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1 CAPAVOCAT DROIT INTERNATIONAL PRIVE CORRECTION DU DST n°1 du samedi 31 juillet 2010 PROPOSITION DE CORRECTION POUR L’EXERCICE DE COMMENTAIRE Cass. civ. 1 re , 7 mai 2010 Rendu le même jour que deux autres arrêts sur le même thème (pourvois n° 09- 11.177 et 09-14.324), l’arrêt soumis à commentaire devait vous inviter à réfléchir sur la délicate question de la qualification - spécialement des loteries publicitaires -, pour vous interroger ensuite plus précisément sur le bien-fondé d’un alignement de la Cour de cassation sur la position jurisprudentielle de la Cour de justice de Luxembourg sur le sujet et critiquer éventuellement une position qui ne va pas nécessairement de soi. Chose promise, chose due ? Tel est sans nul doute l’adage populaire qu’une Française a entendu rappeler à une entreprise belge dans l’arrêt soumis à commentaire. Les faits à l’origine de l’espèce étaient relativement simples et, pour tout dire, des plus banaux. À la suite d’une commande traitée en janvier 2003 par une société dont le siège social était établi en Belgique, une cliente a reçu différentes publicités de la part de cette dernière. Se considérant à la réception de l’une d’entre elles comme bénéficiaire d’une promesse de gain, la cliente a voulu obtenir le versement de la somme (d’un montant de 30.000 Euros) dont l’envoi lui avait été annoncé. Sa tentative se solda pourtant par un échec. C’est dans ces circonstances que la prétendue bénéficiaire de la promesse de gain assigna, en novembre 2006, la société belge précitée en paiement d’une somme de 30.000 Euros d’une part (équivalente au gain allégué comme promis) et d’une somme de 10.000 Euros d’autre part, au titre de dommages-intérêts pour le préjudice que lui aurait fait subir le refus du gain promis. La compétence de la juridiction de première instance pour connaître de cette demande ayant été contestée, la Cour d’appel de Riom fut saisie par voie de contredit. Par arrêt du 9 avril 2008, cette juridiction a jugé que le tribunal de grande instance de Montluçon était compétent pour statuer sur la demande formée par la prétendue bénéficiaire de la promesse. Infirmant en cela la décision rendue en première instance, l’arrêt rendu par la Cour de Riom s’exposait à la critique de la société belge promettante, laquelle forma un pourvoi en cassation. De nature transfrontalière et entièrement situé sur le territoire d’États membres de l’Union européenne, le litige qu’a eu à connaître la Cour de cassation s’inscrivait juridiquement dans le cadre du Règlement dit de “ Bruxelles I”. En sa qualité de juge de droit commun du droit de l’Union, la Haute juridiction était donc appelée à se prononcer sur le point de savoir si la loterie publicitaire à l’origine d’un litige entre un particulier français et une société belge, relevait ou non des règles de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs. À cette question, la Cour de cassation a répondu de manière affirmative. Elle approuve en effet la Cour d’appel d’avoir “justement déduit que Madame Trubert, en sa qualité de consommateur, pouvait saisir le tribunal de son domicile en application des articles 15 et 16 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I)”, après avoir “relevé qu’il ressortait du dossier que Mme Trubert avait commandé des marchandises proposées par la société Duchesne en envoyant un bon de commande et en respectant scrupuleusement les

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CAPAVOCAT DROIT INTERNATIONAL PRIVE

CORRECTION DU DST n°1 du samedi 31 juillet 2010

PROPOSITION DE CORRECTION POUR L’EXERCICE DE COMMENTAIRE

Cass. civ. 1re, 7 mai 2010 Rendu le même jour que deux autres arrêts sur le même thème (pourvois n° 09-11.177 et 09-14.324), l’arrêt soumis à commentaire devait vous inviter à réfléchir sur la délicate question de la qualification - spécialement des loteries publicitaires -, pour vous interroger ensuite plus précisément sur le bien-fondé d’un alignement de la Cour de cassation sur la position jurisprudentielle de la Cour de justice de Luxembourg sur le sujet et critiquer éventuellement une position qui ne va pas nécessairement de soi. Chose promise, chose due ? Tel est sans nul doute l’adage populaire qu’une Française a entendu rappeler à une entreprise belge dans l’arrêt soumis à commentaire. Les faits à l’origine de l’espèce étaient relativement simples et, pour tout dire, des plus banaux. À la suite d’une commande traitée en janvier 2003 par une société dont le siège social était établi en Belgique, une cliente a reçu différentes publicités de la part de cette dernière. Se considérant à la réception de l’une d’entre elles comme bénéficiaire d’une promesse de gain, la cliente a voulu obtenir le versement de la somme (d’un montant de 30.000 Euros) dont l’envoi lui avait été annoncé. Sa tentative se solda pourtant par un échec. C’est dans ces circonstances que la prétendue bénéficiaire de la promesse de gain assigna, en novembre 2006, la société belge précitée en paiement d’une somme de 30.000 Euros d’une part (équivalente au gain allégué comme promis) et d’une somme de 10.000 Euros d’autre part, au titre de dommages-intérêts pour le préjudice que lui aurait fait subir le refus du gain promis. La compétence de la juridiction de première instance pour connaître de cette demande ayant été contestée, la Cour d’appel de Riom fut saisie par voie de contredit. Par arrêt du 9 avril 2008, cette juridiction a jugé que le tribunal de grande instance de Montluçon était compétent pour statuer sur la demande formée par la prétendue bénéficiaire de la promesse. Infirmant en cela la décision rendue en première instance, l’arrêt rendu par la Cour de Riom s’exposait à la critique de la société belge promettante, laquelle forma un pourvoi en cassation. De nature transfrontalière et entièrement situé sur le territoire d’États membres de l’Union européenne, le litige qu’a eu à connaître la Cour de cassation s’inscrivait juridiquement dans le cadre du Règlement dit de “Bruxelles I”. En sa qualité de juge de droit commun du droit de l’Union, la Haute juridiction était donc appelée à se prononcer sur le point de savoir si la loterie publicitaire à l’origine d’un litige entre un particulier français et une société belge, relevait ou non des règles de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs. À cette question, la Cour de cassation a répondu de manière affirmative. Elle approuve en effet la Cour d’appel d’avoir “justement déduit que Madame Trubert, en sa qualité de consommateur, pouvait saisir le tribunal de son domicile en application des articles 15 et 16 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I)”, après avoir “relevé qu’il ressortait du dossier que Mme Trubert avait commandé des marchandises proposées par la société Duchesne en envoyant un bon de commande et en respectant scrupuleusement les

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conditions fixées par l’expéditeur [et] que la commande avait été traitée le 10 janvier 2003 par la société qui avait ainsi manifesté l’acceptation de la proposition”. Par cet arrêt - promis à une très large publicité (P+B+R+I) -, la Cour régulatrice française paraît donc devoir pleinement s’aligner sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative au contentieux interétatique des loteries publicitaires. Cet alignement semble plus précisément pouvoir être observé en premier lieu au stade de la qualification (I), en second lieu à celui de l’application des règles de compétence spécialement protectrices du consommateur du règlement “Bruxelles I” (II). I. La qualification des loteries publicitaires Conformément à sa qualité de juge de droit commun du droit de l’Union, la Cour de cassation a rejeté pour le contentieux interétatique des loteries publicitaires la qualification lege fori (A) pour adopter celle retenue de façon autonome par la Cour de justice de l’Union européenne (B). A. Le rejet de la qualification lege fori La question de la qualification est sans nul doute l’une des plus complexes du droit international privé, qu’il soit au demeurant de source européenne ou étatique. La difficulté d’une telle opération pour le juge est particulièrement accrue lorsque ce dernier est invité, comme en l’espèce, à qualifier juridiquement une loterie publicitaire (ou promesse de gain fallacieuse) dans une perspective de détermination des règles permettant la désignation du juge compétent. Lorsqu’un particulier reçoit en effet d’une société de vente par correspondance une annonce lui laissant croire qu’il est l’heureux gagnant d’un lot (le plus souvent, une somme d’argent) qui, une fois réclamé, se révèle n’être qu’une chimère, quelle qualification donner à une telle situation ? S’agit-il d’un engagement unilatéral de volonté ? D’un contrat ? D’un délit ? En droit interne français, la Cour de cassation, après être passée respectivement par les trois catégories précitées (v. not. Cass. civ. 1re, 28 mars 1995, n° 93-12.678, Bull. civ. I, n° 150, p. 106 [engagement unilatéral de volonté] ; Cass. civ. 2e, 11 février 1998, n° 96-12.075, Bull. civ. II, n° 55, p. 34 [contrat] ; Cass. civ. 1re, 19 oct. 1999, n° 97-10.570, Bull. civ. I, n° 289, p. 188 [délit]), a finalement décidé d’inscrire les loteries publicitaires dans la catégorie des quasi-contrats visés par l’article 1371 du Code civil (Cass. Ch. mixte, 6 sept. 2002, n° 98-22.981, Bull. Mixte, n° 4, p. 9 ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 12e éd., 2008, n° 242). Sur le plan international, la difficulté qu’engendre une telle qualification pour la détermination des règles de compétence juridictionnelle applicables est très nette. En effet, à suivre les préceptes énoncés de façon générale par l’arrêt Scheffel, “la compétence internationale [des juridictions françaises] se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne” (Cass. civ. 1re, 30 octobre 1962, GAJFDIP, n° 37 ; en ce sens, v. déjà Cass. civ., 19 oct. 1959, Pelassa, D., jur., 1960.37, note G. HOLLEAUX ; Rev. crit. DIP, 1960.215, note Y. L.). Aussi est-ce en contemplation des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 42 du Code de procédure civile (“La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur”) ou de celles de l’article 46 du même Code (“Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction où demeure le défendeur : - en matière contractuelle, la juridiction du lieu de livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service ; - en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble […]”) que la détermination des

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règles permettant la désignation du juge internationalement compétent pour connaître d’un contentieux portant sur une loterie publicitaire devrait être faite. Or, à lire les dispositions de l’article 46 CPC, il n’est pas certain que la qualification de quasi-contrat retenue pour les loteries publicitaires en autorise la mise en œuvre. La Cour de cassation en a d’ailleurs décidé ainsi dans le cadre d’un litige de droit interne, en jugeant que “les options de compétence territoriale ouvertes au demandeur par l’article 46 du nouveau code de procédure civile sont d’interprétation stricte et ne s’appliquent pas aux actions fondées sur un quasi-contrat” (Cass. civ. 2e, 7 juin 2006, n° 04-20.316, Bull. civ. II, n° 149, p. 143 ; du même jour, v. aussi n° 05-18.614, Inédit). Ainsi, “en application du principe qui étend à l’ordre international les règles internes de compétence” (Cass. civ. 1re, 13 janv. 1981, Dame de Bendern, n° 79-10.693, Bull. civ. I, n° 11) et par recours subséquent aux dispositions de l’article 42 CPC, il semblerait que le juge internationalement compétent pour connaître d’une demande relative à une loterie publicitaire ne puisse être, en principe et du seul point de vue des juridictions françaises, que le juge du lieu où demeure le défendeur. En désignant pourtant comme compétent le juge du domicile de la bénéficiaire de la promesse de gain, la Cour de cassation a donc rejeté sa propre qualification des loteries publicitaires au profit de celle, autonome, retenue par la Cour de justice de l’Union européenne. Cette position s’explique parfaitement, au regard de l’incontestable applicabilité du Règlement de l’Union n° 44/2001, dit de “Bruxelles I”, à l’espèce en cause. B. L’adoption de la qualification autonome du droit de l’Union L’applicabilité du Règlement n° 44/2001 à un litige quelconque emporte-t-elle automatiquement l’obligation pour le juge interne de retenir, au stade de l’application de cet instrument, une interprétation (ou qualification) autonome, indépendante de celle qui aurait déjà pu être dégagée dans son propre système national ? La Cour de justice l’a affirmé dès 1976, sous l’empire de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (CJCE, 14 oct. 1976, Eurocontrol, Aff. 29/76, Rec., p. 1541, spéc. point 5 ; v. aussi 16 déc. 1980, Rüffer, Aff. 814/79, Rec., p. 3807, spéc. points 7 et 14. Sur l’origine et les fondements de cette méthode, v. not. M. AUDIT, “L’interprétation autonome du droit international privé communautaire, Clunet, 2004.789). Cette obligation - dont la justification résiderait dans la nécessité d’éviter des divergences d’interprétation “en vue d’assurer, dans la mesure du possible, l’égalité et l’uniformité des droits et obligations qui découlent de [la Convention et désormais du Règlement] pour les États contractants et les personnes intéressés” (CJCE, 14 oct. 1976, Eurocontrol, préc., point 3) - ne concerne toutefois ab initio que les notions spécialement visées au texte de la Convention de Bruxelles précitée (mais le raisonnement vaut également pour le Règlement qui lui a succédé), au premier rang desquelles l’on peut citer, entre autres, celle de “matière civile et commerciale” (CJCE, 14 oct. 1976, Eurocontrol, préc.) ou encore celle de “matière contractuelle” (v. not. CJCE, 17 juin 1992, Jakob Handte, Aff. C-26/91, Rec., p. 3697, spéc. point 15. - Fasc., doc. 10, p. 23). La question de la qualification proprement dite d’une loterie publicitaire est cependant quelque peu différente. Ne figurant pas dans le texte du Règlement, la loterie publicitaire n’en constitue donc pas une “notion” susceptible d’une interprétation autonome au sens présenté plus haut. Pour autant, la qualification juridique d’une loterie publicitaire demeure une question d’importance, étant donné qu’en fonction de la définition qu’elle reçoit (v. supra, à propos des hésitations du droit français sur le sujet, I.A.), celle-ci peut relever tantôt de la notion de “matière contractuelle”, tantôt de celle de “matière délictuelle”. Aussi, selon la qualification reçue, le for spécialement compétent pour connaître du litige relatif à une loterie publicitaire sera alternativement celui du contrat (Article 5.1) ou celui du délit (Art. 5.3), voire celui du contrat conclu par un consommateur (Art. 15 et 16, ces textes constituant en effet,

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selon les termes de la Cour de Luxembourg, “une lex specialis par rapport à l’article 5, point 1” – CJCE, 11 juil. 2002, Rudolf Gabriel, Aff. C-96/00, Rec., p. I-6367, spéc. point 36. Sur les difficultés relatives à la détermination du juge compétent en cette matière, v. not. B. DUTOIT, “Le consommateur face aux promesses de gain non tenues : quel tribunal est compétent ? À propos des arrêts Gabriel et Engler de la Cour de justice des Communautés européennes”, in Études sur le droit de la concurrence et quelques thèmes fondamentaux, Mélanges en l’honneur d’Yves Serra, Dalloz, 2006, p. 145). Considérant que “les notions figurant à l’article 13 de la Convention de Bruxelles [Art. 15 du Règlement n° 44/2001] doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ladite Convention, en vue d’assurer à celle-ci sa pleine efficacité”, la Cour de justice a dit pour droit que “l’action juridictionnelle, par laquelle un consommateur vise à faire condamner, dans l’État contractant sur le territoire duquel il est domicilié et en application de la législation de cet État, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d’un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un envoi de nature à donner l’impression qu’un prix lui sera attribué à la condition qu’il commande des marchandises pour un montant déterminé et que ce consommateur passe effectivement une telle commande sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle au sens de l’article 13, premier alinéa, point 3 de ladite convention” (CJCE, 11 juil. 2002, Rudolf Gabriel, préc., spéc. points 37 et 60). En d’autres termes, pour la Cour de justice, l’action juridictionnelle visant à obtenir le paiement du gain allégué comme promis à l’occasion d’une loterie publicitaire consécutive ou concomitante à une commande de marchandises relève des dispositions spéciales du Règlement relatives à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs. Ainsi, lorsque la Cour de cassation prend le soin en l’espèce de noter que la Cour d’appel avait “relevé qu’il ressortait du dossier que Mme Trubert avait commandé des marchandises proposées par la société Duchesne en envoyant un bon de commande et en respectant scrupuleusement les conditions fixées par l’expéditeur [et] que la commande avait été traitée le 10 janvier 2003 par la société qui avait ainsi manifesté l’acceptation de la proposition” - pour en déduire l’applicabilité des dispositions du règlement protectrices du consommateur -, il semblerait qu’elle souhaite par là s’aligner sur la jurisprudence Gabriel, précitée, de la Cour de justice. Cependant, cette jurisprudence a été rendue sur le fondement de l’article 13, alinéa 1er, 3°, a), de la Convention du 27 septembre 1968, texte beaucoup plus précis que les dispositions de l’article 15 du Règlement dit de “Bruxelles I” qui est venu le remplacer… et sur le fondement duquel la Cour de cassation fait reposer sa décision. L’alignement de cette juridiction sur la jurisprudence de la Cour de Luxembourg n’est donc peut-être qu’imparfait et il semble même devoir être discuté au stade de l’application des articles 15 et 16 du Règlement n° 44/2001 à la loterie publicitaire en cause. II. L’application des règles protectrices du consommateur du Règlement “Bruxelles I” aux loteries publicitaires En décidant que l’espèce en cause relevait des dispositions des articles 15 et 16 du Règlement n° 44/2001, la Cour régulatrice a clairement choisi l’adoption d’une solution en faveur de la protection des consommateurs (B), laquelle n’a pu être rendue possible que par le rejet du fondement des règles spéciales de compétence (A).

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A. Le rejet du fondement des règles spéciales de compétence En approuvant nettement la Cour d’appel de Riom d’avoir “justement déduit que Madame Trubert, en sa qualité de consommateur, pouvait saisir le tribunal de son domicile en application des articles 15 et 16 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I)”, la première Chambre civile de la Cour de cassation admet à son tour que la demande tendant au paiement du gain promis à la suite d’une loterie publicitaire s’inscrit dans le cadre du contentieux des contrats conclus par des consommateurs. Autrement dit, à la différence de la qualification qu’elle confère aux loteries publicitaires en droit interne (v. supra, I.A.), la Cour de cassation voit implicitement dans les loteries publicitaires s’insérant dans le contexte intra-européen le fruit d’un “engagement librement assumé d’une partie envers une autre” (CJCE, 17 juin 1992, Jakob Handte & Co., Aff. C-26/91, préc., eod. loc.), qu’elle estime plus précisément devoir juridiquement relever des dispositions spécifiques des articles 15 et 16 du Règlement n° 44/2001 en insistant sur la “qualité de consommateur” de la bénéficiaire de la promesse de gain fallacieuse. Conforme en cela à la position arrêtée par la Cour de Luxembourg, qui considère que l’article 15 du Règlement n’a vocation “à s’appliquer que pour autant que, de façon générale, l’action se rattache à un contrat conclu par un consommateur pour un usage étranger à son activité professionnelle” (CJCE, 11 juil. 2002, Rudolf Gabriel, préc., spéc. point 38), cette solution ne va pourtant pas de soi. En effet, à proprement parler et stricto sensu, l’applicabilité de l’article 15 aux loteries publicitaires ne trouve sa justification, selon la Cour de justice, que dans l’existence d’une condition, celle de la passation d’une commande qui aboutit à la passation d’un véritable contrat avec le professionnel offrant. En l’espèce, rien ne permet d’affirmer que tel fut bien le cas. Aussi y a-t-il lieu de s’interroger car en l’absence d’une loterie publicitaire dont l’obtention du gain promis serait conditionnée à la passation d’un contrat de vente ou de prestation de services, l’applicabilité des articles 15 et 16 ne se justifierait plus. C’est d’ailleurs en ce sens que la Cour de justice s’est prononcée, en estimant qu’en pareil cas (i.e. en présence d’une loterie publicitaire non conditionnée à la passation d’un contrat avec le professionnel qui l’organise), la Convention de Bruxelles - tout comme le Règlement (CE) n° 44/2001 - ne s’opposent pas “à ce que cette action puisse néanmoins relever de la matière contractuelle au sens de l’article 5, point 1, de celle-ci” (CJCE, 20 janvier 2005, Petra Engler, Aff. C-27/02, Rec., p. I-481, spéc. point 49. - Fasc., doc. 45, p. 65). Encore faut-il cependant que le juge ait estimé que l’une des parties n’avait pas pris “[d’]engagement juridique, en soumettant une offre ferme, suffisamment claire et précise quant à son objet et à sa portée, pour donner lieu à un lien de nature contractuelle” tel que visé par l’article 15 du Règlement (CJCE, 14 mai 2009, Renate Ilsinger, Aff. C-180/06, Rec., p. I-3961, spéc. point 54). Dans l’arrêt rapporté, le doute semble donc permis relativement à la pertinence du fondement retenu (celui des articles 15 et 16 du Règlement n° 44/2001), par préférence à celui de l’article 5.1 de ce même instrument. Nonobstant l’insistance de la Cour de cassation sur l’existence d’une commande, il n’est en effet pas certain que celle-ci soit liée à une loterie publicitaire qui en serait à l’origine.

Quoi qu’il en soit, le critère dégagé par l’arrêt Ilsinger n’est pas plus satisfaisant, attendu que la question de savoir si “l’offrant s’est ou non ‘engagé juridiquement’ relèvera bien souvent de la divination” (en ce sens, v. H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe. Règlement 44/2001. Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988 et 2007), LGDJ, Coll. Droit des affaires, 4e éd., 2010, spéc. n° 285). De manière plus générale, n’y aurait-il donc pas lieu de considérer, en l’absence de commande passée et donc en l’absence d’un contrat entre les parties, que le contentieux des loteries publicitaires relève plutôt de la “matière délictuelle”, visée à l’article 5.3 du Règlement “Bruxelles I” ? Une fois encore, la rédaction lapidaire de l’arrêt ne permet pas de se prononcer clairement. Il semble

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en revanche permis d’affirmer que la présente solution a été guidée par un principe de faveur à l’endroit du consommateur. B. L’adoption d’une solution in favorem La faveur au consommateur final privé figure très nettement dans la section 4 du Chapitre II du Règlement n° 44/2001. Elle se trouve même plus précisément dans les dispositions de l’article 16, dont les paragraphes premier (“L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié”) et deuxième (“L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur”) assurent respectivement au consommateur un choix de juridiction et une protection accrue à son endroit sur le plan de la compétence juridictionnelle. Cet objectif de protection, traditionnellement justifié par le fait que le consommateur s’inscrit dans la catégorie des parties réputées “faibles” dans un contrat, est en l’espèce entièrement assuré par la solution rendue par la Cour de cassation. Reste toutefois incertain le fait de savoir si les circonstances de l’espèce autorisaient à voir dans la cause une loterie publicitaire dont le gain était conditionné à la passation d’une commande, si bien que l’applicabilité de l’article 5.1 du Règlement demeure potentiellement plus justifiée.

Cependant, il peut être rappelé ici que la mise en œuvre de l’article 5.1 du Règlement “Bruxelles I” suppose, aux termes de sa littera a), de définir le “le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée”, ce qui requiert de la part du juge du for, on le sait, d’opérer un détour par le conflit de lois à fin de désigner “la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflits de la juridiction saisie” (CJCE, 6 oct. 1976, Tessili, Aff. 12/76, Rec., p. 1473). Dans cette hypothèse, c’est donc vers la Convention de Rome du 19 juin 1980 que le juge saisi serait amené à se tourner pour déterminer la juridiction compétente, laquelle serait alternativement une juridiction belge ou une juridiction française, selon que l’obligation litigieuse serait respectivement jugée quérable ou portable.

Particulièrement complexe, ce mode de détermination de la juridiction compétente pour connaître de l’action relative à une promesse de gain fallacieuse ne rend somme toute que plus souhaitable et heureuse la possibilité pour le bénéficiaire “déçu” d’invoquer à cette occasion les dispositions des articles 15 et 16 du Règlement n° 44/2001. Ainsi trouve-t-on l’occasion de s’interroger sur la pertinence de la distinction opérée par la Cour de justice dans ses arrêts Engler et Ilsinger (précités, supra, II.A.), étant donné que l’on peut fortement douter du fait selon lequel la notion de “contrat” aurait un contenu variable, fonction du jeu de l’article 5.1 ou des articles 15 et 16 du Règlement n° 44/2001 (en ce sens, rappr. H. GAUDEMET-TALLON, op. et loc. cit.).

En insistant finalement plus sur la “qualité de consommateur” que sur la nature du “contrat” en cause, la Cour de cassation paraît bien avoir rendu un arrêt qui, au delà de la simple faveur au consommateur, mérite pleinement d’être approuvé.

* * *

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PROPOSITION DE CORRECTION POUR L’EXERCICE DE CAS PRATIQUE Rappel : conseils de méthode du cas pratique :

- mettez en évidence la question à laquelle vous répondez, par un titre par exemple ; - faites des paragraphes, aérez vos propos ; - structurez vos développements par des mots de laison qui mettront en évidence la

logique de votre raisonnement ; - l’introduction au cas pratique doit être très courte (évitez de recopier l’énoncé : c’est

une perte de temps inutile) ; conservez en revanche les éléments essentiels nécessaires à la résolution du cas ;

- ne soyez pas péremptoires (si la question vous est posée, c’est qu’elle fait difficulté et ne suppose pas une réponse évidente et inattaquable) ;

- ce n’est pas tant la solution proprement dite qui compte que la cohérence de votre analyse ;

- respectez autant que possibe les trois phases de raisonnement : 1°) rappel de la situation de fait ; 2°) énoncé de la règle de droit (loi ; jurisprudence ; doctrine, très occasionnellement) ; 3°) application du droit aux faits ; Remarque : l’énoncé de la règle de droit peut parfois précédé le rappel de la situation

de fait.

- mettez en perspective votre solution finale par un petit résumé reprenant les grandes lignes de votre raisonnement (si vous en avez le temps).

Proposition de corrigé Introduction Monsieur LUCO et la société danoise DANISH ELEC AUTO (DEA) sont confrontés à un certain nombre de problèmes de compétence directe au sein de l’espace judiciaire européen.

I – Le juge compétent pour connaître du litige entre Monsieur LUCO et la société DEA Deux questions étaient à résoudre ici :

- une question préliminaire : celle de l’applicabilité du règlement n° 44/2001 dit « Bruxelles I » en la cause (A) ;

- la question principale : celle de la détermination du juge effectivement compétent (B).

A – L’applicabilité du règlement n° 44/2001 La question de l’applicabilité du règlement n° 44/2001 est évidemment fondamentale car ce texte constitue désormais le droit commun en matière de compétence judicaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en Europe. Remarque : La question de l’applicabilité du règlement n° 44/2001 doit être résolue systématiquement (avec plus ou moins de développements suivant les cas) lorsqu’apparaît un problème de compétence directe dans l’espace européen. Ratione temporis, on sait que le règlement est entrée en vigueur le 1er mars 2002 dans l’ensemble des États membres, à l’exception du Royaume de Danemark.

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Ratione materiae, il s’applique dans l’hypothèse où le défendeur a son domicile dans un État membre de l’UE. En l’espèce, les questions relatives à la double applicabilité (ratione temporis et ratione materiae) ne posent a priori pas de difficultés (Monsieur LUCO agira par hypothèse en décembre 2009 au plus tôt). Toutefois, un doute existe quant à l’applicabilité du règlement dans la mesure où la société potentiellement défenderesse (DEA) possède son siège statutaire au Danemark. Faut-il en effet déduire de cette circonstance que le règlement ne serait pas applicable à l’action que Monsieur LUCO souhaite intenter à l’encontre de la société DEA ? Une réponse négative s’impose, et ce pour deux raisons :

- En premier lieu, il convient de relever qu’un accord a été conclu entre le Danemark et l’ancienne Communauté européenne (v. la décision du Conseil du 20 sept. 2005, JOUE, L 299 du 16 nov. 2005, reproduite en Annexe du Fascicule), accord qui est entré en vigueur le 1er juillet 2007. Depuis cette date, le Royaume du Danemark est donc lié par le règlement n° 44/2001. Aussi, le fait que la société DEA, future demanderesse, ait son domicile – entendu ici comme son siège statutaire – au Danemark n’empêche pas l’application du règlement.

- En second lieu, et quoi qu’il en soit, quand bien même le Royaume de Danemark

n’aurait pas été lié par le règlement « Bruxelles I », rappelons que l’article 60 de cet instrument prévoit que le domicile des personnes morales correspond au lieu où elles on fixé leur siège statutaire, leur principal établissement ou leur direction effective. Ainsi, dès lors que la société DEA possède son principal établissement en Suède, le règlement n° 44/2001 trouvait évidemment à s’appliquer, tant ratione temporis que ratione materiae, en cas d’action exercée par Monsieur LUCO contre cette société.

B – La détermination du juge effectivement compétent

Par application de l’article 2 du règlement n° 44/2001, les « personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 1, a) de ce texte dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite « devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». Selon la Cour de justice, l’obligation qui sert de base à la demande est l’obligation qui fonde directement l’action en justice (CJCE, 6 oct. 1976, de Bloos). L’article 5, paragraphe 1, b) du règlement précise toutefois que, pour les contrats de vente de marchandise, l’obligation qui sert de base à la demande est localisée au lieu où « les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ». En l’espèce, la société DEA est domiciliée à la fois au Danemark (présence du siège statutaire) et en Suède (présence du principal établissement), en application de l’article 60 du règlement. Par ailleurs, la société DEA est liée à Monsieur LUCO par un contrat de vente d’une voiture électrique. Compte tenu de ces éléments, Monsieur LUCO aura a priori le choix d’agir devant le juge suédois ou le juge danois, compte tenu de la domiciliation de la société DEA, défenderesse.

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Aux termes de l’article 5, 1 du règlement, il pourra cependant décidé d’agir devant les juridictions de l’État « où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». Ainsi, à considérer la voiture électrique comme une marchandise, c’est la compétence du juge du lieu de livraison qui devra être retenue, autrement dit celle du juge suédois (Monsieur LUCO a en effet pris livraison du véhicule à Stockholm). Au contraire, à considérer que la voiture électrique n’est pas une marchandise – ce qui n’est sans doute pas l’hypothèse la plus vraisembable – , il faut déterminer puis localiser « l’obligation qui sert de base à la demande ». En l’espèce, cette obligation – qui fondera la demande en justice de Monsieur LUCO au sens de la jurisprudence de Bloos – est la garantie souscrite par la société DEA…Sa localisation n’est cependant pas chose aisée, sans indication dans le contrat et sans indication sur la teneur précise de cette obligation. On peut toutefois supposer, en l’absence de telles précisions sur ce point, que la garantie doive être exécutée au Danemark – domicile du débiteur – ou en Suède – domicile du créancier. Partant, la compétence déterminée en vertu de l’article 5, paragraphe 1 du règlement conduira certainement le demandeur vers les juges qui sont en principe compétentent au titre du chef d compétence figurant à l’article 2 du règlement (Actor sequitur forum rei). S’agissant enfin de la compétence du juge français invoquée par Monsieur LUCO compte tenu de sa propre nationalité, celle-ci doit assurément être écartée : aucune règle de compétence du règlement « Bruxelles I » ne conduit en effet au for français, et il doit être rappelé que le privilège de juridiction offert au demandeur français est inapplicable dans le « système de Bruxelles » (article 3, paragraphe 2, du règlement opérant un renvoi à l’Annexe 1 du règlement). À ce stade du raisonnement, Monsieur LUCO se voit donc a priori offrir le choix d’agir alternativement devant le juge danois ou devant le juge suédois. Il est cependant vraisemblable d’estimer que son choix se porterait sur le second de ces fors, dès lors qu’il est lui-même domicilié en Suède. Il reste toutefois à savoir si la clause attribuant compétence exclusive au juge danois et figurant dans le protocole adossé au contrat, lui est ou non opposable. L’article 23 du règlement n° 44/2001 dispose expressément que « si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d'un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents », sauf compétence exclusive. À se tourner vers la jurisprudence, l’on sait que celle-ci confère une efficacité étendue aux clauses attributives de juridiction : la Cour de cassation française a ainsi pu juger, au vu d’une clause attributive de juridiction contenue dans un protocole de 1997, qu’une Cour d’appel avait décidé à bon droit qu’« en matière internationale, l'article 23 du Règlement CE du 22 décembre 2000 (Bruxelles I) reconnaît la validité de la clause attributive de juridiction aux seules conditions que l'une des parties au moins soit domiciliée dans un Etat signataire et que la juridiction désignée soit celle d'un Etat contractant de sorte que la clause attributive de compétence convenue entre une société luxembourgeoise et un français même non commerçant résidant à Londres, donnant compétence au tribunal de commerce de Paris, est valable » (Cass. civ. 1ère, 9 janv. 2007, Ratel c/ Soc. Cécile Holding France, doc. 9). En l’espèce, les deux parties sont domiciliées dans un État membre de l’UE et le juge désigné

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est aussi celui d’un État membre. Compte tenu de ces éléments, il apparaît donc que le protocole invoqué par la société DEA et désignant comme compétent une juridiction danoise soit pleinement opposable à Monsieur LUCO, nonobstant le fait que Monsieur LUCO ne soit pas commerçant et le fait que le protocole ait été arrêté à une date antérieure à l’entrée en vigueur du règlement « Bruxelles I » dans la mesure où c’est la date de l’action en justice qui doit être prise en considération sur ce point. Au vu de ce qui précède, il apparaît donc que la juridiction compétente soit finalement et exclusivement la juridiction danoise. II – Le fondement de l’action de la société DEA contre le société ARTE ELECTRICO et le juge

compétent pour en connaître Deux points étaient à examiner : le fondement de l’action (A) et le juge compétent (B). Il convient de préciser que le règlement n° 44/2001 est applicable, dès lors que les sociétés DEA et ARTE ELECTRICO sont domiciliées dans des États membres de l’UE.

A – Le fondement de l’action Dans le « système de Bruxelles », la notion de matière délictuelle a reçu une interprétation autonome et spécifique à l’espace judiciaire européen. Ainsi, la Cour de justice a pu affirmer qu’il faut y rattacher « toute demande mettant en jeu la responsabilité du défendeur et ne se rattachant pas à la matière contractuelle » (CJCE, 27 sept. 1988, Kalfélis). Encore faut-il savoir ce que recouvre la matière contractuelle. Pour la Cour de justice, une situation relève de la matière contractuelle lorsqu’il existe un « engagement librement assumé d’une partie envers une autre » (CJCE, 17 juin 1992, Jacob Handte, doc. 10). En ce sens, elle a retenu que ne relève pas de la matière contractuelle et doit donc être rattachée à la matière délictuelle l’action en responsabilité fondée sur une rupture des pourparlers précontractuels (CJCE, 17 sept. 2002, Tacconi, doc. 11). En l’espèce, la société DEA entend justement agir en responsabilité à l’encontre de la société espagnole ARTE ELECTRICO afin de voir réparé le préjudice qu’elle a subi du fait de la rupture brutale de pouparlers. Cette hypothèse correspond à celle de l’arrêt Tacconi. Au sens du règlement n° 44/2001, le fondement de l’action sera donc délictuel.

B – Le juge compétent Comme il a été dit, l’article 2 du règlement n° 44/2001 prévoit que les « personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». En outre, pour la matière délictuelle spécifiquement, l’article 5, paragraphe 3, du règlement dispose que le demandeur peut agir « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire », ce qui correspond au lieu du fait générateur du dommage ou au lieu du dommage lui-même (CJCE, 30 nov. 1976, Mines de Potasse d’Alsace, doc. 31). En l’espèce, nous savons que le siège de la société ARTE ELECTRICO est situé à Madrid ; cette société est donc domiciliée en Espagne.

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Par ailleurs, il est précisé que les négociations entre la société DEA et la société ARTE ELECTRICO se sont déroulées aux Pays-Bas. Dès lors que le fait dommageable invoqué par DEA est la rupture des pourparlers, pourparlers qui se sont déroulés aux Pays-Bas, le lieu du fait dommageable est situé dans ce dernier État. Remarque : comme ARTE ELECTRICO est une société, on pourrait aussi admettre que le fait générateur du dommage (la rupture des pourparlers) consiste dans la décision prise par la direction de ARTE ELECTRICO de rompre les pouparlers, fait générateur qui serait localisé, en absence de précisions contraires, en Espagne, lieu du siège social. Ceci constituerait un deuxième chef de compétence au profit des juridictions espagnoles. Il résulte de ces différents éléments que la société DEA pourra agir, à sa convenance, devant le juge espagnol – juge du domicile – ou devant le juge néerlandais – juge du lieu du fait dommageable.

III – Le juge compétent en cas de litige en DEA et AUTOLECTRIC Pour commencer, rappelons de manière évidente que, comme cela a déjà été souligné précédemment, la société DEA pourra agir, en vertu de l’article 2 du règlement n° 44/2001, devant les juridictions de l’État où AUTOLECTRIC a fixé son domicile, en l’occurrence l’Allemagne (AUTOLECTRIC est basée à Sarrebruck). Ensuite, l’article 5, paragraphe 1, b) du règlement n° 44/2001 dispose que, dans le cadre d’un contrat de fourniture de marchandises, le demandeur peut aussi saisir le juge du lieu où « les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ». En cas de pluralité de lieux de livraison, on peut déduire de la jurisprudence de la Cour de justice que le lieu à prendre en compte pour connaître le juge national compétent est celui de la livraison principale (en ce sens : CJCE, 15 janv. 1987, Shenavaï c/ Kreischer qui a affirmée qu’en cas de pluralité d’obligations servant de base à la demande, l’obligation à prendre en compte est l'obligation principale ; plus récemment et plus directement : CJCE, 3 mai 2007, Color Drack, doc. 21). De plus, le juge de Luxembourg a dernièrement précisé qu’« à défaut de pouvoir déterminer le lieu de la livraison principale, chacun des lieux de livraison présente un lien suffisant de proximité avec les éléments matériels du litige et, partant, un rattachement significatif sur le plan de la compétence judiciaire », et d’en déduire que « dans un tel cas, le demandeur peut attraire le défendeur devant le tribunal du lieu de livraison de son choix sur le fondement de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement n° 44/2001 » (CJCE, 3 mai 2007, Color Drack, préc.). En l’espèce, il ne fait pas de doute que les sociétés DEA et AUTOLECTRIC sont liées par un contrat de livraison de marchandises (des batteries). Or, nous savons que la société allemande s’est engagée à livrer chaque mois un nombre équivalent de batteries aux différents revendeurs de la société danoise en Autriche, aux Pays-Bas, en Suède ainsi qu’au Danemark. Ces données de fait suggèrent qu’il n’y a pas de lieu de livraison principal : un nombre équivalent de marchandises doit être livré dans les différents pays concernés. Dans ces conditions, en cas de litige, la société DEA pourrait agir non seulement devant le juge allemand – juge du domicile d’AUTOLECTRIC – mais encore devant les juridictions de chaque état sur le territoire duquel doivent intervenir les livraisons équivalentes : l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark (ces deux derniers for étant les plus intéressants pour DEA qui y a ses domiciles).

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Remarque : on peut s’interroger sur l’étendue de la demande formulée devant chaque juge…pourra-t-elle viser l’entier préjudice (si plusieurs livraisons sont défectueuses par exemple) ou se limiter au préjudice subi seulement du fait de la livraison effectuée dans l’État en question ? Ainsi, en cas d'obligations équivalentes, la Cour de justice a pu estimer que la compétence du juge du for était limitée à celle qui devait être exécutée dans cet État (CJCE, 5 octobre 1999, Leathertex) ; cette jurisprudence n’est toutefois pas forcément applicable en la cause.

IV – Sur l’action en diffamation de la société DEA contre Monsieur LUCO D’abord, la société DEA pourra agir devant le juge suédois, compte tenu de la localisation du domicile de Monsieur LUCO à Stockholm (article 2 du règlement n° 44/2001). Ensuite, il n’est guère contestable que l’action en diffamation que la société DEA envisage de diligenter contre Monsieur LUCO est une action délictuelle. La société DEA pourra donc agir aussi « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », conformément à l’article 5, paragraphe 3, du règlement européen tel qu’interprété par l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace (cf. supra). Partant, toute la difficulté tient à la détermination de ce lieu : Monsieur LUCO ayant agi par internet, les faits « délictueux » que lui reproche la société DEA sont « pluri-localisés ». Le règlement n° 44/2001 ne pose aucune solution de principe en la matière. Toutefois, la jurisprudence de la Cour de cassation française fournit quelques indices qui, sans apporter de solution définitive, peuvent être utiles à la résolution des problèmes relatifs à la détermination du juge compétent en matière de cyber-délits. Ainsi, dans un arrêt Société Castellblanch c/ Soc. Champagne Louis Roederer du 9 décembre 2003, la juridiction suprême a approuvé une Cour d’appel d’avoir admis la compétence des juridictions françaises pour connaître de la prévention et de la réparation de dommages subis en France du fait de l’exploitation d’un site internet en Espagne, en constatant que « ce site, fût-il passif, était accessible sur le territoire français, de sorte que le préjudice allégué du seul fait de cette diffusion n'était ni virtuel ni éventuel, a légalement justifié sa décision » (doc. 38). Par ailleurs, dans un arrêt du 20 mars 2007 Soc. HSM Schuhmarketing GmbH c/ Soc. GEP Industries e.a., la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que, « constatant la représentation sur le site internet incriminé d’un modèle de chaussures dont il était prétendu qu’il caractérisait une concurrence déloyale envers le plaignant », une cour d’appel avait exactement retenu sa compétence « dès lors que les faits allégués de commercialisation de ces produits sur le territoire national seraient susceptibles de causer un préjudice » (doc. 40). Au regard de ces décisions, il est possible d’avancer qu’en matière de délit réalisé par internet, le fait générateur du dommage se situe au lieu où le site est hébergé et exploité ; les juridictions de l’État où se situe ce lieu semblent donc être compétentes. Par ailleurs, le dommage lui-même est localisé sur le territoire des États où le site est accessible ; les juridictions de ces États paraissent aussi compétentes. La présente espèce ne fournit pas d’indication à ce sujet. Toutefois, on peut avancer que, compte tenu de la connaissance que la société DEA a eu des propos informatiques de Monsieur LUCO, le blog de ce dernier et le site ANSIGTBOG sont accessibles en Suède et au Danemark. DEA pourra donc vraisemblablement agir devant les juridictions de ces deux États.