Depression et surdité... déceler la souffrance

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  • 7/25/2019 Depression et surdit... dceler la souffrance

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    Un des objectifs de RAMSS * , qui vient detenir sa septime journe dtudes

    consacre au thme DPRESSIONS ET SURDITS tend au dveloppement de la recherche en pidmiologie des troubles psychiques chez lenfant sourd. Vous tes un des animateurs de cette association.Pouvez-vous nous en rappeler lorigine? En 1990, des spcialistes de lduca-tion des jeunes sourds, confronts auxcarences du dpistage de leurs diffi-cults psychologiques et linadqua-tion des prises en charge, ont dcidde dresser un tat des lieux de soins etde formuler des propositions. Rejoint

    par de nombreux professionnels delducation spcialise, ce collectif aestim quil fallait en priorit sensibi-liser les quipes la dimension psy-chique du cursus ducatif de cesenfants.

    A loccasion de cette journe dtude, des experts ont trait des thmes rcurrents:leffet de la surdit sur la fratrie, les problmes de ladolescence,ceux du jeune adulte. Votre rflexionportait sur la prvention des dpressions

    du jeune enfant sourd. Etant donn la prcocit grandissante du diagnostic, justifie par la plasticit neuronale du premier ge, quoi convient-il dtreparticulirement attentif? En tant que pdopsychiatre, jeconstate quon voque fort peu ladpression du jeune enfant. Commela soulign le Pr Michel Basquin, letrs jeune enfant (je parle l de lenfantavant 3 ans) na pas les mots pourexprimer son mal tre. La dpressionse traduit par des signes atypiques

    qui peuvent tre: des troubles du som-meil (insomnies ou hypersomnies),oude lalimentation, un enfant qui ne

    joue pas, qui est apathique ou aucontraire agit et hyperactif, un enfant

    dont la pense est confuse, qui nac-cde pas au symbolique Ces symp-tmes peuvent tre ngligs et il fauty tre attentif. La dpression du jeuneenfant est le plus souvent lie destroubles de la relation avec son entou-rage. Pour bien grandir, affectivementet intellectuellement, un enfant abesoin dun environnement o il sesent en scurit, et de bonnes assisesnarcissiques. Il a besoin de parentsaimants, fiers de lui, disponibles psy-chiquement. Une bonne estime de soi

    est la meilleure arme contre les tatsdpressifs ultrieurs, en particulier ladolescence.

    Le psychanalyste Andr Meynard a fait observer qu aucune gnralisation nest possible.Cest vident. Chaque famille a sonhistoire. Les capacits dadaptation etde recherche de sens des enfants sontdailleurs surprenantes. Mais ladpression des parents aprs la confir-mation de la surdit de leur enfant est

    difficilement contournable, et tous,dune manire ou dune autre, doiventapprendre grer la perte dune rela-tion avec lenfant qui passerait parlaudition. Vous voquiez la plasticitcrbrale du jeune enfant, or ladpression parentale, qui intervientdurant cette phase sensible du dve-loppement de lenfant o la pense semet en place, peut avoir un effet dsor-ganisateur sur ce processus. Il estdonc souhaitable que la famillemerge le plus vite possible de ltat

    dpressif et quelle soit aide retrou-ver son dynamisme vital.

    Cette focalisation sur le climat familial explique-t-elle le glissement smantique

    des vingt dernires annes, qui a vu leterme guidance abandonn pour celui daccompagnement? Guider quelquun, cest le dirigervers un objectif et lui indiquer la voie suivre. Pour les parents, cela sappa-rente un prescription du spcia-liste. Ce qui est la fois limitatif et tropdirectif. Il convient de leur laisser letemps dune laboration psychique, letemps de se rconcilier avec la vie, envitant de sengager dans desimpasses relationnelles, terreau des

    dpressions ultrieures.

    Il est cependant crucial dessayer deprvenir la discontinuit du comporte- ment des parents , si prjudiciable lenfant, en tenant compte des repr-sentations quils se font de la surditet de ses consquences. Il est nces-saire galement de les aider renouerle fil de lhistoire familiale face cetenfant soudain tranger. Les represhabituels sont perdus, le trauma estirrversible et le changement invi-

    table Accompagner les parentsdoit videmment aller au-del de lasimple attitude compassionnelle. Il nesuffit pas de leur faire sentir quils nesont pas seuls, il faut quils ne se sen-tent pas impuissants Cest un travailau long cours qui ncessite unegrande crativit de la part desquipes, sans exclure des momentsconviviaux.

    Le diagnostic nous confronte une cli-nique du traumatisme. Pour que celui-

    ci devienne laborable, il doit trereconnu par un interlocuteur, et il y aurgence: mettre des mots sur ce que

    Dpression et surdit... dceler la souffran

    psychiqueINTERVIEW DE MARIE-CLAUDE PONSERRE

    Psycho logie

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    lon vit est le meilleur moyen dappri- voiser la douleur . La base du travaildes professionnels est une relation deconfiance avec lentourage de lenfant.Ils doivent tre capables dcouter,dinformer, de dmythifier, de clari-fier. Cest limpuissance et le sentiment de solitude des parents qui alimentent leur dpression . Reconnatre la sur-dit de lenfant est un concept quidonne lieu de grandes thories. Celasinscrit pourtant dans des actes trsquotidiens comme lamnagement dela communication mais aussi celui delenvironnement (espaces visuels, son-nettes lumineuses, etc.) pour rendreaccessible lenfant la comprhensiondu monde.

    Tout cela reste vrai quand lenfant atteint lge des apprentissages scolaires. La loi dorientation de 1975, en instituant lobligation ducative pour les jeunes handicaps, a insist sur le primat delaccueil en milieu scolaire ordinaire. Vous avez soulign quil ny a pas de rel dbat ce sujet:les medias vous semblent soutenir lide qu il en faut toujours

    plus. Que vous suggrent les diverses mesures prises dans ce sens? On observe cette tendance pour leshandicaps en gnral. Comme labien expliqu Dominique Seban, psy-chologue lINJS, le schma estdailleurs le mme pour la folie, ouencore pour les prisons : il sagit degommer une histoire faite denferme-ments. On peut rappeler que la scola-risation en milieu ordinaire avait djfait lobjet dune circulaire officielle dutemps de Napolon III Ces louables

    intentions ne sont cependant pas tou- jours suivies des moyens adquats etlintgration dpend encore trop sou-vent des bonnes volonts, celles, enparticulier, des enseignants quiaccueillent des jeunes sourds dansleur classe.

    Au cours de cette journe Ramss, lethme de la souffrance psychique enintgration scolaire a t largement trait. Dans sa confrence, unpdopsychiatre a fait observer quil y a

    des moments dpressifs normaux, mais quil fallait tre attentif aux phases critiques lies une problmatique du

    manque ou de la perte:ce sont des moments de vulnrabilit. quels signes reconnatre que lenfant intgr est ensouffrance? Ce ne sont pas toujours des signesdirects, dautant que lenfant sef-force de rpondre ce quil pressentde lattente de ses parents, pour laplupart trs demandeurs de lintgra-tion. Lenfant sefforce dtre un bonenfant: il ne doit pas dcevoir, ni fairede la peine ses parents. Il ne peutdonc pas se permettre consciemmentdexprimer ouvertement sa souf-france. L encore, des troubles dusommeil, de lapptit, des pisodessomatiques rptition sont dessignes dalerte (la dpression immuni-taire fait partie de la symptomatologiedpressive, a rappel le Pr Basquin)mais aussi, paradoxalement, lachar-nement scolaire avec dsinvestisse-ment de toute autre activit,acharnement qui est inefficace en rai-son de troubles de la mmoire et duraisonnement concomitants.

    Il est indispensable de prendre en

    compte les facteurs individuels, etaussi consquence logique de lint-gration le surinvestissement paren-tal. Lchec scolaire ou simplementdes rsultats moyens malgr beau-coup defforts entranent une dvalo-risation de limage de soi, facteur defragilit psychique. Ladolescence estun des moments de vulnrabilit quiont t voqus.

    Comment remdier ces situations? Avant tout, il faut que les difficults de

    lenfant soient identifies et reconnueset quune remise en cause du projetducatif puisse tre envisage par lesprofessionnels et les parents. La sp- cificit de la surdit est encore loindtre prise en compte par le systmescolaire . Deux matres-mots : sou-plesse et crativit. La co-ducationpeut aller de la classe externe lin-tgration individuelle, en passant pardes activits communes sportives,culturelles. Les solutions devraientpouvoir tre dictes par les besoins de

    lenfant, mais des circonstances mat-rielles peuvent intervenir, et le seuilde tolrance peut se rvler trs

    variable. Lintgration ne doit pas par-ticiper dun dni de la surdit mais dela reconnaissance de celle-ci. Linfor-mation des enseignants et des lvesentendants est en ce sens capitale.

    De quelle manire les parents peuvent-ils tre associs au processus? Ils doivent toujours tre partenaires, eten gnral, ils sont trs partants pourque leur enfant soit intgr, en parti-culier en intgration individuelle ungroupe-classe. Cest la situation la plusdifficile. Il faut les aider comprendreque lintgration est un moyen parmidautres et non une fin en soi. Prvenir du ct de lenfant, cest avant tout soccuper de son entourage , car un descueils viter, si un autre projet descolarit semble simposer, est quelenfant vive ce changement commeun chec dont il serait le seul cou-pable. Le regard positif des profes-sionnels peut faire relais de celuiparfois dfaillant des parents et modi-fier le regard des parents sur lenfant.Lenfant doit aussi tre accompagn dans la prise de conscience de sa dif-

    frence , il doit tre aid comprendrepourquoi ses ractions ne sont pas lesmmes que celles de ses copainsentendants, ce qui suppose quil lesctoie et quil largisse ses relationssociales. Ce sont de bonnes assises narcissiques qui lui permettront daf- fronter les difficults, tout au long desa vie, avec un moindre risque de sef- fondrer .

    Dr Marie-Claude Ponserre Mdecin PdopsychiatreCMPSI, Chteau de la Norville91290 La NorvilleTl. 06 10 36 73 70

    Email. [email protected]