Upload
margo
View
212
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
BOOK REVIEW
Des Rapports Entre Droit et Science
S. Jasanoff: Le droit et la Science en Action (Textes Reunis,Traduits et Presentes par O. Leclerc) Pairs, Dalloz Rivages duDroit 2013, 206 p., ISBN 978 2 247 12586 9
Margo Bernelin
� Springer Science+Business Media Dordrecht 2014
«Le droit et la science en action», ce titre est la parfaite illustration les domaines
d’interets de l’auteure dont les textes ici presentes, Sheila Jasanoff, et ceux de
l’auteur de la traduction et de la presentation des dits textes, Olivier Leclerc. Ce
livre publie aux editions Dalloz dans la collection Rivages du droit est une selection
et une traduction de cinq textes ecrits par Sheila Jasanoff, sociologue des sciences
americaine, Pforzheimer Professor of Science and Technology Studies au sein de la
tres prestigieuse Universite de Harvard. Ses travaux s’interessent principalement au
role de la science et des technologies au sein des societes contemporaines et
notamment a leurs interactions avec le droit et la politique. Sheila Jasanoff n’est pas
seulement sociologue, ce que rappelle a juste titre par Olivier Leclerc dans
l’introduction de l’ouvrage. Titulaire d’un doctorat en linguistique, elle est avocate
et a exerce dans le contentieux de l’environnement avant de se tourner vers la
sociologie. Cela explique l’interet de Sheila Jasanoff pour les interactions entre le
droit et la science et sa comprehension des imperatifs juridiques. Elle a publie de
nombreux ouvrages de references, notamment Science at the bar: Law, Science and
Technology [3]. Olivier Leclerc, qui a selectionne et traduits les textes de S.
Jasanoff, est lui charge de recherche au CNRS. Il partage les interets de S. Jasanoff,
mais du point de vue d’un juriste, notamment en ce qui concerne l’expertise et la
preuve, themes eminemment scientifiques.
Olivier Leclerc a selectionne, ici, trois chapitres d’ouvrages et deux articles ecrits
par S. Jasanoff entre 2001 et 2007. Ces textes sont presentes sous forme de
chapitres. Les deux premiers chapitres operent un rappel des differents travaux du
courant des «Science Studies» (l’analyse sociale des sciences) et plus
M. Bernelin (&)
Chargee d’enseignements, Centre d’Etudes Juridiques Europeennes et Comparees (CEJEC),
Universite Paris Ouest Nanterre la Defense, Nanterre, France
e-mail: [email protected]; [email protected]
M. Bernelin
DIM IS2-IT, Region Ile-de-France, France
123
Int J Semiot Law
DOI 10.1007/s11196-014-9375-8
particulierement des Science and Technology Studies (STS, analyse de la science et
de la technique par des outils de science sociale) dans lequel s’inscrivent les
recherches de S. Jasanoff. Ces deux chapitres decrivent les grands traits des
reflexions des differents auteurs du domaine, le tout commente par S. Jasanoff. Ces
chapitres donnent au lecteur des clefs pour comprendre les notions utilisees par les
Sciences and Technology Studies et permettent d’ouvrir une porte sur ces travaux.
Le troisieme chapitre est peut etre celui qui interessera le plus le juriste, le bercant
dans un environnement familier: les decisions de justice. Sheila Jasanoff explore,
dans ce texte, la construction judiciaire des biotechnologies aux Etats-Unis,
analysant trois decisions de principe. Enfin, les deux derniers chapitres se
concentrent sur l’expertise et la preuve. Ces textes concernent, respectivement, la
legitimite de l’expert et l’interpretation, par les juges americains, de la fiabilite des
preuves scientifiques.
Ces cinq textes offrent une vision des differents travaux de Sheila Jasanoff et plus
largement une vision des apports du(des) courant(s) des STS, ce qui etait l’une des
ambitions de cet ouvrage. En effet, l’objectif de cette selection de textes et de cette
traduction est de permettre la diffusion de ces travaux a un public francophone.
Cette traduction semble en effet necessaire, tant les juristes francais apparaissent
ignorer les demonstrations des STS pour se cantonner a une etude tres schematique
et cloisonnee des liens entre droit et science. Cet ouvrage tend a creer un pont entre
les recherches en STS et la recherche juridique. Olivier Leclerc offre dans
l’introduction de ces textes des pistes de reflexions pour ‘‘esquisser des prolong-
ements de ces analyses dans le domaine de la theorie du droit’’ (p. 20). Reprenant un
constat dresse par S. Jasanoff, Olivier Leclerc explique que les STS et la theorie du
droit ont manque leur rendez-vous, ne nouant guere de relations. Pourtant pour O.
Leclerc, tout comme pour S. Jasanoff, la demarche des STS peut se rapprocher de
celle des theories realistes du droit, toutes deux envisageant la. En effet, si le courant
realiste s’interesse aux pratiques des juges dans la production du droit, les STS
s’interessent au role du droit et des juges dans la production des connaissances
scientifiques. On pourrait egalement ajouter que le rapprochement pourrait tout
aussi bien etre opere entre les STS et le courant de la sociologie du droit tant le
contexte social predomine dans les analyses des STS. Aussi, de maniere generale,
l’analyse juridique pourrait s’inspirer des STS et s’enrichir d’une etude des
conditions juridiques rendant possible la formation des connaissances scientifiques.
Il y aurait alors trois benefices attaches a cette demarche. Premierement, O. Leclerc
souligne qu’une telle approche permettrait de replacer l’etude du droit parmi les
sciences sociales comme outil d’analyse des phenomenes sociaux. Deuxiemement,
cette demarche permettrait de mettre en lumiere le potentiel d’analyse critique du
droit, ou le recours a la deconstruction serait particulierement pertinent. Le dernier
benefice anticipe par O. Leclerc est une incitation a une plus grande reflexivite au
sein de la science du droit. Fort de cette invitation a la decouverte, le lecteur peut
debuter son immersion au sein de STS par un premier chapitre introduisant les
grands traits des travaux portant sur les interactions entre droit et science.
Le premier chapitre, intitule ‘‘Ordonner le monde: le droit et la science en
action’’ [8], debute par un enonce de la volonte sous-jacente des STS: rendre compte
des interactions entre le la science et le contexte social, culturel, politique ou le droit
M. Bernelin
123
s’inscrit. Les objectifs des recherches ont ete de trois ordres. Tout d’abord,
expliquer comment s’etablissent les faits scientifiques utilises par le droit;
comprendre comment certaines notions, telles que la causalite, la raison ou encore
la justice, sont utilisees par le droit et, enfin, comprendre comment les scientifiques
concourent au travail des juristes. Le droit est ici compris comme un element
influencant une science socialement situee. S. Jasanoff facilite le travail du lecteur
en explicitant les partis pris majeurs de ces recherches. Pour ces dernieres, le droit et
la science ne seraient pas des institutions etrangeres l’une a l’autre mais
partageraient des points communs. Ainsi, le premier parti pris des travaux en
STS est la prise en compte d’une symetrie dans l’analyse des pratiques juridiques et
scientifiques. Le deuxieme parti pris est que le droit et la science sont deux
institutions hautement culturelles qui interrogent les relations entre pouvoir et
savoir. Enfin, dernier parti pris des travaux en la matiere est de s’eloigner des
representations que les professionnels du droit et des sciences se font d’eux memes.
Apres cette explication des idees qui sous-tendent les travaux, S. Jasanoff s’efforce
de classifier les travaux et propose quatre lignes directrices, quatre axes de
recherche privilegies. Le premier axe est le plus ancien et concerne les interactions
entre science et droit. Ces interactions representent ici leurs points communs:
semantique (utilisation du mot loi), le rapport a la nature (parallele avec le courant
jusnaturaliste), la necessite de penser sur le fondement de faits (questions de
validite, legalite). Le deuxieme axe de recherche concerne l’autorite, c’est-a-dire
l’autorite du droit sur la science et inversement, l’autorite de la science dans le
domaine juridique. Le troisieme axe de recherche des STS concerne l’epistemologie
et plus precisement la maniere dont le droit contribue a etablir des procedures qui
permettront d’etablir des faits scientifiques. Enfin, le dernier axe de recherche
s’interesse aux enceintes ou se produisent les interactions entre droit et science. Il
convient de revenir plus longuement sur le deuxieme axe de recherche distingue par
S. Jasanoff. En effet, ce dernier se revele particulierement instructif pour les juristes
francais.
Cet axe de recherche est relatif aux questions de l’autorite des deux domaines.
Ici, l’auteure distingue cinq thematiques de recherche developpees par les STS. La
premiere concerne l’idee d’un retard que le droit aurait sur la science. Cette idee est
tres souvent reprise par la doctrine francaise depuis le debut des annees 1990. Des
1957 les sociologues se sont interesses a cette question et ont pu conclure dans les
annees 1980 que le droit n’etait pas toujours en retard. Prenant pour exemple le role
des juges, S. Jasanoff demontre qu’il existe une asymetrie entre le droit et la
science, asymetrie qui peut expliquer l’idee de retard du droit. Pour l’auteure,
l’innovation n’est pas valorisee en droit, pour preuve le juge doit justifier le
changement de regle qu’il serait amene a creer, alors que le phenomene inverse se
produit en science ou l’innovation est valorisee. Pour S. Jasanoff, les juristes ont une
vision deterministe de la science et accreditent, en consequence, la these du retard.
Il peut etre note ici que S. Jasanoff prend seulement en compte le role des juges dans
la production normative au sein un pays de Common Law. Neanmoins, l’idee de
retard est avancee par la doctrine francaise par rapport au role normatif du
Parlement. L’objet de la critique n’est donc pas le meme, neanmoins ce passage ne
manquera pas d’attirer l’attention des juristes francais et peut-etre leur curiosite. Le
Des Rapports Entre Droit et Science
123
deuxieme domaine recherche, dans l’axe concernant l’autorite, est intitule «le choc
des cultures». Ici, les travaux des STS se sont efforces de rapprocher les deux
domaines en montrant qu’ils partent d’un postulat proche: l’existence de frontieres
diverses. Le troisieme domaine est, lui, beaucoup plus enferme a l’interieur des des
Etats-Unis, et est intitule la «crise». Les STS se sont interrogees, dans un systeme
accusatoire, sur l’amplification des contentieux, notamment medicaux, necessitant
un appel aux expertises variees au cours des proces. Ici, sont a l’honneur les etudes
faisant le lien entre l’amplification du contentieux et la production correspondante
de preuves dont la fiabilite a ete remise en question (reference a la «junk science»).
Toujours dans le theme du proces, le quatrieme espace de recherche est intitule «la
deference» et fait reference au role du juge face a l’objet scientifique au cours des
proces. Enfin, le cinquieme domaine, peut-etre l’un des plus importants pour
l’auteure, est «la coproduction». L’idee est qu’il existe des processus de
coproduction dans lesquelles le droit interagit avec la science. Ainsi, les etudes
ont montre que «ce que l’on sait en science depend dans une large mesure de choix,
prealables ou concomitants, sur la maniere dont on a decide de connaıtre» (p. 49).
L’auteure developpe une idee tres peu repandue dans la doctrine juridique francaise,
selon laquelle le droit influence la formation des normes scientifiques. S. Jasanoff
rapproche alors, a juste titre, cette demarche de celles de deux courants de l’etude du
droit: Law and Economics et les Critical Legal Studies.
Le second chapitre du livre se detache quelque peu de la question des interactions
entre droit et science. Il s’intitule «Ordonner les connaissance, ordonner la societe»
[5]. Ce chapitre n’est pas pour autant deconnecte de la trame du livre. En effet, il
vient approfondir l’approche, ou plutot, la «grammaire de la coproduction». Cette
grammaire se veut opposee a toute idee de determinisme de la science ou du droit et
veut mettre en lumiere la complexite des elements qui influencent le developpement
de la science et de la technologie. La grammaire de la coproduction milite alors
activement pour la prise en compte d’elements sociaux dans l’analyse de la science.
En effet, «la science et la societe, en un mot, sont coproduites, chacune soutenant
l’existence de l’autre» (p. 76). Comme dans le texte precedent, S. Jasanoff opere une
classification des travaux en STS utilisant cette grammaire. Elle decrit alors deux
courants: un courant constructiviste et un courant interactionniste. Le courant
constructiviste s’interesse a l’emergence de nouvelles institutions et se centre sur la
maniere dont sont pris en compte des elements provenant de la nature ou de la
societe. L’apport de ce courant, selon l’auteure, est de refuter tout determinisme du
social sur le scientifique et inversement dans la production d’un ordre dans la nature
et dans la societe. Le courant interactionniste s’interesse, lui, aux conflits au sein de
nouvelles institutions socio-technologiques et aux modes d’adaptation des etres
humains face a ces dernieres. Ici, les recherches se sont centrees sur les questions
d’expertise et de reception des resultats scientifiques. S. Jasanoff guide alors le
lecteur et etablit une revue de litterature relative a ces deux domaines de recherche.
L’auteure precise que la coproduction ne vise pas a fournir des explications sur
l’influence de la science sur la societe et inversement, mais a proposer des outils
pour «penser les processus de creation du sens par lesquels les etres humains se
saisissent de mondes ou la science et la technologie sont devenues omnipresentes»
(p.113).
M. Bernelin
123
S. Jasanoff distingue dans ce chapitre quatre «instruments» de la coproduction.
Le premier d’entre eux est la production d’identite, cela permet de donner du sens,
d’ordonner, analyser le role des acteurs, par exemple le role de l’expert. Le
deuxieme instrument est la production d’institutions, c’est-a-dire la mise en lumiere
d’institutions conferant des identites, utilisant des postulats. Cela cree un cadre
d’analyse pour la coproduction. Le troisieme instrument est la production de
langage. L’ordonnancement passe par le langage, que ce soit par la creation d’un
mot ou par la modification d’un sens deja attribue a une semantique. Enfin, le
quatrieme instrument est celui de la production de representations science dans le
but de la rendre intelligible. S. Jasanoff conclu, ce texte, en enumerant les apports de
la grammaire de la coproduction. Ce passage est certainement essentiel pour
comprendre l’interet de cette approche. Pour l’auteure, la grammaire de la
coproduction est d’une richesse descriptive, mettant en valeur la complexite des
interactions et soulevant des questions nouvelles. De plus, l’approche permet
d’adopter une posture critique. Autre benefice, la coproduction autorise une analyse
de l’exercice du pouvoir au sein de nouvelles institutions socio-technologiques.
Enfin, elle favorise des conclusions predictives, bien que selon S. Jasanoff cette
capacite soit limitee.
Le troisieme chapitre de l’ouvrage, «Ordonner le vivant: le droit et la regulation
des biotechnologies» [4] sort de la logique de synthetisation des recherches en STS
pour apporter une analyse de la jurisprudence americaine (federale et federee)
concernant les biotechnologies. Ce texte est probablement celui qui interessera le
plus les juristes francais specialistes des sciences et techniques. Le chapitre explore
le theme de la nouveaute et de la nature. C’est a l’aune de ces notions que les
innovations dans le domaine des biotechnologies pourraient etre appreciees par les
juges. Pour l’auteure, les cours de justice sont des observatoires privilegies
d’acceptation, ou de rejet, par la societe de nouvelles technologies repoussant les
frontieres du «naturel» dans un contexte d’incertitude quant a leurs risques. Ce
chapitre permet de mettre en lumiere le role actif, bien souvent sous-estime par la
doctrine francaise, des juges dans les controverses liees aux biotechnologies. Ici,
l’etude de S. Jasanoff porte sur trois affaires au retentissement mondial. Pour
l’auteure, la ligne directrice d’une etude de telles decisions est de considerer, non
seulement des decisions, mais aussi «le contexte qui a permis leur adoption, les
termes dans lesquelles elles ont ete formulees, les interpretations qu’elles ont
ecartees et celles qu’elles ont retenues» (p. 135). Ces trois arrets ont en commun de
porter sur les notions centrales de «nouveaute» et de «nature».
S. Jasanoff commence par une etude de l’affaire Diamond v Chakrabarty de la
Cour Supreme des Etats-Unis [2], relative a la brevetabilite d’un organisme vivant
genetiquement modifie. Dans cet arret la question est de savoir si «des organismes
vivants comme des bacteries ou des souris, auparavant classes parmi les produits de
la nature», pouvaient etre fabriques et consideres comme des «inventions» (p. 136).
La reponse de la Cour Supreme des Etats-Unis fut positive. L’interet, pour l’auteure,
n’est pas tant l’issue de la decision, que le raisonnement ayant permis d’y parvenir.
S. Jasanoff decrit, ici, les arguments souleves par les parties devant la Cour
Supreme, ainsi que ceux retenus par cette derniere. L’argument central est celui de
la nouveaute. Deux positions s’affrontent alors. La premiere soutient que le domaine
Des Rapports Entre Droit et Science
123
de la biologie moleculaire est nouveau et controverse, necessitant en consequence
une modification de la loi federale par le Congres. La seconde position defend,
d’une part l’idee selon laquelle les brevets ont necessairement pour raison d’etre de
soutenir l’innovation et donc la nouveaute, et d’autre part que les techniques de
manipulations moleculaires ne sont que le prolongement d’autres procedes de
manipulation du vivant. Ainsi, une modification de la loi par le Congres est inutile et
l’invention en question peut faire l’objet d’un brevet sur le fondement du droit en
vigueur. Cette seconde position est retenue par la majorite des juges de la Cour
Supreme et les conduit a appliquer une loi de 1790 a une technologie developpee au
XXe siecle.
L’auteure poursuit, ensuite par l’etude de l’’affaire Moore v. Regent of the
University of California [10]. Dans cette espece, la Cour Supreme de l’Etat de
Californie refuse de reconnaıtre un droit de propriete sur des cellules humaines dont
le titulaire serait la personne prelevee de ses cellules. Ici, S. Jasanoff s’est focalisee
sur le rejet par la Cour de ce droit de propriete a la personne dont les cellules sont
issues, alors qu’en parallele, le brevet depose sur ces memes cellules, c’est-a-dire un
droit de propriete intellectuelle etait, lui, reconnu. Pour l’auteure, cette asymetrie est
frappante. Alors que dans l’affaire Moore, c’est bien la nouveaute des pretentions
soutenues qui a conduit la Cour a rejeter l’idee d’un droit de propriete sur des
cellules, dans le cas des brevets c’est cette meme nouveaute qui fonde l’obtention
d’un titre de propriete intellectuelle.
Pour finir, l’auteure etudie la decision Johnson v. Calvert [9] relative a la
gestation pour autrui. Dans cette espece, se retrouvent en concurrence des parents
«genetiques» et une mere de substitution. Cette derniere avait recu l’insemination
d’un ovule feconde d’un couple et, a la naissance de l’enfant, refusa d’executer le
contrat de gestation et de donner l’enfant au couple. La lecture de l’auteure
s’interesse a l’ordre naturel et social impose par la Cour Supreme de Californie. La
decision fait droit aux parents genetiques et non pas a la mere de substitution.
S. Jasanoff releve que pour la Cour Supreme de Californie, l’ordre naturel est donc
celui determine par les genes et non pas celui dicte par le fait de porter un enfant.
Pour la Cour, l’element determinant est la volonte des parents biologiques de
concevoir l’enfant. L’auteure souleve egalement que l’ordre social, qui decoule du
raisonnement de la Cour, fait primer les interets d’un couple dont la situation
economique est favorable que celle de la mere de substitution.
Ainsi ces trois affaires ont ete rassemblees dans ce texte car elles sont similaires.
Le droit positif, ainsi que les notions de «nouveaute» et de «nature» ont ete
mobilisees pour repondre a des questions nouvelles et cantonner les problematiques
a de simples applications du droit en vigueur. Cela a permis d’ecarter des questions
relatives a la reification du corps humain et de ses elements. L’analyse discursive
proposee par S. Jasanoff permet une analyse critique des decisions et de les replacer
dans un contexte que le juriste serait tente d’exclure.
Les deux derniers chapitres du livre s’interessent, quant a eux, a l’expertise et a la
preuve. Le chapitre IV est intitule «Le jugement en question: les trois problemes de
la legitimite de l’expert» [6]. Ce texte debute par le constat que les questions posees
aux experts dans des domaines controverses necessitant une politique publique,
peuvent rarement appeler des reponses tranchees faute de connaissances suffisantes
M. Bernelin
123
et disponibles. Pourtant, leurs avis sont eminemment attendus. Mais parce qu’ un
avis scientifique ne peut etre exact, la question qui se pose est celle de la credibilite
de l’expert qui rend un avis. Pour l’auteure, la mise a profit de la science pour
atteindre des objectifs sociaux met en lumiere des partis pris scientifiques qui ont
une influence sur l’autorite des experts. Apres une etude du debat sur l’examen par
les pairs au sein des politiques publiques americaines, l’auteure s’interesse aux
pratiques de legitimation des experts mises en place au Royaume-Uni et en
Allemagne. S. Jasanoff montre dans ce passage que les mecanismes de legitimation
des experts sont culturellement situes. Ainsi, en Allemagne, une attention toute
particuliere est portee a la representativite territoriale au sein des comites d’experts.
Au Royaume-Uni, la legitimite de l’expert repose, elle, sur ses qualites
professionnelles mais aussi sur sa capacite a se mettre au service du public. Cet
enseignement permet a l’auteure de mieux analyser le systeme americain, systeme
profondement fonde sur la reconnaissance professionnelle. S. Jasanoff milite alors
pour une reflexion plus theorique sur la legitimite de l’expertise prenant a la fois en
compte les connaissances des experts, leurs partis pris possibles et les processus
d’etablissement de leurs avis. Selon l’auteure, une telle reflexion devrait permettre
une meilleure visibilite dans la chaine des responsabilites en matiere de decision
publique et favoriser la democratie.
Le dernier chapitre de l’ouvrage, «Ce que sait le droit: la science au service de la
decision de justice» [7] concerne la recevabilite des preuves scientifiques devant les
cours de justices americaines. L’auteure revient sur l’arret Daubert [1] qui est
fondamental en ce qu’il a clarifie les conditions de recevabilite des preuves mettant
un terme aux divergences d’appreciation des juges des circuits federaux. Cet arret
pose les criteres de validite de la preuve scientifique suivants: la technique ou la
theorie etablissant la preuve doit pouvoir etre testee, elle doit etre reconnue, elle doit
avoir ete soumise a l’examen des pairs et son taux d’erreur doit etre connu.
S. Jasanoff voit dans cet arret un glissement du role du juge, maıtre de la preuve
pouvant refuser la production de certaines preuves scientifiques. Selon elle, cette
posture est critiquable sur trois points. S. Jasanoff montre en premier lieu que les
contraintes pesant sur l’etablissement des faits par la justice (ethiques, pratiques) et
par les sciences sont de nature differente. Ainsi, la transcription des criteres
scientifiques dans les decisions de justice apparaıt intenable. Ensuite, les juges ne
sont pas formes pour apprecier la recevabilite des preuves sur le fondement des
quatre criteres enonces. Enfin, et de maniere encore plus eclatante, l’auteure pose la
question des consequences que cette vision de la science implique pour la charge de
la preuve. En exigeant que les quatre criteres soient remplis l’attention semble
detournee d’autres elements telle que la raison pour laquelle certaines connaissances
scientifiques n’existent pas et imposent aux parties une preuve plus couteuse.
L’auteure conclut son propos sur une note negative, mettant en exergue le decalage
entre ce constat et l’objet d’une decision: rendre la justice.
Cette selection et ces traductions de textes permettent de remplir l’objectif que
s’etait fixe O. Leclerc, a savoir rendre accessible, a un public francophone, les ecrits
de Sheila Jasanoff et plus largement ouvrir une porte sur les Science and
Technology Studies. Ces textes s’adressent, a l’origine, a un public familier des
STS, en consequence leur lecture par un juriste francais necessitera un certain
Des Rapports Entre Droit et Science
123
investissement. Neanmoins, ces textes ne manqueront pas d’interesser, voir de
federer aussi bien les theoriciens du droit, que les specialistes du droit des
biotechnologies, de la bioethique ou encore les specialistes de procedure civile. Le
lecteur devra rester attentif au contexte d’ecriture et, ainsi, prendre un certain recul
sur les apports de textes centres sur les Etats-Unis. Toutefois, les idees de justice et
de democratie, ainsi que la critique de la «deference aveugle au critere scientifique»
(p. 181), auront pour effet—peut-on l’esperer—de rassembler les lecteurs franc-
ophones et de susciter une curiosite vis-a-vis des STS.
References
1. Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, 509 U.S. 579, 1993.
2. Diamond v. Chakrabarty, 447 U.S. 303, 206 USPQ 193, 1980.
3. Jasanoff, Sheila. 1995. Science at the bar: Law, science and technology. Cambridge: Harvard Uni-
versity Press.
4. Jasanoff, Sheila. 2001. Ordering life: Law and the normalization of biotechnology. Politeia
XVII(62): 34–50.
5. Jasanoff, Sheila. 2004. Ordering knowledge, ordering society. In State of knowledge. The copro-
duction of science and social order, ed. S. Jasanoff (dir.), 12–43. London: Routledge.
6. Jasanoff, Sheila. 2005a. Judgement under siege: The three-body problem of expert legitimacy. In
Democratization of expertise? Exploring novel forms of scientific advice in political decision-making,
ed. S. Maasen and P. Weingart. Dordrecht: Springer, coll. Sociology of the Sciences 24: 209–225.
7. Jasanoff, Sheila. 2005. Law knowledge: Science for justice in legal settings. American Journal of
Public Health 95(S1): S49–S58.
8. Jasanoff, Sheila. 2007. Making order: Law and science in action. In Handbook of science and
technology studies, 3rd ed, ed. E. Hackett, O. Amsterdamska, M. Lynch, and J. Wajcman,
1761–1786. Cambridge: MIT Press.
9. Johnson v. Calvert, 5 Cal.4th 84, 851 P.2d 776, 1993.
10. Moore v. Regents of the University of California, 51 Cal. 3d 120, 271 Cal. Rptr. 146, 793 P.2d 479,
1990.
M. Bernelin
123