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ÉDITION

ÉDITION - OCTO Technology...innover, une entreprise doit accepter de rendre le pouvoir de décision à ses collaborateurs. L’exemple de Supercell est inspirant. Dans cette startup

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ÉDITION

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Unexpected Sources of Inspirationusievents.com

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0504

Il y a 12 ans, en lançant la première conférence USI, nous avions la conviction que l’IT jouerait un rôle fondamental dans la transformation de nos Sociétés. Nos convictions n’ont pas changé. Résolument visionnaires, nous souhaitons offrir à tous une conférence novatrice et singulière, pour explorer, challenger et questionner les grands enjeux de notre avenir.

Au service, dans un premier temps, d’un développement purement économique, les technologies sont aujourd’hui présentes dans toutes les strates de la société et nous poussent à redéfinir nos pratiques, nos valeurs et notre responsabilité.

Face à l’immensité des enjeux, le seul objectif qui vaille, celui d’une société inclusive, résiliente, écoresponsable et offrant à tous une meilleure qualité de vie, ne pourra être atteint qu’en mobilisant toutes les ressources possibles. Les technologies sont souvent tenues comme grandes responsables de nos maux, mais ne renferment-elles pas une partie de la solution ? USI décrypte les transformations sociétales au sens large en conviant des visionnaires engagés. Philosophes, chercheurs, experts en cybersécurité, économistes, sociologues, scientifiques, éthologues, ou encore astrophysiciens... Tous ont choisi USI pour nous aider à donner du sens à nos transformations.

Donner du sens, mais aussi du temps. Laisser la part belle à la créativité et à la réflexion, avant de passer à l’action. Car agir, c’est prendre en compte ces exigences sociales et environnementales dans chacune de nos décisions personnelles et professionnelles.

FrançoisHISQUINPrésident & Curateur d'USI

VERS UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE, RÉSILIENTE ET ÉCORESPONSABLE

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JIM LOVELL-2013-

HILARY MASON-2015-

YANN LECUN-2015-2018

KEN ROBINSON-2018-

JULIA DE FUNÈS-2018-

SIMON SINEK-2011-

CHRIS ANDERSON-2010-2015-

NEIL ARMSTRONG

-2008-

BJARNESTROUSTRUP

-2008-

PATTIE MAES-2011-

MARTIN FOWLER-2010-

JANE McGONIGAL

-2012-

KEVIN KELLY-2017-

ALBERTJACQUARD

-2009-

DANIEL COHEN

-2009-2016-

ELIYAHU M. GOLDRATT

-2008-

LUC DE BRABANDÈRE-2009-2014-2016-

RAY KURZWEIL

-2011-

DON TAPSCOTT -2016-

MICHEL SERRES

-2008-2011-

CYNTHIAFLEURY-2017-

EDGARMORIN-2014-

PHILIPPE STARCK-2012-

RENÉE MAUBORGNE

-2018-

AARON DIGNAN-2015-2017-

ANDREW McAFEE-2016-

LAURENT ALEXANDRE

-2013-2014-2017-

CÉDRIC VILLANI

-2015-2017-2018

VINT CERF-2013-

BRIAN MUIRHEAD

-2016-

YANN ARTHUS-BERTRAND

-2015-

DAN ARIELY-2017-2018-

YUVAL NOAH HARARI-2016-

MONICA LEWINSKY

-2016-

SALIM ISMAIL-2015-

HAL GREGERSEN

-2014-

NANCY DUARTE-2014-

MAE JEMISON

-2018-

INGRID BETANCOURT

-2017-

JEAN-PIERRE RAFFARIN

-2013-

MARC RAIBERT-2018-

PETER NORVIG-2015-

JUAN ENRIQUEZ

-2010-2016-

ANDRÉ COMTE-SPONVILLE

-2014-

MARC GIGET-2013-

JOËL DE ROSNAY

-2009-

ETIENNE KLEIN-2017-2018-

12 ANS D'INSPIRATION

0706

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COMPTE RENDU DES

SESSIONS

JUIN 20191 800participants

25talks

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ALEXANDRE MARSVERS LA RÉVOLUTION DU PARTAGE

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DAN TERHORST-NORTH COMMENT FAIRE BON USAGE DE LA TECHNOLOGIE ?

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KONSTANTIN BATYGINÀ LA RECHERCHE DE “PLANET NINE”

72

ALEXANDER OSTERWALDER ET YVES PIGNEURDES ENTREPRISES INVINCIBLES

76

LAURENCE MORVANREPENSER LA RESPONSABILITÉ DE L’ENTREPRISE À L'ÈRE DIGITALE

80

ARSÈNE WENGERMANAGER DES CHAMPIONS

84

RAFFAELLO D'ANDREAGAMES OF DRONES

102

OPEN DISCUSSIONMARCEL GAUCHET / CÉDRIC VILLANI / EMMANUELLE DUEZ UN MONDE MEILLEUR EST-IL POSSIBLE ?

110

DAVID ROWANSOURCES D’INSPIRATION POUR INNOVER

12

MARCEL GAUCHETLE MYTHE DU PEUPLE, DES SANS-CULOTTES AUX GILETS JAUNES

16

RAND HINDICRYPTOGRAPHIE : LA PROCHAINE TECHNOLOGIE DE MASSE ?

20

JULIEN BOBROFF MYSTÈRES ET APPLICATIONS DE LA LÉVITATION QUANTIQUE

24

ALEXEI GRINBAUML’ÉTHIQUE DES MACHINES INTELLIGENTES

30

DAMBISA MOYODÉFIS GLOBAUX : LES RISQUES D’UNE VISION À COURT TERME

34

ROBERT PLOMINÀ LA SOURCE DE NOTRE INDIVIDUALITÉ

38

AMY EDMONDSONSÉCURITÉ PSYCHOLOGIQUE ET INNOVATION

42

CYNTHIA FLEURYPROFESSEUR, CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS (CNAM)

46

SYLVIA EARLESANS EAU, PAS DE VIE !

50

HUGH HERRET L’HOMME BIONIQUE FUT

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PHILIPPE GABILLIETET SI VOUS CHANGIEZ DE VIE ?

60

JANE GOODALLDES CHIMPANZÉS AU MILITANTISME ENVIRONNEMENTAL

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SOURCES D’INSPIRATION POUR INNOVER

DavidROWANAuthor

Qu’est-ce que l’innovation ? Comment innover sans tomber dans le gadget ou la “fake innovation” ? David Rowan, ancien rédacteur en chef de l’édition anglaise du magazine WIRED, ouvre cette 12e édition de la conférence USI avec un thème qui nous concerne tous. Fort de 18 mois de recherche autour du monde à la rencontre des leaders les plus inspirants et des startups les plus innovantes, David nous partage ses enseignements sur l’innovation, la vraie, et comment la répliquer dans son organisation.

Une Intelligence Artificielle qui anime un tableau, un avion qui décolle à la verticale, des drones capables de livrer de la nourriture dans les coins les plus isolés d’Afrique, des boutiques Amazon sans caisse de paiement… L’innovation nous touche tous et dans tous les domaines. Un culte mystique auquel toutes les entreprises tentent de se frotter. Pourtant, lorsque l’on voit certaines des innovations à l’utilité douteuse exposées au fameux CES de Las Vegas, on peut se demander si la course à l’idée à un milliard de dollars n’aurait pas dévoyée une bonne partie des innovateurs en herbe du monde entier.

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/ Adresser des besoins non satisfaits, comme le groupement d’entreprises péruviennes “Intercop”, qui, face à l’inaction du gouvernement, a décidé de réinventer l’éducation à l’ère du digital afin de répondre à leur besoin de personnes qualifiées.

/ Créer une diversité cognitive parmi les équipes : faire travailler ensemble diverses spécialités pas forcément en lien les unes avec les autres.

/ Être agile : créer de petites équipes autonomes, à l’instar de l’équipe pirate “Rebel Alliance” embauchée par le Pentagone.

/ Exploiter les données des utilisateurs, comme l’a fait Qantas : grâce aux données collectées par son programme de fidélité, auquel 50 % de la population nationale est affiliée, la compagnie aérienne australienne a pu créer des produits et services adaptés à ses clients bien au-delà de son domaine d’expertise (une assurance vie, un bar, …)

Autres pistes : il faut identifier ses “angles morts”, permettre les collisions, tenter de résoudre les maladies génétiques, plus largement adopter les nouvelles technologies, et probablement la plus importante de toutes les leçons : ne pas hésiter à exploiter les crises.

… ET QUELQUES UNES SUPPLÉMENTAIRES

/ Autonomiser et responsabiliser ses équipes. Le modèle hiérarchique a montré ses limites : la distance managériale limite la compréhension des besoins des utilisateurs finaux. Pour innover, une entreprise doit accepter de rendre le pouvoir de décision à ses collaborateurs. L’exemple de Supercell est inspirant. Dans cette startup finlandaise de jeux vidéos (à l’origine notamment de Clash of Clans), les équipes choisissent de créer (ou tuer) un projet sans que leur CEO ait son mot à dire.

/ Proposer un service plutôt qu’un produit seul. Les coûts de production n’ont jamais été aussi bas. Pour se différencier, l’innovation doit venir du service, et non plus du produit seul. Pour contrer la baisse de son chiffre d’affaires, la librairie Heywood Hill a proposé un service de curation personnalisée de livres qui l’a propulsée au rang de librairie la plus cotée de Londres.

Sur le même modèle, en réponse aux start-up empiétant peu à peu sur son marché, la banque finlandaise Op Bank a imaginé une assurance doublée de services de soins, permettant de proposer une couverture à la fois efficace et bon marché à ses clients.

/ Créer un écosystème. Avec 1,3 million d’habitants, l’Estonie était loin de peser sur la scène internationale. Mais c’était sans compter avec le génial Kaspar Korjus, créateur de l’e-Residency. Pour la modique somme de 100 € et sans même se déplacer, n’importe qui peut devenir résident estonien, créer une entreprise, bénéficier des services et des ressources du pays… Prochaine étape pour transformer ce petit pays en véritable plateforme : la création d’une cryptomonnaie, qui devrait booster les investissements extérieurs.

3 APPROCHES CLÉS POUR RÉELLEMENT INNOVER...

Quel est le point commun entre les innovations qui ont réellement fonctionné ? Pour David Rowan, toutes apportent une valeur au monde, répondent à un vrai besoin. À l’opposé donc de ces “fake-innovations” qui émaillent le CES (Consumer Electronics Show), le plus grand salon international grand public dédié à l'innovation technologique. Boxers réfléchissant les ondes, casier à œufs connecté alertant l’utilisateur de leur date de péremption, bac à litière pour chat autonettoyant, cuillère et fourchette attachées à son iPhone (les fameuses Sphoon - Phork)… Au CES, les exemples d’innovations inutiles sont légion.

À l’instar de ces gadgets inutiles, les grandes entreprises tentent, elles aussi, de se lancer dans la course à l’innovation de manière éparpillée. Nombre d’entre elles pensent qu’embaucher un Directeur Innovation, lancer un concours d’idées ou créer un Lab en interne (à l’exemple du BizLab d’Airbus) est la clé pour innover. Mais sans changer fondamentalement de paradigme, quelle marge de manœuvre ont ces entreprises pour se réinventer ? À défaut d’une formule mathématique absolue, David Rowan a identifié dix approches à appliquer sans réserve pour faire entrer l’innovation dans son organisation.

LES CONTRE-EXEMPLES : LES “FAKE-INNOVATIONS” À ÉVITERThere is no scientificformula for innovation.

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We can not have incremental changes

without thinking about what is actually useful.

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LE MYTHE DU PEUPLE, DES SANS-CULOTTES AUX GILETS JAUNES ? Faisant dialoguer Révolution Française et mouvement des Gilets jaunes, l’historien et philosophe Marcel Gauchet revient sur le mythe universel du “peuple”.

“Le passé n’a aucune importance. Il ne fait plus autorité parmi nous, car la société de la connaissance impose comme règle de méthode de le mettre de côté. Il s’agit toujours de se dégager du passé pour mettre à sa place un avenir plus raisonné.” C’est en mettant en garde contre le présentisme de notre société actuelle que Marcel Gauchet débute son talk sur les résurgences de l’héritage et de l’imaginaire révolutionnaire dans le mouvement social des Gilets jaunes.

MarcelGAUCHETPhilosophe,Historien

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LA VERTU AU CŒUR DE LA RÉPUBLIQUE

Pour Robespierre, le peuple est naturellement vertueux. Le peuple est composé de ceux qui ont peu ou rien, ceux-là même qui sont les mieux placés pour comprendre que leur sort dépend du bien commun. “Selon lui, le peuple épouse d’instinct la cause de sa patrie et l'intérêt collectif, au contraire des puissants qui ont des positions à défendre et à accroître, et des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général. Pour lutter contre ces privilèges et ces dérives, Robespierre voit en l’insurrection populaire le plus sacré des droits et

le plus indispensable des devoirs”, relate Marcel Gauchet, qui souligne que le mythe du peuple vertueux est aujourd’hui imprimé dans l'inconscient collectif.

Le prolétariat, pour désigner le peuple selon une dénomination plus moderne, est désormais perçu comme la classe universelle, destinée à émanciper “le genre humain de ses chaînes” au nom de l'intérêt général, note Marcel Gauchet pour qui le mouvement des Gilets jaunes symbolise parfaitement cet imaginaire.

Car si notre société actuelle tend parfois à vite oublier, selon l’humaniste, le passé est toujours là, “pas simplement comme un décor patrimonial, mais comme une inspiration vivante, un fantôme qui guide les gestes et les paroles des vivants sans même qu’ils ne le sachent.” Exemple frappant de cette redondance de l’Histoire, le mouvement des Gilets jaunes qui vient raviver le passé révolutionnaire. Un phénomène étonnant selon Marcel Gauchet, qui souligne que les Gilets jaunes sont un mouvement profondément ancré dans notre temps. Nés sur les réseaux sociaux, siégeant sur les ronds-points, ces “non-lieux caractéristiques de la société de consommation, à l’intersection

des zones commerciales et pavillonnaires”, ils dénoncent une mondialisation responsable d’une mise en concurrence qui fracture les territoires, opposant métropoles et périphéries, accentuant ainsi les disparités et inégalités.

Malgré ses préoccupations on ne peut plus d’actualité, Marcel Gauchet assure que “le mouvement des Gilets jaunes, rattrapé par l’Histoire, a réanimé l’un des plus puissants mythes historiques et politiques : le peuple”. Évoquant une “mémoire souterraine toujours prête à ressurgir”, le philosophe jette des ponts entre le mouvement social débuté en novembre 2018, et le jacobinisme, doctrine révolutionnaire défendant la souveraineté du peuple.

Une doctrine personnifiée, au paroxysme de la révolution, en 1793 par Robespierre, dont Marcel Gauchet a signé une passionnante autobiographie, publiée quelques jours seulement avant le début du mouvement des Gilets jaunes.

Défenseur intransigeant des principes révolutionnaires (“Les hommes naissent libres et égaux en droits”, l'abolition de la peine de mort et de l’esclavage, la liberté de la presse, le suffrage universel…), lors des temps troublés de la révolution, Robespierre est le fervent et Incorruptible avocat du peuple. Pour garantir la juste expression de la souveraineté de ce peuple, il participe à l’établissement d’un système de représentation populaire.

Sa mission : déconstruire les privilèges et instaurer un ordre social respectueux des droits individuels.

Alors que certains représentants finissent par se laisser corrompre et par apporter leur soutien à la monarchie, Robespierre dénonce ces mandataires du peuple devenus despotes, et instaure un système de surveillance et d’épuration qui mènera à la Terreur et causera sa perte.

Si Robespierre alla jusqu’aux extrémités qu’on lui connaît, c'est selon Marcel Gauchet pour satisfaire son idée fixe, celle d’une république “instinctivement inscrite dans chaque citoyen, et où l’individu, vertueux, s’oublie, au profit du corps politique et du bien général.”

“UNE MÉMOIRE SOUTERRAINE”

ROBESPIERRE ET LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE

QU’EST-CE QUE LE PEUPLE ?

Mais si les révolutionnaires, comme les mouvements sociaux de l’ère industrielle ou les Gilets jaunes revendiquent la souveraineté du peuple, les enjeux, la philosophie, les revendications, les méthodes, les idéaux, sont changeants. “Ce qui redonne vie au mythe du peuple est ce qui empêche de lui donner une traduction politique”, assure Marcel Gauchet, pour qui les Gilets jaunes, à l’inverse des révolutionnaires, n’envisagent pas le peuple comme une masse homogène, mais comme une somme d’individualités “qui ne trouve son identité que dans une opposition à une élite.”

Ainsi, au contraire de leurs cousins révolutionnaires, les Gilets jaunes ont une conscience très forte de la disparité interne du peuple. Leur méthode pour parvenir à des changements sociaux et politiques est également diamétralement opposée à celle des Jacobins et autres Montagnards. Nullement mus par l’aspiration d’une prise de pouvoir, les Gilets jaunes formulent une demande à l’égard des puissants. Ils interpellent, avec plus ou moins de violence, le pouvoir, mais n’entendent pas s’y substituer. La preuve pour Marcel Gauchet qu’en traversant les âges, un même imaginaire peut être invoqué pour des causes différentes, voire opposées, et qu’il est primordial de prendre conscience de “l’obscure travail du temps qui s’opère dans les profondeurs des sociétés.”

Robespierre voit en l’insurrection populaire le plus sacré des droits

et le plus indispensable des devoirs.

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CRYPTOGRAPHIE : LA PROCHAINE TECHNOLOGIE DE MASSE ?

RandHINDIData scientist,Entrepreneur

Pour vivre librement, vivons cachés. C’est en quelque sorte le message qu’a adressé Rand Hindi aux participants d’USI 2019. Selon cet expert de la data-science, la cryptographie sera non seulement l’unique moyen de protéger notre vie privée à l’avenir, mais aussi un faire-valoir indispensable pour les entreprises.

“Aujourd’hui, je ne vais pas parler d’Intelligence Artificielle, mais de vie privée”, a lancé Rand Hindi en introduction de sa conférence. Pour lui, à l’ère du Big Data, l’anonymat est la liberté à protéger d’urgence. C’est ainsi qu’il a fondé Snips, une start-up d’un nouvel âge pour offrir aux entreprises et particuliers tout le potentiel de l’IA sans jamais exposer leurs données. Comment ? Grâce à la cryptographie.

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Mais si les données en transit profitent de la cryptographie et de ses innovations, que dire des milliards de données stockées sur le cloud et sur nos supports numériques ? “À une époque, ce n’était pas très important. Car on passait une majorité de notre vie offline. Mais le téléphone qu’on a aujourd’hui dans notre poche en permanence est littéralement le GPS de notre vie. Résultat, il est presque impossible de ne pas être traqué en permanence”, prévient Rand Hindi.

Rien de grave ? Pas si sûr. Pour démontrer à quel point leurs données personnelles comptent en fait plus aux yeux des utilisateurs qu’ils ne le pensent, l’expert invite la salle à une expérience très déroutante : “Sortez vos téléphones. Ouvrez la dernière conversation que vous avez eue sur WhatsApp, Messenger ou autre. Peu importe. Et maintenant, passez votre téléphone à votre voisin.” Devant l’auditoire obéissant mais étonné et légèrement inquiet, Rand Handi a voulu démontrer deux choses : “D’abord, donner

accès à ses données personnelles sans qu’il n’y ait de façon de l’empêcher crée une angoisse. Ensuite, cela montre que chaque humain est curieux. Car je n’ai demandé à personne de regarder la conversation, simplement de prendre le téléphone de l’autre. Et beaucoup d’entre vous ont regardé. Cette curiosité vaut pour les acteurs qui ont accès à vos données. Ils vont les regarder et vouloir s’en servir”.

Et pourtant sans parler d’une utilisation polémique, comme celle des données enregistrées par des assistants vocaux du marché, bien des entreprises souhaitent aujourd’hui capitaliser sur ces data. “Les entreprises veulent créer des profils extrêmement précis des gens. Car c’est extrêmement profitable de comprendre qui sont ses utilisateurs. Sauf que les hackers aussi sont intéressés. Et on a vu une explosion des données volées. Aujourd’hui, 12 milliards de données ont été volées dans le monde, soit plus de données personnelles que d’habitants dans le monde”.

À ce risque accru de vol de données s’ajoute celui de l’usurpation d’identité. Le mieux alors serait de ne pas avoir de données ou, plus réaliste, de n’avoir que des données cryptées mais lisibles et modifiables par leur détenteur original.

Ce n’était pas possible avec les anciennes méthodes de cryptographie. Mais grâce au développement de la cryptographie homomorphe, c’est désormais à portée de main. Elle permet en effet d’effectuer des calculs sur les données chiffrées puis d’accéder à un résultat final identique à celui qu’on aurait obtenu en analysant directement les données brutes non cryptées. “Cette méthode existe depuis quelque temps mais elle ne pouvait se déployer jusqu’alors car il fallait quatre fois plus de temps pour faire une recommandation cryptée de restaurant par exemple que pour une recommandation classique. Désormais, il ne faut que quelques millisecondes”.

Pour cet expert de l’IA et défenseur de la vie privée, même les entreprises et leur branche marketing ont à y gagner. Car le problème du “targeting” publicitaire par exemple est qu’il a de bonnes répercussions commerciales à court terme. “Mais sur le long terme, en “forçant” les gens dans leur petit univers, on perd l’opportunité de leur vendre des choses autres que ce qu’on leur a déjà vendu. Sur le long terme, une utilisation moins ciblée mais plus sûre des données permettra d’ouvrir les consommateurs à plus de diversité et donc de générer un potentiel de ventes et de services plus variés”.

Surtout, insiste Rand Hindi, “la cryptographie, c’est d’une certaine façon un moyen de vivre libre et librement : en permettant aux utilisateurs du numérique d’en bénéficier sans être regardés en permanence, sans craindre de voir leur vie détruite après une usurpation d’identité”.

DONNÉES DE MASSE : ACCROISSEMENT DES OPPORTUNITÉS OU RISQUES ACCRUS ?

HOMOMORPHE : LA PROTECTION DE DEMAIN

Le procédé n’est pourtant pas nouveau. Popularisée par la Blockchain et ses cryptomonnaies, la cryptographie s’est développée aux premières heures d’Internet, rappelle Rand Hindi. “L’invention de la cryptographie remonte aux années 1970.” À l’époque, pas d’email ni de Google, mais le potentiel du numérique naissant invite rapidement les premiers experts de la cryptographie à en déployer l’usage pour protéger les données individuelles. Dans les années 1980 et 1990, ils se regroupent au sein d’un réseau informel baptisé les cypherpunks. “Leur objectif était d’anonymiser les échanges. Julian Assange de Wikileaks était un Cypherpunk”.

L’un des premiers combats remportés par les partisans de la cryptographie le fut contre les gouvernements qui demandaient de pouvoir accéder en dernier recours à ces données chiffrées. “Ils ont réussi à démontrer l’absurdité d’offrir des portes dérobées dans un monde crypté. Résultat, aujourd’hui, plus de 2 milliards de personnes peuvent communiquer de manière cryptée”. Actuellement, c’est vrai, sans qu’aucun internaute n’en ait conscience, la cryptographie est omniprésente sur la Toile. Elle constitue par exemple la base de tout paiement sécurisé en ligne, ou chiffre tous les échanges effectués avec des sites dont l’adresse commence par “https://”.

LA CRYPTOGRAPHIE : UNE HISTOIRE ANCIENNE

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MYSTÈRES ET APPLICATIONS DE LA LÉVITATION QUANTIQUEDans une conférence ludique et passionnante, le physicien et professeur des universités Julien Bobroff dévoile comment la lévitation quantique peut donner naissance à de formidables innovations et révolutionner notre quotidien à tous. Époustouflant.

JulienBOBROFFPhysicien,Professeur, UNIVERSITÉ PARIS-SUD

À première vue obscure et intimidante, la physique quantique, expliquée par Julien Bobroff, devient une science fascinante et amusante. Le physicien, professeur à l’Université Paris Sud et membre du Laboratoire de Physique des Solides, débute son talk en énonçant les multiples utilités de la physique quantique au quotidien. “La physique quantique n’est pas aussi incompréhensible qu’on pourrait le penser, les physiciens la comprennent depuis une centaine d’années et ses utilités sont nombreuses : comprendre la couleur des objets, savoir pourquoi

CE QUE LE MONDE DOIT À LA PHYSIQUE QUANTIQUE

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certains matériaux sont magnétiques, pourquoi notre main ne traverse pas la table lorsque nous nous y appuyons, ou encore distinguer les matériaux métalliques des matériaux isolants. La physique quantique permet de comprendre le monde.”

Nous lui devons entre autres les lampes à LED, les lasers, ou encore les smartphones, toute l’électronique moderne reposant sur des transistors et microprocesseurs imaginés par des physiciens à la fin des années 40. Néanmoins, c'est avec une pointe d’humour que Julien Bobroff met en garde sur certaines disciplines se revendiquant du quantisme, à l’image de la médecine ou de la psychologie quantique. “Il est très important de distinguer le champ des croyances du champ de la science, rappelle-t-il. La physique quantique n’a rien à dire de la conscience humaine, mais tout à dire sur les atomes et les molécules.”

VOIR UNE FONCTION QUANTIQUE

Commençant par les bases, le physicien détaille tout d’abord comment repérer les fonctions d’ondes quantiques. Ces fonctions sont comparables à “des cartes des possibles”, permettant d'amplifier la probabilité de localiser un élément en mouvement (particule, électron). “Les fonctions d’ondes quantiques nous éclairent sur les endroits où un élément a des chances d’être ou ne pas être, explique Julien Bobroff. Il faut imaginer que l’élément est partout à la fois, comme dans un nuage, jusqu’à l’instant où nous mesurons la fonction, et où il se réduit en un point. Un point et une localisation qui auront évolué dès que nous reprendrons une nouvelle mesure.”

Mais peut-on voir une fonction d’onde quantique à l’œil nu ? La réponse est non. “La physique quantique est une loi de la nature à petite échelle”, concède Julien Bobroff. Cependant, il existe un phénomène permettant d’observer une réaction quantique. C’est à Albert Einstein que nous devons cette expérience. En parallèle de ses travaux sur la relativité, le scientifique fit le constat qu’en refroidissant à l’extrême un gaz, les énergies présentes descendaient, ce qui poussait les atomes à se superposer, à “se mettre en cohérence” – formant ainsi une onde quantique géante grâce à laquelle il est notamment possible de créer des champs magnétiques ou des courants perpétuels en supprimant la résistance électrique. C’est ce que l’on nomme la supraconductivité.

Pour observer cette supraconductivité, il faut donc créer une onde quantique géante. Pour cela, selon les conseils du professeur Bobroff, il vous faut :

/ Des bosons, particules subatomiques.

/ Un gaz ou un liquide (pour que les atomes bougent).

/ Du froid, environ un millième de degré du zéro absolu.

Problème : à une telle température, la matière gèle. À quelques exceptions près, comme l’azote liquide. Refroidissant à -200° un galet de céramique grâce à de l’azote liquide, Julien Bobroff démontre au cours d’une expérience réalisée durant sa conférence USI comment

l’onde quantique permet de faire léviter certaines masses. Une fois la céramique refroidie, le scientifique pose un aimant dessus, ce qui pousse l’onde quantique à se défendre en tourbillonnant, ce qui crée un anti-champ magnétique qui repousse l’aimant.

En soulevant l’aimant, on soulève également le galet de céramique, alors même qu’il y a un vide entre eux. “Je tiens sans toucher”, s’enthousiasme Bobroff. Le phénomène prend fin lorsque le galet de céramique se réchauffe. Cependant, des physiciens autrichiens ont constaté ce phénomène de lévitation quantique en refroidissant les atomes à seulement moins cent vingt degrés, ce qui selon Bobroff correspond en physique à “une haute température et est donc un progrès considérable”.

Concernant les ordinateurs quantiques, objets de toutes les spéculations, l’innovation est réelle mais elle ne doit pas générer de fantasmes. “Un ordinateur quantique peut être incroyablement utile pour certaines tâches, mais être moins adapté pour d’autres”, met en garde Bobroff. Un bit classique contient une information : un ou zéro. Un bit quantique, lui, peut contenir à la fois un et zéro. Il contient donc deux informations, ce qui permet aux ordinateurs quantiques de réaliser certaines opérations plus efficacement que les ordinateurs classiques :

/ Résoudre bien plus vite certains algorithmes (Trier dans une liste, factoriser en nombres premiers… des opérations très utiles en informatique quantique).

/ Faire des simulations quantiques et calculer de façon exacte les objets quantiques.

Des opérations qui pourraient un jour permettre de percer quelques mystères persistants de la physique quantique. “Nous sommes des milliers de scientifiques à travailler sur les raisons de la supraconductivité de certains matériaux par exemple, explique Julien Bobroff, mais nous n’avons toujours pas la réponse. En physique quantique, l’expérience précède souvent la théorie, c’est pourquoi il est important de vulgariser cette science et de faire preuve de créativité pour parvenir un jour à trouver la réponse à nos questions”.

UNE EXPÉRIENCE IMPRESSIONNANTE

LE DÉVELOPPEMENT DES ORDINATEURS QUANTIQUES

La physique quantique n’a rien à dire de la conscience humaine,

mais tout à dire sur les atomes et les molécules.

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L’ÉTHIQUE DES MACHINES INTELLIGENTES

AlexeiGRINBAUMChercheur, CEA-SACLAY

Alors que les machines intelligentes investissent de plus en plus nos sociétés, un questionnement éthique émerge : qui est responsable de l’action des robots ? Alexei Grinbaum, chercheur au CEA et philosophe de la physique, fait appel aux récits et aux mythes religieux pour répondre à cette question épineuse.

Doit-on appliquer notre morale à des machines ? En cas de conflit provoqué par une machine, qui est responsable ? Que deviendrait notre société si nous confiions notre morale à des machines ? Autant de questions que la communauté scientifique se doit d’aborder face au développement des robots et autres machines intelligentes.

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Si les machines intelligentes ne cessent d’évoluer, certaines problématiques restent présentes, à l’origine d’une relation conflictuelle robot-humain :

/ Le fait d’apprendre sans comprendre : le raisonnement de la machine dépasse celui des humains.

/ La frontière d’opacité : l’utilisateur de la machine n’a pas connaissance de son fonctionnement, reste au niveau interface.

/ La présence de biais dans les données.

/ L’instabilité de l’apprentissage de la machine : si quelqu’un se promène en Chine avec un portrait du président, les machines de reconnaissance visuelle risquent-elles de l’identifier à la place de son porteur ?

/ Les problèmes de spécification : la machine

ayant appris d’un être humain possède deux bras, deux jambes, une tête, un buste… ne reconnaît pas comme être humain un unijambiste par exemple. Un coup dur pour les lois d’Asimov.

/ La difficulté de vérification du travail de la machine.

Pour autant, des rapprochements humains-robots promettent un apaisement de ces problèmes, que cela soit en termes de double mimétisme homme-machine, ou dans le cadre de sentiments amoureux à l’instar du film Her. Finalement, le plus évident ne serait-il pas de considérer le robot comme un individu numérique, fonctionnel, au contraire des êtres humains, sujets de droit ? La question de l’éthique des machines reviendrait alors à celle des personnes numériques, non humaines.

ÉTHIQUE APPLIQUÉE AUX MACHINES INTELLIGENTES : PROBLÉMATIQUES ET SOLUTIONS

Pour aborder la question de l’éthique des machines, encore faut-il définir un cadre. Longtemps, notre imaginaire a conçu les robots comme des imitations d’êtres humains, présentant les mêmes traits et interagissant socialement avec nous. Pourtant, quel que soit leur degré de ressemblance, les robots restent limités en autonomie, sans parler des sentiments ou des émotions.

Pour pallier ces lacunes inhérentes, la responsabilité des robots pourrait se reporter sur les agents : celle des chercheurs/programmeurs à l’origine de la machine, des trainers chargés d’entraîner les systèmes intelligents, des fabricants, des opérateurs ou encore des utilisateurs.

Une troisième grille de lecture de cette problématique consiste à réfléchir en termes de valeurs :

/ La loyauté (la machine fait ce qu’elle dit) et le bénéfice pour l’humain.

/ La sécurité, la transparence, l’impartialité.

/ La traçabilité et l’interprétabilité des informations – valeurs spécifiques aux machines.

Particulièrement médiatisées, les techniques de reconnaissance visuelle, dignes des meilleurs scénarios de la série Black Mirror, sont déjà à l’œuvre en Chine, au Brésil, ou encore en Russie. Des pays pour lesquels la sécurité compte plus que le respect de la vie privée. Afin de définir les traits du visage, ces machines intelligentes utilisent plus de 80 paramètres classés en 25 concepts – un niveau de détail inégalé même dans les commissariats de police. Pourtant, l’absence de connaissance des paramètres et des rouages n’empêchent pas les forces de l’ordre d’exploiter ces technologies. Les mêmes algorithmes utilisés pour détecter des anomalies sur des images médicales provoquent un malaise supplémentaire : comment croire les “prédictions médicales” sans en comprendre les raisons ? Cette différence de perception montre que le critère “d’explicabilité” et “d’interprétabilité” de la machine dépend de l’usage que l’homme en fait.

Pour Alexei Grinbaum, l’être humain peut lui aussi devenir “individu fonctionnel”. Dans la Bible, Judas trahit Jésus en facilitant son arrestation par les grands prêtres juifs. De ce fait, il n’est plus un individu libre, mais exécute une fonction : celle de trahison. Trois jours plus tard, lorsque la foule doit choisir qui sauver entre Barrabas, prisonnier célèbre, et Jésus, celle-ci réclame la libération du premier. Une procédure moralement discutable en premier lieu, comme celle du dilemme du tramway, remis d’actualité par l’introduction des voitures autonomes.

En cas d’accident inévitable, vaut-il mieux sauver le plus grand nombre d’individus ? Les personnes les plus jeunes ? Ou encore les amis Facebook du propriétaire de ladite voiture ? Pour statuer sur la question, le MIT a organisé un sondage mondial. Résultats, les critères de préférence varient selon les régions. Alors que le monde occidental privilégie l’absence de choix ou la préservation du plus grand nombre, la protection des personnes dont le statut social est le plus haut prédomine en Amérique du Sud. Et en Asie, le fait de respecter (ou non) la loi constitue le critère de prédilection. Un dilemme de taille pour les constructeurs automobiles…

Pour Alexei Grinbaum, en cas de conflit, la solution se trouve dans le recours au hasard. Sans oublier d’informer la population. “Le hasard permet de soustraire la machine fonctionnelle d’un champ purement humain, celui de l’éthique”.

COMMENT PENSER L’ÉTHIQUE DES SYSTÈMES INTELLIGENTS ?

LE MYTHE AU SERVICE DE L’ÉTHIQUE

Le hasard permet de soustraire la

machine fonctionnelle d’un champ purement humain, celui de l’éthique.

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DÉFIS GLOBAUX : LES RISQUES D’UNE VISION À COURT TERME

DambisaMOYOGlobal economist, Author

Partout la croissance est en berne. Même dans les pays émergents, promis aux meilleurs auspices il y a 5 ans encore. Pourtant, les défis qui arrivent sont considérables et réclament, pour être relevés, des économies florissantes. Économiste originaire de Zambie, Dambisa Moyo a listé les six risques majeurs de notre époque.

“Oui, aujourd’hui et demain, des gens feront fortune. Mais ces réussites ne doivent pas nous empêcher de percevoir les risques qui viennent, commence Dambisa Moyo. Pour les identifier puis les affronter, il faut prendre du recul”.

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Pourtant, l’économiste n’apparaît pas défaitiste. Mais elle invite son auditoire, les entreprises, les États et les citoyens, à changer de vision : “Pour résoudre ces problèmes, vous avez besoin d’une stratégie à long terme, tandis que les politiciens actuels se limitent souvent à des actions de court terme”. Et pour Dambisa, l’une des clés se trouve

dans une réforme de la démocratie. Dans son dernier ouvrage, Edge of Chaos: Why Democracy Is Failing to Deliver Economic Growth and How to Fix It, elle nous propose dix solutions pour “la mettre à jour et la rendre plus efficace” - des propositions qu’on vous invite à découvrir sans plus tarder !

LA NÉCESSAIRE TRANSFORMATION DES DÉMOCRATIES

Car sans qu’on en saisisse encore tous les tenants et les aboutissants, bien des indicateurs permettent de caractériser les risques auxquels s’exposeraient des économies n’optant pas pour des changements structurels significatifs. Selon Dambisa Moyo, le monde entier, et principalement les pays industrialisés, va se confronter à six problèmes fondamentaux.

1/ L’innovation technologique et la menace de chômage pour une importante partie de la population

Jusqu’à aujourd’hui, la manne de travailleurs sans qualification a pu être absorbée, tout d’abord par les secteurs de l’industrie, puis par celle des services. Dans un futur plus ou moins proche, quel secteur offrira un emploi à ceux qui sont moins formés que les autres ? L’économiste se demande également “quels emplois pour les futures générations, quand on sait, par exemple, que 50 % de la population d’Ouganda a aujourd’hui moins de 15 ans ?”.

2/La démographie galopante et les défis pour nourrir, loger ou encore soigner 11 milliards d’humains en 2100

“Il a fallu un siècle pour passer de 1 à 2 milliards d’habitants. Et 50 ans pour atteindre les 8 milliards. Comment allons-nous gérer toute la population mondiale dans le futur ? Quels seront les impacts en termes d’immigration, d’environnement, de maladie ? Et comment dans le même temps nos économies feront-elles face à l’accroissement de l’espérance de vie de ces milliards d’individus ?”, se questionne également Dambisa Moyo.

3/ Les inégalités de revenus

Malgré tous les discours et les certitudes qu’avaient les hommes politiques dès les années 1950, le libéralisme n’a pas mis fin à la pauvreté et les inégalités de revenus se sont même creusées. “Que faut-il choisir alors ? Le capitalisme de marché des États-Unis ou le capitalisme d’État de la Chine ?” Elle ne

SIX RISQUES / ZÉRO SOLUTION ?

LA CROISSANCE S’ESSOUFFLE PARTOUT

Cette nécessaire distanciation, elle l’a opérée. Et son premier constat sonne l’alerte générale : “Une économie doit croître à un niveau de 7 % par an pour doubler les revenus d’une population en une génération. Or, aucune économie du monde ne croit à ce taux aujourd’hui. Même la Chine enregistre aujourd’hui un taux de croissance de 6,3 %, quand dans les autres pays émergents, il atteint difficilement les 5 %. Et ailleurs, il stagne autour de 2 ou 3 %. Il est même inférieur à 1 % dans certains pays d’Europe”. Ainsi, tandis que la croissance est génératrice d’emplois, de bien-être, d’avenir, son atonie inquiète.

Le FMI lui-même, dans son rapport annuel de 2011, estimait qu’il serait impossible aux États de retrouver les niveaux de croissance d’avant crise.

En parallèle, Dambisa Moyo souligne que les solutions mises en œuvre depuis les années 50 afin d’éradiquer la pauvreté ont toutes échouées. De gauche comme de droite.

À ses yeux, ces deux constats invitent à interroger nos modèles économiques, et plus particulièrement ceux des États développés, pour affronter les risques qui nous guettent.

How are we going to move millions

of people into a world of technology?

sait pas, mais croit qu’il faut surtout permettre la mobilité sociale. Aux États-Unis par exemple, cette mobilité, à savoir le passage d’un milieu défavorisé à un milieu social supérieur, a été divisée par deux en quelques décennies.

4/ La raréfaction des ressources et le réchauffement climatique

“L’accord de Paris, tout comme d’autres conférence, tire la sonnette d'alarme. Le défi doit être relevé le plus vite possible. Mais nos gouvernements n’ont pas les capacités financières et intellectuelles. Il y a des solutions mais il faut fournir bien plus d’efforts partout”, nous somme Dambisa Moyo.

5/ L’endettement affolant et les risques géopolitiques encourus par les États et des populations tributaires des prêts chinois

“Presque 50 % des Américains, des gens qui travaillent, ne peuvent pas réunir 400 dollars en cas d’urgence sans avoir à vendre quelque chose. Pourquoi ? Parce qu’ils sont lourdement endettés !”, souligne l’économiste. Et cette dette étant majoritairement détenue par des fonds chinois, quid des problèmes géopolitiques à venir ?, a-t-elle encore alerté.

6/ La baisse de la productivité

“C’est pourtant l’un des trois moteurs de la croissance économique avec le capital et le travail. Mais tandis que tout le monde dit que les technologies améliorent la productivité, cette dernière baisse. C’est une énigme, met en exergue Dambisa Moyo, dans son sixième “risque”. Faut-il attendre que les technologies révèlent leur potentiel comme l’électricité bien après les découvertes de Franklin ? Mesure-t-on mal la productivité ?”.

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People have stopped voting. And governments in

Western democracies do not have a long-term perspective, because we, as voters, reward them for being short-termed.

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À LA SOURCE DE NOTRE INDIVIDUALITÉRobert

PLOMINProfessor of Behavioural Genetics, MRC RESEARCH

“Les parents sont importants, mais ils n’ont pas d’influence”. C’est la conclusion polémique qu’a publiée Robert Plomin, psychologue et spécialiste en génétique au prestigieux King's College, après 45 années de recherche. À l’USI, il a levé le voile sur la théorie développée dans son ouvrage Blueprint: How DNA Makes Us Who We Are.

Longtemps, la théorie environnementaliste a prédominé en psychologie. D’évidence, notre personnalité et nos capacités intellectuelles ou psychiques doivent être la conséquence de notre éducation et de notre milieu social. À l’issue de 45 années de recherche, Robert Plomin l’affirme haut et fort : c’est faux ! Contrairement à ce que nous pensons, c’est l’ADN qui explique la majorité de notre individualité.

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Des fervents environnementalistes pourraient argumenter que le rôle de l’environnement familial dans les capacités et goûts d’un enfant est loin d’être négligeable. Si un père amateur de lecture transmet ce goût à ses enfants, n’est-ce pas parce qu’il a passé du temps à leur lire des histoires étant petits ? De fait, si l’on retrouve une corrélation entre parents et enfants biologiques concernant leur personnalité et leurs capacités d’apprentissage, celle-ci disparaît dans le cas d’une adoption. Une preuve s’il en faut que l’environnement est important, mais pas autant que la nature : l’ADN des individus.

Bien sûr, deux enfants d’une même famille peuvent se révéler radicalement différents – mais Robert Plomin nous rappelle qu’ils ne partagent que 50 % de leurs gènes. Et alors que notre ADN apporte une explication rationnelle, quantifiable, sur des caractéristiques familiales, l’environnement pour sa part produit des effets stochastiques, aléatoires. En effet, le même événement peut produire des réactions diamétralement opposées entre deux enfants de la même famille. Et Robert de conclure : “Les effets de l’environnement sont importants, mais non systématiques. L’ADN est le principal élément systématique qui détermine qui nous sommes en tant qu’individus”.

TEL PÈRE, TEL FILS ? (ET TEL FRÈRE ?)

Si l’on vous demandait la prédominance de la génétique sur la couleur de vos yeux, que répondriez-vous ? Et votre poids ? Ou encore votre réussite scolaire ? Si certaines caractéristiques physiques sont généralement admises comme héréditaires, le commun des mortels accorde bien trop de crédit aux facteurs environnementaux en termes d’influence sur des attributs tels que la morphologie, ou encore le succès aux examens. Car si nous partageons 99 % de notre ADN avec l’ensemble des êtres humains, le 1 % différenciant serait bien la source de notre individualité selon Robert Plomin.

Lorsqu’on parle d’hérédité, il faut avoir en mémoire qu’il s’agit de statistiques, et non d’une science exacte et immuable. Pour évaluer l’influence de notre ADN sur notre personnalité, Robert Plomin a réalisé pendant plusieurs décennies des études probabilistes auprès de jumeaux identiques, dits “monozygotes”, partageant le même ADN. L’analyse des résultats scolaires de quelques 16 000 paires de jumeaux a ainsi permis d’aboutir à la conclusion suivante : 60 % de la réussite scolaire serait dû à notre ADN. Ce pourcentage s’élève même à 70 % concernant les attributs physiques, 50 % pour l’aspect psychologique et 40 % pour la personnalité.

NATURE OU ÉDUCATION : L’HÉRITABILITÉ DE NOTRE PERSONNALITÉ

La recherche génétique a réalisé un bond cette dernière décennie, et plus encore ces trois dernières années. Nous sommes désormais capables d’identifier certains gènes et leur variation entre deux individus – ce qu’on appelle le SNP, le single-nucleotide polymorphism. En analysant les centaines

de milliers de SNP présents dans le génome des êtres humains, Robert Plomin a mis en lumière leur corrélation avec certains traits de caractère. Des troubles mentaux tels que la schizophrénie, la bipolarité ou les troubles dépressifs majeurs peuvent ainsi être corrélés à certains gènes. Et les résultats sont encore plus probants concernant nos capacités intellectuelles : réussite scolaire, intelligence, aptitudes à la lecture…

Ces résultats ne sont certes pas des prédictions parfaites. Mais ils mettent en lumière une certaine causalité, d’autant plus remarquable que l’ADN d’un individu reste identique tout au long de sa vie. Le prélèvement d’une seule de vos cellules permettrait ainsi de prévoir – de manière limitée – vos aptitudes, vos préférences, et votre comportement au cours de votre vie. Robert Plomin nous rassure, ces découvertes ne diminuent en rien le rôle des parents ou de l’école dans le développement des enfants – soutien physique et psychologique d’un côté, compétences de base de l’autre. Pour autant, dans un cas comme dans l’autre, les conséquences seront aléatoires, sans aucune certitude de résultat. Le message est libérateur.

Robert Plomin en est persuadé, nos avancées en termes de compréhension et d’analyse de l’ADN représentent une véritable révolution – avec toutes ses potentialités (prévention de maladies), mais aussi ses dangers. Les voix s’élèvent pour alerter contre les risques de discrimination, d’eugénisme ou de déterminisme. Finalement, l’innovation n’est jamais bonne ou mauvaise en soi, sa valeur tient de l’utilisation qu’on en fait.

LA RÉVOLUTION DE L’ADN AU SERVICE DE LA PRÉDICTION

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Schools matter, but they don't make a difference.

60% of difference in children's educational performance is genetic.

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SÉCURITÉ PSYCHOLOGIQUE ET INNOVATION Professeure de leadership à la Harvard Business School, Amy Edmondson nous démontre l’importance de la sécurité psychologique en milieu professionnel, dans un talk passionnant sur la peur de l’échec et ses conséquences.

La peur de l’échec et la culture du silence nuisent à notre productivité. Voici l’information principale transmise par Amy Edmondson lors de sa conférence USI 2019. La chercheuse américaine est à l’origine du concept de sécurité psychologique au travail ; un sentiment éprouvé par des employés qui se sentent en droit de s’exprimer librement, mais aussi d’assumer leurs erreurs.

AmyEDMONDSONNovartis Professor of Leadership and Management, HARVARD BUSINESS SCHOOL

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C’est à sa sortie d’Harvard qu’Amy Edmondson découvre toute les conséquences, voire les risques, d’un environnement de travail non-sécuritaire. Une fois son doctorat en poche, la scientifique s’engage avec une équipe de recherche dans une étude sur le taux d’erreurs médicales dans diverses équipes exerçant dans plusieurs établissements hospitaliers à travers les États-Unis.

Cherchant à définir si les équipes qui se sentent le plus en sécurité psychologiquement commettent moins d’erreurs, les chercheurs ont procédé à l’aide de data officielle, mais aussi de questionnaires distribués chaque semaine au personnel soignant. En corrélant ces deux sources d'informations, Amy Edmondson s’est alors aperçue au bout de six mois que les équipes ayant le taux le plus élevé d’erreurs médicales étaient aussi celles où régnait la plus grande sécurité psychologique.

Des résultats surprenants pour la chercheuse qui confie avoir été étonnée de ces conclusions : “Les taux d’erreur allaient de 2 à 24, ce qui est une assez large échelle. Je suis tombée des nues, et j’ai mis quelque temps à comprendre qu’en réalité, les meilleures équipes, du point de vue de la sécurité psychologique, ne commettaient pas plus d’erreurs que les autres, mais les assumaient et les déclaraient plus volontiers, explique-t-elle. Le personnel se sentant plus en sécurité hésitait moins à en parler, à reconnaître ses erreurs et ne cherchait pas à les dissimuler, au contraire des autres équipes. Ces équipes, plus en confiance, pouvaient donc plus aisément échanger sur ce qui allait ou n’allait pas, et ainsi améliorer leurs méthodes de travail. L’erreur fait progresser.” Amy Edmondson fait depuis la nuance entre le taux d’erreurs affiché et le taux d’erreurs connues.

RECONNAÎTRE SES ERREURS

Fear limits creativity, learning, innovation

and problem solving.

Pour expliquer cette différence de comportements parmi les équipes de collaborateurs, Amy Edmondson dénonce une “culture du silence liée à notre peur de l’échec. Échouer n’est agréable pour personne, mais ça l’est encore moins au travail où cela peut avoir de sérieuses conséquences. Alors en cas d’erreur, on ne dit rien, on se fait tout petit et surtout, on ne parle pas de ses problèmes.”

Car ne rien dire présente un gain certain et immédiat pour soi, tandis que parler peut entraîner un coût inconnu dans un délai plus ou moins lointain. “Par peur du pire, nous avons appris à nous taire, c’est devenu une seconde nature de s’autocensurer au travail, de ne pas assumer ses erreurs, de ne pas poser de questions, de ne pas remettre en cause le statu quo. Nous jouons pour ne pas perdre, alors que nous devrions jouer pour gagner. Nous devons apprendre à créer des environnements de travail sains, où les individualités peuvent s’exprimer. C’est la seule manière de rester pertinents et performants dans un monde en constante évolution.”

Pour Amy Edmondson, c'est là que réside toute l'importance de la sécurité psychologique qui opère comme “une forme de permission”. Une permission d’oser et de prendre des risques en se sachant entouré de collègues et de supérieurs bienveillants.

JOUER POUR GAGNER

La bienveillance est en effet le meilleur moteur vers l’innovation. Si la peur motive, elle motive surtout à dissimuler et tromper. La professeure cite en exemple le scandale Volkswagen, aussi connu sous le nom de dieselgate. En 2015, le constructeur automobile allemand est épinglé par l'Agence américaine de protection de l’environnement pour avoir frauduleusement tenté de réduire les émissions polluantes de certains de ses moteurs diesel et essence lors des tests d'homologation.

Pour Edmondson, cette affaire témoigne des dangers d’un environnement de travail non bienveillant et basé sur la peur, plusieurs témoignages parus dans la presse internationale au moment des faits mettant en lumière la personnalité et le management despotique de Martin Winterkorn, alors Président du Directoire du Groupe Volkswagen.

Pour éviter de tels débordements et amener ses employés dans ce qu’elle nomme la zone d’apprentissage, seuil atteint lorsque se fait l'équilibre entre exigence et sécurité

psychologique, Amy Edmondson recommande de suivre trois étapes très simples :

/ Façonner un cadre de travail bienveillant : étudier toutes les situations sans biais personnels, aborder les problèmes avec calme, écoute et solidarité.

/ Encourager l’interaction : motiver ses partenaires à prendre la parole, à poser des questions, à s’exprimer ; les questionner sur leurs perspectives, demander leurs avis sur certaines problématiques pour banaliser le dialogue entre les collègues et les différents services.

/ Répondre aux sollicitations de manière productive : savoir apprécier les informations et messages transmis par ses collaborateurs, même les mauvaises nouvelles ; apporter des réponses claires et qui mènent à un apprentissage collectif.

De quoi créer un environnement propice à un travail complexe, incertain et interdépendant qui favorisera la créativité et l’innovation.

LA BIENVEILLANCE ENCOURAGE L’INNOVATION

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LA DÉMOCRATIE EN DANGER ?

CynthiaFLEURYPhilosophe, Professeure, CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS (CNAM)

Notre démocratie serait-elle menacée ? Est-elle capable d’avancer, de se renouveler sans notre aide ? À travers une ingénieuse métaphore sur la santé et l’acte de soin, la philosophe et psychanalyste française Cynthia Fleury, professeure au CNAM et titulaire de la chaire Humanités et Santé, nous invite à repenser notre responsabilité politique.

Selon Freud, parmi l’ensemble des professions, trois métiers se distinguent par leur degré de difficulté : soigner, éduquer et gouverner. Le célèbre psychanalyste autrichien estime même qu’ils relèvent de l’impossible. Mais en les reliant davantage, ne trouverions-nous pas une nouvelle manière d’appréhender notre approche de la politique ? Pour Cynthia Fleury, théoricienne du gouvernement limité, le geste gouvernemental doit pouvoir se questionner en amont, par le soin et l’éducation, afin d’être réellement efficace.

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Selon la politologue américaine Joan Tronto, le soin est “l’activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie”. Dans notre société, l’acte de soin est donc à la fois le soutien et le résultat de l’état de droit. Il est même la clé du maintien de notre état de droit pour le philosophe et sociologue allemand Max Scheler.

Pour autant, cet acte de soin nécessite en premier lieu l’amour de soi-même. “La haine de soi est un sentiment intenable. En général, le sujet se protège en la transformant en haine des autres, en dénigrement” qui va pouvoir être exploité par des individus mal intentionnés. “Car le ressentiment enraye le processus de soin. Il devient alors impossible de produire un acte de construction de l’état de droit”. Il s’agit bien du mécanisme à l’œuvre dans les dérives sociétales telles que le nazisme.

Dans son livre La psychologie de masse du fascisme, le psychiatre et psychanalyste Wilhelm Reich s’interroge sur la responsabilité des masses, et par conséquent de celle des individus, face au nazisme. À ses yeux, “l’importance sociologique d’Hitler ne réside pas dans sa personnalité mais dans ce que les masses ont

fait de lui”. Plus le ressentiment, né du processus de réification des sociétés, est présent, plus les sociétés oublient ce point fondamental : l’état de droit repose exclusivement sur l’état social. Tout l’enjeu, affirme Reich, est de “bien faire attention à ne pas produire chez les individus la base caractérielle de ces attitudes” pendant l’acte de soin, que cela soit celui des parents, de l’école, des institutions. “Il s’agit donc de découvrir les fonctions énergétiques qui elles-mêmes, conditionnées par l’éducation et l’atmosphère sociale, transforment les structures humaines, à un point tel que peuvent s’y développer des tendances à caractère si réactionnaire et irrationnel, que les individus, en s’identifiant au Führer, ne ressentent même plus l’affront qui leur est fait par la désignation de sous-homme”.

Alors, comment faire pour fournir ce soin aujourd’hui ? Pour Cynthia Fleury, il faut revenir à la question “qu’est-ce que le souci de soi ?”. Il ne s’agit pas de se renfermer sur sa personne, mais bien de porter une réflexion commune sur la manière de produire des gestes capacitaires, pour nous donner les moyens de de résister à la frustration, au ressentiment. Non pas dans l’acceptation, mais dans la sublimation : faire œuvre, se mettre au travail, redevenir irremplaçable. Cynthia Fleury en est convaincue, “participer de la conception de l’intérêt général non seulement protège la démocratie, mais protège également notre santé psychique”.

DU SOIN DES INDIVIDUS AU SOIN DE LA SOCIÉTÉ

UNE APPROCHE PHILOSOPHIQUE DE LA SANTÉ

Dans sa thèse sur Le normal et le pathologique, Georges Canguilhem, philosophe et médecin français du XXe siècle, soutient une vision non-absolutiste du corps. “Être en bonne santé c'est pouvoir tomber malade et s'en relever”. Ainsi, la santé permettait de traverser les vulnérabilités, et de faire en sorte que celles-ci soient les moins irréversibles possible. En transposant cette idée à l’acte de gouverner, la bonne santé d’un gouvernement se jaugerait à son immunité, sa capacité à “traverser les vicissitudes et s’en relever”, selon Cynthia Fleury.

Au-delà d’une approche quantitative du dérèglement, du sentiment de vie contrarié, la maladie serait donc une “expérience positive d’innovation du vivant, une réaction généralisée, un effort thérapeutique produit par la nature pour obtenir cet équilibre nouveau avec une intention de guérison”. Et la santé, une manière d’inventer de nouvelles normes de vie, à l’instar des défis à relever par notre société (mondialisation, crises sociales, écologiques…).

Une démocratie saine doit donc savoir “tolérer des infractions à la vie habituelle”, et “laisser la place à l’individuation” pour contrebalancer la réification provoquée par la vie sociétale. La crise des urgences en est le parfait contre-exemple. Pilier de notre état de droit, notre système de santé publique a longtemps nié ses faiblesses, au détriment de notre état social et du respect des agents de santé, provoquant la détresse actuelle. Pour Cynthia Fleury, “le déni de vulnérabilité produit des catastrophes”.

Car le ressentiment enraye le processus de soin. Il devient alors impossible de produire un acte de construction de l’état de droit.

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SANS EAU, PAS DE VIE !

SylviaEARLEOceanographer

Scientifique et aquanaute, l’octogénaire Sylvia Earle est l’une des plus célèbres ambassadrices de la lutte pour la protection des mers et des océans. Elle transmet ici avec aplomb sa passion pour une surface vitale trop longtemps victime de la voracité humaine, et rappelle pourquoi la connaissance dont nous disposons nous oblige à l’égard de la vie sous-marine.

“On peut aller explorer l’univers pour trouver une planète capable d’accueillir l’homme et de prolonger sa vie hors de la Terre. Mais pour l’heure, la plus proche et accessible, c’est Mars. Et l’atmosphère n’y est pas respirable. Le sera-t-elle un jour ? On ne sait pas. Mais imaginez le temps qu’il a fallu pour que la vie existe sur Terre !”. C’est en interrogeant l’exploration du cosmos et les objectifs d’Elon Musk pour “coloniser” Mars, que Sylvia Earle a choisi d’introduire sa conférence.

Partant d’une image de la Terre vue de l’espace, elle nous a rappelé une heure durant ce que nous savons aujourd’hui, et ce qu’hier encore, au début du XXe siècle, nous ignorions. “On sait que sur une planète qui a 4,5 milliards d’années, la vie a pu prospérer grâce à la photosynthèse, il y a 50 millions d’années seulement. Dans l’océan d’abord, puis en surface. Il faut donc énormément de temps pour que la vie se déploie, pour avoir une production suffisante d’oxygène et d’azote. Alors en attendant, pourquoi ne pas prendre conscience de ce que nous avons et le protéger ?”, a demandé celle pour qui la première plongée en 1953 a changé la vie à jamais.

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LE PROCHLOROCOCCUS, UN ORGANISME SOUS-MARIN INCONNU MAIS VITAL

NOUS SAVONS, ET NOUS NE POUVONS PLUS IGNORER

TOUT EST INTERCONNECTÉ

L’océan regorge de beauté, certes, mais aussi d’éléments qui conditionnent littéralement la vie sur Terre. Dans un premier temps, il est composé d’eau. 97 % de l’eau de notre planète se trouve dans l’océan, ainsi que plus de 90 % de la biosphère. “Et que cherche-t-on sur une planète quand on imagine un jour pouvoir y vivre ? Quel est l’élément inconditionnel sans lequel la vie est impensable ? C’est l’eau”, a rappelé l’aquanaute. La vie même de l’océan permet de réguler les températures en surface, explique la formation des pluies, des nuages et fait le climat, a-t-elle insisté. “Sans océan, sans bleu, pas de vert. Pourtant, il nous a fallu beaucoup de temps pour donner de la valeur à la vie dans l’océan. Ce n’est qu’en 1956, avec la découverte d’un organisme appelé Prochlorococcus que la donne a commencé à changer. Car on s’est alors aperçu que notre

existence dépend de cet organisme : 20 % de l’oxygène de la terre et de l’eau est généré par ce petit organisme”.

Partant de l’idée qu’un élément aussi microscopique conditionne la vie, on peut donc penser que l’immensité de l’océan accueille bien d’autres espèces et voit se produire bien d’autres phénomènes générateurs d’équilibre. Et c’est le cas : “Il existe 35 catégories d’animaux. Nous faisons partie des vertébrés mais nous ne sommes qu’une infime partie des espèces. La plupart sont invertébrés et plus de la moitié des types d’animaux vivent dans l’océan. Comme nous sommes sur la Terre ferme, nous ne pouvons apprécier à sa juste valeur le fait que la majorité de la vie sur Terre est en fait sous l’océan. Il faudrait que nous fassions tous un voyage en sous-marin pour le réaliser”, a estimé la scientifique.

Et selon elle, cette connaissance cumulée, cette “exception” de savoir propre à l’Homme, ne laisse aucune autre échappatoire. “Nous avons maintenant ce super pouvoir de la connaissance. Nous en savons suffisamment pour protéger ce qui apporte et soutient la vie. Impossible donc de ne pas agir. Les technologies sont là. Elles existent. Mais ce qui manque aujourd’hui c’est la volonté. Celle de protéger”. Heureusement, les mentalités et les actions évoluent, a-t-elle souligné, sourire aux lèvres. Elle a ainsi rappelé que des chefs d’État, depuis les présidents américains Georges

W. Bush ou Barack Obama jusqu’à l’actuel président péruvien, en passant par des îles-nations du Pacifique et d’ailleurs, s’engagent en créant des réserves marines protégées, interdites à la pêche, dans leurs zones économiques exclusives… Mais le chemin est encore long. “Cela ne concerne que 4 ou 5 % de la surface des océans. Le reste est ouvert à la pêche, à l’exploitation. On pourrait aller jusqu’à 50 %. D’un coup. Pourquoi pas ? Pour cesser ce déclin des processus qu’on a toujours pris pour argent comptant. Nous n’avons nulle part ailleurs où aller en fin de compte”.

L'observation et la connaissance croissante des mers et océans démontrent que tout sur la planète, depuis les fonds marins jusqu’à la cime des arbres, est interconnecté. “Je n’en veux pas aux pêcheurs du passé pour ce qu’ils ont fait sans savoir, sans connaître l’importance de la vie dans l’océan, sans savoir que tuer les baleines aurait un impact énorme. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on commence à prendre conscience que les choses de la vie sont totalement liées. On devrait tous être reconnaissants du charbon, du bois, du gaz qui nous ont donné l’électricité, qui nous ont permis d’aller dans l’espace”.

On voit aussi les conséquences de nos actes sur l’océan et sur nos vies, a ajouté Sylvia Earle. En constatant par exemple l’augmentation des plastiques qui finissent leur “vie” dans l’eau, créant de véritables pièges pour les poissons ou les empoisonnant sous formes de microparticules :

“Aujourd’hui, on comprend et on voit ce qui n’était pas visible. Et nous sommes les seules espèces à savoir d’où viennent les problèmes. Car nos actes sont en cause. Il nous a fallu quelques décennies seulement pour détruire des espèces qui rendent notre vie possible ! Nous devrions être fascinés par ces organismes et effrayés de les voir décliner…”, a déploré la scientifique devant un public ému et attentif.

Most of life on Earth is out there in the ocean.

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The ocean drives weather and climate.

The ocean is where most of life lives, where most of our oxygen is produced.The ocean is in trouble and we should listen up.

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CHIFFRES CLÉS

1 800participants

TOP 3 DES PARTICIPANTS

Julien Bobroff Lévitation Quantique

Hugh Herr The Bionic Age

Jane Goodall Reason for Hope155

entreprises participantes

110accréditations

presse

25speakers

internationaux48

interviews

1

4 757 374vues

40 000abonnés

411vidéos

1plateau TV(France 24)

1 expérience live de

lévitation quantique

1 show de drones

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ET L’HOMME BIONIQUE FUT

Hugh HERRGroup Director & Associate Professor, MEDIA ARTS & SCIENCES, BIOMECHATRONICS

“La bionique va fondamentalement changer ce qu’est l’être humain et éliminer le handicap moteur”, a affirmé Hugh Herr sur la scène d’USI. Amputé des deux jambes en 1982, ce passionné d’escalade est depuis devenu un scientifique chevronné. Directeur d’un groupe de recherche sur la biomécatronique au MIT, il met au point avec son équipe des procédés et technologies qui, demain, promettent d’augmenter l’Homme.

“Quand j’avais 17 ans, j’étais passionné d’escalade. Mais je me suis retrouvé bloqué par moins 35 degrés Celsius. Malgré des mois de combat ensuite, on a dû amputer mes deux jambes”. commence Hugh Herr. Heureusement, 37 ans plus tard, il a retrouvé sa mobilité et a pu escalader d’autres falaises. C’est justement la certitude qu’il pourrait un jour pratiquer à nouveau son sport favori, conduire ou marcher qui l’a conduit à devenir un éminent chercheur du MIT. “À l’époque, le médecin m’avait dit que je ne pourrais plus jamais grimper ou faire du vélo. J’ai refusé son diagnostic. Déjà à l’époque, j’étais persuadé que l’on pourrait surmonter le handicap grâce à la technologie et l’innovation. Aujourd’hui je ne suis plus un jeune homme qui rêve. Je suis professeur au MIT, je dirige le groupe de recherche en biomécatronique et co-dirige le MIT Center for Extreme Bionics” raconte-t-il, équipé de ses prothèses bioniques.

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avancé sur l’AMI”. Amputé et opéré suivant la procédure AMI par une équipe médicale de pointe, Jim a ainsi été équipé d’un membre bionique relié à son cerveau.

“Alors qu’il descendait les marches, le pied bionique de Jim allait chercher de lui-même la marche inférieure pour rééquilibrer sa posture. Et, après les tests, alors que nous discutions, assis, son pied bionique a commencé à bouger naturellement comme pour accompagner ses mots, comme cela se produirait chez une personne non amputée ! Plus tard, Jim nous

a raconté qu’il avait la sensation que le robot faisait partie de lui. C’est donc bien plus qu’un outil. Avec la mécatronique, nous ré-offrons une partie de leur corps à des individus qui l’ont perdue”, raconte, de façon très enthousiaste, le chercheur du MIT.

Pour qu’il puisse grimper à nouveau sur des parcours d’escalade très escarpés, l’équipe du MIT l’a ensuite équipé d’une jambe bionique plus évoluée encore. Résultat, “il est devenu le premier grimpeur cyborg. Extraordinaire !”

“La bionique, c’est une science à la frontière entre la biologie et le design”. Il s’agit de designer des parties de corps synthétiques qui s’apparentent à des os et des muscles humains du corps biologique. Ensuite, “nous avons besoin d’une cartographie du cerveau”. C’est ainsi qu’au sein du Centre de bionique extrême du MIT, le chercheur et ses équipes travaillent sur l’optogénétique ou encore la neurovascularisation, afin de saisir tout ce qu’il se passe dans le cerveau et s’en servir pour mieux soigner.

Les champs d’applications de ces recherches en science bionique sont nombreux. Ça commence avec l’amputation : “Nous innovons pour améliorer les prothèses, et pour ce faire nous avons souhaité créer un lien bidirectionnel entre le cerveau humain et les prothèses”, poursuit le scientifique. “Mais cette évolution n’était possible qu’en innovant en matière de méthode d’amputation”.

UN FIN MÉLANGE DE BIOLOGIE ET DE DESIGN

Aujourd’hui, des recherches sont aussi menées sur les animaux et sur l’homme, pour appliquer ce potentiel bionique et les progrès issus de l’optogénétique à l’amélioration de la qualité de vie de personnes paralysées. L’idée étant, un jour, de leur redonner le pouvoir de marcher : “Nous sommes entrés dans une nouvelle ère dans l’histoire des interactions hommes-machines, a assuré Hugh Herr. Mais il a fallu attendre 2014 pour que quelqu’un crée un exosquelette qui améliore réellement les jambes d’être humain mobile, et faire que l’homme se dépense moins,

s'abîme moins, en se déplaçant. Aujourd’hui avec la mécatronique, on travaille à la mise au point de bottes qui améliorent le saut et la marche”.

Et pour Hugh Herr, il ne faut pas craindre le pire et plutôt imaginer le meilleur : “Nous travaillons à des innovations qui donnent des droits aux hommes : celui de remarcher, d’avoir une activité sportive qui n’use pas démesurément les muscles…” Et de conclure : “Ce que je vois en moi aujourd’hui, c’est un pouvoir, le potentiel de la technologie pour surmonter le handicap”.

Lorsqu’il a été amputé, Hugh Herr l’a ainsi été selon des techniques très anciennes, ayant peu évolué en 100 ans. “Je peux avoir l’impression d’avoir des pieds et des jambes, je peux même penser à faire bouger mes pieds mais cela ne produit rien au niveau de mes prothèses car les chirurgiens ont rompu le lien possible avec mon cerveau”.

Le MIT a donc mis au point un procédé révolutionnaire, baptisée AMI (interface neuro-musculaire agoniste-antagoniste) : “L’AMI sert à connecter les nerfs du membre résidu à une prothèse bionique externe. Comment cela fonctionne ? L’AMI est formé de deux muscles, liés chirurgicalement : un agoniste lié à un antagoniste. Quand l’agoniste se

contracte après activation électrique, il étire l’antagoniste”, détaille Herr. Cela permet de rétablir un phénomène naturel chez l’homme non amputé, à savoir la proprioception, qui donne au porteur de prothèse des sensations naturelles sur la position et les mouvements de son membre synthétique.

Pour illustrer son propos, Hugh Herr raconte l’histoire de l’un de ses amis grimpeurs, Jim. Ce dernier souffrait énormément après une chute et, malgré des mois d’hôpital, ne pouvait espérer alors reprendre, un jour, l’escalade. Il lui a donc demandé s’il ne serait pas mieux de se faire amputer de sa jambe douloureuse. “Je lui ai répondu que si. D’autant qu’à cette époque au MIT, on avait justement beaucoup

QUAND LA TECHNOLOGIE PROLONGERA NOS CORPS…

LA NAISSANCE DU PREMIER GRIMPEUR CYBORG

"I don't see disabilities, I see transcendent abilities.

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Bionics give us new minds, news bodies, new identities.

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ET SI VOUS CHANGIEZ DE VIE ?

PhilippeGABILLIETProfesseur de psychologie et management, ESCP EUROPE

Professeur de psychologie et de développement personnel à l'ESCP Europe, auteur et conférencier, Philippe Gabilliet a fait cogiter les participants d’USI autour d’un sujet qui nous a tous un jour effleuré l’esprit : “et si je changeais de vie ?” Orateur tour à tour bienveillant, drôle, imagé et mordant, il a proposé cinq leçons pour se poser les bonnes questions et s’exposer au doux risque du changement.

“Au cours d’une vie, on cherche toujours à savoir si la route qu’on prend est la bonne, et l’on s’interroge sur celle qu’on aimerait prendre. 70 % des Français voudraient ainsi changer de vie”, rappelle Philippe Gabilliet en introduction de sa conférence USI.

C’est particulièrement vrai aujourd’hui dans un monde connecté et mobile. “Car mon arrière grand-père ne vivait pas dans le même monde. Pour lui finalement, la vie était un peu toute tracée. Il a toujours vécu dans un rayon

de 30 kilomètres autour du lieu où il était né. Voyager était compliqué”, raconte le professeur de psychologie. Aujourd’hui, par contre, le champ des possibles est infini : “Nous sommes faits de questionnements. Parce que

LE QUESTIONNEMENT : UN COMMUN HUMAIN

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/ Règle n° 1 : On ne peut ni tout choisir ni tout changer. “La bonne nouvelle c’est qu’avec le peu de choses qu’on va changer, on peut faire la différence. Ce qui compte ce n’est pas de se battre contre l’impossible mais de faire levier sur des choses que je peux changer aujourd’hui”.

/ Règle n°2 : Même quand on veut changer de vie, il y a des choses qui ne changeront pas. “Nous sommes des hommes et des femmes enracinés. Nous ne venons pas de nulle part. Et nous avons en nous des boussoles, des valeurs auxquelles on croit, des gens à qui on est attachés”, a rappelé le professeur et auteur.

/ Règle n°3 : Changer de vie c’est accepter de rencontrer des résistances. Baudelaire a écrit : “il y a dans tout changement quelque chose d’infâme et d’agréable à la fois…”. “Et c’est vrai que la peur nous guette tous à l’heure d’un changement. Il va falloir jeter des choses, se délester. Et autour de nous, la résistance peut s’organiser. Des gens qui nous aiment veulent nous protéger”.

/ Règle n°4 : Tout changement de vie réussi est une création collective. On ne peut pas changer de vie tout seul dans son coin, a ensuite estimé l’expert. “Quand on change de vie, on change des vies. Et on change avec, grâce à quelqu’un”.

/ Règle n°5 : Changer de vie c’est d’abord apprendre des choses nouvelles. “Chaque fois qu’on a envie d’apprendre quelque chose on ne devrait jamais se brider” a finalement assuré, avec enthousiasme, Philippe Gabilliet. “Changer de vie, c’est aussi apprendre à apprivoiser d’autres lieux, un autre écosystème, et très souvent apprendre à vivre différemment les relations avec les autres. Sans compter, bien sûr, qu’un changement de vie se fait presque toujours au prix de changements intérieurs”.

Cependant questionnement ou non, peur ou non, soutenu ou non, l’auteur de L’art de changer de vie en 5 leçons en est certain. “Dans le fond, tout voyage mérite d’être entrepris. Il faut s’en donner le droit mais aussi en donner le droit aux autres”.

Pour lui, changer un peu ou beaucoup son chemin de vie exige donc quelques précautions. Aussi a-t-il réfléchi à quelques règles pour bien

se lancer. Il en a exposé cinq aux participants de l’USI.

Les points de départ d’un changement de vie sont multiples aussi. Mais il prend toujours la même forme, souligne Philippe Gabilliet. “Celle d’une bifurcation, d’un carrefour autour duquel on va choisir de poursuivre tout droit ou de tourner. Après ce changement de cap peut être progressif, limité ou brutal”. Mais prendre la décision d’un changement, ce n’est pas être sûr ou faire un choix définitif : “On peut avoir des plans, mais la vie est faite d’aléas. Tenter, ce n’est pas forcément réussir. On peut partir vivre aux

Maldives et revenir deux ans après à Châtenay-Malabry. Et se dire : voilà, l’ailleurs ce n’est pas fait pour tout le monde !”, explique-t-il, devant un public de l’USI rieur. En insistant qu’il ne s’agit pas toujours de tout chambouler. On peut modifier une habitude, déménager à 50 km en campagne, changer d’entreprise, de métier, voire prendre une décision de rupture amoureuse : “Les vraies questions sont pourquoi on change de vie, pour aller où et avec qui ?”.

LES 5 LEÇONS POUR CHANGER… UN MORCEAU DE VIE

L’HEURE DE LA BIFURCATION

les habitudes nous agacent. Parce qu’on est totalement épuisés. Parce qu’on en veut à la Terre entière… Alors évidemment, on aimerait tous un environnement formidable, que le monde ressemble à cela : une belle carrière, une belle famille, des moments heureux. Mais ce n’est pas si simple”.

Pas simple car le déclencheur peut être insidieux, violent ou superficiel. Car les réactions d’une personne au trouble et au questionnement sur sa vie ne sont pas identiques : “certains chouinent. Certains prennent ça par mépris. Et d’autres se disent que c’est une occasion d’optimiser, de voir le monde différemment et de changer”.

Les vraies questions sont pourquoi on

change de vie, pour aller où et avec qui ?

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VERS LA RÉVOLUTION DU PARTAGE

AlexandreMARSPrésident & Fondateur, EPIC

Pour lutter contre les dérives d’un monde aujourd’hui ultra libéral, Alexandre Mars mise sur l’ultra social. Avec sa start-up à but non-lucratif, Epic, il entend rendre le don accessible à tous. Explications.

Surnommé le “Bill Gates français”, en référence au fondateur de Microsoft, connu pour être un philanthrope aguerri, Alexandre Mars a un objectif : réinjecter du sens dans un monde dirigé par le profit aveugle. Dès le début de son talk, il cite ainsi en exemple la marque C’est qui le patron ?!, qui pour attaquer le marché de la grande consommation a choisi de rendre l’acte d’achat philanthropique. Avant de lancer leur premier produit, une brique de lait, Nicolas Chabanne et Laurent Pasquier, les co-fondateurs de la marque ont ainsi posé sept questions à un panel de clients. Parmi elles : “Un producteur devrait-il correctement gagner sa vie ?”, “Devrait-il y avoir moins d’OGM dans le lait”, “Les producteurs devraient-ils avoir au moins une semaine de vacances ?”.

Au vu des réponses obtenues, toutes positives, ils calculent le prix idéal de cette brique de lait : 99 centimes d’euros. Pour faire de la marge et rester rentable, ils décident de supprimer toutes les dépenses marketing et s'appuient sur leurs 8000 sociétaires. “Ces derniers sont allés “taper à la porte” de leur Carrefour, Monoprix, Auchan en demandant de parler au responsable des produits laitiers, pour exiger la mise en vente de la marque C’est qui le patron?!. Ça a fonctionné : en deux ans, elle est devenue la première marque de lait vendue en France.” Depuis C’est qui le patron ?! a lancé 18 autres produits.

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Optimiste, Alexandre Mars place beaucoup d’espoir dans les générations futures. “Les jeunes de la génération Y ou Z ont une quête de sens absolue qui peut révolutionner le monde de l'entreprise. Pour être efficace sur le long terme, le partage doit être une solution dialoguée entre les salariés et les employeurs”, explique Alexandre, qui cite en exemple l’entreprise Dior, où les salariés ont désormais la possibilité de pratiquer l’arrondi sur salaire.

L’effort est collectif et solidaire puisque pour vingt centimes donnés par l’employé, la compagnie en donne quatre-vingts. Le 9 septembre prochain, Dior, lancera également aux États-Unis un “Epic Day”, un jour où 10 % des revenus de toute la marque à travers le pays seront reversés aux associations soutenues par Epic.

Autre partenaire important de la plateforme, la Ligue de football professionnel, qui pour combler le gouffre entre le public, plutôt populaire, et les sommes colossales brassées dans le football, a décidé de reverser de l’argent aux associations d’Epic chaque fois qu’un but est marqué en ligue 1 ou en ligue 2.

Pour Alexandre Mars, le succès de ces opérations est le signe que la société évolue et que les convictions des consommateurs ne peuvent plus être ignorées par les entreprises : “De plus en plus d’entreprises vont se créer ou se réformer en intégrant ce principe de don et de partage. La révolution du partage est la révolution de chacun. Nous avons accepté collectivement de nombreuses choses qui n’étaient pas justes, sans poser de questions. Aujourd’hui, nous nous questionnons enfin.”

Pour répondre à ce besoin, Alexandre Mars fonde et autofinance Epic, une plateforme qui permet de donner de l’argent à différents organismes philanthropiques. Epic n’a aucun modèle économique et reverse 100 % de l’argent récolté aux organisations. “Notre combat est de changer la trajectoire des malchanceux du premier jour, ceux qui n'ont rien” explique Alexandre. “Pour cela, nous nous concentrons sur peu de domaines, mais nous nous y investissons à fond. Ces champs sont l’éducation, la protection de l’enfance, la santé et l’accès à l’emploi.”

Pour sélectionner les associations de son catalogue, Epic les évalue grâce à 3 domaines d’analyses, 45 indicateurs et 3 étapes d’audit. Les associations sont étudiées pendant sept mois, selon l’impact qu’elles ont sur la société, le bien-fondé de leur mission, la qualité de leur management… Sélectionner des associations permet de proposer aux utilisateurs des organismes sûrs et viables. “Certaines personnes pensent que s’ils font le bien, les autres devraient leur faire confiance, mais le public a besoin de savoir que son argent servira bien les causes qu’il défend.” L’an dernier, sur 4000 organisations, seules cinq ont été sélectionnées par Epic qui ne compte que 28 organisations dans son portefeuille.

DES ENTREPRISES QUI JOUENT LE JEUUNE SÉLECTION STRICTE

Autre marque à mettre en corrélation les valeurs des consommateurs avec le produit proposé, Lyft, concurrent d’Uber. Il y a deux ans, Lyft avait 6 % de parts de marché et une valorisation de 2,5 milliards de dollars. Aujourd’hui, l’entreprise est valorisée à 22 milliards de dollars, avec 22 % de parts de marché. La marque a certes profité du déclin d’Uber, mais elle a surtout su répondre aux demandes des usagers, en leur proposant par exemple de donner un pourboire au chauffeur, ou la possibilité d’arrondir le prix de la course au dollar supplémentaire pour en faire don à des associations.

“La course au profit n’est pas le seul objectif”, réaffirme Alexandre Mars pour qui l’important est “d’aller du point A, où sont les gens, au point B, où les gens veulent aller.” Pour cela,

il faut dialoguer. L’entrepreneur confie avoir eu l’idée d’Epic lors d’un tour du monde, après avoir constaté qu’aux questions “Avez-vous donné du temps ou de l’argent à une cause sociale l’année dernière ?” et “Pensez-vous avoir donné assez ?”, les réponses étaient systématiquement “oui” puis “non.” Les raisons invoquées ?

/ Le manque de confiance dans les organismes associatifs : scandales en mémoire, comme celui de l’Association pour la recherche sur le cancer en 1991.

/ Le manque de temps.

/ Le manque de connaissances : difficulté à choisir entre différentes associations et causes.

FACILITER LE DON

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COMMENT FAIRE BON USAGE DE LA TECHNOLOGIE ?

DanTERHORST-NORTH Technology & Organizational Change Specialist

Pourquoi le bénéfice que nous tirons de la technologie est-il rarement à la hauteur des attentes ? Les règles et habitudes régissant nos sociétés qui fonctionnaient si bien hier seraient-elles devenues notre prison ? Pour résoudre ce paradoxe, Dan Terhorst-North, coach agile et consultant, nous propose de casser nos règles afin de libérer (enfin) notre potentiel d’innovation.

“La technologie peut avoir des avantages si, et seulement si, elle réduit une friction”. Cette affirmation d’Eliyahu Goldratt, gourou israélien du management, est la pierre angulaire de toute l’approche transformationnelle de Dan Terhorst-North. Alors que les innovations fleurissent pour nous simplifier la vie, améliorer l’efficacité de nos organisations et créer de nouvelles opportunités, nos sociétés résistent, s’accrochent à leurs règles et leurs manières de faire, perdant ainsi tout le bénéfice de ces nouvelles technologies. Mais comment modifier notre paradigme ?

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“Nous ne savons pas comment raisonner afin de tirer profit des nouvelles technologies”. Selon Dan Terhorst-North, c’est la raison pour laquelle nous ne parvenons pas à exploiter la technologie au maximum de son potentiel. Et de nous proposer un modèle d’analyse – simple et efficace – en quatre questions :

/ Quelle faculté détient cette technologie ? Que fait-elle ? Comment puis-je l’exploiter ?

/ Quelle limitation diminue cette technologie ? En quoi cette technologie peut m’aider ? Puis-je prouver que cette limitation était un réel obstacle ? Et comment mesurer la diminution de cette limitation ?

/ Quelle(s) règle(s) nous permettrai(en)t de nous affranchir de cette limitation ? Quels modes de fonctionnement ont été

adoptés en réponse à cette limitation ? Puis-je les modifier facilement ? Qui risque de se sentir menacé par le changement du statu quo ?

/ De quelles nouvelles règles avons-nous besoin pour exploiter et maximiser l’utilité de cette technologie ? Comment pouvons-nous exploiter cette nouvelle technologie en toute sécurité, et en respectant la courbe d’adoption des individus ?

Si l’on en croit Terhorst-North, ces quatre questions sans prétention sont la clé pour comprendre ce qui, dans nos entreprises, empêche une adoption complète d’une technologie. Et pour nous convaincre, cet expert de la transformation des entreprises nous partage quelques exemples.

CHANGEMENT DE PERSPECTIVE SUR L’INNOVATION : UN MODÈLE EN QUATRE QUESTIONS

Le domaine du développement durable souffre, lui aussi, de notre résistance au changement. En effet, l’état actuel de la technologie nous permet de produire de l’énergie de source renouvelable – à l’aide d’éoliennes, pour citer un exemple parmi d’autres – de manière fiable et économique, avec un impact minimal sur l’environnement. Et même de la stocker pour pallier les changements météorologiques. Leur exploitation permettrait de diminuer notre dépendance aux sources d’énergie nocives pour le climat, ainsi qu’aux organisations et aux états qui les contrôlent.

Problème : une majorité de la population est désormais persuadée que seules les sources nocives pour l’environnement de type énergie fossile ou nucléaire sont économiquement viables. Dans ce contexte, pourquoi se priver de la voiture ou de l’avion, puisque les alternatives

ne font pas le poids ? Si c’était bien le cas initialement, cette affirmation est de moins en moins vraie. Et ce n’est qu’en investissant dans la recherche sur les énergies renouvelables que nous pourrons continuer à en diminuer le coût. Ici, “la règle est devenue un paradigme”.

Le même raisonnement s’applique à l’adoption de toute nouvelle technologie : l’utilisation du cloud comme service informatique à la demande, ou encore l’agilité comme méthode de développement “better, faster, cheaper”. Quelle que soit l’innovation, son adoption complète et efficace suppose une remise en cause du statu quo, les règles conçues pour faire fonctionner un système finissent tôt ou tard par nous contraindre, explique Dan Terhorst-North, qui achève son talk sur ces mots inspirants : “Break the rules!”. CQFD.

NOS CROYANCES LIMITANTES À L’ENCONTRE DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Les premiers ERP (Enterprise Resource Planning) ont vu le jour au début des années 90. Leur objectif ? Permettre de collecter et rassembler les données de l’ensemble d’une entreprise afin d’en obtenir une vision holistique. Les ERP permettent donc de renforcer la connaissance de ce qui se passe dans les autres départements de l’entreprise.

Pour autant, dans une organisation ayant toujours fonctionnée en silos, chaque entité est considérée comme un centre de coût ou un centre de profit. C’est ce qu’on appelle le « cost accounting ». Les décisions sont donc optimisées de manière locale et non globale. Alors pour exploiter et maximiser la valeur d’un ERP, l’organisation devrait adopter un nouveau modèle de comptabilité tel que le “throughput accounting” basé sur le flux de production.

Encore faudrait-il pouvoir changer librement de système de comptabilité. En effet, “la règle est devenue la loi” selon Dan Terhorst-North. À partir d’une certaine taille, les entreprises doivent pouvoir être comparées sur des critères communs, les forçant à conserver un modèle traditionnel de comptabilité.

LES RÈGLES INTERNATIONALES DE COMPTABILITÉ OPPOSÉES AUX ERP

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À LA RECHERCHE DE “PLANET NINE”

KonstantinBATYGINProfessor of Planetary Science, Van Nuys Page Sholar, CALTECH

Depuis la débâcle de Pluton, reléguée au rang de planète naine et sortant ainsi de la liste officielle des planètes du système solaire, Konstantin Batygin, professeur adjoint de sciences planétaires à Caltech, s’est donné un but : “make the solar system great again”. Autrement dit, lui rendre sa neuvième planète. Retraçant les pas des plus grands astronomes avant lui, Konstantin Batygin mobilise toute la puissance de calcul de Caltech pour débusquer cette fameuse neuvième planète.

Notre connaissance du système solaire a peu évolué depuis l’époque de Galilée : seules deux planètes ont été découvertes – trois si l’on compte Pluton, reclassée depuis en planète naine. Il faut dire que les six premières planètes du système solaire sont observables à l’œil nu – la tâche s’est complexifiée pour les suivantes. Mais depuis la débâcle de Pluton en 2006, les astronomes pensaient tout connaître sur le système solaire. Et pourtant…

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Exploitant toute la force de calcul du California Institute of Technology (Caltech), Konstantin Batygin réalise des milliers de simulations de l’évolution du système solaire depuis le Big Bang jusqu’à nos jours. L’objectif : évaluer la masse et l’orbite théorique de cette Planète 9. Les ordinateurs sont formels : la Planète 9 devrait être bien plus massive que la Terre, et occuper une orbite elliptique gigantesque, de période 10 000 ans (le temps nécessaire pour parcourir un tour complet).

Une découverte récente vient renforcer l’hypothèse de l’existence de la Planète 9 : Niku, un corps du système solaire à l’orbite pour le moins étonnante. Non seulement, celle-ci est inclinée pratiquement à la perpendiculaire des orbites des planètes du système solaire – qui évoluent approximativement dans un même plan. Mais en plus, cet objet transneptunien tourne dans le sens inverse des autres corps célestes.

Paradoxalement, si cette nouvelle découverte vient bouleverser les calculs gravitationnels de Konstantin Batygin et ses collègues, elle semble également indiquer la présence de cette fameuse Planète 9, qui viendrait expliquer cette anomalie.

Les recherches continuent pour débusquer la Planète 9 dans ce qui semble être un jeu de piste à échelle céleste… Après la preuve gravitationnelle établie par les calculs, place à l’observation des étoiles à l’aide du télescope géant de l’Observatoire National du Japon à Hawaï, afin de valider son existence. Et si la tâche semble titanesque, Konstantin Batygin n’est certainement pas près de baisser les bras : “la Planète 9 est le chaînon manquant du processus de formation des planètes de notre système solaire”. En espérant que ses travaux avanceront plus rapidement que l’orbite de la planète en question…

OÙ EST CHARLIE ?

Uranus est la première planète découverte à l’époque moderne. À la fin du XVIIe siècle, l’astronome William Herschel reporte chaque soir la disposition des étoiles dans le ciel vu de son télescope. Un soir, Herschel remarque au milieu des étoiles une petite tache à côté de Saturne : la septième planète de notre système solaire sort de l’ombre. L’orbite d’Uranus sera par la suite reconstruite par Alexis Bouvard, selon une méthode éprouvée avec d’autres planètes du système solaire. Pourtant, si les tables astronomiques de Jupiter et Saturne coïncident avec leur trajectoire orbitale, celle d’Uranus présente des anomalies importantes. Bouvard postule alors l’existence d’une huitième planète

impactant la gravité d’Uranus : Neptune.

Son hypothèse est reprise et prouvée par Urbain Le Verrier en 1846. À partir de la déviation orbitale d’Uranus, ce mathématicien et astronome calcule la masse, l’orbite et l’emplacement théorique de Neptune. Quoique partiellement faux, ses calculs gravitationnels lui permettent effectivement de trouver Neptune parmi les milliards d’étoiles qui émaillent le ciel. “A happy accident” observera Benjamin Peirce, professeur de mathématiques au Harvard College. En astronomie comme en business, “timing is everything”. La même méthode sera reprise par Clyde Tombaugh pour découvrir Pluton – qu’il imaginait bien plus grosse qu’en réalité.

Depuis le déclassement de Pluton, Neptune a longtemps été considérée comme la dernière planète du système solaire. Au-delà, dans la région “transneptunienne”, se trouve la ceinture de Kuiper, une ceinture d'astéroïdes composée principalement de glace – dont fait partie Pluton notamment. Les corps célestes composant la ceinture de Kuiper réalisent de longues trajectoires elliptiques, en résonance orbitale avec Neptune. Ces orbites vont toutes, peu ou prou, dans le même sens, dans un plan déviant de 20° de celui du Soleil. Dans cette ceinture, un objet se distingue : Sedna.

À son apogée (le point le plus éloigné du Soleil), sa distance au Soleil est mille fois plus importante que celle de la Terre. Mais contrairement à ce que l’on pourrait attendre, en se rapprochant de Neptune, Sedna conserve sa trajectoire sans entrer en résonance orbitale avec la huitième planète. “Il se passe quelque chose de bizarre dans notre système solaire éloigné”, remarque Konstantin Batygin. Et d’en conclure qu’il doit exister une autre influence gravitationnelle expliquant ce phénomène. L’influence de la fameuse Planète 9 ?

PETITE HISTOIRE DE L’ASTRONOMIE

SUR LA PISTE DE LA « PLANÈTE 9 »

You can't predict the course of science, which is the most

beautiful thing about it.

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DES ENTREPRISES INVINCIBLES

Professeur, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE —Auteur, Co-Fondateur, STRATEGYZER AG

Dans un talk participatif et interactif, Alexander Osterwalder et Yves Pigneur nous apprennent comment améliorer les business models d'entreprises existantes, mais aussi comment se lancer dans l'innovation, afin de créer, peut-être le Amazon ou le Apple de demain.

En créant Canvas, un outil pour dresser un état des lieux du modèle économique d’une entreprise, Alexander Osterwalder et Yves Pigneur souhaitaient avant tout créer “un langage commun, pour pouvoir partager et discuter d’un sujet stratégique, le business model, Notre but était d’harmoniser les représentations et les visualisations des business models.”

YvesPIGNEUR AlexanderOSTERWALDER

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L’échec et l’invention sont des jumeaux inséparables.

Cet outil, qui a déjà séduit de nombreuses entreprises à l’image de KLM, Coca-Cola ou encore Mastercard, vise à lutter contre “les mythes de l’innovation”, comme les appelle Yves Pigneur, à savoir le mythe de la bonne idée ou du plan à exécuter à la perfection. “L’important pour nous était de créer une culture de l’innovation, un environnement favorable à la création”, confie-t-il, en encourageant les compagnies existantes à devenir ambidextres, c'est à dire à optimiser leurs atouts déjà existants, tout en innovant et en disruptant. “Il est plus compliqué qu’on ne le pense d’innover dans une entreprise déjà bien en place car nous devons déjà faire face aux défis d'exécution tels que les rendus ou la satisfaction client”, concède Yves Pigneur. “Mais il est très important de s’inscrire dans un continuum entre amélioration de l’existant et invention.”

Pour améliorer des business models existants, il est nécessaire de les faire évoluer, de les rénover constamment, car “comme les yaourts, les business models ont une date d’expiration » affirme Osterwalder avec humour. L’une des solutions peut être celle employée par les conférences TED, qui sont passées d’un marché de niche, confidentiel et privilégié, à un marché de masse en s’adaptant au streaming vidéo et en diffusant des conférences, jusqu’ici réservées à une élite, sur YouTube. Ce business shift est, selon Yves Pigneur, le signe “d’une entreprise performante car capable de se réinventer.”

SE RÉINVENTER CONSTAMMENT

Canvas sert justement à faciliter ce travail de shift, en proposant aux entreprises de visualiser les risques ou les bénéfices encourus. L’outil permet de déterminer, selon une échelle de revenu, quels secteurs acquérir, quels secteurs améliorer, ou au contraire, dans quels secteurs il serait plus judicieux de désinvestir.

Au cours d’un exercice basé sur l’évolution du modèle économique de Nestlé, Osterwalder et

Pigneur ont ainsi demandé aux participants de définir quels cœurs de métier étaient les plus intéressants pour la multinationale selon le ratio risques/rentabilité. Un petit atelier pratique qui a notamment permis de constater l’évolution des stratégies de Nestlé, qui en 2018 a ainsi choisi de désinvestir dans Nestlé Skin Health, branche consacrée aux cosmétiques qui n’était plus en accord avec la vision de la compagnie, et au contraire d'acquérir la marque Starbuck’s.

Osterwalder. “Mais il existe deux outils pour se faciliter un peu le travail: les tests et les prototypes.” Les tests permettent de limiter au maximum le risque d’innovation en essayant de voir si les clients vont acquérir le produit ou avoir recours au service. Ils permettent de mesurer :

/ La désirabilité : les clients le veulent-ils ?

/ La faisabilité : peut-on le faire ?

/ La viabilité : peut-on générer un revenu suffisant pour compenser les coûts de ce produit ?

Les prototypes permettent de créer des alternatives et de les évaluer. Il ne s’agit pas ici d'affiner l’idée de départ, mais d’en explorer de nouvelles pour ensuite choisir la meilleure d’entre elles. Pour Alexander Osterwalder, s’ils souhaitent innover avec la plus grande probabilité de réussite, “les décideurs doivent donc devenir eux-mêmes designers, procéder aux tests, et utiliser le prototypage, le storytelling, l’IA…”.

Si le business plan d’une entreprise pré-existante se fait en fonction des forces et faiblesses de cette dernière, élaborer le business plan d’une innovation est d’autant plus compliqué qu’il se base sur des données hypothétiques. Aucun

revenu réel sur lequel se baser pour adapter une stratégie de vente ou de communication, mais seulement des projections de chiffres imaginaires, attendus ou espérés. “Innover est un processus chaotique”, confirme Alexander

MUER INTELLIGEMMENT

L’EXPLORATION VERS L’INNOVATION

Alexander Osterwalder rappelle ainsi que l’essai et l’échec sont la meilleure voie vers l’innovation. Citant en exemple Amazon, dont le fondateur Jeff Bezos revendique les échecs, il encourage à tenter, quitte à se tromper. “Pour innover, il faut constamment tester de nouvelles choses, et se réinventer en permanence. Alors forcément ça ne marchera pas à chaque fois, vous allez échouer de nombreuses fois avant de réussir. C'est normal et c’est positif. L’échec et l’invention sont des jumeaux inséparables”, affirme-t-il en expliquant que l’on compte environ 250 projets pour une “vache à lait” à la Nespresso ou Amazon. “Soixante-cinq projets sur cent sont des échecs, trente cinq projets sur cent connaîtront un succès plus ou moins important, mais seulement quatre projets sur

mille donneront des innovations révolutionnaires et lucratives, assure Alexander Osterwalder. Vous ne pouvez pas choisir les gagnants sans avoir les perdants. Vous devez accepter de vous tromper pour réussir.”

Terminant leur conférence par un de ces petits exercices dont ils ont le secret, Alexander Osterwalder et Yves Pigneur demandent à chacun des participants de dessiner une maison sur une feuille en moins de cinq secondes, puis de la montrer à son voisin. Résultat : une profusion de toit en triangle posés sur des carrés. “Vous avez tous eu la même image en tête”, commente Pigneur, taquin, mais rappelez vous : “innover, c'est ne pas penser comme tout le monde.”

ÉCHOUER POUR GAGNER

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REPENSER LA RESPONSABILITÉ DE L’ENTREPRISE À L'ÈRE DIGITALEDe quoi une entreprise est-elle responsable ? Aujourd’hui, 70 % des PDG du CAC 40 et des grandes entreprises françaises ont une prise de parole engageante en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Simple effet d’annonce ? Pour Laurence Morvan, Chief Corporate Social Responsibility d’Accenture, il n’y a pas de doute : un nouveau cycle commence. Et avec lui, un nouvel agenda stratégique pour les entreprises.

LaurenceMORVANChief Corporate Social Responsibility Officer, ACCENTURE

Comment définir la responsabilité d’une entreprise ? “Une entreprise est responsable d’innover pour répondre à de nouveaux enjeux, qu’ils soient sociétaux, environnementaux, etc. Et ce pour une croissance plus résiliente sur le long terme, plus inclusive et dont les bénéfices sont partagés entre toutes les parties prenantes de l’entreprise.” précise Laurence Morvan, avant d’ajouter : “Tout ceci

DE LA PHILANTHROPIE À L’ENGAGEMENT CIBLÉ

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Adoptée en avril 2019, la loi PACTE demande aux entreprises de définir plus précisément leur “raison d’être”. “Une première étape absolument nécessaire” selon Laurence Morvan, qui permet notamment aux comités de direction de s’interroger concrètement sur leurs objectifs et leurs engagements.

Mais ces “raisons d’être” sont encore très inspirationnelles et sont parfois éloignées du travail au jour le jour. Créer le lien avec ce dernier est indispensable, et surtout fructueux : 48 % des entreprises qui ont la plus forte croissance1 ont mis cette “raison d’être” au profit “d’innovations qui ont du sens, c’est-à-dire un impact social et/ou environnemental positif ”, et de produits et services en adéquation avec leurs valeurs.

“C’est le cas notamment d’une entreprise comme Engie qui, sous l’impulsion d’Isabelle Kocher, s’est vouée à devenir un leader de la transition énergétique. Toute la stratégie de l’entreprise en est impactée : investissements dans le renouvelable, organisation en business units, etc. C’est un effort massif”.

Le soutien du PDG est d’ailleurs indispensable à cette transformation, qui touche toutes les strates de l’entreprise. “Le rôle des fonctions RSE est de fixer des objectifs, des cibles, de mesurer les progrès, d’aligner tout le monde derrière des programmes cohérents. Mais c’est au cœur même des fonctions business (R&D, logistique, production...) qu’il faut mettre la responsabilité ESG”. Un agenda si stratégique que plus de 50 % des cadres dirigeants interrogés par Accenture pensent qu’il doit être piloté directement par les PDG.

1 Les entreprises responsables, championnes de la croissance : https://www.accenture.com/fr-fr/about/corporate-citizenship/responsible-business-croissance

UNE RESPONSABILITÉ AU-DELÀ DES FONCTIONS RSE

Pourquoi les entreprises ont-elles changé de posture ? Deux évolutions concomitantes expliquent cette transformation.

1. Les nombreux scandales industriels ou alimentaires de ces dernières années ont fait de nous des consommateurs plus avertis ! Investisseurs ou employés ont également à cœur de promouvoir les valeurs et les engagements de l'entreprise qu'ils représentent, notamment les nouvelles générations, qui cherchent désormais une adéquation entre leur activité professionnelle et leurs principes.

2. Les nouvelles technologies élargissent le champs des possibles et forcent les entreprises

à se les approprier constamment. Mais une telle accélération exponentielle crée aussi de nouveaux risques, notamment en matière de gouvernance, de transformation du travail, d’automatisation, d’utilisation de l’IA et de ses biais potentiels.

Pour Laurence Morvan, l’enjeu est de comprendre le degré de maturité de chaque technologie, et d’inclure à la fois des perspectives et des garde-fous. “La technologie est neutre, c’est aux entreprises de prendre en compte l'anticipation de ces risques. Il va d’ailleurs falloir parler d’ESG + T, le T étant la Technologie”.

DEUX VECTEURS DE CHANGEMENT

Un autre mythe mérite d’être déconstruit : l’investissement RSE serait trop onéreux pour valoir le « coût ». Faux ! “Nous avons étudié des séries historiques sur 5 ans : les entreprises qui ont les meilleurs résultats en matière d’ESG sont également celles qui ont les meilleurs résultats en termes de critères financiers (croissance, marge, retour sur investissement)”. Pourquoi ? Laurence Morvan y voit d’abord le flair de certaines entreprises, qui ont saisi plus tôt que d’autres l'importance de ces tendances. Ou tout simplement aussi que les pratiques ESG sont, par essence, des bonnes pratiques de gestion d’entreprise.

Il est intéressant pour terminer de constater que ces entreprises reposent sur des pratiques culturelles communes comme la transparence (sur l’utilisation des données par exemple), la collaboration (systèmes ouverts) ou encore l’anticipation (comme la mise en place de comités d’éthique), etc.

“Ma conviction est que tous ces traits culturels doivent s’incarner dans l’entreprise. Et la meilleure façon de le faire, est de les mettre dans les objectifs des dirigeants.”

À bon entendeur !

UNE TRANSFORMATION RENTABLE

Pour cela, il faut se libérer du mythe selon lequel la technologie serait réservée aux fonctions IT. Les réalisations de demain ont besoin de pluridisciplinarité : “La réalité virtuelle, par exemple, fait appel à la neuroscience, la science du comportement, la créativité...” rappelle Laurence Morvan. La formation des collaborateurs pour assurer leur

employabilité, est un autre exemple d’ouverture indispensable. “Attention toutefois, seules 38 % des entreprises françaises déclarent donner le priorité au développement des compétences technologiques, et à peine 4 % s’engagent clairement à augmenter les budgets de formation aux nouvelles technologies dans les 3 prochaines années.” Un aspect négligé ?

LA TECHNOLOGIE N’EST PAS QU’UNE AFFAIRE DE TECHNOLOGUES

à un moment où la technologie nous offre de nouvelles opportunités mais fait aussi émerger de nouveaux risques...”

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) n’est pas une nouveauté. Mais alors que l’engagement tenait historiquement plus de la philanthropie (budgets alloués à des fondations, à du mécénat de compétences, etc.), les entreprises s’engagent aujourd’hui sur des cibles et des critères plus concrets en matière de bonnes pratiques, d’éthique et de gouvernance (les critères « ESG » pour environnementaux, sociaux et gouvernance).

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MANAGER DES CHAMPIONS

ArsèneWENGERManager, SPORTS LEGEND

Quelles qualités faut-il avoir pour entraîner un club de foot de renom ? Comment gérer les stars ? Comment motiver un champion et développer son potentiel ? Et que peuvent apporter les nouvelles technologies au management sportif ? Autant de questions auxquelles a répondu, non sans humour, celui qui fut entraineur de l’AS Monaco pendant 8 ans et d’Arsenal pendant 22 ans.

On connaissait les talents d'entraîneur d’Arsène Wenger : ses maintes victoires aux manettes de Nancy, de Monaco, de l’équipe japonaise du Nagoya Grampus ou d’Arsenal en témoignent. Sur la scène d’USI 2019, celui qu’on surnomme “le Professeur” a aussi révélé ses qualités d’orateur. Dans un jeu de questions/réponses avec François Hisquin, président d’USI, d’abord, puis avec le public venu en nombre pour l’écouter, il a livré sa vision et partagé quelques confidences.

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À entendre Arsène Wenger : l’art de manager c’est l’art de s’adapter. Surtout en temps de crise. Et à l’heure du match, quelques minutes avant le coup d’envoi ou à la mi-temps, le rôle du manager évolue. “Pour la causerie d’avant-match, tout dépendra de l’adversaire, des matchs précédents, du timing dans la saison. On pourra alors être encourageant ou plus dur. Mais d’une façon générale,

dans la vie, les gens oublient très vite leurs qualités. L’essentiel est donc de mettre l’équipe dans une dynamique collective très combative et à un niveau de motivation élevée”, a confié l’ex-entraîneur d’Arsenal. Pour lui, la peur est une émotion à bannir des terrains. Raison pour laquelle il faut pouvoir l’exprimer avant, en semaine, et l’anéantir avant match. “Le joueur de haut niveau a un objectif, un seul. C’est gagner”. C’est marquer des buts. Éviter d’en prendre. “C’est un tueur. Et cet état d’esprit, il faut le maintenir ou l’impulser”.

Et dans un monde d’excellence, il faut faire ses preuves en permanence nous rappelle le Professeur. Certes Mandela a dit “je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends”. Mais sur la planète foot, “il ne faut pas perdre trop souvent car sinon tu n’auras pas le temps d’apprendre longtemps”, a lancé Wenger, provoquant un éclat de rire général. “Il faut que

les joueurs aient confiance en toi et que tu aies confiance en eux, en ton staff, a-t-il poursuivi. Tu dois donc aussi vivre comme un sportif de très haut niveau. Et tu dois prouver ta foi en l’humain. Être entraîneur, c’est un vrai acte de confiance envers les autres. Je déconseille donc à tous les paranoïaques cette orientation professionnelle !”.

Mais guider les joueurs, les motiver, partager un projet ne suffit plus aujourd’hui. Car manager l’équipe d’un club qui gagne et enchaîne les ligues des champions, c’est aussi gérer les transferts et se confronter à leurs montants toujours plus pharaoniques. “J’ai fait 400 transferts à Arsenal. Et chaque gros

transfert mériterait qu’on écrive un livre. On joue au poker maintenant, et jusqu’au dernier moment. Il faut convaincre le club, le joueur, les agents… ça prend énormément de temps. Et quand vous faites une erreur, vous pouvez perdre 10, 20 ou 50 millions d’euros”.

Dans cet univers sportif hautement concurrentiel hors et sur le terrain, la collecte de données et leur analyse porte-t-elle autant de promesses qu’ailleurs ? “On est très avancé dans le domaine. J’ai moi-même acheté une société aux États-Unis en 2013 pour quantifier les performances des joueurs, dévoile Wenger. Cela nous a permis de disposer d’une analyse des performances hebdomadaires de tous

les joueurs européens. C’est un plus pour connaître l’adversaire ou identifier ses forces et ses faiblesses. Mais surtout, on peut être en avance et repérer très tôt un joueur de talent. Et comme il n’est pas connu, il ne coûte pas cher !”, a finalement conclu, volontairement provocateur, celui que le goût de la compétition habite encore.

“Un bon entraîneur doit avoir un concept clair pour l’équipe, un projet pour lequel il est prêt à se battre. Bien sûr, ce projet peut évoluer en fonction des joueurs mais c’est ce qui permet de prendre des décisions dures. Comme empêcher un footballeur de qualité de participer à un match. Car quand on fait ça, on le rend chômeur. Et avant son retour sur le terrain d’entrainement le lundi, il va vous détester”, a confié Arsène Wenger. Ce projet, sa solidité, compte aussi pour se faire accepter d’un club, de ses dirigeants, de ses supporteurs et de ses joueurs. “Il faut que votre projet devienne le leur. Qu’ils se l’approprient et qu’ils le défendent. Quand tu arrives en Angleterre, on ne te déroule pas le tapis rouge. C’est quand ton projet est partagé par les meilleurs de ton équipe que tu deviens plus fort. Et plus tu renforces ce lien

avec l’équipe, plus tu te fais une place dans le vestiaire. C’est essentiel, car un vestiaire c’est une jungle !”.

PORTER UN PROJET CLAIR

Un bon entraîneur doit

avoir un concept clair pour l’équipe, un projet pour lequel il est prêt à se battre.

Reste qu’une équipe de haut niveau se manage aussi en face à face, d’individu à individu. Car au royaume du football, les très bons joueurs sont des stars. Et la gestion des egos s’invite régulièrement dans le quotidien du coach. “Globalement, il faut que tu traites les plus grandes stars presque plus durement que les autres. Sauf quand l’équipe te demande de faire un compromis avec l’une ou l’autre car elle a fait gagner l’équipe”. Après, si on repère souvent les très grands joueurs “à l’endurance de leur motivation”, “les plus forts sont aussi les plus exigeants avec eux-mêmes. Dans notre métier, on est donc confrontés aux perfectionnistes, et dès qu’ils ne contrôlent plus leur environnement, ils deviennent agressifs. À ce moment-là, une seule règle s’impose : un bon face à face avec eux”.

GÉRER LES EGOS

ENTRETENIR L’ESPRIT DE “TUEUR” DES JOUEURS

LA CONFIANCE SINON RIEN

QUAND LE MANAGER SE TRANSFORME EN HOMME D’AFFAIRES

DÉTECTER LES TALENTS ET IDENTIFIER LES FAILLES GRÂCE AUX DONNÉES

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Ce qui est intéressant dans le

sport collectif, c'est qu'il y a un chemin de jeu. C'est comme si une équipe était un seul homme.

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GAMES OF DRONES

RaffaelloD'ANDREAProfessor, ETH ZURICH Founder, VERITY STUDIOS

Entre science fondamentale et ingénierie, le quotidien de Raffaello d’Andrea est fait de recherches sur la capacité des systèmes autonomes et de création de machines volantes interactives. Dans la salle plénière de l’USI 2019, il a parlé de capteurs, d’algorithmes, de tests, de sécurité, de robots et de drones. Et a fini de captiver le public avec une chorégraphie aérienne live aussi futuriste que poétique.

Raffaello D’Andrea aurait bien pu ne jamais exposer ses recherches et innovations sur la scène de l’USI, ou toute autre scène du monde. Il aurait même pu ne jamais devenir le professeur, chercheur, ingénieur, artiste et entrepreneur qu’il est aujourd’hui. Car dès l’enfance, comprendre les phénomènes scientifiques tout en expérimentant a constitué son hobby favori. Il s’est donc lancé dans des mises en pratique ambitieuses… et périlleuses : “Petit, je rêvais de voler. Et j’ai voulu comprendre comment les choses volaient. J’ai donc fait de nombreuses expériences sur l’aérodynamique par exemple, même si je ne savais pas ce que c’était. J’ai par exemple sauté du toit de ma maison avec un parasol. J’ai également créé de l'hydrogène par électrolyse, et inondé le sous-sol de chlore”, raconte-t-il à l’audience captivée.

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“Je n’ai jamais choisi entre la science et l’ingénierie : la science, c’est la découverte du monde, et l’ingénierie c’est l’invention des choses qui n’existent pas” a confié l’expérimentateur canadien-italien-suisse. “Et en même temps que j’étais professeur à l’université, j’ai donc enseigné les fondamentaux sur le vol et les systèmes autonomes, mais aussi mené de très nombreuses expérimentations avec mes élèves”. Il cherche notamment à comprendre et reproduire le vol en formation des oiseaux avec des machines volantes. En parallèle, il met également en pratique le résultat de ses recherches au sein de Kiva System, en créant les premiers systèmes d’entrepôts intelligents

avec plus de 100 000 robots mobiles autonomes déployés dans les centres logistiques d’Amazon.

Raffaello d’Andrea se penche ensuite sur la possibilité de contrôler des machines volantes de façon arbitraire. “Par exemple, on lance un ballon et un drone équipé d’un filet le visualise et le rattrape. Nous avons ainsi mis au point un algorithme qui permet au drone de calculer les différentes façons de rattraper le ballon et d’opter pour la meilleure méthode. Cela a été une étape de développement importante pour montrer comment une machine peut s’adapter au contexte”, poursuit cet insatiable chercheur et inventeur.

DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE : LA LONGUE EXPÉRIENCE DU VOL AUTONOME

Pour illustrer ce potentiel artistique des drones, l’inventeur présente au public de l’USI une chorégraphie de 15 drones étincelants dansant de manière synchronisée. “Il a fallu beaucoup de tests et de travail d’algorithmes ou sur les capteurs pour s’assurer que les nombreux drones puissent voler en toute sécurité au dessus d’un public, dans un environnement confiné”. Pour prévenir tout type d’accident, l’équipe de D’Andrea a “équipé les drones d’une technologie qui leur permet d’atterrir en toute sécurité même si une batterie, un moteur, une hélice ou un capteur échoue”.

De plus, les drones sont “équipés d’un système de localisation dans l’espace qui leur permet d’effectuer leur chorégraphie sans caméras, ni fils ni autres bride”.

Résultat : avec 150 000 vols autonomes à son actif, Verity Studios peut proposer aujourd’hui des spectacles vivants à de plus en plus d’acteurs - chanteurs, marques, médias – comme le rappeur Drake, les rockeurs de Metallica, des évènements sportifs… À quand les drones de Verity à votre événement d’entreprise ?

Ces apprentissages et innovations permettent d’imaginer des applications très variées. Des drones totalement autonomes pourraient ainsi permettre de contrôler et de recueillir des données sur des installations en site sensible, comme des pipelines, ou d’assurer la surveillance d’entrepôts et de locaux : “On évoque aussi beaucoup la livraison de colis. Les pizzas, ce n’est pas pour maintenant. Mais la start-up Zipline livre aujourd’hui en Afrique des biens sensibles, comme des poches de sang, dans des endroits difficilement accessibles. Et pour la livraison postale, Amazon par exemple avance à grands pas”. Bien sûr, ces progrès en termes d’autonomie et de machine volante peuvent aussi susciter des craintes. Des personnes ou groupes malveillants peuvent imaginer s’en servir pour des attaques terroristes. Mais, selon Raffaello D’Andrea : “les technologies ne servent ni le bien ni le mal.

Nous avons donc la responsabilité de nous assurer que toutes les règlementations et les systèmes de protection soient mis en place pour limiter les risques”.

Lucide, le scientifique n’en est pas pour autant moins rêveur. C’est sans doute la raison qui l’a poussé à créer Verity Studios pour proposer des applications ludiques, artistiques et commerciales du drone. “Nous avons ainsi travaillé avec le Cirque du soleil pour créer des événements live avec la troupe pour son spectacle Paramor à Broadway. Nous utilisons des petits drones légers pour créer des spectacles de lumière dynamiques. Nous habillons même les drones pour en faire des éléments de décor interactif. Pour le Cirque du soleil, les drones avaient donc l’apparence d’abat-jours volants au dessus des têtes des chanteurs”.

DE LA TECHNOLOGIE JUSQU’À LA PERFORMANCE ARTISTIQUE

MILLE ET UNE APPLICATIONSEt ce goût de l’expérience restera à jamais ancré en lui. C’est ainsi qu’il devient professeur-chercheur de systèmes dynamiques et de contrôle à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (ETH). En 2003, il cofonde Kiva Systems, une société de robotique et de logistique qui déploie des systèmes de stockage automatisés intelligents, aujourd’hui connue sous le nom d’Amazon Robotics ; et en 2014, il crée Verity Studios, une entreprise qui développe des drones autonomes en milieu confiné et interactifs.

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La science, c’est la découverte du monde, et l’ingénierie c’est

l’invention des choses qui n’existent pas.

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DES CHIMPANZÉS AU MILITANTISME ENVIRONNEMENTAL

JaneGOODALLPhD, DBE,Founder, THE JANE GOODALL INSTITUTE,UN MESSENGER OF PEACE

Passionnée par la vie animale, le Dr. Jane Goodall a consacré sa vie à l’étude et la préservation des chimpanzés d’Afrique. Primatologue, anthropologue et éthologue reconnue à travers le monde entier, elle milite désormais activement pour la préservation de notre planète.

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En côtoyant les chimpanzés et vivant au milieu de la nature, Jane Goodall se forge une conviction : “toutes les espèces interagissent – si on en retire une, c’est toute la chaîne alimentaire qui disparaît, provoquant l’effondrement du système”. À force de voyager en Afrique, elle constate la détérioration des conditions de vie des populations locales, la dégradation des sols et la déforestation dans les mêmes zones où les chimpanzés sont menacés d’extinction.

En 1986, elle participe à une conférence sur les chimpanzés regroupant des scientifiques du monde entier. Tous partagent le même constat. Partout, les pressions économiques et démographiques provoquent une déforestation, dramatique pour les populations chimpanzés. Ajoutée à la chasse commerciale et au trafic d’animaux vivants, la situation des chimpanzés devient intenable. “Je me suis rendue en tant que scientifique à cette conférence, et j’en suis sortie militante”. Jane décide alors de diversifier les activités de sa fondation. Après consultation des populations locales, elle lance

des programmes de gestion de l’eau, propose des micro-crédits pour financer des projets respectueux de l’environnement, investit dans l’éducation des filles… En échange, chaque village impliqué fournit un ou deux volontaires pour surveiller les chimpanzés et lutter contre le braconnage. “Les populations locales ont compris l’importance de l’environnement pour leur propre futur. Le braconnage n’existe plus dans ces régions, et la forêt reprend peu à peu ses droits”.

Messagère de la Paix des Nations Unies, Jane Goodall achève la dernière conférence de l’USI 2019 sur ces mots : “l’espèce la plus intelligente de la planète est en train de la détruire. Nous nous dirigeons rapidement vers un point de non-retour. Si nous laissons les choses suivre leur cours, la faune et la flore disparaîtront, et nous aussi. Chaque individu a son rôle à jouer”, à l’instar de ces jeunes engagés dans le programme humanitaire Roots and Shoots pour la préservation de notre planète.

Jane Goodall entreprend ses recherches telles qu’elle l’entend : elle attribue des noms aux animaux et les humanise. Vivement critiquée par les spécialistes de l’époque pour ses méthodes peu orthodoxes, la doctorante s’accroche à ses convictions : “j’avais appris d’un de mes anciens professeurs que les humains ne sont pas les seuls êtres vivants à avoir des émotions et une personnalité – et ce professeur, c’était mon chien”. Mais en 1962, les scientifiques considèrent la différence entre les hommes et les animaux comme un abîme. Et la proximité génétique des chimpanzés et des humains (99 % d’ADN en commun) n’y change rien.

Pourtant, grâce à ses recherches sur les chimpanzés, Jane Goodall parvient progressivement à faire sortir les scientifiques de leur “boîte réductionniste”. Ses films documentaires forcent le communauté scientifique à reconnaître les caractéristiques sociales des chimpanzés : ceux-ci s’embrassent, se tiennent par la main, aiment « jouer au dur ». Une fois son doctorat obtenu, Jane Goodall fonde l’Institut Jane Goodall pour la recherche de la faune, l’éducation et la conservation et ouvre un premier sanctuaire pour la préservation des chimpanzés orphelins.

L’engouement de Jane Goodall pour les animaux commence dès son plus jeune âge : élevage de vers de terre dans son lit à un an et demi, observation de la ponte des poules à quatre ans… Étonnamment bien acceptée par ses parents, cet engouement mène peu à peu à un intérêt plus particulier pour le continent africain. “À dix ans, je rassemble mes économies pour acheter un petit livre d’occasion : Tarzan. Et je tombe passionnément amoureuse du seigneur de la jungle”. Dès lors, Jane Goodall n’a qu’une idée en tête : partir vivre en Afrique au milieu des animaux sauvages. Sa mère l’encourage à suivre son rêve : “si tu veux vraiment quelque chose, si tu travailles dur, si tu saisis chaque opportunité et que tu n’abandonnes pas, alors d’une façon ou d’une autre, tu y arriveras”.

Invitée au Kenya par une amie, Jane Goodall économise pendant un an son salaire de serveuse pour payer son billet de bateau. Elle est âgée de 23 ans lorsqu’elle embarque à la poursuite de ses rêves. Lors de son voyage, la jeune femme rencontre l’anthropologue et paléontologue Dr. Louis Leakey. Celui-ci se montre impressionné par ses connaissances, au point qu’il lui propose de devenir son assistante et de venir avec lui étudier les chimpanzés sauvages près du lac Tanganyika en Tanzanie. “Les premiers temps, je me suis demandée comment j’allais faire. Dès que je voyais un chimpanzé, celui-ci s’enfuyait – il faut dire qu’ils n’avaient jamais vu de “singe blanc”. À distance, Jane Goodall observe leur mode de vie, leur alimentation, leur langage, leur système social… et réalise une découverte d’importance : à l’instar des humains, les chimpanzés sont capables de créer et d’utiliser des outils pour s’alimenter. Cette découverte lui permettra d’obtenir des financements pour poursuivre son étude et d’être acceptée (sans diplôme préalable) à l’Université de Cambridge en doctorat d’éthologie, l’étude du comportement animal.

D’UNE PASSION POUR LE RÈGNE ANIMAL À L’ÉTUDE DES CHIMPANZÉS EN TANZANIE

PRÉSERVATION DES CHIMPANZÉS, DES POPULATIONS AUTOCHTONES, DE LA PLANÈTE : MÊME COMBAT

UNE FORMIDABLE FENÊTRE SUR LES PLUS PROCHES PARENTS DU GENRE HUMAIN : LES CHIMPANZÉS

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Isn't it bizarre that the most intellectual specie that ever

walk this earth is destroying it's only home.

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Trois générations différentes, mais l’envie commune d’un monde meilleur. Lors de la deuxième open discussion de la conférence USI 2019, Marcel Gauchet, Cédric Villani et Emmanuelle Duez débattent et philosophent sur les ressources à notre disposition pour changer le monde, rien que ça !

MARCEL GAUCHET

CÉDRICVILLANI

EMMANUELLE DUEZ

OPEN DISCUSSIONUN MONDE MEILLEUR EST-IL POSSIBLE ?

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“Un monde meilleur est a priori, un monde où nous sommes plus riches, plus libres et où nous avons accès à une multitude de moyens techniques. Mais après réflexion, nous réalisons que ces conditions ne garantissent pas un

bonheur optimisé. C’est là que la réflexion du meilleur commence, lorsque nous sommes confrontés à nos contradictions”. C’est par ces mots de Marcel Gauchet que débute cette open discussion.

Pour Cédric Villani, la quête du progrès et la course à l’innovation qui s’est accélérée depuis quelques décennies sont d’ailleurs à l’origine de nombreuses désillusions. “À l’aube du XXIe siècle, Internet était la promesse de l'abolition des frontières, de la connaissance universelle, se remémore-t-il, aujourd’hui, c’est associé à la manipulation de masse, à la surveillance, à la tension, comme en témoignent les cures de désintoxication digitale, et à l’insécurité puisque les cyberattaques feront partie intégrante de notre vie”.

Citant également le plastique, il y a quelques années célébré comme un progrès et aujourd’hui ennemi public numéro un, Cédric Villani note que notre philosophie en tant que société a évolué d’une tentative d’apprivoisement et de conquête de la nature, à un besoin de communion : “Nous avons fini par comprendre que nous devons faire avec la nature, pas contre. Nous n’avons plus le choix”.

“Nous savons faire mais nous ne savons pas réfléchir aux conséquences de ce que nous faisons”, abonde Marcel Gauchet qui, en parallèle, relève tout de même une artificialisation de plus en plus poussée due à la métropolisation et la numérisation.

LE PROGRÈS, D’AUCUN SECOURS ?

Pour Emmanuelle Duez, la quête d’un monde meilleur soulève avant tout la question du commun : “si le monde est à la dérive, c'est selon moi parce que nous manquons d'un intérêt collectif qui nous transcende et nous unit, ce sens du collectif qui fait qu’à un moment, l’humanité fait société”, affirme-t-elle. Cédric Villani souligne que des menaces telles que le bouleversement climatique, l'envahissement des déchets ou la sixième extinction des espèces devraient constituer un intérêt commun assez puissant pour unir les peuples, mais que la prise d'initiatives reste trop timide ou marginale.

“Un monde meilleur est un monde où nous sommes en mouvement. Le drame de notre société est que nous sommes tous spectateurs de ce qui se passe. Le jour où nous serons tous, à notre échelle, acteurs, nous pourrons faire bouger les lignes”, répond Emmanuelle Duez qui fustige ce qu’elle appelle une “humanité tétanisée”.

Pour remettre le monde en mouvement, elle avance qu’ à l’heure de la digitalisation, de l’intelligence artificielle, de l’ubérisation, ou encore du Big Data, il est primordial de vulgariser les discours sur les enjeux climatiques et sociaux pour toucher le plus grand nombre de citoyens. “Notre monde est devenu éminemment complexe et il est indispensable de multiplier les grilles de lecture pour se réconcilier avec une certaine approche de la vérité, accepter les paradoxes plutôt que de tenter de les résoudre, déclare Emmanuelle Duez. Il y a une faillite coupable des élites françaises à rendre accessible cette complexité du monde aux gens qui en ont besoin. Avant de parler transformation du monde, de l’entreprise ou de l’Homme, nous devrions parler information”.

POUR QUE “L’HUMANITÉ FASSE SOCIÉTÉ”

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Unanimement, les intervenants appellent à une gouvernance globale sur les questions technologiques et écologiques. À l’échelle nationale, Emmanuelle Duez milite pour la création d’un ministère du futur, “une organisation qui serait chargée de passer au crash test et de projeter les décisions politiques prises à court, moyen et long terme. C’est un devoir que nous avons face aux générations futures”.

Une idée inspirée par les travaux du philosophe Dominique Bourg qui séduit également Cédric Villani, qui dénonce les inquiétudes à court terme qui prennent le pas sur les enjeux à long terme. “Nous prenons constamment des engagements que nous ne respectons pas. Depuis des années, nous faisons des promesses que nous ne tenons pas, cela a commencé avec le Grenelle de l’environnement et ce n’est pas prêt de s'arrêter. Mais il ne sert à rien de se questionner sur les manières de rendre le

monde meilleur si celui-ci est condamné. Nous devons acquérir une notion de vie meilleure sur la durée”.

Marcel Gauchet émet, quant à lui, des doutes sur les capacités de nos démocraties à créer ces dispositifs pour un retour du temps long : “Le grand danger des démocraties c’est l’institutionite, cette maladie qui consiste à créer un conseil, une commission, une institution, pour régler n’importe quel problème. Ce qu’il nous faut en réalité c’est une réforme de l’entendement”.

Pour Emmanuelle Duez, qui s'inquiète justement de récentes études démontrant l’attrait des jeunes générations pour des régimes plus autoritaires, donc supposés avoir un pouvoir d’action plus impactant car non freinés par le processus démocratique, il est grand temps de “désacraliser la chose politique. Il appartient à tout le monde d’agir et d’œuvrer pour le bien de la planète et un monde meilleur”.

RETROUVER UN TEMPS LONG

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Christine Duchesne Reboul - ORANGE

LE CLUB USI

Un sain remue-méninge, merci !Marie Porot - CRÉDIT AGRICOLE

"Un événement vraiment à part qui tient toutes ses promesses en terme "d'inspiration"

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SAVETHE DATEUSI 20206 & 7 JUILLET 2020

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Crédit photos : Photoheart (François Le Guen et Hubert Caldaguès),

Wojciech Wojcik, Cyril Cincet, Aurélien Massiot et Matthieu Diehr.

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