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1 DEBATS – GRAND PRIX DE L’URBANISME – 18 DECEMBRE 2017 Ouverture des débats, par Paul Delduc, directeur général de l’Aménagement, du Logement et de la Nature Photo DR. « Je suis heureux de vous accueillir pour ce débat qui précède la cérémonie de remise du Grand Prix de l’urbanisme 2017. Puisse 2018 régénérer l’optimisme nécessaire à l’exercice de l’urbanisme. En effet, être urbaniste c’est être optimiste, croire en l’avenir et surtout le préparer malgré tous les obstacles qui s’érigent face à nous. Les débats de cet après-midi donnent sens à ce qui est attendu du Grand Prix de l’urbanisme : non seulement saluer un excellent professionnel, mais surtout saluer celui ou celle qui fait avancer la discipline, qui anticipe les défis, qui invente des méthodes, qui ouvre des voies nouvelles pour relever les défis toujours renouvelés de l’urbain et de son rapport au territoire. Ce prix n’est pas l’apanage de la puissance publique et de son administration. Il n’est pas là pour porter spécifiquement les politiques publiques ; il peut être politiquement incorrect, ce dont Pierre Veltz ne se prive pas ! « Trois débats permettront à Pierre Veltz et à ses invités d’explorer trois sujets chers au lauréat : 1. « Le projet urbain au défi de la pensée écologique » évoquera les questions de méthodes, de formation dans la conception urbaine et territoriale, face aux nouveaux défis (écologie) et avec les nouveaux outils (numériques, participation, etc.). 2. Avec « Faut-il réinventer l’aménagement ? » seront abordés la « ville sous-traitée », clef en main, et la montée des opérateurs ensembliers, ainsi que les consultations ouvertes, y compris sur la programmation, type « Inventons la métropole du Grand Paris ». 3. « L’échelle France et l’alliance des territoires » mettra l’accent sur la question des métropoles, sur les nouvelles alliances entre métropoles et espaces ruraux, sur la nouvelle économie comme vecteur possible de cette alliance et proposera la création d’une agence d’urbanisme France… que nous mettrons peut être à l’étude selon le souhait de Pierre Veltz. »

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DEBATS – GRAND PRIX DE L’URBANISME – 18 DECEMBRE 2017

Ouverture des débats, par Paul Delduc, directeur général de l’Aménagement, du Logement et de la Nature

Photo DR.

« Je suis heureux de vous accueillir pour ce débat qui précède la cérémonie de remise du Grand Prix de l’urbanisme 2017. Puisse 2018 régénérer l’optimisme nécessaire à l’exercice de l’urbanisme. En effet, être urbaniste c’est être optimiste, croire en l’avenir et surtout le préparer malgré tous les obstacles qui s’érigent face à nous. Les débats de cet après-midi donnent sens à ce qui est attendu du Grand Prix de l’urbanisme : non seulement saluer un excellent professionnel, mais surtout saluer celui ou celle qui fait avancer la discipline, qui anticipe les défis, qui invente des méthodes, qui ouvre des voies nouvelles pour relever les défis toujours renouvelés de l’urbain et de son rapport au territoire. Ce prix n’est pas l’apanage de la puissance publique et de son administration. Il n’est pas là pour porter spécifiquement les politiques publiques ; il peut être politiquement incorrect, ce dont Pierre Veltz ne se prive pas ! « Trois débats permettront à Pierre Veltz et à ses invités d’explorer trois sujets chers au lauréat : 1. « Le projet urbain au défi de la pensée écologique » évoquera les questions de méthodes, de formation dans la conception urbaine et territoriale, face aux nouveaux défis (écologie) et avec les nouveaux outils (numériques, participation, etc.). 2. Avec « Faut-il réinventer l’aménagement ? » seront abordés la « ville sous-traitée », clef en main, et la montée des opérateurs ensembliers, ainsi que les consultations ouvertes, y compris sur la programmation, type « Inventons la métropole du Grand Paris ». 3. « L’échelle France et l’alliance des territoires » mettra l’accent sur la question des métropoles, sur les nouvelles alliances entre métropoles et espaces ruraux, sur la nouvelle économie comme vecteur possible de cette alliance et proposera la création d’une agence d’urbanisme France… que nous mettrons peut être à l’étude selon le souhait de Pierre Veltz. »

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Présentation du lauréat par Ariella Masboungi, architecte urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2016

Photo DR.

« Pierre Veltz est un chercheur au long court, un jeune aménageur et un très jeune urbaniste. Multi-talentueux, au service de l’action publique, de l’action territoriale et de l’action urbaine, il est inclassable. Ingénieur des ponts et chaussées, polytechnicien, il a voulu être architecte, mais s’est rabattu sur l’urbanisme ; il est aussi sociologue, économiste. La recherche est chez lui une passion, un engagement. Après qu’il a soutenu une thèse à l’École des hautes études en sciences sociales (1980), l’École des ponts et chaussées lui propose d’ouvrir un programme d’ouverture aux sciences humaines. Directeur de l’école, il a essayé de créer des liens entre les laboratoires. S’ensuit la création du LATTS (laboratoire, techniques, territoires et société) puis de l’IHEDATE (Institut des hautes études en aménagement), pour permettre la rencontre des disciplines. Car tel est le leitmotiv de Pierre Veltz : que les disciplines se rencontrent. « Ingénieur passé aux sciences sociales, je suis chercheur et fier de l’être. J’aime les chercheurs, car c’est un métier de créateur, un métier où on est toujours en risque, exposé au jugement permanent des pairs et des lecteurs. » Il est un chercheur qui aime la confrontation au réel. Prenant part à l’aventure du Grand Paris, en qualité de directeur de la mission d’étude au sein du secrétariat d’État chargé du développement de la région capitale, il est convaincu du déficit majeur que représente la gouvernance éclatée de la région francilienne et la nécessité de briser le mur du périphérique pour déployer le véritable potentiel de cette région. Puis l’occasion s’est présentée à lui de passer à l’opérationnel autour d’un grand projet, celui de Saclay, où il est resté six ans en immersion complète. Il s’est révélé un maître d’ouvrage capable de négocier le volet urbain comme celui de l’enseignement supérieur en maniant l’art de prendre des risques. Pierre Veltz plaide pour une réforme profonde des grandes écoles, une nouvelle articulation avec les universités, un regroupement qui permettrait d’accéder à une taille critique, une ouverture sociale accrue. Je conclurai ce portrait en vous invitant à lire Pierre Veltz, qui parmi ses multiples qualités à celle de savoir transmettre ses recherches dans une langue d’une belle clarté. »

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Les trois tables rondes sont animées par Ariella Masboungi, architecte urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2016

TABLE RONDE 1 : LE PROJET URBAIN AU DEFI DE LA PENSEE ECOLOGIQUE

Autour de Pierre Veltz, ingénieur, sociologue et économiste, Grand Prix de l’urbanisme 2017, cette table ronde réunit Antoine Picon, ingénieur, architecte et historien, et Marion Talagrand, paysagiste urbaniste.

De gauche à droite : Ariella Masboungi, Marion Talagrand, Antoine Picon et Pierre Veltz. Photo DR.

Propos liminaire par Pierre Veltz « On ne peut plus aujourd’hui concevoir un projet urbain sans mettre au premier plan les questions écologiques et énergétiques. Ce tournant est particulièrement sensible pour les jeunes générations, au point de marquer un véritable changement culturel, où l’exigence de durabilité environnementale devient le marqueur principal de la recherche de sens (au détriment peut-être, au moins partiellement, des questions de justice sociale, qui étaient dominantes pour les générations plus anciennes comme la mienne). Je vous propose dans cet atelier, non pas de revenir sur le contenu substantiel et technique de ces nouveaux sujets qui ont spectaculairement grimpé dans la hiérarchie des valeurs (Qu’est-ce qu’un territoire bas-carbone ? Comment favoriser le développement des énergies renouvelables ? Comment repenser les flux de matière, d’énergie, d’information ? etc.), mais de réfléchir sur le changement sous-jacent de paradigme, en prenant l’ « écologie » comme une nouvelle matrice de pensée et de pratique, et pas seulement comme une nouvelle collection de sujets à traiter. Qu’y a-t-il au cœur de ce nouveau paradigme ? Deux choses principales, me semble-t-il : 1) La prise de conscience de la nécessité d’une approche plus systémique, plus globale et englobante des problèmes et de leurs solutions ; par exemple, penser ensemble le mobile et le fixe, comprendre que toutes les échelles comptent et qu’elles sont toutes liées, etc. ; cela, en réaction à des approches trop analytiques, sectorisées, reproduisant au sein même des modèles intellectuels du concepteur le « fonctionnalisme » ségrégatif de la ville.

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2) Le grand retour du vivant, à la fois comme référent des nouvelles métaphores directrices (métabolisme, écosytèmes) et comme composante essentielle longtemps oubliée du fonctionnement urbain et territorial (sauf sous la forme défensive ancienne de l’hygiénisme, où le vivant est l’ennemi embusqué qu’il faut contrôler ; ou sous la forme décorative plus anodine de l’espace vert). Du même coup, des questions nouvelles surgissent à l’avant-plan des projets : le respect des cycles biologiques, la fragilité et la valeur des sols agricoles, la relation à repenser entre les espaces naturels et agricoles et les espaces urbains (on notera au passage que « vivant » renvoie beaucoup plus à végétal qu’à animal). Au total, l’aménageur, accompagné de ses concepteurs, architectes, paysagistes, ingénieurs, se trouve maintenant convoqué dans le vaste cercle des co-gestionnaires du vivant. Tout cela semble éminemment positif. Mais le point que je veux mettre en débat est qu’il subsiste un grand décalage entre ces enjeux, ces perspectives, ces valeurs et ce que nos professions en font dans la pratique. Primo, les pratiques de conception restent pour l’essentiel assez traditionnelles. On dessine, on projette un avenir souhaitable, et on vérifie que le résultat n’est pas trop bancal sur le plan de la durabilité. Une autre démarche serait de partir des ressources, des enjeux de cette durabilité, en les traitant en amont et non en aval. Une telle démarche, encore très minoritaire, est plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre, d’autant plus qu’elle pose aussi la question des disciplines à convoquer, des connaissances préalables à recueillir et de la place spécifique dans ce processus des concepteurs spatialistes (architectes, paysagistes, et urbanistes au sens dominant du terme, c’est-à-dire en continuité plus ou moins directe avec les premiers). Deuxièmement, force est de reconnaître qu’à l’opposé même du paradigme systémique, la question de la durabilité est souvent traitée par une collection, un collage, de réponses partielles, de gimmicks plus ou moins ritualisés – dans le pire des cas gadgétisés – qui finissent par devenir des figures obligées pour les concepteurs voulant gagner les concours : des arbres perchés sur des tours, des façades végétalisées, de l’agriculture urbaine même lorsque le modèle économique et technique ne le justifie en rien. À la place de la remise en question décapante qui devrait être celle d’une démarche vraiment novatrice, on se trouve alors englué dans un nouveau conformisme. De ce point de vue, un certain type d’ « écologisme » bien-pensant, très répandu, n’est pas le meilleur allié de l’écologie, quelle que soit par ailleurs la bonne volonté de ses porteurs. Que faire pour sortir de ce stade pour aller vers plus de maturité ? D’abord, il y a un véritable défi pour la recherche ; de même que l’agro-écologie, ou l’agriculture écologiquement intensive, demande une connaissance plus profonde des mécanismes naturels, pour pouvoir « faire du judo » avec eux, l’urba-écologie, si j’ose ce néologisme, a besoin de nouveaux savoirs. Ensuite, il est vital de réfléchir plus profondément aux questions d’échelle, qui sont le point faible de nombreux raisonnements écologiques. Troisièmement, il nous faut, je crois, réfléchir plus aux pratiques d’enseignement, en vue de parvenir à des approches vraiment pluridisciplinaires, qui ne pourront venir que de pratiques expérimentales partagées. »

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Propos choisis Marion Talagrand, paysagiste urbaniste « Dans ma pratique, en l’espace de quelques années, j’ai vu la question écologique se déplacer de la périphérie au cœur du projet, même si demeurent un certain nombre d’obstacles, un décrochage entre la conception et la mise en œuvre. Un glissement s’est opéré vers la dimension territoriale depuis le projet urbain qui est lié précisément à ce défi de l’écologie. Le défi écologique est d’abord un défi pratique – changer l’espace et nos comportements de vie –, c’est aussi un défi de la pensée. Il nous oblige à revisiter l’histoire de nos villes avec les notions de métabolisme urbain, c’est-à-dire d’envisager la ville à la fois dans son fonctionnement interne et dans son rapport à une base environnementale dont elle a besoin pour exister. D’où la nécessité de situer à différentes échelles tout acte de transformation d’une situation donnée. Dans ce que je peux observer, la ville et sa transformation sont de plus en plus abordées de façon systémique en prenant en compte tous les éléments du vivant et les interactions des activités humaines avec le vivant. Depuis la consultation du Grand Paris, de nombreuses villes ont été étudiées en rapport avec leur hinterland, les territoires qui les nourrissent, qui permettent leur fonctionnement. Il me semble que l’attention nouvelle portée au vivant à travers le projet suscite une mobilisation, vecteur de solidarité, vecteur d’une dimension sociale. » Antoine Picon, ingénieur, architecte et historien « Il y a un vrai problème épistémologique : d’un côté, une pensée mécaniste, de l’autre, une pensée plutôt vitaliste. Longtemps à l’École des ponts et chaussées, c’est le paradigme mécanique qui dominait. En matière d’écologie, on en voit bien les limites. Mais il existe très peu de cadres pour essayer de penser la rencontre des deux approches. Cela renvoie à des questions de comportement et d’éthique professionnels. Chez les paysagistes, la notion de contrôle est différente de celle des architectes. Comment peut s’opérer le contrôle quand l’importance est donnée aux processus biologiques, etc. ? Nous nous heurtons là à une contradiction, car les outils numériques vont vers davantage de prescriptifs, à l’exemple du BIM qui se développe à l’échelle urbaine. Le numérique est un atout bien sûr. D’ailleurs on ne peut pas faire sans le numérique. Le grand risque du numérique, c’est le vertige technocratique du contrôle absolu. » Pour favoriser les approches pluridisciplinaires, je ne suis pas convaincu que la réunion des académies soit la solution, car en général cela ne marche pas. Je crois davantage à l’idée de créer les conditions d’une conversation. Il faut créer dans chaque formation des ouvertures à d’autres formations. Il me semble qu’en matière d’aménagement et d’urbanisme, notre manque de savoir est massif. La vérité est que nous sommes très mal outillés aujourd’hui. Par exemple, sur le thème de la ville dense/ville moins dense les approximations idéologiques l’emportent sur les démonstrations argumentées jusqu’au bout. Le travail est considérable pour la recherche et il est nécessaire de redéfinir les catégories de l’action professionnelle. Plutôt que travailler à la réunion des académies, il y a urgence à travailler à la constitution de savoirs qui, eux, peuvent faire passerelles. Les paysagistes sont actuellement en vogue. Comme par hasard, c’est la profession qui, par nature, oblige ses praticiens à parler aux autres. »

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TABLE RONDE 2 : FAUT-IL REINVENTER L’AMENAGEMENT ?

Autour de Pierre Veltz, ingénieur, sociologue et économiste, Grand Prix de l’urbanisme 2017, cette table ronde réunit Jean-Louis Subileau, gérant de Une fabrique de la ville, Grand Prix de l’urbanisme 2001, Lise Mesliand, architecte et urbaniste, et Adeline Chambe, urbaniste, mairie de Paris.

De gauche à droite : Ariella Masboungi, Jean-Louis Subileau, Lise Mesliand, Adeline Chambe et Pierre Veltz. © Arnaud Bouissou – Terra.

Propos liminaires, par Pierre Veltz « Nous sentons tous que nous sommes à un tournant dans la fabrique de la ville. Tous les cadrages se sont déplacés, parfois depuis quelques décennies, avec peut-être une accélération récente. Le cadrage politique : la décentralisation et la montée des intercommunalités (sauf en Île-de-France, notable exception) ont renouvelé profondément la commande publique ; l’État n’est plus qu’un partenaire de second rang, même lorsqu’il finance les infrastructures primaires ; les opérations d’intérêt général (OIN), en région parisienne notamment, ne pèsent pas lourd, la décision finale revenant toujours aux collectivités (les maires dans le cas francilien) qui restent maîtresses des plans locaux d’urbanisme (PLU). Le cadrage économique : la financiarisation de l’immobilier reste limitée à quelques segments, mais les tendances à la « privatisation » des projets d’aménagement sont favorisées par les élus qui semblent préférer de plus en plus souvent la « ville négociée », voire la ville « sous-traitée » par blocs plus ou moins massifs à des opérateurs ensembliers, aux procédures du type zone d’aménagement concertée (ZAC). L’analogie avec la vague d’externalisation que l’on a observée depuis une vingtaine d’années dans le monde productif est frappante. Dans certains cas, les collectivités publiques se dessaisissent même de la définition du programme, comme dans « Inventons la métropole du Grand Paris ».

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Tout cela, bien entendu, n’est pas nouveau, et historiquement il y a toujours eu des allers-retours entre des phases très libérales et des phases plus administrées de la croissance urbaine. Je vous propose de discuter de ces nouveautés à égale distance de la nostalgie du passé et de l’apologie béate de la nouveauté pour la nouveauté, mais en partant de la question de fond qui a tendance à disparaître sous la discussion des procédures et des méthodes : quelle ville voulons-nous ? Une première question est celle de la cohérence : une ville n’est pas une somme d’opérations, aussi brillantes et novatrices soient-elles. Dans un ensemble d’opérations aussi vaste que celles de « Inventons la métropole », pour prolonger cet exemple, on voit bien qu’à un premier niveau, c’est la commune qui est le décideur quasi-unique, sans qu’aucune instance ne soit en mesure de prioriser ou de hiérarchiser les projets. Or cela veut dire qu’en réalité, à un deuxième niveau, c’est le marché et lui seul qui va trier, pour ne pas laisser s’installer des surcapacités considérables. Et sous le marché immobilier, c’est bien sûr le marché foncier, « régulateur » numéro un, qui s’exprime librement. Faut-il dès lors revenir à des formes de « planification », destinées à éviter les dysfonctionnements trop criants, et à corriger les effets néfastes du libre jeu du marché, comme la surproduction de bureaux, la sous-production de logements accessibles, ou encore la logique qui conduit à éloigner de plus en plus les centres logistiques de distribution dans de lointaines banlieues, au prix de parcours accrus pour les livraisons ? Et, si oui, quel type de planification ? Vous aurez tous noté que ces débats sur la planification, comme ceux qui avaient jadis porté sur la régulation du marché foncier, ont disparu de l’agenda de la discussion publique sur la ville. La deuxième question est celle de l’innovation : comment prendre en compte les mutations profondes qui s’esquissent dans les modes de vie, les façons de travailler, les rapports à la mobilité, etc., notamment dans la jeunesse, mutations qui pourraient rendre obsolètes assez vite les objets ou dispositifs proposés par le marché, qui connaît surtout la répétition des modèles passés ? Et comment piloter des vagues d’innovations foisonnantes, systémiques, comme celles qui, au-delà des nouveaux objets techniques, vont se traduire par de nouvelles configurations globales intégrant les technologies, les services, la régulation numérique (pensons, là encore, à la mobilité, ou à l’énergie, ou à la santé) ? La troisième question, au-delà des questions fonctionnelles que je viens d’évoquer, est celle de la dynamique des inégalités au sein des villes, dont on sait qu’elles sont partout croissantes ; si on comprend assez bien comment elles se fabriquent, il faut bien reconnaître qu’on ne voit pas aujourd’hui par quels outils les combattre, ou même simplement les encadrer. Quatrième sujet, enfin, que je vous propose pour cette table ronde : quelle qualité de ville voulons-nous ? En particulier, comment préserver la qualité des espaces publics, pierre de touche, à mon sens, de la qualité urbaine en général ? Quelle place laisser à l’architecture ? »

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Propos choisis Lise Mesliand, architecte urbaniste « J’aimerais en ouverture rappeler quelques évidences. Nous avons besoin d’équipes de maîtrise d’ouvrage publique fortes et compétentes qui puissent aborder les échelles nouvelles et les sujets nouveaux que sont l’écologie, la biodiversité, la transition écologique, etc. Le croisement fertile des compétences – celles des ingénieurs, des professionnels qui viennent des sciences humaines, des architectes, des juristes, etc. – est la condition première du bon pilotage des opérations d’aménagement. Cela est d’autant plus vrai que les modes de consultation évoluent. Il n’y a pas de recette magique pour qu’une opération soit réussie ; il n’y a que quelques ingrédients indispensables : le pilotage et la maîtrise, la connaissance du terrain, la confiance des élus et la qualité des échanges entre élus et maîtrise d’ouvrage. Les échelles ont tendance à s’élargir d’un point de vue opérationnel, et les sujets abordés (innovation technologique et transition environnementale) supposent des échelles encore plus larges. L’important est de savoir définir des cahiers des charges qui précisent les bons périmètres. Avec la consultation « Inventons la métropole », il me semble que les objectifs ne sont pas suffisamment précisés en relation avec les objets et les périmètres, le risque est de produire des solutions plaquées. Les opérations ne sont, bien sûr, pas dépendantes de la seule consultation, elles le sont aussi des conditions de leur mise en œuvre. On parle de projets partenariaux d’aménagement : si on arrive à développer des logiques contractuelles entre l’État et les collectivités locales à de bonnes échelles, cela permettra aussi aux aménageurs dans les logiques contractuelles avec les promoteurs de pouvoir varier les échelles de questionnement, d’intervention et de contractualisation. Le dispositif est dans ce cas gagnant, y compris pour les promoteurs privés qui n’en réclament pas tant. Je ne suis pas sûre qu’ils aient envie de gérer le traitement de l’eau et des déchets, par exemple. » Adeline Chambe, urbaniste, Mairie de Paris « “Réinventer Paris” propose une manière de faire la ville, différente de celle dont la Ville mène ses grandes opérations d’aménagement ; elle a des aménageurs pour cela. La Ville de Paris vend 200 millions d’actifs fonciers par an (et en achète par ailleurs 250 millions). Plutôt que de vendre le foncier au plus offrant, l’idée est de le vendre sur un projet. La non programmation des appels d’offre est souvent perçue comme un renoncement de la maîtrise d’ouvrage publique. Je rappelle que tout cela s’inscrit dans des règles très strictes – quantité de logements sociaux, charte anti-spéculative, plan climat, etc. L’ambition politique est forte. Et elle s’applique dans le diffus avec “Inventons la métropole”. Ce n’est pas rien. Le contrôle est a priori moindre ; il doit se faire sur le projet. La maîtrise d’ouvrage publique demeure là puissante. Les parcelles sont vendues à l’appui des projets et en fonction de la manière dont ils vont apporter de l’intérêt général à la ville. La puissance publique doit donc contrôler précisément ces projets, sinon elle n’a plus aucune crédibilité. La question des usages est permanente dans nos opérations d’aménagement. Avec “Réinventer”, nous prenons le risque de tester d’autres manières de produire une qualité d’usage. » Jean-Louis Subileau, gérant Une fabrique de la ville « En matière d’aménagement, beaucoup de choses nous ont manqué. Nous avons ignoré le sujet de l’écologie, et ce malgré les alertes. La question environnementale a été sous-estimée, en tous les cas en ce qui me concerne, au profit de la question sociale et de la “beauté” de la

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ville. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. L’écologie est au devant de la scène au détriment du social, qui est pourtant au cœur de la question urbaine. Les interrogations sur la crise de l’aménagement public et sur l’apport possible du privé ne datent pas d’hier. Qu’est-ce qu’un nouvel aménagement, se demandait-on dans les années 1990 ? Le fait est que le monde a basculé dans une totale incertitude. On sait si peu de choses sur la ville, sur la manière dont elle fonctionne. Après s’être retirés de l’aménagement suite à la crise de 2008, les aménageurs privés reviennent vers la ville à l’appel de la puissance publique. Le jeu qui se joue entre eux m’étonne. Je suis pour un jeu franc. Or, chaque acteur a sa logique. Il n’y a pas d’hybridation d’intérêts ; il n’y a que des intérêts conflictuels. L’enjeu est de trouver un compromis. Encore faut-il distinguer les objectifs des uns et des autres ! Si la puissance publique contracte avec le privé sur de très longs termes, sur de grandes échelles, sur de très gros programmes, le risque est qu’il y ait une remise en cause du contrat en cas de retournement de situation. Cela fonctionne aujourd’hui car il n’y a pas de crise. La démarche des consultations “Réinventer” crée une émulation, certes, mais accentue les inégalités territoriales. Là où il n’y a pas d’argent, le principe de marche pas, à moins d’une mécanique de valorisation foncière prévisible importante. Le principe fonctionne là où capter de la rente est prévu de longue date. À Épinay-sur-Seine, nul n’a répondu. Et nul de répondrait à « Réinventons le bassin minier ». Ces consultations ont des aspects innovants, mais il faut essayer de progresser. D’abord en ayant recours à un réel jury, ensuite en se donnant les moyens de négocier fermement avec le groupement choisi pour tenir les objectifs jusqu’au bout. Je fais appel à un sursaut public. La question urbaine est une question politique. »

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TABLE RONDE 3 : L’ECHELLE FRANCE ET L’ALLIANCE DES TERRITOIRES

Autour de Pierre Veltz, cette table-ronde réunit Philippe Estèbe, géographe et sociologue, Emmanuel Couet, président de Rennes Métropole et Gilles Huchette, urbaniste, chef de projet à Euralens.

De gauche à droite : Ariella Masboungi, Emmanuel Couet, Philippe Estèbe, Gilles Huchette et Pierre Veltz. © Arnaud Bouissou – Terra.

Propos liminaires, par Pierre Veltz « La question du rôle et de la place des métropoles domine aujourd’hui le débat sur les dynamiques territoriales en France. Les uns se réjouissent de voir enfin reconnu le rôle moteur des métropoles et de grandes villes en général, dans un pays où, comme François Ascher l’avait bien souligné, la méfiance vis-à-vis de la ville a longtemps été consubstantielle à la République. D’autres trouvent qu’on en fait trop pour les métropoles, dont le développement se ferait au détriment des autres territoires, sur un mode prédateur. D’autres encore contestent la réalité même de la prééminence métropolitaine, y compris au plan économique, mettant en avant la diversité des modèles territoriaux de développement et le dynamisme de nombreuses villes moyennes. Ce n’est pas ici le lieu d’ouvrir une controverse scientifique sur ces sujets. Je rappelle seulement trois séries de faits qui me paraissent difficilement contestables. D’abord les métropoles ont effectivement concentré très fortement les créations d’emplois, en particulier d’emplois salariés privés, depuis la crise de 2008-2009. Ensuite, il est vrai qu’en valeur relative, en taux de croissance, des villes moyennes, notamment dans l’Ouest, font aussi bien voire mieux, et qu’inversement toutes les métropoles n’affichent pas le même dynamisme. Enfin, même si l’idée de l’opposition entre la France des métropoles et celle des « périphéries » plus ou moins déclassées est désormais très répandue, la France reste loin d’une divergence comme celle que l’on constate aux États-Unis, sans même parler du gouffre

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qui se creuse entre les métropoles et les régions non-métropolitaines dans nombre de pays émergents. Il y a des vastes territoires qui vont très mal, essentiellement dans le Nord-Est, mais d’autres zones peu denses sont très dynamiques. Les revenus moyens entre monde urbain et monde peu dense ont convergé, avec bien sûr de fortes variations locales, et la France dite périphérique est en réalité un patchwork de territoires aux trajectoires très variées, comme le sont les grandes villes elles-mêmes et les nébuleuses suburbaines qui les entourent. Les coupures sociales, en réalité, traversent les territoires autant et plus qu’elles ne les opposent. Dans ce contexte, la question intéressante est celle de complémentarités qui existent, ou pourraient exister, entre parties denses et parties peu denses du territoire national, sachant que pour l’essentiel, les modes de vie y sont proches, et que la très grande majorité de nos concitoyens et concitoyennes habite et travaille dans l’aire d’influence des villes. De nombreux travaux de recherche ont commencé à explorer les formes d’interaction entre métropoles et territoires avoisinants, mettant en évidence des dynamiques de couplage assez variées (voir les travaux de Davezies, Talandier, Levratto). Les mots ici ont leur importance. Parler comme on le fait souvent de « redistribution » des métropoles vers leur environnement sous-estime la réciprocité des apports. Lorsqu’on constate que la masse salariale distribuée par les entreprises de la nouvelle Métropole de Lyon aux 27 % d’actifs qui habitent hors de son périmètre équivaut à la masse salariale d’un département comme la Haute-Savoie, ce n’est pas de redistribution qu’il s’agit : c’est simplement le signe que le véritable bassin d’emploi de Lyon excède fortement le périmètre administratif de la métropole. Mais les complémentarités existantes ou potentielles sont beaucoup plus diverses que celles des navettes habitat-travail, ou encore que les flux de consommation croisés entre villes et zones environnantes. Il serait intéressant de les explorer plus systématiquement, autour des têtes de chapitre suivantes : agriculture et alimentation, énergies renouvelables, valorisation des déchets, recyclage des matériaux. L’intégration croissante entre services et industrie manufacturière est aussi un vecteur potentiel de cette nouvelle alliance à construire. Les usines sont majoritairement à la campagne ou dans les villes moyennes, alors que les services spécialisés sont surtout dans les grandes villes. Les circuits courts qui ont existé entre ces deux mondes dans les phases anciennes du développement industriel ont été largement rompus (à commencer par ceux de la banque). Ils pourraient être au moins partiellement rétablis dans le cadre de ce que j’appelle le monde « hyper-industriel », qui porte en lui des logiques de relocalisation de la production au plus près des marchés. De même, on pourrait imaginer que les jeunes diplômés créateurs de start-up, qui représentent aujourd’hui dans beaucoup de villes une partie très dynamique de l’activité, trouvent davantage de grain à moudre dans le contact avec les firmes industrielles, qu’ils connaissent peu, au lieu d’inventer un peu en apesanteur la énième entreprise de livraison de pizzas. Je vous propose donc de centrer cette table ronde sur la France des synergies et des flux : flux de proximité, comme ceux que je viens d’esquisser, mais aussi flux entre les systèmes métropolitains ; relations, enfin, avec la région capitale, hub de la nation. »

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Propos choisis Philippe Estèbe, géographe et sociologue « En France, on adore parler en terme de fracture. Globalement, les politiques d’aménagement du territoire en France se sont construites sur une rhétorique de la fracture, des ruptures d’équilibre, de l’équilibre à rétablir et, d’une certaine manière, de l’égalité des territoires. Il est plus difficile de raisonner en terme d’interdépendance et de complémentarité. Pourquoi ? Cela signifierait qu’on soit capable d’avoir une lecture de ce qui se joue entre les territoires, c’est-à-dire la manière dont les personnes, l’argent, les marchandises, les biens, les services, etc. circulent et dans quelle mesure cela fait système. Des travaux le montrent, comme ceux de Laurent Davezies et de Nadine Cattan. La lecture de la France en terme de plaques qui seraient fracturées est aujourd’hui caduque par rapport à une lecture en termes de système et de réseaux. Pourquoi les territoires sont-ils interdépendants ? Parce que les territoires ne sont que des lieux de concentration momentanée des trajectoires des individus, des marchandises et des services. L’enjeu n’est pas celui de l’équilibre des territoires, mais celui de la fonction que les différents territoires peuvent occuper dans une logique réticulaire. Raisonner ainsi n’est pas simple. On mesure les lacunes de nos connaissances. Nous avons en effet du mal à connaître les trajectoires de vie des individus – une connaissance pourtant essentielle pour comprendre l’interdépendance des territoires. Les territoires qui vont mal sont ceux qui sont hors influence d’un périmètre métropolitain. En réalité, si fracture il y a, celle-ci ne se fait pas entre les métropoles et leur périphérie (car souvent la périphérie des métropoles fait système), elle se fait dans des territoires où se conjuguent désindustrialisation et déperdition d’habitants. Géographiquement, ces territoires sont au centre, car en France nos métropoles sont situées en périphérie. Mais, soyons clair : prises indépendamment les métropoles françaises sont des grandes villes ; certes elles ont un statut de métropole et des fonctions métropolitaines, mais elles sont de belles capitales régionales. Ce qui fait métropole, c’est le système de grandes villes et la manière dont elles entrent les unes avec les autres en coopération et en résonance. Ce qui peut produire des effets sur l’espace central du pays, hors influence des capitales régionales. » Gilles Huchette, urbaniste, chef de projet Euralens « Quelle place le bassin minier peut prendre dans la société hyper industrielle, quelle place dans une métropole France ? Quelles cartes ces territoires peuvent-ils jouer ? Sur la question métropolitaine, notre conviction à Euralens est qu’il faut essayer de forger en accéléré une identité commune et fédératrice pour cet ensemble constitué par trois agglomérations (650 000 habitants sur 40 kilomètres de long, sans ville centre). Cet ensemble est l’équivalent de la communauté urbaine de Nantes. Il faut amorcer ce développement de façon intégrée, à la fois sur le plan urbain et sur le plan économique. Pour y parvenir nous partons des projets du territoire. S’il a peu de ressources, ce territoire est riche de nombreux petits acteurs qui gagnent à être mis en réseau. Le méthode de labellisation Euralens a été créée en 2009 à cet effet : 130 candidats se sont présentés, et nous accompagnons actuellement 60 projets pour, petit à petit, faire système. L’arrivée du Louvre Lens est un formidable prétexte. Il est un pari pour développer le territoire. Encore faut-il que celui-ci se pense comme un ensemble commun. C’est le rôle d’Euralens : aider le territoire à formuler des projets. Nous travaillons avec les porteurs de projets pour construire une stratégie économique commune qui reprend les dimensions exploratoires comme le numérique culturel ou les métiers d’art (opportunités explorés grâce à l’arrivée du Louvre Lens) et qui n’oublie pas les filières lourdes : l’industrie, la logistique, les éco-matériaux.

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Avons-nous réussi ? Non, bien sûr. Le Louvre Lens est une chance inouïe (grâce à lui, trois millions de visiteurs sont venus sur le territoire), mais ce n’est pas l’équipement aussi prestigieux soit-il qui va relancer l’économie. Quelques signaux positifs pointent : la confiance entre les acteurs progresse ; le taux de chômage a diminué de 2,5 points et, pour la première fois, les trois agglomérations présentes sur le territoire sont allées ensemble au Salon de l’immobilier d’entreprise pour proposer leur vision économique : le territoire du charbon est désormais celui des énergies renouvelables. Emmanuel Couet, président de Rennes Métropole « Quelle relation la Ville de Rennes entretient-elle avec son territoire ? Et comment construit-on des partenariats ? À Rennes, nous sommes conscients que la métropole est toujours suspectée d’assécher, de capter, d’écraser les territoires environnants. Cette représentation est d’autant plus forte en Bretagne que la capitale régionale est située à l’extrême Est de la région. Pour lutter contre cette représentation, notre objectif, depuis deux ou trois ans, est d’essayer d’objectiver, de quantifier, de mobiliser des éléments factuels sur la réalité des déséquilibres territoriaux, en appui sur une agence d’urbanisme, bien outillée pour le faire. Les résultats sont totalement contre-intuitifs. Le fait est que la croissance démographique est forte dans la métropole et encore plus forte à sa marge dans la 2e et 3e couronne de l’aire urbaine ; que le solde de création net d’emploi dans le secteur marchand est important dans la métropole et encore plus fort dans l’aire urbaine ; que les transferts de revenus (450 millions d’euros) bénéficient aux territoires périphériques. Cela signifie que l’économie rennaise soutient l’économie résidentielle de l’aire urbaine (en réalité bien au-delà). Dans le département, les deux territoires qui vont mal sont ceux qui s’éloignent de l’air d’influence de la métropole. Pour nourrir notre vision, les travaux des universitaires, des chercheurs sont indispensables, car ils nous procurent de la profondeur de champ. En France, la problématique des équilibres territoriaux est trop souvent résumée à la question institutionnelle. Comme si la réalité de l’impact de l’action publique pouvait tout emporter sur le développement d’un territoire, être producteur d’une dynamique économique, sociale et sociétale. Les travaux de Pierre Veltz m’intéressent, car ils montrent que l’économie est une forme de matrice qui travaille et fait avancer les territoires. Le rôle des élus est de savoir l’analyser, de réguler, de corriger, de s’attaquer aux inégalités que cela peut produire. Comment passer avec nos voisins d’une relation constatée ou subie à une relation construite ? Il faut d’abord une forme de symétrie. Aujourd’hui nous buttons sur une dissymétrie de moyen d’analyse et d’ingénierie entre les communautés de communes ou d’agglomérations modestes et les métropoles. Le phénomène est aggravé par la manière dont l’État conduit son action publique dans les territoires. Quand vous résumez l’action de l’État à la forme de l’appel à projets, vous encouragez et vous soutenez ceux qui sont bien outillés en ingénierie pour pouvoir y répondre et vous privez les autres de dispositifs communs qui permettent de garantir un meilleur équilibre du développement.