38
Science et Esprit, XXXVII/2 (1985) 123-159 LA VOLONTÉ HUMAINE DU CHRIST, SPÉCIALEMENT EN SON AGONIE. MAXIME LE CONFESSEUR, INTERPRÈTE DE L'ÉCRITURE 1 Marcel DOUCET, F.I.C. 1. INTRODUCTION Michel le Syrien appelait Maxime le Confesseur un platonicien dan- gereux, un hérétique retors 2 . On dégagera de ce jugement, coloré par la subjectivité d'un monophysite, un hommage à un confesseur de la foi doublé d'un grand penseur. La doctrine de Maxime a profondément influencé le concile du Latran de 649 et le pape postérieur, Agathon, dont la lettre dogmatique a été la base des décrets du concile oecuménique de Constantinople III (680-681). Cet « humilis monachus » (comme on lit auprès de son nom, dans la longue liste des signataires des actes de Latran) peut aussi bien argumenter à la lumière de la seule raison (par exemple pour établir que l'âme est une créature incorporelle) que marier harmonieusement la raison aux sources de la foi, Écriture et Tradition 1 Voici, pour la question des volontés du Christ, les péncopes scnpturaires utilisées dans la Dispute avec Pyrrhus (à partir de PG 91, 320D, dans l'ordre) Jn 1, 43 , 17, 24 , Mt 27, 34 , Jn 7, 1 , Me 9, 30 , 7, 24 , 2 Co 13, 4 , Me 6, 48 , Le 22, 9 , Ga 4, 4 , Ph 2,$,Ps 40 (Vulg 39), 7 , He 10, 5ss , Gn 1, 26 (cf 304C9) , Mt 23, 37 , Le 13, 34 , Jn 5, 2\ — Textes bibliques aussi utilisés dans la Dispute He 2, 10 (305D2), 1 S 17, 51 (308A9), Is 7, 16 (309A) — Quant à Mt 26, 39 (sur l'agonie), plusieurs Opuscules en font l'exégèse , dans la Dispute, il y est fait allusion en parlant de la crainte de la mort, volontaire chez le Christ (297B-300A) — Jn 1, 1 est sous-jacent à tous les emplois du mot <logos>, mot qui, à cause de la parenté du Logos divin avec le logos humain (la raison) et l'élément essentiel des êtres (leur logos), fournit le point de départ de nombreux déve- loppements maximiens (cf DALMAIS) De plus, en s'appuyant sur les Pères, M considère que ceux-ci ont été instruits par l'Écnture, pénétrés tout entiers qu'ils étaient par la grâce de l'Esprit (320D) M utilise la notion de pénehorèse, qu'il met par ailleurs lui-même en circulation (après l'emploi qui en a été fait en théologie tnnitaire par les Cappadociens) en chnstologie En disant que la Venté même, ou la grâce de l'Esprit, parlait par les Pères et non ceux-ci, M rapproche la motion divine sur eux de celle qui s'exerce sur les écrivains sacrés La réflexion théologique moderne distingue les charismes de révélation, d'inspiration et d'assistance Sur les quatre « canaux » de la révélation, selon M , Écriture, symboles, conciles, tradition, cf LOOSEN A l'Ecriture et à la Tradition, à quoi se ramènent les quatre sources précédentes, M adjoint, comme élément de preuve, la raison naturelle , cf VOLKER, ρ 165 , aussi CROCE, passim Voir l'utile « Index scnpturaire des oeuvres de Samt Maxime le Confesseur », dressé par A Riou (cf Riou 1982, ρ 405-21) 2 Cf DEVREESSE, ρ 14

Doucet - La volonté humaine du Christ, spécialement en son agonie - Science et Esprit (1985), 123-159

Embed Size (px)

Citation preview

  • Science et Esprit, XXXVII/2 (1985) 123-159

    LA VOLONT HUMAINE DU CHRIST, SPCIALEMENT EN SON AGONIE.

    MAXIME LE CONFESSEUR, INTERPRTE DE L'CRITURE1

    Marcel DOUCET, F.I.C.

    1. INTRODUCTION

    Michel le Syrien appelait Maxime le Confesseur un platonicien dan-gereux, un hrtique retors2. On dgagera de ce jugement, color par la subjectivit d'un monophysite, un hommage un confesseur de la foi doubl d'un grand penseur. La doctrine de Maxime a profondment influenc le concile du Latran de 649 et le pape postrieur, Agathon, dont la lettre dogmatique a t la base des dcrets du concile cumnique de Constantinople III (680-681). Cet humilis monachus (comme on lit auprs de son nom, dans la longue liste des signataires des actes de Latran) peut aussi bien argumenter la lumire de la seule raison (par exemple pour tablir que l'me est une crature incorporelle) que marier harmonieusement la raison aux sources de la foi, criture et Tradition

    1 Voici, pour la question des volonts du Christ, les pncopes scnpturaires utilises dans la Dispute avec Pyrrhus ( partir de PG 91, 320D, dans l'ordre) Jn 1, 43 , 17, 24 , Mt 27, 34 , Jn 7, 1 , Me 9, 30 , 7, 24 , 2 Co 13, 4 , Me 6, 48 , Le 22, 9 , Ga 4, 4 , Ph 2,$,Ps 40 (Vulg 39), 7 , He 10, 5ss , Gn 1, 26 (cf 304C9) , Mt 23, 37 , Le 13, 34 , Jn 5, 2\ Textes bibliques aussi utiliss dans la Dispute He 2, 10 (305D2), 1 S 17, 51 (308A9), Is 7, 16 (309A) Quant Mt 26, 39 (sur l'agonie), plusieurs Opuscules en font l'exgse , dans la Dispute, il y est fait allusion en parlant de la crainte de la mort, volontaire chez le Christ (297B-300A) Jn 1, 1 est sous-jacent tous les emplois du mot , mot qui, cause de la parent du Logos divin avec le logos humain (la raison) et l'lment essentiel des tres (leur logos), fournit le point de dpart de nombreux dve-loppements maximiens (cf DALMAIS) De plus, en s'appuyant sur les Pres, M considre que ceux-ci ont t instruits par l'cnture, pntrs tout entiers qu'ils taient par la grce de l'Esprit (320D) M utilise la notion de pnehorse, qu'il met par ailleurs lui-mme en circulation (aprs l'emploi qui en a t fait en thologie tnnitaire par les Cappadociens) en chnstologie En disant que la Vent mme, ou la grce de l'Esprit, parlait par les Pres et non ceux-ci, M rapproche la motion divine sur eux de celle qui s'exerce sur les crivains sacrs La rflexion thologique moderne distingue les charismes de rvlation, d'inspiration et d'assistance Sur les quatre canaux de la rvlation, selon M , criture, symboles, conciles, tradition, cf LOOSEN A l'Ecriture et la Tradition, quoi se ramnent les quatre sources prcdentes, M adjoint, comme lment de preuve, la raison naturelle , cf VOLKER, 165 , aussi CROCE, passim Voir l'utile Index scnpturaire des uvres de Samt Maxime le Confesseur , dress par A Riou (cf Riou 1982, 405-21)

    2 Cf DEVREESSE, 14

  • 124 MARCEL DOUCET

    patnstique ou conciliaire Ce que, le premier, il fait d'une manire rflexe, conscient des processus discursifs qu'il met en uvre V Croce, dans l'excellent ouvrage auquel sont empruntes ces ides, crit que, pour Maxime, la speculazione razionale viene ad essere come la malta coe-siva dei vari blocchi tratti dalla Scrittura, dai Padri et dai concili 3 Cet auteur expose les principes de Maxime sur l'interprtation spirituelle de la Bible, et l'usage polmique qu'il fait de la mme Bible Si le Confesseur est alexandrin dans la premire tche multipliant les envols tropo-logiques, anagogiques et allgoriques (Croce, plutt que ces mots, prfre ceux de sens spirituel , en continuit avec le sens littral 4), il sait, dans la polmique, scruter le sens littral de la Parole De la pncope de Mt 26, 39, Pre, s'il est possible, que ce calice s'loigne de moi , V Croce dit que Maxime istituisce una vera e propria esegesi teolo-gica 5 Les monothlites, qu'on pourrait qualifier de personnalistes avant la lettre6, inaptes aux distinctions, soutenant, par opportunisme, une position anti-nature , ne voulaient pas reconnatre un centre de dcision interne l'humanit du Christ Ils faisaient se dclencher toute l'activit humaine de celui-ci, reconnue toutefois comme telle, partir du centre qu'est, dans sa Personne, la volont divine Maxime dploie contre eux, au bnfice de la postrit, sa puissance analytique, dbroussaille le terrain, clarifie et prcise les notions, signale les piges linguistiques, comme homonymia1, dbusque et rfute les inco-hrences

    Les pages qui suivent le montrent engag dans l'une des directions que prend sa thologie, celle o il fait usage de l'cnture pour dmontrer que le monothhsme mutile la Personne du Sauveur, et (suite qui le proccupe toujours) nous prive de son salut L'ouvrage le plus cit sera la Dispute, qu'il tint, en 645, Carthage, devant l'lite civile et eccl-siastique, avec Pyrrhus, patriarche dpos de Constantinople (restaur, il est vrai, plus tard, par les alas de la politique, aprs des palinodies doctrinales) Mais d'autres traits polmiques car, vieillard allgre et infatigable, il les a multiplis , et des uvres plus sereines seront exploits

    Pour emprunter une image F Heinzer8, Maxime est un diamant taill, aux multiples et brillantes facettes Selon son diosyncrasie, chacun prfrera tel ou tel Maxime condition que soit bouscule, d'abord, la redoutable infanterie d'Espagne , poste par Maxime lui-mme autour de sa pense, c'est--dire, que soit perce la barrire de son mode d'ex-

    3 CROCE, 22 23 4 Cf CROCE, 54 5 CROCE, 58 6 Cf Urs BALTHASAR, 260 7 , par ex , signale que, en scrutant l'Ecnture, il a trouve 28 sens au mot gnome

    irreductible a un genre, ou mme a plusieurs II donne quelques exemples (312C) Cf ThPol25 273C-D

    8 Cf HEINZER, 92 Les formules de Maxime sont a celles de Lonce ce qu'un brillant est a un diamant brut

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 125

    pression. Selon C. Laga, diteur rcent d'une des uvres de Maxime, celui-ci destine ses traits des lecteurs ruminants , non des auditeurs9. des lecteurs, pourrait-on ajouter, l'esprit synthtique, capables, comme lui, de garder l'esprit un long ensemble bien structur, de suivre le fil d'Ariane de Yakolouthia, par exemple, en sautant, de participe en par-ticipe, travers les subordonnes marginales, jusqu'au dernier klon, o le sujet initial salue avec satisfaction le verbe qu'il attendait. Maxime n'encourage pas les traducteurs ; leurs traductions sont donc rares et par-cellaires. Cependant, les traits polmiques, et certaines uvres, comme les Centuries, par leur nature mme, par leur formalisme prdtermin, brident les ailes de Maxime et ne comportent pas, en gnral, une aussi grande difficult que ses commentaires spirituels Thalassius, ou ses explications de Grgoire de Nazianze ou du Pseudo-Denys.

    Intresser quelques lecteurs de plus la riche pense d'un gant du 7e sicle (o il se promne, un peu isol, comme l'albatros du pote), les faire accder la cohorte des symmaximianistes 10, encore res-treinte, du moins dans l'Eglise latine, mais en croissance lente, semble-t-il, depuis quelques annes (paralllement au travail d'dition de la Mai-son Brepols), en rapprochant les deux moitis de l'glise sous la pourpre d'un martyr, thologien cumnique, byzantin de tte et romain de cur (sit venia verbis), c'est l le skopos, dont les pages qui suivent veulent tre les modestes servantes. Puisse leur chair , un peu lourde et terne, en communion avec celle des textes de Maxime, qu'elles enrobent selon Maxime, la lettre mme de l'criture est chair , l'instar de la chair du Christ en symphya-pnchorse avec la divinit, devenir quelque peu veilleuse, zopoios synergatis du Logos, objet de ravissement pour le Confesseur thologos !

    2. ARGUMENTS SCRIPTURAIRES DIVERS

    A. Neuf arguments structure identique Dans la Dispute, Maxime prsente onze argumentations, bases sur

    l'criture, pour prouver que le Christ tait dou d'une volont humaine11, et deux autres, pour prouver ce qui n'tait pas contest qu'il pos-sdait une volont divine12.

    Du premier groupe, neuf ont la mme structure13. Dans chaque pri-cope, le Christ apparat dans une circonstance de sa carrire terrestre o

    9 Cf LAGA, 143 , voir tout l'article, 139-146 10 Au sens (sans que le rapprochement induise de raction ngative j'espre), o

    Anus se disait, avec Eusbe de Nicomdie, sylloukiamsts , co-disciple de Lucien d'Antioche , cf Theodor et Kirchengeschichte, 27 (je dois la bienveillante rudition du M G De Durand, , de l'U de Montral, prince parmi les sykkynlhanistes , cette rfrence, comme beaucoup d'autres, utilises dans mes travaux)

    11 Cf Disp, 320D11-324D4 12 Cf Disp, 325B10-328A3 13 Cf Disp, 329D11-324A11 , 324B8-C13

  • 126 MARCEL DOUCET

    l'crivain sacr lui attribue un acte de volont, signifi huit fois par le verbe thel14 et une fois par le verbe boulomai15. Dans les neuf cas, on retrouve la mme dmarche de raisonnement.

    (1) Maxime met en relief, dans Y objet voulu, des limitations, dues la corporit, l'espace, la condition de crature : tre prsent dans un lieu ou en tre absent, boire, marcher, ne pouvoir rester cach, tre soumis la loi, faire la volont de Dieu, considr formellement comme Dieu et non comme Pre. (2) Il dtermine ensuite que, des deux natures du Christ, seule l'humaine est implique par le caractre de l'objet voulu. Au texte de l'Ecriture, qui ne mentionne que le sujet concret voulant, une prcision se trouve par l apporte : il s'agit du Christ en tant qu'homme. En effet, le Christ, comme Dieu, ne peut tre limit dans l'espace16, tre absent d'un lieu, marcher, tre faible, tre soumis la loi, avoir Dieu comme son Dieu (sur ce dernier point, la lutte antiarienne a depuis longtemps affirm l'identit du Christ et du Verbe et l'unit numrique de celui-ci avec le Pre). (3) Maxime tire de l la conclusion que Y acte de volont mentionn dans la pricope procde du Christ en tant qu'homme. C'est un acte humain, proportionn la nature humaine : vouloir sortir, rester cach, manger, faire la volont de Dieu, etc. La spcification humaine de l'acte de volont n'est pas tire directement de son objet, mais indirectement du sujet voulant, ce qui correspond au principe scolastique : operado sequitur esse. (4) De l'acte de volont, Maxime revient au sujet voulant, pour affirmer, en lui, l'existence d'une capacit permanente de poser des actes humains de volont. Comme homme, non seulement le Christ veut, c'est--dire est le sujet d'une suc-cession ponctuelle d'actes de volont, mais il est, partir d'eux, qualifi d'une manire permanente dans son tre, il est theltikos : appli-cation du principe ab esse ad posse valet illatio. Comme les lments constitutifs du Christ sont ses natures et qu'il n'est pas autre chose qu'elles (son hypostase n'est pas un tertium quid, unificateur des natures17), sa capacit humaine, permanente, de vouloir se situe dans sa nature humaine18.

    B. Phil 2, 8

    La preuve tire de YEptre aux Philippiens 2, 8, n'a pas besoin de partir des limitations de l'objet voulu19. Il suffit d'analyser la notion d'obissance du Christ pour y trouver l'implication d'un acte de volont non divin (seul le cr peut obir, pense Maxime, s'appuyant sur Grgoire

    14 Cf Disp, 320D12 , 321A6, A14, B8, C2, C12, D7 , 324A9 15 Cf Disp, 324B14 16 Sur Dieu, \e pou et le pote, cf Amb,PG9\, 1180E-1181A , Urs BALTHASAR,

    132 ss 17 La 6e argumentation scnpturaire reproduit un passage d'Euloge d'Alexandrie cf

    Ungedruckte Exzerpte , 373 (si l'attribution Euloge est authentique , cf BECK, 382)

    18 Disp, 289B4-5 19 Disp, 324A12-B7 , le texte se rfre par erreur Yp aux Hbreux

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 127

    de Nazianze et les Pres). L'alternative la notion d'obissance est celle de tyrannie, c'est--dire d'une puissance qui s'exerce de l'extrieur, en faisant violence celui qui est soumis son action. En opposant ainsi l'obissance la tyrannie, Maxime prend le mot au sens strict d'une dcision volontaire, capable de surmonter une rpulsion natu-relle, et non pas seulement au sens gnral de la passivit de tout tre cr, face l'action divine. Il restreint donc le champ d'application de la notion d'obissance que comporte la citation de Grgoire : tout ce qui n'est pas Dieu (les tres seconds et hypo kheir).

    C. Gn 1, 26

    Une onzime argumentation scripturaire se tire du texte de la Gense (1, 26) sur la cration de l'homme l'image et la ressemblance de Dieu20. C'est une sorte de sorite trois parties :

    (1) L'homme est l'image de la nature divine ; or la nature divine est doue d'auto-dtermination (autexousios) ; donc homme-image est dou d'auto-dtermination21 ;

    20 Disp, 324C13-D9 21 Piret crit La nature est volitive d'elle-mme, selon la Volont qui est

    autexousia (PIRET 1982, 216) , et La traduction matrise de soi voque / / C'est l'ousie (ousia) qui, d'elle-mme, se pose elle-mme (aut) comme ousie (PIRET 1983, 236) Rencontre-t-on autexousia, comme adjectif fminin, chez M ou ailleurs 9 De plus, l'tymologie d' est bien curieuse Comme si -ouswn drivait imm-diatement de ousia et donnait, avec aute et la prposition ex intermdiaire, le sens pouvoir d'tre soi, pouvoir d'une ousie de se poser elle-mme, partir (ex) d'elle-mme En vent, on a une bipartition d'autexouswn autos et -exousion, particule dnvant de exeimi, comme le mot exousia (cf BAILLY) Le mot ousia aussi drive de eimi, on, ontos ontsia > ousia) Autexouswn est alors aussi parent avec ousia qu'un homme l'est avec un autre, en Adam ou un aeul ' Une telle fantaisie tymologique se joint, chez cet auteur, d'autres curiosits V g envers qui une pense pieuse n'est porte admettre / / (P 1983, 93, au heu de / / ne supporte pas d'admettre ) , l'ousie est compose d'individus divers (p 114, comment l'ousie universelle peut-elle tre compose des singuliers 9 Ils n'y sont qu'en puissance, un peu comme l'infinit des points gomtriques ne composent pas la ligne, o ils sont en puissance) , eidos qui assume les diffrentes hypostases (p 155 , je souligne , rification non maximienne, d'un universel) , L'Espnt est le terme divin de l'Incarnation du Logos de Dieu (p 166 , je souligne , le terme est non l'origine ou l'origine, mais ce vers quoi se dirige un processus, mme si le processus est, dans le cas en question, instantan) , Mane est au terme humain, selon l'hypostase, de l'ongine divine de l'Incarnation (p 166 , comme si une origine pouvait avoir un terme, ces deux notions tant opposes entre elles) , Ce qui est selon soi, de manire distincte et constitue (p 169 , je souligne , pour traduire to kath'hauto dirismens sunests , comme si sunests tait un adverbe semblable a dwrismens et coordonn avec lui, alors que c'est le participe parfait substantiv, prcd de to, syncope pour synestks, de synistmi, l'ex-pression entire signifiant ce qui est constitu par soi sparment) , Le Pre est l'ongine / / de l'ousie du Fils (p 165 , alors que l'ousie divine, selon Nice, est commune et sans origine) , l'enhypostasie du Logos (p 181 , alors que le Logos n'est pas enhy-postasi, et qu'on ne peut parler que de l'enhypostasie de sa nature humaine en lui , le mot employ frquemment d'une manire curieuse , des considrations o le recours intention de M , suppose ou vraie, ou quelque faille que M discernerait dans la position monothhte globale, ou quelque autre affirmation de M , remplace ou corrige l'argument simple et clair qui est devant nos yeux (cf P 1983, p 345-347), considrations

  • 128 MARCEL DOUCET

    (2) or le Christ, archtype comme Dieu, comme homme est devenu image ; donc le Christ, comme homme, est dou d'auto-dtermination ;

    (3) or auto-dtermination, selon les Pres, c'est la volont ; donc le Christ, comme homme, est dou de la volont.

    On n'est pas ici en prsence d'une preuve nouvelle. En 304D, Maxime a dj conclu l'existence, en tout homme, d'une thelsis, sur la base de l'identification, faite par les Pres, de Yautexousion avec elle. Maxime ne fait ici qu'appliquer explicitement l'argument l'humanit du Christ.

    Le texte de la Gense, auquel se rfre Maxime, juxtapose image et ressemblance . Les gnostiques avaient attribu ces deux mots un sens diffrent : l'homme terrestre, hylique , est faonn l'image de Dieu, l'homme psychique , sa ressemblance22. C'est peut-tre cet usage des gnostiques qui a entran aussi chez Irne, leur adversaire, une distinction de sens : l'image comprend les dons naturels, la raison, auto-dtermination, et elle est inamissible ; la ressemblance est donne par la possession du Verbe et la participation l'Esprit ; perdue en Adam, elle est restaure par le Christ23. Pour Clment d'Alexandrie et Origene, image et ressemblance sont lies comme puissance et acte, stade imparfait et consommation24. Athanase, au contraire, abandonne la tradition alexandrine antrieure et rejette toute distinction entre les deux notions. Il en est de mme de Grgoire de Nazianze et de Basile25. Chez Grgoire de Nysse, la complexit de la question permettrait de dire que l'image est elle-mme dynamique et que la ressemblance est ontologique, non restreinte l'ordre opratif26. Les Antiochiens Thodore de Mopsueste et Thoret de Cyr ignorent la distinction des deux notions, de mme que Cyrille d'Alexandrie27. Mais elle redevient commune, aprs l'homlie Quid sit ad imaginem et similitudinem, du Pseudo-Grgoire de Nysse28.

    qui, peut-tre par une pietas excessive, ne peuvent aller jusqu' admettre que M , dans le feu de l'action, comme tant d'autres, au cours de l'histoire (v g contre les Rformateurs, au 16e sicle, ou contre les Modernistes, au 20e), jusqu' l'poque contemporaine, plus ouverte l'intersubjectivit, pour un plus grand clat de la vent, sans empathie pour l'adversaire, auquel on veut nver son clou , ait un peu forc la note dans ses argu-ments ad hominem ou ab absurdo En gnral, on note un manque de distanciation critique par rapport M , et une faible conscience rflexe de la diffrence des horizons (celui de M , imprgn de platonisme, et celui de son interprte contemporain, incorpor implici-tement dans ses vocables, souvent et quelquefois par la force des choses, non maximiens), faiblesse qui fait obstacle la Honzonverschmelzung hermneutique correcte Sans compter l'admission non critique de l'interprtation invraisemblable que F -M Lthel donne de Grgoire de Nazianze (p 84-86) Ce qui contraste avec la langue et la pense plus rigou-reuses d'autres tudes rcentes sur M , l'rudition histonque plus large (celle de Prado, par ex , ou de Heinzer, qui, celui-ci, heureusement infidle au strotype, joint la clart franaise la Grndlichkeit germanique), qui font honneur leurs auteurs et leurs direc-teurs ( Louvain ou Fnbourg)

    22 Cr IRENEE, Adv Haer, 1, 1, 10 (HARVEY 1, 49) 23 Cf op cit , 5, 6, 1 (HARVEY 2, 334) , ibid 5, 16, 1 (H 2, 367-8) 24 Cf BURGHARDT, 1-2 25 Cf BURGHARDT, 3 , THUNBERG, 128-9 26 Cf THUNBERG, 129-30 , BURGHARDT, 3 27 Cf BURGHARDT, 6 28 Cf BURGHARDT, 7ss

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 129

    Plusieurs textes de Maxime expriment une tension dynamique de l'image naturelle vers la libre ressemblance Dans sa bont, Dieu a cr l'homme auto-moteur (autokintos), son image 29 Celui qui a fait tinceler son esprit des clairs que diffusent les divines contempla-tions, qui a occup sa raison offrir sans cesse au Crateur des louanges et qui a purifi sa sensibilit par des reprsentations irrprochables, celui-l ajoute au bien naturel de l'image le bien gnomique de la ressem-blance 30 Dans les Centuries sur la charit, Maxime crit que Dieu, dans sa bont, a communiqu aux tres raisonnables quatre de ses pro-prits, par lesquelles il soutient, garde et conserve les tres l'tre et le toujours-tre, la bont et la sagesse Les deux premires, donnes par nature leur substance, appartiennent l'image de Dieu en eux, les deux autres, donnes par grce leur aptitude gnomique, appartiennent leur ressemblance avec lui Le pouvoir d'auto-dtermination, qui appartient Veinai de la substance, s'panouit en activit vertueuse par Y eu einai31

    La distinction entre l'image et son dveloppement en ressemblance ne correspond pas la distinction de la nature pure et du surna-turel , labore par la thologie occidentale mdivale Bien que Maxime ne confonde pas le domaine de la nature et celui de la grce ( ouk ekhei gar h physis ton hyper physin tous logous >>32) et considre la thesis comme dpassant les possibilits de la nature33, il voit cette nature comme dpendant de la grce en son principe et sa fin La grce est une certaine puissance, dpose dans la nature (hoia tis dynamis emphytos >>34), et il existe un dsir naturel de la vision de Dieu35 Dans le texte de la Centurie 3, 25, cit plus haut, il ne faut donc pas prendre la grce comme rserve exclusivement au stade de l'activit libre, celui de Y eu einai , elle est dj dans le premier membre de la triade, Veinai, et rend cette triade surnaturellement homogne

    Mais le mot n'a pas seulement, chez Maxime, la signifi-cation prcise qui apparat dans les textes prcdents L'absence de solu-tion de continuit entre l'image et la ressemblance lui permet de passer de l'une l'autre, et d'employer le mot seul, au sens de ressem-blance (ce qui n'est pas rare, remarque Sherwood36) Il parle du res-suscit selon l'homme nouveau, renouvel selon Vintage du Crateur Les signes de ce nouvel tat, qui pourrait ailleurs tre rattach la res-semblance, sont la parrhsia de la conscience et l'illumination de la gnose37 II en est de mme, dans un autre passage les efforts de l'ascse

    29 CentCarl 12, PG 90, 1088A 30 Op at 13, 1088C 31 CentCarlII 25, PG 90, 1024 32 Thal 59 PG 90, 609B 33 Cf Amb PG 91, 1327B C 34 ThOec l 49, PG 90, 1101A 35 Cf Amb PG 91, 1361A , sur cette question, cf U BALTHASAR, 598 36 Cf SHERWOOD, 152, 55 37 Cf Lettre 32 PG 91, 628A

  • 130 MARCEL DOUCET

    tendent un rapprochement avec l'archtype divin ; ils constituent une imitation par laquelle image a toute la forme de l'archtype38.

    Dans l'argumentation dithlite de la Dispute, base sur le texte de la Gense, Maxime emploie les deux mots et , mais d'une manire qui ne concorde pas avec les autres textes o il dis-tingue ces deux notions. Il rattache auto-dtermination l'image, comme on le faisait gnralement depuis Irne, qui reprenait lui-mme les vues de Philon, mais il ajoute une incise : eiper elle conserve la ressemblance avec l'archtype 39. Comme l'ide d'une possession conditionne de auto-dtermination n'apparat nulle part ailleurs et que ce pouvoir est toujours prsent comme aussi permanent que la nature, manifest et dans les actions vertueuses et dans les fautes, la conjonction eiper doit donc signifier non pas si toutefois 40, mais si, comme il est vrai 41, et quivaut puisque : l'image, puisqu'elle conserve sa ressemblance avec l'archtype, est naturellement capable de s'auto-dterminer . La ressemblance ne signifie pas ici quelque chose d'amissible ; elle n'ajoute rien, semble-t-il, l'image.

    Il est noter que Maxime (ni dans la Dispute ni ailleurs) ne s'attache pas l'expression scripturaire faisant du Christ l'image de Dieu42, rete-nue, pendant la priode de l'laboration de la doctrine trinitaire, par Ori-gne et Athanase, par exemple, pour exprimer la relation intra-trinitaire du Verbe et du Pre43. L'image rside, pour Maxime, dans le nous humain44. Dieu le Verbe, considr dans l'identit indivise de la nature divine, n'est qu'archtype45, Maxime ne suit pas ceux qui, comme vagre, avaient parl de l'esprit comme image de l'Image46. C'est, comme les autres hommes, en sa seule humanit, que le Christ est dit image.

    D. Volont divine du Christ Aprs la srie des onze argumentations de la Dispute, bases sur

    l'criture, destines prouver que le Christ a une volont naturelle humaine, comme complment, en l'absence de contestation sur ce point, Maxime a recours deux textes qui montrent que le Christ a en lui une volont naturelle divine47. La dmarche est la mme que dans les neuf premires preuves de la srie prcdente. (1) L'objet voulu est au point de dpart. Le fait de rassembler les enfants de Jrusalem, comme une

    38 Cf Thal 55, PG 90, 548D 39 Disp, 324D3-4 40 Cf BAILLY, S eiper 41 Cf RIEMANN-GOELZER, art, 527, rem II 42 2 Co, 4, 4 , Col, 1, 15 43 Cf de REGNON, 309 ss 44 Cf Thal 65, PG 90, 741B 45 Dieu est lumire par essence, archtype , l'homme est lumire par participation,

    image Le Fils comme Dieu est, comme l'Esprit, archtype, non image Cf Thal 8, PG 90, 285A

    46 Cf VAGRE, Cent III, (d GUILLAUMONT, 111) , cf VOLKER, 99, 6 47 Cf Disp, 325B-328A

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 131

    poule le fait de ses poussins, est interprt comme l'uvre du Dieu trine, ralise par l'envoi des prophtes, antrieurement la carrire terrestre du Christ Ressusciter les morts est le propre de Dieu (2) Si cet objet est voulu et ralis par le Christ, c'est sa nature divine, seule propor-tionne la transcendance de l'objet, qui doit tre prise en considration la spcification du sujet se tire de celle de l'objet (3) Les actes concrets de volont, mentionns dans la pncope, sont donc divins, procdant de la nature divine du Christ (4) Le Christ a donc la puissance divine de vouloir, il est theltikos en tant que Dieu ab esse ad posse valet illatw

    3 L'AGONIE DU CHRIST

    A Volont humaine et volont divine dans V agonie Il est un pisode vanglique que Maxime exploite dans des traits

    dithlites48, mais qu'il n'utilise pas comme argument dans la Dispute, mme s'il y fait allusion C'est celui de la scne de Gethsmam, o Jsus dit Que ce calice s'loigne de moi , cependant, non comme je veux, mais comme tu veux 49

    La plus grande partie du dveloppement d'un opuscule, ThPol 6, consacr cette parole50, tend faire voir que les deux vouloirs, de refus et d'acceptation, parce que dirigs vers des objets contraires, et donc mcompossibles, ne peuvent se rattacher la divinit du Monogne Une fois le refus du calice exclu de la divinit, Maxime n'explicite pas les raisons qui lui font ranger l'acceptation du mme calice du ct de la volont humaine Le scoliaste, qui rsume la pense de Maxime, n'en dit pas plus si l'on rfre les mots non ce que je veux la divinit sans principe du Monogne, pour exclure qu'il veuille quelque chose en propre et part du Pre, il faut alors, de toute ncessit, rapporter aussi la divinit l'objet du vouloir, le thelthen, c'est--dire le refus du calice , ce (c'est--dire la nature humaine) quoi il faut rattacher non ce que je veux , c'est cela aussi qu'il faut rattacher que le calice s'loigne de moi 51

    Dans un autre opuscule, ThPol 7, Maxime utilise l'argument de proportion, qui doit tre sous-jacent ici comme dans la partie scnpturaire de la Dispute, pour lui faire associer refus et acceptation du calice tous deux portent sur le mme objet spatio-temporel, la souffrance et la mort , la divinit, d'un niveau ontologique transcendant, ne peut ni les affronter ni les repousser52 II y a sans doute une autre raison la forme mme que prend l'accord, dans les paroles de Jsus, celle d'une prire, en fait l'acceptation et l'obissance d'un infrieur en humanit II y a une identit

    48 Cf PG 91, 48C 49A, 66-70, 78 81 49 Mt 26, 39 50 Cf PG 91, 65A-68D , cf la traduction et l'analyse de F M Lethel (LTHEL

    1979, 86 89) et des remarques sur cette analyse, DOUCET 1983 51 Cf P G 9 1 , 68D69A 52 Cf PG9\, 81D

  • 132 MARCEL DOUCET

    d'objet voulu (thelthen), mais une altrit des actes de volont. Il est donc impossible de situer cette altrit dans la divinit : l'unit numrique de vouloir, comme celle de substance, du Pre et du Fils, est une doctrine assure, depuis l'enseignement trinitaire des Cappadociens.

    Le passage vanglique en question implique donc quatre actes (incluant une bauche d'acte) de volont et deux objets de volont : (1) l'acte de volont du Christ, exprim par les mots (acte rprim), dont l'objet est l'loignement du calice ; (2) l'acte de volont du Pre, dont l'objet est le calice, exprim par les mots ; (3) l'acte par lequel le Christ accepte la mort et en mme temps la volont du Pre ; cet acte ne correspond aucun mot dans le texte van-glique, mais est signifi par l'ensemble de l'expression ; (4) l'acte de volont du Christ comme Verbe Monogne, personne distincte dans la Trinit ; cet acte est numriquement identique celui du Pre.

    B. Modle svrien et monothlite, modle maximien La rpulsion, ou contraction (systole), devant la mort n'est pas,

    dans le Christ, seulement une ralit infra-rationnelle, voulue au sens d'accepte et maintenue par une volont humaine rationnelle, qui reste elle-mme intouche, non divise en elle-mme. Pour le patriarche Serge de Constantinople, dans saPsphos (dcret irniste de 633-634, d'ins-piration politique), le refus de la passion est aussi de niveau spirituel. Il le signifie par l'expression mouvement naturel de la chair . est pris, chez lui, au sens biblique global d'homme, puisqu'il en fait l'quivalent de tout son synkrima humain 53. Il admet juste titre, comme les Pres antrieurs, que ce mouvement ne surgit pas par un pur effet des circonstances, mais en vertu d'un neuma du Verbe, matre d'une humanit assume chaque instant volontairement.

    Sur le point du mouvement naturel de contraction devant la mort, Serge concorde avec Maxime, quant son caractre spirituel, au moins partiel. Mais il le situe en dehors de la volont ; et l, il ne le fait pas dpendre, non plus d'une volont humaine. Ce dernier point il l'implique, dans son rejet des deux oprations, en affirmant, explicitement, seulement l'absence de volont ou horm humaine contraire et spare54. Impli-citement, il affirme l'absence de volont humaine simpliciter. Dans YEc-thse (638), conscutive lPsphos, il saute sur une formule, inno-cente, mais ambigu et imprudente, reue d'Honorius de Rome. Il expli-cite ainsi l'implicite antrieur : une volont unique de Notre Seigneur Jsus Christ , c'est--dire divine55.

    53 Je me suis mpns nagure sur ce point, suivi par F -M Lthel cf LETHEL 1979, 40, 27

    54 Cf LETHEL 1979, 37-45 et des remarques dans l'art, cit la note 50 ci-dessus Les trois pithtes, poses ensemble, reprsentent une position orthodoxe

    55 UEcthse, rdige par Serge, signe par le basileus Hrachus , cf LETHEL 1979, 48

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 133

    Serge adopte (quant la volont, non quant la relation hypostase-natures) le modle conceptuel de Svre d'Antioche, qu'on pourrait dcrire comme suit (compte tenu de l'imparfaite couverture du rel de tout modle et, parfois, de la ncessaire multiplication des modles pour rendre compte d'un rel complexe ou proteiforme ou insaissable simultanment en tous ses points de vue). Une multitude de lignes sont engendres partir d'un point initial commun, droite et gauche de ce point. Une ligne verticale effectue une sparation infini-tsimale entre le point initial et les lignes qui divergent partir de lui, de l'un des deux cts ; crant ainsi deux champs , occups par les lignes divergentes. La ligne verticale signifie la non-confusion des champs , de la divinit et de l'humanit, dans le Christ un. Les lignes divergentes des deux cts, aboutissent des opera ou effecta (energ-thenta) multiples et divers : une pense, le plan d'une maison, d'un navire (ordre intellectuel), une maison, un navire (ordre sensible et matriel). De ces energthenta, les uns relvent de la divinit, les autres, de l'hu-manit. Le point initial des lignes, c'est l'lan vouloir (horm tou the-lein) ; il est dans la divinit, dans le Verbe, au centre de la personne. Soustraire aux lignes humaines leur point initial homogne n'apparat pas Svre enlever quelque chose leur perfection. Un peu comme enlever, s'il tait possible, le point initial d'un segment de droite gomtrique ; la longueur n'en serait pas affecte. Svre ne mentionne, il est vrai (dans les citations que fait de lui J. Lebon), que la source et le terme, la volont et Yenergthen ; mais il faut bien qu'il y ait un processus, un drou-lement , intermdiaire qui les conjoigne. Une citation des svriens, chez Maxime, parle de Yenergeia qui procde (ex henos Logou proienai56) : il y a donc processus.

    L' energeia ou kinsis energtik , est proprement, dit Svre, l'lan vouloir, point de surgissement. Mais, en continuit avec ce der-nier, tous les mouvements aboutissant la varit des opera, peuvent porter le nom ". cause de cette source unique, on doit affir-mer une seule opration du Christ, thandrique. L'unique volont est dans le Verbe. Toute opration procde du Verbe, de sa volont divine, mais se dploie soit dans son humanit soit dans sa divinit. Unifis, par leur centre d'origine, sous le collectif au singulier , les mouvements opratoires sont distingus rellement, mais adverbialement seulement, en leurs deux types de prolongement et en leurs termes : dyks, theopreps-anthrpopreps51'. C'est l aussi le Denkmodell de Serge, de Pyrrhus, des patriarches subsquents et de toute l'intelligentsia byzantine, comme il l'tait dj de Thodore de Pharan, pre spirituel du monergisme monothlisme58. Maxime, lui, ddouble le point unique

    56 Cf ThPol 3, PG 91, 49C-51A 57 Cf LEBON, 554-555, 508-509 , ThPol 3, PG 91, 49C-52A , 52D-53A 58 Les choses que nous avons apposes et croyons au sujet du Christ, qu'elles

    relvent de la nature divine ou de la nature humaine, sont toutes l'uvre de Dieu Pour cette raison, elles ont t pieusement appeles une seule opration de la divinit et de son humanit (MANSI XI, 568D , X, 960C) La source de l'opration est dans le divin

  • 134 MARCEL DOUCET

    svriano-monothlite. L'humble moine, coryphe de la rsistance, est suivi par les opprims orientaux et par les Occidentaux, relativement plus libres parce que plus loin du pouvoir, aux marches de l'empire. De chacun des deux points surgit un rayonnement opratoire, compte tenu de la simplicit divine absolue, qui rduit l'identit ce qui, dans le champ divin, est conu comme multiple. De plus, les clarifications opres par Maxime dans le phnomne du vouloir 9 lui permettent de tenir ensemble, dans la mme volont humaine, une orientation naturelle prrflexive de non et un mouvement rationnel de oui60, ce qu'il faudrait rendre gra-phiquement par un raffinement du modle , qui tienne compte aussi de la conglutination des deux volonts (cf. plus loin, 3D).

    Opration th-andnque

    ralise divinement -

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 135

    raies La rpulsion devant la mort, d'ordre sensible, avait donc un parallle au niveau rationnel, ou plutt, c'est du niveau rationnel, aprs jaugeage des vnements imminents, culmen d'une courbe parabo-lique courte et tragique, que la rpulsion descendait, par redundantia, dans la sensibilit Urs von Balthasar crit Seine Todesangst ist ein naturhafter und zugleich ein geistiger Trieb 63 Et il appuie cette assertion sur une citation de Maxime Il est de toute ncessit que la boulsis concoure avec la nature et que la nature veuille ne pas mourir et s'attache la vie prsente M Urs von Balthasar traduit (en l'interprtant) boulsis par Mais cette pousse restait l'tat d'orien-tation, sans devenir force motnce du comportement Dans une parfaite lucidit, sans recherche ttonnante du bien65, le Christ conformait son acte de volont humaine (synneusis) son acte de volont divine II onentait la tendance naturelle de sa volont vers le Bien absolu, exigeant (c'est le , une dizaine de fois rpt dans le , dont les exgtes s'acharnent percer le sens) dans un cas singulier, le sacrifice du bien relatif qu'tait sa vie, laquelle il tenait plus que quiconque, sa sueur de sang en tant l'attestation

    D Lutte interne dans la volont humaine du Christ Urs von Balthasar crit que, dans la phrase vanghque non comme

    je veux, mais comme tu veux , si la volont de ce tu tait essen-tiellement une avec la volont du Fils ternel, elle n'en tait pas moins la volont de ce je 66 C'est--dire, la volont que la souffrance et la mort soient affrontes (volont identique du Pre et du Fils) est aussi celle du Christ de l'vangile, qui manifeste une volont diffrente Urs von Balthasar campe, symtriquement, deux volonts, l'une face l'autre la divine, qui agit sur l'humaine, pour la soumettre La scne , sur laquelle apparurent, comme des personnages, les deux volonts, c'tait sa Personne, identique avec les deux, que, pour notre salut, il livra la contradiction (Widerspruch), pour abolir, en mme temps, en elle, la contradiction67 Plus loin, il parle du drame spirituel , qui est le combat la vie et la mort, des natures de Dieu et de la crature, sur la scne de la plus haute hypostase 68 Notre auteur insiste sur le fait que la volont de refus est une volont spirituelle, mais il ne mentionne pas l'acte d'obissance de la mme volont humaine Toute son attention se concentre sur la volont divine les souffrances sont portes par un point ultime de libert divine69 , le donn de nature tait circonscrit et

    62 PRADO, 271 63 Urs von BALTHASAR, 263 64 ThPol 19 PG 91, 224C 65 L'actualisation de la volonte du Christ est sui generis sans la gnme qui caractrise

    cette actualisation chez les autres (cf Disp 308B 309A) 66 Urs BALTHASAR, 266 67 Op cit 265-266 68 Op cit 269 69 Cf op cit 251

  • 136 MARCEL DOUCET

    port par la libert souveraine de sa personne , la crainte naturelle de la mort tait porte par la libert hypostatique, qui portait toute sa nature71 Tout dpend d'un acte antrieur, souverain et libre, de la Personne, qui, d'en haut, dirige la lutte72 La victoire, gagne d'avance sur la volont oppose, se rattache la libert de la knose73

    Dans le texte vanglique non comme je veux / / , Urs von Balthasar ne considre donc que la volont divine qui affronte, et la volont humaine, qui refuse, succombant lui-mme, en quelque sorte, l'alexandnnisme, polaris sur le Logos II mentionne, en passant, les mots et 74 Mais la manire dont il envisage le drame de la passion ne permet pas de parler de vraie obissance , il faut pour cela une instance, dans l'homme, qui effectue la soumission La contra-diction, si contradiction il y a (ce qui n'est pas le cas), n'est pas entre les deux natures du Christ, ou entre sa volont divine et sa volont humaine, juxtaposes comme deux ralits, symtriques dans leur actualisation Alors que la volont divine du Christ d'affronter la mort est actuelle et efficace, sa volont de refus de la mort est une tendance, une vellit , une pousse de nature, rprime, en sa racine, par un acte de cette mme facult, en accord avec la volont de son autre nature C'est dans son humanit, plus prcisment, dans sa volont humaine, qu'il lutte contre sa volont naturelle75 D'une part, il se contracte (systole) devant la mort et la repousse (paraiteitai), d'autre part, il se dtend pour l'ac-cueillir et s'lance en sa direction (horma kat'autou) La mme myst-rieuse attitude spirituelle s'accommode de mtaphores difficilement coh-rentes

    E Absence de contrarit dans la Personne du Christ En ralit, point de contradiction entre la volont humaine et la

    volont divine du Chnst, prises comme puissances de vouloir, mais seu-lement altnt Point non plus entre les actes de volont, humaine et divine, tous deux onents dans la mme direction Point non plus l'in-trieur de la volont humaine Ce qu'on pourrait dire, avec plus de vrai-semblance, c'est que le mouvement de volont naturelle a un objet con-traire celui de la volont reflexive, la non-mort Le calice et le refus du calice s'opposent ici non pas absolument, mais l'intrieur du genre objet (les extrmes dans un mme genre s'opposent en effet comme con-traires, non comme contradictoires)

    70 Ci op cit 264 71 C op cit 264 72 Cf op cit 266 73 Cf ibid 74 Cf op cit 269 75 Cf ThPol 7 PG 91, 81B U BALTHASAR traduit hrma kat autou par Er

    strmt gegen sein eigenem Willen an , comme si autou remplaait ce mot remplace, en ralit, thanatou (cf 84C) il s'lanait vers la mort Il y a cependant une lutte du Chnst contre sa volonte naturelle, mme si les trois mots de M ne disent pas cela

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 137

    Mais, y bien regarder, les deux objets, spcifiant les deux aspects de la mme volont humaine, ne sont pas du mme genre l'un est la mort-pour-le-salut, l'autre est la non-mort, sans ordination ultrieure Car il en est du mouvement naturel de volont comme des autres mouvements sensibles, auxquels Maxime et les Pres 1 ' associent ce 'est pas le propre de la sensation de passer, par discours (syllogizesthai), d'une chose une autre76 L'objet mort-pour-le-salut est identique l'objet de la volont divine L'autre est, dans la volont naturelle, sans relation de non-conformit avec cet objet Dieu mme, auteur des natures, veut que la volont naturelle se contracte devant la mort Maxime dit que ce mouvement n'est pas blmable , donc il n'est pas contraire la volont de Dieu On peut parler d'une lutte, dans homme-Dieu, dans sa volont, mais non d'une contradiction ni mme d'une contrarit77

    Saint Thomas tend analogiquement le mot la sensibilit Il distingue, dans l'humanit du Christ, la volont spirituelle rationnelle, la volont spirituelle naturelle et la volont sensible La volont spirituelle naturelle et la volont sensible voulaient, dit-il, autre chose que ce que voulaient la volont divine et la volont rationnelle concordante mais elles ne leur taient pas contraires Dans les deux objets que sont la mort du Christ et le salut des hommes, la volont naturelle du Christ ne rejetait pas le motif qu'est le salut , elle ne pouvait vouloir un objet par rfrence un autre, puisqu'elle est antrieure la raison, qui tablit un rapport Quant la volont sensible, elle ne peut atteindre l'ordre intelligible, donc au salut De plus, la volont rationnelle d'obissance n'tait nul-lement entrave, comme elle l'est plus ou moins chez les hommes ordi-naires vertueux, par les deux autres volonts78 Analyse qui correspond, en plus explicite, celle de Maxime

    Pour dramatiser la situation du Christ l'agonie, Urs von Bal-thasar emploie le mot , qui ne se trouve ni chez Maxime ni chez Thomas Maxime reconnat bien la pousse naturelle spirituelle contre la mort Mais, quand il parle d'enantisis (plutt contrarit que contradiction), c'est pour la nier entre la volont divine et la volont humaine du Christ, sans l'affirmer l'intrieur de cette volont humaine, dont il reconnat pourtant l'tat de tension On ne voit donc pas comment F -M Lthel peut crire Maxime dit clairement I I que la volont humaine contraire est envisage en lui /Jsus/, dans ThPol 619

    F Crainte volontaire de la mort Cuneusement, Maxime n'utilise pas, dans la section scripturaire de

    la Dispute, le passage de la scne de Gethsmani II en fait toutefois mention auparavant, implicitement, propos de la crainte volontaire de

    76 Cf Amb 1216D 77 C est pourquoi on ne peut reprocher a M , comme le fait F -M Lethel (cf LETHEL

    1979, 72 3) de n'avoir pas pu faire l'hypothse (insoutenable mme a titre d'hypothse) d une volonte humaine du Christ contraire a celle du Pere

    78 Cf Summa theol III, qu 18, a 6 79 Je souligne Cf LETHEL 1979, 91

  • 138 MARCEL DOUCET

    la mort Tous les tres crs sont dots de la puissance de conservation, qui comporte deux pulsions fondamentales l'une vers ce qui maintient leur tre, l'autre contre ce qui le dtruit (observation des stociens dj) La crainte que Jsus a prouve, au moment de sa passion, n'est pas blmable Elle manifeste sa rpulsion naturelle pour ce qui tend dtruire son tre Mais, alors que les mouvements naturels de cette sorte surgis-sent, chez les hommes, d'une manire ncessaire et prcdent la dcision, chez le Christ, ils sont volontaires Tout le domaine des tendances nfra-rationnelles, faim, soif, mouvements passionnels, est constamment objet de volont, hekouswn II faut tendre cet empire aux phnomnes de la vie vgtative Car, dit Maxime, tout ce qui est naturel dans le Christ, en gardant sa spcificit, son logos propre, se revt d'un mode spcial, prcisment en ce qu'il dpend d'une dcision volontaire Le couple logos-tropossl, qui trouve une application dans la distinction chalcdonienne de la nature et de l'hypostase, en trouve ici une autre Le logos de la crainte est assum sans changement, comme lment du logos de la nature humaine, lui-mme immuable La crainte apparat, dans la nature humaine du Christ, toutes les fois qu'elle apparatrait dans un autre homme, en des circonstances semblables Le tropos, ou mode d'tre, spcial de la nature humaine en Jsus-Christ, qui dpend de la subsistance divine et de l'enhypostasie de cette nature dans l'hypostase divine, retentit sur la crainte naturelle, en la revtant, elle aussi, d'un tropos spcial, celui d'tre volontaire Maxime ne considre pas la volont comme une espce d'op-ration, ne lui applique pas la notion dionysienne d'opration thandnque, dans laquelle l'opration divine et l'opration humaine se compntrent, chacune communiquant un nouveau mode l'autre On ne trouve pas non plus, dans la Dispute, propos du mode volontaire de la crainte, l'emploi de la notion de pnchorse, utilise par Maxime pour la relation des oprations entre elles Quand Maxime y donne des exemples d'op-rations humaines du Christ, il s'en tient, dans la ligne de Cyrille, des oprations externes, dans lesquelles le corps joue un rle manifeste parler, manger, boire, couter, etc L'activit intellectuelle, l'acte de volont, les mouvements passionnels ne sont pas alors considrs , ce qui correspond au schma Verbe-chair de Cyrille, dans lequel l'me n'ap-parat qu' arrire-plan Dans le passage ici en question de la crainte volontaire du Christ, Maxime se contente d'affirmer le mode transcendant de cette crainte, comme de celui de la faim ou de tout phnomne naturel dans le Chnst II en donne l'explication II en est de la crainte comme de la volont humaine , la raison du mode spcial de cette dernire (c'est--dire de sa fixation dans le bien) est indiqu auto to einai goun to theiks hypostnai 82

    80 Disp 297B 300A 81 Cf SHERWOOD, 155 66 ,Riou 1973, 73 ss Sur le contenu smantique excs

    sif donne par ce dernier au mot tropos cf DOUCET 1979, 276 8 , autres remarques sur le mot chez Lethel, cf DOUCET 1983, 69

    82 Disp 309A2 3

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 139

    G. Contrle humain de la crainte de la mort Maxime ne dit pas explicitement, dans la Dispute, par quelle volont

    la crainte des souffrances et de la mort tait en lui volontaire ; il se contente de dire qu'il Ta accepte83, qu'il l'a manifeste84 en la voulant (theln85). En tant que Verbe de Dieu, en assumant, par sa volont divine, une nature humaine complte, il assumait par l les lments de cette nature, en leur confrant, partir de sa libert divine, une marque per-sonnelle, absente chez les autres. Est-ce que, dans la nature humaine mme, tait implant un centre de dcision, par lequel il contrlait humai-nement ses mouvements naturels ? L'emploi du verbe edexato*6 laisse entendre qu'il s'agit de l'acte divin du Verbe qui assume la nature humaine et ses lments. En ce cas, le caractre volontaire de la crainte se ramne, d'une manire gnrale, au caractre volontaire de l'incarnation. En nous, les phnomnes naturels de la faim, de la soif et de la crainte, surgissant indpendamment de notre dcision, tendent la dominer, en lui commu-niquant une orientation. Les passions s'accompagnent de contrainte, de ncessit naturelle87. Mais, dans le Christ, la volont divine rgit ces phnomnes, sans pourtant les empcher de procder de la nature. Mys-trieuse coordination du naturel et du volontaire !

    Le caractre volontaire des motions du Christ appartenait l'en-seignement courant et traditionnel. Maxime le rend d'ordinaire avec l'in-dtermination de langage qui caractrisait la priode pr-monothlite, alors qu'on ne se proccupait que de soustraire la nature humaine, dans le Christ, la ncessit qui l'atteint chez les autres, qu'on ne mentionnait que la volont divine, sans se soucier d'analyser plus fond le caractre volontaire de toute son activit. Lui-mme, au moment o il commence s'intresser au monnergisme, la fin du groupe des cinq premiers Ambigua (crits cependant aprs les suivants), rattache le mode des pas-sions du Christ sa volont divine : kat'exousian epiteloumena the-kn 88. Grgoire de Nysse avait crit, dans la mme ligne, soulignant la libert divine : Souverainement (exousiastiks), comme Dieu, il don-nait la nature l'occasion, quand il le voulait, d'avoir ses propres op-rations 89. Dans la Lettre 19, Pyrrhus, crite vers le mme temps (fin 633-dbut 634), c'est aussi la volont divine qu'il envisage comme cause du caractre volontaire des passions90. Il donne son approbation au Dcret de Serge, qui a rejet l'Acte d'union monnergiste d'Alexandrie, conclu avec les monophysites. Il obit l'interdit du patriarche de dire deux

    83 Op cit , 297D8 edexato 84 Op cit , 297B12 edeixe 85 Op cit , 297B11, D7 86 On trouve ailleurs kata thelsin proskamenos {Thal 61, PG 90, 629B),

    theln I I katadexamenos {op cit 633D) 87 Cf Amb, PG 91, 1053D h kata physin anank , Thal 21, PG 90, 313A

    physik penstasis 88 Amb, PG 91, 1060B 89 Or de Beatitudine IV, PG 44, 1236D 90 Cf P G 9 1 , 592-3

  • 140 MARCEL DOUCET

    oprations . Mais il insiste sur la distinction de ces oprations et sur l'influence modale que chaque nature exerce, dans la symphya, sur les oprations de l'autre nature.

    Maxime n'a pas besoin de mentionner la volont humaine du Christ, car il faut une causalit d'ordre divin pour expliquer la modalit en ques-tion. De mme, c'est comme Verbe, en tant que Dieu, que le Christ dissout les lois de la nature, en donnant celle-ci un nouveau mode de conception et de naissance, de mme ordre que le mode des passions91. Maxime crit, en des termes qui soulignent le caractre paradoxal du fait signifi : Dieu dissout les lois de la physis, en se servant de la physis, hyper physin, en ce qui est kata physin 92. C'est comme Dieu, par sa volont divine donc, que le Christ donne sa nature ces diverses modalits nouvelles. Mais une brche s'ouvre dans le scheme explicatif du Maxime de la Lettre 19, pour l'insertion d'une volont interne l'humanit, brche qui ne s'ouvre pas, au contraire, dans le scheme explicatif de Serge. Dans cette lettre, tout la joie du rejet du monnergisme, plein de respect pour le personnage eminent qu'est un patriarche de la capitale, il passe poli-tiquement sous silence la faille du raisonnement du Dcret, o pointe, pour la premire fois et par implication seulement, le rejet de la volont humaine du Christ93.

    Plus tard, dans le Tome Marin, aprs avoir cit le texte de Grgoire sur le Verbe, assumant, du haut de sa divinit, le contrle de ses passions humaines, Maxime n'a plus cette retenue. Il prcise que le Christ voulait, comme Dieu et comme homme, le mouvement de sa chair, incluant, avec des lments passionnels, le rejet spontan du calice, de niveau spirituel94. Il admet donc l une matrise, par la volont humaine aussi, des ph-nomnes vgtatifs ou sensitifs, par exemple des aspects sensitivo-somatiques de la crainte, que sa divinit soustrait la ncessit.

    Le contrle par la volont humaine, comme rationnelle ou reflexive, d'un mouvement naturel de cette volont mme, pose cependant un pro-blme particulier. L'exercice de la volont contrlante dpend de la rai-son ; c'est un cas (sans recherche ni dlibration cependant) de ce que les scolastiques appellent la voluntas ut ratio. Est-ce que cette volont reflexive du Christ peut susciter en elle-mme son premier moment pr-rflexif spontan, ce que les scolastiques appellent la voluntas ut natura95 ? Maxime se contente, dans la Dispute, de la mention d'un contrle exerc sur la crainte, sans oprer de distinction dans la source contrlante. Et, plus tard, dans le Tome Marin, il se contente d'un double contrle, divin et humain, sans analyser la corrlation des deux aspects de la mme volont humaine. L'intelligibilit thologique de l'acte humain de volont du Christ se tire de l'analyse de l'acte humain de volont en gnral, avec

    91 Cf Amb, PG 91, 1276 92 Cf Amb, 1280C 93 Ep 19, PG 91, 592-3 94 Cf P G 9 1 , 77B 95 Cf DOUCET 1983, sur les rflexions de Lthel propos de ces deux notions

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 141

    correction analogique pour le cas du Christ Cette analyse est donne rapidement dans la Dispute, pour prouver l'existence du pouvoir humain d'auto-dtermination , elle n'est pas applique au Christ Maxime ne se proccupe pas non plus de dcrire, in concreto, la manire dont le Christ peut vouloir humainement les phnomnes vgtatifs, qui chappent au vouloir chez les autres II n'a pas pour le psychisme du Christ l'intrt d'un moderne Celui-ci se demandera aussi comment le Christ en bas ge pouvait dj exercer un tel pouvoir, si large champ d'action H Anciennet, chez Maxime, des analyses de situations internes

    conflictuelles La mention de la crainte contrle du Christ entre, dans la Dispute,

    comme un argument dithlite, en ne soulignant que le mouvement de rpulsion de la volont, l'horreur devant la mort, non l'acte positif d'obissance On peut vraisemblablement en tirer la conclusion que ce n'est pas dans l'pisode de l'agonie que Maxime, au moment o il l'a expliqu, en ThPol 6, a eu une vritable rvlation de l'initiative humaine d'obissance du Christ, comme l'affirme F -M Lthel Autre-ment, il n'aurait sans doute pas manqu, toujours sous le coup de la dcouverte faite cette occasion, de s'en servir plein dans la Dispute96 D'autres donnes confirment la ncessit de rduire la nou-veaut accorde ThPol 6

    Maxime a crit les Ambigua II avant les discussions sur le mon-nergisme La soumission du Fils au Pre, dont parle l'Aptre (7 Co 15, 26-28), c'est, y dit Maxime97, celle, de plein gr, qu'effectue Yautexou-sion, qui sort totalement de lui-mme pour se livrer Dieu, et qui, en renonant vouloir quoi que ce soit que Dieu ne veut pas, exerce une magnifique rgence sur la rgence exerce par Dieu sur lui apparente violation du principe de contradiction II cite les paroles du Fils l'agonie, en Mt 26, 39 Le Christ y manifeste une attitude intrieure permanente, qui sera un jour celle de tous ses membres sauvs Ce qui permet de lui attribuer, pour cette dernire occasion, la soumission dont parle saint Paul98, laquelle rpond le tout en tous de Dieu La raison de l'at-tribution permanente au Christ de ce qui sera le fait des sauvs, c'est qu'il imprime en lui notre attitude envers le Pre Le mot typn se rap-proche du mot oikeisis ou d'autres expressions patnstiques, comme ek prospou tou hmeterou" Il s'agit certainement d'une possession relle par le Christ, non de l'appropriation relationnelle , rserve par Maxime des lments de valeur ngative en nous, que le Christ fait siens par sympathie, pour nous en librer, titre de mdecin Ce sera le fait de monothlites d'arrire-garde d'imaginer, pour la volont humaine, ce

    96 Cf DOUCET 1983, sur embarras de Maxime devant l'agonie, avant ThPol 3 selon Lethel

    97 Amb 7 PG 91, 1076A 98 / Co 15, 28 99 Cf HUBNER, 117-20

  • 142 MARCEL DOUCET

    type d'appropriation, rejet par YEcthse de Serge elle-mme, dit Maxime . On doit donc dire qu'il a vu l'initiative d'obissance du Christ, non pas seulement son mouvement naturel de rpulsion, avant les contro-verses avec les monothlites. Il l'a fait alors relever de Yautoxousion, non analytiquement localis avec prcision, l'occasion ne s'tant pas encore prsente de devoir rattacher celui-ci la volont puissance naturelle. Nanmoins, il s'agit dj d'une initiative humaine d'obissance, perue dans les paroles non ce que je veux /. . ./ . Rien n'indique, bien au contraire, qu'il y ait eu une priode de sa vie o Maxime ait vu dans la divinit seule du Christ l'explication des diverses paroles vangliques de conformit la volont du Pre.

    L'omission, dans la Lettre Pyrrhus, de la mention du contrle exerc par la volont humaine sur les passions n'est pas due au fait que Maxime ignore encore cette volont et qu'il partage le monothlisme de Serge101. Une preuve en est l'analyse qu'il a faite antrieurement, en Thal 21 , du comportement du Christ dans la tentation-preuve de sa passion. Cette seconde tentation est mise en parallle avec la premire, au dsert. Dans l'une et l'autre, le Christ a dpouill les Puissances mauvaises, selon le mot de saint Paul (Col 2, 15), tout en leur permettant leur attaque. Il a vid le pathton de son poison mortel. Dans un homme ordinaire, la crainte fait que la gnome s'loigne de la douleur. En son dsir de vivre, l'homme est tyrannis, contre l'inclination de sa gnome, et asservi par le plaisir. Dans la seconde tentation du Christ, l'intervention de sa gnome victorieuse n'est pas mentionne. Mais elle est affirme implicitement, par le paralllisme invers avec les autres hommes, chez qui il y a une gnome tyrannise. De plus, en sa victoire semblable, lors de la premire tentation, la raction positive de controle du pathton se fait kata the-lsin gnmi 103. L'emploi de ce dernier mot pour le Christ (que Maxime rcusera plus tard au profit de l'expression ) montre qu'il s'agit de la volont humaine ; car on ne voit pas ce mot, sous la plume de Maxime, pour dsigner la volont divine. L'ide d'obissance Dieu n'apparat pas ; la question de Thalassius met plutt la Passion (et l'agonie) en relation avec les Puissances mauvaises. Mais c'est la mme analyse que dans les traits postrieurs antimonothlites, o il traite de l'agonie : la douleur contraire la volont ( para gnmn ), le contrle de la passibilit, par la mme volont ( kata thelsin gnmi ). Ngation prrflexive de la douleur-mort, ferme affrontement rflchi, bref, deux niveaux sont distingus, dans la mme volont humaine du Christ.

    En Thal 63, une autre uvre bien antrieure ThPol 6, antimo-nothlite, Maxime fait des considerations sur la condition humaine, qui

    100 Cf Disp, 305A 101 LETHEL 1979 (p 59-64) prend le silence de M pour une ngation monothhte

    du type de celle de Serge , cf DOUCET 1983, 64-66 102 Thal 21, PG 91, 313C 103 Je translitre Y iota souscrit par un ascnt

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 143

    ne portent pas spcialement sur le Christ104. L'acceptation de la mort est kata the le sin. La mme mort est rfre, de deux manires, la mme volont, selon les deux moments (naturel et rflchi) de cette puissance. Le moment naturel est reconnu ( para gnmn ), ainsi que le moment d'acceptation ( hekousis katapsphizetai ). Il y a une multiplicit interne d'instances dans l'me : elle peut suivre le logos, ne pas se laisser per-suader par la sensation, prfrer Dieu l'objet de cette dernire. La mme volont a donc deux mouvements contraires. Dans l'un, elle est nomme thelsis, dans l'autre, gnm.

    La mme dualit de mouvements contraires, dans la volont, se trouve, en Thal 30, pour l'explication de Me 10, 38 : Pouvez-vous boire la calice que je bois et tre baptiss du baptme dont je suis bap-tis ? 105 Le calice, c'est--dire les preuves imposes par les circons-tances, suscite un mouvement d'opposition de la volont ( para proai-resin ). Mais, en mettant mort la volont, nous affrontons l'preuve volontairement ( kata prothesin hekousin ponn ).

    Ainsi, comme l'analyse de situations humaines comportant un con-flit, interne la volont, lui tait familire, Maxime ne devait pas plus tard, avant une dcouverte tardive, prouver, pour expliquer la scne de l'agonie, l'embarras que suppose F.-M. Lthel106.

    D'ailleurs, le paralllisme que Maxime tablit souvent, dans ses uvres antrieures, entre Adam, le Christ et les fidles, avec la mention d'une activit volontaire dans les trois cas, suppose que le Christ est considr l comme homme. Ainsi, en Thal 61, le Christ est dit accepter volontairement (boulsei) l'actualisation de la mort, dont la nature contient la ncessit. Il fait cela en opposition Adam, qui a tabli cette condition par sa dsobissance, pour que ses disciples se soumettent eux aussi l'actualisation de la mort, en obissant gnmiks aux commandements107. Il s'impose que Maxime ait vu la boule sis d'acceptation obissante de la mort, chez le Christ, comme aussi humaine que l'obissance des fidles, et aussi humaine que la dsobissance d'Adam.

    I. Conclusion

    On peut donc conclure que Maxime a trouv, dans l'criture, avant mme la crise monothlite, une nette affirmation de Y activit volontaire humaine du Christ. Cette crise lui a en outre permis d'attribuer au Christ explicitement, en sa nature assume, la racine potentielle de cette acti-vit : le Christ tait, comme homme, apte vouloir, theltikos, et, prcise d'ordinaire Maxime (plus proccup de sotriologie que d'ontologie), theltikos de notre salut.

    104 Cf Thal 63, PG 90, 669B-C 105 Cf Thal 30, PG 90, 368D-369A 106 Cf LETHEL 1979, 72-73 107 Cf Thal 61, PG 90, 636B-C

  • 144 MARCEL DOUCET

    4. RELATIONS ENTRE LES DEUX VOLONTS DU CHRIST A. Vocables non bibliques

    Maxime exprime la relation entre l'acte de la volont divine et celui de la volont humaine du Christ d'une manire ngative et d'une manire positive ; et cela, sur la base des donnes rvles. Ngativement, par l'absence de contrarit (enantisis). Il pose cette non-contrarit indi-rectement, en rejetant l'axiome de Pyrrhus, selon lequel, dans un mme pros opon, il ne peut y avoir deux volonts sans qu'elles soient contraires entre elles par leurs objets. Maxime ne voit a priori que deux causes possibles cette opposition. Dans le cas du Christ, il les dclare toutes deux impossibles : une opposition ncessaire au niveau de la nature (dans la facult de vouloir, qui en est un lment), cre par Dieu dfectueuse ; une autre, au niveau de l'activit, de la gnm, dans un pch108. Il rpte, aprs Grgoire de Nazianze : Son vouloir n'a rien de contraire Dieu, tout divinis qu'il est 109. Il exprime interrelation des volonts, du ct humain, positivement, par les mots de (synneusis, symbain110), de (hypoklin, hypotassU); il parle d'une forme et d'un mouvement reus (typoumenon, kinoumenon112.

    B. Obissance

    ct des vocables prcdents, non bibliques, Maxime introduit, en plusieurs occasions, le mot biblique d', pour rendre l'at-titude du Christ, modle de la ntre. Dans l'un des derniers Ambigua qu'il ait crit, il reprend, en les commentant, des propos de Grgoire de Nazianze sur la knose du Christ. Celui-ci a honor l'obissance, en prenant notre nature complte, avec sa passibilit, voire en souffrant, de fait, donnant ainsi une dmonstration de sa disposition interne. Celui qui dpasse toute science a fait l'exprience souffrante de l'obissance, non seulement pour sauver toute la nature, en la purifiant de ses scories, mais pour y apprendre combien il nous est demand et combien il nous est accord, pour que notre obissance soit parfaite : il nous est demand autant qu' lui, devenu l'un de nous, par nature ; il nous est accord autant qu'il lui a t accord, en vertu de l'union (hypostatique)113. L'ide d'un Christ type d'obissance, prsent notre imitation, revient dans la Dispute114.

    Le Liber Asceticus expose, au dbut, le skopos qui a pouss le Verbe s'incarner. L'obissance y entre, pour que soit dtruite la maldiction

    108 Cf Disp, 292A-B 109 ThPol 7, PG 91, 81C , ThPol 3, 48B et alibi 110 Cf ThPol 7, PG 91, 80D, 81B , ThPol 20, 236A 111 Cf ThPol 7, PG 91, 80D , ThPol 3, 48A 112 Cf ThPol 7, 80D , ThPol 3, 48A 113 Cf Amb, PG 91, 1045A-B 114 Cf Disp, 305C-D

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 145

    encourue en Adam115. J. Pierres pense que, chez Maxime, l'aspect sacri-ficiel de la mort du Christ est absent et que l'obissance est considre comme une gurison de notre volont, selon la conception physico-mystique de la rdemption, plutt que comme un sacrifice offert Dieu116. Le commandement auquel le Christ obit spcialement est celui de la charit, malgr les efforts des pharisiens et des scribes, pousss par Satan, pour qu'il le viole117. C'est surtout dans les occasions o, face une souffrance ou la mort, surgit dans la nature humaine du Christ une inclination contrevenir ce qui est voulu par Dieu que Maxime fait ressortir l'existence d'un acte humain d'obissance. D'ordinaire, quand il souligne le mot attribu au Christ, dans les citations scrip-turaires, il ne se propose que de dmontrer dans une intention dogmatique, l'existence de la volont naturelle humaine.

    Selon F.-M. Lthel, la knose, qui ne comporte pas d'humiliation118, relverait, chez le Maxime d'avant ThPol 6, de la seule volont divine, commune aux trois Personnes. L'uvre de salut, pendant la carrire ter-restre du Christ, ne procderait (selon le Maxime d'alors) que de sa volont divine. Notre saint serait encore enferm dans une perspective no-chalcdonienne119, dont il se serait subitement dgag, vers 65 ans, par la dcouverte de l'aspect positif d'initiative de la volont humaine du Christ.

    L'explication des textes sur l'agonie a dj fait voir l'obissance du Christ en son humanit note bien avant ThPol 6. UAmb 7 en tmoigne120; d'autres uvres antrieures aussi. Le Liber Asceticus affirme que le but vis par le Seigneur tait d'obir au Pre jusqu' la mort, comme homme, en observant le prcepte de la charit121. Dans YAmb 31, l'obissance des hommes sauvs et de leur Chef fait pendant la dsobissance d'Adam et de sa descendance naturelle122. Peut-on croire qu'il ne s'agit pas l d'une obissance du Christ en son humanit ? Maxime connat bien son Grgoire. La simple mention de ce point lui et fait citer le Discours de Filio II, o les voces humiliores de l'criture (comme celle d'obissance) sont rfres l'humanit du Christ. YAmb 41, selon Maxime, le Christ, comme Verbe, ne peut tre spar du Pre ; mais comme homme, il a accompli, en obissant, ce qu'il a prdtermin lui-mme comme Dieu123.

    Il n'y a donc pas eu, chez Maxime, un no-chalcdonisme qui ait polaris son attention sur le Verbe et l'ait empch de voir le rle d'obis-sance du Christ comme homme. Ce qui est nouveau, la fin de la vie de Maxime, c'est de localiser plus prcisment cette obissance non seu-

    115 Cf LibAsc 1, PG 90, 912-913 116 Cf PIERRES, 44 et 287 117 Cf LibAsc 11, 12, 13 118 Cf LETHEL 1979, 98-99 119 Cf LETHEL 1979, 98 , LETHEL 1982, 212-213 120 Cf Amb, PG 91, 1076 121 Cf LibAsc, PG 90, 921B 122 Cf Amb, PG 91, 1276C 123 Cf Amb, 1309D

  • 146 MARCEL DOUCET

    lement dans l'humanit indtermine, ou dans Yautexousion humain, non localis dterminment en elle, mais dans une facult de volont, clai-rement identifie. Le contexte ne l'invitait pas auparavant une telle prcision. Tout comme le contexte moderne n'y invite gnralement pas ceux qui traitent maintenant de l'obissance.

    C. A quelle volont le Christ est obissant La volont du Pre (la sienne identiquement, comme Dieu), laquelle

    le Christ obit, est, dans le cas de la passion, non pas proprement cette passion, mais le salut raliser travers elle. Maxime dit que le Christ ne s'est pas fait homme d'abord pour souffrir, mais pour sauver124. Il s'agit ici de l'intention du Christ, comme Verbe, donc de l'intention ou volont de Dieu. S'il doit souffrir et mourir par la violence des hommes, cela rsulte, comme pour le surgissement des passions, de la peristasis, du jeu des circonstances, o entrent hommerie et mchancet. Quand Maxime examine de plus prs la volont divine, il y distingue la volont de bon plaisir (kafeudokian), la volont conomique et la volont de permission125. La premire est la volont proprement dite, la dcision portant sur la fin, dont dcoulent les autres volonts, portant sur les moyens. L'appel d'Abraham sortir de sa terre est un exemple de la volont de bon plaisir126. Le recensement peccamineux, ordonn par David, est attri-bu par l'Ecriture l'action du diable et celle de Dieu ; dans ce dernier cas, il faut penser une volont de permission127, il en est de mme des malheurs qui arrivent Job128. Maxime n'applique pas ces distinctions la mort du Christ. Mais, selon lui, la volont de Dieu, laquelle le Christ obit en assumant sa mort, ne peut qu'tre aussi une volont de permission ou une volont conomique, qui laisse la mort imposer sa ncessit au Christ, et les hommes, abuser de leur autexousion, en le soumettant la violence.

    En Thal 63, l'emploi des deux adverbes progoumens ephe-pomens pose comme une succession, dans l'intention et le vouloir divins, relativement leurs objets. Le salut-divinisation est premier et absolu, la passion, restauratrice et mdicinale, est seconde129, conditionne par des contingences historiques. En obissant, en sa volont humaine, le Christ communie la volont a'eudokia et la volont de permission du Pre. Il veut deux objets dans le mme ordre que le Pre les veut, par ses deux types de volonts : sauver l'homme travers (dia) des souf-frances.

    Maxime fait ici une distinction, qui n'est que sous-entendue ailleurs, par exemple en Thal 61, o il dit que le Christ a eu la volont de se livrer

    124. Cf. Thal 63, PG 90, 681D. 125. Cf. QuDub 20, PG 90, 801B ; Ep 26, PG 91, 617A. 126. Cf. QuDub20, 801. 127. Cf. QuDub 75, PG 90, 849A. 128. Cf. QuDub 20, 801B. 129. Cf. Thal 63, PG 90, 681D.

  • LA VOLONT HUMAINE DU CHRIST 147

    pour nous la mort, cause de la volont du Pre130. La thelsis de l'un et la boulsis de l'autre se divisent en deux, en se portant diffremment sur notre salut et sur la mort du Christ. La comparaison faite, en Ep 26, avec le roi de Moab, immolant son fils sur les murs, pour apaiser les rois d'Isral et de Juda, et sauver ainsi la ville, n'est valable que sur un certain point : la mort est une ncessit conditionne par une fin que poursuit l'amour. C'est le roi qui dcide de mettre son fils mort, mais ce n'est pas le Pre qui dcide de livrer son Fils la mort. Maxime dit bien que c'est Dieu qui, selon l'conomie, l'a offert (proeskheto) la mort131 ; il parle comme l'Ecriture, qui escamote souvent les causes secondes et n'analyse pas la volont divine. Il faut donc interprter cette apparente initiative divine comme une permission (kata synkhrsin) : Dieu sait tirer le bien du mal, comme les mdecins savent gurir avec les chairs des vipres132.

    Selon le Liber Asceticus, le diable a tent le Christ pour lui faire prfrer le monde matriel l'amour pour Dieu133. Sous son action, les pharisiens et les scribes ont pouss le Christ violer le prcepte de la charit envers le prochain. Mais il a pein jusqu' la mort pour l'observer leur gard134. Vaincu de plein gr par leurs manigances, il a vaincu celui qui esprait le v a i n c r e . C'est donc pour l'observation du prcepte de la charit pour le prochain qu'il a t obissant au Pre jusqu' la mort. La mort n'est qu'une consquence, qu'il a assume volontairement pour tre fidle. Et son obissance, en l'affrontant, se rfre un vouloir divin qui ne porte pas sur cette mort. la lumire des distinctions faites par Maxime l'intrieur de la volont divine, la mort du Christ n'est donc l'objet que d'une tolrance conomique136. L'ide du but qu'est l'observation de la charit, voulu positivement par Dieu, entranant la permission d'preuves, se retrouve dans les derniers chapitres de la 4e Centurie sur la charit131.

    D. Conglutination et accord des volonts Mais il y a plus que l'accord (synneusis) et la soumission (hypako),

    c'est--dire plus que Y acte d'obissance du Christ, par lequel une motion divine est reue. Ses deux volonts sont dj en relation au plan physique, plus fondamental. Maxime utilise ici les notions de symphya et de typsis. F.-M. Lthel crit :

    Le mot symphya que nous traduisons toujours par accord est un terme clef ; il exprime le rapport dynamique entre la volont humaine du Christ

    130 Cf Thal 61, 637D 131 Cf Ep26, P G 9 1 , 616-617 132 Cf 617B 133 Cf LibAsc 10, PG 90, 920C 134 Cf op cit , 921B 135 Cf op cit , 921C 136 Sur cette question, cf entre autres interprtes modernes, BERGERON 137 Cf PG 90, 1072-73

  • 148 MARCEL DOUCET

    et sa volont divine Plus tard, Maxime prcisera que c'est dans la sumphma que la divinisation se consomme ( l'heure de l'Agonie), donnant ainsi a la divinisation une dimension proprement intentionnelle (et non plus seu-lement physique ) (Cf Opuscule 3, 48B) Sous forme adverbiale le terme entre dans le canon 10 du Concile de Latran / /, sans que la divinisation soit explicitement mentionne Au contraire la dfinition de Constantinople III ne parlera que de la divinisation138

    Cet auteur ne rend pas l'usage maximien II rattache l'in-tentionnel, au rapport dynamique, alors que Maxime le rattache au phy-sique, dans ThPol 3 cit, comme ailleurs, mme si les deux plans sont viss cte cte dans les textes

    Employs par Maxime, les mots symphyia, symphys, emphytos, prosphys, epiphynai, ont tous, comme physis, la racine/?/ry- Celui de symphyia peut se rendre par cohsion, conglutination au plan de la nature Conjunctw et quasi naturalis cohsw , traduit Combfis139 Souvent employ par Maxime pour les oprations, sous leur aspect de puissances naturelles, et pour les natures elles-mmes, ce mot s'accom-pagne parfois de di'holou, marquant que rien des natures et des lments naturels n'chappe cette cohsion La symphyia se rpercute ensuite, et se manifeste, au plan intentionnel, dans l'accord , mais elle n'est pas situe l, selon le sens du mot

    De mme, pour tre l'impression d'une forme, d'une modalit non essentielle, la typsis n'en est pas moins dans la volont essentielle Les deux volonts sont changes Maxime accepte, dans la Dispute, cette ide de Yantidosis, mise par Pyrrhus, mais en la dgageant de l'erreur qui la vicie chez ce dernier140 De plus, et toujours au mme plan, il y a don et rception, non mutuels, de la divinisation, rsultant du contact intime des natures ou l'accompagnant C'est par cette voie que l'influence de l'hypostase assumante atteint tout l'humain

    La volont a un mode d'tre, comme toute la nature, dont elle est un lment, mode qui rsulte de la cohsion Ce mode se manifeste aussi dans Y activit volontaire impeccable Sans doute, l'acte l'emporte sur la puissance, comme Y esse, sur l'essence Mais l'action de Dieu passe par la nature et ses puissances, avant de toucher l'agir En Jsus-Christ, elle passe par le contact intime des natures

    C'est par une msintelligence du texte qu'Urs von Balthasar, suivi sans critique par d'autres, peut traduire

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 149

    Christ a une nature et une opration composes142. S'il en tait ainsi, physis pros physin ouk an koinnsi, pof an . Il s'agit de la con-clusion rejeter d'un argument ab absurdo.

    Quand Maxime crit : volont tout entire divinise, en son accord et sa conglutination avec celle du Pre ( holon di'holou tei pros to patrikon synneusei te kai symphyai tetheomenon >>143), il indique les deux dimensions qu'adopte la divinisation de la volont : l'une, phy-sique, par symphya, et l'autre, intentionnelle, par synneusis. L'ordre des notions est donc le suivant : (1) union de la nature assume la Personne divine, (2) symphya et prichorse des natures, mode d'tre nouveau et divinisation de la nature humaine et, en elle, de la volont-puissance, (3) synneusis constante, c'est--dire accord des volonts en acte144.

    F.-M. Lthel crit que la volont humaine reoit un tropos au-dessus de la nature qui fonde son impeccabilit et sa divinisation145. Le tropos se ddouble : d'hyparxis de la volont-puissance (comme de la nature), et & exercice. Le premier, avec la divinisation, fonde le second, identique impeccabilit, la constante rectification de la synneusis. On a, quelques reprises, l'impression d'une considration trop unila-trale, chez notre auteur, du niveau intentionnel, o se fait sentir \t ps de la dtermination hypostatique de l'acte. De plus, on ne voit pas que Maxime, comme il est dit, fasse, dans ThPol 3, se consommer la divi-nisation dans l'agonie ; la divinisation est simplement affirme, sans men-tion de progrs. Aux exgtes d'expliquer, par ailleurs, la perfection atteinte par le Christ, selon Yptre aux Hbreux, 5, 9, au terme de son exprience souffrante de l'obissance.

    Le Concile du Latran (649), lui aussi, voit les deux volonts, sym-phys hnmena, d'abord sous l'aspect de nature146. Quant celui de

    142 Cf ThPol 8, PG 91, 108C-D Cf la phrase en C3 et de (protase avec ei au lieu du classique ean) et trois verbes au subjonctif aoriste , apodse a un verbe au futur L'explication qui suit (Cl 1-12) donne le consquent qui dcoulerait si, le cas chant, l'hypothse indique dans la protase se vrifiait Cf RIEMANN - GOELZER, art 528

    143 ThPol 7, 81D 144 Dans la constitution dogmatique du concile Vatican II Lumen Gentium, I, 8, on

    parle de l'glise, ralit complexe, quae humano et divino coalescit elemento est le mot qu'emploie Combfis pour rendre

  • 150 MARCEL DOUCET

    Constantinople III (680-1), il multiplie les vocables dynamiques , personnalistes , sans oublier la base naturelle qui les justifie. Mais, en suivant Grgoire de Nazianze, il met celle-ci dans la divinisation, quivalant la symphya147. Les deux conciles considrent le niveau de l'hypostase et, chacun sa manire, rejoignent le niveau naturel, par lequel le Christ est dit theltikos. Ils expliquent ontologiquement les textes scripturaires, aussi bien ceux des synoptiques sur l'agonie que celui, plus gnral, de Jean 6, 38 ( je ne suis pas venu faire ma volont, /. . ./ )148 qui s'en tiennent, comme il est naturel, en langage courant, au niveau opratif de l'obissance et la considration de la volont voulue 149.

    Le traitement maximien de la volont est parallle celui des op-rations. La communion des natures et l'change auquel elles procdent entranent le paradoxe que l'acte humain de volont a lieu heks et que l'acte divin se donne une modalit humaine de manifestation (et d'oc-cultation simultane), paradoxe qu'on trouve frquemment chez Maxime.

    Mais, curieusement, on dcle une faille dans le paralllisme. Si symphya est employ pour les volonts, le quasi-quivalent, , ne l'est pas, alors qu'il pourrait l'tre tout aussi bien. Les natures (avec leurs proprits) pntrent totalement l'une dans l'autre ; cela mme entrane une certaine unification modale de ces natures. Cette unification ne serait toutefois pas suffisante, pour tre fidle au Nouveau Testament, sans l'admission chalcdonienne de l'unit due l'hypostase, et sans

    Il conclut Dass sie [die Akten des Lateransynode] aber im Sinne seiner Zeit unter seine Werke/Maximos') zu zahlen sind, durfte damit erwiesen sein (p 121) Malgr les ordi-nateurs appels la rescousse, nous nous en tiendrons provisoirement aux vues de Caspar, d'un synode rel, avec grande influence exerce par M D'ailleurs, la Vie de M , crite en syriaque, une vingtaine d'annes seulement aprs la mort de M , par un adversaire mono-physite, et rcemment publie, mentionne le synode de 190 evques, runi Rome par le patriarche Martin Ier, pris au pige par M (Cf BROCK, 318 et 327)

    147 Cf Dz 556 148 Selon LETHEL 1979 (p 112, 18), Const III a oubli M 26, 39 et l'agonie,

    et utilise Jn 6, 38, comme substitut inadquat Mais cette dernire pncope est d'un sens plus gnral et englobe Mt 26, 39 Par ailleurs, sur Lthel, cf DOUCET 1983, 79-80 ( 80, ligne 10, supprimer les mots )

    149 Piret cnt Aprs M Doucet (qui ne le cite pas), nous empruntons cet auteur /M Blondel/ la terminologie de la volont voulante et voulue (PIRET 1983, 389, 27) Le plumitif en question avait pens, tort sans doute, que ces expressions taient devenues plus ou moins monnaie courante, entres dans des dictionnaires de phi-losophie En tout cas, il n'avait pas priv Blondel de son droit de paternit, les quelques rarae aves, lecteurs ventuels de la thse, qu'il lui avait fait plaisir de leur envoyer, n'taient vraisemblablement pas de ceux auxquels on avait besoin de signaler cette paternit II n'en est pas de mme d'un passage du mme plumitif, cit, dans un ouvrage imprim, par le directeur de thse de Piret Cet excellent homme, aux perspectives intressantes, dont certaines paroles flatteuses ont t dment notes, dont le Dossier Lamennais a t lu avec plus que de l'intrt, a oubli les guillemets sacrs (cf Maximus Confessor Actes du Symposium I /, Fnbourg/Suisse 1982, 235 et DOUCET, Thse dact 1972, 241) Il omet de dire qu'Euloge d'Alexandne n'est pas invoqu par M , que l'attribution faite Euloge, par Bardenhewer, des passages sur la volont humaine du Christ n'est pas certaine (cf BECK, 382)

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 151

    l'insistance sur l'identit de cette hypostase avec le Verbe ternel, faite Constantinople II, notamment par l'admission des formules thopas-chites , comme Unus de Trinitate passus est 15. Grgoire de Nazianze parlait de krasis et tentait d'y trouver un principe d'unit, sans confusion, il est vrai, mais simplement au niveau des natures151. L'identification de l'hypostase comme instance unifiante, n'annule pas cet autre aspect, secondaire et subordonn, d'unit. Maxime le saisit lui aussi. Pour les oprations, il emploie des adverbes signifiant quelque chose comme une unit : henoeids, heniais, la locution heniaian perikhrsin, ou un verbe de sens tendantiel , henizousa152. Il ne peut omettre ce type d'unit, puisque des Pres respects ont us d'expressions unitaires, dont il a le devoir d'expliquer le sens, chez eux orthodoxe. Mais il fait face des adversaires qui n'ont que trop tendance excder dans la direction uni-taire, au mpris des logoi naturels. De plus, comme il note expressment que les Pres n'ont pas employ ces expressions pour la volont153, son omission n'est pas casuelle, semble-t-il ; quoique interprter une omission soit moins sr qu'interprter une commission . Son eusebeia pour les Pres le rend conservateur . S'y ajoute la crainte de prendre lui-mme l'initiative, dangereuse dans les circonstances, de l'ajout de l'arsenal conceptuel concernant les volonts, objets de la nouvelle pro-blmatique, initiative qui serait alle de soi en un contexte irnique.

    L'interprtation de la symphya, donne par l'auteur ci-dessus men-tionn, s'insre, semble-t-il, dans une tendance qui fait grise mine la nature, dcelable chez des interprtes rcents de Maxime ( un degr bien moindre, il est vrai, chez l'auteur en question). Si l'on ne va pas jusqu' considrer la nature pjorativement, on semble vouloir rduire son rle. On accuse un Maxime premire manire d'excs ontologiques, avant d'en faire un boddhisatva enfin illumin, sensible (au rebours de son homo-logue oriental) aux initiatives personnelles154. Ainsi, on tire de YAmb 42 l'ide, nouvelle l chez Maxime, d'une dimension transformante du salut, place dans l'ordre hypostatique de la libert155. Il y a certes innovation dans l'hypostase et dans la libert de cette hypostase (ce qui est mis en relief ailleurs qu'en Amb 42) ; mais parce qu'il y a innovation d'abord de la nature. Il ne faut ni exclure ni minimiser ce moment naturel pra-lable, pour viter la prsentation monophysite d'une absorption . Peut-on affirmer que Maxime, dans YAmb 42, aurait subi une metanoia, aurait rejet la subordination de la motion de la libert au dynamisme naturel

    150 Cf MEYENDORFF, ch IV 151 Cf ALTHAUS, 57-58, 128 ss Si deux lignes de dveloppement conduisent

    aussi bien aux monophysites qu' Nestonus, c'est que cette pense est orthodoxe, quoique encore prive de l'expression chalcdonienne claire

    152 Cf ThPol 8, PG 91, 108C , ThPol 16, 208B , ThPol 20, 232A , ThPol 8, 96D 153 Cf ThPol 7, 88D 154 Cf les observations dans cette ligne de F BRUNE ( la suite du A de Halleux

    et de C Yannaras), dans Contacts, revue de l'cole thologique Saint-Serge de Pans, aot 1978, 142-171 La rdemption chez Saint Maxime le Confesseur

    155 Cf GARRIGUES, 105, 103

  • 152 MARCEL DOUCET

    du cr , comme un simple moment de la teleologie de l'ordre naturel finalis par Dieu 156 ?

    L'innovation est un raffermissement et un exhaussement de la teleo-logie naturelle, avant d'tre une innovation dans l'agir. Dieu sauve et divinise la volont humaine, et naturellement et hypostatiquement157. La loi de grce, dit Maxime, divinise l'homme, sans que la nature humaine subisse aucune altration (atrepts). Ce qui est exclu, c'est un changement in pejus, par perte d'identit ou dgradation. Le changement de la nature est cependant bien rel, intrinsque, de l'ordre dupoion. Il promeut celle-ci, en une extase qui la fait paradoxalement accder sa vritable identit. Tat twam asi (tu es cela !), pourrait-on dire de cet tat, plus haut que l'tat de Brahman ou de Bouddhit, auquel l'Oriental aspire, par la moksa ou par le nirvana, au-del de son identit illusoire dans ce monde chatoyant de la maya. Vritablement identit, laquelle aprs-mort donne tout son panouissement : Tel qu'en lui-mme enfin l'ter-nit le change . C'est l l'exorbitante prtention du christianisme, la suite de Maxime et des Pres. H. de Lubac n'a-t-il pas dit nagure qu'Amida Bouddha ( of g"\ {y f^ ) sera le dernier ennemi (bien plutt prcurseur) avec lequel le Christ devra se mesurer ? Dernier parce que le plus lev et, un point de vue, le plus proche de l'idal humain profond, le plus difficile transcender pour une grande me . . . C'est perdue dans la nature divine, pour s'y trouver, en symphya avec elle, conglutine elle, que la volont est mobilise de l'intrieur. C'est devenu theos, identifi, sa mesure, asynkhyts, avec l'Absolu, que l'homme s'auto-dtermine souverainement, sans que envahisseur , le Verbe en sa knose volontaire, pse aucunement sur sa volont158. Le plan divin ternel est, par cette promotion inconcevable de la nature des diviniss (to einai), de leur assurer une personnalisation chris-tode (to eu einai, to aei eu einai). E. Modle conceptuel maximien

    En s'inspirant des schmas synoptiques de F.-M. Lthel, on peut se reprsenter la structure du modle conceptuel maximien, selon le tableau qui clt cet article.

    Horizontalement, de gauche droite, une consecution de plans : celui de la personne, celui de la nature, celui de la proprit de la nature, celui de l'activit intentionnelle, avec, comme telos, le plan de l'objet-moyen et celui de l'objet-fin. Verticalement, de bas en haut, une super-position de niveaux : l'humain et le divin, l'humain tant, pour la volont, subdivis. Entre les niveaux, les relations qui associent les lments homologues.

    156. Cf. op. cit., p. 103-4. 157. Cf. op. cit., p. 144 : Dieu peut sauver et diviniser hypostatiquement la volont

    humaine ; cf. p. 115 : divinisation par synergie libre , il y a, dans le ch. III, une incroyable prolifration des mots et .

    158. Cf. op. cit., p. 157-8 ; Riou 1973, p. 139.

  • LA VOLONTE HUMAINE DU CHRIST 153

    Au niveau suprieur, divin, la distinction nature-puissance-acte n'existe que selon notre mode de concevoir, car Dieu est pure simplicit159. L'expression remplace l'expression , pour marquer le caractre positif de la volition qui se porte sur la ngation de l'objet. et reus correspondent kineisthai et typousthai, emmploys par Maxime ; le mouvement est identique la neusis-volition ; la forme (typos) marque en permanence la volont-puissance naturelle. La neusis est synneusis, parce que deux veut sont simultans, l'un divin, l'autre humain. Conglutination rend le mot (syn, physis).

    Selon Sophrone de Jrusalem, le matre de Maxime, le Verbe mettait (proballomenos) naturellement ses actions et passions humaines, dont il tait arbitre et directeur (tamias, prytanis160). La motion reue du Verbe, selon Maxime, dans le vouloir humain du mme Verbe et le fait qu'il considre l'humain, dans le Christ, comme un instrument de Dieu (ou du Verbe, quivalemment) peuvent tre signifis par le mot , qui n'est toutefois pas maximien. Par l'accent mis sur la consistance de la nature humaine du Christ, Maxime a rtabli, dans la direction antiochienne, l'quilibre rompu par l'alexan-drinisme excessif des monothlites. Tixeront crit que le Verbe, comme centre d'imputation des actions et passions de la nature assume, ne peut agir par l'intermdiaire de cette nature, comme par un instrument, parce que la personnalit ne peut tre dite principe d'activit, mais simplement condition requise pour que la nature agisse. Il en rsulte que le parall-lisme, dans le Christ, de ses deux genres d'activits, est d au consen-tement libre de l'homme (sic), qui se rgle sur les actes divins161. Le rle de la Personne est plus estomp que celui, semble-t-il, que Maxime lui accorde, par le verbe kinein, et celui de la nature, plus accentu, comme le montre l'emploi du mot concret . L'orientation de la volont naturelle reflexive vers tel ou tel bien, communique, l'intrieur de la volont naturelle, mais par le sujet162, s'accorde mal avec le rle de simple condition, exerc par ce sujet, pour que la nature agisse. Et c'est le Verbe, en tant que distinct du Pre et de l'Esprit, qui imprime une telle orientation sa volont naturelle. Si l'efficience est rejeter, il faut pourtant, selon Maxime, que le fait que ce soit une Personne divine qui confre sa sub-sistance la nature humaine ait des rpercussions sur le mode de vouloir et d'agir que revt cette nature163. Ce qui implique un influx, auquel on peut refuser l'appellation de , vu le type d'influx que ce mot voque spontanment, et justifie, si l'on veut bien le dgager de certaines

    159 Cf les premires Centuries thol. et con , PG 90, 1084-1085 160 Lettre synodale, PG 87, 3 3174B-C, 3173 161 TIXERONT III, 172-175 162 Cf Disp, 293A 163 Cf Voluntas humana Christi habuit quemdam determinatum modum ex eo

    quod fuit in hypostasi di