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DÉCENTRALISATION ET FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE Groupe de travail d'Épargne Sans Frontière Épargne sans frontière | « Techniques Financières et Développement » 2013/3 n° 112 | pages 19 à 60 ISSN 1250-4165 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-techniques-financieres-et- developpement-2013-3-page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Groupe de travail d'Épargne Sans Frontière, « Décentralisation et financement des collectivités territoriales en Afrique subsaharienne », Techniques Financières et Développement 2013/3 (n° 112), p. 19-60. DOI 10.3917/tfd.112.0019 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Épargne sans frontière. © Épargne sans frontière. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.248.214.214 - 21/02/2018 12h52. © Épargne sans frontière Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.248.214.214 - 21/02/2018 12h52. © Épargne sans frontière

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DÉCENTRALISATION ET FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉSTERRITORIALES EN AFRIQUE SUBSAHARIENNEGroupe de travail d'Épargne Sans Frontière

Épargne sans frontière | « Techniques Financières et Développement »

2013/3 n° 112 | pages 19 à 60 ISSN 1250-4165

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-techniques-financieres-et-developpement-2013-3-page-19.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Groupe de travail d'Épargne Sans Frontière, « Décentralisation et financement descollectivités territoriales en Afrique subsaharienne », Techniques Financières etDéveloppement 2013/3 (n° 112), p. 19-60.DOI 10.3917/tfd.112.0019--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Épargne sans frontière.© Épargne sans frontière. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

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Rapport du Groupe de travail d’Epargne Sans Frontière

Entre 2011 et 2013, Epargne Sans Frontière (ESF) a poursuivi la réflexion sur le thème « Décentralisation et financement des collectivités territoriales en Afrique subsaharienne », dans la suite du travail préliminaire que l’asso-ciation avait engagé en 2010 par le biais d’un Groupe de travail et dont les résultats avaient été publiés dans le n°100 de septembre 2010 de Techniques Financières et Développement (TFD)1. Ce document présente, dans une pre-mière partie, une synthèse générale des résultats des travaux du Groupe d’ESF ainsi que des débats concernant la crise malienne et reprend, dans une seconde partie, les interventions effectuées lors de chacune des séances de travail et les éléments de débats auxquels elles ont pu donner lieu2.

1 - synthèse généraleLe dénominateur commun aux interventions et aux discussions du Groupe de travail « Décentralisation et financement des collectivités territoriales en Afrique subsaharienne » était la question des pouvoirs communaux et des espaces publics capables d’initier une solidarité citoyenne et une légitimité opérationnelle dans la délivrance de biens et de services publics locaux. Ces espaces publics ne peuvent s’instituer qu’à condition de disposer d’un minimum de ressources financières leur

1 « Décentralisation et financement des collectivités locales en Afrique subsaharienne (le cas de l’Afrique de l’Ouest) », TFD, n°100, septembre 2010, pp.145-170.

2 Ce Groupe de travail d’ESF a été animé par Philippe Coquart et Saïd Bourjij.

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permettant d’être autonomes et d’asseoir leur légitimité sur des prises de décision et sur un fonctionnement mettant en jeu des choix qui sont de nature politique sur les équipements à réaliser et sur les modalités de leur gestion.

En Afrique, cette solidarité démocratique communale n’est pas une première même si, formellement, elle est initiée par l’Etat qui peut la soutenir financière-ment. Elle se conjugue aux espaces publics et à des formes de solidarité de type familial, villageois, associatif ou instituées par les projets de développement. La dimension publique des biens et des services mis en œuvre s’insère dans d’autres espaces sociaux qui ont leur propre configuration de délivrance de services col-lectifs d’eau et d’assainissement, d’éducation, de santé, etc., que l’espace public communal (les deux configurations se recouvrent car l’accès aux services col-lectifs n’est pas limité aux groupes sociaux qui en sont les propriétaires ou les initiateurs). Ceci a été bien investigué en milieu rural, mais l’a peut-être moins été dans les villes. Cette première partie du rapport expose le résumé des présentations dans l’ordre calendaire où elles sont intervenues, avant que la seconde partie n’en fasse une retranscription complète assortie des débats auxquels elles ont donné lieu.

1.1 - Distinguer les domaines du politique et de l’économique : les modalités de leur prise en compte respective (Michèle Leclerc-olive, CoREns)Dans son intervention, Michèle Leclerc-Olive a proposé de redonner au politique un rang de même ordre que celui généralement accordé au développement écono-mique dans la gestion des programmes de financement communaux. L’économique est généralement le seul élément dont relèvent les interventions des bailleurs de fonds parce que l’aide prétend n’avoir à se préoccuper que d’efficacité économique et que la démocratie est conçue comme un sous produit du développement, le rap-port inverse n’étant pas pris en compte.

« Le politique » apparaît, pour l’intervenante, comme la prise en main de leurs affaires par les habitants ; la capacité à élaborer une vision, à produire des déci-sions avec la population, à prendre des initiatives et à représenter les populations dans des instances où leur parole doit être entendue ; l’attention apportée aux conflits, aux tensions, au partage entre le juste et l’injuste ; la discussion sur ce que l’on peut faire ou ne pas faire techniquement et sur ce qui est légitime ou ne l’est pas (comme accueillir ou non des travailleurs étrangers) ; ou encore la possibilité donnée aux citoyens de faire des expériences émancipatrices. Cette réintroduction de l’initiative politique dans la conception des opérations d’appui à la décentralisation oblige à revoir le changement tel qu’on le poursuit. En effet, la situation d’aujourd’hui, à laquelle on se réfère pour élaborer les programmes d’intervention, ne permet pas de dire qu’un changement est possible car il fau-drait imaginer ce qui se passerait en tenant compte du changement. Dès lors, se contenter des données antérieures au changement possible et les extrapoler comme si le changement n’introduisait aucun comportement nouveau, équivaut en fait à refuser le changement.

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La réintroduction du politique au premier rang de la stratégie des collectivités ter-ritoriales passe par l’autonomisation de leur financement budgétaire par des res-sources propres suffisantes et des emprunts décidés de manière souveraine. La souscription d’emprunts à long terme a un effet politique dans la mesure où elle augmente la capacité de maîtrise d’ouvrage et où elle instaure du lien politique par le renforcement de la citoyenneté chez les habitants qui ont tendance à s’inscrire plutôt dans une logique de recours à l’aide.Le politique ne se limite pas à donner à chaque partie prenante l’occasion de faire valoir ses intérêts (ses préférences) dans la recherche d’un consensus propre à chaque secteur d’intervention, consensus d’ordre socio-technique qui ne pourrait être inter-rogé. De plus, le politique ne doit plus être considéré comme un obstacle à l’efficacité. Le bien-être collectif n’est en effet pas l’addition des préférences individuelles et ne peut résulter politiquement de cette sommation. Le politique procède de l’éla-boration d’une vision, de la production des décisions avec la population en prêtant attention aux conflits ou aux tensions et en débattant publiquement du partage entre le juste et l’injuste, entre l’opportun et l’inopportun. En outre, les actions proprement politiques des collectivités territoriales doivent pouvoir faire l’objet d’un financement spécifique. Partir de l’idée que le développement joue contre le politique et trouver les moda-lités de les articuler plutôt que de mettre ce dernier hors champ est un chantier ouvert. En particulier, le changement social, que beaucoup de programmes d’aide se donnent comme objectif, peut être considéré justement comme articulant cor-rectement le politique et le développement. Cette approche a été fortement discutée, sous deux angles différents. D’une part, il a été contesté que l’aide au développement ait à s’intéresser à autre chose qu’au développement économique et social. Pour les tenants de cette thèse, l’efficacité des financements en termes de résultats, qui est au principe de l’aide, ne peut s’appliquer qu’à ce dernier et le politique relève strictement des pays bénéficiaires. D’autre part, a contrario, il a été affirmé que le politique n’était pas oublié dans les programmes d’intervention de l’aide, la participation de leurs bénéficiaires finaux à leur implantation territoriale étant souvent requise.

1.2 - Un dispositif de crédibilisation des collectivités décentralisées : les Fonds d’appui aux collectivités territoriales (Bernard husson, CIEDEL)Intervenant essentiellement en subventions, les Fonds d’investissement ont consti-tué à leur démarrage l’outil financier principal d’appui de l’aide internationale à la décentralisation dans les pays francophones. Lors de son exposé, Bernard Husson est revenu sur les statuts, les principes et les critères d’intervention en matière de droits de tirage des Fonds d’investissement qui ont été mis en place en faveur des collectivités territoriales, comme l’Agence nationale d’investissement des collecti-vités territoriales (ANICT) malienne pour l’autonomie et la prise de responsabilité des collectivités territoriales. Il s’est interrogé sur l’opportunité qu’ils présentaient pour appuyer l’intercommunalité.

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Ces Fonds constituent toujours à l’heure actuelle un mode de financement de réfé-rence pour des collectivités territoriales de petite taille3. Ils ont été conçus prin-cipalement pour crédibiliser les collectivités territoriales qui devenaient ainsi de véritables « interlocuteurs » pour l’octroi de financements pérennes. Ils présen-taient l’avantage de se situer hors du cadre « projet ». Ils intervenaient dans le cadre d’une grille de financement global en respectant les règles de la comptabilité publique. Ils étaient enfin fondés sur une idée – qui fut assez fortement contestée lors des séances de travail du Groupe d’ESF – consistant à chercher à séparer la décision politique, dont relèvent les choix d’opportunité et qui sont l’apanage des communes, de l’appui technique et du mode de financement.

1.3 - Les interventions de l’Agence Française de Développement en faveur des villes (Marie Bjornson-Langen, AFD)Pour l’AFD, les collectivités territoriales constituent un espace d’accompagnement financier tout à fait pertinent des stratégies et des politiques locales des pays en développement. Une division consacrée à leur financement en prêts directs non souverains pour les équipements et en subvention pour les appuis à la maîtrise d’ouvrage a été créée à cet effet. Si l’AFD a participé dans le temps aux Fonds d’in-vestissement décrits ci-dessus, elle finance maintenant principalement les grandes métropoles de sa zone d’intervention élargie aux pays émergents, même si elle a contribué dans les années 2000 à des financements visant les collectivités territo-riales plus modestes (Cap-Vert, Sénégal, etc.4). L’AFD se préoccupe à la fois de la solvabilité financière des communes qu’elle finance et de la pertinence technique des programmes, se situant ainsi dans une perspective différente de celle présidant à la conception d’origine des Fonds de développement. Son statut d’organisme bancaire l’amène à intervenir principalement sous forme de prêts, le rôle pédagogique de ces derniers lui semblant un bon moyen de responsa-biliser les collectivités. Les prêts les incitent à une bonne gestion en améliorant le niveau de leurs ressources. Mais l’Agence intervient également, comme déjà vu, en don pour apporter un appui à la bonne gestion qui garantit la pérennité de l’inves-tissement financé. Le débat qui a suivi a principalement porté sur trois questions : d’une part, l’appré-ciation revendiquée par l’AFD de la pertinence technique des dossiers de demande de financement ; d’autre part, le point de savoir si la solvabilité requise de la part des communes bénéficiaires ne revient pas à justifier son intervention en faveur de collectivités territoriales trop importantes pour se trouver en cessation de paie-ment ; et enfin, la difficulté, maintes fois évoquée dans ce dossier, du financement des collectivités territoriales de taille moyenne ou petite.Il faut signaler qu’au sein du Groupe de travail, il avait été imaginé que des ini-tiatives en faveur des collectivités territoriales urbaines de petite ou de moyenne dimension auraient pu être prises par l’AFD sous la forme d’études de faisabilité

3 Yatta (2009) et Paulais (2012) font une analyse relativement détaillée de leur fonctionnement. Le second auteur estime qu’ils constituent, sous une forme rénovée, la solution d’avenir.

4 Voir à ce propos les notes de lecture des ouvrages de Yatta (2009) et Paulais (2012) dans ce numéro de TFD.

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de Caisses de dépôt nationales (certains pays comme le Sénégal viennent de s’en doter), sur le modèle du Fonds d’équipement des communes marocain. Une autre idée avancée aurait été d’étudier le lancement d’émissions obligataires nationales ou régionales en faveur des collectivités locales pouvant être portées, sur l’Afrique de l’Ouest par exemple, par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) avec l’appui de l’Agence. Thierry Paulais (2012) fait du marché obligataire l’une des ressources privilégiées de la nouvelle génération de Fonds d’investissement qu’il préconise. Cette solution reste cependant problématique.

1.4 - L’exemple des stratégies municipales concertées pour l’eau et l’assainisse-ment (Christophe Le Jallé, ps-Eau ; Claude Baehrel, PDM)Il s’agit d’un travail réalisé en commun par le Programme Solidarité Eau (pS-Eau) et le Partenariat pour le développement municipal (PDM). La démarche est fondée à la fois sur une approche technique rationnalisée à partir d’objectifs de couver-ture des besoins répertoriés et sur une concertation aussi bien des pourvoyeurs existants ou potentiels de services que des usagers organisés ou non organisés. Il s’agit donc d’une approche sectorielle pouvant aller de pair, au plan communal, avec des démarches visant d’autres domaines. La méthode consiste, politiquement, à personnaliser le processus sur le maire tout en assurant son efficacité technique en recourant à un facilitateur technique. Ce dernier reste maître des propositions techniques pour l’élaboration de la stratégie de réalisation d’équipements, soumise à l’approbation des parties prenantes mais il lui est recommandé de s’adapter à la situation pré-existante. Les services techniques de la commune restent également au premier plan pour la mise en œuvre et pour le suivi de la réalisation dans la mesure où les changements de majorité électorale sont fréquents et sont considérés comme facteurs déstabilisants.C’est de la concertation que, d’abord, doit émerger une prise de conscience de la part du maire et des parties prenantes de la situation dans laquelle leur commune se trouve en matière de desserte de biens et de services publics. Ensuite, le consensus sera en mesure de s’établir. Lors de la discussion qui a suivi l’exposé, le cas de l’Ethiopie a été donné comme exemple d’une capacité de l’Etat de mobiliser la population et d’un fort engage-ment politique des maires en faveur des services publics avec toutefois un point d’interrogation sur la nature de cet encadrement politique qui relève plutôt d’un dispositif de contrôle. Il serait intéressant de savoir s’il y a eu un changement de perception du pouvoir communal et du politique après la mise en place de ces pro-grammes qui favorisent l’implication et l’échange entre les acteurs locaux : quelle vision du politique s’est construite à l’issue de ces initiatives ; comment la phase de suivi se déroule-t-elle ; comment la municipalité se l’approprie-t-elle ; quel rôle y joue-t-elle ; est-ce qu’on peut comparer les différentes manières dont les appropria-tions ou les institutionnalisations se sont effectuées ?L’approche sectorielle a également été discutée dans la mesure où elle risque d’em-pêcher de « communaliser » les options retenues pour le secteur concerné parce qu’elles seraient soumises à des arbitrages d’un niveau plus élevé. Par ailleurs, la

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recherche du consensus sur la stratégie à adopter avec l’ensemble des acteurs s’ap-puie sur des séances d’« explication » participatives qui ne s’intègrent pas nécessai-rement dans une démarche de nature politique.

1.5 - Comment la coopération décentralisée peut-elle renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités partenaires ? (Bruno de Reviers, F3E) En 2009, Cités Unies France (CUF), F3E et le Projet d’Accompagnement du pro-cessus de Décentralisation marocain (PAD-Maroc) ont effectué une capitalisation de cinq partenariats menés dans les années 2000 entre des collectivités territoriales françaises et africaines. Avec pour objet l’appui au renforcement des capacités de gouvernance locale des collectivités territoriales du Nord et du Sud, l’étude intitu-lée « Accompagner les collectivités territoriales du Sud dans la gouvernance de leur territoire – Comment la coopération décentralisée peut-elle renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités partenaires ? » présente l’intérêt de décom-poser la gouvernance des collectivités territoriales en quatre domaines (l’organi-sationnel, le politique, le technique, et le territorial), domaines qui recoupent les préoccupations du Groupe de travail d’ESF. Elle fournit des éléments de référence à la fois sur les pratiques en vigueur et sur les facteurs favorables au renforcement de la maîtrise d’ouvrage (CITES UNIES FRANCE, F3E, PAD-Maroc, 2009). Par rapport aux interventions des bailleurs de fonds classiques, la coopération décentralisée estime qu’elle peut mettre en œuvre des partenariats rapprochés d’élus politiques à élus politiques. L’inscription des interventions dans la durée, la signature de conventions et un dispositif permanent de concertation, qui sont facteurs de réussite, tiennent à sa proximité humaine et institutionnelle. Une grande attention est accordée à la rationalisation des modes de gestion tech-nique et financière ou des ressources humaines des structures communales autour du développement de la capacité à « prendre des décisions » efficaces. Dans ce type d’approche, le risque est de ne pas suffisamment vouloir partir des normes locales dont la rationalité peut ne pas recouper celle qui est préconisée. Le politique a trait bien évidemment à la dimension politique examinée dans l’étude, mais aussi aux dimensions organisationnelle et territoriale. La légitimité de la collectivité territoriale est donnée comme essentielle, son renforcement pouvant être induit par la relation de partenariat elle-même qui confère aux élus du Sud une position mieux assurée. La responsabilité des élus pour la collecte des impôts est soulignée. Mais la composante territoriale est également très politique car elle concerne les relations avec les acteurs ou avec la « société civile » et la mobilisation de ces dernières, avec la relative ambiguïté que comporte le terme de mobilisation. Ces relations ne sont cependant pas replacées dans le contexte des luttes politiques qui, à n’en pas douter, existent et probablement pèsent fortement sur l’ensemble du processus, même si elles recouvrent du clientélisme ou de la corruption. Certains partenariats ont opté pour l’octroi de financements, rejoignant en cela les initiatives de fonds décrits ci-dessus, mais il ne semble pas que ce soit un dispositif général. Ceux qui s’y refusent estiment que c’est un obstacle à la fiscalité locale.

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Un autre intérêt de l’étude est de s’intéresser à la formation des personnels et des élus, pour constater toutefois la difficulté et le nombre d’écueils à éviter pour la réussir. Cette capitalisation a été suivie du lancement d’un groupe de travail qui cherche à identifier les outils permettant, à la fois, de caractériser un contexte d’intervention ou la manière de procéder et d’identifier son articulation avec les autres acteurs au Nord ainsi que son évolution. Les axes de travail de ce groupe sont tout à fait inté-ressants et méritent d’être relevés. Ainsi, le renforcement de la maîtrise d’ouvrage est vu désormais plutôt comme un processus de changement multi-facteurs et multi-intervenants dans lesquel il s’agit de s’insérer et dont la coopération décentralisée n’est qu’un des éléments. L’idée d’une linéarité du processus est remise en question car il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. Celles-ci progressent par pallier et il peut y avoir des retours en arrière ; d’autres équipes municipales peuvent être élues.Dans cette logique du cheminement, la notion d’évaluation a posteriori essayant d’attribuer un impact est amenée à être remise en question : il s’agit désormais davantage de se situer dans un contexte, en essayant de percevoir ce qui se passe et comment cela se passe ainsi que de saisir la manière dont on y contribue. Il ne s’agit donc plus de mesurer le degré d’atteinte des résultats fixés préalablement, même si un cap est bien évidemment fixé.

1.6 - Co-production des services publics locaux de l’eau et fiscalités dans les localités du sénégal oriental (Clément Repussard, anthropologue)Une dernière intervention a ramené la focale sur la fiscalité, élément de légitimité des collectivités territoriales, en proposant une grille de compréhension des diffi-cultés de l’ensemble des collectivités territoriales africaines dans ce domaine et en réaffirmant le lien entre la fiscalité et la citoyenneté communale5. Les travaux sur la décentralisation soulignent la faiblesse des ressources fiscales des communes africaines. Ils recommandent d’y porter remède et font des com-paraisons avec les régimes de fiscalité européens, mais ils s’interrogent peu sur les raisons du refus de payer des impôts (Repussard). Il existe cependant des travaux d’anthropologie urbaine (comme Leclerc-Olive, 2004 ; Bouju, 2004) qui traitent de cette question de la fiscalité. K. Juul (2006) indique que dans le contexte rural sénégalais « Tax payment may serve to signal membership of a certain locality or a certain group […] just as non-compliance may justify exclusion not only from membership of social or spatial entities, but also from political representation ». C’est en même temps, dans le contexte de polycentricité des pou-voirs, un moyen pour les allochtones d’acquérir une légitimité locale. Ce modèle est-il transposable et jusqu’à quel point aux bourgs urbains et quels enseignements peut-on en tirer ? D’autres mécanismes de financement des services publics concurrencent la fis-calité. Ils correspondent à des citoyennetés propres aux structures familiales ou

5 Yatta (2009) et Paulais (2012) accordent également une large place à cette question (voir les notes de lecture de ces ouvrages dans ce numéro de TFD).

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villageoises qui se retrouvent dans les petites villes. Des caisses villageoises peuvent continuer d’assurer une gestion communautaire des services publics. De plus, le clientélisme, les cotisations aux associations, le mécénat, etc. peuvent rendre super-fétatoires aux yeux des populations le paiement d’impôts communaux. K. Juul suggère qu’en outre le multipartisme a pu délégitimer l’impôt, les gens ne sachant plus où va l’argent. Qu’en est-il, là encore, en milieu urbain ou semi-urbain ? T. Paulais (2012) estime que le blocage fiscal provient du monopole qu’exerce l’Etat en matière de « production foncière », ce qui conduit à préconiser de sortir des régimes « néo-coutumiers » qui concerneraient de 50 à 90 % de la population urbaine et d’accélérer le développement du marché du foncier. Comme beaucoup d’intervenants lors des séances de travail du groupe, F. Yatta (2009) souligne égale-ment la faiblesse des transferts de l’Etat. K. Juul (2006) ajoute : « the failure of African States to develop greater citizen rights and privileges, as well as democratic institutions enforcing accountability and greater transparency in expenditure, is found in the replacement of taxation with development aid ». Cette réticence à l’impôt local met-il en question l’insertion des collectivités terri-toriales dans l’espace politique et social de l’Afrique subsaharienne et pour quelles raisons ? Dominique Darbon, cité par Clément Repussard, estime que les socié-tés africaines sont projetées dans la bonne gouvernance. Elles se construisent par anticipation sur la réalisation des conditions sociales susceptibles de les produire (et non l’inverse, comme en Europe). Il y a projection sur ces sociétés de modèles d’organisation fabriqués par le Nord et mis en œuvre par des transferts institution-nels systématiques tenant très peu compte des pratiques sociales locales.En Afrique de l’Ouest, la présence d’une solidarité « mécanique » (en opposition à une société à solidarité « organique ») induit une décentralisation de la gestion des services publics qui, sans démocratie, peut aboutir à un renforcement des solidari-tés communautaires ou des pouvoirs traditionnels ou néo-traditionnels plutôt que l’inverse.

1.7 - Débats sur la crise malienne : quel rôle pour la coopération décentralisée ?La présence et le poids de la coopération décentralisée française sur la structura-tion du Mali ont été et demeurent importants puisque, même si le chiffre doit être pris avec précaution, près de 140 jumelages lieraient les collectivités territoriales des deux côtés. Toutes les grandes villes ainsi que toutes les régions du Mali ont eu et continuent vraisemblablement d’avoir une coopération avec des collectivités françaises. La crise au Mali amène à se poser la question du rôle joué par la décentralisation par rapport à l’éclatement politique de la société malienne ou, tout au moins, des raisons pour lesquelles elle n’a pas permis de l’éviter. Il sera important de voir dans quelle mesure les collectivités territoriales du Nord Mali ont pu contrecarrer une désagrégation encore plus complète. Par ailleurs, après le retour « à la normale » et comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire, le pouvoir d’Etat peut avoir la tentation de remettre en cause le processus de décentralisation.

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La crise malienne devrait également être l’occasion de s’interroger sur la validité de ce modèle « à la française », imposé aux pays du Sud (et aujourd’hui aux Comores) sans nécessairement tenir compte de la réalité des pays. Il est vrai que la décen-tralisation s’inscrit dans des processus longs et progressifs qui, dans les pays fran-cophones de l’Afrique de l’Ouest, sont récents et qui rencontrent, de plus, des problèmes qui limitent leur viabilité. Il serait en particulier nécessaire, au moment où une nouvelle phase d’intervention de l’aide s’enclenche, de prendre le temps de revenir sur son histoire et ne pas vouloir tout de suite passer aux propositions de modalités d’intervention. Un autre point essentiel est de savoir de quelle manière la masse d’argent mobilisée par la Communauté internationale va pouvoir être dépensée. La situation actuelle rappelle celle qui prévalait lors du lancement des politiques de décentralisation : des montants importants ont été mis à disposition sans que les conditions soient réunies pour en assurer une utilisation correcte (par exemple, la formation des élus). La France semble appelée à en être l’ensemblier, ce qui milite pour que les dysfonctionnements relevés aussi bien en France que localement en matière de coopération décentralisée soient mis sur la table. Il faut noter que la réunion des collectivités territoriales françaises du 19 mars 2013 à Lyon n’a pris aucun engage-ment financier, ce qui ne laisse peut-être rien augurer de bien.

2 - Interventions et débats2.1 - Distinguer les domaines du politique et de l’économique : les modalités de

leur prise en compte respective (Michèle Leclerc-olive, CoREns)2.1.1 L’intervention de Michèle Leclerc-Olive, CORENS

En région de Kayes, au Mali, CORENS a lancé l’idée d’un projet d’expérimenta-tion d’un dispositif de prêt à destination des collectivités territoriales. Ses parte-naires étaient disposés à le porter et d’autres collectivités avaient aussi manifesté un premier intérêt pour cette problématique. Il s’agissait en particulier de la ville de Diéma, devenue depuis quelques années un carrefour routier international où se rejoignent les routes Bamako-Dakar et Bamako-Nouakchott et, secondairement, de Bafoulabé et de Kéniéba, deux cercles qui découvrent peu à peu une probléma-tique équivalente à celle de Diéma, compte tenu de la réalisation de deux nouvelles routes qui créeront un carrefour d’urbanisation et de développement près des deux capitales de ces cercles. Il faut signaler qu’à Bafoulabé, des mines ont aussi été ouvertes et une cimenterie a été créée, et à Kéniéba, tous les ingrédients du système économique international se retrouvent en condensé avec des mines d’or, des pay-sans pauvres, des migrants sans papier, et un Etat jouet des multinationales.

Politique et développement : quelles relations ?

Une question, classiquement posée par certains élus des collectivités territoriales du Sud, sert de point de départ : « Pourquoi emprunter plutôt que de chercher des partenaires ? ».

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Pour documenter cette question qui, à première vue, conduit à une réponse fran-chement sceptique – à quoi bon s’endetter si on peut bénéficier de dons – Michèle Leclerc-Olive pense qu’il faut faire un détour et accepter de se demander si, en un certain sens, le développement n’œuvre pas contre le politique ou, à tout le moins, contre certaines dimensions du politique ? Formulée ainsi, cette hypothèse prend à revers les idées partagées par la plupart des acteurs du développement. L’intervenante propose aussi de l’envisager un moment, le temps de voir ce qu’elle peut révéler d’utile pour le projet porté par CORENS. Selon Michèle Leclerc-Olive, cette notion floue – surtout lorsque l’on parle de développement « local » – englobe tout type d’action (créer une coopérative, creu-ser un barrage, ouvrir un centre de santé, etc.). Il semble donc indispensable de dis-tinguer entre développement social et développement économique. D’un côté, on génère des ressources, de l’autre, on consomme des financements, etc. Cependant, en général, tout cela fait partie d’un « paquet » qui n’est pas « démêlé 6 ». Sans doute, serait-il plus judicieux de parler de politique municipale, de politique régionale, ou encore de politique publique : on verrait plus clairement que le développement économique ne repose pas que sur les actions entreprises par les pouvoirs publics, mais tient aussi sinon principalement à des initiatives privées qui ne se décrètent pas. Certes, on ne va pas se passer du terme « développement », mais il faut au moins rester conscient de ses ambiguïtés. Officiellement, la décentralisation a un double objectif : le développement local et la démocratie locale. Cependant, dans la plupart des cas, pour la coopération inter-nationale, la démocratie locale n’est promue qu’au motif qu’elle induit du dévelop-pement. Le fait que les gens prennent leurs affaires en main ne constitue pas un projet en soi ; il est subordonné au sacro-saint « développement ». Sur le terrain, la confusion à laquelle donne lieu l’usage du terme « partenaire » en est un signe : les dirigeants des compagnies minières, les entreprises, le dirigeant d’une organisation non gouvernementale (ONG), le maire de la ville jumelle sont considérés comme des « partenaires au développement »7. Par ailleurs, les relations entre les notions de « développement » et les conceptions du politique ne vont pas de soi. Elles dépendent de l’idée que l’on se fait de chacun de ces concepts. La confusion entre les deux est une reconduction de la confusion philosophique classique entre le social (et l’économique) et le politique. Schématiquement, on observe deux positions dans le monde de la coopération au développement, à savoir que : a) le politique – la démocratie locale – est la condition du développement ; et b) la démocratie est la « cerise sur le gâteau » car elle ne peut se consolider que sur la base d’un développement économique minimal. Michèle Leclerc-Olive a défendu l’idée que le développement et le politique sont deux dimensions étroitement articulées mais qui ne s’identifient pas, notamment si l’on accepte que le politique n’est pas seulement le cadre de la vie socio-économique, la sphère où se définissent les réglementations permettant l’action économique.

6 A ce titre, par exemple, confier la gestion des adductions d’eau à des « comités d’usagers » entretient une confusion dommageable.

7 Selon une enquête récente menée par un anthropologue dans le cercle de Bafoulabé, cette confusion est renforcée par l’usage généralisé de la notion de société civile telle qu’elle a été promue par les programmes des grandes agences de coopération.

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L’intervenante propose une troisième position : c) le politique est aussi bien d’autres choses, à savoir : la capacité à élaborer une vision, à produire des déci-sions avec la population, à prendre des initiatives, à représenter les populations dans des instances où leur parole doit être entendue, etc. C’est aussi prêter atten-tion aux conflits, aux tensions, et au partage entre le juste et l’injuste, débattre de ce qu’on peut faire ou ne pas faire techniquement et de ce qui est légitime ou ne l’est pas (comme accueillir ou non des travailleurs étrangers), ou permettre aux citoyens de faire des expériences émancipatrices, etc. Le politique apparaît ici dans sa spécificité : enquêter sur sa vitalité, son évolution mobilise des catégories, des observations différentes de celles que l’on convoquerait pour « mesurer » le déve-loppement. Conceptuellement distincts, donc, bien que toujours intriqués dans chaque situation.

Les financements des collectivités territoriales

Si le politique n’est pas complètement subordonné au développement, s’il a une existence propre qui mérite d’être considérée pour elle-même, la question des financements des collectivités territoriales se pose alors d’une nouvelle manière. Il s’agit notamment de savoir comment les financements interfèrent avec cette dimension politique d’autonomie, d’initiative, de capacité à interpeller l’Etat, etc. Par exemple, on peut se demander quels types de financements peuvent contribuer au développement autonome de services publics. Il importe aussi, par exemple, de se préoccuper de l’utilisation possible des débats sur les financements dans le domaine spécifique du politique évoqué plus haut : par exemple pour renforcer la capacité des collectivités à élaborer une décision, à avoir une pratique politique par-ticipative, ou à négocier avec l’Etat. Cela conduit à la question de l’emprunt comme expression de l’autonomie de la collectivité territoriale, mais aussi à celles de la gestion locale des finances. On pourrait à ce titre se tourner vers les expériences multiples de budgets participatifs. On se situe donc à la fois dans le financement pour le développement et dans le financement pour des actions proprement politiques. Les divers types de financement ne contribuent pas tous de la même manière au développement du politique et à la consolidation de pratiques politiques comme celles évoquées dans le point c). Ainsi, les droits de tirage de l’Agence Nationale d’Investissement des Collectivités Territoriales (ANICT) au Mali relèvent de l’aide internationale. Ils correspondent à des aides au développement social et économique des collectivités (construction d’écoles, périmètres maraîchers, etc.), mais ne contribuent pas forcément au renforcement des pratiques démocratiques locales : leur utilisation s’accommode de pratiques bureaucratiques étrangères à toute forme de « participation » des citoyens locaux. De plus, les collectivi-tés territoriales « bénéficiaires » ne disposent d’aucun moyen d’intervention – encore moins de pression – sur les institutions qui les financent. En effet, ces financements instaurent de la dépendance vis-à-vis d’acteurs inaccessibles de la coopération internationale, qui ne se trouvent pas dans la sphère politique des collectivités concernées ; l’Etat lui-même est, de fait, également dépendant de

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ces partenaires (ce qui a provoqué, par exemple, la fin prématurée des Centres de Conseil aux Communes). Aucune capacité d’initiative sur l’existence du dis-positif ne leur est laissée. Ces dispositifs de financement relèvent, au mieux, des conceptions a) ou b) du politique : non seulement ils ne contribuent en rien au renforcement de la citoyenneté locale, mais ils instaurent une dépendance non négociable à l’égard des financements extérieurs. Les procédures politiques mises en œuvre par ces dispositifs ne permettent pas aux collectivités territoriales d’expérimenter des formes émancipatrices du politique.

Dans son troisième sens, le politique est d’autant plus absent que les transferts financiers ne sont pas liés à des contractualisations entre l’Etat et les collectivités territoriales : ces transferts sont décidés par l’Etat sans négociation avec les collec-tivités territoriales. Alors que la décentralisation a bien eu lieu il y a douze ans per-mettant le transfert de compétences aux collectivités (santé, hydraulique, écoles), les transferts financiers de l’Etat vers les collectivités commencent seulement et timidement à s’opérer. L’Etat gère nationalement des ressources provenant de la coopération internationale : il n’y a pas eu en particulier de redistribution aux col-lectivités territoriales des ressources provenant des annulations de dettes (aux Pays Pauvres Très Endettés/PPTE). En mettant surtout l’accent sur le développement, on pèse négativement sur l’as-pect proprement politique de la décentralisation. On voit d’ailleurs que pour satis-faire rapidement de légitimes besoins d’équipement, les collectivités territoriales peuvent sacrifier les procédures démocratiques et administratives qui garantiraient la pérennité des réalisations8. La fiscalité locale contribue à l’autonomie. Les capacités d’action des collectivités territoriales sont, bien sûr, liées aux ressources propres et aux possibilités d’em-prunts. Un certain nombre de réalisations sont hors de portée des budgets annuels, mais celles-ci pourraient être réalisées sur la base d’emprunt et générer très vite des ressources propres. C’est le cas des gares routières qui mettent en jeu de nouveaux quartiers urbains et qui peuvent très vite générer des ressources et apporter une amélioration des conditions de vie.

Dans un document récent, François Yatta note l’importance des emprunts à long terme (s’engager au-delà d’un mandat) (Yatta, non daté). Ceux-ci pourraient don-ner lieu à des débats et accroître la capacité de maîtrise d’ouvrage des collectivités dans l’animation des territoires. Cela créerait du lien politique (sans qu’il y ait néces-sairement consensus sur les objectifs généraux), en contribuant au renforcement de la citoyenneté chez les habitants qui, jusqu’à aujourd’hui, sont écrasés par la logique de l’aide. Celle-ci crée des effets d’attentisme qu’induisent les dons.

Il faut donc garder en tête la contradiction soulignée ci-dessus entre l’aide et l’ini-tiative des collectivités territoriales.

8 Voir Leclerc-Olive (2005 a).

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Anticiper les effets d’une innovation

Sur le plan méthodologique, Michèle Leclerc-Olive attire l’attention sur une manière de documenter la faisabilité ou la pertinence d’une innovation. On pense en général que l’on pourra tirer de la description de la situation actuelle des données sur la possibilité de changement. Ce n’est pas la situation d’aujourd’hui qui permet de dire qu’un changement est possible car il faudrait imaginer ce qui se passerait en tenant compte du changement, ce qui nous place dans le contrefactuel. L’exemple de la réalisation du métro de Paris montre combien un changement social profond ne relève pas d’une continuité technique mais d’une volonté politique. Les ingénieurs d’Etat voulaient faire converger au centre de Paris toutes les lignes de chemin de fer permettant d’y amener les ouvriers de la périphérie, alors que la mairie, qui ne disposait pas de ses propres compétences techniques à l’époque, souhaitait un maillage urbain étroit par le métro, afin de faciliter le développement des activités artisanales et des petites entreprises. Cette dernière solution s’est révélée plus efficace et moins coûteuse que les prévisions les plus optimistes. Cependant, les moyens de démontrer la faisabilité d’une transformation, c’est imaginer ce qui va se passer une fois les choses faites, ce qui n’est pas facile. On ne peut échapper complètement au risque. Prendre appui sur ce fait, se contenter de données antérieures au changement possible et les extrapoler comme si le changement n’introduisait aucun comporte-ment nouveau, équivaut à refuser le changement. Pour revenir aux territoires maliens dont il est question ici, personne n’avait anti-cipé la discontinuité qu’allait opérer la réalisation à Diéma du carrefour routier9, et surtout pas l’augmentation de la population qui est passée de 7 000 à 30 000 habi-tants. Le schéma directeur d’urbanisme de la ville, réalisé en 2004 par un bureau d’étude commandité par l’Etat malien, est entièrement conçu sur la base d’une croissance démographique identique à celle des années 1988-1998.

Situations locales et sites d’expérimentation

En région de Kayes, au Mali, les trois capitales de cercle, Diéma, Bafoulabé et Kéniéba, se sont déclarées intéressées de participer au projet d’expérimenta-tion d’un dispositif de prêt à destination des collectivités territoriales lancé par CORENS. D’autres collectivités territoriales maliennes comme Kolokani dans la région de Kolikouro, par exemple, ont aussi manifesté leur intérêt. Lors de son intervention devant le Groupe de travail, Michèle Leclerc-Olive a pré-cisé que, dans le cercle de Kéniéba, la présence des compagnies minières rend encore plus nécessaire la distinction conceptuelle entre développement et poli-tique. La situation pourrait paraître paradoxale si cette distinction était occultée. D’un côté, il faut reconnaître que les acteurs les plus efficaces en matière de déve-loppement local, de santé, d’installation de points d’eau, ce sont les mines. On pourrait dire que ce sont quasiment des « ONG » modèles. Mais en même temps, elles procèdent au pillage du sous-sol. Non seulement elles ont obtenu de l’Etat des

9 Voir le documentaire Diéma, un carrefour dans le Sahel réalisé en 2012 par Nicolas Leclerc pour CORENS et 3Films14.

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« concessions » très avantageuses, mais des pistes d’atterrissage au cœur même des implantations de ces entreprises permettent l’exportation d’or sans passer par le contrôle de l’Etat (le Mali est le troisième producteur mondial d’or). Les quantités d’or extraites annuellement du minerai ne sont pas connues. Les franchises d’im-pôts accordées par l’Etat sont déterminées en fonction d’une production annuelle fixée contractuellement. Mais les compagnies forcent les rendements pour épuiser les gisements avant la fin des franchises. Et bien évidemment les dégâts environne-mentaux pénaliseront la zone pendant des décennies, bien au-delà de la fermeture des implantations minières. Or, les collectivités territoriales, qui ont à faire face à ces problèmes, n’ont pas voix au chapitre ; l’Etat considère que les mines appar-tiennent à la nation et non aux communautés locales. Et lorsque celles-ci cherchent à obtenir de l’Etat des précisions sur les redevances auxquelles elles ont droit, elles font l’objet de campagnes de dénigrement. Dans les rares instances internationales de suivi de ces dispositifs économiques (par exemple, EITI : Extractive Industries Transparency Initiative), les collectivités territoriales ne sont pas représentées. Seules quelques ONG participent aux comités nationaux mis en place.Les assemblées régionales constituent aussi un autre acteur à ne pas oublier. Les régions sont devenues les porteurs de projets des programmes de développement proprement économiques. Elles pourraient être des interlocuteurs privilégiés de ces réflexions et impliquées dans l’expérimentation proposée par CORENS.

2.1.2 Les débats du Groupe : les divergences sur le dualisme « politique - développe-ment » S’il y a eu accord pour dire que l’intervention de partenaires financiers requer-rait une responsabilité politique de la part des collectivités territoriales pour les emprunts contractés et, par conséquent, que le politique en matière de décentrali-sation était important, des divergences ou de fortes nuances se sont exprimées sur le dualisme entre politique et développement. • L’opposition entre le développement et le politique a été fortement mise en ques-

tion, les deux domaines devant plutôt être considérés comme complémentaires même si, sur le terrain, cette complémentarité est souvent ignorée puisque les montages techniques ne prennent pas suffisamment en compte les collectivités. Les débats ont mis en avant le fait qu’il n’y a pas incompatibilité philosophique entre les deux notions. La façon démocratique ou pas dont le pouvoir politique dévolu aux collectivités territoriales par la décentralisation s’exerce, est une boîte noire sur laquelle les économistes de l’aide ne disent rien. Cela relève de l’effica-cité politique qui concerne des mécanismes de décision à propos desquels rien ne peut être dit. Ces mécanismes ne peuvent être identifiés de l’extérieur : quelque chose doit les enclencher. L’efficacité économique de la décentralisation exprime seulement le fait qu’à travers l’échelon local, s’exprime la demande locale mani-festée par les populations, ce qui permet l’émergence d’une prise de responsabi-lité à cet échelon. Pour Michèle Leclerc-Olive, il n’y a pas complémentarité entre le développement et le politique, mais bien incompatibilité philosophique, au moins partielle, entre

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les deux notions. Si le social et le politique sont intriqués, conceptuellement ils sont complètement différents. La démocratie n’est pas une modalité du dévelop-pement. S’il y a bien du politique par défaut lorsque l’on « entre » par le déve-loppement, c’est du politique qui se limite à la recherche d’un consensus dans un cadre qui en tant que tel ne peut être interrogé, ou à faire valoir ses intérêts. Par contre, avoir un projet qui ose s’émanciper de ce qui est jugé possible par d’autres, est quelque chose de différent et relève de l’innovation politique. Les dimensions administratives et politiques d’un projet ne sont pas contestables mais la capa-cité d’initiative peut exiger de sortir du cadre préexistant. Les révolutions arabes montrent que l’on est amené à sortir du cadre de la constitution existante.

• Le développement, en effet, ne prend pas en compte la dimension politique de relation au pouvoir, de rapport de domination. C’est un processus de modernisa-tion matérielle. Les débats ont souligné le fait qu’au lieu de mettre l’accent sur le dualisme politique – développement, il serait peut-être préférable d’insister sur le rapport de dépendance qu’introduit aussi bien l’aide que les autres financements (comme l’emprunt). Ils comportent tous les deux non seulement des possibilités d’autonomisation des acteurs locaux et de citoyenneté, mais aussi de nouvelles dépendances avec des dérives potentielles. L’exemple de la microfinance montre qu’un projet émancipateur a conduit au surendettement des ménages, ce qui est une forme de dépendance.

• La décentralisation est un acte volontaire de l’Etat et il n’y a aucune nécessité qu’un système descendant (de l’Etat vers le local) rencontre spontanément un système ascendant. L’articulation entre les deux doit être construite, et ne doit pas être présupposée. La décentralisation, comme institution, ne favorise pas automatiquement le développement local (qui n’est pas une institution bien qu’il s’inscrive à l’intérieur de cette institutionnalisation). A l’inverse, il n’y a pas plus de démocratie locale après la mise en œuvre d’opérations de développement local qu’avant. Cependant, la décentralisation institue des impôts locaux, prévus par le niveau central, qui apportent une certaine légitimité aux conseils communaux. Le développement local, quant à lui, met en œuvre des ressources financières qui n’ont pas la même origine mais qui s’inscrivent dans le projet communal.

• Certains acteurs ne réduisent pas le développement à l’économique et au social : le vivre ensemble ou le lien à un territoire tout comme la gestion font partie de leur approche du développement, lequel constitue donc pour eux un mécanisme de changement. Il est cependant vrai qu’au plan international, beaucoup d’ac-teurs ont comme stratégie d’asservir le politique ou, en tout cas, de le maintenir a minima. Au sein de l’Union européenne, l’absence de gouvernance permet à ces acteurs de faire ce qu’ils veulent avec leur territoire. On n’est pas loin dans ce domaine de ce qui se passe au Mali.

• L’approche du pS-Eau (en collaboration avec le Partenariat pour le dévelop-pement municipal - PDM) est de respecter la dualité que constitue, d’une part, l’accompagnement d’acteurs qui conduisent des projets de développement, en les incitant à être attentifs à ce qui est demandé par la population et, d’autre part, l’élaboration d’une vision et d’une stratégie locale. Les municipalités sont

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placées au cœur du processus et l’ensemble des acteurs est impliqué dans la description de la situation et dans l’identification des problèmes et des défis à relever. Les acteurs ont cependant du mal à accepter cette phase préalable qui peut durer un an ou un an et demi avant de s’engager dans la phase de développement social et économique (voir le point 2.4 ci-dessous). Les respon-sables politiques des collectivités territoriales que sont les maires sont alors en position de maîtriser ce qui va se passer sur leur territoire car ils disposent du cadre leur permettant d’accueillir et d’orienter les intervenants économiques. Par rapport aux modes de financement disponibles, il n’y a pas plus d’opposi-tion entre les dons et les prêts, ces derniers pouvant financer le plus rentable mais en s’inscrivant toujours dans le cadre stratégique élaboré avec l’ensemble des acteurs. Les financements, dès lors, peuvent ne pas tous passer par le bud-get communal à partir du moment où tout est bien réfléchi et entre dans la stratégie de la municipalité.

2.2 - Un dispositif de crédibilisation des collectivités décentralisées : les Fonds d’appui aux collectivités territoriales (Bernard husson, CIEDEL)L’intervention est reprise et développée dans l’article de Bernard Husson, écrit avec la collaboration de Catherine Delhaye et de David Hacquin (Centre International d’Etudes pour le Développement Local / CIEDEL), publié dans ce numéro de Techniques Financières et Développement.

2.3 - Les financements de l’Agence Française de Développement en faveur des villes (Marie Bjornson-Langen, AFD)

2.3.1 - L’intervention de Marie Bjornson-Langen, AFDAu sein de l’Agence Française de Développement, la division technique qui s’oc-cupe des financements en faveur des collectivités locales se nomme la Division « Collectivités locales et développement urbain » (CLD). L’AFD part du principe que la croissance urbaine et le contexte réglementaire en Afrique conduisent à considérer les collectivités locales comme un espace d’intervention pertinent du fait qu’elles disposent de plus en plus de compétences. Il convient donc d’accom-pagner la décentralisation. Cet accompagnement vise les stratégies et les politiques locales, ce qui prend un sens différent de celui s’adressant par exemple aux infras-tructures. Mais il continue d’y avoir, à côté de cela, des interventions sectorielles. L’AFD est une banque et les prêts ont, en son sein, une importance majeure. Elle est convaincue du rôle majeur des emprunts au plan pédagogique pour responsa-biliser les collectivités et pour les inciter à avoir une bonne gestion par une amélio-ration de leurs ressources. Cela étant, lorsqu’il s’agit d’apporter un appui à la bonne gestion, il convient d’intervenir en subvention. La bonne gestion permet d’assurer la pérennité de l’investissement financé. Une grande importance est aussi accordée au portage politique ou stratégique tel qu’il s’exerce au sein de la collectivité. Une question reste à approfondir, celle du développement des activités économiques à partir desquelles les collectivités territoriales peuvent tirer des ressources.

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Bien qu’il soit difficile pour l’AFD de se faire à l’idée d’une approche globale, il y a la conviction qu’il conviendrait de financer des plans pluriannuels d’inves-tissements relevant d’un projet de territoire et, par conséquent, concernant des investissements municipaux dans leur globalité. Dans la pratique actuelle, l’Agence commence à travailler sur un projet mais avec l’idée d’aboutir à un financement global qui recouvre un projet de territoire porté par les élus. C’est ce qui est fait à Ouagadougou où l’AFD finance un projet d’amélioration de la mobilité dans la ville et de rénovation de certains quartiers qui inclut un appui à une réflexion sur sa politique de mobilité ainsi qu’à une politique de tarification des transports. La séparation entre le financier et le technique, mise en avant par Michèle Leclerc-Olive ou par Bernard Husson, ne peut être respectée par un bailleur de fonds. Ce dernier doit s’occuper du domaine technique car il doit veiller à être remboursé. Cependant, l’AFD se limite à vérifier la pertinence de l’équipement, son adaptation, sa réponse aux besoins locaux mais n’intervient pas dans la décision elle-même. Une telle séparation des rôles est possible dans les pays émergents où l’opportunité des investissements peut ne pas être mise en cause, ce qui n’est pas le cas dans les pays en développement comme au Burkina Faso et à Ouagadougou en particulier. L’AFD a comme autre particularité dans ce domaine de pouvoir intervenir en prêt direct non souverain et à long terme, donc sans passer par l’Etat. Le prêt à la muni-cipalité de Ouagadougou sera attribué de cette manière. Il s’agit donc d’essayer de coller aux particularités des pays ou des situations.

2.3.2 - Les débats du GroupeQuestions soulevées

Le degré d’autonomie des communes dans la définition de leurs besoins par rap-port aux bailleurs de fondsLe contrôle exercé par l’AFD sur la pertinence des équipements qu’elle finance a été assez largement discuté dans les débats du Groupe de travail. Il est difficile de déterminer qui est le mieux placé pour définir les besoins locaux. Sur les villes de 25 000 habitants, pour lesquelles l’AFD ne dispose d’ailleurs pas d’instrument financier, il n’est pas possible que le bailleur de fonds décide qu’il convient d’implan-ter douze fontaines plutôt que quatorze. Il est nécessaire que la collectivité puisse s’adresser à un bureau d’études qui discute de la pertinence du choix technique envisagé. De plus, les décisions d’intervention, comme l’abondement du Fonds des Hauts Bassins, sont des questions qui relèvent de l’Etat. Normalement, le seul élément à prendre en compte par les financiers devrait être celui de la solvabilité.Cependant, cette requête d’autonomie technique des communes a été contestée. Le degré d’autonomie auquel elles peuvent accéder est fonction, a-t-il été souligné, de l’équipement visé ainsi que de la proportion existant entre les budgets d’équi-pement et de fonctionnement. Il faut donc bien vérifier que l’amortissement tech-nique et financier de cet équipement est bien cohérent. En France, moins de 10 % des communes disposent d’une telle autonomie technique et financière. Les autres sont soumises au regard des organismes de financement sur les investissements

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projetés ou sur leur répercussion sur l’ensemble des équilibres budgétaires succes-sifs. Cependant, il a été souligné qu’il importait que l’AFD indique clairement où elle entendait aller, que son cadre d’intervention sectoriel soit débattu (ce qui est le cas puisque les notes stratégiques sectorielles font l’objet d’une présentation devant les parlementaires, les ONG, etc.), et qu’elle précise ce qu’elle fait et de quelle façon.

L’intermédiation de l’EtatComme cela est constamment souligné, les banques commerciales en Afrique ne sont éventuellement disposées à prêter qu’aux collectivités les plus importantes et les choses ne sont pas très claires en ce qui concerne les banques de dévelop-pement. C’est une question de confiance. Les banques, en Afrique, placent leurs liquidités à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Certains estiment que tant que les collectivités ne se seront pas dotées de l’exper-tise nécessaire et tant qu’elles n’auront comme salariés que des chauffeurs ou des gardiens, il leur manquera un élément important d’accès au financement, quel qu’il soit.Il n’est donc pas possible de se passer des Etats. Pour que cela fonctionne, il est nécessaire que les communes disposent de ressources gratuites, ce qui exige l’inter-médiation de l’Etat. En Tunisie, par exemple, à l’occasion d’un projet d’améliora-tion de la qualité de quartiers urbains, un premier prêt couvrant 80 % des coûts a été accordé par l’AFD à l’Etat qui l’a rétrocédé aux communes sous forme de don et un second prêt a été accordé directement aux communes pour le solde. L’exemple au Maroc du Fonds d’équipement communal (FEC) est une réussite10. Il est bien géré et couvre l’ensemble du territoire. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un cas particulier. Lors de la dernière réunion des Caisses de dépôt et de gestion d’Afrique et du monde méditerranéen, il est apparu que ces instruments avaient un avenir. La Caisse de dépôt et de gestion (CDG) marocaine en est un exemple. C’est égale-ment le cas au Sénégal où les institutions de microfinance (IMF), comme le Crédit mutuel du Sénégal, auraient pu s’y engager mais ne l’ont pas fait. En France, l’an-cienne Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL) constituait jusqu’à la fin des années 1980 le guichet unique de financement des collectivités territoriales. Il était logé auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations et dispo-sait de ressources importantes à bon marché. L’AFD est dans cette logique puisqu’elle continue d’apporter son appui à des struc-tures nationales de financement des communes en Afrique du Sud ou en Tunisie. Cependant, il a été fait remarquer que ces pays – l’Afrique du Sud en particulier – ne pouvaient plus être considérés représenter la situation de l’Afrique subsaharienne.

Le financement des petites communesLa question a été de savoir comment instituer (et rendre pérennes) les intermédiaires financiers en direction des communes de petite et de moyenne dimension. Il a été

10 Voir Paulais (2012), pp. 343-345, qui confirme ce jugement.

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souligné qu’il s’agit moins, en la matière, d’une question de taille que de soutena-bilité financière des collectivités. S’il est déjà difficile d’intervenir à Ouagadougou, cela devient très problématique de le faire auprès d’une ville secondaire qui dispose de moins de ressources. Pour intervenir au niveau local et pour que des structures relais s’installent, il faut qu’un marché existe. Au Mali, le passage par l’ANICT s’explique par le fait que des dons étaient mobilisés.Ce point de vue a été contesté, la solvabilité mise en avant pour justifier que l’on ne travaille qu’avec les grosses communes pouvant tout aussi bien reposer sur l’idée que ces dernières étaient « trop grosses pour tomber ». En outre, si tous les moyens de financement importants se dirigent vers les grosses agglomérations, c’est le maillage nécessaire à la dynamique de structuration territoriale d’un pays qui s’en trouve compromis. Si dans un pays comme le Maroc, la CDG dispose de ressources importantes et à bon marché, la question se pose au Sénégal de savoir de quelle manière il serait possible d’alimenter un système qui puisse disposer de ressources suffisantes et à bon marché.L’ANICT du Mali visait le financement de l’investissement. La demande du Niger portait, en ce qui la concerne, sur le renforcement du fonctionnement des com-munes et l’une des idées avait été d’utiliser pour ce faire les ressources PPTE. Ces contreparties de dettes annulées, affectées aux programmes publics constituent au Niger une ressource à moyen terme dont les montants ne sont pas négligeables, de l’ordre de 20 % du budget de l’Etat, actuellement utilisées sur les projets du Président. Il serait judicieux d’en affecter une partie au financement des collecti-vités puisque leur vocation (santé, éducation de base, etc.) répond à celle des col-lectivités territoriales, ce qui aurait permis de renforcer leurs compétences. Cette ressource vient en supplément des affectations budgétaires normales, elle n’est pas pré-affectée, ni prélevée sur la rémunération des fonctionnaires ou sur les charges récurrentes de l’Etat. Il est à noter que la société civile malienne proteste du fait que l’aide budgétaire, allouée désormais dans le cadre des recommandations de la Déclaration de Paris, ne soit pas utilisée en faveur des collectivités territoriales alors qu’elle pourrait en constituer une ressource « naturelle ».

Le point de vue de l’intervenante

L’AFD « ne fait pas » à la place des communes. Ce sont les collectivités qui conduisent les études, qui établissent les termes de référence, etc. Cependant, l’AFD est obligée de vérifier la rentabilité des investissements qu’elle finance et, par conséquent, d’être présente. La compétence technique du bailleur est nécessaire afin de comprendre ce qui se passe. L’AFD a des moyens en subvention pour l’accompagnement mais la ques-tion est de savoir jusqu’où aller dans cet accompagnement – c’est là qu’il y a peut-être une certaine faiblesse – et comment procéder pour que le leadership local de la commune soit accentué.

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L’Agence se situe plutôt dans la dynamique consistant à essayer d’avoir une approche globale d’accompagnement qui permette l’augmentation des ressources propres des collectivités territoriales, l’amélioration de leur gestion, etc., tout en sachant que cela demandera du temps. D’autres divisions techniques de l’AFD ont une approche sectorielle, ne s’occupant par exemple que d’eau, avec lesquelles il peut d’ailleurs y avoir des conflits. Le problème de l’autonomie des collectivités territoriales se pose également dans les pays. Ainsi, au Burkina Faso, l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) tient peu compte des communes. De telles compétences monopolistiques au niveau national type ONEA posent le problème de savoir comment ces orga-nismes peuvent se mettre au service des communes et ne pas imposer leurs normes. De ce point de vue, le Fonds de développement a amené l’ONEA à évoluer. L’un des participants souligne que l’AFD, qui intervient principalement en faveur des grandes métropoles, a continué de mener des interventions en faveur de col-lectivités territoriales de catégories inférieures (Cap-Vert, Sénégal, Vietnam). Elle sera peut-être amenée à entrer dans la logique suggérée par Paulais (2012) de nou-veaux Fonds d’investissement mixant le recours, d’une part, au marché obligataire ainsi qu’à des subventions de l’Etat et, d’autre part, à des prêts à long terme ainsi qu’à des rehaussements qu’elle apporterait. Le Groupe de travail a suggéré qu’elle puisse s’engager dans la réalisation de faisabilités portant sur des Caisses de dépôt nationales du type du Fonds d’équipement des communes marocain ou sur le lan-cement d’émissions obligataires en faveur des collectivités territoriales de la part, par exemple, de la BOAD.

2.4 - L’exemple des stratégies municipales concertées pour l’eau et l’assainisse-ment (Christophe Le Jallé, ps-Eau ; Claude Baehrel, PDM)En mars 2012, le Programme Solidarité Eau (pS-Eau) et le Partenariat pour le déve-loppement municipal (PDM) ont publié un Guide intitulé « Elaborer une stratégie municipale concertée pour l’eau et l’assainissement » présentant une méthodologie de mise en œuvre des projets d’accès à l’eau et d’assainissement, mise en œuvre dans quinze villes secondaires africaines (PDM, PSEAU 2012). Ce guide est destiné en premier lieu aux élus et aux agents municipaux, mais aussi à toutes les parties prenantes et aux responsables de la gestion des services d’eau et d’assainissement. Sa mise en application a débuté en 2008, permettant d’avoir donc maintenant une vue rétrospective de quatre ans. Elle porte sur quinze villes réparties sur l’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est. La méthode d’intervention se fonde sur l’enchaînement de deux programmes de recherche-action (sur financement du Fonds d’aide et de coopération du ministère des Affaires étrangères) menés entre 1995 et 2004 sur l’eau potable ainsi que sur l’assainissement et le traitement des déchets dans quinze villes situées dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Ce type de programme a permis à la coopération française de préciser les orientations de son action dans des domaines précis et, ainsi, de défricher un champ assez large de préoccupations techniques, organisationnelles, gestionnaires et financières – donc économiques au sens large

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– mais aussi liées à une meilleure compréhension de la demande des usagers et des jeux d’acteurs. Il s’agissait d’actions pilotes associant des chercheurs et des opérateurs africains et français. Un travail a ainsi pu être réalisé sur les modes de concertation pour l’organisation ou la gestion de l’assainissement des eaux usées. La cible de ces premiers programmes n’était pas les collectivités territoriales, mais le développement du secteur eau-assainissement, même si la décentralisation qui était en train de se mettre en place n’était pas absente des préoccupations. C’est à la fin de ce cycle que le lien « services locaux - collectivités territoriales » s’est effectué (avec l’implication de J. P. Elong M’Bassy du PDM), la collectivité territoriale apparaissant comme l’acteur clé dans le développement des services. Cela a débouché sur un troisième programme portant cette fois-ci sur la mise en application de stratégies concertées dans des villes secondaires allant de 50 000 à 200 000 habitants.

2.4.1 - Les composantes de la stratégie municipale concertée Accompagner le développement du secteur à l’échelle des collectivités territoriales La première composante de la stratégie municipale concertée porte sur l’accompa-gnement du développement du secteur en question à l’échelle des collectivités ter-ritoriales. L’objectif est de mettre en avant la relation entre la collectivité (comme chef d’orchestre) et les acteurs locaux qui ne soient pas uniquement des sociétés d’Etat. Cette stratégie, destinée aux petites villes, est différente de celle appliquée aux grandes métropoles. Elle nécessite une plus grande réflexion au niveau micro-local et une mutualisation des compétences et des services, comme cela a été le cas au Ghana ou au Mali par exemple.

Définir la bonne échelle de mutualisation et d’intercommunalitéLa seconde composante de la stratégie municipale concertée ne se préoccupe plus d’interventions ville par ville mais cherche à définir la bonne échelle de mutualisa-tion et d’intercommunalité (PDM, PSEAU, 201011). C’est le niveau régional qui a été retenu au Burkina Faso, au Ghana et au Mali, en s’attachant à trois domaines : le renforcement des capacités des acteurs du secteur par la formation (ce ne sont pas les collectivités territoriales qui sont spécifiquement visées) ; la mise en place à cette échelle régionale d’un appui conseil ; le financement, par la mutualisation des communes ou des services dans la recherche de financements extérieurs ou natio-naux ; ou la mise en place de fonds partagés entre petites villes ou entre services pour des renouvellements d’infrastructures importants.La limite supérieure d’intervention est représentée par les villes où interviennent des sociétés nationales (scindées en deux : sociétés de patrimoine et sociétés d’ex-ploitation) dans les pays francophones (Niger, Mali, Mauritanie, Cameroun, etc.),

11 Des outils d’accompagnement ont aussi été rédigés dans la même collection : « Guide 3: Analyser la demande des usagers – et futurs usagers – des services d’eau et d’assainissement dans les villes africaines » ; « Guide 4: Choisir des solutions techniques adaptées pour l’assainissement liquide » ; « Guide 5: Gérer les toilettes et les douches publiques » ; « Guide 6: Financer la filière assainissement en Afrique subsaharienne », disponibles sur http://www.pseau.org/outils/biblio/resume.php?docu_document_id=2634&l=fr

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ce qui peut représenter des agglomérations de 30 000, 40 000 ou 50 000 habitants. Les villes concernées sont celles qui disposent déjà d’un réseau ou qui sont suscep-tibles d’en disposer à terme et qui constituent un ensemble susceptible de s’appro-prier un réseau. Les zones strictement rurales sont donc exclues.

L’intérêt particulier de l’Afrique de l’Est En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les opérateurs nationaux du service de l’eau ne permettent pas de fait aux collectivités territoriales d’exercer les com-pétences dévolues puisque tout est décidé au niveau national. Aussi, il était intéres-sant de travailler en Afrique de l’Est où l’on a affaire à un autre système, même si deux modalités différentes se retrouvent selon les pays. Au Kenya, en Tanzanie ou en Ethiopie, un opérateur intervient à l’échelle municipale : ce peut être une régie municipale ou un opérateur autonome sous tutelle multiple, dont celle de la muni-cipalité. En Ouganda par contre, un opérateur national existe mais avec une décen-tralisation très forte de la prise de décision, au contraire des systèmes d’Afrique de l’Ouest, ce qui permet aux collectivités territoriales d’être bien plus facilement un interlocuteur de cet opérateur.

La municipalité comme chef d’orchestre de la mise en œuvre d’un cadre général Dans cette stratégie municipale d’intervention concertée, la municipalité apparaît comme le chef d’orchestre. Elle n’est pas à l’intérieur du triptyque « faire / faire faire / laisser faire » mais dans le « faire tout ». Elle construit le cadre qui permettra une meilleure mise en cohérence des diverses actions des uns et des autres pour atteindre un objectif partagé et pour la mise en cohérence de l’ensemble de ces actions. Pas le « faire » ni le « laisser faire » ou même le « faire faire » mais la réali-sation d’un cadre général. Il a donc été proposé aux villes retenues de s’engager dans un tel travail et de les accompagner par le biais d’un appel à manifestation d’intérêt lancé par le PDM. Si toutes les villes pouvaient, en principe, être intéressées, il a fallu toutefois gérer les susceptibilités et prendre soin d’établir un échantillon suffisamment varié ou ne comportant pas de villes politiquement trop compliquées.

2.4.2 - Les trois mots clésLa construction d’une stratégie : un document cadre est élaboré qui explicite la direction et la vision que l’on se donne pour améliorer les services de la ville.Une démarche concertée : la municipalité et, plus particulièrement, le maire portent le programme mais s’associent aux autres parties prenantes. Il est demandé au maire, s’il accepte le programme, d’entrer lui-même dans un jeu critique par rap-port à sa propre action. Il ne s’agissait pas de produire de nouveaux documents, du type schéma directeur, produits à l’extérieur et qui resteraient inutilisés. Il s’agissait de renverser cette approche de façon à ce qu’elle soit concertée. Toutes les parties prenantes ont été prises en considération, impliquées dans le projet, et y ont joué un rôle important.

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L’échelle d’intervention territoriale : il s’agit du territoire communal dans son ensemble, qui est toujours composé d’une partie urbaine et d’une partie périphé-rique rurale qu’il n’est pas possible de traiter séparément. Cependant, ce ne sont pas les mêmes opérateurs qui vont intervenir sur les deux zones : dans le milieu urbain, c’est une problématique de réseau où c’est l’opérateur national qui inter-vient, tandis que dans le milieu rural, on se trouve avec des puits, des pompes à motricité humaine, ou des mini-réseaux avec des modes de gestion différents de type, par exemple, communautaire. Les autorités municipales méconnaissent l’existant. Les opérateurs du réseau urbain ne savent souvent pas réellement de quelle manière le péri-urbain non couvert par le réseau est approvisionné. Des initiatives privées peuvent installer un réseau qui dessert des bornes fontaines en zone péri-urbaine mais qui peut recéler un pro-blème important lié au fait que ces réseaux privés ne bénéficient pas d’un tarif de gros (comme au Bénin ou au Niger). Il est nécessaire – et c’est une revendication des syndicats de revendeurs d’eau – qu’ils soient considérés comme des opérateurs à même de disposer de tarifs correspondants à leur fonction commerciale. Dans le plus gros bidonville d’Afrique, aux alentours de Nairobi, qui regroupe environ 400 000 habitants, existent ainsi des compteurs au départ de tuyaux privés. On retrouve aussi des dispositifs au Bénin, au Niger, etc.L’histoire des interventions de développement doit être prise en compte. Le terrain de l’eau et de l’assainissement n’est jamais vierge : il y a toujours une planification préalable, même si celle-ci n’a souvent pas été réalisée en concertation ni par des experts extérieurs qui ignoraient ce dont avaient besoin les populations. Il est égale-ment nécessaire de prendre en compte le cadre constitué par la politique sectorielle nationale ou régionale existante.

2.4.3 - Les principales étapes de la démarcheLe diagnostic sur l’état de la situationLa question importante à ce stade est que doivent être pris en compte les divers acteurs de la demande de services, à savoir toutes les catégories de consomma-teurs de services d’eau et d’assainissement : les particuliers mais également les administrations, les écoles, les centres de santé, les artisans, les industries, les prisons, etc.

Le portage du programme par le maire Le portage est « personnalisé » : il s’effectue par le maire lui-même ou par un adjoint. Les services techniques (déconcentrés et décentralisés) jouent le rôle de relais car ils connaissent le terrain. Ils peuvent être municipaux, ce qui favorise la gestion et l’animation de la collectivité locale, mais peuvent également être organi-sés de manière déconcentrée, les acteurs locaux impliqués ayant plus d’importance en milieu rural.

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Le rôle central du facilitateur Un facilitateur de processus est le maître d’œuvre de son déroulement. C’est un intervenant national : il faut éviter qu’il soit d’origine locale afin de ne pas être influencé ou prisonnier de jeux locaux. Cet expert rencontre chaque groupe d’ac-teurs et les aide à s’exprimer en étant à l’écoute de ce qu’ils ont à dire.

Passer d’une logique de l’offre à une logique de la demande Jusque là, c’est la logique de l’offre qui avait prévalu, les consultants considérant qu’ils savaient quelles solutions apporter aux problèmes rencontrés sans traiter de la demande. En passant à une logique de la demande, il s’agit de s’interroger sur la question de savoir comment les gens perçoivent leurs problèmes, comment s’effec-tue l’adéquation de cette offre par rapport à la situation existante, et comment repenser les solutions techniques en fonction du terrain.

L’identification des acteurs de l’offre de services Un travail d’identification de tous les acteurs a été entrepris sur le terrain. Au cours des enquêtes, il a pu apparaître ainsi que de petits réseaux privés existent et qu’ils peuvent desservir des centaines de clients que personne n’avait repérés. Outre l’offre de la société nationale, il s’est agi d’identifier toutes les autres formes d’offres : les charretiers qui transportent l’eau, les gérants de mini-réseaux de captage qui possè-dent une centaine de clients, les fontainiers, les maçons qui construisent les latrines, les vidangeurs manuels de latrines, etc., présents sur le terrain. Il leur est donné le temps d’exprimer leurs problèmes et leurs suggestions d’amélioration afin d’avoir une vision la plus précise possible de ce qui existe et des problèmes – non hiérar-chisés – qu’ils s’expriment afin d’identifier les objectifs d’amélioration du service tels qu’ils sont vus. Les facilitateurs reçoivent la consigne de parcourir la ville à différentes heures de la journée de façon à s’imprégner du contexte.

Prendre conscience de la situation et construire une communauté d’intérêt L’un des enseignements de ce programme, qui fait son originalité, est d’avoir constaté que parvenir à un objectif partagé prend du temps pour qu’il y ait trans-mission entre acteurs, pour qu’apparaisse, sur la base du diagnostic commun, une mobilisation de toutes les parties prenantes permettant d’aboutir à une com-munauté d’intérêt et à des positions communes. Cela implique des négociations puisqu’on ne peut pas tout faire à la fois. Il s’agit de réussir à mobiliser toutes les parties prenantes. Avant de parvenir à un intérêt commun, beaucoup d’intérêts divergents se mani-festent et beaucoup d’acteurs s’ignorent ou nourrissent des ressentiments les uns vis-à-vis des autres. Ainsi, à l’issue de l’enquête et préalablement à une discus-sion générale, il s’est agi de désamorcer les tensions trop fortes par une démarche constructive. Si dans quelques cas, le processus n’a pas abouti, dans de nombreux cas le dialogue s’est instauré et a permis une prise de conscience des problèmes qui se posent à l’autre et à l’ensemble de la ville.

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C’est souvent le maire pour qui le changement qui intervient est le plus grand. La situation s’est répétée dans chacune des quinze villes du programme : les maires reconnaissaient généralement les problèmes concernant l’eau potable ou le traite-ment des eaux pluviales, mais ne percevaient pas ceux liés au traitement des eaux usées, problèmes relevant de ces thèmes tabous dont on ne parle pas. La visuali-sation de la situation de sa ville les a amenés à une prise de conscience et à une volonté d’agir.

L’atelier de validationL’atelier de validation restitue le diagnostic et permet le partage et l’approbation d’une compréhension commune de la situation de la ville ainsi qu’une localisation des problèmes pratiques à résoudre. Les facilitateurs peuvent alors redevenir des experts qui aident les acteurs à définir la stratégie à mettre en place pour répondre aux objectifs retenus. Une prise de conscience par le maire de la pluralité des acteurs et une reconnaissance mutuelle des uns et des autres La rencontre et la reconnaissance mutuelle des acteurs locaux ne sont pas chose facile car les institutions officielles et les acteurs des réseaux informels ne se fré-quentent pas. La prise en considération de ces acteurs non reconnus passe par le maire ainsi que par des restitutions des groupes d’acteurs, préalables à l’atelier général. Le maire prend ainsi conscience de la pluralité des acteurs présents dans sa municipalité, élément essentiel dans son rôle de facilitateur du service public.L’apprentissage de la prise de responsabilité et le renforcement de la légitimité du maire Il y a donc apprentissage par ce dernier de sa responsabilité en matière de services publics et il y a en même temps renforcement de sa légitimité par les actions qu’il est en mesure de mener, ce qui permet peut-être de dire qu’il s’agit d’un processus de nature politique. Des situations politiques locales généralement peu conflictuellesDans les quinze villes où s’est déroulée l’intervention, il n’y a pas eu – à une excep-tion près – de situation politique locale conflictuelle au point de bloquer le pro-gramme. Dans les plus grandes villes, les fonctions de maire sont assumées par des délégués du gouvernement. Ailleurs, il y a des maires élus mais les secrétaires généraux sont nommés par le pouvoir. Une expérimentation de la mise en œuvre du programme par groupe de quatre villes dans des pays différents Dans le cadre d’un programme particulier financé par la coopération française, a été lancé un programme de trois groupes de quatre villes travaillant ensemble, dans quatre pays différents et dans le même laps de temps. Cela a démarré par un atelier commun aux quatre villes, auquel étaient conviés les maires, les services techniques et le facilitateur, au cours duquel ont été définis les attendus du programme et de grands principes méthodologiques. Chacun des maires présentait sa ville, lui conférant ainsi un rôle pivot. Des ateliers intermédiaires ont eu lieu en passant

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d’un pays à l’autre et d’une ville à l’autre avec, à chaque fois, une mise à jour de la méthodologie qui se bâtissait ainsi au fur et à mesure (il ne s’agissait pas de partir avec une méthodologie toute faite) et avec tours de table systématiques afin que chaque participant s’exprime. Cette méthodologie concertée a donc été évolutive et progressive et a pu différer selon les groupes.

Des propositions de solutions Une fois que tous les partenaires partagent une vision de ce qu’il convient de faire, la phase suivante a consisté à formuler des propositions de solutions.

Eviter les solutions toutes faites Il convient de faire attention à ce que les experts n’imposent pas des projets tous faits et prêts à être mis en place. Si des raccordements individuels seront réalisés un jour, exigeant d’étendre les réseaux, les experts doivent penser à toutes les options d’amélioration du service permettant de construire une vision à court terme pour les urgences mais aussi à moyen et à long terme. C’est à ce stade qu’est identifié un groupe d’acteurs clés qui va continuer à se réunir et qui deviendra l’instance de suivi de la mise en œuvre du programme.

Mettre en cohérence tous les financementsLes collectivités ne sont pas destinées à concentrer tous les financements mais elles les mettent en cohérence. Plutôt que de partir de l’idée que tous les finan-cements doivent passer par les collectivités territoriales, il s’agit de construire un cadre permettant de mettre en cohérence les actions de développement mises en œuvre par les uns et les autres. Ainsi par exemple, les associations de fontainiers qui ont été associées peuvent prendre en charge un volet du projet. L’information dont les communes disposent n’est pas un document de projet que la collectivité va présenter à un bailleur de fonds, c’est une information qui montre tout ce qu’il convient de réaliser sur le territoire. Pour atteindre l’objectif, tout n’a donc pas à passer par le budget de la collectivité territoriale. Celle-ci a mieux à faire en mettant en cohérence tous les financements et toutes les actions qui entrent dans une stra-tégie dont elle est porteuse. Plus que du financement des collectivités territoriales, il s’agit du financement du développement local. Dans le cadre de la coopération décentralisée, lorsque chacun arrive avec son projet, cela permet au maire de pro-poser de l’insérer dans la stratégie établie, ce qui offre une possibilité de meilleure cohérence et constitue un élément d’attraction des financements. L’association de toutes les parties prenantes dans le diagnostic et dans la formulation de la stratégie fait que ces dernières sont à même de comprendre le rôle que chacun va avoir à jouer. La mairie est ainsi capable d’animer une démarche impliquant toutes ces parties prenantes.

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Respecter les étapes successives d’élaboration du programme L’un des risques des interventions est toujours de passer trop vite aux projets (« faire du mille-feuille »). Or, une stratégie s’exprime d’abord en termes d’objectifs et c’est seulement ensuite que peuvent être développés les projets. Cette étape est difficile à mener et n’est pas encore véritablement entrée dans les esprits (voir PDM, PSEAU, 2012, pp. 39 et suiv.). Une difficulté adjacente tient à la faiblesse des services techniques dont sont dotées en général les villes secondaires.

2.4.4 - Les débats du GroupeSur la notion d’appropriation des acteursPartir des acteurs en les rassemblant autour d’une problématique est suffisamment rare pour mériter d’être souligné. Ainsi, dans le secteur de la microfinance par exemple, il n’y a jamais eu de tentatives visant à mettre autour d’une même table les parties prenantes (le régulateur, le superviseur, les institutions et le secteur) afin de discuter de ces questions. Christophe Le Jallé et Claude Baehrel ont souligné que le programme ECOLOG mené par le PDM et portant sur l’économie locale, bien qu’il ait été plus technique, était construit de la même manière avec la possibilité d’inclure la microfinance dans l’élaboration des propositions de financement de programmes : il a permis la concertation de tous les acteurs économiques et l’identification des points de synergie et des questions à appuyer de manière privilégiée.

Sur l’implication des mairesCertains maires se sont beaucoup investis dans ce processus car il leur donnait de la visibilité, mais c’était emprunt d’une certaine ambiguïté car ils ne savaient pas nécessairement dans quel jeu on les faisait entrer.

Sur le cas de l’EthiopieEn Ethiopie, la représentation de l’espace de la ville proposée par le facilitateur a pris la forme d’une superposition, dans le schéma directeur, de la situation exis-tante et d’une projection de la ville idéale avec sa salle de cinéma ou son théâtre, ce qui posait un problème : dans ce pays, le Mayor est rattaché au Parti, alors que le Municipal Manager est salarié et incarne plutôt la partie technique. S’agissant du rapport au politique qui, dans ce pays, est très fort, il est généralement estimé que l’Etat, très présent au niveau local, dispose d’une réelle capacité à mobi-liser et à encadrer les populations sous la forme de conseils de quartiers. Ceci peut être vu comme une application exemplaire de la séparation entre la citoyenneté et les formes sociales traditionnelles, alors que c’est en même temps une survivance de la période révolutionnaire et du contrôle des populations. Cependant, il est indubitable qu’il y a chez les maires éthiopiens un engagement politique prononcé et un sens du service public et de ce que doit être l’avenir du pays et de son développement.

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Il serait intéressant de savoir s’il y a eu un changement de perception du pouvoir communal et du politique après la mise en place de ces programmes qui favorisent l’implication et l’échange entre les acteurs locaux : quelle vision du politique s’est construite à l’issue de ces initiatives ? Comment la phase de suivi se déroule-t-elle ? La phase diagnostic est présentée comme un moment idéel où tout le monde se rencontre et se parle, les acteurs se mobilisent. Cela étant, comment la municipalité se l’approprie-t-elle ensuite, quel rôle y joue-t-elle, est-ce qu’on peut comparer les différentes manières dont les appropriations ou les institutionnalisations se sont effectuées ?Les intervenants ont souligné qu’il y a des clivages au sein des conseils municipaux mais que les maires se sont plutôt inscrits dans des oppositions qui se manifestent au niveau régional. Il y a un turn-over important du personnel politique. Il ne faut donc pas tout miser sur le maire mais s’assurer de la mobilisation d’autres porteurs du processus, tels que les services techniques qui ne sont pas soumis aux alter-nances politiques. Celles-ci correspondent en fait aux changements d’équipes qui s’opèrent souvent au sein des mêmes partis. Les instances de suivi ne sont pas très dynamiques. Elles se composent généralement du maire, des services techniques ainsi que de l’opérateur du service de l’eau qui est un acteur relativement imprévu dans le dispositif. En tout cas, ce n’est pas le maire qui porte la dynamique sur le long terme.

Sur le rôle des municipalitésLe Groupe de travail conduit par le F3E sur le renforcement de capacité et la gou-vernance locale des municipalités dont il est rendu compte dans ce dossier (voir point 2.5) s’est interrogé sur le rôle à donner à ces dernières : comment travailler avec les acteurs, comment faire en sorte que le diagnostic soit établi dans une perspective de renforcement de capacités en sortant du côté « projet » qui est très opérationnel et à court terme mais sans vision globale à long terme, quels moyens organisationnels à mettre en place pour que la collectivité joue son rôle ? La ques-tion du rôle sectoriel de la maîtrise d’ouvrage, de la manière dont l’assainissement interrogeait les collectivités y a été débattue.

Sur l’exercice lui-mêmeIl est difficile de partir d’une approche globale de la maîtrise d’ouvrage car l’exer-cice devient rapidement trop abstrait. La porte d’entrée à une réflexion sur le long terme se présente souvent à l’occasion d’une action particulière. La phase diagnos-tic reste relativement implicite mais démontre rapidement ses limites puisqu’on en reste au coup par coup sans vision globale. Christophe Le Jallé et Claude Baehrel ont souligné que la façon dont les objectifs sont définis est déterminante sur la manière de monter les projets. Si l’objectif est l’amélioration des installations sanitaires individuelles, cela signifie que le premier projet ne va pas être financé à cent pour cent puisque le reste du programme ne pourra pas l’être de la même manière. De plus, les populations vont attendre le

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financement suivant sans vouloir prendre aucune initiative. Il sera donc nécessaire de trouver un mécanisme de financement permettant de décupler l’action engagée afin qu’elle ne se limite pas à un projet mais qu’elle soit généralisable. Il ne s’agit pas de réaliser tant d’installations dans un quartier parce qu’un financement a été obtenu, mais bien d’améliorer l’ensemble des équipements. L’étape consistant à identifier la façon dont on va atteindre l’objectif est ainsi déterminante. Le projet est subordonné à une stratégie. Par rapport à une stratégie urbaine plus globale, il n’est pas possible de consacrer autant de temps pour écouter chaque acteur lorsqu’il s’agit de bâtir les stratégies de développement de l’ensemble des secteurs à couvrir (électricité, téléphone, com-merces, etc.). Les plans communaux de développement sont importants comme cadres génériques qui peuvent être précisés et améliorés en fonction des pro-grammes sectoriels. L’un des animateurs constate que le fait que ces programmes accordent beaucoup d’importance au maire, pour ensuite considérer qu’il change trop souvent, introduit peut-être une difficulté : sa place dans le dispositif ne risque-t-elle pas finalement d’apparaître très formelle et liée au besoin d’avoir un blanc seing représentatif, l’acteur déterminant étant en fait le facilitateur ? La prise en compte consensuelle des intérêts et des préférences de chacun des acteurs permet-elle de faire émerger un espace public et une communauté d’intérêt, et remplace-t-elle le débat politique contradictoire autour des principes de justice dans la mise à disposition des ser-vices qui est au fondement de la citoyenneté communale ? N’existe-t-il pas dans les villes africaines des modes de pouvoir et de solidarité sociale (prolongement des solidarités villageoises, des solidarités associatives, des projets de développement, etc.) qui déterminent la position des divers acteurs et sur lesquels s’appuyer pour la recherche du bien commun ? Ou le principe de redistribution clientéliste reste-t-il déterminant ? Les solutions techniques présentées par le facilitateur ne sont-elles pas finalement déterminantes, la prise de conscience par les acteurs de la situation conduisant surtout à les leur faire accepter comme seules possibles ?L’approche étant sectorielle, les arbitrages entre affectations de financements aux différents secteurs risquent d’échapper aux municipalités même si celles-ci se réfèrent à une stratégie d’ensemble. Par ailleurs, il n’est pas sûr que beaucoup d’investisseurs privés se déclarent intéressés. De ce point de vue, un mécanisme méritant attention avait été mis en place au Burkina Faso : les fonds internationaux à destination du secteur de l’eau et de l’assainissement (des Agences de bassin fran-çaises par exemple) avaient été transférés à l’Office national de l’eau et de l’assainis-sement (ONEA) qui les redistribuait aux communes. Celles-ci étaient propriétaires des équipements et recevaient l’appui technique des agents de l’Office. Cela étant, la gestion des équipements était généralement déléguée à des opérateurs, dont l’ONEA. Cependant, les collectivités territoriales n’étaient pas démunies : elles pouvaient recevoir l’appui de l’association « Eau Vive » dans leurs négociations avec l’Office. Ainsi, la logique sectorielle des bailleurs de fonds pouvait se transfor-mer en logique municipale.

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2.5 - Comment la coopération décentralisée peut-elle renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités partenaires ? (Bruno de Reviers, F3E)L’étude intitulée « Accompagner les collectivités territoriales du Sud dans la gouver-nance de leur territoire – Comment la coopération décentralisée peut-elle renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités partenaires ? » a été lancée par le F3E, Cités Unies France (CUF) et le Projet d’Accompagnement du processus de Décentralisation marocain (PAD-Maroc) (CITES UNIES FRANCE, F3E, PAD-Maroc, 2009). Un comité de pilotage a été constitué notamment de l’Arricod, de l’AFD, de la Délégation pour l’action extérieure des collectivités locales (DAECL/MAEE), de l’Institut des Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP) de Lausanne, et de l’Université de Paris. Le Conseil général de Seine-Saint-Denis était également partie prenante dès le début.Au démarrage en 2006, l’idée était de s’interroger sur les associations de coopéra-tion décentralisée qui pouvaient faire écran entre les collectivités partenaires. Cette idée a évolué vers le thème finalement retenu : comment les collectivités territo-riales peuvent appuyer le renforcement de la maîtrise d’ouvrage des collectivités du Sud sur les questions d’équilibre financier notamment. Cela a permis d’asseoir un discours commun sur la maîtrise d’ouvrage.Une équipe de consultants du Nord et du Sud a été mise en place et compre-nait le GRET, ACT Consultant, un consultant marocain, et un consultant malien. L’essentiel du travail s’est effectué à partir des cinq partenariats étudiés12 avec tou-tefois des croisements avec d’autres expériences. Le rapport produit expose les enseignements transversaux qui en sont ressortis et des monographies sur chacun des partenariats. Une plaquette a été éditée à destination des élus sur l’intérêt du thème du renforcement de la maîtrise d’ouvrage en matière de coopération décen-tralisée. L’échantillon était relativement limité mais homogène et ne pouvait être démultiplié pour des questions de moyens. Un appel avait au départ été lancé afin de toucher les différents échelons territoriaux de la coopération décentralisée, tels que les régions, les départements, les « agglos », les associations de collectivités. Ce sont les collectivités marocaines, à travers le PAD Maroc, qui ont demandé à être parties prenantes de l’étude. Les enjeux de cette capitalisation en termes de plaidoyer ont porté sur l’appré-ciation de la crédibilité et de la légitimité des collectivités territoriales du Sud, et au fait que les partenaires font un métier équivalent même s’ils le font différem-ment. Pour certains partenariats, ce travail constituait une opportunité de leur donner un sens plus politique et de les rééquilibrer. La coopération décentralisée est une coopération publique qui doit, par conséquent, s’inscrire dans le projet global de la société.

12 A savoir : Communauté d’agglomération Évry Centre Essonne / Commune de Kayes (Mali) ; Conseil général de Loire-Atlantique (avec plusieurs collectivités au sein de Guinée 44) / Commune urbaine de Kindia et les neuf communautés rurales de développement de la Préfecture de Kindia (Guinée) ; Région Aquitaine / Région du Souss-Massa-Drâa (Maroc) ; Région Rhône-Alpes / Région de Tombouctou (Mali) ; Conseil général de Seine-Saint-Denis / Commune de Figuig (Maroc).

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2.5.1 - Définition de la maîtrise d’ouvrage La commune n’est pas considérée comme un acteur parmi les autres : elle joue un rôle de chef d’orchestre en tant qu’« autorité responsable des services », chargée d’assurer la mise en cohérence de l’ensemble des acteurs intervenant sur le territoire communal.Le renforcement des capacités de maîtrise d’ouvrage, enjeu pour la crédibilité et la légitimité des collectivités territoriales partenaires, consiste à renforcer leurs capaci-tés à gouverner leur territoire. Ainsi, c’est l’ensemble des actions visant à améliorer les dimensions politique, organisationnelle, technique et territoriale. La dimension politique a trait à la légitimité politique des collectivités, à l’animation de la démo-cratie locale, à la capacité à définir des politiques et à exercer un pilotage stratégique des actions. La dimension organisationnelle traite de l’organisation de la maîtrise d’ouvrage, de la gestion des ressources humaines, des questions financières – y compris la collecte d’impôts – ainsi que des relations élus-services techniques. La dimension technique regroupe les actions menées pour l’exercice des compétences tels que l’aménagement du territoire, l’eau, le développement économique, etc. La dimension territoriale recense les interactions de la collectivité territoriale avec les autres acteurs, en particulier ceux du territoire, mais aussi l’État. Au final, pour dissiper toute ambiguïté liée à une vision technique trop réductrice de la maîtrise d’ouvrage, c’est l’expression « renforcement des capacités de gouvernance locale » qui a été retenue pour les travaux qui ont suivi la capitalisation. Lors des débats du Groupe de travail, l’absence, dans cette liste, de la dimension financière comme une catégorie en soi de la maîtrise d’ouvrage par rapport à la dimension opérationnelle a été relevée. Au Maroc, par exemple, la collecte ou la distribution de la TVA, au niveau des collectivités territoriales, n’est toujours pas résolue et, d’une manière générale, la fiscalité locale est partout un sujet qui reste en friche. Bruno de Reviers a souligné qu’en réalité cette dimension financière est par-tie prenante du fonctionnement des collectivités dans leurs quatre dimensions et, de plus, l’étude visait à aborder les choses dans la perspective d’une vision globale du fonctionnement des collectivités. La maîtrise d’ouvrage n’est pas particulière-ment financière même si cela conditionne beaucoup de choses. De toute façon, la question financière est largement traitée dans les documents. Le terme de maîtrise d’ouvrage reste à consonance très française : il est par exemple difficile d’en parler avec des interlocuteurs européens. Le terme de gouvernance locale serait plus approprié mais il n’est pas innocent et pose également problème dans la compréhension théorique de l’organisation des choses ; appliqué par exemple aux communes, il peut signifier qu’elles sont des acteurs parmi les autres. Or, cela n’est pas le cas : ce ne sont pas des acteurs parmi les autres puisqu’elles ont un rôle de chef d’orchestre. Un terme qui conviendrait peut-être mieux serait celui d’autorité responsable des services. La maîtrise d’ouvrage de la collectivité du Sud et celle de la coopération décentralisée sont deux notions à distinguer soigneusement. La maîtrise d’ouvrage de la collectivité partenaire s’applique à un territoire donné sur lequel s’exerce sa compétence.Le renforcement de la maîtrise d’ouvrage porte sur l’ensemble des actions visant à l’améliorer dans les quatre dimensions qui ont été identifiées.

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2.5.2 - Trois types de démarche pour réussir un partenariat Les partenariats étudiés dans la capitalisation se répartissent selon trois types de démarche : 1/ un appui global à la construction et au développement de ce qu’est une collectivité territoriale, qui s’adresse plutôt à des collectivités récentes ; 2/ un apport d’expertise et d’assistance pour le développement de compétences secto-rielles spécifiques (comme des études, des appuis techniques, des formations, etc.), qui concerne plutôt des collectivités ayant déjà une certaine maturité ; et 3/ des échanges entre pairs, dans le cadre d’une relation symétrique entre collectivités partenaires.Dans certains cas, le renforcement de la maîtrise d’ouvrage était l’objectif affiché de la coopération et les projets étaient alors des prétextes pour exercer ce renforce-ment. Dans d’autres cas, la coopération s’est concentrée sur les projets en considé-rant que le renforcement des capacités se ferait chemin faisant.

2.5.3 - Cinq principes d’action comme conditions de réussite d’un partenariat Cinq principes d’action ont été identifiés dans une perspective de renforcement des capacités de la maîtrise d’ouvrage : 1/ inscrire le processus dans la durée, ce qui donne le temps de prendre en compte l’évolution du contexte socio-écono-mique et institutionnel, d’identifier les acteurs locaux, d’installer la confiance entre partenaires, ou de surmonter d’éventuelles baisses de régime ; 2/ formaliser les conventions spécifiant les objectifs, les résultats, et les responsabilités (les conven-tions constituent des prétextes pour se mettre d’accord et instaurer des échanges réguliers entre partenaires) ; 3/ respecter les cadres institutionnels locaux, notam-ment en matière de circuits financiers ; 4/ mettre en place un dispositif partenarial permanent de concertation, de programmation, et de pilotage / suivi permettant prise de décision et arbitrage ; 5/ distinguer clairement entre les projets et le pro-cessus de renforcement de la maîtrise d’ouvrage. La mise en pratique de ce dernier principe pose problème. La collectivité terri-toriale du Nord peut en effet se mettre en appui à la collectivité partenaire pour l’aider à formuler une qualification, mais il est préférable d’éviter de mélanger maîtrise d’ouvrage et co-maîtrise d’ouvrage, dans laquelle la collectivité territoriale du Nord est elle-même acteur de la maîtrise d’ouvrage de la collectivité territoriale du Sud. Il y a donc lieu de distinguer trois situations : 1) la maîtrise d’ouvrage de la collec-tivité du Nord dans son intervention au Sud ; 2) la maîtrise d’ouvrage de la col-lectivité du Sud ; 3) la maîtrise d’ouvrage de la collectivité du Nord dans celle du Sud, situation qui pose problème. Les collectivités territoriales du Nord se posent peu la question de la manière dont elles mettent en œuvre leur propre maîtrise d’ouvrage dans la conduite des opérations de coopération. Elles ont probable-ment intérêt à se poser la question de leur métier – en dehors des interventions techniques comme la construction de puits – et à la façon dont elles vont le trans-mettre au Sud.

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2.5.4 - Quatre champs d’intervention à investir Ces champs d’intervention sont les suivants : 1/ la gestion des financements, sur ressources propres (fiscalité locale) ou extérieures ; 2/ le pilotage du partenariat et des actions ; 3/ la formation et les autres formes de renforcement des capacités, aussi bien des intervenants du Nord que des élus et des services techniques du Sud ; 4/ la relation entre la collectivité (y compris les élus) et les acteurs du territoire, qui renvoie notamment à la légitimité de la collectivité mais aussi à l’expression des pouvoirs traditionnels, des ONG et des associations ainsi que des populations non organisées. Au sein du Groupe de travail, un débat a eu lieu autour de la formation. Sauf au Maroc, il n’existe dans aucun des pays couverts par l’enquête de systèmes de for-mation consacrés aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Le PDM a monté des cycles de formation pour les directeurs de services administratifs, mais il n’est pas toujours facile d’organiser les échanges entre services techniques du Nord et du Sud. Ainsi, dans le cadre de la coopération entre le Département du Val-de-Marne et la Commune de Zinder, la compréhension de la situation et l’appréciation de la compétence de leurs interlocuteurs par les techniciens du Val-de-Marne ne sont venues qu’à l’issue de la mission de faisabilité sur le ter-rain. Une adaptation au contexte et à la technique est nécessaire aux intervenants du Nord : lorsqu’ils évoquent l’assainissement, les partenaires peuvent entendre « station d’épuration ». Dix ans de formation en microfinance au CEFEB (AFD) de Marseille ont montré que les formations (à l’économie financière par exemple) ont donné peu de résul-tats, faute en partie à l’enseignement et à la motivation peu claire des stagiaires (des directeurs financiers d’institutions de microfinance). Cependant, l’idée était qu’il s’agissait d’institutions financières qui exigeaient des niveaux de compétences éle-vés. La gestion de la formation est ainsi très « francophone ». Cela étant, il y a main-tenant au CEFEB des formations « parcours collectivités territoriales » auxquelles participent pendant une semaine des directeurs financiers de collectivités. Venant de différents endroits, ils sont en mesure de parler de leurs pratiques et de leurs expériences. Un autre exemple est la formation donnée par l’AFD et la Région Ile-de-France qui ont organisé des sessions de trois jours avec des acteurs de la coo-pération décentralisée sur l’Agenda 21 et le développement durable, uniquement franco-français, qui ont donné lieu à des échanges d’expériences tout à fait inté-ressants de part et d’autre. Le Département du Val-de-Marne a aussi organisé des formations d’élus avec la création de « maisons des élus ». Des expériences de com-pagnonnage ont également été lancées. Des formations sont également organisées au sein des partis politiques. Dans les années 1980, s’était constitué en Bretagne un réseau de formation des élus lié aux changements politiques qui sont intervenus dans cette région. En France, il y a eu des initiatives de la part d’une association d’élus pour lancer des formations mais qui ne s’étaient pas prolongées. Il y a bien l’émergence d’une demande de formation de la part des élus. Cela étant, la question se pose de savoir s’il ne faut pas plutôt tenter de repérer les « innovateurs » plutôt que de viser l’ensemble des élus.

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La mise en relation des élus avec les acteurs du territoire rejoint notamment la question de la fiscalité et permet de tenter d’améliorer la qualité des projets ainsi que de gagner en légitimité. Les élus prennent conscience que sur le territoire com-munal, il y a des interlocuteurs avec lesquels travailler. Le rapport indique que ces liens sont au fondement politique de la collectivité territoriale et qu’ils peuvent s’exprimer sous la forme d’organisations de quartiers qui permettent justement d’associer la population à la structuration du territoire (CITES UNIES FRANCE, F3E, PAD-Maroc, 2009, p.88 du volume A de l’étude). La question que l’on peut se poser est de savoir si de telles initiatives constituent simplement une instrumentalisation de ces associations, sans volonté réelle de leur reconnaître un droit d’expression (au niveau national, les organisations de la société civile ont souvent beaucoup de peine à faire reconnaître leur droit d’exprimer le cas échéant des vues divergentes de celles des gouvernements). Il faut repérer les mécanismes de concertation et de participation. Il y a un premier niveau, celui de la redevabilité de la part des élus qui rendent compte devant leurs électeurs. A d’autres niveaux, il y a des concertations nécessaires en particulier avec les structures tra-ditionnelles. Parfois, la concertation fonctionne bien (l’exemple de Ziguinchor au Sénégal est cité). Les associations de femmes ont pris une importance non négli-geable. Dans la gouvernance locale, le stade où les élus décidaient seuls des inter-ventions à effectuer est révolu ; il convient maintenant d’avoir en permanence des contacts avec les citoyens, avec leurs organisations et leurs représentants. Mais la situation est diverse : cette concertation est bien davantage développée en Afrique anglophone et en Afrique de l’Est. Par contre, au Maroc il y a dix ans l’intervention des associations était exclue. Il convient peut-être de distinguer deux groupes de population : celle qui va se trouver représentée par les organismes institués ou les associations de la société civile et celle qui ne l’est pas et qu’il faut également considérer à travers l’Etat selon des mécanismes particuliers de consultation. On parle généralement très peu de ces questions de gouvernance au sein des conseils communaux. Si l’on veut répondre à l’ensemble des besoins de l’ensemble de la population, il ne faut pas s’en tenir à celle qui se retrouve dans les associations déjà constituées. Il est cité l’exemple d’une des mairies d’arrondissement de Paris où 160 associations sont recensées qui peuvent être des bons relais de mobilisation mais qui sont spécialisées dans certains domaines et n’auront peut-être rien à dire sur d’autres domaines. Il convient donc de dépasser ce cadre organisé et tenir des réunions publiques.

2.5.5 - Les suites données à cette capitalisation L’idée était de développer les acquis de la capitalisation, par exemple sur la mobili-sation des ressources des collectivités territoriales ou sur les dimensions qui com-posent la maîtrise d’ouvrage. Il avait également été envisagé de mettre au point un module de formation sur l’élaboration d’une stratégie de renforcement de la maîtrise d’ouvrage et l’Arricod avait souhaité que soit développé un discours déga-geant l’élaboration de positions communes et de pratiques autour du thème. C’est

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finalement sous la forme d’un Groupe de travail F3E-Arricod avec la participation d’ONG et de collectivités territoriales que cette capitalisation a été poursuivie. Une liste de questions avait commencé d’être élaborée dans la perspective des modules de formation envisagés sur les différentes dimensions identifiées et sur ce qu’il peut y avoir « derrière » avec des systèmes de réponse construits d’une manière plutôt ludique. Des questions sont posées, notamment concernant les aspects stra-tégiques ou de gouvernance de la fonction politique des collectivités (comme de savoir si les élus sont en capacité de valider un budget, de réaliser des arbitrages, etc.), l’idée étant d’amener les participants à se poser ces questions sans se donner un cadre de réflexion a priori. Le cadrage du Groupe de travail (qui rassemble, du côté des collectivités territo-riales, des techniciens des services mais pas d’élus) a mis l’accent sur la manière de passer de la notion de maîtrise d’ouvrage, trop connotée « marchés publics », à celle de gouvernance locale et d’insertion dans un territoire. Il n’est pas cherché à se pré-occuper d’élaborer des grands principes et à fournir des définitions de la régulation concertée, de la dimension décentralisation, du développement local ou de l’intérêt général. Il ne s’agit pas d’épuiser la notion mais de chercher à déterminer comment les actions de coopération Nord-Sud menées par la coopération décentralisée et par les ONG peuvent y contribuer. Cette approche ne se situe plus, comme c’était plutôt le cas dans l’étude de capita-lisation, au niveau des projets mais davantage dans des programmes inscrits dans la durée. Le renforcement de la maîtrise d’ouvrage est vu comme un processus de changement qui résulte de l’interaction de multiples facteurs et de multiples inter-venants, dont la coopération décentralisée, laquelle ne fait donc qu’y contribuer. Par ailleurs, il est admis qu’il s’agit d’un processus qui n’est pas linéaire : les choses progressent par pallier et il peut y avoir des retours en arrière et d’autres équipes municipales peuvent être élues. Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas, on ne se situe pas dans des processus qui s’enfermeraient dans des catégories classiques. On est dans des processus de changement dans lesquels il s’agit de s’insérer. Il n’y a pas de position établie au sein de ce Groupe en ce qui concerne le contenu du « changement ». Les évaluations d’impact conduites dans le cadre d’autres groupes de travail au sein du F3E ne sont plus abordées en termes d’évaluation a posteriori essayant d’attribuer un impact mais en se situant dans un contexte de che-minement, en essayant de percevoir ce qui se passe et comment cela se passe ainsi que de saisir la manière dont on y contribue. Il ne s’agit plus de mesurer le degré d’atteinte des résultats fixés préalablement, même si un cap est bien évidemment arrêté. Le groupe s’est donné cinq thèmes de travail. Trois d’entre eux sont abordés ensemble : l’identification des outils permettant de caractériser un contexte avant de démarrer une démarche de renforcement de capacités ; les cheminements per-mettant d’y accéder ; la manière dont il faudrait procéder. Les deux autres sont davantage transversaux : comment le renforcement de capacités s’articule aux autres acteurs du territoire et de quelle manière il peut contribuer à l’évolution du partenariat. Sur ce dernier point, la coopération comme une politique publique

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tend désormais à s’intégrer aux autres politiques publiques des collectivités. Ainsi, Evry vient d’achever son projet de territoire « Evry 2020 » et s’est posée la question de la manière dont la politique de coopération s’inscrivait dans ce projet. Compte tenu de la dimension développement durable qui figure dans les politiques des col-lectivités territoriales, la préoccupation internationale devient un élément obligé. La question des transferts des migrants est également désormais d’actualité. Cela étant, certaines collectivités territoriales du Nord ne souhaitent pas que soit menée une politique particulière à leur égard. Les premiers résultats (très provisoires) peuvent être résumés de la manière suivante. Le groupe de travail a cherché à comprendre quels étaient les différents acteurs qui peuvent interagir sur les processus. A l’aide d’entretiens avec certains membres du groupe, deux cas extrêmes de cheminements sont ressortis. Dans le premier cas, le renforcement de capacités est abordé au départ de manière explicite à travers la faisabilité d’un projet, avec des ajustements en cours de route. Dans le second cas, c’est au cours de l’exécution d’un projet que les besoins de renforcement de capacités apparaissent, avec un diagnostic « chemin faisant ». La première approche permet certainement d’avoir une démarche plus globale sauf qu’étant externalisée, l’intervention peut poser des problèmes d’appropriation, le diagnostic ayant ten-dance à être ignoré sauf si la collectivité territoriale du Sud décide elle-même des aspects qu’elle entend mettre en œuvre. Cela peut décevoir la collectivité du Nord mais l’appropriation est souvent meilleure. Ce type de démarche est difficilement finançable dans le cadre d’un projet précis et doit donc l’être sur fonds propres, à l’exemple d’un partenariat entre une collectivité strasbourgeoise et une collectivité sénégalaise pour réaliser une bibliothèque et identifier les conditions permettant de mener une politique publique. Une grille provisoire de questions à se poser a été établie. Ainsi, par exemple, pour identifier et hiérarchiser les capacités à renforcer, on se demande quelles sont les différentes parties prenantes du service avec lesquelles il faudra travailler, quelles fonctions devra remplir la collectivité territoriale pour mettre en place et faire fonctionner ce service, ou encore quelles capacités la collectivité devra renforcer en priorité pour être en mesure de remplir ces fonctions. Il est également posé que la coopération décentralisée n’est qu’un acteur parmi tous les autres, qu’elle devra collaborer avec d’autres et que c’est bien la collectivité territoriale parte-naire qui est en charge du programme. Par ailleurs, une démarche itérative est recommandée.

2.6 - Co-production des services publics locaux de l’eau et fiscalités dans les localités du sénégal oriental (Clément Repussard, anthropologue)Des petites villes aux communes rurales du Sénégal oriental : présentation du ter-rain et du lien avec les réflexions d’Epargne Sans FrontièreL’intervention reprend certains éléments d’une thèse d’anthropologie du dévelop-pement, menée dans le cadre du Centre d’études des mondes africains (CEMAf) de l’Université de Provence (Aix-Marseille) à partir d’une recherche de terrain de juin

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2007 à juin 2010, au sein du programme Pacepas, à l’Est du Sénégal, dont l’opéra-teur était le GRET. Le sujet avait trait à « La construction du service public de l’eau potable en milieu rural au Sénégal ». La problématique politique en était la « construction des solidarités sociopolitiques et de la citoyenneté par le service public ». L’angle d’analyse concret portait sur « Qui paie quoi, pour qui et comment ? ». Les localités étudiées étaient des villages de Moudéry et de Diawara, appartenant à une même collectivité locale et relativement peuplés (10 000 habitants), en majorité composés de Soninkés, avec une très forte émigration. A la différence du Mali, une fiscalité communautaire pallie les manques de l’État et actualise une « citoyenneté villageoise ». Les réseaux d’approvisionnement en eau potable datent de la fin des années 1980 et fonctionnent diversement selon les villages du fait de l’ancienneté du service de l’eau. Il existe une demande solvable. Des « associations d’usagers » ont été mises en place : elles sont sous contrôle des mécanismes politiques com-munautaires. Les services fournis peuvent être qualifiés de « publics-communau-taires » avec une omniprésence de comités de gestion. Les liens avec les travaux du Groupe d’ESF ont trait aux aspects de la maîtrise d’ouvrage des collectivités locales abordés par la thèse sur les questions de la ges-tion patrimoniale des infrastructures publiques et sur celle de la (les) fiscalité(s) locale(s) et de son (leur) lien avec la citoyenneté. L’anthropologie s’est emparée de la fiscalité comme d’un objet d’investigation empirique : qu’est-ce qui fait que les gens acceptent ou refusent de payer des taxes ou des impôts ; au nom de quoi et à qui paient-ils ? La notion d’économie morale permet de décrire les droits et devoirs maintenant la cohérence d’ensemble d’un groupe social (Fassin, 2009) ; « Tax payment may serve to signal membership of a certain locality or a certain group […] just as non-compliance may justify exclusion not only from mem-bership of social or spatial entities, but also from political representation » (Juul, 2006). Dans le contexte de polycentricité des pouvoirs, c’est un moyen pour les allochtones d’acquérir une légitimité locale. Mais la fiscalité formelle n’est pas le seul méca-nisme de financement des services publics existant sur le terrain. Le clientélisme et le factionnalisme sont aussi des mécanismes politiques de redistribution : Juul (2006) relève que dans les représentations locales, le multipartisme (qui est une avancée démocratique) a conduit à une délégitimation de l’impôt dont on ignore « dans quelle poche il va aller ». Dans un contexte politique constitué de relations interpersonnelles, le multipartisme accroît l’opacité du circuit fiscal pour les contri-buables qui ne voient de toute façon aucun « retour » de leurs impôts au niveau local.En fait, divers systèmes de financement existent : l’évergétisme13 (Blundo, 2006), les « quasi-impôts », les cotisations (Olivier de Sardan, 2010), le mécénat ou encore la participation locale à un projet de développement. Ces systèmes concurrencent les circuits fiscaux officiels dans la mesure où les contribuables estiment qu’ils ont déjà payé.

13 Le fait pour les notables de faire profiter la collectivité de leur richesse.

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Fiscalités informelles et citoyennetés locales dans les communautés rurales de l’Est du SénégalLes collectivités locales Les collectivités locales au Sénégal ont été créées en 1972, mais n’ont disposé de réelles compétences qu’à partir de 1996. Elles manquent de ressources fiscales (taxes sur les marchés, les transports, la fourrière et taxe per capita), financières et humaines, ce qui engendre une grande incertitude budgétaire. Elles jouent princi-palement un rôle d’intermédiaire avec les projets de développement.

Les sociétés paysannes On est en présence de sociétés paysannes depuis le XIXe siècle. Il s’agit de sociétés inégalitaires avec une organisation par quartier à forte ségrégation socio-spatiale et inégalité de genre. Elles sont organisées autour du Ka qui désigne le lignage (de type patrilignage) et constitue l’unité de consommation, de production et de rési-dence. Les terres sont propriétés collectives, anciennement incessibles. Le champ commun remplit le grenier du ka, géré par le kagumme. Chaque homme marié prend en charge ses femmes avec son propre champ. Depuis les années 1980, des associa-tions d’émigrés se sont constituées. Il s’agit de villages au niveau de vie relativement élevé, biens dotés en infrastructures publiques (eau potable) mais complètement dépendants de la rente migratoire.

Les « caisses villageoises »Des cotisations obligatoires aboutissent à la naissance d’une « citoyenneté villa-geoise » (Timera, 1996) qui supplée l’État. Elles existent depuis les années 1970, voire avant. Il s’agit d’une fiscalité informelle ou « lignagère » dont le contrôle est exercé par les aînés. Un même individu est imposé à chaque échelon (avec en plus l’association d’émigrés). La représentation et les circuits de décision correspondent aux hiérarchies politiques. Ainsi, on est en présence d’une gestion communautaire généralisée des services publics qui « produit » des caisses villageoises sectorielles (santé, éducation, etc.). Il existe donc des budgets « communautaires » pour les services publics.

La fiscalité communautaireLes caisses villageoises sont alimentées par des cotisations, des amendes, des taxes ou des impôts, qui échappent aux collectivités locales. La nature des versements des associations d’émigrés se pose : s’agit-il de la prise en charge de l’intérêt général ou d’impôts déguisés ?La fiscalité « lignagère » définit un statut de contribuable selon les statuts sociaux (paye celui qui a le statut social de « contribuable » ; sont ainsi concernés les émigrés et les hommes mariés). L’instance politique où se jouent le développement et la citoyenneté est le village, avant d’être la collectivité locale (à la différence du Mali). Les scissions politiques s’expriment par le retrait d’une caisse du système.

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Les configurations de délivrance des services publics ruraux au SénégalLes services de l’État sont assez peu présents dans le secteur. Des comités de gestion sont présents depuis longtemps ; ils produisent ainsi une « citoyenneté sec-torielle » concurrente des collectivités locales. Les caisses villageoises désignées ci-dessus sont omniprésentes.

Le service de l’eau, selon les textesSelon la lettre de politique sectorielle, l’organisation du secteur est classique : l’État est maître d’ouvrage des grands projets généralement sur financement des bailleurs de fonds qui harmonisent leurs interventions. Les collectivités locales sont maîtres d’ouvrage des petits projets. Les associations d’usagers ont en charge la délivrance du service public. Les services techniques apportent une assistance aux associa-tions d’usagers pour la maintenance et les ONG assurent la diffusion des réformes. Depuis les années 1970, les collectivités locales sont destinées à prendre en charge – à terme – le service public de l’eau. Les actuelles associations d’usagers ont été conçues comme devant être transitoires, le temps que les collectivités acquièrent les capacités de maîtrise d’ouvrage nécessaires.D’après la loi de 2008 sur le service de l’eau potable, les collectivités locales pour-raient déléguer le service public à des associations d’usagers ou à un opérateur professionnel. En pratique, le secteur reste très centralisé.

Les services de l’eau d’EtatSur la période 1995-2004, l’hydraulique représente 20 % des apports de l’aide publique au développement au Sénégal. De 1975 à 2004, l’Etat a participé pour 9 % du total des investissements à l’hydraulique rurale, le reste provenant de l’aide internationale (dont 64 % s’effectuent sous forme de dons). Le budget de l’État dédié à l’hydraulique provient quasi exclusivement du Budget Consolidé d’Investis-sement, qui n’est pas une ressource régulière ni prévisible : il s’agit en fait de fonds réaffectés en fin d’exercice, le plus souvent à des fins électoralistes.

Le service de l’eau – les services déconcentrésLes Brigades des Puits et Forages ont été financées dès l’indépendance par l’aide internationale. Il n’y a pas de budget annuel fixe : celui-ci dépend entièrement d’un Fonds alimenté par le Budget Consolidé d’Investissement. Les seules lignes allouées aux Brigades concernent le matériel administratif de bureau. Le carburant ou le matériel technique en sont exclus.En dépit des programmes d’ajustement structurel, les ressources humaines sont restées en nombre relativement constant, mais beaucoup de « bénévoles » ou de « non statutaires » ont été mobilisés. On observe un manque de compétences (issus du génie rural ou de la santé ; plusieurs cas de destruction de forages sont à noter). Sans budget, les Brigades jouent un rôle d’intermédiaire de type privé qui leur per-met de fonctionner et d’assurer leur salaire.

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Les associations d’usagers, selon les textesElles sont censées assurer la représentation démocratique des usagers au travers de mécanismes associatifs. Un membre dispose d’une voix, des réunions régulières sont organisées, les assemblées générales donnent lieu à des comptes rendus, etc. Elles correspondent à des « collectivités locales sectorielles » à qui est délégué le service public de l’eau (des licences d’exploitation sont accordées après reconnais-sance par le gouverneur de région). Leur objectif est la vente de l’eau au volume : « La mission de l’association est de sus-citer et d’entretenir pour les populations concernées un mouvement d’opinion propre à généraliser le transfert à l’échelle locale de la responsabilité de l’exploitation du forage et la prise en charge de l’essentiel des dépenses correspondantes ». Est membre de l’association tout usager du réseau à jour de ses cotisations. L’adhésion est volontaire.

Citoyenneté(s) et fiscalité(s) concurrentes : qui a besoin des collectivités locales ?Le service de l’eau est le produit d’espaces « emboîtés »Entrent en jeu de multiples espaces : l’espace domestique de l’eau, les rapport conjugaux, la caisse du Ka, les espaces villageois de l’eau, les réseaux et les tuyaux, les cotisations et les caisses villageoises, l’espace de la « configuration développe-mentiste », le ou les forages et les équipements d’exhaure, les association d’usagers comme interface, les collectivités locales comme point de passage obligé pour la pla-nification et la « légalisation » des décisions, afin de rendre les projets « bancables ».

Qui a besoin des collectivités locales ?« The anti-democratic effects of aid dependency: it is argued that a major reason for the failure of African states to develop greater citizen rights and privileges, as well as democratic institutions enforcing accountability and greater transparency in expenditure, is found in the replacement of taxation with development aid » (Juul, 2006). Les collectivités locales font partie d’une société « projetée de l’extérieur » (Darbon, 2007) comme les associations d’usagers mais, dans ce cas, il s’agit d’une société pro-jetée différente, sectorielle / territoriale. Beaucoup d’interrogations peuvent être formulées à partir de là : peut-il y avoir citoyenneté sans taxation ; les mécanismes de solidarité et de reproduction sociale ne sont-ils pas renforcés lorsqu’ils passent par l’État ? En Afrique de l’Ouest, la solidarité « mécanique » (en opposition à une société à solidarité organique) fonctionne encore et la décentralisation de la gestion des services publics sans démocratie aboutit donc parfois à un renforcement des solidarités communautaires ou des pouvoirs traditionnels ou néo-traditionnels.

Eléments bibliographiques• BLUNDO G. (2006), « Dealing with the local State. The informal Privatisation

of Street level Bureaucraties in Senegal », Development and Change, Vol. 37(4), pp. 799-819.

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• BOUJU J. (dir.) (2004), Les incivilités de la société civile. Espace public urbain, société civile et gouvernance communale à Bobo-Dioulasso et Bamako (communes 1 et 2), Programme de Recherche Urbaine pour le Développement. Paris, GEMDEV-ISTED.

• CITES UNIES FRANCE, F3E, PAD-Maroc (2009), Accompagner les collectivités ter-ritoriales du Sud dans la gouvernance de leur territoire - Comment la coopération décentralisée peut-elle renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités partenaires ?, Capitalisation disponible sur http://f3e.asso.fr/-Accompagner-les-collectivitA-c-s-.html

• DAFLON B., MADIES T. (sous la direction de) (2011), L’économie politique de la décentralisation dans quatre pays d’Afrique subsaharienne, Burkina Faso, Sénégal, Ghana, Kenya, AFD, Banque mondiale.

• DARBON D. (2003), « Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelle », Revue française d’administration publique, 105/106, pp. 135-152.

• DARBON D. (2007), « Réformer un inexistant désiré ou supprimer un inoppor-tun incontournable ? Le service public confronté à l’État et aux sociétés projetées en Afrique », Téléscope, n°14, 2007- 2008 (1), « Le service public et la mondialisa-tion », pp. 98-112.

• FASSIN D. (2009), « Les économies morales revisitées », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2009/6, pp. 1237-1266.

• JUUL K. (2006), « Decentralization, Local Taxation and Citizenship in Senegal », Development and Change 37(4), pp. 821-846.

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