée (entre 6000 et 8000

kilomètres), la Corée du Nord peut désormais atteindre la base de Guam ainsi que

l’Alaska. Outre la nécessité de consolider une situation domestique instable, les

causes de cet essai nucléaire sont multiples. Premièrement, le scandale de la Banco

Delta Asia de Macao, impliquant la Corée du Nord, est une des causes majeures.

« The DPRK responded to the sanctions with a missile launch on July 4, 2006 and

with a nuclear test on October 9, 2006. »191 Par ailleurs, l’échec de l’accord-cadre de

1994 ainsi que l’affaiblissement du pays suite aux multiples sanctions endurées ont

189 KIM Ji-Hyun, Op. Cit., p. 256. 190 KIHL Young Whan, KIM Hong Nack, Op. Cit., p. 27. 191 YI Yurim, « How to Negotiate with North Korea », Asian Politics & Policy, Boston University,

Vol. 1, No. 4, pp. 762-778, p. 768.

76

également contribué à déclencher cet essai. « Under these circumstances, the North

Korean regime chose to strengthen its viability by reinforcing its Juche ideology

through its pursuit of nuclear power status. »192 Pyongyang justifie cette nouvelle

crise en pointant du doigt les Etats-Unis et le Conseil de Sécurité des Nations Unies,

qui avait notamment décrété un embargo sur les armes à destination du régime nord-

coréen, suite à l’essai nucléaire d’octobre 2006. Par conséquent, le lancement d’un

missile en juillet 2006 sera sanctionné par les résolutions 1718 et 1695 de l’ONU, en

vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ces résolutions insistaient sur

le fait que « Pyongyang doit dorénavant s’abstenir de tout nouveau test de missile

balistique, démanteler ses armes atomiques et son programme nucléaire de manière

définitive et vérifiable. »193 La Chine ainsi que la Corée du Sud soutiendront ces

sanctions, notamment en suspendant les aides alimentaires destinées à Pyongyang.

Les accords de Pékin de 2007

Suite à l’essai nucléaire de 2006, une nouvelle session des Pourparlers à Six

s’organise à Pékin du 8 au 13 février 2007. Un agenda commun est alors mis en

place ainsi qu’un accord de paix basé sur le « North-Korea Denuclearization Plan ».

Ce dernier prévoyait notamment la fermeture des usines de traitement de déchets

nucléaires ainsi que de certaines centrales. Par ailleurs, les experts de l’AIEA

devaient être autorisés à inspecter les sites nord-coréens. En échange, le régime se

verrait recevoir une aide énergétique et alimentaire, ainsi que la levée des sanctions

sur les fonds de Pyongyang à Macao. Les dernières réticences de la Corée du Nord

sont apaisées lorsque Washington procède en 2008 au retrait du régime nord-coréen

de la liste des Etats soutenant le terrorisme international. Pyongyang procède alors à

la fermeture effective de Yongbyon, permettant ainsi de débloquer la suspension du

processus de dénucléarisation.

192 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 181. 193 EIFFLING Vincent, « La Chine et la Corée du Nord. Une alliance ambigüe », in DE WILDE

D’ESTMAEL Tanguy, STRUYE DE SWIELANDE Tanguy, La Chine sur la scène internationale.

Vers une puissance responsable ?, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 322.

77

Le second essai nucléaire en 2009

Le 25 mai 2009, la Corée du Nord procède à un second essai nucléaire, faisant suite

au lancement d’une fusée Unha-2 le 5 avril 2009. Le 14 avril, le régime nord-coréen

avait annoncé la reprise de son programme nucléaire et son refus de participer à de

nouvelles négociations dans le cadre des Pourparlers à Six. Les essais nord-coréens

constituaient alors une violation du Droit international, étant donné les sanctions déjà

opposées au régime. L’ONU réagit en imposant le 12 juin 2009 la résolution 1874

qui prévoyait plus de sanctions. Alors qu’en 2008, les tensions semblaient s’être

apaisées, plusieurs causes vont amener la Corée du Nord à effectuer ce nouvel essai

nucléaire. Les tensions avec la Corée du Sud dont le manque de soutien économique

déçoit la Corée du Nord ainsi que le « plan d’opération 5029 » entre les Etats-Unis et

Séoul vont constituer des provocations pour Pyongyang.

De plus, l’arrivée au pouvoir du conservateur Lee Myung-bak en Corée du Sud en

2008 a contribué à frustrer la Corée du Nord. Enfin, en 2009, le processus de

succession entre Kim Jong-Il et son fils Kim Jong-un s’annonçait comme

particulièrement instable. L’essai nucléaire apparaît donc comme une réponse à

Séoul et Washington, mais également comme un moyen de renforcer la loyauté de la

population afin de permettre une transition hiérarchique plus stable. « Special

conditions were therefore needed to strengthen national solidarity and thereby render

the Kim family’s power succession more readily acceptable to the North Korean

population. » 194 Face au nouvel essai, Pékin va adopter une attitude stricte, en

soutenant notamment la résolution 1718 de l’ONU. Les incidents liés à la navette

Cheonan ainsi qu’au bombardement de l’île de Yeonpyeong en 2010 provoqueront

de nouvelles sanctions à l’encontre de Pyongyang. Le 12 février 2013, la Corée du

Nord procède au lancement d’un satellite Unha-3, suite à ce qu’elle considère

comme des provocations des Etats-Unis et de la Corée du Sud, ce à quoi l’ONU

répondra en émettant la résolution 2094. Le 25 mai 2009, un nouvel essai nucléaire a

lieu, provoquant la résolution 2087. En réponse aux sanctions successives,

Pyongyang annonce que le régime annule l’armistice instauré entre le Nord et le Sud,

et déclare l’Etat de guerre entre les deux pays.

194 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 182.

78

Face à cela, la Chine de Xi Jinping adopte une posture de fermeté en soutenant les

deux résolutions.

2016 : quatrième essai nucléaire et nouvelles sanctions

Tandis que les trois premiers essais nucléaires nord-coréens concernaient la bombe A,

l’essai de janvier 2016 s’est basé sur l’utilisation d’une bombe plus puissante, à

savoir la bombe à hydrogène ou bombe H.195 A nouveau, Pékin, Séoul et Washington

ont condamné Pyongyang, en renforçant les sanctions à son encontre le 2 mars 2016.

Un des éléments déclencheurs de ce nouveau test a été le projet de déploiement d’un

système anti-missile en Corée du Sud, dit « THAAD » (Terminal High Altitude Area

Defense). De son côté, Pyongyang a déclaré que ce dernier essai nucléaire était

« destiné à éviter une guerre nucléaire avec les Etats-Unis. »196 Par ailleurs, en

janvier 2016, la Corée du Nord a à nouveau pointé du doigt les manœuvres militaires

conjointes entre les Etats-Unis et la Corée du Sud, en soulignant que sans l’arrêt de

ces manœuvres, Pyongyang procéderait à une attaque nucléaire préventive contre

Séoul. Les sanctions n’ont donc pas dissuadé le régime nord-coréen.

De plus, le régime a su contourner les restrictions économiques auxquelles il était

soumis depuis plusieurs années. En effet, en avril 2016, le scandale des « Panama

Papers » révélait l’existence d’établissements bancaires finançant le programme

nucléaire nord-coréen, contournant ainsi le régime de sanctions. Enfin, il n’est pas

certain que Pékin conserve une attitude stricte à l’encontre du régime nord-coréen,

étant donné les intérêts géostratégiques chinois en Asie-Pacifique. En entretenant une

menace nucléaire qui ne fixe pas de limites précises à ne pas outrepasser, la Corée du

Nord fait preuve d’une certaine opacité quant à son arsenal nucléaire et à sa

détermination à l’utiliser. Par ailleurs, cela permet au régime de renforcer ses

capacités dissuasives à moindres coûts, étant donné qu’investir dans un programme

nucléaire est moins coûteux pour un Etat que de renforcer ses forces

conventionnelles.

195 Annexe 10, p. 106. 196 « Un bombardier américain survole la Corée du Sud en réponse aux provocations de la Corée du

Nord », The Huffington Post, 10 Janvier 2016, http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/10/bombardien-

americain-core-du-nord_n_8948310.html

79

« Kim Jong-Il and his son Kim Jong-un pursued nuclear weapons to maximize

national security at a lower cost. »197 Afin de négocier avec la Corée du Nord, les

puissances se doivent d’allier coopération, compréhension et dialogue, afin d’espérer

pouvoir normaliser les relations en Asie-Pacifique, et par extension, entre Pyongyang

et la communauté internationale dans son ensemble, « la confrontation (…)

engendrant elle-même les maux qu’elle annonce et prétend éviter. »198 A la base du

programme nucléaire, plusieurs causes peuvent donc être mentionnées. Dans un

premier temps, il y a les causes externes, liées aux pressions internationales.

Néanmoins, bien que les pressions extérieures puissent contribuer à renforcer

l’attitude du régime, le lancement d’un programme nucléaire a débuté en 1950.

Or, à l’époque, Pyongyang n’est pas en proie à une instabilité particulière, pouvant

notamment compter sur le soutien de l’U.R.S.S. Si le lancement d’un programme

nucléaire était une réponse à celui des Etats-Unis, la Corée du Nord aurai dû

commencer le sien bien plus tôt. « The timeline of plausible U.S nuclear threats

against North Korea does not come close to matching the timeline for North Korea

nuclear developments. » 199 Le lancement d’un tel programme est donc à lier

notamment avec le prestige national. En effet, la possession de l’arme nucléaire

accroît le poids diplomatique d’un Etat sur la scène internationale. Dans le cas nord-

coréen, bien que l’initiation d’un programme nucléaire soit surtout une question de

prestige, l’amélioration de ce dernier vise aussi à maximiser la sécurité de l’Etat.

« States that acquire nuclear weapons and do not face a strategic nuclear threat do so

in order to increase the security of the state’s domestic regime. » 200 Ainsi que

l’analyse l’a évoqué au sein du précédent chapitre, la Corée du Nord fait face à ce

qu’elle perçoit comme un dilemme de sécurité.

197 WOO Jeongseok, « Structural Impediments, Domestic Politics, and Nuclear Diplomacy in Post-

Kim Il-sung North Korea », Pacific Focus, Vol. XXX., No. 1, April 2015, pp. 59-77 DOI:

10.1111/pafo.1204, p. 59. 198 BLEIKER Roland, « Négocier avec la Corée du Nord ? » Question nucléaire et relations

intercoréennes, Critique internationale, 2010/4, No. 49, pp. 21-36 DOI : 10.3917/crii.049.002, p. 35. 199 BEASLEY Matthew, Op. Cit., p. 35. 200 Ibid., p. 7.

80

L’expansion de la puissance chinoise ainsi que l’augmentation des capacités

économiques et militaires de la Corée du Sud ont donc contribué à inciter Pyongyang

à développer sa puissance nucléaire, pour compenser ce que le régime perçoit

comme une infériorité face aux autres puissances : « Fearing the superior diplomatic-

economic advances of the ROK, North Korea has chosen to develop a coercive

diplomacy to counter considerable ROK strengths. »201 Les intérêts géostratégiques

en Asie-Pacifique ainsi que le développement économique et militaire d’autres

puissances comme les Etats-Unis, la Chine et la Corée du Sud, constituent donc des

éléments extérieurs au régime qui poussent ce dernier à poursuivre le développement

de son arsenal nucléaire, dans une optique de survie. « Pyongyang regime’s parochial

interest, namely its own survival, lies at the root of nuclear decision-making. »202

Au-delà des facteurs externes, il y a également des causes domestiques. En effet,

dans les années 1980, le régime nord-coréen a conscience de l’instabilité majeure qui

guette le régime et qui s’installe dès le début des années 1990. Cela pousse les

dirigeants à développer des armes nucléaires, environ trois décennies après la mise

en place d’un programme d’enrichissement d’uranium, et ce afin de renforcer la

loyauté de sa population et du corps militaire à l’égard du régime. Par ailleurs, la

transition hiérarchique entre Kim Il-sung et Kim Jong-il en 1994, autre facteur

d’instabilité domestique, a également contribué à développer cet outil stratégique et

diplomatique. « Although North Korea has attributed its nuclear ambitions to foreign

threats, domestic causes have been at the heart of the regime’s nuclear

development. »203 Le développement des armes nucléaires en Corée du Nord trouve

donc ses causes dans des sources d’origines multiples. Des causes internationales et

externes aux raisons domestiques, en passant par des aspects psychologiques et liés

au prestige d’un Etat, l’arme nucléaire constitue donc, pour le régime nord-coréen,

l’outil fondamental permettant d’assurer sa survie.

201 COLLINS Robert M, Op. Cit., p. 14. 202 AHN Mun Suk, Op. Cit., p. 178. 203 Ibid., p. 183.

81

Conclusion

Cette analyse a tenté de mettre en lumière les causes des tactiques de survie

mobilisées par le régime nord-coréen. Au cours des différents chapitres, la réflexion

s’est attachée à mettre en lumière un élément fondamental à la compréhension du

régime et de ses logiques. En effet, l’étude de la nature de ce dernier, de son

fonctionnement interne, de ses relations extérieures ainsi que de son programme

nucléaire, sont des éléments ayant permis de souligner que les stratégies nord-

coréennes sont la résultante à la fois de dynamiques internes et domestiques et des

pressions extérieures subies par le régime. « Pyongyang’s foreign policy strategies

are the result of dynamic interactions between the international pressures and

domestic political contexts. » 204 Alors qu’au niveau domestique, les transitions

hiérarchiques ainsi que la nécessité de consolider la loyauté populaire et du corps

militaire ont incité le régime à développer des stratégies de survie, ces dernières

trouvent également leur origine dans l’environnement externe de Pyongyang. En

effet, les relations extérieures du régime ont participé à l’élaboration d’une telle

stratégie de survie.

Ainsi, il est nécessaire de considérer l’adoption de tactiques liées au « regime

survival », comme étant la résultante de facteurs à la fois domestiques et externes au

régime, qui doivent être considérés comme des éléments complémentaires, et non

pas isolés les uns des autres. Le « regime survival » nord-coréen, ainsi que l’ont

démontré les études de cas mobilisées, s’incarne dans un aspect particulier, à savoir

le développement de l’arme nucléaire par Pyongyang. En effet, cette dernière est

représentative de l’interaction des pressions domestiques et externes au régime. Au

niveau domestique, elle permet de renforcer la loyauté populaire ainsi que celle de

l’armée en développant l’image d’une nation militairement forte et autonome,

permettant ainsi de minimiser la déstabilisation du régime après la transition

hiérarchique de 1994. Au niveau externe, l’arme nucléaire et les essais de cette

dernière, ont envoyé plusieurs messages à l’attention des autres puissances en Asie-

Pacifique, mais également à la communauté internationale dans son ensemble.

204 WOO Jeongseok, Op. Cit., p. 60.

82

En démontrant sa capacité à développer une telle arme et à en faire usage, la Corée

du Nord s’est assuré un certain pouvoir sur la scène internationale, en mobilisant ce

levier de négociation singulier. « While the military-first policy was the domestic

response to international security challenges in the 1990s, the nuclear weapons

program served as North Korea’s foreign policy tool for regime survival. »205

Par ailleurs, l’analyse de la nature du régime a permis de rendre compte de

l’articulation entre une forme politique totalitaire et l’adoption de stratégies de survie

par un Etat. En effet, la dominante totalitaire de la Corée du Nord combinée à des

tactiques de survie, a contribué à renforcer l’agressivité du régime. Sans ce socle

totalitaire, il est peu probable que le régime ait adopté une attitude similaire à celle

qu’il revêt aujourd’hui sur la scène internationale. Le totalitarisme a donc constitué

un vecteur de stabilité non négligeable pour Pyongyang. Alors que l’esprit de survie

caractérise tous les Etats, la dominante totalitaire de la Corée du Nord implique

certaines singularités. Si le régime était démocratique, il est possible que les

stratégies qu’il mobiliserait seraient différentes. Comme l’indiquent Linus Hagström

et Marie Södeberg au sein de leur ouvrage intitulé North Korea policy, Japan and the

great powers: « North Korea’s national goals are no different from those of all other

political system. What is unique might be the selection of strategies and tactics to

achieve the goals, but each of these can be shown to be rational given the

circumstances. » 206 Néanmoins, étant donné que l’attitude du régime dépend

également de son environnement extérieur, il est peu probable qu’une Corée du Nord

démocratique impliquerait un changement radical dans les tactiques mobilisées par

Pyongyang. Ainsi, une simple démocratisation du régime ne suffirait certainement

pas à affaiblir ses tactiques de survie et donc, son agressivité isolationniste.

Les probabilités d’un « regime change »

En Corée du Nord, la logique totalitaire se maintient malgré les famines et les limites

du système économique. « Despite the fatal economic crisis, the overall special

system of the DPRK is viewed as still being workable. »207 En revanche, un éventuel

soulèvement populaire semble peu probable. « It is difficult for citizens to concern

205 WOO Jeongseok, Op. Cit., p. 70. 206 HAGSTRÖM Linus, SÖDEBERG Marie, Op. Cit., p. 40. 207 KANG Jin Woong, Op. Cit., p. 27.

83

themselves of anything beyond basic daily needs. » 208 : l’idéologie empêche

l’opposition et affaiblit l’esprit critique. Ainsi, contrairement aux prédictions

générales qui estiment que le régime se dirige vers son propre effondrement, le

contrôle totalitaire dont ce dernier fait preuve semble prévenir une éventuelle

révolution populaire et une déstabilisation du régime. Par ailleurs, un changement de

régime, bien qu’apparemment souhaitable, serait à envisager avec prudence afin

d’éviter une implosion qui mettrait à mal la stabilité régionale. Pyongyang reflète

donc un paradoxe singulier: « the regime cannot survive in the longer term without

fundamental reform, but fundamental reform will destroy the regime. »209

A ce jour, au-delà des enjeux humanitaires posés par la Corée du Nord, le

programme nucléaire de cette dernière tend à mettre en lumière les limites de la

contre-prolifération nucléaire. En exportant des missiles nucléaires vers d’autres

puissances comme le Yémen et vers des organisations terroristes comme l’Etat

islamique, le régime nord-coréen pose un véritable dilemme à la communauté

internationale. Cette dernière doit prendre en compte le fait que la Corée du Nord est

une entité étatique singulière dont les dirigeants sont prêts à des prises de risques

plus conséquentes que ceux des Etats démocratiques. La simple menace militaire ou

l’usage de tactiques liées à la diplomatie coercitive comme les sanctions sont donc

des instruments peu efficaces face à la nature du régime ainsi qu’à ses tactiques de

survie. « The North Korean desire to avoid military confrontation is no less powerful

than its desire to survive. »210

208 CHO Yun-Jo, Op. Cit., p. 96. 209 BLUTH Christoph, « The Irrelevance of ‘Trusting Relationships’ in the Nuclear Non-Proliferation

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Le Monde en ligne, 25 Février 2016, http://www.lemonde.fr/asie-

pacifique/article/2016/02/25/chine-et-et...our-durcir-les-sanctions-contre-la-coree-

du-nord_4871122_3216.html

« In Hail of Bullets and Fire, North Korea Killed Official Who Wanted Reform »,

The New York Times, March 12, 2016,

http://www.nytimes.com/2016/03/13/world/asia/north-korea-executions-jang-song-

thaek.html?smid=fb-nytimes&smtyp=cur&_r=0

Rapports

LARSON Eric V., LEVIN Norman D., BAIK Seonhae, SAVYCH Bogdan,

« Ambivalent Allies? A Study of South Korean Attitudes Toward the U.S. »,

Technical Report, s.l., Rand Corporation, 2004

Sites internet

GLUME Galia, « Etat voyou », Réseaux de recherche sur les opérations de paix,

2011, http://www.operationspaix.net/52-resources/details-lexique/etat-voyou.html

Government of Japan, Abductions of Japanese Citizens by North Korea,

http://www.rachi.go.jp/en/index.html

95

INDEX DES ANNEXES

Annexe 1: PARDO Ramon Pacheco, North Korea-US Relations under Kim

Jong Il. The quest for normalization?, New York, Routledge, 2014, p. 4

Annexe 2: SANDFORD John M., SCOBELL Andrew, « North Korea’s

Military Threat: Pyongyang’s Conventional Forces, Weapons of Mass

Destruction, And Ballistic Missiles », Strategic Studies Institute, 2007,

http://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/PUB771.pdf, p. 66

Annexe 3: « Corée du Nord, les croquis de la torture », Libération en ligne,

18 février 2014, http://www.liberation.fr/monde/2014/02/18/coree-du-nord-

les-croquis-de-la-torture_981097

Annexe 4: COLLINS Robert M., « North Korea’s Strategy of Compellence,

Provocations and the Northern Limit Line », in BECHTOL Bruce E.,

Confronting challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps

University Press, 2011, p. 22

Annexe 5: DONG Sun Lee, « Causes of North Korean belligerence »,

Australian Journal Of International Affairs, Vol. 66, No. 2, pp. 103-120,

April 2012, http://dx.doi.org/10.1080/10357718.2012.658614, p. 114

Annexe 6: DUCRUET César et al., « Les connexions maritimes de la Corée

du Nord. Recompositions territoriales dans la péninsule Coréenne et

dynamiques régionales en Asie du Nord-Est », L’Espace géographique

2008/3, Tome 37, pp. 208-224, p. 216

Annexe 7: LARSON Eric V., LEVIN Norman D., BAIK Seonhae, SAVYCH

Bogdan, Ambivalent Allies? A Study of South Korean Attitudes Toward the

U.S., Technical Report, s.l., Rand Corporation, 2004, p. 59

Annexe 8: WOO Jeongseok, « Structural Impediments, Domestic Politics,

and Nuclear Diplomacy in Post-Kim Il-sung North Korea », Pacific Focus,

Vol. XXX., No. 1, April 2015, pp. 59-77 DOI : 10.1111/pafo.12041, p. 72

Annexe 9: KIM Ji-Hyun, « Toward a Comprehensive Understanding of

North Korea’s Nuclear Conundrum: The Six Parties in Complex

Interdependence from 2002 to 2008 », Asian Politics & Policy, Vol. 3,

Number 2, United-States, University of South Carolina, 2011, pp. 249–283, p.

261.

96

Annexe 10: « La Corée du Nord revendique son premier essai réussi de

bombe à hydrogène », Le Figaro en ligne, 6 Janvier 2016,

http://www.lefigaro.fr/international/2016/01/06/01003-20160106AR…ce-

avoir-mene-son-premier-essai-reussi-de-bombe-a-hydrogene.php

97

Annexe 1

Source: PARDO Ramon Pacheco, North Korea-US Relations under Kim Jong Il. The

quest for normalization?, New York, Routledge, 2014, p. 4.

98

Annexe 2

Source: SANDFORD John M., SCOBELL Andrew, « North Korea’s Military

Threat: Pyongyang’s Conventional Forces, Weapons of Mass Destruction, And

Ballistic Missiles », Strategic Studies Institute, 2007,

http://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/PUB771.pdf, p. 66.

99

Annexe 3

Source : « Corée du Nord, les croquis de la torture », Libération en ligne, 18 février

2014, http://www.liberation.fr/monde/2014/02/18/coree-du-nord-les-croquis-de-la-

torture_981097

100

Annexe 4

Source: COLLINS Robert M., « North Korea’s Strategy of Compellence,

Provocations and the Northern Limit Line », in BECHTOL Bruce E., Confronting

challenges in the Korean Peninsula, Quantico, Marine Corps University Press, 2011,

p. 22.

101

Annexe 5

Source: DONG Sun Lee, « Causes of North Korean belligerence », Australian

Journal Of International Affairs, Vol. 66, No. 2, pp. 103-120, April 2012,

http://dx.doi.org/10.1080/10357718.2012.658614, p. 114.

102

Annexe 6

Source : DUCRUET César et al., « Les connexions maritimes de la Corée du Nord.

Recompositions territoriales dans la péninsule Coréenne et dynamiques régionales en

Asie du Nord-Est », L’Espace géographique 2008/3, Tome 37, pp. 208-224, p. 216.

103

Annexe 7

Source: LARSON Eric V., LEVIN Norman D., BAIK Seonhae, SAVYCH Bogdan,

Ambivalent Allies? A Study of South Korean Attitudes Toward the U.S., Technical

Report, s.l., Rand Corporation, 2004, p. 59.

104

Annexe 8

Source: WOO Jeongseok, « Structural Impediments, Domestic Politics, and Nuclear

Diplomacy in Post-Kim Il-sung North Korea », Pacific Focus, Vol. XXX., No. 1,

April 2015, pp. 59-77 DOI: 10.1111/pafo.12041, p. 72.

105

Annexe 9

Source: KIM Ji-Hyun, « Toward a Comprehensive Understanding of North Korea’s

Nuclear Conundrum: The Six Parties in Complex Interdependence from 2002 to

2008 », Asian Politics & Policy, Vol. 3, Number 2, United-States, University of

South Carolina, 2011, pp. 249–283, p. 261.

106

Annexe 10

Source : « La Corée du Nord revendique son premier essai réussi de bombe à

hydrogène », Le Figaro en ligne, 6 Janvier 2016,

http://www.lefigaro.fr/international/2016/01/06/01003-20160106AR…ce-avoir-

mene-son-premier-essai-reussi-de-bombe-a-hydrogene.php

107

LISTE DES ACRONYMES

AIEA : Agence Internationale de l’Energie Atomique (IAEA : International

Atomic Energy Agency)

DFU : Département du Front Uni

DMZ : Demilitarized Zone

DOC : Département de l’Organisation et du Conseil

DPA : Département de la Propagande et de l’Agitation du Parti

DPRK : Democratic Popular Republic of Korea

EIW : Electronic Intelligence Warfare

KEDO : Korean Peninsula Energy Development Organization

KPA : Korean People Army

KWP : Korean Worker Party

NK : North Korea

ONU : Organisation des Nations Unies

PRC : People’s Republic of China

ROK : Republic of Korea

RPDC : République Populaire Démocratique de Corée

THAAD : Terminal High Altitude Area Defense

TNP : Traité sur la Non-Prolifération des armes Nucléaires

U.R.S.S. : Union des Républiques Socialistes Soviétiques

U.S.S.R. : Union of Soviet Socialist Republics

US / U.S : United States

USA : United States of America

Résumé

Située au sein d’une région qui symbolise des enjeux à la fois économiques et politiques

majeurs, la Corée du Nord constitue une singularité en Asie-Pacifique. Bastion persistent du

communisme, le régime nord-coréen monopolise tactiques de chantage et menace nucléaire afin

d’obtenir les concessions des puissances régionales, en suivant une logique de survie. Ce travail

a pour principale ambition de décrypter les causes et origines des stratégies de Pyongyang, en

interconnectant les variables domestiques avec les facteurs extérieurs au régime. Agrémenté

d’études de cas sur la question nucléaire, l’analyse mettra en lumière les éléments clés du

régime nord-coréen, tout en soulignant les dynamiques majeures de la péninsule coréenne, entre

dilemme de sécurité et tyrannie de la proximité.

Mots-clés : Corée, Nord, Nucléaire, Survie, Asie