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L’ expulsion arbitraire d’Amina- tou Haidar et le refus catégo- rique des autorités maro- caines de la laisser rentrer à Laâyoune a exacerbé les ten- sions déjà existantes entre l’Europe et le Maroc. Jeudi 10 décembre, quelques heures après l'ouver- ture du sommet des chefs d’État et de gou- vernement européens à Bruxelles, la Prési- dence de l'UE a officiellement demandé à Rabat de respecter ses «obligations interna- tionales relatives aux droits de l'homme» et de «coopérer» avec Madrid pour trouver une «solution positive» dans l'affaire de la mili- tante sahraouie. Régulièrement décrit comme le pays «le plus avancé» de la région en matière de bonne gouvernance et de res- pect des droits de l’homme, le royaume a reçu ces dernières semaines plusieurs si- gnaux forts, sanctionnant un discours ma- rocain parfois trop éloigné de la réalité. Un an après l’adoption d’une feuille de route visant à octroyer un «statut avancé» au Ma- roc, le royaume négocie actuellement avec l’UE pour définir ce nouveau statut et le remplir de contenus reflétant les intérêts de chaque partie. «On a fait le statut avancé, maintenant il faut qu’on fasse nos devoirs, du côté européen et du côté du gouvernement ma- rocain», affirme sans détour Eneko Landa- buru, le nouveau chef de la délégation euro- péenne à Rabat, en place depuis octobre dernier. Qu’attendent les Européens d’un renforcement des relations avec le Maroc ? La position géographique du royaume en fait un partenaire stratégique pour les ques- tions d’immigration, de terrorisme, d’extré- misme ou encore de trafic de drogue. Le but de la politique européenne de voisinage est clair : assurer le développement et la stabi- lité des pays voisins afin de protéger l’Union. En ce qui concerne le rapproche- ment politique voulu par Mohammed VI, en revanche, nos voisins sont beaucoup plus circonspects. Mardi 1 er décembre, une audience publique était organisée à la Com- mission des Affaires étrangères du Parle- ment européen pour faire le point avec les eurodéputés sur l’année écoulée. Eneko Landaburu, représentant l’UE, Yous- décryptage sef Amrani, secrétaire général du ministère marocain des Affaires étrangères et Ivan Martin, Directeur de recherche à l'Instituto Complutense de Estudios Internacionales (ICEI) ont fait face pendant une heure et de- mie aux parlementaires pour exposer leur vision du projet et répondre aux questions. Selon Eneko Lanbaduru, «nos valeurs appro- chantes doivent se transformer plus rapidement en lois et standards. Le Maroc souhaite rejoin- dre le Conseil de l’Europe et suivre ses politiques. Le Conseil de l’Europe a fait beaucoup de choses qui sont maintenant partie intégrante de l’Union. Et nous avons un engagement clair du royaume du Maroc d’inscrire ces choses, comme les droits de l’homme, dans le dialogue politique.» Au vu des questions adressées par les eu- rodéputés après la présentation des trois in- tervenants, cette question des droits de l’homme semble être toujours au cœur des préoccupations. «Nous ne sommes pas contre le statut avancé que l’UE a créé pour le Maroc, explique l’eurodéputé grec Charalampos Angourakis. Mais il y a beaucoup de pro- blèmes concernant les droits de l’homme à la fois à l’intérieur du pays et dans les relations ex- térieures, notamment quand ça touche au Sa- hara occidental.» L’eurodéputée française Ni- cole Kiil-Nielsen tient le même discours : «Il me semble qu’un débat pour renforcer les liens entre l’UE et le Maroc ne peut être un débat sé- rieux si les droits de l’homme ne sont pas men- Engagements non tenus en matière de bonne gouvernance, atteintes à la liberté de la presse et au droit d’expression, affaire Aminatou Haidar : l’Europe s’inquiète du chemin pris par le Maroc sur certains sujets et tient à le faire savoir. Les bonnes intentions ne suffisent plus pour que le «statut avancé» ne soit pas qu’un effet d’annonce et que l’UE lui donne consistance. Elle signifie diplomatiquement mais fermement que les mots ne suffisent plus. Le royaume devra passer aux actes. Un statut, quelles avancées ? 18 | du 12 au 18 décembre 2009 hebdomadaire UE/Maroc PAR CHRISTOPHE GUGUEN Le royaume a reçu ces dernières semaines plu- sieurs signaux forts, sanctionnant un discours marocain parfois trop éloi- gné de la réalité. P. 18-25 De?cry 11/12/09 0:58 Page 18

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L’expulsion arbitraire d’Amina-tou Haidar et le refus catégo-rique des autorités maro-caines de la laisser rentrer àLaâyoune a exacerbé les ten-sions déjà existantes entrel’Europe et le Maroc. Jeudi 10

décembre, quelques heures après l'ouver-ture du sommet des chefs d’État et de gou-vernement européens à Bruxelles, la Prési-dence de l'UE a officiellement demandé àRabat de respecter ses «obligations interna-tionales relatives aux droits de l'homme» et de«coopérer» avec Madrid pour trouver une«solution positive» dans l'affaire de la mili-tante sahraouie. Régulièrement décritcomme le pays «le plus avancé» de la régionen matière de bonne gouvernance et de res-pect des droits de l’homme, le royaume areçu ces dernières semaines plusieurs si-gnaux forts, sanctionnant un discours ma-rocain parfois trop éloigné de la réalité.Un an après l’adoption d’une feuille de routevisant à octroyer un «statut avancé» au Ma-roc, le royaume négocie actuellement avecl’UE pour définir ce nouveau statut et leremplir de contenus reflétant les intérêts dechaque partie. «On a fait le statut avancé,maintenant il faut qu’on fasse nos devoirs, ducôté européen et du côté du gouvernement ma-rocain», affirme sans détour Eneko Landa-buru, le nouveau chef de la délégation euro-péenne à Rabat, en place depuis octobre

dernier. Qu’attendent les Européens d’unrenforcement des relations avec le Maroc ?La position géographique du royaume enfait un partenaire stratégique pour les ques-tions d’immigration, de terrorisme, d’extré-misme ou encore de trafic de drogue. Le butde la politique européenne de voisinage estclair : assurer le développement et la stabi-lité des pays voisins afin de protégerl’Union. En ce qui concerne le rapproche-ment politique voulu par Mohammed VI,en revanche, nos voisins sont beaucoupplus circonspects. Mardi 1er décembre, uneaudience publique était organisée à la Com-mission des Affaires étrangères du Parle-ment européen pour faire le point avec leseurodéputés sur l’année écoulée.Eneko Landaburu, représentant l’UE, Yous-

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sef Amrani, secrétaire général du ministèremarocain des Affaires étrangères et IvanMartin, Directeur de recherche à l'InstitutoComplutense de Estudios Internacionales(ICEI) ont fait face pendant une heure et de-mie aux parlementaires pour exposer leurvision du projet et répondre aux questions.Selon Eneko Lanbaduru, «nos valeurs appro-chantes doivent se transformer plus rapidementen lois et standards. Le Maroc souhaite rejoin-dre le Conseil de l’Europe et suivre ses politiques.Le Conseil de l’Europe a fait beaucoup de chosesqui sont maintenant partie intégrante del’Union. Et nous avons un engagement clair duroyaume du Maroc d’inscrire ces choses,comme les droits de l’homme, dans le dialoguepolitique.»

Au vu des questions adressées par les eu-rodéputés après la présentation des trois in-tervenants, cette question des droits del’homme semble être toujours au cœur despréoccupations. «Nous ne sommes pas contrele statut avancé que l’UE a créé pour le Maroc,explique l’eurodéputé grec CharalamposAngourakis. Mais il y a beaucoup de pro-blèmes concernant les droits de l’homme à lafois à l’intérieur du pays et dans les relations ex-térieures, notamment quand ça touche au Sa-hara occidental.» L’eurodéputée française Ni-cole Kiil-Nielsen tient le même discours : «Ilme semble qu’un débat pour renforcer les liensentre l’UE et le Maroc ne peut être un débat sé-rieux si les droits de l’homme ne sont pas men-

Engagements non tenus en matière de bonne gouvernance, atteintes à la liberté de lapresse et au droit d’expression, affaire Aminatou Haidar : l’Europe s’inquiète duchemin pris par le Maroc sur certains sujets et tient à le faire savoir. Les bonnesintentions ne suffisent plus pour que le «statut avancé» ne soit pas qu’un effet

d’annonce et que l’UE lui donne consistance. Elle signifie diplomatiquement maisfermement que les mots ne suffisent plus. Le royaume devra passer aux actes.

Un statut, quellesavancées ?

18 | du 12 au 18 décembre 2009 hebdomadaire

UE/MarocPAR CHRISTOPHE GUGUEN

Le royaume a reçu cesdernières semaines plu-sieurs signaux forts,sanctionnant un discoursmarocain parfois trop éloi-gné de la réalité.

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tionnés». Au scepticisme des eurodéputés,Youssef Amrani servira le discours officiel:«Notre processus démocratique est irréversible.Nous sommes en train de construire un systèmedémocratique fort, parce que c’est le désir de lasociété, des partis politiques et c’est le vœu duroi. C’est pourquoi nous travaillons quotidien-nement à poursuivre des réformes profondespour consolider définitivement les valeurs dé-mocratiques.» En réponse à une question po-sée sur le conflit au Sahara occidental et surles sept activistes sahraouis actuellementemprisonnés à Salé, Amrani a cependant dumal à garder son sang-froid, et charge l’Al-gérie : «Je ne voulais pas parler de ce sujet ici,

parce qu’on est censé discuter du statut avancé.Mais vous m’avez demandé de parler de cettequestion très sensible. Donc, laissez-moid’abord vous dire qu’au niveau des droits del’homme et de la démocratisation, le Maroc n’apas de complexes. Il est le seul de la région àavoir un sous-comité aux droits de l’hommeavec l’UE. Mais sur cette question du Saharamarocain, ce n’est pas une question de droits del’homme. Quand l’envoyé spécial des NationsUnies a essayé de mettre en place un deuxièmeround de discussions informelles, il y a eu uneescalade de l’autre partie pour torpiller le pro-cessus de négociations de Manhasset dans le-quel nous sommes tous impliqués. […] personne

ici dans cette pièce ne se demande pourquoi leministre algérien, quand on lui a récemmentdemandé ce que faisaient les Sahraouis à Tin-douf, il n’a pas répondu ! C’est là-bas que vousdevez aller chercher des problèmes avec lesdroits de l’homme, pas au Sahara marocain!.»

Les droits de l’hommed’abordLa position des diplomates ou des «missi do-minici» marocains envoyés en Espagne (Bia-dillah, Radi, Baraka, Mansouri) est la même: le Maroc est «victime» des «ennemis de l’in-tégrité territoriale» qui tentent à travers un

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plan «diabolique» de déstabiliser le royaume.En «instrumentalisant» Aminatou Haidar,ces derniers tentent également de «porter at-teinte» aux excellentes relations maroco-es-pagnoles.

C’est dans ce contexte pour le moinstendu que s’est déroulée, lundi 7 décembreà Bruxelles, la huitième session du Conseild’association UE-Maroc. Une réunion mi-nistérielle pour examiner l’état des relationsentre l’Europe et le royaume chérifien maisaussi pour décider de la voie à suivre. Lespositions de l’UE concernant AminatouHaidar et les nombreuses atteintes auxdroits de l’homme enregistrées au Marocces derniers mois étaient particulièrementattendues. Mais aucun ministre européendes Affaires étrangères n’était présent, deuxconseils ministériels étant prévus le mêmejour à Bruxelles. Taïeb Fassi Firhi s’est doncretrouvé aux côtés de Frank Belfrage, simpledirecteur de cabinet du ministre suédois desAffaires étrangères (à la tête de la délégationde l’UE en qualité de représentant de la pré-sidence européenne), de la commissaire eu-ropéenne Benita Ferrero Waldner et d’un re-

présentant de la future présidenceespagnole. Se sentant un peu lâché, TaïebFassi Fihri a appelé à la rescousse un alliéfrançais, le secrétaire d’Etat aux Affaires eu-ropéennes Pierre Lellouche qui n’a d’ail-leurs pas manqué d’encenser le Maroc lorsde son allocution. Pendant les discussions,Fassi Firhi se retrouve face à des interlocu-teurs finalement peu farouches, notam-ment Ferrero-Waldner. Questionné sur cer-taines des atteintes aux droits de l’hommecommises par le Maroc, le ministre maro-cain répond par la nécessité de défendre«coûte que coûte» le «socle de notre nation : lamonarchie, l’islam et l’intégrité». Sans vrai-ment susciter de réactions de la part de sesinterlocuteurs.

Les déclarations des uns et des autres àl’issue de la réunion reflètent la complexitédes rapports de force au sein des institutionseuropéennes. La commissaire Ferrero-Waldner, s’exprimant au nom de l’UE, dé-clare simplement être «préoccupée» par lasanté d’Aminatou Haidar, appelant l’Es-pagne et le Maroc à trouver une solution«politique ou humanitaire». Elle rejette uneintervention directe de l’UE, s’agissant, se-lon elle, d’une «question bilatérale» entrel’Espagne et le Maroc. Frank Belfrage, lui,fait part de «l’inquiétude» des 27 concernant

la «situation dramatique» de l’activiste sah-raouie. Dans un communiqué publié à l’is-sue du conseil, la présidence suédoise pré-cise que lors de la réunion, «l’UE a pour sapart souligné l’importance du respect des droitsde l’homme et du travail de réforme dans le do-

maine de la démocratie. Nous soutenons les ef-forts menés par l’envoyé spécial des NationsUnies pour le Sahara occidental et avons ex-primé l’espoir d’un prompt dénouement de l’af-faire Aminatou Haidar». Le secrétaire d’Etatfrançais Pierre Lellouche ne s’est pas ex-primé sur le sujet.

L’importance de la libertéd’expressionLa synthèse officielle présentée par l’exécu-tif européen à l’issue du conseil d’associa-tion envoie, malgré tout, un message fort auMaroc. L’UE «reconnaît que les réformes lan-cées ces dernières années ont permis de consoli-der les droits de l'homme et d’élargir le champdes libertés individuelles» (article 20). Maiselle reprend également à son compte lesnombreuses revendications d’associationset d’acteurs marocains, souvent marginali-sés par le régime, qui militent pour l’établis-sement d’un véritable Etat de droit. L’UE es-time ainsi que «le dépôt, annoncé depuisplusieurs années, de déclarations auprès du Se-crétariat général des Nations Unies concernantla levée de certaines réserves à des Conventionsinternationales et l’adhésion à certains Proto-coles facultatifs constitueraient des avancées si-gnificatives» (article 20). La reconnaissance

officielle de l’égalité homme-femme, l’éradi-cation de la torture ou des disparitions for-cées sont directement liées à la levée de ré-serves ou à la signature de protocolesfacultatifs.Mais l’élément fort de cette déclaration sera

l’article 21. L’UE y demande que «toutes les re-commandations de l’Instance équité et réconci-liation» soient mises en œuvre. Si cettemême phrase avait déjà été utilisée dans lecommuniqué consécutif à la première réu-nion Maroc/UE sur le statut avancé il y a uneannée, cette fois, les rédacteurs l’impriment

Pour les «missi dominici» marocains envoyés en Espagne, le Maroc est «victime»des «ennemis de l’intégrité territoriale» qui tentent à travers un plan «diabolique» de dé-stabiliser le royaume.

La Présidence de l'UE ademandé à Rabat de«coopérer» avec Madrid pourtrouver une «solution positive»dans l'affaire A. Haidar.

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en gras. Ils savent sans doute qu’après le tin-tamarre médiatique qui a suivi la mise enplace de l’IER et le paiement grâce à l’argentdes contribuables marocains d’indemnitésaux victimes des années de plomb, le régimemarocain n’a plus rien fait de concret pouren appliquer les recommandations. Et pourcause. Parmi ces recommandations figure lanécessité d’une réforme constitutionnelle.En d’autres termes, ce que dit l’UE au Maroc: «Vos institutions politiques ne sont pas démo-cratiques. Si vous voulez que nos relations s’ap-profondissent, vous devez les réformer». Quatreans après leur remise officielle, l’AMDH dé-nonce toujours la non application des re-

commandations les plus importantes. Les récentes attaques du régime contre lapresse indépendante, qui ont reçu relative-ment peu d’écho à l’étranger par rapport à laTunisie par exemple, inspirent égalementl’article 21 : «L’UE rappelle l'importance qu'elleattache à la consolidation de la liberté d’expres-sion et de la protection des sources. L’UE rap-pelle également l’importance qu’elle accorde àune liberté de la presse qui soit garantie dans lecadre de la législation nationale et qui s’inscrivedans le cadre général de la protection de la li-berté d’expression, droit fondamental consacrépar la Déclaration universelle des droits del’homme. Dans ce contexte, l’UE encouragel’adoption d’un nouveau Code de la presse quisoit en conformité avec les normes internatio-nales en la matière, et ne prévoie plus aucunepeine privative de liberté à l’encontre des jour-nalistes. L’UE invite par ailleurs le Maroc à sau-vegarder la liberté d'association et de rassemble-ment ainsi qu’à la protection des défenseurs des

En Espagne, les partispolitiques sont una-nimes pour condamner lecomportement marocaindans l’affaire Haidar.

droits de l’homme, notamment dans le territoiredu Sahara occidental. Elle appelle les forces del’ordre à faire preuve de retenue dans le recoursà la force. L’UE salue le maintien du moratoiresur la peine de mort et encourage le Maroc àabolir la peine capitale.» Concernant le Sa-hara, l’article 29 indique que «l’UE restepréoccupée par le conflit du Sahara occidentalet ses conséquences et implications régionales.Elle soutient pleinement les efforts du Secrétairegénéral des Nations Unies et de son Envoyé per-sonnel en vue de trouver une solution politiquejuste, durable et mutuellement acceptable quipermettra l’autodétermination du peuple duSahara occidental comme le disposent les réso-lutions des Nations Unies.» L’UE exprime éga-lement «son attachement à l’amélioration de lasituation des droits de l’homme au Sahara oc-cidental ; elle rappelle les obligations qui in-combent à chaque partie.»

Le mardi 8 décembre, à Genève, l'Institutdu Caire pour l'étude des droits de l'hommerend public son «Rapport sur l'état général desdroits de l'homme dans le monde arabe. Bienque le Maroc fasse preuve depuis plusieurs an-nées d'une «relative tolérance» pour les défen-seurs des droits de l'homme, les organisa-tions et militants sahraouis «restent la cibled'arrestations, de tortures et de procès inéquita-bles», selon l’étude.

Décision historiqueEn Espagne, les partis politiques sont una-nimes pour condamner l’attitude du com-portement marocain dans l’affaire Haidar.L’eurodéputé Willy Meyer, responsable desRelations extérieures du parti Izquierda

A Bruxelles, T. Fassi Fihri adéfendu le «socle de notre

nation : la monarchie, l’islamet l’intégrité». Sans vraiment

convaincre ses interlocuteurs.

Les recommandations de l’IERI- La consolidation des garanties constitu-tionnelles des droits humains, notammentpar l’inscription des principes de primautédu droit international des droits de l’hommesur le droit interne, de la présomption d’in-nocence et du droit à un procès équitable…L’IER recommande par ailleurs le renforce-ment du principe de la séparation des pou-voirs et l’interdiction constitutionnelle detoute immixtion du pouvoir exécutif dansl’organisation et le fonctionnement dupouvoir judiciaire. Elle recommande d’expliciter dans le texteconstitutionnel la teneur des libertés etdroits fondamentaux, relatifs aux libertésde circulation, d’expression, de manifesta-tion, d’association, de grève…, ainsi que desprincipes tels que le secret de la corres-pondance, l’inviolabilité du domicile et le

respect de la vie privée. L’IER recommandeen outre de renforcer le contrôle de laconstitutionnalité des lois et des règlementsautonomes ressortant de l’Exécutif, en pré-voyant dans la Constitution le droit d’un jus-ticiable à se prévaloir d’une exception d’in-constitutionnalité d’une loi ou d’unrèglement autonome. A l’instar de l’inter-diction constitutionnelle déjà ancienne duparti unique, l’IER recommande enfin la pro-hibition de la disparition forcée, la déten-tion arbitraire, le génocide et autres crimescontre l’humanité, la torture et tous traite-ments ou peines cruels, inhumains oudégradants, et l’interdiction de toutes lesformes de discrimination internationale-ment prohibées ainsi que toute forme d’in-citation au racisme, à la xénophobie, à laviolence et à la haine.

II- L’adoption et la mise en œuvre d’unestratégie nationale intégrée de lutte contrel’impunité. L’IER estime que l’éradication del’impunité exige, outre des réformes juri-diques, l’élaboration et la mise en place depolitiques publiques dans les secteurs dela justice, de la sécurité et du maintien del’ordre, de l’éducation et de la formation per-manente, ainsi qu’une implication active del’ensemble de la société. Cette stratégie doitavoir pour fondement le droit internatio-nal de droits de l’homme, en procédant àl’harmonisation de la législation pénale avecles engagements internationaux du pays.

III- L’IER considère que la consolidation del’état de droit exige en outre des réformesdans le domaine sécuritaire, de la justice,de la législation et de la politique pénales.

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Quelle est la valeur ajoutée de ce statutavancé par rapport à l’accordd’association déjà existant avec leMaroc et avec les autres pays du Sud del’Europe ?Le statut avancé correspond à unereconnaissance que le Maroc, à traversl’accord d’association, a fait des progrèsdans les domaines de la gouvernance etdu développement économique. Et qu’ily a une volonté affichée de la part desautorités publiques pour améliorer cettegouvernance et aussi améliorer ladémocratie. Ce sont là les intentions. Surcette base, nous avons négocié ce qu’onappelle le statut avancé qui est une sortede feuille de route fixant des objectifspour, au delà de l’accord d’association,renforcer le dialogue politique, mettre enœuvre un accord commercial qui soitplus profond et plus ample, fairebénéficier le Maroc de programmescommunautaires et, d’une façongénérale, rapprocher l’économiemarocaine de la réalité du marchéintérieur européen afin que les agentséconomiques marocains et les produitsdu pays puissent bénéficier du marchéde 500 millions de citoyens qui

Eneko Landaburu, chef de la délégation européenne à Rabat

constituent l’Union européenne. Sur le planjuridique, ce n’est rien de plus, mais c’estdonner aux accords de l’association uneambition plus grande et un contenu plusfort que ce que nous avons avec lamoyenne des pays avec lesquels nousavons un accord d’association.

Avec l’entrée en vigueur du Traité deLisbonne, il y a maintenant une fenêtrejuridique qui s’ouvre pour créer cenouveau statut quelque part entrel’association et l’adhésion. Allez-voustravailler sur cet objectif avec legouvernement marocain ?Je crois que ce n’est pas un problèmeurgent. Il est évident qu’à un certainmoment il faudra penser à un cadrejuridique peut-être différent, mais lapolitique de voisinage et le statut avancénous donnent le cadre juridique suffisantpour réaliser ce statut avancé. Pour moi, lapriorité, c’est que ce statut avancé vive, ilest fait pour le moment de nombreusesintentions louables, qu’il se convertisse enune réalité concrète qui accompagne lamodernisation de ce pays et le rapprochedes standards et des normes européennes.C’est ça le plus important. Donc on a fait lestatut avancé, maintenant il faut faire nosdevoirs tant du côté européen que dugouvernement marocain. Une fois qu’onl’aura désigné, ce statut, et qu’on aura étécapable de le développer, viendra lemoment évidemment de penser à descadres juridiques différents. Mais ce n’estpas à l’ordre du jour.

Ce rapprochement souhaité du Marocavec l’Union européenne doit-il être lié àsa gestion des droits de l’homme ?Dans l’identité de l’Union européenne, cequi constitue l’identité de la vie des 27 paysde l’Union c’est la défense des droits del’homme, la défense de la démocratie. Cequi ne signifie pas que dans nos pays la

démocratie est parfaite et que les droits del’Homme sont toujours respectés. Mais il ya un socle juridique, politique d’adhésion àla démocratie et aux droits de l’homme.C’est fondamental. Et dans nos relationsavec l’extérieur, nous ne renonçons pas ànotre identité. Et nous souhaitons que nospartenaires extérieurs adhèrent à cesprincipes et les mettent en pratique. Nousne sommes pas là pour donner des leçonsà qui que ce soit. Nous disons que, si onveut avoir les meilleures relations avecnous, il faut respecter les droits del’homme. Parce que c’est une choseessentielle.

Concrètement, comment la Commissioneuropéenne juge-t-elle l’application deces droits au Maroc ?Nous avons, dans le cadre de l’accordd’association, un sous-comité des droits del’homme qui parle de toutes les questionsqui, en Europe ou au Maroc, peuvent êtresoulevées dans ce domaine. Nous avonsdonc une structure institutionnelle quiévoque, parle, dialogue, échange lesinformations chaque fois que nous avonsdes doutes sur l’application des droits del’homme, ou quand nous avons des indicessur des violations de ces droits. C’est unestructure de dialogue existante et quifonctionne. Deuxièmement, nous avons àRabat des réunions mensuelles de tous lesambassadeurs des 27 membres présentsde l’Union européenne où, là aussi, nouséchangeons des informations surl’évolution de l’application des droits del’homme dans ce pays. Nous informons noscapitales respectives et éventuellementnous faisons des démarches auprès dugouvernement marocain s’il nous semblequ’un certain nombre de problèmesexistent et méritent d’être mentionnés. Ounous posons des questions, parce qu’on n’apas toujours l’information. Nous sommesvigilants de la réalité de ce qui se passe.

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«Si on veut avoir les meilleuresrelations avec nous, il faut

respecter les droits de l’homme»

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C’est un travail que doivent faire lesambassadeurs de l’Union européennedans ce pays. Troisièmement, nous avonsdes relations avec plusieurs ONG quitravaillent dans le domaine des droits del’homme et de la démocratie, quipeuvent nous informer de ce qui sepasse et des évolutions dans cedomaine. Voilà ce que nous faisonsconcrètement.

L’adhésion du Maroc au conseil Nord-Sud du Conseil de l’Europe entre-t-elledans ce cadre ?Oui, bien sûr. Cela a été une des bonneschoses qui sont arrivées pendant lapremière année de mise en œuvre dustatut avancé. D’où le renforcement dudialogue politique et le rapprochementdu Maroc avec les instanceseuropéennes qui défendent les libertés etles droits de l’homme. Le Maroc est lepremier pays non-européen qui soitpartie prenante de ce Conseil Nord-Sud.C’est important parce que c’est une sorted’invitation que l’on fait au Marocd’approuver un certain nombre deconventions internationales et des’engager dans les organismes dont lebut est la défense des libertés et desdroits de l’homme.

Un commentaire sur l’article 21 de ladéclaration officielle de l’UE à l’issuedu 8e Conseil d’association ?Il n’y a rien à dire. C’est clair, net et précis.Savez-vous que dans l’UE il y a dessensibilités différentes. Il y a des pays quisont plus ou moins proches, plus oumoins sensibles. Certains pays,scandinaves notamment, ont unesensibilité pour ces questions de libertés(de la presse notamment) qui sont peut-être plus grandes que dans d’autres. Voilà,ce qui fait l’originalité de l’Unioneuropéenne, c’est que nous travaillonsdans l’unité, et vous voyez que noussommes capables de faire des textesclairs, mais dans le respect des diversités.

Un message adressé au Maroc ?C’est une déclaration officielle de l’Unioneuropéenne. On n’invente rien denouveau, ce sont des choses qu’on adites, répétées, qui sont dans lesobjectifs du statut avancé et quis’appliquent d’ailleurs aussi bien àl’Union européenne qu’au Maroc. Là, onparle du Maroc, mais ces libertés depresse, garanties du droit d’expression,ce sont là toutes les choses que nousdevons appliquer nous aussi. ■

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→ Unida (IU, Gauche Unie) appelle désormaisl’UE à suspendre immédiatement l’accordd’association avec le Maroc. «Le cas d’Ami-natou Haidar montre une fois de plus que leMaroc ne respecte pas l’article 2 de cet accord,consacré au respect des droits humains», ex-plique-t-il dans un communiqué.

Cette «clause des droits de l’homme», in-cluse dans chaque traité signé par l’Unioneuropéenne, permet à chacune des partiesde suspendre l’accord en question si elleestime que l’autre partie s’est rendue cou-pable de violations graves des droits del’homme. Le Parlement européen l’a no-tamment utilisée pour demander la sus-pension de l’accord entre l’UE et Israëlsuite aux massacres perpétrés par l’arméeisraélienne à Gaza.

En 1992, ce sont également les eurodé-putés qui ont bloqué l’accord entre l’UE etle Maroc, en refusant d’approuver le re-nouvellement des protocoles financiers.Un moyen de protester contre les viola-tions commises par le régime de HassanII. La situation a été rétablie quelquesmois plus tard et le Maroc, appuyé par sonallié français, s’est vu proposer un nouvelaccord prévoyant unezone de libre-échange.Mais selon de nom-breux observateurs,cette décision histo-rique du Parlement eu-ropéen, considéréecomme une véritable«gifle pour Hassan II, acertainement joué unrôle dans le processus dedémocratisation du paysentamé peu de tempsaprès.»

Dans la subtile répar-tition des pouvoirs ausein des institutions del’UE, le Parlement euro-péen joue un rôle gran-dissant. «C’est une caissede résonance énorme, c’estlui qui mobilise les opi-nions publiques», ex-plique Catherine Schneider, directrice duCentre d’Etudes sur la Sécurité internatio-nale et les Coopérations Européennes (Uni-versité de Grenoble). Si le Maroc risque desouffrir de cet effet caisse de résonance duParlement européen puisque c’est de cetteinstitution que peuvent se faire entendre lesvoix critiques contre sa gouvernance, l’Exé-cutif européen reste encore maître du jeudans la définition de la politique étrangèrede l’UE. Composé du Conseil et de la Com-mission, ses positions sont avant tout poli-tiques et reflètent les intérêts défendus parles pays-membres les plus puissants ou les

plus concernés. Dans le cas du Maroc, lesanciennes puissances coloniales, la Franceet l’Espagne, sont les deux principaux parte-naires commerciaux du royaume. «L’objectifde l’UE, qui consiste à aider à la consolidationdes droits de l’homme, est réel. Mais lorsque cesmesures remettent en cause ses intérêts, notam-ment économiques, là, on retombe dans la “rai-son d’Etat”», analyse Mme Schneider.

Amnesty interpelle RabatLa mise en place, ces dernières années, destructures de dialogue dédiées aux droits del’homme permet de toute façon d’éviter d’al-ler jusqu’à la suspension de l’accord. Dans lecadre de la politique européenne de voisi-nage, l’accent est plutôt mis sur la contrainte«positive», en faisant bénéficier les «bonsélèves» d’incitations.

Quoi qu’il en soit, les eurodéputés, eux,continuent d’utiliser tous les moyens à leurdisposition pour exercer une pression surles pays tiers qui portent atteinte aux liber-tés publiques ou individuelles. Dans le casd’Aminatou Haidar, certains envisagentdéjà une intervention en séance plénière la

semaine prochaine à Strasbourg. «Ça dé-pendra des développements», indique l’euro-député portuguais Joao Ferreira.

Dans un communiqué publié mercredi9 décembre, Amnesty International ré-clame «le retour immédiat et inconditionnel»de l’activiste sahraouie et annonce avoir en-voyé au Premier ministre Abbas El Fassi 48000 signatures appelant à résoudre son cas.L’ONG attire également l’attention sur l’étatde santé «spécialement préoccupant» de DrissChahtane, directeur de publication d’Al Mi-chaal, qui subit actuellement «un traitementpunitif en régime d’isolement.» ■

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décryptage

«Des revendications surCeuta et Melilla à la ques-tion du Sahara en passantpar l’ immigration, lapêche, le terrorisme ou le

trafic de drogue, la relation avec le Marocdispose de tous les éléments pour provo-quer une violente tempête. Si l’on ajouteau passé colonial un niveau impression-nant de richesse et de libertés entre lesdeux rives, le Maroc offre un cas d’étudeidéal pour mettre à l’épreuve l’habileté den’importe quel service extérieur. S’il y aquelque chose dont la diplomatie espa-gnole est fière, c’est bien de la relationconstruite avec le Maroc lors de ces deuxdernières décennies. Conformément à lathéorie du «matelas d’intérêts», l’Espagne

s’est ingéniée à tisser un réseau d’intérêtstrés important qui amortira les nombreuxéléments de tension dans la relation bila-térale. L’Europe a été décisive dans ce sens,car elle a permis à l’Espagne de diluer par-tiellement le cadre étroit des relations bi-latérales entre les deux états dans uncontexte plus ample. La fierté tirée des ex-ploits ne fut pas si inhabituelle que nos di-plomates la considèrent comme un exem-ple et conseillent leurs collègues polonaisou baltiques d’appliquer une telle pers-pective dans leurs relations avec la Russie(aussi très compliquées). Apparemment

aucun pays ne peut esquiver une crise bi-latérale. A l’époque d’Aznar, la question du«Perejil» fut une crise qui a laissé un héri-tage de doutes et d’incertitudes. Actuelle-ment, pour le gouvernement Zapatero, lecas d’Aminatou Haidar est au centre desrelations bilatérales. Encore une fois, il estprouvé que la relation avec le Maroc n’estpas aussi réelle que nous le désirons. Suiteà ce qui vient de se passer, elle est mêmesurréaliste.

En mettant le gouvernement espagnoldans une situation politique et diploma-tique assez critique, le comportement desautorités marocaines est non seulementlégalement inadmissible (vu que Rabat aviolé et viole de manière insolente la léga-lité marocaine et internationale), mais il a

aussi fait preuve d’une énorme ingrati-tude politique vis-à-vis d’un gouvernementqui s’est consacré corps et âme à la relationbilatérale avec le Maroc (même comme onl’a vu, si il a assumé la charge politiquepour éviter toute critique et ne pas blessersa sensibilité). L’incident s’est soldé parl’humiliation de notre diplomatie et l’alié-nation de l’opinion publique espagnoleavec une inflexibilité injustifiée.La théorie du matelas d’intérêts, plus oumoins brillante, constitue l’option uniquedisponible si l’on veut optimiser les oppor-tunités et minimiser les risques. Cepen-

dant, étant donné que cette crise a révéléles problèmes qui justifient la théorie, et àdéfaut de solution, ces problèmes demeu-rent intacts. Ainsi, quand un élément tra-verse le sommier et arrive au noyau de larelation, le jeu d’addition positive se trans-forme de nouveau enjeu où tout le mondeperd. Il se peut qu’au Maroc, selon lapresse marocaine, tout le monde soit uniderrière le gouvernement et considère quela grève de la faim observée par AminatouHaidar ne soit qu’un chantage pour le roiqui ne doit nullement donner sa main pourqu’on la lui torde. Ce que le gouvernementn’a sûrement pas compris, c’est que si Hai-dar trouvait la mort sur le territoire espa-gnol, la responsabilité n’en incomberaitpas au gouvernement espagnol mais augouvernement marocain. Les relationsavec le Maroc se détérioreraient profondé-ment, vu que l’opinion publique espagnoleexigera qu’il soit mis fin au soutien incon-ditionnel apporté à ce jour. Un citoyen,c’est quelqu’un qui est effectivement enmesure de faire valoir ses droits par voie ju-diciaire; un ressortissant, c’est quelqu’unqui doit demander des excuses au mo-narque dans l’attente d’obtenir justice.D’après ce qui a été démontré ces derniersjours, Haidar n’est pas une citoyenne, maisune ressortissante de Mohammed VI.Même l’Union africaine a vigoureusementcondamné l’attitude du Maroc et a de-mandé qu’elle soit autorisée à retourner àLaâyoune. Nous savons tous de quel côté sepositionnent les Nations Unies et la léga-lité internationale dans le cas du Sahara oc-cidental. Paradoxalement, il est possibleque le gouvernement marocain n’ait pas sucalculer convenablement les répercussionsde sa décision et que la persévérance deHaidar se solde par l’obtention de quelquechose d’impossible: que deux plus deuxégalent quatre.

L’Espagne présidera incessammentl’Union européenne, alors que se dessine àl’horizon une crise bilatérale sérieuse avecle Maroc, pays toujours considéré commede la diplomatie espagnole. Il est difficiled’imaginer qu’un pays de ressortissantspuisse tirer profit d’un statut de partenariatavancé avec l’UE, comme nous l’avons toussouhaité à ce jour. Mais avec le soutien del’UE, cette crise peut aussi offrir une op-portunité. Nous avons déjà européanisé lesintérêts avec le Maroc. Maintenant, il nousreste à européaniser les solidarités. ■

PAR JOSÉ IGNACIO TORREBLANCA

EL PAIS, 07/12/2009

Le «matelas marocain»

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L’affaire a pris une nouvelle tour-nure le week-end dernier aprèsdeux tentatives avortées pour ra-mener l’activiste sahraouie àLaâyoune. Vendredi 4 décembre

au soir, Aminatou Haidar prend place dansun avion affrété par l’Espagne, en compa-gnie d’Augustin Santos, chef de cabinet duministre espagnol des Affaires étrangèresMiguel Angel Moratinos, et de la députée so-cialiste Delia Blanco, proche de l’activiste.Mais l’appareil ne décollera pas. Madrid in-dique que l’autorisation marocaine a été re-tirée au dernier moment. Le lendemain, unenouvelle demande espagnole se voit oppo-ser un nouveau refus. Augustin Santos dé-clare alors qu’il «déplore profondément» cetteobstruction du Maroc, qui est «contraire audroit international».

El Himma menaceLa réaction marocaine ne se fait pas atten-dre. Le soir même, Fouad El Himma et Mo-hammed Biadillah s’adressent aux Espa-gnols lors d’une conférence de presseorganisée à Laâyoune. Biadillah, présidentde la Chambre des conseillers et secrétairegénéral du PAM, estime que les responsa-bles espagnols «font la distinction entre le casisolé d'Aminatou Haidar et les relations ma-roco-espagnoles qui sont fondées sur des basessolides et des intérêts communs.» El Himma,fondateur du PAM mais libre de toutes fonc-tions officielles, va encore plus loin. «Nousvoulons, à travers notre réunion à Laâyoune,adresser un message fort à l'Espagne et l'inter-peller sur ses relations de voisinage avec le Ma-roc, dit-il. L'Espagne est appelée à faire unchoix : Vivre au côté d'un Maroc qui a faitmontre de sa capacité à contrôler tout ce qui sepasse sur son territoire et à lutter contre lesfléaux auxquels l'Espagne avait à faire face, ausein d'une région à risque avec tout ce que cela

comporte comme conséquences sur l'avenir del'Espagne et l'Europe.» La menace est à peinevoilée. «Emigration clandestine, trafic dedrogue, extrémisme et terrorisme», El Himmaénonce les secteurs considérés comme stra-tégiques pour nos voisins européens et dontcertains font actuellement l’objet d’âpres né-gociations avec les autorités marocaines.En Espagne, l’opposition et la presse dénon-cent une «tentative de chantage» de la partdu Maroc et demandent au chef du gouver-nement d’agir avec plus de fermeté. JoséLuis Zapatero se contente cependant d’ex-pliquer que l’Espagne «connaît desdifficultés» avec le Maroc concernant le casd’Aminatou Haidar, mais que «l’intérêt géné-ral doit prévaloir». Dans le même temps, leMaroc dément formellement avoir accordéune quelconque autorisation de vol aux Es-pagnols pour ramener l’activiste sahraouiechez elle. Moratinos explique alors que l’Es-pagne avait seulement reçu une autorisa-tion «technique» de vol de la part des Maro-cains et que la réponse politique - négative -de Rabat, transmise à l’ambassadeur espa-gnol Luis Planas, n’est arrivée que quelquesheures plus tard.

Le Maroc reste inflexibleDepuis le début de l’affaire, Madrid chercheavant tout à éviter l’escalade avec son voisinmarocain. «La crise est gérée au seul niveauministériel, Zapatero ne veut pas qu’elle s’am-plifie», explique un observateur espagnol.Après la «rebuffade» infligée par le Maroc lewee-kend dernier, le gouvernement sembledésormais se concentrer sur deux points :s’assurer de l’état de santé d’Aminatou Hai-dar et dégager un consensus au sein de laclasse politique espagnole, la droite comme

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Statu quo pour AminatouHaidarL’activiste sahraouie a entaméle 10 décembre son 25è jour degrève de la faim à l’aéroport deLanzarote. La situation esttoujours bloquée. Le roid’Espagne Juan Carlos se ditprêt à intervenir.

l’extrême-gauche critiquant vertement lagestion socialiste de l’affaire. La préfecturede Lanzarote a dépêché un juge à plusieursreprises auprès de l’activiste sahraouie pourvérifier si son état de santé nécessitait unehospitalisation, – ce qu’Aminatou Haidar re-fuse catégoriquement. Au niveau politique,une motion a été proposée en début de se-maine par le PSOE aux différents partis es-pagnols pour être discutée. Devant l’échecd’une formulation commune satisfaisantepour tous les partis, le PSOE a préparé unnouveau texte qui pourrait être présenté dèsmardi prochain au Parlement. En attendant,le blocage est total, malgré l’appel lancé le 8décembre par le Haut Commissaire del’ONU aux Réfugiés, Navi Pillay, «pour le droitau retour d’Aminatou Haidar dans son pays».Le Maroc, de son côté, reste inflexible. Loinde reconnaitre ses torts, le royaume expliqueau contraire, par la voix de son porte-paroleKhalid Naciri, que l’activiste sahraouie«connaît le chemin du Maroc : elle doit admet-tre son erreur et présenter des excuses pour of-fense aux symboles de la Nation.»

Jeudi 10 décembre, le roi d’Espagne JuanCarlos s’est dit prêt à réaliser «les gestions né-cessaires» pour trouver une solution au casd’Aminatou Haidar. Une proposition décli-née par Zapatero, pour qui ce n’est pas en-core «le bon moment». Le même jour, Mora-tinos s'entretenait à New York avec Ban KiMoon à propos de la militante sahraouie. Lesecrétaire général de l'ONU «a exprimé sesinquiétudes concernant la détérioration de sasanté et a souligné qu’une solution devait êtretrouvée de toute urgence. Il a, en ce sens, proposédes mesures qui pourraient permettre de résou-dre la situation», selon son porte-parole Mar-tin Nesirky. Ban Ki Moon devait égalementrecevoir Taïeb Fassi Fihri le 11 décembre. ■

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