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Pour citer cet article : Tamet J-Y. Des lieux du malaise clinique. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.001 ARTICLE IN PRESS Modele + ETIQE-259; No. of Pages 5 Éthique et santé (2014) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com DOSSIER THÉMATIQUE : LIEUX DE L’ÉTHIQUE Des lieux du malaise clinique Places of clinical discomfort J.-Y. Tamet Service d’endocrinologie, centre de référence des maladies de la différenciation sexuelle, hôpital Femme-Mère—Enfant, 97, boulevard Pinel, 69500 Bron, France MOTS CLÉS Éthique ; Intersexualité ; Psychanalyse ; Enfant Résumé À partir d’une pratique clinique en cabinet et en hôpital dans un centre de référence spécialisé dans les troubles de la différenciation sexuelle, l’auteur, psychanalyste, envisage comment se présentent dans l’exercice quotidien les questions éthiques. Ces questions sont souvent liées à la singularité de chaque situation et supposent donc une appréciation fine et adaptée des cas cliniques. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Ethics; Inter-sexuality; Psychoanalysis; Child Summary The author considers how ethical questions emerge in everyday practice taking departure in a clinical experience in both private practice and in a hospital, at a renowned center specializing in troubles related to sexual differentiation. These questions are often linked to the specificity of each situation and this demands a precise and adjusted appreciation of clinical cases. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Un biais détourné me permettra d’entrer dans la délicate réflexion sur les Figures et postures de l’éthicien qu’ont proposé les organisateurs de cette journée d’études. En effet, ne possédant pas de connaissances singulières dans le domaine de l’éthique, sauf à envisager que comme M. Jourdain l’éthique se pratique sans le savoir, et peu coutumier d’un raisonnement avec les outils de cette approche, j’ai choisi pour en parler de saisir dans Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.001 1765-4629/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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ARTICLE IN PRESSModele +ETIQE-259; No. of Pages 5

Éthique et santé (2014) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

DOSSIER THÉMATIQUE : LIEUX DE L’ÉTHIQUE

Des lieux du malaise clinique

Places of clinical discomfort

J.-Y. Tamet

Service d’endocrinologie, centre de référence des maladies de la différenciation sexuelle,hôpital Femme-Mère—Enfant, 97, boulevard Pinel, 69500 Bron, France

MOTS CLÉSÉthique ;Intersexualité ;Psychanalyse ;Enfant

Résumé À partir d’une pratique clinique en cabinet et en hôpital dans un centre de référencespécialisé dans les troubles de la différenciation sexuelle, l’auteur, psychanalyste, envisagecomment se présentent dans l’exercice quotidien les questions éthiques. Ces questions sontsouvent liées à la singularité de chaque situation et supposent donc une appréciation fine etadaptée des cas cliniques.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary The author considers how ethical questions emerge in everyday practice taking

Ethics;Inter-sexuality;Psychoanalysis;

departure in a clinical experience in both private practice and in a hospital, at a renownedcenter specializing in troubles related to sexual differentiation. These questions are often linkedto the specificity of each situation and this demands a precise and adjusted appreciation of

Child clinical cases.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Un biais détourné me permettra d’entrer dans la délicate réflexion sur les Figures et

Pour citer cet article : Tamet J-Y. Des lieux du malaise clinique. Éthique et santé (2014),http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.001

postures de l’éthicien qu’ont proposé les organisateurs de cette journée d’études. Eneffet, ne possédant pas de connaissances singulières dans le domaine de l’éthique, saufà envisager que comme M. Jourdain l’éthique se pratique sans le savoir, et peu coutumierd’un raisonnement avec les outils de cette approche, j’ai choisi pour en parler de saisir dans

Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.0011765-4629/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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a pratique le point où une interrogation d’ordre éthique au se poser. C’est donc un parcours en forme d’illustrationui sera commenté comme une note de travail d’un clinicienui, de temps en temps, est confronté à des problèmes dontertains relèvent d’une situation liée à l’éthique, telle quee me la représente. Cependant après d’autres, soulignonsa place que ce terme a progressivement pris durant lesécentes années et la manière dont il revient avec une hauteréquence et ce dans différents domaines d’activités. Je disl revient, car derrière éthique s’entend morale mais égale-ent jugement de valeur et normes sociales et peut-être au

oin l’histoire des idées, histoire soumise à la lenteur avecaquelle l’homme contemporain, tout pris qu’il est dans laitesse et l’expansion géographique, perd contact. Or cetteanière de situer les choses du côté de la morale avait, il

a peu, mauvaise presse et actuellement de grands mou-ements de rue naissent sur des thèmes de société où lauestion d’une morale et de valeurs est présente sans par-ois discerner exactement ce que disent les slogans et ceue proclament les certitudes scandées, sauf à y entendrea mélancolie présente face à l’accélération et à la modifi-ation des coutumes.

Mais ce propos ne marchera pas dans les pas du socio-ogue, du journaliste politique ou de l’historien et il s’agit deous présenter rapidement des lieux de malaise rencontrésn clinique. Montaigne, que cite Lévi-Strauss [1], estimaitue si toutes les institutions se valent, et sont à ce titreareillement critiquables et pareillement respectables, laagesse conseille de s’en tenir à celles de la société où onit. Montaigne avait la chance qu’à son époque, les fron-ières géographiques comme celles des savoirs étaient mieuximitées que de nos jours où les possibilités d’informationous rendent si vite, trop vite, au contact que nous ne pou-ons saisir les subtilités de données variées et complexes.

son époque, le voyage, souvent une longue et périlleusexpérience, permettait une lente et réflexive appréciationu paysage ainsi que des usages et mœurs des habitants desontrées traversées.

C’est pour cela que j’opposerai deux pratiques au rythmeifférent, celle où en cabinet il me semble conserver unythme où l’histoire se déroule encore lentement, évoluantes figures de Lascaux à nos jours, et celle de l’hôpital où jeuis confronté à un tout autre exercice, devant suivre au sein’une équipe multidisciplinaire les avancées stupéfianteses mentalités et des techniques, avancées ne voulant pasorcément dire automatiquement amélioration.

Comme psychanalyste, il n’y a pas de règles éthiques par-iculières qui sous-tendent la pratique analytique car lesègles éthiques admises par les psychanalystes ne sont enien spécifiques. L’éthique du psychanalyste, comme le rap-elle Paul Denis [2] est celle de tout le monde, celle d’uneorale ordinaire et partagée :

« L’éthique de l’analyste se situe donc à l’articulation dedeux registres : l’un orienté par la personne du patientet qui permet l’analyse comme possible et l’autre quirésulte de l’inscription de l’analyste dans la cité. »

Le Code de déontologie médicale demeure la référence

Pour citer cet article : Tamet J-Y. Des lieux

http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.001

e la pratique. La psychanalyse par le rapport étroit qu’ellentretient avec le secret peut être malmenée : lors de situa-ions de dictature, dans des états totalitaires, son exercice

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PRESSJ.-Y. Tamet

evient périlleux voire impossible ainsi qu’en témoigne pare passé l’émigration de nombreux collègues autrichiens etllemands d’abord, puis argentins, chiliens ou brésiliens ;ais elle est aussi menacée si un État, comme celui dealifornie, intervient pour inviter à dénoncer des situations

imites touchant à l’évocation de pratiques sexuelles : à laifférence du médecin du corps qui peut voir et objecti-er des traces, le psychanalyste est empêché d’écouter sie qu’il entend doit être jugé immédiatement à l’aune de’existence réelle des faits rapportés.

Freud n’a pas écrit de textes expressément consacrés àne réflexion éthique mais il a parsemé sa correspondancee considérations en ce domaine et, tout particulièrement,elle avec le pasteur protestant Oskar Pfister ; celui-ci, uneu plus jeune que lui, fut un fidèle ami [3] curieux de’avancée de la psychanalyse et de ses applications dans’éducation comme dans son activité pastorale. Ils ont par-agé l’un et l’autre un même goût de la sincérité dans leurschanges et leurs rencontres et ils ont porté sur l’humainn regard évitant autant que possible une idéalisationxcessive. Freud [4] (p. 49) avait apprécié que « l’éthiquerotestante [ait] retiré aux relations sexuelles l’odieux de’impureté ». Puis continuant toujours les remarques compa-atives entre leurs deux pratiques, il remarquait à propose la guérison que les pasteurs sont « mieux placés que nousutres médecins parce qu’[ils] sublime[nt] le transfert sura religion et sur l’éthique, ce qui ne réussit pas facilementhez les invalides de la vie » [4] (p. 76).

Dans une lettre de 1918 [4] (p. 103), Freud répondait àon ami :

« Il y a un point qui ne me satisfait pas : c’est la contesta-tion de ma ‘‘théorie sexuelle et de mon éthique’’. Pourêtre franc, je vous abandonne la dernière : l’éthiquem’est étrangère et vous êtes pasteur d’âmes. Je ne mecasse pas beaucoup la tête au sujet du bien et du mal,mais en moyenne, je n’ai découvert que fort peu de‘‘bien’’ chez les hommes. D’après ce que j’en sais ilsne sont pour la plupart que de la racaille, qu’ils seréclament de l’éthique de telle ou telle doctrine, oud’aucune. Cela, vous ne pouvez pas le dire tout haut,peut-être pas même le penser, bien que votre expé-rience de la vie ne puisse pas être très différente dela mienne. S’il faut parler d’une éthique, je professepour ma part un idéal élevé, dont les idéaux qui mesont connus s’écartent en général d’une manière des plusaffligeantes. »

Plus tard, en 1928, Freud lui écrira [4] (p. 178) :

« Exiger de la science qu’elle établisse une éthiqueest déraisonnable, l’éthique est une espèce d’ordre demarche à l’usage du commerce des hommes entre eux,le fait que la physique admette aujourd’hui que soientronds les atomes qui, hier, étaient carrés, est exploitéde facon abusivement tendancieuse par tous les assoiffésde croyance. . . »

du malaise clinique. Éthique et santé (2014),

Comme nous le voyons, pour Freud, il ne semble pas yvoir une éthique spécifique à la pratique psychanalytiqueui ne puisse être rattachée à l’art médical.

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Mais pour en revenir à une pratique de cabinet, celle-ci est sujette à deux dimensions : l’une classique est celled’un médecin qui consulte et dont les actes relèvent dela déontologie médicale avec une insistance plus marquéesur la question du secret et de la discrétion, et l’autre,plus restreinte dans son champ d’application, est celle dupsychanalyste dont le contrat qui le lie au patient pro-pose une écoute du monde psychique du patient et doncune écoute des variations souvent tumultueuses entretenuesavec le monde des pulsions et leurs manifestations. Le prin-cipe de l’association libre qui vise à laisser se déployer lescommentaires langagiers à partir des images, celles du rêveen premier, exclut que se pose une démarcation entre lenormal et le pathologique en séance, où les productions dupatient sont recues avec une attention également flottantepar l’analyste.

Dans le champ de la pratique médicale, une questiond’apparence triviale se pose : celle de savoir si, dans lecontexte des limites d’un tel exercice, je peux prodiguer dessoins adaptés. Par exemple, face à un patient adulte suffi-samment malade, une hospitalisation peut être nécessaire ;ou encore face à un enfant dont les troubles semblent rele-ver d’un traitement multidisciplinaire, tels ceux effectuésen centre médico-psycho-pédagogique. Mais sont-ce là vrai-ment des questions éthiques ou relèvent-elles davantage dela déontologie et de l’art médical ? Sont en jeu les relationsentretenues par le praticien, entre sa furor sanandi — sa pas-sion de soigner — et le primum non nocere — d’abord ne pasnuire — !

La pratique en cabinet

Curieusement, la pratique en cabinet est sans doute un lieuoù une certaine extra-territorialité sociale est encore main-tenue, considérée sous l’angle de la discrétion. La pratiqueavec les enfants pose des problèmes spécifiques qui tiennentau statut de l’enfant tel qu’il s’est édifié pas à pas depuis ledébut du xxe siècle. L’immaturité de l’enfant suppose qu’unadulte s’occupe de lui, le plus souvent il s’agit du parent,et tant l’avancée des idées pédagogiques que la doctrinepsychanalytique ont mis en avant la possibilité d’une auto-nomie de l’enfant quant à son désir et donc sa parole. Laconfidentialité lui est également due dans les traitementsautant en regard des parents que parfois face à certainesévocations enfantines qui peuvent laisser penser à des exa-gérations. Si ce problème était simple à traiter, il ne seraitpas présent de manière si répétée dans les recommandationsrégulières du bulletin de l’Ordre des Médecins, qui veille àrappeler que chaque praticien ne peut rédiger des certificatsprécipitamment, sans un méticuleux discernement.

L’éthique de la psychanalyse concerne la formation dupsychanalyste, régie par des principes qui permettent àl’analyste d’exercer la méthode avec l’assentiment de lacommunauté qui le reconnaît. La formation, telle qu’elleest effectuée au sein des instituts de formations de sociétésse réclamant de l’International Psychoanalytic Association,s’appuie sur des règles qui régissent le cursus. Ainsi, néces-

Pour citer cet article : Tamet J-Y. Des lieux

http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.001

sité que l’analyste ait effectué une cure selon des conditionsprécises, respect des règles et des indications, validation parles pairs de la formation sont importants mais, de fait, c’estle code de déontologie médicale de chaque pays qui est le

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PRESS3

iatique utilisé pour discuter des manquements au secret oues pratiques transgressives.

Donc au terme d’un rapide tour d’horizon, je ne ressensas de malaise intense dans la pratique en cabinet qui neuisse être résolu par un regard appuyé en direction du codee déontologie médicale. Dans ce domaine les frontièresiennent. Pour conclure ce chapitre, cette longue citationmpruntée à Gilbert Diatkine [5] résume la question :

« L’Éthique de la psychanalyse, c’est donc de ne pas fairela morale à son patient, d’écouter tout ce qu’il dit sansporter de jugement, et de ne pas tirer partie du trans-fert pour son bien (ni pour le bien de l’analyste) maisde l’interpréter. S’il est fidèle à son éthique, le psycha-nalyste n’a pas à se mêler des problèmes moraux querencontre son patient, sinon pour les interpréter. »

Avant de passer à la pratique hospitalière, un aspectingulier lié au travail d’écriture et de publication propre

ces deux pratiques mérite d’être souligné. À partir duoment où publier est souhaité tant pour des nécessités de

echerche que de transmission ou de formation, nous pou-ons être amenés à parler de cas où un patient peut pensere reconnaître [6] (ceci est valable également pour les pho-ographies et les réalisateurs de films médicaux). Des procèsécents ont mis en avant cette difficulté grandement favori-ée par les moyens actuels de diffusion de l’information :eux-ci exigent de la vigilance face au risque de voir laonfidentialité bafouée. La difficulté réside alors dans leait que le travail clinique suppose pour être présenté avecincérité de pouvoir l’être dans un contexte de confiance.ette menace a un effet qui est fécond, celui de devoir faireéfléchir avec rigueur à la nécessité de présenter un cas et,i ceci s’effectue, de le réaliser avec une exigence claire-ent scientifique ménageant la discrétion qui vise que toute

econnaissance par un tiers soit impossible, telle est dans sesrandes lignes la jurisprudence actuelle.

e centre de référence des anomalies dea différenciation sexuelle

e contexte hospitalier du centre de référence des anoma-ies de la différenciation sexuelle, où le second exemplest puisé, concerne une équipe pluridisciplinaire regrou-ant endocrinologue, chirurgien et psychiatre s’occupante patients porteurs d’une ambiguïté sexuelle, associéeouvent à des troubles de la reproduction. Depuis uneoixantaine d’années, une sanction chirurgicale est venuearfois corriger des malformations anatomiques. Ces états,n effet, ne furent pris en compte par la médecine qu’à par-ir du moment où elle put avoir des réponses thérapeutiques,ar pendant longtemps elle n’eut comme intervention sures états que des commentaires médico-légaux [7]. Le tra-ail du Dr Tardieu, médecin expert dans le cas d’Herculinearbin, montre le type de traitement social qui était appli-ué alors [8]. Les traitements hormonaux ont radicalement

du malaise clinique. Éthique et santé (2014),

odifié l’approche faisant entrer pleinement ces troublesans la rubrique de situation médicale traitable et le gestehirurgical, en favorisant l’assignation vers le masculin et leéminin, est intervenu à son tour. Mais pendant ce temps, la

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ociété continuait son évolution avec des débats qui prirentnsensiblement le contre-pied de cette médicalisation. Enffet, évoluant surtout depuis les États-Unis mais relayén Europe en Allemagne, un courant soutint l’idée qu’êtrentersexué peut être une identité entre le masculin et leéminin et que le chirurgien ne devrait pas intervenir etevrait laisser se faire un développement jusqu’à ce quee sujet soit en situation de choisir [9]. Cette position, radi-ale et extrême dans son expression, soutient donc que leujet est maître de son corps et que, même dans le cas d’unnfant, il ne peut être permis aux parents d’intervenir ene domaine qui touche la constitution de l’identité sexuéeu sujet : c’est une position qui exclut le parent commeesponsable de son enfant en niant la situation d’infans duujet humain. Certains développements des Genders studiesnt donné un corpus théorique à cette opposition et désor-ais, surtout dans le monde anglo-saxon, en Allemagne

10], aux Pays-Bas et dans les pays nordiques, les chirur-iens sont dénoncés par des groupes de pression et soumis

de virulentes campagnes d’opinion, de nature à leur faireraindre des procès d’une part, mais ils sont aussi soumis

des cabales insupportables si d’aventure ils opèrent derès jeunes enfants. Ne rien changer, ne pas intervenir, sontréconisés : faire en sorte que le temps ne passe pas ?

Ceci rappelle qu’en médecine un geste ne peut être réa-isé que s’il a l’assentiment de la communauté humaine à unoment donné. Le cadre juridique et coutumier des soins

st souvent en retard sur les mouvements des mentalités11]. Nous avons ainsi mesuré, lors de contacts avec desollègues exercant dans des pays étrangers, que même sieur formation médicale avait été recue dans la traditione la médecine européenne, leur mode d’exercice devaitenir compte des mentalités du pays où ils retournaient exer-er : un article courageux d’une endocrinologue algérienne12], courageux car s’inscrivant dans un contexte de vio-entes tensions religieuses et politiques, illustre le conflite sa pratique. À Lyon, de part la variété du recrutementes patients mais également des pays où interviennent leshirurgiens [13] en dehors des frontières de l’hexagone, leshirurgiens ont été sensibilisés très tôt et ont vu poindreette évolution qui a fragilisé les conditions de la décision14]. Tant est si bien que pour asseoir l’autorité et la per-inence du geste chirurgical quand il semble nécessaire, leossier est désormais soumis au comité d’éthique, et par-ois il est vivement conseillé aux parents de rencontrer desembres du comité d’éthique1 pour que, au décours d’uneiscussion, le geste apparaisse validé par la communautéédicale à un moment donné et ce, dans un contexte où estrotégée la relation entre le patient et le médecin traitant.

Nous mesurons alors la rapidité avec laquelle les menta-ités évoluent et, en même temps, posent sous des aspectsifférents des questions qui ont toujours hanté les hommesur les voies de l’accession à la masculinité et à la fémi-ité : or la constitution de l’identité, les rituels sociaux qui

Pour citer cet article : Tamet J-Y. Des lieux

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onduisent de l’état d’enfance (état transitoire qui durene douzaine d’années environ) à l’état adulte, la fascina-ion trouble pour le monstrueux et l’exceptionnel ravivent

1 Merci au Dr Léon Sann, Président du comité d’éthique de l’HFME Bron (69) pour les documents divers transmis sur ce sujet et pouros échanges.

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PRESSJ.-Y. Tamet

es angoisses comme des interrogations sur les origines. Lesrontières sont vivement questionnées, celle située entre’âge enfantin et l’état adulte mais surtout celle établientre le masculin et le féminin. Il est curieux de voir que’homme a été très longtemps résistant, (sauf Rabelais pré-entant l’enfance de Gargantua et Heroard [15] observant leutur Louis XIII) à penser l’enfant comme ayant des tensionsexuelles appréciées à l’aune de son âge et la découverteuis la conceptualisation de la sexualité enfantine n’ontté abordées vraiment que depuis l’ouvrage de Freud, Troisssais sur la théorie sexuelle, paru en 1905 ; de même laisexualité psychique est une notion si dérangeante qu’elleoit être souvent réinstaurée pour saisir sa dualité à l’œuvreans le fonctionnement psychique. Si les vestiges anato-iques de l’autre sexe existent en chacun, les vestigessychiques du sexe que nous n’avons pas le sont égale-ent ! Les questions demeurent et, avec elles, les réticences

les poser ou à les envisager, les réticences à appré-ier leur évolution et les freins à oser déplacer les lignesui délimitent les coutumes : la curiosité de l’ethnologue,u du voyageur tel l’évoque Lévi-Strauss citant Hérodote,ous montre que nous trouvons le monde qui nous échappeomme étant « tout à l’envers » !. . . et de fait le monde’est-il pas toujours percu par chacun d’entre nous commetant à l’envers ?

a présence d’instance tierce

es pratiques humaines ont donc besoin d’instances tiercest collégiales qui, œuvrant comme un conseil de sages,égulent et délimitent la norme des gestes permis : ce n’estas un hasard que de remarquer que ces gestes qui appellentne régulation portent sur des lieux du corps à haute valenceexuée !

Autre question embarrassante, celle de la liberté’appréciation d’un enfant. À quel âge la raison lui vient-lle et qu’en est-il de la possibilité d’être sujet dans laommunauté et en quel domaine ? Les bornes de l’âge desifférentes majorités, sexuelle, citoyenne ont déjà changéu cours des années passées.

Dans le contexte de cette expérience au sein du Centree référence, les praticiens sont sensibles à la variété desituations au cours desquelles, selon l’origine et la culture,elon la religion revendiquée ou pas, la relation avec lesarents s’organise différemment. Il est difficile dans leontexte de la naissance, et de plus si l’enfant présente uneifficulté, d’établir une relation où chaque parent se senten mesure d’apprécier et de juger le discours du médecin.résent comme psychiatre sur cette scène, j’ai été atten-if à apprécier le niveau de compréhension de père ou deère troublés, à tenter d’apprécier si leur réaction émo-

ionnelle leur permettait de prendre ou non une décisionelon le consentement éclairé qui est souhaité : j’ai sou-ent pensé que c’est l’écoute qui était sollicitée plus qu’uneuelconque autorité porteuse de savoir. La notion de consen-ement fait comme si, de part et d’autre, médecin d’un côtét patient ou représentant du patient dans le cas d’enfant

du malaise clinique. Éthique et santé (2014),

e l’autre, étaient libres de leurs mots. Or l’écart d’aisancest immense entre le médecin et le patient et si, de plus,ne décision doit être prise dans un délai assez court et siroche de l’annonce, il y a peu de chance qu’elle échappe

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[médecin du dauphin, puis roi de France, Louis XIII. Paris:

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Des lieux du malaise clinique

à l’impact de vives réactions émotionnelles incluant deseffondrements. Mesurons encore une fois les dissymétriesà l’œuvre : une attitude qui ne poserait la question deséchanges que sous l’angle du contrat ou du parchemin àsigner nierait en somme la singularité de ce qui fonde depuisla nuit des temps la relation entre l’homme malade et lemédecin avec la présence en tiers de la maladie [16] et deses conséquences.

En introduisant dans cette relation médecin-malade, laplace des dimensions émotionnelles et de dépendance infan-tile présentes dans le transfert tant celui du patient que dumédecin, la psychanalyse a ouvert un débat des plus incon-venants ! Or la pratique se situe dans cette tourmente etles recommandations de la déontologie, si on les regardeà la loupe, ne visent souvent qu’à réguler des excès pos-sibles entre patients, famille et médecins sous l’angle d’unetrop grande proximité qui ferait oublier tout simplement lecontrat de base : ce que le patient demande au médecin etce à quoi celui-ci est engagé en retour dans sa pratique parla société qui le reconnaît. Nombre de problèmes souventprésentés comme « éthiques » ont d’abord comme sourceune incompréhension de taille entre l’équipe médicale et lafamille pour peu que la famille soit élargie et que l’équipemédicale n’ait pas apprécié les conflits entre ses membres.

Dans la démarche diagnostique et thérapeutique de cesétats cliniques où la question d’une intervention chirurgicaleest posée, les entretiens avec les patients ont consisté àpermettre qu’ils mesurent la situation et deviennent aptesà discuter le plus librement possible avec le chirurgien : faireen sorte que les effets de sidération de l’annonce, en eux etentre eux, s’atténuent. Il s’agit moins tant d’un problèmede soin psychique que de permettre l’ouverture à souteniren soi l’intolérable de devoir décider pour son enfant dansun domaine où il ne peut dire mot : en somme, être parentmais vu du côté de l’expérience de la servitude.

L’évocation de la clinique permet alors de voir où sesituent les épreuves qui font sourdre des tensions nomméeséthiques.

Pour citer cet article : Tamet J-Y. Des lieux

http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.03.001

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

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PRESS5

éférences

[1] Lévi-Strauss C. Nous sommes tous des cannibales. Paris: Seuil,Librairie du xxe siècle; 2013.

[2] Denis P. L’éthique du psychanalyste. Nouvelle revue de psycho-sociologie 2007;3:83—93 [Érès].

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[4] Sigmund F. Correspondance avec le pasteur Pfister 1909—1939.Paris: Gallimard; 1991. p. 49 [18 février 1909].

[5] Diatkine G. Les origines du sentiment moral chez l’enfant.L’éthique du psychanalyste Paris: PUF, Monographie et débatde psychanalyse; 2011. p. 129—42.

[6] Brusset B. L’éthique dans la formation des psychanalystes.L’éthique du psychanalyste Paris: PUF, Monographie et débatde psychanalyse; 2011. p. 143—58.

[7] Maranon G. L’évolution de la sexualité et les états intersexuels.Paris: Gallimard; 1931.

[8] Tamet J-Y. Se représenter puis se nommer. Dif-férenciation sexuelle et identités In press; 2012.p. 18—27.

[9] À qui appartiennent nos corps ? Nouvelles Questions Féministes2008;27(1) [Antipodes, Lausanne].

10] (a) Wiesermann C, et al. Ethical principles and recom-mandations for the medical management of diffrence ofsex developpement intersex chlidren and adolescents. Eur JPediatr 2010;169(6):671—9;(b) Westenfelder M. Medical and legal aspects of treating ambi-gous genitalie. Urologe A 2011;50(5):593—9.

11] Attitude à adopter face aux variations du développementsexuel ; questions éthiques sur l’intersexualité prise de posi-tion n◦20/2012. Berne: Commission nationale d’éthique pourla médecine humaine; 2012.

12] Chitour-Bourmendjel F. Ambigüités sexuelles et choix iden-titaire : quelle citoyenneté ? no 22/23. Naqd, Alger,2007,p. 80—90.

13] Mouriquand P. From Docteur to Mister : un survol de deuxcultures médicales. e-mémoires de l’Académie Nationale deChirurgie 2012;11(4):049—51.

14] Mouriquand P. S’asseoir dehors. Différenciation sexuelle etidentités In press; 2012. p. 53—65.

15] Héroard J. In: Foisil M, editor. Le Journal de Jean Héroard,

du malaise clinique. Éthique et santé (2014),

Fayard; 1989.16] Fainzang S. La Relation médecins/malades : information et

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