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1 DE LA SECURITE AU BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE Mémoire de recherche présenté par Mila LEBRUN Le 14 septembre 2009 Pour l'obtention du : Master Recherche 2 – A2D2 Agriculture, Alimentation et Développement Durable Sous la direction de : Nicolas BRICAS Directeur adjoint de l’UMR MOISA Chercheur CIRAD Septembre 2009

DE LA SECURITE AU BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE

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Mémoire de recherche présenté par Mila LEBRUN, le 14 septembre 2009 Pour l'obtention du Master Recherche "Agriculture, Alimentation et Développement Durable"

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Page 1: DE LA SECURITE AU  BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE

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DE LA SECURITE AU

BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE

Mémoire de recherche présenté par Mila LEBRUN

Le 14 septembre 2009

Pour l'obtention du :

Master Recherche 2 – A2D2

Agriculture, Alimentation et Développement Durable

Sous la direction de : Nicolas BRICAS Directeur adjoint de l’UMR MOISA

Chercheur CIRAD

Septembre 2009

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DE LA SECURITE AU

BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE

Mémoire de recherche présenté par Mila LEBRUN

Le 14 septembre 2009

Pour l'obtention du :

Master Recherche 2 – A2D2

Agriculture, Alimentation et Développement Durable

Septembre 2009

Sous la direction de : Nicolas BRICAS Directeur adjoint de l’UMR MOISA

Chercheur CIRAD (Environnements et Sociétés)

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Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont participé aux réflexions sur le sujet présenté et nous ont permis de formuler plus précisément les questions que nous nous posions.

Je remercie plus particulièrement :

Michelle Holdsworth, chercheuse à l’IRD, pour son aide sur les questions autour de l’alimentation, ses indications bibliographiques et ses réflexions méthodologiques à propos de la mesure du bien-être.

Benoit Daviron (CIRAD), Gilles Grolleau (INRA, UMR LAMETA) et Lucie Sirieix (INRA, UMR MOISA) pour leur écoute, leur aide documentaire et leurs suggestions.

Natacha Calandre, chercheuse en socio-économie alimentaire au centre Edgar Morin et porteuse, avec Nicolas Bricas, du projet ALIMI, pour son écoute attentive et ses questions judicieuses.

Tous les membres du projet ALIMI, et plus particulièrement Claude Fischler, directeur de recherche au CNRS, pour nos discussions sur les questions de mesure et sur son travail de collaboration avec D. Kahneman dans l’étude du bien-être.

Safi Sanfo, Abdoulaye Diarra et Antonin Vergez (doctorants CIRAD) ainsi que Idyle Abdourahman Djama (stagiaire CIRAD) pour leur bonne humeur, leur soutien, et leurs remarques constructives.

Pascale Morin et Valérie Hourmant, assistantes CIRAD pour leur gestion efficace des formalités administratives et leur accueil à Montpellier et à Nogent-sur-Marne.

Et bien sûr un grand merci à Nicolas Bricas, directeur adjoint de l’UMR MOISA, chercheur au CIRAD et directeur de ce mémoire, pour la confiance qu’il m’a accordée en me confiant ce sujet, son encadrement, ses conseils précieux, son temps consacré à la réflexion et aux échanges d’idées, sa vision d’ensemble, ses relectures parfois tard dans la nuit et son optimisme contagieux !

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Sommaire

REMERCIEMENTS .............................................................................................................. 3

SOMMAIRE ....................................................................................................................... 4

TABLE DES ABREVIATIONS ................................................................................................ 6

INTRODUCTION ................................................................................................................ 7

1 PARTIE 1 : L’ECONOMIE DU BIEN-ÊTRE ET SES EVOLUTIONS ..................................... 10

1.1 L’ECONOMIE DU BIEN-ETRE : PERSPECTIVE HISTORIQUE ............................................................. 12

1.1.1 L’approche utilitariste dans laquelle le bien-être est appréhendé par le niveau de

satisfaction ou d’utilité de la personne obtenue par la consommation ou l’obtention d’un

bien ou d’un service .......................................................................................................... 12

1.1.2 Une approche en termes d’accès aux « biens premiers » .................................... 14

1.1.3 Une approche en termes de fonctionnements des personnes « dans leurs

aspirations à améliorer leur bien-être » et d’identification des blocages ........................ 15

1.1.4 L’approche en termes de besoins des individus et du niveau de leur satisfaction15

1.2 CRITIQUES DU BIEN-ETRE OBJECTIF ........................................................................................ 17

1.3 LES ARGUMENTS DE L’ECONOMIE DU BONHEUR POUR LA PRISE EN COMPTE DU BIEN-ETRE SUBJECTIF

DANS L’ANALYSE ........................................................................................................................ 20

1.3.1 L'apport des sciences cognitives et de la psychologie .......................................... 20

1.3.2 Intérêt de l’économétrie pour l’économie du bonheur ........................................ 21

2 PARTIE 2 : L’ECONOMIE DU BONHEUR ..................................................................... 22

2.1 LE BIEN-ETRE SUBJECTIF : DEFINITIONS, MESURES ET PROBLEMES METHODOLOGIQUES EN SUSPENS .... 24

2.1.1 Définition/composition du bien-être subjectif ..................................................... 24

2.1.2 Mesures ................................................................................................................ 25

2.1.3 Risques méthodologiques et biais dans la mesure ............................................... 28

2.2 RESULTATS SUR LES DETERMINANTS DU BONHEUR .................................................................... 31

2.2.1 Facteurs socio-démographiques et bonheur ........................................................ 31

2.2.2 Facteurs économiques et bonheur ....................................................................... 32

� EFFETS DU REVENU SUR LE BONHEUR ..................................................................................... 32

� EFFETS DU CHOMAGE SUR LE BONHEUR .................................................................................. 34

� EFFETS DE L'INFLATION SUR LE BONHEUR ................................................................................ 35

2.2.3 Facteurs politiques et bonheur ............................................................................. 36

2.3 CONCLUSION : LES APPORTS ET LES LIMITES DE L’ECONOMIE DU BONHEUR .................................... 36

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3 PARTIE 3 : DE LA SECURITE ALIMENTAIRE OBJECTIVE A LA PRISE EN COMPTE

PROGRESSIVE DES PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS DE LEUR SITUATION

ALIMENTAIRE ................................................................................................................. 39

3.1 LES INDICATEURS OBJECTIFS DU BIEN-ETRE ALIMENTAIRE ............................................................ 39

3.2 LES LIMITES DE LA MESURE OBJECTIVE DE LA SECURITE ALIMENTAIRE............................................. 41

3.3 LA PRISE EN COMPTE PROGRESSIVE DU RESSENTI DES CONSOMMATEURS DE LEUR PROPRE SECURITE

ALIMENTAIRE ............................................................................................................................ 42

3.3.1 Mesure de la santé physique et mentale ressentie .............................................. 42

3.3.2 Mesure de l’insécurité alimentaire perçue ........................................................... 43

3.3.3 Echelle de l’Accès déterminant l’Insécurité Alimentaire des Ménages (EAIAM)

pour la mesure de l’accès alimentaire des ménages........................................................ 44

CONCLUSION GENERALE ................................................................................................. 47

� RESUME DES RESULTATS A RETENIR DE LA REVUE DE LA LITTERATURE PRECEDENTE ........................... 47

� PREMIERES PISTES METHODOLOGIQUES .................................................................................. 49

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 55

TABLE DES ANNEXES ....................................................................................................... 61

TABLE DES MATIERES ...................................................................................................... 69

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Table des abréviations

ANR Agence Nationale de la Recherche

CIRAD Centre de Coopération Internationale de Recherche Agronomique pour le Développement

CNRS Centre National de la Recherche Scientifique

DRM Day Reconstruction Method

EAIAM Echelle de l’Accès déterminant l’Insécurité Alimentaire des Ménages

ESM Experience Sampling Method

FANTA Food and Nutrition Technical Assistance

FAO Food and Agriculture Organization (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture)

INRA Institut National de la Recherche Agronomique

IRD Institut de Recherche pour le Développement

LAMETA Laboratoire Montpelliérain d’Economie Théorique et Appliquée

MOISA Marchés, Organisations, Institutions et Stratégies d’Acteurs

OMS Organisation Mondiale de la Santé

UMR Unité Mixte de Recherche

US United States

SIAM Score d’Insécurité Alimentaire du Ménage

SWLS Satisfaction With Life Scale

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Introduction

Le présent travail s’inscrit dans un projet de recherche sur Alimentation et Migration, le projet Alimi1, financé par l'ANR2, qui vise à étudier les changements dans la consommation et les pratiques alimentaires lors des migrations du milieu rural au milieu urbain et du pays d'origine vers la France. L’objectif général du projet est d'identifier les changements des styles alimentaires d’une part (pratiques, représentations et normes) et du bien-être alimentaire (nutritionnel, psychologique, social…) d’autre part, lors de changements des environnements économiques et culturels. La recherche sera menée auprès de trois types de populations : les ruraux, les urbains et les migrants en France pour deux pays : le Maroc et le Mali. L’enjeu est de faire la part des changements liés aux évolutions de modes et de niveaux de vie et des changements liés à un nouvel environnement socio-culturel du fait de la migration dans les styles alimentaires. Ce projet renvoie ainsi à des questions d’interactions dans l'alimentation entre cultures, modes et niveaux de vie, dans un contexte de globalisation et d'accroissement des inégalités.

Cette recherche ambitionne également de tester une méthodologie de mesure du bien-être alimentaire, rendant compte à la fois de la satisfaction des besoins nutritionnels des individus et de leur famille, mais aussi du plaisir lié à l’ensemble des pratiques alimentaires (de l’acquisition des produits à la prise de repas en passant par la cuisine, etc.) et à la satisfaction de leurs préférences. L'enjeu est de mettre au point et de tester une méthode qui rende compte de la multifonctionnalité de l'alimentation. C'est dans le cadre de ce volet de cette recherche que s'inscrit notre travail.

Depuis la Conférence Mondiale de l’Alimentation de 19743, le concept de sécurité alimentaire a en effet largement évolué. La définition aujourd’hui reconnue est celle de la Conférence Mondiale de l’Alimentation de 1996 qui définit la sécurité alimentaire comme l’ « accès physique et économique pour tous les êtres humains, à tout moment, à une nourriture suffisante, salubre et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».

1 Projet Alimi : La culture alimentaire à l’épreuve de la migration. Conséquences pour les politiques alimentaires.

2 Agence Nationale de la Recherche

3 Qui définissait la sécurité alimentaire comme le fait de « disposer, à chaque instant, d'un niveau adéquat de produits de base pour satisfaire la progression de la consommation et atténuer les fluctuations de la production et des prix ».

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Cette définition va au-delà de l’aspect uniquement nutritionnel (auquel le concept de sécurité alimentaire était au départ réduit) en intégrant la question de l’accès (travaux d’Amartya Sen) et surtout en intégrant les « préférences alimentaires » des individus. Elle rend ainsi compte du fait que la sécurité alimentaire ne se limite pas à la satisfaction des besoins biologiques (Bricas, 2008).

L’alimentation est multifonctionnelle : elle a une fonction biologique de satisfaction des besoins nutritionnels (en termes de quantité et de qualité des aliments), une fonction hédonique, apporter des plaisirs sensoriels et non sensoriels, une fonction sociale (commensalité, convivialité) et une fonction identitaire puisqu’elle peut être le support de la construction des identités individuelles et collectives (Fischler, 1990).

Aujourd’hui, même si la multifonctionnalité de l’alimentation fait consensus, l’évaluation de la sécurité alimentaire d’un individu ne tient compte que de la fonction biologique et se limite à des indicateurs objectifs de satisfaction des besoins nutritionnels sur la base d'une comparaison entre des consommations et des normes nutritionnelles. Même si, comme on le verra, certains travaux vont aujourd’hui plus loin en se penchant sur le ressenti, l’évaluation des perceptions des individus reste cantonnée à la fonction biologique avec des questions sur la sensation de manque, la faim, la peur de manquer…

La problématique du présent travail est donc de mieux rendre compte du caractère multifonctionnel de l’alimentation dans l’évaluation de la sécurité alimentaire ou du « bien-être alimentaire » d’une personne.

Le terme de « sécurité alimentaire » étant trop souvent associé et réduit à des questions nutritionnelles4, nous avons choisi d’utiliser le terme de « bien-être alimentaire ». Plusieurs raisons ont motivé ce choix :

- La volonté d’élargir le concept de « sécurité alimentaire » aux fonctions de l’alimentation autres que la seule fonction biologique.

- La nécessité de dépasser la connotation négative à laquelle le terme de « sécurité alimentaire » renvoie, particulièrement après son utilisation massive dans le contexte de crise alimentaire et d’ « émeutes de la faim » en 2008.

- L’étude des facteurs qui déterminent ou participent au bien-être alimentaire d’un individu.

Le terme de « bien-être alimentaire », dans ses rares utilisations, est pour l’instant confondu avec le bien-être nutritionnel (« nutritional well-being ») que la Brazilian Nutrition Society définit comme l’ « état biologique dans lequel les fonctions de consommation et d’utilisation

4 Même la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) réduit la définition de la sécurité alimentaire d’un ménage à « la capacité d'obtenir une quantité suffisante de nourriture pour couvrir les besoins alimentaires de tous les membres de la famille, soit à partir d'une production individuelle, soit par le biais d'achats » (http://www.fao.org/ag/agn/nutrition/household_fr.stm).

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de l’énergie et des nutriments de l’alimentation s’effectuent conformément aux besoins biologiques de l’individu »5. Mais le « bien-être alimentaire » que l’on entend étudier dans ce travail se traduirait plutôt par le terme « food well-being », notion plus large que le seul « nutritional well-being ».

Si la satisfaction de la fonction biologique peut se mesurer de façon objective, la satisfaction des fonctions hédonique, sociale et identitaire nécessite d’enrichir l’évaluation en tenant compte des perceptions des individus et en utilisant des indicateurs subjectifs adaptés.

L’objectif de ce mémoire est de réaliser une revue de la littérature dans la perspective de construire un indicateur de bien-être alimentaire qui devrait permettre de compléter les approches purement normatives en termes d'indicateurs nutritionnels et d'éviter les biais négatifs que suppose l’évaluation de la sécurité alimentaire ressentie, quasi systématiquement mesurée en terme d’insécurité, la sécurité alimentaire étant alors l’absence d’insécurité alimentaire (Keenan et al., 2001).

Pour cela, nous nous intéresserons dans les deux premières parties à la façon dont la science économique est arrivée à compléter son approche en termes de bien-être objectif par une approche en termes de bien-être subjectif. Si l’économie du bien-être se contentait d’étudier le bien-être matériel, de nombreuses « anomalies » dans les études empiriques ont soulevé de nouvelles hypothèses dont l’économie du bonheur s’est emparée pour justifier de s’intéresser à l’étude du bien-être subjectif, dépassant ainsi les limites d’une analyse du bien-être en termes de consommation de biens et de services. L’économie du bonheur s’est donnée comme objectif d’évaluer et de comprendre les causes et conséquences du bonheur en cherchant des corrélations entre le bien-être subjectif déclaré et un certain nombre de variables, économiques ou non.

Dans la troisième partie du mémoire, nous verrons en parallèle comment le mouvement d’intégration du ressenti dans l’analyse s’applique dans le domaine de l’alimentation. Nous montrerons en particulier que la mesure de la sécurité alimentaire perçue se limite aujourd’hui à des questions nutritionnelles et à la mesure d'un manque ressenti. Pour tirer parti des acquis de l'évolution de l'économie du bien-être à l’économie du bonheur, il ne faut pas se limiter à la consommation et il apparaît comme nécessaire d’intégrer le ressenti des individus par rapport à l’ensemble des pratiques alimentaires.

Enfin, la dernière partie et conclusion du mémoire exposera les hypothèses de travail pour la construction d'une méthode de mesure du bien être alimentaire subjectif.

5 http://www.sban.com.br/glossario/glossary.htm

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1 PARTIE 1 : L’ECONOMIE DU BIEN-ÊTRE ET SES EVOLUTIONS

L'objectif des deux parties suivantes est d'identifier comment la notion et l'appréhension du bien-être ont évolué dans la science économique et en particulier de rendre compte du passage d'une analyse en terme d'indicateurs objectifs de bien-être à une analyse qui prend en compte la façon dont les individus considèrent leur propre bien-être. Si notre question reste bien d'évaluer le bien-être des individus et pas de discuter des moyens de maximiser le bien être global de la société, nous avons quand même dû identifier comment le bien-être était considéré en économie, y compris chez des auteurs dont le but est d'abord de discuter des moyens de maximiser le bien-être de la société.

Au préalable, il faut reconnaître qu'en français, le terme de « bien-être » est ambigu : il est employé pour désigner aussi bien le « bien-être économique » (qui serait plutôt traduit par le terme « welfare » en anglais) et le « bien-être humain », ou bien-être subjectif, d’ordre plutôt philosophique ou psychologique (que l’anglais traduirait en « well-being »).

Remarque : la distinction semble plus visible en anglais mais la littérature économique anglo-saxonne utilise malheureusement souvent indifféremment l’un ou l’autre terme, ce qui ajoute à la confusion.

Le « bien-être économique » est souvent approché par la consommation de biens et services marchands mais englobe plus largement dans l’analyse les marchés et leurs prix, le revenu monétaire (ou non monétaire mais valorisé), la consommation de biens et services marchands mais aussi non marchands, ou encore la constitution de différentes formes de capital (physique, financier, humain, social).

Pour le « bien-être humain », l’analyse doit tenir compte d’autres facteurs qui peuvent influencer la sensation de bien-être (bien-être subjectif) et qui peuvent jouer sur le « bien-être économique ». Ces facteurs sont par exemple l’appartenance sociale, la participation politique, l’identité culturelle, la liberté, les droits, les valeurs… (Dubois et al., 2003)

La définition communément admise du bien-être montre l’ambivalence de ce terme entre « un état résultant des conditions matérielles possédées par l’individu » et une « sensation éprouvée résultant de la satisfaction des besoins du corps et du calme de l’esprit » (définition Larousse). L'évolution de l'approche économique du bien-être peut être lue comme le passage d'une conception d'abord essentiellement centrée sur la première définition à une conception qui intègre progressivement la seconde définition.

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L’économie du bien-être est la branche de l’économie qui étudie le bien-être matériel (objectif). Elle se concentre sur les critères d’évaluation d’une situation sociale pour apprécier l’efficacité d’une économie dans l’allocation de ses ressources ainsi que les impacts de l’allocation choisie sur la distribution des revenus au sein de la société.

La présente partie se penche sur les idées à l’origine de l’économie du bien-être, ses évolutions, les critiques qui lui sont apportées et les avancées qui justifient aujourd’hui de s’intéresser, en plus du bien-être objectif, au bien-être subjectif des individus.

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1.1 L’économie du bien-être : perspective historique

Pour appréhender le bien-être objectif (ou bien-être économique) auquel le bien-être est souvent réduit, différentes approches sont possibles :

1.1.1 L’approche utilitariste6 dans laquelle le bien-être est appréhendé par le

niveau de satisfaction ou d’utilité de la personne obtenue par la

consommation ou l’obtention d’un bien ou d’un service

Dans une société donnée, l'objectif de l’économie est d’assurer la plus grande utilité (ou le plus grand bien-être) possible à ses membres. Bentham définit l’utilité comme la somme des plaisirs à laquelle on soustrait la somme des peines, les « plaisirs » étant entendus dans un sens plus large que la seule satisfaction des désirs matériels et égoïstes et pouvant être intellectuels et altruistes (Bentham et al., 1996). Pour Bentham, le critère à retenir est le plus grand bonheur du plus grand nombre7. Pareto (1897) avait déjà critiqué cette approche du fait de la non-additivité des utilités individuelles. Le bien-être collectif ne peut pas se résumer à la somme des « bien-être » individuels car chacun a une échelle de préférence qui lui est propre (principe d’utilité ordinale qui implique la non-comparabilité interpersonnelle des utilités) mais aussi parce que, en suivant le critère de Bentham, il est possible que la construction de ce que l’on croit être l’intérêt général nécessite des sacrifices individuels. Pareto parle d’optimum lorsque l’allocation des ressources ne peut plus être modifiée pour augmenter la satisfaction d’une personne sans diminuer celle d’au moins une autre.

Pigou (1946) conteste cette approche au nom des effets externes : si l’activité d’un individu engendre des externalités négatives pour d’autres, il n’y a plus d’optimum possible car l’augmentation du bien-être de l’un réduit le bien-être des autres (qui subissent les nuisances). L’optimum social et l’optimum de Pareto ne sont donc pas confondus.

6 L’utilitarisme est une forme de welfarisme. Le welfarisme considère que les utilités individuelles constituent

l'information nécessaire et suffisante pour l'évaluation et que la fonction de bien-être social peut être obtenue par simple addition des utilités individuelles (Davoine, 2007). A l’inverse, l’anti-welfarisme qui prévaut aujourd’hui dans l’économie du bonheur se décline sous trois formes (Davoine, 2007) :

- l’utilité est un étalon pertinent mais il est nécessaire de tenir compte des handicaps, des talents et des goûts dispencieux - l’utilité est une des dimensions du bien - l’utilité est sans importance, seuls comptent la morale ou le droit naturel

7 Pour le philosophe Mill (1988) qui s’inspire des travaux de Bentham, « le bonheur est la seule fin de l’action humaine et la promotion du bonheur est la pierre de touche qui permet de juger la conduite humaine ; de là, il s’ensuit nécessairement que le bonheur doit être le critère de la moralité ».

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La Nouvelle Economie du bien-être va plus loin : les décisions publiques ayant des conséquences en termes d'équité mais aussi en termes d'efficience, il est possible d’utiliser le critère de Hicks et Kaldor : « un état de l’économie est jugé préférable si les perdants peuvent être dédommagés et voir ainsi leur bien-être augmenter » (Hicks, 1939 ; Kaldor, 1939). Ce critère équivaut à dire qu’il est possible de dissocier les questions de production et de redistribution ou que les diverses formes d’utilité sont monnayables. Perret (2003), pour montrer à quelles conclusions aberrantes ce principe peut mener, cite l’exemple de Laurence Summers, économiste en chef à la Banque Mondiale en 1991, qui recommandait d’encourager le transfert des industries polluantes dans les pays en développement : « La mesure des coûts de santé liés à la pollution dépend des pertes économiques dues à un accroissement de la morbidité et de la mortalité. De ce point de vue, un montant donné de pollution doit être fait là où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui sous-tend l’exportation des nuisances toxiques dans les pays à bas salaire est impeccable et que nous devons la prendre en compte. »

Rawls (1987) apporte le concept de justice sociale : il serait possible de concilier une justice sociale minimaliste avec le respect de la liberté individuelle en choisissant, parmi les solutions existantes, les décisions qui augmentent le plus le bien-être de ceux qui ont le bien-être le plus faible. Cette approche peut justifier les inégalités comme ce serait par exemple le cas en diminuant les impôts pour les plus riches si cela permettait la création d’emplois qui amélioreraient l’utilité des plus pauvres.

Arrow (1950) replace la théorie du bien-être dans une théorie plus large du choix social en tentant de remplacer les fonctions d’utilité par les préférences des individus (ou plus largement les relations d’ordre) auxquelles elles sont associées. Cette nouvelle approche débouche sur une impasse puisqu’il est impossible de déduire une relation de préférence collective à partir d'une agrégation ordinale des préférences individuelles. C’est en tout cas ce qu’affirme son théorème d’impossibilité : sous réserve d’acceptation de ses hypothèses8, « il n’existe pas de procédure permettant de classer les états de la société sur la seule base des préférences individuelles » sauf dans le cas où un dictateur seul imposerait ses choix à tout le reste de la population. Cette limite marque le point de départ d'un renouvellement dans le mouvement de l’économie du bien-être : puisque les préférences collectives sont parfois contradictoires, l'économiste peut émettre un jugement à condition de l'expliciter, l'assumer et le justifier (Perret, 2003 ; Sen, 1999a).

Concrètement, pour mesurer le bien-être, les utilitaristes9 se réfèrent aux préférences des individus (approche ordinale de Pareto), aux systèmes de prix en vigueur, et aux modes d’allocation du revenu entre les différents biens en fonction des multiples contraintes qui

8 Quatre hypothèses : universalité, non-dictature, unanimité, indifférence des options non-pertinentes

9 Voir Annexe 1 : Chronologie des « utilitaristes » cités

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déterminent la consommation (approche cardinale de Bentham et Mill) : niveaux de revenu, contraintes de temps, interactions sociales, systèmes de droits et d’obligations, etc…

Dans le second cas, l'utilité est considérée comme dépendante uniquement du revenu arbitré par les choix individuels ou les préférences selon une contrainte de budget monétaire d'un individu rationnel. Le bien-être est alors considéré comme analogue au revenu et au niveau de consommation. Si tous les auteurs de cette mouvance sont d’accord pour dire qu’une augmentation de revenu entraîne une augmentation de la consommation, elle-même à l’origine d’une augmentation de l’utilité, il n’existe pas de consensus sur la façon dont la consommation représente le bien-être (Mc Gillivray et al., 2006) : certains économistes considèrent le bien-être comme une fonction directe de la consommation (Slesnick, 1998), d’autres comme une fonction de la consommation et de l’environnement (Islam, 1998), comme une fonction du surplus du consommateur (Johnson, 1996), ou comme une propension marginale à consommer (Islam, 1998).

1.1.2 Une approche en termes d’accès aux « biens premiers »

Pour Rawls (1987), le bien-être est conditionné par l'accès aux « biens premiers » qui sont les biens fondamentaux nécessaires à tout être humain pour réaliser un projet de vie, quel qu’il soit. Ces « biens premiers » peuvent être de deux ordres :

- les biens premiers naturels (santé, talents), qui ne dépendent pas directement de l'organisation sociale

- les biens premiers sociaux, au nombre de cinq:

1. Le droit et les libertés fondamentales

2. La liberté de mouvement et le libre choix d’une position dans un contexte d’égalité des chances

3. Les pouvoirs et prérogatives attachés aux différentes fonctions dans les institutions

4. Les revenus et la richesse

5. Les bases sociales du respect de soi

Une société « juste » est une société qui assure une répartition équitable des biens premiers sociaux, en tenant compte du fait que les individus sont inégaux en termes de biens premiers naturels. L’idée clé qui prévaut dans la théorie de Rawls est que chaque individu doit être entièrement libre de choisir le projet de vie et les valeurs personnelles qui lui conviennent. En répartissant de façon équitable les biens premiers, chacun est assuré d’avoir la même chance de réaliser son projet de vie personnel et d’atteindre le bonheur, tout en respectant les libertés fondamentales des autres (Perret, 2003).

Rawls affirme ici la non-substituabilité des biens : toutes les formes de richesse ne sont pas à mettre sur le même plan quand on cherche à définir un état souhaitable de la société.

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1.1.3 Une approche en termes de fonctionnements des personnes « dans leurs

aspirations à améliorer leur bien-être » et d’identification des blocages

Sen (1999b) critique le focus des économistes sur le choix (fonction du revenu) comme indicateur exclusif du comportement humain. Il montre que les limites de l'approche utilitariste découlent de restrictions arbitrairement imposées aux critères d'évaluation du bien-être par rapport à ce qui fait sens pour chacun d'entre nous (le fait, par exemple, de ne pas prendre en compte directement les droits et les libertés comme des composants du bonheur).

Sen considère que le bien-être est conditionné par la capacité d’agir. « On peut améliorer la procédure [de Rawls] en prenant en compte non seulement la possession des biens premiers et des ressources, mais aussi les différences existant entre individus pour les transformer en capacité de bien vivre ». Pour cela, il faut considérer que les individus sont des acteurs de leur propre bien-être et que ce bien-être dépend de la « réalisation des buts et valeurs qu'une personne a des raisons de poursuivre, qu'ils soient en rapport ou non avec son propre bien-être » (Sen, 1999b).

Sen définit d’une part les « fonctionnements », qui sont les modes de vie et pratiques sociales qui déterminent l'usage des biens et leur confèrent une plus ou moins grande utilité et d’autre part les « capabilités », qui représentent la capacité réelle qu'ont les individus d'atteindre les buts qu'ils se fixent. Pour Sen, le concept de justice est basé sur l'évaluation des opportunités réelles des individus. Il y a donc un déplacement du regard des biens eux-mêmes à ce qu'ils procurent, des revenus à ce qu'ils permettent d'accomplir, des bases sociales du respect de soi-même au respect de soi-même (Perret, 2003).

Son approche de la pauvreté basée sur les capabilités va dans ce sens puisqu'elle souligne l’incapacité des pauvres à faire des choix ou à réaliser certaines actions. Les causes peuvent être multiples : un accès insuffisant à un certain nombre de biens et services, l’absence de potentialités, des caractéristiques personnelles handicapantes ou l’absence d’opportunités au niveau social. Tous ces éléments empêchent la constitution de capacités personnelles permettant d’agir pour atteindre un certain bien-être. L’insuffisance de bien-être est alors le résultat d’un manque ou d’une insuffisance de capacités à agir et à être (Dubois et al., 2003).

1.1.4 L’approche en termes de besoins des individus et du niveau de leur

satisfaction

La référence est alors une liste de besoins considérés comme universels et constitutifs du bien-être, et qui peuvent être hiérarchisés en fonction de leurs priorités. Certains de ces besoins sont satisfaits par le marché, d’autres pas. Un indicateur spécifique, qui n’est pas forcément monétaire, peut ainsi être construit pour mesurer le degré de satisfaction de chacun de ces besoins.

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Par exemple, Islam et al. (2003) utilisent la hiérarchisation des besoins de Maslow (1943) et considèrent donc que « le bien-être social est déterminé par la satisfaction successive de différents niveaux de besoins humains ». Ainsi, pour mesurer le bien-être social, les auteurs ont choisi de pondérer les besoins selon leur niveau dans la pyramide de Maslow : « la satisfaction d'un besoin du niveau supérieur reçoit une pondération plus élevée que celle correspondant à la satisfaction du besoin de niveau juste inférieur ». Avec ce raisonnement, toutes choses égales par ailleurs, un pays qui a un nombre de besoins supérieurs assouvis plus importants aura globalement un niveau plus élevé de bien-être10.

Islam et al. utilisent les travaux de Hagerty (1999) qui a cherché à rendre opérationnelle la hiérarchie des besoins de Maslow en trouvant des indicateurs mesurés de façon numérique à rattacher à chaque catégorie de besoins :

1. besoins organiques: - ration calorique journalière par personne

- revenu personnel par tête

2. besoins de sécurité: - sécurité contre le meurtre

- espérance de vie élevée

3. besoins d'appartenance sociale: - faible taux de divorce

- faible taux de mortalité infantile

4. besoins d'estime de soi: - droits politiques

- participation des femmes au travail rémunéré

5. besoins de se réaliser: - taux de scolarisation dans l'éducation secondaire

- taux de scolarisation dans l'éducation primaire

La fonction de bien-être social proposée est alors:

SWFt = [∑ SWFt (a1.BNt, a2.SNt, a3.LNt, a4.SENt, a5.SAt)] / (1 + r)t

où: SWF est la fonction de bien-être social

BN sont les besoins organiques

SN les besoins de sécurité

LN les besoins d'appartenance sociale

SEN les besoins d'estime de soi

SA la réalisation de soi

a1, ...a5 les poids assignés à chaque ensemble de besoins (dépendent uniquement des jugements de valeur des auteurs)

r le taux d'actualisation

t le temps

10 Pour les comparaisons inter-pays des niveaux de bien-être, il est évident que selon la situation du pays, les besoins à satisfaire en priorité ne sont pas les mêmes et qu’il faut donc appliquer des ensembles différents de pondération dans les analyses de données (Islam et al., 2003).

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La variable « niveau de vie » (satisfaction des besoins organiques les plus essentiels) est considérée comme une mesure de bien-être économique. Elle dépend du revenu national et de la ration calorique. L'utilité est alors considérée comme une mesure de bien-être d'un niveau supérieur. Elle comprend, en plus du bien-être économique, un ensemble délimité d'éléments non utilitaristes : la sécurité et le sentiment d'appartenance sociale (ces éléments peuvent aussi bien être négatifs que positifs). En introduisant ces deux nouveaux termes, on peut constater un découplage du bien-être et du niveau de vie : « le bien-être peut augmenter ou diminuer indépendamment des améliorations de la croissance économique et on peut même imaginer que l'utilité se réduise alors que le bien-être économique augmente. L'utilité, à la fois individuelle et sociale, est alors plus que le résultat de simples augmentations de revenus ». Le concept de capacités est plus large que le bien-être économique et l'utilité. Il faut y inclure en plus l'impact de l'amour propre et de la réalisation de soi sur la joie de vivre individuelle ou sociétale (Islam et al., 2003).

Cette approche ne cherche pas à prédire des changements dans la qualité de vie ou dans le développement mais est plutôt une tentative empirique de mesure du bien-être social. Elle présente plusieurs avantages : elle permet de ne pas lier l’augmentation du bien-être social à la croissance économique puisque le bien-être social dépend de la réalisation d'un ensemble donné de besoins hiérarchisés et elle permet d'identifier, de quantifier et de mesurer les divers besoins hiérarchisés d'une manière à la fois systématique et rigoureuse.

1.2 Critiques du bien-être objectif

Plusieurs économistes tendent à montrer que la mesure du bien-être telle qu’elle est réalisée en ne tenant compte que de critères objectifs (revenu ou niveau de consommation) n’est pas complète.

Easterlin (1974) par exemple s’est intéressé au lien entre revenu et bonheur pour savoir si la seule mesure économique pouvait être un bon proxy du niveau de bien-être. Pour cela, il s’est servi de résultats d’études sur le bonheur déclaré conduites dans 19 pays, plus ou moins développés, depuis la Seconde Guerre Mondiale. Deux types de données ont été mobilisés :

- Les réponses à une enquête de type Gallup11 dans laquelle une question directe est posée : « d’une façon générale, diriez-vous que vous êtes : très heureux, assez heureux, pas très heureux ? ».

11 The Gallup Organization : entreprise américaine surtout connue pour les différents sondages qu'elle mène http://www.gallup.com/Home.aspx

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- Les résultats d’une procédure plus sophistiquée qui consiste à faire construire sa propre échelle à la personne interrogée et à lui demander de se positionner par rapport à son sentiment de bonheur actuel. Cette méthode a été conçue par Cantril (1966) pour mesurer les espoirs, les peurs et le bonheur : « Self Anchoring Striving Scale ».

Remarque : pour plus de détails sur les méthodes de mesure des niveaux de bien-être subjectif ou de bonheur, voir partie 2, sous partie 2.1.2. du mémoire.

Easterlin remarque qu’au sein des pays, il existe une corrélation positive remarquable entre revenu et bien-être : ceux qui ont les revenus les plus élevés sont en moyenne plus heureux que ceux qui ont les revenus les moins élevés à un instant t (vision statique). Mais il remarque aussi une corrélation quasi-nulle entre revenu et bien-être dans les comparaisons dans l’espace (entre pays) ou dans le temps (vision dynamique). Ce phénomène est appelé le « paradoxe d’Easterlin ». Ce paradoxe n’est toujours pas résolu mais plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ces résultats. Easterlin lui-même suppose que c’est la comparaison que les personnes font de leur situation personnelle avec une référence standard ou une norme dérivée de leurs expériences sociales passées et présentes au moment du jugement de leur propre bien-être qui donne ces résultats. Bien que les normes varient d’un individu à l’autre au sein d’une même société, elles contiennent des caractéristiques similaires du fait de l’expérience commune de ces personnes membres d’une même société et culture. Ainsi, même si les aspirations des riches dépassent probablement celles des pauvres, la dispersion des normes de référence est moins importante que celle des revenus réels entre riches et pauvres. C’est pourquoi les personnes qui ont les revenus les plus bas ont tendance à se sentir moins heureuses que celles ayant les plus hauts revenus. Au cours du temps, comme les conditions économiques évoluent, la norme sociale change (puisqu’elle est formée par l’expérience des gens). En ce sens, ces résultats sont les témoins de la théorie de l’adaptation des attentes : les revenus et les attentes des personnes ont tendance à évoluer dans le même sens. Ceci explique que le niveau de bien-être ne change pas alors même qu’on assiste à une croissance économique au cours du temps.

Il existe un autre paradoxe que celui d’Easterlin qui concerne la relation entre le bien-être déclaré et le chômage. Depuis toujours, la macroéconomie néoclassique considère le chômage comme volontaire, au prétexte que les personnes trouveraient la charge de travail et le salaire moins attractifs que le fait d’être au chômage avec les mêmes bénéfices. La recherche empirique montre cependant que le chômage, même en recevant le même salaire que lorsqu'on était employé, diminue significativement le bien-être des individus (Di Tella et al., 2001). Le chômage serait donc involontaire et pesant, qu’il soit pour la personne concernée ou dans la société (Frey et al., 2002b). Le revenu n’est donc pas le seul déterminant du bien-être puisque, dans ce cas, il n’est pas responsable de la chute de bien-être ressenti par la personne touchée par le chômage (puisqu’il reste constant).

Rojas (2006) retrouve l’idée qu’il n’y a qu’une faible relation entre le bien-être subjectif et des indicateurs de bien-être objectifs tels que les revenus ou la consommation. Cette observation plaide en faveur de la prise en compte du bien-être subjectif pour enrichir la

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mesure objective du bien-être économique. Rojas avance trois raisons possibles pour expliquer la faible corrélation observée :

- une personne est plus qu’un simple consommateur et le bien-être ne peut pas être réduit à la simple consommation des personnes,

- il existe une hétérogénéité des perceptions humaines,

- il existe une hétérogénéité dans les objectifs de vie de chacun.

Remarque : Scitovsky, dès 1976, remettait déjà en cause la richesse comme seul indicateur de bien-être en défendant l’idée que les hommes ne recherchent pas uniquement le confort matériel et l'absence de souffrance, mais aussi une certaine stimulation, de la nouveauté, des défis… (Davoine, 2007)

Enfin, les déterminants du bien-être ne sont pas tous mesurables objectivement. Brickman et al. (1978) se posent la question de la relativité du bonheur en se penchant sur un cas particulier : celui des gagnants d’une loterie. Ils découvrent alors que les gagnants de la loterie ne sont pas plus heureux que les autres et qu’ils tirent visiblement moins de plaisir d’une série d’événements quelconques car le contraste avec le pic d’émotions engendré par le gain diminue l’impact des plaisirs ordinaires et que l’accoutumance diminue au fur et à mesure la valeur des nouveaux plaisirs rendus accessibles par le gain. Pour mesurer le bien-être de l’individu, il faut alors aller plus loin que des indicateurs économiques objectifs et s’intéresser à ses perceptions, c'est-à-dire au bien-être subjectif.

Malgré les limites de l’approche objective du bien-être, le revenu continue à être considéré comme l’ « indicateur essentiel de bien-être » car ce sont les seules données disponibles et fiables. Mais il a été montré que les indicateurs économiques objectifs et le bien-être perçu ne sont pas fortement corrélés. Kahneman et al. (2006) ont montré qu’une personne peut avoir des conditions de vie satisfaisantes et pourtant déclarer ne pas être heureuse dans sa vie en général ou dans une situation précise, ce qui laisse penser que le bien-être ne se limite pas aux moyens de l’atteindre.

La théorie économique néoclassique repose sur l'observation des comportements, considérés comme la révélation des préférences des individus, pour évaluer l'utilité générée par le choix d'une option parmi plusieurs dans une décision particulière. Plus besoin de mesurer les plaisirs et les peine, il suffit d’observer les comportements en partant du principe que « est utile ce qui est préféré, ce qui est choisi » (Mongin et al., 1998). Ceci suppose d'une part que le consommateur est parfaitement informé de l'utilité que chaque option pourrait lui apporter et d'autre part qu’il est parfaitement capable de calculer et maximiser cette utilité.

Les recherches empiriques déjà réalisées en économie et en psychologie notent de nombreuses « anomalies » dans le contexte décisionnel réel : l’utilité anticipée et estimée pour la décision (« decision utility ») est souvent différente de l’utilité vécue ex-post (« experienced utility ») (Davoine, 2007). Ces observations suggèrent que les décisions de consommation spécifiques prises par des individus ne sont pas forcément celles qui maximisent l'utilité (selon les individus eux-mêmes). Ces résultats remettent en question

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l’hypothèse de rationalité du consommateur. Les deux principales raisons à ce comportement de non maximisation de l'utilité sont que les individus ont des préférences qui changent au cours du temps et qu’ils prédisent mal l'utilité (Kahneman et al., 1991). La décision de consommation ne peut donc pas être utilisée pour calculer un proxy de l’utilité (Stutzer et al., 2007).

Toutes ces conclusions plaident en faveur de la prise en compte de la perception des personnes de leur propre bien-être et donc de la recherche d’une mesure du bien-être subjectif. L’économie du bien-être a longtemps eu des réticences à aller vers la prise en compte du ressenti des individus à cause des nombreuses questions méthodologiques que la mesure du bien-être subjectif ou du bonheur (considérée comme une mesure directe de l’utilité par l’économie du bonheur) suscitait. Aujourd’hui, les récents travaux de l’économie du bonheur ont participé à la levée de cette contrainte et les avancées méthodologiques ont contribué à rendre une telle approche plus légitime.

1.3 Les arguments de l’économie du bonheur pour la prise en compte du bien-être subjectif dans l’analyse

Pour répondre aux objections de principe et au scepticisme des économistes à l’égard d’une mesure directe du bonheur, l’économie du bonheur avance un certain nombre d’arguments pour inciter à faire du bonheur un critère d’évaluation (Davoine, 2007).

1.3.1 L'apport des sciences cognitives et de la psychologie

Les déclarations des individus sur leur niveau de bien-être ne sont pas des phénomènes aléatoires et infondés : d’autres disciplines permettent d’en apporter la preuve. C’est le cas par exemple de la médecine qui montre qu’on observe une activité cérébrale plus importante dans la partie préfrontale du cerveau droit, siège des émotions positives, pour les individus qui se déclarent heureux (Boarini et al., 2006) ou des sciences cognitives qui notent un nombre plus élevé de sourires, une espérance de vie plus longue et moins de troubles psychiques (insomnie, dépression, suicide) pour les personnes heureuses.

« L'apport de ces études est essentiellement de montrer une corrélation entre la satisfaction déclarée, que nous observons, et la satisfaction ressentie dont les conséquences physiques et comportementales sont une première approximation » (Davoine, 2007).

La psychologie, quant à elle, soulève l’idée d'un biais cognitif positif : les sentiments négatifs seraient nécessaires pour pousser à l'action. Cependant, la dissonance cognitive, c'est-à-dire l’écart entre nos désirs et la réalité, ne peut pas durer et si la réalité n'évolue pas, ce sont nos

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désirs qui évoluent et s’ « adaptent ». Brickman et al. (1978) emploient le terme d’ « hedonic treadmill » pour désigner ce phénomène d’adaptation qui fait que, malgré des changements majeurs dans la vie d’une personne (par exemple, gain à une loterie), le bonheur qu’elle déclare reste relativement stable au cours du temps. C'est donc moins le niveau absolu de déclaration qui compte que l'évolution de la satisfaction au gré des événements.

Les sciences humaines et sociales étudient aussi le bonheur en se concentrant sur d’autres facteurs que les facteurs sociaux et économiques qui n’expliqueraient que 10% à 20% de la variation du bien-être subjectif observé entre les personnes (Schwarz et al., 1999 ; Ng, 2003). D’autres facteurs entrent en jeu comme par exemple la propension au bonheur dont la source pourrait se trouver dans les gênes ou les traits de personnalité (extraversion, optimisme, estime de soi…) (Davoine, 2007).

1.3.2 Intérêt de l’économétrie pour l’économie du bonheur

Les modèles non linéaires classiques utilisés en économétrie (ex: logit ordonné) permettent de lever l'hypothèse de cardinalité de l’utilité en reliant un jugement verbal discret sur la satisfaction (note sur une échelle donnée) à une variable latente, l'utilité.

D’autres modèles plus développés, comme par exemple l’économétrie des panels, permettent de tenir compte de l'hétérogénéité individuelle et de mieux comprendre la formation des préférences et l'information mobilisée par les individus interrogés dans les enquêtes (comparaison avec des expériences passées, adaptation des aspirations…) (Davoine, 2007).

« En définitive, les travaux d'économie du bonheur, avec l'appui de l'économétrie, tendent à prouver que les déclarations de satisfaction ne sont pas directement comparables, mais qu'il est possible de dégager des corrélations fiables, corrigées de divers biais. Ces corrélations pourraient ensuite renseigner sur la valeur des paramètres économiques, sociaux et institutionnels, qui améliorent le bien-être. » (Davoine, 2007)

Pour ceux qui doutent encore de la fiabilité des mesures et des résultats de l’économie du bonheur, Davoine (2007) souligne qu’il existe une sorte de « preuve par l’usage » puisqu’on observe des corrélations entre des variables objectives et des variables subjectives et que les résultats, même si certains sont a priori contre-intuitifs, sont interprétables.

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2 PARTIE 2 : L’ECONOMIE DU BONHEUR

L’économie du bonheur est la branche de l’économie qui étudie le bien-être subjectif en croisant les techniques de l’économie et de la psychologie. Elle ne doit pas être confondue avec l’économie du bien-être qui se concentre sur le bien-être matériel (objectivable).

Pour Baujard (2003), il s’agit d’une « théorie économique au service de l'évaluation des situations sociales et de la décision publique. Son étude porte sur les moyens et les critères qui permettent de juger et de comparer la qualité des situations sociales » (Davoine, 2007).

L’économie du bonheur doit donc permettre d’évaluer mais aussi de comprendre les causes et conséquences du bonheur en cherchant des corrélations entre la satisfaction déclarée ou le bien-être subjectif et des variables, économiques ou non, dans le but de formuler des recommandations politiques (Davoine, 2007).

La littérature de l’économie du bonheur est essentiellement empirique et peut déboucher sur des recommandations politiques contrairement à l’économie du bien-être qui est une réflexion, de nature théorique, sur les critères d’évaluation d’une situation sociale (par exemple critère de Pareto, critère de Kaldor et Hicks…)12 (Davoine, 2007).

Frey (2008) qualifie l'introduction de la recherche sur le bonheur dans l'économie de révolution: « si l'affirmation que l'utilité ne pouvait pas et n'avait pas besoin d'être mesurée était considéré comme révolutionnaire pour l'économie dans les années 1930 [Nouvelle Economie du bien-être], il peut aussi bien être argumenté que la négation de cette affirmation est aussi révolutionnaire. Le bonheur est, à cet égard, une contre-révolution de la microéconomie standard ».

L'introduction de la recherche sur le bonheur dans l'économie est révolutionnaire sous trois aspects (Frey, 2008) :

- dans la méthode : la recherche sur le bonheur donne l'opportunité de mesurer le bien-être subjectif comme un proxy du concept théorique d'utilité. Une difficulté méthodologique demeure cependant : la question du sens de causalité quand il y a corrélation entre deux variables.

- dans la théorie : cela permet de soulever de nouvelles idées à tester, par exemple, évaluer la nécessité de la croissance économique pour un bonheur durable.

- dans la politique : cette avancée peut aider à optimiser des compromis entre des priorités en conflit en économie (comme la résorption du chômage ou de l'inflation) ou des modèles institutionnels.

12 Voir partie précédente du mémoire pour plus de détails sur l’économie du bien-être

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Dans le courant de l’économie du bonheur, les frontières disciplinaires s’estompent et l’économie fait appel aux sciences cognitives, humaines et sociales. Il n’est pas possible de dire que l’économie s’immisce dans toutes les autres disciplines mais plutôt que l’ensemble des disciplines redécouvrent en même temps l’étude du bonheur, chacune avec son approche particulière (Davoine, 2007).

L’économie du bonheur étend son champ d’étude au-delà de la seule satisfaction procurée par des biens ou services marchands à la satisfaction due à la démocratie, la participation civique, la liberté, la satisfaction intrinsèque au travail, le loisir, le mariage, les plaisirs charnels...

Dans une première sous-partie, nous nous pencherons sur les définitions du bien-être subjectif, les différentes méthodes de mesure et les problèmes méthodologiques que cette mesure soulève, puis nous verrons les principaux résultats des études empiriques existantes. Nous conclurons ensuite sur les apports et les limites de cette nouvelle branche de l’économie.

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2.1 Le bien-être subjectif : définitions, mesures et problèmes méthodologiques en suspens

2.1.1 Définition/composition du bien-être subjectif

Le bien-être subjectif est un concept ambitieux pour lequel aucune définition ne fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus et duquel on peut donner plusieurs interprétations, parfois contradictoires.

D’une façon très générale, on peut dire que le bien-être subjectif se réfère à la façon dont les gens évaluent leur propre vie, à l’expérience interne du répondant et à sa perception de son bien-être (Diener, 1984 ; Diener et al., 1985 ; Diener et al., 1999). Les conditions objectives ne sont pas partie intégrante du bien-être subjectif mais elles peuvent avoir une influence sur ce dernier.

Comme le bien-être subjectif n’est pas observable directement, il n’est pas mesurable directement. La définition du bien-être subjectif (subjective well-being) est souvent proche et confondue avec d’autres termes tels que « life quality, welfare, well-living, living standards, utility, life satisfaction, prosperity, needs fulfilment, development, empowerment, capability expansion, human development, poverty, land happiness » (Mc Gillivray et al., 2006) or les réponses aux questions du type « les riches/mariés sont-ils plus heureux que les pauvres/non mariés ? » dépendent de la façon dont le bonheur est défini: par la fréquence d'affect positif dans l'expérience quotidienne ou par la satisfaction rapportée par les personnes quand elles évaluent leur vie (Kahneman et al., 2006).

Diener et al. (1997) font remarquer que le bien-être subjectif n’est qu’un aspect du bien-être psychologique. Même s’il n’est pas possible d’affirmer que le bien-être subjectif est une condition nécessaire et/ou suffisante à la bonne santé mentale, il est au moins une caractéristique désirable pour la plupart des gens.

Même si les différents composants du bien-être subjectif ne font pas l’unanimité, les auteurs s’accordent au moins sur le fait que le bien-être est multidimensionnel (Mc Gillivray et al., 2006).

D’après Andrews et al. (1976), le bien-être subjectif se décompose en :

- un jugement cognitif : la satisfaction globale de la vie.

- une évaluation affective des émotions et humeurs, l’affect. L’affect correspond à l’évaluation continue des événements de la vie. Il peut être positif (joie, affection, fierté) ou négatif (honte, culpabilité, tristesse, colère, anxiété) (Diener et al., 1997).

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Même si les premières recherches sur le bien-être subjectif se sont limitées aux humeurs de long terme, plus faciles à évaluer a priori, il paraît nécessaire d’inclure les mesures des deux dimensions : cognitive et affective.

Certains chercheurs préconisent de mesurer les deux types d’affect, plaisant et déplaisant (Diener et al., 1997) mais la question de leur indépendance divise : Lucas et al. (1996) ont montré que l’affect positif peut être distingué de l’affect négatif, Diener et al. (1995a), que les deux sont modérément corrélés inversement mais clairement séparables.

2.1.2 Mesures

La plupart des personnes évaluent ce qui leur arrive comme « bien » ou « mal » et sont normalement capables de porter un jugement sur leurs vies. En outre, chaque individu éprouve des sentiments à tout moment, sentiments qui peuvent être plaisants, évoquant ainsi une réaction positive ou déplaisants dans le cas d’une réaction négative (Diener et al., 1997). Cela revient à dire que même s’ils ne pensent pas de façon consciente à tout cela, les gens ont un niveau de bien-être subjectif car leur système psychologique leur offre une évaluation constante de ce qui leur arrive.

Il existe un grand nombre de méthodes de mesure du bien-être subjectif résumées par Diener (1984)13 :

- Des échelles de mesure unidimensionnelles qui mesurent directement le bonheur sur une échelle, qu’il y ait une ou plusieurs questions, par exemple la « Self Anchoring Striving Scale » de Cantril (1966) dont les résultats ont été utilisés par Easterlin (1974) pour démontrer son « paradoxe ». La première question de Cantril concerne ce que la personne interrogée imagine de mieux pour son avenir (ses désirs, ses espoirs…) ; ce niveau deviendra le haut de l’échelle de bonheur (par exemple 10, sur une échelle de 0 à 10). La deuxième question concerne le pire que le répondant puisse imaginer pour son avenir (ses peurs, ses angoisses…) et définira le bas de l’échelle (le 0). Enfin, la dernière question concerne la position de la personne interrogée sur ce continuum par rapport au niveau de bonheur qu’elle ressent au moment de l’enquête.

- Des échelles de mesure multidimensionnelles qui mesurent plusieurs composants (dimensions) du bien-être subjectif, par exemple l’entrain ou l’inertie, la résolution, le courage, les différences entre les buts désirés et ceux atteints (Neugarten et al., 1961)…

- Des mesures indirectes : par exemple, l’Affect Intensity Measure (Larsen, 1983) évalue la disposition du sujet à ressentir faiblement ou fortement ses émotions ou les mesures de bonheur de Fordyce (1977) qui passent par des évaluations par les personnes

13 Voir Annexe 2 : Mesures du bien-être subjectif (Diener, 1984)

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interrogées du pourcentage de temps où elles se sentent heureuses, malheureuses ou « neutres ».

Il existe des covariations entre les composants du bien-être subjectif. Le fait de s'intéresser seulement à un composant (ex: life satisfaction) renseigne donc sur le bien-être subjectif même si la mesure est incomplète (Diener et al., 1997). Partant de ce principe, Diener et al. (1985) se concentrent plus particulièrement sur la mesure de la satisfaction de la vie comme proxy du bien-être subjectif. Ils créent ainsi une échelle de mesure, la « satisfaction with life scale » (SWLS) composée de 5 items que chaque personne interrogée doit noter de 1 (« pas du tout d’accord ») à 7 (« tout à fait d’accord ») selon son degré d’accord avec la phrase (Diener et al., 1985). (1 =strongly disagree, 2 = disagree, 3 = slightly disagree, 4 = neither agree nor disagree, 5 =slightly agree, 6 =agree, 7 =strongly agree.)

1. A bien des égards, ma vie s’approche de mon ideal. (In most ways my life is close to my ideal.)

2. Mes conditions de vie sont excellentes. (The conditions of my life are excellent.)

3. Je suis satisfait de ma vie. (I am satisfied with my life.)

4 Jusqu’à maintenant, j’ai obtenu toutes les choses importantes que je voulais dans ma vie (So far I have gotten the important things I want in life.)

5. Si je pouvais revivre ma vie, je ne changerais quasiment rien. (If I could live my life over, I would change almost nothing.)

D’autres méthodes plus complètes ont été proposées pour mesurer le bien-être. Celle considérée aujourd’hui comme la plus « juste » est l’Experience Sampling Method (ESM) (Csikszentmihalyi et al., 2003). L’ESM est une méthode d’évaluation quasi-continue des émotions qui permet de détecter les variations des états émotionnels dans le temps (Csikszentmihalyi et al., 1991 ; Stone et al., 1994) : plusieurs fois dans la journée, les participants sont interrompus dans leur vie pour savoir où ils sont, ce qu'ils font, les personnes avec lesquelles ils interagissent et ce qu'ils ressentent (absence ou présence d'un certain nombre de sentiments). Au final, ces mesures répétées à travers un segment représentatif de la vie d’une personne peuvent être utilisées de deux façons : comme des indicateurs d’un niveau de bonheur pour chaque moment (momentary happiness) ou comme des réponses à agréger sur une semaine pour en dériver une mesure du bonheur individuel.

La méthode de l’ESM présente plusieurs inconvénients (Kahneman et al., 2004a) : elle est difficile à appliquer à de larges échantillons (questions de temps et de coûts), elle impose des contraintes importantes à la personne interrogée (risquant ainsi d’introduire des biais), elle interrompt ses activités normales et fournit seulement une évaluation d’un échantillon de moments (pas de continuité dans la journée, pas d’informations sur la contrainte temps-budget).

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Pour limiter les inconvénients tout en gardant une mesure complète du bien-être subjectif (c'est-à-dire qui ne se limite pas à la mesure de la satisfaction de la vie), Kahneman et al. (2004a) ont développé une nouvelle méthode de mesure du bien-être subjectif : la Day Reconstruction Method (DRM).

Dans cette méthode, les participants doivent d'abord se remémorer leur journée de la veille et la découper en séquences. Ensuite, ils doivent décrire chaque épisode, à quels moments commence et prend fin l'épisode, ce qu'ils faisaient (d'après une liste pré-établie), à quel endroit et avec qui ils interagissaient. Pour évaluer ensuite comment ils se sont sentis durant chaque séquence par rapport à des dimensions affectives sélectionnées, les répondants sont invités à reporter l'intensité de leur émotion dans sept catégories sur une échelle allant de 0 (« pas du tout ») à 6 (« Enormément »). Les catégories affectives sont spécifiées par des descripteurs, principalement des adjectifs comme heureux, soucieux, énervé… Le « 0 » est censé avoir un sens commun pour tous. Enfin, la SWLS est utilisée pour mesurer la satisfaction globale de la personne interrogée (Kahneman et al., 2006).

D’après des tests de la méthode réalisés en 2004, la DRM fournit une bonne approximation des résultats de l’ESM. Faire appel à la mémoire n’implique pas de biais significatif car le rappel en mémoire est ancré dans le temps et correspond à une situation concrète, expérimentée peu de temps auparavant (journée de la veille). Il s’agit donc de s’appuyer sur des souvenirs spécifiques et récents (Kahneman et al., 2004a).

De plus, d'autres analyses ont montré que les résultats observés par la méthode de la DRM sont bien reliés à des variables pertinentes (ex : fatigue par rapport au nombre d'heures de sommeil déclaré). Les répondants utilisent les échelles de la même façon et il serait donc possible de faire des comparaisons interpersonnelles d'expérience affective déclarée (Kahneman et al., 2004a).

Même si la DRM est plus facile d’utilisation que l’ESM, elle reste une méthode lourde : de 45 à 75 min d’enquête écrite.

La DRM donne plusieurs résultats :

- La moyenne de temps passé pour chaque activité.

- Le « net affect » qui est la moyenne des catégories positives à laquelle on soustrait la moyenne des catégories négatives. Le net affect fournit une fenêtre sur l'expérience des personnes interrogées distincte de ce qui est capturé par des mesures standard de satisfaction globale car il permet de limiter les biais d’une évaluation trop générale sur des parties de leur vie en demandant aux personnes de se concentrer sur des séquences précises.

- Le U-index (U pour « unpleasant ») qui est la proportion de temps dans lequel le sentiment avec le score le plus élevé est un sentiment négatif. Ces statistiques sont directement compréhensibles et donnent une mesure ordinale sur le niveau de sentiments. Evidemment, ce calcul implique une perte de données mais permet de réduire les différences interpersonnelles dans l'utilisation des échelles ou dans l’interprétation des catégories de réponses (Kahneman et al., 2006).

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Remarque : La World Values Survey est un réseau international de scientifiques qui étudie les changements des valeurs et leur impact sur la vie sociale et politique. Ce réseau réalise depuis 1981 des enquêtes régulières auprès de larges échantillons de personnes dans 97 pays. Dans le questionnaire soumis à chaque personne interrogée, une seule question au début de l’enquête concerne le niveau de bonheur individuel :

« Toutes choses confondues, diriez-vous que vous êtes :

Très heureux

Vraiment heureux

Pas très heureux

Malheureux »

Une autre question sur la satisfaction est posée plus tard dans le questionnaire et demande de noter, sur une échelle de 10 (de 1 = « insatisfait » à 10 = « satisfait ») le niveau de satisfaction globale de sa vie pour les derniers jours.

Les résultats de ces enquêtes sont disponibles sur le site : www.worldvaluessurvey.org/ et plusieurs études utilisent ces données pour les croiser avec d’autres variables et en donner leur propre interprétation. Par exemple Brockmann et al. (2009) qui travaillent sur la chute du bonheur observé en Chine alors même que tous les indicateurs économiques sont en extraordinaire progression depuis quinze ans.

Une autre enquête utilise le Gallup-Healthways Well-Being IndexTM et fournit une mesure quotidienne du bien-être des Américains en interrogeant au moins 1000 personnes par jour depuis 2008 (par téléphone)14.

2.1.3 Risques méthodologiques et biais dans la mesure

La méthode usuelle pour mesurer le bien-être subjectif passe par une étude individuelle dans laquelle le répondant juge et reporte sa satisfaction globale et/ou les fréquences de ses affects plaisants ou de ses émotions déplaisantes. Ces méthodes de mesure entraînent de nombreux biais, c'est pourquoi des méthodes alternatives sont aujourd'hui recherchées (comme des observations des réactions). L’idéal étant de multiplier les méthodes pour limiter les artéfacts (Diener et al., 1997).

Si les mesures de bien-être subjectif ont des taux de fiabilité de 0,58 sur une période de quatre ans, les mesures d'émotions plaisantes ou déplaisantes sont relativement stables dans le temps (Diener et al., 1997 ; Krueger et al., 2008).

14 Voir Annexe 3 : La Gallup-Healthways Well-Being IndexTM

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Beaucoup d'études utilisent des mesures de bien-être basées sur l'hypothèse que toutes les expériences des personnes s'accumulent en un sentiment général de bien-être, que ces sentiments restent relativement constants dans le temps et que les gens peuvent les décrire de façon précise. Mais ce type de mesure introduit des biais importants, par exemple sur les relations entre les conditions « externes » (objectivables) et les « internes », donnant ainsi parfois des résultats contre-intuitifs (ex : pauvres plus heureux que les riches) (Schwarz et al., 1991).

La satisfaction générale de la vie est trop complexe à évaluer pour les gens qui se basent plutôt sur leur humeur perçue (état affectif). Pour éviter ce biais, il vaut mieux passer par une évaluation de la satisfaction dans différents domaines de la vie car dans ce cas, l’évaluation sur fait sur des circonstances objectives (Schwarz et al., 1991).

Remarque : la World Values Survey tient compte de ce biais et ajoute à sa question sur la satisfaction générale des questions sur la satisfaction par rapport à la situation financière du ménage, au développement de la démocratie ou à la gestion des affaires par le bureau national.

Les individus font des comparaisons dans leur processus de jugement par exemple avec des événements passés (dont l'accès dans la mémoire est influencé par l'humeur) si leur humeur est très prononcée mais utilisent d'autres informations si l'humeur n'est pas saillante. L'impact d'un événement est une combinaison de sa qualité hédonique, sa distance temporelle et de l'implication émotionnelle de la personne quand elle y repense. L’évaluation de la satisfaction de la vie dépend donc de la relative saillance de l’humeur et la concurrence de l’information (Schwarz et al., 1991).

Diener (1984) a montré que seule une faible proportion de la variance dans la mesure du bien-être subjectif peut être estimée par les variables démographiques (âge, genre, race, éducation religion, mariage et famille). D’autres auteurs se sont penchés sur l’influence de la personnalité ou de l’attitude mais les résultats vont aussi dans le sens d’une faible influence.

Dans tous les cas, les études d’influence ont leurs limites puisque la direction de causalité est souvent impossible à déterminer et les effets des différentes variables intercorrélées impossibles à séparer (Frey, 2008).

Des biais de nature diverse (sociologique, culturel, linguistique) posent des problèmes de comparaison internationale car les comportements de réponse et l'utilisation des échelles diffèrent d'un pays ou d'une culture à l'autre (Mohler et al., 1998). Cependant, même si les différences culturelles sont importantes, elles sont souvent exagérées. La culture peut affecter les facteurs qui influencent le bien-être mais, comme on le voit dans de nombreuses études, il existe des facteurs universels qui déterminent le bien-être subjectif. De plus, certains auteurs argumentent que le bonheur est un but ultime dans la vie, indépendamment de la culture (Ng, 2003).

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Il existe des biais propres aux techniques même d’enquête. Par exemple, la manière dont les questions sont formulées dans un questionnaire oriente les réponses du fait que les répondants sont trop coopératifs : ils cherchent à se conformer à ce que l'enquêteur attend d'eux (biais de désirabilité). Il existe aussi toujours un biais de représentation de soi qui fait que la personne interrogée a tendance à cacher ses faiblesses et à se présenter sous son meilleur aspect (Schwarz et al., 1991).

Schwarz (1999) a montré que les répondants utilisent des comparaisons implicites avec des comportements qu’ils considèrent comme « moyens pour l’enquêteur » ou, dans le cas qui nous concerne, avec des conditions de vie meilleures ou moins bonnes. Ils se situent alors par rapport à la « norme sociale » par « assimilation » ou par « contraste ».

Dans une enquête, toute l’information ne peut être captée, les réponses sont influencées par les questions posées avant dans le questionnaire : les enquêtés choisissent les réponses aux questions en fonction de ce qu’ils pensent qui intéresse l’enquêteur. De plus, le répondant cherche à éviter toute redondance et a souvent un principe de « nouvelle donnée » qui le pousse à donner de nouvelles informations parfois secondaires pour ne pas répéter ce qui a déjà dit auparavant dans l’enquête (Schwarz et al., 1991).

Une autre conséquence de l’ordre des questions est le biais qu’il peut introduire en surestimant ou en « créant » une corrélation dans l’esprit du répondant qui n’existerait pas spontanément. Bertrand et al. (2001) et Schwarz et al. (1999) prennent l’exemple d’une question sur le nombre de sorties pendant la semaine : si la question est posée avant une question sur la satisfaction de la vie, alors, les réponses à ces deux questions sont corrélées, laissant penser que les sorties entre amis contribuent au bonheur tandis que si la question est posée après celle sur la satisfaction, les réponses ne sont pas corrélées. De même, la formulation des questions (sens positif ou négatif) a une influence sur les réponses des personnes interrogées : par exemple, les questions « à quel point êtes-vous satisfait de… » et « à quel point êtes-vous insatisfait de… » donneront des résultats différents. On parle d’effet de présentation (framing effect) (Davoine, 2007).

Bertrand et al. (2001) déconseillent l'exploitation de la satisfaction comme une variable dépendante à cause des biais qui risqueraient d'être corrélés à des caractéristiques qui devraient expliquer la satisfaction (catégorie socio-professionnelle, genre, nationalité). Mais la notion de « biais » est en elle-même à discuter car elle fait appel à une situation qui ne se produit jamais où l'individu mobiliserait toute l'information pertinente et la traiterait parfaitement sans tenir compte de ses émotions du moment (Schmidt, 2006). Ainsi, Davoine (2007) avance plutôt que « les données ne sont pas biaisées, mais elles reflètent la manière dont les individus codent et évaluent les données dont ils disposent pour évaluer leur utilité, et plus généralement pour prendre des décisions et agir ».

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2.2 Résultats sur les déterminants du bonheur

Les fonctions de bonheur cherchent à établir une relation économétrique entre la mesure du bonheur et les déterminants du bonheur. Le bonheur dépend de trois séries de facteurs (Frey et al, 2002b) :

- des facteurs démographiques et de personnalité, comme l'âge, le genre et les circonstances familiales autant que la nationalité, l'éducation ou la santé

- des facteurs économiques en particulier le chômage, le revenu et l'inflation

- des facteurs politiques tels que la possibilité pour les citoyens de participer dans la politique ou le degré de décentralisation gouvernementale

2.2.1 Facteurs socio-démographiques et bonheur

De nombreuses études empiriques réalisées dans différents pays et à des périodes différentes montrent qu’il existe des corrélations entre les facteurs socio-démographiques des personnes interrogées et le niveau de bonheur qu’elles déclarent (Frey et al., 2002b).

- Age : les personnes les plus jeunes et les plus âgées se déclarent plus heureuses que celles d’âge moyen. Les personnes qui se déclarent les moins heureuses ont entre 30 et 35 ans.

- Genre : les femmes se déclarent légèrement plus heureuses que les hommes.

- Composition du ménage : les couples avec ou sans enfants sont plus heureux que les célibataires ou les parents seuls.

- Nationalité : les étrangers sont significativement moins heureux que les nationaux.

- Education : les personnes les plus éduquées indiquent un bien-être significativement supérieur aux autres.

- Santé : une mauvaise santé diminue considérablement le bonheur déclaré.

Même si ces résultats semblent robustes (puisqu’ils se retrouvent dans un certain nombre d’études différentes), il faut veiller à ne pas les interpréter trop rapidement. Deux problèmes se posent en effet pour l’interprétation de ces données : il peut exister des corrélations entre des variables exogènes qui fausseraient les résultats (par exemple entre la santé et l’âge), et rien ne permet de déduire de ces résultats le sens de causalité (Frey et al., 2002b).

Même si ces résultats ne sont pas directement en rapport avec des facteurs économiques pouvant affecter le bonheur, ils permettent de « corriger » les résultats des biais dus aux facteurs socio-démographiques.

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2.2.2 Facteurs économiques et bonheur

� Effets du revenu sur le bonheur

Bonheur et différences de revenus entre personnes

Les personnes les plus riches sont en moyenne celles qui rapportent un bien-être subjectif plus élevé. Elles ont en effet plus d’opportunités à réussir ce qu’elles veulent, en particulier s’offrir plus de biens et services marchands et elles ont un statut plus élevé dans la société (Di Tella et al., 2001).

La relation entre revenu et bonheur n'est en revanche pas linéaire : l’utilité marginale du revenu absolu est décroissante, c'est-à-dire que le bonheur n’augmente pas infiniment avec le revenu, ni de façon certaine d’ailleurs.

Les différences de revenus n'expliquent que partiellement, et dans une faible proportion les différences de bonheur déclaré entre les individus. Easterlin (2001) montre par une analyse économétrique qu’aux Etats-Unis, le coefficient de corrélation entre le revenu et le bonheur déclaré n’est que de 0,20 c'est-à-dire que la variable « revenu » n’explique que 20% des variations de la variable « bonheur déclaré ». Ce résultat met en évidence l’existence d’autres facteurs économiques (par exemple le chômage) ou non (santé, personnalité), au moins aussi importants que le revenu, qui influencent le bien-être subjectif (Frey et al., 2002a)15.

Même si ce résultat apparaît au premier abord comme contre-intuitif, plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un revenu plus élevé ne se traduit pas systématiquement par un bonheur plus élevé.

Une des plus significatives est que les personnes se comparent les unes par rapport aux autres. Leur niveau de revenus est ainsi perçu et évalué comme relatif et non pas absolu. Pour déclarer leur niveau de satisfaction, les individus réfléchissent à l’écart qui les sépare des personnes à qui ils se comparent consciemment ou non. Plus l’écart est important, moins le bien-être subjectif déclaré est élevé (Frey et al., 2002b).

Il n'y a aujourd'hui plus de doutes sur le fait que les personnes ont des jugements relatifs mais la question reste de savoir à quoi ou à qui une telle comparaison se reporte (Frey et al., 2002a).

Clark et al. (1996) ont montré que le groupe de référence auquel se comparent les individus qu’ils ont interrogés est l’ensemble des personnes présentant les mêmes qualités qu’eux sur le

15 Remarque : Frey et al. (2002a) soulignent systématiquement la question du sens de causalité qu’on ne peut déduire directement des corrélations. Dans le cas présent, il s’avère que des études ont montré que la causalité allait bien du revenu vers le bonheur (Brickman et al, 1978).

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marché du travail. Plus le revenu maximal du groupe de référence est élevé, moins les personnes sont satisfaites de leur travail et leurs conditions de vie.

Duesenberry (1959) a testé économétriquement l'idée de revenus relatifs en postulant l’hypothèse d'une structure asymétrique des externalités. Les gens se comparent avec les personnes « au dessus d'eux », c'est-à-dire ayant un revenu plus élevé, pour évaluer leur niveau de bien-être. Les personnes les plus riches imposent donc un effet externe négatif sur les plus pauvres tandis que l’inverse n’est pas vrai.

Ce concept de revenu relatif renvoie à une théorie plus générale de niveau d'aspiration. Les aspirations ont toujours tendance à être supérieures à ce qui a déjà été atteint. Les concepts de préférences interdépendantes dues à la comparaison avec les autres s'ajoutent aux idées de se concentrer sur les changements de préférences dus aux comparaisons avec les niveaux de consommations passés et les revenus futurs espérés (Frey et al., 2002b).

Ces résultats sont à l’origine d’une avancée importante en économie du bonheur puisqu’ils soulèvent l’hypothèse d’interdépendance des fonctions d’utilité individuelle, remettant ainsi en cause l’un des fondements de la théorie économique standard.

Remarque : Pour aller plus loin dans cette idée de relativité des revenus et du bien-être, Veblen (1899) a mis en évidence la notion de consommation ostentatoire destinée à impressionner les autres personnes.

Dans le même ordre d’idée, Frey et al. (2002b) citent Hirsch (1976) qui met l'accent sur le rôle du statut social relatif en attirant l'attention sur les "biens positionnels" qui, par définition, ne peuvent être augmentés car ils reposent uniquement sur le fait de ne pas être disponibles pour d'autres ou Franck (2000) pour qui la production des biens positionnels de luxe (ex: montres ou bateaux) est un gaspillage de ressources productives puisque le bonheur global est ainsi plutôt diminué qu'augmenté.

L'effet de la distribution du revenu sur le bonheur n'a jusqu'alors été que peu étudié à cause du manque de données. Alesina et al. (2004) suggèrent qu'il existe un large effet négatif de l'inégalité sur le bonheur en Europe mais pas aux Etats-Unis. L’hypothèse explicative avancée est que les Européens, contrairement aux Américains ont une aversion pour l'inégalité. De plus, la mobilité sociale aux Etats-Unis étant perçue comme plus aisée qu’en Europe, le fait d’être à un moment en bas de l’échelle de revenus n’est pas vu comme un facteur pouvant affecter les revenus futurs (Frey et al., 2002a et b).

Remarque : la plupart des études réalisées ont porté sur les pays développés mais Graham et al. (2001) ont montré que les résultats s'appliquent aussi aux pays en transition.

Revenus et bonheur au cours du temps

Le bonheur est relativement stable dans le temps : globalement, on n’observe pas de lien entre la modification des revenus et l’évolution du bonheur au cours du temps. Cependant, il ne faut pas en conclure trop vite que le bonheur n’évolue pas avec le revenu car

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il peut y avoir parfois une légère augmentation ou diminution du bien-être déclaré qui dépend uniquement de la période d’observation. De plus, les relations présentées entre le revenu et le bien-être n’ont pas été analysées ceteris paribus. La seule conclusion valable que l’on peut tirer de ces résultats est qu’on ne peut pas réduire les déterminants du bien-être subjectif au niveau de revenu (Frey et al., 2002b).

Revenus et bonheur entre différents pays

Les habitants des pays riches se déclarent en moyenne plus heureux que ceux des pays pauvres (Diener et al., 1995b).

Les revenus sont déterminants dans le bien-être pour des faibles niveaux de développement mais au delà d'un certain seuil (environ 10000US$ per capita et par an16), le niveau de revenu moyen dans un pays n'a que peu d'influence sur le bien-être subjectif. Il en découle que la corrélation positive entre richesse du pays et bonheur de ses habitants doit être produite par d’autres facteurs que le revenu seul.

En particulier, des pays avec des revenus par tête plus élevés ont plus tendance à avoir des démocraties stables que les pays pauvres. De plus, plus le revenu est élevé, meilleurs sont généralement la santé et le respect des droits de l'homme par exemple, ce qui joue sur le bonheur.

Frey et al (2002a) notent, à la vue de cette conclusion, que l’idée que les individus des pays pauvres sont plus heureux parce qu'ils vivent dans des conditions plus "naturelles" et moins stressantes est un mythe.

� Effets du chômage sur le bonheur

Chômage personnel

Le bonheur déclaré d’une personne au chômage est beaucoup plus faible que celui d'une personne qui travaille (en considérant des individus avec des caractéristiques socio-démographiques comparables) (Di Tella et al., 2001).

Clark et al. (1994) : « Le chômage diminue le bien-être plus que n’importe quelle autre circonstance, même importante et négative, telle que le divorce ou la séparation ».

Globalement, les hommes sont plus affectés par le fait de se retrouver au chômage que les femmes, les plus jeunes et les plus vieux souffrent plus de cette situation que les personnes d’âge moyen et les personnes les plus éduquées déclarent une baisse plus importante de leur bonheur en cas de chômage que les personnes avec peu d'éducation (Clark et al., 1994). Ces résultats sont issus de l’étude des effets purs du chômage sur le bien-être déclaré des gens, c'est-à-dire des effets du chômage corrigés des facteurs socio-démographiques ou des effets

16 Résultat de l’enquête World Values Survey, 1990

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indirects du chômage (par exemple, diminution des revenus). La chute du bonheur pourrait donc être attribuée dans une large mesure aux coûts psychique et social relatifs au fait d’être au chômage (Frey, 2008).

Il y a des preuves que les personnes malheureuses sur le marché du travail sont moins performantes mais le principal sens de causalité semble être que le chômage entraîne du malheur (Frey, 2008).

Une interaction importante se fait avec le groupe de référence. Comme pour le cas du revenu, les individus ont tendance à évaluer leur propre situation par rapport à d'autres. Pour la plupart, les personnes au chômage sont moins malheureuses si elles ne sont pas toutes seules dans leur cas (Frey, 2008).

Chômage général

Les individus peuvent être touchés négativement par le chômage même s'ils ne sont pas eux-mêmes menacés de perdre leur travail : soit par compassion, soit par peur pour eux, soit à cause des répercussions sur l'économie, soit à cause des tensions sociales qui augmentent...

L'effet général du chômage sur le bien-être social peut être calculé en additionnant la perte de bien-être vécue par les personnes au chômage et l'effet général du chômage (Frey et al., 2002a).

� Effets de l'inflation sur le bonheur

DiTella et al. (2001) montrent à travers une estimation économétrique qu’en gardant toutes les autres variables (revenu, caractéristiques socio-démographiques) constantes, l’inflation diminue considérablement le bonheur rapporté.

Pour étudier l’arbitrage entre l’inflation et le chômage, les résultats reportés sur les effets du chômage et les effets de l’inflation sont combinés. La question est de savoir de combien, en moyenne, un pays doit réduire son inflation pour tolérer une hausse d’un point de pourcentage du taux de chômage. Les résultats mettent en évidence une asymétrie des effets des deux variables économiques : pour une hausse de 5 points de pourcentage (par exemple de 5 à 10%) du taux de chômage, il faut diminuer le taux d’inflation de 8,5 points de pourcentage (de 15 à 6,5% par exemple) pour que la population reste au même niveau de satisfaction. Ce résultat met en évidence la faiblesse de l’indicateur économique « misery index » qui se contente d’additionner simplement les taux de chômage et d’inflation, attribuant ainsi un effet trop important à l’inflation par rapport au chômage sur le bonheur déclaré. Ainsi, la mesure du bonheur apparaît pouvoir devenir un moyen de pondérer les effets de mesures économiques sur le bien-être et de construire des indicateurs composites plus proches de la réalité.

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2.2.3 Facteurs politiques et bonheur

Le bonheur des individus est influencé par le système politique dans lequel ils évoluent. Les personnes qui vivent dans des démocraties constitutionnelles se déclarent logiquement plus heureuses car les politiciens sont motivés pour gouverner selon leurs intérêts dans le but de gagner leur confiance et éventuellement se voir réélire. Les institutions démocratiques, en particulier le droit de voter et de participer aux élections, contribuent aussi au bonheur des citoyens (Frey et al., 2002a).

Les libertés politique, économique et personnelle sont corrélées positivement au bonheur. La liberté économique participe au bonheur particulièrement dans les pays pauvres à faibles niveaux d'éducation tandis que la liberté politique est plus fortement corrélée avec le bien-être subjectif dans les pays riches avec un niveau d'éducation élevé (Veenhoven, 2000).

2.3 Conclusion : les apports et les limites de l’économie du bonheur

Plusieurs raisons poussent les économistes à considérer la recherche sur le bonheur (Frey et al., 2002a et b) :

- politiques économiques : les indicateurs calculés classiquement n'ont pas l'influence imaginée sur l'utilité individuelle. Il est donc utile de tenir compte du bien-être subjectif ou du bonheur déclaré, non seulement pour choisir parmi des décisions politiques, puisqu’il s’agit en général d’une question de compromis et qu’une amélioration au sens de Pareto est souvent irréalisable concrètement, mais aussi pour évaluer les conséquences de ces décisions et éventuellement proposer de nouvelles recommandations politiques.

- contexte institutionnel : les conditions institutionnelles comme la qualité de la gouvernance ou la taille du capital social ont un effet important sur le bien-être individuel.

- aide à la compréhension de la formation du bien-être subjectif à travers l’étude des déterminants du bien-être.

Le bonheur et l'utilité ne sont pas identiques mais le bonheur peut être considéré comme une bonne approximation de l'utilité. Ceci permet d'étudier empiriquement des problèmes qui ne pourraient pas être traités au niveau théorique. Les enquêtes de satisfaction permettent par exemple des comparaisons entre des domaines où les unités de mesure sont différentes en offrant une commune mesure plus simple que le passage par la « monétarisation » des grandeurs.

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Les résultats de l'économie du bonheur militent pour ne pas se contenter d'un indicateur de richesse tel que le revenu pour mesurer le bien-être d'un individu car, non seulement il ne reflète pas le bonheur, mais il est en plus sujet à des critiques internes, des biais de mesure et des erreurs. D'où l'intérêt de développer des indicateurs de bien-être basés sur des enquêtes (Diener et al., 1997 ; Kahneman et al., 2004b).

L'économie du bonheur peut déboucher sur des recommandations très diverses, qui vont parfois à l'encontre des recommandations d'une économie plus « traditionnelle » : par exemple, supprimer la redistribution à cause de l’aversion à la perte et donc de la diminution de bien-être plus importante pour les personnes à qui l’on prélèverait une taxe que l’augmentation de bien-être qu’elle procurerait à ceux qui en bénéficieraient (Davoine, 2007).

Des études empiriques supplémentaires devraient être menées dans les pays en voie de développement pour compléter les résultats obtenus dans les pays développés et vérifier des hypothèses générales (par exemple, que l’argent ne fait pas tout seul le bonheur) (Frey et al., 2002b).

Le bonheur pour tous est un critère nécessaire mais pas suffisant car le bonheur n'est pas le critère ultime (position anti-welfariste). « Le bien-être subjectif n’est pas le bien suffisant et ultime vers lequel tout le monde tend et par rapport auquel tout autre objet désirable n’est seulement qu’un moyen. Tout le monde veut être heureux, pour de bonnes raisons, et tout le monde veut certaines choses de valeurs même en l’absence de sentiment de bonheur » (Diener et al., 2004). Diener et al. préconisent donc une approche à partir d’enquête pour éviter tout romantisme, tout paternalisme et tout ethnocentrisme.

Davoine (2007) apporte trois nuances à leurs conclusions :

- L'économie du bonheur ne peut être un substitut de la démocratie.

- Il ne faut pas rejeter en bloc le paternalisme : une fois les préférences des individus connues, il est possible de les influencer pour leur bien, tout en préservant la liberté des individus. L'économie du bonheur démontre que les comportements individuels ne débouchent pas sur le bien-être collectif optimal (Layard, 2007). Il est donc possible de sélectionner les objectifs de la politique, en révélant ce que le peuple veut, mais aussi ce qui le rend heureux (et qui ne correspond pas forcément à ce qu'il veut).

- L’économie du bonheur n’échappe pas à un certain ethnocentrisme puisqu’elle recherche toujours des régularités universelles, une « nature humaine » sans se soucier de replacer les phénomènes étudiés dans leur contexte économique, social, politique et culturel.

L'économie du bonheur ne capte que la satisfaction des préférences dans une situation donnée, mais les individus sont souvent mal informés, parfois irrationnels et « malveillants » et les préférences sont souvent adaptatives et endogènes, influencées par la publicité, la pression sociale et les instincts biologiques. « En démontrant l'importance des phénomènes d'adaptation, d'habitudes et le poids des coutumes, l'économie du bonheur donne des

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arguments à ceux qui ne souhaitent pas faire de la satisfaction le seul baromètre de l'action publique » (Davoine, 2007).

De cette évolution de l'économie du bien-être et de ses critiques, il faut retenir la nécessité de ne pas limiter la mesure du bien-être, qu'il soit objectif ou subjectif, à une mesure absolue. C'est bien dans une position relative par rapport au bien-être des autres, de la société, que doit être évalué le bien-être des individus.

La critique faite au bien-être objectif ne signifie pas qu’il faut renoncer à cette approche au profit d'une seule approche en termes de bien-être subjectif. Tout l'intérêt pour la science économique apparaît au contraire de pouvoir mettre en relation les deux approches, et d'identifier en quoi certaines mesures objectives, de consommation par exemple, sont de bons proxys de bien-être ressenti.

En alimentation, le même mouvement d’intégration progressive du subjectif dans les enquêtes de sécurité alimentaire se déroule actuellement mais il reste du travail pour trouver une véritable mesure du bien-être alimentaire.

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3 PARTIE 3 : DE LA SECURITE ALIMENTAIRE OBJECTIVE A LA PRISE EN COMPTE PROGRESSIVE DES PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS DE LEUR SITUATION ALIMENTAIRE

Dans le domaine de l’alimentation, le même mouvement d’intégration progressive des représentations subjectives dans l’évaluation de la sécurité alimentaire est observé. Ainsi, il n’y a pas que l’adéquation entre les besoins et les apports nutritionnels qui est aujourd’hui mesurée mais aussi les sentiments de sécurité ou d’insécurité alimentaire. Cette avancée se limite cependant encore à la fonction biologique de l’alimentation.

3.1 Les indicateurs objectifs du bien-être alimentaire

Les visions normatives de l’alimentation réduisent cette dernière à une acquisition (économie) ou à une ingestion (nutrition) (Bricas, 2008).

En économie par exemple, les seuils de pauvreté17 absolus de la Banque Mondiale18 sont définis à partir de besoins considérés comme essentiels qui constituent un seuil. Les mesures monétaires de ce seuil sont basées sur des estimations du coût d’un panier de produits alimentaires de base établi pour chaque pays à partir de normes nutritionnelles considérées comme minimales pour la survie en bonne santé d'un individu. Il faut ensuite ajouter un budget minimum pour les besoins non alimentaires. L’addition de ces deux données donne le seuil de pauvreté absolu (Banque Mondiale).

Les enquêtes Budget Consommation permettent de calculer les dépenses des consommateurs et, avec les données de prix, les quantités consommées. Les changements observés dans la consommation sont considérés comme déterminés par des variables économiques objectives, faciles à étudier : revenu et prix. Les préférences des consommateurs (subjectives) sont alors considérées comme stables et données (Combris, 1996). Les analyses ne s’appuient pas sur des enquêtes où les consommateurs pourraient s’exprimer. Leur satisfaction vis-à-vis de

17 Niveau de revenu en dessous duquel un ménage est considéré comme pauvre

18 http://web.worldbank.org

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l'alimentation est uniquement établie par le chercheur sur la base de la comparaison de leur consommation par rapport à une norme. Tout facteur de satisfaction ou d'insatisfaction qui n'est pas rapportable à une norme ou à un seuil jugé acceptable n'est donc pas pris en compte dans l'analyse. Pour la compléter, il serait donc intéressant de se pencher sur les perceptions et les préférences déclarées des individus plutôt que sur seuls leurs choix alors considérés comme le reflet de leurs préférences.

En nutrition, les approches conventionnelles de la sécurité alimentaire sont basées sur des mesures objectives qui réduisent l’alimentation à sa seule fonction biologique de satisfaction des besoins nutritionnels. La consommation alimentaire est en général évaluée sous la forme de « ration alimentaire », c'est-à-dire de quantités d’aliments ingérés traduites en valeurs nutritionnelles et comparées aux besoins (Calandre, 2006). La tendance est à une approche étroite du bien-être qui « met l’accent sur le bien-être physique plutôt que sur les autres formes de bien-être » (Ikeda, 1999) avec un désir d’atteindre des « profils diététiques cohérents avec le bien-être », le bien-être étant alors entendu comme relatif à la santé (Worsley, 2007). La Brazilian Nutrition Society définit le « bien-être nutritionnel » comme l’ « état biologique dans lequel les fonctions de consommation et d’utilisation de l’énergie et des nutriments de l’alimentation s’effectuent conformément aux besoins biologiques de l’individu ».

La notion de « besoins biologiques » ou de « besoins nutritionnels » est largement débattue et le concept d’ « alimentation suffisante » fait l’objet de plusieurs propositions répertoriées dans les articles de Maxwell et al. (1992) et de Maxwell (1996):

- « niveau minimum de consommation alimentaire » (Reutlinger et al., 1980)

- « niveau cible » (Siamwalla et al., 1980)

- « alimentation de base nécessaire » (FAO 1983)

- alimentation « adéquate pour satisfaire les besoins nutritionnels » (Barraclough et al., 1987)

Les pratiques alimentaires d'acquisition, de transformation et de consommation ne sont généralement considérées que dans la perspective d'analyser leur rôle sur la valeur nutritionnelle des aliments et des rations (par exemple pour les pratiques de sevrage ou l’incidence des transformations technologiques sur la valeur nutritionnelle des produits) (Calandre, 2006). Or, comme le dit Poulain (2002), « l’acte alimentaire pour l’individu est beaucoup plus que le support de la fonction biologique de nutrition ; c’est un acte humain total à travers lequel se retrouvent les questions sociales et culturelles les plus fondamentales ».

Dans l’approche objective de la sécurité alimentaire telle que décrite ci-dessus, les autres fonctions de l’alimentation, hédonique, sociale et culturelle, sont analysées comme des facteurs qui peuvent venir limiter les possibilités théoriques de satisfaction des besoins nutritionnels (ex : interdits alimentaires propres à une religion), tandis que la fonction biologique reste considérée comme essentielle et supérieure compte tenu de son lien étroit avec la santé (Calandre, 2006).

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3.2 Les limites de la mesure objective de la sécurité alimentaire

La littérature sur la pauvreté distingue les « conditions de privation » qui se réfèrent à une analyse objective, et les « sentiments de privation » relatifs au subjectif (Townsend, 1974). La même distinction peut être appliquée pour le concept de sécurité alimentaire.

Il existe des problèmes dans les approches conventionnelles de la sécurité alimentaire basées sur une mesure objective pour deux raisons (Maxwell, 1996) :

- La notion d’ « adéquation nutritionnelle » est problématique car les besoins nutritionnels ne sont pas les mêmes pour chaque individu et varient selon l’âge, l’état de santé, la taille, le travail, l’environnement et le comportement. Payne et al. (1994) par exemple montrent comment les comportements des personnes varient en réponse à un stress dans leur environnement et tentent de chercher des implications biologiques dans ces résultats. L'application d'une norme générale pour une population gomme donc cette spécificité des besoins.

- Les aspects « qualitatifs » de la sécurité alimentaire sont oubliés : qu’il s’agisse d’aspects concernant les produits alimentaires à proprement parler : qualité « technique » et « sanitaire » des aliments, ou des rapports que les personnes entretiennent avec l’alimentation : par exemple, la cohérence avec des habitudes alimentaires locales, l’acceptabilité culturelle et la dignité humaine ou encore l’autonomie et le libre choix.

Pelto et al. (1989) montrent que dans certaines situations très particulières, les personnes peuvent être amenées à consommer des aliments relativement chers par rapport à leurs moyens parce qu’ils ont une forte valeur culturelle. Lors d’occasions spéciales, les aliments consommés peuvent être plus riches en nutriments, en protéines…ils sont choisis pour le prestige ou pour marquer l’appartenance religieuse ou culturelle des personnes.

L’implication de ces observations est que, même si l’adéquation nutritionnelle est une condition nécessaire à la sécurité alimentaire, elle n’est en aucun cas suffisante pour l'évaluer selon l'ensemble de ce qui la définit aujourd'hui19 ou pour évaluer ce que nous avons appelé le « bien-être alimentaire ». Il ne faut donc pas considérer uniquement les questions de quantité mais aussi s’intéresser aux « qualités » de l’alimentation (Maxwell, 1996), le terme de « qualités » étant ici entendu au sens plus large que la qualité nutritionnelle ou sanitaire.

Ces problèmes ont amené certains auteurs à mettre l’accent sur la dimension subjective de la sécurité alimentaire. Par exemple Maxwell (1988) donne une nouvelle définition de la sécurité alimentaire en essayant de tenir compte de ces nouvelles préoccupations.

« Un pays ou une population est en état de sécurité alimentaire quand son système alimentaire fonctionne dans le sens de la disparition de la peur de ne pas avoir assez à

19 Telle que la définit la Conférence Mondiale de l’Alimentation de 1996 (voir en introduction du mémoire)

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manger. En particulier, la sécurité alimentaire sera atteinte quand les plus pauvres et les plus vulnérables, particulièrement les femmes et les enfants, et ceux vivant dans des zones reculées, auront un accès sécurisé à l’alimentation qu’ils veulent. »

A partir de ces travaux, plusieurs institutions ont entrepris de mesurer le ressenti de la population dans leur évaluation de la sécurité alimentaire.

3.3 La prise en compte progressive du ressenti des consommateurs de leur propre sécurité alimentaire

Deux échelles de mesure centrées sur la perception que les personnes ont de leur bien-être ou de leur sécurité alimentaire sont aujourd’hui utilisées par les nutritionnistes.

3.3.1 Mesure de la santé physique et mentale ressentie

Le MOS SF-36, (Medical Outcome Study Short-Form 36 item health survey) est un questionnaire général composé de 36 questions20 sur la perception qu’ont les patients de leur propre état de santé. Il est utilisé dans les études de recherche clinique ou d’évaluation des traitements ou des services médicaux par exemple (Ware, 2000).

Il s’agit en quelque sorte d’un score de qualité de vie simple d’utilisation. Dans une étude bibliographique publiée par le British Medical Journal sur l’augmentation des mesures de qualités de vie, le SF-36 a été jugé comme « la mesure de l’état de santé évalué par le patient lui-même la plus largement évaluée » (Garratt et al., 2002). Presque 4000 publications concernent cette mesure. Cette échelle est validée internationalement dans la communauté scientifique des nutritionnistes, elle est donc utilisée dans des enquêtes de ce champ disciplinaire.

Le SF-36 a été construit pour satisfaire des standards psychométriques minimum nécessaires pour les comparaisons de groupe. Huit « health concepts » ont été sélectionnés car ils représentaient les concepts les plus fréquemment mesurés dans les enquêtes de santé et ceux les plus affectés par les maladies et les traitements (Ware et al., 1993). Les items sélectionnés sont donc des indicateurs opérationnels multiples de santé incluant : le fonctionnement et dysfonctionnement comportemental, la détresse et le bien-être, des rapports objectifs et des

20 Le SF36 a été réduit pour en faire un questionnaire en 12 ou 8 questions, facilitant encore un peu plus son utilisation (voir site : http://www.sf-36.org).

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évaluations subjectives ainsi que des évaluations favorables ou défavorables sur son propre état de santé (Ware et al., 1993).

Ce modèle de mesure permet d’évaluer l’état de santé physique de la personne tel qu’elle le ressent ainsi que son état de santé mentale.

3.3.2 Mesure de l’insécurité alimentaire perçue

Les mesures « physiques » d’insécurité alimentaire, telles que des insuffisances caloriques (quantité) ou une inadéquation des nutriments (qualité), peuvent permettre d’évaluer un aspect de l’insécurité alimentaire puisque ces composants jouent directement sur le bien-être physique de l’individu. Mais elles ne permettent pas d’évaluer les composants cognitifs et affectifs de l’incertitude (anxiété), l’inacceptabilité ou la non-durabilité (Wolfe et al., 2001).

Frongillo (1999) propose, pour avoir une mesure plus directe et donc plus représentative de la réalité, de mesurer l’expérience d’insécurité alimentaire en observant les foyers d’une part et en interrogeant ses habitants sur leurs ressentis (anxiété/inquiétude) et leurs pensées (perceptions, acceptabilité sociale) d’autre part. Ce modèle de mesure est validé, c'est-à-dire qu’il est approprié pour fournir des mesures analytiques pour un but et un contexte donnés (Frongillo, 1999).

US National Food Security Measure

La US Food Security Measure intègre ces données en cherchant à comprendre en profondeur l’expérience de l’insécurité alimentaire au sein du foyer (Maxwell et al., 1992) et en développant des indicateurs sur les aspects subjectifs de l'insécurité alimentaire qui incluent l'absence de choix, le sentiment de privation et l'acquisition de nourriture de façon socialement inacceptable (Radimer et al., 1992).

Le concept d’insécurité alimentaire tel qu’il est aujourd'hui conçu par les Etats Unis inclut non seulement le manque de disponibilité, d’accès, et d’utilisation de l’alimentation (préparation et distribution au sein du foyer) mais aussi les perceptions sur les caractères (in)suffisant, (in)adapté, (in)acceptable, (in)certain et/ou éphémère de la nourriture.

L’insécurité alimentaire est alors définie comme « l’incapacité à acquérir ou consommer une qualité adéquate ou une quantité suffisante de nourriture de façon socialement acceptable ou l’incertitude que quelqu’un puisse être capable de le faire » (Radimer, 1990, Radimer et al., 1992).

Dans la US Food Security Measure, 12 items mesurent ainsi l’insécurité alimentaire perçue. Ces items sont issus d’une enquête qualitative approfondie auprès de femmes avec ou sans enfants, en zone rurale, aux revenus peu élevés, et qui ont déjà expérimenté une situation d’insécurité alimentaire. Ils ont été sélectionnés car ils capturaient le plus largement les

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composants de l’insécurité alimentaire et montraient une bonne fiabilité (Radimer, 1990 ; Radimer et al., 1992).

Les avantages de cette mesure de la sécurité alimentaire perçue sont multiples :

- elle est bien fondée conceptuellement car elle est basée sur la compréhension en profondeur de l’insécurité alimentaire expérimentée par des foyers aux Etats-Unis,

- elle est rapide et simple à administrer, ce qui la rend utilisable aussi bien à un niveau local que national et les données peuvent être agrégées,

- chaque jeu d’items capture un degré différent de sévérité, ce qui permet d’avoir toute la gamme de la sévérité de l’insécurité alimentaire et ainsi distinguer entre les différents niveaux.

La principale faiblesse de cet outil est qu’il s’agit d’une échelle unidimensionnelle alors même que la sécurité alimentaire est vue comme multidimensionnelle.

3.3.3 Echelle de l’Accès déterminant l’Insécurité Alimentaire des Ménages (EAIAM)

pour la mesure de l’accès alimentaire des ménages

Le programme FANTA21 a compilé un ensemble d’études et d’échelles de mesure pour créer une méthode de mesure rapide et simple de l’insécurité alimentaire ressentie dans le ménage (Coates et al., 2007).

Une première recherche qualitative auprès de personnes à faibles revenus aux Etats-Unis a été réalisée pour permettre d’éclairer les différentes façons de se sentir en insécurité alimentaire (Coates et al., 2007 ; Radimer et al., 1990 ; Radimer et al., 1992) :

- ressentir une incertitude ou une angoisse par rapport à la nourriture (situation, ressources ou approvisionnement)

- percevoir que la nourriture est en quantité insuffisante (que ce soit pour les adultes et/ou pour les enfants)

- percevoir que la nourriture est de qualité insuffisante (question de diversité alimentaire, de niveau nutritionnel ou de préférences du consommateur)

- indiquer des réductions des apports alimentaires

- indiquer les conséquences des apports alimentaires réduits

- ressentir de la honte à avoir recours à des moyens inacceptables du point de vue social pour obtenir un minimum vital de nourriture

21 Food and Nutrition Technical Assistance

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A partir des premiers résultats, une échelle d’insécurité alimentaire perçue du ménage a été conçue. Cette échelle est composée de neuf questions portant sur l’inquiétude, la qualité et la quantité de l’alimentation du mois écoulé22. Ces questions représentent des domaines apparemment universels de l’expérience d’insécurité alimentaire (accès) des ménages et peuvent être utilisées pour distribuer les ménages et les populations tout au long d’une chaîne de gravité allant de la sécurité alimentaire à une grave insécurité alimentaire (Coates et al., 2007). Pour cela, les réponses aux questions se déclinent en quatre niveaux :

- « jamais » (0 point)

- « rarement » (1 point) : une à deux fois ces quatre dernières semaines

- « parfois » (2 points) : trois à dix fois ces quatre dernières semaines

- « souvent » (3 points) : plus de dix fois ces quatre dernières semaines

Le score d’insécurité alimentaire du ménage (SIAM) est ensuite la somme des scores des réponses et varie de 0 (sécurité alimentaire) à 27 (grave insécurité alimentaire).

Cet indicateur présente un certain nombre d’avantages : il est facile à construire (simple addition de points/lecture de tableau), facile à interpréter et facile à recueillir (questions simples, rapide = 10 min, acceptable par les populations) (Coates et al., 2007).

Cependant, l’indicateur d’insécurité alimentaire perçue mis au point par le programme FANTA ne donne là encore qu’une évaluation de la perception limitée à la fonction nutritionnelle de l’alimentation en ne s’intéressant qu’à des questions de quantités alimentaires voire de qualité des aliments choisis. Même lorsqu’une des questions concerne plus particulièrement le sentiment de peur associé à l’alimentation, il s’agit là encore de la peur de manquer, de ne pas avoir assez à manger pour tous les habitants du foyer. On peut aussi remarquer que l’ensemble des questions est orienté dans le sens de la mesure de l’insécurité alimentaire. Aucune question n’est abordée du côté positif (par exemple en terme de sécurité ou de bien-être alimentaire), ce qui peut apporter un biais dans l’enquête et orienter les réponses des personnes interrogées dans le sens de ce qu’elles pensent que l’enquêteur veut trouver, en l’occurrence, le niveau d’insécurité alimentaire et non pas de sécurité alimentaire (Schwarz, 1999).

22 Voir Annexe 4 : Questionnaire du programme FANTA pour mesurer l’insécurité alimentaire perçue

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Un certain nombre de méthodes et de disciplines différentes ont été utilisées pour améliorer la compréhension de l’insécurité alimentaire et appliquer cette compréhension au développement de nouvelles mesures (Wolfe et al., 2001) mais aucune ne s’est basée sur l’expérience de l’insécurité alimentaire vécue elle-même (telle que prise en compte dans l’approche des Etats Unis).

C’est le sens du travail que nous souhaiterions entreprendre : construire un indicateur de bien-être alimentaire qui puisse aller au-delà des simples mesures d’adéquation nutritionnelle et qui considère aussi les autres fonctions de l’alimentation : hédonique, sociale et identitaire.

Remarque : Il faudra prêter attention à la question de l’influence de la culture sur l’utilisation du terme de « bien-être alimentaire ». Pour développer une échelle qui puisse être fonctionnelle et utilisée dans des cultures très différentes, cela nécessitera qu’elle soit validée dans différents contextes. Par exemple le « bien-être alimentaire » en Angleterre pourrait faire référence au fait d’être capable d’avoir accès à une alimentation pratique et peu coûteuse tandis qu’en France, il pourrait évoquer la capacité à avoir accès à une alimentation de qualité à partager avec les autres (Pettinger et al., 2004). C’est pour cette raison qu’un indicateur de « bien-être alimentaire » devra veiller à couvrir l’ensemble des dimensions plus ou moins importantes selon les différent(e)s pays ou cultures.

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Conclusion générale

La revue de la littérature économique effectuée dans ce mémoire sur les mesures objectives et subjectives du bien-être individuel est un préalable à l’élaboration d’une méthode de mesure du bien-être alimentaire applicable aux trois situations sur lesquelles le projet Alimi se concentre : les ruraux, les urbains et les migrants en France (soit du Maroc, soit du Mali).

Cette conclusion générale résume les résultats les plus importants à retenir de ce travail qui peuvent être utiles pour la réflexion sur la construction d’une mesure de bien-être alimentaire et propose des pistes méthodologiques pour la thèse envisagée sur ce même sujet.

� Résumé des résultats à retenir de la revue de la littérature précédente

L’économie du bien-être se contentait d’étudier le bien-être matériel ou « bien-être objectif », mesuré en termes de revenus ou de consommation (les choix étant considérés comme le reflet des préférences individuelles donc des utilités). Le « bien-être », tel qu’il était alors entendu, était considéré comme une mesure de l’utilité.

Cependant, un certain nombre d’auteurs ont noté plusieurs « anomalies » dans les études empiriques. C’est le cas par exemple d’Easterlin (1974) qui a mis en évidence un paradoxe à l’origine du mouvement de prise en compte du bien-être subjectif dans la mesure de l’utilité : il a observé que l’augmentation de la richesse d’un pays n’était pas suivie d’une augmentation du niveau de « bien-être » déclaré des individus de sa population. Un autre paradoxe mis au jour par Di Tella et al. (2001) montre que le chômage, jusqu’alors considéré comme volontaire, entraîne une véritable chute du niveau de bien-être déclaré même lorsque le niveau de revenu est conservé. Enfin, de nombreux auteurs remarquent des différences entre l’utilité attendue et l’utilité expérimentée d’un choix parmi plusieurs options car les individus ne sont pas parfaitement rationnels (au sens qu’ils n’ont pas une parfaite information des utilités de chacune des options et qu’ils ne savent pas calculer pour maximiser leur utilité).

Ces résultats tendent à prouver qu’on ne peut pas réduire les déterminants du bien-être aux seuls indicateurs économiques et qu’il faut élargir la mesure du « bien-être » en s’intéressant aux perceptions des individus, c'est-à-dire au bien-être subjectif. C’est ce que l’économie du bonheur se propose aujourd’hui de faire.

L’économie du bonheur donne plusieurs résultats remarquables qui justifient l’intérêt que les économistes lui portent aujourd’hui. Par exemple, un revenu plus élevé ne se traduit pas systématiquement par un bonheur plus élevé car chaque personne évalue son niveau de revenu et de bonheur de façon relative et non pas absolue. Ainsi, chaque personne, de façon consciente ou non, se place par rapport à un groupe de référence et se compare aux personnes qui se situent « au-dessus » d’elles, c'est à dire celles qui ont, par exemple, un meilleur travail ou de meilleures conditions de vie alors qu’elles ont, a priori, les mêmes atouts ou qualités sur

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le marché du travail. La comparaison se fait toujours vers le haut et si les plus riches imposent un effet externe négatif sur les moins riches, les moins riches n’ont aucune influence sur le bonheur des personnes les plus riches. Ces résultats sont à l’origine d’une avancée importante en économie du bonheur puisqu’ils soulèvent l’hypothèse d’interdépendance des fonctions d’utilité individuelle, remettant ainsi en cause l’un des fondements de la théorie économique standard qui supposait des fonctions d’utilité indépendantes d’un individu à l’autre.

La conclusion de ces observations est que le revenu ne permet pas de déterminer le niveau de bien-être d’un individu et qu’il faut donc se pencher sur ce qu’il ressent, c'est-à-dire son bonheur ou bien-être subjectif.

La question du chômage donne des résultats comparables. Un individu au chômage se déclare beaucoup moins heureux qu’un individu qui travaille, même dans le cas où il conserve un niveau de revenus identique. Cette chute de bien-être ne peut donc pas être imputée au facteur économique indirect de baisse du salaire perçu mais doit être analysée comme le coût psychique ou social du fait de se retrouver sans travail. Des chercheurs ont d’ailleurs montré que, comme pour le cas du revenu, une interaction importante se fait avec un groupe de référence. Ainsi, pour la plupart, les personnes au chômage sont moins malheureuses si elles ne sont pas toutes seules dans leur cas.

Ces résultats militent donc pour compléter l’évaluation du bien-être des individus par une mesure du bien-être subjectif qui semble être un bon proxy de l’utilité.

Dans le domaine de l’alimentation, on note la même tendance, parallèle à l’économie, de prise en compte progressive des perceptions des individus dans l’évaluation de leur propre situation alimentaire. D’une mesure de la sécurité ou du bien-être alimentaire en termes uniquement de revenus minimum nécessaires pour remplir la fonction biologique de satisfaction des besoins nutritionnels, on se tourne aujourd’hui vers des enquêtes qui complètent les approches objectives par des questions directes aux individus pour mesurer leur propre perception de leur « insécurité alimentaire ». Mais là encore, la discussion se limite à des questions sur la fonction biologique (quantité ressentie des aliments, peur de manquer…). De plus, les réponses sont orientées par le fait qu’on s’intéresse systématiquement à l’aspect « insécurité alimentaire », la sécurité étant considérée comme l’absence d’insécurité.

Toutes ces remarques justifient la réflexion que nous voulons ouvrir sur une mesure du « bien-être alimentaire » qui tienne compte des autres fonctions de l’alimentation : hédonique, sociale et identitaire et qui complèterait les mesures objectives de niveau de sécurité alimentaire des individus.

Deux idées essentielles découlent de la recherche bibliographique effectuée :

- Le bien-être n’est pas absolu mais relatif. - Les mesures de bien-être subjectif ne visent pas à remplacer les mesures de bien-être

objectif, mais les deux approches doivent se compléter et éventuellement pouvoir être comparées.

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Ces deux idées sont importantes à prendre en compte lors de la réflexion sur notre méthodologie d’enquête et pour la construction d’une mesure de bien-être alimentaire.

� Premières pistes méthodologiques

Des discussions ont été engagées avec Claude Fischler, directeur de recherches au CNRS (Sociologie) et coordinateur du projet Alimi travaillant d’une part sur l’alimentation et d’autre part sur le bien-être subjectif en collaboration avec D. Kahneman.

Plusieurs questions doivent encore être décidées et des points restent à approfondir pour élaborer une méthode de mesure du bien-être alimentaire cohérente, qui tienne compte des avancées méthodologiques réalisées dans la mesure du bien-être en économie, qui limite autant que possible les biais propres à ce type d’enquête et qui puisse être facilement applicable aux contextes étudiés par le projet Alimi.

Partir de la DRM simplifiée

Le choix méthodologique sur lequel nous sommes engagés est de partir de la méthode de mesure du bien-être subjectif, la DRM (Day Reconstruction Method) (Kahneman et al., 2004a). La méthode initiale, déjà largement utilisée, est lourde à appliquer et l'équipe de Kahneman cherche actuellement à la simplifier et à l'adapter à des contextes économiques et culturels de pays en développement (Ghana notamment). Il faut par exemple tenir compte du fait que la DRM a été conçue pour être appliquée par écrit, permettant ainsi d’interroger plusieurs personnes simultanément. Or, dans le cas de pays en développement qui nous concerne, l’enquête devra se faire par des entretiens oraux en face à face avec chaque personne, du fait du fort taux d’analphabétisation et du risque de mauvaise compréhension des instructions du questionnaire par les participants.

Un premier travail consistera à caractériser la méthode simplifiée utilisée en Afrique par un collaborateur de Kahneman sur la base du DVD de formation des enquêteurs que nous avons à notre disposition (les travaux réalisés n’ayant pas encore été publiés). Le but est de s’inspirer des avancées méthodologiques de la DRM pour les intégrer à notre propre méthodologie.

S'appuyer sur une identification des séquences

Même dans sa version simplifiée, la DRM s'appuie sur une reconstitution de la journée de la veille au travers de l'énumération des séquences qui se sont déroulées. Ce point est important car il permet d’une part de ne pas parler de façon trop générale et de limiter les biais introduits par l’humeur ou le contexte, et d’autre part d’éviter les biais d’un rappel en mémoire d’un épisode trop lointain, dont les émotions auraient pu être gommées ou transformées. C’est là une pratique qui se retrouve aussi dans les méthodes d’enquêtes

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alimentaires qui prennent en compte l’alimentation de la personne ou du ménage au cours des dernières 24 heures. L’ancrage dans la journée de la veille permet de s’appuyer sur une expérience concrète et récente que l’interrogé est capable d’évaluer.

D’après les travaux de Schwarz et al. (1991), les réponses à une question dans une enquête peuvent être influencées par des questions précédentes ou même par la description de l’objectif de l’enquêteur qui veut justifier son « intrusion » dans la vie des participants. Pour la question de l’alimentation qui nous intéresse dans le cas présent, nous devons donc nous interroger sur les biais qui pourraient être introduits par le fait d’annoncer, dès le début du questionnaire, que l’étude se concentre sur l’alimentation. Deux cas de figure pourraient être testés : celui où, dès le début, l’entretien est orienté sur l’alimentation et celui où l’enquête commence par un découpage de la journée de la veille en séquences par la personne (comme dans le cas d’une DRM classique) pour ensuite se concentrer sur ce que nous aurons identifié comme « séquences alimentaires ».

Le deuxième cas de figure permettrait d’avoir un premier résultat sur la place de l’alimentation dans la journée de l’interrogé. Krueger et al. (2008) ont par exemple montré que, contrairement aux Américains, les Français structurent leur journée autour des repas, se posant la question « qu’est ce que j’ai fait avant/après le déjeuner ? » tandis que les Américains oubliaient d’autant plus de parler de leur repas qu’ils avaient un problème de surpoids. Omission volontaire ou non, ces résultats donnent une idée de la structuration de la journée et du rapport de la personne à l’alimentation. Cependant, il faut peut-être s’interroger sur la mise en pratique concrète d’un tel choix méthodologique dans notre étude : il est difficile de demander la participation d’une personne sans lui expliquer l’objectif du travail, surtout dans le cas de populations émigrées qui craignent parfois d’être dénoncées ou surveillées. D’autre part, dans un contexte africain (cas du Mali), l’information peut circuler très vite et ce n’est pas parce que la première personne répondra à l’enquête sans être informée de l’objectif que les suivantes arriveront « neutres »…

Identifier les activités propres à chaque séquence sur la base d'une typologie d'activités pré-identifiées

Pour ce point précis, l’expérience de la DRM nous est utile : pour identifier les activités codées parmi lesquelles les personnes sélectionnent ce qu’elles ont fait, une première phase de focus group devra être réalisée. Elle permettra d'identifier les activités associées aux séquences alimentaires : par exemple, s’approvisionner, préparer un repas, manger…Il s’agira ensuite de pré-coder les activités identifiées pour que chaque personne puisse sélectionner celle(s) dans laquelle ou lesquelles elle était impliquée.

La DRM consiste ensuite à mesurer précisément le temps passé pour chaque séquence de la journée. Cette mesure vise, dans l'analyse des résultats, à pondérer le bien-être ressenti pour chaque séquence par le temps passé afin d'obtenir une mesure du bien-être de la journée (Kahneman et al., 2004a). Ce choix de pondération est critiquable et fait d'ailleurs l'objet d'une discussion actuelle entre D. Kahneman et C. Fischler : comment comparer un bref

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instant très positif qui ne dure que quelques secondes mais peut égayer toute une journée avec un moment plutôt positif qui dure plus longtemps mais n’influencera en aucun cas l’humeur de la journée ? De plus, pour notre cas particulier, le fait de se concentrer sur des séquences alimentaires et de ne pas considérer l’ensemble des séquences de la journée rend peut-être le relevé du temps inutilisable. Cette question reste à discuter.

Mesurer le bien être ressenti pour chaque séquence

Pour chaque séquence alimentaire (dans laquelle plusieurs activités peuvent être réalisées, simultanément ou successivement), nous mesurerons le niveau de bien-être alimentaire.

Le choix de la mesure soulève un certain nombre de questions.

La première est d’identifier la variable à mesurer : s’agit-il du niveau de satisfaction, du niveau de bien-être, des émotions associées à chaque séquence ? Le bien-être est multidimensionnel. Pour le mesurer, il faut donc mesurer chacune de ses dimensions (cognitive et affective). Or, la mesure de chaque dimension requiert l’utilisation de plusieurs questions qui veulent dire la même chose mais qui diffèrent soit par le vocabulaire utilisé, soit par le sens (négatif ou positif) de la question. Par exemple, si l’on regarde les travaux sur la satisfaction globale, qui n’est qu’un composant du bien-être subjectif, Diener et al. (1985) ont établi une série de cinq questions qui mesurent la même chose. Le fait de multiplier les questions pour mesurer une seule dimension limite les biais d’une mauvaise compréhension d’une question par les enquêtés et permet de voir si les réponses sont réfléchies ou données au hasard (suivant les degrés de corrélation des réponses). La complexité de cette mesure s'explique par la volonté de ses concepteurs de rendre crédible la mesure de satisfaction ou de bien-être ressenti dans un contexte où l'introduction de considérations subjectives dans l'analyse économique était considérée comme risquée.

Après plusieurs validations de ces méthodes, des simplifications sont expérimentées pour obtenir, avec une plus simple mesure de la satisfaction, un bon proxy pour la mesure du bien-être en général (Diener et al., 1985). La revue de la littérature devra être poursuivie pour vérifier les conditions d'utilisation d'une mesure simplifiée du ressenti de chaque séquence.

Une autre question porte sur l’échelle de mesure à proprement parler : faut-il choisir de faire noter les séquences alimentaires sur une échelle paire, forçant ainsi les personnes à se positionner de façon positive ou négative, ou sur une échelle impaire, leur laissant la possibilité d’avoir un avis « neutre » sur la question ? Evidemment, le milieu de l’échelle impaire peut être vu comme une solution de facilité, une fuite pour ne pas réfléchir vraiment à la question posée mais le fait d’obliger les personnes à se positionner sur une échelle paire n’apporte-t-il pas un biais si la personne n’a vraiment pas d’avis sur la question ?

Actuellement, les différentes méthodes de mesure du bien-être subjectif ou de la satisfaction présentées dans la deuxième partie de ce travail utilisent des échelles impaires et font généralement noter de 1 à 7 selon l’intensité ressentie de l’émotion ou de la satisfaction…Ces questions de mesure doivent encore être décidées avec l’aide de Michelle Holdsworth de

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l’IRD 23, spécialiste des questions d'échelles de mesure dans les enquêtes. Selon elle, une échelle de mesure de 5 ou 7 points est préférable car la position centrale représente l’ambivalence ou l’indifférence que les personnes peuvent éprouver, ce qui signifierait alors que le facteur étudié a un effet neutre ou nul sur leur bien-être alimentaire.

Il faut aussi tenir compte du caractère relatif du bien-être et s’interroger sur le critère de comparaison des personnes ou le « groupe de référence » auquel elles se comparent. Easterlin (1974) parle de « normes sociales » imaginées par les personnes interrogées et auxquelles ces dernières comparent leur niveau de vie. Plus l’écart entre leur niveau de vie réel et le niveau de vie qu’elles considèrent comme « moyen » est grand, plus leur bien-être diminue. L’augmentation du bien-être subjectif sera due à une réduction de cet écart et non pas à une simple augmentation du niveau de vie. Pour le cas des migrants, cette hypothèse pose une véritable question : par rapport à qui se comparent-ils ? Quel est leur groupe de référence ? Leur « norme moyenne », celle qu’ils envisagent comme « moyenne » est-elle construite par rapport aux autres migrants, par rapport au village d’origine, par rapport à la population du pays d’accueil ? Cette question mérite d’être creusée et il faudra donc trouver un moyen de l’intégrer à l’enquête. Une piste pourrait être de demander à chaque personne d’évaluer, selon elle, le niveau de bien-être alimentaire moyen des catégories de personnes avec lesquelles elle est susceptible de « se comparer » pour voir de quelle façon elle envisage l’échelle de mesure : qui sont ceux qui auront le plus haut niveau de bien-être alimentaire et ceux qui auront le plus faible ? Où ces personnes se situent-elles elles-mêmes par rapport aux autres ?

Enfin, la mobilisation d’acquis méthodologiques d’autres disciplines est aussi envisagée pour l’adaptation de la mesure à l’alimentation et l’identification d’un certain nombre de biais à éviter : la nutrition avec ses mesures de l'insécurité alimentaire perçue (Ware, 2000 ; Wolfe et al., 2001 ; Radimer et al., 1990), le marketing avec ses travaux sur la satisfaction du consommateur et sa méthode SERVQUAL de mesure de disconfirmation des attentes des consommateurs24 (Ladwein, 2003 ; Darpy et al., 2007 ; Parasuraman et al., 1988), ou la sociologie avec sa mesure de l’anxiété alimentaire (Rozin et al., 1999) peuvent par exemple permettre de compléter la méthodologie proposée par les économistes pour mesurer le bien-être. Une première étape consistera donc à étudier la littérature de ces disciplines sur ces points précis afin d’en extraire les avancées méthodologiques intéressantes pour notre réflexion sur la mesure du bien-être alimentaire.

23 Institut de Recherche pour le Développement

24 Voir Annexe 5 : SERVQUAL, une échelle de mesure de la qualité de service

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Mesurer une note générale de satisfaction de l'alimentation

Une mesure de la satisfaction globale alimentaire sur la journée pourrait être intéressante pour comparer les différentes situations (ruraux, urbains, migrants). Pour cela, le plus facile et le plus juste serait de demander à chaque personne de noter, sur la même échelle que celle utilisée pour l’évaluation des séquences alimentaires son niveau de bien-être ou de satisfaction alimentaire perçu.

Toutes ces données seront croisées avec des indicateurs objectifs (mesures de consommation, indicateurs nutritionnels) et des déterminants socio-économiques qui seront relevés lors des entretiens qualitatifs et quantitatifs du projet Alimi, entretiens durant lesquels ces questions sur le bien-être alimentaire seront insérées une fois les questions méthodologiques résolues.

Identifier les attributs de chaque séquence

Le but de cette étude est non seulement de mesurer le bien-être alimentaire mais aussi d’identifier les changements liés à la migration (du rural vers l’urbain ou du pays d’origine à la France) et éventuellement de déterminer les « points critique » de l’alimentation qui pourraient être améliorés pour augmenter le bien-être des individus. En effet, la seule évaluation du niveau de bien-être d'une séquence sera peu opérationnelle du point de vue pratique et dans une perspective d'action ou de politique, si l'on n'identifie pas les facteurs qui déterminent le bien-être. Par exemple, si l'on évalue une séquence « faire ses courses » et que le niveau de bien-être déclaré est faible, il faut pouvoir identifier si cette évaluation est liée aux prix, à la gamme de choix ou à la qualité des produits, au faible nombre de rencontres plaisantes réalisées, au temps jugé trop long pour cette séquence, etc. Pour cela, il apparaît nécessaire d'identifier ces facteurs des séquences alimentaires, comme on identifie des attributs de produits. Dans les focus groups qui seront réalisés, des questions pour identifier ces attributs devront être prévues. Une recherche dans la littérature du marketing et des déterminants de la satisfaction du consommateur pourra aussi permettre de donner quelques pistes des attributs des « séquences » alimentaires.

Identifier les moyens déclarés d'améliorer le score pour chaque séquence

Dans le questionnaire, une question pourrait être de demander « comment gagner un point sur l’échelle du bien-être ou de la satisfaction pour chaque séquence » pour identifier les aspects à améliorer auxquels les personnes pensent spontanément. Ceci devrait être fait avant de présenter les attributs que nous aurons identifié pour ne pas biaiser les réponses.

Dans un deuxième temps, les attributs que nous aurons identifiés pourront être notés, toujours sur la même échelle de satisfaction, pour identifier les facteurs qui posent problème et voir si les préoccupations des personnes ont changé avec la migration et avec les changements de conditions de vie qui l’accompagnent.

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Au-delà de l'élaboration d'une méthode de mesure du bien être alimentaire, l'intérêt de ce travail est de contribuer à analyser les relations entre inégalités et bonheur.

Si l'on part d’une hypothèse d'interdépendance des fonctions d'utilité individuelles, alors on peut chercher à tester l'hypothèse qu'un accroissement des inégalités est défavorable au bonheur. Tester une telle hypothèse suppose de pouvoir identifier à quel groupe social se réfèrent les individus dans leur évaluation personnelle de leur bonheur. Le cas des migrants est particulièrement intéressant pour tester cette hypothèse. Il ouvre par la même occasion la perspective de ne plus concevoir la pauvreté dans les pays en développement à l'aune d'indicateurs absolus comme le revenu comparé à un panier alimentaire « minimal ». Partir d'une hypothèse d'interdépendance des fonctions d'utilités conduit à intégrer aussi les rapports que les pays en développement entretiennent avec les autres pays, notamment les pays riches, pour évaluer leur bien-être. Cela conduit à porter attention non seulement aux « niveaux de vie », mais aussi et surtout, aux écarts entre niveaux de vie, au sein des pays et entre les pays.

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Table des annexes

Annexe 1 : Chronologie des « utilitaristes » cités

Annexe 2 : Mesures du bien-être subjectif (Diener, 1984)

Annexe 3 : La Gallup-Healthways Well-Being IndexTM

Annexe 4 : Questionnaire du programme FANTA pour mesurer l’insécurité alimentaire perçue

Annexe 5 : SERVQUAL, une échelle de mesure de la qualité de service

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Annexe 1 : Chronologie des « utilitaristes » cités

Bentham 1789 Introduction to the Principles of Morals

Pareto 1897 Cours d’économie politique

Hicks 1939 The Foundations of Welfare Economics

Kaldor 1939 Propositions in Economics and Interpersonal Comparisons of Utility

Pigou 1947 Economic Progress in a Stable Environment

Arrow 1950 A Difficulty in the Concept of Social Welfare

Rawls 1971 Théorie de la justice

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Annexe 2 : Mesures du bien-être subjectif (Diener, 1984)

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Annexe 3 : La Gallup-Healthways Well-Being IndexTM

La Gallup-Healthways Well-Being Index™ est une statistique officielle du niveau de bien-être aux Etats-Unis. Tous les jours depuis 2008, plus de 1000 personnes sont interrogées par téléphone et doivent répondre lors d’un entretien en profondeur à des questions concernant la santé25 et le bien-être. L’analyse des résultats tient ensuite compte des revenus et des caractéristiques socio-démographiques du ménage. Le but de cette enquête quotidienne est de déterminer des corrélations entre les lieux de travail des gens et les communautés dans lesquelles ils vivent et comment ces facteurs (et d’autres) ont un impact sur leur bien-être.

L’indice de bien-être est basé sur la mesure de six domaines : l’évaluation de la vie, la santé émotionnelle, la santé physique, le « comportement sain », l’environnement de travail et l’accès aux besoins basiques.

• Evaluation de la vie Une méthode de mesure du type de celle proposée par Cantril (1966) est utilisée. Il s’agit de demander aux gens de créer leur propre échelle d’évaluation de leur vie (de 0 à 10), le haut de l’échelle (le 10) correspondant à la meilleure vie possible (selon eux) et le bas de l’échelle (le 0) à la pire vie possible (selon eux).

Chaque personne interrogée doit ensuite évaluer sa vie, par rapport à sa propre échelle, pour le jour de l’enquête et pour ce qu’elle envisage pour les cinq ans à venir.

Remarque : On classe les personnes interrogées dans trois catégories :

- « en pleine santé » : niveau déclaré de qualité de vie au dessus de 7 pour le moment de l’enquête et d’au moins 8 pour les cinq ans à venir. Ces personnes ont tendance à avoir de hauts revenus, un niveau d’éducation élevé, une bonne santé et du soutien social

- « ni en pleine santé, ni souffrant » : qualité de vie moyenne. Ces personnes semblent essayer d’atteindre leurs buts au jour le jour.

- « souffrant » : entre 0 et 4 sur l’échelle, que ce soit pour le jour de l’entretien ou pour les cinq ans à venir. Ces personnes sont, en général, celles qui ont les revenus les plus bas et le moins d’accès aux besoins basiques (nourriture, logement, soins de santé).

• Index de santé émotionnelle Il est basé sur l’expérience des répondants. Chaque personne interrogée est invitée à repenser à sa journée de la veille dans sa totalité, aux personnes qu’elle a rencontrées, à ce qu’elle faisait, et aux sentiments qu’elle éprouvait.

L’index est construit à partir des réponses par rapport aux items suivants :

- rire/sourire - être traité avec respect

25 Telle que la définit l’organisation Mondiale de la Santé (OMS), c'est-à-dire pas seulement comme une absence d’infirmité ou de maladie mais aussi comme un état de bien-être physique, mental et social.

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- joie - bonheur - souci - tristesse - colère - stress - apprendre ou faire quelque chose d’intéressant

• Santé physique La santé physique est évaluée à partir de questions sur :

- les estimations de l’indice de masse corporelle - le poids de la maladie - les congés maladies - la douleur physique - l’énergie quotidienne - l’histoire de la maladie - les expériences de santé quotidiennes

• Index de « comportement sain » Il inclue des items qui mesurent les habitudes de vie et leurs conséquences sur la santé :

- fumez-vous ? - avez-vous mangé sainement hier ? - consommation de fruits et légumes de la semaine - fréquence d’exercice physique dans la semaine

• Environnement de travail Pour la mesure de l’environnement de travail, les répondants sont interrogés sur leurs sentiments :

- Etes-vous satisfait ou insatisfait du travail que vous faites ? - Au travail, avez-vous l’habitude d’utiliser votre force pour faire le mieux possible tous

les jours ou non ? - Votre supérieur au travail vous traite-t-il comme s’il était votre associé ou votre chef ? - Votre supérieur crée-t-il toujours un environnement de confiance et de dialogue ou

non ?

• Index d’accès aux besoins basiques La construction de cet index est basée sur des items qui mesurent l’accès des personnes à l’alimentation, à un logement sûr et satisfaisant ou aux soins de santé :

- satisfaction par rapport à la communauté ou le quartier - eau propre - médicaments - endroit sûr pour faire de l’exercice

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- possibilité de s’acheter des fruits et légumes - sentiment de sécurité en cas de marche seul la nuit - assez d’argent pour manger/s’abriter/se soigner - visite récente chez le dentiste - avoir un docteur - avoir une assurance santé

Pour plus d’informations, se reporter aux sites :

http://www.gallup.com/tag/Well-Being.aspx

http://www.well-beingindex.com/

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Annexe 4 : Questionnaire du programme FANTA pour mesurer l’insécurité alimentaire perçue

1. Ces quatre dernières semaines, étiez-vous préoccupé que votre ménage26 n’avait pas assez de nourriture ?

2. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage n’a pas pu manger les types de nourriture que vous préférez à cause d’un manque de ressources ?

3. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage a mangé une variété limitée d’aliments parce que les ressources étaient insuffisantes ?

4. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage a mangé une nourriture que vous ne souhaitiez pas manger à cause du manque de ressources pour obtenir d’autres types de nourriture ?

5. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage a mangé un repas plus petit que vous n’auriez souhaité parce qu’il n’y avait pas assez à manger

6. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage a mangé moins de repas par jour parce qu’il n’y avait pas assez de nourriture ?

7. Ces quatre dernières semaines, est-il arrivé que le ménage soit complètement sans nourriture parce qu’il n’y avait pas de ressources pour en acheter ?

8. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage est allé au lit en ayant faim parce qu’il n’y avait pas assez de nourriture ?

9. Ces quatre dernières semaines, est-ce que vous-même ou un membre de votre ménage a passé toute une journée et toute une nuit sans manger parce qu’il n’y avait pas assez de nourriture ?

26 « ménage » : personnes qui dorment sous le même toit et qui prennent des repas ensemble au moins quatre jours par semaine

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Annexe 5 : SERVQUAL, une échelle de mesure de la qualité de service

L’échelle SERVQUAL permet de mesurer la qualité d’un service, telle que perçue par le consommateur. On appelle « qualité perçue » par le consommateur le jugement, subjectif, que ce dernier porte sur le service, au-delà de sa qualité objective directement mesurable.

Les consommateurs interrogés répondent à des questions autour de cinq dimensions du service :

- les éléments tangibles, - la fiabilité, - la serviabilité, - l’assurance, - l’empathie.

La perception mesurée de la qualité d’un service est comparée à une organisation considérée comme « idéale » ou « excellente » : pour chaque service, on demande à la personne interrogée d’évaluer ses perceptions et ses attentes. La « qualité perçue » du service est ensuite la différence entre les attentes et les perceptions déclarées.

Concrètement, en prenant l’exemple d’un item de la dimension « fiabilité » qui serait le respect des délais, l’attente du consommateur se dirait : « l’entreprise devrait respecter les délais » tandis que sa perception serait : « l’entreprise respecte les délais ». Le consommateur interrogé doit noter chacune ces deux phrases sur une échelle de 7 points (7 = « tout à fait d’accord », 1 = « pas du tout d’accord ») selon son degré d’accord avec la proposition. La différence entre les deux notes (la note par rapport à la phrase sur son attente et la note par rapport à la phrase sur sa perception du service réel) donne la « qualité de service perçue ».

L’identification des lacunes grâce à cette comparaison doit permettre de se concentrer sur les priorités à améliorer.

« Au-delà de la seule mesure de la qualité perçue, SERVQUAL est un outil qui relie la qualité objective et la qualité perçue d’une part, les attentes et la satisfaction d’autre part. » (Darpy, 2007)

Pour plus d’informations, se reporter au site :

http://www.12manage.com/methods_zeithaml_servqual_fr.html

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Table des matières

REMERCIEMENTS .............................................................................................................. 3

SOMMAIRE ....................................................................................................................... 4

TABLE DES ABREVIATIONS ................................................................................................ 6

INTRODUCTION ................................................................................................................ 7

1 PARTIE 1 : L’ECONOMIE DU BIEN-ÊTRE ET SES EVOLUTIONS ..................................... 10

1.1 L’ECONOMIE DU BIEN-ETRE : PERSPECTIVE HISTORIQUE ............................................................. 12

1.1.1 L’approche utilitariste dans laquelle le bien-être est appréhendé par le niveau de

satisfaction ou d’utilité de la personne obtenue par la consommation ou l’obtention d’un

bien ou d’un service .......................................................................................................... 12

1.1.2 Une approche en termes d’accès aux « biens premiers » .................................... 14

1.1.3 Une approche en termes de fonctionnements des personnes « dans leurs

aspirations à améliorer leur bien-être » et d’identification des blocages ........................ 15

1.1.4 L’approche en termes de besoins des individus et du niveau de leur satisfaction15

1.2 CRITIQUES DU BIEN-ETRE OBJECTIF ........................................................................................ 17

1.3 LES ARGUMENTS DE L’ECONOMIE DU BONHEUR POUR LA PRISE EN COMPTE DU BIEN-ETRE SUBJECTIF

DANS L’ANALYSE ........................................................................................................................ 20

1.3.1 L'apport des sciences cognitives et de la psychologie .......................................... 20

1.3.2 Intérêt de l’économétrie pour l’économie du bonheur ........................................ 21

2 PARTIE 2 : L’ECONOMIE DU BONHEUR ..................................................................... 22

2.1 LE BIEN-ETRE SUBJECTIF : DEFINITIONS, MESURES ET PROBLEMES METHODOLOGIQUES EN SUSPENS .... 24

2.1.1 Définition/composition du bien-être subjectif ..................................................... 24

2.1.2 Mesures ................................................................................................................ 25

2.1.3 Risques méthodologiques et biais dans la mesure ............................................... 28

2.2 RESULTATS SUR LES DETERMINANTS DU BONHEUR .................................................................... 31

2.2.1 Facteurs socio-démographiques et bonheur ........................................................ 31

2.2.2 Facteurs économiques et bonheur ....................................................................... 32

� EFFETS DU REVENU SUR LE BONHEUR ..................................................................................... 32

� EFFETS DU CHOMAGE SUR LE BONHEUR .................................................................................. 34

� EFFETS DE L'INFLATION SUR LE BONHEUR ................................................................................ 35

2.2.3 Facteurs politiques et bonheur ............................................................................. 36

2.3 CONCLUSION : LES APPORTS ET LES LIMITES DE L’ECONOMIE DU BONHEUR .................................... 36

Page 70: DE LA SECURITE AU  BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE

70

3 PARTIE 3 : DE LA SECURITE ALIMENTAIRE OBJECTIVE A LA PRISE EN COMPTE

PROGRESSIVE DES PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS DE LEUR SITUATION

ALIMENTAIRE ................................................................................................................. 39

3.1 LES INDICATEURS OBJECTIFS DU BIEN-ETRE ALIMENTAIRE ............................................................ 39

3.2 LES LIMITES DE LA MESURE OBJECTIVE DE LA SECURITE ALIMENTAIRE............................................. 41

3.3 LA PRISE EN COMPTE PROGRESSIVE DU RESSENTI DES CONSOMMATEURS DE LEUR PROPRE SECURITE

ALIMENTAIRE ............................................................................................................................ 42

3.3.1 Mesure de la santé physique et mentale ressentie .............................................. 42

3.3.2 Mesure de l’insécurité alimentaire perçue ........................................................... 43

3.3.3 Echelle de l’Accès déterminant l’Insécurité Alimentaire des Ménages (EAIAM)

pour la mesure de l’accès alimentaire des ménages........................................................ 44

CONCLUSION GENERALE ................................................................................................. 47

� RESUME DES RESULTATS A RETENIR DE LA REVUE DE LA LITTERATURE PRECEDENTE ........................... 47

� PREMIERES PISTES METHODOLOGIQUES .................................................................................. 49

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 55

TABLE DES ANNEXES ....................................................................................................... 61

TABLE DES MATIERES ...................................................................................................... 69

Page 71: DE LA SECURITE AU  BIEN-ÊTRE ALIMENTAIRE

71

De la Sécurité au Bien-être Alimentaire

L’économie a longtemps réduit le bien-être individuel au bien-être matériel ou objectif, mesuré par des indicateurs économiques (revenus, consommation) censés refléter l’utilité. L’apparition d’un certain nombre de « paradoxes » ou d’« anomalies » dans les études empiriques a soulevé de nouvelles hypothèses dont l’économie du bonheur s’est emparée pour justifier de s’intéresser au bien-être subjectif des individus, par exemple l’hypothèse d’interdépendance des fonctions d’utilité individuelles (qui implique des jugements du niveau de bien-être subjectif relatifs et non pas absolus) ou de rationalité imparfaite des individus (causée aussi bien par l’information imparfaite que par les capacités limitées des individus à maximiser leur utilité). Ces nouvelles idées invitent à rechercher les variables, économiques ou non, déterminantes dans le bien-être des individus en se penchant sur leur bien-être subjectif. Les réticences des économistes face aux nombreuses difficultés méthodologiques ont été balayées par des avancées solides dans la mesure du bien-être subjectif et par des résultats interprétables. Dans le domaine de l’alimentation, l’évolution de la mesure de la sécurité alimentaire va aujourd’hui dans le même sens en ne se contentant plus de ne mesurer que des apports nutritionnels mais aussi le ressenti des individus de leur niveau d’insécurité alimentaire. Cependant, cette avancée reste limitée à des questions sur la fonction biologique de l’alimentation. Or l’alimentation est multifonctionnelle et les fonctions hédonique, sociale et identitaire ne sont pas à négliger lorsque l’on parle de bien-être alimentaire. Ce mémoire se propose donc de dépasser les limites des méthodes actuelles de mesure de la sécurité alimentaire en réfléchissant à des pistes méthodologiques tirées des avancées de l’économie du bonheur pour mesurer un niveau de « bien-être alimentaire » qui tiendrait compte de la multifonctionnalité de l’alimentation.

Mots-clés : économie du bien-être, économie du bonheur, subjectif, sécurité et bien-être alimentaire

From Food Security to Food Well-Being

For a long time, economic science has regarded individual well-being as its economic, material and objective component (income, consumption). The emergence of several paradoxes in empirical studies have contributed to raise new hypothesis such as : the interdependency of individual utility functions (implying relative instead of absolute judgments of declared subjective well-being) or the imperfect rationality of individuals (caused either by imperfect information or constrained capacities in maximizing one’s own utility). Happiness economics provides a useful framework analytic framework to better understand those puzzling results by considering subjective well-being to find its (economic or not) determinants. This branch of economic science, despite of the initial economists reluctances, has provided strong academic methods and results in subjective well-being measure. In the field of food analyses, recent ways of assessing food security have integrated not only nutritional intakes, but some consumer perceptions of their own food insecurity level. But this advance is still limited to questions about the biological function of food. Yet, food is a multifunctional concept and other functions such as hedonic, social or cultural function are not to be neglected when measuring food well-being. This master thesis tries to exceed the limits of the current methods in the food security measure by thinking about new methodological thoughts from happiness economics to evaluate food well-being levels which take into consideration every functions of food.

Key-words : well-being economics, happiness economics, subjective, food security and well-being

Centre international d’études supérieures en scienc es agronomiques 2, place Pierre Viala 34060 F-Montpellier Cedex 1 – Tél. 33+(0)4 99 61 22 00 – www.supagro.fr