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Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres La figure humaine dans la décoration des chambres mégalithiques du Morbihan Abbé Henri Breuil Citer ce document / Cite this document : Breuil Henri. La figure humaine dans la décoration des chambres mégalithiques du Morbihan. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 80année, N. 4, 1936. pp. 292-299. doi : 10.3406/crai.1936.76810 http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1936_num_80_4_76810 Document généré le 16/10/2015

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Comptes rendus des séancesde l'Académie des Inscriptions

et Belles-Lettres

La figure humaine dans la décoration des chambresmégalithiques du MorbihanAbbé Henri Breuil

Citer ce document / Cite this document :

Breuil Henri. La figure humaine dans la décoration des chambres mégalithiques du Morbihan. In: Comptes rendus des

séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 80ᵉ année, N. 4, 1936. pp. 292-299.

doi : 10.3406/crai.1936.76810

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1936_num_80_4_76810

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292 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Cracovie d'un centre franco-polonais de recherches historiques et qui demande l'appui de l'Académie pour cette institution.

Renvoi à la commission des Travaux littéraires.

M. Joseph Vkndryes, au nom de la commission de la fondation Dourlans, propose d'élever de 5.000 à 15.090 fr., pour l'année 1937, la subvention accordée par l'Académie à la Bibliothèque de l'Institut.

Adopté.

M. Henri Maspero, au nom de la commission de l'École française d'Extrême-Orient, lit le rapport suivant :

« La commission de l'École française d'Extrême-Orient propose à l'Académie de présenter à M. le Gouverneur général de l'Indochine, pour la place de membre temporaire vacante dans cette École, M. Paul Lévy, licencié es lettres, diplômé de l'Institut d'Ethnologie ».

Adopté.

Après un comité secret, le Président annonce que l'Académie a élu correspondants, MM. Gonzague Ryckmans à Louvain, Marshall à Londres, Lôfstedt à Lund et Grégoire à Bruxelles.

M. l'abbé Breuil fait une communication sur le rôle de la figure humaine dans la décoration des chambres mégalithiques du Morbihan1.

MM. Charles Picard et Alexandre Moret présentent des observations.

COMMUNICATION

LA FIGURE HUMAINE DANS LA DÉCORATION DES CHAMBRES MÉGALITHIQUES DU MORBIHAN, PAR M. L'ABBÉ BREUIL.

L'étude que j'ai poursuivie de longues années en Espagne, puis dans les îles Britanniques, sur les roches peintes ou gravées et les mégalithes sculptés du Néo-énéolithique et du début du Bronze, m'avait amené à examiner de plus

1. Voir ci-après.

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près les belles photographies du Corpus consacré aux mégalithes ornés du Morbihan par MM. Saint Just-Péquart et Zacharie Le Rouzic. J'ai pensé, en les examinant, que beaucoup restait à faire pour leur déchiffrement et leur interprétation, et, depuis trois ans, j'ai consacré une partie du mois d'octobre à ce travail, guidé constamment par M. Le Rouzic au milieu des landes et des îles des environs de Garnac.

Bien que loin de son terme, ce travail est déjà suffisamment avancé, et, je pense, instructif, pour que je me permette d'en entretenir l'Académie.

Jusqu'ici, à part l'analogie signalée du fameux monument de Gav'rinis avec ceux d'Irlande, on peut dire que rien n'avait été fait pour essayer de relier la décoration mégalithique bretonne à celle des autres groupes contemporains, soit du Bassin de Paris, soit d'Espagne ou d'Irlande.

J'espère vous montrer que si l'art graphique des mégalithes bretons présente de nombreuses particularités, il se rejoint par beaucoup de points à celui des autres provinces, et que, comme partout, la figure humaine, insoupçonnée jusqu'ici, y joue un rôle très important.

De plus, j'ai essayé d'établir certaines données de succession entre les motifs des divers monuments ou les diverses couches graphiques de certains d'entre eux, discrimination à ses débuts encore, mais que l'on n'avait pas encore tentée.

Nous envisagerons d'abord :

I. La décoration des allées couvertes coudées'.

Les galeries coudées de Pierres-Plates (Locmariaquer), du Rocher (Plougoumelen), de Lufang (Grach) présentent, avec des variantes secondaires, un grand nombre d'exemplaires d'une figure ovale oblongue, à sommet incisé d'un profond repli ; le pourtour est ordinairement double, triple ou quadruple, et le champ médian, divisé en deux par une

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bissectrice qui peut avoir plusieurs tracés. Il est fréquent que les deux moitiés présentent des cercles ou demi-cercles ocellés échelonnées par paire du haut en bas. La partie inférieure est tantôt sectionnée, tantôt arrondie.

Tout cela, on le connaissait, mais on avait négligé la tête qui se pose sur l'ensemble du motif précédent, considéré comme un bouclier.

Exceptionnellement, un motif pareil de Lufang avait, sous certain mirage oriental, été considéré comme une image de Poulpe ; mais il doit rentrer dans l'ensemble du groupe, qui est d'une signification humaine incontestable, malgré son caractère conventionnel.

Sur deux montants de Lufang et un des Pierres-Plates h la tête ne se différencie pas du corps, et présente les caractères habituels des idoles néolithiques de la Marné : sourcils, yeux et nez.

On ne retrouve pas ce type d'idoles dans les autres monuments.

II. Idoles en « marmite » et rectangulaires.

En revanche, on trouve, bien que rarement, dans les allées coudées, un autre type d'idole qui me paraît dériver des précédentes, et qui a la forme d'une marmite, parfois à anses, avec un couvercle légèrement bombé et faiblement conique. Une existe sur la pierre de chevet de Lufang ; une autre, sur un bloc provenant d'un monument disparu, du Moustoir(Carnac) ; on le retrouve dans l'allée couverte de l'Ile Longue. Dans ces deux cas, une abondante chevelure entoure le sommet du motif. Dans la première, une face dolménique surplombe d'assez haut la « marmite » et ne fait pas partie du même sujet.

Dans ces deux sujets, une légère incision bilatérale sépare du corps quadrangulaire le « couvercle » qui figure la tête. Il en est de même pour les idoles analogues d'autres gale-

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ries et chambres sous tumulus : la plus petite, sur bloc libre et surchargé de motifs secondaires (réemployé) de la chambre sous galerie de Mané-Er-H'roëk ; la seconde, gigantesque, sur la face inférieure de «la grande table de la galerie de Mané Rutual ; la troisième, sur la face interne de la pierre de chevet du document de la Table des Marchands de Locmariaquer.

Le monument de l'Ile Longue présente une variante : un corps à peu près carré, surmonté d'un cou étroit que couronne une tête ronde, munie d'yeux.

III. Idoles ovales, en pain de sucre ou en arceau.

A l'Ile Longue aussi, deux idoles ont été découvertes, à forme en pain de sucre, entourées, comme les précédentes, de chevelures rayonnantes, que l'on ne retrouve plus dans les groupes suivants.

Plus fréquentes, mais rarement isolées sont les idoles ovales ou en arceau.

Les idoles ovales ressemblent assez à celles de notre premier groupe pour n'en être guère séparées, et elles en sont peut-être le prototype et non pas la suite ; mais elles sont fréquemment associées avec d'autres éléments probablement surimposés.

Certaines s'observent sur de vastes dalles couvrant la chambre de Kercado, du Rocher, de Parcguren (Grach), dont l'ornementation peu profonde rend la lecture fort laborieuse ; elles peuvent être antérieures aux monuments qui les contiennent et s'y trouver à titre de matériaux réemployés. En effet les gravures des dalles plafonnantes précitées plongent en partie derrière les montants qui les soutiennent. La seule dalle de Kercado en porte certainement plus d'une dizaine, orientées dans tous les sens ; deux d'entre elles, contiguës et plus faciles à discerner, semblent figurer un couple, sur lequel paraît brocher une hache éga-

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lement de tracé léger. Nous reparlerons plus loin de cette association.

A Penhape, Ile aux Moines, une des faces d'un montant porte une idole visiblement apparentée, mais en arceau dont la base emboutit un cartouche ovoïde un peu renflé vers le bas à la manière d'une hache non emmanchée ; c'est du reste peut-être simplement la base de l'idole,

IV. Idoles eri arceau avec haches Les croisant.

Outre l'exemple, assez peu distinct, du plafond de Ker- cado, il en est au moins trois beaux exemples :

1° Sur une autre face du montant de Penhape déjà mentionné, on voit, dominée par une idole en arceau ou ovale fortement en relief, et la recouvrant vers sa base, une épaisse hache emmanchée ; une sorte de dragonne à terminaison pédiforme tombe du bout de la poignée. On y voit aussi une série d'autres idoles finement gravées, les unes antérieures, les autres postérieures à la hache.

2° Dans la seule galerie couverte de Mané Rutual, deux pierres, un montant et une dalle de couverture, portent aussi une figure de hache recroisant une idole en simple ou double arceau ; de nombreuses surcharges et fioritures secondaires, parmi lesquelles de nombreuses petites idoles accessoires et des chapelets de ronds, viennent compliquer le sujet primitif; ce dernier, malgré la différence de position de la hache par rapport à l'idole principale, rappelle étroitement le thème « idole et hache » des chambres funéraires de la Marne. Les deux haches de Mané Rutual portent une dragonne ; le taillant évasé de l'une d'elles témoigne qu'elle était en métal, cuivre ou bronze.

V. Stèles anthropoïdes complexes.

Tandis que, dans les allées, coudées, les figures humaine» ne se recouvrent ordinairement pas les uns les autres,

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n'occupant le plus souvent qu'une partie des montants, et, fort souvent, sont isolés sur l'un de ceux-ci, dans nombre des autres galeries, non seulement les figures se groupent, comme cela se rencontre sur quelques montants des premières, mais chaque montant décoré a été primitivement une sorte de statue-menhir, puis a été surchargé secondairement d'idoles parasites superposées, au cours de toute la période de l'utilisation du monument comme nécropole.

L'une des plus simples, non surchargée, est celle de Mané Rutual (Corpus cit. PI. 53), simple statue rudimen- taire à visage sommaire et deux crosses. Un bon nombre du Petit Mont (Arzon), de Kercado, Mané Kerioned, etc., rentrent dans cette catégorie. A noter que l'une de Kercado a été peinte en noir en statue menhir, mais que les gravures ne coïncident aucunement avec la peinture.

La chambre fermée sous tumulus de Tumiae (Arzon), outre une quantité de seins en relief, distribués sur les montants latéraux, présente un remarquable complexe sur l'une des pierres de chevet '• en bas, une grande face humaine, peut-être avec labrefs est entourée d'une couronne de ronds en chapelet ; vers le haut de la pierre, un autre grand ovale, surmonté d'une petite tête piriforme, paraît présenter deux seins ; un collier de multiples rangées de ronds le cernent par le bas ; tout autour et en partie emmêlés, sont d'autres petites idoles antérieures ou postérieures, de divers types, arceau à tête dolménique, pelle à épaules carrées et petite tête, etCf

Nous présenterons comme bien plus complexes, un mon" tant de la Table des Marchands, un autre du Lizo, et un autre de Kercado, où les statues-menhirs primitives ont reçu maintes surcharges d'autres plus petites.

On dirait que, chaque fois que de nouveaux morts étaient apportés au dolmen, de nouvelles images étaient exécutées sur les première», en réinterprét^ai parfois certains détails,

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VI ■. Palimpsestes de styles différents.

L'œuvre des générations successives utilisant un dolmen ne s'est pas toujours bornée à surcharger les idoles primitives de motifs plus ou moins de même nature.

L'examen direct des surfaces rocheuses montre en effet que, souvent, les images surimposées sont d'un tout autre style que les premières ; elles diffèrent également par leur patine et les caractères du trait. En voici des exemples :

Au Petit Mont, le 8e montant de droite porte en bas- relief deux pieds exécutés aux dépens de traits ornementaux assez menus agencés en grecque ; ils continuent sur les pieds, mais sont détruits par le creusement de leur pourtour.

La « roue solaire » du montant n° 11 paraît surimposée à une stèle anthropoïde dont les détails sont bien plus adoucis.

A Mané Lud, les montants 1 et 5 ont nettement 2 couches de figures; pour le 1er, les plus anciennes se rapprochent des idoles en marmite ou rectangulaires ; les plus récentes sont de petites figures linéaires cruciformes de haches et de personnages (?), que l'on retrouve surchargeant le montant anthropoïde S dont les traits propres sont plus adoucis.

Gav'rinis, à l'examen, laisse transparaître, presque effacés sous sa magnifique décoration d'aspect irlandais, desvestiges presque évanouis d'ancienne décoration différente, actuellement indéchiffrable.

Mais il y a plus : même cette belle décoration n'est pas d'un seul moment ; un examen attentif y montre 3 mains successives. A des tracés déjà soignés, assez légers, à lignes parallèles droites ou courbes, comprenant encore des motifs dégénérés d'idoles en rectangle et en arceau, succèdent les plus beaux panneaux sculptés soigneusement, à lignes parallèles profondes et assez serrées.

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Puis viennent, souvent employés à la périphérie des panneaux précédents, des motifs aussi profonds et de même genre, mais à traits plus espacés et moins soignés.

Avec eux l'on voit apparaître des haches, probablement de cuivre, en bas-relief, qui recoupent plus d'une fois les dessins des séries antérieures et sur lesquelles les motifs contemporains viennent buter, s'ils ne s'anastomosent pas avec elles en les continuant. A ce groupe aussi se réfèrent des triangles en creux, opposés par leur base, rappelant la décoration la plus tardive de New Grange et Dowth en Irlande.

Ainsi l'ornementation de Gav'rinis n'est pas d'une seule venue ; elle témoigne de deux périodes ; la seconde a détruit l'œuvre de la première, et s'est déroulée en trois phases, dont la dernière donne des marques d'abâtardissement, suivant son apogée. Plusieurs générations ont travaillé là, dont le style ornemental a varié, et l'on doit considérer la décoration de ce monument et de beaucoup d'autres, comme un complexe à démêler et à comparer à d'autres complexes qui ne sont pas exactement contemporains.

Lorsque ce travail aura été poussé à un terme, on aura sans doute, pour la province Bretonne, une chronologie relative de la succession des styles, comparable peut-être seulement à celle de l'évolution du mobilier de la Renaissance à nos jours, c'est-à-dire ne portant pas sur une très longue durée, mais tout aussi intéressante et caractérisée.

Il m'a paru que les perspectives ouvertes par l'ensemble de ces observations, soit sur la part importante de la figure humaine dans l'art dolménique du Morbihan, soit sur leur succession et celle des différents styles amalgamés en palimpsestes de granité, étaient de nature à renouveler profondément les conceptions jusqu'ici en vogue sur cet art du Cuivre et début du Bronze Armoricain, et dignes à fixer l'attention de l'Académie des Inscriptions.

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