Damnés tome 2 Vertige - Lauren Kate

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VertigePour Elizabeth, Irdy, Anne et Vic. J'ai de la chance de vous avoir!

REMERCIEMENTS

D'abord, mille mercis mes lecteurs pour leur soutien sans faille. Grce eux, je pourrais crire toute ma vie. Merci Wendy Loggia, qui croit en cette srie, ce qui est une vritable bndiction, et qui sait en faire ce qu'elle doit tre. Merci Beverly Horowitz, qui m'a fait le meilleur des discours d'encouragement, avant de glisser un gteau dans mon sac main. Krista Vitola, pour ses mails chargs de bonnes nouvelles. A Angela Carlino et l'quipe crative, pour une couverture exceptionnelle. Merci mes compagnons de route Noreen Marchisi, Roshan Nozari et tous les membres de la formidable quipe marketing de Ranclom House. Vous tes de vritables magiciens ! Merci Michael Stearns et Ted Malawer, gnies infatigables. Votre esprit et votre soutien ont rendu cette collaboration presque trop agrable. Merci mes amis, qui me permettent de garder les pieds sur terre et qui m'inspirent. mes parents du Texas, de l'Alabama, de Baltimore et de Floride, pour leur chaleur et leur amour. Merci jason pour chaque journe qui passe.

Car si j'agite mon aile sur toi L'affliction me fera avancer.

George Herbert, Easter Wings

PROLOGUE EN EAUX NEUTRES

D'un regard aussi gris que le brouillard enveloppant la cte de Sausalito, Daniel observait la baie et la mer agite qui venait mourir sur les galets. En cet instant, il n'y avait I >as la moindre touche de violet dans ses yeux. Luce tait trop loin de lui... Face la tempte, il cherchait resserrer les pans de son caban, mais quoi bon... Il avait toujours froid, aprs la chasse. Une seule personne pouvait le rchauffer, ce jour-l, et elle tait inaccessible. Il aurait tant voulu poser les lvres sur sa tte, comme il en avait l'habitude. Il se voyait l'enlacer, puis se pencher pour l'embrasser dans le cou. Cependant, il valait mieux que Luce ne soit pas l, car elle serait horrifie par la scne qui se droulait. Derrire lui, les plaintes des otaries qui affluaient le long du littoral sud d'Angel Island faisaient cho son sentiment de solitude absolue, que personne ne pouvait percevoir. A part Cam. Accroupi devant Daniel, celui-ci nouait une ancre rouille autour d'un corps tremp, gisant leurs pieds. Mme dans cette sombre mission, Cam avait fire allure, avec ses yeux verts ptillants et ses cheveux noirs coups court. Pendant une trve, les anges taient toujours plus radieux. Ils avaient les joues plus roses, les cheveux plus soyeux... Leur corps dj parfaitement muscl semblait encore plus resplendissant. Les jours de trve leur taient aussi bnfiques que des vacances pour les humains. Ainsi, mme si Daniel souffrait d'avoir d mettre fin une vie humaine, on aurait dit qu'il rentrait d'une semaine au bord de la mer: il tait repos, bronz...

Cam effectua un nud sophistiqu dont il avait le secret et dclara : - a ne m'tonne pas de toi, a, Daniel ! Il faut toujours que tu te dfiles pour me laisser le sale boulot. - Qu'est-ce que tu racontes? C'est moi qui l'ai achev, non? Daniel baissa les yeux vers le cadavre. C'tait un homme aux cheveux gris plaqus sur le front. Il avait les mains noueuses, une blessure en forme de larme en plein torse, il portait des bottes en caoutchouc bon march. Daniel frissonna. Si ce meurtre n'avait pas t indispensable la scurit de Luce, Daniel n'aurait plus utilis la moindre arme et ne se serait plus jamais battu. Ce mort laissait Daniel en proie un certain malaise. Quelque chose clochait. Il avait mme l'intime conviction que a n'allait pas du tout. - Le coup de grce, c'est le moment le plus agrable, argumente Cam en enroulant la corde autour du torse de lhomme avant de la serrer sous ses bras. Le pire, c'est de le jeter la mer. Daniel tenait encore la branche ensanglante. Cam lavait raill d'avoir choisi cette arme, mais Daniel n'en avait eu que faire. Il tait capable de tuer avec n'importe - Dpche-toi, grommela-t-il, dgot par le plaisir manifeste que Cam prenait assassiner des tres humains. tu perds du temps ! La mare descend. - Sauf que, si on ne procde pas de cette faon, la mare haute ramnera le cadavre ici mme ds demain. Tu es trop impulsif, Daniel. Comme toujours. Tu ne rflchis donc jamais long terme? Daniel croisa les bras et observa de nouveau les values ourles d'cume. Un catamaran venant du port de San Francisco filait dans leur direction. Nagure, ce spectacle aurait raviv une foule de souvenirs de promenades avec Luce, sur toutes les mers du monde, au cours d'un millier de vies successives. Mais prsent, maintenant qu'elle risquait de mourir et de ne jamais revenir, dans cette vie o tout tait diffrent, et o il n'y aurait plus de rincarnations, Luce ne possdait aucun souvenir. C'tait la dernire fois pour tous les deux. Pour tout le monde, en ralit. C'tait donc la mmoire de Luce qui comptait, et non la sienne. Si la jeune fille devait survivre, il fallait que des vrits cruelles remontent la surface. la seule pense de ce qu'elle avait dcouvrir, Daniel se crispa.

Si Cam croyait qu'il ne pensait pas l'tape suivante, il se trompait. - Tu sais bien pourquoi je suis encore l, dclara Daniel. Il faut que nous parlions d'elle. - Effectivement, rpondit Cam. Avec un grommellement, il hissa le corps inerte par dessus son paule. Le costume bleu marine de la victime se froissa sous la corde. La lourde ancre reposait sur son torse ensanglant. - Il est un peu pnible, celui-l, commenta Cam. Je trouve a presque insultant que les Ans n'aient pas envoy un homme de main plus la hauteur. Puis, tel un lanceur de marteau aux Jeux olympiques, Cam flchit les jambes et tourna trois fois sur lui-mme pour prendre son lan avant de propulser le cadavre une trentaine de mtres dans les airs, vers le large. L'espace de quelques secondes, le cadavre survola la baie, puis tomba dans les eaux turquoise avec un grand claboussement et sombra aussitt. Cam s'essuya les mains. - Je crois que je viens de battre un record, dit-il. Ils se ressemblaient bien des gards, mais, en tant que dmon, Cam tait capable des actes les plus vils sans l'ombre d'un scrupule. Alors que Daniel, lui, tait rong par les remords. Et, pour l'heure, il tait transi d'amour. - Tu prends la mort humaine bien la lgre, dclara Daniel. - Ce type mritait son sort, rpliqua Cam. Tu ne saisis donc pas quel plaisir il y a dans tout cela? - Pour moi, Luce n'est pas une proie ! rtorqua Daniel. - Et c'est la raison pour laquelle tu vas perdre. Daniel empoigna Cam par le col de son trench-coat gris acier. Il avait envie de le jeter l'eau comme celui-ci venait de le faire avec le prdateur. Un nuage passa devant le soleil et assombrit leurs visages. - Doucement, fit Cam en se dgageant. Tu as un tas d'ennemis, mais, l, maintenant, je n'en fais pas partie. N'oublie pas la trve. - Tu parles d'une trve ! maugra Daniel. Dix-huit jours pendant lesquels d'autres vont tenter de la tuer... Dix-huit jours pendant lesquels on les repoussera ensemble, corrigea Cam. Par tradition, chez les anges, une trve durait dixhuit jours. Au Paradis, dix-huit tait le nombre le plus favorable, le plus propice: deux fois sept (les archanges et les vertus cardinales) que venait contrebalancer l'avertissement des quatre cavaliers de l'Apocalypse. Dans certaines langues mortelles, le

nombre dix-huit avait fini par reprsenter la vie elle-mme. En l'occurrence, pour Luce, il aurait tout aussi bien pu signifier la mort. Cam avait raison. Tandis que la nouvelle de la mortalit de Luce traversait toutes les couches clestes, les rangs de ses ennemis allaient doubler chaque jour. Mlle Sophia et sa clique, les vingt-quatre Ans Zhsmaelin, taient toujours aux trousses de Luce. Daniel les avait aperus dans les ombres projetes par les Annonciateurs, le matin mme. Il avait entrevu autre chose, aussi, d'autres tnbres, une fourberie plus profonde, qu'il n'avait pas russi identifier. Un rai de lumire transpera les nuages et, du coin de l'il, Daniel dcela une lueur. En se tournant, il s'agenouilla et trouva une flche plante dans le sable humide. Elle tait plus fine qu'une flche ordinaire, d'un ton argent terne, orne de volutes et chaude au toucher. Daniel eut la gorge noue. Cela faisait une ternit qu'il n'avait pas vu une toile filante. Les doigts tremblants, il arracha la flche en prenant soin d'viter sa pointe mortelle. Il savait dsormais d'o provenaient ces tnbres qu'il avait entrevues chez les Annonciateurs du matin. La situation tait encore plus grave qu'il le redoutait. Il se tourna vers Cam, la fine flche entre ses mains : - Il n'a pas agi seul. En la voyant, Cam se crispa. Il s'en approcha presque respectueusement et tendit la main vers elle, comme Daniel l'avait fait. -Abandonner une arme si prcieuse... Les Bannis devaient vraiment tre trs presss de s'en aller. Les Bannis taient une secte danges lches et bavards, exils la fois du Paradis et de l'Enfer. Leur atout majeur tait Azazel, un ange reclus, le dernier qui connaisse encore l'art de crer des toiles filantes. Ces flches argentes ne risquaient gure de provoquer plus qu'une ecchymose chez un humain. Mais, pour les anges et les dmons, c'tait la plus mortelle des armes. Tout le monde voulait s'en emparer, mais personne n'tait dispos s'associer avec les Bannis. Aussi les changes de tirs d'toiles se droulaient-ils toujours de faon clandestine, par le biais d'un messager. Ce qui signifiait que le type que Daniel avait tu n'tait pas un homme de main envoy par les Ans. C'tait un intermdiaire. Les Bannis, le vritable ennemi, avaient disparu comme par enchantement, sans doute ds qu'ils avaient

aperu Daniel et Cam. Daniel frmit; ce n'tait pas de bon augure. Nous n'avons pas tu l'homme qu'il fallait, dclara-t-il. - Comment a? rpondit Cam, dsinvolte. Cela fait toujours un prdateur en moins. Le monde ne s'en portera que mieux. Et Luce aussi, non? (Il fixa Daniel, puis la mer.) Le seul problme, c'est... - Les Bannis. Cam opina : - Ils la veulent aussi, dsormais. Sous son pull en cachemire et son pais manteau, Daniel sentait frmir les extrmits de ses ailes, telle une dmangeaison brlante et troublante. Il demeura immobile, les yeux ferms, les bras ballants. Ses ailes demandaient se dployer avec la puissance des voiles d'un bateau, mais il s'efforait de les retenir, de peur qu'elles ne l'emportent loin de cette le, au-dessus de la baie. Droit vers Luce. Il ferma les yeux et tenta d'imaginer la jeune fille. Il avait eu toutes les peines du monde s'arracher de la cabane o elle dormait paisiblement, sur la minuscule le de Tybee. Ce devait tre le soir, l-bas. tait-elle rveille? Avait-elle faim ? Luce avait souffert de la bataille qui avait fait rage Sword & Cross, des rvlations, de la mort de son amie... Les anges s'attendaient ce qu'elle dorme toute la journe et toute la nuit, mais, ds le lendemain matin, ils devraient avoir tabli un plan d'action. C'tait la premire fois que Daniel proposait une trve. Pour fixer les limites, tablir les rgles, et concevoir un systme de peines encourues en cas de transgression de la part de l'un ou l'autre. Et ce lourd fardeau, il devait le porter avec Cam. Bien sr, il le ferait. Daniel ferait n'importe quoi pour elle... il tenait simplement le faire bien. - Il faut la cacher en lieu sr, dit-il. Il y a un lyce, vers le nord, prs de Fort Bragg... - Shoreline, rpondit Cam. On s'est renseigns aussi de notre ct. Elle sera heureuse, l-bas. Elle suivra un enseignement qui ne la dstabilisera pas. Et, surtout, elle sera protge. Gabbe avait dj expliqu Daniel le type de camouflage que procurerait Shoreline. Trs vite, la nouvelle se rpandrait que Luce y tait cache, mais, pendant au moins un certain temps, elle serait pratiquement invisible. Dans l'enceinte de l'tablissement, Francesca, l'ange le plus proche de Gabbe,

s'occuperait d'elle, tandis que Daniel et Cam traqueraient et tueraient quiconque oserait s'approher du lyce. Qui avait pu parler de Shoreline Cam? Daniel n'apprciait gure l'ide que le camp des dmons soit mieux inform que le sien, et il se maudissait de ne pas avoir visit le lyce avant d'avoir fait ce choix. Mais il avait dj eu tant le mal quitter Luce... - Elle peut y entrer ds demain. A condition... (Cam dvisagea longuement Daniel.) A condition que tu acceptes. Daniel posa sa main sur la poche de sa chemise, o il gardait une photographie rcente de Luce, au bord du lac de Sword & Cross. Elle avait les cheveux mouills et scintillants, un rare sourire au coin des lvres. En gnral, quand il parvenait photographier Luce, au cours d'une vie, il la perdait. Cette fois, elle tait encore l. - Allez, Daniel, reprit Cam, on sait tous les deux ce dont elle a besoin. On l'inscrit, et on la laisse vivre. On ne peut rien faire pour acclrer cette phase, part la laisser tranquille. -Je ne veux pas l'abandonner seule aussi longtemps, lacha Daniel un peu trop vite. Pris d'un malaise, il observa la flche qu'il tenait la main. Il avait envie de la jeter la mer, mais il en tait incapable. - Donc, tu ne le lui as pas dit, dclara Cam, le regard perant. Daniel se figea. - Je ne peux rien lui rvler. Nous risquerions de la perdre. - Tu risquerais de la perdre, corrigea Cam. - Tu sais trs bien ce que je veux dire ! rtorqua schement Daniel. Il est trs dangereux de croire qu'elle encaissera tout sans... Il ferma les yeux pour chasser l'image du feu rougeoyant. Hlas, elle rdait toujours dans un coin de son esprit, menaant de se propager comme une trane de poudre. S'il avouait Luce la vrit et que cela la tuait, alors elle disparatrait tout jamais. Et ce serait sa faute. Daniel tait impuissant. Il ne pouvait exister sans elle. Ses ailes le brlaient rien que d'y penser. Mieux valait garder Luce l'abri un peu plus longtemps. - a tombe bien, pour toi, railla Cam. J'espre simplement qu'elle ne sera pas due... Daniel ne tint pas compte de sa remarque : - Tu crois vraiment qu'elle arrivera travailler, dans ce lyce ?

Oui, rpondit Cam. Mais mettons-nous bien d'accord: elle ne doit avoir aucune distraction extrieure. Donc pas de Daniel, ni de Cam. Il faut que ce soit une rgle stricte. Ne pas voir Luce pendant dix-huit jours? C'tait impensable. Pire encore, il ne pouvait concevoir que Luce accepterait. Ils venaient juste de se trouver, dans cette vie, et ils avaient enfin une chance d'tre ensemble... Hlas, comme tant d'autres fois, ses rvlations la tueraient. Elle ne pouvait couter le rcit dtaill de ses vies passes de la bouche des anges. Luce l'ignorait encore, mais, trs bientt, elle se retrouverait seule pour... tout deviner. Daniel tait terrifi par cette vrit cache, et surtout PAR la raction de Luce. Mais qu'elle dcouvre tout par elle mme tait le seul moyen de briser ce cycle infernal. Voila pourquoi son exprience Shoreline serait essentielle. Pendant dix-huit jours, Daniel serait libre de tuer Mil', les Bannis qu'il croiserait. A l'issue de la trve, la situa- III m serait de nouveau entre les seules mains de Luce. Le soleil se couchait sur le mont Tamalpais et le brouillard nocturne commenait descendre. - Laisse-moi l'emmener Shoreline, dit Daniel, dsireux de profiter de cette dernire chance de voir la jeune fille. Cam posa sur lui un regard trange, hsitant. Une fois encore, Daniel dut rentrer ses ailes de force. - D'accord, concda enfin Cam. En change de la flche. Daniel la lui tendit, et Cam la glissa sous son manteau : - Emmne-la jusqu'au lyce, puis viens me retrouver. Et surtout, pas d'incartades ! Je te surveille. - Et ensuite ? -On partira la chasse tous les deux. Sentant le plaisir intense de la libration l'envahir, Daniel opina et dploya ses ailes. Il se dressa et puisa toute son nergie face aux bourrasques de vent. Il tait temps de fuir cette scne maudite, de laisser ses ailes le porter vers un lien o il pourrait tre nouveau lui-mme. Auprs de Luce. Et vers ce mensonge avec lequel il devrait vivre un peu plus longtemps encore.-

- La trve commence demain minuit, lui rappela Daniel avant de prendre son envol dans un nuage de sable.

DIX-HUIT JOURS

Luce avait la ferme intention de garder les yeux ferms durant les six heures de vol entre la Gorgie et la Californie, jusqu' ce que l'avion se pose San Francisco. Si elle somnolait, il lui serait plus facile de s'imaginer qu'elle avait dj retrouv Daniel. Ils n'taient spars que depuis quelques jours, mais elle avait l'impression que cela faisait une ternit qu'ils s'taient dit au revoir, ce vendredi matin-l, Sword & Cross. La jeune fille tait plonge dans une sorte de torpeur. La voix de Daniel, sa chaleur, la douceur de ses ailes taient imprimes en elle comme une trange maladie. Un bras frla soudain le sien. Luce ouvrit les yeux et, en se tournant, se retrouva face un garon brun aux yeux carquills, qui semblait avoir quelques annes de plus qu'elle. - Pardon, dirent-ils tous deux en chur en s'cartant lgrement de l'accoudoir. Par le hublot, la jeune fille assista un spectacle poustouflant. Elle n'avait jamais rien vu de tel. L'appareil effectuait sa descente vers San Francisco, longeant la partie sud de la baie. Une rivire d'un bleu intense serpentait vers la mer. D'un ct se trouvait un champ vert vif, tandis que de l'autre, s'tendait une sorte de tourbillon rouge et blanc. Luce posa le front contre la vitre pour mieux voir. - Qu'est-ce que c'est? s'interrogea-t-elle voix haute. Du sel, rpondit le garon. On l'extrait du Pacifique. Sa rponse tait tellement simple, tellement... humaine. Elle lui parut presque bizarre, aprs le temps qu'elle avait pass avec Daniel et les autres... les anges et les dmons - elle avait toujours un peu de mal employer ces termes. Elle scruta les-

eaux bleu nuit de l'ocan qui semblaient s'tendre l'infini. Au bord de l'Atlantique, o elle avait grandi, le soleil se levait, alors qu'ici la nuit tombait. -Vous n'tes pas d'ici, hein? lui demanda son voisin. Luce secoua la tte sans dire un mot. Elle regardait fixement par la fentre. Avant son dpart de Gorgie, ce matin-l, M. Cole lui avait recommand de ne pas se faire remarquer. Il avait racont aux autres enseignants que ses parents souhaitaient la changer d'tablissement. C'tait un mensonge. Pour ses parents, Callie et tous les autres, Luce frquentait toujours Sword & Cross. Quelques semaines auparavant, elle aurait t folle de rage. Mais, depuis les vnements des derniers jours, elle PRenait les choses plus au srieux. Elle avait eu un aperu d'une autre vie, l'une des nombreuses existences qu'elle avait partages avec Daniel, autrefois. Elle avait dcouvert un amour bien plus fort qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Lorsquune vieille folle arme d'un poignard, en qui elle croyait pouvoir avoir confiance, l'avait mise en pril. Et il y aurait d'autres personnes comme Mlle Sophia. Luce le savait. Hlas, nul ne lui avait appris les reconnatre. La bibliothcaire avait une apparence normale... jusqu' la fin Les autres auraient-ils le mme air innocent que le garon aux cheveux chtains assis ct d'elle, par exemple? La gorge noue, Luce croisa les mains sur ses GENOUX et pensa Daniel. Daniel la conduirait en lieu sr. Elle l'imagina, assis sur un sige en plastique gris, laroport, qui l'attendait, le menton dans la main, ses cheveux blonds glisss derrire ses oreilles. Chauss de ses ternelles Converse noires, il se balanait d'avant en arrire pour tromper son impatience. Toutes les cinq minutes, il se levait pour aller vrifier si les premiers passagers arrivaient. L'avion toucha terre dans un soubresaut. Soudain, Luce eut un pincement au cur. Daniel serait-il aussi heureux le leurs retrouvailles qu'elle? EIle se concentra sur le motif marron et beige du sige situ devant elle. Elle avait une raideur dans la nuque et envie de changer de vtements. Sur la piste, les employs semblaient mettre un temps fou diriger l'appareil vers la passerelle menant au terminal. Luce commenait s'agiter. - Vous allez rester longtemps en Californie ? hasarda son voisin avec un sourire dsinvolte qui ne fit qu'intensifier son envie de sortir au plus vite.

Pourquoi ? rpondit-elle vivement. Qu'est-ce qui vous fait penser une chose pareille ? - Eh bien, vous avez un gros sac... Luce s'carta lgrement. Elle n'avait mme pas remarqu la prsence de ce type avant qu'il ne la rveille d'un coup de coude. Comment pouvait-il connatre la taille de ses bagages ? - H, pas de panique, reprit-il avec un regard trange. J'tais ct de vous dans la queue, lors de l'enregistrement. - J'ai un petit ami, dclara Luce avec un sourire gn, avant de rougir. - C'est bon, j'ai compris, bredouilla le jeune homme. Pourquoi avait-elle dit a ? Elle ne voulait pas se montrer grossire, mais le voyant lumineux indiquant qu'il fallait attacher sa ceinture s'tait teint, et elle n'avait plus qu'une envie : quitter rapidement cet avion et s'loigner de ce type. Sans doute devinat-il ses penses, car il s'effaa dans l'alle. Aussi poliment que possible, Luce passa devant lui et se prcipita vers la sortie. Hlas, le flot des passagers ralentit sur la passerelle. Maudissant la nonchalance lgendaire des Californiens, Luce se hissa sur la pointe des pieds et trpigna. Quand elle mergea enfin dans le terminal, elle tait bout de nerfs. La voie tait libre. Elle fendit la foule, laissant derrire elle son voisin de cabine. C'tait la premire fois qu'elle mettait les pieds en Californie. Elle n'avait pas la moindre apprhension, elle qui n'tait pourtant jamais alle plus LOIN que Branson, dans le Missouri, pour voir un spectacle de Yakov Smirnoff1, avec ses parents. Elle en oublia presque les horreurs de Sword & Cross qui l'obsdaient. Elle allait rejoindre le seul tre avec qui elle se sentirait mieux, le seul auprs de qui cela valait la peine d'avoir survcu aux ombres, cette bataille irrelle, au cimetire, et, pire que tout, la douleur de la mort de Penn. Il tait l. Il tait assis exactement comme elle se l'tait imagin, sur le dernier sige gris et triste d'une range, ct d'une porte automatique qui ne cessait de s'ouvrir et de se refermer. L'espace d'un instant, Luce demeura immobile, le contempler.-

1

Vakov Smirnoff: humoriste amricain d'origine ukrainienne, sp- tlr.r dans les comparaisons comiques entre les tats-Unis et l'ancienne nu m sovitique.

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Daniel portait des tongs et un jean fonc qu'elle n'avait jamais vu, ainsi qu'un ample T-shirt rouge. S'il tait bien le mme, quelque chose avait chang. Il semblait plus repos que lors de leur sparation. tait-ce parce qu'il lui avait beaucoup manqu, elle lui trouva une mine plus radieuse que dans ses souvenirs. Et, lorsqu'il croisa enfin son regard, il lui adressa un sourire magnifique. Elle courut dans sa direction. Ds qu'il la prit dans ses bras, elle posa la tte sur son torse avec un long soupir. Bientt, leurs lvres se trouvrent, et la jeune fille s'abandonna. Une partie d'elle-mme s'tait demand si elle le reverrait un jour ou bien si tout cela n'tait qu'un rve. Cet amour qu'elle ressentait, et que Daniel lui rendait, lui paraissait encore si irrel... Mais non, elle ne rvait pas ! Pour la premire fois depuis une ternit, elle se sentait chez elle. - Tu es l, murmura-t-il son oreille. - Toi aussi, tu es l. - On est l tous ls deux, quoi ! Ils clatrent de rire, sans cesser de s'embrasser, dissipant toute trace de gne. Au milieu de ces tendres retrouvailles, au moment o Luce s'y attendait le moins, son rire fit place un sanglot touff. Ces derniers jours avaient t durs pour elle, sans lui, sans personne, en pleine torpeur, alors qu'elle savait que rien ne serait plus jamais pareil... prsent, dans les bras de Daniel, elle ne trouvait pas ses mots. -Je sais, souffla-t-il. Allons chercher tes bagages et filons d'ici. Quand Luce se tourna vers le tapis roulant, son voisin se trouvait devant elle. Il lui tendit son norme sac fourre-tout. -Je l'ai vu passer, expliqua-t-il avec un sourire forc, dsireux de prouver ses bonnes intentions. C'est bien le vtre, non ? Avant que Luce puisse lui rpondre, Daniel prit le bagage pourtant encombrant d'une seule main. - Merci, je m'en occupe, affirma-t-il d'un ton sans rplique.

Le garon regarda Daniel prendre Luce par la taille et lemmener avec lui. C'tait la premire fois, depuis Sword & Cross, que Luce pouvait voir Daniel tel que les autres le percevaient. Les gens se rendaient-ils compte qu'il avait quelque chose d'extraordinaire? Ds qu'ils eurent franchi les portes vitres, Luce respira enfin l'air de la cte ouest. La fracheur de ce dbut de novembre tait vivifiante. Rien voir avec le froid humide Savannah, au moment de son dpart. Le ciel tait limpide, d'un bleu intense, sans un nuage l'horizon. Tout tait propre, flambant neuf, mme le parking tait occup par des ranges entires de voitures tincelantes. Une chaine de montagnes aux tons bruns encadrait le paysage, derrire une enfilade de collines. La Gorgie tait des milliers de kilomtres... - Je ne sais pas si je dois m'en offusquer, plaisanta Daniel. Je te laisse t'aventurer loin de mes ailes quelques jours, et voil qu'un autre type rapplique. Luce leva les yeux au ciel. - Arrte ! On a peine chang quelques mots. En fait, dormi pendant presque tout le vol, dit-elle en lui assenant un coup de coude espigle. J'ai rv de toi. Les lvres pinces de Daniel esquissrent un sourire, il posa un baiser sur le front de la jeune fille, qui en esprait davantage. Elle ne s'tait mme pas rendu compte que Daniel s'tait arrt devant une voiture. Et pas n'importe laquelle... Une Alfa Romeo noire. Tandis qu'il ouvrait la portire du ct passager, la jeune fille demeura bouche be. - C'est..., balbutia-t-elle. Tu savais que c'est la voiture de mes rves ? - Mieux que a, rpondit-il en riant. C'tait ta voiture ! Elle sursauta presque lorsque Daniel pronona ces mots. Elle ne se faisait toujours pas ces rincarnations successives. C'tait tellement injuste... Cette voiture totalement oublie... Ces vies entires dont elle ne gardait aucun souvenir. Si seulement elle pouvait en savoir davantage ! Ses rincarnations prcdentes taient comme des surs dont elle aurait t spare la naissance. Elle posa une main sur le pare-brise, en qute d'un vague souvenir, d'un sentiment de dj-vu. Rien. - Tes parents te l'ont offerte pour tes seize ans, il y a quelques vies de cela. Daniel lui dcocha un regard en biais, comme s'il se demandait

ce qu'il pouvait lui rvler sans danger. Il la savait avide d'informations, mais pas assez solide pour en assimiler trop d'un seul coup. - Je l'ai rachete un type de Reno. Il l'avait acquise aprs que tu... enfin, aprs que... Aprs ma combustion spontane, songea amrement Luce, puisque Daniel tait incapable d'noncer la terrible vrit. Ses vies passes avaient au moins une chose en commun : elles se terminaient toutes de la mme faon. Sauf cette fois, peut-tre. Cette fois, ils pouvaient se tenir par la main, s'embrasser et... quoi d'autre encore? Elle lignorait, mais elle brlait de le dcouvrir. Elle se ressaisit vite. Ils devaient se montrer prudents. Dix-sept ans, c'tait trop jeune et, l, Luce avait la ferme intention de savoir quoi ressemblait une vie avec Daniel. Il se racla la gorge et tapota le capot tincelant: - Elle roule encore merveille. Le seul problme, c'est... il observa tour tour le coffre de la voiture, puis le sac le la jeune fille. Luce avait la mauvaise habitude d'emporter trop de bagages, elle tait la premire le reconnatre. Mais, pour une fois, ce n'tait pas sa faute. C'taient Arriane et Gabbe qui taient alles chercher ses affaires dans sa chambre de Sword & Cross. Elles avaient emball tous ses vtements sans distinction. Elle tait trop occupe dire au revoir Daniel et Penn. EIle s'en voulut un peu d'tre l, en Californie, avec Daniel, si loin de l'endroit o reposait son amie. Ctait injuste. M. Cole lui avait maintes fois assur que Mlle Sophia serait chtie pour le meurtre de Penn. Quand Luce avait cherch en savoir plus, il s'tait content de tripoter sa moustache d'un air gn. Daniel scruta le parking d'un il mfiant, puis il ouvrit le coffre. videmment, le bagage ne rentrait pas. Soudain, un lger bruit d'aspiration se fit entendre, et le sac commena rtrcir. - Refais-moi a, pour voir ! Mais Daniel ne plaisantait pas, il semblait nerveux, au contraire. Il s'installa derrire le volant et dmarra la voiture sans un mot. C'tait trange: son visage, si serein premire vue, laissait transparatre une vague inquitude. - Qu'est-ce qui ne va pas? - M. Cole t'a recommand de ne pas te faire remarquer, non ?

Elle opina de la tte. Daniel effectua une marche arrire et se dirigea vers la sortie du parking. Il insra une carte dans l'automate. - Pardon, j'aurais d rflchir... - Ce n'est pas grave, assura Luce en glissant ses cheveux derrire les oreilles, tandis que Daniel acclrait. Tu crois que tu risques d'attirer l'attention de Cam rien qu'en rangeant un sac dans le coffre ? Daniel eut un regard vague et secoua la tte : - Non, pas Cam... (Il posa une main sur le genou de Luce.) Oublie ce que j'ai dit. Il faut juste que tu... qu'on soit prudents tous les deux. Luce l'entendit, mais elle tait trop bouleverse pour l'couter avec attention. Daniel passa les vitesses d'un geste sr, tandis qu'ils s'orientaient vers l'autoroute. Il se faufila avec aisance dans la circulation. Luce aimait le contempler, c'tait si bon d'tre avec lui et si doux de sentir le vent sur leur peau tandis qu'ils filaient vers San Francisco. En ville, les rues taient trs pentues. Chaque fois qu'ils arrivaient au sommet d'une cte pour redescendre aussitt, Luce dcouvrait un nouveau panorama de la ville. Les gratte-ciel en verre se dressaient parmi des boutiques anciennes. Des voitures minuscules gares dans tous les sens dfiaient les lois de la gravit. Partout, des gens promenaient des chiens. Les eaux scintillantes de l'ocan bordaient la ville. Au loin, Luce aperut enfin le rouge intense du Golden Gate2.Luce ne savait plus o regarder, tant le spectacle la fascinait. Et, bien qu'elle ait beaucoup dormi, ces derniers jours, elle se sentait soudain accable par la fatigue. Daniel la prit par les paules et l'attira vers lui : - Tu veux savoir un truc sur les anges? On est absolument parfaits, comme oreillers. Luce clata de rire et l'embrassa sur la joue. - Je n'arriverai jamais dormir, confia-t-elle en enfouissant le visage dans son cou. Les voitures circulaient sur le pont avec une foule de pitons et de cyclistes aux tenues barioles, sans oublier les joggeurs. En contrebas scintillaient les eaux de la baie PARsemes de voiliers

Golden Gate Bridge : clbre pont emblmatique de San Francisco. Il enjambe la baie de San Francisco, reliant la ville Oakland.2

blancs, dans les premiers reflets pourpres du coucher de soleil. - On ne s'est pas vus depuis plusieurs jours, et je voudrais tant rattraper le temps perdu! avoua la jeune fille, Raconte-moi ce que tu as fait. Je veux tout savoir!

Pendant une fraction de seconde, elle crut le voir crisper les doigts sur le volant. - Si tu n'as pas l'intention de dormir, rpondit-il avec un pi ni sourire, il vaut mieux que je t'pargne ls dtails du Conseil des anges, qui a dur huit heures. Il m'a accapar toute la journe d'hier. On a discut d'un amendement la proposition 362B, qui numre en dtail le format requis de la participation chrubinique dans le troisime circuit de... -C'est bon, j'ai compris, coupa Luce en lui donnant une tape. Daniel plaisantait, mais pas comme d'habitude. Il parlait enfin ouvertement de sa qualit d'ange, ce que la jeune fille apprcia beaucoup. Il lui faudrait quand mme encore un peu de temps pour digrer tout a. Elle avait l'impression que son cur et son esprit luttaient de concert pour assimiler les changements intervenus dans son existence. Mais ils taient ensemble pour toujours, dsormais. Tout serait plus facile. Plus rien ne les sparerait... - Dis-moi au moins o nous allons, reprit-elle. Daniel tiqua. Aussitt, une boule d'angoisse se forma dans la gorge de Luce. Elle voulut poser une main sur la sienne, mais il l'esquiva pour rtrograder. - Shoreline, un lyce proche de Fort Bragg. Les cours commencent demain. - On est inscrits dans un nouveau lyce ? Mais pourquoi ? Il semblait trs srieux. Ce devait pourtant tre un sjour de courte dure. Ses parents ne savaient mme pas qu'elle tait partie ! - Je suis sr que tu vas aimer. C'est trs moderne, bien mieux que Sword & Cross. Je crois que tu pourras... voluer, l-bas. Et tu seras protge. C'est un tablissement un peu spcial. Un vrai bouclier, idal pour se cacher. - Je ne comprends pas, l. Pourquoi aurais-je besoin de

protection? Je croyais que m'loigner de Mlle Sophia tait suffisant. - Il n'y a pas que Mlle Sophia, rpondit posment Daniel. Il y a les autres, aussi. - Qui ? Tu peux me protger de Cam ou de Molly, quand MEme! Railla Luce, malgr l'angoisse qui l'treignait. - Il ne s'agit pas d'eux non plus. Je ne peux pas t'en dire davantage. - Il y aura des gens que nous connaissons, l-bas? D'autres anges?

- Quelques anges, oui. Tu ne les connais pas, mais tu tentendras bien avec eux. Encore une chose, ajouta-t-il en regardant droit devant lui: je ne resterai pas. Tu iras seule. Mais pas pour longtemps. - Combien de temps ? - Quelques... semaines. Si Luce avait t au volant, elle aurait pil : - Quelques semaines ? - Si je pouvais rester avec toi, je le ferais, assura Daniel d'une voix tellement neutre que Luce en fut encore plus bouleverse. Tu as bien vu ce qui s'est pass, avec ton sac, tout l'heure. Autant envoyer une fuse de dtresse dans le ciel pour signaler nos ennemis o tu te trouves, alerter ceux qui me recherchent, et qui te cherchent aussi, par la MEme occasion. Je suis trop facile reprer, trop facile traquer. Et ce petit truc avec le sac n'est rien ct de ce que je fais tous les jours et qui risque d'attirer l'attention de... (Il secoua vivement la tte.) Je refuse de te mettre en pril, Luce. C'est hors de question. - Alors reste avec moi ! - C'est compliqu, reprit Daniel, l'air pein. - Laisse-moi deviner: tu ne peux pas m'expliquer, c'est a? - J'aimerais bien, pourtant. Luce se recroquevilla sur elle-mme et s'loigna de Daniel pour se plaquer contre la portire. Soudain, sous le vaste ciel bleu de Californie, elle se sentit oppresse. Ils roulrent en silence pendant une demi-heure, traversant plusieurs nappes de brouillard sur un terrain aride et accident. Ils virent des panneaux indiquant Sonoma. Enfin, tendis quils cheminaient tranquillement au milieu des vignes, Daniel prit la

parole : - On sera a Fort Bragg dans 3heures, tu comptes faire la tte pendant tout le trajet ? Luce lignora. Des centaines de questions se bousculaient dans sa tte, mais elle refusait de les formuler, de mme que ces frustrations, ses reproches et ses excuses pour son comportement denfant gte. A la sortie dAnderson Valley, en se dirigeant vers louest, Daniel tenta de prendre la main de la jeune fille. Tu ne crois pas que tu pourrais me pardonner, que lon profite de nos derniers instants ensemble Ce ntait pas lenvie qui lui manquait. Elle ne supportait pas de se disputer avec Daniel. Mais en entendant ces mots nos derniers instants ensemble , avant quil ne labandonne pour des raisons quelle ne pouvait comprendre puisqu'il refusait de les lui expliquer, Luce sentit son angoisse redoubler. Dans le tourbillon d'un nouvel tat, d'un nouveau lyce, de nouveaux dangers affronter, Daniel tait le seul rocher auquel elle pouvait saccrocher. Et il allait la laisser seule! N'en avait-elle pas dj assez subi ? N'avaient-ils pas tous les deux endur suffisamment d'preuves? Lorsquils eurent travers les forts de squoias pour merger sous un ciel toil d'un bleu sombre et intense, Daniel pronona des paroles qui la crucifirent. Ils venaient de passer devant un panneau annonant Bienvenue Mendocino, et Luce regardait vers l'ouest. La pleine lune clairait quelques btiments : un phare, plusieurs citernes et des ranges de vieilles maisons en bois bien conserves. Au del stendait locan invisible, dont la jeune fille entendait le grondement. Daniel dsigna une autre foret de squoias et drables lest. Tu vois ce camping, devant nous ? demanda-t-il. Elle ne laurait pas remarqu si Daniel ne le lui avait pas montr du doigt. En y regardant de plus prs, elle distingua une alle troite avec une vieille pancarte en bois couvertes de mousse clamant, en lettres blanches : Mobile Homes de Mendocino. Tu habitais juste la. Comment ? demanda Luce, le souffle coup. Le terrain tait triste, dsol, avec des mobiles homes aligns comme des botes de conserves de part et dautre dune alle de gravier. C'est affreux... Tu y vivais avant qu'il n'y ait un camping, prcisa Daniel en arrtant la voiture au bord de la route. Dans cette vie-l, vous

tes venus, toi et ta famille, de l'Illinois, pour vous installer ici. C'tait en pleine rue vers l'or. Il parut rflchir, puis secoua la tte. Avant, c'tait vraiment sympa, comme endroit, reprit-il. Un homme chauve et ventripotent vtu d'un dbardeur blanc et d'un caleon en flanelle tirait sur la laisse d'un vieux chien roux. Luce ne s'imaginait pas du tout dans ce cadre. Tout tait trs clair, cependant, pour Daniel : Vous occupiez un bungalow de deux pices, et ta mre tait mauvaise cuisinire. a empestait toujours le chou, chez vous. Il y avait des rideaux en vichy bleu que j'cartais pour passer par la fentre, la nuit, quand tes parents dormaient. Luce ferma les yeux et tenta de ravaler ses larmes. Dans, la bouche de Daniel, leur pass semblait la fois possible et impossible. Elle se sentait coupable. Il tait rest son ct si longtemps, durant tant de vies... Elle avait oubli quel point il la connaissait bien. Daniel devinait-il ses penses, en cet instant? Valait-il mieux tre sa place, et ne se souvenir de rien, ou la place de Daniel, qui devait tout revivre, encore et encore? S'il affirmait devoir la laisser pendant plusieurs semaines sans pouvoir lui expliquer pourquoi... elle ne pouvait que lui faire confiance. C'tait comment, notre premire rencontre? Je coupais du bois en change de quelques repas, lpoque, expliqua-t-il avec un sourire. Un soir, l'heure du diner, je suis pass devant ta maison. Ta mre avait mis du chou sur le feu, et a puait tellement que j'ai failli ne pas frapper votre porte. Mais je t'ai aperue la fentre. Tu tais en train de coudre. J'tais fascin par tes mains. Luce observa ses longs doigts ples et ses petites paumes carres. Avaient-elles toujours t semblables? Daniel les prit dans les siennes. Elles sont aussi douces qu'elles l'ont toujours t, dclara-t-il. Cette histoire plaisait Luce. Elle aurait voulu en entendre des milliers d'autres aussi belles, mais ce n'tait pas ce qu'elle cherchait. Je voulais savoir comment on s'tait rencontrs. La toute premire fois. Comment c'tait? Daniel ne rpondit pas aussitt, puis il dclara: Il se fait tard. On t'attend Shoreline avant minuit. Il dmarra et tourna gauche vers le centre de Mendocino. Dans le rtroviseur, le camping s'loignait, de plus en plus sombre.

Quelques secondes plus tard, Daniel s'arrta devant un restaurant ouvert toute la nuit, dot d'une grande baie vitre et de murs jaunes. La salle tait dserte. Le quartier tait constitu de btiments bizarres et pittoresques, qui n'taient pas sans rappeler la Nouvelle-Angleterre et Dover, o elle avait t pensionnaire, mais en moins guind. Les pavs taient nimbs de la lueur blafarde des rverbres. La rue semblait se jeter droit dans l'ocan. Soudain, Luce eut froid. Il fallait qu'elle matrise sa peur instinctive du noir. Daniel lui avait parl des ombres : elle n'avait rien en craindre, car elles n'taient que des messagers. Elle aurait d tre rassure. Hlas, cela laissait supposer qu'il existait des dangers plus graves. Pourquoi tu ne me dis rien ? Insista-t-elle, malgr elle. Elle n'aurait su expliquer pourquoi elle avait tant besoin de savoir. Si elle devait accorder sa confiance Daniel, alors qu'il allait l'abandonner aprs qu'elle eut pass sa vie attendre ces retrouvailles... Peut-tre voulait-elle simplement comprendre d'o venait cette confiance absolue. Savoir comment et o tout avait commenc... Tu connais la signification de mon nom de famille? lui lana-til. Luce tenta de se remmorer les recherches menes avec Penn. Mlle Sophia a parl d'observateurs, mais je n'ai pas saisi ce qu'elle entendait par l, ou si je pouvais la croire. Elle porta la main son cou, l o Mlle Sophia avait pos la lame de son couteau. Elle avait raison. Les Grigori forment un clan auquel j'ai donn mon nom. Ils observent et tirent des enseignements des vnements survenus quand... quand j'tais encore le bienvenu au Paradis. Et quand tu tais... Enfin, c'tait il y a trs, trs longtemps. Je m'en souviens peine. O a? J'tais o? Insista la jeune fille. Elle avait dit que les Grigori frquentaient des femmes mortelles. C'est ce qui s'est pass? Tu l'as fait... ? Il croisa son regard, et son expression changea au clair lune, Luce ne comprit pas pourquoi. Il semblait presque soulag qu'elle ait devin, car cela lui pargnait la peine de tout lui raconter. La premire fois que je t'ai vue, avoua-t-il, a a t comme toutes les autres fois. Le monde tait diffrent, mais lu tais la mme. a a t... Le coup de foudre, complta-t-elle. Il hocha la tte :

Comme toujours. La seule diffrence, c'est que, au dbut, tu tais inaccessible. J'tais puni et je suis tomb amoureux de toi au pire moment possible. C'tait trs violent, au Paradis. Je dois... Je devais rester distance de toi car tu focalisais mon attention. Or il fallait que je me concentre sur la guerre. C'tait la mme guerre qu'aujourdhui, soupira-t-il. Et, au cas o tu ne l'aurais pas remarqu, tu me distrais toujours autant... Donc, tu tais un ange suprieur, murmura-t-elle. Bien sr, dit-il d'un air triste, avant d'ajouter contrecur: je suis tomb de l'un des plus hauts perchoirs qui soient. Naturellement, Daniel devait tre un personnage important au Paradis, pour avoir provoqu de telles dissensions, et que son amour l'gard d'une mortelle soit ce point inacceptable. Tu as renonc tout pour moi ? Il posa son front sur celui de Luce : Je n'ai aucun regret. Mais je n'tais rien, reprit Luce, qui avait le dsagrable sentiment d'tre un boulet. Tu as renonc tant de choses... Et tu es damn jamais... Daniel coupa le moteur et afficha une moue trange : Peut-tre pas jamais. Que veux-tu dire ? Viens, ordonna-t-il en descendant de voiture pour lui ouvrir la portire. On va faire un tour. Ils marchrent jusqu'au bout de la rue, qui se terminait par un escalier en pierre menant l'ocan. L'air tait frais et humide, charg d'cume. A gauche de l'escalier s'ouvrait un chemin. Daniel prit la jeune fille par la main et l'emmena au bord de la falaise. O allons-nous? Senquit-elle. Daniel lui sourit et se redressa pour dployer ses ailes. Lentement, elles surgirent de ses paules et se dplirent dans le bruissement lger d'un dredon que l'on dpose sur un lit. Pour la premire fois, Luce remarqua que le T-shirt de Daniel tait perc de deux petites fentes presque invisibles par lesquelles les ailes pouvaient se glisser. Tous ses vtements avaient-ils subi ces retouches angliques? Ou bien Daniel enfilait-il une tenue spciale lorsqu'il avait l'intention de s'envoler? Quoi qu'il en soit, Luce en resta sans voix. Ses ailes taient immenses, trois fois plus hautes que Daniel luimme, et se dployaient en arc vers le ciel telles deux voiles blanches. Leur ampleur captait la lumire des toiles, dont l'clat

se refltait, encore plus intense, dans un chatoiement iris. Prs de son corps, les ailes taient fonces et se teintaient de beige. Sur les bords, au contraire, elles taient fines et luisantes, presque translucides aux extrmits. Fascine, Luce les contempla longuement, cherchant graver dans sa mmoire chacune de ces superbes plumes, Daniel tait si clatant qu'il avait de quoi clipser le soleil. DANS ses yeux violets ptillait un sourire qui disait combien il se sentait bien, les ailes ainsi dployes. Aussi bien que Luce quand elle s'y enveloppait. Viens voler avec moi, murmura-t-il. Comment? On ne va pas se voir avant un moment, alors il faut que je te laisse un souvenir. Luce l'embrassa avant qu'il ne puisse en dire davantage. Elle glissa les bras autour de son cou et le serra le plus fort possible, dans l'espoir de marquer son esprit, son tour. Son torse plaqu contre le dos de la jeune fille, la tte sur son paule, Daniel dposa un chapelet de baisers le long de son cou. Le souffle court, elle attendit. Puis il flchit les jambes et s'envola avec grce du bord de la falaise. Ils volaient! Ils s'loignrent de la cte, par-dessus les vagues argentes qui dferlaient, en contrebas, et filrent comme s'ils voulaient rejoindre la lune. Les bras de Daniel protgeaient Luce de la force du vent et de la fracheur de l'ocan. Dans la nuit tait paisible, ils avaient l'impression d'tre seuls m monde. On est au Paradis, non ? Susurra-t-elle. Daniel rit: Jaimerais bien ! Un jour, bientt, peut-tre... Quand ils ne virent plus la terre, Daniel partit vers le nord. Ils tracrent une courbe au-dessus de Mendocino, dont les lumires brillaient l'horizon. Ils se trouvaient loin au-dessus du plus haut difice de la ville et se dplaaient une allure vertigineuse. Pourtant, jamais Luce ne s'tait sentie aussi aime et protge. Soudain, bien trop vite, ils amorcrent leur descente vers une autre falaise. Le bruit de l'ocan s'amplifia. Une route une voie s'loignait de l'autoroute. Quand leurs pieds foulrent l'herbe tendre et frache, Luce soupira. O sommes-nous ? demanda-t-elle, mme si elle le savait dj.

Shoreline. Un grand btiment se profilait au loin, totalement plong dans la pnombre. Daniel garda la jeune fille plaque contre lui, comme s'ils taient encore dans les airs. Elle tenta de lire son expression. Il avait les yeux humides. Ceux qui m'ont damn m'observent encore, Luce. Depuis des sicles. Et ils ne veulent pas que nous soyons ensemble. Ils tenteront n'importe quoi pour nous en empcher. C'est pourquoi il est plus prudent que je ne reste pas ici. Au bord des larmes, elle opina du chef. Mais qu'est-ce que je vais faire ici, moi? demanda-t-elle. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer ta scurit. Cet endroit est le meilleur refuge, pour l'instant. Je t'aime, Luce. Plus que tout. Je reviendrai te chercher ds que possible. Elle se retint de protester. Daniel avait renonc tout pour elle. Lorsqu'il la libra de son treinte, il ouvrit la main. Une petite forme rouge se mit gonfler dans sa PAUME. Son sac de voyage! A l'insu de la jeune fille, il lavait sorti du coffre de la voiture et gard dans le creux de a main. En quelques secondes, le bagage retrouva sa taille normale. Si elle n'avait pas t aussi bouleverse par ce que ce geste signifiait, Luce aurait ador ce tour de force. A l'intrieur du btiment, une lumire s'alluma. Puis une silhouette apparut sur le seuil. Cela ne durera pas, reprit Daniel. Ds que la situation sera plus sre, je viendrai te chercher. D'une main brlante, il saisit le poignet de la jeune fille, et Luce se blottit dans ses bras. Lorsque ses lvres se posrent sur les siennes, elle s'abandonna, le cur dbordant d'amour. Elle ne se rappelait peut-tre pas ses vies antrieures mais, quand Daniel l'embrassait, elle se sentait proche de ce pass. Et de l'avenir. Une silhouette venait leur rencontre: une femme vtue d'une courte robe blanche. Leur baiser, trop doux pour tre aussi bref, laissa Luce aussi pantelante que de coutume. Ne pars pas, l'implora-t-elle, les yeux ferms. Tout se passait trop vite. Elle refusait de renoncer lui. Pas, encore. Elle n'en serait sans doute jamais capable... Hlas, un souffle de vent lui indiqua que Daniel avait dj repris son envol. Le cur bris, elle rouvrit les yeux et vit la dernire trace de ses ailes disparatre dans la nuit noire.

DIX-SEPT JOURS

Toc. Luce grimaa et se frotta le visage. Elle avait mal au nez. Toc , Toc.

Maintenant, c'taient ses pommettes. Elle ouvrit lentement les paupires puis, presque aussitt, carquilla les yeux surprise. Une robuste blonde aux lvres pinces et aux sourcils fournis tait penche sur elle. Ses cheveux en dsordre taient relevs sur sa tte. Elle portait un pantalon de sport et un dbardeur motif camouflage assorti ses yeux noisette, tachets de vert. Elle brandissait une raquette de ping-pong, prte frapper. Luce s'enfona sous les draps en se protgeant le visage. Daniel lui manquait dj terriblement. Elle refusait de souffrir davantage. Cherchant comprendre, elle se rappela le lit sur lequel elle s'tait croule, au hasard, la nuit prcdente. La veille, la femme en blanc s'tait prsente comme tant Francesca, une enseignante de Shoreline. Malgr sa torpeur, Luce avait constat que c'tait une femme superbe, ge d'environ trente-cinq ans, avec de longs cheveux blonds, des pommettes hautes et des traits doux. Un ange , se dit Luce sur le moment. Francesca n'avait pos aucune question en accompagnant Luce vers sa chambre. Elle devait s'attendre son arrive tardive et avait peru l'puisement de la jeune fille.

L'inconnue qui venait de rveiller Luce semblait prte lancer une nouvelle balle. C'est bien, dit-elle d'une voix raille. Tu es rveille. Qui es-tu? demanda Luce, ensommeille. Et toi ? En dehors de cette inconnue qui squatte ma chambre et qui perturbe mes exercices du matin en racontant n'importe quoi dans son sommeil ! Moi, c'est Shelby. Enchante.

Ce n'est pas un ange, conclut Luce. Rien qu'une Californienne dote d'un sens de la proprit exacerb. Luce se redressa et jeta un regard la ronde. La pice tait un peu encombre mais bien amnage, avec un parquet clair, une chemine en tat de marche, un four micro-ondes, deux grands bureaux, des tagres, et deux lits superposs, relis par une, chelle escamote. Derrire une porte coulissante, on devinait une salle de bain. Luce n'en revenait pas: la fentre offrait une vue splendide sur l'ocan. Quel soulagement pour elle qui venait de passer un mois regarder un vieux cimetire depuis une chambre plus digne d'un hpital que d'un Lyce! Mais au moins, Sword & Cross, Daniel tait prsent. peine avait-elle russi s'intgrer qu'elle devait REpartir de zro dans un autre tablissement... Francesca ne m'a pas prvenue que j'aurais une coloc. A l'expression de Shelby, Luce comprit que le moment tait mal choisi pour raconter sa vie. Elle se concentra donc sur la pice. Luce n'avait jamais fait confiance son instinct, en matire de dcoration. A moins qu'elle n'ait jamais eu l'occasion de lui laisser libre cours... Elle n'tait pas reste assez longtemps Sword & Cross pour se soucier de la dco, mais, mme avant cela, sa chambre de Dover tait nue et blanche. Callie appelait a le chic dpouill . Cette chambre, en revanche, avait quelque chose d'trangement... tendance, avec ses plantes en pot alignes devant la fentre, des guirlandes au plafond, un patchwork aux tons clairs qui pendait du lit suprieur, masquant moiti un calendrier astrologique, au-dessus d'un miroir.

- Qu'est-ce que tu croyais? Qu'ils allaient dgager les appartements du directeur uniquement parce que tu es Lucinda Price ? - - Non, rpondit Luce en secouant la tte. Ce n'est pas du tout a. Mais attends, comment tu connais mon nom? Donc tu es bien Lucinda Price ! lana la jeune fille dont les yeux mordors taient rivs sur le pyjama gris, un peu miteux, de Luce. J'ai de la chance ! Luce ne savait que rpondre. - Dsole, souffla Shelby en s'asseyant au bord de son lit. Je suis fille unique. Lon, mon thrapeute, essaie de m'aider tre moins agressive, quand je rencontre quelqu'un. - Et a marche ? Luce tait fille unique, elle aussi, mais elle ne se montrait pas hargneuse envers les inconnus qu'elle croisait. - Ce que je voulais dire, c'est que... (Shelby s'agita, un peu mal l'aise.) Je n'ai pas l'habitude de partager. On pourrait... repartir du bon pied? - Ce serait bien. - D'accord. Shelby respira profondment, et reprit: - Frankie ne t'a pas prvenue que tu partageais cette chambre, hier soir, parce que, alors, elle aurait d t'informer que je n'tais pas au lit, au moment o tu t'es couche. Je suis rentre par cette fentre, vers trois heures du matin... Par ladite fentre, Luce voyait une large corniche. C'tait sans doute par l que Shelby se faufilait pas de loup dans la nuit. Shelby billa ostensiblement. - Pour les Nphilim, Shoreline, la seule chose au sujet de laquelle les profs ne rigolent pas, c'est l'apparence de la discipline. La discipline "n'existe pas vraiment. Sauf que Frankie ne l'avouerait jamais une nouvelle. Surtout pas Lucinda Price. Shelby prononait son nom avec un tremblement trange dans la voix. Qu'est-ce que cela pouvait signifier? Et o Shelby se trouvait-elle, jusqu' trois heures du matin? Comment diable tait-elle entre par la fentre en pleine nuit sans renverser un seul pot de fleurs? Et qui taient ces Nephilim? Luce eut soudain des flashes-back trs prcis des Nephilim que l'esprit tortueux d'Arriane lui avait fait emprunter, lors de leur premire rencontre. Le visage dur

de Shelby lui rappelait son amie. Luce s'tait galement demand comment elle pourrait s'entendre avec elle, son arrive Sword & Cross. Mais, si Arriane tait intimidante, voire inquitante, cause de son ct djant, cette nouvelle coloc lui paraissait tout simplement agaante. Shelby sauta du lit et alla se laver les dents. Luce trouva sa brosse dans son sac et la suivit. - J'ai oubli mon dentifrice, dclara-t-elle. - Ta clbrit t'blouit au point de te faire ngliger les ralits de la vie, rpondit la jeune fille, qui lui tendit nanmoins son tube. Elles se lavrent les dents en silence. Au bout d'une trentaine de secondes, Luce n'y tint plus. - Shelby? fit-elle en crachant de la mousse. - Quoi? Au lieu de lui poser toutes les questions qui se bousculaient dans sa tte une minute plus tt, Luce demanda: - Qu'est-ce que je racontais, dans mon sommeil? Ce matin tait le premier d'au moins un mois de rves intenses, complexes, o Daniel tiendrait toujours le premier rle, et dont Luce ne garderait aucun souvenir. Rien. Pas un frlement d'aile. Pas un baiser... Elle observa la mine bourrue de Shelby, dans la glace. Il fallait qu'elle l'aide se souvenir. Elle avait forcment rv de Daniel. Et sinon... qu'est-ce que cela signifiait? - Aucune ide, rpondit enfin Shelby. Tu marmonnais des paroles incohrentes. La prochaine fois, articule mieux. Sur ces mots, elle sortit de la salle de bains et enfila une paire de tongs orange. - C'est l'heure du petit-djeuner. Tu viens? Luce s'arrta au milieu de la chambre : - Qu'est-ce que je dois porter? Elle tait toujours en pyjama. La veille, Francesca n'avait voqu aucun code vestimentaire, et sa camarade de chambre encore moins. Shelby haussa les paules : - Tu me prends pour qui ? La fashion police ? Mets ce qui s'enfile le plus vite. J'ai la dalle. Luce opta pour un jean moulant et un pull portefeuille noir. Elle aurait aim consacrer quelques minutes sa tenue, pour ce premier jour de cours, mais elle se contenta de saisir au vol son sac dos et d'emboter le pas Shelby.

Le couloir n'avait pas le mme aspect, en plein jour. Partout, d'immenses fentres donnaient sur l'ocan, et des tagres taient tapisses d'ouvrages relis et colors. Les sols, les murs, les plafonds et les escaliers vertigineux taient en rable, comme les meubles de la chambre. Cette essence aurait d confrer aux lieux la chaleur d'un chalet, mais l'agencement tait aussi complexe et bizarre que les chambres libres de Sword & Cross taient ternes et simples. Le couloir semblait ainsi se dmultiplier en de nombreux Autres, plus petits, avec des escaliers en spirale menant dautres labyrinthes sombres. Aprs deux voles de marches et ce qui ressemblait une porte drobe, Luce et Shelby franchirent une baie vitre et sortirent au grand jour. Si le soleil tait ARDENT, l'air tait assez frais pour que Luce se rjouisse davoir enfil un pull, et il sentait l'ocan. Pas comme chez il. Toutefois, il tait moins sal, plus crayeux que sur la cte est. Le petit-djeuner est servi sur la terrasse, expliqua Shelbhy, Luce dcouvrit une vaste pelouse borde sur trois cts de massifs d'hortensias bleus. Le quatrime plongeait vers locan. Luce avait peine croire un cadre aussi splendide. Jamais elle ne supporterait d'tre enferme dans une salle de cours! En s'approchant, Luce vit un autre btiment long et rectangulaire au toit de bardeaux en bois et aux fentres bordes de jaune vif. Au-dessus de l'entre, une pancarte grave la main annonait: Rfectoire, entre guillemets, dnotant une certaine ironie. Luce n'avait jamais vu de rfectoire aussi ravissant. Si la terrasse quipe de meubles en fer forg peints en blanc taient attabls une centaine d'lves, d'allure dcontracte. La plupart avaient t leurs chaussures et, pieds nus sous la table, ils dgustaient des mets raffins: ufs Bndict, gaufres aux fruits, quiche aux pinards apptissante. Certains lisaient le journal, d'autres discutaient au tlphone ou jouaient au croquet sur la pelouse. Luce savait y jouer grce aux gosses de riches de Dover - guinds, prtentieux, tout le contraire de ces lves bronzs et insouciants. On se serait cru en plein t, et non un mardi de dbut novembre. C'tait si agrable qu'elle avait presque du mal leur envier leur mine satisfaite. Presque. Luce imagina Arriane dans un tel environnement. Que penseraitelle de Shelby ou de ces repas au bord de l'eau? Son amie ne saurait sans doute pas de qui se moquer en premier. Luce aurait

aim pouvoir se tourner vers elle, en cet instant, histoire de rigoler un peu. En observant les alentours, elle croisa par hasard le regard de quelques lves : une jolie fille au teint mat, vtue d'une robe pois, un foulard vert nou dans ses cheveux noirs et soyeux, et un garon aux cheveux blonds, aux larges paules, qui s'attaquait une pile de crpes. D'instinct, Luce vita tout contact visuel. A Sword & Cross, c'tait plus prudent. Pourtant, ici, personne ne la foudroyait du regard. Le plus tonnant, Shoreline, ce n'tait pas le soleil limpide, ni cette terrasse confortable ou encore l'impression de richesse que dgageaient tous ces jeunes. C'tait le fait qu'ils taient tous souriants. Enfin, presque tous. Shelby et Luce choisirent une table libre. Shelby prit une petite pancarte et la jeta terre. En se penchant de ct, Luce lut Rserv au moment o un serveur en costume noir et cravate s'approchait avec un plateau d'argent. - Excusez-moi... Cette table est rserv..., bredouilla-t-il. - Du caf noir, coupa Shelby. Et toi, tu prends quoi? demanda-telle Luce d'un ton brusque. - Euh... La mme chose, rpondit-elle, gne d'tre servie de la sorte. Avec une goutte de lait, si c'est possible. Les boursiers ont un larbin, expliqua Shelby en levant les yeux au ciel, tandis que le serveur s'loignait d'un pas dcid. Elle prit le San Francisco Chronicle pos sur la table et le dplia en billant. Alors, c'en fut trop pour Luce. - H, fit-elle en baissant le bras de sa camarade pour voir son visage, derrire le journal. Surprise, Shelby haussa les sourcils. - J'ai t boursire, moi, reprit Luce. Pas dans ma dernire cole, mais dans celle d'avant... Shelby repoussa sa main : - Je suis cense tre impressionne, l aussi? Luce allait lui demander ce qu'elle avait entendu dire son propos quand une main chaude se posa sur son paule. Francesca, la prof qui avait accueilli Luce l'entre, LA VEille, lui sourit. Grande, imposante, elle avait un certain style, de l'aisance. Elle portait ses cheveux blonds sur le ct, bien nets, et avait du brillant rose sur les LEVRES. Sa robe fourreau noire tait orne d'une ceinture bleue assortie ses chaussures ouvertes talons aiguilles. nimporte qui se serait senti moche, face elle.

Luce regretta de ne pas avoir mis une touche de mascara, au moins, et eut honte de ses Converse crasseuses. - Je vois que vous avez fait connaissance, toutes les deux, lana Francesca avec bonne humeur. Je savais que vous alliez vite sympathiser ! Shelby ne dit rien, mais remua son journal. Luce se racla la gorge. - Je pense que tu n'auras aucun mal t'adapter Shoreline, Luce. L'tablissement est conu dans ce but. La plupart de nos lves dous s'intgrent sans difficult. Dous ? Songea-t-elle. - Surtout, n'hsite pas me poser des questions. Tu peux aussi compter sur Shelby. Pour la premire fois de la matine, cette dernire rit. C'tait un rire bourru, raill, digne d'un vieux monsieur, d'un grand fumeur et non dune jeune adepte du yoga. Luce se renfrogna. Elle n'avait aucune envie de s'intgrer sans difficult Shoreline. Elle n'avait rien faire ici, au milieu de ces enfants gts et dous, au sommet d'une falaise surplombant l'ocan. Sa place tait parmi les vrais gens, ceux qui avaient une me, les gens qui connaissaient la vie. Sa place tait auprs de Daniel. Elle n'avait toujours aucune ide de ce qu'elle fichait l, part se cacher - de faon trs temporaire - pendant que lui s'affairait sa guerre. Ensuite, il la ramnerait la maison. Ou quelque chose dans ce genre. - Bon. Je vous reverrai en cours, plus tard. Bon apptit! conclut Francesca avant de s'loigner. Je vous conseille la quiche! ajoutat-elle en faisant signe au serveur de leur en apporter une part. Ds qu'elle eut disparu, Shelby avala bruyamment une longue gorge de caf et s'essuya la bouche du dos de la main. - Euh... Shelby... -Je peux djeuner en paix? Luce posa brusquement sa tasse sur sa soucoupe et attendit que le serveur fbrile soit parti. Elle avait envie de changer de table. Tout autour d'elle, les conversations enjoues allaient bon train. Si elle pouvait se joindre l'une d'elles... Elle prfrait encore rester seule que supporter Shelby. Mais les propos de Francesca l'avaient trouble. Pourquoi considrait-elle Shelby comme une camarade de chambre merveilleuse alors que celle-ci tait manifestement dsagrable ? Luce mchonna une bouche de quiche, sachant qu'elle ne pourrait rien avaler tant qu'elle n'aurait pas dit ce qu'elle avait sur le cur :

OK, je suis nouvelle, ici, et a t'agace, mme si j'ignore pourquoi. Peut-tre parce que tu avais ta chambre pour toi toute seule, avant mon arrive ? Shelby baissa un peu son journal pour rvler ses yeux, puis elle haussa un sourcil. - Mais je ne suis pas si pnible que a. J'ai quelques questions poser, rien de plus. Excuse-moi de dbarquer sans savoir qui sont tes fameux Nphermans, l... - Nphilim. - Peu importe. Je m'en fous. Je n'ai aucune envie d'tre ton ennemie, ce qui signifie qu'une partie de a - elle dsigna l'espace qui les sparait - vient de toi. C'est quoi, ton problme ? Shelby esquissa un rictus et replia son journal pour s'adosser plus confortablement sur sa chaise : - Tu devrais pourtant t'en soucier, des Nphilim. Tu vas nous avoir comme camarades de classe. Elle fit un geste ample en direction de la terrasse : - Regarde un peu ces jolis et privilgis minois de Shoreline. La moiti de ces crtins, tu ne les reverras jamais, sauf en tant qu'objets de nos plaisanteries. - Comment a, nos plaisanteries? - Tu intgres le programme d'honneur, avec les Nphilim. Mais ne t'en fais pas, au cas o tu ne serais pas trs fute. (Luce grommela.) Ici, quand on dit dou, c'est surtout une faon de masquer les Nphs sans veiller les soupons. En fait, la seule personne qui ait jamais eu des soupons est Beaker Brady. - Qui c'est? Senquit Luce en se penchant pour ne pas avoir hausser le ton cause du bruit des vagues. - Tu vois le premier de la classe, deux tables de la ntre, l-bas? dit Shelby en dsignant un garon grassouillet habill d'une chemise en tissu cossais, qui venait de renverser du yaourt sur son cahier. Ses parents ne supportent pas qu'il n'ait jamais t accept dans une classe d'honneur. Chaque semestre, ils se mettent en campagne. Beaker apporte des rsultats de tests de QI, des rapports scientifiques, des recommandations, etc. Et, chaque semestre, Francesca doit laborer un test impossible pour le maintenir hors du programme. Du style: il a trente secondes pour terminer un Rubik's Cube. (Shelby mit un grommellement De ddain.) Sauf qu'il a russi, ce tar. - Mais si c'est une couverture, fit Luce, non sans compassion pour le garon, qu'est-ce qu'elle cache? - Des gens comme moi. Je suis une Nphilim. N--P-H-I-L-I-M.-

Ce terme dsigne tout ce qui a de l'ange dans son ADN : mortels, immortels, transternels... On ne fait pas de discrimination, dans la mesure du possible. - Le singulier devrait tre nphil, non ? - Srieux? Railla Shelby en fronant les sourcils. Tu aimerai bien qu'on te traite de Nphil? La honte! Non, merci. Cest Nphilim, quel que soit le nombre. Shelby tait bien une sorte d'ange. C'tait bizarre. Elle navait pas le comportement ni le physique de l'emploi, Elle ne possdait pas la beaut de Daniel, Cam ou Francesca, ni le magntisme de Roland ou d'Arriane. Elle semblait au contraire assez brute et imprvisible. - On est donc dans une sorte de lyce pour anges, rsuma Luce. Et aprs? Il y a des universits angliques? - Tout dpend de ce dont le monde a besoin. Beaucoup de jeunes prennent une anne sabbatique et intgrent ensuite l'arme nphilim. On voyage, on flirte avec les trangers, etc. Mais a, c'est en temps de paix relative. En ce moment... - Quoi, en ce moment? - Rien..., fit. Shelby qui semblait regretter ses paroles. Tout est fonction de qui tu es. Ici, les gens ont tous des POUvoirs des degrs variables, selon leur arbre gnalogique Mais dans ton cas... - Je suis l uniquement cause de Daniel, dit Luce. Shelby jeta sa serviette en papier sur son assiette vide et se leva : - Vraiment trs impressionnant, comme carte de visite. La fille dont le petit ami haut plac tire bien des ficelles... C'tait donc l'image qu'on avait d'elle, Shoreline? tait-ce au moins... la vrit? Shelby chipa la dernire bouche de quiche de Luce : - Si tu veux un club des fans de Lucinda Price, tu l'auras srement. Mais a ne m'intresse pas, d'accord? - Qu'est-ce que tu racontes? s'exclama Luce en se disant qu'elles taient encore parties sur de mauvaises bases. Je ne veux pas d'un club de... - Tu vois, je te l'avais bien dit, nona une voix aigu mais mlodieuse. - Tout sourire, la fille au foulard vert s'tait approche. Elle en poussait une autre vers Luce. Celle-ci regarda au loin, mais Shelby avait dj disparu, ce qui valait sans doute mieux. La fille au foulard vert ressemblait un peu Salma Hayek, en plus jeune, avec des lvres pulpeuses et une poitrine encore plus gnreuse.

Entre ses petites dents blanches, elle tenait deux pingles cheveux pailletes et enroulait quelques mches brunes en macarons. L'autre avait le teint ple, des yeux noisette, des cheveux noirs coups court, et ressemblait un peu Luce. - Attends, tu es vraiment Lucinda Price ? demanda-t-elle. - La Luce de Luce et Daniel ? Celle qui dbarque d'un lyce atroce de l'Alabama... - De Gorgie, rectifia Luce. - C'est pareil. C'est pas vrai ! Et Cam, il tait comment? Je lai crois, une fois, un concert de death mtal... Naturellement, je n'ai pas os l'aborder. De toute faon, Cam ne doit pas t'intresser... Par rapport Daniel! (Elle mit UN rire strident.) Au fait, je m'appelle Dawn, et elle, c'est Jasmine. - Salut, dit Luce, tonne. Euh... - Ne fais pas attention elle, elle vient d'avaler plus d'une dizaine de cafs.

Jasmine parlait trois fois plus lentement que Dawn. EIle voulait dire qu'on est trs contentes de te rencontrer, reprit-elle. On a toujours pens que Daniel et toi, vous aviez... la plus belle histoire d'amour de tous les temps. - Srieux? Stonna Luce en faisant craquer nerveusement les jointures de ses doigts. - Tu rigoles? fit Dawn, alors que Luce se posait la mme question sur elles. Avec toutes ces morts successives! Est-ce que tu le veux de plus en plus, cause de a? Je ne parie que oui ! Tu dois te consumer pour lui, non? - Luce ferma les yeux et posa une main sur son ventre, puis elle le glissa vers son cur et crispa le poing: - Quand j'lis petite, ma mre me racontait dj votre histoire. Abasourdie, les joues empourpres, Luce scrutait la terrasse en se demandant si les autres les entendaient. Une cloche sonna sur le toit du rfectoire, signalant la fin du petit-djeuner. Luce fut soulage de voir que tout le monde se mettait en route pour les cours. -Ta mre te racontait notre histoire? demanda-t-elle. Celle de... Daniel et moi? -Seulement les meilleurs passages, rpondit Dawn, les yeux carquills. a fait comme une bouffe de chaleur la mnopause, non? Enfin, tu ne peux pas le savoir...

Jasmine donna une tape sur le bras de Dawn : - Tu viens de comparer la passion dbride de Luce une bouffe de chaleur ! - Dsole, gloussa Dawn. Je suis fascine, c'est tout. C'est tellement romantique, c'est si gnial ! Je t'envie, mais sans jalousie. - Tu m'envies de mourir chaque fois que j'essaie de vivre avec celui que j'aime? fit Luce en se repliant un peu sur elle-mme. Admets que c'est un peu bizarre. - Dis a la fille qui n'a embrass, ce jour, en tout et pour tout qu'Ira Frank, qui souffre de colopathie, railla Jasmine en dsignant Dawn. Voyant que Luce ne riait pas, elles gloussrent de plus belle, et crurent qu'elle faisait simplement preuve de modestie. C'tait la premire fois que Luce suscitait ce type de raction. - Qu'est-ce qu'elle te disait, au juste, ta mre? s'enquit la jeune fille. - Oh, les trucs habituels : la guerre a clat, a a commenc barder et, quand ils ont trac une ligne, dans les nuages, Daniel a jur que rien ne pourrait vous sparer. Tout le monde s'est nerv. C'est mon passage prfr. Maintenant, ton amour doit subir ce chtiment ternel. . Luce en demeura ptrifie. -Pas du tout! Sinsurgea Dawn en levant une main. Le truc, c'est justement qu'elle s'embrase quand elle... Face la mine horrifie de Luce, Dawn grimaa. - Dsole, tu n'aurais pas d entendre a, fit-elle. Jasmine s'claircit la voix: - Ma sur ane m'a racont une histoire de ton pass. Je t'assure qu'elle... - Ouah ! s'cria Dawn en prenant Luce par le bras, comme si le fait de savoir que Luce n'avait pas la possibilit de consommer son amour faisait d'elle une amie plus frquentable. Luce devenait folle. Tout cela tait d'un gnant! Mais elle se sentait un peu exalte, aussi, elle devait l'admettre. Qu'y avait-il de vrai, dans tout a? Une chose tait sre: Elle jouissait d'une certaine aura. Mais c'tait une sensation trange. Elle avait l'impression d'tre une bimbo anonyme photographie par un paparazzi ct d'une clbrit en vue. -H, les filles! s'exclama Jasmine en dsignant l'horloge de son portable. On est super en retard ! Il faut vite aller en cours ! Luce fit la moue et saisit son sac dos. Elle ignorait par quoi

commenait la journe et o se trouvait la salle. Comment interprter l'enthousiasme de Dawn et Jasmine? Elle n'avait pas crois de sourires si radieux depuis... une ternit. - Je ne sais mme pas o j'ai cours, soupira Luce. Je n'ai pas d'emploi du temps, je crois. - Pas de problme, suis-nous, rpondit Dawn. On est ensemble partout. C'est gnial.

Les deux filles escortrent Luce entre les tables et les lves qui terminaient leur petit-djeuner. Elles avaient beau tre super en retard, Jasmine et Dawn prirent tout leur temps pour traverser la pelouse. Luce eut envie de leur demander quel tait le problme de Shelby, mais elle ne voulait pas leur donner l'impression d'tre une commre. Ces filles semblaient sympas, mais avait-elle vraiment besoin de se trouver des amies? Elle devait garder en tte l'ide que sa prsence dans ce cadre idyllique tait temporaire. Les trois jeunes filles longrent les hortensias qui entouraient le rfectoire. Tandis que Dawn babillait, Luce tait fascine par le bord de la falaise qui tombait pic dans l'ocan scintillant. Les vagues venaient mourir sur une petite plage dore avec la mme nonchalance que les lves de Shoreline qui se rendaient en cours. - C'est l, annona Jasmine. Une maison en bois se dressait au bout de l'alle, au milieu d'un bois de squoias. Son toit pentu et la pelouse qui s'tendait devant taient tapisss d'aiguilles. Il y avait quelques tables de pique-nique; quant au btiment lui- mme, c'tait une vritable attraction: il tait en grande partie constitu de verre, avec des baies vitres teintes et coulissantes. On aurait dit un ouvrage de Frank Lloyd Wright. Plusieurs lves taient installs sur le balcon, ltage face l'ocan. D'autres gravissaient les marches des deux escaliers en colimaon, depuis l'alle. - Bienvenue au Nphi-lodge, annona Jasmine. Cest l que sont les salles de classe? Stonna Luce, bouche be. Les lieux rappelaient davantage un centre de vacances quun balment scolaire.

A ct d'elle, Dawn se mit soudain pousser des cris aigus en serrant le poignet de Luce. - Bonjour, Steven ! lana-t-elle en saluant de la main un homme plus g, au pied des marches. Il avait le visage mince, des lunettes rectangulaires assez tendance et une paisse tignasse poivre et sel. - Jadore quand il porte son costume trois pices, murmura Dawn. - Bonjour, les filles, rpondit l'intress en souriant. Il observa Luce, sans cesser de sourire, juste assez longtemps pour la dstabiliser. - A tout l'heure, ajouta-t-il avant de monter. - Sieven Filmore, souffla Jasmine tandis qu'elles lui emboitaient le pas. Alias S. F. ou Silver Fox, le Renard argent. C'est l'un de nos profs. Dawn est raide dingue de lui Pourtant, il est pris. Elle n'a vraiment honte de rien. - Mais j'adore galement Francesca, protesta Dawn avant de se tourner vers Luce, les yeux ptillants. Je parie que tu vas craquer pour eux, toi aussi. - Attends, fit Luce en s'arrtant. Silver Fox et Francesca sont nos profs? Et vous les appelez par leurs prnoms? Et ils sont ensemble? Ils sont profs de quoi? - Les cours du matin sont consacrs aux humanits, comme on dit: philo, littrature..., expliqua Jasmine, On devrait plutt dire aux anglits. Frankie et Steven enseignent conjointement, le yin et le yang, en quelque sorte. Pour qu'aucun lve ne soit... influenc. Luce se mordilla la lvre. Au sommet des marches, elle se retrouva sur le balcon, au milieu d'une foule d'lves, qui commenaient entrer par les portes coulissantes. - Comment a, influenc ? - Ce sont tous les deux des anges dchus, bien sr, mais ils n'ont pas choisi le mme camp. Elle est un ange, et il est plus un dmon. Dawn s'exprimait avec une certaine dsinvolture, comme si elle voquait diffrents parfums de yaourt. Face l'air II abasourdi de Luce, elle ajouta: - Donc, ils ne peuvent pas se marier, et tout a - d'ailleurs, a doit srement tre un couple trs chaud. Ils... vivent dans le pch, en quelque sorte.

C'est un dmon qui nous enseigne la philo et l'histoire? demanda Luce. a ne pose aucun problme? Dawn et Jasmine changrent un clin d'il et s'esclaffrent. -Au contraire, rpondit Dawn. Tu finiras par apprcier Steven, tu verras. Allez, on y va. Luce suivit le flot des lves dans la salle, qui tait vaste et sur trois niveaux, avec des pupitres, descendant vers deux longues tables. La lumire entrait par les baies vitres. Cet clairage naturel et le haut plafond agrandissaient la salle. La brise de l'ocan s'engouffrait par les portes ouvertes, maintenant une fracheur agrable. C'tait si diffrent de Sword & Cross... Luce se dit qu'elle pourrait presque aimer Shoreline, si elle oubliait la raison de sa prsence: l'absence de la personne qui comptait le plus dans sa vie. Daniel. Pensait-il elle? Lui manquait-elle aussi cruellement qu'il lui manquait?-

Luce choisit un pupitre proche d'une fentre, entre Jasmine et un garon plutt mignon vtu d'un jean coup, une casquette et d'un sweat-shirt bleu marine. Quelques filles s'attardrent devant la porte des toilettes. L'une delle avait les cheveux boucls et des lunettes violettes bizarre. En dcouvrant son profil, Luce faillit bondir de son sige. Penn. Mais, quand la fille se tourna vers elle, Luce dcouvrit quelle avait un visage plus carr. Son nez tait plus fort, aussi. Luce eut l'impression que son cur allait s'arrter de battre. Bien sr que ce n'tait pas Penn ! Il n'y aurait plus jamais de Penn... Luce sentait les regards des autres rivs sur elle. Certains la fixaient sans vergogne. Seule Shelby ne l'observait pas. Elle se contenta de lui adresser un signe de tte. Il n'y avait qu'une vingtaine de pupitres, face aux deux tables en acajou, encadres de deux tableaux blancs et deux tagres, ainsi que deux corbeilles papier, deux lampes de bureau, deux ordinateurs portables - un sur chaque table. Et les deux profs, Steven et Francesca, l'avant de la salle, en train de murmurer. Soudain, ils se retournrent et fixrent Luce, avant de se diriger vers les tables. Francesca s'assit sur l'une d'elles, frlant le plancher de ses talons hauts. Steven s'appuya contre l'autre. Il ouvrit une lourde serviette en cuir bordeaux, son stylo entre les lvres. Pour un homme mr, il tait sduisant, et Luce aurait presque prfr qu'il ne le soit pas. Il lui rappelait Cam et combien les dmons pouvaient tromper leur monde grce leur charme.

Elle attendit que les autres sortent un manuel qu'elle ne possdait pas. Puis ils se plongeraient sans doute dans un devoir, de sorte qu'elle pourrait rvasser de Daniel loisir. Or cela ne se passa pas ainsi. La plupart des lves lui dcochaient des regards la drobe. - Vous avez sans doute tous remarqu que nous accueillons une nouvelle lve, dclara Francesca d'une voix basse et suave de chanteuse de jazz. Steven sourit, rvlant des dents d'une blancheur tincelante : - Alors, Luce, Shoreline te plat, jusqu' prsent? Luce plit en entendant les siges des autres racler le sol. Ils se tournaient carrment pour mieux la voir ! Son cur battait tout rompre et elle avait les mains moites. Elle se tassa sur sa chaise, regrettant de ne pas tre une lve comme les autres, dans une cole normale, chez elle, Thunderbolt, en Gorgie. Plusieurs fois, au cours des derniers jours, elle s'tait dit qu'elle aurait prfr ne jamais avoir aperu une ombre, ne jamais s'tre retrouve dans cette situation qui avait cot la vie des amis chers, qui l'avait compromise avec Cam et lui interdisait d'tre auprs de Daniel. Mais son esprit tourment et anxieux buttait toujours sur une question: comment tre normale et frquenter Daniel, puisqu'il tait loin de l'tre, lui? C'tait impossible. Alors elle tait condamne tout encaisser. - Je commence tout juste m'habituer, je crois, rpondit-elle d'une voix tremblante qui trahit sa nervosit en rsonnant sur le plafond en pente. Mais cela me parat trs bien. Steven clata de rire : - Eh bien, Francesca et moi, nous nous sommes dit que, pour t'aider t'intgrer, nous allions renoncer aux exposs du mardi matin... - Yes ! s'exclama Shelby, l'autre extrmit de la salle. Elle avait un tas de fiches pos devant elle et une affiche Portant l'inscription : Les apparitions, ce n'est pas si mal. Luce venait de lui pargner un expos et marquait sans doute quelques points ses yeux. - Ce que Steven veut dire, intervint Francesca, c'est que tu vas participer un jeu, histoire de faire plus ample connaissance avec les autres lves. Elle descendit de son perchoir et fit claquer ses talons sur le parquet en distribuant une feuille de papier chacun. Luce s'attendait un concert de protestations, mais la classe avait l'air dispose jouer le jeu.

En posant une feuille sur le pupitre de Luce, Francesca dclara : Ce formulaire te donnera une ide de certains de tes camarades et de nos objectifs, dans ce cours. Luce observa le document, sur lequel taient traces vingt cases contenant chacune une phrase. Elle avait dj jou ce jeu lors d'un camp de vacances, dans l'ouest de la Gorgie, quand elle tait petite. Et plusieurs fois Dover, galement. Le but tait de faire le tour de la salle et d'attribuer une affirmation chaque lve. Elle fut soulage. Il existait des moyens bien plus gnants de faire connaissance. Elle s'attendait des informations du style A une tortue apprivoise ou Rve de faire de la plonge , mais, en regardant les expressions de plus prs, elle dcouvrit, non sans tonnement: Parle plus de dix-huit langues ou A visit l'univers... Il devenait douloureusement vident que Luce tait la seule ici ne pas tre une Nphilim. Elle pensa au serveur si nerveux qui leur avait servi le petit-djeuner. Luce serait peut-tre plus l'aise parmi les boursiers. Beaker Brady ne savait mme pas quoi il avait chapp. - Si personne n'a de questions, dit Steven, l'avant de la salle, on peut commencer. - Sortez et amusez-vous, ajouta Francesca. Prenez tout votre temps. Luce suivit les autres sur le balcon. En s'approchant de la rambarde, Jasmine se pencha sur son paule et, dsignant l'une des cases de son ongle verni en vert, dclara: - Il y a dans ma famille un chrubin de sang pur. Ce vieux fou d'oncle Carlos. Luce hocha la tte, comme si elle comprenait ce qu'elle racontait, et inscrivit son prnom dans la case. - Et moi, j'ai le pouvoir de lvitation, babilla Dawn en lui montrant le haut de la feuille. Pas toujours, mais quand jai bu mon caf, en gnral. - Ouah, fit Luce en s'efforant de ne pas sembler abasourdie. Dawn avait eu l'air de parler srieusement. Elle avait le don de lvitation? Se sentant de plus en plus dplace, Luce chercha sur la page quelque chose qu'elle connaisse, ne serait-ce que vaguement. A convoqu les Annonciateurs, lut-elle. Les ombres. Daniel lui avait indiqu leur vritable nom, lors de sa dernire nuit Sword & Cross. Luce ne les avait jamais vraiment convoques. Elles s'taient prsentes delles-mmes.

Toutefois, Luce avait vcu cette exprience. - Vous pouvez m'inscrire ici, dit-elle en tapotant le coin gauche, en bas de la page. Jasmine et Dawn levrent les yeux vers elle, impressionnes mais pas incrdules, puis elles remplirent le reste du formulaire. Le cur de Luce se calma un peu. Ce ne serait pass si terrible, finalement. Au cours des minutes qui suivirent, elle rencontra une rouquine trs sage, Lilith, une des rares Nphilim triples ( On nous distingue grce nos restes de queue, expliqua-t-elle. La mienne est en tire-bouchon.), Oliver, un garon trapu la voix grave qui avait visit l'univers lors de ses vacances d't, l'anne prcdente (C'est surfait, tu n'imagines mme pas ! ), et Jack, qui se croyait apte lire les penses et jugeait que Luce pouvait l'inscrire dans cette case-l (Je sens que tu n'y vois pas d'inconvnient. Je me trompe?). Il fit un pistolet l'aide de ses doigts et tira la langue. Il restait encore Luce trois cases complter quand Shelby lui prit sa feuille. - Je fais ces deux trucs-l, Parle plus de dix-huit langues et A vu une vie passe, dclara-t-elle. Tu me prfres dans laquelle ? - Quoi? murmura Luce. Tu... tu peux voir les vies passes? Shelby frona les sourcils, signa dans une case et ajouta son nom dans la partie Parle dix-huit langues, pour faire bonne mesure. Luce regarda fixement sa page, songeant toutes ses propres vies passes. Elles lui taient inaccessibles, et c'tait particulirement frustrant. Elle avait sous-estim Shelby. Mais sa camarade de chambre avait dj disparu. sa place se tenait le garon qui tait assis ct d'elle, en classe. Il la dpassait de quinze bons centimtres et affichait un sourire amical, lumineux. Il avait le nez parsem de taches de rousseur et les yeux d'un bleu intense. Tout en lui, mme sa faon de mchonner son stylo, semblait... robuste ! Luce se rendit compte que c'tait un terme trange pour dcrire quelqu'un qu'elle n'avait jamais rencontr, mais elle n'y pouvait rien. - Dieu merci, dit-il en riant et en se frappant le front, la seule chose que je sache faire est celle qui te reste. - Tu peux reflter une image en miroir de toi-mme et des autres? lut Luce. Il acquiesa et nota son nom dans la case. Miles Fisher.

C'est trs impressionnant pour quelqu'un comme toi, sans doute. - Euh... Ouais, balbutia Luce avant de se dtourner. Quelqu'un comme elle, qui ne savait mme pas ce que cela signifiait! - H, ne te vexe pas ! lana-t-il en la retenant par une MANCHe. Tu n'as pas saisi que c'tait de l'autodrision? En la voyant secouer la tte, il devint grave : - Je voulais juste dire que, en comparaison avec les autres lves de la classe, je fais peine le poids. La seule personne que j'aie russi reflter, part moi-mme, c'est ma mre. Mon pre a eu la trouille de sa vie, mais a n'a pas dur longtemps. - Attends, rpta Luce, abasourdie. Tu as reflt l'image de ta mre? - Par hasard. Il parat que c'est facile faire avec les gens qu'on aime. Ses pommettes s'empourprrent lgrement. - Tu vas me prendre pour un petit garon sa maman, sans doute. Je parlais simplement des limites de mon pouvoir. Toi, en revanche, tu es la clbre Lucinda Price, ajouta-t-il avec emphase. - J'aimerais bien qu'on arrte de me dire a, rtorqua Luce. Se sentant impolie, elle soupira et s'appuya la rambarde pour contempler l'ocan. Elle avait du mal accepter le fait que tous les autres lves semblaient en savoir davantage sur elle qu'ellemme. Elle ne voulait pas s'en prendre ce garon. - Excuse-moi, dit-elle. Je pensais tre la seule tre largue. Quelle est ton histoire? - Oh, je suis ce qu'ils appellent un dilu, rpondit-il en mimant des guillemets. Ma mre a du sang anglique quelques gnrations en arrire, mais les autres membres de ma famille sont mortels. Mes pouvoirs sont tellement faibles que j'en ai honte. Mais je suis ici parce que mes parents ont financ... le balcon sur lequel tu te trouves. - Ouah ! - Cela n'a rien d'impressionnant, en fait. Ma prsence Shoreline est devenue une obsession, chez eux. Si tu savais la pression qu'ils me mettent, la maison, pour que je sorte avec une gentille Nphilim, pour changer. Luce rit de bon cur pour la premire fois depuis des jours. Miles leva les yeux au ciel d'un air enjou :

t'ai vue djeuner avec Shelby, ce matin. Vous tes dans la mme chambre ? Luce opina de la tte. - Tu parlais d'une gentille Nphilim..., railla-t-elle. - Eh bien, je sais qu'elle est un peu... Miles siffla et fit mine de sortir ses griffes, ce qui rendit Luce plus hilare encore. - Enfin, je ne suis pas la vedette, ici, mais je suis l depuis un moment, et je continue de penser que c'est un endroit compltement dingue. Si un jour tu as envie de prendre un petit-djeuner normal, par exemple... Luce hocha la tte. - Bien sr, pourquoi pas ? Demain, peut-tre? poursuivit Miles. - Super. Miles lui sourit et s'loigna avec un salut de la main, Luce constata que les autres avaient dj regagn la salle. Elle observa sa feuille de papier, ne sachant que penser des lves de Shoreline. Daniel lui manquait. Il aurait pu LAIDer dcoder ces informations, si seulement il n'tait pas O se trouvait-il, d'ailleurs? Elle n'en savait rien, hlas. Il tait trop loin. EIle posa un doigt sur ses lvres, se rappelant son dernier baiser, le contact merveilleux de ses ailes. Sans lui, elle se sentait dmunie sous le soleil de Californie. Elle avait intgr cette classe d'anges avec une rputation nouvelle cause de lui. C'tait bizarre, mais c'tait bon d'tre si inextricablement lie Daniel. Jusqu' ce qu'il vienne la chercher, elle ne pouvait se raccrocher rien d'autre.

- Je

SEIZE JOURS

- Allez, vas-y, qu'est-ce que tu trouves le plus bizarre, Shoreline? C'tait mercredi matin, avant les cours. Attable au soleil, sur la terrasse, Luce buvait du th avec Miles. Il portait un T-shirt vintage jaune orn d'un logo Sunkist, une casquette de baseball, juste au-dessus de ses yeux bleus, des tongs et un jean us. Inspire par les tenues dcontractes des s lves de Shoreline, Luce avait troqu ses habituels vtements noirs pour une robe d't rouge avec un petit gilet court. Elle avait l'impression que c'tait sa premire journe de soleil aprs des mois de mauvais temps. Elle versa une cuillere de sucre dans sa tasse en riant : - Je ne sais mme pas par o commencer. Par ma camarade de chambre, peut-tre. Je crois qu'elle est rentre en douce juste avant l'aube, ce matin, et qu'elle est ressortie avant mon rveil. Je pourrais aussi te raconter que j'ai suivi un cours donn par un couple compos d'un dmon et d'un ange. Ou alors... - elle dglutit, la gorge noue - que les autres me regardent comme une bte curieuse. Anonyme, encore, a irait, mais clbre... - Dtrompe-toi, tu n'es pas clbre, rpliqua Miles en mordant dans son croissant. Bon, prenons les choses dans l'ordre... Il s'essuya le coin des lvres avec sa serviette. Luce tait la fois amuse et impressionne par les bonnes manires qu'il avait parfois, table. Elle l'imaginait trs bien prenant des cours de maintien dans un club de golf, quand il tait petit. - Shelby est assez rude, au premier abord, dclara Miles, mais

elle peut aussi tre cool, quand elle le veut. Enfin, je n'en ai jamais t tmoin. (Il pouffa.) Enfin, c'est ce qu'on dit. Et le couple Frankie-Steven m'a fait flipper moi aussi, au dpart, mais, bizarrement, a fonctionne bien. C'est un peu un exercice d'quilibre cleste. La combinaison des deux permet aux lves d'voluer dans une plus grande libert. voluer. Daniel avait employ le mme terme, en lui apprenant qu'elle allait intgrer Shoreline. Mais voluer vers quoi? C'tait sans doute bon pour les Nphilim, mais pas pour elle, la seule vritable humaine parmi des presque anges qui attendait que son ange elle revienne la chercher pour la sauver. - Luce, dit Miles, en interrompant sa rverie, si les autres te dvisagent avec curiosit, c'est parce qu'ils sont au courant, pour Daniel et toi. Mais personne ne connat la vritable histoire. - Alors, au lieu de me demander simplement... - Quoi? Si vous le faites vraiment, tous les deux, dans les nuages? Ou bien si sa... gloire impressionnante dpasse parois ton ct mortel... Face l'air horrifi de la jeune fille, il s'arrta et dglutit: - Dsol, tu as raison, ils ont invent toute une histoire partir d'un mythe. Enfin, les autres, je veux dire. Moi, jessaie de ne pas... mettre d'hypothses. Miles posa sa tasse et fixa sa serviette en papier. - C'est peut-tre trop personnel pour qu'on en parle, ADMIT-il. Miles riva les yeux sur elle, mais Luce n'en fut pas gne. Ses prunelles d'un bleu limpide et son sourire un tordu taient comme une porte ouverte, une invitation sexprimer sur des choses qu'elle n'avait pas encore pu raconter. C'tait difficile admettre, mais Luce comprenait pourquoi Daniel et M. Cole lui avaient interdit de contacter Callie ou ses parents quand ils avaient dcid de l'inscrire Shoreline. Ils pensaient qu'elle y serait bien. Alors elle ne voyait aucune raison de cacher