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 Ecole Polytechniq ue d'Archi tecture et d'Urbanisme Cours Mod ul e d'Urbanis me 4ème a nn ée  Textes pour travaux de TD LE COURRIER DU CNRS N° 81 / LA VILLE / (été 1994) 1

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Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme 

Cours Module d'Urbanisme 4ème année

 Textes pour travaux de TD 

LE COURRIER DU CNRS N° 81 / LA VILLE / (été 1994) 

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SOMMAIRE

LA DYNAMIQUE DES SYSTÈMES DE VILLES............................................................................3

CENTRALITÉ URBAINE, VILLE, MOBILITÉS .............................................................................5LES VILLES MENTALES .................................................................................................................7

DES GRANDS ENSEMBLES AUX QUARTIERS ...........................................................................9

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA QUESTION URBAINE............................................11

LA LOGISTIQUE ET LES VILLES.................................................................................................13

LES TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES.....................................................................................15

L'ANALYSE DE LA MOBILITÉ .....................................................................................................17

VERS UN MODÈLE DE VILLES ENTREPRENEURIALES ?......................................................19GÉRER LES RÉSEAUX URBAINS ................................................................................................21

SYSTÈMES D'INFORMATION POUR LA PLANIFICATION URBAINE ..................................23

LES POLITIQUES DU LOGEMENT...............................................................................................25

EFFET DE NOMBRE .......................................................................................................................28

LA FORME DE LA MÉTROPOLE CONTEMPORAINE...............................................................30

DES SAVOIRS SUR LA VILLE POUR DES PROJETS URBAINS ..............................................32

QUE SAIT-ON DE CEUX QUI FONT LA VILLE ? .......................................................................34ACCESSIBILITÉ ET HANDICAP...................................................................................................36

LE SIDA, UN PROBLÈME URBAIN..............................................................................................38

HOMELESSNESS, MALADIE MENTALE ET ESPACE URBAIN ..............................................40

L'HÔPITAL DANS LA VILLE.........................................................................................................42

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LA DYNAMIQUE DES SYSTÈMES DE VILLES

Une ville ne peut se transformer indépendamment des autres villes. Les interdépendances entre les villesproduisent de véritables lois d'évolution des systèmes de villes. Leur connaissance est utile à l'aménagementdes territoires. Denise Pumain 

Les villes d'un même territoire, grande région ou état, ne se développent pas isolément. A la différence desvillages, ou des exploitations minières qui produisent surtout à partir des ressources locales d'un site, lesvilles valorisent des avantages de situation : par leurs réseaux de pouvoir, de production, de commerce...,elles accumulent des profits prélevés sur des ressources parfois très éloignées. Toujours mises en relation lesunes avec les autres par de multiples réseaux de communication et d'échanges, les villes constituent dessystèmes fortement interdépendants. On ne peut comprendre le fonctionnement et l'évolution d'une ville sansla comparer aux autres, comme un élément dans un système de villes. Selon la taille des villes, ce système deréférence est un territoire plus ou moins vaste, le plus souvent régional ou national, mais parfois continentalvoire mondial dans le cas des métropoles.

La comparaison des villes exige des définitions qui gardent une signification commune dans l'espace et dansle temps. Les plus utilisées se fondent sur l'existence d'un noyau bâti continu (agglomérationsmorphologiques), d'autres plus extensives englobent toute la zone des navettes domicile-travail autour d'uncentre (bassins d'emploi). Des bases de données sont constituées pour la recherche, en rendant comparablesles statistiques produites par les états.

DES INVARIANTS DE STRUCTURE

Les systèmes de villes ont des propriétés communes. La plus importante est leur organisation hiérarchique,avec de très grands contrastes de dimension entre les villes (de l'ordre de 103 à 106 voire 107 en nombred'habitants). Dans tous les états, le nombre des villes suit une progression géométrique inverse de leur taille.Cette régularité a été improprement appelée « loi rang-taille ». L'organisation hiérarchique des réseaux

urbains admet des variations de détail : les pays moins développés et les pays très centralisés ont une plusgrande probabilité d'avoir une capitale ou une métropole surdimensionnée par rapport aux autres villes dusystème.

En outre, la disposition des villes obéit à des règles assez strictes d'espacement des villes selon leur taille.Dans sa théorie des lieux centraux, W. Christaller (1933) en a donné une explication par la concurrence entreles villes qui assurent la desserte et l'encadrement d'un territoire. Les inégalités du poids démographique desvilles sont très corrélées avec les différences du niveau des fonctions qu'elles exercent, niveau mesuré par lenombre, la diversité, la fréquence d'utilisation, la rareté et la portée spatiale de leurs activités de service.

DES LOIS DU CHANGEMENT URBAIN

Des recherches plus récentes ont montré des régularités tout aussi importantes dans les transformations desvilles au cours du temps. La plus étonnante est la stabilité de la dimension relative des villes d'un mêmesystème sur la longue durée, alors que depuis plusieurs décennies la population urbaine a crû de façon quasiexponentielle, et que les innovations techniques, économiques et sociales ont largement renouvelé les tissusbâtis, les activités et les populations des villes.

Cette stabilité des systèmes de villes s'explique par un processus continu d'ajustements quantitatifs etqualitatifs des structures de chaque ville. Le changement social et économique, la croissance à moyen termesont pour une très grande part les mêmes partout. Les fluctuations constatées sont des décalages, des avancesou des retards, des variations d'intensité du changement, qui reflètent des adaptations plus ou moins rapidesou complètes aux innovations en cours. Cette évolution résulte directement de la concurrence entre les

acteurs présents dans les villes et de leurs stratégies d'anticipation et d'imitation. Elle est facilitée par lescommunications qui assurent une diffusion de plus en plus rapide et généralisée dans de vastes territoires.

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Un autre invariant de l'organisation des systèmes de villes est l'existence de spécialisations différenciantdurablement les profils économiques et sociaux des villes. Elles ont pu naître à la faveur de la valorisationmomentanée d'un avantage de site ou de situation spécifique à certaines villes (ville portuaire, ville minière),ou encore de décalages persistants dans la vitesse d'adoption d'innovations arrivées par grandes vagues, oucycles longs de plusieurs décennies (par exemple au moment de la première révolution industrielle). Lestraces laissées par de tels cycles dans les systèmes urbains, sous forme de villes spécialisées, c'est-à-dire bienadaptées aux structures socio-économiques d'un moment, perdurent longtemps après cette époque deconformité optimale : les changements ultérieurs affectant à peu près de la même façon toutes les villeslaissent inchangées les inégalités ainsi créées. Les représentations collectives gardent, peut-être pluslongtemps encore que les structures socio-économiques, la mémoire de l'image des villes associée à leurspécialisation.

L'AVANTAGE DES GRANDES VILLES

Sur le très long terme, le développement des systèmes de villes n'est cependant pas totalement allométrique.Les plus grandes villes ont crû en moyenne plus vite. Les inégalités de taille des villes se sont creuséeshistoriquement, bien au-delà de ce qu'aurait produit un processus purement aléatoire de répartition de lacroissance. Deux processus expliquent cette amplification de la hiérarchisation dans le système. D'une part,

les innovations ont plus de chance d'apparaître dans les grandes villes, et en général elles y sont adoptéesplus tôt qu'ailleurs. Les grandes villes peuvent ainsi, de façon réitérée, valoriser l'avantage initial que leurconfère une adoption précoce des innovations. Il en résulte un renforcement par le haut des inégalités detaille des villes. Un autre facteur contribue à pénaliser sur le long terme les petites villes. L'accroissement dela vitesse des transports réduit les distances-temps entre les lieux, et conduit les consommateurs à court-circuiter les petits centres intermédiaires au profit des grandes villes plus éloignées. La contraction del'espace-temps tend ainsi à renforcer les inégalités de taille des villes, en simplifiant par le bas les hiérarchiesurbaines.

DES MODÈLES DYNAMIQUES POUR LES SYSTÈMES DE VILLES

Plusieurs types de modèles dynamiques non linéaires simulent le développement d'un ensemble de villes. Lacroissance relative de la population et de la richesse ont été ajustées sur des villes américaines par desmodèles de concurrence du type Volterra-Lotka. La dispersion des centres de services desservant unepopulation résidente est mise en relation avec des paramètres décrivant les comportements d'achat de cettepopulation, dans des modèles inspirés de la théorie des catastrophes. Des modèles dynamiques de lieuxcentraux utilisent les théories de l'auto-organisation pour simuler le partage d'un marché régional et lahiérarchisation de centres, en fonction de paramètres décrivant les comportements des producteurs et desconsommateurs. L'effet des migrations sur la redistribution des populations entre des villes est simulé par desmodèles issus de la synergétique, appliqués aux villes françaises. L'organisation hiérarchique des tailles desvilles est considérée comme un attracteur stable dans un processus dynamique de redistribution par migrationdes populations entre les villes. Des recherches en cours relient le processus de l'extension spatiale de chaqueville à celui de l'ensemble des villes, au moyen de modèles de croissance fractale.

Ces modèles traduisent le passage d'une conception statique des réseaux urbains, à une conceptiondynamique pour l'élaboration d'une théorie évolutive des systèmes de peuplement. Les systèmes de villesreprésenteraient une transition entre une façon très dispersée d'habiter la terre pour en exploiter les ressourcesagricoles, et une forme d'habitat beaucoup plus concentrée, orientée vers une économie de productionindustrielle et de services. Une réflexion sur le rapport des sociétés à leur environnement pourrait infléchirl'évolution actuellement prévisible des systèmes de villes, vers une plus grande concentration globale dansdes mégapoles plus diluées localement.

Denise Pumain, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne, directeur des équipes PARIS (Pourl'avancement des recherches sur l'interaction spatiale) et EHGO (Epistémologie et histoire de la géographie)

(URA 1243 CNRS), Université Paris I, Centre de géographie théorique et quantitative, 13, rue du Four,75006 Paris.

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CENTRALITÉ URBAINE, VILLE, MOBILITÉS

Dans l'histoire de l'Occident, la ville centrée est plutôt l'exception que la règle : c'est dans ce cadre qu'il fautsituer, pour en évaluer l'impact, l'actuelle crise des centres. Jean-Samuel Bordreuil 

Qu'est-ce qu'un centre urbain ? Voilà bien une question que n'importe quel conducteur, déchiffrant un

panneau Centre Ville, ne se pose pas. Il sait à quoi réfère ce panneau et ce savoir lui est utile : le rendez-vousqu'il a, le magasin qu'il cherche sont au centre... Le Centre est une catégorie familière de son vécu, d'autantplus qu'elle est à toutes fins pratiques.

Plaçons ce même automobiliste au cœur d'une ville américaine, et c'est tout ce système de repères quis'absente. CBD, Civic Center, Downtown, panneaux équivalents à notre Centre Ville, y désignent unegéographie dispersée, que trame en damier et piquetage réticulé des malls confirment. Non seulement notreespace centré apparaît comme un parmi d'autres, mais les USA, miroir de notre avenir, projettent ces villesqui ne tiennent plus à leur centre, à l'horizon de notre futur.

A DISTANCE DU MOUVEMENT, LA VILLE FAIT CORPS...

Y a-t-il ou non crise des centres ? Si oui, quel en est l'effet sur la société urbaine ? Que perd-on en lesperdant ? Ces deux questions sont à la base du regain d'intérêt sociologique pour la centralité urbaine. Or, laréponse à ces questions dépend étroitement du rôle qu'on prête au centre dans la structure urbaine : saisicomme élément constitutif de cette structure, on préjugera que sa défection défera la ville ; posé commestructure transitoire, mouvante, le diagnostic sera alors que l'intégralité urbaine survivra, certes sur d'autresbases, à sa crise. C'est cette deuxième hypothèse que l'approche socio-historique conduit à privilégier.

Soit le cas de la ville médiévale : si on plaque sur son espace notre image du centre, cet espace qui au cœurde la ville conjoint densité résidentielle et densité d'échanges, on se rend compte très vite que cela ne collepas. Ainsi cette ville tient à distance les grands marchés, les biens-nommées foires (le mot signifiant le «dehors »), non moins que les petits, qu'elle appelait « ports », les cantonnant aux portes de la ville. Dans ses

murs, l'espace de la production, segmenté autour des corporations et de leurs rues, disperse l'échange etempêche qu'il précipite en centralité spatiale. Au total, sa forme souvent concentrique n'est jamais radio-concentrique.

... PUIS LE CAPTE

Si le bas Moyen Age voit émerger des germes de centralisation (autour du binôme halles-hôtel de ville), cen'est vraiment qu'au XIXe siècle que la mobilisation générale de la vie urbaine induit une polarisation internede la ville autour d'axes d'échanges ; ici, le doublet gare/boulevards devient le principe (re)structurant del'urbanisation : la circulation creuse son lit (pénétrantes) dans le tissu urbain en même temps qu'elle rendpossible, à une échelle inconnue, l'afflux. La ville, terrain d'élection de la dialectique mobilité/centralité, toutà la fois s'ouvre et attire. Le centre devient ce point paradoxal où l'intérieur s'ouvre sur l'extérieur, où transitece qui vient de loin, où se localise le délocalisé (le global).

On le sait, pour les urbanistes est dit central tout équipement dont l'aire d'influence est maximale : de faitn'est-ce vraiment qu'à ce moment-là que ces équipements attractifs s'installent au centre et font centre autourd'eux, que va au centre tout ce qui est central (attractif) ?

Ce centre est donc moins reflet de principes d'unité profonds, politiques ou symboliques, qu'il n'émerge de laconcentration auto-entretenue des supports attractifs qui s'y cooptent, chacun profitant du potentiel attractif du voisinage, et contribuant par sa présence à renforcer ce potentiel (au centre, la proximité des ressources setransmute en ressource de la proximité).

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... ET ENFIN LE SUIT

Le centre s'ancre donc aux lieux les plus accessibles et accentue à son profit la convergence des lignes detrafic, d'autant plus que (comme au XIXe siècle) le tissu urbain est peu circulable et que les transportscollectifs dominent. Mais ce que l'accessibilité fait, elle peut le défaire quand le centre sature : il est alorsdans l'ordre des choses que le pôle attractif se déplace, nomadise. Le bassin de trafics qu'est uneagglomération élira ainsi d'autres foyers de convergence, ou plus radicalement se réorganisera selon unestructure polynucléaire (en réseau). La part prise par l'automobiliste dans le marché du déplacement, sonaptitude au mouvement latéral, à l'émancipation des trames centralisées, pèse alors en faveur du deuxièmescénario, et privilégiera l'avènement d'un espace plus iso-accessible.

Au total, c'est la jonction entre densités résidentielle et communicationnelle qu'opérait le centre qui sedénoue : le tissu urbain s'étale, se sérialise (grands ensembles, lotissements), à distance des lieux d'échanges.Symétriquement émergent, détachés du résidentiel, des centres périphériques : centres sans villes autour.Enfin, ne s'agglutinant plus, les équipements attractifs sont libres de se déployer selon des logiquesfonctionnelles (centres hospitaliers, administratifs, culturels, commerciaux...).

La crise des centres, ce déphasage entre centre géométrique et pôles d'attraction, est donc ancienne dans son

principe (un bon siècle), même si elle a pris récemment un tour spectaculaire.

Enfin, quid de la portée de cette crise sur la société urbaine ? Un centre, pensait-on, est opérateurd'intégration à un double niveau : politique (localisant le pouvoir au cœur de la ville, il le tiendrait à portéedes citoyens - agora), et culturel (il ménagerait un espace où la ville en sa diversité socioculturelle serait enprésence d'elle-même).

Or, sur ces deux points, le centre n'apparaît plus comme le seul garant de l'intégrité urbaine (et sa crisecomme désintégrante). D'une part, l'idéal démocratique tolère d'autres géographies : la démocratie locale estune valeur-clé de la ville américaine, pourtant peu centrée. D'autre part, et surtout, si les secteurs centrauxsont des lieux d'intégration culturelle, ceci ne tient pas au fait qu'en ces lieux le citadin serait au plus près desvaleurs centrales et unificatrices. A l'inverse, c'est parce que mieux que les quartiers enclavés ces secteurstolèrent et organisent la confrontation d'altérités - ce sont des espaces publics, c'est-à-dire des espaces où,plus qu'ailleurs, il est exclu d'exclure - qu'ils peuvent gérer la pluralité, l'exposer à elle-même et travailler aurenouvellement des modèles culturels. C'est au fond l'a-centricité sociale des secteurs centraux que lasociologie de la centralité découvre in fine, et c'est à ce caractère qu'elle réfère leur vertu intégratrice.

Jean-Samuel Bordreuil, chargé de recherche au CNRS, Laboratoire méditerranéen de sociologie,

3-5, avenue Pasteur, 13100 Aix-en-Provence.

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LES VILLES MENTALES

Comment concilier, dans une théorie cognitive comme dans l'espace physique, les représentations singulièresque chaque individu a de la ville et les constructions collectives tant symboliques que matérielles de cettemême ville ? Danièle Dubois

Les recherches de psychologie, en liaison avec le développement des sciences cognitives, permettentd'envisager un renouvellement des conceptions et des modes d'appréhension scientifique des représentationsde la ville et plus généralement des espaces.

UN NOUVEL ESPACE PLURIDISCIPLINAIRE

Au centre de cet espace devrait être la psychologie. Cette discipline a déjà accumulé nombre deconnaissances conduisant à l'identification, dans des procédures analytiques, de représentations mentalesd'objets simples (études d'itinéraires, de plans de logements…). Les recherches portant sur les constructionsmentales, intellectuelles, de sites qui permettent non seulement l'adaptation comportementale, maiségalement la construction et l'appropriation des significations accordées aux espaces physiques, urbains enparticulier, commencent à se développer. Ce domaine de recherche demeure ainsi un lieu d'explorationprivilégié pour évaluer des hypothèses relatives aux contraintes sur les structures cognitives des propriétés del'espace physique, des activités perceptives, ainsi que des pratiques déployées par l'homme dans cetenvironnement.

Ces recherches psychologiques sur les processus de construction et d'appropriation de connaissances del'environnement convergent avec les analyses des représentations symboliques telles que descriptions, récits,cartes et autres représentations iconiques et/ou verbales, diverses quant à leurs finalités (guides,représentations « artistiques », illustrations pédagogiques, etc.), prises en charge par les domaineslinguistiques et sémiologiques au sein des sciences de l'homme.

En effet, les sciences cognitives tendent à s'enrichir des recherches sur les formes culturelles et les

représentations matérielles socialisées des espaces tels que la ville. Ainsi, les travaux linguistiques, enparticulier ceux qui abordent l'analyse des textes et des discours sur l'espace et la ville, sont actuellementcentrés sur les relations entre le langage et les constructions cognitives « imagées ». On citera par exempleles analyses des textes se rapportant à la découverte d'espaces et de villes par des voyageurs, qui utilisent à lafois les connaissances et les cadres théoriques contemporains des sciences cognitives, linguistique etpsychologie en particulier, pour le traitement de l'espace par les langues.

Ces recherches se trouvent également fécondées par les travaux en intelligence artificielle, qui ont le doublestatut de modélisations des activités mentales hypothétiques dégagées par la recherche psychologique etlinguistique, et celui de développements technologiques permettant la visualisation et la matérialisation denouveaux objets symboliques (images de synthèse, conception architecturale assistée par ordinateur…).

Les recherches sur les représentations cognitives de l'espace urbain permettent d'affirmer que celles-ci sontmultiples et construites, d'une part, à travers les pratiques diversifiées de cet espace (déplacementsdiversement finalisés, représentations sociales, y compris esthétiques, pratiques discursives) et, d'autre part, àtravers la diversité des représentations normatives objectivées dans des outils symboliques (cartes, schémasd'aménagements…), et de leurs développements au sein de diverses technologies.

LES ENTRÉES DE VILLES

Empiriquement, et plus spécifiquement, deux thèmes reliés à la ville font actuellement l'objet de travaux :d'une part, les relations entre la ville et la voie, en coordination avec les recherches en sécurité routière, etd'autre part, les entrées de villes*. Il s'agit d'identifier les propriétés de l'espace traversé qui sont constitutives

des représentations qui vont de la route (voie de rase campagne) à la rue (voie urbaine). Les résultats obtenustendent à montrer que c'est le repérage d'indices liés à l'épaisseur du tissu urbain, la qualité du bâti enparticulier, qui contribuent à connoter l'espace d'un caractère urbain : types d'immeubles (pavillonsreprésentatifs de la banlieue vs immeubles de plus grande hauteur avec emprise directe sur la voie, par

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exemple) ou indices identifiant des espaces d'activités. Par exemple, les grandes surfaces de périphérierestent le domaine de la voiture, des vitesses élevées, de la ségrégation des usages, alors que la ville elle-même, considérée comme centre ville (trottoirs, éclairage, hauteur des immeubles, vitrines…) est le lieud'interactions et d'échanges négociés entre plusieurs catégories d'usagers de la voie (piétons/voitures, deuxroues…) et des pratiques diversifiées (passage, stationnement, accès aux divers commerces, cafés…)

L'identification des constructions mentales qui intègrent les pratiques permet d'envisager desdéveloppements ergonomiques, prenant en compte les différents acteurs sociaux qui contribuent à l'imagematérielle et à l'usage de la ville, de l'aménagement des voies à la création architecturale. Si les contributionsdes sciences cognitives à l'analyse du développement urbain ne peuvent être utilisées comme argumentsdirects dans les choix politiques et idéologiques, il est cependant tentant d'établir une analogie entre lecaractère infructueux des modèles analytiques, modulaires, rigides qui réduisent la cognition à du traitementde l'information, et les modèles rationnels et ségrégationnistes qui ont vidé la ville de sa complexité, faited'interactions multiples dans l'espace (diversité des pratiques) et dans le temps (poids culturel du passéarchitectural), et qui ont entraîné des phénomènes de rejet de ces espaces urbains appauvris. Les « villesmentales » restent ainsi un enjeu entre une conception réaliste et une conception constructiviste de lacognition, tout comme la matérialité du développement des villes demeure un enjeu entre des objectifsréduits à des rationalités économiques ou ouverts à la multiplicité des dimensions culturelles et sociales de

l'urbain. La stratégie de recherche la plus productive réside probablement dans la prise en compte de lacomplexité et de la diversité des fonctions humaines réalisées par la ville, sans pour autant nuire à desobjectifs de qualité d'environnement et de sécurité.

Danièle Dubois, directeur de recherche au CNRS, directeur de l'unité Langages, cognitions, pratiques etergonomie

(URA 1575 CNRS), EPHE, 41, rue Gay-Lussac, 75005 Paris.

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DES GRANDS ENSEMBLES AUX QUARTIERS

Construits dans le milieu des années cinquante pour «faire le bonheur de l'homme», les grands ensemblesretiennent aujourd'hui des communautés fragilisées par la crise de l'emploi. Devenus depuis des «quartiers»,ils sont les lieux symboliques de l'action des pouvoirs publics et des associations militantes qui les animent.

 Michel Péraldi

Constituant jusqu'à 80 % du parc social de certaines communes en banlieue parisienne ou lyonnaise etmarquant visuellement de leur monumentalité les banlieues contemporaines, les grands ensembles sont cesconstructions des années 55-75 (le terme n'est d'ailleurs apparu qu'en 1958), caractérisées bien sûr par unetaille des programmes, souvent plus de mille logements, qui fait figure d'exception dans l'histoire dulogement social, autant que par leur architecture de tours et barres. Mais les grands ensembles, c'est aussi «une volonté normative de faire le bonheur de l'homme » qui a durablement marqué les dispositifsinstitutionnels et politiques.

LA MUTATION DES ANNÉES QUATRE-VINGT

Au seuil des années quatre-vingt, les grands ensembles sont devenus des quartiers et sous ce nom, objets depolitiques spécifiques (HVS, Habitat Vie Sociale ; DSQ, Développement Social des Quartiers ; DSU,Développement Social Urbain). Comprendre leur évolution suppose d'examiner en préalable les conditionsde cette réinvention. Pour des sociologues redécouvrant l'anthropologie urbaine, ils sont apparus comme deslieux de grégarité, traversés de consistances familiales et sociales territorialisées, identiques à celles desvillages urbains décrits par l'anthropologie urbaine anglo-saxonne. C'est en effet la densité des réseauxfamiliaux, la stabilité transgénérationnelle qui en découle et ses effets sur la vie des cités qui frappent laplupart des chercheurs. La famille élargie, des communautés sédentarisées, ancrées ou non sur desfondements ethniques, prennent le pas sur la logique d'atomisation et d'anonymat considérée jusque-làcomme trait identificateur de ces ensembles, jusqu'à se substituer à la confrontation entre classe ouvrière etclasse moyenne salariée autour de laquelle, pour les chercheurs des années soixante-dix, se centraient lesrapports sociaux dans ces quartiers. Des rapports dont on pense aujourd'hui qu'ils manifestent plutôt une

tension générale entre passants et sédentaires, mobiles et captifs. Si cette dimension grégaire forme un traitsaillant des cultures urbaines, signalant des modes d'appropriation et de marquage des territoires urbainsaussi vieux que la métropole, elle est apparue aussi comme un trait de mutation des grands ensembles liée àl'évolution même du marché du logement. Car cette sédentarisation est aussi captivité de populationsfragilisées par la crise de l'emploi selon une double inflexion du marché du logement : la libéralisation del'accès à la propriété via la loi Barre et les PAP (prêts pour l'accession à la propriété), organisant la fuitemassive des couches sociales solvables vers le pavillonnaire, a laissé dans les grands ensembles ceux dont lesrevenus sont insuffisants pour leur permettre d'accéder à la propriété, en situation d'autant plus captive queles parties les plus dégradées des centres villes, refuges traditionnels des catégories défavorisées, fontdésormais l'objet de politiques spécifiques de revalorisation et de « gentrification », et leur sont ainsiprogressivement interdites.

L'ÉVOLUTION DES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS

Le tableau des mutations serait incomplet sans l'état d'évolution des dispositifs institutionnels et politiquesdont les grands ensembles sont à la fois l'espace stratégique de déploiement et le lieu symbolique dont ilstirent l'argument de leur utilité sociale : organismes HLM gestionnaires, instances du travail social, maisaussi associations du cadre de vie issues des luttes urbaines des années soixante-dix. Défaut d'équipementspublics, malfaçons architecturales, injustices administratives, autant de domaines qui ont fourni aux militantsl'occasion de fustiger la logique technocratique dont ces constructions étaient l'aboutissement, et revendiquerl'instauration d'une démocratie locale. Autant de dispositifs militants qui, sous des formes parfois marginales,variables localement et émaillées de conflits, ont participé activement à la vie publique des quartiers, à lagestion des équipements socio-culturels, à l'administration des organismes HLM, au titre des amicales etassociations de locataires, et à la mise en œuvre de politiques expérimentales anticipant et préparant lespolitiques de développement social.

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L'évolution de ces dispositifs est marquée dans ces dix dernières années de trois inflexions principales.D'abord l'émergence d'une « logique de site » : les organismes HLM, sur fond de rationalisation gestionnairede leurs politiques commerciales, ont mis l'accent sur la réhabilitation de leur parc et des politiques degestion sociale en traitant les ensembles comme autant de cas particuliers, en renforçant leur personnel deterrain, en décentralisation la gestion dans les cités. Ensuite, sur fond de décentralisation administrative et departenariat, ils ont instauré une « gestion territorialisée du social », soit des formes d'intervention préférant «l'action sur un groupe, l'idée que ce groupe est homogène et, enfin, qu'il peut être défini par un espacecommun d'appartenance », au travail sur des clientèles d'ayant-droit et de cas individualisés.

Il est plus difficile de caractériser l'évolution des milieux associatifs, d'abord parce que les travaux lesconcernant sont rares, ensuite parce que leur dispersion est grande. Quelques recherches signalent cependantque le départ des classes moyennes et des classes ouvrières solvables, base des associations, d'une part, leurinstitutionnalisation dans les appareils gestionnaires d'autre part, les a placées en porte-à-faux face à lamontée de nouveaux mouvements, plus spontanés et fragmentaires, issus souvent de la « rage » des jeunes,assis sur la revendication d'une identité de quartier plutôt que sur des revendications globales.

Si les grands ensembles n'ont rien perdu de leur caractère « exemplaire », c'est donc autour de la vie dequartier que s'est réorganisée la représentation, au sens politique et théâtral du terme, de cette exemplarité à

laquelle la Commission pour le développement social des quartiers (Délégation Interministérielle à la Villedepuis 88) tente de donner tout à la fois des moyens financiers exceptionnels, des cadres idéologiques etéthiques, et des scènes institutionnelles de régulation et de débat.

UNE PAUPÉRISATION SUR PLACE

Il est évident que les grands ensembles devenus quartiers regroupent des populations fortement touchées parla crise de l'appareil industriel et des marchés du travail : l'inactivité est ici dominante, au sens socio-démographique du terme, caractérisant des pères qui ont perdu radicalement leur emploi, des fils quel'appareil scolaire préparait pour l'usine et qu'il laisse désœuvrés aux portes des bureaux. Des populationsplutôt paupérisées sur place qu'entrées selon des procédures d'urgence en raison de leur précarité. Il estévident aussi que se retrouve dans cette situation une frange notable des populations issues des courantsmigratoires antérieurs à la crise, originaires des pays du Maghreb, en lesquelles certains médias et desacteurs politiques, sont par trop prompts à reconnaître des soi-disant étrangers.

Cependant, ces quartiers n'ont ni le monopole de la misère ni celui de la captivité résidentielle, encore moinsl'exclusivité de l'ethnicité visibilisée. Ils sont, par contre, historiquement constitués en lieux symboliques del'action publique et, ainsi, par de multiples relais institutionnels, théâtres d'événements qui font sensimmédiat dans des enjeux politiques nationaux. Les mouvements sociaux qui y naissent, les flambées deviolence, si anodines soient-elles, les tensions quotidiennes, même entre familles et résidents, y sont alorsplus visibles qu'ailleurs et condamnent les acteurs à construire les représentations qu'ils se donnent d'eux-mêmes en tenant compte de cette visibilité sur la scène globale des médias et du politique. Il reste encore trèslargement à explorer les formes concrètes, les effets sociaux de cette exemplarité en chantier permanent. Le

rôle central des classes moyennes, résidentes et militantes jadis, non résidentes aujourd'hui maisprofessionalisées sur un de leur terrain privilégié d'aventure, a été notablement occulté. Remarquons, pourconclure et abonder dans le sens de travaux mettant en évidence cette dimension, que ces jeunes, passél'instant de la rage, rêvent de devenir animateurs ou éducateurs, commerçants ou assistantes sociales, refusentle monde de l'usine comme aliénant, revendiquent l'émancipation par la culture et le respect des différencesdans la démocratie locale, et donc, passé l'instant de la galère, paraissent singulièrement conformes auxidéaux et valeurs de ceux qui, dans l'ombre, ont été leurs éducateurs.

Analyser plus avant et décrire les formes de cette relation, son caractère structurant des destinées et desrapports sociaux, éclairerait sans doute d'un jour neuf le regard que l'on porte sur cette jeunesse dite troprapidement dangereuse et démunie.

Michel Péraldi, chargé de recherche au CNRS, unité Modes de production et environnement social (URA900 CNRS), Université Toulouse le Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse Cedex.

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA QUESTION URBAINE

Comment concilier la recherche de la viabilité locale du développement urbain avec la soutenabilitéécologique planétaire ? Le développement durable à long terme peut-il se planifier ? Attention aux bonnesintentions et aux fausses bonnes idées. Olivier Godard  

Depuis plusieurs années, la référence au développement durable s'est largement diffusée à l'échelleinternationale. Par exemple, le traité de Maastricht et la convention-cadre sur le climat adoptée à laconférence de Rio en juin 1992 consacrent la notion qui a même droit, depuis juin 1993, à sa commission ausein de l'ONU. Elle permet en effet d'afficher un enjeu et une volonté, de favoriser des rapprochementsintellectuels et de faciliter des réorganisations institutionnelles autour des relations entre le développement etl'environnement dans le contexte du réaménagement des rapports Nord-Sud. La pensée du développementurbain ne saurait y échapper…

DEUX ÉCLAIRAGES SUR LA NOTION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Un premier éclairage est offert par la définition proposée par la commission Brundtland (1988), d'ailleurs laplus communément reconnue : « Le développement durable est celui qui répond aux besoins du présent sanscompromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. » Autrement dit, sansprétendre à une optimisation intertemporelle des trajectoires de développement, qui supposerait uneprévision parfaite des préférences des générations futures et des possibilités techniques qui seront à leurdisposition, il incomberait aux générations présentes de reconnaître et d'assumer la responsabilité particulièrede transmettre aux générations suivantes les moyens les plus essentiels permettant à ces dernières desatisfaire leurs propres besoins et de pouvoir vivre une vie humaine « digne d'être vécue ». Ces moyensrecouvrent certes les catégories usuelles du capital productif et des infrastructures ainsi que les savoirs,compétences et valeurs qui constituent une culture. Mais ils incluent aussi, aux yeux d'un nombre croissantd'analystes et d'acteurs sociaux, ce qu'on peut appeler le « capital naturel » dont les générations présentes ontelles-mêmes pu bénéficier parce que les précédentes ne les avaient pas détruites : ressources renouvelablespréservées, ressources épuisables exploitées au plus juste en fonction des possibilités de les substituer et des

gains de productivité dans leur emploi productif, équilibres bio-physiques planétaires maintenus dans leursattributs essentiels, etc.

Néanmoins, compte tenu des limites des connaissances disponibles sur le fonctionnement de la biosphère etles variables les plus décisives pour le développement économique à long terme, l'objectif de soutenabilitéécologique du développement ne peut pas informer directement politiques et programmes d'action. Il fautl'interpréter au moyen de principes stratégiques : « principe de précaution », critère du gain de tempsd'apprentissage, définition de normes minimales à satisfaire en contexte d'incertitude… De tels principes ontpour objet d'organiser l'actualisation de préoccupations intéressant des temps ou des espaces éloignés enfocalisant l'attention sur les éléments placés le plus directement entre les mains des générations actuelles,éléments qui sont aussi les mieux connus et, tant bien que mal, les plus accessibles à l'action.

Le deuxième éclairage vient d'une approche issue de la théorie des systèmes et de son application auxagrosystèmes : pour être soutenable, le développement doit procéder de façon que l'organisation dessystèmes éco-socio-techniques soit capable de résister à une variété de perturbations ou fluctuationsimprévues, quitte à se réaménager à cette occasion ; ce serait donc la propriété de « résilience » qui serait lacondition critique de la soutenabilité. Aux conditions ordinaires de la reproduction élargie des structures(maintenance et investissement), s'ajoute alors la gestion de la vulnérabilité aux risques naturels ettechnologiques.

DÉVELOPPEMENT URBAIN ET SOUTENABILITÉ

A l'aune de la soutenabilité, le développement urbain soulève deux types de problèmes : la viabilité propre

des processus de croissance urbaine et la compatibilité de cette croissance urbaine avec les conditions d'undéveloppement écologiquement soutenable de la planète.

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Aujourd'hui la croissance urbaine du tiers monde est d'une rare violence. Tant le rythme explosif decroissance (une population urbaine multipliée par 16 en 75 ans, de 1950 à 2025), que la taille atteinte par desconurbations en nombre croissant (plus de 45 % de la population urbaine en Amérique latine vit dans desmétropoles de plus d'un million d'habitants), mettent en péril la viabilité des villes. Dans plusieurs régions dumonde, en particulier en Afrique, cette croissance urbaine se fait même sans développement économique, ets'accompagne d'une paupérisation d'une part importante de la population : les investissements dans lesinfrastructures et services urbains de base souffrent alors d'étranglement, incapables de suivre le rythme decroissance des besoins, et se dégradent faute de faire l'objet d'une maintenance suffisante. Besoins malsatisfaits, mais aussi gaspillage des ressources et forte exclusion sociale sont alors les manifestations de cemanque de viabilité.

Cependant, la croissance urbaine contemporaine, même rendue viable à l'échelle locale, pourrait n'être pascompatible avec la soutenabilité écologique du développement à l'échelle planétaire, compte tenu de laconsommation fortement croissante d'espace, d'énergie et de matières premières, et de la productioncroissante de déchets qu'elle impliquerait. La contradiction entre les exigences du développement soutenableaux différentes échelles apparaît ainsi comme la question critique à résoudre. Elle appelle des changementsimportants des modèles technologiques et des formes d'organisation.

On doit néanmoins se garder de transférer mécaniquement les raisonnements d'une échelle à l'autre. Il n'estpas immédiat de passer de la formulation de contraintes planétaires à des principes ou règles valables pourdes échelles locales, puisqu'alors des mécanismes de substitution, de compensation et d'échange peuvententrer en jeu : il serait déraisonnable de vouloir conserver chaque écosystème en l'état ; on ne peut pas exigerde chaque économie locale qu'elle limite son développement aux possibilités de ses seules ressources locales,etc.

UNE FAUSSE BONNE IDÉE ?

Se pose alors une question : peut-on planifier la soutenabilité à long terme des villes ? La démarchehistorique a montré que l'espace urbain dépasse les projets et les intentions des fondateurs, aménageurs etplanificateurs : les structures urbaines sont réinterprétées et recomposées par les temps présents ; l'événementinterfère avec la structure. Mais alors s'impose une trajectoire d'évolution à long terme, à la fois irréversibleet peu prévisible. Vouloir imposer un modèle de développement urbain jugé soutenable à long terme peutalors déboucher sur son contraire et représente peut-être une fausse bonne idée à l'échelle de l'espace local.Par contre, faire à temps des choix robustes et préserver de façon active la flexibilité et le potentiel derenouvellement de l'espace urbain sont des priorités qui, paradoxalement, imposent que le développementurbain ne soit pas abandonné au seul laisser-faire du marché ou des pratiques d'appropriation sauvage del'espace. Il faut encore que les incitations économiques en place aillent dans le sens d'une plus grandeefficacité dans l'emploi des ressources matérielles de base et de la mobilisation innovante des capacitéshumaines inemployées, afin de limiter l'intensité écologique de la satisfaction des besoins de populationsurbaines qui représentent d'ores et déjà la moitié de la population mondiale.

Olivier Godard,

chargé de recherche au CNRS, Centre international de recherche sur l'environnement et le développement

(URA 940 CNRS), EHESS, 1, rue du 11-Novembre, 92120 Montrouge.

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LA LOGISTIQUE ET LES VILLES

Dans les restructurations du système productif, la logistique joue un rôle croissant. Est-ce un simpleinstrument technique ? A-t-elle une influence sur l'organisation économique du territoire et sur le réseau devilles qui en est l'ossature ? Michel Savy

Dans l'étude de l'évolution multiforme du territoire - et des villes qui s'y insèrent et le structurent - onassignera ici un rôle primordial aux facteurs économiques et plus particulièrement aux fonctions logistiquesqui associent la fabrication et la circulation des marchandises.

Les restructurations en cours sont comparables, par leur ampleur et leur radicalité, au mouvement dedécentralisation industrielle qui avait caractérisé, en France notamment, la phase d'expansion des annéescinquante à soixante-dix et s'était appuyé, en le réutilisant à son profit, sur le réseau de villes existant. Leschangements touchent le cœur même du système productif : les méthodes et les modèles d'organisation dutravail et de la production, les relations entre la fabrication et le marché et entre la fabrication et sonenvironnement de services. Ces changements sont maintenant repérés, sous des désignations diverses (post-fordisme, toyotisme, production flexible, etc.), par des élaborations théoriques qui mettent l'accent sur lenoyau industriel, technologique, de la production manufacturière.

LES EFFETS D'AGGLOMÉRATIONCes changements impliquent l'espace. Les activités les plus dynamiques se concentrent sélectivement dansquelques métropoles offrant un marché du travail actif et diversifié. Les effets d'agglomération autorisent deséchanges locaux d'autant plus intenses que les entreprises se recentrent sur leur métier de base et font plusappel que naguère à des prestataires tiers. Les liens avec la recherche, avec les institutions politiques etprofessionnelles locales et avec l'appareil de formation, mais également les conditions de vie offertes à lamain d'œuvre, sont également des éléments influents. Les grandes agglomérations offrent en outre uneassurance de flexibilité qui permet aux firmes de s'engager et de se désengager plus facilement que dans unbassin d'emploi captif. Par delà les éléments propres à telle ou telle entreprise, on redécouvre le rôle desinfrastructures sociales dans le développement territorial.

Le renforcement des liens entre la production et le marché, jusqu'à la mise en place d'un « pilotage par l'aval

», donne une importance inédite aux activités de circulation des marchandises : qu'il s'agisse des relationscontradictoires entre les industriels et les grands distributeurs, du resserrement des liens entre les donneursd'ordres et leurs sous-traitants et fournisseurs, de l'intégration des services après-vente et d'accompagnementà la fourniture de produits proprement dits, etc.

La « différenciation retardée » des produits tend même à reporter dans des sites de distribution certainesopérations de finition ou de conditionnement naguère assurées dans les sites de fabrication. Les techniqueslogistiques, techniques de gestion des flux physiques (manutention, stockage, transport) ou de gestion par lesflux (réseaux d'information, contrôle en temps réel des approvisionnements, des encours et des produits finis)

  jouent désormais un rôle central dans le pilotage des grands systèmes industriels et commerciaux, lalocalisation et le fonctionnement spatial de la production : la géographie des lieux se double d'unegéographie des flux.

L'IMPORTANCE DES COÛTS LOGISTIQUESSans doute le poids des fonctions logistiques dans la production globale, et a fortiori leur influence surl'organisation du territoire, sont-ils difficiles à mesurer et souvent sous-estimés. Certains travaux évaluent à20 % environ du produit intérieur brut des pays développés le montant des coûts logistiques, si l'on y inclutles opérations physiques mais aussi les coûts administratifs de gestion des flux et les coûts financiersd'immobilisation des produits. Dans le cas français et parmi les 22 millions d'emplois, on peut évaluer à 800000 environ le nombre d'actifs engagés dans le seul transport de marchandises, et à quelque 1 700 000 ceuxqui réalisent des opérations de logistique opérationnelle. Encore ces chiffres, imprécis mais significatifs, necouvrent-ils pas les consommations intermédiaires que sont la production et l'entretien des véhicules et autresmatériels, des infrastructures et des bâtiments, la fourniture d'énergie, les assurances, etc. Pour nombre deproduits de grande consommation, le montant des coûts logistiques amont et aval (mais sans compter

l'activité commerciale des distributeurs finals) est du même ordre de grandeur que les coûts contrôlables, lescoûts de fabrication immédiate. A l'usine visible s'en ajoute une deuxième, cachée, fragmentée, partiellementmobile, mais d'un volume de production comparable, « l'usine logistique ».

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Or, les tendances qui alimentent la concentration technique et spatiale de la fabrication jouent aussi enmatière logistique, dans la recherche d'un compromis satisfaisant entre les avantages de la concentration(économies d'échelle) et ses désavantages (allongement des distances et des délais, augmentation des coûtsd'acheminement). Le degré de concentration des solutions retenues varie selon les produits concernés : leurvaleur, la taille des lots d'expédition, la fréquence et la régularité des envois, l'urgence des commandes, etc.Pour desservir un territoire comme la France, chaque cimenterie alimente aujourd'hui une zone d'environ 200km alentour (mais il y avait une usine par département il y a vingt ans), une compagnie pétrolière compteune trentaine de dépôts régionaux (contre cinquante auparavant), les produits alimentaires ultra-fraistransitent par une demi-douzaine de bases logistiques (mais les livraisons directes sur les plates-formes desgrands distributeurs se multiplient), les pièces de rechange pour l'automobile sont regroupées en un stockunique national (les stocks régionaux ont disparu), les pièces de rechange des grands ordinateurs dans unstock européen, certaines pièces d'hélicoptère dans un stock unique pour le monde entier… Les forts tauxd'intérêt, la réduction drastique des stocks qu'exige la gestion « en flux tendus », la baisse absolue des prix detransport renforcent la concentration du dispositif logistique, et donc la polarisation de l'espace.

LE CHOIX D'UNE IMPLANTATION

L'implantation d'une installation logistique s'ordonne selon deux questions : cette installation sera-t-elleisolée, ou voisine d'autres établissements analogues ? le lieu choisi sera-t-il situé en zone urbaine ou en rase

campagne ? Dans les réseaux logistiques, la maîtrise des nœuds physiques et organisationnels tend àl'emporter sur celle des arcs, des opérations de transport proprement dit. Certains réseaux, spécialisés,s'organisent de manière autonome, avec des implantations dédiées. D'autres font appel à des systèmespartagés, qu'il s'agisse des opérations d'acheminement (les diverses sortes de messagerie) ou des installationsfixes. Des zones d'activité spécialisées dans le transport et la logistique proposent une offre immobilière et deservices à l'ensemble des professions intervenant dans les chaînes d'acheminement (transporteurs,commissionnaires, chargeurs industriels, distributeurs, etc.) et regroupent ainsi une part des plates-formesprivées. Ces plates-formes publiques sont promues par des investisseurs privés, ou par des collectivitéslocales qui y voient un instrument de développement économique, de meilleur traitement des nuisances etd'aménagement de l'espace.

Parmi les plates-formes, certaines ont un rôle local de distribution et de collecte, d'autres jouent un rôlerégional, parfois national et international, de stockage et d'acheminement. Les localisations s'appuient à lafois sur les grandes infrastructures (nœuds du réseau autoroutier, sites multimodaux) et sur la proximité desmarchés, à l'expédition comme à la réception. La localisation des plates-formes spécialisées relève deconsidérations technico-économiques propres et s'effectue parfois en un site isolé. En revanche, les plates-formes publiques se doivent d'être polyvalentes, associer flux locaux et de longue distance, acteurs multiples,et leurs investisseurs recherchent la flexibilité dans l'affectation de leurs installations. Elles s'implantent doncau voisinage ou au sein des grandes agglomérations. En France, se dessine un réseau d'une demi-douzaine dezones métropolitaines, ouvertes aux échanges internationaux, permettant de desservir, outre leur aire propre,de vastes pans du territoire national. Ainsi, l'Ile-de-France n'est pas seulement le lieu de concentration desfonctions directionnelles et des hautes qualifications, c'est également la première plaque tournante logistiquepour les trafics intérieurs et internationaux.

A terme, la tendance à la polarisation sera peut-être limitée par l'aggravation de la congestion des zones

urbaines et l'élévation des coûts fonciers, favorisant les implantations périphériques voire en rase campagne.Le bilan global de mouvements urbains de marchandises n'en sera pas forcément amélioré… Quant àl'émergence de régions logistiques européennes, transfrontalières, elle se heurte encore, pour les produits degrande consommation, aux disparités de l'appareil de distribution. Mais c'est bien la mise en place d'unespace réticulaire, accentuant la coupure économique et spatiale entre les métropoles, bien reliées en dépit dela distance, et les espaces interstitiels, laissés à l'écart, que favorise aujourd'hui le développement logistique.

Michel Savy,

professeur à l'École nationale des ponts et chaussées, Laboratoire techniques, territoires et société

(URA 1245 CNRS), ENPC, Central IV, 1, avenue Montaigne, 93167 Noisy-le-Grand Cedex.

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LES TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES

Pour comprendre la complexité des rapports au logement, il est nécessaire de resituer les comportements desménages dans leur histoire résidentielle et familiale. Catherine Bonvalet  

Le logement est un bien complexe dont les enjeux pour les ménages sont multiples : enjeux économique,patrimonial, affectif et familial, qui s'inscrivent dans la durée. Leur compréhension nécessite de compléter lestravaux sur les conditions de logement, tirés des recensements et des enquêtes logement de l'INSEE, par uneanalyse qui prenne en compte le passé résidentiel des individus à l'aide d'enquêtes rétrospectives et demonographies qualitatives.

ÉTABLIR UN BILAN RÉSIDENTIEL

Ces analyses dites longitudinales ont ouvert des perspectives nouvelles en permettant une approchedifférente du logement où les comportements des ménages ne sont plus, désormais, saisis dans l'instantané àpartir de variables simples comme l'âge du chef de ménage, son revenu ou sa catégorie professionnelle, cequi conduisait souvent à une vision déterministe des pratiques résidentielles. Ainsi, de récents travaux

révèlent les processus par lesquels les ménages opèrent les choix qui orientent leurs trajectoires résidentiellesdéfinies comme la succession des statuts d'occupation, de lieux de résidence et de type d'habitat au cours ducycle de vie.

L'intérêt de ce type de démarche est double. D'une part, il devient possible d'établir un « bilan résidentiel »des ménages en fonction de leur vie familiale et professionnelle. La grande majorité des individuscommencent leur itinéraire dans le secteur locatif privé, certains le poursuivent dans le parc social et ce n'estque plus tard, au moment de la constitution de la famille, que se pose la question de l'achat du logement (vers35 ans en moyenne). Par exemple, pour les personnes appartenant aux générations nées entre 1926 et 1935,le nombre de logements occupés plus d'un an, variable selon le statut d'occupation, la taille de la famille et lestatut social s'élève, à 45 ans, à trois en moyenne. Plus d'une trajectoire sur quatre comporte un passage dansla région Ile-de-France. A l'intérieur de celle-ci, la banlieue apparaît comme un lieu où l'on jette l'ancre,tandis que Paris reste un lieu de passage.

D'autre part, l'analyse approfondie des « parcours logement » permet de dépasser la simple description desdifférents logements habités par les ménages et de mettre en évidence le sens symbolique et social qui guideles stratégies des familles en matière de choix de logement.

LE RÔLE DE LA FAMILLE

Les comportements des ménages n'obéissent pas uniquement à des logiques économiques, mais également àdes logiques multiples où interviennent non seulement l'histoire de l'individu, celle de son conjoint et deleurs familles respectives, mais également l'histoire du parc de logements et de la législation. Même dans les

grandes enquêtes de l'INED, où se dégagent des tendances lourdes dans les parcours logement, il reste destraces statistiques de cette diversité. L'influence des origines et la concordance imparfaite entre statutd'occupation et statut économique (il existe des locataires aisés et des propriétaires qui le sont moins) invitentà reconsidérer la façon d'appréhender les questions du logement à partir des notions de ménage et de statutd'occupation et de résidence principale.

Parce que le ménage n'est pas dans la réalité ce groupe d'individus isolé dans son logement, mais qu'il est prisdans un ensemble de relations familiales, amicales, professionnelles, son comportement résidentiel porte leurempreinte. Invisibles au niveau macro-économique, les logiques familiales fournissent souvent une clé pourcomprendre l'itinéraire résidentiel des ménages. Dotée d'un pouvoir d'influence non négligeable, de capitauxrelationnels et financiers, la famille agit de façon souterraine à toutes les étapes du cycle de vie, en donnantpar le jeu des cautions ou par sa mobilisation financière et matérielle, la possibilité d'obtenir ou d'acquérir unlogement. Son rôle ne se limite pas à ces aides ponctuelles. La famille transmet des valeurs et des modesd'habiter qui contribuent au fil des générations à fabriquer un univers résidentiel auquel l'individu pourra seréférer selon les circonstances du marché du logement et les événements du cycle de vie.

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PROPRIÉTAIRE OU LOCATAIRE ?

Dans l'itinéraire des ménages, l'achat du logement apparaît comme une étape privilégiée où la mobilisationfamiliale joue un rôle capital, car la propriété possède une valeur symbolique très forte en France. Cela setraduit par une vision hiérarchique des statuts d'occupation selon laquelle le propriétaire d'une maisonindividuelle se situe au sommet de l'échelle résidentielle et le locataire de HLM au bas. De cette image,découle l'idée d'un parcours logement idéal dont l'aboutissement ne saurait être que la propriété et la locationqu'une étape. L'analyse des trajectoires montre une réalité de plus en plus complexe, en particulier sous l'effetde l'évolution des structures et pratiques familiales (cohabitation hors mariage, divorce…) ainsi que destransformations économiques. D'une part, les allées et venues entre les différents statuts sont fréquents, leretour vers le secteur locatif après une accession à la propriété ne constituant pas une exception, même pourles couples stables. D'autre part, la propriété ne revêt pas le même sens selon les catégories sociales et lesfamilles (il existe des familles de propriétaires et des familles de locataires). Pour certains, le lieu derésidence et l'insertion dans un quartier sont plus importants que le statut juridique d'occupation ; pourd'autres, des conditions spécifiques rendent l'achat d'une résidence principale moins attractif : par exemple unlogement HLM bien situé, un logement « loi de 1948 », un logement de fonction, ou encore certaines rentesde situations souvent liées à l'ancienneté du ménage dans le logement. Pour d'autres enfin, parce que leursattaches sont ailleurs, la question de l'achat d'un logement dans la région du lieu de travail ne se pose même

pas. Et la détention d'une résidence secondaire ou d'une maison de famille vient souvent satisfaire le désir depropriété toujours présent.

Cette approche par les trajectoires résidentielles renvoie une image du parc de logements différente de cellegénéralement décrite : d'une part, la hiérarchie propriétaire-locataire transparaît de manière imparfaite dans laréalité des pratiques résidentielles, certains locataires le sont par choix, tout comme certains propriétaires lesont devenus sous contrainte. D'autre part, la prise en compte du groupe familial conduit à nuancer ledéterminisme économique au terme duquel le ménage, en fonction de sa catégorie sociale et ses revenus,serait destiné à un statut d'occupation et à un type de localisation. Cependant la lecture des trajectoires nedoit pas conduire à une autre vision déterministe selon laquelle les individus se contenteraient de reproduirela position résidentielle de leurs parents. L'introduction de la notion de stratégie est ici essentielle car ellereconnaît aux individus une part de choix et ouvre l'horizon des possibles, tandis que la vision déterministe le

referme d'après des critères préétablis. La famille, en fait, donne ou ne donne pas des cartes que les ménagesrestent libres d'utiliser selon les opportunités du marché du logement. Si les parcours résidentiels ne sont pastracés d'avance par les origines, les classes sociales, les revenus ou le statut professionnel, ils en sont leproduit complexe.

Catherine Bonvalet, chargée de recherches à l'Institut national d'études démographiques, 27, ruedu Commandeur, 75014 Paris.

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L'ANALYSE DE LA MOBILITÉ

Les représentations dominantes des comportements de déplacement évoluent, mais aucune ne chassetotalement les précédentes. Jean-Pierre Orfeuil 

Jamais dans l'histoire les hommes n'ont été aussi mobiles dans leur vie quotidienne, ancrée dans les

espaces environnant la résidence comme dans les périodes de rupture, souvent synonymes de voyageslointains. Rien ne signale, même aux États-Unis, l'esquisse d'une stabilisation.

L'analyse de la mobilité se donne pour tâche la connaissance des comportements de déplacements et lacompréhension des déterminants de la mobilité, avec des retombées sur nos capacités de prévision, d'actionet d'évaluation. Divers paradigmes ont servi à guider les investigations.

DU MICROSOCIAL AU MACROSOCIAL

De l'après-guerre au début des années soixante-dix, la représentation dominante est gravitaire : les zones del'espace s'attirent en fonction de leurs différences de potentiel (résidences ici, activités là) et de la résistance

du milieu (les coûts généralisés, monétaires et temporels, de la migration). L'objet n'est ni la personne ni sondéplacement, mais le flux. Souvent qualifiée de « physique sociale » par ses détracteurs, l'approche sera aussicritiquée dans ses modes opératoires : caractère exogène de la motorisation et de l'urbanisation, logiquecausale sans rétroaction.

La fin de l'urbanisation massive, l'émergence de problèmes nouveaux (choc pétrolier, révoltes d'usagers), lessuccès - dans d'autres domaines - d'un marketing qui intègre les différences d'attentes des consommateursmettent alors la personne au centre du dispositif.

Un premier courant, dérivé de la théorie du consommateur, d'essence microéconomique et psychométrique,met l'accent sur les attributs fins du déplacement : traitements différenciés des temps de parcours, d'attente,d'accès, échelles de confort, de fiabilité, participent à la définition d'une fonction d'utilité qu'il s'agit de

maximiser.

Un second courant, celui de la géographie du temps et des programmes d'activités, vise moins à quantifierdes relations simples qu'à documenter le champ des relations possibles, leur formation, leur combinatoire : lademande de transport est explicitement reconnue comme dérivée de la réalisation d'un programmed'activités, activités elles-mêmes situées dans l'espace et le temps (rythmes familiaux et temps sociaux). A lalogique d'optimisation individuelle de l'approche économétrique répond une logique d'appréhension desunivers possibles… et des schémas irréalisables. Les formalisations ici ne sont pas très éloignées deslogiques des systèmes à base de connaissance. Stimulante parce qu'elle révèle à la fois des capacitésd'adaptation insoupçonnées, mais aussi des contraintes jusqu'alors non prises en compte, cette approches'avère féconde pour la conception de modifications marginales du système, mais bute sur le passage dumicrosocial au macrosocial, sur l'extrême diversité des programmes d'activités dans les sociétés modernes.Elle apparaît en outre, comme les approches économétriques, trop statique et trop dépendante de la structuredes espaces, elle-même fortement dépendante des capacités de mobilité de la population.

UN BUDGET-TEMPS CONSTANT

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, la question de la transformation de l'urbanisation par lamobilité et de la mobilité par l'urbanisation recevra une réponse théorique. Énoncée brutalement, elle postuleque la mobilité évolue de telle sorte que les progrès de la vitesse qu'offrent la technologie et l'investissementsont utilisés par les personnes pour augmenter la portée spatiale de leurs déplacements, dans la limite d'uncertain budget-temps (maximum qu'une population considère comme normal de passer en déplacement) etd'un certain budget monétaire (fraction caractéristique du revenu).

Parfois présenté de façon quasi-anthropologique (« de tout temps, en tout lieu, les populations consacrent lemême temps à se déplacer »), le concept est en fait plus complexe puisqu'il se présente comme un

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programme de maximisation d'une fonction (la distance) sous deux contraintes budgétaires où les prix, lesperformances non seulement des moyens de transport, mais aussi des réseaux (qui dépendent descomportements collectifs, à travers des phénomènes tels que la congestion ou la déshérence des transportspublics), jouent un rôle essentiel.

Une telle diversité d'approches dans un champ de recherche qui n'a guère que trente ans peut être perçue soitcomme un signe de vitalité créatrice, soit comme un symptôme inquiétant d'instabilité. En fait, aucuneapproche n'a véritablement « tué » les autres, si bien que la diversité des angles de vue révèle surtout ladiversité des questions posées dans un contexte où toute approche « totalisante » peut être a priori exclue.

Pour les analyses prospectives de long terme, qui doivent mettre en jeu simultanément les transformations dela mobilité et les transformations des espaces, les observations effectuées tant en France qu'en Allemagne ouaux États-Unis sont compatibles avec la vision de stabilité budgétaire et de maximisation des distancesproposée par le dernier modèle : le nombre de déplacements (interaction spatiale) augmente peu, lesdistances moyennes augmentent fortement, tandis que les temps de transport restent stables en raison destransferts modaux et des progrès de vitesse dans les modes : cette « quasi-loi » semble pouvoir servir desocle à des exercices prospectifs questionnant les morphologies urbaines, dès lors que des modèles intégrantles effets de l'évolution démographique et de la croissance économique sont utilisés pour qualifier le scénario

de référence.

Pour les analyses à plus court terme, où l'on cherche à évaluer l'impact de telle ou telle modificationmarginale du système, les autres représentations peuvent être employées soit isolément, soit en combiné : ladémarche économétrique/psychométrique sera souvent efficace pour les changements de tarifs, defréquence… ; les démarches en terme de programmes d'activité seront souvent efficaces vis-à-vis d'offresorganisationnelles nouvelles (car-pool, horaires variables…) ; une combinatoire de plusieurs démarches serautilisée pour des produits nouveaux (péage modulé, véhicule électrique…) et pour le test d'investissementslourds : c'est ainsi par exemple qu'on a montré qu'à court terme, l'ouverture d'un boulevard périphériqueautour d'Amsterdam se traduirait pour les usagers par un « retour vers la pointe », révélant ainsi l'ampleurdes efforts d'étalement de trafic que réalisaient les usagers dans la situation antérieure.

Jean-Pierre Orfeuil, directeur de recherche à l'Institut national de recherche sur les transports et leursécurité, Département économie et sociologie des transports, INRETS, 2, avenue du Général-Malleret-Joinville, BP 34, 94114 Arcueil Cedex.

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VERS UN MODÈLE DE VILLES ENTREPRENEURIALES ?

Un nouveau modèle de gouvernement urbain fondé sur l'émergence des villes comme acteurs économiquesest peut-être né : les effets de la compétition inter-urbaine se font déjà sentir. Patrick Le Galès 

La réorganisation des relations entre l'État, la CEE, les autorités locales, le marché, les entreprises privées,

a caractérisé les années quatre-vingt dans l'ensemble des pays européens. Dans le domaine spécifique despolitiques de développement économique, les pouvoirs locaux, notamment les villes et les régions, ontmultiplié les initiatives depuis le milieu des années soixante-dix. Les travaux de sociologie et de politiqueurbaine sur l'évolution des actions et des politiques de développement économique local des villes ont mis enévidence trois tendances dans les années quatre-vingt : l'évolution des politiques locales dans le sens de lacompétition interurbaine ; les privatisations de services urbains et la multiplication des formes d'organisationimpliquant des partenariats publics-privés et de fait l'implication croissante des acteurs privés ; ledéveloppement d'une planification stratégique à moyen ou long terme.

Tout un courant de recherche s'interroge sur la recomposition de l'action publique urbaine, sur l'émergencede nouvelles formes de gouvernement urbain (ou de gouvernance urbaine afin de sortir d'une définitionpurement institutionnelle). Les politiques économiques des villes sont un indicateur de ces évolutions.Peuvent-elles être appréhendées à partir d'un modèle de ville entrepreneuriale ? Ce modèle serait le fruit à lafois d'une contrainte et d'une stratégie politique des villes.

LE RÔLE DES ACTEURS PRIVÉS

La recherche urbaine a d'abord mis l'accent sur les nouvelles actions menées par les collectivités locales dansles années soixante-dix dans le cas français, pour favoriser le développement économique et s'est interrogéesur les logiques de la décentralisation. Comparant avec la période de la croissance, les recherches ont mis enévidence la transformation de l'aménagement urbain et les difficultés des organismes et outils liés à l'État.Puisqu'il y avait la décentralisation, les politiques locales devaient être importantes et de nombreusesrecherches ont été effectuées sur ces dernières, les nouveaux notables et le gouvernement urbain. Or, le jeu à

deux acteurs principaux, l'État et les collectivités locales (notamment les grandes mairies urbaines), estdevenu un jeu plus compliqué avec le rôle de plus en plus important des acteurs privés, qu'il s'agisse desintérêts locaux, des grandes entreprises de service urbain ou des banques.

Ainsi, pour les maires urbains, l'État n'était plus capable de résoudre le problème du chômage. L'abandonplus ou moins clair de la politique d'aménagement du territoire et la mise en place des contrats de plan ontrenforcé un mouvement de compétition entre les autorités locales pour attirer les investissements publicsfinancés par l'État. A ce jeu, les plus forts, les maires urbains, ont gagné. Les mairies urbaines ont bien prisconscience du fait que dans un système capitaliste, lorsque le pouvoir de l'État sur les entreprises est remis encause, les villes dépendent des entreprises pour la création d'emploi et la richesse. Si l'État n'avait plus lesmoyens de défendre l'emploi, il convenait de se rapprocher des producteurs de richesse, de s'associerétroitement aux entreprises. Cela a pris localement la forme de partenariat, d'arrangements entre autorités

locales et représentants des entreprises, ou plus directement avec certaines entreprises pour la définition destratégies locales plus ou moins formalisées.

La recherche urbaine sur le gouvernement des villes et les politiques publiques locales a mis en évidence lafragmentation, la multiplication des acteurs et les arrangements divers entre acteurs publics et privés dans lesvilles plutôt que la belle cohérence de politiques et de stratégies locales défendues avec brio par les maires,ou présentées par les consultants.

LA RECHERCHE URBAINE COMPARATIVE

Les travaux comparatifs ont permis à la recherche de progresser rapidement. Dans les années quatre-vingt, la

recherche urbaine a connu de nombreux développements théoriques en particulier aux États-Unis et enGrande-Bretagne.

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Pour ce qui concerne les politiques de développement économique local, la comparaison a permis de mettreau jour d'une part des logiques d'évolution communes aux grandes villes de différents pays : alors que vers1975, les actions étaient menées afin de défendre l'emploi, les priorités ont changé. L'amélioration del'environnement de l'entreprise et du cadre de vie de leurs responsables, la communication et l'image de laville, des grands projets modernistes caractérisent la logique de compétition entre villes et constituentaujourd'hui les éléments les plus importants des politiques de développement économique des villes dans cesdifférents pays. D'autre part et à l'inverse, en France, en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne,l'importance de la « localité », qui résulte du jeux des acteurs sociaux locaux a été démontrée. Lesorganisations et les groupes sociaux dans les villes ont eu tendance à s'organiser et à produire desreprésentations de villes acteurs afin de s'intégrer, ou au contraire de refuser de s'intégrer dans la compétitioninterurbaine.

UNE LOGIQUE DE COMPÉTITION

Ce début d'analyse sur la logique de compétition et le modèle de villes entrepreneuriales demeure incomplet.Cette concurrence entre villes a toujours existé mais elle était régulée par l'État. Le fait que l'État exerce unrôle moins important, notamment en termes d'aménagement du territoire et de contrôle de l'économie,renforce le poids d'autres logiques, celle de la compétition notamment. Cela soulève pour l'instant de

nombreuses questions : comment définir un idéal-type de villes entrepreneuriales s'appuyant sur despolitiques mises en œuvre et des budgets, sur un mode de régulation des intérêts (formes de corporatismeurbain), des formes d'arrangements entre acteurs publics et privés, et sur une organisation s'appuyant sur laplanification stratégique ? Quelles sont les conditions sociales, politiques économiques locales d'existence dece modèle ? Certaines villes britanniques se caractérisent par l'existence de coalition d'intérêt ayant pourobjet d'empêcher le mode entrepreneurial et le développement économique (Swindon, Norwich). Quels sontles effets sociaux des politiques mises en œuvre ? Une telle logique a pour effet de gommer les conflits, lesquartiers en difficulté et les chômeurs de l'agenda politique. L'exemple américain montre comment cettelogique dynamique de compétition entre villes a abouti à accroître les inégalités au sein des villes. Enfin,l'importance de cette logique de compétition et de stratégies entrepreneuriales des villes reste largement àpréciser. Bien entendu, les villes ne peuvent pas seulement s'occuper de développement économique. Cetteconcurrence sera-t-elle une contrainte parmi d'autres ou la priorité des politiques locales ? Les problèmes liés

à l'exclusion sociale et les contraintes de l'élection municipale ne conduiront-elles pas les maires à réviser àla baisse leurs ambitions européennes ? Y a-t-il seulement une modification de l'environnement ou unetransformation profonde de la « gouvernance urbaine » ? La compétition entre les villes mérite sans douted'être prise au sérieux mais on manque d'éléments, notamment comparatifs, pour juger de son importance.

Patrick Le Galès, chargé de recherche au CNRS, Centre de recherches administratives et politiques(URA 984 CNRS), Université de Rennes I, Institut d'études politiques, 104, boulevard de laDuchesse-Anne, 35700 Rennes.

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GÉRER LES RÉSEAUX URBAINS

Peu visible pour le citoyen, la gestion des réseaux techniques urbains est pourtant la base matérielle de notrevie quotidienne. A l'articulation du politique et de la technologie, comment inventer de nouveaux cadresd'action ? Dominique Lorrain 

Les réseaux techniques urbains, ces objets cachés de nos villes, sont en train de prendre une importancenouvelle. Avec l'explosion urbaine des pays du sud et la prise en compte des problèmes d'environnementpartout dans le monde, les questions de traitement de l'eau, d'assainissement, d'enlèvement des déchets, dedépollution se posent avec force.

Le bon fonctionnement des réseaux urbains est capital pour le développement de l'économie comme pourchaque instant de la vie quotidienne. L'eau à domicile, l'enlèvement et le traitement des déchets, ladistribution d'électricité et les transports de masse façonnent l'existence de millions d'habitants des villes quise trouvent pénalisés par un mauvais fonctionnement : problèmes de santé publique, temps domestiqueperdu. On oublie ces services quand tout marche bien ; ils deviennent naturels et se fondent dans notreenvironnement. Voilà donc un domaine d'activité qui évolue entre deux extrêmes : l'oubli dans les paysdéveloppés et le manque qui crée des situations problématiques pour des millions d'habitants dans les paysen voie de développement.

Pour parvenir à régler convenablement ces questions, il ne suffit pas de mobiliser des équipementstechniques car les technologies existent. Il faut aussi construire un dispositif politico-institutionnel quiréponde à des questions simples : comment se définit le domaine public ? Qu'est-ce que l'utilité publique ?Qui est l'autorité responsable d'un secteur ? Quel est le statut du gestionnaire du réseau (public, privé oumixte) ? Quels sont les types de contrats, les méthodes de financement ? Comment couvre-t-on les risques ?Comment le système est-il régulé ? De plus, il faut que ces règles soient stables pour que des actions puissentêtre engagées.

Plus qu'ailleurs des règles doivent être construites pour qu'une action collective devienne possible, car

l'ajustement entre une offre et une demande ne se fait pas spontanément comme pour d'autres marchés. Celatient à la lourdeur des investissements, à la non divisibilité des réseaux, à des principes de service public(égalité, continuité). Ici le marché doit être construit. La puissance publique doit intervenir pour élaborer uncadre préalable à l'action. Tant que ceci fait défaut, les acteurs ne parviennent pas à se mobiliser et lesproblèmes demeurent. Les échecs de différents projets dans des villes latino-américaines, les difficultés despays de l'Europe de l'Est témoignent de cette impérieuse nécessité du cadre d'action.

LE TEMPS D'UNE INDUSTRIE DE LA VILLE

Ces questions sont aujourd'hui en train de prendre une importance capitale pour trois raisons.

La croissance démographique des pays en voie de développement conduit à une explosion urbaine qui donneà ces réseaux techniques une véritable dimension politique. En Chine par exemple, le simple déplacement de10 % de la population rurale vers les villes - en raison d'une productivité accrue - génère 80 millions denouveaux urbains ! Des mégalopoles multi-millionnaires, et en général sous-équipées, sont en train deproliférer sur tous les continents et les tensions s'y accumulent. Leurs noms commencent à être connus dugrand public : Mexico, Djakarta, Calcutta, Bangkok, Lagos. Les enjeux qui s'y posent - populationcroissante, sous équipement, pollution de l'eau et de l'air, embouteillages monstres - le sont à une échelle

 jamais connue dans l'histoire urbaine.

La prise en compte écologique dans les pays industriels débouche sur une attention grandissante pour cesquestions comme en témoignent les transformations du débat public. En outre, les plus grandes villes en sedéveloppant changent de nature. Pour reprendre la classification de l'historien américain Joël Tarr, au

commencement était la ville du piéton aves des rues, des logements de faible hauteur, des puits individuels etdes bornes fontaines. Puis, arrive le stade des premiers réseaux lourds : égouts, métros, tramways, électricité.La ville monte en hauteur, se structure et s'équipe. Aujourd'hui la densité de ces équipements augmente etl'on entre dans un nouveau type : la grande mégalopole câblée. La dimension réseautique se renforce. La

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mégalopole devient alors un objet technologique complexe, fait de réseaux qui s'interconnectent, qui doiventêtre produits, maintenus et régulés. Cette irruption de la technologie dans la métropole moderne représenteun saut de nature, une rupture de l'ancienne continuité des formes spatiales qui jusqu'alors unissait le bourgrural à la ville.

Tout ceci se produit à un moment où les cadres d'action mis au point dans l'entre-deux guerres et fortementmarqués par une culture publique, se trouvent remis en cause. Des frontières que l'on croyait stables entrepublic et privé, entre services marchands et non marchands, entre des secteurs techniques autrefois séparés,se déplacent. Ces modifications ne sont pas seulement le produit passager d'une orientation politiquecirconscrite aux pays les plus avancés dans le libéralisme (États-Unis, Grande-Bretagne) ; un grand vent dedérégulation et de privatisation souffle dans tous les pays.

Sur toutes ces questions s'est constitué en France un champ de recherche vigoureux, organisé autour d'ungroupement de recherche sur les réseaux et ouvert sur l'extérieur (groupement Interurba, écoles d'ingénieurs,établissements publics, ministères, opérateurs privés et mixtes, banque mondiale). Dans ce réseau sur lesréseaux, les idées circulent. Il y a controverse et confrontation des enseignements de l'histoire et des théorieséconomiques à de vraies situations.

MAITRISER LA TECHNO-NATURE

Quels peuvent être les apports de ces recherches au champ de la connaissance comme à une pensée surl'action ? Le premier enjeu intellectuel est d'introduire une dimension socio-politique dans un champ oùrégnait en maître dame technologie. Il s'agit de croiser des approches qui traditionnellement séparent lesingénieurs des socio-économistes. Et c'est une tâche non négligeable dans une société où les produits del'activité humaine constituent de plus en plus notre environnement quotidien. L'habitant des petites villes setrouvait confronté à la nature. Celui de la mégalopole câblée vit dans une techno-nature, pour reprendrel'expression de Philippe Roqueplo.

Il est une seconde implication dans le champ de l'économie politique et plus particulièrement en ce quiconcerne la théorie de la régulation des monopoles. La question est très simple et remonte aux origines del'économie politique : s'il y a monopole « naturel », comment éviter que l'entreprise abuse de cette positiondominante ; une branche s'est développée autour des théories de la régulation et de l'économie desconventions. En raison de leur dimension territoriale et de leur proximité aux décideurs politiques, cesréseaux conduisent à réinterpréter des théories qui furent élaborées pour d'autres grands réseaux : électricité,télécommunications.

Une troisième implication concerne les sciences du politique. L'apport de ces travaux est d'introduire lemonde de l'industrie, de l'argent et des technologies dans les travaux sur le pouvoir et en particulier sur lepouvoir local. Il s'agit de donner de l'épaisseur à l'étude des phénomènes de pouvoir.

COMPARER DES ARCHITECTURES SOCIO-ÉCONOMIQUES

Compte tenu de la pression du contexte sur les choix du moment, les recherches dans ce domaine contribuentà comparer des architectures institutionnelles, des modèles de services urbains. Ce rôle a jusqu'à présent ététenu par les grands organismes internationaux - Banque Mondiale, Banque Asiatique - influencés avant toutpar les concepts des économistes libéraux américains. Les difficultés rencontrées en différents projets fontqu'aujourd'hui le jeu est plus ouvert. Il y a interrogation sur le statut des autorités responsables, sur lesméthodes de régulation, sur la place des usagers et du politique. L'expérience des pays européens nousmontre premièrement que plusieurs arrangements peuvent être envisagés et, deuxièmement, que ces choixproduisent des effets sur le moyen terme pour ce qui relève du statut du politique, de l'organisation de ladémocratie et de la structure de l'offre industrielle. Nous sommes à un moment crucial dans la mise au pointde nouveaux cadres d'action.

Dominique Lorrain, chargé de recherche au CNRS, Centre d'étude des mouvements sociaux, 54, boulevardRaspail, 75006 Paris.

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SYSTÈMES D'INFORMATION POUR LA PLANIFICATION URBAINE

La planification des villes repose sur l'information. Le rôle d'un système d'information urbain est deregrouper l'ensemble des données nécessaires à la mise en place et à l'évaluation des scénarios dedéveloppement urbain. Robert Laurini, Sylvie Servigne 

Le travail des urbanistes est de trouver les meilleurs modèles de développement urbain, la tâche desinformaticiens est de leur proposer une infrastructure logicielle efficace, non seulement pour assurer un bonfonctionnement des systèmes d'information, mais aussi pour assurer la pérennité des renseignements.

Les applications de planification urbaine concernent notamment la constitution des plans d'occupation dessols (POS), la réfection des réseaux sous-terrains, la rénovation de quartiers historiques, la gestion del'environnement (maîtrise de la pollution, ramassage des déchets, …) et la gestion des transports. La plupartdes grandes villes sont d'ores et déjà dotées de systèmes d'information permettant d'atteindre certains desobjectifs précédemment mentionnés.

Ces systèmes exigent de se doter de bases de données, de bases de connaissances et d'outils cartographiquesintelligents. Les principales données sont de type géographique (coordonnées des divisions administratives,parcelles, bâtiments, canalisations diverses, cours d'eau, …). Les autres sont de nature économique,démographique, sociologique, foncière, juridique ou environnementale. L'objectif de la recherche dans cedomaine est donc de construire et d'améliorer de tels systèmes d'information.

Les données sont une richesse de la ville et leur importance est bien supérieure à celle du systèmeinformatique. Rappelons que le coût des données est cinq à dix fois plus élevé que le coût d'acquisition desmatériels et logiciels informatiques. Toutefois, les données urbaines deviennent rapidement obsolètes d'où lanécessité de mises à jour rapides.

LE CADASTRE MIS À JOUR PAR PHOTOS AÉRIENNES

Ainsi, le projet PHOTOPOLIS (collaboration franco-italienne) a pour objectif d'utiliser des campagnesrégulières de photos aériennes pour la mise à jour d'une base de données cadastrales.

Le processus d'actualisation se décompose en différentes phases :

•  la correction des photos scannées pour pallier les déformations dues à la position de l'avion, au relief et au recouvrement des différentes photos ;

•  la segmentation des photos puis la reconnaissance des objets pictoriels (zones de texture uniforme) ;

•  la mise en correspondance des photos et des données géographiques, par comparaison des objets

géographiques mémorisés dans la base de données avec les résultats (objets pictoriels) issus dutraitement d'images, à l'aide d'une base de connaissances spatiales.

Tous ces processus s'organisent autour de trois structures d'information : une base de données géographiques(ancienne version du cadastre) à mettre à jour, une base d'images mémorisant les photos aériennes et unebase de connaissances intégrant toutes les connaissances spatiales et les règles de production nécessairespour la mise en correspondance.

LA PRÉVENTION DES RISQUES DANS LES VILLES

Un autre aspect est la prise de décisions lors de risques naturels ou technologiques dans les villes. Lesdonnées environnementales (eau, air, sol, sous-sol, bruit…) sont pour l'instant réparties dans de nombreuxorganismes sans qu'il soit possible d'en obtenir une vue globale. L'objet du projet SAGELY (système d'aide àla gestion de l'environnement à Lyon) est de mettre au point un système de bases de données répartiesintégrant l'ensemble des données environnementales de l'agglomération lyonnaise.

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A terme, les objectifs du projet sont les suivants :

•  identifier les données environnementales pouvant jouer un rôle indicateur majeur pour lasurveillance du milieu physique urbain ;

•  tester et éclairer le mode futur d'utilisation de ces données en face de problèmes concrets qui seposent quotidiennement au décideur et qui concernent en particulier la planification pour ledéveloppement de la cité, la gestion des situations de crise, la formation et l'information despopulations ;

•  élaborer un certain nombre de guides explicites d'aide à la décision, tenant compte à la fois del'expérience, de la connaissance du milieu, mais aussi de règles ou contraintes administratives outechniques.

Un grand nombre d'informations se trouvent à l'heure actuelle sur des cartes, et une façon de les acquérir estd'utiliser des scanneurs. Aussi doit-on être capable, à partir des pixels, de reconnaître les objetscartographiques par des techniques de reconnaissance de formes et par conséquent, d'en inférer les objetsgéographiques. Par exemple, les bâtiments et les parcelles peuvent être reconnus dans les plans cadastraux

par une analyse adéquate des textures et des contours.

Au-delà des projets qui viennent d'être mentionnés, il est primordial de posséder de bonnes représentationsde l'information géographique prenant en compte la spécificité de telles données, notamment en ce quiconcerne leur aspect géométrique et topologique, leur qualité et leur pertinence. De même, les outilsd'analyse spatiale, de simulation et d'évaluation des scénarios de développement urbains doivent se baser surdes cartographies dynamiques et interactives.

Maîtriser la complexité urbaine, c'est non seulement agir en toute connaissance de cause, mais aussi en touteconnaissance des conséquences, notamment grâce à des outils de simulation urbaine basés sur les systèmesd'information.

Robert Laurini, professeur à l'Université Claude-Bernard Lyon I, Laboratoire d'ingénierie des systèmesd'information.

Sylvie Servigne, maître de conférences à l'Institut national des sciences appliquées de Lyon, Laboratoired'ingénierie des systèmes d'information, INSA, 20, avenue Albert-Einstein, 69621 Villeurbanne Cedex.

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LES POLITIQUES DU LOGEMENT

La restructuration du marché immobilier et la crise du modèle d'intervention publique dans le domaine del'habitat amènent politiques et chercheurs à revoir leur approche du problème du logement. René Ballain 

Le développement de la ségrégation sociale, la montée des phénomènes d'exclusion, le risque de

constitution d'une ville duale, contribuent au retour de la question du logement sur la scène médiatique etpolitique. Elle n'avait d'ailleurs jamais vraiment disparu, mais le sentiment prévalait depuis le milieu desannées soixante-dix que la crise quantitative du logement que la France avait connue depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale était révolue. Ce constat avait d'ailleurs largement inspiré les auteurs de la réformedu financement du logement intervenue en 1977. Réforme qui avait accéléré le désengagement financier del'État de la construction neuve et en reportait la charge sur le secteur privé, la puissance publique concentrantalors son effort sur le versement d'aides personnelles (allocations logement) pour permettre aux ménages lesplus modestes d'accéder à un logement et de s'y maintenir.

La spécialisation sociale accrue de l'espace urbain, la réapparition des sans-abri et la diffusion du sentimentde vulnérabilité dans de larges fractions de la population tendent à faire de la question du logement unequestion politique majeure. Mais elle ne se pose plus aujourd'hui dans les mêmes termes que dans les années

cinquante et soixante, lorsque l'accent était d'abord mis sur la relance de la construction et l'élargissement del'offre immobilière sous l'impulsion de l'État. La construction massive de logements et la production de laville allaient de pair. La recherche sur l'habitat et la politique du logement a suivi l'évolution desinterrogations dans le domaine de l'habitat et a épousé les inflexions des politiques publiques. Elle estaujourd'hui confrontée à de nouvelles questions sous l'effet des réajustements qui marquent lefonctionnement du marché immobilier et de la crise du modèle d'intervention publique qui a prévalu enmatière de logement jusqu'à ces dernières années.

LES ANNÉES SOIXANTE-DIX : UN TOURNANT POUR LA RECHERCHE

Jusqu'au milieu des années soixante-dix, la recherche sur le logement s'inscrivait dans un large champ de

préoccupations concernant la production de la ville et était marquée par le processus de croissance urbaineauquel participait la construction de logements neufs. C'est ainsi que pendant un quart de siècle, du début desannées cinquante au milieu des années soixante-dix, l'adéquation entre l'offre et la demande s'est d'abordopérée à partir de la production de nouveaux logements. Une production massive mais segmentée qui ajustaitles catégories de logement aux ressources des ménages pour constituer une grande variété de produitsimmobiliers, tant dans le domaine de l'accession que dans celui du locatif social.

La réflexion a alors privilégié les secteurs du parc immobilier où dominaient les financements publics : laconstruction neuve, le secteur aidé qui s'est progressivement réduit à l'accession sociale et au parc locatif public et, à partir de la fin des années soixante-dix, le domaine de l'amélioration de l'habitat. L'attention s'estainsi focalisée sur les secteurs du parc immobilier structurés par l'intervention publique. Proximité de lacommande, facilité d'accès aux sources d'informations statistiques, meilleure connaissance des acteurs,

autant de raisons qui ont souvent conduit la recherche à se glisser dans les catégories et les découpages quilui étaient proposés. Elle s'est ainsi focalisée sur les secteurs dominants que constituent l'accession à lapropriété et le parc locatif social. Cette représentation schématique du parc logement porte la trace del'évolution de la politique du logement conduite par l'État depuis une quarantaine d'années et de ladualisation de plus en plus marquée de l'offre immobilière.

LE FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ IMMOBILIER

Les schémas d'analyse du fonctionnement du marché immobilier qui sont alors proposés se fondent sur deuxprincipes. Le premier est qu'il existe une équivalence entre les caractéristiques des grands secteurs du parcimmobilier (accession à la propriété, locatif privé, secteur HLM, parc ancien inconfortable pour ne reprendre

que les principaux) et le statut économique et social des différents groupes sociaux. La répartition de lapopulation dans l'espace urbain a de ce fait une certaine cohérence et une bonne lisibilité. Le second principeest que la circulation des ménages entre les différents segments du parc immobilier s'effectue principalementsur un mode promotionnel, et à l'amélioration de leur situation socio-professionnelle correspondent des

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trajectoires résidentielles généralement ascendantes, polarisées par l'accession à la propriété. Ce schéma defonctionnement du parc immobilier, emprunté aux conclusions de divers travaux de recherche de la décenniesoixante-dix, n'est sans doute plus pertinent dans la période actuelle où les sorties du parc « par le haut » sontlimitées et où le parc HLM joue moins le rôle de logement de transition et voit sa vocation sociale serenforcer. Il ne permet pas davantage d'intégrer le mouvement de diversification de la demande locative quis'opère sous l'effet de l'incertitude économique pesant sur l'avenir des ménages, des séparations conjugales,de l'augmentation du nombre des personnes seules qui ont des capacités financières limitées.

Parallèlement l'État, en vertu des orientations de la réforme du financement du logement de 1977, aprogressivement limité son soutien à la construction locative sociale qui représente désormais moins de 30 %de la production immobilière annuelle et a ainsi perdu sa capacité à structurer l'offre neuve. Cette offre n'estplus qu'une partie de l'offre immobilière globale, puisque les échanges se sont multipliés sur le marché del'occasion. De ce fait, la circulation des ménages entre les différentes fractions du parc immobilier secomplexifie et les trajectoires résidentielles deviennent plus incertaines, plus chaotiques et moins prévisibles.Il en résulte un effet de brouillage du mode de fonctionnement antérieur du marché immobilier et uneffacement des correspondances entre les statuts sociaux et professionnels des ménages et leur position dansla hiérarchie des formes immobilières. De façon générale, la transformation sociale des villes s'opèredésormais de façon plus diffuse que par le passé et la puissance publique ne dispose plus que de moyens

limités pour orienter les trajectoires résidentielles des ménages, répondre aux besoins en logement de lapopulation et assurer l'application effective du droit au logement.

LES NOUVELLES TENDANCES DE LA RECHERCHE

Les recherches récentes épousent cette inflexion et tentent de renouveler les approches antérieures marquéespar le mouvement de croissance des villes et de promotion résidentielle des ménages. Elles sont évidemmenttrès diverses, mais peuvent se classer sommairement en deux catégories. D'un côté, les travaux centrés sur lespopulations développent des analyses de trajectoires résidentielles et soulignent l'importance des processusdémographiques (évolution du cycle de vie et des structures familiales) dans les choix résidentiels desménages. Ces travaux conduisent à s'interroger sur la capacité des forces sociales et économiques quitravaillent la ville et des politiques publiques à les transformer.

D'autres travaux récents sont, à l'inverse, davantage centrés sur l'analyse des politiques de l'habitat et sur lefonctionnement général des marchés immobiliers, et visent à rendre compte de la structuration de l'offreimmobilière à l'échelle macro-économique. Ces travaux qui portent sur l'évolution de la politique dulogement à l'échelle nationale, présentent une vision générale des grands équilibres ou des tensions etdysfonctionnements du marché immobilier. Ils permettent de saisir les grandes évolutions en cours :désengagement financier de l'État, développement des aides à la personne, renforcement du rôle du marchéde l'occasion, réduction de l'accession sociale et du parc locatif privé… Mais de telles analyses, extrêmementprécieuses pour appréhender la situation générale et la déformation du système d'offre de logement, nepermettent pas d'éclairer le fonctionnement des marchés locaux de l'habitat dans une période où ladiversification des situations locales apparaît comme un phénomène majeur et appelle une adaptation des

politiques publiques.ASSURER LE DROIT AU LOGEMENT

Deux interrogations apparaissent aujourd'hui centrales et soulignent la nécessité d'un approfondissement del'effort de recherche. La première porte sur le système de régulation politique à l'œuvre dans le domaine dulogement. Système qui repose sur l'économie de marché comme force de régulation majeure, mais quis'appuie sur des mesures correctives de caractère social pour encadrer et limiter les effets du fonctionnementmarchand du secteur immobilier. Dans un premier temps, avec la réforme du financement du logementintervenue en 1977, le législateur a pensé assurer le droit au logement par la distribution d'aides à lapersonne. Le développement de la crise économique, la montée corrélative des situations de précarité ont faitsurgir de nouvelles mesures de régulation dans le domaine du logement, centrées sur les plus démunis (RMI

puis loi Besson sur le logement des populations défavorisées). Cette focalisation de l'action publique sur lamarge est-elle adaptée quand l'exclusion et la précarité gagnent du terrain ? Est-il encore possible de

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chercher à limiter l'action publique aux populations les plus fragiles quand c'est la règle générale et la normede l'intervention publique qui devraient changer ?

L'autre interrogation qui appelle un effort de réflexion porte sur l'absence de cadre conceptuel etproblématique permettant d'analyser le fonctionnement des marchés du logement et la transformation durapport offre-demande, dans un contexte d'extrême diversité des situations locales. Les facteurs explicatifssemblent se multiplier et leur combinaison est délicate. Un retour théorique sur les notions et lesproblématiques mobilisées pour rendre compte de l'agencement des marchés locaux et des processus detransformation sociale à l'œuvre dans les villes apparaît aujourd'hui indispensable.

René Ballain, ingénieur de recherche au CNRS, Centre interdisciplinaire de recherche sur les mutationsterritoriales et les politiques des villes, (URA 1475 CNRS), Université de Grenoble II, Institut d'urbanisme,2, rue François-Raoult, 38000 Grenoble.

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EFFET DE NOMBRE

Considérée sur des durées longues, l'histoire de l'architecture traite moins du singulier que de la quantité etde la série, qui deviennent alors des moyens d'investigations et de jugement pour l'évaluation des productionsd'un même architecte, comme pour celles de semblables opportunités par différents architectes. Jean Castex 

Ouvrez un livre d'histoire de l'architecture : l'édifice s'y présente comme un monument, isolé par l'avis despécialistes qui ont décidé de le rendre mémorable. Il est disséqué et mis en morceaux. On vous montre safaçade, une vue de l'intérieur, son plan apparaît détaché de tout lieu, sans personne autour, comme s'il était nécommandeur, étranger à toute la petitesse d'un voisinage ordinaire. Tout au plus, au besoin, montre-t-on lepanorama que l'édifice contrôle et met en valeur. Sans doute peut-on dénicher le moyen de savoir en quellieu l'édifice se place. Il faut avoir un guide, encore assez précis et sans vouloir chercher en dehors de la zonemonumentale que le guide donne à voir. Qui connaît le quartier qui entoure le bâtiment, traité de la mêmemanière que lui, en plan, avec rues, cours, corridors, textures délicates et fines ? Je me suis amusé à replacertelle maison de Frank Lloyd Wright dans l'îlot auquel elle appartient. L'appel des voisins la rend moinssidérante, mais explique bien des raisons de son intérêt formel, pour dire où la maison se dispose, continuantses voisines et en même temps rompant avec elles.

VOIR L'HISTOIRE DIFFEREMMENT

Sans vouloir aller chercher trop loin, plaçons-nous aux environs de 1965, et observons un doublechangement. Pour évoquer le lieu, un géographe s'impose, à condition qu'il aille dépouiller les archivescadastrales, les levés anciens et ceux d'aujourd'hui. Bernard Rouleau décrit l'évolution des rues de Paris. Ilfait œuvre de théoricien, montre l'effet de la hiérarchie des voies les plus anciennes structurant l'activité et lacroissance de la ville, il s'intéresse aux chantiers (ou champtiers) qui relient le terroir autrefois rural et laparcelle moderne, il aligne la série des lotissements par lesquels la ville essaye d'organiser sa logique depuisle XIIe siècle. Rouleau donne les bases de la morphologie de la ville : découpages, tracés, opérations.

Au même moment, l'historien de l'art Michel Gallet venait de publier un tome de l'histoire de la demeure

parisienne, consacré à l'époque Louis XVI. Le chartiste Jean-Pierre Babelon avait achevé sa double thèse(pour l'Ecole des Chartes et le Louvre) qui couvre l'invention du Paris classique sous Henri IV et Louis XIIIet ajoute un tome à cette publication. Tous deux s'intéressent non aux monuments, mais aux façons d'habiter,à l'architecture domestique. Les déclarations d'après-décès, par devant notaire, leur permettent de situer desensembles d'objets, de retrouver la valeur des usages, d'esquisser une culture de l'habiter. La succession desbaux, cause de violences connues de la police et de la justice, indique le flot des locataires, la difficultéd'habiter au XVIIe siècle, un début d'aisance qui s'installe au XVIIIe, malgré la précarité. Les méthodes deconstruction s'ajustent dans le glissement conflictuel des corps de métiers : plus de maçons et moins decharpentiers au XVIIe siècle, plus de menuisiers au XVIIIe. La rente foncière se constitue, ce qui précise lamaîtrise des financements, la rentabilité de la construction. Dans une division du travail, moins forte enFrance qu'en Angleterre, un travail théorique se fait, que fixent les architectes, ou, si ce mot semble inexact,des promoteurs, lotisseurs ou ingénieurs. Certains rédigent des manuels pour guider des choix (Le Muet,

Briseux, Jombert). D'autres enseignent l'art de disposer correctement les pièces du logement, les corps debâtiment dans la « place à bâtir » : ils s'enfièvrent pour la distribution (Blondel).

Rassemblez ces quelques notions. A une époque donnée, locataires, propriétaires, agents financiers,entrepreneurs, géomètres et architectes adhèrent en fait à un petit nombre de solutions typiques : on ne trouve(sauf hasard) pas n'importe quoi. Ces solutions générales admises et reconnues par tous forment unphénomène culturel, ou mieux des objets de civilisation comme aurait pu dire Francastel. En fait, existe entretous une structure de correspondance qui illustre dans l'espace les valeurs que lui attribue le groupe social.Qu'avons-nous fait ? Nous avons amorcé une histoire du nombre, de la quantité, en l'ordonnant avec desprincipes théoriques. Cette histoire est sociale et aussi bien locale, l'assemblée des histoires locales permet àson tour de bâtir une histoire plus large, les problèmes découverts dans le local aidant à bâtir des synthèses.L'histoire domestique, l'histoire des types respirant sur des durées très longues, l'histoire morphologique de laville constituent les bases d'une nouvelle manière de faire l'histoire de l'architecture et d'en rendre perceptiblela charpente théorique. Au fond, et avec un certain retard, l'architecture traite moins du singulier (le

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monumental) pour décrire de lents mouvements, elle traite de la quantité, elle accède à la maîtrise statistiquedu nombre qui devient soudainement pour elle un moyen d'investigation et de jugement.

L'EXEMPLE DE WRIGHT

Forcément, c'est le rapport au nombre qui justifie les temps de continuité et de rupture. Mais a-t-on faitattention que la production d'un architecte – il y a peu d'œuvres isolées – est une gestation du nombre.Prenons un exemple. Entre 1893 et 1909, la production de l'architecte américain Frank Lloyd Wrightavoisine plusieurs centaines de maisons – qui ne sont chez lui que le premier âge d'or de sa production de

 jeunesse. Comment cette production s'organise-t-elle ? Comment l'agence (bien mal gérée) s'adapte-t-elle, oumieux suscite-t-elle cette production immense et méticuleuse ? Par un dialogue permanent qui met chacun enposition de négocier le projet, et surtout par une formation théorique précise qui permet à Wright de déléguerle travail à ses collaborateurs. Tout rentre en compte pour réaliser cette œuvre d'art totale en harmonie avecles prétentions américaines du début du siècle. Il faut toucher les fabricants de meubles et donc comprendreleur rôle dans la maisonnée américaine, aller au devant du client ou plutôt de son épouse qui revendique undroit à la simplicité de la vie quotidienne. La production en nombre chez Wright confine à un autre nombre,celui de l'habitation des banlieues de ces villes dont le développement s'emballe – aux crises près. Il faut voircomment ils s'ajustent, se complètent, s'opposent. Eclairer le génie créateur de l'architecte de tout cet

enchevêtrement permet de lui rendre ce qui lui revient en propre. Bien sûr, la légende souffrira un peu, lageste que le créateur peaufine dans la suite de sa vie, plus intéressante pour captiver son dynamisme que pournoter ce souvenir précis des circonstances de sa propre création. En clair, le travail de l'architecte sortiragrandi de l'épreuve. Ce travail du nombre est celui de Palladio, de Jules Hardouin (Mansart), de Le Corbusieret de bien d'autres. Qui tentera ce travail comparatif non seulement sur les sources (partie de la doctrine),mais sur l'exposition de l'œuvre aux rivaux, à l'émergence des conditions sociales qui la rendent perméable,objet de culture ou de civilisation ? Si l'on veut se rendre compte, dans la confection d'une histoire immédiate– le PAN 14 date de 1987 – de la mise en ordre de cet effet de nombre, Penser l'habité met le logement enquestion. Mais cet ouvrage est une œuvre de différents spécialistes, et il traduit le nombre en multipliant sespoints de vue. Une histoire de la quantité ouvre l'histoire de l'architecture pour tâcher, par de nombreuxpoints d'attaque, de « comprendre à la loupe » et d'en affirmer la vigueur.

Jean Castex, professeur à l'Ecole d'architecture de Versailles, 2, avenue de Paris, 78000 Versailles.

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LA FORME DE LA MÉTROPOLE CONTEMPORAINE

Les interrogations sur les formes urbaines métropolitaines conduisent à réexaminer les études, les outils etles propositions architecturales et urbanistiques élaborés dans la confrontation entre la grande ville compacteet l'espace homogène de l'urbanisme moderne. Jean-Louis Cohen 

Les recherches sur la forme d'ensemble des métropoles et sur leurs techniques d'extension et detransformation se sont développées depuis le milieu des années soixante en Italie, en Allemagne, en Franceet aux États-Unis, lorsque la critique de la politique des grands ensembles a conduit théoriciens et historiensde l'urbanisme et de l'architecture à valoriser des épisodes dans lesquels une ville compacte et limitéeterritorialement pouvait être isolée et opposée à l'espace jugé homogène et isotrope de l'urbanismefonctionnel issu de la Charte d'Athènes, manifeste proposé en 1942 par Le Corbusier. Depuis ces premièresinvestigations, un ensemble diversifié de travaux s'est mis en place, associant l'enquête historique et l'analysedes espaces urbains existants.

LA FORMATION DES TISSUS URBAINS

Pendant un certain temps, la recherche sur les formes de croissance et de transformation des métropolesissues de la Révolution industrielle s'est focalisée sur des périodes très limitées comme les années 1920 enAllemagne, ou sur des composants urbains séduisants comme les cités-jardins. La curiosité des chercheurs aporté par la suite sur les controverses immédiatement postérieures à l'expérience haussmannienne. Ainsi, lessolutions pittoresques formulées par l'architecte viennois Camillo Sitte, à l'exemple des places médiévales,pour rythmer l'extension des villes ont-elles été étudiées. D'autres stratégies de transformation des villesexistantes, telles que les carrefours giratoires et les autres dispositifs imaginés par Eugène Hénard pour Paris,ou les opérations conçues par les sociétés philanthropiques pour créer des habitations économiques ethygiéniques en ouvrant les cours et les îlots, ont fait l'objet de nouvelles analyses. Apparues en Grande-Bretagne dès la première décennie du XXe siècle, et codifiées dans leurs techniques de composition parRaymond Unwin, les cités-jardins ont fait l'objet de travaux mettant en évidence la qualité de leurs espacespublics et de leur paysage, alors même que certaines villes nouvelles françaises leur empruntaient certaines

figures.

A côté des enquêtes menant sur ces nouvelles problématiques, les modalités de la formation des tissus ont étéétudiées sous l'angle du règlement, sous celui de la composition et du découpage foncier et sous celui dumarquage architectural, les formes de socialisation de ces savoirs et les nouvelles professions qui les ontproduits faisant elles-mêmes l'objet d'enquêtes. Rendue possible par le développement des transportscollectifs, la métropole étendue ne peut plus être desservie par les seules rues, et les réseaux mécaniquesprennent une importance croissante, prise en compte par les instances de planification créées après 1920 àl'échelle régionale.

Le système des « rues-corridors » haussmaniennes, dénoncé par Le Corbusier, partisan d'une « chirurgie » enfait mutilante, est transformé par l'introduction du modèle routier, qui informe la création des parkways,

avenues-promenades à la fois pittoresques et rapides, et des premières autoroutes. Massive aux États-Unisdès avant 1914, l'automobilisation de la ville provoque la création de nouveaux types d'édifices et bouleversele paysage du bord des routes. Issues de la rencontre des stratégies de projet des avant-gardes européennes etdes politiques de réforme sociale, les Siedlungen édifiées dans l'Allemagne de Weimar, les Höfe de laVienne social-démocrate ou les maisons-communes des avant-gardes russes, ont été analysées comme autantd'opérations marquant la transformation de l'espace de l'habitation collective.

LA RÉÉCRITURE DES VILLES

Par ailleurs, les campagnes de construction aboutissant à la réécriture des villes et des territoires ont faitl'objet d'enquêtes nombreuses, qu'il s'agisse des reconstructions consécutives aux deux guerres mondiales,

des programmes de colonisation interne de l'URSS stalinienne, de l'Allemagne nazie ou de l'Italie fasciste, ouencore des entreprises coloniales menées par les puissances européennes en Afrique ou en Asie, souventpensées comme des opérations expérimentales susceptibles d'avoir des effets en retour dans les métropolesdominantes.

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Les nouveaux rapports entre espaces de la circulation, édifices et signes constitutifs du paysage suburbainont été observés à partir des années soixante, notamment dans les travaux des architectes américains KevinLynch et Robert Venturi, qui ont mis en évidence les traits inédits d'un univers subordonné à la fois àl'empire de la marchandise et à la loi de techniques souvent mises en œuvre à l'aveuglette. En marge de cesobservations portant sur les villes existantes, les principaux projets ayant marqué la transformation desgrandes villes depuis l'apparition du Mouvement moderne ont aussi été interprétés depuis 1975 commeautant d'inductions formelles susceptibles de modifier durablement l'identité des villes. Rem Koolhaas s'estinterrogé sur les manifestations architecturales du phénomène de la « congestion » à New York, tandis queBruno Fortier mettait en évidence la « bibliothèque idéale » des projets non réalisés et pourtant si présentsdans l'inconscient collectif des urbanistes.

Un dernier champ de recherche est apparu avec l'étude des itinéraires suivis par les doctrines et les méthodesde projets au cours du XXe siècle. Ainsi, le mouvement selon lequel l'hégémonie de l'École des Beaux-Artsde Paris a été mise en cause dans un premier temps par l'expérience du zonage fonctionnel allemand et celledes cités-jardins britanniques, pour être en définitive balayée par les ondes de choc du fonctionnalisme et parla poussée de l'américanisme, commence-t-il a être compris et étudié, la spécificité des scènes nationalesétant ainsi repensée dans un champ d'échanges et de migrations incessants.

DES MODES NOUVEAUX D'INVESTIGATION

Au total, les recherches menées depuis une quinzaine d'années permettent de penser autrement lesdécoupages temporels dans les processus de transformation des villes. Au même titre qu'à d'autres momentsde l'histoire, des cycles plus longs que ceux qui avaient été jusque-là identifiés par les historiens se sontrévélés, en particulier pour ce qui est des rénovations urbaines, imaginées pour certaines avant 1900 ettoujours en chantier à Paris, Berlin ou Londres. Une certaine remise en cause des déterminismes primairessubordonnant directement les transformations des formes urbaines aux changements des rapports deproduction ou des projets politiques a également été opérée, la sédimentation des projets et de leurs tracés surle sol urbain apparaissant ainsi non comme une « projection » de la société au sol, ainsi qu'Henri Lefèvrel'affirmait, mais bien plus comme une sorte d'anamorphose des rapports sociaux.

Les méthodes mises en œuvre dans ces recherches se sont aussi modifiées. A côté des enquêtes fondées surles matériaux offerts par les archives des villes et celles des professionnels – urbanistes, ingénieurs,architectes ou paysagistes –, auxquelles l'accès est devenu plus facile, des interprétations graphiques ont étéélaborées, en particulier à l'aide de l'informatique, qui permettent de constituer des ensembles cohérentsd'informations spatiales et visuelles, susceptibles d'être croisées avec des données provenant d'autres sources.Un champ de recherche renouvelé dans ses objectifs et ses méthodes, mais aussi dans sa capacité à répondreaux questions posées par les métropoles contemporaines s'est donc formé. Le rôle incitatif de programmescomme le PIR-villes est décisif dans ce domaine pour permettre le développement de recherches dont lesrésultats n'ont pas seulement vocation à modifier notre perception de l'histoire ou de la forme présente desvilles, mais aussi à clarifier les enjeux et les instruments éventuels des politiques présentes.

Jean-Louis Cohen,

architecte, professeur à l'Ecole d'architecture Paris-Villemin et à l'Institute of Fine Arts, New York,

Laboratoire Architecture, culture, société, 35, rue Frémicourt, 75015 Paris.

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DES SAVOIRS SUR LA VILLE POUR DES PROJETS URBAINS

Le projet urbain répond aujourd'hui à de multiples définitions. Au-delà des compétences spécifiques del'architecte-urbaniste en charge du dessin, une nouvelle interdisciplinarité doit s'instaurer pour que le projetne reste pas un geste formel sans résistance temporelle et historique. Yannis Tsiomis 

Du côté des architectes, il n'existe pas de définition du projet urbain, mais des approches qui voyagent augré des vicissitudes que la crise urbaine inflige à la ville et ses habitants. Le discours des quinze dernièresannées sur la ville et le « faire » de l'architecte et de l'urbaniste s'appuient sur le constat de la crise et, àtravers le projet, se fixent comme objectif son dépassement. Ce constat rejaillit sur le dessein professionnelplutôt que social des architectes : le projet urbain comme pratique professionnelle se démarque des projetsdes urbanistes et architectes du Mouvement moderne des années 1920-1940, (comme ceux de Le Corbusieret d'autres), non pas tant par son refus d'imposer un modèle spatial unique et contraignant, mais surtout parcequ'il apparaît dans l'impossibilité d'articuler un quelconque projet social, même utopique.

CERNER LA VILLE

Le « réalisme », observable ici ou là, dans l'acte de dessiner, ne provient pas forcément d'un cynisme desacteurs qui s'occupent de la ville, mais surtout de leur impossibilité de cerner ce qu'elle est. La territorialitéde la ville, que l'acception du terme soit strictement géographique et fonctionnelle ou largement économiqueet culturelle, est devenue problématique par la dispersion, la fragmentation, la fluctuation spatiales et socialesqui empêchent la formulation d'un projet aussi bien politique de et sur la ville qui soit cohérent et surtoutconvaincant.

En se penchant sur les projets urbains, qui en l'absence d'un projet de société fleurissent partout en Europe,on peut observer un certain nombre de constantes, au-delà de la pertinence spatiale de chacun : le refus d'uneglobalisation contraignante ; la place accrue tenue par des acteurs sociaux, économiques, et bien évidemmentpolitiques, qui se présentent souvent comme des partenaires, en fonction d'adhésions réelles ou simplementmédiatiques au projet ; la référence au temps comme élément majeur, indépendamment de sa prise en compte

effective dans la démarche.

Parallèlement à ces constantes, la pratique du projet urbain nécessite, et parfois revendique, la conjonction dedeux types de savoirs : un savoir et un savoir-faire spécifiques aux architectes et aux ingénieurs qui doiventmanier les outils propres à la formation, la production et la gestion de la forme urbaine ; des savoirsmultiples sur la ville qui vont assurer le bien-fondé des démarches suivies par les auteurs des projets urbains.

Ces derniers ont besoin, par conviction et par contrainte, de ces savoirs. Il ne s'agit plus d'épiloguer sur leprojet urbain plus ou moins détaché de la réalité à la manière des Beaux-Arts, ni de le réduire à la seulelecture et compréhension de l'espace qu'apportent les savoirs scientifiques. Bien au-delà de frilositéscorporatistes ou de protectionnismes disciplinaires, la question fondamentale reste l'articulation de deuxniveaux d'action : le «faire» et le «comprendre».

UN RÊVE REGULIÈREMENT DÉMENTI

L'entité artificielle et complexe de la ville ne peut appartenir à une seule spécialité puisqu'elle n'est pas unobjet en soi mais un ensemble de réseaux matériels et immatériels, plus ou moins ordonnés et en relation. Ence sens, la ville est convoitée par plusieurs approches, chacune prétendant apporter un éclairage particuliersinon définitif. Pourtant, devant la prétention de tout connaître et tout contrôler en juxtaposant ou ensuperposant les savoirs, la ville nous échappe, et il est impossible de l'épuiser, autrement dit de la maîtriserde la manière dont on pensait pouvoir le faire à travers des projets géometriquement réglés, depuis laRenaissance.

Maîtriser absolument et définitivement la ville – aussi bien au niveau des pouvoirs que des savoirs – futconstamment un rêve aussi bien philosophique que politique. Ce rêve fut régulièrement démenti car onfaisait – jusqu'à une période récente – obstinément abstraction de cette distinction déjà introduite par lesanciens grecs et reprise par le XVIIIe siècle, notamment par J.-J. Rousseau dans le Contrat social : entre le

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citadin et le citoyen, entre l'habitant et l'être politique qui forme, exprime et contrôle la cité. Cette distinctionpermet de comprendre la prodigieuse mobilité des situations et des phénomènes urbains et leur imbrication àla mobilité tout aussi prodigieuse des situations sociales. Comprendre ces mobilités – déséquilibres oumutations – c'est rendre au dessin-projet son sens d'acte réfléchi.

C'est ici que le projet urbain entretient un rapport particulier et, somme toute, neuf avec les savoirs de laville. Si les cloisons entre les sciences « sont devenues de papier », a fortiori deviennent imperceptibles lespassages entre l'image et les concepts qui les forgent. En affinant leurs outils, les connaissances etinterprétations nouvelles de la ville renforcent la possibilité de suivre de manière raisonnée la façon donts'articulent et s'imbriquent dans le temps les phénomènes et situations urbaines. C'est la condition pour queles projets urbains puissent acquérir et affirmer leur autonomie et leur valeur esthétique, c'est-à-dire produirede la culture urbaine et s'inscrire dans l'histoire.

Yannis Tsiomis, professeur à l'Ecole d'architecture de Paris-La Villette, Ecole d'architecture Paris-Belleville,78, rue Rébeval, 75019 Paris.

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QUE SAIT-ON DE CEUX QUI FONT LA VILLE ?

La recherche sur les milieux professionnels de l'architecture et de l'urbanisme décrit leur organisation, maisau-delà, elle montre la coexistence de deux conceptions de l'action sur la ville : une création, une productiontechnique. Véronique Biau 

Quand on parcourt les résultats de la recherche des dernières décennies sur les professionnels del'architecture et de la ville, on observe d'étroites relations entre la redéfinition constante des problématiquesde ce domaine de recherche et l'évolution du contexte idéologique et matériel de l'intervention urbaine.

Dans les années 1970-1975, la production massive du logement a été critiquée pour les espaces auxquels elledonnait lieu. Elle a aussi suscité diverses interrogations sur les profondes mutations qu'elle induisait, tantdans les compétences que dans les structures de la construction et de l'urbanisme.

Le riche corpus de travaux issu de cette période, qui demeure la base des travaux actuels, se présente en troisgroupes d'approches.

• Des travaux macro-sociologiques d'inspiration marxiste, développés en particulier par le Centre desociologie urbaine, ont visé à démonter le mécanisme de la production urbaine libérale et se sontintéressés aux principaux groupes professionnels sur lesquels elle repose : urbanistes, architectes,promoteurs, investisseurs. La définition statutaire de ces groupes, leurs effectifs, leur organisation,leurs rapports aux pouvoirs politico-économiques ont été les thèmes priviligiés par ces auteurs.

•  L'histoire, la sociologie de l'art et des professions artistiques se sont penchées, notamment avecl'équipe de R. Moulin, sur les métamorphoses des professions libérales : paysagistes et surtoutarchitectes. La réforme de l'enseignement de l'architecture en 1968 dessinait, en même temps que denouvelles conditions de formation, d'exercice et de reconnaissance, une évolution du rôle desarchitectes et de l'organisation de leur travail. Les travaux de P. Bourdieu sur les productionsculturelles ont étayé des analyses voisines, se donnant comme principal objectif l'identification despositions différentielles ou concurrentielles des agents pris dans un champ traversé de forces de

pouvoir externes et contradictoires, les amenant à des choix conscients ou non.•  Enfin, la sociologie des organisations et de la décision s'est à différentes reprises intéressée aux

institutions françaises de l'urbanisme et en a révélé certains traits caractéristiques : logiques de corps,imbrication des instances de décision politiques et administratives à l'échelle locale.

La période 1975-1985 a vu une relative mise en sommeil des recherches sur les professions au profit deréflexions sur les disciplines concernées et les modes d'intervention sur la ville. On s'est intéressé à la genèseet à l'épistémologie de l'urbanisme et de l'architecture d'un côté, on s'interrogeait sur l'articulation ville-architecture avec le courant typo-morphologique de l'autre.

TROIS ECHELLES D'ANALYSE

Depuis 1985 environ, les acteurs de la production urbaine sont à nouveau au centre des préoccupationsscientifiques et institutionnelles, chacun percevant clairement l'ampleur des redistributions induites à la foispar la décentralisation et par l'ouverture européenne. Les conséquences directes sur la réorganisation desservices de l'État et des collectivités locales, les conséquences indirectes sur la redéfinition des politiquesurbaines et de la commande architecturale en faveur de stratégies d'image ont fait l'objet des regards croisésde différentes disciplines : science politique, sociologie, économie, géographie.

Les travaux récents et en cours peuvent être classés selon la délimitation de leur objet d'analyse, celle-cirenvoyant bien souvent à la position théorique de leurs auteurs. A l'échelle des individus, les biographies (depersonnalités, en général) contribuent sous la forme de récits ou d'analyses à une connaissance destrajectoires professionnelles.

A l'échelle des groupes professionnels (ou de leurs fractions), les recherches éclairent la dualité entre forcesde cohésion et concurrences internes. Les analyses des compétences et savoir-faire, de leur mode detransmission, de la lutte du groupe pour obtenir la reconnaissance légale d'un titre et d'un domaine

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d'intervention protégé, voire exclusif, sont autant d'éléments de connaissance des régulations collectives. Encontrepoint, l'approche des positions idéologiques et matérielles des professionnels ainsi que de leursstratégies de positionnement par rapport aux « marchés » de la commande et de la notoriété, expliquent ladiversité des pratiques et les antagonismes inter-personnels.

L'échelle de la configuration complexe, associant divers groupes d'acteurs, est de plus en plus celle detravaux qui mettent l'accent sur le poids des multiples contraintes qui pèsent sur la conception architecturaleet urbaine. Les acteurs y sont saisis dans leurs interfaces : passation de la commande, missions et contrats,partenariats. Deux colorations différencient assez nettement ces problématiques selon qu'elles s'attachent àune chaîne « commande-conception-réalisation » et s'intéressent aux aspects organisationnels et techniquesde la production, ou bien qu'elles s'orientent sur une chaîne « commande-conception-usage » et privilégientles aspects pratico-symboliques de la production architecturale et urbaine, tant pour les professionnels quepour les clients et usagers.

PERSPECTIVES DE RECHERCHE

Comme il ressort de cette rétrospective succincte, ce domaine de recherche conduit simultanément desinvestigations assez diversifiées et assez fréquemment reformulées. Pour l'heure, quatre directions de travail

nous sembleraient de première importance :

•  Tout d'abord, les données statistiques de base sur les praticiens, leurs structures de travail, leursmissions et en particulier le volume et la répartition de la commande architecturale, sont dispersées,incomplètes voire inexistantes. L'intérêt scientifique et opérationnel de disposer de ces informations

 justifierait la mise en place d'un observatoire des professions.•  La diversification des acteurs et instances de la production architecturale et urbaine accentue le

constat de la très inégale connaissance dont on dispose à leur propos. Des travaux qui dresseraient unlarge panorama de ce milieu et de son organisation d'une part, des monographies consacrées à ceuxde ces organismes qui nous sont les moins connus (agents de la réhabilitation urbaine, sociétésd'économie mixte, promoteurs privés...) d'autre part, pourraient remédier à ces insuffisances.

•  L'analyse des négociations et des réseaux de confraternité entre acteurs pourraient trouver desapports intéressants dans des travaux de type ethnographique ou interactionniste, actuellement quasi-inexistants en France.

•  Enfin, le besoin de comparaisons internationales s'accentue, en premier lieu bien sûr du fait de lacréation du Marché Européen et des questions d'harmonisation des formations et des réglementationsprofessionnelles qu'elle soulève. Mais par ailleurs émerge la demande, provenant des milieuxprofessionnels des pays d'Europe centrale et orientale, d'une mise en parallèle des principesd'organisation et de réglementation des professions dans les pays occidentaux comme préalable auxdébats sur leurs propres réorganisations. Ces comparaisons systématiques, rares encore, seront poureux comme pour nous un précieux apport.

Ce champ de recherche, qui produit à la fois des connaissances et des analyses critiques des acteurs

contemporains, est confronté à une interrogation particulièrement vive : comment les milieux professionnelsqu'il étudie sont-ils susceptibles de contribuer, de recevoir et, au-delà de cela, de tirer profit de cet ensemblede travaux ?

Véronique Biau,

architecte-urbaniste de l'État, chercheur au Centre de recherche sur l'habitat

(ERS 122 CNRS), École d'architecture de Paris La Défense, 41, allée Le Corbusier, 92023 Nanterre Cedex.

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ACCESSIBILITÉ ET HANDICAP

Rendre accessible l'environnement est une pratique sociale à part entière qui a des répercussionsfondamentales sur la notion de handicap et le modèle d'intégration. Jésus Sanchez 

L'idée de rendre accessible l'environnement bâti a émergé, en France, au milieu des années soixante, dans

le cadre des revendications formulées par les associations de personnes handicapées physiques. Dix ans plustard, la loi d'orientation du 30 juin 1975 a institué l'obligation d'accessibilité pour les bâtiments ouverts aupublic et les logements des bâtiments collectifs neufs d'habitation (article 49) ainsi que pour les transports(article 52). En dépit du caractère fort laborieux et très imparfait de l'application des textes, l'accessibilité asensiblement progressé dans les pratiques urbanistiques et architecturales. Pour renforcer et accélérer lemouvement, les pouvoirs publics ont adopté en 1990 un programme en faveur de l'accessibilité de la ville etde l'habitat et la loi du 13 juillet 1991 a étendu son champ d'application aux locaux de travail.

DE LA RÉADAPTATION A L'ACCESSIBILISATION

Compte tenu de l'ampleur du phénomène, on peut s'étonner du peu d'intérêt qu'il suscite dans les travauxconsacrés à la construction sociale du champ du handicap. Cela tient sans doute au fait que le visage enapparence purement technique de l'accessibilité tend à masquer sa dimension de pratique sociale à partentière. De plus, son essor tranquille, sans crises aiguës ou conflits violents, ne favorise guère savisibilisation sociale. Enfin, la négligence des chercheurs à son égard témoigne peut-être surtout de l'empriseidéologique qu'exerce le validocentrisme à l'œuvre dans la culture de la réadaptation.

L'analyse philosophico-historique que Stiker a consacrée au rapport « corps infirmes et sociétés » attribue lacréation de la catégorie des handicapés au mouvement de la réadaptation qui a émergé après la guerre de1914-1918. Pour la première fois dans l'histoire, la société forme alors le projet d'intégrer ou de réintégrer lesinfirmes. Dès lors, l'infirmité va être perçue comme un handicap à compenser, les infirmes devenant despersonnes handicapées. L'entreprise de la réadaptation vise à intégrer ces personnes en cherchant à lesnormaliser, à les adapter unilatéralement à la société, et non pas à revenir sur les normes régissant

l'organisation de celle-ci. Toutefois, en se développant, la réadaptation va trouver ses limites propres etappeler un autre mouvement.

A la charnière des années cinquante-soixante, un des problèmes majeurs auxquels se heurte la réadaptationest celui du relogement des personnes handicapées sortant des hôpitaux ou des centres de rééducation. Crééeen 1959 pour traiter ce problème, l'Association pour le logement des grands infirmes (ALGI), qui fédéreratrès vite la plupart des associations de handicapés moteurs, demande quelques années plus tard l'abolition desbarrières architecturales par l'adoption de normes d'accessibilité. Cette revendication s'appuie rapidement,sous l'impulsion de Dessertine, sur une justification de type universaliste : l'accessibilité peut profiter à touthomme, car tout homme peut devenir handicapé (de manière temporaire ou permanente, suite à une maladie,à un accident ou au vieillissement), ou se trouver en situation de handicap (avec un landeau, un caddy, uncolis, etc.).

Portée par les associations nationales et internationales, particulièrement actives depuis la fin de la SecondeGuerre mondiale, l'idée d'accessibiliser l'environnement est admise, en France, dans le cadre des travauxpréparatoires du VIe plan (1970), puis en 1972 par le ministre de l'Équipement et du logement, avant d'êtreintégrée dans le projet de loi d'orientation en faveur des personnes handicapées, et enfin dans la loi du mêmenom promulguée en 1975.

LA PORTÉE CONCRÈTE ET SYMBOLIQUE DE L'ACCESSIBILITÉ

L'accessibilisation, tout en paraissant constituer le prolongement naturel de la réadaptation, subvertit en faitcelle-ci radicalement : le handicap est déplacé sur les facteurs environnementaux et le nouveau modèle

d'intégration aura pour visée de penser et de promouvoir l'adaptation de la société, son ouverture aux écartsphysiques à la norme.

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Aussi bien, l'avènement de l'accessibilité sur la scène sociale se traduit-il par un profond réaménagement desconceptions, y compris dans le champ même de la médecine de la réadaptation. Pour bien marquer lecaractère relatif du handicap, son statut non plus de constante liée aux caractéristiques des individus maisbien de variable dépendante des caractéristiques de l'environnement, Minaire propose la notion de « handicapde situation ». Au niveau international, l'approche woodienne du handicap décompose celui-ci en troisniveaux d'expérience, la déficience, l'incapacité et le désavantage, articulés par des enchaînements nonautomatiques où entrent en ligne de compte des facteurs techniques, environnementaux et sociaux(Classification internationale des handicaps proposée par l'Organisation mondiale de la santé à titreexpérimental).

Si l'accessibilisation est porteuse d'une remise en cause des conceptions du handicap, même si celles-citraduisent encore la résistance de la réadaptation, elle amène aussi à reconsidérer plus largement le champdes représentations, des attitudes et des comportements vis-à-vis des personnes qui continuent à êtredésignées comme handicapées. En contribuant à faire sortir les personnes handicapées des lieux où ellesavaient tendance à être recluses ou ségrégées, l'accessibilité favorise les contacts, les rencontres, les relationssociales entre elles et les bien portants. Prenant forme et force dans le domaine de l'environnement bâti,l'accessibilisation, c'est-à-dire ce mouvement par lequel une minorité tend à faire reconnaître sa culturepropre, va concerner en fait tous les domaines de la vie sociale, y compris les plus intimes comme celui de la

sexualité. Au tournant des années quatre-vingt, de multiples colloques aborderont ainsi le thème des barrièrespsychosociologiques, du regard, des images qui handicapent les handicapés à l'école, dans les entreprises,dans la rue.

L'OPPOSITION DU VALIDOCENTRISME SPONTANÉ

Dans les pratiques du bâtir, l'accessibilité s'est très sensiblement enclenchée sous l'effet de la loi, mais aussisous la pression des associations de personnes handicapées, de la mobilisation des centres de réadaptation(encore désignés ainsi mais déjà bien souvent marqués par l'idée d'autonomie), et plus récemment du secteurdes personnes âgées. L'élargissement du cercle des initiés, au sens goffmanien, joue un rôle considérabledans l'essor du mouvement, notamment lorsqu'il se traduit par la mobilisation d'élus, d'architectes, ou detechniciens sur la question. Les villes sensibilisées, de plus en plus nombreuses, ont élaboré des chartes en

faveur de l'accessibilité et plus globalement de l'intégration des personnes handicapées. Toutefois, en dépitde cette évolution, d'innombrables lieux demeurent aujourd'hui encore inaccessibles, ou le redeviennent lorsde réaménagements. De plus, les actions actuelles n'intègrent pas assez les revendications des personneshandicapées sensorielles ou les difficultés des personnes handicapées mentales. L'accessibilisation hors dudomaine de l'environnement bâti et des transports demeure a fortiori limitée : l'intégration scolaire piétine,l'intégration professionnelle stagne. Autrement dit, l'exigence de la normalisation des individus,caractéristique de la réadaptation, continue à entraver la mobilité et la participation sociale des personneshandicapées. La raison principale tient peut-être au fait qu'une telle exigence s'alimente sans cesse, commeBardeau l'a montré, de la force du validocentrisme spontané.

Jésus Sanchez, directeur de recherche au Centre technique national d'études et de recherches sur les

handicaps et les inadaptations, 2, rue Auguste-Comte, BP 47, 92173 Vanves Cedex.

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LE SIDA, UN PROBLÈME URBAIN

Le sida ne déroge pas à une règle élémentaire faisant de la ville l'un des lieux les plus exposés aux risquesépidémiques. Interroger les rapports entre cette maladie et la cité nécessite de questionner les problèmes lesplus cruciaux de notre société. Bernard Paillard  

Les épidémies, selon la nature des agents pathogènes et des modes de contamination, frappent chacune àleur façon les concentrations humaines. Elles se propagent donc plus particulièrement dans lesagglomérations urbaines, lieux où tout naturellement se condensent également les réactions sociales au mal,des paniques qu'il engendre aux politiques sanitaires qu'il génère. Les historiens soulignent bien cet aspecturbain de la lèpre ou de la tuberculose qui se répandent, l'une avec l'urbanisation des XIe et XIIe siècles,l'autre avec celle des XIXe et XXe, sans parler de la peste, capable de décimer la moitié d'une ville, ou ducholéra, sans doute moins meurtrier, mais aussi très perturbateur de l'ordre social. Le sida ne déroge pas àcette règle épidémiologique élémentaire. Il tend à se disséminer dans les métropoles, dans les paysdéveloppés comme sur les continents africain et asiatique.

Au-delà d'un simple constat, interroger les rapports entre cette maladie et la ville nécessite de balayer unvaste ensemble interdépendant de phénomènes économiques, politiques, administratifs, sociaux,idéologiques, culturels, symboliques. En effet, l'histoire des épidémies nous a habitués à voir en elles desévénements exubérants touchant tous les aspects de la société et de l'homme. L'épidémie est une réalitésocio-historique de grande amplitude : elle se déploie sur l'ensemble du front social. Elle s'étend dansl'espace et se développe dans le temps selon des rythmes divers. Dès lors, la ville apparaît comme un deslieux les plus pertinents, car le mieux circonscrit, pour appréhender selon des coordonnées spatio-temporellesce fait social total.

LES TROIS PHASES DE L'EPIDÉMIE

De telles recherches rencontrent des difficultés liées au caractère évolutif du phénomène lui-même. Selon J.Mann, ancien responsable du programme sida à l'OMS, chaque communauté exposée à l'épidémie passe par

trois phases. La première, celle de la contamination, est silencieuse. Par ses particularités mêmes, celentivirus, contrairement à d'autres, se propage d'autant mieux que la contagion s'effectue sans signe cliniquepatent, voire même, dans la majorité des cas, apparent. Puis, quelques années plus tard, débute la formeépidémique elle-même, avec l'apparition des malades dont l'occurrence des cas va tendre à suivre une courbeexponentielle. Enfin, se manifeste ce que J. Mann appelle la troisième épidémie, celle des réactions sociales,culturelles, économiques et politiques au sida « aussi cruciale pour le défi mondial lancé au sida, que pour lamaladie elle-même ».

Ces distinctions mettent l'accent sur un point décisif. Contrairement aux épidémies bruyantes, voiretonitruantes comme la peste ou le choléra, l'incidence sociale du sida est, en grande partie, encore à venir. Samorphologie actuelle n'est que temporaire. Toute étude sociologique devrait donc bénéficier de limitestemporelles suffisamment grandes pour respecter les rythmes du temps.

L'EXEMPLE DE MARSEILLE

C'est pourquoi il convient de considérer avec modestie les résultats d'une recherche effectuée entre 1988 et1991 sur l'organisation de la lutte contre le sida dans la région marseillaise. Nous avons pu constater certainschangements avec les épidémies du passé : effondrement du rôle traditionnel de la puissance ecclésiale ;frilosité des politiques locales et absence de réaction sociale de masse. En revanche, les médecins, lesscientifiques et les instances politiques centrales se tiennent sur le devant de la scène, lorsqu'ils ne sont pasmis sur la sellette. Si l'on excepte la place prépondérante et, sur bien des points initiatrice, prise ici parl'association AIDES, une minorité du milieu médical devient le référent en matière de soins, d'information,de formation et de prévention. Dans sa réponse à l'épidémie, la communauté marseillaise s'est

essentiellement placée sous la protection médicale.

Ce fait ne doit pas étonner. L'interventionnisme médical sur la scène du social n'est pas une nouveauté.L'histoire d'un hygiénisme, vieux maintenant de plus de deux siècles, nous rappelle cette prégnance.

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L'alliance entre l'hygiénisme et le pasteurisme a permis de modifier la société. Il s'agit donc là d'une tendancelourde, inscrite à la fois dans l'histoire et les institutions dépendantes de l'État ou des collectivitésterritoriales. La mobilisation médicale se situe dans cette logique.

Nous ne sommes plus aux temps des franchises communales. La capacité de riposte des autorités locales s'estamoindrie avec l'effort pluriséculaire de centralisation étatique français. Le sida relève de la compétence del'État. C'est donc l'impulsion centrale qui compte, même si la loi de décentralisation a quelque peu redistribuéles compétences entre les échelons des collectivités publiques. La mise en place de cette loi a eu d'ailleurspour conséquence de retarder, un tant soit peu, l'organisation de la réponse locale. Les collectivitésterritoriales ont commencé à entrer en lice en 1987-1988, sans grande concertation et sans politique biendéfinie. Si un conflit a mis aux prises la Région (qui, comme telle, n'a aucune compétence en matière desanté), les services centraux de l'État et certains acteurs locaux, il n'a jamais pris de coloration politiqueexplicite. La définition des stratégies de prise en charge médico-sociale et de prévention n'a jamais été misesur la place publique. Si plusieurs positions se sont trouvées en concurrence, jamais elles n'ont donné lieu àdes heurts frontaux.

Le silence social constaté signifie que l'épidémie n'était, à cette époque, vue et vécue localement que sous sesaspects essentiellement médico-sociaux, même si une seconde mobilisation, celle de professionnels de statut

subalterne placés à des articulations sensibles, était révélatrice d'un besoin de décloisonnement institutionnel.

Mais d'autres éléments laissent entendre que la maladie va transformer les rapports entre l'État et la société.Ainsi, des accords contractuels entre l'État et des associations tendent à professionnaliser des services initiéspar ces dernières. De même, autour de projets innovants, se définit une nouvelle conception de la prévention,celle qui entend aller au plus près des populations les plus exposées. Dès lors interviennent de nouveauxacteurs. Nouveauté importante : l'État délègue une partie de ses compétences à des personnes issues de cesmilieux (homosexuels, prostitué(e)s voire toxicomanes). Les malades et des associations de lutte, pour lapremière fois dans l'histoire, agissent sur la scène médicale, juridique et politique (voir, entre autres, leproblème du sang contaminé). Enfin, certaines initiatives autorisent à penser que la maladie peut bouleverserl'esprit de la société. Par exemple, le retour de la mort donne naissance à de nouvelles manifestationscollectives de deuil et de commémoration.

Ce nouveau cours est symptomatique d'une évolution plus globale. Le sida est sans doute une préoccupationde santé qui, comme telle, relève de la médecine et de la politique de santé. Mais débordant de son litstrictement médical, il inonde désormais l'ensemble de la société. Pas un aspect de la vie sociale n'échappe àsa contamination. Rarement une maladie moderne a soulevé d'une façon aussi brutale, cruciale, éclatée etsimultanée tant d'interrogations, suscité tant de débats, voire de prises de position. Comme telle, elle est undes problèmes majeurs de la cité.

Cependant, un aspect doit retenir ceux qui ont en charge les politiques de la ville. La conjonctionsida/toxicomanie est un révélateur supplémentaire des problèmes générés par la crise urbaine. Comme telle,il convient de faire de la lutte contre l'épidémie l'une des actions prioritaires des instances responsables.

Bernard Paillard, chargé de recherche au CNRS, Centre d'études transdisciplinaires, sociologie,anthropologie, histoire (URA 883 CNRS), 14, rue Corvisart, 75013 Paris.

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HOMELESSNESS, MALADIE MENTALE ET ESPACE URBAIN

L'émergence d'un taux important de maladie mentale sévère parmi les homeless des villes américainesrésulte d'une double carence : celle des villes à loger les plus pauvres de leurs habitants, et celle des systèmespsychiatriques publics à urbaniser leurs pratiques. Anne M. Lovell 

S'agissant des rapports ville/santé mentale, la recherche anglo-saxonne a longtemps mis l'accent sur la

dimension pathogène de la ville. Pourtant, on aura garde d'oublier que la ville est aussi un lieu de ressources,à la fois formelles et informelles. Ce rééquilibrage conceptuel revêt une certaine pertinence pour lapsychiatrie publique contemporaine. Malgré le développement réel, en Occident, d'une psychiatrie à basecommunautaire (sectorisation en France, community mental health et support systems aux États-Unis), lapsychiatrie publique reste ancrée dans une large mesure autour de l'asile (lui-même situé en général hors laville ou à sa périphérie) ; de sorte que la valeur potentielle de centres de traitement urbains reste inexploitée.Dégager ce potentiel d'une psychiatrie publique urbanisée implique que l'on sache d'abord la réinscrire danscet espace complexe de mobilisation et d'utilisation de ressources que constitue tout milieu urbain. A NewYork, le cas des personnes sans abri, atteintes de pathologies mentales lourdes et durables illustre toutel'importance de cette contextualisation.

L'ACCÈS AUX STRUCTURES DE SOINS

L'émergence d'un taux important de maladie mentale sévère (jusqu'à 25 %, sans compter les toxicomanies)parmi les homeless des villes américaines résulte en effet d'une double carence : celles des villes à loger lesplus pauvres de leurs habitants, et celles des systèmes psychiatriques publics à urbaniser leurs pratiques.

La réponse, en termes de santé publique, aux problèmes que posent les ainsi nommés « homeless maladesmentaux » suppose non seulement l'existence de structures de soins et de ressources élémentaires (parexemple logements), mais une maîtrise des conditions de leurs utilisations effectives. Il importe alorsd'éclaircir la géographie sociale de ces services. Comment sont-ils localisés topographiquement ? Maissurtout, quelle place occupent-ils dans l'univers spatial des pratiques de ceux à qui ils sont destinés ?

Cette mise en perspective de la notion des systèmes de soins, du point de vue de ceux censés les utiliser,apparaît particulièrement pertinente à la lumière de nombreuses études, épidémiologiques et

ethnographiques, menées depuis dix ans dans les villes américaines. Quelle que soit la facilité d'accès de cesservices, les homeless ayant des diagnostics de maladie mentale chronique ne semblent pas leur accordergrande importance, et ils ne hiérarchisent pas leurs besoins de la même façon que le font ceux qui ont pourtâche de les prendre en charge. En outre, tout se passe dans une période de « post-déinstitutionnalisation »,au cours de laquelle les modèles pratiques, non moins que les cadres légaux, de l'intervention psychiatriquesemblent flotter. Or les données classiques d'utilisation des services semblent insuffisantes pour comprendrequelles ressources ces individus utilisent et comment. D'où l'importance de l'approche anthropologique.

LES GHETTOS D'ASSISTÉS ET LA DISPERSION DES RESSOURCES

Les services destinés aux populations supposées dépendantes (ou assistées), tels les malades relevant de lapsychiatrie publique, certains ex-prisonniers ou toxicomanes, tendent aux USA à se concentrer autour de ceque l'écologie urbaine nomme des « zones en transition », ces espaces désinvestis que la « suburbanisation »

et la désindustrialisation abandonnent dans leur sillage centrifuge. Selon l'analyse de géographes comme M.Dear et J. Wolch, ces services, interdits de séjour dans les espaces plus attractifs, se replient dans lesimmeubles dégradés de ces zones ; ces anciens quartiers abandonnés se peuplent alors des patients et clientsde services psychiatriques, souvent homeless, qui échouent là soit par migration volontaire, soit du fait dufiltrage sélectif par les dispositifs de prise en charge. Dans plusieurs villes américaines on assiste ainsi àl'émergence de véritables ghettos pour assistés (service-dependent ghettos), au cœur même des ensemblesurbains.

La ville de New York constitue un deuxième cas de figure, avec une géographie des zones en transitionbeaucoup plus dispersée. On y passe ainsi, en quelques blocs, de poches de misère et de dégradation à dessecteurs indéniablement prospères. Ailleurs des terrains vagues peuvent séparer deux shopping districts àusage des revenus supérieurs, eux-mêmes transformés en espaces marginaux à travers des détournements

d'usages nocturnes (squat devant les grands magasins, trafics illicites, etc.). Partout, les grands axes decirculation (pont, passerelles...) trouent le tissu urbain de vastes bandes de no man's land.

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Or, la géographie des services pour homeless malades mentaux semble épouser ces coordonnées décentréeset nomades. Les services à long terme sont souvent localisés dans les enclaves misérables qui parsèment ycompris les lieux prospères de la ville ; ils peuvent aussi s'agglomérer dans les hauts lieux del'abandonnement urbain, tel le Sud Bronx, et les transformer par endroits en ghettos pour assistés. Enfin,d'autres équipes sont mobiles (outreach programs), circulant dans les rues, le métro ou les terminaux de bus,à la recherche de clients potentiels, là où ils se trouvent (in vivo).

CIRCULATIONS AUTOUR DES RESSOURCES FORMELLES ET INFORMELLESUne analyse longitudinale des pratiques quotidiennes desdits homeless malades mentaux est nécessaire poursaisir si et comment de tels services sont effectivement utilisés. En fait, les enquêtes réalisées à cette finpermettent de dégager un tableau de déterminations complexes.

Alors que quelques-uns sont presque totalement isolés, la plupart vont et viennent entre de multiples mondes,ceux du domicile, de la rue, du foyer ou des services de santé mentale, ou encore des espaces publics. Plutôtque des carrières de déchéance, linéaires et irréversibles, ils donnent à voir des trajectoires faites d'allées etvenues, entre des épisodes de homelessness et de maladie, et le long d'orbites très étirées dans l'espace.

Les ressources de soins, on l'a vu, sont très dispersées ; en ce sens elle obligent leurs clients à la mobilité.Mais elles le font d'autant plus que l'on demande en général à ces services qu'ils aiguillent vers d'autresservices plutôt qu'ils ne traitent sur place. Leur nature intercalaire relance ainsi la mobilité de leurs clients.

On trouverait d'autres facteurs mobilisants dans l'organisation spatiale du système des foyers, dansl'extension géographique des réseaux d'amis et de parents ; et, plus prosaïquement et plus durement, dansl'expérience répétée de l'éviction des espaces publics dont les homeless, malades mentaux ou pas, sont l'objetde la part de ceux qui sont chargés de faire respecter un « usage décent » de ces espaces.

Mais cette mobilité dans la ville est accentuée du fait que la ville est elle-même un milieu intrinsèquementmobile, ou pour mieux dire pulsatile (le pouls de la ville). Le renouvellement incessant des relations le plussouvent anonymes y est la règle ; et c'est aussi le paysage des objets et des ressources qui s'y recompose,déversant son lot d'opportunités plus ou moins inattendues (charité, objets au rebut, menus trafics desubstances plus ou moins licites) : c'est sur ce fond mouvant qu'une tension peut émerger entre les offresformelles (souvent pas désirées par leurs destinataires) et des ressources plus informelles.

Pour autant les pratiques qui prennent place dans cet univers quotidien sont médiées par l'appartenancesociale et le contexte culturel des homeless. Ainsi les femmes noires ou hispaniques qui sont homeless etmalades mentales ont tendance à maintenir des relations non dépendantes avec leur famille, étendue etélargie, malgré les pires conditions (ce qui n'est vrai ni des femmes homeless et malades mentales blanches,ni des hommes, en dépit de leur contexte culturel). Au cœur des quartiers les plus sinistrés, et pratiquementdépourvues de toutes ressources, ces femmes choisissent souvent d'aller dans des foyers pour célibataires etde laisser, pour les protéger, leurs enfants à la garde de parents ou de proches. Alors même qu'elles passentleurs journées dans des services de soin, elles n'en continuent pas moins d'être en relation avec leur famille,nucléaire ou élargie. En ce sens elles ont plus en commun avec les autres femmes de leur communautéqu'avec les autres homeless malades mentaux. Là aussi le foyer et les programmes de santé mentales'inscrivent comme des ressources parmi d'autres dans une stratégie qui « bricole » et surdétermine leurutilisation.

Pris ensemble, ces éléments suggèrent une organisation de la mobilité et de l'utilisation des ressources dansl'espace urbain qui ne dérive pas simplement de la structure de l'offre. Si bien que, face aux problèmes queposent les pathologies mentales lourdes et durables, les politiques et dispositifs de santé publique devraientintégrer l'intelligence du monde pratique de leurs clients et savoir reconnaître et identifier le potentielinvisible des ressources non-professionnelles qui constituent leur ordinaire.

Anne M. Lovell, maître de conférences à l'Université de Toulouse Le Mirail, 5, allées Antonio-Machado,31058 Toulouse Cedex.

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L'HÔPITAL DANS LA VILLE

Comment concilier la dynamique locale de développement de l'hôpital dans la ville, et les contraintes definancement imposées par le niveau national ? Jean-Claude Moisdon, Dominique Tonneau 

Issu des hospices à vocation caritative, souvent tenus par des personnels congrégationnistes, l'hôpital a vusa vocation évoluer au fil des siècles. Lieu d'accueil pour les plus démunis au Moyen Age, d'enfermementdes exclus au XVIIe siècle, sa vocation de soin s'est affirmée au XIXe, parallèlement aux premiers progrèsde la science médicale. Institution communale, gérée par et pour les populations locales, l'hôpital afonctionné jusqu'en 1958 avec des médecins à temps partiel, exerçant par ailleurs en ville, et, depuis cettedate, le corps médical a acquis un statut de plein-temps (avec une triple mission de soins, enseignement etrecherche), qui a généré une tendance à l'hospitalo-centrisme.

PROFESSIONNALISATION ET RECOURS À LA TECHNOLOGIE

Depuis 1958, on a assisté à un double mouvement :

•  recours accru à la technologie, avec l'apparition de matériels nouveaux et de plus en plussophistiqués permettant de réaliser des investigations pour l'aide au diagnostic : imagerie médicale,automates de laboratoires, appareils servant aux explorations fonctionnelles, accélérateurs linéaires,etc. ;

•  professionnalisation continue des personnels, avec notamment chez les médecins une spécialisationde plus en plus poussée, le remplacement des temps partiel par des temps plein, le nombre accru devacataires venant compléter les compétences disponibles ; chez les soignants, apparition d'uneidentité de la fonction d'infirmière, élaboration de statut des différents personnels et spécialisationprogressive selon les technologies utilisées.

Parallèlement à ces mouvements, l'hôpital, souvent à l'étroit dans les murs qu'il occupait au centre-ville, s'est

reconstruit hors les murs de la cité et dispose maintenant d'un plateau technique moderne et de locauxadaptés aux nouvelles exigences de la technologie médicale et aux normes de confort de la population(disparition des salles communes, équipement des chambres en cabinet de toilette et TV).

DÉRIVE DES COÛTS ET MAÎTRISE DES DÉPENSES

Mais cette évolution s'est traduite par une augmentation considérable des dépenses de santé de la nation,l'hôpital comptant pour environ 45 %. Le coût des produits et des matériels mis en œuvre pour soignerconstitue un des facteurs d'explication, mais aussi le vieillissement des populations soignées, avecl'allongement de la durée de vie, la démographie médicale, les progrès de la médecine et les habitudes deprescription. Il en est résulté une charge de plus en plus lourde pour la Sécurité sociale, qui finance environ75 % du budget.

Face à cette dérive, et aux problèmes économiques qu'elle posait, les pouvoirs publics ont cherché à freinerl'augmentation des dépenses de santé, en essayant successivement plusieurs stratégies :

•  mise en place d'outils de gestion internes à l'hôpital, comptabilité analytique, tableaux de bord,formation managériale des directeurs d'établissements ; mais les logiques locales des acteurs del'hôpital les poussent à un développement de leur activité, justifiant un accroissement de leursressources ;

•  renforcement de la contrainte externe, avec le remplacement d'une facturation à la journée (jugéeinflationniste), par un budget global indépendant de l'activité et limité par un taux directeur decroissance fixé au niveau central, avec aussi le gel des créations d'emplois et la référence à une carte

sanitaire pour l'installation des équipements lourds et des capacités d'hospitalisation ; mais lecaractère général et normatif de cette gestion ne peut prendre en compte les spécificités locales et nepermet pas de corriger les inégalités antérieures de répartition des moyens ;

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•  recherche d'indicateurs du produit hospitalier prenant en compte l'activité médicale et la mobilisationdes ressources, par un programme de médicalisation du système d'information qui doit permettre decalculer des coûts moyens de séjour par groupes homogènes de malades et de servir à l'élaborationde la politique budgétaire ; cette réforme est actuellement en cours d'expérimentation ;

•  accent porté sur les alternatives à l'hospitalisation et recherche d'une complémentarité entre l'hôpitalet les réseaux de praticiens de ville.

L'HÔPITAL, UN ENJEU LOCAL

Avec le renforcement de la contrainte financière, l'hôpital est de plus en plus en situation concurrentielleavec les autres établissements de son département et avec les cliniques privées. Il essaie par ailleursd'augmenter sa zone d'attraction et les différents leviers dont il dispose se renforcent mutuellement : plateautechnique moderne et complet (lutte pour les scanners), participation au dispositif du SAMU, recrutement demédecins renommés constituent des atouts, pas forcément indépendants les uns des autres, qui attirent uneclientèle plus fournie ce qui entraîne une augmentation d'activité et justifie l'acquisition de nouvellesressources.

L'inverse de ce cercle vertueux, c'est la perte de la clientèle d'aigus, le vieillissement progressif, qui ne

 justifie plus ni équipement ni présence de spécialistes, et une transformation de l'établissement en services delong séjour. Les tutelles y poussent d'ailleurs, à la fois pour résorber l'excédent de lits d'aigus qu'ellesestiment à environ 60 000, et pour créer les structures d'accueil aux personnes âgées dont manque le pays.

Or, l'hôpital, institution communale, est souvent aussi le premier employeur de la localité, et population etélus locaux se joignent donc aux professionnels concernés pour éviter cette transformation, défendre le statutde la ville et continuer à disposer d'un outil important du dispositif de soins. C'est pourquoi, face à la mise enplace de schémas régionaux d'orientation des soins cherchant à rationaliser l'offre de soins et à imposer lescomplémentarités, les représentants des intérêts locaux se mobilisent et les responsables hospitaliers,direction et corps médical solidarisés dans l'effort, cherchent à ancrer encore davantage leur institution dansle réseau local. On voit ainsi apparaître des modes de collaboration structurés entre hôpitaux, entre hôpitauxet médecine de ville, sous forme par exemple de contrats d'utilisation d'équipements lourds ou derecrutement de médecins privés à temps partiel (résurgence du modèle de la clinique ouverte). Bien que lesobservations montrent le caractère émergent et non systématique de telles évolutions, elles n'en préfigurentpas moins une tendance de fond, conduisant l'hôpital à légitimer son développement en s'appuyant davantagesur son environnement local direct.

Jean-Claude Moisdon, professeur à l'École des mines de Paris, directeur du Centre de gestion scientifique.

Dominique Tonneau, professeur à l'École des mines de Paris, Centre de gestion scientifique, 60, boulevardSaint-Michel, 75006 Paris.

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