Deux Siecles de La Rethorique Revolutionnaire

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Deux Siecles de la Rethorique Revolutionnaire

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  • Observatoire du Management AlternatifAlternative Management Observatory

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    Fiche de lecture

    Deux sicles de rhtorique ractionnaireAlbert O. Hirschman

    1991

    Brice Jeullin - Mai 2012Majeure Alternative Management HEC Paris 2011-2012

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 1

  • Deux sicles de rhtorique ractionnaire

    Cette fiche de lecture a t ralise dans le cadre du cours Histoire de la critique donn par ve Chiapello et Ludovic Franois au sein de la Majeure Alternative Management, spcialit de troisime anne du programme Grande cole dHEC Paris.

    Fayard, Paris, 1991.Premire date de parution de louvrage : 1991.

    Rsum : Dans son livre de 1991, qui est aussi une contribution personnelle au progressisme, Albert O. Hirschman tudie en dtail les techniques rhtoriques utilises par les conservateurs pour sopposer aux rformes progressistes. Il retrace lutilisation et les origines intellectuelles de trois procds rhtoriques jusquau dix-huitime sicle : leffet pervers, linanit et la mise en pril. En outre, il souligne le fait que le discours progressiste nchappe pas ce phnomne et suggre ainsi des moyens damliorer la qualit du dbat public dans les socits dmocratiques.

    Mots-cls : Argumentation, Histoire des ides politiques, Progressisme, Changement

    The Rhetoric of Reaction: Perversity, Futility, Jeopardy

    This review was presented in the Histoire de la critique course of Eve Chiapello and Ludovic Franois. This course is part of the Alternative Management specialization of the third-year HEC Paris business school program.

    Fayard, Paris, 1991 Date of first publication : 1991

    Abstract : In his 1991 book that was also a personal contribution to progressivism, Albert O. Hirschman details the various rhetorical devices which conservatives have used to prevent progressive reforms. Hirschman traces the use and the intellectual origins of three rhetoric patterns, perversity, futility and jeopardy, back to the 18th century. Moreover he highlights the fact that progressive speech is not immune to this phenomenon and thereby suggests ways to improve the quality of public debate in democratic societies.

    Key words : Argumentation theory, History of political ideas, Progressivism, Change

    Charte Ethique de l'Observatoire du Management AlternatifLes documents de l'Observatoire du Management Alternatif sont publis sous licence Creative Commons http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/fr/ pour promouvoir l'galit de partage des ressources intellectuelles et le libre accs aux connaissances. L'exactitude, la fiabilit et la validit des renseignements ou opinions diffuss par l'Observatoire du Management Alternatif relvent de la responsabilit exclusive de leurs auteurs.

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  • Table des matires

    1. Lauteur et son uvre...........................................................................................................4

    1.1. Brve biographie...........................................................................................................41.2. Place de louvrage dans la vie de lauteur.....................................................................6

    2. Rsum de louvrage.............................................................................................................7

    2.1. Plan de louvrage.........................................................................................................7 2.2. Principales tapes du raisonnement et principales conclusions...................................7

    3. Commentaires critiques......................................................................................................17

    3.1. Avis dautres auteurs sur louvrage...........................................................................17 3.2. Avis de lauteur de la fiche........................................................................................18

    3.2.1. Les apports.............................................................................................................183.2.2. Les limites...............................................................................................................23

    4. Bibliographie slective de lauteur ...................................................................................26

    4.1. Ouvrages :..................................................................................................................26 4.2. Articles :.....................................................................................................................26

    5. Rfrences............................................................................................................................27

    5.1. Ouvrage :....................................................................................................................27 5.2. Articles :.....................................................................................................................27

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  • 1. Lauteur et son uvre

    1.1. Brve biographie

    N en 1915 Berlin, Albert Otto Hirschman quitte lAllemagne suite larrive au pouvoir

    des Nazis. Il arrive en France o il poursuit ses tudes HEC et la Sorbonne. Il tudie aussi

    la London School of Economics puis dcide, en 1936, de rejoindre lEspagne pour

    combattre le Franquisme. En 1938, tudiant lUniversit de Trieste, il obtient son doctorat

    dconomie. Contraint de quitter lItalie, il retourne en France o il se porte volontaire pour

    rejoindre larme franaise. Aprs la dfaite, il participe lexfiltration vers lEspagne de

    personnes menaces. En 1940, il quitte lEurope pour les tats-Unis o il obtient une bourse

    de recherche de la Fondation Rockefeller et travaille lUniversit de Berkeley. En 1943, il

    repart en Afrique du Nord et ensuite en Europe avec larme amricaine puis en tant que

    responsable pour lEurope de lOuest et le Commonwealth de la rserve fdrale amricaine,

    dans le cadre du Plan Marshall. En 1952, il devient conseiller conomique de Conseil national

    de la planification de la Colombie. Il retourne vers luniversit en 1956, et travaille

    conscutivement Yale, Columbia, Harvard et lInstitute of Advanced Studies.

    Les premiers travaux reconnus dHirschman datent des annes 1960 et concernent le Tiers-

    Monde et la problmatique du dveloppement, avec des voyages en Amrique Latine et en

    Afrique. Le positionnement quil adopte dans ces travaux peut tre considr comme

    htrodoxe : il clbre son objet, le dveloppement, comme une pope ; il multiplie le

    recours des disciplines comme la psychologie, la philosophie ou la linguistique et se donne

    pour but la formulation de prconisations de politiques publiques1. Ses travaux aboutissent

    un cadre conceptuel, celui de la croissance dsquilibre qui suggre que, puisque la

    croissance est un processus complexe, discontinu et htrogne lchelle dune conomie, il

    faut privilgier linvestissement dans des secteurs fort effet dentranement, tels lindustrie

    lourde. Les travaux dHirschman comme ceux de lconomiste franais Franois Perroux

    1 Edey-Gamassou Claire, Albert O. Hirschman : aperu de ses apports aux sciences de gestion en gnral et au management public en particulier, Contribution au sminaire du RECEMAP sur les Grands Auteurs en Management Public, juin 2005

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 4

  • ouvrent la voie la thorie des industries industrialisantes dont sinspireront des pays comme

    lAlgrie nouvellement indpendante.

    Les travaux dHirschman se poursuivent avec ltude du dclin dans les firmes, tats et

    organisations et la formulation du modle qui est sa contribution intellectuelle la plus

    fameuse, savoir le triptyque Exit, Voice, Loyalty 2. Cette contribution sera perue en

    France comme essentiellement sociologique tandis quelle nourrira aux tats-Unis des

    analyses se rattachant aux sciences de gestion et au marketing. Un exemple de cet apport,

    fourni par Frdric Dromby, est celui de lExit slectif des clients exigeants [qui] diminue

    lincitation au maintien de la qualit dans un contexte o une entreprise en situation de

    monopole se voit confronte larrive dun produit innovant3. Cette grille de lecture des

    comportements dun acteur face la dgradation perue dune organisation, qui laisse le

    choix entre la dsertion (exit), la protestation (voice) ou la loyaut (loyalty) reste

    abondamment reprise et enseigne dans le champ des sciences sociales.

    Un troisime et dernier apport intellectuel de luvre dHirschman concerne lhistoire des

    ides et, nouveau, la sociologie des organisations. Cette branche de luvre dHirschman, la

    plus proche du livre dont il est question ici, est marque par deux ouvrages relatifs aux

    microfondements dune socit dmocratique 4 : Les passions et les intrts : justification

    politiques du capitalisme avant son apoge, publi en 1977 et Bonheur priv, action publique,

    publi en 1982. Le premier concerne lvolution du regard port sur lintrt individuel et la

    faon dont il est devenu lun des fondements du capitalisme et lune des choses les plus

    lgitimes dans lordre social. Le second ouvrage sintresse, lui, aux arbitrages raliss par les

    individus entre poursuite de leur intrt individuel et action au service du bien public. Dans

    les deux cas, il sagit donc denvisager la profondeur de lindividu dmocratique, qui ne se

    rsume pas un acteur rationnel optimisateur et de mieux comprendre les conditions de

    possibilit dune socit dmocratique en termes de rgulation du comportement des

    individus qui la composent. On peut considrer que Deux sicles de rhtorique ractionnaire

    prolonge cette rflexion car, comme cela sera explicit plus loin, cet ouvrage sintresse aussi

    aux conditions de possibilit du dbat dmocratique. Mais cela ne doit pas masquer le fait que

    cet ouvrage sautonomise fortement au sein de luvre dAlbert O. Hirschman.

    2 Hirschman A. Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Harvard University Press, 19703 Dromby F. Albert O. Hirschman, telle un clible mouvante, Revue franaise de gestion, 2007/8, n177, P174 Hirschman A. Un certain penchant lautosubversion, 1995, p 195, cit par Ceratton C. et Frobert L. LEnqute inacheve : Introduction lconomie politique dAlbert Hirschman , PUF, 2003, p204

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 5

  • 1.2. Place de louvrage dans la vie de lauteur

    Deux sicles de rhtorique ractionnaire occupe, dans luvre dHirschman, une position

    part. Cet ouvrage conserve certes plusieurs traits de luvre dHirschman, parmi lesquels le

    recours une grande varit dinspirations disciplinaires : le livre est ainsi marqu par

    linfluence de lhistoire des ides, mais aussi par celle de lconomie politique et de la

    psychologie sociale. Comme une importante partie de luvre dHirschman, cet ouvrage est

    aussi imprgn par la volont de donner des outils pour laction, en loccurrence pour laction

    politique et le dbat dides, plus que par un got pour la formalisation de modles exhaustifs

    ou pseudo-scientifiques dintelligibilit de problmes sociaux.

    Pour autant, ce livre qui parat en 1991 est, plus que le reste de luvre dHirschman, un

    ouvrage qui tient beaucoup aux circonstances de lpoque laquelle il a t crit. Lobjectif

    dHirschman, qui se dfinit lui-mme comme un progressiste, est essentiellement de dminer

    la rhtorique des conservateurs et de librer le progressisme des chanes dun discours

    conservateur qui paralysent les propositions progressistes et les empchent de prosprer dans

    le dbat public. Ce livre se prsente donc autant comme une contribution intellectuelle,

    notamment lhistoire des ides, que comme une uvre engage contre ce que Hirschman

    considre comme le danger du moment : le tournant nolibral et sa remise en cause de ltat-

    providence.

    Louvrage, par son caractre particulirement personnel, semble marquer en dfinitive une

    transition dans luvre dHirschman vers des crits dimension plus fortement

    autobiographique et qui questionnent le positionnement du scientifique et de lhomme engag

    la fois par rapport la connaissance et par rapport laction au service du bien public.

    Quatre ans aprs le livre tudi ici, Hirschman publie Un certain penchant lautosubversion,

    qui, poursuivant le livre de 1991 consacr des ides reues, se penche sur le got de lauteur

    pour le processus qui conduit se faire une opinion en doutant et en questionnant les ides

    prconues, avant de soumettre nouveau lopinion adopte un examen critique. Cest en

    dfinitive cette posture intellectuelle qui fait chez Hirschman le lien entre lengagement

    progressiste du citoyen et lengagement intellectuel du chercheur.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 6

  • 2. Rsum de louvrage

    2.1. Plan de louvrage

    Avant-propos

    Chapitre premier - Deux sicles de rhtorique ractionnaire

    Chapitre 2. La thse de leffet pervers

    Chapitre 3. La thse de linanit

    Chapitre 4. La thse de la mise en pril

    Chapitre 5. Les trois thses dans lhistoire : comparaisons, combinaisons

    Chapitre 6. De la rhtorique de la raction la rhtorique du progrs

    Chapitre 7. Au-del de lintransigeance

    2.2. Principales tapes du raisonnement et principales

    conclusions

    Louvrage dbute par un avant-propos qui permet de comprendre lintention de lauteur.

    Hirschman regrette que le sentiment inquitant dtre coup non pas simplement des

    opinions, mais de lexprience vcue dune trs grand nombre de ses contemporains [soit] un

    trait caractristique des socits dmocratiques modernes 5. Cest notamment entre

    conservateurs et progressistes que lauteur diagnostique une telle incapacit communiquer,

    qui dbouche sur une incomprhension radicale de lautre.

    Cette incapacit communiquer, Hirschman crit lavoir ressenti face la monte en

    puissance des noconservateurs dans les annes 1980. Soucieux de ragir cet assaut ,

    Hirschman se donne pour objet non pas un suppos temprament conservateur quil sagirait

    de dnoncer mais les types de discours conservateur. Avec cette dcision de [s]en tenir

    la surface des choses de [s]essayer une analyse froid , purement historique et logique,

    des types de discours, de raisonnement et de rhtorique utiliss par les conservateurs,

    Hirschman espre viter lcueil que constituerait une essentialisation de ladversaire. Plus 5 Hirschman A. Deux sicles de rhtoriques ractionnaire, Fayard, 1991, p9

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 7

  • prcisment, il se donne pour objet ce quil appelle les impratifs du raisonnement dans le

    discours conservateur, cest--dire un ensemble de briques de sens se prsentant comme des

    relations logiques mobilises par les conservateurs pour structurer et appuyer leurs discours.

    Lintuition dHirschman est que le recours ces impratifs du raisonnement ossifie le

    discours conservateur autant quil le sert et quil obre, in fine, les chances de pouvoir tablir

    un vritable dialogue dmocratique entre conservateurs et progressistes.

    Dans un premier chapitre, Hirschman fixe le cadre de sa rflexion, fort substrat

    historique : pour structurer son propos, il recourt au modle squentiel dvelopp par le

    sociologue britannique T.H. Marshall dans sa confrence de 1949 sur le dveloppement de

    la citoyennet en Occident. Cet auteur distingue trois dimensions de la citoyennet quil

    associe trois phases historiques : le dix-huitime sicle aurait vu linstauration des droits

    civils (libert de parole, de pense, de religion, etc. assimilables aux droits de lhomme) puis

    le dix-neuvime sicle aurait t celui de la conqute des droits politiques et plus

    particulirement du droit de vote ; le vingtime sicle, enfin, tant celui de la conqute des

    droits conomiques et sociaux. Hirschman ajoute ce modle lide que chaque avance

    progressiste se serait heurte un mouvement de raction qui aurait tent de sy opposer.

    Sappuyant sur cette grille de lecture historique emprunte T.H. Marshall, Hirschman

    apporte sa propre grille de lecture de la rhtorique ractionnaire laide de laquelle il va

    examiner chacune des ractions associes aux phases historiques identifies. Cette grille de

    lecture ne doit pas tromper, elle ne vise pas lexhaustivit : elle fournit plutt un outil pour

    dceler travers les ges des motifs similaires dans le discours conservateur. Elle se prsente

    sous la forme dun triptyque : leffet pervers, linanit et la mise en pril. A chaque avance

    progressiste, les conservateurs mobiliseront une ou plusieurs de ces thses pour discrditer

    les propositions progressistes. Ce sont ces trois thses qui donnent leur structure louvrage,

    avec un chapitre consacr chacune.

    Avant den venir aux dveloppements relatifs leffet pervers, il convient ici de prciser

    un point de vocabulaire : Hirschman explique en cette fin de premier chapitre son choix du

    terme de raction et du qualificatif de ractionnaire qui est prsent jusque dans le titre de

    louvrage. Le choix dHirschman sexplique par limportance conceptuelle du couple action-

    raction dans sa vision de lhistoire. Lauteur a conscience du caractre pjoratif qua pris le

    terme de raction, notamment la suite de la Rvolution franaise. Il dplore que le terme ait

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 8

  • pris une telle connotation ngative mais ne renonce pas lutiliser, au contraire de ce que

    nous faisons ici6.

    Le second chapitre est donc consacr la thse de leffet pervers. Cette ide relve, au

    mme titre que linanit ou la mise en pril, de ce que Hirschman appelle lanalyse des effets

    non voulus des actions humaines. Il sagit donc dune astuce par laquelle les conservateurs

    nattaquent pas de front les desseins des progressistes, dont ils peuvent mme louer la puret,

    mais au contraire les effets induits par les rformes progressistes. En loccurrence, leffet

    pervers suggre que les rsultats de ces actions seront linverse des progrs attendus. Chacune

    des grandes tapes de Marshall a vu la mise en place dune rhtorique des effets pervers :

    La premire phase voit la formation de la thse de leffet pervers dans les crits

    notamment dEdmund Burke, dans ses Rflexions sur la Rvolution en France de

    1790. Burke formule pour la premire fois lide que certaines tentatives

    dinstauration de la libert conduisent immanquablement la tyrannie 7. Cette ide,

    qui semblera confirme par la Terreur, les guerres et lmergence de la dictature de

    Napolon, se rpandra rapidement en Europe, notamment dans les textes de Schiller et

    Mller. Particulirement intressante est lanalyse que fait Hirschman des origines

    intellectuelles de cette thse : Burke, inspir par les philosophes cossais du dix-

    huitime sicle, aurait puis lide de la Main invisible chez Adam Smith et laurait en

    quelque sorte retourne. Sous la plume de Burke, ce ne sont ainsi plus les vices privs

    qui ont un effet vertueux pour la collectivit mais la vertu progressiste qui se trouve

    assortie deffets pervers.

    Une autre origine importante de la thse de leffet pervers se trouve chez Joseph de

    Maistre, qui dans ses Considrations sur la France en 1796 estime que la Providence

    condamne les responsables (progressistes) de la Rvolution tomber sous les coups

    de leurs complices . Cette image dune Providence vengeresse, prenant plaisir

    djouer les projets de lhomme et dont les desseins ne seraient accessibles qu un

    petit nombre dinitis accrdite lorigine clairement religieuse de la thse de leffet

    pervers.

    6 Le choix des termes conservateur et conservatisme en lieu et place des termes ractionnaire et raction dans le cadre de cette fiche sexplique par plusieurs raisons. Il sagit notamment de mnager le lecteur qui pourrait se sentir en porte--faux si lon employait le vocabulaire choisi par Hirschman. Il sagit en second lieu de prendre en compte la spcificit franaise, reconnue par Hirschman lui-mme, qui a vu le terme de raction se charger de connotations particulirement ngatives dans notre pays (on soulignera toutefois que ce choix na pas t opr par le traducteur). Il sagit enfin de prendre la distance critique ncessaire par rapport au texte de Hirschman qui dcrit, en dernire analyse, des discours qui sont ni plus ractionnaires que conservateurs .7 Hirschman A. Deux sicles de rhtoriques ractionnaire, Fayard, 1991, p2

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 9

  • La rhtorique de leffet pervers se dploie aussi lors de la deuxime phase, celle qui

    voir la conqute du droit de vote. La contribution la plus importante la rhtorique

    conservatrice est celle de Gustave Le Bon, qui, dans sa Psychologie des foules publie

    en 1895, sinspire des travaux de lpoque dans le domaine de la mdecine et de la

    psychologie pour tablir une stricte distinction entre lindividu, le plus souvent

    accessible la raison et la foule : Peu aptes au raisonnement, les foules sont au

    contraire trs aptes laction , voire au dbordements criminels si on les y incite. Ce

    faisant, Le Bon apporte un argument ceux qui sopposent lextension du droit de

    vote aux masses populaires, fondamentalement dangereuses.

    Linstauration de droits sociaux sest aussi heurte la rhtorique de leffet pervers.

    Lexemple canonique est celui des effets pervers attribus au salaire minimum. Milton

    Friedman a ainsi pu crire que les lois sur les salaires minimaux [] constituent

    sans doute lexemple le plus parlant que lon puisse trouver dune mesure dont les

    effets sont exactement loppos de ceux quen attendaient les hommes de bonne

    volont qui la soutenaient8 . Mais lapparition de la thmatique de leffet pervers en

    matire conomique et sociale remonte pour Hirschman au dix-neuvime sicle et aux

    dbats sur les Poor Laws anglaises : pour les opposants ces lois, comme Burke,

    Malthus ou Tocqueville, et les partisans du Poor Law Amendment Act de 1934 qui a

    remplac les mesures dassistance des Poor Laws par des mesures denfermement

    dans des workhouses, lassistance conduisait au dveloppement de la pauvret car elle

    incitait loisivet. La thmatique de leffet pervers des mesures conomiques et

    sociales sera au vingtime sicle au cur de la critique de ltat-providence telle que

    la mneront des auteurs comme Charles Murray, Jay W. Forrester ou Nathan Glazer.

    Hirschman conclut cet important chapitre sur leffet pervers par une srie dobservations

    sur cette thse. Il revient dabord sur la nature de leffet pervers pour prciser quil ne sagit

    pas simplement dune variante de la consquence non voulue ou dune consquence ngative

    parmi dautres consquences dune action : leffet pervers ne laisse place aucun doute sur

    les rsultats de la rforme et sur le bilan en tirer. La rforme progressiste conduira

    immanquablement un recul. Cest ici que lon peut dceler un saut cognitif : dsormais, il ne

    sagit plus dune dmarche rationnelle de prvision des consquences possibles dune action ;

    il sagit dun procd rhtorique par lequel on jette le discrdit sur une ide sans lexaminer

    plus avant. Hirschman revient ensuite sur les origines religieuses du concept deffet pervers,

    quil fait remonter au couple Hubris-Nmsis : la volont pour lhomme de slever au rang

    8 Friedmann M. Capitalisme et libert, 1971, P225 cit par Hischman, p 51

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 10

  • du divin (Hubris), le condamnant la vengeance divine (Nmsis). Une autre remarque

    intressante concerne le prestige et la fiert quprouvent ceux, comme de Maistre, qui la

    Providence a permis de dchiffrer ses desseins vengeurs. Lorsque de Maistre crit qu il est

    doux, au milieu du renversement gnral, de pressentir les plans de la Divinit 9, Hirschman

    y voit un sentiment de leur supriorit quprouveraient les conservateurs et que lon

    pourrait rapprocher de lide de distinction.

    Le troisime chapitre aborde la thse de linanit. Cette thse est pour les progressistes

    la plus mortifiante selon Hirschman car elle postule que quelles que soient les actions

    quils puissent entreprendre, rien de changera lordre du monde. Il est nouveau possible de

    retracer la gnalogie de cette thse selon les tapes du dveloppement de la citoyennet de

    Marshall :

    La premire expression de la thse de linanit mentionne par Hirschman

    concerne une interprtation rtrospective de la Rvolution franaise, celle de

    Tocqueville. Dans LAncien Rgime et la Rvolution, Tocqueville entreprend en

    effet de souligner la large part de continuit entre lAncien Rgime et la

    Rvolution, notamment en ce qui concerne le processus de constitution de ce que

    lon peut dsigner sous le terme dtat moderne. Hirschman voit dans cet apport

    de Tocqueville une premire expression de la thse de linanit teinte toutefois de

    progressisme, puisque les volutions dcrites sont considres comme Tocqueville

    comme invitable.

    La seconde expression de la thse de linanit, dans le domaine des droits

    politiques, trouve son origine dans les travaux des thoriciens de llite que

    sont Gaetano Mosca et Vilfredo Pareto qui lvent au rang de rgle immuable le

    fait que les socit se divisent entre gouvernants et gouverns, entre une lite

    dirigeante et ce qutant donn le prisme thorique des deux auteurs on pourrait

    appeler le reste . Cette thorie a permis Mosca de prophtiser avec un certain

    succs le devenir du projet communiste: les socits communistes et

    collectivistes seraient sans aucun doute gres par des fonctionnaires 10. Pareto

    donnera lui naissance ce qui sera appel la loi de Pareto qui prtendra dfinir

    une relation immuable dingalit dans la distribution des revenus. Les travaux de

    Roberto Michels viendront complter lapport thorique des deux auteurs avec

    9 De Maistre J. Considrations sur la France, 179610 Hirschman A., op. cit, p 92

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 11

  • lnonciation en 1911 dune loi dairain de loligarchie qui pose que les

    organisations de masse sont invariablement domines par des oligarchies qui

    poursuivent ainsi leur intrt propre.

    Concernant les droits sociaux et ltat-providence, la thse de linanit trouvera

    sappliquer en dclinant dans le domaine de lconomie politique les thories de

    llite de Mosca, Pareto et Michels. La contribution la plus remarquable de ce

    point de vue est celle de George Stigler, prix Nobel dconomie et membre de

    lcole de Chicago, qui formula en 1970 la loi de Director sur la distribution des

    revenus publics qui pose que les dpenses publiques servent principalement les

    intrts des classes moyennes. Cette frange de la population aurait russi vincer

    les pauvres du jeu politique et, matrisant le pouvoir donc le systme fiscal,

    chercherait financer les dpenses en prlevant des impts importants sur les

    riches. Cette analyse, reprise et dcline par Milton et Rose Friedman et Gordon

    Tullock sera applique pour dnoncer par exemple, notamment dans les travaux de

    Martin Feldstein, la tromperie que constitue le rgime dassurance chmage

    lorsquil prtend aider les pauvres. Si Hirschman ne nie pas quune politique

    publique puisse occasionnellement profiter dautres que ses destinataires

    affichs, il replace ce fait dans un contexte plus large et contredit ainsi la thse de

    linanit : dcrivant les volutions des politiques du logement dans les pays en

    dveloppement, il met en vidence le fait que les politiques publiques sont

    soumises un processus continu qui questionne leur pertinence comme leur

    efficacit et roriente le plus souvent laction quand celle-ci natteint pas la cible

    vise.

    Hirschman procde nouveau en donnant quelques lments danalyse gnraux de cette

    thse de linanit. Linanit est tout dabord compare leffet pervers : la diffrence de

    leffet pervers, elle se distingue par une volont de nier ou minimiser le changement. Elle

    participe, contrairement leffet pervers qui insiste sur limprvisibilit des consquences des

    actions humaines pour le plus grand nombre, dune vision dun monde qui serait rgi par des

    lois immuables. Tandis que leffet pervers tait ptri de religiosit, linanit est

    fondamentalement une rhtorique scientiste. Par ailleurs, linanit apparat bien plus blessante

    que leffet pervers pour le progressiste : Hirschman mentionne comme exemple ce sujet

    lmergence de la nouvelle conomie classique qui, par le jeu des anticipations rationnelles, a

    conclu linanit des politiques keynsiennes, dont les effets pouvaient tre immdiatement

    annuls par les agents.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 12

  • Hirschman semploie ensuite critiquer cette thse de linanit : il dfend lide que les

    tenants de cette thse concluent trop tt linanit des rformes progressistes, cartant la

    possibilit dun apprentissage et dun redressement. Il met aussi en vidence le fait que

    linanit sexpose particulirement des phnomnes dautoralisation (lorsque les

    progressistes se dmobilisent la socit devient, comme prvu, moins progressiste) mais aussi

    dautorfutation (lorsque la thse de linanit conduit une mobilisation accrue ayant pour

    but de faire mentir la rgle honnie).

    Hirschman rvle enfin la convergence des discours conservateur et dextrme gauche

    autour de la question de linanit, les membres de lextrme gauche considrant eux aussi le

    systme de domination comme quasi-immuable. Pour lauteur, cette vision ignore quil existe

    ncessairement une diffrence entre les objectifs dune action et ses consquences et peut

    mme, trop faire le portrait dun ordre immuable, se rvler dangereuse.

    Le quatrime chapitre est consacr la thse de la mise en pril. Cette thse soutient

    lide que le progrs dans les socits humaines est si problmatique que tout nouveau

    pas en avant porte gravement atteinte une ou plusieurs conqutes (droits, liberts,

    garanties) antrieures 11, quon ne pourrait donc construire dun ct sans dtricoter de

    lautre. Passe au crible du modle de Marshall, cette thse se traduit de deux manires :

    La premire mise en pril est celle de la libert, mise en danger par la dmocratie au

    cours de la seconde phase de Marshall. Cette thse est plus particulirement exprime

    par Benjamin Constant qui, dans son Discours sur la libert des Anciens compare

    celle des Modernes de 1819, formule lide que la libert des Anciens, libert-

    participation, est difficilement compatible avec celle des Modernes, dfinie comme la

    scurit dans les jouissances prives. La thse de la mise en pril des liberts par la

    dmocratie trouvera plus particulirement sappliquer dans les rformes lectorales

    anglaises de 1832 et 1867. En 1832, lintroduction dun suffrage censitaire suscita

    linquitude des Whigs et des Tories craignant lanantissement de la Couronne et

    des Pairs et se rfugiant dans ce que lhistorien J.R.M Butler, cit par Hirschman, a

    appel le culte de la constitution britannique . En 1867, au moment dun nouvel

    largissement du droit de vote, cette fois aux classes populaires, les mmes arguments

    seront utiliss par des hommes politiques comme Robert Lowe pour lutter contre cette

    nouvelle vague de dmocratisation alors mme, comme le souligne Hirschman avec

    malice, que la rforme de 1832 navait eu aucun effet dsastreux.

    11 Hirschman A., op. cit, p141

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 13

  • Hirschman signale aussi une importante variante de cette thse avec la premire

    application de la thse de la mise en pril dans le domaine conomique. Largument,

    dvelopp la fin du dix-neuvime sicle en Angleterre, consistait suggrer que si la

    dmocratie progressait, le peuple sopposerait la fois au libre-change qui tait

    considr comme la source de la prosprit britannique et au progrs technique, la

    manire des Luddites.

    Prolongeant lide dune mise en pril, lide dincompatibilit entre diffrentes

    liberts et caractristiques nationales va se dvelopper en Europe. Constant, ainsi que

    Fustel de Coulanges, contribueront opposer libert des Anciens et libert des

    Modernes. Puis les intellectuels nationaux europens seront amens faire le choix

    dune libert plutt que de lautre dans la dfinition des supposs caractres

    nationaux, renforant cette ide dincompatibilit: prix de sa grande propension la

    libert intellectuelle, lAllemand serait ainsi, pour un auteur comme Max Scheler, peu

    prdispos la libert politique.

    La seconde mise en pril est celle de la dmocratie, ou de la libert, voire des deux,

    par ltat-providence. Ce motif est notamment dessin par Friedrich Hayek en 1944

    dans La Route de la servitude et surtout dans The Constitution of Liberty en 1960. Il y

    dcrit ltat comme une perptuelle menace pour la libert et la dmocratie anime par

    un projet socialiste qui, sil a perdu la visibilit du planisme, nen reste pas moins

    luvre au sein de ltat. Il considre que ds lors que ltat est en situation de

    monopole pour une activit, la libert est gravement menace 12.

    La poursuite de lattaque de ltat-providence verra des auteurs originaires de la

    gauche comme James OConnor essayer de souligner les contradictions du

    keynsianisme avant que la thse de la mise en pril se stabilise autour de la notion de

    surcharge (overload) supporte par ltat du fait des politiques sociales. Samuel

    Huntington, dans un rapport de 1973 la Commission trilatrale intitul The Crisis of

    Democracy conclura ainsi une crise de la gouvernabilit engendre par

    lexpansion de laction de ltat. Si cette notion a, selon Hirschman, disparu aussi vite

    quelle tait apparue, lide que le trop dtat menace ltat lui-mme, la

    dmocratie et la libert, reste donc au cur de la critique de ltat-providence.

    Les commentaires gnraux que Hirschman rserve la thse de la mise en pril

    concernent dabord son statut cognitif : Hirschman considre la mentalit de somme nulle

    comme une survivance atavique emprunte de superstition et finalement peu loigne de la

    12 Hayek, F. The Constitution of Liberty, 1960 p289-290, cit par Hirschman p185

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 14

  • croyance en lHubris et la Nmsis. Il sattache ensuite montrer quil existe entre la mise en

    pril et son antithse, le soutien rciproque entre deux rformes, un grande diversit de

    possibilits intermdiaires et quen consquence il y a quelque chose de grossier conclure

    immdiatement la mise en pril quand les effets de lintrication de deux rformes sont le

    plus souvent ambigus.

    Dans un chapitre 6, Hirschman sintresse la comparaison des thses exposes

    prcdemment (et rappeles dans le tableau ci-dessous) et leur articulation, notamment

    dans le temps :

    Hirschman souligne quil apparat que leffet pervers, dide neuve lorigine est

    devenu un argument rflexe mobilis tout moment.

    En termes de compatibilit, Hirschman relve que malgr leur incompatibilit de

    principe, les thses de leffet pervers et de linanit sattirent mutuellement et sont

    invoqus par les mmes acteurs au mme moment alors mme que des combinaisons

    plus intuitives sont mobilises moins souvent.

    Hirschman dtaille aussi dautres modes darticulation plus complexes car inscrits

    dans le temps, notamment entre inanit et mise en pril.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012

    Argument mergence des liberts individuelles

    mergence de la dmocratie

    mergence de ltat-Providence

    Mise en pril G. CanningR. LoweH. MaineFustel de CoulangesM. Scheler

    F. HayekS. P. Huntington

    Effet pervers E. BurkeJ. de MaistreA. Mller

    G. le BonH. Spencer

    Adversaire des Poor LawsPartisans nouvelle Poor LawJ. W. Forrester, N. GlazerC. Murray

    Inanit G. MoscaV. ParetoJ. F. Stephen

    G. StiglerM. FeldsteinG. Tullock

    15

  • Louvrage se conclut avec des chapitres 6 et 7 qui traitent de la rhtorique progressiste et

    du dialogue dmocratique.

    Hirschman trouve dans le discours progressiste lexistence de procds rhtoriques

    apparents ceux dcrits jusquici. Il sagit notamment de la synergie ou du soutien

    rciproque qui suppose a priori un effet globalement positif de linteraction entre deux

    rformes progressistes. La thse du pril imminent, qui obligerait adopter la rforme

    sans prendre le temps de peser le pour et le contre soppose elle aussi ce que

    Hirschman qualifie d attitude mre . La certitude dtre du ct de lhistoire et de

    percevoir les lois du mouvement de lhistoire humaine, cest--dire lhistoricisme,

    ferait aussi parti des effets rhtoriques de prdilection des progressistes.

    Lescalade enfin, rhtorique de la fuite en avant qui dcide dignorer radicalement

    la possibilit deffets pervers est le dernier effet rhtorique recens par Hirschman

    dans le discours progressiste.

    Dans un chapitre conclusif intitul au-del de lintransigeance , Hirschman propose

    enfin de replacer les rhtoriques quil a identifies dans le cadre plus gnral du dbat

    public. Elles apparaissent alors comme des variantes extrmes des positions

    conservatrices et progressistes, des rhtoriques de lintransigeance qui empchent

    le dialogue. Face cela, Hirschman appelle de ses vux un dpassement des positions

    extrmes et un dbat public plus philodmocratique , objectif auquel concourt la

    meilleure comprhension du rle darguments conus pour interdire tout dialogue.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 16

  • 3. Commentaires critiques

    3.1. Avis dautres auteurs sur louvrage

    Louvrage dAlbert O. Hirschman a bnfici ds sa sortie dune large reconnaissance,

    notamment du fait de son apport de la distinction entre les trois thses de la rhtorique

    ractionnaire. Stanley Hoffman a ainsi pu saluer un livre dune intelligence admirable,

    original et provocateur, o se retrouvent lagilit intellectuelle et lengagement au service

    des ides de progrs que lon connat Hirschman 13.

    Au moment de sa parution, le livre dAlbert O. Hirschman a suscit un dbat dans les

    cercles intellectuels franais. Lincursion dHirschman dans le domaine de lhistoire de la

    Rvolution franaise ne pouvait que susciter des ractions tant la question de lhritage

    rvolutionnaire occupait une position centrale dans les recompositions idologiques luvre

    dans le milieu intellectuel, la suite des travaux de Franois Furet notamment. En 1992, la

    revue Le Dbat a ainsi accueilli la publication du livre dHirschman avec un article de

    Raymond Boudon auquel a rpondu Albert Hirschman lui-mme.

    La rception du livre dHirschman par Boudon14, intellectuel reprsentatif dune certaine

    partie des milieux intellectuels franais, peut tre qualifie dexcrable tous points de vue.

    Confondant leffet non-intentionnel et la consquence ngative avec leffet pervers, procd

    rhtorique qui peint en noir une ralit fondamentalement grise, Boudon entreprend de

    rhabiliter leffet pervers et den trouver des traces dans luvre dHirschman. Il se lance

    ensuite dans des explications caractre pistmologiques ayant pour but de dfendre les

    lois mises mal par Hirschman. Sil souligne ensuite, raison, que le triptyque propos

    par Hirschman peut paratre simplificateur, il caricature nouveau le propos en ignorant

    largement les dveloppements que Hirschman rserve aux rhtoriques progressistes et va

    jusqu nier quil y ait une spcificit de la rhtorique conservatrice. Hirschman dans sa

    rponse15 crira se sentir face au texte de Boudon comme le fameux moustique dans un

    camp de nudistes , ne sachant pas par o commencer.

    13 Hirschman A.. op. cit. Quatrime de couverture14 Boudon R. La rhtorique est-elle ractionnaire ? Le Dbat, 1992/2, n69, p87-95.15 Hirschman A. Largument intransigeant comme ide reue, rponse Raymond Boudon , Le Dbat, 1992/2, n69, p96-102.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 17

  • 3.2. Avis de lauteur de la fiche

    3.2.1. Les apports

    Les apports pour le dmocrate

    Lapport principal dHirschman est de proposer des outils pour dbarrasser le dbat public

    dartifices rhtoriques qui empchent de penser les problmes publics. Leffet pervers de

    ces outils rhtoriques tant abondamment document, il serait envisageable dengager une

    lutte contre lutilisation de ces formules au nom de la qualit du dbat public.

    Derrire ce quil faut liminer, Hirschman propose aussi une vision particulirement

    qualitative et attractive du dbat public et de la prise en compter des problmes publics. Cest

    une vision fonde sur la rationalit et le dialogue qui nest pas sans voquer les thories de

    Jrgen Habermas. Cest aussi une vision de la prise en compte des problmes publics

    empreinte dune conscience du besoin de rflexivit et dun dsir damlioration perptuelle.

    In fine, Hirschman propose de rompre avec le manichisme et la vision agonistique du

    dbat public ce qui semble particulirement opportun lheure o cest plutt la vision de Lo

    Strauss, fonde sur la dsignation dun adversaire et lentretien dun sentiment daltrit

    radicale, qui semble inspirer certains discours publics.

    Les apports pour le progressiste

    Rinventer un progressisme rformiste et lui redonner linitiative

    Louvrage dAlbert O. Hirschman sattache dminer la rhtorique qui soppose aux

    avances progressistes. Ce positionnement mme est rvlateur dun certain contexte

    historique, o lon pouvait encore penser que le mouvement tait du ct du progressisme. Si

    louvrage avait t crit aujourdhui, il est probable que lobjet dtude dHirschman aurait t

    la rhtorique ractionnaire non seulement dopposition de nouvelles avances progressistes

    mais de remise en cause des avances existantes.

    Si loptimisme qui transparat dans le texte dHirschman ne semble pas naturel

    aujourdhui, tant le progressisme sest retrouv dans une position dfensive depuis le tournant

    libral, il nen reste pas moins que peuvent tre dduits de lanalyse dHirschman un certain

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 18

  • nombre dlments de nature refonder le progressisme, le librer des piges rhtoriques

    dans lequel il est parfois tomb et, in fine, lui faire regagner lavantage.

    Ce qui apparat la lecture du texte dHirschman, cest que le progressisme sest laiss

    captiver par la rhtorique ractionnaire, et notamment celle des effets pervers. Les critiques du

    progressisme ont russi faire passer le cot des rformes progressiste pour leur bilan global,

    cest--dire la partie pour le tout. Leffet de ce doute jet sur les rformes progressistes a t

    de les bloquer, ce qui a fait perdre linitiative aux progressistes. Hirschman donne la cl pour

    remdier cela : cette cl est extrmement simple mais, pour autant, elle est souvent oublie.

    Il sagit du bilan cots-avantages. Hirschman ne nie en effet pas quune rforme progressiste

    puisse avoir un cot. Ce quil dnonce, cest le raccourci qui est opr lorsque ce cot, quil

    faudrait comparer lavantage retir, se transforme par le jeu de leffet pervers en bilan

    globalement ngatif de la mesure. A contrario, lattitude adopter devrait donc tre de faire

    srieusement le bilan cots-avantages des mesures proposes, sans se laisser obnubiler par des

    cots grims en effets pervers. Pour dire les choses plus simplement, lenseignement que livre

    Hirschman aux progressistes est le suivant : Remettez toutes les options sur la table ! . Il

    sagit en effet de ne plus tre a priori effray par les effets pervers possibles dune

    augmentation du salaire minimum, des minima sociaux, par la diminution de la dure du

    travail, par la nationalisation dune entreprise ou par le fait pour la banque centrale de prter

    ltat mais denvisager sereinement lopportunit quil y a conduire de telles rformes dans

    un contexte donn et de peser le pour et le contre. Ce nouvel esprit du progressisme que le

    texte dHirschman engage imaginer serait de nature donner un nouvel lan un

    progressisme rformiste critiqu pour son manque dambition et qui, parfois, a pu faire passer

    des prsupposs de nature ractionnaire pour une thique de responsabilit.

    Les consquences de ce changement de moteur du progressisme dans le jeu politique

    pourraient se rvler intressantes : tant donn quil nest peu probable que les tenants du

    rformisme parfois qualifi de gestionnaire , qui a longtemps prvalu, ne puissent ni ne

    veuillent adopter lattitude intellectuelle ncessaire la pratique de ce progressisme

    dcomplex, une des consquences possibles de lmergence du nouveau progressisme

    pourrait tre de transfrer ltiquette du progressisme de nouveaux acteurs. Des acteurs

    autrefois considrs comme contestataires ou critiques pourraient tre les mieux placs et les

    mieux disposs intellectuellement pour agir avec le pragmatisme radical requis par le nouveau

    progressisme. Concrtement, et pour sessayer la politique-fiction, le jeu politique pourrait

    tre boulevers comme il vient de ltre en Grce o les lecteurs ont mis en tte du camp

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 19

  • progressiste au cours des rcentes lections lgislatives un parti originaire de la gauche

    radicale diffrent du parti de gouvernement progressiste historique.

    Rexaminer avec un regard critiques les propositions progressistes contemporaines

    Lun des apports de Hirschman est quil conduit sinterroger sur les prsupposs des

    propositions de rformes qui peuvent tre formules aujourdhui. Dans quelle mesure

    certaines dentre elles sont elles, derrire leur apparence progressiste, inspire par la

    rhtorique conservatrice ? La question peut se poser tant le parallle est vident entre le

    discours conservateur sur les Poor Laws anglaises et le discours sur les trappes pauvret ou

    inactivit, appliqu en particulier aux minima sociaux et lindemnisation du chmage. Ces

    mcanismes qui ont pour cur leffet pervers sont au centre de rformes visant par exemple

    lactivation des dpenses passives dans le domaine de lemploi ou encore la

    responsabilisation des chmeurs ou des bnficiaires des minima sociaux par la

    conditionnalit des aides. Si elles se parent dune forme de scientificit, mme si les effets de

    telles rformes restent sujet dbat, le livre de Hirschman rappelle que leur origine

    intellectuelle nest pas ncessairement aussi rationnelle que leurs partisans pourraient le

    prtendre.

    In fine, la lecture dHirschman conduit un rexamen critique des mesures prsentes

    comme progressistes. Sont-elles les rponses les plus rationnelles aux besoins sociaux ou

    sappuient-elles en fait sur des prsupposs conservateurs comme celui du chmage

    volontaire ? Le texte dHirschman engage oprer un tel droit dinventaire dans la gamme

    des propositions progressistes et considrer avec une plus grande circonspection celles qui

    semblent avoir pour cur des prjugs conservateurs pour la simple raison qutant issue

    dune rflexion peu soucieuse de la ralit, elles pourraient tre de fausses rponses de faux

    problmes. Le revenu de solidarit active (RSA), qui accorde une place centrale lincitation

    financire au retour lemploi, nchapperait par exemple pas un tel examen critique.

    Raliser le cot de linertie induit par un esprit du temps conservateur

    Le mouvement naturel qui conduit chercher actualiser lanalyse dHirschman conduit

    un certain sentiment daccablement. Alors quHirschman pouvait en 1991 encore esprer que

    la raction nolibrale finisse par refluer comme avaient reflu avant elle les ractions aux

    diffrentes phases de progrs de la citoyennet dfinies par Marshall, un tel optimisme parat

    aujourdhui dplac. Le tournant nolibral sest vritablement install, il a conquis jusquaux

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 20

  • forces politiques reprsentant le progressisme, comme lillustre la transformation du Labour

    Party en New Labour par Tony Blair en 1997. Dans le sillage de ce triomphe du

    conservatisme, dautres conservatismes que le conservatisme socio-conomique se sont

    renforcs. Tandis que le noconservatisme tait ractionnaire et cherchait faire refluer ltat,

    dautres formes de conservatisme centres sur les valeurs ont assis leur influence.

    Dans la vie politique franaise, on peut rattacher cette volution le dbat sur la lacit :

    cest bien sr largument de la mise en pril que sollicitent certains dfenseurs de la lacit

    lorsquils tendent sacraliser telle ou telle part de lhritage rpublicain. Comme chez

    Hirschman, une telle sacralisation empche de penser au sujet de la lacit autrement que sur

    le mode de la clbration incantatoire de la loi de 1905 qui nest pas sans voquer le culte de

    la constitution britannique dans lAngleterre du dbut du dix-neuvime sicle. Une attitude

    progressiste au sens dcrit plus haut consisterait mettre sur la table les diffrents

    arrangements envisageables autour de la question des liberts religieuses, peser le pour et le

    contre de chacun et refuser ceux qui, lissue de cet examen, se rvlent avoir un bilan

    ngatif. Une telle faon de procder, si trangre au dbat public franais contemporain, est

    celle qui inspire la politique publique des accommodements raisonnables mise en place au

    Qubec et qui est dfendue en France notamment par le spcialiste de la lacit Jean

    Baubrot16.

    Un autre exemple de glaciation induite par la rhtorique conservatrice pourrait tre

    trouv dans le rcent dbat sur la transition nergtique et lopportunit de renoncer, terme,

    lnergie nuclaire. Lorsque certains sont tents de formuler lalternative soit le nuclaire,

    soit la bougie , ils empchent ainsi une comparaison rationnelle des avantages et des

    inconvnients du nuclaire avec des scnarios alternatifs base dnergies renouvelables et

    fossiles et de sobrit nergtique comme le scnario ngaWatt . L aussi, la rhtorique

    mise en place par les conservateurs se rattache la mise en pril, en loccurrence celle dun

    mode de vie auquel les Franais sont supposs tre attachs. Elle rejoint les craintes des

    conservateurs britanniques ou celles de Gustave Le Bon, la fin du dix-neuvime sicle,

    sopposant la dmocratisation car elle tait suspecte dtre un facteur que lon qualifierait

    aujourdhui d anti-progrs .

    Une dernire srie dexemples de progrs potentiels que le triomphe de la rhtorique

    conservatrice a empch ne serait-ce que dexaminer peut tre trouv dans le domaine

    conomique et social auquel Hirschman accorde une importance particulire. Des rformes

    comme le revenu universel, la dcroissance ou la diminution du temps de travail ont t

    16 Bauberot J. Une lacit interculturelle : le Qubec, avenir de la France ?, Editions de lAube, 2008

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 21

  • rendues indicibles par un esprit du temps rsolument ractionnaire, alors mme quelles ont

    leur cohrence et peuvent prtendre produire quelques effets positifs. Un progressisme rnov

    la Hirschman pourrait remettre leur examen lordre du jour.

    Les apports pour l(apprenti) intellectuel

    Le livre dHirschman recle au moins deux enseignements pour qui sintresse la

    production dides et lconomie des savoirs.

    Le premier enseignement tient aux dynamiques de distinction lies la notion de

    dvoilement des logiques luvre derrire une ralit donne. Le prestige tir dune telle

    analyse, sil peut sembler attractif pour qui a des vellits de production intellectuelle, sera

    sans-doute regard aprs la lecture du livre dHirschman avec une plus grande perplexit :

    dans quelle mesure relve t-il non pas dune logique de lgitime reconnaissance mais dune

    logique de distinction et de recherche de ce qui est rare, et donc prcieux ?

    Immdiatement la suite de cette question en vient une seconde : les logiques luvre

    dans cette conomie des savoirs ne conduisent-elles pas tordre la pense pour en faire de

    beaux modles qui, sils permettent dobtenir une forme de reconnaissance ou de prestige,

    trahissent nanmoins largement la ralit et prosprent au dtriment de lhonntet

    intellectuelle ? La grande rticence dAlbert Hirschman produire des modles exhaustifs et

    prtendant la scientificit ainsi que son got pour la remise en question des prsupposs et

    avis figs rappelle en quelque sorte que les facults de conceptualisation esthtisante , si

    prises en France, ne sont pas indispensables la production dune pense de qualit.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 22

  • 3.2.2. Les limites

    Lefficacit du propos

    Albert Hirschman a manifestement tent datteindre plusieurs objectifs avec ce livre. Le

    premier est de documenter lhistoire de la pense et surtout du discours conservateur. Un

    second objectif serait darmer les progressistes pour lutter contre lenvahissante et

    engourdissante pense noconservatrice qui domine au dbut des annes 1990. Or, ce livre,

    sil fait uvre drudition et sil se rvle clairant de nombreux points de vue, nest pas le

    guide de rsistance la pense conservatrice quil aurait pu tre.

    Cette relative inefficacit du propos en termes de renforcement des capacits du camp

    progressiste sexplique notamment par un choix, celui de ne pas recourir lhumour.

    Hirschman revient lui-mme sur ce choix loccasion de dveloppements sur lhumaniste

    F.M. Cornford, auteur dune Micro-cosmographica Academica17 qui moque les murs

    universitaires et dfinit des homologues humoristiques aux trois thses dHirschman : le

    Principe de la Porte Ouverte qui commande de sabstenir aujourdhui dagir avec

    justice de crainte de susciter lespoir quon agira demain avec plus de justice encore et le

    Principe du Dangereux Prcdent qui commande de sabstenir daccomplir aujourdhui un

    acte que lon sait tre juste de crainte de manquer du courage ncessaire pour en faire autant

    demain dans un cas qui, pour diffrer fondamentalement de la situation prsente, nen

    prsente pas moins avec elle une ressemblance superficielle 18. Hirschman juge que

    Cornford semble tre le seul partager son intrt pour la rhtorique conservatrice mais que le

    sujet lui a paru mriter autre chose quun traitement purement humoristique . In fine,

    mme si lon ressent que lauteur sest amus dcortiquer la rhtorique conservatrice et

    placer les conservateurs face leur contradiction, le ressenti qui se dgage la lecture du texte

    est celui dune prose qui tend parfois sgarer dans les digressions rudites l o elle aurait

    pu sadonner un jeu de massacre jubilatoire de la rhtorique conservatrice.

    17 cit par Hirschman A. op. cit., p13818 Cornford, F.M. Micro-cosmographica Academica, 1908, p 30-31, cit par Hirschman A., op. cit. p139

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 23

  • Le cadre danalyse

    Le cadre de lanalyse dHirschman peut lui aussi tre critiqu. Le recours au modle de

    Marshall, amend par lajout dun mouvement de raction la suite de chaque avance

    progressiste, peut apparatre excessivement simplificateur. Il rsume en effet la marche du

    progrs au jeu de deux acteurs, dont lun incarnant la critique caractre ractionnaire. Or, il

    est aussi possible de trouver trace, notamment durant la troisime phase de Marshall, de

    configuration trois acteurs o lavance progressiste peut en partie tre attribue

    linfluence, voire la force menaante, dun acteur poussant les progressistes passer

    vritablement laction. Ce rle que lon peut attribuer aux partis communistes ou cet objet

    plus insaisissable quest la rue , voire lUnion Sovitique pour ce qui est de la

    reconnaissance des droits sociaux au niveau international, parat dans certains cas tre plus

    raliste que le modle deux acteurs de Marshall. Les implications dune telle configuration,

    qui suggre que des progressistes de gouvernement peuvent tre soumis une contrainte

    progressiste radicale, sont mal prises en compte par Hirschman qui, lorsquil aborde le cas des

    discours dextrme gauche, les cantonne un rle qui sapparente celui dun idiot utile

    qui sert le conservatisme. Hirschman ignore ainsi les dynamiques positives qui peuvent tre

    gnres lorsque les progressistes sont correctement incits mettre en uvre les rformes

    souhaites. Pour aller plus loin, on peut aussi considrer que la rduction du dbat que tend

    oprer Hirschman un dialogue (souvent de sourds) entre progressistes rationnels et

    conservateurs rous la rhtorique manque une dimension des rapports entre camps

    politiques quest le rapport de force. Il est surprenant que ce rapport de force, abondamment

    pratiqu par le tiers acteur suggr prcdemment, noccupe presque aucune place dans un

    livre qui retrace les volutions de controverses politiques si importantes. En dfinitive, le livre

    sintresse peut-tre trop peu limportance du rapport entre les discours et les actes qui

    dtermine, autant sinon plus que la forme et les artifices du discours, les rsultats des batailles

    politiques.

    Une autre faiblesse attribuable au cadre danalyse tient au principal apport du livre,

    savoir le triptyque entre effet pervers, inanit et mise en pril. Cette classification, si elle ne

    prtend pas tre exhaustive, semble sujette certaines imperfections. Ainsi, la ligne de

    sparation entre leffet pervers et la mise en pril peut apparatre tnue lorsque lon ralise

    que leffet pervers lest toujours au dtriment de quelque chose qui est considr comme un

    bien et quil ne sagit jamais simplement dun effet rebours : le plus souvent, il y a donc

    mise en pril de quelque chose et cest uniquement parce que cette chose nest pas nomme

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 24

  • que leffet pervers peut passer comme une catgorie part dans la typologie de Hirschman.

    Par ailleurs, si le triptyque sappuie sur des mcanismes logiques, il fait passer au second plan

    des grilles danalyses de lhistoire des ides qui peuvent paratre aussi pertinentes que la

    typologie propose. Il sagirait notamment de la dichotomie dj signale entre thses

    dinspiration religieuse et thses dinspiration pseudo-scientifiques. Les discours de

    justification auxquels donnent lieu ces thses, quils utilisent un argumentaire thologique ou

    quils cherchent naturaliser des phnomnes sociaux, sont des objets rhtoriques

    ractionnaires qui mriteraient aussi examen.

    Il nen reste pas moins, malgr ces rserves, que lanalyse propose par Hirschman dans

    cet ouvrage se rvle particulirement prcieuse et riche, limage de luvre diverse dun

    auteur curieux et critique.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 25

  • 4. Bibliographie slective de lauteur

    4.1. Ouvrages :

    1958 - The Strategy of Economic Development, New Haven, Conn. Yale University

    Press (trad. : Stratgie du dveloppement conomique, Paris : ditions ouvrires,

    1964)

    1970 - Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and

    States. Cambridge, MA. Harvard University Press (trad. : Face au dclin des

    entreprises et des institutions, Paris, ditions ouvrires, 1972 ; Dfection et prise de

    parole, Paris, Fayard, 1995)

    1977 - The Passions and the Interests: Political Arguments For Capitalism Before

    Its Triumph. Princeton, NJ. Princeton University Press (trad. : Les passions et les

    intrts, Paris, PUF, 1980)

    1991 - The Rhetoric of Reaction: Perversity, Futility, Jeopardy. Cambridge, MA:

    The Belknap Press of Harvard University Press (trad. : Deux sicles de rhtorique

    ractionnaire, Paris, Fayard, 1991)

    1995 - A propensity to self-subversion. Cambridge, Mass. Harvard University Press

    (trad. : Un certain penchant lautosubversion, Paris, Fayard, 1995)

    4.2. Articles :

    1992 - Largument intransigeant comme ide reue : En guise de rponse

    Raymond Boudon , Le Dbat, n69.

    Jeullin Brice - Fiche de lecture : Deux sicles de rhtorique ractionnaire Mai 2012 26

  • 5. Rfrences

    5.1. Ouvrage :

    Ceratton C. et Frobert L. (2003) LEnqute inacheve : Introduction lconomie

    politique dAlbert Hirschman, PUF

    5.2. Articles :

    Boudon R. (1992/2) La rhtorique est-elle ractionnaire ? Le Dbat, n69, p87-95.

    Dromby F. (2007/8) Albert O. Hirschman, telle un clible mouvante , Revue

    franaise de gestion, n177

    Edey Gamassou C. (juin 2005) Albert O. Hirschman : aperu de ses apports aux

    sciences de gestion en gnral et au management public en particulier , Contribution

    au sminaire du RECEMAP sur les Grands Auteurs en Management Public

    Hirschman A. (1992/2) Largument intransigeant comme ide reue, rponse

    Raymond Boudon , Le Dbat, n69, p96-102.

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